T-1797-19
2021 CF 853
Tellza Inc. (demanderesse)
c.
Le ministre du Revenu national (défendeur)
Répertorié : Tellza Inc. c. Canada (Revenu national)
Cour fédérale, juge Fuhrer—Par vidéoconférence, 14 octobre 2020; Ottawa, 19 août 2021.
Douanes et Accise — Loi sur la taxe d’accise — Contrôle judiciaire d’une lettre que l’Agence du revenu du Canada (ARC) a envoyée à la demanderesse, qui cherchait à faire annuler la lettre — La demanderesse exerce des activités dans le domaine des télécommunications et est un regroupeur de minutes d’appels interurbains — L’ARC a demandé à vérifier les déclarations de taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) de la demanderesse pour la période de déclaration du 1er novembre 2016 au 31 janvier 2018 — L’ARC a envoyé la lettre au titre de l’art. 288(1) de la Loi sur la taxe d’accise afin d’obtenir toutes les données comptables électroniques de la demanderesse pour cette période — La demanderesse a fait valoir que la lettre constituait une « exigence » et non une « requête » et que celle‑ci aurait donc dû être envoyée au titre de l’art. 289(1) de la Loi et non de l’art. 288(1) — Il s’agissait de savoir si la décision du défendeur de s’appuyer sur l’art. 288(1) de la Loi plutôt que sur l’art. 289(1) pour obtenir les données comptables de la demanderesse était raisonnable — La décision de l’ARC d’envoyer la lettre au titre de l’art. 288(1) de la Loi et non de l’art. 289(1) n’était pas déraisonnable — Compte tenu du contexte et de l’objet de la Loi, en tant que régime fiscal d’autocotisation et d’autodéclaration, de même que du sens ordinaire, grammatical et lexicographique des mots « inspecter, vérifier ou examiner », la décision de l’ARC de s’appuyer sur l’art. 288(1) de la Loi pour envoyer la lettre était justifiée — Selon l’art. 288(1) de la Loi, une personne autorisée peut inspecter, vérifier ou examiner les documents, les biens ou les procédés de personnes à qui la Loi confère des obligations de tenue de registres et de déclaration — L’objet de l’art. 288(1) se limite à déterminer les obligations dans le cadre de la partie IX (TPS) de la Loi ou le montant de tout remboursement auquel une personne a droit, alors que l’art. 289(1) de la Loi s’applique « malgré les autres dispositions de la présente partie » et s’applique de façon plus générale à « une personne » dans les limites de l’objet déclaré — De plus, les définitions applicables des mots « document » et « bien » prévues à l’art. 123(1) de la Loi ne se limitent pas aux choses physiques — L’art. 288(1) de la Loi confère à une personne autorisée le pouvoir de demander à un contribuable qu’il fournisse des renseignements sous quelque forme que ce soit ou d’exiger qu’il le fasse — Toutes les données comptables électroniques que la lettre de l’ARC requérait étaient nécessaires pour que le défendeur puisse effectuer l’inspection, la vérification ou l’examen envisagé — Par conséquent, il était justifié d’envoyer la lettre au titre de l’art. 288(1) de la Loi; la demanderesse n’a pas réussi à convaincre la Cour que la décision du défendeur de s’appuyer sur cette disposition était déraisonnable dans les circonstances et que la lettre était ultra vires et nulle ab initio — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une lettre datée du 4 octobre 2019 que l’Agence du revenu du Canada (ARC) a envoyée à la demanderesse, qui cherchait à faire annuler la lettre. La demanderesse exerce des activités dans le domaine des télécommunications et est un regroupeur de minutes d’appels interurbains. L’ARC a demandé à vérifier les déclarations de taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) de la demanderesse pour la période de déclaration du 1er novembre 2016 au 31 janvier 2018. L’ARC a envoyé la lettre au titre du paragraphe 288(1) de la Loi sur la taxe d’accise afin d’obtenir toutes les données comptables électroniques de la demanderesse pour cette période. La demanderesse a fait valoir que la lettre du 4 octobre 2019 constituait une « exigence » et non une « requête » et que celle‑ci aurait donc dû être envoyée au titre du paragraphe 289(1) de la Loi et non du paragraphe 288(1).
