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A-170-19

2021 CAF 160

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Deans Knight Income Corporation (intimée)

Répertorié : Canada c. Deans Knight Income Corporation

Cour d’appel fédérale, juges Stratas, Woods et Laskin, J.C.A.—Par vidéoconférence, 22 et 23 mars; Ottawa, 4 août 2021.

Impôt sur le revenu — Évitement fiscal — Règle générale anti-évitement — Appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt, qui a accueilli l’appel interjeté par l’intimée à l’encontre de nouvelles cotisations établies pour les années 2009 à 2012 — L’appel avait trait à l’application de la règle générale anti‑évitement (RGAÉ) à un arrangement de monétisation d’une perte fiscale — L’intimée est devenue une filiale à cent pour cent de New Forbes après un échange d’actions — Matco Capital Ltd. (Matco) a fourni un cadre pour l’arrangement de monétisation de l’attribut fiscal (convention d’investissement) — Ces arrangements devaient permettre d’éviter que Matco acquière le contrôle de l’intimée — La convention d’investissement prévoyait l’acquisition de l’intimée lors d’un premier appel public à l’épargne (PAPE) — Les fonds obtenus dans le cadre du PAPE seraient utilisés par l’intimée pour démarrer une nouvelle entreprise qui ferait des bénéfices et utiliserait les attributs fiscaux — Avant la clôture du PAPE, Matco a converti sa débenture convertible acquise de l’intimée en actions avec droit de vote et en actions sans droit de vote de l’intimée de sorte que New Forbes ne possède plus aucune action de l’intimée — L’intimée a déduit des attributs fiscaux afin de réduire la dette fiscale — La Cour de l’impôt s’est demandé s’il y avait eu acquisition du contrôle par Matco aux termes de l’art. 256(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et si la RGAÉ s’appliquait — Elle a conclu que Matco n’avait pas obtenu un droit de racheter la majorité des actions avec droit de vote de l’intimée, de telle sorte que les pertes étaient épuisées — Elle a conclu que les objectifs des art. 111(5) et 256(8) n’avaient pas été contrecarrés et, par conséquent, que les opérations pertinentes n’avaient pas un caractère abusif — Elle a conclu en outre que Matco n’avait pas concrètement le contrôle effectif de l’intimée — Dans la présente instance, la Couronne a fait valoir que les transactions ont contourné la raison d’être des art. 111(1)a), 111(5) et 256(8) de la Loi — Elle a fait valoir en outre qu’un évitement fiscal abusif a découlé des opérations effectuées — Il s’agissait de savoir si l’arrangement avec Matco constituait un évitement fiscal abusif — L’art. 245 de la Loi exige que l’on détermine s’il y a eu avantage fiscal; si l’opération était une opération d’évitement; et si l’opération d’évitement était abusive — Les conclusions de la Cour de l’impôt relativement aux deux premières questions à trancher n’étaient pas contestées — Pour la troisième question de l’analyse relative à la RGAÉ, il faut déterminer l’objet et l’esprit des dispositions de la Loi qui sont invoquées, et ensuite déterminer si les opérations contrecarrent cet objectif — Il suffisait dans la présente affaire de se concentrer sur l’art. 111(5) pour l’analyse relative à la question de l’abus — L’énoncé de la Cour de l’impôt concernant la raison d’être de l’art. 111(5) manquait de clarté — L’objet et l’esprit de l’art. 111(5) sont de restreindre l’utilisation de certaines pertes, y compris les pertes autres que les pertes en capital, lorsqu’une personne ou un groupe de personnes acquiert le contrôle réel des actions d’une société, par un contrôle de jure ou autrement — Le fait que le législateur a adopté des règles anti‑évitement particulières qui s’appliquent à une société disposant de pertes inutilisées autres que des pertes en capital n’est pas le reflet d’une politique selon laquelle la RGAÉ n’est pas applicable à ces pertes — Dans une analyse relative à la RGAÉ, un tribunal doit appliquer une méthode textuelle, contextuelle et téléologique unifiée pour circonscrire l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes — Des énoncés clairs de l’intention du législateur et la jurisprudence reconnaissant que la Loi vise en général à prévenir le transfert de pertes éclairent la raison d’être de l’art. 111(5) — Il n’y a rien d’incohérent dans la conclusion selon laquelle l’objet ou l’esprit de l’art. 111(5) prend en considération différentes formes de contrôle — L’art. 256.1(3) ne remplace pas l’art. 111(5) et il ne prouve pas que le législateur voulait que les opérations en litige aient été acceptables si les titres de participation de Matco demeuraient dans les limites fixées à l’art. 256.1 — La conclusion de la Cour de l’impôt que Matco n’avait pas un contrôle effectif de l’intimée et que l’intimée a participé de son plein gré aux opérations était contraire aux modalités de la convention d’investissement — La convention d’investissement a amené New Forbes et l’intimée à céder le contrôle effectif de l’intimée à Matco — Les opérations avaient manifestement un caractère abusif — En conclusion, les conditions légales pour l’application de la RGAÉ ont été satisfaites — Les opérations liées à la convention d’investissement étaient des opérations d’évitement — Les opérations d’évitement ont contourné l’art. 111(5) — L’avantage fiscal a été refusé — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt, qui a accueilli l’appel interjeté par l’intimée à l’encontre de nouvelles cotisations établies pour les années 2009 à 2012. L’appel avait trait à l’application de la règle générale anti-évitement (RGAÉ), aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi), à un arrangement de monétisation d’une perte fiscale. Durant les années ayant précédé les opérations en litige, l’intimée a mené des activités de recherche sur les médicaments et les additifs alimentaires, sous le nom de Forbes Medi‑Tech Inc. En 2008, l’intimée et ses actionnaires ont entrepris une restructuration de l’entreprise sous la forme d’un échange d’actions visant, en partie, à permettre un arrangement de monétisation d’une perte fiscale. Les actionnaires de l’intimée ont échangé leurs actions contre les actions d’une société nouvellement constituée (New Forbes). L’intimée est devenue une filiale à cent pour cent de New Forbes. L’intimée et New Forbes ont conclu une entente avec Matco Capital Ltd. (Matco), une société de capital‑risque, qui a fourni un cadre pour l’arrangement de monétisation de l’attribut fiscal (convention d’investissement). La convention d’investissement prévoyait que l’entreprise actuelle de l’intimée (à l’exception de ses attributs fiscaux) serait transférée à New Forbes; que New Forbes aurait le droit de recevoir une somme précise pour les attributs fiscaux; et que New Forbes laisserait les rênes de l’intimée à Matco. Ces arrangements devaient permettre d’éviter que Matco acquière le contrôle de l’intimée. La contrepartie immédiate serait initialement versée par Matco à l’intimée en contrepartie d’une débenture convertible qui serait émise par l’intimée. À l’émission de la débenture convertible, New Forbes continuerait à posséder toutes les actions émises de l’intimée, à l’exception d’une quantité nominale d’actions. La convention d’investissement prévoyait que Matco utiliserait son expertise pour organiser l’acquisition de l’intimée lors d’un premier appel public à l’épargne (PAPE). Les fonds obtenus seraient utilisés par l’intimée pour démarrer une nouvelle entreprise qui ferait des bénéfices et utiliserait les attributs fiscaux. En 2008, Matco a entrepris des négociations avec Deans Knight Capital Management Ltd. concernant l’acquisition proposée de l’intimée par le truchement d’un PAPE. Juste avant la clôture du PAPE, Matco a converti sa débenture en actions avec droit de vote et en actions sans droit de vote de l’intimée. New Forbes ne possédait plus aucune action de l’intimée. L’intimée a déduit la majeure partie des attributs fiscaux durant les années d’imposition 2009 à 2012 afin de réduire la dette fiscale. En 2014, une nouvelle cotisation a été établie à l’égard de l’intimée pour ces années d’imposition afin de refuser les déductions demandées.

La Cour de l’impôt s’est demandé s’il y avait eu acquisition du contrôle par Matco aux termes du paragraphe 256(8) de la Loi, et si la RGAÉ s’appliquait. La Cour de l’impôt a conclu que Matco n’avait pas obtenu un droit de racheter la majorité des actions avec droit de vote de l’intimée, de telle sorte que les pertes étaient épuisées par l’application combinée du paragraphe 256(8), de l’alinéa 251(5)b) et du paragraphe 111(5) de la Loi. La Cour de l’impôt a conclu que les objectifs des paragraphes 111(5) et 256(8) n’avaient pas été contrecarrés et, par conséquent, que les opérations pertinentes n’avaient pas un caractère abusif. La Cour de l’impôt a conclu également que l’on n’avait pas tenté de dénaturer les droits de Matco, et que Matco n’avait pas concrètement le contrôle effectif de l’intimée, ou n’avait pas besoin de ce contrôle pour mener à bien le plan fiscal.

Dans la présente instance, la Couronne a fait valoir notamment que les transactions ont contourné hors de tout doute la raison d’être de l’alinéa 111(1)a), du paragraphe 111(5) et du paragraphe 256(8) de la Loi, et qu’elles n’y étaient pas conformes. Elle a fait valoir en outre qu’un évitement fiscal abusif a découlé des opérations effectuées, parce qu’elles ont permis d’éviter, de manière flagrante, une prise de contrôle de l’intimée, entraîné la cessation des activités ayant généré les attributs fiscaux, et complètement dissocié les intérêts des actionnaires dans cette ancienne entreprise de la nouvelle entreprise créée à la suite du PAPE. L’intimée a qualifié la convention d’investissement d’outil incitatif profitable aux deux parties, tout en prévoyant des conséquences si l’une ou l’autre des parties exerçait des activités qui pourraient nuire aux intérêts de l’autre partie.

Il s’agissait principalement de savoir si l’arrangement avec Matco constituait un évitement fiscal abusif.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

