A-177-19
2021 CAF 96
La Banque canadienne impériale de commerce (appelante)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
Répertorié : Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Canada
Cour d’appel fédérale, juges Stratas, Webb et Rennie, J.C.A.—Par vidéoconférence, 16 février; Ottawa, 20 mai 2021.
Note de l’arrêtiste : Les parties caviardées par la Cour sont indiquées par [***].
Douanes et Accise — Loi sur la taxe d’accise — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt, rejetant l’appel de l’appelante contre la décision du ministre du Revenu national de rejeter la demande de remboursement de la TPS payée par l’appelante — L’appelante a conclu une convention avec Air Canada avant cession à Aéroplan — Durant la période du mois de mars 2005 au mois de février 2007, l’appelante a fait des paiements considérables à la Société en commandite Aéroplan (Aéroplan) et a payé la TPS — Parce qu’elle exploitait une entreprise de services financiers, l’appelante n’a pas pu demander de crédits de taxe sur les intrants pour la TPS payée à Aéroplan — L’appelante a présenté une demande de remboursement en vertu de l’art. 261 de la Loi sur la taxe d’accise au motif qu’elle avait payé la TPS par erreur; selon la thèse de l’appelante, les fournitures d’Aéroplan étaient des services financiers et, par conséquent, constituaient des fournitures exonérées — Elle a également présenté des thèses subsidiaires — Il s’agissait de savoir si le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’appelante recevait d’Aéroplan des services de promotion et de mise en marché et non des milles Aéroplan — Le juge Webb, J.C.A. (le juge Rennie, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : L’obligation de l’appelante de payer la contrepartie était liée dans la présente affaire aux services de promotion et de mise en marché qu’Aéroplan devait fournir à l’appelante — Rien dans les dispositions de la convention ne permettrait de conclure que l’appelante payait la contrepartie pour la délivrance de milles Aéroplan aux titulaires de carte de crédit — Il incombe à l’acquéreur d’une fourniture taxable de payer la taxe, et cet acquéreur est la personne qui est tenue de payer la contrepartie de la fourniture aux termes de la convention qui s’applique — Par conséquent, il s’ensuit logiquement que la convention aux termes de laquelle la contrepartie est à payer joue un rôle prépondérant dans la décision sur les effets fiscaux découlant de la Loi — La délivrance de milles Aéroplan aux clients de l’appelante ne pouvait se hisser au rang de fourniture prédominante alors que l’attribution de ces milles Aéroplan ne figurait même pas dans les activités d’aiguillage pour lesquelles une contrepartie était à payer — Les rapports juridiques unissant l’appelante et Aéroplan ont été définis par la convention conclue entre les deux parties — Rien ne montrait que la convention ne constituait pas un rapport juridique véritable — Rien ne permettait de conclure que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur dans son interprétation de la convention liant Aéroplan et l’appelante et, par conséquent, rien ne permettait de conclure qu’il a commis une erreur lorsqu’il a conclu que la fourniture prédominante effectuée par Aéroplan en faveur de l’appelante était des services de promotion et de mise en marché — Appel rejeté — Le juge Stratas, J.C.A. (dissident) : Les juges majoritaires ont dirigé leur attention sur le libellé des clauses du contrat, à l’exclusion de toute autre chose — Ils ont déclaré qu’ils n’avaient pas besoin d’examiner l’efficacité sur le plan commercial parce que le contrat précise qu’une obligation est accessoire à une autre — Cette approche s’est écartée du critère établi dans les arrêts Global Cash Access (Canada) Inc. c. Canada et Great West, Compagnie d’assurance vie c. Canada, qui nous lient — Les motifs de la Cour de l’impôt étaient diffus et obscurs — L’élément qui confère à la fourniture son efficacité sur le plan commercial est le droit d’attribuer des milles — Pour un certain nombre de raisons, les milles étaient l’élément prédominant de la fourniture — Puisque l’appelante payait une contrepartie pour les milles, pour l’application de la TPS, les milles constituaient des certificats‑cadeaux, conformément au régime prévu par la Loi sur la taxe d’accise — Il s’en est suivi que l’art. 181.2 de la Loi s’appliquait, de sorte que l’acquisition de milles par l’appelante ne constituait pas une fourniture — L’appelante a donc payé la TPS par erreur; elle avait droit au remboursement qu’elle demandait.
Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt, rejetant l’appel de l’appelante contre la décision du ministre du Revenu national de rejeter la demande de remboursement de la TPS payée par l’appelante. L’appelante a fait des paiements considérables à la Société en commandite Aéroplan (Aéroplan) en application de la convention liant ces sociétés et portant sur les cartes de crédit Aéroplan émises par l’appelante. L’appelante a payé à Aéroplan la TPS, calculée sur la base des sommes qu’elle a versées. L’appelante a présenté au ministre du Revenu national (le ministre) une demande de remboursement de la TPS, qu’il a rejetée. Elle a ensuite interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt, mais son appel a été rejeté.
