Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

IMM-4756-21

2022 CF 1424

Mustafa Abdi Ibrahim (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Ibrahim c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Zinn—Par vidéoconférence, 17 octobre; Ottawa, 19 octobre 2022.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et Renvoi — Renvoi de réfugiés — Demande de contrôle judiciaire contestant la décision rendue par un agent à l’issue d’un examen des risques avant renvoi (l’ERAR) concluant que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) — Le demandeur, un citoyen de la Somalie, a présenté une demande d’asile — Il a été interdit de territoire — Il a présenté une demande d’ERAR — Il a fourni plusieurs affidavits pour étayer les risques auxquels il alléguait être exposé — L’agent a affirmé, entre autres choses, que l’affidavit du frère du demandeur était vague, qu’il n’a pas été rédigé par un tiers objectif, et qu’il a été traduit par le demandeur lui-même — Le défendeur a soutenu que la décision de l’agent n’était pas fondée sur la crédibilité, mais plutôt sur l’insuffisance de la preuve — Il s’agissait de déterminer si la demande devait être accueillie — Il n’est pas suffisant pour un agent de faire mention de l’auteur d’un élément de preuve et de décréter que cet élément de preuve a une faible valeur probante parce que l’auteur est un parent ou un ami du demandeur — Ce n’est pas uniquement en raison de la nature intéressée de l’élément de preuve que l’agent ne lui a accordé que peu de poids — Dans la présente affaire, l’élément de preuve a été évalué pour savoir quel poids il convenait de lui accorder et non pour savoir s’il était crédible — Il s’agit d’une approche appropriée — Néanmoins, les déclarations de l’agent selon lesquelles l’affidavit du frère du demandeur avait été traduit par le demandeur lui-même, et sans indication que l’avocat du demandeur (devant qui l’affidavit a été souscrit) maîtrisait le somali, étaient très préoccupantes — L’agent a sous-entendu soit que l’impossibilité de vérifier l’exactitude de la traduction signifie qu’il était difficile d’évaluer la fiabilité de l’information; soit que le demandeur n’était pas en mesure de traduire du somali vers l’anglais; ou soit que le demandeur a traduit les propos de son frère de façon favorable pour sa demande d’ERAR — Si l’agent sous-entendait la dernière possibilité, cela revient à affirmer que le demandeur a menti à son avocat lors de l’interprétation ou qu’il a [traduction] « orienté » le témoin — Dans les deux cas, il s’agit de préoccupations quant à la crédibilité — L’agent a sous-entendu que le demandeur a menti lorsqu’il a traduit les propos tenus par son frère dans son affidavit — L’agent a mis en doute la crédibilité du demandeur — Cette question nécessitait une audience — Si l’élément de preuve qu’il a fourni est accepté et que du poids lui est accordé, il contribuera grandement à démontrer que le demandeur est exposé à des risques en Somalie — Ceci répond aux exigences de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés pour une audience — L’agent a diminué le poids à accorder à l’élément de preuve en raison de la participation du demandeur à sa production — La question est passée du domaine du poids de la preuve à celui de la crédibilité du demandeur et de son frère — La décision rendue à l’issue de l’ERAR a été annulée — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire contestant la décision rendue par un agent à l’issue d’un examen des risques avant renvoi (l’ERAR) concluant que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi).

Le demandeur, un citoyen de la Somalie, avait obtenu le statut de résident aux États-Unis. En raison de ses antécédents criminels, son statut de résident a été révoqué et une mesure de renvoi a été prise contre lui. Le demandeur est entré au Canada et il a présenté une demande d’asile. Il a fait l’objet d’un rapport pour grande criminalité sous le régime de la Loi et a été interdit de territoire. Le délégué du ministre a pris une mesure d’expulsion contre lui. En 2019, le demandeur a présenté une demande d’ERAR. Le demandeur, un membre du clan Samaroon (un clan majoritaire), a affirmé qu’il était principalement exposé à un risque de persécution aux mains des membres de son clan parce qu’il avait épousé une membre de la tribu Gabooye (un clan minoritaire). Il a également fourni plusieurs affidavits pour étayer les risques auxquels il alléguait être exposé. L’agent n’a accordé que peu de poids à tous ces éléments. L’agent a affirmé, entre autres choses, que l’affidavit du frère du demandeur était vague et qu’il manquait des détails quant aux risques auxquels le demandeur était exposé, qu’il n’a pas été rédigé par un tiers objectif, et qu’il a été traduit par le demandeur lui-même et non par une partie indépendante. Le demandeur a soutenu que l’agent a manqué au principe de justice naturelle en ne tenant pas une audience. Le défendeur a soutenu que la décision de l’agent n’était pas fondée sur la crédibilité, mais plutôt sur l’insuffisance de la preuve.