L’article 245 de la Loi exige que l’on détermine s’il y a eu avantage fiscal; si l’opération ayant généré l’avantage fiscal était une opération d’évitement; et si l’opération d’évitement ayant généré l’avantage fiscal était abusive. Les conclusions de la Cour de l’impôt relativement aux deux premières questions à trancher sous le régime de l’article 245 n’étaient pas contestées. Par conséquent, ont été posées les hypothèses selon lesquelles l’avantage fiscal correspondait à la réduction de la dette fiscale de l’intimée découlant de la déduction des attributs fiscaux, et la signature de la convention d’investissement, la restructuration de l’intimée elle‑même et l’ensemble des opérations connexes constituaient les opérations d’évitement. La troisième question de l’analyse relative à la RGAÉ, soit la question de savoir s’il y a eu abus, comporte deux volets : il faut d’abord déterminer l’objet et l’esprit des dispositions de la Loi qui sont invoquées, et ensuite déterminer si les opérations contrecarrent cet objectif. Il n’était pas nécessaire dans le présent appel d’entreprendre une analyse relative à la question de l’abus en ce qui concerne le paragraphe 256(8). Il suffisait de se concentrer sur le paragraphe 111(5). L’énoncé de la Cour de l’impôt concernant la raison d’être du paragraphe 111(5) manquait de clarté. L’objet et l’esprit du paragraphe 111(5) est de restreindre l’utilisation de certaines pertes, y compris les pertes autres que les pertes en capital, lorsqu’une personne ou un groupe de personnes acquiert le contrôle réel des actions d’une société, par un contrôle de jure ou autrement. Le législateur a adopté plusieurs règles anti‑évitement particulières qui s’appliquent à une société disposant de pertes inutilisées autres que des pertes en capital, mais ces règles ne sont pas le reflet d’une politique selon laquelle la RGAÉ n’est pas applicable à ces pertes. Dans une analyse relative à la RGAÉ, un tribunal doit appliquer une méthode textuelle, contextuelle et téléologique unifiée pour circonscrire l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes. Deux facteurs téléologiques éclairent la raison d’être du paragraphe 111(5) : des énoncés clairs de l’intention du législateur et la jurisprudence reconnaissant que la Loi vise en général à prévenir le transfert de pertes. Il n’y a rien d’incohérent dans la conclusion selon laquelle l’objet ou l’esprit du paragraphe 111(5) prend en considération différentes formes de contrôle, même si le libellé de la disposition se limite au contrôle de jure. Le paragraphe 256.1(3), qui de l’avis de l’intimée reconnaît implicitement que le législateur entendait que les opérations en cause soient acceptables, constitue une autre règle anti‑évitement particulière ciblant le trafic d’actions de sociétés déficitaires. Il traite précisément des circonstances entourant les acquisitions de capitaux propres. La disposition ne remplace pas le paragraphe 111(5) et elle ne prouve pas que le législateur voulait que les opérations en litige aient été acceptables si les titres de participation de Matco demeuraient dans les limites fixées à l’article 256.1. La conclusion de la Cour de l’impôt à l’étape deux de l’analyse, c’est‑à‑dire sur la question de savoir si les opérations ont contrecarré l’objet du paragraphe 111(5), n’était pas étayée par la preuve. Sa conclusion que Matco n’avait pas un contrôle effectif de l’intimée et que l’intimée a participé de son plein gré aux opérations ayant permis l’utilisation des attributs fiscaux était contraire aux modalités de la convention d’investissement. La convention d’investissement prévoyait d’importantes restrictions concernant les activités que pouvaient entreprendre New Forbes et l’intimée. En raison de toutes ces restrictions, la convention d’investissement a amené New Forbes et l’intimée à céder le contrôle effectif de l’intimée à Matco. La Couronne a clairement démontré que les opérations avaient un caractère abusif.

En conclusion, les conditions légales pour l’application de la RGAÉ ont été satisfaites. Il a été admis et il était clair qu’il existait un avantage fiscal correspondant à la déduction des attributs fiscaux. Il était également clair qu’il y a eu des opérations d’évitement. Les opérations liées à la convention d’investissement étaient des opérations d’évitement, parce qu’elles faisaient partie d’une série d’opérations dont a découlé l’avantage fiscal, et ces opérations n’ont pas été effectuées principalement pour des objets véritables autres que l’obtention d’un avantage fiscal. En outre, les opérations d’évitement ont contourné le paragraphe 111(5) de la Loi, d’une manière qui a contrecarré l’objet et l’esprit de cette disposition. Par conséquent, en application du paragraphe 245(2) de la Loi, l’avantage fiscal a été refusé.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 111(1)a),(5), 245, 251(5)b), 256(5.1),(5.11),(7),(8), 256.1.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, art. 27(5).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONs APPLIQUÉEs :

Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada c. Oxford Properties Group Inc., 2018 CAF 30, [2018] 4 R.C.F. 3; Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795; Mathew c. Canada, 2005 CSC 55, [2005] 2 R.C.S. 643.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Silicon Graphics Ltd. c. Canada, 2002 CAF 260, [2003] 1 CF 447; Birchcliff Energy Ltd. c. Canada, 2019 CAF 151.

DOCTRINE CITÉE

Débats de la Chambre des communes, 26e Parl., 1re lég., no 4 (16 octobre 1963).

Dodge, David. « A New and More Coherent Approach to Tax Avoidance » (1988), Rev. fiscale can. 1.

APPEL d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt ((2019 CCI 76, [2019] C.T.C. 2002), qui a accueilli l’appel interjeté par l’intimée à l’encontre de nouvelles cotisations établies pour les années 2009 à 2012. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Perry Derksen, Matthew Turnell, Eric Brown et Kiel Walker pour l’appelante.

Barry R. Crump, Heather DiGregorio et Julia Lisztwan pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

La sous-procureure générale du Canada pour l’appelante.

Burnet, Duckworth & Palmer, LLP, Calgary, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

La juge Woods, J.C.A. :

A.    Introduction

[1]        Le présent appel a trait à l’application de la règle générale anti-évitement (la RGAÉ), aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), à un arrangement de monétisation d’une perte fiscale.

[2]        Avant les opérations en litige, l’intimée, une société publique canadienne, avait accumulé des pertes autres que des pertes en capital et autres déductions inutilisées d’environ 90 millions de dollars (attributs fiscaux). Cherchant à recouvrer la valeur de ces attributs fiscaux, elle a conclu une entente avec une société qui possédait une expertise dans l’organisation d’opérations de ce genre.

[3]        De 2009 à 2012, l’intimée a déduit une majorité de ses attributs fiscaux afin de réduire sa dette fiscale. Suivant l’établissement de nouvelles cotisations dans lesquelles les déductions ont été refusées, l’intimée a fait appel devant la Cour canadienne de l’impôt (2019 CCI 76, le juge Paris) et a eu gain de cause.

[4]        La Couronne interjette maintenant appel de cette décision. Elle soutient que la RGAÉ s’applique à l’égard de l’arrangement de monétisation parce qu’il découle d’un abus des dispositions de la Loi qui restreignent l’utilisation d’attributs fiscaux à la suite d’une acquisition du contrôle par une personne ou par un groupe de personnes.

[5]        Les présents motifs portent principalement sur l’un des attributs fiscaux de l’intimée, soit les pertes autres que les pertes en capital. Pour les motifs abordés par la Cour de l’impôt (au paragraphe 87), les conclusions qui ont été tirées relativement à cet attribut fiscal s’appliquent également aux autres attributs en litige.

[6]        En guise de contexte, l’une des questions en litige dans le présent appel est de déterminer si l’objet et l’esprit de l’élément portant sur l’acquisition du contrôle, au paragraphe 111(5) de la Loi, sont entièrement exprimés dans le libellé de cette disposition. Dans l’affirmative, la RGAÉ ne pourrait s’appliquer à une opération uniquement au motif que l’opération contrecarre l’objet et l’esprit de cet élément. À ce que je sache, c’est la première fois que cette question est portée devant la Cour.

[7]        Pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai conclu que l’appel de la Couronne devrait être accueilli.

B.    Aperçu des faits

[8]        Une description détaillée des faits est incluse dans les motifs de la Cour de l’impôt. La présente section donne un aperçu de l’arrangement. D’autres faits, au besoin, seront introduits dans l’analyse.

Le plan en vue de monétiser les attributs fiscaux

[9]        Durant les années ayant précédé les opérations en litige, l’intimée a mené des activités de recherche sur les médicaments et les additifs alimentaires, sous le nom de Forbes Medi-Tech Inc. Ses actions étaient inscrites à la Bourse de Toronto et à la Bourse NASDAQ.

[10]      En 2007, l’intimée a connu de graves problèmes de liquidités et a commencé à étudier les possibilités d’utiliser ses attributs fiscaux de manière à tirer parti de leur valeur. L’arrangement conclu est décrit ci-dessous.

La restructuration préliminaire

[11]      Le 27 février 2008, l’intimée et ses actionnaires ont entrepris une restructuration de l’entreprise sous la forme d’un échange d’actions visant, en partie, à permettre un arrangement de monétisation d’une perte fiscale. La restructuration a été réalisée selon un plan d’arrangement approuvé par un tribunal, aux termes duquel les actionnaires de l’intimée devaient échanger leurs actions contre les actions d’une société nouvellement constituée (New Forbes). Ainsi, les actions de New Forbes ont été cotées en bourse en remplacement des actions de l’intimée, et l’intimée est devenue une filiale à cent pour cent de New Forbes.

Entente avec Matco Capital Ltd.

[12]      Le 19 mars 2008, l’intimée et son nouvel actionnaire, New Forbes, ont conclu une entente avec Matco Capital Ltd. (Matco), qui a fourni un cadre pour l’arrangement de monétisation de l’attribut fiscal (la convention d’investissement ou la convention). Matco est une société de capital-risque qui a par le passé participé à des opérations semblables à celle-ci.

[13]      En résumé, la convention d’investissement prévoyait ce qui suit :

a)    l’entreprise actuelle de l’intimée (à l’exception de ses attributs fiscaux) serait transférée à New Forbes;

b)    New Forbes aurait le droit de recevoir une somme précise pour les attributs fiscaux (3,8 millions de dollars, avec certains ajustements positifs potentiels). De cette somme, 3 millions de dollars seraient versés immédiatement et une somme de 800 000 $ serait versée un an plus tard.

c)    New Forbes laisserait les rênes de l’intimée à Matco.

[14]      Comme je l’explique ci-dessous, ces arrangements devaient permettre d’éviter que Matco acquière le contrôle de l’intimée, ou obtienne un droit d’en acquérir le contrôle. Le présent aperçu ne décrit pas toutes les dispositions de la convention concernant le contrôle. Certaines seront abordées plus loin dans les motifs, dans le cadre de l’analyse portant sur la RGAÉ.

[15]      La contre-partie immédiate, de 3 millions de dollars, serait initialement versée par Matco à l’intimée en contre-partie d’une débenture convertible qui serait émise par l’intimée. Pour plus de simplicité, la somme de 3 millions de dollars, et les autres sommes indiquées dans les présents motifs, sont approximatives. La différence entre les sommes approximatives et les sommes réelles n’a pas d’importance pour le présent appel.

[16]      La débenture convertible pourrait être convertie, au choix de Matco, en actions ordinaires avec droit de vote et sans droit de vote de l’intimée, ce qui donnerait à Matco 79 p. cent des actions à revenu variable et 35 p. cent des actions avec droit de vote, après dilution totale. La contrepartie pour la débenture représentait 79 p. cent de la somme totale (3,8 millions de dollars) que New Forbes était autorisée à recevoir de Matco pour les attributs fiscaux.

[17]      À l’émission de la débenture, New Forbes continuerait à posséder toutes les actions émises de l’intimée, à l’exception d’une quantité nominale d’actions qui avaient été émises afin d’empêcher que la convention d’investissement ait valeur de convention unanime des actionnaires, ce qui aurait pu avoir une incidence sur le contrôle. À la suite de l’émission de la débenture, les actions de l’intimée que possédait New Forbes représenteraient 21 p. cent des actions à revenu variable et 65 p. cent des actions avec droit de vote, après dilution.

[18]      La convention prévoyait également que l’actif existant et les dettes de l’intimée, ainsi que la contre-partie de 3 millions de dollars versée pour la débenture, seraient transférés à New Forbes. Ainsi, l’intimée conserverait ses attributs fiscaux et deviendrait en fait une coquille sans actif et avec une seule dette; une obligation de verser le capital et les intérêts à Matco aux termes de la débenture convertible.

[19]      L’arrangement prévoyait que Matco utiliserait son expertise pour organiser l’acquisition de l’intimée lors d’un premier appel public à l’épargne (PAPE) ou d’une opération similaire. La convention faisait référence à cette opération comme à une « occasion d’affaires ». Les fonds obtenus grâce à cette occasion d’affaires seraient utilisés par l’intimée pour démarrer une nouvelle entreprise qui ferait des bénéfices et utiliserait les attributs fiscaux. Un PAPE, ou une opération similaire, était essentiel au plan, parce que les attributs fiscaux s’éteindraient si l’intimée était acquise par une « personne ou par un groupe de personnes ». Comme il est mentionné ci-dessous, un PAPE fournissait une occasion de s’assurer qu’une telle acquisition n’ait pas lieu.