L’appelante a d’abord conclu une convention avec Air Canada avant cession à Aéroplan. L’appelante voulait par cette convention accroître ses activités de carte de crédit et de services bancaires. Durant la période du 25 mars 2005 au 26 février 2007, l’appelante a fait des paiements considérables à Aéroplan et a payé la TPS. Si l’appelante avait exercé une activité commerciale, elle aurait pu demander des crédits de taxe sur les intrants pour les montants de TPS qu’elle payait. Or, parce qu’elle exploitait une entreprise de services financiers, l’appelante n’a pas pu demander de crédits de taxe sur les intrants pour la TPS payée à Aéroplan. L’appelante a par la suite tenté de récupérer ces montants de TPS en présentant une demande de remboursement en vertu de l’article 261 de la Loi sur la taxe d’accise au motif qu’elle aurait payé la TPS par erreur. Selon la thèse de l’appelante, les fournitures d’Aéroplan étaient des services financiers et, par conséquent, constituaient des fournitures exonérées. L’appelante a également présenté des thèses subsidiaires, à savoir qu’elle exploitait une coentreprise avec Aéroplan ou qu’elle payait pour que des certificats‑cadeaux soient remis à ses clients. Lorsque l’affaire a été débattue devant la Cour de l’impôt, l’appelante a limité ses observations à la thèse selon laquelle elle payait Aéroplan pour que celle‑ci délivre des milles Aéroplan à ses clients et que ces milles étaient des certificats‑cadeaux. Elle a fait valoir que, si les milles Aéroplan sont des certificats‑cadeaux qui sont délivrés à titre onéreux, la délivrance ou la vente de ces milles serait réputée ne pas être une fourniture et l’appelante n’aurait pas à payer la TPS (article 181.2 de la Loi). Selon la convention conclue entre l’appelante et Aéroplan, Aéroplan devait fournir une liste de ses membres à l’appelante et faire la promotion des cartes de crédit de cette dernière. Des milles Aéroplan devaient être délivrés aux titulaires de ces cartes en fonction des sommes admissibles portées chaque mois par les titulaires sur leur carte. De plus, ces sommes admissibles serviraient de paramètre dans la formule servant à calculer la somme que l’appelante aurait à verser à Aéroplan. Les titulaires de carte de crédit accumulaient leurs milles Aéroplan pour les échanger contre des billets d’avion, des marchandises ou des cartes‑cadeaux.
La Cour de l’impôt a conclu qu’une fourniture unique avait été effectuée et ni l’une ni l’autre des parties n’a contesté cette conclusion dans le présent appel. Le litige concernait la nature de ce qui a été fourni dans cette fourniture unique. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la véritable nature du programme de milles Aéroplan, de la convention de 2003 et des fournitures d’Aéroplan y afférentes était l’incitation à demander des cartes de crédit participantes de l’appelante et d’autres produits financiers de cette dernière. Le juge en est arrivé à cette conclusion en déterminant ce en quoi consistait la fourniture effectuée par Aéroplan envers l’appelante pour laquelle cette dernière versait une contrepartie en application de la convention en question. La convention conclue entre Aéroplan et l’appelante, y compris l’annexe D de celle‑ci, a été examinée. Cette annexe établissait la formule qui a servi à calculer le montant que l’appelante devait payer à Aéroplan. La somme que l’appelante devait à Aéroplan dépendait du nombre de milles Aéroplan délivrés aux clients de l’appelante et de la somme facturée par mille. La TPS était ajoutée pour le calcul de la somme totale. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la fourniture unique consistait en des services de promotion et de mise en marché offerts par Aéroplan à l’appelante. Ces services étant une fourniture taxable, l’appelante n’avait pas droit au remboursement de la TPS qu’elle avait payée. La Cour de l’impôt a choisi d’examiner aussi la question de savoir si les milles Aéroplan étaient des certificats‑cadeaux. Elle a essentiellement conclu que, puisque leurs attributs ne sont pas semblables à ceux de l’argent, les milles Aéroplan ne sont pas des certificats‑cadeaux pour l’application de la Loi.
Il s’agissait principalement de savoir dans le présent appel si le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’appelante recevait d’Aéroplan des services de promotion et de mise en marché et non des milles Aéroplan.
Arrêt (juge Stratas, J.C.A., dissident) : l’appel doit être rejeté.
Le juge Webb, J.C.A. (le juge Rennie, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : La TPS doit être payée par les acquéreurs de fournitures taxables, et le terme « acquéreur » est défini à l’article 123 de la Loi, de manière générale, comme étant une personne qui est tenue, aux termes d’une convention, de payer la contrepartie de la fourniture. En l’espèce, l’appelante était la personne tenue de payer la contrepartie aux termes de la convention conclue avec Aéroplan. La question à trancher était donc de savoir en quoi consistaient les biens ou les services fournis à l’appelante. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que la fourniture effectuée envers l’appelante consistait en des services de promotion et de mise en marché en se fondant sur son interprétation de la convention aux termes de laquelle la contrepartie était à payer. L’appelante a soutenu que la fourniture qu’Aéroplan a effectuée à son endroit était la fourniture de milles Aéroplan délivrés à ses clients et que les milles Aéroplan sont des certificats‑cadeaux pour l’application de la Loi. Elle a fait porter ses observations surtout sur la valeur des milles Aéroplan pour ses clients, soutenant que ces milles devaient être la fourniture prédominante effectuée par Aéroplan aux termes de la convention. Cependant, cette observation était fondée sur une interprétation de la convention faite du point de vue des clients de l’appelante et non du point de vue de l’appelante. Les clients de l’appelante n’étaient pas les personnes qui étaient tenues de payer la contrepartie aux termes de la convention en cause, de sorte qu’ils n’étaient pas les personnes tenues de payer la TPS sur les fournitures effectuées en application de la convention. C’est plutôt l’appelante qui était la personne tenue de payer la contrepartie aux termes de la convention et qui, par conséquent, était tenue de payer la TPS. Il fallait donc se concentrer sur l’appelante et sur ce qui, de son point de vue, était fourni aux termes de la convention.