Il s’agissait principalement de savoir si la décision du défendeur de s’appuyer sur le paragraphe 288(1) de la Loi plutôt que sur le paragraphe 289(1) pour obtenir les données comptables était raisonnable.
Jugement : la demande doit être rejetée.
La question était de savoir si la lettre du 4 octobre 2019 était ultra vires et nulle ab initio au motif qu’elle a été envoyée au titre de la mauvaise disposition de la Loi. La décision de l’ARC d’envoyer la lettre au titre du paragraphe 288(1) de la Loi et non du paragraphe 289(1) n’était pas déraisonnable. Compte tenu du contexte et de l’objet de la Loi, en tant que régime fiscal d’autocotisation et d’autodéclaration, de même que du sens ordinaire, grammatical et lexicographique des mots « inspecter, vérifier ou examiner », la décision de l’ARC de s’appuyer sur le paragraphe 288(1) de la Loi pour envoyer la lettre du 4 octobre 2019 était justifiée. Selon le paragraphe 288(1) de la Loi, une personne autorisée peut « inspecter, vérifier ou examiner les documents, les biens ou les procédés » de personnes à qui la Loi confère des obligations de tenue de registres et de déclaration, notamment en ce qui concerne les remboursements demandés tels que les crédits de taxe sur les intrants. De plus, le paragraphe 288(1) et le reste de l’article 288 prévoient les conditions auxquelles la personne autorisée « peut » pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise ou où est exercée une activité commerciale pour exécuter ces fonctions. En ce qui concerne le « pouvoir d’inspecter » prévu au paragraphe 288(1), la capacité d’inspecter un lieu est facultative; la disposition ne prescrit pas les inspections, les vérifications ou les examens en personne. L’objet de cette activité est aussi plus limité, par rapport au paragraphe 289(1); il se limite à déterminer les obligations dans le cadre de la partie IX (TPS) de la Loi ou le montant de tout remboursement auquel une personne a droit. Le paragraphe 289(1), quant à lui, s’applique « malgré les autres dispositions de la présente partie » et s’applique de façon plus générale à « une personne » dans les limites de l’objet déclaré. Cet objet aussi est plus général et est décrit ainsi : « pour l’application ou l’exécution d’un accord international désigné ou de la présente partie [la partie IX (TPS)] ». De plus, les définitions applicables des mots « document » et « bien » prévues au paragraphe 123(1) de la Loi ne se limitent pas aux choses physiques. À la simple lecture des définitions applicables, dans le contexte et selon l’objet de la Loi, le paragraphe 288(1) confère effectivement à une personne autorisée le pouvoir de demander à un contribuable qu’il fournisse des renseignements sous quelque forme que ce soit ou d’exiger qu’il le fasse. Le pouvoir d’inspecter englobe nécessairement le pouvoir de demander ou d’exiger que des documents soient fournis pour que la personne autorisée puisse effectuer une inspection, une vérification ou un examen de manière efficace. En cette ère moderne et électronique, la personne autorisée n’est pas limitée à l’inspection, à la vérification ou à l’examen des documents et des registres sur les lieux du contribuable. La lettre du 4 octobre 2019 requérait que toutes les données comptables électroniques soient remises afin que la recherche autonome puisse avoir lieu. En ce sens, les données étaient nécessaires ou requises pour que le défendeur puisse effectuer l’inspection, la vérification ou l’examen envisagé.