[20]      Au moment de signer la convention, New Forbes a publié un communiqué annonçant qu’elle avait conclu une opération avec un investisseur privé, par laquelle New Forbes recevrait 3 millions de dollars de capital, et une somme additionnelle de 800 000 $ dans l’année suivante, avec rajustement positif possible de cette somme.

[21]      La mention dans le communiqué de la contre-partie additionnelle à recevoir dans l’année faisait référence à l’obligation de Matco, dans un délai d’un an, de faire une offre pour les 21 p. cent d’actions de New Forbes pour la somme d’au moins 800 000 $, ou de simplement verser la somme de 800 000 $ sans acquérir les actions. L’option dont disposait Matco de verser la somme additionnelle sans acquérir les actions était nécessaire pour éviter que Matco n’obtienne un contrôle de jure (ou contrôle de droit) dans l’éventualité où Matco ne pourrait organiser un PAPE ou une opération similaire.

[22]      La mention d’un rajustement positif possible de la somme de 800 000 $ fait référence à la possibilité que New Forbes puisse rejeter l’offre de Matco d’acheter les actions de l’intimée. New Forbes pourrait plutôt choisir de conserver les actions, lesquelles, à ce moment, pourraient s’échanger à la bourse pour un montant supérieur à 800 000 $ par le truchement d’un PAPE.

Le premier appel public à l’épargne et les événements qui ont suivi

[23]      Une fois les démarches initiales décrites ci-dessus achevées, Matco a entrepris d’organiser un PAPE ou une opération similaire.

[24]      En décembre 2008, Matco a entrepris des négociations avec Deans Knight Capital Management Ltd. (DK Capital Management) concernant l’acquisition proposée de l’intimée par le truchement d’un PAPE. L’intimée a changé son nom pour celui de Deans Knight Income Corporation en février 2009, et le PAPE est arrivé à échéance environ un mois plus tard.

[25]      L’intimée a obtenu 100 millions de dollars lors du PAPE. Selon le prospectus lié à l’appel à l’épargne, le produit de cet appel à l’épargne devait être géré par DK Capital Management et servir à l’achat de titres de créance de la société. Le prospectus indiquait que l’intimée disposait d’attributs fiscaux qui lui permettraient selon elle de réduire le revenu imposable de l’intimée. On y indiquait aussi qu’il existait un risque que [traduction] « l’Agence du revenu du Canada conteste avec succès le montant de ces attributs fiscaux ou leur utilisation par l’entreprise ». L’intimée devait avoir une durée de vie limitée de cinq ans après le PAPE.

[26]      Juste avant la clôture du PAPE, Matco a converti sa débenture en actions avec droit de vote et en actions sans droit de vote de l’intimée. Après la clôture, Matco a fait une offre à New Forbes afin de racheter toutes ses actions de l’intimée pour la somme de 800 000 $. L’offre a été acceptée.

[27]      Grâce à ces transactions, Matco a investi 3,8 millions de dollars et a acquis les actions de l’intimée d’une valeur à ce moment de 5 millions de dollars. New Forbes ne possédait plus aucune action de l’intimée et avait recouvré 3,8 millions de dollars.

[28]      Comme je l’ai indiqué plus tôt, l’intimée a déduit la majeure partie des attributs fiscaux durant les années d’imposition 2009 à 2012 afin de réduire la dette fiscale liée à l’entreprise portant sur des titres de créance. Le 16 juillet 2014, le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2009 à 2012 afin de refuser à l’intimée les déductions demandées.

C.   Dispositions législatives applicables

[29]      Le régime législatif pertinent applicable aux années d’imposition en litige est expliqué ci-dessous. Des extraits de ces dispositions sont présentés à l’annexe A.

Règle générale anti-évitement

[30]      L’article 245 de la Loi, appelé la RGAÉ, a été adopté en 1988 afin de lutter contre l’évitement fiscal abusif, les règles antiévitement particulières ne pouvant répondre à cet objectif de manière efficace.

[31]      La Cour suprême du Canada a fourni d’importantes directives concernant l’interprétation appropriée de l’article 245. Voir par exemple les arrêts Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 et Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721 [Copthorne].

[32]      Comme il est indiqué dans l’arrêt Copthorne (au paragraphe 33), l’article 245 exige que l’on détermine trois questions :

•      Y atil eu avantage fiscal?

•      L’opération ayant généré l’avantage fiscal étaitelle une opération d’évitement?

•      L’opération d’évitement ayant généré l’avantage fiscal était-elle abusive?

[33]      L’expression « avantage fiscal » est définie au paragraphe 245(1) de la Loi et inclut la réduction d’impôt.

[34]      L’expression « opération d’évitement » est définie au paragraphe 245(3) de la Loi. L’opération d’évitement s’entend d’une opération dont découle un avantage fiscal et qui n’est pas principalement effectuée pour un objet non fiscal véritable. L’opération d’évitement s’entend également de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont découle un avantage fiscal. L’arrêt Copthorne, au paragraphe 40, fournit une orientation sur la manière de déterminer si une opération faisant partie d’une série d’opérations constitue une opération d’évitement :

[...] il faut déterminer s’il y a eu une série, quelles opérations en font partie et si l’avantage fiscal découle de la série. La série d’opérations dont découle directement ou non un avantage fiscal tombe sous le coup du par. 245(3), sauf s’il est « raisonnable de considérer que [chacune des opérations de la série] est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable ».

[35]      En cas d’opération d’évitement, l’avantage fiscal qui découle de cette opération ou d’une série d’opérations dont fait partie cette opération doit être supprimé (paragraphe 245(2) de la Loi).

[36]      Toutefois, le paragraphe 245(4) de la Loi prévoit que l’avantage fiscal ne peut être supprimé, à moins que l’opération d’évitement soit abusive. Même si le terme « abus » n’est pas défini dans la Loi, la jurisprudence en traite abondamment.

[37]      Pour déterminer si une opération est abusive, la Cour doit effectuer une analyse en deux étapes (arrêt Copthorne, aux paragraphes 69 et 71). La première étape consiste à déterminer l’objet et l’esprit de la Loi, ou les raisons d’être qui sous-tendent les dispositions pertinentes de la Loi. La Cour doit ensuite déterminer si l’opération d’évitement est conforme à ces raisons d’être ou les contrecarre.

[38]      Si l’avantage fiscal découle d’une série d’opérations et non de l’opération d’évitement elle-même, la Cour doit concentrer son analyse sur l’opération d’évitement, mais l’examiner dans le contexte de la série d’opérations (arrêt Copthorne, au paragraphe 71).

[39]      À la seconde étape de l’analyse, la Couronne doit montrer clairement que l’opération a un caractère abusif (arrêt Copthorne, au paragraphe 72).

Pertes autres que des pertes en capital

[40]      Les pertes autres que des pertes en capital qui sont pertinentes dans le cadre du présent appel sont des pertes d’une entreprise. Ce type de pertes peut être reporté sur les trois exercices précédents et sur les 20 exercices suivants, afin de réduire le revenu imposable pour ces années (paragraphe 111(1)a) de la Loi).

[41]      S’il y a eu acquisition du contrôle de la société déficitaire par une personne ou par un groupe de personnes, le report des pertes autres que les pertes en capital est restreint (paragraphe 111(5)). Si la société déficitaire n’exerce plus les activités ayant entraîné les pertes, le report des pertes autres que les pertes en capital est expressément interdit.

[42]      Les dispositions de ce genre sur la restriction des pertes ne datent pas d’hier. Elles ont été introduites en 1958, puis améliorées en 1963 par l’introduction d’un critère sur l’acquisition du contrôle. En 1963, le ministre des Finances a affirmé que l’objet du critère sur l’acquisition du contrôle était de mettre fin à « un trafic des actions de sociétés qui ont fermé leurs portes, mais qui, du point de vue technique, ont le droit de reporter sur les années suivantes certaines pertes déductibles » (projet de loi C-95, « Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu », 2e lecture, Débats de la Chambre des communes, 26e lég., 1re sess., no 4 (16 octobre 1963), à la page 3637 [de la version anglaise {page 3822 de la version française}]). La loi de 1963 interdit le report de pertes d’entreprise si « le contrôle de la corporation a été acquis [...] par une ou plusieurs personnes [...] et la corporation n’exerçait pas [...] les affaires dans lesquelles la perte a été subie » (paragraphe 27(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148).

[43]      Cette loi a été ajustée au fil des ans, mais la restriction introduite en 1963 demeure valide encore de nos jours.

[44]      Il a été confirmé judiciairement que le terme « contrôle » figurant au paragraphe 111(5) de la Loi s’entendait du contrôle de jure (Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795). Il est généralement lié à la capacité, si l’on possède des actions de l’entreprise, d’élire la majorité des membres du conseil d’administration (arrêt Duha Printers, au paragraphe 36).

[45]      Pour que plusieurs actionnaires puissent exercer collectivement un contrôle de jure d’une société, il est nécessaire qu’il y ait un lien suffisant entre eux, notamment par une convention en matière de droits de vote, une entente pour agir de concert ou des liens commerciaux ou familiaux (Silicon Graphics Ltd. c. Canada, 2002 CAF 260, [2003] 1 CF 447, au paragraphe 36). Par conséquent, un PAPE qui permettrait à un grand nombre de personnes d’acquérir les actions d’une société pourrait donner lieu à une prise de contrôle sans l’acquisition d’un contrôle de jure.

[46]      La portée du paragraphe 111(5) a été élargie en 1979 afin d’inclure, entre autres choses, l’obtention d’un droit d’acquérir des actions si l’un des principaux objectifs de l’acquisition était d’empêcher l’application du paragraphe 111(5) (paragraphe 256(8) et alinéa 251(5)b) de la Loi).

[47]      La Loi comprend également d’autres dispositions déterminatives qui élargissent la portée du paragraphe 111(5) dans certaines circonstances précises. Ces dispositions sont décrites dans les motifs de la Cour de l’impôt (aux paragraphes 111 à 125).

D.   Décision de la Cour de l’impôt

[48]      La Cour de l’impôt s’est penchée sur deux questions : y avait-il eu acquisition du contrôle par Matco aux termes du paragraphe 256(8), et la RGAÉ s’appliquait-elle?

[49]      En ce qui concerne la première question en litige, la Cour de l’impôt devait déterminer si Matco avait acquis un droit de racheter la majorité des actions avec droit de vote de l’intimée, de telle sorte que les pertes étaient épuisées par l’application combinée du paragraphe 256(8), de l’alinéa 251(5)b) et du paragraphe 111(5) de la Loi. La Cour de l’impôt a jugé que Matco n’avait pas obtenu un droit de cette nature. Aucune des parties n’a contesté cette conclusion.

[50]      La seconde question en litige concernait la RGAÉ. Les deux premières questions de l’analyse relative à la RGAÉ ont été tranchées en faveur de la Couronne. Il y avait eu un avantage fiscal et une opération d’évitement. Ces conclusions ne sont pas contestées.

[51]      La Cour de l’impôt s’est ensuite demandé si les opérations pertinentes avaient un caractère abusif. Elle a d’abord examiné l’objet et l’esprit de l’alinéa 111(1)a), du paragraphe 111(5) et du paragraphe 256(8). La Cour a effectué une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de ces dispositions et a conclu ce qui suit (non souligné dans l’original) :

•      Tant l’objet que l’esprit de l’alinéa 111(1)a) « est d’offrir un allégement aux contribuables qui ont subi des pertes étant donné que l’État, quand il prélève un impôt sur le revenu, tire profit de leurs revenus » (au paragraphe 99).