La convention en cause établit explicitement quelle est la fourniture prédominante et quelles sont les fournitures accessoires. Il est évident que l’article 9 de la convention lie le paiement de la contrepartie à l’obligation d’Aéroplan d’encourager ou d’aider [traduction] « les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte » (les services de promotion et de mise en marché fournis par Aéroplan à l’appelante). Le texte de l’annexe D de la convention est conforme à celui de l’article 9. Tant l’article 9 que l’annexe D lient l’obligation de payer la contrepartie aux services de promotion et de mise en marché qu’Aéroplan doit fournir à l’appelante. De plus, tant l’article 9 de la convention que l’annexe D indiquent expressément que les autres obligations d’Aéroplan (ce qui inclurait la délivrance de milles Aéroplan aux clients de l’appelante) sont accessoires aux services de promotion et de mise en marché. Rien dans les dispositions de la convention ne permettrait de conclure que l’appelante payait la contrepartie qu’elle versait pour la simple délivrance de milles Aéroplan aux titulaires de carte de crédit. Ces dispositions ne sont pas incompatibles avec l’article 9 et l’annexe D selon lesquels les autres obligations d’Aéroplan (y compris l’obligation d’Aéroplan de porter les milles au crédit des comptes Aéroplan des clients de l’appelante) étaient accessoires à l’obligation d’encourager ou d’aider les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte de crédit. L’appelante a contesté l’importance que le juge de la Cour de l’impôt a accordée à la convention conclue entre elle et Aéroplan. La thèse selon laquelle la convention qui lie les parties et aux termes de laquelle est versée une contrepartie pour une fourniture ne doit pas jouer de rôle prépondérant dans la décision sur les effets fiscaux découlant de la Loi était incompatible avec la Loi. Il incombe à l’acquéreur d’une fourniture taxable de payer la taxe (article 165 de la Loi), et cet acquéreur est la personne qui est tenue de payer la contrepartie de la fourniture aux termes de la convention qui s’applique (définition du terme « acquéreur » à l’article 123 de la Loi). Par conséquent, il s’ensuit logiquement que la convention aux termes de laquelle la contrepartie est à payer joue un rôle prépondérant dans la décision sur les effets fiscaux découlant de la Loi. La délivrance de milles Aéroplan aux clients de l’appelante ne faisait partie d’aucune des activités d’aiguillage en cause et, par conséquent, ne pouvait être considérée comme faisant partie de l’obligation d’Aéroplan d’encourager ou d’aider les membres d’Aéroplan ou d’autres personnes à présenter une demande de carte. Par conséquent, l’obligation d’Aéroplan de porter des milles Aéroplan au crédit des comptes Aéroplan des titulaires de carte de l’appelante ne faisait pas partie des services de promotion et de mise en marché que le juge de la Cour de l’impôt a reconnus comme étant l’élément prédominant de la fourniture. La délivrance de milles Aéroplan aux clients de l’appelante ne pouvait se hisser au rang de fourniture prédominante lorsque l’attribution de ces milles Aéroplan ne figurait même pas dans les activités d’aiguillage pour lesquelles une contrepartie était à payer. Les rapports juridiques unissant l’appelante et Aéroplan ont été définis par la convention conclue entre les deux parties. Rien ne montrait que la convention ne constituait pas un rapport juridique véritable. En outre, il n’y avait rien dans le dossier qui laisserait croire que les mots choisis par les parties pour libeller l’article 9 et l’annexe D ne traduisaient pas l’intention des parties ni qui montrerait que les effets juridiques véritables de ces clauses différaient de ce que les mots indiquaient. Rien ne permettait de conclure que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur dans son interprétation de la convention liant Aéroplan et l’appelante et, par conséquent, rien ne permettait de conclure qu’il a commis une erreur lorsqu’il a conclu que la fourniture prédominante effectuée par Aéroplan en faveur de l’appelante était des services de promotion et de mise en marché.
