T-999-21
2021 CF 921
Le commissaire de la concurrence (demandeur) (partie intimée à la requête)
c.
Canada Tax Reviews Inc. (défenderesse) (partie requérante à la requête)
Répertorié : Canada (Commissaire de la concurrence) c. Canada Tax Reviews Inc.
Cour fédérale, juge en chef Crampton—Par vidéoconférence, 18 août; Ottawa, 7 septembre 2021.
Concurrence — Requête visant à faire annuler et modifier une ordonnance ex parte rendue en vertu de l’art. 11 de la Loi sur la concurrence pour obtenir des renseignements de la défenderesse, Canada Tax Reviews Inc. (CTR), concernant des questions particulières faisant l’objet d’une enquête — Requête présentée par la défenderesse sur le fondement de l‘alinéa 399(1)a) des Règles des Cours fédérales — Le demandeur (commissaire de la concurrence) est nommé en vertu de l’art. 7 de la Loi et il est chargé d’assurer et de contrôler l’application de la Loi — La société CTR se décrit comme étant une société spécialisée dans le recouvrement fiscal qui défend les intérêts de ses clients auprès de l’Agence du revenu du Canada — Le commissaire a déposé une demande fondée sur les art. 11(1)b) et c) de la Loi afin d’obtenir une ordonnance enjoignant à la société CTR de produire des documents et de fournir des renseignements sous forme de déclarations écrites — Dans sa demande, le commissaire a expliqué qu’une enquête avait été entreprise selon l’art. 10 de la Loi, concernant certaines des pratiques commerciales de la société CTR — Le commissaire avait des raisons de croire qu’il existait des motifs justifiant de rendre une ordonnance en vertu de la partie VII.1 de la Loi, et plus précisément des art. 74.01(1)a) et 74.011(1) — La société CTR a été informée que le commissaire solliciterait une ordonnance en vertu de l’art. 11 et a été invitée à participer à un « dialogue préalable à la demande » — La demande d’ordonnance du commissaire a été instruite — La Cour a ensuite rendu l’ordonnance contestée — Il s’agissait de savoir si l’ordonnance contestée devrait être modifiée — Dans les demandes ex parte présentées en vertu de l’art. 11 de la Loi, le commissaire a l’obligation rigoureuse de faire une divulgation complète et franche de tous les faits pertinents entourant la demande — Le commissaire doit veiller à ne pas induire la Cour en erreur quant à la pertinence que les renseignements pourraient avoir pour l’enquête en question — Le commissaire n’a pas manqué à son obligation rigoureuse de divulgation complète et franche qui s’applique aux procédures ex parte relevant de l’art. 11 de la Loi — Les manquements et lacunes allégués dans la divulgation du commissaire doivent être tels qu’ils auraient pu conduire la Cour à refuser de rendre l’ordonnance en question ou certaines de ses dispositions — Aucune des lacunes relevées par la société CTR ne répondait à ces exigences — La Cour a très bien compris le point de vue de la société CTR à partir des documents soumis — Contrairement à l’argument de la société CTR, aucun des aspects de la divulgation du commissaire n’a induit la Cour en erreur — La société CTR s’est opposée à plusieurs dispositions de l’ordonnance contestée qui l’enjoignent à fournir certains renseignements en particulier et a maintenu que ces renseignements n’étaient pas pertinents pour les questions qui se posaient dans l’affaire — Ces dispositions étaient pertinentes pour l’enquête du commissaire visant à déterminer si la société CTR a donné des indications fausses ou trompeuses, suivant les art. 74.01(1)a) et 74.011(1) de la Loi — Elles n’imposeraient pas un fardeau excessif, disproportionné ou inutile à la société CTR — En ce qui concerne la portée des renseignements sollicités, bien qu’une modification ait été apportée à l’ordonnance contestée pour limiter les documents spécifiques sollicités, les autres dispositions n’étaient ni excessives, ni disproportionnées, ni inutilement onéreuses — Le commissaire n’a pas manqué à son obligation rigoureuse de divulgation complète et franche — Le commissaire n’avait aucune obligation légale de discuter avec la société CTR de la pertinence d’un ou de plusieurs éléments d’un projet d’ordonnance au cours du processus de dialogue préalable à la demande — Requête rejetée, sous réserve de quelques exceptions.
Pratique — Jugements et ordonnances — La défenderesse, Canada Tax Reviews Inc. (CTR), a demandé l’annulation et la modification d’une ordonnance ex parte rendue en vertu de l’art. 11 de la Loi sur la concurrence — La requête a été présentée par la société CTR sur le fondement de l‘alinéa 399(1)a) des Règles des Cours fédérales — Le demandeur (le commissaire) avait précédemment déposé une demande fondée sur les art. 11(1)b) et c) de la Loi afin d’obtenir une ordonnance enjoignant à la société CTR de produire des documents et de fournir des renseignements sous forme de déclarations écrites — Une enquête a été entreprise concernant certaines des pratiques commerciales de la société CTR — Après audition de la demande du commissaire, la Cour a rendu l’ordonnance contestée — Il s’agissait de savoir si l’ordonnance contestée devrait être modifiée — Le critère général pour obtenir l’annulation ou la modification d’une ordonnance dans le cadre d’une requête fondée sur l’alinéa 399(1)a) consiste à se demander si la société CTR a présenté une preuve prima facie indiquant les raisons pour lesquelles l’ordonnance n’aurait pas dû être rendue — Même lorsque le défendeur fait la preuve de certaines conclusions justifiant la requête, la Cour donne au commissaire l’occasion d’être entendu et conserve le pouvoir discrétionnaire de rejeter la requête du défendeur — Une fois qu’elle a examiné les renseignements supplémentaires fournis par le commissaire, la Cour peut demeurer convaincue que les renseignements visés par l’ordonnance sont tout de même pertinents et que leur portée n’est pas excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse — Dans de telles circonstances, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder au défendeur les mesures sollicitées.
Il s’agissait d’une requête visant à faire annuler et modifier une ordonnance ex parte rendue en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence pour obtenir des renseignements de la défenderesse, Canada Tax Reviews Inc. (CTR), concernant des questions particulières faisant l’objet d’une enquête. La requête a été présentée par la défenderesse sur le fondement de l’alinéa 399(1)a) des Règles des Cours fédérales. Elle a soulevé d’importantes questions au sujet d’ordonnances ex parte rendues en vertu de l’article 11 de la Loi.
Le demandeur (commissaire de la concurrence) est nommé en vertu de l’article 7 de la Loi et il est chargé d’assurer et de contrôler l’application de la Loi. La société CTR se décrit comme étant une société spécialisée dans le recouvrement fiscal qui défend les intérêts de ses clients auprès de l’Agence du revenu du Canada. En juin 2021, le commissaire a déposé une demande fondée sur les alinéas 11(1)b) et c) de la Loi afin d’obtenir une ordonnance enjoignant à la société CTR de produire des documents et de fournir des renseignements sous forme de déclarations écrites. Dans sa demande, le commissaire a expliqué qu’une enquête avait été entreprise selon l’article 10 de la Loi, concernant certaines des pratiques commerciales de la société CTR. Dans son affidavit à l’appui de cette demande, un agent du droit de la concurrence au Bureau de la concurrence (le Bureau) a dit que les pratiques commerciales en cause étaient des indications données au public par la société CTR afin de promouvoir ses activités qui consistent à présenter au nom des consommateurs des demandes de prestations d’aide financière dans le contexte de la pandémie mondiale de COVID‑19, à savoir la Prestation canadienne d’urgence et la Prestation canadienne de la relance économique (collectivement, les prestations liées à la COVID). Selon cet affidavit, le commissaire avait des raisons de croire qu’il existait des motifs justifiant de rendre une ordonnance en vertu de la partie VII.1 de la Loi, et plus précisément de l’alinéa 74.01(1)a) et du paragraphe 74.011(1). Selon le résumé fourni dans l’affidavit de l’agent, les renseignements visés par l’ordonnance de la Cour se rapportaient aux questions soulevées dans l’enquête, comme la question de savoir quelles étaient les indications données par la société CTR et la question de savoir où, quand, pourquoi et à qui ces indications avaient été données. L’affidavit a fourni des renseignements sur les communications entre l’équipe du Bureau chargée de l’affaire et la société CTR au sujet de l’ordonnance depuis contestée. Ces communications étaient postérieures aux échanges qui ont eu lieu entre le Bureau et la société CTR. La société CTR a ensuite été informée que le commissaire avait commencé l’enquête. Quelques jours plus tard, la société CTR a été informée que le commissaire solliciterait une ordonnance en vertu de l’article 11 et a été invitée à participer à un dialogue préalable à la demande. Une première version du projet de l’ordonnance contestée a été envoyée à la société CTR. Il est ressorti de l’interprétation raisonnable des documents déposés auprès de la Cour que l’équipe chargée de l’affaire a sincèrement tenté de répondre aux préoccupations soulevées par la société CTR — sauf en ce qui concerne la pertinence de certaines dispositions des annexes de l’ordonnance contestée. Ces documents ont démontré aussi que la société CTR a déployé peu d’efforts pour fournir au Bureau des renseignements utiles ou pour l’aider d’une quelconque manière. La demande d’ordonnance du commissaire a été instruite. Après la présentation par le commissaire d’un projet d’ordonnance révisé qui répondait aux préoccupations de la Cour concernant certaines des dispositions qui figuraient dans le projet d’ordonnance, l’ordonnance contestée a été rendue. La société CTR a ensuite déposé la requête visant à faire annuler et modifier certaines parties de l’ordonnance contestée.
Comme la société CTR n’a pas demandé que l’ordonnance contestée soit annulée dans son intégralité, la seule question en litige était celle de savoir s’il y avait lieu de modifier l’ordonnance contestée.
Jugement : la requête doit être rejetée, sous réserve de quelques exceptions.
Le critère général pour obtenir l’annulation ou la modification d’une ordonnance dans le cadre d’une requête fondée sur l’alinéa 399(1)a) consiste à se demander si le défendeur a présenté une preuve prima facie indiquant les raisons pour lesquelles l’ordonnance n’aurait pas dû être rendue. Pour les ordonnances rendues en vertu de l’article 11 de la Loi, la preuve peut être faite au moyen de points de fait ou de droit suffisants pour justifier l’une des conclusions suivantes, en l’absence de réplique du commissaire : (i) le commissaire n’a pas satisfait à l’obligation de divulgation plus rigoureuse qui s’applique aux procédures fondées sur l’article 11; (ii) le commissaire n’a pas entrepris une véritable enquête en application de l’article 10 de la Loi; (iii) les renseignements — dans leur ensemble ou en partie — dont la production a été ordonnée ne sont pas pertinents pour l’enquête du commissaire; ou (iv) la portée de ces renseignements — dans leur ensemble ou en partie —, est excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse. Même lorsque le défendeur prouve au moins l’un de ces éléments, la Cour donne au commissaire l’occasion d’être entendu et conserve le pouvoir discrétionnaire de rejeter la requête du défendeur. Une fois qu’elle a examiné les renseignements supplémentaires fournis par le commissaire, la Cour peut demeurer convaincue que les renseignements visés par l’ordonnance sont tout de même pertinents et que leur portée n’est pas excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse. Dans de telles circonstances, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder au défendeur les mesures sollicitées. Dans les demandes ex parte présentées en vertu de l’article 11 de la Loi, le commissaire a l’obligation rigoureuse de faire une divulgation complète et franche de tous les faits pertinents entourant la demande. Cette rigoureuse obligation de franchise permet à la Cour d’évaluer adéquatement les intérêts concurrents en jeu dans les demandes ex parte. À cette fin, elle exige du commissaire qu’il veille à ne pas induire la Cour en erreur — soit en raison d’une non-divulgation ou de renseignements erronés — quant à la pertinence que les renseignements pourraient avoir pour l’enquête en question.
En ce qui concerne l’obligation de divulgation du commissaire en l’espèce, le commissaire a fourni à la Cour un long compte rendu du dialogue préalable à la demande. En outre, les notes rédigées par l’agent lors des quatre réunions ayant eu lieu entre l’équipe du Bureau et les représentants de la société CTR ont fourni des renseignements supplémentaires, notamment en ce qui concerne les objections que la société CTR a formulées au sujet de certaines dispositions. Ces comptes rendus étaient les plus détaillés que l’on a jamais vus dans ce type de procédure. Le commissaire a également répondu expressément aux préoccupations exprimées par la société CTR dans les observations écrites qui ont été déposées dans le dossier de la demande. Ces documents ont donné, collectivement, à la Cour une très bonne idée de l’essence des préoccupations de la société CTR et l’ont menée à décider de ne pas homologuer le projet d’ordonnance à moins qu’il soit modifié de façon à répondre à plusieurs d’entre elles. Les clarifications jugées nécessaires au cours de l’audience ont également été demandées. Les réponses du commissaire à ces demandes ont été franches et utiles. La société CTR a allégué divers manquements et lacunes dans la divulgation du commissaire. Toutefois, ces lacunes doivent être telles qu’elles auraient bien pu conduire la Cour à refuser de rendre l’ordonnance sollicitée, ou certaines de ses dispositions. Aucune des lacunes relevées par la société CTR ne répondait à ces exigences, ni isolément ni dans leur ensemble. La Cour a très bien compris le point de vue de la société CTR à partir des documents soumis. Contrairement à l’argument de la société CTR, aucun des aspects de la divulgation du commissaire n’a induit la Cour en erreur. En résumé, le commissaire n’a pas manqué à son obligation rigoureuse de divulgation complète et franche qui s’applique aux procédures ex parte relevant de l’article 11 de la Loi.