•      L’objet et l’esprit du paragraphe 111(5) « appellent la restriction des manipulations des pertes d’une société par une nouvelle personne ou un nouveau groupe de personnes qui assume le contrôle effectif des actions de la société » (au paragraphe 134);

•      L’objet et l’esprit du paragraphe 256(8) consistent « à empêcher un contribuable de contourner les dispositions sur l’évitement fiscal en acquérant le contrôle sur les actions ou les droits de vote rattachés aux actions pour s’approprier le contrôle effectif d’une société » (au paragraphe 138).

[52]      La Cour de l’impôt devait ensuite déterminer si ces objectifs avaient été contrecarrés. La Cour a finalement conclu que la raison d’être du paragraphe 111(5) et du paragraphe 256(8) n’avait pas été contrecarrée, et qu’il n’y avait donc pas eu abus.

[53]      En ce qui concerne le paragraphe 111(5), la Cour, dans son analyse, s’est demandé si Matco avait un contrôle effectif sur les actions de l’intimée. La Cour de l’impôt a rejeté les observations de la Couronne, selon lesquelles les changements relatifs à la direction, aux activités commerciales, à l’actif, ou à la dénomination après un PAPE sont pertinents pour ce qui est de déterminer s’il y a eu changement concernant le contrôle effectif. La Cour de l’impôt a également rejeté l’argument selon lequel les changements au sein de l’actionnariat à la suite du PAPE étaient pertinents, parce qu’il n’y avait vraisemblablement pas de lien commun entre les actionnaires.

[54]      La Cour de l’impôt a conclu que l’on n’avait pas tenté de dénaturer les droits de Matco à l’égard de l’intimée, et que Matco n’avait pas concrètement le contrôle effectif de l’intimée, ou n’avait pas besoin de ce contrôle pour mener à bien le plan fiscal. L’intimée a participé de son plein gré aux opérations ayant permis l’utilisation des attributs fiscaux. En outre, l’intimée aurait pu, de son propre chef, s’associer à DK Capital Management pour réunir des fonds par la voie d’un PAPE et poursuivre l’exploitation de l’entreprise d’investissement sans l’aide ou la participation de Matco.

[55]      En ce qui concerne le paragraphe 256(8), la Cour, dans son analyse sur l’abus, s’est demandé si Matco avait un contrôle effectif sur les actions de l’intimée que possédait New Forbes. Ces actions représentaient un contrôle de jure. La Cour de l’impôt a rejeté les arguments de la Couronne, selon lesquels : 1) la convention d’investissement conférait à Matco le contrôle effectif sur les actions que détenait New Forbes; 2) l’intention de Matco, de New Forbes et de l’intimée avait toujours été que Matco acquière ces actions; et 3) Matco, New Forbes et l’intimée ont agi comme si Matco avait un contrôle effectif sur les actions.

E.    Les thèses des parties

[56]      Devant notre Cour, la Couronne n’a présenté des arguments qu’à propos de la RGAÉ, et plus précisément à propos de la question de l’abus. La Couronne a fait état de l’objet et de l’esprit de l’alinéa 111(1)a), du paragraphe 111(5) et du paragraphe 256(8), avant de passer à la question de savoir si les opérations avaient entraîné un évitement fiscal abusif.

[57]      La Couronne affirme que l’objectif de l’alinéa 111(1)a) est d’obtenir une image plus exacte du revenu d’un contribuable sur un certain nombre d’années.

[58]      Quant au paragraphe 111(5), la Couronne soutient que l’objet et l’esprit de la disposition font partie d’une politique générale de la Loi visant à interdire le transfert de pertes entre contribuables, sous réserve d’exceptions précises. La Couronne soutient que la raison d’être du critère sur l’acquisition du contrôle est de permettre une évaluation approximative du degré de continuité des intérêts des actionnaires nécessaire pour que les pertes d’une société puissent être utilisées pour réduire le revenu d’une nouvelle entreprise.

[59]      Quant au paragraphe 256(8), la Couronne soutient que la raison d’être de cette disposition est de lutter contre les structures qui sont conçues pour échapper au critère sur l’acquisition du contrôle du paragraphe 111(5), afin de permettre un échange non approprié de pertes.

[60]      Dans ses observations finales, la Couronne soutient que [traduction] « les transactions contournent hors de tout doute la raison d’être de l’alinéa 111(1)a), du paragraphe 111(5) et du paragraphe 256(8), et n’y sont pas conformes ». De plus, [traduction] « un évitement fiscal abusif découle des opérations effectuées, parce qu’elles ont permis d’éviter, de manière flagrante, une prise de contrôle de l’intimée, entraîné la cessation des activités ayant généré les attributs fiscaux, et complètement dissocié les intérêts des actionnaires dans cette ancienne entreprise de la nouvelle entreprise créée à la suite du PAPE ».

[61]      L’intimée a également traité de la question de l’abus. Elle a d’abord parlé de l’objet et de l’esprit du paragraphe 111(5). Elle affirme que la raison d’être du paragraphe 111(5) est entièrement reproduite dans son libellé, qui représente un choix politique clair du législateur. Quant au paragraphe 256(8), l’intimée affirme que le législateur voulait s’assurer que les contribuables ne puissent de manière artificielle éviter les prises de contrôle en obtenant, sans les exercer, des droits qui les mettraient dans une position de contrôle de jure.

[62]      En ce qui concerne les opérations en litige, l’intimée affirme que Matco n’a pas acquis le contrôle de l’intimée aux termes de la convention d’investissement ou, par ailleurs, [traduction] « cherché à contrôler sa destinée à son propre avantage ». L’intimée qualifie la convention d’investissement d’outil incitatif profitable aux deux parties, tout en prévoyant des conséquences si l’une ou l’autre des parties exerçait des activités qui pourraient nuire aux intérêts de l’autre partie.

F.    Discussion

La norme de contrôle

[63]      La norme de contrôle applicable en appel s’applique au présent appel. Les questions de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte et les questions de fait ainsi que les questions mixtes de droit et de fait (à l’exclusion des questions de droit isolables) doivent être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : voir l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

[64]      En ce qui a trait à la question de l’abus au paragraphe 245(4) de la Loi, les conclusions concernant l’objet et l’esprit de la loi doivent être examinées selon la norme de la décision correcte et les conclusions portant sur la question de savoir s’il y a abus compte tenu des faits particuliers sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante : Canada c. Oxford Properties Group Inc., 2018 CAF 30, [2018] 4 R.C.F. 3, au paragraphe 39.

La question en litige

[65]      Dans le présent appel, la Couronne affirme que l’arrangement avec Matco constitue un évitement fiscal abusif.

[66]      Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’analyse relative à la RGAÉ comporte trois questions. Les conclusions de la Cour de l’impôt relativement aux deux premières questions ne sont pas contestées. Par conséquent, nous poserons les hypothèses suivantes pour les besoins de cette analyse :

a)    L’avantage fiscal correspond à la réduction de la dette fiscale de l’intimée découlant de la déduction des attributs fiscaux (au paragraphe 73);

b)    La signature de la convention d’investissement, la restructuration de l’intimée elle-même, et l’ensemble des opérations connexes constituent les opérations d’évitement (au paragraphe 83).

[67]      Une clarification doit être apportée. Devant la Cour de l’impôt, la Couronne n’a pas soutenu que le PAPE faisait partie de la série d’opérations. Dans le présent appel, les parties conviennent maintenant que le PAPE représente un élément de la série d’opérations. Cette thèse est bien étayée par la preuve.

[68]      Je me pencherai maintenant sur la troisième question de l’analyse relative à la RGAÉ, soit la question de savoir s’il y a eu abus. Cette question comporte deux volets. Il faut d’abord déterminer l’objet et l’esprit des dispositions de la Loi qui sont invoquées, et ensuite déterminer si les opérations contrecarrent cet objectif.

[69]      La Couronne soutient qu’il y a eu abus, parce que les opérations contournent la restriction sur l’utilisation des pertes lors d’une prise de contrôle prévue au paragraphe 111(5), et la disposition déterminative du paragraphe 256(8). Toutefois, il n’est pas nécessaire dans le présent appel d’entreprendre une analyse relative à la question de l’abus en ce qui concerne le paragraphe 256(8). Le paragraphe 111(5) de la Loi est la disposition la plus appropriée, parce qu’il fait référence en termes généraux à une prise de contrôle d’une société. Le paragraphe 256(8) fait référence à un droit concernant des actions qui, s’il était exercé, entraînerait une acquisition du contrôle. Pour les présents motifs, il suffit de se concentrer sur le paragraphe 111(5).

Étape 1 de l’analyse relative à la question de l’abus — Quel est l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5)?

[70]      La Cour de l’impôt a effectué une analyse textuelle, contextuelle et téléologique détaillée du paragraphe 111(5) et a déterminé que l’objet et l’esprit de cette disposition « appellent la restriction des manipulations des pertes d’une société par une nouvelle personne ou un nouveau groupe de personnes qui assume le contrôle effectif des actions de la société » (au paragraphe 134).

[71]      Je souscris à la conclusion de la Cour de l’impôt en ce qui concerne l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5), essentiellement pour les mêmes raisons que celles qu’elle a présentées dans ses motifs (aux paragraphes 100 à 134). Les extraits pertinents des motifs sont reproduits à l’annexe A.

[72]      Toutefois, l’énoncé de la Cour de l’impôt concernant la raison d’être du paragraphe 111(5) manque de clarté. Les observations présentées à notre Cour à propos de ce qu’entendait la Cour de l’impôt par « contrôle effectif » le montrent bien. Je reformulerais l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5) dans les termes suivants : il vise à restreindre l’utilisation de certaines pertes, y compris les pertes autres que les pertes en capital, lorsqu’une personne ou un groupe de personnes acquiert le contrôle réel des actions d’une société, par un contrôle de jure ou autrement.

[73]      J’ai remplacé l’expression « contrôle effectif » par l’expression « contrôle réel ». Dans leurs observations, les parties ont présumé que la Cour de l’impôt utilisait l’expression « contrôle effectif » en tant que synonyme du contrôle de jure. Comme le montrent les motifs de la Cour de l’impôt au paragraphe 144, et l’emploi par la Cour du terme « manipulations » au paragraphe 134, il est clair que, pour la Cour, l’expression « contrôle effectif » ne signifiait pas la même chose que contrôle de jure. J’ai changé l’expression pour éviter toute autre confusion.

[74]      Je me pencherai maintenant sur les arguments de l’intimée à propos de cette question. L’intimée demande à notre Cour de conclure que l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5) de la Loi sont pleinement exprimés par son libellé, c’est-à-dire que l’objet et l’esprit de la disposition sont de restreindre les reports de pertes uniquement s’il y a acquisition d’un contrôle de jure. L’intimée fait référence au libellé du paragraphe 111(5), à l’historique de la disposition, à la réintroduction en 2013 du critère des capitaux propres à l’article 256.1, à l’utilisation intensive dans la Loi d’un critère de contrôle de facto, ou contrôle de fait, (y compris la vaste disposition déterminative introduite en 2017 au paragraphe 256(5.11)), et aux restrictions dans des circonstances précises mentionnées au paragraphe 256(7).

[75]      L’intimée soutient que ces facteurs montrent que le législateur a rédigé des dispositions minutieuses et précises pour restreindre les reports de pertes, et que le choix politique retenu durant les années d’imposition en litige était que les reports de pertes seraient autorisés, à moins qu’il y ait acquisition du contrôle conformément aux dispositions de la Loi.