Le juge Stratas J.C.A. (dissident) : Pour déterminer quel est l’élément prédominant d’une fourniture unique qui est composée de plusieurs éléments, mixte ou composite, il faut isoler les éléments de la fourniture et se demander lequel donne à la fourniture son efficacité sur le plan commercial ou lequel, sur le plan pratique ou commercial, entraîne le paiement de la contrepartie. Cette question nous fait sortir de l’aspect purement technique des obligations juridiques stipulées dans un contrat. Les juges majoritaires ont dirigé leur attention sur le libellé des clauses du contrat, à l’exclusion de toute autre chose. Ils ont déclaré qu’ils n’avaient pas besoin d’examiner l’efficacité sur le plan commercial parce que le contrat précise qu’une obligation est accessoire à une autre. Cette approche s’est écartée du critère établi dans les arrêts Global Cash Access (Canada) Inc. c. Canada et Great‑West, Compagnie d’assurance‑vie c. Canada, qui nous lient et qui nous encouragent à nous pencher sur l’aspect pratique et commercial de la fourniture. L’élément qui prédomine est celui qui donne à la fourniture son efficacité sur le plan commercial ou, en d’autres mots, la raison justifiant la contrepartie. Les motifs de la Cour de l’impôt à cet égard étaient diffus et obscurs et il était impossible de voir le fondement de sa décision sur ce point. Cela a permis à la Cour de procéder à sa propre analyse et, au besoin, de modifier la décision de la Cour de l’impôt. L’élément qui confère à la fourniture son efficacité sur le plan commercial, l’élément prédominant de la fourniture, est le droit d’attribuer des milles. Le simple fait que l’appelante prévoyait de se servir de son bien, c’est‑à‑dire le droit d’attribuer des milles, pour faire de l’argent n’étayait pas le point de vue selon lequel il s’agissait de services de promotion et de mise en marché. Pour un certain nombre de raisons, les milles étaient l’élément prédominant de la fourniture. Dans le monde du commerce, les milles fonctionnent comme des certificats‑cadeaux. En l’espèce, puisque l’appelante payait une contrepartie pour les milles; pour l’application de la TPS, les milles constituaient des certificats‑cadeaux, conformément au régime prévu par la Loi sur la taxe d’accise. Il s’en est suivi que l’article 181.2 de la Loi s’appliquait, de sorte que l’acquisition de milles par l’appelante ne constituait pas une fourniture. L’appelante a donc payé la TPS par erreur. Elle avait droit au remboursement qu’elle demandait.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 123 « acquéreur », « bien », « service », « service financier », 165, 181–181.3, 181.2, 261.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Great-West, Compagnie d’assurance-vie c. Canada, 2016 CAF 316, [2016] A.C.F. no 1408 (QL); Global Cash Access (Canada) Inc. c. Canada, 2013 CAF 269, [2013] A.C.F. no 1271 (QL); Sattva Capital Corporation c. Creston Moly Corporation, 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633; Urquhart c. Canada, 2016 CAF 76, [2016] A.C.F. no 250 (QL); Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352; Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, 1993 CanLII 55; MacDonald c. Canada, 2020 CSC 6, [2020] A.C.S. no 6 (QL); Shell Canada Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, 1999 CanLII 647; Hammill c. Canada, 2005 CAF 252, [2005] A.C.F. no 1197 (QL).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Club Intrawest c. Canada, 2017 CAF 151, [2017] A.C.F. no 702 (QL).
DÉCISIONS CITÉES :
Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Barnwell c. Canada, 2016 CAF 150, [2016] A.C.F. no 516 (QL); Camp Mini-Yo-We Inc. c. Canada, 2006 CAF 413, [2006] A.C.F. no 1942 (QL); Banque Royale du Canada c. La Reine, 2007 CCI 281, [2007] A.C.I. no 361 (QL); Canasia Industries Ltd. c. La Reine, 2003 CCI 33.
APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2019 CCI 79), rejetant l’appel de l’appelante contre la décision du ministre du Revenu national de rejeter la demande de remboursement de la TPS payée par l’appelante. Appel rejeté, le juge Stratas, J.C.A., étant dissident.
ONT COMPARU :
Al Meghji, Al-Nawaz Nanji et D’Arcy Schieman pour l’appelante.
Marilyn Vardy et Craig Maw pour l’intimée.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l., Toronto, pour l’appelante.
La sous-procureure générale du Canada pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs public du jugement rendus par
[1] Le juge Webb, J.C.A. : La Banque canadienne impériale de commerce (la CIBC) a fait des paiements considérables à la Société en commandite Aéroplan (Aéroplan) en application de la convention liant ces sociétés et portant sur les cartes de crédit Aéroplan émises par la CIBC. La CIBC a payé à Aéroplan la taxe sur les produits et services (la TPS), calculée sur la base des sommes versées par la CIBC. Cette dernière a présenté au ministre du Revenu national (le ministre) une demande de remboursement de la TPS, qu’il a rejetée. La CIBC a interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt. L’appel a été rejeté ([Banque canadienne impériale de commerce c. La Reine] 2019 CCI 79, motifs du juge Visser). La CIBC a ensuite interjeté appel de ce jugement auprès de notre Cour.
[2] Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais le présent appel.
I. Les faits
[3] La CIBC a d’abord conclu une convention avec Air Canada avant cession à Aéroplan. La CIBC voulait par cette convention accroître ses activités de carte de crédit et de services bancaires. L’exposé conjoint (partiel) des faits produit pour l’audience devant la Cour de l’impôt portait principalement sur les activités de carte de crédit de la CIBC, le paragraphe 10 indiquant qu’en plus de l’utilisation de certaines cartes de crédit de la CIBC, d’autres activités permettaient aux clients d’accumuler des milles Aéroplan (notamment le paiement d’intérêts sur certains prêts hypothécaires). Les motifs de la Cour de l’impôt et les observations présentées dans le présent appel portaient principalement sur les activités de carte de crédit. Par conséquent, les présents motifs porteront principalement sur les activités de carte de crédit.
[4] Durant la période du 25 mars 2005 au 26 février 2007, la CIBC a fait des paiements considérables à Aéroplan et a payé la TPS. Si la CIBC avait exercé une activité commerciale, elle aurait pu demander des crédits de taxe sur les intrants pour les montants de TPS qu’elle payait. Or, parce que la CIBC exploitait une entreprise de services financiers, elle n’a pas pu demander de crédits de taxe sur les intrants pour la TPS payée à Aéroplan. La CIBC a par la suite tenté de récupérer ces montants de TPS en présentant une demande de remboursement en vertu de l’article 261 de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la Loi), au motif qu’elle aurait payé la TPS par erreur. Selon la thèse de la CIBC, les fournitures d’Aéroplan étaient des services financiers et, par conséquent, constituaient des fournitures exonérées. La CIBC a également présenté des thèses subsidiaires, à savoir qu’elle exploitait une coentreprise avec Aéroplan ou qu’elle payait pour que des certificats-cadeaux soient remis à ses clients.