Il s’agissait de déterminer si la demande devait être accueillie.

Jugement : la demande doit être accueillie.

S’il est approprié de prendre en considération l’intérêt personnel lors de l’évaluation du poids à accorder à la preuve, il n’est pas suffisant pour un agent de faire mention de l’auteur d’un élément de preuve et de décréter que cet élément de preuve a une faible valeur probante parce que l’auteur est un parent ou un ami du demandeur. Ce n’est pas uniquement en raison de la nature intéressée de l’élément de preuve que l’agent ne lui a accordé que peu de poids. L’agent a indiqué que l’affidavit n’était pas corroboré et qu’il n’avait donc pas une valeur probante suffisante pour établir que le demandeur serait exposé à un risque de persécution. Dans la présente affaire, l’élément de preuve a été évalué pour savoir quel poids il convenait de lui accorder et non pour savoir s’il était crédible. Il s’agit d’une approche appropriée. Néanmoins, les déclarations de l’agent selon lesquelles l’affidavit du frère du demandeur avait été [traduction] « traduit par le demandeur lui-même et non par une partie indépendante » et qu’il avait été « souscrit devant le représentant légal du demandeur […] [sans qu’on sache s’il] maîtris[ait] le somali » étaient très préoccupantes. Il ne s’agissait pas simplement de commentaires malheureux. L’agent sous-entendait soit : 1) que l’impossibilité de vérifier l’exactitude de la traduction signifie qu’il était difficile d’évaluer la fiabilité de l’information; 2) que le demandeur n’était pas en mesure de traduire du somali vers l’anglais ou qu’il n’était pas qualifié pour le faire; ou 3) que le demandeur a traduit les propos de son frère de façon favorable pour sa demande d’ERAR. Si l’agent sous-entendait la dernière possibilité, cela revient à affirmer que le demandeur a menti à son avocat lors de l’interprétation ou, comme l’a déclaré le défendeur, qu’il a [traduction] « orienté » le témoin. Dans les deux cas, il s’agit de préoccupations quant à la crédibilité. L’affirmation de l’agent, c.-à-d. que le demandeur [traduction] « maîtrise bien le somali », ne peut sous-entendre qu’une chose, à savoir que le demandeur a menti lorsqu’il a traduit les propos tenus par son frère dans son affidavit. En diminuant le poids accordé à l’affidavit parce qu’il a été traduit par le demandeur et que l’avocat ne connaissait pas le somali, l’agent a mis réellement en doute la crédibilité du demandeur. Cette question nécessitait une audience parce que l’affidavit du frère du demandeur était crucial pour la décision relative à la demande d’ERAR. Si l’élément de preuve qu’il a fourni est accepté et que du poids lui est accordé, il contribuera grandement à démontrer que le demandeur est exposé à des risques en Somalie. Ceci répond aux exigences de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés pour une audience. L’élément de preuve produit par le frère du demandeur en l’espèce portait sur des faits dont il a eu connaissance, qu’il a observés et dont il a fait l’expérience. L’agent en l’espèce a diminué le poids à accorder à l’élément de preuve en raison, en partie, de la participation du demandeur à sa production. Ce faisant, la question est passée du domaine du poids de la preuve à celui de la crédibilité du demandeur et de son frère. La décision rendue à l’issue de l’ERAR a été annulée, et la demande a été renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 96, 97.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 167.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :

Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, [2009] 1 R.C.F. F-3.

DÉCISION MENTIONNÉE :

Rahman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 941.

DEMANDE de contrôle judiciaire contestant la décision rendue par un agent à l’issue d’un examen des risques avant renvoi concluant que le demandeur n’avait pas satisfait aux exigences des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Raoul Boulakia pour le demandeur.

James Todd pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Raoul Boulakia, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Zinn :

[1]        M. Ibrahim conteste la décision rendue à l’issue d’un examen des risques avant renvoi (l’ERAR) par laquelle un agent a conclu qu’il n’avait pas satisfait aux exigences des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[2]        Je conclus que la décision rendue à l’issue de l’ERAR doit être annulée. L’agent a privé le demandeur de son droit à l’équité procédurale, en omettant de tenir une audience qui, dans les circonstances, était nécessaire.