[76]      Je ne souscris pas à cet argument. Le législateur a adopté plusieurs règles anti-évitement particulières qui s’appliquent à une société disposant de pertes inutilisées autres que des pertes en capital, mais ces règles ne sont pas le reflet d’une politique selon laquelle la RGAÉ n’est pas applicable à ces pertes. Plus précisément, les différentes règles anti-évitement traitent de circonstances différentes. Elles ne fonctionnent pas comme un tout fournissant un régime exhaustif entièrement illustré dans le libellé des dispositions. De plus, la thèse de l’intimée va à l’encontre de la conclusion de notre Cour, selon laquelle la RGAÉ s’applique aux opérations qui permettent de contourner les règles anti-évitement particulières prévues au paragraphe 256(7) de la Loi (Birchcliff Energy Ltd. c. Canada, 2019 CAF 151, aux paragraphes 54 et 55).

[77]      De plus, dans une analyse relative à la RGAÉ, un tribunal doit appliquer une méthode textuelle, contextuelle et téléologique unifiée pour circonscrire l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes (arrêt Copthorne, au paragraphe 70). La méthode suggérée par l’intimée ne tient pas suffisamment compte de l’élément téléologique.

[78]      Deux facteurs téléologiques éclairent la raison d’être du paragraphe 111(5) : des énoncés clairs de l’intention du législateur et la jurisprudence reconnaissant que la Loi vise en général à prévenir le transfert de pertes.

[79]      Je renverrais à la déclaration faite par le ministre des Finances en 1963, mentionnée ci-dessus, qui expliquait la nécessité d’une disposition sur l’acquisition du contrôle. Comme je l’ai indiqué au paragraphe 42 ci-dessus, la disposition a été introduite afin d’empêcher les arrangements visant un trafic des actions de sociétés ayant le droit de reporter sur les années suivantes certaines pertes déductibles.

[80]      Je renverrais également à un article publié dans la Revue fiscale canadienne en 1988, au moment de l’introduction de la RGAÉ, et qui parle précisément des reports de pertes. Un haut fonctionnaire du ministère des Finances, David Dodge, a affirmé qu’un des objectifs de la RGAÉ était de s’attaquer à l’érosion des recettes fiscales, notamment à l’important déficit des recettes fiscales anticipées qui [traduction] « est considéré comme étant causé principalement par l’application non prévue de reports de pertes » (David Dodge, « A New and More Coherent Approach to Tax Avoidance » (1988), 36 Rev. fiscale can. 1, à la page 3). Il ne pourrait être plus clair que le gouvernement pensait en 1988 que le libellé des restrictions sur l’utilisation des pertes autres que des pertes en capital n’exprimait pas totalement l’objectif de la loi.

[81]      Quant à ce qu’ont affirmé les tribunaux, comme l’a souligné la Cour de l’impôt (au paragraphe 142), la Cour suprême du Canada a reconnu que « la Loi de l’impôt sur le revenu a comme politique générale d’interdire le transfert de pertes entre contribuables, sous réserve d’exceptions précises » et que « [c]ette politique n’est qu’un seul des facteurs à considérer pour déterminer l’intention du législateur » (Mathew c. Canada, 2005 CSC 55, [2005] 2 R.C.S. 643, au paragraphe 49). Il s’agit là d’un facteur téléologique dont doit tenir compte la Cour en plus des facteurs textuels et contextuels soulevés par l’intimée.

[82]      L’intimée affirme en outre que, s’il est déterminé que l’objet ou l’esprit du paragraphe 111(5) de la Loi couvre davantage que le contrôle de jure, il s’agit donc du critère du contrôle de facto. L’intimée souligne que le législateur a adopté des dispositions sur le contrôle de facto ailleurs dans la Loi, comme les règles sur les sociétés associées, et qu’il a choisi de ne pas le faire concernant le paragraphe 111(5). Elle voit là un indice de l’intention du législateur.

[83]      Il est vrai que l’objet ou l’esprit du paragraphe 111(5), tel qu’il est formulé ci-dessus, inclut des formes de contrôle de jure et de contrôle de facto. Toutefois, le critère du contrôle réel est différent du critère du contrôle de facto du paragraphe 256(5.1) de la Loi. De plus, il faut se rappeler que la RGAÉ a pour but de compléter les dispositions de la Loi, en visant l’évitement fiscal abusif. Je ne vois rien d’incohérent dans la conclusion selon laquelle l’objet ou l’esprit du paragraphe 111(5) prend en considération différentes formes de contrôle, même si le libellé de la disposition se limite au contrôle de jure.

[84]      Je pourrais également renvoyer à l’arrêt Duha Printers, dans lequel la Cour suprême du Canada a examiné des opérations conçues pour contourner le critère du contrôle de jure du paragraphe 111(5) de la Loi. La Cour suprême a indiqué que la norme du contrôle de jure a été retenue « parce qu’à certains égards elle représente un concept pertinent et relativement certain et prévisible pour l’examen du contrôle » (au paragraphe 58). La Cour suprême a également affirmé (au paragraphe 52) que, si la distinction entre le contrôle de jure et le contrôle de facto devait être éliminée, il devrait appartenir au législateur de le faire.

[85]      Le législateur n’a pas réagi. Même si le législateur n’a pas modifié le critère du contrôle de jure du paragraphe 111(5), il a toutefois adopté la RGAÉ, afin de répondre de manière générale à l’évitement fiscal abusif. Je souligne que la RGAÉ a été adoptée quelques années après la mise en œuvre des opérations indiquées dans l’arrêt Duha Printers.

[86]      Par conséquent, je rejette l’argument de l’intimée, selon lequel l’objet ou l’esprit du paragraphe 111(5) est entièrement exprimé dans le libellé.

[87]      Je ferais également quelques brefs commentaires concernant deux arguments additionnels avancés par l’intimée à l’audience.

[88]      D’abord, l’intimée invoque une disposition anti-évitement particulière, le paragraphe 256.1(3) de la Loi, qui a été adoptée après les années d’imposition en cause. L’intimée soutient que cette disposition reconnaît implicitement que le législateur entendait que les opérations en cause étaient acceptables, tant que Matco ne faisait pas l’acquisition de plus de 75 p. cent des capitaux propres de l’intimée.

[89]      Je ne suis pas du même avis. Le paragraphe 256.1(3) constitue une autre règle anti-évitement particulière ciblant le trafic d’actions de sociétés déficitaires. Il traite précisément des circonstances entourant les acquisitions de capitaux propres. La disposition ne remplace pas le paragraphe 111(5) et elle ne prouve pas que le législateur voulait que les opérations en litige soient acceptables si les titres de participation de Matco demeuraient dans les limites fixées à l’article 256.1.

[90]      Ensuite, l’intimée soutient que la Cour devrait tenir compte des autres attributs fiscaux qui sont en litige. Elle souligne que certains de ces attributs concernent des dispositions incitatives conçues pour générer une activité économique qui profite au Canada. Les attributs fiscaux auxquels l’intimée fait référence concernent des mesures incitatives visant les dépenses en recherche scientifique et en développement expérimental. Je ne suis pas du même avis que l’intimée, parce qu’elle met l’accent uniquement sur l’aspect incitatif de la disposition législative et non sur l’aspect anti-évitement qui est pertinent pour le présent appel.

[91]      Quant aux observations de la Couronne, cette dernière demande à la Cour de considérer que la Loi renferme une politique générale selon laquelle les pertes ne sont pas transférables. Elle soutient que l’objet ou l’esprit du paragraphe 111(5) englobe les cas où il y a absence de continuité parmi les actionnaires. L’accent porte sur un changement d’actionnaires, et non sur un changement du contrôle.

[92]      La Cour de l’impôt a rejeté cet argument, renvoyant à l’arrêt Mathew, au paragraphe 49 : « Cette politique n’est qu’un seul des facteurs à considérer pour déterminer l’intention du législateur ». J’ai conclu qu’il n’est pas nécessaire dans le présent appel de traiter de l’argument de la Couronne parce que, même si l’on ne tient pas compte de cet argument, l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5) ont été contrecarrés. Par conséquent, l’argument de la Couronne quant à l’objet et à l’esprit du paragraphe 111(5) pourra être examiné à une autre occasion.

[93]      Pour ces motifs, je conclus que l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5) sont au moins en partie de restreindre l’utilisation de certaines pertes, y compris les pertes autres que les pertes en capital, lorsqu’une personne ou un groupe de personnes acquiert le contrôle réel des actions d’une société, par un contrôle de jure ou autrement.

Étape 2 de l’analyse relative à la question de l’abus – Est-ce qu’une opération donne lieu à un abus?

[94]      Dans la deuxième étape de l’analyse relative à la question de l’abus, la Cour doit déterminer s’il existe une opération d’évitement qui donne lieu à un abus dans l’application des dispositions de la Loi. La décision de la Cour de l’impôt doit être examinée selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins que la question ne comporte une question de droit isolable.

[95]      La Cour de l’impôt s’est demandé s’il y avait eu abus dans l’application du paragraphe 111(5) de la Loi, en soi, et aussi s’il y avait eu abus dans l’application du paragraphe 256(8) de la Loi ainsi que du paragraphe 111(5). Comme je l’ai indiqué plus tôt, il n’est pas nécessaire pour les besoins du présent appel d’examiner le paragraphe 256(8).

[96]      Comme je l’ai expliqué à l’étape un de l’analyse, l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5) sont de restreindre l’utilisation de pertes autres que des pertes en capital s’il y a eu acquisition du contrôle réel des actions d’une société, que ce soit par un contrôle de jure ou autrement.

[97]      À l’étape un de son analyse, la Cour de l’impôt s’est dite d’accord avec un auteur qui affirmait que « le critère de l’acquisition du contrôle du paragraphe 111(5) permet de déterminer si la société participe librement à une opération ou si elle en est une participante passive » (au paragraphe 134). À l’étape deux, la Cour de l’impôt a conclu que Matco n’avait pas un contrôle effectif de l’intimée et que l’intimée avait participé de son plein gré aux opérations ayant permis l’utilisation des attributs fiscaux (aux paragraphes 150 et 152).

[98]      Sauf mon respect, la conclusion de la Cour de l’impôt à l’étape deux est contraire aux modalités de la convention d’investissement. Ces modalités donnaient à Matco le contrôle réel des actions de l’intimée, y compris l’approbation de l’occasion d’affaires.

[99]      La convention d’investissement traite séparément de la question du contrôle en général, et du contrôle concernant l’approbation de l’occasion d’affaires.

[100]   Pour ce qui est du contrôle en général, la convention prévoit d’importantes restrictions concernant les activités que peuvent entreprendre New Forbes et l’intimée (article 6.1 de la convention). Pour assurer le respect de ces restrictions, la convention prévoit que le droit de New Forbes au paiement additionnel de 800 000 $ à venir dans l’année (la somme garantie) sera annulé si New Forbes ne se conforme pas à ses obligations (alinéa 8.3(a) de la convention).

[101]   Voici quelques-unes des principales restrictions à l’article 6.1 de la convention :

(i)    New Forbes ne doit conclure aucun contrat ni aucune entente concernant l’intimée;

(ii)   L’intimée ne doit participer à aucune activité autre que celles liées à l’occasion d’affaires, et New Forbes devra s’assurer que l’intimée se conforme à cette obligation;

(iii)  New Forbes doit faire tous les efforts commerciaux raisonnables pour satisfaire à son obligation de collaborer avec Matco dans la mise en œuvre de l’occasion d’affaires (ou faire en sorte que son obligation soit satisfaite).