La société CTR s’est opposée à plusieurs dispositions de l’ordonnance qui l’enjoignent à fournir des renseignements sur ses factures, sur la communication de comptes et les documents transmis, et a maintenu que ces renseignements n’étaient pas pertinents pour les questions qui se posaient dans l’affaire. Ces dispositions étaient effectivement pertinentes pour l’enquête du commissaire visant à déterminer si la société CTR a donné des indications fausses ou trompeuses, suivant l’alinéa 74.01(1)a) et le paragraphe 74.011(1) de la Loi. Les renseignements que le commissaire a sollicités concernant les publics, les zones géographiques et les renseignements démographiques étaient très utiles pour décider si la société CTR a donné des indications fausses ou trompeuses, suivant l’enquête menée à l’égard de l’alinéa 74.01(1)a) et du paragraphe 74.011(1) de la Loi. En ce qui concerne l’optimisation et le marketing des moteurs de recherche et l’analyse Web, ces dispositions de l’ordonnance contestée étaient également utiles pour l’enquête du commissaire. Cela était d’autant plus vrai que le commissaire devait bénéficier d’une certaine latitude à cette étape de son enquête, vu qu’il n’avait pas encore obtenu beaucoup de renseignements de la part de la société CTR. Ces dispositions contestées n’imposeraient pas un fardeau excessif, disproportionné ou inutile à la société CTR.
En ce qui concerne la portée des renseignements sollicités, la société CTR a fait valoir que certaines dispositions lui enjoignant de produire « tous les documents » sur certains points avaient une portée excessivement vaste et étaient inutilement onéreuses. Compte tenu de la large définition que la Loi confère au terme « document » à son article 2, la Cour est généralement très sensible aux dispositions qui exigeraient la production de « tous les documents » sur des points précis, ce qui était le cas dans la présente instance. Bien qu’une modification ait été apportée à l’ordonnance contestée pour limiter les documents spécifiques sollicités, les autres dispositions exigeant la production de « tous les documents » n’étaient ni excessives, ni disproportionnées, ni inutilement onéreuses. De plus, les renseignements concernant les plaintes, les procédures de traitement de celles‑ci et le signalement interne étaient également utiles pour l’enquête du commissaire. Ces renseignements n’avaient pas une portée excessive ou inutilement onéreuse et ils n’étaient pas redondants.
En conclusion, le commissaire n’a pas manqué à son obligation rigoureuse de divulgation complète et franche qui s’applique aux procédures ex parte relevant de l’article 11 de la Loi. Le commissaire n’a aucune obligation légale de discuter avec un défendeur de la pertinence d’un ou de plusieurs éléments d’un projet d’ordonnance au cours du processus de dialogue préalable à la demande. Cependant, le fait pour le commissaire de ne pas entreprendre un véritable dialogue préalable accroît le risque que la Cour annule ou modifie l’ordonnance rendue en vertu de l’article 11 de la Loi dans le cadre d’une requête subséquemment présentée sur le fondement des règles 397 ou 399. Sous réserve des exceptions limitées qui ont été mentionnées, la portée des renseignements sollicités dans les dispositions des annexes de l’ordonnance contestée n’était pas excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, art. 2 « document », 7, 10, 11, 74.01, 74.011(1).
Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P-40.1.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 397, 399.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Commissaire de la concurrence c. Compagnie de brassage Labatt Limitée, 2008 CF 59; Canada (Commissaire de la concurrence) c. Pearson Canada Inc., 2014 CF 376, [2015] 3 R.C.F. 3; Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265.
DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :
United States of America v. Friedland, [1996] O.J. no 4399 (Div. gén.) (QL).
DÉCISION EXAMINÉE :
Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques commerciales restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; Canada (Competition Bureau) v. Chatr Wireless Inc., 2013 ONSC 5315, 288 C.R.R. (2d) 297.
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance-vie RBC, 2013 CAF 50; Canada (Commissaire de la concurrence) c. Air Canada, [2001] 1 C.F. 219 (1re inst.); Canada (Commissaire de la concurrence) c. Bell Mobility Inc., 2015 CF 990; SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282; Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105; Johnny c. Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146.
DOCTRINE CITÉE
Brian Gover. Analyse de l’article 11 de la Loi sur la concurrence, Bureau de la concurrence Canada, 12 août 2008, en ligne : < www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/02709.html>.
OCDE. Challenges to Consumer Policy in the Digital Age, 2019.
REQUÊTE de la défenderesse en vertu de l’alinéa 399(1)a) des Règles des Cours fédérales visant à faire annuler et modifier une ordonnance rendue par le demandeur en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence. Requête rejetée sous réserve de quelques exceptions.
ONT COMPARU :
Paul Klippenstein pour le demandeur.
Katherine L. Kay, Sinziana R. Hennig et Calvin Goldman, c.r. pour la défenderesse.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Services juridiques du Bureau de la concurrence, Gatineau, pour le demandeur.
Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l., et Calvin Goldman Law, Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par
le juge en chef Crampton :
I. Introduction
[1] La présente requête en annulation et en modification soulève d’importantes questions au sujet des ordonnances ex parte rendues en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (la Loi). Ces questions portent sur l’obligation du commissaire de communiquer des renseignements à la Cour, sur la nature du dialogue préalable à la demande entre le commissaire et les défendeurs visés par une telle ordonnance, et sur le critère qu’il convient d’appliquer à l’annulation ou à la modification d’une ordonnance en vertu de l’alinéa 399(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), par rapport au critère applicable dans le cas de l’article 11.
[2] Dans le contexte de l’article 11, l’effet combiné de prétentions écrites et de preuve par affidavit permet souvent de satisfaire à cette obligation plus rigoureuse dont doit s’acquitter le commissaire. Ces éléments de preuve peuvent inclure une copie de toutes les observations écrites, y compris celles qui figurent dans les courriels ou autres échanges, envoyées au commissaire par les défendeurs. Lorsque ces documents ne révèlent pas entièrement la nature des préoccupations exprimées par les défendeurs, le commissaire peut s’acquitter de son obligation au moyen de comptes rendus de réunion ou de toute autre discussion qui a pu avoir lieu, à condition que ces comptes rendus communiquent l’essence des préoccupations des défendeurs et n’induisent pas la Cour en erreur sur un point important. En l’espèce, ces comptes rendus, les copies des observations écrites de la défenderesse, les prétentions écrites du commissaire et le témoignage direct fourni par le déposant du commissaire permettent, ensemble, de satisfaire à l’obligation de divulgation du commissaire.
[3] Il appartient entièrement au commissaire de décider de la nature et de l’étendue du processus de dialogue préalable à sa demande qu’il entreprend avec les défendeurs. En fait, le commissaire n’a aucune obligation légale d’entreprendre un tel dialogue. Toutefois, le fait pour le commissaire de ne pas donner aux défendeurs une occasion véritable de fournir leurs commentaires concernant un projet d’ordonnance, notamment quant à la pertinence de ses dispositions, ou d’une partie de celles-ci, accroît le risque que la Cour annule ou modifie l’ordonnance dans le cadre d’une requête subséquemment présentée en vertu des règles 397 ou 399.
[4] Le critère général pour obtenir l’annulation ou la modification d’une ordonnance dans le cadre d’une requête fondée sur l’alinéa 399(1)a) [des Règles] consiste à se demander si le défendeur a présenté une preuve prima facie indiquant les raisons pour lesquelles l’ordonnance n’aurait pas dû être rendue. Pour les ordonnances rendues en vertu de l’article 11 de la Loi, la présentation de faits et de points de droit suffisants pour justifier l’une des conclusions suivantes, en l’absence d’une réponse de la part du commissaire, permettra d’établir l’existence d’une preuve prima facie : (i) le commissaire n’a pas satisfait à l’obligation de divulgation plus rigoureuse qui s’applique aux procédures fondées sur l’article 11; (ii) le commissaire n’a pas entrepris une véritable enquête en application de l’article 10 de la Loi; (iii) les renseignements — dans leur ensemble ou en partie — dont la production a été ordonnée ne sont pas pertinents pour l’enquête du commissaire; ou (iv) la portée de ces renseignements — dans leur ensemble ou en partie —, est excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse. Même lorsque le défendeur prouve au moins l’un de ces éléments, la Cour donne au commissaire l’occasion d’être entendu et conserve le pouvoir discrétionnaire de rejeter la requête du défendeur.
[5] Pour les motifs exposés plus loin, je conclus que, sous réserve de quelques exceptions, la défenderesse, Canada Tax Reviews Inc. (la société CTR), n’a pas satisfait au critère de l’alinéa 399(1)a) [des Règles]. Par conséquent, la présente requête sera en grande partie rejetée.
II. Les parties
[6] Le commissaire est nommé en vertu de l’article 7 de la Loi et il est chargé d’assurer et de contrôler l’application de la Loi.
[7] La société CTR se décrit comme étant une société spécialisée dans le recouvrement fiscal qui défend les intérêts de ses clients auprès de l’Agence du revenu du Canada.
III. Le contexte
[8] Le 17 juin 2021, le commissaire a déposé une demande fondée sur les alinéas 11(1)b) et c) de la Loi afin d’obtenir une ordonnance enjoignant à la société CTR de produire des documents et de fournir des renseignements sous forme de déclarations écrites. Dans sa demande, le commissaire a expliqué qu’une enquête avait été entreprise selon l’article 10 de la Loi, concernant certaines des pratiques commerciales de la société CTR.
[9] Dans son affidavit à l’appui de cette demande, Antonio Perluzzo (l’affidavit de M. Perluzzo) — un agent du droit de la concurrence au Bureau de la concurrence (le Bureau) — dit que les pratiques commerciales en cause sont des indications données au public par la société CTR afin de promouvoir ses activités qui consistent à présenter au nom des consommateurs des demandes de prestations d’aide financière. Les prestations en question sont celles liées au contexte de la pandémie mondiale de COVID-19, à savoir la Prestation canadienne d’urgence et la Prestation canadienne de la relance économique (collectivement, les prestations liées à la COVID).
[10] Dans son affidavit, M. Perluzzo dit que, d’après son évaluation des documents et des renseignements recueillis à ce jour, le commissaire a des raisons de croire :
a. que la société CTR s’est livrée, et continue de se livrer, à des pratiques commerciales trompeuses vu qu’elle donne au public des indications fausses ou trompeuses sur un point important au sujet de son rôle dans l’administration des prestations liées à la COVID, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, et au sujet des honoraires qu’elle facture aux Canadiens;
b. que les indications données par la société CTR donnent l’impression générale fausse ou trompeuse :
i. que les Canadiens présentent directement leur demande de prestation liée à la COVID auprès de l’entité gouvernementale qui administre ces programmes d’aide, alors qu’en réalité ils passent par la société CTR;
ii. que les Canadiens n’ont rien à débourser pour obtenir les prestations liées à la COVID par l’intermédiaire de la société CTR, alors qu’en fait, la société leur facture des honoraires s’élevant à 8 p. 100 de la prestation canadienne d’urgence et à 10 p. 100 de la prestation canadienne de la relance économique, une fois qu’ils touchent ces prestations;
c. que les indications données par la société CTR sont déterminantes pour les consommateurs, comme l’indiquent les dénonciations des plaignants selon lesquelles ils n’auraient pas eu recours aux services de la société CTR s’ils avaient su qu’elle est une tierce partie et non l’entité gouvernementale qui administre les programmes d’aide, et que la société CTR leur a facturé des honoraires pour ses services.
[11] Compte tenu de ce qui précède, M. Perluzzo dit dans son affidavit que le commissaire a des raisons de croire qu’il existe des motifs justifiant de rendre une ordonnance en vertu de la partie VII.1 de la Loi, et plus précisément de l’alinéa 74.01(1)a) et du paragraphe 74.011(1).
[12] Selon le résumé fourni dans l’affidavit de M. Perluzzo, les renseignements visés par l’ordonnance de la Cour (dans sa version modifiée, l’ordonnance contestée) se rapportent aux questions suivantes soulevées dans l’enquête :
a) Quelles sont les indications données par la société CTR?
b) Où, quand, pourquoi et à qui ces indications ont-elles été données?
c) Quel est le public cible de ces indications?
d) Quel est le contexte dans lequel les indications ont été données?
e) De quelle nature sont les services promus au moyen de ces indications?
f) Quels sont les effets des indications?
g) Les indications sont-elles vraies ou fausses?
h) Qui donne ces indications, qui prend les décisions à leur sujet et comment ces décisions sont-elles prises?
i) Lorsque des changements sont apportés aux indications, quels sont les changements apportés et pourquoi?
j) La société CTR sait-elle que les indications données sont potentiellement fausses ou trompeuses et, le cas échéant, quelles mesures la société prend-elle pour résoudre ce problème?