[3]        Le demandeur est un citoyen somalien. En 1994, il a été parrainé pour venir aux États-Unis, où il a obtenu le statut de résident. Il a été condamné en 2003 à cinq années d’emprisonnement pour une infraction criminelle. Il a ensuite été condamné à une peine de trois mois en 2010 pour avoir violé ses conditions de probation. En raison de ses antécédents criminels, son statut de résident a été révoqué et une mesure de renvoi a été prise contre lui.

[4]        Le demandeur est entré au Canada vers le 15 septembre 2017, et il a présenté une demande d’asile. Il a fait l’objet d’un rapport pour grande criminalité sous le régime de la Loi. Compte tenu des déclarations de culpabilité prononcées contre lui pour des infractions criminelles, le demandeur était interdit de territoire au Canada, et le délégué du ministre a pris une mesure d’expulsion contre lui le 23 novembre 2018. Comme les risques auxquels le demandeur était exposé n’avaient jamais été évalués, il avait le droit de présenter une demande d’ERAR.

[5]        Le 13 février 2019, le demandeur a présenté une première demande d’ERAR. Cette première demande a été rejetée en 2020, mais la décision a été annulée avec le consentement des parties. Le 23 octobre 2020, le demandeur a déposé des documents et des observations à jour pour sa demande d’ERAR.

[6]        Dans sa demande d’ERAR, le demandeur, un membre du clan Samaroon (un clan majoritaire), a affirmé qu’il était principalement exposé à un risque de persécution aux mains des membres de son clan parce qu’il avait épousé une membre de la tribu Gabooye (un clan minoritaire). Il a également déclaré être exposé à un risque secondaire aux mains de différentes factions criminelles et de différents clans compte tenu de son statut de rapatrié en Somalie. Il a fourni des éléments de preuve personnels et des documents objectifs sur le pays à l’appui de sa demande. Il a également fourni plusieurs affidavits pour étayer les risques auxquels il alléguait être exposé. L’agent n’a accordé que peu de poids à tous ces éléments.

[7]        Le demandeur soutient que l’agent a manqué au principe de justice naturelle en ne tenant pas une audience. Il fait valoir que l’agent a rendu une conclusion voilée quant à la crédibilité et que pareille conclusion nécessite une audience. Le défendeur soutient que la décision de l’agent n’était pas fondée sur la crédibilité, mais plutôt sur l’insuffisance de la preuve. Il renvoie, entre autres, à la décision que j’ai rendue dans l’affaire Ferguson c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, [2009] 1 R.C.F. F-3 (Ferguson).

[8]        Je conclus que le traitement par l’agent de l’affidavit du frère du demandeur est la question la plus problématique de la décision qui fait l’objet du contrôle. C’est suffisant pour que je statue sur la demande. Le fait que je n’ai pas examiné les autres arguments du demandeur ne devrait pas être considéré comme un rejet de ces arguments; cela signifie simplement qu’ils sont inutiles.

[9]        Le demandeur affirme que son frère, Ibrahim, et sa sœur, Hodan, l’ont appuyé dans sa décision de se marier. Dans son affidavit, Ibrahim explique qu’il a été convoqué par le chef du clan Samaroon après que sa sœur et lui ont pris part à une célébration privée pour le mariage de leur frère. Le chef l’a prévenu que le demandeur serait tué s’il retournait en Somalie et lui a précisé que Hodan et lui ne bénéficiaient plus de la protection du clan compte tenu de leur participation à la célébration traditionnelle du mariage. Le chef a également mentionné que si le demandeur et sa femme avaient des enfants, ceux-ci seraient tués s’ils se rendaient en Somalie.

[10]      Ibrahim atteste qu’il possédait un stand de nourriture qui, peu après, a été détruit et vandalisé par des graffitis discriminatoires. Ibrahim et Hodan ont fui Hargeisa et sont allés vivre à Mogadiscio. Selon Ibrahim, en juin 2017 (après la naissance du premier enfant du demandeur et alors que sa femme était enceinte de leur deuxième enfant), cinq hommes se sont rendus sur son lieu de travail à Mogadiscio parce qu’ils étaient à sa recherche. Il a parlé par téléphone à l’un des hommes, qui lui a dit que les autres hommes et lui appartenaient au clan Samaroon et qu’ils venaient de Hargeisa pour les assassiner, sa sœur Hodan et lui, en raison de leur soutien au mariage du demandeur et parce qu’ils avaient appris que le demandeur avait des enfants avec sa femme « midgan ». Le frère et la sœur du demandeur ont ensuite fui la Somalie et se sont rendus en Éthiopie.

