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T-1014-20

2021 CF 758

La Nation crie Ermineskin (demanderesse)

c.

Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, le procureur général du Canada et Coalspur Mines (Operations) Ltd. (défendeurs)

Répertorié : Nation Crie Ermineskin c. Canada (Environnement et Changement climatique)

Cour fédérale, juge Brown—Par vidéoconférence, 19 et 20 mai; Ottawa, 19 juillet 2021.

Peuples autochtones — Contrôle judiciaire d’un arrêté (l’arrêté de désignation) pris par le défendeur le ministre de l’Environnement et du Changement climatique — Cet arrêté de désignation désignait le projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista (la phase II), de même qu’un projet de mine d’essai souterraine à échelle restreinte (la mine d’essai souterraine restreinte) ajoutée à la mine de charbon Vista (la phase I) — L’arrêté de désignation a été pris en vertu de l’art. 9(1) d’une loi fédérale, la Loi sur l’évaluation d’impact (la Loi) — La demanderesse est une bande au sens de la Loi sur les Indiens — Elle est également membre des Quatre Nations de Maskwacis — La demanderesse est signataire du Traité no 6, auquel adhère aussi le Canada — La demanderesse détient et exerce des droits ancestraux ou issus de traités sur tout le territoire visé par le Traité no 6 ainsi que sur le territoire traditionnel — Ces droits sont reconnus, confirmés et protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 — La demanderesse a conclu avec Coalspur une entente sur les répercussions et les avantages (l’ERA de 2019), aux termes de laquelle Coalspur lui procurerait des avantages économiques, communautaires et sociaux importants — Cette entente a été conclue après la tenue de consultations sur la phase II — La demanderesse a conclu une entente semblable avec Coalspur au sujet de la phase I, qui était en cours (l’ERA de 2013) — L’arrêté de désignation de juillet 2020, lequel faisait l’objet de la demande de contrôle judiciaire dans la présente instance, a eu plusieurs effets immédiats sur l’avancement de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte; il a notamment retardé et pourrait arrêter les avantages qui reviennent à la demanderesse — La demanderesse a fait valoir que l’arrêté de désignation aurait des effets préjudiciables sur les droits ancestraux ou issus de traités; que l’honneur de la Couronne obligeait le défendeur à consulter la demanderesse avant de prendre l’arrêté de désignation — Le défendeur a rejeté cet argument et dit que cette perte d’avantages n’était pas un effet préjudiciable lié à un droit ancestral ou issu de traité — Il s’agissait de savoir si l’obligation de consulter de la Couronne a été déclenchée par la seconde demande de désignation et par l’arrêté de désignation et, dans l’affirmative, il s’agissait de savoir quelle était la portée de cette obligation et si on s’en était acquitté — La demanderesse jouit de droits ancestraux ou issus de traités qui sont reconnus et confirmés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 — L’obligation de consulter est déclenchée quand la Couronne a connaissance de l’existence potentielle d’un droit ancestral et qu’elle envisage de prendre une mesure susceptible d’y porter atteinte — Les trois conditions pour déclencher l’obligation de consulter ont été remplies dans la présente affaire — En l’espèce, le Canada a abordé l’obligation de consulter d’une manière non généreuse — Son approche était trop stricte et elle était contraire à la jurisprudence établie à l’égard de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 au sujet de l’obligation de consulter et de l’honneur de la Couronne — Il était incontesté que l’ERA de 2019 était conçue pour indemniser la demanderesse de la perte de ses droits ancestraux ou issus de traités, ce qui incluait la prise de certaines de ses terres — Les avantages économiques et communautaires importants et précieux qui ont été négociés en guise d’indemnisation de droits ancestraux ou issus de traités, que la demanderesse a obtenus dans l’ERA de 2019, avaient droit à la protection qu’assurent l’honneur de la Couronne, interprétée de manière généreuse et téléologique, et son obligation de consulter concomitante, car ces avantages sont étroitement liés au droit ancestral ou issu de traité sous‑jacent et en découlent — Les avantages sociaux, économiques et communautaires garantis par l’ERA de 2019 ont été menacés par l’effet préjudiciable potentiel de l’arrêté de désignation — En outre, des pertes ont déjà été subies, parce que l’arrêté de désignation a déjà retardé la phase II ainsi que la mine d’essai souterraine restreinte — Ces effets préjudiciables réels et potentiels n’étaient pas hypothétiques — La demanderesse n’a pas été avisée de la réception de la demande de désignation et n’a pas été informée que la décision de 2019 de ne pas procéder à la désignation pouvait être annulée; elle n’a pas eu la possibilité de consulter l’Agence ou le défendeur avant que ce dernier prenne l’arrêté de désignation — Demande accueillie.

Droit constitutionnel — Droits ancestraux ou issus de traités — Le défendeur le ministre de l’Environnement et du Changement climatique a pris un arrêté (l’arrêté de désignation) désignant le projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista (la phase II), de même qu’un projet de mine d’essai souterraine à échelle restreinte (la mine d’essai souterraine restreinte) ajoutée à la mine de charbon Vista (la phase I) — L’arrêté de désignation a été pris en vertu de l’art. 9(1) d’une loi fédérale, la Loi sur l’évaluation d’impact (la Loi) — La demanderesse est une bande au sens de la Loi sur les Indiens — Elle est également membre des Quatre Nations de Maskwacis — La demanderesse est signataire du Traité no 6 (1876), auquel adhère aussi le Canada — La demanderesse détient et exerce des droits ancestraux ou issus de traités (droits ancestraux) sur tout le territoire visé par le Traité no 6 ainsi que sur le territoire traditionnel — Ces droits sont reconnus, confirmés et protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 — La demanderesse a conclu avec Coalspur une entente sur les répercussions et les avantages (l’ERA de 2019), aux termes de laquelle Coalspur lui procurerait des avantages économiques, communautaires et sociaux importants — La demanderesse a conclu une entente semblable avec Coalspur au sujet de la phase I, qui était en cours (l’ERA de 2013) — Ces deux ententes ont pour but d’indemniser la demanderesse des effets susceptibles d’être causés par la mise en valeur des ressources naturelles sur la capacité des membres de la demanderesse d’exercer leurs droits ancestraux au sein du territoire traditionnel — La phase II comporte également la prise de terres visées par le Traité no 6 — Le défendeur n’a pas consulté la demanderesse ou ne lui a pas donné avis avant de prendre l’arrêté de désignation — L’arrêté de désignation de juillet 2020 était en cause et a eu plusieurs effets immédiats sur l’avancement de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte — Il s’agissait de savoir si l’obligation de consulter de la Couronne a été déclenchée par la seconde demande de désignation et par l’arrêté de désignation — Il est bien établi que les droits ancestraux jouissent d’une protection constitutionnelle explicite et que, une fois qu’ils sont établis, aucun niveau de gouvernement ne peut y toucher sans justification — Ils ne sont toutefois pas absolus, et le gouvernement peut justifier la prise de règlements ou de mesures qui empiètent sur des droits ancestraux ou les nient quand les circonstances s’y prêtent — Pour empêcher toute atteinte injustifiable à des droits ancestraux, la Couronne est tenue de mener des consultations et, s’il y a lieu, de prendre en compte les intérêts des communautés autochtones dans les cas où la mesure envisagée de la Couronne peut empiéter sur un droit ancestral — Cela est motivé en partie par le souhait de réconcilier le Canada et les Premières Nations — L’honneur de la Couronne et l’obligation de consulter favorisent cette réconciliation en veillant mieux à ce que les droits ancestraux soient protégés et que l’on en tienne compte — L’obligation de consulter est fondée sur l’honneur de la Couronne, ce qui reflète les rapports contemporains uniques, fondés sur l’histoire et les politiques, qui existent entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada — L’obligation de consulter est permanente et elle peut être déclenchée quand un décideur révise une décision antérieure à la lumière de nouvelles informations ou observations — C’est ce qui s’est passé en l’espèce — Le Canada a abordé l’obligation de consulter d’une manière non généreuse, contraire à la jurisprudence établie à l’égard de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 au sujet de l’obligation de consulter et de l’honneur de la Couronne.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’un arrêté qu’a pris le défendeur l’honorable Jonathan Wilkinson, en sa qualité de ministre de l’Environnement et du Changement climatique (le défendeur), en date du 30 juillet 2020 (l’arrêté de désignation). Cet arrêté de désignation désignait le projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista (la phase II), de même qu’un projet de mine d’essai souterraine à échelle restreinte (la mine d’essai souterraine restreinte) ajoutée à la mine de charbon Vista (la phase I), qui avait été approuvée en 2014. L’arrêté de désignation a été pris en vertu du paragraphe 9(1) d’une loi fédérale, la Loi sur l’évaluation d’impact (la Loi). La présente demande était l’une des deux se rapportant à l’arrêté de désignation. La seconde demande a été déposée par la défenderesse Coalspur Mines (Operations) Ltd. (Coalspur). Coalspur est le promoteur des mines en question.

La demanderesse est une bande au sens de la Loi sur les Indiens. Elle est également membre des Quatre Nations de Maskwacis, qui sont la plus grande nation autochtone de l’Alberta. La demanderesse est signataire du Traité no 6 (1876), auquel adhère aussi le Canada. La demanderesse détient et exerce des droits ancestraux ou issus de traités (droits ancestraux) sur tout le territoire visé par le Traité no 6 ainsi que sur le territoire traditionnel. Ces droits sont reconnus, confirmés et protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ils comprennent, notamment, celui de chasser, de pêcher, de piéger et de récolter « sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès ». La demanderesse a conclu avec Coalspur une entente sur les répercussions et les avantages (l’ERA de 2019), aux termes de laquelle Coalspur lui procurerait des avantages économiques, communautaires et sociaux importants. Cette entente a été conclue après la tenue de consultations sur la phase II. La demanderesse a conclu une entente semblable avec Coalspur au sujet de la phase I, qui était en cours (l’ERA de 2013). Ces deux ententes ont pour but d’indemniser la demanderesse des effets susceptibles d’être causés par la mise en valeur des ressources naturelles sur la capacité des membres de la demanderesse d’exercer leurs droits ancestraux au sein du territoire traditionnel. La phase II comporte également la prise de terres visées par le Traité no 6. Le défendeur n’a pas consulté la demanderesse ou ne lui a pas donné avis avant de prendre l’arrêté de désignation. Les seuls groupes autochtones que le défendeur a consultés étaient ceux qui demandaient l’arrêté de désignation. De même, auparavant, en décembre 2019, le défendeur avait décidé initialement de ne pas désigner la phase II. À peu près sept mois plus tard, le défendeur a renversé cette décision et pris un arrêté de désignation de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte. L’arrêté de désignation de juillet 2020, lequel faisait l’objet de la demande de contrôle judiciaire dans la présente instance, a eu plusieurs effets immédiats sur l’avancement de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte. Plus particulièrement, par application de la Loi, l’arrêté de désignation a entraîné la suspension immédiate, prévue par la loi, de tous les travaux réalisés dans le cadre des deux projets. Donc, l’arrêté de désignation a déjà retardé, pourrait retarder davantage et pourrait arrêter entièrement les avantages économiques, communautaires et sociaux importants qui reviennent à la demanderesse aux termes de l’ERA de 2019.

La demanderesse a fait valoir que l’arrêté de désignation aurait des effets préjudiciables sur les droits ancestraux ou issus de traités, ce qui inclut les possibilités économiques créées par sa relation contractuelle avec Coalspur, aux termes de l’ERA de 2019. Si c’était le cas, l’honneur de la Couronne obligeait le défendeur à consulter la demanderesse avant de prendre l’arrêté de désignation. Elle a ajouté que l’arrêté de désignation aurait pour effet de retarder, amoindrir ou éliminer l’intérêt économique de la demanderesse à l’égard de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte. Le défendeur a rejeté cet argument et dit notamment que cette perte d’avantages économiques, sociaux et communautaires n’était pas un effet préjudiciable lié à un droit ancestral ou issu de traité. Il a soutenu que le seul lien était indirect, lié à une tierce partie, conjectural et conditionnel à une indemnisation pour des effets préjudiciables potentiels sur les droits revendiqués au cas où la phase II et la mine d’essai souterraine restreinte iraient de l’avant. Le défendeur a donc soutenu qu’il n’y avait pas d’obligation de consulter la demanderesse.

Il s’agissait de savoir si l’obligation de consulter de la Couronne a été déclenchée par la seconde demande de désignation et par l’arrêté de désignation et, dans l’affirmative, il s’agissait de savoir quelle était la portée de cette obligation et si on s’en était acquitté.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La demanderesse jouit de droits ancestraux ou issus de traités qui sont reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il est bien établi que ces droits jouissent d’une protection constitutionnelle explicite et que, une fois qu’ils sont établis, aucun niveau de gouvernement ne peut y toucher sans justification. Les droits ancestraux ne sont pas absolus et le gouvernement peut justifier la prise de règlements ou de mesures qui empiètent sur des droits ancestraux ou les nient quand les circonstances s’y prêtent. Pour empêcher toute atteinte injustifiable à des droits ancestraux, la Couronne est tenue de mener des consultations et, s’il y a lieu, de prendre en compte les intérêts des communautés autochtones dans les cas où la mesure envisagée de la Couronne peut empiéter sur un droit ancestral. Cela est motivé en partie par le souhait de réconcilier le Canada et les Premières Nations. L’honneur de la Couronne et l’obligation de consulter favorisent cette réconciliation en veillant mieux à ce que les droits ancestraux soient protégés et que l’on en tienne compte. L’obligation de consulter est fondée sur l’honneur de la Couronne, ce qui reflète les rapports contemporains uniques, fondés sur l’histoire et les politiques, qui existent entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada. L’obligation de consulter est permanente et elle peut être déclenchée quand un décideur révise une décision antérieure à la lumière de nouvelles informations ou observations. C’est ce qui s’est passé en l’espèce.

Cette obligation est déclenchée quand la Couronne a connaissance de l’existence potentielle d’un droit ancestral et qu’elle envisage de prendre une mesure susceptible d’y porter atteinte. Selon la jurisprudence, cette obligation est déclenchée au moment où trois conditions sont remplies : 1) la connaissance par la Couronne, réelle ou imputée, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, 2) l’existence de la mesure envisagée de la Couronne et 3) la possibilité que cette mesure ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral (c’est‑à‑dire l’existence d’un lien de causalité). Pour ce qui est de la première de ces trois conditions, la Couronne doit avoir une connaissance, réelle ou imputée, de l’existence d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral à l’égard des ressources ou des terres auxquelles se rattache cette revendication ou ce droit. Cette condition est remplie quand, comme c’était le cas en l’espèce, un droit issu de traité est en cause, car la Couronne a connaissance des traités dont elle est partie. En l’espèce, la première condition était présente. La Couronne avait été suffisamment informée des droits ancestraux ou issus de traités de la demanderesse quand elle a reçu la demande de réexaminer son processus menant à l’arrêté de désignation de 2020 et qu’elle a entrepris un dialogue sur ce dernier. Deuxièmement, il faut que la Couronne ait pris une mesure qui fait entrer en jeu un éventuel droit ancestral ou issu de traité. Ce qu’il faut, c’est une mesure qui présente le risque d’avoir un effet préjudiciable sur la revendication autochtone ou le droit ancestral en question. L’examen que fait le défendeur (c.‑à‑d., la Couronne) d’un arrêté de désignation, comme cela s’est passé en l’espèce, constituait une mesure de la Couronne qui a fait entrer en jeu un éventuel droit ancestral ou issu de traité et qui pourrait avoir un effet préjudiciable sur la revendication ou sur le droit en question.