[13] Conformément à la pratique désormais courante dans les procédures fondées sur l’article 11 de la Loi, M. Perluzzo fournit dans son affidavit des renseignements sur les communications entre l’équipe du Bureau chargée de l’affaire et la société CTR au sujet de l’ordonnance maintenant contestée. Ces communications étaient postérieures aux échanges qui ont eu lieu en juillet et août 2020. Après un silence inexpliqué d’environ sept mois, l’avocat du commissaire a informé la société CTR que le commissaire avait commencé l’enquête décrite ci-dessus. Quelques jours plus tard, soit le 9 mars 2021, la société CTR a été informée que le commissaire solliciterait une ordonnance en vertu de l’article 11. Dans cette même communication, la société CTR a été invitée à participer à un dialogue préalable à la demande de renseignements, dont la date a initialement été fixée au 18 mars 2021. Deux jours avant la date prévue, le commissaire a envoyé à la société CTR la première version du projet de l’ordonnance contestée.
[14] Au final, l’équipe du Bureau chargée de l’affaire et les représentants de la société CTR se sont réunis quatre fois et au terme de ces réunions, des modifications substantielles ont été apportées au projet d’ordonnance. Les parties semblent s’entendre pour dire que la deuxième version du projet d’ordonnance constituait une révision complète de la version initiale. La troisième, qui était essentiellement identique à la version produite devant la Cour, comportait également des changements non négligeables par rapport à la deuxième version.
[15] Dans son affidavit, M. Perluzzo fournit une description détaillée des échanges qui ont eu lieu durant les quatre réunions entre l’équipe chargée de l’affaire et les représentants de la société CTR. Il joint également à son affidavit les pièces suivantes : des comptes rendus détaillés de ces réunions et des copies des communications écrites entre l’équipe du Bureau chargée de l’affaire et les représentants de la société CTR.
[16] Il ressort de l’interprétation raisonnable de ces documents que l’équipe chargée de l’affaire a sincèrement tenté de répondre aux préoccupations soulevées par la société CTR — sauf en ce qui concerne la pertinence de certaines dispositions des annexes de l’ordonnance contestée. Ces documents démontrent aussi que la société CTR a déployé peu d’efforts pour fournir au Bureau des renseignements utiles ou pour l’aider d’une quelconque manière. Ces documents m’ont donné la nette impression que la société CTR cherchait principalement à limiter la portée du projet d’ordonnance et à retarder le moment où elle deviendrait exécutoire, tout en faisant peu de concessions et en adoptant une attitude très agressive. À ce jour, environ cinq mois après la première rencontre tenue dans le cadre du dialogue préalable à la demande de renseignements, la société CTR a fait preuve d’une coopération très minimale. Il est raisonnable d’en inférer que cela a nui à la capacité du commissaire de vérifier si la société CTR a donné des indications fausses et trompeuses en ce qui concerne les prestations liées à la COVID. Dans l’intervalle, la pandémie n’a pas cessé d’évoluer.
[17] Tard dans la journée du 28 juin 2021, la société CTR a envoyé à la Cour un avis de requête accompagné d’un dossier de requête. Dans sa requête, la société CTR sollicitait différentes mesures, notamment : (i) une ordonnance ajournant l’instruction de la demande jusqu’à ce que la Cour se prononce sur la requête de la société CTR en vue d’obtenir des directives et lui accorde le droit de présenter des observations écrites et orales relativement à la demande et, subsidiairement, (ii) une ordonnance permettant à la société CTR de présenter des observations orales lors de l’audience prévue le lendemain. J’ouvre une parenthèse pour faire remarquer qu’au paragraphe 54 de ce document, la société CTR a reconnu qu’elle n’avait pas commencé à recueillir les renseignements visés par le projet d’ordonnance, sous prétexte qu’il avait fait l’objet de nombreuses modifications et qu’elle avait l’intention de contester la plupart des dispositions non modifiées.
[18] Au début de l’audience du 29 juin relative à la demande du commissaire, j’ai informé les avocats de la société CTR que je n’instruirais pas cette requête. Mon refus d’instruire la requête et ma décision de ne pas en autoriser le dépôt[1] étaient fondés sur plusieurs facteurs :
i. selon le bref examen du dossier de requête que j’avais fait la veille, aucun motif valable ne justifiait de déroger au processus ex parte expressément prévu par le législateur;
ii. le dossier de requête a été présenté le 28 juin et n’était donc pas conforme aux Règles, car le commissaire ne disposait pas d’un délai suffisant pour y répondre et la Cour ne pouvait pas l’examiner comme elle le devait;
iii. une audience avait été fixée le 29 juin après que les avocats de la société CTR eut demandé, au moyen d’une lettre datée du 10 juin 2021, que la date d’instruction de la demande du commissaire ne soit pas fixée avant le 25 juin, [traduction] « afin de laisser à la société CTR le temps nécessaire pour communiquer par écrit au Bureau ses observations concernant la demande, de manière à ce qu’elle puisse les intégrer au dossier de demande qu’elle entendait produire à la Cour » (non souligné dans l’original).
[19] Comme elle l’indique dans sa lettre du 10 juin, la société CTR était parfaitement consciente du fait que [traduction] « compte tenu de la pratique applicable aux ordonnances fondées sur l’article 11, il se pourrait fort bien que le seul moyen pour [elle] de faire valoir son point de vue devant la Cour [lors de l’instruction de la demande du commissaire] soit sous la forme d’une lettre au Bureau exposant ses observations » (non souligné dans l’original).
[20] Je tiens à ajouter en passant que la lettre du 10 juin comporte sept pages, et qu’elle est donc plus longue que la plupart des lettres dans lesquelles les défendeurs exposent leur point de vue au profit de la Cour.
[21] Malgré ce qui précède, j’estime que certaines des objections formulées par la société CTR contre le projet d’ordonnance du commissaire (dont le commissaire a fait état dans son dossier de demande) sont légitimes. Par conséquent, au cours de l’instruction de la demande du commissaire, j’ai exprimé des préoccupations concernant certaines des dispositions qui figurent dans les annexes I et II du projet d’ordonnance. Après la présentation par le commissaire d’un projet d’ordonnance révisé qui répondait à mes préoccupations, j’ai rendu l’ordonnance contestée le 2 juillet 2021.
[22] Le 6 août 2021, la société CTR a déposé la présente requête visant à faire annuler et modifier certaines parties de l’ordonnance contestée. En plus de demander l’annulation ou la modification de diverses dispositions de l’ordonnance contestée, la société CTR demande à la Cour de prononcer une suspension temporaire jusqu’à ce que le sort de la présente requête soit scellé.
[23] Au début de l’audition de la requête, le 18 août 2021, la société CTR a renoncé à sa demande de suspension de l’ordonnance contestée au motif que le commissaire avait accepté de proroger au 8 octobre 2021 le délai d’exécution de cette ordonnance.
IV. Les dispositions législatives pertinentes
[24] La société CTR a présenté la présente requête sur le fondement de l’alinéa 399(1)a) [des Règles]. Les paragraphes 399(1), (2) et (3) disposent :
Annulation sur preuve prima facie
399 (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :
a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;
b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance.
Annulation
(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :
a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;
b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.
Effet de l’ordonnance
(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’annulation ou la modification d’une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) ne porte pas atteinte à la validité ou à la nature des actes ou omissions antérieurs à cette annulation ou modification.
[25] Conformément à l’alinéa 10(1)b) de la Loi, le commissaire fait étudier toutes questions qui, d’après lui, nécessitent une enquête en vue de déterminer les faits, chaque fois qu’il a des raisons de croire qu’il existe des motifs justifiant une ordonnance en vertu des parties VII.1 ou VIII de la Loi. La partie VII.1 traite des pratiques commerciales trompeuses, soit celles qui sont visées par l’enquête du commissaire dans l’affaire qui nous occupe. La partie VIII n’a aucune pertinence en l’espèce.
[26] Une fois qu’une enquête est lancée, les pouvoirs d’enquête officiels prévus par la Loi peuvent être exercés par le commissaire, sous supervision judiciaire. Ces pouvoirs sont notamment le pouvoir d’obtenir, en vertu de l’alinéa 11(1)b), une ordonnance de produire « les documents — originaux ou copies certifiées conformes par affidavit — ou les autres choses dont l’ordonnance fait mention », ainsi que celui d’obtenir, en vertu de l’alinéa 11(1)c), une ordonnance de préparer et de donner « une déclaration écrite faite sous serment ou affirmation solennelle et énonçant en détail les renseignements exigés par l’ordonnance ». La partie liminaire du paragraphe 11(1) confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de rendre de telles ordonnances sur demande ex parte du commissaire, lorsqu’elle est convaincue de deux choses par une dénonciation faite sous serment ou affirmation solennelle : premièrement, qu’une enquête est menée et, deuxièmement, que le défendeur détient ou détient vraisemblablement des renseignements pertinents pour l’enquête. Le texte intégral du paragraphe 11(1) de la Loi est fourni à l’annexe 1 des présents motifs.
[27] En l’espèce, l’enquête du commissaire est fondée sur l’alinéa 74.01(1)a) et sur le paragraphe 74.011(1). Ces dispositions sont les suivantes :
Indications trompeuses
74.01 (1) Est susceptible d’examen le comportement de quiconque donne au public, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’usage d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques :
a) ou bien des indications fausses ou trompeuses sur un point important;
[…]
Indications fausses ou trompeuses dans les renseignements sur l’expéditeur ou dans l’objet
74.011 (1) Est susceptible d’examen le comportement de quiconque envoie ou fait envoyer des indications fausses ou trompeuses dans les renseignements sur l’expéditeur ou dans l’objet d’un message électronique aux fins de promouvoir, directement ou indirectement, soit la fourniture ou l’usage d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques.
V. La question en litige
[28] Comme la société CTR ne demande pas que l’ordonnance contestée soit annulée dans son intégralité, la seule question en litige que soulève la présente requête est celle de savoir s’il y a lieu de modifier l’ordonnance contestée.
[29] Un tel exercice requiert l’examen des motifs invoqués par la société CTR pour justifier les différentes modifications.
VI. L’évaluation
A. Les principes juridiques applicables
1) Le critère de l’alinéa 399(1)a) des Règles dans le cadre d’une procédure fondée sur l’article 11 de la Loi
[30] Le critère général qui permet d’annuler ou de modifier une ordonnance lorsqu’une requête est présentée en vertu de l’alinéa 399(1)a) consiste à se demander si le défendeur a fait une preuve prima facie démontrant pourquoi l’ordonnance n’aurait pas dû être rendue. Cette preuve exige que le défendeur fournisse des points de fait ou de droit suffisants pour justifier une conclusion en sa faveur, en l’absence de réplique du demandeur : Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558. Pour les ordonnances rendues en vertu de l’article 11 de la Loi, la preuve peut être faite au moyen de points de fait ou de droit suffisants pour justifier l’une des conclusions suivantes : (i) le commissaire n’a pas satisfait à l’obligation de divulgation plus rigoureuse qui s’applique à de telles procédures; (ii) le commissaire n’a pas entrepris une véritable enquête en application de l’article 10 de la Loi; (iii) les renseignements — dans leur ensemble ou en partie — dont la production a été ordonnée ne sont pas pertinents pour l’enquête du commissaire; ou (iv) la portée de ces renseignements — dans leur ensemble ou en partie — est excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse.
[31] Même lorsque le défendeur prouve au moins l’un de ces éléments, la Cour donne au commissaire l’occasion d’être entendu et conserve le pouvoir discrétionnaire de rejeter la requête du défendeur. Par exemple, le défendeur peut présenter une preuve prima facie montrant que le commissaire ne s’est pas acquitté de son obligation de divulgation plus rigoureuse. Toutefois, une fois qu’elle examine les renseignements supplémentaires fournis par le commissaire, la Cour peut demeurer convaincue que les renseignements visés par l’ordonnance sont tout de même pertinents et que leur portée n’est pas excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse. Dans de telles circonstances, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder au défendeur les mesures sollicitées.
2) L’obligation de divulgation du commissaire
[32] Dans les demandes ex parte présentées en vertu de l’article 11 de la Loi, le commissaire a l’obligation rigoureuse de faire une divulgation complète et franche de tous les faits pertinents entourant la demande : Commissaire de la concurrence c. Compagnie de brassage Labatt Limitée, 2008 CF 59 (Labatt), aux paragraphes 22 et 23; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance-vie RBC, 2013 CAF 50 (RBC), au paragraphe 26. Cette obligation vise deux choses fondamentales :
[…] La première est de s’assurer que la Cour est informée de [traduction] « tout point de fait ou de droit connu qui favorise l’autre partie » (United States of America v. Friedland, [1996] O.J. no 4399 (Div. gén.) (QL), au paragraphe 27; décision Labatt, précitée, aux paragraphes 25 et 26; Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 27). La deuxième est de s’assurer que la Cour puisse reconnaître les cas d’abus de sa procédure et puisse y remédier (arrêt RBC, précité, aux paragraphes 31 à 36).