[5] Lorsque l’affaire a été débattue devant la Cour de l’impôt, la CIBC a limité ses observations à la thèse selon laquelle elle payait Aéroplan pour que celle-ci délivre des milles Aéroplan à ses clients et que ces milles étaient des certificats-cadeaux. Si les milles Aéroplan sont des certificats-cadeaux qui sont délivrés à titre onéreux, la délivrance ou la vente de ces milles serait réputée ne pas être une fourniture et la CIBC n’aurait pas à payer la TPS (article 181.2 de la Loi).
[6] Les faits sur lesquels il n’y a pas de controverse entre les parties figurent dans l’exposé conjoint (partiel) des faits joint aux motifs du juge de la Cour de l’impôt. Il n’est pas nécessaire de tous les répéter ici. Pour résumer, selon la convention conclue entre la CIBC et Aéroplan, Aéroplan devait fournir une liste de ses membres à la CIBC et faire la promotion des cartes de crédit de la CIBC. Des milles Aéroplan devaient être délivrés aux titulaires de ces cartes en fonction des sommes admissibles portées chaque mois par les titulaires sur leur carte. De plus, ces sommes admissibles serviraient de paramètre dans la formule servant à calculer la somme que la CIBC aurait à verser à Aéroplan.
[7] Les titulaires de carte de crédit accumulaient leurs milles Aéroplan pour les échanger contre des billets d’avion, des marchandises ou des cartes-cadeaux.
II. La décision du juge de la Cour de l’impôt
[8] Les deux parties ont soutenu qu’une fourniture unique avait été effectuée par Aéroplan à la CIBC. Le juge de la Cour de l’impôt a aussi conclu qu’une fourniture unique avait été effectuée et ni l’une ni l’autre des parties ne conteste cette conclusion dans le présent appel.
[9] Le litige concerne la nature de ce qui a été fourni dans cette fourniture unique. Au paragraphe 32 de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt conclut ceci : « La véritable nature ou la raison d’être du programme de milles Aéroplan, de la convention de 2003 et des fournitures d’Aéroplan y afférentes me paraît être l’incitation à demander des cartes de crédit participantes de la Banque de Commerce (et d’autres produits financiers de la Banque de Commerce, tels que les prêts hypothécaires) et l’accroissement de leur utilisation. »
[10] Le juge en est arrivé à cette conclusion en déterminant ce en quoi consistait la fourniture effectuée par Aéroplan envers la CIBC pour laquelle cette dernière versait une contrepartie en application de la convention en question. Plus précisément, l’article 9 de cette convention entre Aéroplan et la CIBC est reproduit au paragraphe 22 des motifs du juge de la Cour de l’impôt :
[traduction]
9. Frais d’aiguillage
La Banque de Commerce s’engage à payer à [Aéroplan], au titre des titulaires de carte, des frais calculés selon l’annexe D en contrepartie d’activités encourageant ou aidant les membres d’Aéroplan et d’autres personnes de présenter des demandes de carte, et en contrepartie des autres obligations prévues à la présente convention qui sont accessoires à ces activités.
[11] L’annexe D de la convention, dont une partie est reproduite au paragraphe 23 des motifs du juge de la Cour de l’impôt, établit la formule qui a servi à calculer le montant que la CIBC devait payer à Aéroplan (auquel s’ajoutait la TPS qui a été payée) :
[traduction]
1. Frais d’aiguillage (alinéa 9a))
a) La Banque de Commerce s’engage à payer à [Aéroplan], au titre des titulaires de carte, des frais calculés comme suit en contrepartie d’activités encourageant ou aidant les membres d’Aéroplan et d’autres personnes de présenter des demandes de carte, et en contrepartie des autres obligations prévues à la présente convention qui sont accessoires à ces activités :
(i) le montant des achats de biens et de services facturés à tous les comptes de carte pour lesquels le titulaire a payé au moins le paiement minimal, exception faite des avances de fonds, des intérêts et des frais de carte, et soustraction faite des notes de crédit,
moins
(ii) le solde impayé de tous les comptes de carte pour lesquels la Banque de Commerce n’a pas reçu le paiement minimal dans les six mois suivant la facturation et de ceux dont le titulaire a fait faillite, et les soldes que la Banque de Commerce a radiés conformément à ses pratiques habituelles, sauf les montants impayés au titre des avances de fonds et des frais de cartes,
cette différence étant multipliée par le « coût d’un mille Aéroplan » entendu au sens suivant [...]
[12] Le juge de la Cour de l’impôt a également noté que l’article 1 de l’annexe D stipulait que les montants à payer n’incluaient pas les taxes. Au titre de l’alinéa 1f) de l’annexe D, la CIBC avait l’obligation de payer les taxes de vente et les taxes sur la valeur ajoutée applicables à l’achat de produits et services par la CIBC.
[13] Sur chaque facture d’Aéroplan figurait une mention générale : [traduction] « Participation de la CIBC […] au programme Aéroplan ». Après le nom « CIBC », il était renvoyé à la carte de crédit visée (VISA, AEROGOLD, AERO BUSINESS, AEROCORPORATE ou AERO CLASSIC). La somme due dépendait du nombre de milles Aéroplan délivrés aux clients de la CIBC et de la somme facturée par mille. La TPS était ajoutée pour le calcul de la somme totale.