La troisième condition, la « possibilité que la mesure de la Couronne ait un effet sur une revendication autochtone ou un droit ancestral », ce qui oblige le demandeur à établir un « lien de causalité », a suscité un désaccord. Les effets préjudiciables englobent tous ceux qui sont susceptibles de porter préjudice à un droit ancestral. La troisième condition a été remplie, parce que l’arrêté de désignation envisagé était susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur un droit ancestral. Dans la présente affaire, le Canada a abordé l’obligation de consulter d’une manière non généreuse. Son approche était trop stricte. Elle était contraire à la jurisprudence établie à l’égard de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 au sujet de l’obligation de consulter et de l’honneur de la Couronne. La troisième condition de l’obligation de consulter a été déclenchée, et ce, pour bien des raisons. Premièrement, selon la jurisprudence, l’obligation de consulter peut prendre naissance lorsqu’il peut y avoir un effet préjudiciable sur des intérêts économiques plus vastes. C’était le cas en rapport avec l’ERA de 2019, laquelle crée des intérêts économiques qui sont étroitement liés au droit ancestral et qui en découlent. Il était incontesté que l’ERA de 2019 était conçue pour indemniser la demanderesse de la perte de ses droits ancestraux ou issus de traités, ce qui incluait la prise de certaines de ses terres. Les avantages économiques et communautaires importants et précieux qui ont été négociés en guise d’indemnisation de droits ancestraux ou issus de traités, que la demanderesse a obtenus dans l’ERA de 2019, avaient droit à la protection qu’assurent l’honneur de la Couronne, interprétée de manière généreuse et téléologique, et son obligation de consulter concomitante, car ces avantages sont étroitement liés au droit ancestral ou issu de traité sous-jacent et en découlent. La preuve incontestée et admise devant la Cour était que la demanderesse avait obtenu des engagements contractuels de Coalspur dans l’ERA de 2013 et l’ERA de 2019. Les avantages sociaux, économiques et communautaires garantis par l’ERA de 2019 ont été menacés par l’effet préjudiciable potentiel de l’arrêté de désignation. En outre, des pertes ont déjà été subies, parce que l’arrêté de désignation a été pris il y a plus d’un an et qu’il a déjà retardé la phase II ainsi que la mine d’essai souterraine restreinte. Ces effets préjudiciables réels et potentiels n’étaient pas hypothétiques, comme l’a prétendu le défendeur. Le fait de restreindre l’obligation de consulter était incompatible avec l’approche généreuse et téléologique énoncée dans la jurisprudence établie et avec l’objectif de réaliser la réconciliation. La demanderesse n’a pas été avisée de la réception de la demande de désignation et n’a pas été informée par le défendeur ou l’Agence que la décision de 2019 de ne pas procéder à la désignation pouvait être annulée. La demanderesse n’a pas eu la possibilité de consulter sérieusement l’Agence ou le défendeur avant que ce dernier prenne l’arrêté de désignation.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.

Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36.

Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14.

Loi sur l’évaluation d’impact, L.C. 2019, ch. 28, art. 1, art. 6(1)f),g),(2), 7(1), 9, 12.

Règlement sur les activités concrètes, DORS/2019-285, ann., art. 19a).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 229.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Traité no 6 (1876).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; Rio Tinto Alcan Inc c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650; Da’naxda’xw/Awaetlala First Nation v. British Columbia Hydro and Power Authority, 2011 BCSC 620; Conseil des Innus de Ekuanitshit c. Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 1298; Squamish Nation v. British Columbia (Community, Sport and Cultural Development), 2014 BCSC 991.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; Ehattesaht First Nation v. British Columbia (Minister of Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2014 BCSC 849.

DÉCISIONS CITÉES :

Première Nation Coldwater c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 34, [2020] 3 R.C.F. 3; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386; Première Nation Yellowknives Dene c. Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2015 CAF 148; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388; Première Nation Dene Tha’ c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354, conf. par Canada (Environnement) c. Imperial Oil Resources Ventures Ltd., 2008 CAF 20; Athabasca Chipewyan First Nation v. Alberta, 2019 ABCA 401.

DOCTRINE CITÉE

Agence d’évaluation d’impact du Canada. Guide opérationnel : Désignation d’un projet en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact, en ligne : <https://www.canada.ca/fr/agence-evaluation-impact/services/politiques-et-orientation/designer-loi-evaluation-impact.html>.

Environnement et Changement climatique Canada. Déclaration du gouvernement du Canada sur l’exploitation thermique du charbon, 11 juin 2021.

Environnement et Changement climatique Canada. Le gouvernement du Canada publie une déclaration de politique sur les futurs projets d’exploitation du charbon thermique et les projets d’expansion, 11 juin 2021.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’un arrêté qu’a pris le ministre de l’Environnement et du Changement climatique en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’évaluation d’impact désignant le projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista, de même qu’un projet de mine d’essai souterraine à échelle restreinte ajoutée à la phase I de la mine de charbon Vista. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Joseph C. McArthur et Rochelle Collette pour la demanderesse.

Kerry Boyd, James Elford et Courtney Davidson pour les défendeurs le ministre de l’Environnement et du Changement climatique et le procureur général du Canada.

Sean Sutherland pour la défenderesse Coalspur Mines (Operations) Ltd.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Blake, Cassels & Graydon LLP, Vancouver, pour la demanderesse.

La sous-procureure générale du Canada pour les défendeurs le ministre de l’Environnement et du Changement climatique et le procureur général du Canada.

Osler, Hoskin & Harcourt LLP, Calgary, pour la défenderesse Coalspur Mines (Operations) Ltd.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le Juge Brown :

I.     Les faits

A.    Aperçu

[1]        La Nation crie Ermineskin (Ermineskin), une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, sollicite le contrôle judiciaire d’un arrêté qu’a pris l’honorable Jonathan Wilkinson en sa qualité de ministre de l’Environnement et du Changement climatique (le ministre), en date du 30 juillet 2020 (l’arrêté de désignation). Cet arrêté désignait le projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista (la phase II), de même qu’un projet de mine d’essai souterraine à échelle restreinte (la mine d’essai souterraine restreinte) ajoutée à la mine de charbon Vista (la phase I), qui avait été approuvée en 2014. L’arrêté de désignation a été pris en vertu du paragraphe 9(1) d’une loi fédérale, la Loi sur l’évaluation d’impact, L.C. 2019, ch. 28, art. 1 (la LEI).

[2]        La présente demande est l’une des deux se rapportant à l’arrêté de désignation. La seconde demande a été déposée par Coalspur Mines (Operations) Ltd. (Coalspur). Coalspur est le promoteur des mines en question, et elle présente sa demande dans le cadre du dossier de la Cour no T-1008-20. Les deux demandes sollicitent la même réparation, à savoir une ordonnance annulant l’arrêté de désignation. Les deux ont été plaidées l’une après l’autre les 19 et 20 mai 2021. J’annulerai l’arrêté de désignation dans la présente demande d’Ermineskin, qui porte le numéro de dossier de la Cour T-1014-20. Les motifs relatifs à la demande que Coalspur a déposée dans le dossier T-1008-20 seront publiés sous peu.

[3]        En plus d’être une bande au sens de la Loi sur les Indiens, Ermineskin est également membre des Quatre Nations de Maskwacis, qui sont la plus grande nation autochtone de l’Alberta. Ermineskin est signataire du Traité no 6 [1876], auquel adhère aussi le Canada. Le territoire traditionnel d’Ermineskin est connu sous le nom de Bear Hills, ou Maskwacheesihk (le territoire traditionnel), et il couvre une superficie d’environ 25 000 acres.

[4]        Ermineskin détient et exerce des droits ancestraux ou issus de traités (droits ancestraux) sur tout le territoire visé par le Traité no 6 ainsi que sur le territoire traditionnel. Ces droits sont reconnus, confirmés et protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ils comprennent, notamment, celui de chasser, de pêcher, de piéger et de récolter « sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès ».

[5]        Ermineskin a conclu avec Coalspur une entente sur les répercussions et les avantages (l’ERA de 2019), aux termes de laquelle Coalspur lui procurera des avantages économiques, communautaires et sociaux importants. Cette entente a été conclue après la tenue de consultations sur la phase II. Ermineskin a conclu une entente semblable avec Coalspur au sujet de la phase I, qui est en cours (l’ERA de 2013). Ces deux ententes ont pour but d’indemniser Ermineskin des effets susceptibles d’être causés par la mise en valeur des ressources naturelles sur la capacité des membres de la Nation d’exercer leurs droits ancestraux au sein du territoire traditionnel. La phase II comporte également la prise de terres visées par le Traité no 6.

[6]        Au cœur de la présente demande réside l’observation d’Ermineskin selon laquelle l’arrêté de désignation aura des effets préjudiciables sur les droits ancestraux ou issus de traités, ce qui inclut les possibilités économiques créées par sa relation contractuelle avec Coalspur, aux termes de l’ERA de 2019. Si c’est le cas, l’honneur de la Couronne oblige le ministre à consulter Ermineskin avant de prendre l’arrêté de désignation. Ermineskin fait valoir que cet arrêté aura pour effet de [traduction] « retarder, amoindrir ou éliminer l’intérêt économique d’Ermineskin » à l’égard de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte. Le ministre défendeur rejette cet argument. Il dit (au paragraphe 68 du mémoire du ministre défendeur) que cette perte d’avantages économiques, sociaux et communautaires n’est pas un effet préjudiciable lié à un droit ancestral ou issu de traité, et qu’elle n’est liée ni au titre ancestral sur les terres qui peuvent être mises en valeur, ni à la propriété de la ressource houillère. Le seul lien est indirect, liés à une tierce partie, conjectural et conditionnel à une indemnisation pour des effets préjudiciables potentiels sur les droits revendiqués au cas où la phase II et la mine d’essai souterraine restreinte iraient de l’avant. Le ministre soutient donc qu’il n’y a pas d’obligation de consulter Ermineskin.

[7]        En toute déférence, je ne suis pas d’accord.

[8]        Une jurisprudence bien établie oblige à aborder de manière généreuse et téléologique la doctrine constitutionnalisée de l’honneur de la Couronne et son corollaire, l’obligation de consulter. Cette approche découle d’objectifs pertinents et importants, dont la réconciliation entre le Canada et les Premières Nations. La jurisprudence étend maintenant l’obligation de consulter pour englober les droits et les avantages économiques qui sont étroitement liés aux droits ancestraux et qui en dérivent, comme nous le verrons plus loin. C’est donc dire que les droits qui sont étroitement liés à des droits ancestraux et qui en dérivent sont protégés par l’obligation de consulter, laquelle, il va sans dire, découle de la doctrine constitutionnalisée de l’honneur de la Couronne.

[9]        À mon avis, compte tenu de la preuve incontestée en l’espèce, l’ERA de 2019 qu’a négociée Ermineskin renferme des droits et des avantages économiques importants qui sont étroitement liés à des droits ancestraux et en dérivent et qui, de ce fait, donnent lieu à l’obligation de consulter. Il en va de même de la prise de terres envisagée.

[10]      Nul ne conteste que le ministre n’a pas consulté Ermineskin ou qu’il ne lui a pas donné avis avant de prendre l’arrêté de désignation. Les seuls groupes autochtones que le ministre a consultés étaient ceux qui demandaient l’arrêté de désignation. À mon humble avis, le ministre avait l’obligation de consulter Ermineskin, une obligation à laquelle il a tout à fait manqué.

[11]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Il ne sera pas nécessaire de traiter de l’équité procédurale ou du caractère raisonnable de l’arrêté de désignation.

B.    Les mines et les effets négligeables de la mine d’essai souterraine restreinte sur la phase II

[12]      Il est question dans la présente instance de trois activités houillères contiguës. Toutes sont la propriété de la défenderesse Coalspur :

1.    La première est la phase I existante. Elle a été proposée en 2012, approuvée en 2014, et son premier chargement a été livré en 2019. Elle produit environ 6 millions de tonnes de charbon par année et couvre une superficie d’environ 1 435 hectares. L’approbation de la phase I n’est pas en litige dans la présente instance. Cette phase a été approuvée par la province au début de 2014; elle n’a pas été assujettie à une évaluation fédérale des impacts environnementaux. Les aspects de nature fédérale, dont les questions autochtones, ont été examinés par l’organisme de réglementation provincial, l’Alberta Energy Regulator (l’AER), avec la contribution de ministères et d’organismes fédéraux tels que Pêches et Océans Canada, relativement à la qualité de l’eau et à l’habitat du poisson;

2.    La deuxième est la phase II, un projet d’agrandissement de la phase I. La phase II hausserait la production maximale de 4,2 millions de tonnes par année, et la superficie que couvrirait cet agrandissement est d’environ 633,6 hectares. Avant la prise de l’arrêté de désignation, cette activité faisait l’objet d’évaluations environnementales par l’AER, comme cela a été le cas avec la phase I. L’AER examinera les effets négatifs potentiels sur l’environnement ainsi que l’exercice des droits ancestraux ou issus de traités. L’Alberta Consultation Office (l’ACO), un organe du gouvernement albertain qui a pour mission de s’assurer que la province s’acquitte de son obligation de consulter, avait donné instruction à Coalspur de consulter six Premières Nations — dont Ermineskin — au sujet de la phase II. Coalspur était en discussion avec Ermineskin au sujet de la phase II depuis le début de 2019. Le ministre a décidé de ne pas désigner la phase II en décembre 2019, mais il est revenu sur sa décision en prenant l’arrêté de désignation en juillet 2020. L’Agence d’évaluation d’impact du Canada (l’Agence) s’est prononcée contre la désignation en 2019, et une fois de plus en 2020;

3.    La troisième est une mine d’essai souterraine restreinte, d’une envergure nettement inférieure. Elle est située entièrement à l’intérieur de l’empreinte de la phase I antérieurement approuvée. La nouvelle perturbation en surface n’est que de 2,52 hectares, soit environ 0,2 pour 100 de la superficie de la phase I. Le volume de production est plafonné à 10 pour 100 environ de la production de la phase II. Avant l’arrêté de désignation, l’AER avait déterminé qu’elle n’avait pas besoin d’une évaluation supplémentaire s’ajoutant à celle réalisée et approuvée en 2014 pour la phase I. L’Agence a considéré que ses effets étaient négligeables par rapport à ceux de la phase II, et elle s’est prononcée contre l’arrêté de désignation.

[13]      C’est à dessein que je fais référence à la mine d’essai souterraine restreinte en employant le mot « restreinte ». L’Agence a conclu que la différence entre la phase II sans cette mine d’essai et la phase II avec cette mine était [traduction] « restreinte » et [traduction] « négligeable ». Elle est arrivée à la conclusion suivante : [traduction] « les effets nets de la [mine d’essai souterraine] seraient négligeables par rapport à ceux de la phase II, étant donné qu’il n’y a presque aucune perturbation nouvelle du terrain » (mémoire de l’Agence au ministre, dossier certifié du tribunal, à la page 5). Il est à souligner que le ministre avait décidé que la phase II à elle seule ne justifiait pas une désignation en décembre 2019.

[14]      Les trois mines sont entièrement situées sur des terres visées par le Traité no 6. Elles se trouvent entièrement aussi dans le territoire traditionnel d’Ermineskin. Celle-ci est la troisième réserve la plus proche du projet. Détail important, la Nation des Stoney Nakoda, l’un des groupes qui avaient demandé un arrêté de désignation, est située nettement plus loin des mines qu’Ermineskin. De plus, quelque 161 membres d’Ermineskin vivent au camp Mountain Cree/Smallboy, qui n’est situé qu’à 55 km des mines.

[15]      À l’époque où l’arrêté de désignation a été pris, soit en juillet 2020, la phase II était en voie d’être évaluée par l’AER. Ermineskin et d’autres Premières Nations prenaient part à cette évaluation, de même que d’autres entités, dont des ministères et organismes provinciaux et fédéraux.

C.   L’effet des délais a déjà — et aura — pour effet de retarder, d’atténuer et d’éliminer peut-être l’intérêt économique d’Ermineskin à l’égard des projets, selon ce qui a été négocié dans le cadre de l’ERA de 2019

[16]      L’arrêté de désignation de juillet 2020, lequel fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, a eu plusieurs effets immédiats sur l’avancement de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte. Premièrement, par application de la LEI, l’arrêté de désignation a entraîné la suspension immédiate, prévue par la loi, de tous les travaux réalisés dans le cadre des deux projets. Sans cela, les projets étaient censés débuter en 2020, pour la mine d’essai souterraine restreinte, et en 2022, pour la phase II.