La demande visant à obtenir des registres sous une forme électronique intelligible, de même que le nom d’utilisateur et le mot de passe de l’administrateur du système, au besoin, n’outrepassait pas le pouvoir d’inspecter conféré par le paragraphe 288(1) de la Loi. De plus, l’indication dans la lettre datée du 4 octobre 2019 selon laquelle l’ARC pourra demander des renseignements supplémentaires ultérieurement ne laissait pas entendre que cela constituait une autre raison pour laquelle la lettre ressemblait davantage à une « exigence » aux termes du paragraphe 289(1) de la Loi. Il est logique, et non surprenant, que l’ARC puisse demander ou exiger des renseignements supplémentaires après avoir effectué son inspection, sa vérification ou son examen en vertu du paragraphe 288(1). Le fait que l’alinéa 289(1)a) de la Loi fasse expressément mention de « renseignement[s] supplémentaire[s] » ne change rien au fait que le défendeur peut invoquer l’outil de vérification prévu au paragraphe 288(1) et que le défendeur peut demander ou exiger plus d’une fois des renseignements en vertu de cette disposition.
Par conséquent, il était justifié d’envoyer la lettre du 4 octobre 2019 au titre du paragraphe 288(1) de la Loi; la demanderesse n’a pas réussi à convaincre la Cour que la décision du défendeur de s’appuyer sur cette disposition était déraisonnable dans les circonstances et que la lettre était ultra vires et nulle ab initio.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 231.1.
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, partie IX, art. 123(1) « bien », « document », « registre », 286(1),(3),(3.1), 288, 289(1), 289.1(1), 292.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISION APPLIQUÉE :
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653.
DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :
Canada (Revenu national) c. Cameco Corporation, 2019 CAF 67, [2020] 4 R.C.F. 254.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117; R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643; eBay Canada Ltd. c. M.R.N., 2008 CAF 348, [2010] 1 R.C.F. 145.
DÉCISIONS mentionnÉES :
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247; R. c. Grimwood, [1987] 2 R.C.S. 755.
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une lettre de l’Agence du revenu du Canada concernant la vérification des déclarations de taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée de la demanderesse pour une période de déclaration donnée, lettre que le demandeur cherchait à faire annuler. Demande rejetée.
ONT COMPARU :
Bobby J. Sood pour la demanderesse.
Rita Araujo pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
La juge Fuhrer :
I. Aperçu
[1] Tellza Inc. exerce des activités dans le domaine des télécommunications et est un regroupeur de minutes d’appels interurbains. L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a demandé à vérifier les déclarations de taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) de Tellza pour la période de déclaration du 1er novembre 2016 au 31 janvier 2018.
[2] Le 4 octobre 2019, dans le cadre de sa vérification, l’ARC a envoyé une lettre à Tellza au titre du paragraphe 288(1) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la LTA), afin d’obtenir toutes les données comptables électroniques de Tellza pour cette période. Dans sa demande de contrôle judiciaire, Tellza demande à la Cour d’annuler la lettre du 4 octobre 2019.
[3] La principale question que la Cour doit trancher est celle de savoir si la décision du ministre du Revenu national de s’appuyer sur le paragraphe 288(1) de la LTA, plutôt que sur le paragraphe 289(1), pour obtenir les données comptables de Tellza était raisonnable. Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites à l’annexe « A » ci-après.
[4] Je conclus qu’aucune des situations dans lesquelles la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable peut être réfutée ne s’applique en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), aux paragraphes 10, 17. De plus, ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend des contraintes juridiques et factuelles applicables qui ont une incidence sur la décision : Vavilov, aux paragraphes 90, 105. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable, en gardant à l’esprit que l’exercice n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur : Vavilov, aux paragraphes 100, 102.
[5] Dans les circonstances de l’espèce, je ne suis pas convaincue que la décision du ministre était déraisonnable. Pour les motifs plus détaillés qui suivent, je rejette donc la demande de contrôle judiciaire de Tellza.