[14] Les services d’aiguillage qu’Aéroplan devait fournir ont été résumés par le juge de la Cour de l’impôt au paragraphe 20 des motifs :
c) article 5 — Aéroplan s’engageait à exercer diverses activités de commercialisation pour la Banque de Commerce, notamment :
i. communiquer à la Banque de Commerce des renseignements sur les membres d’Aéroplan [traduction] « dont la Banque de Commerce pourrait avoir besoin aux fins de la planification de ses activités de commercialisation et du développement de modèles […] »;
ii. communiquer à la Banque de Commerce la liste des membres d’Aéroplan au moins trois fois par période de douze mois afin de permettre aux parties d’envoyer de la publicité au sujet des cartes de crédit de la Banque de Commerce aux personnes figurant sur cette liste;
iii. permettre à la Banque de Commerce d’insérer des annonces dans quatre lettres à certains membres d’Aéroplan par période de douze mois et d’inclure des formulaires de demande de carte de la Banque de Commerce dans les trousses de bienvenue d’Aéroplan;
iv. insérer des articles sur les cartes de la Banque de Commerce dans trois des six bulletins d’Aéroplan publiés chaque année;
v. réserver de l’espace pour la présentation des formulaires de demande de carte de la Banque de Commerce dans les salons Feuille d’érable et d’autres comptoirs d’Air Canada;
vi. réserver de l’espace d’affichage publicitaire pour les cartes de crédit dans les passerelles d’embarquement.
[15] Le juge de la Cour de l’impôt a conclu au paragraphe 35 de ses motifs que la fourniture unique consistait en des services de promotion et de mise en marché offerts par Aéroplan à la CIBC. Ces services étant une fourniture taxable, la CIBC n’avait pas droit au remboursement de la TPS qu’elle avait payée. Ayant conclu que la fourniture unique effectuée par Aéroplan pour laquelle la CIBC avait payé une contrepartie constituait en des services de promotion et de mise en marché, le juge disposait d’un fondement suffisant pour rejeter l’appel de la CIBC. Toutefois, le juge de la Cour de l’impôt a choisi d’examiner quand même la question de savoir si les milles Aéroplan étaient des certificats-cadeaux. Il a essentiellement conclu que, puisque leurs attributs ne sont pas semblables à ceux de l’argent, les milles Aéroplan ne sont pas des certificats-cadeaux pour l’application de la Loi.
III. La question en litige et les normes de contrôle
[16] La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur lorsqu’il a conclu que la CIBC recevait d’Aéroplan des services de promotion et de mise en marché et non des milles Aéroplan. Si le juge a commis une erreur, la question suivante serait de savoir s’il a commis une erreur en concluant que les milles Aéroplan ne sont pas des certificats-cadeaux pour l’application de la Loi.
[17] La norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit est celle de l’erreur manifeste et dominante, et la norme applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).
[18] Au paragraphe 24 de son mémoire, la CIBC soutient que [traduction] « la nature d’une fourniture mixte unique est déterminée par son élément prédominant, ce qui en fait une question de droit ». À l’appui de son affirmation voulant que la conclusion sur l’élément prédominant soit une question de droit, la CIBC a invoqué le paragraphe 82 de l’arrêt Club Intrawest c. Canada, 2017 CAF 151, [2017] A.C.F. no 702 (QL) (Club Intrawest) :
Ce que je tire de la décision Global Cash Access, c’est l’attention qu’il faut porter à l’élément prédominant d’une fourniture unique en vue d’appliquer la Loi. C’est une erreur de droit que d’appliquer la Loi en portant attention aux services qui ne font pas partie de l’élément prédominant de la fourniture unique (voir également la décision Great-West, Compagnie d’assurance-vie c. Canada, 2016 CAF 316, [2016] A.C.F. no 1408, au paragraphe 43).
[19] Dans l’arrêt Great-West, Compagnie d’assurance-vie c. Canada, 2016 CAF 316, [2016] A.C.F. no 1408 (QL) (Great-West Life), notre Cour a affirmé ceci [au paragraphe 43] :
Dans l’arrêt Global Cash, la Cour a conclu que les fournitures sont jugées incluses ou non dans la définition de « service financier » en fonction de leurs éléments prédominants. Il s’agit là d’un principe important, car il serait fautif de se prononcer sur l’inclusion ou l’exclusion en tenant compte de services qui ne sont pas des éléments prédominants.
[20] Tant dans l’arrêt Club Intrawest que dans l’arrêt Great-West Life, on invoque l’arrêt Global Cash Access (Canada) Inc. c. Canada, 2013 CAF 269, [2013] A.C.F. no 1271 (QL) (Global Cash), et on se fonde sur lui. Dans les motifs de Global Cash, la question en litige et la norme de contrôle sont énoncées aux paragraphes 3 et 4 :
Il n’est pas controversé entre les parties que le montant total des commissions doit être traité d’une seule et même manière, sans répartition. Global fait valoir que les commissions sont totalement exonérées de la TPS parce qu’elles doivent être considérées comme une prestation de service qui répond à la définition de « service financier » consacrée par la loi. La Couronne fait valoir que les commissions sont taxables dans leur intégralité parce qu’elles ne constituent pas des contreparties à la prestation de « services financiers » au sens de la loi.
La norme de contrôle
Comme il s’agit en l’espèce de l’appel d’un jugement rendu à la suite d’un procès, la norme de contrôle applicable est régie par les principes consacrés par la jurisprudence Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Le présent appel nécessite une interprétation de la définition des mots « service financier » retenue par la Loi ainsi qu’une interprétation des contrats en vertu desquels Global a payé les commissions en question. Il s’agit de questions de droit qui sont susceptibles d’examen selon la norme de la décision correcte (Ville de Calgary c. Canada, 2010 CAF 127, confirmé par 2012 CSC 20 sans aucune discussion sur ce point); McNeil c. Canada (Commission de l’assurance‑emploi du Canada), 2009 CAF 306.