[102]   Quant aux modalités de la convention concernant l’approbation de l’occasion d’affaires, la convention autoriserait New Forbes et l’intimée à accepter ou à rejeter l’occasion d’affaires, à leur entière discrétion (article 4.1 de la convention). Cela ne règle toutefois pas la question. Si l’occasion d’affaires est rejetée par New Forbes ou par l’intimée, cela entraîne la perte de la somme garantie (alinéa 5.5(d) de la convention).

[103]   Le fait que la somme garantie de 800 000 $ ne représentait pas une somme négligeable a son importance, et cette garantie constituait un élément important de la convention pour New Forbes. Quant au montant de la garantie, Matco acceptait de verser à New Forbes la somme de 800 000 $ pour les 21 p. cent de capital-actions de l’intimée qu’elle possédait. Fait important, le droit qu’avait New Forbes à la somme garantie constituait la seule assurance qu’elle avait qu’elle recevrait plus de 3 millions de dollars pour les attributs fiscaux. La somme garantie devait être versée à New Forbes peu importe que l’occasion d’affaires se matérialise ou non. Ce point est important, parce que la preuve montre qu’il existait un risque réel que l’occasion d’affaires ne se réalise pas. Le cas échéant, il n’y aurait pas de marché public pour les actions que possédait New Forbes, comme cela aurait été le cas avec un PAPE.

[104]   Ainsi, il n’existait aucune réelle probabilité que New Forbes ou l’intimée rejette l’occasion d’affaires.

[105]   En raison de toutes ces restrictions, la convention d’investissement a amené New Forbes et l’intimée à céder le contrôle effectif de l’intimée à Matco. New Forbes et l’intimée ne pouvaient en réalité rien faire concernant les actions de l’intimée, si ce n’est de remplir leur obligation d’aider Matco avec la mise en œuvre de l’occasion d’affaires. Elles ne pouvaient agir librement.

[106]   Je tiens à préciser que la Cour de l’impôt a tiré une conclusion factuelle générale concernant le processus d’approbation du PAPE. Sans plus d’information, cette conclusion pourrait laisser entendre que New Forbes et l’intimée ont agi librement lors du processus d’approbation. Tel n’était pas le cas.

[107]   La Cour a affirmé (au paragraphe 32) que le conseil d’administration de l’intimée avait examiné la proposition, mené une enquête sur les antécédents de DK Capital Management, et finalement approuvé la proposition.

[108]   Il ne faudrait pas en déduire que l’intimée et New Forbes ont agi librement quand est venu le temps d’approuver le PAPE. Les témoignages indiquent que New Forbes a mené une enquête sur les antécédents de DK Capital Management, mais il s’est agi d’une enquête très succincte visant à s’assurer que l’entreprise ne disparaîtrait pas du jour au lendemain puisque le nom de Forbes y serait associé. En outre, il y a eu des discussions détaillées au sujet du PAPE, mais ces discussions n’avaient rien à voir avec le processus d’approbation. Elles portaient sur la collaboration que New Forbes serait tenue d’offrir dans la mise en œuvre du PAPE. À cet égard, l’on a fait mention de la préparation des déclarations de revenus de 2008 et de la nécessité d’obtenir la validation par KPMG des états financiers (dossier d’appel, aux pages 1659 à 1664).

[109]   Il convient également de rappeler ici que la Cour de l’impôt a indiqué que Matco n’avait pas besoin du contrôle de l’intimée pour mener à bien le plan fiscal. New Forbes aurait pu organiser un PAPE sans l’aide et la participation de Matco (au paragraphe 151).

[110]   Cette remarque n’est pas pertinente pour les besoins de l’analyse. Pour déterminer s’il y a eu abus, il faut déterminer si l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes ont été contrecarrés par les opérations qui ont été effectuées. Il importe peu de savoir s’il existait une autre opération potentielle n’ayant pas été réalisée.

[111]   À mon avis, la conclusion de la Cour de l’impôt à l’étape deux de l’analyse n’est pas étayée par la preuve. La norme de contrôle à appliquer est celle de déterminer s’il y a eu erreur manifeste et dominante. En l’espèce, l’erreur satisfait à ce critère rigoureux (Hydro-Québec c. Matta, 2020 CSC 37, au paragraphe 33, et Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344, au paragraphe 62).

[112]   L’erreur est manifeste parce qu’il est évident que la conclusion de la Cour de l’impôt est contraire aux modalités de la convention d’investissement, et elle est dominante parce qu’elle influe sur l’issue de l’affaire.

[113]   Comme je l’ai indiqué plus tôt, il incombe à la Couronne de prouver clairement que les opérations ont un caractère abusif. Devant notre Cour, la Couronne a prouvé que, grâce à la convention d’investissement, les opérations [traduction] « ont permis d’éviter, de manière flagrante, une prise de contrôle de l’intimée ». L’intimée a semblé laisser entendre qu’il s’agissait d’un abus dans l’application du paragraphe 256(8) et du paragraphe 111(5) pris ensemble. J’ai conclu qu’il y a eu abus dans l’application du paragraphe 111(5) uniquement. Toutefois, la question importe peu. La Couronne a clairement démontré que les opérations ont un caractère abusif.

Conclusion et dispositif

[114]   Pour les motifs énoncés ci-dessus, les conditions légales pour l’application de la RGAÉ ont été satisfaites. Il est admis et clair qu’il existe un avantage fiscal correspondant à la déduction des attributs fiscaux. Il est également admis et clair qu’il y a eu des opérations d’évitement. À cet égard, les opérations liées à la convention d’investissement sont des opérations d’évitement, parce qu’elles font partie d’une série d’opérations dont découle l’avantage fiscal, et que ces opérations n’ont pas été effectuées principalement pour des objets véritables autres que l’obtention d’un avantage fiscal. En outre, les opérations d’évitement contournent le paragraphe 111(5) de la Loi, d’une manière qui contrecarre l’objet et l’esprit de cette disposition. Par conséquent, en application du paragraphe 245(2) de la Loi, l’avantage fiscal devrait être refusé.

[115]   Par conséquent, j’accueillerais l’appel devant la présente Cour, j’annulerais le jugement de la Cour de l’impôt et je rejetterais l’appel devant la Cour de l’impôt.

[116]   L’intimée a demandé la possibilité de présenter des observations concernant les dépens. La règle habituelle veut que les dépens suivent l’issue de la cause. Par conséquent, la Couronne, à titre de partie ayant gain de cause, devrait présenter d’abord ses observations. Ces observations ne doivent pas dépasser cinq pages et doivent être déposées dans les dix jours suivant la date des présents motifs. L’intimée peut déposer des observations en réponse ne dépassant pas cinq pages dans les dix jours suivant la réception des observations de la Couronne. La Couronne peut déposer une réponse de deux pages dans les cinq jours suivant la réception des observations de l’intimée.

Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Laskin, J.C.A. : Je suis d’accord.

ANNEXE A

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1

Pertes déductibles

111 (1) Pour le calcul du revenu imposable d’un contribuable pour une année d’imposition, peuvent être déduites les sommes appropriées suivantes :

Pertes autres que des pertes en capital

a) ses pertes autres que des pertes en capital subies au cours des 20 années d’imposition précédentes et des 3 années d’imposition suivantes;

[…]

[Changement de contrôle]

(5) En cas d’acquisition, à un moment donné, du contrôle d’une société par une personne ou un groupe de personnes, aucun montant au titre d’une perte autre qu’une perte en capital ou d’une perte agricole pour une année d’imposition se terminant avant ce moment n’est déductible par la société pour une année d’imposition se terminant après ce moment et aucun montant au titre d’une perte autre qu’une perte en capital ou d’une perte agricole pour une année d’imposition se terminant après ce moment n’est déductible par la société pour une année d’imposition se terminant avant ce moment. Toutefois :

a) la fraction de la perte autre qu’une perte en capital ou de la perte agricole subie par la société pour une année d’imposition se terminant avant ce moment qu’il est raisonnable de considérer comme résultant de l’exploitation d’une entreprise et, si la société exploitait une entreprise au cours de cette année, la fraction de la perte autre qu’une perte en capital qu’il est raisonnable de considérer comme se rapportant à un montant déductible en application de l’alinéa 110(1)k) dans le calcul de son revenu imposable pour l’année, ne sont déductibles par la société pour une année d’imposition donnée se terminant après ce moment :

(i) que si, tout au long de l’année donnée, cette entreprise a été exploitée par la société en vue d’en tirer un profit ou dans une attente raisonnable de profit,

(ii) qu’à concurrence du total du revenu de la société provenant de cette entreprise pour l’année donnée et — dans le cas où des biens sont vendus, loués ou mis en valeur ou des services rendus dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise avant ce moment — de toute autre entreprise dont la presque totalité du revenu est dérivée de la vente, de la location ou de la mise en valeur, selon le cas, de biens semblables ou de la prestation de services semblables;

[…]

256 […]

Présomption d’exercice de droit

(8) Pour ce qui est de déterminer, d’une part, si le contrôle d’une société a été acquis pour l’application des paragraphes 10(10) et 13(24), de l’article 37, des paragraphes 55(2), 66(11), (11.4) et (11.5), 66.5(3) et 66.7(10) et (11), de l’article 80, de l’alinéa 80.04(4)h), du sous-alinéa 88(1)c)(vi), de l’alinéa 88(1)c.3), des articles 111 et 127 et des paragraphes 181.1(7), 190.1(6) et 249(4) et, d’autre part, si une société est contrôlée par une personne ou par un groupe de personnes pour l’application de l’article 251.1, le contribuable qui a acquis un droit visé à l’alinéa 251(5)b) afférent à une action est réputé être dans la même position relativement au contrôle de la société que si le droit était immédiat et absolu et que s’il l’avait exercé au moment de l’acquisition, dans le cas où il est raisonnable de conclure que l’un des principaux motifs de l’acquisition du droit consistait :

a) à éviter une restriction à la déductibilité d’une perte autre qu’une perte en capital, d’une perte en capital nette, d’une perte agricole ou de frais ou d’autres montants visés aux paragraphes 66(11), 66.5(3) ou 66.7(10) ou (11);

[…]

251 […]

Groupe Lié, droit d’achat ou de rachat et personne liée à elle-même

(5) Pour l’application du paragraphe (2) et de la définition de société privée sous contrôle canadien au paragraphe 125(7) :

[…]

b) la personne qui, à un moment donné, en vertu d’un contrat, en equity ou autrement, a un droit, immédiat ou futur, conditionnel ou non :

(i) à des actions du capital-actions d’une société ou de les acquérir ou d’en contrôler les droits de vote, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si elle était propriétaire des actions à ce moment, sauf si le droit ne peut être exercé à ce moment du fait que son exercice est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier,

(ii) d’obliger une société à racheter, acquérir ou annuler des actions de son capital-actions dont d’autres actionnaires de la société sont propriétaires, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si celle-ci rachetait, acquérait ou annulait les actions à ce moment, sauf si le droit ne peut être exercé à ce moment du fait que son exercice est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier,

(iii) aux droits de vote rattachés à des actions du capital-actions d’une société, ou de les acquérir ou les contrôler, est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si elle pouvait exercer les droits de vote à ce moment, sauf si le droit ne peut être exercé à ce moment du fait que son exercice est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier,

(iv) de faire réduire les droits de vote rattachés à des actions, appartenant à d’autres actionnaires, du capital-actions d’une société est réputée occuper la même position relativement au contrôle de la société que si les droits de vote étaient ainsi réduits à ce moment, sauf si le droit ne peut être exercé à ce moment du fait que son exercice est conditionnel au décès, à la faillite ou à l’invalidité permanente d’un particulier.