[6] Je me pencherai d’abord sur une question préliminaire. Celle-ci concerne une autre demande en instance (dossier de la Cour T-322-20) par laquelle le ministre demande à la Cour d’ordonner à Tellza de se conformer à deux lettres de demande de renseignements subséquentes envoyées par l’ARC le 25 novembre 2019, l’une étant adressée à Tellza et l’autre, à un de ses administrateurs, Fred Panet. La question de savoir si les deux demandes devraient être instruites ensemble et, dans la négative, dans quel ordre elles devraient être instruites, a été soulevée. J’aborderai ensuite la question de savoir si la lettre du 4 octobre 2019 constituait une « requête » au sens du paragraphe 288(1) de la LTA ou une « exigence » au sens du paragraphe 289(1) et si, par conséquent, la lettre était ultra vires et nulle ab initio au motif qu’elle a été envoyée au titre de la mauvaise disposition.
II. Analyse
1) Question préliminaire
[7] Par ordonnance datée du 22 juillet 2020, la juge chargée de la gestion de l’instance, la protonotaire Furlanetto (maintenant juge) a ordonné que les dossiers de la Cour T-1797-19 et T-322-20 soient instruits de façon consécutive le même jour, soit le 14 octobre 2020, l’ordre des audiences étant laissé à la discrétion du juge qui les présiderait. À la suite des observations orales formulées par les parties le 14 octobre 2020, j’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire et j’ai instruit la demande de contrôle judiciaire de Tellza (dossier de la Cour T-1797-19), suivi de la demande d’ordonnance de conformité du ministre (dossier de la Cour T-322-20).
[8] Au début de l’audience, l’avocat de Tellza a demandé que la demande d’ordonnance de conformité soit instruite en premier étant donné que le dossier y afférent était plus exhaustif. À mon avis, en procédant ainsi, la Cour aurait pris le risque de devenir une tribune de recherche des faits qui intéresse le fond de la demande de contrôle judiciaire, ce qui va à l’encontre du rôle d’une cour de révision : Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 (Delios), au paragraphe 41. De plus, « en règle générale, les preuves qui n’ont pas été produites au décideur administratif et qui intéresse le fond de l’affaire […] ne sont pas recevable[s] lors d’une procédure de contrôle judiciaire » : Delios, au paragraphe 42.
[9] De plus, la demande de contrôle judiciaire porte seulement sur la validité de la lettre du 4 octobre 2019, et non sur celle des lettres du 25 novembre 2019, qui sont en cause dans la demande d’ordonnance de conformité. Même s’il était possible que la décision relative à la demande d’ordonnance de conformité rende la demande de contrôle judiciaire théorique, ce n’était pas du tout certain, particulièrement avant que l’une ou l’autre des affaires n’ait été instruite.
[10] À mon avis, la demande d’ordonnance de conformité met en cause suffisamment de considérations et de questions différentes, ainsi qu’une partie additionnelle, pour conclure que l’instruction de la demande de contrôle judiciaire, suivie le même jour de l’instruction de la demande d’ordonnance de conformité, était la façon la plus juste, la plus rapide et la moins coûteuse de procéder, suivant l’ordonnance datée du 22 juillet 2020 de la juge Furlanetto chargée de la gestion de l’instance.
2) « Requête » ou « exigence »
[11] Contrairement à Tellza, qui soutient que la lettre du 4 octobre 2019 constituait une « exigence » et non une « requête » et que celle-ci aurait donc dû être envoyée au titre du paragraphe 289(1) de la LTA et non du paragraphe 288(1), je ne suis pas convaincue que la décision de l’ARC d’envoyer la lettre au titre du paragraphe 288(1) de la LTA était déraisonnable.
[12] Les parties conviennent que l’interprétation d’une disposition législative doit être conforme à son texte, à son contexte et à son objet : Vavilov, précité, aux paragraphes 117–120; voir également Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21. Cependant, lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable comportant une question d’interprétation législative, la cour de révision ne « procède pas à une analyse de novo de la question soulevée ni ne se demande “ce qu’aurait été la décision correcte” » : Vavilov, précité, au paragraphe 116, citant l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 50.