[17]      Outre les délais subis depuis la date de l’arrêté de désignation (une période de près d’un an), si la phase II et la mine d’essai souterraine restreinte font l’objet d’évaluations d’impact fédérales complètes, la preuve incontestée est que ces projets pourraient être retardés de quatre ans et demi de plus ou qu’ils pourraient être entièrement perdus. Le ministre signale avec raison qu’un arrêté de désignation ne veut pas dire qu’une évaluation d’impact sera menée et qu’il n’y a encore aucune décision à prendre à cet égard. Cependant, il ne conteste pas précisément que la totalité des travaux est en suspens.

[18]      L’arrêté de désignation a déjà retardé, pourrait retarder davantage et pourrait arrêter entièrement les avantages économiques, communautaires et sociaux importants qui reviennent à Ermineskin aux termes de l’ERA de 2019.

D.   La volte-face de décembre 2019 à juillet 2020

[19]      Il est important de signaler que l’arrêté de désignation constitue une volte-face complète de la part du ministre, par rapport à la décision qu’il a prise sept mois plus tôt. En décembre 2019, le ministre a suivi un processus d’examen de désignation assez exhaustif et il a décidé de ne pas désigner la phase II. Ce processus avait été mis en branle par les demandes de certaines parties, dont les Keepers of the Water, la Keepers of the Athabasca Watershed Society et la West Athabasca Watershed Bioregional Society. L’Agence a aidé le ministre à étudier la demande de désignation et a sollicité la contribution et l’aide de 31 groupes autochtones, ainsi que d’autres entités, dont des organismes fédéraux et provinciaux.

[20]      Le ministre convient qu’Ermineskin a été avisée du processus de désignation de 2019 et qu’elle a été invitée à faire part de ses commentaires. Quatre groupes autochtones ont répondu et ont indiqué que la phase II aurait un effet préjudiciable sur l’exercice de leurs droits.

[21]      Il est également incontesté que Coalspur a précisément avisé l’Agence le 10 septembre 2019 qu’elle [traduction] « menait des consultations et dialoguait avec » des Premières Nations, dont Ermineskin. À cette époque, l’ERA de 2013 que cette dernière avait conclue avec Coalspur était en place depuis six ans, et l’ERA de 2019 entre ces deux mêmes parties allait être signée un mois plus tard, en octobre 2019.

[22]      L’Agence a recommandé que le ministre ne désigne pas la phase II, parce que tout effet négatif potentiel sur des secteurs relevant de la compétence fédérale allait être géré de manière détaillée au moyen de processus prévus par des exigences réglementaires fédérales et provinciales existantes. C’était là le même processus qui avait mené à l’approbation, par la province, de la phase I en 2014. Par exemple, Pêches et Océans Canada serait chargé de mener des consultations avec des groupes autochtones potentiellement touchés au sujet de toute autorisation faisant l’objet d’une demande sous le régime de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, et ayant une incidence sur la qualité de l’eau et l’habitat du poisson. À l’échelon provincial, le cadre de référence d’AER concernant la phase II exigeait déjà que l’on prenne en compte les droits des peuples autochtones, et que Coalspur s’occupe de [traduction] « décrire les avantages du projet, y compris pour les communautés autochtones, ainsi que les obstacles aux travaux de mise en valeur, dont l’utilisation traditionnelle, par les Autochtones, des terres et de l’eau, et [d’]inclure un type de récepteur autochtone dans l’évaluation de santé publique ».

[23]      Le 20 décembre 2019, le ministre a décidé que la phase II ne justifiait pas une désignation.

E.    La consultation et l’obligation de consulter — Ermineskin n’a pas été consultée — la Couronne allègue qu’il n’existe pas d’obligation de consulter

[24]      Par contraste, bien qu’Ermineskin ait été avisée de la situation et qu’elle ait eu la possibilité de fournir des observations à l’Agence et au ministre, dans le cadre de la décision de décembre 2019 de ne pas désigner le projet, elle n’a pas été avisée de la situation ni n’a été consultée de quelque manière lors du processus ayant mené à l’arrêté de désignation en juillet 2020.

[25]      En fait, pour ce qui est des questions intéressant les Autochtones et les Premières Nations, le processus de désignation de 2020 a été unilatéral. L’Agence et le ministre ont décidé d’entendre seulement les Autochtones et les Premières Nations qui souhaitaient obtenir l’arrêté de désignation contesté.

[26]      Il est juste de dire qu’Ermineskin a été exclue du processus menant à l’arrêté de désignation. Le ministre convient que ni lui ni l’Agence n’ont consulté Ermineskin.

[27]      La présente demande a trait à l’obligation de consulter. Il convient de signaler que le dossier ne contient aucune preuve que l’Agence ou le ministre ont examiné la question de savoir si l’obligation de consulter de la Couronne avait même été déclenchée. Il n’y a aucune preuve non plus que le ministre ou l’Agence ont examiné la question de savoir si l’on s’était acquitté ou non de cette obligation.

[28]      Pour dire les choses simplement, il n’y a eu aucune consultation dans la présente affaire. En fait, le ministre est d’avis qu’il n’était pas tenu de consulter Ermineskin ou de prendre des mesures d’accommodement à son endroit (mémoire du ministre défendeur, au paragraphe 3). Cependant, comme nous le verrons, il m’est impossible de souscrire à l’observation du ministre.

F.    L’Agence s’est opposée à la désignation en 2019 et, de nouveau, en 2020, et elle l’a déconseillée

[29]      Tant dans son rapport de 2019 que dans sa recommandation de la même année au ministre, l’Agence a recommandé de ne pas procéder à la désignation de la phase II. Le ministre a accepté la recommandation de l’Agence en décembre 2019.

[30]      En 2019, le ministre a jugé qu’il n’y avait pas lieu de désigner le projet, parce que les processus réglementaires provinciaux existants examineraient de manière détaillée les effets négatifs qui relèveraient de la compétence fédérale, y compris tout effet préjudiciable sur les droits ancestraux.

[31]      En 2020, l’Agence a recommandé une fois de plus de ne pas procéder à la désignation de la phase II ni de la mine d’essai souterraine restreinte. Elle a donné son avis, de manière catégorique : [traduction] « Le promoteur a indiqué que [la mine d’essai souterraine restreinte] était un projet distinct et ne dépendait pas de l’agrandissement de la phase II. Par conséquent, il ferait vraisemblablement valoir que le fait d’examiner ensemble les deux projets pourrait être considéré comme déraisonnable ou arbitraire. » Pourtant, le ministre a entrepris de désigner unilatéralement le projet, malgré l’avis clair de l’Agence, établie par la LEI pour conseiller les ministres dans de telles matières.

G.   Le processus de désignation de 2020

[32]      Le second processus de désignation a été lancé en 2020 par la réception de lettres de deux autres communautés des Premières Nations : la Tribu Louis Bull et la Nation des Stoney Nakoda. Des lettres en faveur d’une annulation ont également été reçues du Keepers of the Water Council, de la Keepers of the Athabasca Watershed Society et de la West Athabasca Watershed Bioregional Society (collectivement, les groupes demandeurs) le ou vers le 1er mai 2020. Ces groupes ont fait valoir que la demande de Coalspur en vue d’obtenir l’approbation, par l’AER, de la mine d’essai souterraine restreinte constituait un changement de situation, et ils demandaient que la phase II et la mine d’essai souterraine restreinte soient examinées ensemble et que les deux projets soient désignés.

[33]      Pour ce qui est de l’examen de désignation antérieur, le 10 septembre 2019, Coalspur avait avisé l’Agence des consultations qu’elle menait avec des groupes autochtones et qui, notamment, consistaient précisément à mener des consultations et à dialoguer avec Ermineskin, y compris sa communauté éloignée, appelée Mountain Cree/Smallboy Camp, où vivaient 161 de ses membres et située à une distance d’environ 55 km de la phase II :

[traduction]

Il a été donné instruction à Coalspur d’entamer un dialogue avec cinq communautés des Premières Nations, dont quatre avec lesquelles nous avons actuellement des ententes de travail et que nous rencontrons régulièrement. De plus, Coalspur fait remarquer qu’elle a conclu des ententes avec deux autres groupes de Premières Nations avec lesquels nous n’avons pas eu instruction d’entamer un dialogue, et que nous rencontrons régulièrement. Coalspur a reçu une demande d’information d’un établissement métis et elle a, depuis ce temps, répondu à cette demande et a rencontré l’établissement à deux reprises.

Les communautés avec lesquelles Coalspur mène des consultations et a entamé un dialogue sont : la Nation crie Ermineskin, y compris sa communauté éloignée de Mountain Cree, la Première Nation de Whitefish Lake, la Première Nation d’O’Chiese et la Nation Aseniwuche Winewak […] [Non souligné dans l’original.]

[34]      Malgré ces renseignements récemment obtenus et, selon moi, hautement pertinents dont l’Agence était au fait, pour des raisons qui ne figurent pas dans le dossier l’Agence et le ministre ont décidé de ne pas aviser Ermineskin ou, du reste, d’autres groupes autochtones, ni de solliciter leur contribution. De plus, non seulement les groupes demandeurs ont-ils déposé la demande de réexamen, mais ils ont eu la possibilité de répliquer aux observations en réponse de Coalspur.

[35]      Par contraste, l’Agence et le ministre ont exclu Ermineskin du processus menant à l’arrêté de désignation. Je tiens pour avéré le fait qu’Ermineskin n’a pas eu la possibilité de contribuer d’une manière quelconque au processus et qu’il lui a été impossible de commenter les observations des groupes demandeurs ou la réponse de Coalspur.

[36]      Bien que le ministre défendeur ne le conteste pas, je fonde également mes conclusions, selon lesquelles Ermineskin a été exclue et que l’Agence était au fait des effets préjudiciables potentiels sur les droits ancestraux ou issus de traités d’Ermineskin, sur la preuve par affidavit instructive et incontestée de Carol Wildcat, directrice des consultations d’Ermineskin (l’affidavit no I de Wildcat) [aux paragraphes 27–35] :

[traduction]

Ermineskin n’a pas été avisée de la deuxième demande ni de la décision de désigner les projets

À la mi-août 2020, j’ai été informée par un employé de Coalspur que le ministre avait pris un arrêté désignant la mine d’essai souterraine restreinte et la phase II, conformément au pouvoir discrétionnaire que lui conférait la Loi sur l’évaluation d’impact (l’arrêté de désignation). Une ébauche de l’arrêté de désignation figure à la page 275 du dossier certifié et une copie de l’arrêté est jointe, en tant que pièce H, à l’affidavit d’Austen.

Avant cette date, j’ignorais qu’une nouvelle demande avait été présentée pour désigner la mine d’essai souterraine restreinte ou réexaminer la décision de désigner la phase II. Pour autant que je sache, ni l’Agence ni le ministre n’ont avisé Ermineskin, ne lui ont fourni des renseignements, n’ont sollicité sa contribution ou ne l’ont consultée au sujet de l’arrêté de désignation.

J’ai passé en revue les dossiers d’Ermineskin pour le confirmer.

Le chef d’Ermineskin ou moi recevons habituellement les renvois ou les avis relatifs à toute décision prévue par la loi que doivent prendre des ministères fédéraux et qui peut avoir des effets préjudiciables sur les droits ancestraux ou issus de traités d’Ermineskin. Habituellement, ces renvois et ces avis sont transmis directement par courriel au chef ou à moi (courriel de renvoi). Si un courriel de renvoi est envoyé au chef, ce dernier me le transmet afin que je gère le processus de consultation. Ce courriel renferme habituellement une lettre d’accompagnement officielle décrivant les détails du renvoi, ainsi qu’une copie des documents pertinents présentés par le promoteur du projet, les organismes gouvernementaux et/ou d’autres tiers compétents.

Dans certains cas, les ministères fédéraux envoient par la poste un double du courriel de renvoi. Tout courrier que reçoit Ermineskin est trié par notre commis au courrier, et tout courrier lié à des consultations m’est remis. Le courrier adressé au chef, mais concernant des consultations, m’est également remis.

J’ai passé en revue mes courriels et mes dossiers datant du 1er mai au 30 juillet 2020 pour y chercher tout renvoi du gouvernement fédéral concernant la désignation de la mine de charbon Vista. Aucun renvoi n’a été reçu au sujet de la phase I, de la phase II ou de la mine d’essai souterraine restreinte au cours de cette période.

J’ai aussi consulté l’ancien chef Craig Makinaw (qui a été chef d’Ermineskin entre octobre 2017 et octobre 2020) ainsi que mon équipe, Danny Bellerose (Liaison, consultations) et Janice Ermineskin (adjointe aux consultations), afin de vérifier si Ermineskin avait reçu des renvois du gouvernement fédéral au sujet de la mine de charbon Vista par courriel ou par la poste entre le 1er mai et le 30 juillet 2020 et qui ne se trouvaient pas dans mes dossiers. J’ai été avisée par le chef Makinaw, M. Bellerose et Mme Ermineskin — et je crois sincèrement — qu’au cours de cette période, Ermineskin n’avait reçu aucun renvoi au sujet de la phase I, de la phase II ou de la mine d’essai souterraine restreinte.

L’Agence était au courant des effets potentiels sur les droits ancestraux ou issus de traités

J’ai passé en revue les documents liés à l’arrêté de désignation qui ont été publiés dans le registre en ligne de l’Agence, à : https ://iaac-aeic.gc.ca/050/evaluations/proj/80731, et qui étaient joints à l’affidavit d’Austen, en tant que pièces C, D, E, F et G.

Ces documents m’ont appris que l’Agence a présenté une demande d’avis d’expert de divers organismes fédéraux au sujet des « effets potentiels sur les droits ancestraux ou issus de traités » de la mine d’essai souterraine restreinte. Je sais également que Coalspur a avisé l’Agence qu’Ermineskin était l’une des communautés autochtones avec laquelle Coalspur dialoguait activement au sujet de la phase II.

[37]      Aucune partie à la présente instance n’a contredit la preuve de la déposante, Mme Wildcat, telle que reproduite ci-dessus, ni, du reste, un aspect quelconque de cette preuve. Mme Wildcat n’a pas été contre-interrogée. Aucune partie n’a invoqué non plus la règle 229 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, au sujet de la production de documents. J’ai examiné et admis l’exactitude de son témoignage et des faits exposés, et j’ai conclu, selon la prépondérance des probabilités, que son témoignage était véridique.

H.   Notre Cour n’est pas saisie de la validité constitutionnelle de la LEI

[38]      Il n’est pas demandé à notre Cour de se prononcer sur la validité constitutionnelle de la LEI, parce que cette question a été soumise à la Cour d’appel de l’Alberta. Je ne rendrai donc aucune décision à cet égard.

I.     Des affaires récentes survenues après l’arrêté de désignation

[39]      Deux affaires sont survenues après l’arrêté de désignation.

[40]      Premièrement, le 17 mai 2021, deux jours avant le début des audiences en l’espèce, les avocats de Coalspur ont porté à l’attention de la Cour une ordonnance de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, datée du 6 mai 2021 et rendue sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36 (l’ordonnance rendue au titre de la LACC) au sujet de Coalspur. Le paragraphe 13 de cette ordonnance indique ceci :

[traduction]

PAS DE PROCÉDURES CONTRE LA DEMANDERESSE OU LE BIEN-FONDS

Jusqu’au 23 juillet 2021 inclusivement, ou à la date ultérieure que la Cour pourra ordonner (la période de suspension), aucune procédure ou aucun processus d’exécution devant un tribunal quelconque (une procédure dans chaque cas) ne peut être engagé ou poursuivi à l’encontre ou à l’égard de la demanderesse ou du contrôleur, ou toucher l’entreprise ou le bien-fonds, sauf avec l’autorisation de la Cour, et toutes les procédures actuellement en cours à l’encontre ou à l’égard de la demanderesse, ou touchant l’entreprise ou le bien-fonds, sont par les présentes suspendues jusqu’à nouvelle ordonnance de la Cour. [Caractères gras dans l’original.]

[41]      Coalspur est partie à la présente instance, tout comme le procureur général du Canada, pour le compte du ministre, et Ermineskin. Aucune partie n’a demandé une suspension ou un ajournement de l’audition des demandes de contrôle judiciaire qu’ont présentées Ermineskin ou Coalspur. Il n’a été déposé aucun affidavit ni aucune requête en vue d’obtenir de notre Cour une ordonnance quelconque en lien avec l’ordonnance rendue au titre de la LACC.