[…]

Définitions

245 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

attribut fiscal S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable. (tax consequences)

avantage fiscal Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal. (tax benefit)

[…]

opération Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement. (transaction)

Disposition générale anti-évitement

(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

(3) L’opération d’évitement s’entend :

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

Application du par. (2)

(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

(i) la présente loi,

(ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu,

(iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

(iv) un traité fiscal,

(v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

Attributs fiscaux à déterminer

(5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

a) toute déduction, exemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

b) tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

ANNEXE B

Extraits des motifs de la Cour de l’impôt [aux paragraphes 100 à 134] :

[100] Le paragraphe 111(5) restreignait la capacité d’une société de déduire des pertes autres qu’en capital et des pertes agricoles après l’acquisition du contrôle de la société par une personne ou un groupe de personnes. Les pertes pouvaient être déduites si l’exploitation à profit ou dans une expectative raisonnable de profit de l’entreprise qui avait subi les pertes se poursuivait, et ces pertes pouvaient être déduites uniquement du revenu de cette entreprise et, dans certaines circonstances, d’une entreprise semblable.

[101]   Le paragraphe 111(5) disposait :

En cas d’acquisition du contrôle d’une société par une personne ou un groupe de personnes, aucun montant au titre d’une perte autre qu’une perte en capital ou d’une perte agricole pour une année d’imposition se terminant avant ce moment n’est déductible par la société pour une année d’imposition se terminant après ce moment et aucun montant au titre d’une perte autre qu’une perte en capital ou d’une perte agricole pour une année d’imposition se terminant après ce moment n’est déductible par la société pour une année d’imposition se terminant avant ce moment. Toutefois :

a) la fraction de la perte autre qu’une perte en capital ou de la perte agricole subie par la société pour une année d’imposition se terminant avant ce moment qu’il est raisonnable de considérer comme résultant de l’exploitation d’une entreprise et, si la société exploitait une entreprise au cours de cette année, la fraction de la perte autre qu’une perte en capital qu’il est raisonnable de considérer comme se rapportant à un montant déductible en application de l’alinéa 110(1)k) dans le calcul de son revenu imposable pour l’année, ne sont déductibles par la société pour une année d’imposition donnée se terminant après ce moment :

(i) que si, tout au long de l’année donnée, cette entreprise a été exploitée par la société en vue d’en tirer un profit ou dans une attente raisonnable de profit,

(ii) qu’à concurrence du total du revenu de la société provenant de cette entreprise pour l’année donnée et – dans le cas où des biens sont vendus, loués ou mis en valeur ou des services rendus dans le cadre de l’exploitation de l’entreprise avant ce moment – de toute autre entreprise dont la presque totalité du revenu est dérivée de la vente, de la location ou de la mise en valeur, selon le cas, de biens semblables ou de la prestation de services semblables;

b) la fraction de la perte autre qu’une perte en capital ou de la perte agricole subie par la société pour une année d’imposition se terminant après ce moment qu’il est raisonnable de considérer comme résultant de l’exploitation d’une entreprise et, si la société exploitait une entreprise au cours de cette année, la fraction de la perte autre qu’une perte en capital qu’il est raisonnable de considérer comme se rapportant à un montant déductible en application de l’alinéa 110(1)k) dans le calcul de son revenu imposable pour l’année, ne sont déductibles par la société pour une année d’imposition donnée se terminant avant ce moment :

(i) que si, tout au long de l’année d’imposition et de l’année donnée, cette entreprise était exploitée par la société en vue d’en tirer un profit ou dans une attente raisonnable de profit,

(ii) qu’à concurrence du revenu que la société a tiré pour l’année donnée de cette entreprise et de toute autre entreprise dont la presque totalité des revenus provient de la vente, de la location ou de la mise en valeur de biens semblables aux biens vendus, loués ou mis en valeur ou de la prestation de services semblables aux services rendus dans le cadre de l’exploitation de cette entreprise avant ce moment.

[102]   La restriction rattachée au report de pertes prévue au paragraphe 111(5) jouait dès lors qu’il y avait eu « acquisition [...] du contrôle d’une société par une personne ou un groupe de personnes ».

[103]   Le législateur a introduit le critère de l’acquisition du contrôle aux fins de qualification d’une perte qui en théorie a été transférée à une partie non liée. L’intimée soutient que dans le cadre de la RGAÉ, le contrôle ne constituait pas vraiment un aspect important de l’objet et de l’esprit du paragraphe 111(5), mais je rejette cette thèse. La Cour d’appel fédérale enseigne que la « notion de contrôle est essentielle dans l’application du paragraphe 111(5) »[9]. Par conséquent, il s’agit d’un critère pertinent pour l’analyse de l’objet et de l’esprit de cette disposition. Ne pas en tenir compte serait contraire aux règles d’interprétation des [lois].

[104]   Depuis longtemps, la jurisprudence enseigne que le mot « contrôle » se rapporte au contrôle de jure au sens de la Loi. Dans l’arrêt Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, le juge Iacobucci fait remarquer :

35 Il est bien reconnu que, sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu, le « contrôle » d’une société s’entend normalement du contrôle de jure et non pas du contrôle de facto. Notre Cour a cité et approuvé à maintes reprises le critère suivant, énoncé par le président Jackett dans Buckerfield’s, précité, à la p. 507 :

[traduction] On pourrait sans doute adopter de nombreuses méthodes pour la définition du mot « contrôle » figurant dans un texte tel que la Loi de l’impôt sur le revenu. Il pourrait par exemple s’agir du contrôle exercé par les « dirigeants », lorsque les dirigeants et le conseil d’administration sont distincts, ou il pourrait s’agir du contrôle exercé par le conseil d’administration. […] Le mot « contrôle » pourrait peutêtre s’entendre du contrôle de fait exercé par un ou plusieurs actionnaires, qu’ils détiennent ou non la majorité des actions. Je suis d’avis cependant que, dans l’article 39 de la Loi de l’impôt sur le revenu [l’ancien article traitant des sociétés associées], le mot « contrôlées » évoque le droit de contrôle auquel donne lieu le fait de détenir un nombre d’actions tel qu’il confère la majorité des voix à leur détenteur dans l’élection du conseil d’administration. [Je souligne.]

Les arrêts dans lesquels notre Cour a appliqué le critère qui précède sont notamment Dworkin Furs, précité, et VinaRug (Canada) Ltd. c. Minister of National Revenue, 1968 CanLII 66 (SCC), [1968] R.C.S. 193[10].

[105]   Le paragraphe 111(5) ne joue que si le contrôle est acquis par « une personne ou un groupe de personnes ». La Loi ne donnait pas de définition des mots « groupe de personnes », mais voici ce qu’a décidé la Cour d’appel fédérale dans son arrêt Silicon Graphics Ltd. c. Canada : « [...] la simple possession d’une majorité mathématique d’actions par un ensemble d’actionnaires pris au hasard dans une société à grand nombre d’actionnaires [...] sans un lien commun ne constitue pas un contrôle de droit ainsi que le terme a été défini par la jurisprudence. »[11].

[106]    Le paragraphe 111(5) fait partie d’un ensemble de règles précises, énoncées dans les paragraphes 111(4) à (5.3), qui restreignent le report des pertes autres qu’en capital, des pertes en capital nettes, des pertes agricoles et des pertes non réalisées sur le capital, les immobilisations amortissables et admissibles appartenant à la société, ainsi que des créances douteuses. Ces dispositions jouent lorsqu’il y a acquisition du contrôle de la société du contribuable par une personne ou un groupe de personnes.

[107]    Le paragraphe 27(5), qui a servi de précurseur au paragraphe 111(5), a été intégré à la Loi en 1958. Son objet était d’empêcher le report à une année ultérieure des pertes d’une société dont la moitié du capital-actions avait été acquise par une personne ou des personnes qui, à la fin de l’année d’imposition précédente, ne possédaient aucune action du capital-actions de la société (le « critère du changement global de l’actuariat »). Cette disposition a été ajoutée concurremment à la modification de la Loi qui autorisait la déduction de pertes du revenu de l’une ou l’autre des entreprises exploitées par le contribuable.

[108]    En 1963, la Loi a été modifiée par ajout de l’alinéa 27(5)a), qui disposait que le report de pertes était exclu si le contrôle de la société avait été acquis par une personne ou des personnes qui n’avaient pas, à la fin de l’année précédente, le contrôle de la société.

[109]    En 1972, le paragraphe 27(5) a été remplacé par le paragraphe 111(5), lequel maintenait les restrictions concernant le report des pertes après l’acquisition du contrôle et exigeait que l’entreprise ayant subi les pertes continue d’être exploitée, mais qui permettait dorénavant le report de pertes en vue de leur déduction des revenus de toutes provenances d’un contribuable. Il convient de souligner que le critère du changement global de l’actionnariat n’a pas été intégré au paragraphe 111(5).

[110]   De 1981 à 1987, de nouvelles règles resserraient les restrictions sur les reports notamment par l’ajout de l’exigence que l’entreprise déficitaire continue d’être exploitée par la société à profit ou avec une attente raisonnable de profit. Le montant de la déduction a également été limité au revenu généré par cette entreprise et d’autres entreprises semblables. Depuis 1987, le paragraphe 111(5) est resté sensiblement inchangé.

[111]   Selon des dispositions ajoutées à la Loi, il y a ou non contrôle de jure dans des circonstances précises et créent une norme différente pour établir le contrôle d’une société à certaines fins de la Loi.

[112]   Le paragraphe 256(8), dont il a été question précédemment dans les présents motifs, élargit le concept du contrôle de jure au-delà de la stricte propriété des actions avec droit de vote d’une société en imposant la prise en considération les circonstances dans lesquelles l’acquisition du contrôle est réputée avoir eu lieu. Cette disposition vise l’exclusion du transfert d’attributs fiscaux par le contribuable qui voudrait faire jouer certains droits à l’égard d’actions avec droit de vote pour contourner l’acquisition de contrôle.

[113]   Là encore, le paragraphe 256(8) prévoit que si une personne acquiert un droit visé par l’alinéa 251(5)b) principalement pour se soustraire aux règles sur le transfert des pertes et à d’autres dispositions, le contribuable est réputé se trouver dans la même position relativement au contrôle de la société que si le droit avait été exercé au moment de l’acquisition.

[114]   Pour les années en cause, les droits suivants étaient visés par l’alinéa 251(5)b) :

–  un droit à des actions;

–  un droit d’acquérir des actions;

–  un droit de contrôler les droits de vote rattachés aux actions;

–  un droit d’obliger une société à racheter les actions appartenant à d’autres actionnaires;

–  un droit d’obliger une société à acquérir les actions appartenant à d’autres actionnaires;

–  un droit d’obliger une société à annuler les actions appartenant à d’autres actionnaires;

–  un droit aux droits de vote rattachés aux actions;

–  un droit d’acquérir des droits de vote rattachés aux actions;

–  un droit de contrôler des droits de vote rattachés aux actions;

–  un droit d’obliger la réduction des droits de vote rattachés aux actions appartenant à d’autres actionnaires.

[115]   Ainsi, le paragraphe 256(8) donne au ministre le droit de ne pas se limiter au registre des actions d’une société pour déterminer qui détient le contrôle essentiel sur les droits de vote rattachés aux actions de la société et en possède donc le contrôle réel.