[13] Compte tenu du contexte et de l’objet de la LTA, en tant que régime fiscal d’autocotisation et d’autodéclaration, de même que du sens ordinaire, grammatical et lexicographique des mots « inspecter, vérifier ou examiner », je suis d’avis que la décision de l’ARC de s’appuyer sur le paragraphe 288(1) pour envoyer la lettre du 4 octobre 2019 était justifiée. J’ajouterai que Tellza n’a présenté aucun élément de preuve contredisant le fait que la lettre avait été envoyée par une « personne autorisée », comme le prévoit la disposition applicable.
[14] Essentiellement, selon le paragraphe 288(1), une personne autorisée peut « inspecter, vérifier ou examiner les documents, les biens ou les procédés » de personnes à qui la LTA confère des obligations de tenue de registres et de déclaration, notamment en ce qui concerne les remboursements demandés tels que les crédits de taxe sur les intrants. De plus, le paragraphe 288(1) et le reste de l’article 288 prévoient les conditions auxquelles la personne autorisée « peut » pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise ou où est exercée une activité commerciale pour exécuter ces fonctions.
[15] Tellza affirme que le « pouvoir d’inspecter » prévu au paragraphe 288(1) a une portée plus limitée que le « pouvoir d’exiger » prévu au paragraphe 289(1) de la LTA, en ce sens que la personne autorisée n’est pas habilitée à demander ou à exiger la présentation de renseignements. Même si je ne suis pas en désaccord avec la proposition générale quant à la portée plus limitée du paragraphe 288(1), je ne peux pas adhérer à cette dernière affirmation pour plusieurs raisons.
[16] Premièrement, la capacité d’inspecter un lieu est facultative; la disposition ne prescrit pas les inspections, les vérifications ou les examens en personne. En d’autres termes, le pouvoir d’inspecter ne se limite pas à un ou plusieurs lieux physiques, mais se rapporte plutôt, à mon avis, à la personne ou aux personnes dont les documents, les biens ou les procédés peuvent être inspectés, vérifiés ou examinés. L’objet de cette activité est aussi plus limité, par rapport au paragraphe 289(1); il se limite à déterminer les obligations dans le cadre de la partie IX (TPS) [articles 122 à 363.2] de la LTA ou le montant de tout remboursement auquel une personne a droit. Le paragraphe 289(1), quant à lui, s’applique « malgré les autres dispositions de la présente partie » et s’applique de façon plus générale à « une personne » dans les limites de l’objet déclaré. Cet objet aussi est plus général, cependant, et est décrit ainsi : « pour l’application ou l’exécution d’un accord international désigné ou de la présente partie [la partie IX (TPS)], notamment la perception d’un montant à payer ou à verser par une personne ».
[17] Deuxièmement, les définitions applicables des mots « document » et « bien » prévues au paragraphe 123(1) de la LTA ne se limitent pas aux choses physiques. Par exemple, la définition de « document » prévoit qu’y sont assimilés « l’argent, les titres et les registres », alors que celle de « registre » prévoit qu’un registre s’entend notamment de « toute autre chose renfermant des renseignements, qu’ils soient par écrit ou sous toute autre forme » (non souligné dans l’original). En outre, le mot « bien » est défini ainsi : « À l’exclusion d’argent, tous biens — meubles et immeubles — tant corporels qu’incorporels, y compris un droit quelconque, une action ou une part. »
[18] À la simple lecture des définitions applicables, je conclus donc que, dans le contexte et selon l’objet de la LTA, le paragraphe 288(1) confère effectivement à une personne autorisée le pouvoir de demander à un contribuable qu’il fournisse des renseignements sous quelque forme que ce soit ou d’exiger qu’il le fasse. Selon moi, le pouvoir d’inspecter englobe nécessairement le pouvoir de demander ou d’exiger que des documents soient fournis pour que la personne autorisée puisse effectuer une inspection, une vérification ou un examen de manière efficace. Je conclus également qu’en cette ère moderne et électronique, la personne autorisée n’est pas limitée à l’inspection, à la vérification ou à l’examen des documents et des registres sur les lieux du contribuable.