[42]      Il y a eu une demande d’appel-conférence de gestion d’instance pour examiner l’ordonnance rendue au titre de la LACC et ses répercussions, conférence que j’ai tenue au début de l’audience de deux jours. La Cour a demandé aux avocats de faire part de leurs positions. En fait, les parties ont indiqué que l’ordonnance rendue au titre de la LACC n’avait pas d’incidence sur les procédures en l’espèce ou dans le dossier T-1008-20, sauf pour ce qui était des répercussions financières que serait susceptible d’avoir une ordonnance de dépens que notre Cour rendrait.

[43]      Deuxièmement, le 11 juin 2021, bien après la clôture des plaidoiries dans les présentes affaires, le gouvernement du Canada a publié deux déclarations aux médias lors de sa participation aux réunions du G7, tenues au Royaume-Uni. Chacune éclaircissait les politiques du gouvernement du Canada concernant les mines de charbon thermique, comme celles sur lesquelles porte l’arrêté de désignation.

[44]      Un communiqué de presse intitulé Déclaration du gouvernement du Canada sur l’exploitation thermique du charbon mentionne, en partie, ce qui suit :

L’élimination progressive à l’échelle mondiale des émissions provenant de charbon utilisé à des fins énergétiques est la première étape et la plus importante pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Afin d’offrir une plus grande certitude aux investisseurs, au secteur minier et aux Canadiens en général, le gouvernement du Canada clarifie aujourd’hui sa position sur les nouvelles mines de charbon thermique et les projets d’expansion au pays.

L’exploitation et l’utilisation continues du charbon pour la production d’énergie partout dans le monde ne sont pas durables, en plus de ne pas être conformes aux engagements nationaux et internationaux du gouvernement du Canada envers la lutte contre les changements climatiques. Par conséquent, le gouvernement du Canada considère que les nouveaux projets d’exploitation de charbon thermique, ou l’expansion des mines de charbon thermique déjà existantes au Canada, sont susceptibles de causer des effets inacceptables sur l’environnement. Cette position permettra d’éclairer la prise de décision fédérale sur les projets de mines de charbon thermique.

En vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique ou le gouverneur en conseil doivent déterminer si les effets relevant d’un domaine de compétence fédérale susceptibles d’être causés par un projet sont dans l’intérêt public, si le projet allait de l’avant. Cette décision s’appuiera sur la capacité du projet à favoriser à la durabilité, ou à contribuer à la capacité du Canada de respecter ses engagements à l’égard des changements climatiques et toutes autres questions pertinentes.

Cet énoncé de politique sur l’exploitation du charbon thermique sera un élément important à prendre en considération lorsque le ministre ou le gouverneur en conseil détermineront, en vertu de la Loi, si les effets dans les limites de la compétence fédérale des nouvelles mines de charbon thermique proposées ou des agrandissements de mines existantes sont dans l’intérêt public des Canadiens.

De même, en vertu de l’article 9 de la Loi, cet énoncé de politique éclairera l’utilisation du pouvoir discrétionnaire par le ministre pour toutes nouvelles propositions de projet de charbon thermique ou d’expansion qui ne figure pas dans le Règlement sur les activités concrètes. Il permettra également d’orienter l’opinion du ministre, en vertu de l’article 17 de la Loi, à savoir si un projet désigné entraînerait des effets environnementaux inacceptables relevant de la compétence fédérale avant le début d’une évaluation. [Non souligné dans l’original.]

[45]      Une déclaration aux médias, intitulée Le gouvernement du Canada publie une déclaration de politique sur les futurs projets d’exploitation du charbon thermique et les projets d’expansion, mentionne en partie ce qui suit :

Les meilleures analyses scientifiques et économiques disponibles appellent les pays du monde entier à relever le défi mondial posé par les changements climatiques et à saisir pleinement les possibilités économiques qu’ils offrent. Pour le bien de la santé de la planète, le monde abandonne le charbon thermique pour la production d’énergie, et le Canada ouvre la voie.

La combustion du charbon thermique, qui a alimenté la révolution industrielle du siècle dernier, est le combustible qui contribue le plus aux changements climatiques et est une source majeure de pollution toxique qui nuit à la santé humaine. Depuis sa participation à la création de l’Alliance : Énergiser au-delà du charbon en 2017 avec le Royaume-Uni et l’adoption d’une réglementation visant à accélérer l’élimination progressive de l’électricité conventionnelle produite à partir du charbon, le Canada a contribué à donner le ton à l’action nationale et internationale pour lutter contre cette source d’émissions de gaz à effet de serre. Le mois dernier, le Canada, aux côtés d’autres pays du G7, a souligné la nécessité de mettre immédiatement fin aux investissements internationaux dans les projets de production d’électricité à partir de charbon thermique, émetteurs de pollution par le carbone.

Alors que les dirigeants mondiaux du G7 se réunissent au Royaume-Uni pour lutter contre les défis mondiaux, notamment les changements climatiques, l’honorable Jonathan Wilkinson, ministre de l’Environnement et du Changement climatique, a présenté aujourd’hui la déclaration de politique publique du gouvernement du Canada concernant les nouveaux projets d’exploitation de charbon thermique ou d’expansion. Il s’agit de la prochaine étape de l’engagement du Canada à s’attaquer aux émissions nocives de gaz à effet de serre (GES) provenant du charbon. La déclaration indique que le gouvernement considère ces projets susceptibles de causer des effets inacceptables sur l’environnement dans des zones de compétence fédérale et qu’ils ne sont pas conformes aux engagements nationaux et internationaux du Canada en matière de changements climatiques. En conséquence, cette position éclairera la prise de décision fédérale sur les projets d’exploitation de charbon thermique.

La politique annoncée aujourd’hui assure la clarté et la certitude réglementaire à l’industrie, aux investisseurs et aux Canadiens. Elle représente une autre étape essentielle dans notre cheminement commun vers un avenir plus propre et plus prospère et positionne le Canada parmi les premiers pays du G7 à adopter une telle politique.

En parallèle avec l’annonce d’aujourd’hui, le ministre Wilkinson a informé Coalspur Mines Ltd. que la politique annoncée aujourd’hui s’applique à l’examen de ses projets d’expansion de mines de charbon thermique de Vista Coal, près de Hinton, en Alberta.

Les ressources naturelles abondantes du Canada donnent à notre pays un avantage concurrentiel que nous avons toujours utilisé comme source d’emplois et de prospérité. Dans la course mondiale vers des économies neutres en carbone d’ici 2050, le Canada continue de miser sur son avantage concurrentiel à long terme en mettant l’accent sur la durabilité environnementale et la croissance propre tout en appuyant les travailleurs et les collectivités.

C’est pourquoi, par exemple, le plan climatique renforcé du Canada : Un environnement sain et une économie saine a engagé 964 millions de dollars sur quatre ans pour faire avancer les projets d’énergie renouvelable intelligente et de modernisation du réseau afin d’établir le réseau propre et les emplois de l’avenir. Et c’est pourquoi, afin d’atténuer les effets de l’élimination progressive de l’électricité produite par le charbon au pays, les budgets de 2018 et 2019 prévoient 185 millions de dollars pour le développement des compétences, la diversification économique et l’infrastructure pour soutenir les travailleurs du charbon et les collectivités.

Les preuves sont claires : la poursuite de l’exploitation et de l’utilisation du charbon thermique pour la production d’énergie dans le monde va à l’encontre des mesures nécessaires pour lutter efficacement contre le changement climatique et saisir les débouchés économiques qu’elles présentent. C’est dans ce contexte que le gouvernement a annoncé cette politique aujourd’hui et qu’il continuera à travailler avec les Canadiens pour mettre en œuvre des mesures climatiques robustes. [Non souligné dans l’original.]

[46]      Vu le contexte dans lequel ces annonces ont été faites et le fait que l’on fasse expressément référence à la phase II et à la mine d’essai souterraine restreinte de Coalspur, je les ai envoyées aux avocats en indiquant que la Cour [traduction] « aimerait que les avocats lui disent si ces documents ont une incidence quelconque sur mon examen et la rédaction du jugement dans les deux présentes demandes de contrôle judiciaire ».

[47]      Les parties ont été unanimes dans leurs réponses : les deux annonces n’avaient ou ne devraient avoir aucune incidence sur mon examen ou sur la rédaction des jugements en l’espèce.

J.    Le régime législatif applicable à la désignation

[48]      Toutes les administrations au Canada — y compris l’Alberta et le Canada — recourent à des régimes d’évaluation des incidences environnementales pour évaluer la possibilité que des activités concrètes causent des effets environnementaux préjudiciables importants, de même que pour concilier « les désirs d’aménagement du promoteur et la protection et la préservation de l’environnement » (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, à la page 71).

[49]      En 2019, le législateur a adopté la LEI, qui a remplacé la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19.

[50]      La LEI impose un processus décisionnel fédéral et la possibilité d’exiger que des « projets désignés » fassent l’objet d’une évaluation d’impact fédérale, indépendamment de la question de savoir si ces projets pourraient aussi faire l’objet d’une évaluation environnementale provinciale.

[51]      La désignation que prévoit la LEI s’applique à des activités concrètes plutôt qu’à des projets. Les activités concrètes ne tombent pas sous le coup de la LEI sauf si elles, seules ou de pair avec d’autres activités concrètes, répondent à la définition d’un projet désigné que donne la LEI.

[52]      Un projet désigné est défini dans la LEI :

Définitions

2 […]

projet désigné Une ou plusieurs activités concrètes — y compris celles qui leur sont accessoires — exercées au Canada ou sur un territoire domanial et désignées soit par règlement pris en vertu de l’alinéa 109b), soit par arrêté pris par le ministre en vertu du paragraphe 9(1). Sont exclues les activités concrètes désignées par règlement pris en vertu de l’alinéa 112(1)a.2). [Non souligné dans l’original.]

[53]      C’est donc dire qu’il existe deux façons par lesquelles une activité concrète peut tomber sous le coup de la définition d’un projet désigné que donne la LEI.

[54]      La première est la situation dans laquelle une activité concrète satisfait à un seuil qui s’applique soit à son aire d’exploitation soit à sa capacité de production de charbon; si c’est le cas, cette activité est automatiquement désignée par application de la loi. C’est ce qu’indique l’alinéa 19a) de l’annexe du Règlement sur les activités concrètes, DORS/2019-285 (le Règlement) :

19 L’agrandissement d’une mine, usine ou carrière visée ci-après, dans les cas suivants :

a) s’agissant d’une mine de charbon existante, l’agrandissement entraînerait une augmentation de l’aire d’exploitation minière de 50 % ou plus et la capacité de production totale de charbon de la mine, après l’agrandissement, serait de 5 000 t/jour ou plus; [Non souligné dans l’original.]

[55]      La seconde est la situation dans laquelle le ministre désigne par arrêté une activité en vertu du paragraphe 9(1) de la LEI; dans un tel cas, celui-ci doit motiver sa décision, comme le prévoit le paragraphe 9(4) :

Pouvoir du ministre de désigner

9 (1) Le ministre peut par arrêté, sur demande ou de sa propre initiative, désigner toute activité concrète qui n’est pas désignée par règlement pris en vertu de l’alinéa 109b), s’il estime que l’exercice de l’activité peut entraîner des effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs ou des effets directs ou accessoires négatifs, ou que les préoccupations du public concernant ces effets le justifient.

[…]

Réponse du ministre — délai

(4) Le ministre répond, motifs à l’appui, à la demande visée au paragraphe (1) dans les quatre-vingt-dix jours suivant sa réception et, dans un tel cas, il veille à ce que la réponse soit affichée sur le site Internet. [Non souligné dans l’original.]

[56]      La phase II ne pouvait être désignée que par arrêté du ministre, conformément au paragraphe 9(1) de la LEI.

[57]      La phase II ne satisfaisait pas au seuil fixé pour la désignation prévue à l’alinéa 19a) [de l’annexe] du Règlement, parce que — même si elle excédait le seuil de production — elle ne répondait pas au seuil de l’aire d’exploitation minimale.

K.    Le Guide opérationnel et la LEI exigent que l’Agence et le ministre examinent les effets sur les peuples autochtones

[58]      Le processus de désignation prévu par la LEI peut être déclenché à la demande de tiers et il est conçu pour évaluer un large éventail d’effets. Cela inclut les effets sur les peuples autochtones, tels qu’Ermineskin, d’après le Guide opérationnel : Désignation d’un projet en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact, lequel est sanctionné par le gouvernement du Canada et accessible au site Web du Canada à l’adresse : <https://www.canada.ca/fr/agence-evaluation-impact/services/politiques-et-orientation/designer-loi-evaluation-impact.html> (le Guide opérationnel).

[59]      L’objet du Guide opérationnel est énoncé à la première page d’introduction :

Objet

Ce document décrit le processus visant à déterminer s’il convient de désigner un projet qui n’est pas décrit dans le Règlement désignant les activités concrètes, également appelé la Liste des projets, en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact (la Loi). [Caractères gras dans l’original.]

[60]      Le Guide opérationnel fait plusieurs fois référence aux droits et aux intérêts des peuples autochtones. Il y est déclaré que l’Agence examinera, notamment, si elle a besoin de plus amples renseignements de la part du ou des demandeurs, ou de ministères fédéraux, d’autres administrations et des « groupes autochtones potentiellement concernés » dans le but de décider si l’activité concrète en question est susceptible d’entraîner des effets négatifs sur « les changements environnementaux qui pourraient toucher les peuples autochtones du Canada » ou « les conditions sanitaires, sociales ou économiques des peuples autochtones du Canada », de même que la possibilité que l’activité concrète ait des « effets négatifs sur les droits des peuples autochtones […] reconnus à l’article 35 ».

[61]      La LEI impose elle-même à l’Agence et au ministre l’obligation légale de prendre en considération les intérêts des peuples autochtones dans plusieurs de ses dispositions, dont les alinéas 6(1)f) et g) ainsi que le paragraphe 6(2), qui énoncent les objets de la LEI même :

Objet

6 (1) La présente loi a pour objet :

[…]

f) de promouvoir la communication et la collaboration avec les peuples autochtones du Canada en ce qui touche les évaluations d’impact;

g) de veiller au respect des droits des peuples autochtones du Canada reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, dans le cadre des évaluations d’impact et de la prise de décisions sous le régime de la présente loi;

[…]

Mission

(2) Pour l’application de la présente loi, le gouvernement du Canada, le ministre, l’Agence et les autorités fédérales doivent exercer leurs pouvoirs de manière à favoriser la durabilité, à respecter les engagements du gouvernement à l’égard des droits des peuples autochtones du Canada et à appliquer le principe de précaution. [Non souligné dans l’original.]

[62]      Normalement, l’Agence reçoit une demande et sollicite les commentaires des personnes touchées, y compris les « groupes autochtones potentiellement concernés » et divers ministères jouissant d’une expertise ou d’une compétence pertinentes, ainsi que d’autres. Elle peut solliciter des commentaires supplémentaires auprès de ceux qui lui ont déjà fait part des leurs. L’Agence procède à une analyse et établit à la fois un rapport écrit et des recommandations écrites à l’intention du ministre.

[63]      À cet égard, d’après le Guide opérationnel, la recommandation que fait l’Agence au ministre « prend […] en compte les impacts potentiels du projet sur les droits des peuples autochtones du Canada, y compris les femmes autochtones, reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 » et elle « tien[t] compte des connaissances scientifiques, autochtones et communautaires, des commentaires du promoteur et des consultations tenues auprès d’autres administrations, selon le cas ».

[64]      En se fondant sur le rapport de l’Agence et la recommandation qu’elle fait au ministre ainsi que sur les observations des parties, le ministre examine la demande de désignation et décide s’il est justifié de procéder à la désignation, en tenant compte de la possibilité qu’il y ait des effets négatifs directs ou accessoires sur des secteurs relevant de la compétence fédérale, ou des préoccupations de nature publique, dont les droits des peuples autochtones, tels qu’Ermineskin.

[65]      Le ministre est tenu de motiver sa décision de manière à ce que les Canadiens comprennent les aspects scientifiques, la preuve et les connaissances sur lesquels repose la décision (LEI, aux paragraphes 9(1) et (4)).