[21] Le cadre d’analyse que notre Cour a appliqué dans la décision Global Cash pour résoudre ces questions est affiné au paragraphe 26 :
Pour rechercher si la fourniture unique est visée par la définition énoncée dans la loi de ce qui constitue le « service financier », il faut répondre aux questions suivantes : 1) Après interprétation des contrats conclus entre les casinos et Global, quels sont les services fournis par les casinos à Global qui ont justifié le versement de commissions par Global? 2) Ces services sont‑ils visés par la définition que la loi donne à l’expression « service financier »?
[22] La conclusion sur la nature de ce qui avait été fourni en contrepartie de la somme payée dépendait de l’interprétation des contrats pertinents. À cette époque, l’interprétation des contrats pertinents était une question de droit. Toutefois, l’arrêt Global Cash remonte à 2013, soit avant que la Cour suprême du Canada ne rende l’arrêt Sattva Capital Corporation c. Creston Moly Corporation, 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633 (Sattva). Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu, au paragraphe 50 de ses motifs, que l’interprétation d’un contrat était une question mixte de fait et de droit. Le principe énoncé dans Sattva ne se limite pas aux seuls cas impliquant un litige de nature contractuelle entre les parties contractantes. Dans l’arrêt Urquhart c. Canada, 2016 CAF 76, [2016] A.C.F. no 250 (QL), au paragraphe 5, notre Cour a confirmé que le principe énoncé dans l’arrêt Sattva s’applique également lorsqu’elle examine l’interprétation de contrats par un juge de la Cour de l’impôt alors qu’une seule des parties contractantes se trouve devant la Cour.
[23] En l’espèce, la CIBC soutient que l’élément prédominant de la fourniture doit être défini sur le fondement du témoignage de M. Webster (lequel est examiné plus loin) et de certaines dispositions de la convention conclue entre la CIBC et Aéroplan (paragraphe 36 de son mémoire). Cela voudrait dire que la conclusion sur l’élément prédominant de la fourniture en l’espèce serait une question de fait ou une question mixte de fait et de droit.
[24] Comme dans l’affaire Global Cash, la première question est de savoir en quoi consiste la fourniture d’Aéroplan pour laquelle la CIBC a payé une contrepartie. Cette conclusion découlant d’une part de l’interprétation de la convention liant la CIBC et Aéroplan et d’autre part de l’appréciation du témoignage de M. Webster, il s’agit, pour l’interprétation de la convention, d’une question mixte de fait et de droit et, pour l’appréciation du témoignage de M. Webster, d’une question de fait.
[25] Par conséquent, la norme de contrôle qui s’applique à la conclusion sur ce en quoi consiste la fourniture effectuée par Aéroplan envers la CIBC pour laquelle cette dernière a versé une contrepartie est celle de l’erreur manifeste et dominante.
[26] L’erreur manifeste et dominante est une norme rigoureuse. Dans l’arrêt Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, les juges majoritaires de la Cour suprême ont formulé les observations suivantes [aux paragraphes 38 et 39] :
Il est tout aussi utile de rappeler ce qu’on entend par « erreur manifeste et dominante ». Le juge Stratas décrit la norme déférente en ces termes dans l’arrêt South Yukon Forest Corp. c. R., 2012 CAF 165, 4 B.L.R. (5th) 31, par. 46 :
L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue [...] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.
Ou, comme le dit le juge Morissette dans l’arrêt J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, par. 77 (CanLII), « une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions. »
[27] Si la fourniture unique consistait en l’achat de milles Aéroplan, la question de savoir si les milles Aéroplan sont des certificats-cadeaux nécessiterait alors que le terme « certificat-cadeau » soit interprété pour l’application de la Loi, ce qui serait une question de droit.
IV. Analyse
[28] La TPS doit être payée par les acquéreurs de fournitures taxables :
Taux de la taxe sur les produits et services
165 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l’acquéreur d’une fourniture taxable effectuée au Canada est tenu de payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe calculée au taux de 5 % sur la valeur de la contrepartie de la fourniture.
[29] Le terme « acquéreur » est défini à l’article 123 de la Loi :
123 (1) …
acquéreur
a) Personne qui est tenue, aux termes d’une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;
[…]
Par ailleurs, la mention d’une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée vaut mention de l’acquéreur de la fourniture. (recipient)
[30] En l’espèce, la CIBC est la personne tenue de payer la contrepartie aux termes de la convention conclue avec Aéroplan. Il s’ensuit que la question à trancher est de savoir en quoi consistaient les biens ou les services fournis à la CIBC. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’Aéroplan avait effectué une fourniture unique envers la CIBC et que cette fourniture consistait en des services de promotion et de mise en marché. Le juge de la Cour de l’impôt a tiré cette conclusion en se fondant sur son interprétation de la convention aux termes de laquelle la contrepartie était à payer.
[31] La CIBC ne conteste pas qu’Aéroplan a effectué une fourniture unique, mais elle soutient que la fourniture qu’Aéroplan a effectuée à son endroit était la fourniture de milles Aéroplan délivrés aux clients de la CIBC et que les milles Aéroplan sont des certificats-cadeaux pour l’application de la Loi. La CIBC a décrit cette fourniture comme étant [traduction] « la délivrance de milles Aéroplan aux clients de la CIBC », à l’alinéa 15a) de son mémoire, et elle a affirmé, au paragraphe 21 de son mémoire, qu’elle [traduction] « les achetait pour récompenser ses clients ».