[19] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les faits de l’affaire Canada (Revenu national) c. Cameco Corporation, 2019 CAF 67, [2020] 4 R.C.F. 254 (Cameco), instruite par la Cour d’appel fédérale, se distinguent des faits de l’espèce. L’affaire Cameco portait sur la question de savoir si la contribuable ou ses employés pouvaient être contraints de répondre oralement à des questions posées lors d’une inspection menée sur les lieux de la contribuable, conformément à une disposition sensiblement équivalente, mais non identique, de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la LIR), soit le paragraphe 231.1(1). La Cour d’appel fédérale a conclu que les mots « “inspecter, vérifier ou examiner” » expriment une « recherche autonome », mais ne suggèrent pas « le pouvoir de contraindre une personne à répondre à des questions » : Cameco, précité, aux paragraphes 18–19.
[20] Dans la présente affaire, la lettre du 4 octobre 2019 requiert (par l’emploi des mots [traduction] « Veuillez fournir ») que toutes les données comptables électroniques soient remises afin que la recherche autonome puisse avoir lieu. En ce sens, les données sont nécessaires ou requises pour que le ministre puisse effectuer l’inspection, la vérification ou l’examen envisagé.
[21] De plus, la Cour suprême du Canada reconnaît que « le ministre du Revenu national doit disposer, dans la surveillance de ce régime de réglementation, de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d’examen de tous les documents qui peuvent être utiles pour préparer ces déclarations » (non souligné dans l’original) : R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, à la page 648. En effet, il a été établi que la même expression, « inspecter, vérifier ou examiner », à l’alinéa 231.1(1)a) de la LIR confère le pouvoir au ministre d’examiner les renseignements qui figurent dans les livres et registres du contribuable ou qui devraient y figurer : Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643 (Redeemer), au paragraphe 13. Dissident en partie pour d’autres motifs, le juge Rothstein (alors juge à la Cour suprême) a même déclaré que selon l’article 231.1 de la LIR, « [l]’ARC peut exiger tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui peuvent se rapporter aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer » (non souligné dans l’original) : Redeemer, précité, au paragraphe 31.
[22] Tellza soutient également que la demande visant à obtenir des registres sous une forme électronique intelligible, de même que le nom d’utilisateur et le mot de passe de l’administrateur du système, au besoin, outrepasse le pouvoir d’inspecter conféré par le paragraphe 288(1) de la LTA. Je ne suis pas d’accord pour au moins deux raisons, la première concernant les définitions des mots « document » et « registre » exposées précédemment. Pour ce qui est de la seconde raison, le paragraphe 286(3.1) de la LTA prévoit l’obligation de conserver les registres sous une forme électronique intelligible pendant la durée de conservation visée au paragraphe 286(3) (c.-à-d. « pendant la période de six ans suivant la fin de l’année qu’ils visent »). La période de déclaration applicable en l’espèce se situe bien dans la période de conservation de six ans.
[23] De plus, Tellza conteste l’indication dans la lettre datée du 4 octobre 2019 selon laquelle l’ARC pourra demander des renseignements supplémentaires ultérieurement et laisse entendre que cela constitue une autre raison pour laquelle la lettre ressemble davantage à une « exigence » aux termes du paragraphe 289(1) de la LTA. Je suis encore une fois d’un avis différent. Il est logique, et non surprenant, que l’ARC puisse demander ou exiger des renseignements supplémentaires après avoir effectué son inspection, sa vérification ou son examen en vertu du paragraphe 288(1). Le fait que l’alinéa 289(1)a) fasse expressément mention de « renseignement[s] supplémentaire[s] » ne change rien au fait, à mon avis, que le ministre peut invoquer l’outil de vérification prévu au paragraphe 288(1) et que le ministre peut demander plus d’une fois des renseignements en vertu de cette disposition : R. c. Grimwood, [1987] 2 R.C.S. 755.