L.    L’arrêté de désignation suspend tous les travaux exécutés dans le cadre de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte

[66]      La désignation d’une activité par le ministre empêche un promoteur, immédiatement et par voie législative, de poursuivre un projet (voir le paragraphe 7(1)). Cette suspension légale de tous les travaux est maintenue jusqu’à ce que l’Agence décide : a) qu’aucune évaluation d’impact n’est requise, ou b) que le promoteur se conforme aux conditions prescrites dans une déclaration remise à la suite d’une évaluation d’impact fédérale, ou c) que l’Agence autorise le promoteur à prendre des mesures pour fournir à elle ou à une commission les renseignements qui sont considérés comme nécessaires pour effectuer une évaluation d’impact (voir le paragraphe 7(3)) :

Promoteur

7 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le promoteur d’un projet désigné ne peut prendre de mesure qui se rapporte à la réalisation de tout ou partie du projet et qui peut entraîner les effets suivants :

a) des changements aux composantes ci-après de l’environnement qui relèvent de la compétence législative du Parlement :

[…]

b) des changements à l’environnement, selon le cas :

(i) sur le territoire domanial,

(ii) dans une province autre que celle dans laquelle la mesure est prise,

(iii) à l’étranger;

c) s’agissant des peuples autochtones du Canada, les répercussions au Canada des changements à l’environnement, selon le cas :

(i) au patrimoine naturel et au patrimoine culturel,

(ii) à l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles,

(iii) à une construction, à un emplacement ou à une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural;

d) des changements au Canada aux conditions sanitaires, sociales ou économiques des peuples autochtones du Canada;

e) des changements en toute matière sanitaire, sociale ou économique mentionnée à l’annexe 3 qui relèvent de la compétence législative du Parlement.

[…]

Conditions

(3) Le promoteur d’un projet désigné peut prendre une mesure qui se rapporte à la réalisation de tout ou partie du projet et qui peut entraîner les effets prévus au paragraphe (1) dans les cas suivants :

a) l’Agence décide, au titre du paragraphe 16(1), qu’aucune évaluation d’impact du projet n’est requise et affiche sa décision sur le site Internet;

b) le promoteur prend la mesure en conformité avec les conditions qui sont énoncées dans la déclaration qui lui est remise au titre de l’article 65 relativement au projet et celle-ci n’est ni expirée ni révoquée;

c) le promoteur est autorisé par l’Agence à prendre la mesure, sous réserve de toute condition qu’elle fixe, pour qu’il puisse lui fournir les renseignements ou les précisions qu’elle exige dans le cadre de la préparation à une évaluation d’impact éventuelle du projet ou qu’il puisse fournir à l’Agence ou à la commission les études ou les renseignements qu’elle estime nécessaires dans le cadre de l’évaluation d’impact.

M.   Les deux ententes sur les répercussions et les avantages importants : l’ERA de 2013 et l’ERA de 2019

[67]      Pour des raisons de confidentialité, l’ERA de 2013 n’a pas été déposée auprès de la Cour. Cependant, l’affidavit no I de Wildcat indique que cette ERA [traduction] « a officialisé la relation entre les parties et créé des possibilités mutuellement avantageuses sur le plan du développement communautaire, des infrastructures et des occasions commerciales, et a assuré la participation d’Ermineskin à la surveillance environnementale constante des activités de Coalspur ».

[68]      L’affidavit no I de Wildcat traite de l’ERA de 2013 et de l’ERA de 2019 [aux paragraphes 12–20] :

[traduction]

En décembre 213, Ermineskin a conclu une entente avec Coalspur à l’égard de ses activités d’exploitation d’une mine de charbon (l’ERA de 2013). L’entente a officialisé la relation entre les parties et créé des possibilités mutuellement avantageuses sur le plan du développement communautaire, des infrastructures et des occasions commerciales, et a assuré la participation d’Ermineskin à la surveillance environnementale constante des activités de Coalspur. Une copie du communiqué de presse que les parties ont publié est jointe en tant qu’annexe A à l’affidavit no 1 de Joanne Austen, daté du 29 octobre 2020 (l’affidavit d’Austen).

La teneur de l’ERA de 2013 est confidentielle. À cette époque, d’autres membres d’Ermineskin et moi-même savions que Coalspur pouvait agrandir la mine de charbon Vista au-delà de son empreinte actuelle.

En 2018, Coalspur a proposé d’agrandir l’empreinte de la phase I vers l’ouest dans le cadre du projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista (la phase II). La phase II augmentera la quantité de charbon produite et utilisera l’infrastructure de la phase I existante, comme les installations de transformation du charbon, les routes d’accès principales et une installation de déchargement du charbon. Il est proposé de commencer les travaux de construction de la phase II en janvier 2022, et les activités sont censées débuter en avril 2022.

Pour autant que je sache, Coalspur n’a pas encore déposé une demande auprès de l’AER en vue de l’approbation de la phase II. Cependant, cette dernière exigera une évaluation environnementale provinciale, et l’Alberta Consultation Office (l’ACO) a ordonné à Coalspur de consulter Ermineskin et cinq autres Premières Nations à propos de la phase II. Ermineskin participe activement aux activités de Coalspur qui se rapportent à la phase II depuis le début de 2019.

En octobre 2019, Ermineskin a conclu avec Coalspur une entente mise à jour au sujet de ses activités d’exploitation du charbon existantes et proposées (l’ERA de 2019). À l’instar de l’entente précédente, l’ERA de 2019 a officialisé la relation entre les parties, créant des possibilités mutuellement avantageuses et garantissant la participation d’Ermineskin à la surveillance environnementale constante des activités de Coalspur.

Coalspur a proposé aussi de créer une mine souterraine exploratoire, à l’intérieur des limites visées par les permis et les licences relatifs à la phase I qui sont en vigueur (la mine d’essai souterraine restreinte). Coalspur a entrepris le processus réglementaire provincial qui s’applique à la mine d’essai souterraine restreinte en déposant une demande auprès de l’AER le 17 avril 2019 et en présentant de nouveau cette demande le 5 février 2020. L’AER a conclu que la mine d’essai souterraine restreinte n’exigeait aucune évaluation environnementale provinciale.

La mine de charbon Vista existante, le projet de phase II ainsi que le projet de mine d’essai souterraine restreinte sont tous situés entièrement à l’intérieur de terres visées par le Traité no 6 et au sein du territoire traditionnel de la Nation crie Ermineskin. La construction et l’exploitation de ces projets sont une « prise » de terres visées par le Traité no 6 et elles présentent le risque d’avoir un effet préjudiciable sur les droits de chasse, de piégeage, de pêche et de récolte d’Ermineskin.

Coalspur a reconnu la possibilité que ses activités aient un impact sur les droits d’Ermineskin, et elle a eu des contacts réguliers avec cette dernière au sujet de ses activités. Coalspur et Ermineskin ont maintenu un dialogue au sujet des activités traditionnelles d’Ermineskin dans la région, de nos préoccupations au sujet de l’utilisation des terres, de l’eau, de la faune, etc. ainsi que des options permettant d’atténuer les effets potentiels. Ces discussions ont débuté lors de l’évaluation environnementale de la phase I et des négociations entourant l’ERA de 2013, et elles se poursuivent depuis ce temps-là.

L’ERA de 2013 et l’ERA de 2019 avaient pour objet d’indemniser Ermineskin des effets préjudiciables potentiels des activités de Coalspur sur ses droits ancestraux ou issus de traités, mais ces ententes ne dérogent pas à ces droits et n’annulent ni ne remplacent l’obligation qu’a la Couronne de consulter Ermineskin. [Non souligné dans l’original.]

[69]      Cette preuve n’a été ni contestée ni remise en cause et, comme il a déjà été souligné, je la tiens pour vraie.

[70]      Mme Wildcat a déposé un second affidavit devant notre Cour (l’affidavit no II de Wildcat), lequel indique, notamment, ce qui suit [aux paragraphes 10–14] :

[traduction]

Dans l’affidavit no 1, j’ai écrit qu’« Ermineskin était considérée comme l’une des communautés des Premières Nations les plus économiquement stables au Canada. Ermineskin s’est engagée dans un vigoureux processus de consultation et de négociation avec les promoteurs présents sur son territoire, et les revenus découlant des activités de développement économique menées sur les terres visées par le Traité no 6 servent à soutenir des entreprises de la communauté, à retenir les services de spécialistes de l’extérieur et à développer l’infrastructure de la nation ».

Ces revenus découlent, notamment, d’ententes sur les répercussions et les avantages et d’autres ententes conclues avec des promoteurs. Ces ententes procurent à Ermineskin une indemnisation pécuniaire et d’autres avantages qui compensent les effets potentiels attribuables à la mise en valeur des ressources naturelles sur la capacité des membres d’Ermineskin à exercer leurs droits ancestraux sur leur territoire traditionnel, dont celui de chasser, de pêcher, de piéger et de récolter.

Pour conclure ces ententes, Ermineskin a établi un équilibre entre, d’une part, ses préoccupations concernant la prise de terres visées par le Traité no 6 et les effets préjudiciables de la mise en valeur des ressources naturelles sur ses droits ancestraux et, d’autre part, le souhait de promouvoir le bien-être économique et social de ses membres au sein du territoire traditionnel. Ces décisions sont un exercice du droit d’Ermineskin à l’autodétermination.

Les ententes sur les répercussions et les avantages

Dans l’affidavit no 1, j’ai décrit les ententes sur les répercussions et les avantages de 2013 et de 2019 qu’Ermineskin avait conclues avec Coalspur, au sujet de ses activités d’exploitation du charbon, tant existantes que proposées. La teneur de ces ententes est confidentielle.

Aux termes de l’ERA de 2013 et de l’ERA de 2019, Ermineskin a décidé d’appuyer la mine de charbon Vista et les agrandissements en échange d’une participation aux avantages économiques de ces projets et, le cas échéant, d’une réduction des effets préjudiciables potentiels. Les ententes ne dérogent pas aux droits ancestraux ou issus de traités d’Ermineskin, ce qui inclut le droit de prendre part aux processus réglementaires et de consultation en cours, et elles n’annulent ni ne remplacent l’obligation qu’a la Couronne de consulter Ermineskin. [Non souligné dans l’original.]

[71]      Cette preuve n’a été ni contestée ni remise en cause et, comme il a déjà été souligné, je la tiens aussi pour vraie.

[72]      Fait important, pour les besoins de l’obligation de consulter, l’affidavit no I de Wildcat (au paragraphe 18) et l’affidavit no II de Wildcat (au paragraphe 12) indiquent que les travaux de construction et d’exploitation de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte sont une [traduction] « prise » de terres visées par le Traité no 6 et qu’ils risquent d’avoir un effet préjudiciable sur les droits de chasse, de piégeage, de pêche et de récolte d’Ermineskin. Je considère que cela est exact.

[73]      Il est également important pour l’obligation de consulter que l’affidavit no I de Wildcat indique que l’ERA de 2013 et l’ERA de 2019 avaient pour objet d’indemniser Ermineskin des effets potentiels des activités de Coalspur sur ses droits ancestraux ou issus de traités : [traduction] « L’ERA de 2013 et l’ERA de 2019 avaient pour objet d’indemniser Ermineskin des effets préjudiciables potentiels des activités de Coalspur sur ses droits ancestraux ou issus de traités, mais ces ententes ne dérogent pas à ces droits et n’annulent ni ne remplacent l’obligation qu’a la Couronne de consulter Ermineskin. » Je considère que cela est exact.

N.   L’arrêté de désignation — 2020

[74]      Le 30 juillet 2020, un peu plus de sept mois après la décision, prise le 19 décembre 2019, de ne pas désigner la phase II, le ministre a pris un arrêté de désignation de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte, comme le demandaient les groupes demandeurs.

[75]      L’arrêté de désignation est libellé ainsi :

[traduction]

En ma qualité de ministre de l’Environnement et du Changement climatique, j’ai reçu, entre les mois de mai et de juillet 2020, de nombreuses demandes pour que j’examine ensemble le projet de mine souterraine Vista et lu projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista, en vue de leur désignation en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’évaluation d’impact (la LEI).

Après avoir examiné avec soin les renseignements fournis par Coalspur Mines (Operations) Ltd., les conseils d’instances fédérales, les commentaires de ministres provinciaux, les préoccupations exprimées dans les lettres des demandeurs et d’autres préoccupations publiques dont l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (l’Agence) est au courant, j’ai décidé que le projet de mine souterraine Vista et le projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista justifient d’être désignés en vertu du paragraphe 9(1) de la LEI.

[…]

Arrêté désignant des activités concrètes

Je soussigné, ministre de l’Environnement, conformément au paragraphe 9(1) de la Loi sur l’évaluation d’impact, désigne par la présente les activités concrètes connues sous le nom de projet de mine de charbon souterraine Vista, ainsi que le projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista, proposé par Coalspur Mine (Operations) Ltd.

Signé à Ottawa le 30 juillet 2020

<Original signé par>

L’honorable Jonathan Wilkinson, c.p., député, Ministre de l’Environnement

[…]

Réponse ministérielle

Date : 30 juillet 2020

Projets :

Coalspur Mine (Operations) Ltd. propose le projet de mine de charbon souterraine et d’activités d’agrandissement Vista et le projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista, pour agrandir le projet de mine de charbon Vista (Phase I) existant, une mine de charbon thermique à ciel ouvert. Les agrandissements seraient situés à environ 10 kilomètres à l’est de Hinton, en Alberta.

Décision :

Le ministre a précédemment examiné le projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista en vue de sa désignation en vertu à la Loi sur l’évaluation d’impact, et le 20 décembre 2019, il avait déterminé que la désignation du projet n’était pas justifiée. À la lumière des raisons fournies ci-dessous, le ministre a réexaminé cette décision et a décidé de désigner les activités concrètes en lien avec le projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista conjointement avec celles du projet de mine de charbon souterraine et d’activités d’agrandissement Vista.

Raisons :

Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique a pris en compte la possibilité que les projets entraînent des effets négatifs dans les domaines de compétence fédérale, des effets négatifs directs ou accessoires, des préoccupations du public liées à ces effets, ainsi que des répercussions négatives sur les droits ancestraux et issus de traités. Le ministre a également tenu compte de l’analyse de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada.

Le ministre a pris la décision que la désignation des projets est justifiée pour les raisons suivantes :

• Considérés conjointement, l’aire d’exploitation minière des projets serait juste en dessous du seuil de 50 pourcent et, à 18 683 tonnes par jour, bien au-dessus du seuil de capacité de production totale de charbon de 5 000 tonnes par jour décrite à l’item 19(a) du Règlement sur les activités concrètes.

• Le ministre a examiné sa décision antérieure concernant le projet d’agrandissement de la phase II de la mine de charbon Vista, et pris en compte les nouveaux renseignements concernant les plans d’agrandissement de la phase I du projet de mine de charbon Vista par voie d’exploitation minière souterraine (projet de mine de charbon souterraine) et des préoccupations additionnelles de la part des groupes Autochtones et du public. Le ministre reconnaît que, cumulativement, les projets peuvent entraîner des effets d’une plus grande ampleur que ceux qui ont été considérés au paravent. En particulier :

• Les projets peuvent entraîner des effets négatifs directs et cumulatifs dans les domaines de compétence fédérale (en particulier sur les poissons et leur habitat, les espèces en péril et les peuples autochtones). Ces effets ne peuvent être atténués par la conception du projet ou l’application de mesures d’atténuation normalisées.

• Les préoccupations exprimées par les demandeurs, les groupes autochtones, les autorités fédérales et les personnes du public selon lesquelles, cumulativement, les projets peuvent entraîner des effets négatifs potentiels dans les limites de la compétence fédérale ou des effets négatifs directs ou accessoires (tel que les effets sur le poisson et son habitat, les peuples autochtones).

• Les projets peuvent entraîner des effets négatifs sur les droits (tel que la chasse, la pêche et la cueillette) ancestraux et issus de traités reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et sur les questions relatives aux peuples autochtones relevant de la compétence fédérale.

O.   L’effet de l’arrêté de désignation — retard, à ce jour et en cours, des avantages économiques, sociaux et communautaires que prévoit l’ERA de 2019

[76]      L’arrêté de désignation a eu pour effet immédiat d’interdire à Coalspur de prendre une mesure quelconque se rapportant à la réalisation de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte. Ce résultat est incontesté et il découle du paragraphe 7(1) de la LEI.