Canada (Commissaire de la concurrence) c. Pearson Canada Inc., 2014 CF 376, [2015] 3 R.C.F. 3 (Pearson), au paragraphe 44.
[33] En somme, cette rigoureuse obligation de franchise permet à la Cour d’évaluer adéquatement les intérêts concurrents en jeu dans les demandes ex parte. À cette fin, elle exige du commissaire qu’il veille à ne pas induire la Cour en erreur — soit en raison d’une non-divulgation ou de renseignements erronés —, quant à la pertinence que les renseignements pourraient avoir pour l’enquête en question. De plus :
[...] le commissaire est tenu de divulguer la nature et l’étendue générale de tous renseignements déjà obtenus du défendeur au cours de l’enquête et au cours des vérifications ayant mené à l’enquête. Si le défendeur a fourni des renseignements pertinents au commissaire dans d’autres contextes, comme dans le cadre de l’examen récent d’une fusion, le commissaire devrait également fournir une description générale de ces renseignements et expliquer en quoi ces renseignements diffèrent des renseignements demandés aux termes de la demande en vertu de l’article 11.
Pearson, précitée, au paragraphe 45.
[34] Toutefois, la Cour ne conclura généralement pas que le commissaire a manqué à son obligation de divulgation complète et franche du fait qu’il n’a pas communiqué des faits sans conséquence ou en raison d’autres imperfections dans le dossier de demande : United States of America v. Friedland, [1996] O.J. No. 4399 (Div. gén.) (QL) [Friedland], au paragraphe 31. Au contraire, « les lacunes reprochées doivent plutôt être pertinentes et substantielle[s] relativement au pouvoir discrétionnaire que doit exercer la Cour » : Labatt, précitée, au paragraphe 27. En d’autres termes, ces lacunes doivent être telles que le juge qui a rendu l’ordonnance aurait refusé de la rendre ou aurait exclu certaines de ses dispositions : Labatt, précitée, au paragraphe 35; Canada (Commissaire de la concurrence) c. Air Canada, [2001] 1 C.F. 219 (1re inst.) (Air Canada), au paragraphe 13.
[35] Selon la société CTR, l’obligation de divulgation complète et franche qui incombe au commissaire n’est pas remplie simplement du fait de fournir des renseignements dans l’une des nombreuses pièces jointes à un affidavit. Pour étayer son argument, elle s’appuie sur l’affaire Friedland, précitée, dans laquelle la cour était appelée à statuer sur une requête en vue d’obtenir une injonction de type Mareva ex parte présentée par les États-Unis d’Amérique. Toutefois, les faits dans cette affaire se distinguent de ceux en l’espèce. Dans la décision en question, la cour a observé que l’ajout d’une circulaire de procuration dans l’une des nombreuses pièces jointes à un affidavit ne permettait pas à la partie demanderesse de s’acquitter de son obligation de divulguer une modalité importante d’un accord d’acquisition d’actions : Friedland, précitée, aux paragraphes 166 et 167.
[36] En revanche, dans les demandes présentées en vertu de l’article 11 de la Loi, le déposant du commissaire énonce généralement les principales préoccupations soulevées par le défendeur, puis renvoie la Cour à la correspondance dans laquelle celles-ci et d’autres préoccupations sont soulevées. En l’espèce, le déposant du commissaire a également dressé le bilan des points examinés lors de chacune des quatre réunions tenues dans le cadre du « dialogue préalable à la demande de renseignements », puis a renvoyé la Cour aux notes détaillées qu’il avait prises lors de ces réunions. Dans le cadre des demandes présentées en vertu de l’article 11, l’examen de tels comptes rendus et des copies des communications écrites entre l’équipe du Bureau chargée de l’affaire et le défendeur constitue généralement un élément important de l’examen de ces demandes. Certes, la Cour doit nécessairement trancher chaque affaire en fonction des faits qui lui sont propres, mais cette façon de procéder permet généralement au commissaire de s’acquitter de son fardeau, à la condition que l’essentiel des préoccupations du défendeur soit communiqué à la Cour et que celle-ci ne soit pas induite en erreur. Comme nous le voyons plus loin dans la partie VI.B.(1), la divulgation faite par le commissaire en l’espèce remplit cette condition.
3) La pertinence des renseignements demandés
[37] Conformément au paragraphe 10(1) de la Loi, le commissaire peut faire étudier toutes questions qui, d’après lui, nécessitent une enquête en vue de déterminer les faits.
[38] Les demandes fondées sur l’article 11 de la Loi sont généralement présentées à l’étape de la « collecte des faits » de l’enquête du commissaire. À cette étape, une certaine latitude est normalement justifiée du fait que le commissaire doit compter sur des renseignements qui suffisent pour bien comprendre le contexte dans lequel la conduite reprochée a eu lieu, la nature et la portée de cette conduite, son objectif sous-jacent et ses conséquences réelles ou probables, en plus de savoir si elle soulève d’autres problématiques relativement à d’autres dispositions de la Loi.
[39] En d’autres termes : « Les tribunaux judiciaires doivent, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, toujours demeurer conscients du danger qu’il y a de surcharger et de compliquer indûment le processus d’enquête sur l’application de la loi. Lorsque ce processus, à l’état embryonnaire, consiste à rassembler des matériaux bruts pour étude ultérieure, les tribunaux ne sont pas enclins à intervenir » : Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques commerciales restrictives), [1987] 1 R.C.S. 181, à la page 235.
[40] Par conséquent, et sous réserve des commentaires qui suivent, il convient, dans le cadre de procédures engagées en vertu de l’article 11 de la Loi, d’adopter une approche souple et libérale afin de déterminer ce qui est pertinent pour l’enquête du commissaire.
4) La portée des renseignements demandés
[41] Une partie importante du rôle de la Cour dans les procédures relevant de l’article 11 consiste à s’assurer que les renseignements demandés par le commissaire n’ont pas une portée excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse : Pearson, précitée, au paragraphe 42. Pour le décider, la Cour tiendra compte des renseignements que le défendeur peut avoir déjà fournis au commissaire : Labatt, précitée, au paragraphe 97; Pearson, précitée, aux paragraphes 46 et 68.
[42] Pour évaluer la nature excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse d’une disposition donnée du projet d’ordonnance, ou de l’ensemble de ses dispositions, la Cour doit généralement tenir compte des faits particuliers de l’affaire. Il se peut que la nature excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse soit démontrée dans une situation particulière, mais qu’elle ne le soit pas dans une autre.
[43] Toutefois, il convient de souligner que le lourd fardeau imposé au défendeur par un projet d’ordonnance, ou par l’une de ses dispositions particulières, ne constitue pas à lui seul un motif suffisant pour refuser la demande du commissaire : Labatt, précitée, au paragraphe 92. La Cour ne refuse généralement pas la demande du commissaire, à moins qu’elle ne soit inutilement onéreuse, c’est-à-dire qu’elle impose au défendeur un fardeau disproportionné par rapport à la valeur potentielle des renseignements en question pour le commissaire : Canada (Commissaire de la concurrence) c. Bell Mobility Inc., 2015 CF 990 (Bell), aux paragraphes 53–56.
[44] Dans l’exercice de son pouvoir de surveillance et dans son exercice d’évaluation équitable des intérêts opposés des parties, la Cour doit être réceptive, attentive et sensible à la question de savoir si certains renseignements demandés par le commissaire peuvent ne pas être pertinents tant que certaines décisions initiales ne sont pas prises. Lorsque des renseignements entrent dans cette catégorie, la Cour peut très bien exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser la demande du commissaire en vue d’obtenir ces renseignements, et ce, jusqu’à ce que ces décisions initiales soient prises. En d’autres termes, la Cour peut refuser d’ordonner la production des renseignements en question, mais être disposée à réexaminer plus tard la question de la pertinence des renseignements. Certaines des modifications apportées à l’ordonnance contestée à la suite de l’instruction de la demande du commissaire en l’espèce entrent dans cette catégorie. Dans deux des dispositions de l’ordonnance, l’obligation de fournir des renseignements sur les revenus et les bénéfices a été radiée, et dans une autre disposition, l’obligation de fournir tous les documents relatifs à la politique de conformité de la société CTR a été radiée.
[45] Je reconnais qu’une telle approche en deux étapes peut ne pas être appropriée dans le cas d’enquêtes urgentes, notamment lorsque le commissaire examine des fusions. Cependant, il n’est pas rare que relativement à la demande qu’il présente en vertu de l’article 11 de la Loi, le commissaire informe la Cour qu’il pourrait présenter plus tard d’autres demandes relativement à l’enquête, notamment au sujet du même défendeur. C’est ce qu’a fait le commissaire en l’espèce, au paragraphe 69 de ses observations écrites.
5) Le rôle des défendeurs dans les procédures fondées sur l’article 11
[46] La Cour a décrit dans la décision Pearson, précitée, le rôle des défendeurs dans les procédures fondées sur l’article 11 [aux paragraphes 92 à 95] :
L’article 11 énonce expressément que les demandes sont faites ex parte. En conséquence, seul le commissaire a le droit de participer à l’audience, de déposer des éléments de preuve ou de contre-interroger l’auteur de l’affidavit du commissaire (Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 2006 CSC 36, [2006] 2 R.C.S. 189, au paragraphe 36); Commissioner of Competition v.Toshiba of Canada Limited, 2010 ONSC 659 (CanLII), 100 O.R. (3d) 535, aux paragraphes 34 à 36; Raimondo v. Canada (Competition Act, Director of Investigation and Research), 1995 CanLII 7316, 61 C.P.R. (3d) 142 (Div. gén. Ont.), aux paragraphes 12 et 15).
La Cour peut toutefois exiger dans certaines circonstances qu’un avis soit donné à la partie ou aux parties nommées dans l’ordonnance demandée par le commissaire, afin de donner à cette partie ou ces parties la possibilité de demander la permission de présenter des observations par écrit ou de vive voix. La Cour peut offrir une telle possibilité aux parties lorsque, comme c’est le cas dans la présente demande, ces dernières sont au courant de l’audience et elles y assistent.
Étant donné que le législateur peut être considéré comme ayant délibérément décidé que les demandes fondées sur l’article 11 devraient habituellement être entendues ex parte, il ne faut pas s’attendre à ce que la Cour accorde régulièrement la permission de présenter des observations par écrit ou de vive voix (R v. S.A.B., 2001 ABCA 235, 96 Alta. L.R. (3d) 31, au paragraphe 61). Lorsqu’un défendeur a des préoccupations quant à la portée ou au caractère potentiellement redondant du projet d’ordonnance, il est plus approprié que ces préoccupations soient portées à l’attention de la Cour par l’entremise du commissaire, vu l’obligation de divulgation complète et franche de ce dernier (décision Labatt, précitée, aux paragraphes 100 à 107).
À cet égard, la Cour voudra généralement savoir si un ou plusieurs projets de l’ordonnance qui est demandée ont fait l’objet de discussions avec des représentants de la partie ou des parties nommées dans l’ordonnance. Lorsqu’un tel dialogue a eu lieu, la Cour devrait être informée de la nature de toute préoccupation que la partie ou les parties en question ont exprimée, du fondement de ces préoccupations et de la question de savoir si le projet d’ordonnance a été modifié de manière à en tenir compte. Dans la présente demande, le commissaire l’a fait en annexant la correspondance antérieure des défenderesses à l’affidavit initial qui a été déposé pour le compte du commissaire. Les observations écrites du commissaire expliquaient ensuite comment il avait été répondu aux préoccupations des défenderesses dans des projets subséquents de l’ordonnance, le cas échéant.
[47] La société CTR soutient qu’on aurait dû lui donner l’occasion de formuler des observations au moment où la demande du commissaire a été instruite, vu que j’ai demandé à l’avocat du commissaire quel était le point de vue de la société CTR sur plusieurs des dispositions des annexes I et II de l’ordonnance contestée. Selon les avocats de la société CTR, lorsqu’un représentant du défendeur est présent à l’audience, la Cour devrait lui poser ses questions directement, et non les poser à l’avocat du commissaire. Ils ont en outre affirmé qu’un défendeur devrait avoir la possibilité d’être entendu chaque fois qu’il prend le temps de présenter des observations écrites à la Cour, particulièrement lorsque rien n’indique que la demande est urgente.