[24] Je suis également d’accord avec le ministre pour dire que la lettre du 4 octobre 2019 ne constitue pas une exigence au sens du paragraphe 289(1) de la LTA simplement du fait qu’elle a été envoyée par courrier recommandé. Même si, selon cette dernière disposition, le ministre doit exiger les renseignements par avis signifié (l’avis peut être soit signifié à personne, soit envoyé par courrier recommandé ou certifié), le paragraphe 288(1) ne limite ni ne prescrit la manière dont la personne autorisée peut demander les documents à inspecter, à vérifier ou à examiner.
[25] À l’audience devant moi, Tellza a également contesté le fait que la lettre du 4 octobre 2019 avait été envoyée à son adresse à Hallandale Beach, en Floride, aux États-Unis (c.-à-d. l’adresse postale fournie dans sa demande de remboursement de TPS/TVH pour la période de déclaration applicable) et qu’elle n’était donc pas conforme à la définition de renseignement ou document étranger prévue à l’article 292 de la LTA. Dans l’affaire dont je suis saisie, cependant, aucun élément de preuve n’a été présenté pour établir le lieu où les données comptables électroniques de Tellza étaient conservées, stockées ou autrement accessibles.
[26] De plus, d’après le dossier du ministre, Tellza est une entreprise canadienne enregistrée sous le régime des lois de l’Ontario qui a un bureau à Toronto, dans cette province. Comme l’a fait valoir le ministre dans sa réponse, et je suis d’accord, le paragraphe 286(1) de la LTA prévoit que les contribuables qui sont tenus de produire des déclarations ou qui présentent des demandes de remboursement (en application de la partie IX) doivent tenir des registres au Canada, sauf si le ministre précise par écrit que les registres peuvent être tenus ailleurs. Encore une fois, en l’espèce, rien ne permettait d’établir que le ministre avait permis à Tellza de tenir ses registres à l’étranger.
[27] Quoi qu’il en soit, les renseignements électroniques stockés sur des serveurs situés à l’étranger peuvent en droit être dits situés au Canada : eBay Canada Ltd. c. M.R.N., 2008 CAF 348, [2010] 1 R.C.F. 145 (eBay), aux paragraphes 48, 51–52. Comme l’a souligné le juge Evans (alors juge à la Cour d’appel fédérale), « [q]ui, après tout, se rend à l’emplacement des serveurs pour lire les renseignements qui y sont stockés? » : eBay, précité, au paragraphe 48.
III. Conclusion
[28] Pour les motifs qui précèdent, je conclus qu’il était justifié d’envoyer la lettre du 4 octobre 2019 au titre du paragraphe 288(1) de la LTA; Tellza n’a pas réussi à me convaincre que la décision du ministre de s’appuyer sur cette disposition était déraisonnable dans les circonstances et que la lettre était ultra vires et nulle ab initio. Au contraire, je juge que Tellza s’est lancée dans une chasse au trésor inacceptable, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur.
[29] Je rejette donc la demande de contrôle judiciaire.
IV. Dépens
[30] Les deux parties sollicitent les dépens. Je conclus que le ministre, à titre de partie qui a eu gain de cause, a droit à ses dépens, qui seront payés par Tellza. Les parties ont 30 jours à compter de la date du présent jugement pour s’entendre sur les dépens ou pour soumettre à l’examen de la Cour de brèves observations, d’au plus 3 pages, sur la question.
JUGEMENT dans le dossier T-1797-19
LA COUR STATUE :
1. La demande de contrôle judiciaire de Tellza Inc. est rejetée.
2. Le ministre du Revenu national a droit à ses dépens, qui seront payés par Tellza Inc.; les parties ont 30 jours à compter de la date du présent jugement pour s’entendre sur les dépens ou pour soumettre à l’examen de la Cour de brèves observations, d’au plus 3 pages, sur la question.