[77]      L’arrêté de désignation a donc repoussé, et continue de repousser, les dates de début prévues que sont 2020 pour la mine d’essai souterraine restreinte, et 2022 pour la phase II. L’arrêté de désignation a été pris il y a presque un an de cela et, par extension, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le report de ces dates se fait déjà sentir depuis aussi longtemps qu’un an, et qu’il reportera davantage les avantages économiques, communautaires et d’autres natures qui reviennent à Ermineskin aux termes de l’ERA de 2019, en présumant que la phase II et la mine d’essai souterraine restreinte seront approuvées, et ce, jusqu’à ce que les activités soient autorisées. Si les activités d’exploitation minière ne sont pas autorisées, Ermineskin perdra ces avantages économiques, communautaires et sociaux importants.

[78]      Le ministre défendeur soutient que la désignation que prévoit l’article 9 de la LEI est distincte de l’étape du processus prévu par cette loi qui permet de déterminer si une évaluation d’impact est réellement requise. Cela s’explique par le fait qu’un arrêté de désignation ne veut pas dire que l’on procédera à une évaluation d’impact, mais uniquement qu’une évaluation d’impact complète peut être ordonnée. C’est donc dire, fait valoir le ministre, que la question du retard n’est pas pertinente.

[79]      Je n’en suis pas convaincu. Premièrement, cet argument est conjectural. Il n’y existe aucune preuve que les travaux de construction de la mine d’essai souterraine restreinte ont commencé avant la fin de 2020, comme prévu; en fait, il n’en existe aucune qu’ils ont même commencé. De plus, il n’y a aucune preuve que les travaux de construction de la phase II commenceront en janvier 2022; par conséquent, comme je l’ai conclu, il y a eu un retard qui se poursuivra jusqu’à ce que l’on donne le feu vert à la phase II et à la mine d’essai souterraine restreinte, et ces deux projets risquent de disparaître s’ils sont rejetés.

[80]      Je considère que la question du retard est pertinente à l’égard de celle des effets préjudiciables potentiels sur les droits ancestraux ou issus de traités, ainsi que de l’obligation de consulter dont il est question dans la présente demande de contrôle judiciaire, comme nous le verrons.

II.    Les questions en litige

[81]      Les questions qui suivent doivent être réglées :

A.    L’obligation de consulter de la Couronne a-t-elle été déclenchée par la seconde demande de désignation et par l’arrêté de désignation?

B.    Si oui, quelle était la portée de cette obligation et s’en est-on acquitté?

C.   Le ministre a-t-il, envers Ermineskin, une obligation d’équité procédurale à l’égard de la seconde demande de désignation et de l’arrêté de désignation?

D.   Si oui, quelle était la teneur de cette obligation et s’en est-on acquitté?

E.    L’arrêté de désignation était-il raisonnable?

III.   Les normes de contrôle applicables

[82]      L’existence, la portée et la teneur de l’obligation de consulter sont des questions de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. La question de savoir si le ministre s’est acquitté ou non de cette obligation est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voir la décision Ehattesaht First Nation v. British Columbia (Minister of Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2014 BCSC 849 (Ehattesaht), au paragraphe 45, citant l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511  (Nation haïda), au paragraphe 61; l’arrêt Première Nation Coldwater c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 34, [2020] 3 R.C.F. 3 (Coldwater), au paragraphe 27, citant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), au paragraphe 55.

[83]      Le ministre défendeur est d’accord, et dit que la portée des droits ancestraux ou issus de traités visés à l’article 35 de la Constitution est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov, au paragraphe 55). Il dit que l’obligation de consulter découle de l’honneur de la Couronne et qu’elle est constitutionnalisée par l’article 35 (Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386, au paragraphe 78), et je suis d’accord. C’est donc dire que la question de savoir s’il existe une obligation de consulter dans une affaire particulière est une question de droit que l’on contrôle selon la norme de la décision correcte (Première Nation Yellowknives Dene c. Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2015 CAF 148, aux paragraphes 46–47. La question de savoir si les consultations menées ont été suffisantes pour s’acquitter de cette obligation est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Coldwater, aux paragraphes 24–25).

IV.   Analyse

A.    L’obligation de consulter et l’honneur de la Couronne

[84]      Je conclus qu’Ermineskin jouit de droits ancestraux ou issus de traités qui sont reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il est bien établi que ces droits jouissent d’une protection constitutionnelle explicite et que, une fois qu’ils sont établis, aucun niveau de gouvernement ne peut y toucher sans justification. Ces droits comprennent, mais sans s’y limiter, le droit de chasser, de pêcher, de piéger et de récolter « sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès » (R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 (Sparrow), au paragraphe 76).

[85]      Je fais également remarquer, comme le fait Ermineskin, que les droits ancestraux ne sont pas absolus et que le gouvernement peut justifier la prise de règlements ou de mesures qui empiètent sur des droits ancestraux ou les nient quand les circonstances s’y prêtent (Sparrow, au paragraphe 62). Sparrow n’est pas seulement un arrêt fondamental pour les droits des peuples autochtones au Canada, c’est aussi une affaire qui définit les droits ancestraux en l’absence d’un traité avec la Première Nation concernée.

[86]      À l’instar du ministre défendeur, je conviens également que, pour empêcher toute atteinte injustifiable à des droits ancestraux, la Couronne est tenue de mener des consultations et, s’il y a lieu, de prendre en compte les intérêts des communautés autochtones dans les cas où la mesure envisagée de la Couronne peut empiéter sur un droit ancestral.

[87]      Cela est motivé en partie par le souhait de réconcilier le Canada et les Premières Nations. L’honneur de la Couronne et l’obligation de consulter favorisent cette réconciliation en veillant mieux à ce que les droits ancestraux soient protégés et que l’on en tienne compte. Je signale que notre plus haute juridiction reconnaît la réalité que, souvent, les peuples autochtones prennent part à l’exploitation des ressources, d’où sa déclaration selon laquelle l’obligation de consulter « tient aussi compte du fait que les peuples autochtones participent souvent à l’exploitation des ressources », comme l’a écrit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650 (Rio Tinto), au paragraphe 34. Cela aussi fait partie de la réconciliation.

[88]      J’admets aussi, tout comme les parties, que l’obligation de consulter est fondée sur l’honneur de la Couronne, ce qui reflète les rapports contemporains uniques, fondés sur l’histoire et les politiques, qui existent entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada. L’honneur de la Couronne est interprété de manière généreuse et donne lieu à des obligations différentes envers les peuples autochtones, suivant les circonstances de l’atteinte possible.

[89]      Je souhaite passer maintenant en revue un certain nombre d’arrêts clés qui se rapportent à l’honneur de la Couronne et à l’obligation de consulter avant de passer à leur application en l’espèce.

[90]      Un arrêt qui fait autorité est Rio Tinto, de la Cour suprême du Canada [aux paragraphes 34–36, 42–43, et 45–46] :

Fondée sur l’honneur de la Couronne, l’obligation revêt un caractère à la fois juridique et constitutionnel : R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, par. 6. Elle vise la protection des droits ancestraux et issus de traités, ainsi que la réalisation de l’objectif de conciliation des intérêts des Autochtones et de ceux de la Couronne. Elle reconnaît que les deux parties doivent collaborer pour concilier leurs intérêts au lieu de s’opposer dans un litige. Elle tient aussi compte du fait que les peuples autochtones participent souvent à l’exploitation des ressources. Empêcher la mise en valeur par voie d’injonction risque de ne servir l’intérêt de personne. L’honneur de la Couronne est donc davantage compatible avec une obligation de consulter axée sur la conciliation des intérêts respectifs des parties.

L’arrêt Nation haïda jette les bases du dialogue préalable au règlement définitif des revendications en obligeant la Couronne à tenir compte des droits ancestraux contestés ou établis avant de prendre une décision susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur ces droits : J. Woodward, Native Law, vol. 1 (feuilles mobiles), p. 5-35. Il s’agit d’une obligation de nature prospective prenant appui sur des droits dont l’existence reste à prouver.

La nature de l’obligation varie en fonction de la situation. La consultation exigée est plus approfondie lorsque la revendication autochtone paraît de prime abord fondée et que l’effet sur le droit ancestral ou issu de traité sous-jacent est grave : Nation haïda, par. 43-45, et Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550, par. 32.

[…]

Deuxièmement, pour que naisse l’obligation de consulter, la mesure ou la décision de la Couronne doit mettre en jeu un droit ancestral éventuel. La mesure doit être susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la revendication ou le droit en question.

Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir quelle mesure oblige le gouvernement à consulter. Il a été établi que cette mesure ne s’entend pas uniquement de l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi : Huu-Ay-Aht First Nation c. British Columbia (Minister of Forests), 2005 BCSC 697, [2005] 3 C.N.L.R. 74, par. 94 et 104; Wii’litswx c. British Columbia (Minister of Forests), 2008 BCSC 1139, [2008] 4 C.N.L.R. 315, par. 11-15. Cette conclusion s’inscrit dans l’approche généreuse et téléologique que commande l’obligation de consulter.

[…]

Le troisième élément requis pour qu’il y ait obligation de consulter est la possibilité que la mesure de la Couronne ait un effet sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. Le demandeur doit établir un lien de causalité entre la mesure ou la décision envisagée par le gouvernement et un effet préjudiciable éventuel sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. Un acte fautif commis dans le passé, telle l’omission de consulter, ne suffit pas.

Une approche généreuse et téléologique est aussi de mise à l’égard de ce troisième élément puisque, comme le dit Newman, l’objectif poursuivi est [traduction] « de reconnaître que les actes touchant un titre aborigène ou un droit ancestral non encore établi, ou des droits issus de traités, peuvent avoir des répercussions irréversibles qui sont incompatibles avec l’honneur de la Couronne » (p. 30, citant l’arrêt Nation haïda, par. 27 et 33). Cependant, de simples répercussions hypothétiques ne suffisent pas. Comme il appert de l’arrêt R. c. Douglas, [2007] BCCA 265, 278 D.L.R. (4th) 653, au par. 44, il doit y avoir un [traduction] « effet préjudiciable important sur la possibilité qu’une Première nation puisse exercer son droit ancestral ». Le préjudice doit toucher l’exercice futur du droit lui-même, et non seulement la position de négociation ultérieure de la Première nation. [Non souligné dans l’original.]

[91]      Voir également Nation haïda [aux paragraphes 16–18] :

L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts découle du principe de l’honneur de la Couronne. L’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones : voir par exemple R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456. Il ne s’agit pas simplement d’une belle formule, mais d’un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes.

Les origines historiques du principe de l’honneur de la Couronne tendent à indiquer que ce dernier doit recevoir une interprétation généreuse afin de refléter les réalités sous-jacentes dont il découle. Dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, la Couronne doit agir honorablement. Il s’agit là du minimum requis pour parvenir à « concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté » : Delgamuukw, précité, par. 186, citant Van der Peet, précité, par. 31.

L’honneur de la Couronne fait naître différentes obligations selon les circonstances. Lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers, le principe de l’honneur de la Couronne donne naissance à une obligation de fiduciaire : Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, 2002 CSC 79, par. 79. Le contenu de l’obligation de fiduciaire peut varier en fonction des autres obligations, plus larges, de la Couronne. Cependant, pour s’acquitter de son obligation de fiduciaire, la Couronne doit agir dans le meilleur intérêt du groupe autochtone lorsqu’elle exerce des pouvoirs discrétionnaires à l’égard des intérêts autochtones en jeu. Comme il est expliqué dans Wewaykum, par. 81, l’expression « obligation de fiduciaire » ne dénote pas un rapport fiduciaire universel englobant tous les aspects des rapports entre la Couronne et les peuples autochtones :

[…] [considérer l’] « obligation de fiduciaire » […] comme si elle imposait à la Couronne une responsabilité totale à l’égard de tous les aspects des rapports entre la Couronne et les bandes indiennes[, c’est] aller trop loin. L’obligation de fiduciaire incombant à la Couronne n’a pas un caractère général, mais existe plutôt à l’égard de droits particuliers des Indiens.

En l’espèce, des droits et un titre ancestraux ont été revendiqués, mais n’ont pas été définis ou prouvés. L’intérêt autochtone en question n’est pas suffisamment précis pour que l’honneur de la Couronne oblige celle-ci à agir, comme fiduciaire, dans le meilleur intérêt du groupe autochtone lorsqu’elle exerce des pouvoirs discrétionnaires à l’égard de l’objet du droit ou du titre. [Non souligné dans l’original.]

[92]      Et Sparrow [au paragraphe 64] :

Il semble se dégager du par. 35(1) que, si la réglementation des droits ancestraux n’est pas exclue, une telle réglementation doit être adoptée conformément à un objectif régulier. Notre histoire démontre, trop bien malheureusement, que les peuples autochtones du Canada ont raison de s’inquiéter au sujet d’objectifs gouvernementaux qui, bien que neutres en apparence, menacent en réalité l’existence de certains de leurs droits et intérêts. En accordant aux droits ancestraux le statut et la priorité propres aux droits constitutionnels, le Parlement et les provinces ont sanctionné les contestations d’objectifs de principe socio-économiques énoncés dans des textes législatifs, dans la mesure où ceux-ci portent atteinte à des droits ancestraux. Ce régime constitutionnel comporte implicitement une obligation de la part du législateur de satisfaire au critère de la justification. La façon de réaliser un objectif législatif doit préserver l’honneur de Sa Majesté et doit être conforme aux rapports contemporains uniques, fondés sur l’histoire et les politiques, qui existent entre la Couronne et les peuples autochtones du Canada. La mesure dans laquelle une loi ou un règlement a un effet sur un droit ancestral existant doit être examinée soigneusement de manière à assurer la reconnaissance et la confirmation de ce droit. [Non souligné dans l’original.]

[93]      L’obligation de consulter est permanente et elle peut être déclenchée quand un décideur révise une décision antérieure à la lumière de nouvelles informations ou observations (Rio Tinto, au paragraphe 93). C’est ce qui s’est passé en l’espèce.

B.    L’effet sur les intérêts économiques d’Ermineskin

[94]      À mon humble avis, la principale question en litige dans la présente affaire consiste à savoir si les demandes de désignation de 2020 et le processus menant à la prise de l’arrêté de désignation ont déclenché l’obligation de consulter. Comme il a déjà été souligné, cette obligation est déclenchée quand la Couronne a connaissance de l’existence potentielle d’un droit ancestral et qu’elle envisage de prendre une mesure susceptible d’y porter atteinte. Selon la jurisprudence, cette obligation est déclenchée au moment où trois conditions sont remplies : 1) la connaissance par la Couronne, réelle ou imputée, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, 2) l’existence de la mesure que la Couronne envisage de prendre et 3) la possibilité que cette mesure ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral (c’est-à-dire l’existence d’un lien de causalité) (Rio Tinto, au paragraphe 31, citant Nation haïda, au paragraphe 35) :

Dans l’arrêt Nation haïda, notre Cour établit que l’obligation de consulter prend naissance « lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui-ci » (par. 35). Ce critère comporte trois volets : (1) la connaissance par la Couronne, réelle ou imputée, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, (2) la mesure envisagée de la Couronne et (3) la possibilité que cette mesure ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. J’examinerai chacun de ces volets plus en détail. D’abord, quelques remarques générales sont de mise concernant la source et la nature de l’obligation de consulter. [Non souligné dans l’original.]

[95]      Pour ce qui est de la première de ces trois conditions, la Couronne doit avoir une connaissance, réelle ou imputée, de l’existence d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral à l’égard des ressources ou des terres auxquelles se rattache cette revendication ou ce droit. Cette condition est remplie quand, comme c’est le cas en l’espèce, un droit issu de traité est en cause, car la Couronne a connaissance des traités dont elle est partie (Rio Tinto, au paragraphe 40; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, au paragraphe 34; Première Nation Dene Tha’ c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354 (Dene Tha’), au paragraphe 101, conf. par Canada (Environment) c. Première nation Dene Tha’, 2008 CAF 20).