[48] Je ne suis pas de cet avis. En bref, si ce critère était applicable, il serait raisonnable de s’attendre à ce que les défendeurs fassent systématiquement en sorte qu’un représentant soit présent à l’audience, comme c’était le cas il y a plusieurs années. Cet énoncé s’applique aussi à la présentation d’observations écrites à la Cour. Accorder aux défendeurs le droit de présenter des observations de vive voix chaque fois qu’ils ont un représentant présent à l’audience, ou chaque fois qu’ils présentent des observations écrites à la Cour, irait à l’encontre de la décision arrêtée du législateur de faire juger ex parte les demandes fondées sur l’article 11 de la Loi. À la lumière de cette expression claire de la volonté du législateur, les défendeurs ne devraient pas s’attendre à être autorisés à présenter des observations écrites ou orales à l’audience en l’absence de circonstances exceptionnelles ou extraordinaires. Voici des exemples de telles circonstances : (i) là où le commissaire a manqué à son obligation de divulgation complète et franche, et (ii) là où d’importantes questions de droit sont soulevées. Toutefois, même en présence de telles circonstances, la Cour conserve son pouvoir discrétionnaire de refuser la demande des défendeurs de présenter des observations écrites ou orales. Lorsqu’elle se demande si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire, la Cour tient compte des intérêts en jeu. Ces intérêts ont certainement été un facteur menant au refus de la demande de la société CTR de présenter des observations lors de l’instruction de la demande du commissaire.
[49] Au cours de l’audition de la présente requête, la société CTR a fait valoir que le processus de « dialogue préalable à la demande de renseignements », également connu sous le nom de « dialogue préalable à la demande » est lacunaire à bien des égards. Parmi ceux-ci, il y a le fait que le commissaire décide unilatéralement du moment où le processus doit commencer, de la question à savoir quoi faire avec les commentaires des défendeurs, de la question à savoir ce qui peut et ne peut pas faire l’objet de discussions, et de la question à savoir à quel moment le dialogue est jugé être suffisant. Selon la société CTR, le processus actuel entraîne de sérieuses lacunes sur le plan procédural. Par exemple, les défendeurs se font régulièrement dire que l’équipe du Bureau chargée de l’affaire n’est pas prête à discuter de la pertinence des dispositions des annexes jointes au projet d’ordonnance, et bien souvent, ils ne disposent pas de suffisamment de temps pour formuler des commentaires utiles. La société CTR ajoute que ces situations contreviennent à l’esprit du rapport de M. Brian Gover intitulé Analyse de l’article 11 de la Loi sur la concurrence (12 août 2008), qui peut être consulté en ligne à l’adresse suivante : <https://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/02709.html> (le rapport Gover). Monsieur Gover a été mandaté pour rédiger ce rapport après le prononcé de la décision de notre Cour dans Labatt, précitée.
[50] Je conviens que le manquement du commissaire de discuter de la pertinence des dispositions du projet d’ordonnance n’est pas conforme à l’esprit des recommandations formulées dans le rapport Gover. Le fait de ne pas accorder aux défendeurs un délai suffisant pour fournir au commissaire une réponse utile ne le serait pas non plus. À mon avis, un délai de réponse inférieur à une semaine pourrait bien entrer dans cette catégorie.
[51] Néanmoins, comme le reconnaît la société CTR, le rapport Gover n’a pas force de loi. Il a simplement servi à formuler des conclusions et des recommandations concernant le processus suivi par le Bureau de la concurrence pour solliciter des ordonnances en vertu de l’article 11 de la Loi. À cette fin, l’auteur du rapport recommande, entre autres, que le Bureau entreprenne un dialogue antérieur à la demande[2] et postérieur à la signification « ax[é] sur la coopération » avec les défendeurs visés par des demandes d’ordonnances fondées sur l’article 11 : le rapport Gover, aux pages 5 et 37. L’auteur recommande également que les faits pertinents devant être divulgués à la Cour par le commissaire incluent : « [l]es faits qui peuvent expliquer le point de vue de la partie [défenderesse] concernant la portée de l’ordonnance et la pertinence des documents demandés, s’ils sont connus du commissaire » : le rapport Gover, à la page 20. Tout en reconnaissant qu’« il y a des avantages appréciables à coopérer en temps opportun » pour les défendeurs, l’auteur du rapport recommande également que lorsqu’un défendeur « se révèle peu obligeant ou récalcitrant, le Bureau devrait demander l’ordonnance prévue à l’art. 11 ou, s’il en a déjà obtenu une, devrait chercher à l’exécuter » : le rapport Gover, à la page 46.
[52] En général, la Cour accueille favorablement le compte rendu du commissaire sur les commentaires que lui transmettent les défendeurs au cours du processus de dialogue préalable à la demande : voir par exemple Pearson, précitée, aux paragraphes 94 et 95; et Bell, précitée, au paragraphe 23. La Cour a également constaté que les observations écrites envoyées au commissaire après le dépôt d’un projet d’ordonnance sont très utiles. Toutefois, leur utilité est beaucoup plus limitée lorsque les observations sont produites dans les 48 heures précédant l’audience : le juge désigné a peut-être déjà préparé son audience à ce moment-là, et il est possible que d’autres affaires urgentes requièrent son attention juste avant l’audience. De telles observations sont également moins utiles lorsqu’elles s’ajoutent simplement aux multiples autres observations écrites, sans pour autant aider la Cour à décider quelles questions précises sont toujours en litige.
[53] Les comptes rendus du commissaire sur les commentaires que lui transmettent les défendeurs ont grandement aidé la Cour à exercer sa fonction de surveillance à l’égard des procédures fondées sur l’article 11. Pour permettre aux défendeurs de savoir que leurs préoccupations ont bien été portées à l’attention de la Cour, celle-ci a pris l’habitude de commander les transcriptions de ses audiences et de les mettre à leur disposition. Cette pratique semble avoir l’effet salutaire de réduire sensiblement le risque que les défendeurs présentent une requête en modification ou une requête en réexamen, puisque de telles requêtes sont rarement présentées. Dans l’ensemble, cette pratique fait en sorte que le processus est moins long et moins coûteux pour toutes les parties concernées, par rapport à celui qui existait avant la décision Labatt, précitée.
[54] Malgré ce qui précède, la Cour ne peut ordonner au commissaire de suivre un processus particulier lorsqu’il engage un dialogue préalable à sa demande. La Cour ne peut en aucun cas ordonner au commissaire de participer à un dialogue préalable à sa demande. À mon avis, il s’agit là d’une conclusion nécessaire de la décision expresse du législateur de créer un processus ex parte à l’article 11 de la Loi qui, par conséquent, l’emporte sur les droits à l’équité procédurale que les défendeurs peuvent avoir à l’étape du processus qui précède la demande : SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, aux pages 323 et 324, citant Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1113. (Voir également Johnny c. Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146, au paragraphe 31, où la Cour d’appel [fédérale] a appliqué le même principe à un autre aspect de la justice naturelle.)
[55] Par conséquent, je tiens simplement à souligner que l’absence, pour les défendeurs, d’une occasion véritable de faire des commentaires sur un projet d’ordonnance, notamment en ce qui concerne la pertinence des annexes, accroît le risque que l’ordonnance soit annulée ou modifiée, puisque la Cour pourrait être privée du point de vue des défendeurs sur ce point important. La Cour est généralement bien placée pour se prononcer sur les questions de pertinence[3], mais il est toujours possible que le point de vue d’un défendeur puisse aider la Cour à mieux comprendre pourquoi un élément peut ne pas être pertinent.
B. Analyse
1) L’obligation de divulgation du commissaire
[56] La société CTR affirme que le commissaire n’a pas fait la divulgation complète et franche des faits qui la concernent et de ses préoccupations, et qu’il n’a pas présenté les points en litige de manière équitable. Elle dit que ce défaut du commissaire concerne les points suivants : sa description du processus ayant mené à l’audience relative à l’article 11, les préoccupations qu’elle a soulevées au sujet de nombreuses dispositions de l’ordonnance rendue en vertu de l’article 11 ainsi que la description de la jurisprudence applicable.
[57] Je ne suis pas d’accord.
[58] Comme le reconnaît la société CTR à l’alinéa 6a) de ses observations écrites, le commissaire a fourni à la Cour [traduction] « un long compte rendu du “dialogue préalable à la demande” » qui a eu lieu. Elle reconnaît en outre dans le paragraphe suivant de ces observations que les notes rédigées par M. Perluzzo lors des quatre réunions ayant eu lieu entre l’équipe du Bureau et les représentants de la société CTR fournissent des renseignements supplémentaires, notamment en ce qui concerne les objections qu’elle a formulées au sujet de certaines dispositions. Ces comptes rendus sont les plus détaillés que j’aie jamais vus dans ce type de procédure. Par ailleurs, le commissaire a inclus dans son dossier de demande des copies des échanges écrits entre l’équipe chargée de l’affaire et la société CTR. La longue lettre du 10 juin, à laquelle je renvoie plus haut aux paragraphes 18–20, en fait partie. Le commissaire a également répondu expressément aux préoccupations exprimées dans cette lettre, ainsi qu’à de nombreuses autres préoccupations exprimées par la société CTR, dans les observations écrites qu’il a déposées dans son dossier de demande.
[59] À mon avis, ces documents donnent, collectivement, à la Cour une très bonne idée de l’essence des préoccupations de la société CTR. Ils m’ont mené à faire miennes certaines de ces préoccupations et à décider de ne pas homologuer le projet d’ordonnance à moins qu’il soit modifié de façon à répondre à plusieurs d’entre elles.
[60] Conformément à la pratique habituelle de la Cour dans ce type d’instance, j’ai également profité de l’occasion pour confirmer la nature des préoccupations de la société CTR et pour demander toutes les clarifications que j’estimais nécessaires au cours de l’audience. J’ai constaté que les réponses du commissaire étaient franches et utiles. Je n’ai pas eu le sentiment que le commissaire n’avait pas satisfait pleinement à l’obligation rigoureuse de divulgation qui s’applique dans les procédures ex parte.
[61] Après avoir examiné le dossier de la présente requête, ainsi que le dossier de requête que la société CTR a déposé la veille de l’instruction de la demande du commissaire, je n’ai pas changé d’avis.
[62] La société CTR soutient que le commissaire n’a pas porté à l’attention de la Cour les diverses lacunes du « dialogue préalable à la demande », notamment : (i) la [traduction] « reformulation en profondeur » du projet d’ordonnance deux mois après le début du dialogue préalable à la demande, (ii) le fait que la société CTR n’a pas disposé d’un délai adéquat pour faire connaître son point de vue au sujet de l’ordonnance contestée, et (iii) le refus d’examiner la question de la pertinence dans le cadre du dialogue préalable à la demande.
[63] Toutefois, le dossier de demande du commissaire révèle de manière appropriée l’étendue des changements apportés. Ce point a été soulevé au paragraphe 61 de l’affidavit de M. Perluzzo, ainsi qu’aux paragraphes 66 et 85 des observations écrites du commissaire, qui invitait explicitement la Cour à comparer les versions antérieures de l’ordonnance contestée. Dans son affidavit, M. Perluzzo informe également la Cour que, lors de l’envoi de la troisième version du projet d’ordonnance à la société CTR le 3 juin 2021, celle-ci a été invitée à fournir des commentaires avant le 10 juin 2021. Cet affidavit démontre également que la société CTR a demandé un délai supplémentaire pour fournir une réponse écrite. En outre, une copie de l’échange entre le Bureau et la société CTR à ce sujet est jointe à l’affidavit de M. Perluzzo. À mon avis, la période d’une semaine accordée à la société CTR le 3 juin ne constituait pas un délai inadéquat, particulièrement si l’on tient compte du fait que la société CTR connaissait déjà très bien ces points, en plus de l’essentiel de ce que le commissaire cherchait à obtenir. Dans ces circonstances, le commissaire n’était pas tenu de s’exprimer davantage sur ce point. Quant au refus du commissaire de discuter de la pertinence des dispositions, ce dernier a expressément exposé ses arguments dans sa lettre datée du 16 mars 2021, laquelle constitue la pièce W jointe à l’affidavit de M. Perluzzo, et le paragraphe 54 de cet affidavit y renvoie expressément. Le point de vue du commissaire sur ce point est également bien connu de la Cour, et ce, depuis longtemps.
[64] Compte tenu de tout ce qui précède, et malgré les observations de la société CTR, le commissaire n’a pas induit la Cour en erreur lorsqu’il a affirmé que le dialogue préalable à la demande dépassait largement les exigences du processus envisagé dans l’affaire Pearson et dans le rapport Gover.
[65] La société CTR fait aussi valoir que le commissaire n’a pas fait connaître le point de vue de la société sur la non-pertinence alléguée ou sur la nature excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse de certaines dispositions des annexes de l’ordonnance contestée. La société CTR invoque l’un de ces motifs pour s’opposer à la plupart des dispositions de l’ordonnance contestée. De plus, la société CTR affirme que le commissaire aurait dû précisément révéler le fait que l’ordonnance contestée n’a pas été modifiée d’une manière qui tenait compte du point de vue de la société CTR.