Annexe A : Dispositions pertinentes
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. E-15
Définitions
123 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à l’article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.
[…]
document Y sont assimilés l’argent, les titres et les registres. (document)
[…]
registre Sont compris parmi les registres les comptes, conventions, livres, graphiques et tableaux, diagrammes, formulaires, images, factures, lettres, cartes, notes, plans, déclarations, états, télégrammes, pièces justificatives et toute autre chose renfermant des renseignements, qu’ils soient par écrit ou sous toute autre forme. (record)
[…]
Obligation de tenir des registres
286 (1) Toute personne qui exploite une entreprise au Canada ou y exerce une activité commerciale, toute personne qui est tenue, en application de la présente partie, de produire une déclaration ainsi que toute personne qui présente une demande de remboursement doit tenir les registres permettant d’établir ses obligations et responsabilités aux termes de la présente partie ou de déterminer le remboursement auquel elle a droit.
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Période de conservation
(3) La personne obligée de tenir des registres doit les conserver pendant la période de six ans suivant la fin de l’année qu’ils visent ou pendant toute autre période fixée par règlement.
Registres électroniques
(3.1) Quiconque tient des registres, comme l’en oblige le présent article, par voie électronique doit les conserver sous une forme électronique intelligible pendant la durée de conservation visée au paragraphe (3).
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Enquêtes
288 (1) Une personne autorisée peut, en tout temps raisonnable, pour l’application ou l’exécution de la présente partie, inspecter, vérifier ou examiner les documents, les biens ou les procédés d’une personne, dont l’examen peut aider à déterminer les obligations de celle-ci ou d’une autre personne selon la présente partie ou son droit à un remboursement. À ces fins, la personne autorisée peut :
a) sous réserve du paragraphe (2), pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est exercée une activité commerciale, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou une activité commerciale ou sont tenus, ou devraient l’être, des documents;
b) requérir les propriétaire ou gérant du bien, de l’entreprise ou de l’activité commerciale ainsi que toute autre personne présente sur le lieu de lui donner toute l’aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes à l’application ou à l’exécution de la présente partie et, à cette fin, requérir le propriétaire ou le gérant de l’accompagner sur le lieu.
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Présentation de documents ou de renseignements
289 (1) Malgré les autres dispositions de la présente partie, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution d’un accord international désigné ou de la présente partie, notamment la perception d’un montant à payer ou à verser par une personne en vertu de la présente partie, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :
a) qu’elle lui livre tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration selon la présente partie;
b) qu’elle lui livre des documents.
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Ordonnance
289.1 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 326(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 288 ou 289 s’il est convaincu de ce qui suit :
a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 288 ou 289;
b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 293(1), ne peut être invoqué à leur égard.
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Sens de renseignement ou document étranger
292 (1) Pour l’application du présent article, un renseignement ou document étranger s’entend d’un renseignement accessible, ou d’un document situé, en dehors du Canada, qui peut être pris en compte pour l’application ou l’exécution de la présente partie, notamment pour la perception d’un montant à payer ou à verser par une personne en vertu de la présente partie.
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1
Enquêtes
231.1 (1) Une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, pour l’application et l’exécution de la présente loi, à la fois :
a) inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d’un contribuable ainsi que tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;
b) examiner les biens à porter à l’inventaire d’un contribuable, ainsi que tout bien ou tout procédé du contribuable ou d’une autre personne ou toute matière concernant l’un ou l’autre dont l’examen peut aider la personne autorisée à établir l’exactitude de l’inventaire du contribuable ou à contrôler soit les renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;
à ces fins, la personne autorisée peut :
c) sous réserve du paragraphe (2), pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou sont tenus ou devraient l’être des livres ou registres;
d) requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, du bien ou de l’entreprise ainsi que toute autre personne présente sur les lieux de lui fournir toute l’aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes à l’application et l’exécution de la présente loi et, à cette fin, requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, de l’accompagner sur les lieux.