[96]      De plus, Ermineskin a correspondu avec le ministre en vue de participer au processus d’évaluation provincial et fédéral ou d’obtenir des informations sur celui-ci. En outre, l’Agence a été informée par Coalspur le 10 septembre 2019 que l’ACO lui avait donné instruction de dialoguer avec Ermineskin.

[97]      Le ministre défendeur convient, tout comme moi, que la première condition est présente. Je conclus que la Couronne avait été suffisamment informée des droits ancestraux ou issus de traités d’Ermineskin quand elle a reçu la demande de réexaminer son processus menant à l’arrêté de désignation de 2020 et qu’elle a entrepris un dialogue sur ce dernier.

[98]      Deuxièmement, il faut que la Couronne ait pris une mesure qui fait entrer en jeu un éventuel droit ancestral ou issu de traité. Ce qu’il faut, c’est une mesure qui présente le risque d’avoir un effet préjudiciable sur la revendication autochtone ou le droit ancestral en question. La mesure en question ne se limite pas à celles qui ont un effet immédiat sur des terres, des ressources ou des droits ancestraux — l’éventualité d’un effet préjudiciable suffit pour déclencher l’obligation (Rio Tinto, aux paragraphes 42 et 44, citant Dene Tha’). Le critère qui s’applique à cette deuxième condition est énoncé dans l’arrêt Rio Tinto [au paragraphe 42] :

Deuxièmement, pour que naisse l’obligation de consulter, la mesure ou la décision de la Couronne doit mettre en jeu un droit ancestral éventuel. La mesure doit être susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la revendication ou le droit en question.

[99]      Je n’hésite aucunement à conclure que l’examen que fait le ministre (c.-à-d., la Couronne) d’un arrêté de désignation, comme cela s’est passé en l’espèce, constitue une mesure de la Couronne qui fait entrer en jeu un éventuel droit ancestral ou issu de traité et qui peut avoir un effet préjudiciable sur la revendication ou sur le droit en question. Le ministre défendeur reconnaît l’existence de cette deuxième condition.

[100]   La troisième condition, la « possibilité que la mesure de la Couronne ait un effet sur une revendication autochtone ou un droit ancestral », ce qui oblige le demandeur à établir un « lien de causalité » (Rio Tinto, au paragraphe 45) suscite un désaccord. Les effets préjudiciables englobent tous ceux qui sont susceptibles de porter préjudice à un droit ancestral. Bien que les effets négatifs soient souvent de nature concrète, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’ils pouvaient s’étendre aux décisions de principe de haut niveau ou aux changements au mode de gestion d’une ressource, qui n’ont pas un effet immédiat sur des terres et des ressources. « La raison en est qu’une telle modification structurelle de la gestion de la ressource peut ouvrir la voie à d’autres décisions ayant un effet préjudiciable direct sur les terres et les ressources » (Rio Tinto, au paragraphe 47). Comme nous l’avons vu plus tôt, il est nécessaire de recourir à une approche généreuse et téléologique (Rio Tinto, aux paragraphes 45–47).

[101]   Ermineskin fait valoir, et je fais ici référence à l’affidavit no I de Wildcat, au paragraphe 18, et à l’affidavit no II de Wildcat, au paragraphe 12, que la construction et l’exploitation de la phase II et de la mine d’essai souterraine restreinte constituent une [traduction] « prise » de terres visées par le Traité no 6 et que ces mesures présentent le risque d’avoir un effet préjudiciable sur ses droits de chasse, de piégeage, de pêche et de récolte. Je suis d’accord, en soulignant, comme le soutient Ermineskin, que ce ne sont pas toutes les [traduction] « prises » de terres qui donnent automatiquement naissance à l’obligation de consulter et qu’il est nécessaire de procéder à une analyse contextuelle pour déterminer si cette prise a, réellement ou potentiellement, un effet négatif sur les droits ancestraux ou issus de traités qui sont exercés dans la région. Je conclus que, dans le cas présent, la mesure a, concrètement ou potentiellement, un effet négatif de cette nature. C’est donc dire, à mon humble avis, qu’il y a déclenchement de l’obligation de consulter (Athabasca Chipewyan First Nation v. Alberta, 2019 ABCA 401, aux paragraphes 57–61).

[102]   À cet égard, dans Nation haïda, la Cour suprême du Canada dit que l’honneur de la Couronne doit être interprété de manière généreuse : il s’agit là du minimum requis. C’est aussi ce que l’on peut dire de l’obligation de consulter qui découle de ce même honneur de la Couronne [aux paragraphes 16 et 17] :

L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts découle du principe de l’honneur de la Couronne. L’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones : voir par exemple R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456. Il ne s’agit pas simplement d’une belle formule, mais d’un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes.

Les origines historiques du principe de l’honneur de la Couronne tendent à indiquer que ce dernier doit recevoir une interprétation généreuse afin de refléter les réalités sous-jacentes dont il découle. Dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, la Couronne doit agir honorablement. Il s’agit là du minimum requis pour parvenir à « concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté » : Delgamuukw, précité, par. 186, citant Van der Peet, précité, par. 31. [Non souligné dans l’original.]

[103]   Le Canada fait valoir que l’arrêté de désignation n’est pas susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux ou issus de traités qui sont revendiqués ou établis, mais Ermineskin soutient le contraire. Je suis d’accord avec cette dernière.

[104]   À mon avis, la troisième condition est remplie, parce que l’arrêté de désignation envisagé est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur un droit ancestral. Dans la présente affaire, le Canada aborde l’obligation de consulter d’une manière non généreuse. Son approche est trop stricte. Selon moi, elle est contraire à la jurisprudence établie à l’égard de l’article 35 au sujet de l’obligation de consulter et de l’honneur de la Couronne.

[105]   À mon humble avis, la troisième condition de l’obligation de consulter est déclenchée, et ce, pour bien des raisons. Premièrement, selon la jurisprudence, l’obligation de consulter peut prendre naissance lorsqu’il peut y avoir un effet préjudiciable sur des intérêts économiques plus vastes. Je conclus que c’est le cas en rapport avec l’ERA de 2019, laquelle crée des intérêts économiques qui, selon ma conclusion, sont étroitement liés au droit ancestral et qui en découlent. En l’espèce, il est incontesté que l’ERA de 2019 est conçue [traduction] « pour indemniser » Ermineskin de la perte de ses droits ancestraux ou issus de traités, ce qui inclut la prise de certaines de ses terres.

[106]   Ermineskin jouit de droits précieux aux termes de l’ERA de 2019, et, à mon avis, non seulement ces droits peuvent-ils subir un effet préjudiciable, mais cet effet a déjà été causé par le retard dont il a été question plus tôt. À mon humble avis, cette situation est analogue à celle dont il est question dans Ehattesaht, aux paragraphes 60 et 61, et je me réfère aussi au paragraphe 47 de l’arrêt Nation haïda :

S’il ressort des consultations que des modifications à la politique de la Couronne s’imposent, il faut alors passer à l’étape de l’accommodement. Des consultations menées de bonne foi peuvent donc faire naître l’obligation d’accommoder. Lorsque la revendication repose sur une preuve à première vue solide et que la décision que le gouvernement entend prendre risque de porter atteinte de manière appréciable aux droits visés par la revendication, l’obligation d’accommodement pourrait exiger l’adoption de mesures pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les conséquences de l’atteinte jusqu’au règlement définitif de la revendication sous-jacente. L’accommodement est le fruit des consultations, comme la Cour l’a reconnu dans R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, par. 22 : « […] il est préférable de réaliser la prise en compte du droit issu du traité par des consultations et par la négociation ».

[107]   En résumé, l’ERA de 2019 est un intérêt économique qui, selon ma conclusion, est étroitement lié à des droits ancestraux ou issus de traités et qui en découle donc. Je me fonde en partie sur le témoignage incontesté et accepté de Mme Wildcat, qui en fait la preuve aux paragraphes 18, 20 et 23 de l’affidavit no I de Wildcat, que j’ai cités plus tôt, mais que je répète ici par souci de commodité :

[traduction]

La mine de charbon Vista existante, le projet de phase II ainsi que le projet de mine d’essai souterraine restreinte proposée sont tous situés entièrement à l’intérieur de terres visées par le Traité no 6 et au sein du territoire traditionnel de la Nation crie Ermineskin. La construction et l’exploitation de ces projets sont une « prise » de terres visées par le Traité no 6 et elles présentent le risque d’avoir un effet préjudiciable sur les droits de chasse, de piégeage, de pêche et de récolte d’Ermineskin.

[…]

L’ERA de 2013 et l’ERA de 2019 avaient pour objet d’indemniser Ermineskin des effets préjudiciables potentiels des activités de Coalspur sur ses droits ancestraux ou issus de traités, mais ces ententes ne dérogent pas à ces droits et n’annulent ni ne remplacent l’obligation qu’a la Couronne de consulter Ermineskin.

[…]

La Couronne fédérale est au courant des droits ancestraux ou issus de traités que revendique Ermineskin dans la région englobant la mine de charbon Vista, et elle est au courant de l’intérêt d’Ermineskin’s à l’égard de cette mine. Ermineskin a notamment demandé des informations concernant une éventuelle évaluation fédérale de la mine en 2013. Le ou vers le 23 mai 2013, l’ancienne Agence canadienne d’évaluation environnementale a répondu à cette demande. Une copie de cette lettre est jointe à mon affidavit en tant que pièce B. [Non souligné dans l’original.]

[108]   Voir aussi le paragraphe 139 de la décision Da’naxda’xw/Awaetlala First Nation v. British Columbia Hydro and Power Authority, 2011 BCSC 620 (Da’naxda’xw/Awaetlala), où la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu qu’un élément économique de la revendication concernant les avantages de la ressource forestière déclenchait l’obligation de consulter. En toute déférence, c’est le cas dans la présente affaire, où Ermineskin revendique des terres qu’occupera la phase II, des terres à l’égard desquelles Ermineskin a négocié l’ERA de 2019, en vue d’une indemnisation [au paragraphe 139] :

[traduction]

J’accepte le fait que, dans certaines circonstances, des décisions qui préservent des terres ou le statu quo peuvent ne pas avoir d’effets préjudiciables sur des revendications autochtones. Tsuu T’ina en est un exemple. Cependant, selon mon interprétation, l’arrêt Nation haïda n’établit pas une obligation de consulter uniquement dans le but de préserver des terres contre toute mise en valeur. Je souscris à l’observation de M. Elwood selon laquelle la revendication des Haïda à l’égard des terres et des forêts de leur territoire traditionnel comporte un élément économique, et un autre aspect de la mesure de la Couronne qui est en litige a été l’exclusion des Haïda des avantages de la ressource forestière. Les mesures de conservation proposées pourraient avoir un effet préjudiciable sur les droits et les titres autochtones revendiqués, car elles sont susceptibles de restreindre les usages futurs des terres. Le processus du PGRT et les consultations intergouvernementales concernant la région de l’Upper Klinaklini l’illustrent clairement. À mon avis, le fait de restreindre l’obligation de consulter comme le laisse entendre le gouvernement est incompatible avec l’« approche généreuse et téléologique » à l’égard de cet élément de l’obligation de consulter, telle que décrite dans l’arrêt Rio Tinto, et cela est incompatible aussi avec l’objectif de réaliser la réconciliation. [Non souligné dans l’original.]

[109]   La décision Conseil des Innus de Ekuanitshit c. Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 1298 [Ekuanitshit], aux paragraphes 175–176, est elle aussi pertinente, car la Cour y souligne que l’obligation de consulter entre en jeu en rapport avec des droits économiques plus vastes, comme c’est le cas en l’espèce avec l’ERA de 2019, et pas uniquement en lien avec des droits de chasse, de pêche, de piégeage et de récolte. Comme il est signalé au paragraphe 176, des précédents dans le cadre desquels la Cour a tenu compte d’« intérêts économiques » pour confirmer une obligation de consulter sont établis quand ces intérêts sont étroitement liés à un droit ou un titre ancestral ou à un droit territorial sous-jacent et qu’ils en découlent donc (Ehattesaht, aux paragraphes 59–62; Da’naxda’xw/Awaetlala; Squamish Nation v. British Columbia (Community, Sport and Cultural Development), 2014 BCSC 991 (Squamish Nation)). C’est donc dire qu’il a été reconnu que les intérêts économiques à l’égard d’aspects liés à des terres revendiquées et à l’utilisation économique de ces dernières sont des situations qui peuvent déclencher l’obligation de consulter.

[110]   À mon humble avis, les avantages économiques et communautaires importants et précieux qui ont été négociés en guise d’indemnisation de droits ancestraux ou issus de traités, qu’Ermineskin a obtenus dans l’ERA de 2019, ont droit à la protection qu’assurent l’honneur de la Couronne, interprétée de manière généreuse et téléologique, et son obligation de consulter concomitante, car ces avantages sont étroitement liés au droit ancestral ou issu de traité sous-jacent et en découlent [Ekuanitshit, aux paragraphes 176 et 177] :

La Cour est d’accord avec les Innus d’Ekuanitshit que le devoir de consulter peut exister même si des intérêts économiques plus larges, et pas seulement des droits aborigènes traditionnels, sont en jeu (Ehattesaht First Nation v Bristish Columbia (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2014 BCSC 849 [Ehattesaht] au para 61). L’époque où les activités autochtones se résumaient uniquement à la chasse, à la pêche, au piégeage ou à la vente de produits d’artisanat est effectivement révolue. La réalité économique des autochtones ne peut plus être réduite à ces seules activités traditionnelles.

Cependant, les précédents où ces intérêts économiques ont été pris en compte pour fonder une obligation de consultation l’ont été lorsque ces intérêts étaient intimement liés à un droit ancestral, à un titre aborigène ou à un droit territorial sous-jacent (Ehattesaht aux para 59-62; Da’naxda’xw/Awaetlala First Nation v British Columbia Hydro and Power Authority, 2015 BCSC 16; Squamish Nation v British Columbia (Community, Sport and Cultural Development), 2014 BCSC 991). Ainsi, les aspects économiques des terres revendiquées et l’utilisation de nature économique des terres ont été reconnus comme une situation pouvant déclencher l’obligation de consultation. De plus, la connaissance par le gouvernement fédéral du titre aborigène revendiqué n’était généralement jamais en cause dans ces affaires et était admise. Par exemple, dans Ehattesaht, un droit aborigène sur une partie du territoire de l’île de Vancouver était en cause et la mesure gouvernementale se traduisait par une perte d’opportunité économique dans les droits de coupe provenant d’une partie de ce territoire. La connaissance de la Couronne au sujet des droits aborigènes sur le territoire affecté était reconnue, et l’impact de la mesure touchait le territoire et les ressources sur lesquels les autochtones se réclamaient d’un droit ancestral. [Non souligné dans l’original.]

[111]   La preuve incontestée et admise devant la Cour est qu’Ermineskin a obtenu des engagements contractuels de Coalspur dans l’ERA de 2013 et l’ERA de 2019. Je souligne que ces avantages avaient pour but d’indemniser des droits ancestraux ou issus de traités.

[112]   Il est également important, selon l’affidavit no II de Wildcat, que l’ERA de 2013 et l’ERA de 2019 expliquent en partie le succès considérable et la grande stabilité financière d’Ermineskin [aux paragraphes 10–14] :

[traduction]

Dans l’affidavit no 1, j’ai écrit qu’« Ermineskin était considérée comme l’une des communautés des Premières Nations les plus économiquement stables au Canada. Ermineskin s’est engagée dans un vigoureux processus de consultation et de négociation avec les promoteurs présents sur son territoire, et les revenus découlant des activités de développement économique menées sur les terres visées par le Traité no 6 servent à soutenir des entreprises de la communauté, à retenir les services de spécialistes de l’extérieur et à développer l’infrastructure de la nation ».

Ces revenus découlent, notamment, d’ententes sur les répercussions et les avantages et d’autres ententes conclues avec des promoteurs. Ces ententes procurent à Ermineskin une indemnisation pécuniaire et d’autres avantages qui compensent les effets potentiels attribuables à la mise en valeur des ressources naturelles sur la capacité des membres d’Ermineskin à exercer leurs droits ancestraux sur leur territoire traditionnel, dont celui de chasser, de pêcher, de piéger et de récolter.