[66] Cependant, je connais très bien le point de vue général de la société CTR à cet égard, de même que plusieurs de ses observations précises. Ces renseignements ont été divulgués dans l’affidavit de M. Perluzzo, dans les comptes rendus détaillés des réunions entre l’équipe chargée de l’affaire et les représentants de la société CTR, dans les échanges écrits entre le commissaire et la société CTR et dans les observations écrites du commissaire. Les fois où j’ai estimé qu’il pourrait être utile d’obtenir une confirmation, des explications ou des éclaircissements quant aux arguments présentés par la société CTR, j’ai fait part de mes questions au commissaire au cours de l’instruction de la demande, conformément à la pratique bien connue de la Cour.
[67] J’ouvre une parenthèse pour faire remarquer que la société CTR a amplement eu l’occasion de veiller à ce que son point de vue soit présenté à la Cour, durant la semaine qui a suivi le moment où elle a reçu l’ébauche finale de l’ordonnance contestée (le 3 juin 2021) et même jusqu’au début de la semaine prévue pour l’instruction de la demande du commissaire (le 29 juin 2021). Si tant est qu’elle ait cru utile que la Cour dispose d’autres renseignements en plus de ceux qu’elle avait fournis dans sa lettre du 10 juin 2021, la société CTR a eu la possibilité de fournir ces renseignements, conformément à la pratique établie dans ce type d’audiences. Je suis conscient du fait que l’une des avocates de la société CTR était en vacances pendant un certain temps en juin, mais deux autres avocats étaient inscrits au dossier.
[68] Il convient de préciser que les lacunes alléguées dans la divulgation du commissaire doivent être telles qu’elles auraient bien pu conduire la Cour à refuser de rendre l’ordonnance sollicitée, ou certaines de ses dispositions : Labatt, précitée, au paragraphe 35; Air Canada, précitée, au paragraphe 13. Aucune des lacunes relevées par la société CTR ne répond à ces exigences, ni lorsqu’on les examine isolément ni dans leur ensemble. Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai très bien compris le point de vue de la société CTR à partir des documents mentionnés plus haut. Contrairement à l’argument de la société CTR, aucun des aspects de la divulgation du commissaire ne m’a induit en erreur.
[69] En résumé, pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que le commissaire n’a pas manqué à son obligation rigoureuse de divulgation complète et franche qui s’applique aux procédures ex parte relevant de l’article 11 de la Loi.
2) La pertinence des renseignements sollicités
a) Les factures et la communication de comptes à Equifax
[70] La société CTR s’oppose à plusieurs dispositions de l’ordonnance qui l’enjoignent à fournir des renseignements sur ses factures, sur la communication de comptes à Equifax, et les documents transmis à Equifax[4]. Elle soutient que ces renseignements ne sont pas pertinents pour déterminer si la société a donné au public des indications fausses ou trompeuses sur un point important au sujet de son rôle dans l’administration des prestations liées à la COVID ou au sujet des honoraires qu’elle facture pour ses services.
[71] Comme je connaissais les préoccupations de la société CTR concernant ces dispositions précises, j’ai interrogé l’avocat du commissaire à ce sujet pendant l’audience. En réponse, l’avocat a dit que l’équipe chargée de l’affaire avait obtenu des renseignements qui tendent à indiquer que la société CTR profère des menaces à ses clients quant au paiement des factures, aux comptes qu’elle communique à Equifax et à l’incidence de ses mesures sur leur cote de crédit. Selon l’avocat, le commissaire cherche à savoir si les menaces elles-mêmes sont trompeuses. En me fondant sur cette réponse, j’ai conclu — et je suis toujours du même avis — que ces dispositions sont effectivement pertinentes pour l’enquête du commissaire visant à déterminer si la société CTR a donné des indications fausses ou trompeuses, suivant l’alinéa 74.01(1)a) et le paragraphe 74.011(1) de la Loi.
b) Les publics, les zones géographiques et les renseignements démographiques
[72] La société CTR fait également valoir que les alinéas I.2.b et I.1.b des dispositions, lesquels exigent la fourniture de documents et de renseignements concernant les zones géographiques et les publics ciblés par les indications qu’elle donne en ligne, ne sont pas pertinents pour déterminer si elle a donné des indications fausses ou trompeuses, comme je viens tout juste de le mentionner. Elle est du même avis en ce qui concerne : (i) l’article I.9 des dispositions, lequel exige la production de tous les rapports au sujet des caractéristiques des clients (dont [traduction] « les données démographiques telles que l’âge, la scolarité, le revenu et la maîtrise de l’anglais »); et (ii) l’article II.4 des dispositions, lequel exige que la société CTR fournisse les données démographiques et les caractéristiques du public visé à partir desquelles sont établies les listes d’envoi de courriels visant les prestations liées à la COVID.
[73] Je ne suis pas de cet avis.
[74] Au cours du processus de dialogue préalable à la demande, l’avocat du commissaire a expliqué que ces éléments permettent de savoir si la société CTR a donné des indications fausses ou trompeuses et si le commissaire devrait demander à la Cour d’infliger une sanction administrative pécuniaire pour la conduite reprochée : dossier de demande, à la page 250. Il a dit que le commissaire cherche à savoir si certains groupes d’âge, zones géographiques, catégories de revenus, publics moins instruits ou d’autres publics précis ont été ciblés par la société CTR : dossier de demande, aux pages 250 et 260.
[75] Dans son affidavit, M. Perluzzo donne des précisions à ce sujet, expliquant que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) reconnaît que des dimensions personnelles jouent un rôle dans la vulnérabilité des consommateurs ciblés par les indications. Sur ce point, il s’exprime ainsi :
[traduction]
[...] Par exemple, le consommateur peut être plus vulnérable en raison de son âge, de sa race, de son origine ethnique ou de son sexe, de son faible niveau de scolarité ou d’alphabétisation, de sa connaissance limitée de la langue du milieu, de problèmes de santé mentale, d’une incapacité physique, du fait qu’il vit en situation d’éloignement géographique ou dans une région à faible densité de population, de son chômage ou de son faible revenu. Certaines caractéristiques personnelles — comme la crédulité, l’impulsivité, l’aversion au risque, des connaissances insuffisantes en informatique et la méfiance — peuvent également rendre le consommateur plus vulnérable. Selon l’OCDE, on entend par « consommateurs vulnérables » les consommateurs susceptibles de subir un préjudice à un moment précis, en raison des caractéristiques du marché relativement à un produit en particulier, des qualités du produit, de la nature d’une transaction ou des attributs ou de la situation du consommateur lui-même [...]
Affidavit de M. Perluzzo, au paragraphe 41, citant le document de 2019 de l’OCDE intitulé Challenges to Consumer Policy in the Digital Age (lequel constitue la pièce R jointe à l’affidavit).
[76] Dans ses observations écrites, le commissaire a également expliqué que les dispositions visant à obtenir des renseignements sur les zones géographiques, les publics visés et les données démographiques permettront au commissaire de comprendre à qui sont destinées les indications données par la société CTR. Le commissaire soutient que ces renseignements sont pertinents pour situer le contexte factuel dans lequel les indications ont été données. Il souligne également que si la société CTR cible effectivement des groupes vulnérables, ces questions seraient manifestement utiles pour son enquête.
[77] Je conviens que ces renseignements sont utiles pour savoir si la société CTR a donné des indications fausses ou trompeuses au public aux fins de promouvoir, directement ou indirectement, soit la fourniture ou l’usage d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, suivant l’alinéa 74.01(1)a) et le paragraphe 74.011(1) de la Loi.
[78] En réponse à une question posée au cours de l’une des réunions tenue dans le cadre du dialogue préalable à la demande, le commissaire a indiqué qu’il s’appuyait sur la décision Canada (Competition Bureau) v. Chatr Wireless Inc., 2013 ONSC 5315, 288 C.R.R. (2d) 297 (Chatr), pour étayer son argument selon lequel les indications ciblées sont assujetties à l’alinéa 74.01(1)a) ou au paragraphe 74.011(1) : dossier de demande, à la page 250. Au cours de l’instruction de la demande du commissaire, son avocat a ajouté que, d’après la décision Chatr et l’arrêt Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265 (Richard), la personne ou le consommateur ciblé par l’indication donnée constitue un facteur pertinent pour décider si l’indication est trompeuse : transcription d’audience de la demande, à la page 28.
[79] Selon la société CTR, ni la décision Chatr ni l’arrêt Richard n’appuie cet argument, et l’affirmation contraire du commissaire induit la Cour en erreur. La société CTR ajoute que les directives fournies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Richard font abstraction du point de vue, de l’expérience ou des caractéristiques de certains consommateurs ou de sous-catégories de consommateurs.
[80] Je ne suis pas d’accord.
[81] Dans l’arrêt Richard, l’appelant, M. Richard, a interjeté appel au motif qu’il avait été trompé par un document intitulé « Avis officiel du concours Sweepstakes » qui avait été envoyé par courrier aux membres du grand public. M. Richard affirmait que la Cour d’appel du Québec avait mal défini le « consommateur moyen » visé par la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P-40.1 (la LPC ou L.p.c.). Il semble que cette loi s’inspire de la loi fédérale en cause en l’espèce.
[82] La Cour suprême du Canada a accueilli en partie l’appel de M. Richard. Les observations qui suivent sont tirées de ses motifs :
• « “[L]’impression générale” » donnée par une représentation doit être analysée in abstracto, c’est-à-dire en faisant abstraction des attributs personnels du consommateur à l’origine de la procédure engagée contre le commerçant » : Richard, précité, au paragraphe 49 (non souligné dans l’original).
• « Les tribunaux doivent alors être en mesure de sanctionner toute représentation qui, objectivement, constitue une pratique interdite. Le fait qu’une représentation commerciale ait causé ou non un préjudice à un ou plusieurs consommateurs n’est pas pertinent pour décider si un commerçant a commis une pratique interdite au sens du titre II de la L.p.c. » : Richard, précité, au paragraphe 50 (non souligné dans l’original).
• « [l]e consommateur visé par [...] la L.p.c. [est le] consommateur moyen [qui] demeure le produit d’une fiction juridique incarnée par un consommateur mythique auquel on impute un degré de discernement qui reflète le but de la L.p.c. » : Richard, précité, au paragraphe 62.
• « [L]e consommateur moyen n’est pas particulièrement aguerri pour déceler les faussetés ou les subtilités dans une représentation commerciale. » Il peut être qualifié de personne « crédule et inexpérimenté[e] » : Richard, précité, aux paragraphes 71 et 72.
• « Cette description du consommateur moyen respecte la volonté législative de protéger les personnes vulnérables contre les dangers de certaines méthodes publicitaires » : Richard, précité, au paragraphe 72.
• « [L]’analyse in abstracto requise par [la] L.p.c. [empêche de déterminer] si le consommateur qui a entrepris le recours a été trompé » : Richard, précité, au paragraphe 75 (non souligné dans l’original).
[83] Tenant pour acquis, uniquement pour les besoins de la présente affaire, que les enseignements qui précèdent s’appliquent aussi à l’interprétation de l’alinéa 74.01(1)a) et du paragraphe 74.011(1) de la Loi, j’estime que ces passages n’excluent pas du champ d’application de ces dispositions les indications qui ciblent des sous-catégories objectivement définies du grand public. À mon avis, les mots soulignés plus haut permettent d’affirmer que les personnes qui peuvent avoir été trompées par une indication doivent être décrites de manière objective afin d’éviter que la réponse à la question à savoir si une personne ou un groupe de personnes en particulier a été trompé soit subjective.
[84] Permettre à quiconque de cibler spécifiquement des groupes particulièrement vulnérables de la société — que ces groupes soient situés dans des zones géographiques spécifiques ou qu’ils présentent des attributs particuliers, comme ceux qui ont été relevés par le commissaire — irait complètement à l’encontre de l’objectif du législateur de protéger le public contre les pratiques commerciales trompeuses. À mon avis, les renseignements sollicités par le commissaire à cet égard sont très utiles pour décider si la société CTR a donné des indications fausses ou trompeuses, suivant l’alinéa 74.01(1)a) et le paragraphe 74.011(1) de la Loi. La question de savoir s’il est approprié pour le commissaire de solliciter ces renseignements en vue de l’imposition d’une éventuelle sanction administrative pécuniaire sera examinée à une autre occasion.
[85] J’estime que rien dans la décision Chatr, précitée, n’est incompatible avec cette interprétation donnée au champ d’application de l’alinéa 74.01(1)a) et du paragraphe 74.011(1). Dans cette affaire, la cour a examiné les publicités en question du point de vue du consommateur moyen auquel elles étaient destinées. Après avoir établi une distinction avec l’affaire Richard, où les indications en cause étaient données au grand public, la cour a défini le consommateur moyen comme étant [traduction] « la personne qui veut obtenir des services de données illimitées sans fil pour la conversation et les messages texte, ainsi qu’une certitude par rapport aux coûts » : Chatr, précitée, au paragraphe 129.
c) Les effets sur le comportement des consommateurs
[86] Selon l’alinéa I.2.e. des dispositions, la société CTR est tenue de fournir tous les documents se rapportant aux [traduction] « effets attendus, estimés ou réels des indications sur le comportement des consommateurs données par [la société CTR] sur ses plateformes en ligne ». La société CTR soutient que ces renseignements ne sont pas pertinents pour l’enquête du commissaire visant à déterminer si elle a donné des indications fausses ou trompeuses. À cet égard, elle fait valoir que ces renseignements ne permettent généralement pas d’établir avec plus ou moins de vraisemblance que les indications données étaient fausses ou trompeuses, plutôt que simplement l’établir de façon plus convaincante.