[116]   Un autre élément contextuel entre en ligne de compte : le critère du contrôle de facto du paragraphe 256(5.1), qui élargit les facteurs déterminants du contrôle d’une société à certaines fins de la Loi. Le paragraphe 256(5.1) a été inséré dans la Loi en 1987 et prévoit que, sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes en l’espèce :

[...] lorsque l’expression « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, » est utilisée, une société est considérée comme ainsi contrôlée par une autre société, une personne ou un groupe de personnes [...] si, à ce moment, l’entité dominante a une influence directe ou indirecte dont l’exercice entraînerait le contrôle de fait de la société [...] »

[117]   Concurremment à l’adoption du paragraphe 256(5.1), diverses dispositions de la Loi ont été modifiées afin que le critère du contrôle de fait puisse s’y appliquer. Cependant, il n’a pas été adopté aux fins du paragraphe 111(5).

[118]   Il convient de répéter que l’élément cardinal du critère du contrôle de facto réside dans le contrôle des activités d’une société par le fait du contrôle exercé sur son conseil d’administration. Dans l’arrêt McGillivray Restaurant Ltd. c. Canada, le juge Ryer fait cette observation :

Le contrôle de fait, comme le contrôle de droit, porte sur le contrôle exercé sur le conseil d’administration et non sur le contrôle exercé sur les activités quotidiennes de la société. L’alinéa 256(1)b) et le paragraphe 256(5.1) font expressément référence au contrôle exercé sur une société et non au contrôle exercé sur les activités ou l’exploitation d’une société[12].

[119]   Le juge Ryer reprend à son compte une jurisprudence de la Cour, Silicon Graphics Ltd. c. Canada :

Par conséquent, je suis d’avis que pour que l’on puisse conclure à un contrôle de fait, une personne ou un groupe de personnes doivent avoir le droit et la capacité manifestes de procéder à une modification importante du conseil d’administration ou des pouvoirs du conseil ou d’influencer d’une façon très directe les actionnaires qui auraient autrement la capacité de choisir le conseil d’administration[13].

[120]   Par conséquent, les critères du contrôle de jure et de facto se distinguent uniquement par la portée des facteurs à examiner pour déterminer qui exerce le contrôle réel sur le conseil d’administration.

[121]   Selon l’appelante, l’insertion de l’article 256.1 à la Loi en 2013 doit aussi être considérée comme faisant partie du contexte pertinent du paragraphe 111(5) pour les années en cause.

[122]   Selon l’article 256.1, aux fins de certaines dispositions de la Loi dont le paragraphe 111(5), il y a acquisition réputée du contrôle d’une société quand la participation d’une personne ou d’un groupe de personnes passe à plus de 75 % de la valeur des actions en circulation de la société.

[123]   L’appelante soutient que l’article 256.1 marquait un changement de l’état du droit et que, avant son adoption, la Loi ne comportait aucune politique faisant un lien entre l’acquisition d’une participation financière importante dans une société et l’acquisition du contrôle aux fins du paragraphe 111(5).

[124]   Toutefois, il n’est pas nécessaire que je me penche sur cette thèse puisque la Cour d’appel fédérale a déjà discuté l’effet des modifications subséquentes à la Loi dans le cadre d’une interprétation des lois intégrée à son arrêt Canada c. Oxford Properties Ltd. Le juge en chef Noël observe :

La question de savoir si une modification clarifie ou modifie l’état antérieur du droit dépend de l’interprétation de l’état antérieur du droit et de la modification. Comme il a été expliqué, la Loi d’interprétation empêche de tirer une conclusion au sujet de l’effet juridique d’un nouveau texte sur l’état antérieur du droit au seul motif que le législateur l’a adopté. Dans cette perspective, la seule façon d’évaluer les incidences d’une modification sur l’état du droit antérieur consiste à déterminer l’effet juridique de la loi telle qu’elle existait avant la modification, puis à déterminer si la modification modifie ou clarifie cet effet juridique[14].

[125]   Enfin, les règles énoncées au paragraphe 256(7) établissent dans quelles circonstances le contrôle est réputé acquis ou non. Il y est fait mention de transferts d’actions entre des personnes liées, de réorganisations à l’intérieur d’un groupe de sociétés liées, de fusions et de prises de contrôle inversées. Dans toutes ces circonstances :

[traduction]

la dilution du contrôle, ou la perte de contrôle par une personne ou un groupe de personnes aux mains d’un groupe indéterminé ne sont pas considérées comme un abus, hormis dans certains contextes comme une fusion ou une prise de contrôle inversée. Dans ces circonstances uniquement, on peut considérer un groupe important d’actionnaires dans son ensemble pour déterminer à qui appartient le contrôle[15].

[126]   Pour ce qui est de l’objet, il est manifeste que le paragraphe 111(5) visait l’exclusion des échanges de pertes fiscales. La restriction concernant l’utilisation des pertes est assortie d’un petit nombre d’exceptions (le redressement d’une entreprise déficitaire et le transfert des pertes entre des sociétés sous contrôle commun).

[127]   Le paragraphe 111(5) reflète la politique générale de la Loi d’interdiction de l’échange de pertes entre des parties sans lien de dépendance. À l’occasion de l’affaire Mathew c. Canada, la Cour suprême du Canada a conclu que la Loi « a comme politique générale d’interdire le transfert de pertes entre contribuables, sous réserve d’exceptions précises » et « qu’en établissant ces exceptions le législateur a voulu favoriser la réalisation d’un objectif particulier à l’égard de certains rapports qui existent entre l’auteur et le bénéficiaire du transfert dans des circonstances précises » [16] .

[128]   Selon une certaine doctrine, l’interdiction du report des pertes après une acquisition de contrôle est motivée par le fait que la société est assimilable à un nouveau contribuable puisqu’elle a de nouveaux actionnaires.

[129]   Cette thèse a été formulée ainsi :

[traduction]

De prime abord et de manière générale, les politiques fiscales ne cautionnent pas les reports de pertes après un changement de contrôle. En principe, le contribuable ne peut pas utiliser à son profit les pertes d’un autre contribuable. Dans le cas d’une entité artificielle comme une société, on considère essentiellement qu’un changement de contrôle au sein d’une société en fait un nouveau contribuable puisque des actionnaires différents acquièrent indirectement le droit de tirer profit de sa réussite financière[17].

[130]   Voici une autre formulation de cette thèse :

[traduction]

Il faut en déduire qu’après un changement important parmi les actionnaires d’une société, elle ne doit pas normalement réclamer des pertes puisque les actionnaires qui ont subi les coûts financiers de ces pertes ont cessé de participer à ses activités[18].

[131]   Malgré la politique fiscale selon laquelle un changement important dans la participation au capital peut servir de fondement à une restriction en matière de report des pertes, ce critère a été supprimé de la version antérieure du paragraphe 111(5) en 1972, et il a fallu attendre 2013 pour qu’un critère semblable soit inséré au paragraphe 256.1. On pourrait en déduire que le législateur n’avait pas l’intention d’utiliser l’acquisition d’une participation importante dans une société déficitaire pour restreindre son droit de reporter ses pertes.

[132]   Selon toute vraisemblance, le législateur a opté pour le critère du contrôle de jure dans un objectif de certitude et de prévisibilité. Telle est la conclusion du juge Iacobucci dans l’arrêt Duha :

Il importe, au départ, de garder à l’esprit la distinction entre les critères du contrôle de jure et du contrôle de facto qu’ont énoncés les tribunaux. À mon avis, la norme de jure a été retenue parce qu’à certains égards elle représente un concept pertinent et relativement certain et prévisible pour l’examen du contrôle. De façon générale, l’expression de jure renvoie aux sources juridiques qui déterminent le contrôle; à savoir la loi qui régit la société et les actes constitutifs de cette dernière, y compris ses statuts et ses règlements administratifs. La notion de facto a été rejetée parce qu’elle oblige à vérifier qui exerce le contrôle de fait, ce qui peut conduire à une multitude d’indices susceptibles d’exister outre ces sources. Voir, par exemple, F. Iacobucci et D.¸ L. Johnston, « The Private or Closelyheld Corporation », dans J. S. Ziegel, dir., Studies in Canadian Company Law (1973), vol. 2, 68, aux pp. 108 à 112[19].

[133]   Le juge Iacobucci fait également remarquer que le critère de l’acquisition du contrôle constitue un moyen de déterminer qui assure le contrôle effectif ou ultime d’une société :

Toutefois, il faut reconnaître, au départ, que ce critère est vraiment une tentative de vérifier qui exerce un contrôle effectif sur les affaires et les destinées de la société. Autrement dit, bien que les administrateurs aient généralement, en vertu de la loi qui régit la société, le droit explicite de gérer la société, l’actionnaire majoritaire exerce indirectement ce contrôle en raison de sa capacité d’élire le conseil d’administration. Ainsi, c’est en réalité l’actionnaire majoritaire, et non pas les administrateurs euxmêmes, qui exerce un contrôle effectif sur la société. Le président Jackett a reconnu expressément cela en énonçant le critère de l’arrêt Buckerfield’s. En fait, la source invoquée à l’appui de ce critère est l’opinion incidente suivante que le lord chancelier, le vicomte Simon, a exprimée dans British American Tobacco Co. c. Inland Revenue Commissioners, [1943] 1 All E.R. 13, à la p. 15 :

[traduction] Les détenteurs de la majorité des voix dans une société sont ceux qui exercent un contrôle effectif sur ses affaires et ses destinées. [Je souligne.][20]

[134]   Une certaine doctrine enseigne que le critère de l’acquisition du contrôle du paragraphe 111(5) permet de déterminer si la société participe librement à une opération ou si elle en est une participante passive, à la solde d’une nouvelle personne ou d’un nouveau groupe de personnes dont le seul motif est de tirer avantage de ses pertes ou de ses attributs fiscaux[21]. Je retiens cette analyse et je conclus que l’objet et l’esprit du paragraphe 111(5) appellent la restriction des manipulations des pertes d’une société par une nouvelle personne ou un nouveau groupe de personnes qui assume le contrôle effectif des actions de la société.



[9] Canada c. Duha Printers (Western) Ltd., [1996] 50 DTC 6323 (CAF), au paragraphe 4.

[10] Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 RCS 795, aux paragraphes 35 et 36.

[11] Silicon Graphics Ltd. c. Canada, 2002 CAF 260, au paragraphe 36.

[12] McGillivray Restaurant Ltd. c. Canada, 2016 CAF 99, au paragraphe 46.

[13] Ibid, au paragraphe 35.

[14] Canada c. Oxford Properties Ltd., 2018 CAF 30, au paragraphe 86.

[15] M. Munoz, « Loss Utilization in Arm’s-Length Business Combinations », Canadian Tax Journal (2009), vol. 547, no 3, p. 660 à 698 (à la p. 692).

[16] Mathew c. Canada, 2005 CSC 55, au paragraphe 49.

[17] W.J. Strain, D.A. Dodge, V. Peters, « Tax Simplification: The Elusive Goal », 1988 CTF Conference Report, 4 :1 (p. 4-52).

[18] A. Nijhawan, « When Is Loss Trading Permissible? A Purposive Analysis of subsection 111(5) », CTF Conference Report, p. 9 :1 à 26 (p. 9 :5).

[19] Duha, précité, note 10, au paragraphe 58.

[20] Ibid., au paragraphe 36.

[21] M. Munoz, « Loss Utilization in Arm’s-Length Business Combinations », Canadian Tax Journal (2009), vol. 547, no 3, p. 660 à 698 (à la p. 694).

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