Pour conclure ces ententes, Ermineskin a établi un équilibre entre, d’une part, ses préoccupations concernant la prise de terres visées par le Traité no 6 et les effets préjudiciables de la mise en valeur des ressources naturelles sur ses droits ancestraux et, d’autre part, le souhait de promouvoir le bien-être économique et social de ses membres au sein du territoire traditionnel. Ces décisions sont un exercice du droit d’Ermineskin à l’autodétermination.

Les ententes sur les répercussions et les avantages

Dans l’affidavit no 1, j’ai décrit les ententes sur les répercussions et les avantages de 2013 et de 2019 qu’Ermineskin avait conclues avec Coalspur, au sujet de ses activités d’exploitation du charbon, tant existantes que proposées. La teneur de ces ententes est confidentielle.

Aux termes de l’ERA de 2013 et de l’ERA de 2019, Ermineskin a décidé d’appuyer la mine de charbon Vista et les agrandissements en échange d’une participation aux avantages économiques de ces projets et, le cas échéant, d’une réduction des effets préjudiciables potentiels. Les ententes ne dérogent pas aux droits ancestraux ou issus de traités d’Ermineskin, ce qui inclut le droit de prendre part aux processus réglementaires et de consultation en cours, et elles n’annulent ni ne remplacent l’obligation qu’a la Couronne de consulter Ermineskin. [Non souligné dans l’original.]

[113]   Le ministre dit que les effets directs qui peuvent survenir ou non et dont il est possible de traiter en détail plus tard au cours du processus penchent du [traduction] « côté hypothétique » et ne déclenchent pas l’obligation de consulter, et il soutient que, s’il y avait un effet indirect, il serait du genre hypothétique (note de bas de page no 58, paragraphe 59, mémoire du ministre défendeur). Je ne suis pas d’accord, et ce, pour plusieurs raisons.

[114]   Premièrement, la jurisprudence établit le contraire : un intérêt économique suffit pour déclencher l’obligation de consulter, et il peut s’agir d’un intérêt économique potentiel qui peut se concrétiser, ou non, dans l’avenir : voir Da’naxda’xw/Awaetlala, au paragraphe 136; [traduction] « les avantages économiques que les Da’naxda’xw espéraient tirer du projet se sont peut-être réalisés, ou non, mais je ne considère pas que l’effet préjudiciable est hypothétique ». À mon humble avis, l’ERA de 2019 constitue un intérêt potentiel de cette nature. Comme c’était le cas dans l’arrêt Da’naxda’xw/Awaetlala, par suite de l’arrêté de désignation, Ermineskin peut [traduction] « avoir perdu une occasion unique, qui est importante pour [elle], compte tenu surtout de l’éloignement de [ses] territoires traditionnels » (Da’naxda’xw/Awaetlala, au paragraphe 136). C’est exactement la même situation que celle à laquelle Ermineskin fait face, par rapport à l’ERA de 2013 et à l’ERA de 2019.

[115]   Deuxièmement, le ministre semble ne pas être d’accord avec la conclusion tirée dans l’arrêt Rio Tinto, au paragraphe 35, qui, selon moi, a force exécutoire, à savoir : « Il s’agit d’une obligation de nature prospective prenant appui sur des droits dont l’existence reste à prouver » [italique dans l’original.] En toute déférence, je préfère suivre l’arrêt Rio Tinto.

[116]   Même si les avantages de l’ERA de 2019 n’ont peut-être pas commencé à se concrétiser, cela ne peut nier la valeur que représente cette ERA aux yeux d’Ermineskin. Il me semble aussi que l’obligation de consulter concernant la perte de l’ERA de 2019 se solde également par une valeur pour la Couronne, sous l’angle de ses objectifs de réconciliation déclarés. De plus, je conclus que le fait que les obligations doivent être exécutées d’une manière conforme à des conditions contractuelles, dont certaines peuvent survenir dans l’avenir, n’atténue en rien le fait que l’ERA de 2019 était censée avantager Ermineskin et ses citoyens.

[117]   Je conclus que les avantages sociaux, économiques et communautaires garantis par l’ERA de 2019 sont menacés par l’effet préjudiciable potentiel de l’arrêté de désignation. Je conclus aussi que des pertes ont déjà été subies, parce que l’arrêté de désignation a été pris il y a plus d’un an et qu’il a déjà retardé la phase II ainsi que la mine d’essai souterraine restreinte.

[118]   Je ne suis pas en mesure de conclure que ces effets préjudiciables réels et potentiels sont [traduction] « hypothétiques », comme le prétend le ministre. En toute déférence, rien dans la preuve n’étaye l’allégation du ministre selon laquelle le lien de causalité entre la perte des avantages de l’ERA de 2019 et la mesure de la Couronne est de nature hypothétique. Alléguer le contraire, c’est avancer l’argument très ténu que tous les contrats exécutoires sont hypothétiques; cela n’est tout simplement pas le cas. À l’opposé, en l’absence de toute preuve contraire, il me semble que notre Cour doit donner crédit à la valeur de l’ERA de 2013 et de l’ERA de 2019, qui ont été négociées de bonne foi entre cette Première Nation et cet exploitant de ressources. J’ai déjà dit que l’ERA de 2013 et l’ERA de 2019 étaient étroitement liées à des droits ancestraux ou issus de traités et qu’elles en découlaient; de plus, à mon avis, les mesures de la Couronne, en prenant l’arrêté de désignation, ont un lien direct et négatif avec ce qu’Ermineskin recevrait aux termes de l’ERA de 2013 et de l’ERA de 2019.

[119]   Dans le même sens et par analogie (voir Squamish Nation), la Couronne ne peut se soustraire à l’obligation de consulter en décidant unilatéralement que l’ERA de 2019 conclue avec Ermineskin n’est d’aucune valeur, ou en souhaitant qu’elle disparaisse. Voir les paragraphes 151–153 :

[traduction]

Je ne souscris pas à l’argument des défendeurs selon lequel, étant donné que ce PCO [Plan communautaire officiel] restreint les projets futurs, et qu’il préserve donc le statu quo, il n’existe aucun effet préjudiciable potentiel sur des droits ou des titres ancestraux. La consultation a pour objet d’écouter les préoccupations des Premières Nations dont les droits et les titres peuvent être négativement touchés par une décision et de prendre en compte ces préoccupations. La Couronne ne peut se soustraire à l’obligation de consulter en décidant unilatéralement que les terres devraient être conservées dans leur état actuel.

Je fais mien le raisonnement suivant de la juge Fisher dans Da’naxda’xw, où elle a examiné la question de savoir si la Couronne avait une obligation de consulter avant de se prononcer contre une modification aux limites d’une réserve qui faisait concrètement obstacle à un projet de mise en valeur que la Nation Da’naxda’xw avait proposé [au paragraphes 130 et 139] :

[…] Je ne suis pas d’accord avec le gouvernement pour dire que la mesure qui envisage de conserver le statu quo signifie nécessairement que cela n’aura pas un effet préjudiciable sur les intérêts des Autochtones.

[…]

J’accepte le fait que, dans certaines circonstances, des décisions qui préservent des terres ou le statu quo peuvent ne pas avoir d’effets préjudiciables sur des revendications autochtones. [Tsuu T’ina Nation v. Alberta (Minister of Environment), 2010 ABCA 137] en est un exemple. Cependant, selon mon interprétation, l’arrêt Nation haïda n’établit pas une obligation de consulter uniquement dans le but de préserver des terres contre toute mise en valeur. Je souscris à l’observation de M. Elwood selon laquelle la revendication des Haïda à l’égard des terres et des forêts de leur territoire traditionnel comporte un élément économique, et un autre aspect de la mesure de la Couronne qui est en litige a été l’exclusion des Haïda des avantages de la ressource forestière. Les mesures de conservation proposées pourraient avoir un effet préjudiciable sur les droits et les titres autochtones revendiqués, car elles sont susceptibles de restreindre les usages futurs des terres. Le processus du PGRT et les consultations intergouvernementales concernant la région de l’Upper Klinaklini l’illustrent clairement. À mon avis, le fait de restreindre l’obligation de consulter comme le laisse entendre le gouvernement est incompatible avec l’« approche généreuse et téléologique » à l’égard de cet élément de l’obligation de consulter, telle que décrite dans l’arrêt Rio Tinto, et cela est incompatible aussi avec l’objectif de réaliser la réconciliation.

Les requérants ont démontré l’existence d’un lien de causalité entre l’approbation du PCO et une possibilité d’effets préjudiciables sur leurs revendications de titre ancestral en instance. Comme le juge en chef Lamer l’a signalé dans l’arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, au para 166 : « les terres détenues en vertu d’un titre aborigène ont une composante économique inéluctable » (souligné dans l’original). Le PCO présente la possibilité de restreindre les usages auxquels les nations peuvent consacrer des terres qu’elles acquerront dans l’avenir. Un tel potentiel oblige la province à s’engager dans des consultations et, le cas échéant, à prendre des mesures d’accommodement. [Non souligné dans l’original.]

[120]   Je partage l’opinion selon laquelle le fait de restreindre l’obligation de consulter comme le laisse entendre le ministre est incompatible avec l’« approche généreuse et téléologique » à l’égard de cette obligation qui a été décrite dans l’arrêt Rio Tinto et qui a été soulignée plus haut.

[121]   Le fait de circonscrire l’obligation de consulter par rapport à ce qui est énoncé dans la jurisprudence établie est également incompatible avec l’objectif de réaliser la réconciliation. En toute déférence, il me semble que nous avons dépassé le stade où de hauts fonctionnaires gouvernementaux, même des ministres, peuvent désapprouver des ententes qu’ont conclues des Premières Nations (en les qualifiant comme [traduction] « hypothétiques ») et permettre ainsi à la Couronne de restreindre, voire d’abroger entièrement, comme il est allégué en l’espèce, l’honneur constitutionnalisé de la Couronne et son obligation connexe de consulter.

[122]   Le ministre défendeur soutient que, sans l’arrêté de désignation, la LEI ne s’appliquerait pas à la phase II et à la mine d’essai souterraine restreinte, de sorte que cet arrêté est un moyen d’examiner plus en détail les activités concrètes proposées et sert à éviter tout effet préjudiciable immédiat.

[123]   Cet argument ne peut pas être retenu, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, plusieurs ministères et organismes fédéraux, comme Pêches et Océans Canada, ceux qui sont responsables de la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29, et d’autres entités conservent leurs pouvoirs législatifs d’évaluer et d’éviter toute atteinte dans les secteurs qui relèvent de la compétence fédérale. Dans le même ordre d’idées, les Premières Nations, de l’un ou l’autre côté de cette question, continuent d’avoir accès à des mesures de réparation de ces entités, ainsi qu’aux tribunaux, en cas de besoin. De plus, cet argument est tout à fait hypothétique.

[124]   Fait plus important, cet argument est un faux-fuyant. Il ne va pas dans le sens contraire de l’obligation de mener des consultations sur d’éventuels droits ancestraux ou issus de traités. Il s’agit là d’un argument, un parmi de nombreux autres, dont il faut discuter avec les Premières Nations au cours des consultations, lesquelles auraient dû avoir lieu, mais ne l’ont pas encore été.

[125]   Le ministre défendeur fait ensuite valoir que l’article 12 de la LEI intègre une obligation de consulter uniquement dans les cas où un projet est désigné, tandis que l’article 9 ne comporte aucune obligation légale de permettre au public ou à un groupe particulier de participer. Cet argument est dénué de tout fondement. Il m’est impossible de voir quoi que ce soit à l’article 12 qui libère le Canada de son obligation de consulter, laquelle, comme l’admet le ministre défendeur au paragraphe 50 de son mémoire, est ancrée dans l’honneur constitutionnalisé de la Couronne (Nation haïda, au paragraphe 16) et qui doit avoir lieu avant que la Couronne prenne des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur des droits ancestraux ou issus de traités. À mon avis, l’abrogation suggérée d’une obligation constitutionnalisée de consulter exigerait plus que l’adoption de l’article 12 de la LEI :

Obligation de l’Agence — offre de consulter

12 Afin de préparer l’évaluation d’impact éventuelle d’un projet désigné, l’Agence est tenue d’offrir de consulter toute instance qui a des attributions relatives à l’évaluation des effets environnementaux du projet et tout groupe autochtone qui peut être touché par la réalisation du projet.

[126]   Cet argument reflète aussi une vision périmée de ce qu’englobent les droits ancestraux ou issus de traités, une vision que la jurisprudence n’étaye pas. Comme il a été souligné, la jurisprudence n’exige pas seulement une approche généreuse et téléologique à l’égard de l’obligation de consulter ainsi que de l’honneur de la Couronne qui la sous-tend. Par ailleurs, l’obligation de consulter prend également naissance en lien avec des droits économiques concernant le « fait » qu’il arrive souvent que les peuples autochtones prennent part à l’exploitation d’une ressource : « Elle tient aussi compte du fait que les peuples autochtones participent souvent à l’exploitation des ressources » (Rio Tinto, au paragraphe 34).

[127]   Le ministre affirme que la jurisprudence dans laquelle il a été reconnu que des effets préjudiciables sur les intérêts économiques déclenchaient l’obligation de consulter met en cause des intérêts économiques étroitement liés à un droit ou à un titre ancestral. En l’espèce, dit-il, les intérêts économiques découlent d’une entente conclue avec Coalspur, ils sont distincts de la teneur de droits ancestraux ou issus de traités et ne se rapportent pas à la promesse de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ou au principe de l’honneur de la Couronne. J’ai déjà examiné et rejeté cette interprétation étroite des droits ancestraux ou issus de traités que protège l’article 35 à l’égard de droits économiques qui, comme je l’ai conclu en l’espèce, sont étroitement liés à des droits ancestraux ou issus de traités et découlent de ces derniers.

[128]   Ermineskin dit que, si notre Cour conclut qu’il y avait une obligation de consulter, celle-ci n’a pas été respectée en l’espèce, car il n’y a eu aucune consultation du tout. Je suis d’accord. Ermineskin n’a pas été avisée de la réception de la demande de désignation et n’a pas été informée par le ministre ou l’Agence que la décision de 2019 de ne pas procéder à la désignation pouvait être annulée. Ermineskin n’a pas eu la possibilité de consulter sérieusement l’Agence ou le ministre avant que ce dernier prenne l’arrêté de désignation.

[129]   Non seulement n’y a-t-il eu aucune consultation du tout, mais je conclus qu’Ermineskin a été inexplicablement exclue de ce processus très unilatéral. J’écris « unilatéral », parce que, pour une raison quelconque, l’Agence et le ministre, relativement à la contribution des Autochtones, ont décidé d’entendre uniquement les voix autochtones qui demandaient l’arrêté de désignation. Par contraste, dans le cas de la décision de 2019 de ne pas désigner la phase II, l’Agence a avisé 31 communautés autochtones, dont quatre ont répondu, et elle a pris leurs réponses en compte.

C.   L’équité procédurale

[130]   Il n’est pas nécessaire de trancher cet aspect de l’affaire, étant donné que j’ai conclu qu’il était nécessaire d’accorder un contrôle judiciaire, parce que l’Agence et le ministre ont manqué à l’obligation de consulter qui est ancrée dans l’honneur constitutionnalisé de la Couronne.

D.   Le caractère raisonnable

[131]   Ermineskin se fonde sur les observations qu’a faites Coalspur dans le mémoire des faits et du droit qu’elle a déposé dans le cadre du dossier T-1008-20. Je ne rends aucune décision à cet égard pour la même raison que celle pour laquelle je m’abstiens de traiter de l’équité procédurale.

V.    Conclusion

[132]   À mon humble avis, pour les motifs susmentionnés, l’obligation de consulter a été déclenchée en l’espèce. Il y a eu manquement à cette obligation, parce qu’Ermineskin n’a pas été avisée de la tenue d’une consultation, ou n’a pu en bénéficier. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

VI.   Les dépens

[133]   Les parties ont convenu que chacune d’elles devrait supporter ses propres frais, et je rendrai donc une ordonnance en ce sens.

JUGEMENT dans le dossier T-1014-20

LA COUR ORDONNE :

1.    La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, l’arrêté de désignation est annulé, et la présente affaire est renvoyée pour nouvel examen.

2.    Aucuns dépens ne sont adjugés à l’une ou l’autre des parties.

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