[11]      Le demandeur soutient que la décision de l’agent concernant l’affidavit de son frère constitue une conclusion voilée quant à la crédibilité. L’agent a affirmé ce qui suit :

[traduction] Je suis d’avis que cet affidavit du frère du demandeur, Ibrahim, est vague et qu’il manque des détails quant aux risques auxquels le demandeur est exposé; le frère du demandeur n’y explique pas comment les hommes appartenant au clan Samaroon ont découvert que le demandeur avait un enfant ni comment les membres du clan seraient en mesure de reconnaître le demandeur ou de connaître l’endroit où il se trouverait s’il devait retourner à Mogadiscio. D’après une recherche générale sur Internet, Mogadiscio se trouve à plus de 1 000 km de sa ville natale de Hargeisa. Je note en outre que le demandeur a quitté la Somalie à l’âge de 10 ans et qu’il est actuellement un adulte de 37 ans, ce qui le rend raisonnablement difficile à reconnaître d’emblée. Enlève encore du poids à cet élément de preuve le fait qu’il n’a pas été rédigé par un tiers objectif et désintéressé par l’issue de la présente demande, qu’il a été traduit par le demandeur lui-même et non par une partie indépendante, comme un interprète agréé, et que, même s’il a été souscrit devant le représentant légal du demandeur à Toronto, rien n’indique que l’avocat du demandeur maîtrise le somali. Je suis d’avis que cet affidavit, pris seul ou conjointement avec d’autres éléments de preuve présentés, est insuffisant pour prouver que le demandeur est exposé aux risques qu’il allègue à Mogadiscio. Pour cette raison, je ne lui accorde qu’un poids limité. [Non souligné dans l’original.]

[12]      Je suis d’accord avec l’argument de l’avocat selon lequel, s’il est approprié de prendre en considération l’intérêt personnel lors de l’évaluation du poids à accorder à la preuve, il n’est pas suffisant pour un agent de faire mention de l’auteur d’un élément de preuve et de décréter que cet élément de preuve a une faible valeur probante (ou peu de poids) parce que l’auteur est un parent ou un ami du demandeur (voir Rahman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 941).

[13]      L’argument du demandeur selon lequel l’agent n’a pas tenu compte de l’élément de preuve produit par son frère parce qu’il a été rédigé par une personne ayant un intérêt dans l’issue de l’affaire constitue une interprétation erronée de la décision. L’agent n’a pas rejeté l’affidavit du frère du demandeur parce qu’il a été produit par une personne intéressée par l’issue de l’affaire; il y a plutôt accordé peu de poids parce qu’il était [traduction] « vague et qu’il manqu[ait] des détails quant aux risques auxquels le demandeur [était] exposé ». Ce n’est pas uniquement en raison de la nature intéressée de l’élément de preuve que l’agent ne lui a accordé que peu de poids. L’agent a indiqué que l’affidavit n’était pas corroboré et qu’il n’avait donc pas une valeur probante suffisante pour établir que le demandeur serait exposé à un risque de persécution à Mogadiscio. Dans la présente affaire, l’élément de preuve a été évalué pour savoir quel poids il convenait de lui accorder et non pour savoir s’il était crédible. Il s’agit d’une approche appropriée.

[14]      Néanmoins, j’estime que les déclarations de l’agent selon lesquelles l’affidavit du frère du demandeur avait été [traduction] « traduit par le demandeur lui-même et non par une partie indépendante » et qu’il avait été « souscrit devant le représentant légal du demandeur à Toronto [sans qu’on sache s’il] maîtris[ait] le somali » sont très préoccupantes. Je ne puis accepter l’argument du défendeur selon lequel il s’agit simplement de commentaires malheureux.