[87] Au cours de l’instruction de la demande, l’avocat du commissaire a dit que le Bureau savait que les entreprises estiment et surveillent les effets réels qu’entraînent les différentes indications qu’elles donnent, et que ces mesures peuvent permettre d’établir indirectement si ces indications sont fausses ou trompeuses. Lors de l’audition de la présente requête, l’avocat a ajouté que le fait que la société CTR d’ait mis différentes versions de son site Web à l’essai pour voir laquelle générerait le plus de clics de la part des consommateurs est manifestement pertinent pour l’enquête. En outre, si les documents sollicités démontrent que la société CTR connaissait les effets probables, cette connaissance serait également pertinente pour l’enquête.
[88] Je suis d’accord. J’ajoute en passant que je ne retiens pas l’argument de la société CTR selon lequel elle n’a pas eu l’occasion de commenter cette disposition étant donné que ses discussions avec l’équipe du Bureau chargée de l’affaire ont plutôt porté sur d’autres termes de la disposition en question. La société CTR a manifestement eu l’occasion de faire connaître son point de vue sur cet aspect de la disposition en même temps qu’elle l’a fait pour les autres termes de la même disposition. Son omission de le faire ne saurait être reprochée au commissaire.
d) L’optimisation et le marketing des moteurs de recherche, l’analyse Web
[89] Selon la société CTR, deux dispositions[5] concernant les points mentionnés dans la présente rubrique ne sont pas pertinentes. Elle fait les remarques suivantes au soutien de son argument :
[traduction]
Le fait de savoir si la société CTR a optimisé ses annonces afin de créer un achalandage sur son site Web ou d’augmenter ses ventes, si elle a sélectionné des mots clés tels que « PCU » ou « perte d’emploi », ou si elle a choisi de cibler ses annonces plus localement ou plus globalement, ne permet pas d’établir avec plus ou moins de vraisemblance que ses annonces étaient fausses ou trompeuses sur un point important. La nature trompeuse des annonces est fonction de l’impression générale qu’elles donnent.
Observations écrites de la société CTR, au paragraphe 104.
[90] Dans l’ordonnance contestée, l’expression « optimisation des moteurs de recherche » s’entend du [traduction] « processus d’optimisation d’un site Web visant à obtenir un meilleur classement dans les résultats organiques des moteurs de recherche afin de générer un achalandage vers un site Web, ou de l’augmenter, gratuitement, ou d’en rehausser la qualité gratuitement ». L’expression « marketing des moteurs de recherche » s’entend du [traduction] « processus d’affichage d’annonces sur des moteurs de recherche — comme Google, Yahoo et Bing — visant à générer un achalandage vers un site Web, ou de l’augmenter, ou d’en rehausser la qualité ». Voici la définition de l’expression « analyse Web » :
[traduction]
[…] [A]nalyse et renseignements se rapportant aux activités sur une page Web ou un site Web, y compris l’analyse et les renseignements concernant la fréquence des visites, le domaine référent qui permet de consulter une page Web, le temps consacré à la visite d’une page Web ou d’un site Web, les tests A/B, le suivi des clics, les taux de clics, les impressions, les visites uniques, les taux de rebond, les taux de conversion, les rapports Google Analytics, les rapports Google Ads et les rapports Google AdWords.
[91] Lors de l’instruction de la demande du commissaire, l’avocat du commissaire a justifié comme suit la pertinence de ces renseignements :
[traduction]
Nous avons constaté que les annonces s’affichent en premier avant le site Web du gouvernement. L’optimisation et le marketing des moteurs de recherche se rapportent donc à la manière dont ces indications sont données et à la manière dont elles sont ciblées, et il est pertinent d’évaluer le contexte factuel de ces indications. Il s’agit d’indications en ligne qui, comme l’indiquent les publicités diffusées par Google en pièce A, peuvent être données et ciblées. Ces documents sont ceux qui permettront de révéler la manière dont elles sont ciblées, qui nous renseignent sur les publics cibles, les publics atteints, étant donné que les moteurs de recherche orientent les internautes qui cherchent des éléments précis.
Par exemple, si je lance la recherche « demander la PCU », la défenderesse est en mesure, si elle est habile, de faire en sorte que ce lien apparaisse dans le haut de la page. Ensuite, en tant qu’internaute qui veut trouver la PCU, je clique sur ce lien et c’est ce qui révèle mon interaction avec le site Web vers lequel j’ai été dirigé. Et c’est ce que nous ont dit les consommateurs : « J’ai cliqué sur ce lien en pensant qu’il s’agissait de l’Agence du revenu du Canada ou d’une entité gouvernementale qui administrait ces prestations. »
Transcription d’audience de la demande, aux pages 43 et 44.
[92] Quant à l’analyse Web, l’avocat du commissaire a expliqué qu’il s’agissait [traduction] « essentiellement d’essais de rendement pour vérifier comment fonctionnent les annonces ou les indications » : transcription d’audience de la demande, à la page 49.
[93] Dans ses observations écrites en lien avec la présente requête, le commissaire donne au paragraphe 66, d’autres explications au sujet de son enquête :
[traduction]
[…] [L’enquête] en est encore à l’étape de l’établissement des faits. Par conséquent, il serait prématuré et inapproprié à cette étape-ci de conjecturer la pertinence possible des rapports d’analyse quant à un litige éventuel, étant donné que le commissaire ne pourra juger de la pertinence avant d’avoir examiné les faits et d’avoir décidé des mesures qui suivront.
[94] Compte tenu de tout ce qui précède, j’ai conclu — et je suis toujours du même avis — que l’alinéa I.2.f. des dispositions, lequel porte sur l’optimisation et le marketing des moteurs de recherche et sur l’analyse Web, est utile pour l’enquête du commissaire. Ceci est d’autant plus vrai que le commissaire doit bénéficier d’une certaine latitude à cette étape-ci de son enquête, vu qu’il n’a pas encore obtenu beaucoup de renseignements de la part de la société CTR (voir la jurisprudence citée plus haut, au paragraphe 39). Je ne suis pas d’accord avec la société CTR pour dire que les rapports qu’elle avait déjà fournis au commissaire concernant l’analyse Web montrent clairement l’inutilité de ces renseignements pour l’enquête. Je ne souscris pas non plus à son argument selon lequel les dispositions contestées lui imposeraient un fardeau excessif, disproportionné ou inutile.
[95] Cependant, je conviens avec elle que les renseignements demandés à l’article II.12 des dispositions devraient être radiés de l’ordonnance contestée. L’utilité des renseignements qui y sont sollicités est négligeable. Fait plus important encore, compte tenu des renseignements sollicités à l’alinéa I.2.f. des dispositions, la portée de ceux qui sont visés à l’article II.12 est excessive.
3) La portée des renseignements sollicités
[96] La société CTR affirme que plusieurs des dispositions énoncées dans les annexes de l’ordonnance contestée lui imposeraient un fardeau excessif, disproportionné et inutile.
a) Les indications non identiques en ligne et les redondances
[97] D’après la société CTR, l’alinéa I.1.a et l’article II.1 des dispositions, dans lesquels sont sollicités des renseignements concernant les [traduction] « indications non identiques en ligne », lui imposeraient un fardeau inutile et, par définition, elles ne permettraient pas de savoir si les indications qu’elle a données sont trompeuses sur un point important.
[98] J’étais parfaitement au courant de l’argument de la société CTR sur la nature potentiellement onéreuse de ces dispositions. Cet argument est exposé aux paragraphes 63 et 64 de l’affidavit de M. Perluzzo et dans ses comptes rendus du dialogue préalable à la demande de renseignements du commissaire : dossier de demande, aux pages 248 et 260–261. Je connaissais aussi l’argument de la société CTR selon lequel ces dispositions, ainsi que d’autres, étaient inutilement onéreuses pour cause de redondance : dossier de demande, aux pages 24, 213–214, 218 et 221. Les réponses du commissaire aux questions sur ce point que je lui ai posées durant l’audience m’ont convaincu que ces dispositions (ainsi que l’article II.1) sont pertinentes et qu’elles ne sont pas inutilement onéreuses, que ce soit en raison de leur portée éventuelle ou du fait qu’elles seraient redondantes. Je suis toujours de cet avis. En outre, je conviens avec le commissaire que l’autre libellé proposé par la société CTR lui donnerait une discrétion subjective trop vaste lui permettant de décider ce qui constitue une indication en ligne sensiblement différente. Je suis également d’accord avec le commissaire pour dire que la société CTR n’a fourni aucune preuve concernant le fardeau qu’imposeraient ces dispositions.
b) L’exigence de produire tous les « documents »
[99] La société CTR soutient que certaines dispositions[6] lui enjoignant de produire [traduction] « tous les documents » sur certains points ont [traduction] « une portée excessivement vaste et sont inutilement onéreuses ».
[100] Compte tenu de la large définition que la Loi confère au terme « document » à son article 2, la Cour est généralement très sensible aux dispositions qui exigent la production de [traduction] « tous les documents » sur des points précis. Ma sensibilité n’était pas moins vive en l’espèce, et je connaissais très bien le point de vue de la société CTR sur ces termes. J’ai donc proposé que l’une de ces dispositions (l’alinéa I.2.a) se limite aux documents rédigés par les dirigeants de la société CTR ou pour leur compte. Cette modification a subséquemment été apportée à l’ordonnance contestée. J’étais toutefois d’avis que les autres dispositions exigeant la production de « tous les documents » n’étaient ni excessives, ni disproportionnées, ni inutilement onéreuses. Je suis toujours de cet avis, sauf en ce qui concerne l’alinéa I.2.d. Après réflexion, étant donné que cette disposition vise des approbations, j’estime qu’il faut l’assujettir aux mêmes limites que celles de l’alinéa I.2.a, c’est-à-dire aux documents rédigés par les dirigeants de la société CTR ou pour leur compte.
[101] Malgré ma décision d’assujettir l’alinéa I.2.a à certaines limites comme je viens tout juste de l’expliquer, la société CTR fait valoir que cette disposition devrait être radiée. Cette disposition exige la production de [traduction] « tous les documents établis aux fins de promouvoir les prestations pertinentes au moyen d’indications en ligne, notamment ceux qui concernent les plans d’affaires et de marketing, et qui ont été rédigés par les dirigeants de la société CTR ou pour leur compte ». Subsidiairement, la société CTR fait valoir que l’expression [traduction] « tous les documents » devrait être remplacée par [traduction] « tous les rapports ».
[102] Je ne suis pas d’accord. Compte tenu, du fait que les « fins » visées par une indication constituent un élément précis des paragraphes 74.01(1) et 74.011(1), je demeure convaincu que les documents visés par l’alinéa I.2.a sont utiles pour l’enquête du commissaire et qu’ils n’imposeraient pas un fardeau excessif, disproportionné ou inutile à la société CTR. Je tiens aussi à ajouter que je comprends fort bien le commissaire lorsqu’il affirme que le défaut apparent de la société CTR de fournir une quelconque preuve du format dans lequel elle conserve ses documents fait en sorte qu’il est très difficile d’évaluer son argument selon lequel ses documents ne se prêtent pas facilement à une recherche électronique.
c) Les renseignements concernant les plaintes
[103] Selon la société CTR, trois dispositions (les articles I.4, II.7 et II.8) qui exigent la production de renseignements sur les plaintes sont excessives, inutilement onéreuses et dépourvues de pertinence. Elle fait en outre valoir que le commissaire n’a pas communiqué à la Cour les observations qu’elle lui avait transmises sur ce point.
[104] Je connaissais très bien le point de vue de la société CTR sur ce point. C’est ce qui m’a amené à interroger l’avocat du commissaire au sujet de ces dispositions lors de l’instruction de la demande. En réponse, l’avocat du commissaire a expliqué (en ce qui concerne l’article I.4 des dispositions) que les plaintes se présentent souvent sous la forme suivante :
[traduction]
[...] [Q]uelqu’un relate : « On m’a dit x, mais en réalité on me disait y. » Le « x » renvoie à l’indication telle qu’elle a été donnée. Le « y » exige qu’on se demande si cette indication « x » était en fait fausse ou trompeuse. Ces demandeurs ou clients ont-ils été trompés? Les plaintes nous permettront d’être renseignés, par exemple, sur la fréquence de ces indications, sur le nombre de personnes visées, [...] le lieu et la date où elles ont été données. Elles nous indiqueront le comment [...] l’effet des indications.
Transcription d’audience de la demande, à la page 51.
[105] Je conviens que, pour autant qu’elles puissent révéler si les consommateurs ont effectivement été induits en erreur en raison des indications, ces plaintes sont utiles pour évaluer si, d’un point de vue objectif, ces indications peuvent être jugées fausses ou trompeuses, suivant l’alinéa 74.01(1)a) et le paragraphe 74.011(1) de la Loi. En outre, j’estime que l’obligation de fournir [traduction] « tous les documents concernant les plaintes, y compris ceux qui énoncent les procédures de traitement des plaintes » n’est pas excessive ou inutilement onéreuse. De plus, le fait qu’il est possible d’obtenir certains renseignements concernant les plaintes auprès d’autres sources — comme le Centre antifraude du Canada, le Bureau d’éthique commerciale ou les « avis » en ligne de Google — n’empêche pas le commissaire de solliciter ces renseignements directement auprès de la société CTR.
[106] Quant à l’article II.7, qui porte sur le signalement interne des plaintes au sein de la société CTR, l’avocat du commissaire a déclaré que ces renseignements sont utiles, pour les raisons suivantes :
[traduction]
[...] Le fait pour une entreprise de donner des indications et de recevoir des plaintes est pertinent pour […] savoir si l’entreprise [...] reçoit ces plaintes et adapte ses indications de manière à ne pas tromper les consommateurs. Il s’agit d’un fait pertinent dont il faut tenir compte pour évaluer la conduite.
Transcription d’audience de la demande, à la page 86.
[107] Compte tenu de cette explication, je conviens que les renseignements concernant le signalement interne des plaintes sont également utiles pour l’enquête du commissaire. De plus, j’estime que ces renseignements n’ont pas une portée excessive ou inutilement onéreuse et qu’ils ne sont pas redondants.
[108] Pour ce qui est de l’article II.8, qui porte sur le suivi des plaintes, je suis d’accord avec le commissaire pour dire que ces renseignements sont également pertinents. En résumé, le fait de savoir si des modifications ont été apportées aux indications à la suite de la réception des plaintes, de comprendre pourquoi des modifications ont été apportées aux indications et de savoir si d’autres plaintes ont été reçues après les modifications peut avoir une incidence importante sur l’évaluation du commissaire quant à si les indications données étaient fausses ou trompeuses. Comme pour les autres dispositions examinées plus haut, j’estime que l’article II.8 n’est pas une disposition excessive ou inutilement onéreuse et qu’elle n’est pas redondante.
d) Les renseignements au sujet du personnel de la société CTR
[109] Selon la société CTR, les deux dispositions qui exigent la production de renseignements au sujet de ses dirigeants et de ses employés sont dépourvues de pertinence et sont inutilement onéreuses.
[110] L’une de ces dispositions est l’article II.13, lequel exige la production d’un organigramme identifiant chaque employé qui joue un rôle dans la commercialisation ou la fourniture de services dont la société CTR fait la promotion au moyen d’indications en ligne, y compris toute démarche de recouvrement applicable à ces services. Cette disposition enjoint également à la société CTR de fournir le nom complet de l’employé, ses pseudonymes (le cas échéant), son titre, ses rôles et responsabilités, ainsi que ses liens hiérarchiques directs et indirects.
[111] Le commissaire affirme que cette disposition est pertinente parce que les renseignements en question aideraient le commissaire à comprendre les rôles et le rang hiérarchique des personnes identifiées dans les courriels, la correspondance et les autres documents obtenus en réponse à l’ordonnance contestée ou par d’autres sources au cours de l’enquête. Ces renseignements peuvent, par la suite, avoir une incidence sur la valeur probante du document, car les propos d’un dirigeant auront probablement plus d’importance que ceux d’un employé subalterne.
[112] Je suis d’accord. Ne pas disposer de ces renseignements compliquerait de façon démesurée l’enquête du commissaire et pourrait rendre très difficile l’évaluation de la valeur probante de certains documents.
[113] Le second article de cette catégorie de dispositions est l’article II.5. Entre autres choses, il exige que la société CTR révèle le titre et le poste de chaque employé qui accomplit, ou a accompli, certaines tâches précises. Il exige également que la société CTR explique le rôle et les responsabilités qui reviennent à chacun de ces employés dans le processus de prise de décision interne de la société, ainsi que la période pendant laquelle l’employé a assumé le rôle ou les responsabilités en question.
[114] Vu que le commissaire obtiendra les renseignements visés par l’article II.13 examiné plus haut, j’estime que l’article II.5 est une disposition excessive et inutilement onéreuse.
4) Conclusion
[115] Pour les motifs exposés plus haut à la partie VI.B.(1), je conclus que le commissaire n’a pas manqué à l’obligation rigoureuse de divulgation complète et franche qui s’applique aux procédures ex parte visées à l’article 11 de la Loi.
[116] Je suis sensible aux préoccupations de la société CTR concernant le refus du commissaire de discuter de la pertinence de certaines des dispositions de l’ordonnance contestée au cours du processus de dialogue préalable à la demande de renseignements du commissaire. Ce refus n’est pas conforme aux recommandations contenues dans le rapport Gover. Si le commissaire s’était exécuté, la société CTR ne se serait peut-être pas sentie aussi lésée par ce processus, et l’esprit de collaboration dont il est question dans le rapport Gover aurait fort bien pu être à l’œuvre, dans une plus large mesure à tout le moins. En conséquence, ces discussions auraient pu permettre de réduire le nombre appréciable d’heures que la société CTR, le commissaire et la Cour ont dû investir pour donner suite à l’ordonnance contestée. Ces heures surpassent de loin tout ce que j’ai pu voir jusqu’à présent.
[117] La première rencontre tenue en vue du dialogue préalable à la demande a eu lieu il y a plus de cinq mois. Dans l’intervalle, la société CTR a fourni très peu de renseignements au commissaire. Cette inexécution n’est pas non plus conforme aux recommandations contenues dans le rapport Gover. Il est donc raisonnable d’inférer que cette situation a limité la capacité du commissaire à mener son enquête visant à vérifier si la société CTR a donné des indications fausses et trompeuses au sujet des prestations liées à la COVID. Il est grand temps que cette situation change, surtout compte tenu du fait que la pandémie n’a cessé d’évoluer.
[118] Le commissaire n’a aucune obligation légale de discuter avec un défendeur de la pertinence d’un ou de plusieurs éléments d’un projet d’ordonnance au cours du processus de dialogue préalable à la demande. Le commissaire n’est même aucunement tenu de s’engager dans un tel processus (voir le paragraphe 54 plus haut). Cependant, le fait pour le commissaire de ne pas entreprendre un véritable dialogue préalable accroît le risque que la Cour annule ou modifie l’ordonnance rendue en vertu de l’article 11 de la Loi dans le cadre d’une requête subséquemment présentée sur le fondement des règles 397 ou 399.
[119] C’est au législateur, et non à la Cour, qu’il appartient d’examiner les autres préoccupations de la société CTR concernant le processus de dialogue préalable à la demande de renseignements du commissaire et la nature ex parte de la demande visée à l’article 11.
[120] Pour les motifs que j’ai exposés plus haut à la partie VI.B.(2), je conclus que les renseignements précisés dans les dispositions des annexes de l’ordonnance contestée étaient tous pertinents pour l’enquête du commissaire visant à déterminer si la société CTR a donné des indications fausses ou trompeuses, suivant l’alinéa 74.01(1)a) et le paragraphe 74.011(1) de la Loi.
[121] Pour les motifs que j’ai exposés plus haut à la partie VI.B.(3), je conclus que, sous réserve des paragraphes 95, 100 et 114 des présents motifs, la portée des renseignements sollicités dans les dispositions des annexes de l’ordonnance contestée n’est pas excessive, disproportionnée ou inutilement onéreuse.
VII. Les dépens
[122] Vu que le commissaire a largement obtenu gain de cause dans la présente requête, j’estime qu’il est approprié de lui adjuger les dépens sous la forme d’une somme globale de l’ordre de 5 000 $.
[123] Pour en arriver à ma conclusion sur ce point, j’ai également tenu compte de la nature et de la complexité des questions en litige ainsi que de la charge de travail que les parties semblent avoir dû assumer relativement à la présente requête. Même si j’estime que la société CTR aurait pu abréger les observations qu’elle a présentées relativement à la présente requête, j’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire de m’abstenir d’adjuger au commissaire une somme globale plus importante qui aurait reflété à cette considération.
ORDONNANCE dans le dossier T-999-21
LA COUR ORDONNE :
1. La présente requête visant à annuler et à modifier certaines dispositions de l’ordonnance rendue le 2 juillet 2021 dans la présente instance [l’ordonnance], est rejetée, avec les exceptions suivantes :
a. L’alinéa 1.d des dispositions de l’annexe I de l’ordonnance est modifié comme suit : [traduction] « Fournir tous les documents qui ont été rédigés par les dirigeants ou pour leur compte se rapportant aux effets attendus, estimés ou réels des indications sur le comportement des consommateurs données par la société Canada Tax Review sur ses plateformes en ligne. »
b. La phrase suivante de l’article 5 des dispositions de l’annexe II de l’ordonnance est radiée : [traduction] « Dans la réponse, indiquer le titre et le poste de chaque employé de la société Canada Tax Reviews qui accomplit, ou a accompli, les tâches mentionnées ci-dessus, et expliquer son rôle et ses responsabilités dans le processus décisionnel, en plus de préciser la période pendant laquelle il a assumait ce rôle ou ces responsabilités. »
c. L’article 12 des dispositions de l’annexe II de l’ordonnance est radié.
d. Avec le consentement des parties, la partie suivante de l’article 6 des dispositions de l’annexe I de l’ordonnance est radiée : [traduction] « aux clients suivants : dans sa réponse à la présente disposition, la défenderesse sélectionne ».
e. Avec le consentement des parties, les mots [traduction] « dans les 75 jours civils suivant la signification de la présente ordonnance » qui figurent à l’article 14 de l’ordonnance, sont remplacés par les mots « avant la fermeture des bureaux le 8 octobre 2021 ».
2. Canada Tax Reviews Inc. paiera au commissaire de la concurrence les dépens adjugés sous la forme d’une somme globale de l’ordre de 5 000 $.
ANNEXE 1
[Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34]
Ordonnance exigeant une déposition orale ou une déclaration écrite
11 (1) Sur demande ex parte du commissaire ou de son représentant autorisé, un juge d’une cour supérieure ou d’une cour de comté peut, lorsqu’il est convaincu d’après une dénonciation faite sous serment ou affirmation solennelle qu’une enquête est menée en application de l’article 10 et qu’une personne détient ou détient vraisemblablement des renseignements pertinents à l’enquête en question, ordonner à cette personne :
a) de comparaître, selon ce que prévoit l’ordonnance de sorte que, sous serment ou affirmation solennelle, elle puisse, concernant toute question pertinente à l’enquête, être interrogée par le commissaire ou son représentant autorisé devant une personne désignée dans l’ordonnance et qui, pour l’application du présent article et des articles 12 à 14, est appelée « fonctionnaire d’instruction »;
b) de produire auprès du commissaire ou de son représentant autorisé, dans le délai et au lieu que prévoit l’ordonnance, les documents — originaux ou copies certifiées conformes par affidavit — ou les autres choses dont l’ordonnance fait mention;
c) de préparer et de donner au commissaire ou à son représentant autorisé, dans le délai que prévoit l’ordonnance, une déclaration écrite faite sous serment ou affirmation solennelle et énonçant en détail les renseignements exigés par l’ordonnance.
[1] Après que la société CTR eut fait remarquer, pendant l’audience relative à la demande du commissaire, que je lui avais refusé le droit de formuler des observations relativement à une requête sur laquelle la Cour n’avait pas encore statué, j’ai dit que je n’avais pas encore autorisé le dépôt de cette requête. J’ai ensuite été immédiatement informé par l’agent du greffe que le greffe avait par inadvertance omis de demander des directives à la Cour avant d’inscrire au plumitif le « dépôt » du dossier de requête. À la question de savoir pourquoi le greffe accepte le dépôt d’un document non conforme aux Règles, on m’a répondu que l’inscription au plumitif serait modifiée de manière à rendre compte de la « réception » du document, et non de son « dépôt ».
[2] Sauf « en cas de préoccupations réelles concernant le respect des délais ou la destruction de documents par [le défendeur] » : le rapport Gover, à la page 45.
[3] La Cour s’efforce généralement d’attribuer les demandes fondées sur l’article 11 à un juge ayant une solide expérience en droit de la concurrence. Toutefois, en raison des calendriers établis d’avance et des conflits d’horaire, ce n’est pas toujours possible.
[4] Les dispositions en question sont les suivantes : I.1.b, I.7.b, I.7.c et I.8.
[5] Il s’agit de l’alinéa I.2.f et de l’article II.12 des dispositions. L’article I.3 était initialement visé également. Cependant, la société CTR a fait savoir qu’elle avait déjà fourni au commissaire sa réponse au sujet de cette disposition.
[6] Il s’agit des articles I.2, I.4 et I.8 des dispositions.