[15]      En déclarant que le fait que l’affidavit du frère a été traduit par le demandeur lui-même enlève du poids à cet élément de preuve, l’agent sous-entend l’une des trois choses suivantes : 1) que l’impossibilité de vérifier l’exactitude de la traduction signifie qu’il est difficile d’évaluer la fiabilité de l’information; 2) que le demandeur n’est pas en mesure de traduire du somali vers l’anglais ou qu’il n’est pas qualifié pour le faire; ou 3) que le demandeur a traduit les propos de son frère de façon favorable pour sa demande d’ERAR. Si l’agent sous-entend la dernière possibilité, cela revient à affirmer que le demandeur a menti à son avocat lors de l’interprétation ou, comme l’a déclaré le défendeur, qu’il a [traduction] « orienté » le témoin. Dans les deux cas, il s’agit de préoccupations quant à la crédibilité.

[16]      L’agent affirme que le demandeur [traduction] « maîtrise bien le somali ». Cela indique que le problème ne réside pas dans l’exactitude de la traduction du somali vers l’anglais, mais plutôt dans le fait que le demandeur a lui-même traduit l’affidavit déposé en preuve par son frère.

[17]      Je suis d’avis que l’affirmation de l’agent ne peut sous-entendre qu’une chose, à savoir que le demandeur a menti lorsqu’il a traduit les propos tenus par son frère dans son affidavit. En outre, la déclaration de l’agent selon laquelle [traduction] « rien n’indique que l’avocat du demandeur maîtrise le somali » confirme qu’il avait des doutes quant à la crédibilité du demandeur. Comme le fait valoir ce dernier, cela confirme l’opinion selon laquelle [traduction] « [il] a dû tromper son avocat ».

[18]      Je ne partage pas l’avis du demandeur selon lequel l’agent exige des avocats qui demandent des affidavits qu’ils maîtrisent toujours la langue des témoins. À mon avis, l’agent affirme que l’avocat qui a demandé l’affidavit du frère du demandeur n’a pas pu confirmer la véracité de la déclaration parce qu’il ne parle pas le somali et qu’il a dû se fier à la traduction du demandeur. Il sous-entend ainsi que le demandeur a peut-être menti lorsqu’il a traduit les propos de son frère ou qu’il l’a orienté sur ce qu’il devait dire. Cette évaluation de l’agent ne concerne pas la corroboration de la preuve; elle remet en question la crédibilité du demandeur. En diminuant le poids accordé à l’affidavit parce qu’il a été traduit par le demandeur et que l’avocat ne connaissait pas le somali, l’agent met réellement en doute la crédibilité du demandeur. Cette question nécessitait une audience parce que l’affidavit du frère du demandeur est crucial pour la décision relative à la demande d’ERAR. Si l’élément de preuve qu’il a fourni est accepté et que du poids lui est accordé, il contribuera grandement à démontrer que le demandeur est exposé à des risques en Somalie. Il répond aux exigences de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[19]      J’ajoute que les faits dans la présente affaire sont considérablement différents des faits dans l’affaire Ferguson. La décision Ferguson a été rendue dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision rendue à l’issue d’un ERAR au cours duquel la demanderesse avait allégué être exposée à un risque en raison de son orientation sexuelle. La seule preuve montrant que la demanderesse était lesbienne était les déclarations faites dans des observations écrites par son avocate à cet effet. L’agent a pris note de ce fait et a conclu qu’on ne lui avait [traduction] « pas fourni de preuve supplémentaire qui établi[ssait], selon la prépondérance des inconvénients, que la demanderesse [était] homosexuelle ».

[20]      Dans l’affaire Ferguson, la preuve à laquelle peu de poids a été accordé ne découlait pas d’une connaissance personnelle de première main. En revanche, l’élément de preuve produit par le frère du demandeur en l’espèce porte sur des faits dont il a eu connaissance, qu’il a observés et dont il a fait l’expérience. Contrairement à ce qu’a fait l’agent dans l’affaire Ferguson, l’agent en l’espèce ne dit pas que le fardeau de la preuve ne serait pas acquitté même s’il accordait du poids à cet élément de preuve. Au contraire, l’agent diminue le poids à accorder à l’élément de preuve en raison, en partie, de la participation du demandeur à sa production. Ce faisant, la question passe du domaine du poids de la preuve à celui de la crédibilité du demandeur et de son frère.

[21]      Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

JUGEMENT dans le dossier IMM-4756-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : la demande est accueillie; la décision rendue à l’issue de l’examen des risques avant renvoi et faisant l’objet de la présente demande de contrôle est annulée; la demande est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision; et aucune question n’est certifiée.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.