[32] La CIBC ne soutient ni dans son avis d’appel ni dans son mémoire que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante en interprétant le paragraphe 9 et l’annexe D de la convention liant la CIBC et Aéroplan. Au contraire, la CIBC fait porter ses observations surtout sur la valeur des milles Aéroplan pour ses clients. Essentiellement, elle soutient que ces milles ont de la valeur parce qu’ils peuvent être échangés contre des produits ou des services et que, par conséquent, les milles devaient être la fourniture prédominante effectuée par Aéroplan aux termes de la convention.
[33] Cependant, cette observation est fondée sur une interprétation de la convention faite du point de vue des clients de la CIBC et non du point de vue de la CIBC elle-même. Les clients de la CIBC ne sont pas les personnes qui étaient tenues de payer la contrepartie aux termes de la convention entre la CIBC et Aéroplan; il s’ensuit qu’ils ne sont pas les personnes tenues de payer la TPS sur les fournitures effectuées en application de la convention. C’est plutôt la CIBC qui est la personne tenue de payer la contrepartie aux termes de la convention et qui, par conséquent, est tenue de payer la TPS. Il faut donc se concentrer sur la CIBC et sur ce qui, de son point de vue, était fourni aux termes de la convention.
[34] Dans l’arrêt Global Cash, le critère servant à déterminer ce qu’est la fourniture prédominante est énoncé succinctement au paragraphe 26 : « quels sont les services fournis par les casinos à Global qui ont justifié le versement de commissions par Global? » Cette question, après adaptation aux faits en l’espèce, devient la suivante : qu’est-ce qu’Aéroplan a fourni à la CIBC qui justifie le versement des sommes payées par la CIBC?
[35] Lorsqu’elle a déterminé quelle était la fourniture pour laquelle des commissions avaient été payées dans l’affaire Global Cash, notre Cour a conclu que « l’efficacité sur le plan commercial de l’arrangement dépend essentiellement de l’accès à l’argent des casinos » (paragraphe 28). Il était nécessaire d’examiner l’efficacité de l’arrangement sur le plan commercial parce que le paiement des commissions se faisait lorsque les transactions étaient réalisées (sans que soit précisé quel était l’élément prédominant) et, comme il est mentionné au paragraphe 27 de l’arrêt Global Cash, la fourniture était composée de trois éléments :
Les casinos ont perçu des commissions pour des transactions effectuées dans le cadre du service d’accès à des fonds. Pour effectuer ces transactions, les casinos devaient fournir 1) l’accès à leurs locaux afin qu’y soient installés le matériel de Global (comme les terminaux informatiques et les kiosques), 2) des services administratifs, exécutés par les caissiers, et 3) l’argent devant être remis aux clients.
[36] Il s’agissait de déterminer lequel parmi ces trois éléments justifiait raisonnablement sur le plan commercial le paiement des commissions. Notre Cour a par la suite conclu aux paragraphes 29 et 30 que les transactions effectuées étaient visées par l’alinéa g) [de l’article 123] de la définition du terme « service financier » de la Loi « (“l’octroi d’une avance ou de crédit ou le prêt d’argent” […]) » « parce que chaque transaction consiste essentiellement en une avance d’argent par les casinos, versée aux clients à la demande de Global et que Global doit rembourser. »
[37] Dans l’arrêt Great-West Life [au paragraphe 47], notre Cour a là aussi posé la même question, soit celle du paragraphe 26 de Global Cash :
La première question consiste simplement à déterminer quels services ont été fournis pour la contrepartie reçue.
[38] Au paragraphe 50 de l’arrêt Great-West Life, notre Cour a confirmé que le critère à appliquer pour déterminer quels étaient les éléments prédominants de la fourniture était d’établir quels étaient « les éléments du service qui donnaient lieu au paiement des prestations. »
[39] Par conséquent, la question qui doit être examinée est de savoir ce qu’a fourni Aéroplan à la CIBC pour la contrepartie versée. Pour répondre à cette question, il n’est pas nécessaire d’examiner l’efficacité sur le plan commercial de la convention entre la CIBC et Aéroplan parce que cette convention établit explicitement quelle est la fourniture prédominante et quelles sont les fournitures accessoires.
[40] Il est évident que l’article 9 de la convention lie le paiement de la contrepartie à l’obligation d’Aéroplan d’encourager ou d’aider [traduction] « les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte » (les services de promotion et de mise en marché fournis par Aéroplan à la CIBC) :
[traduction] La CIBC s’engage à payer à [Aéroplan], au titre des titulaires de carte, des frais calculés selon l’annexe D en contrepartie d’activités encourageant ou aidant les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte, et en contrepartie des autres obligations prévues à la présente convention qui sont accessoires à ces activités.
[41] Le texte de l’annexe D est conforme à celui de l’article 9.
[traduction] La CIBC s’engage à payer à [Aéroplan], au titre des titulaires de carte, des frais calculés comme suit en contrepartie d’activités encourageant ou aidant les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte, et en contrepartie des autres obligations prévues à la présente convention qui sont accessoires à ces activités [...]
[42] Tant l’article 9 que l’annexe D de la convention lient l’obligation de payer la contrepartie aux services de promotion et de mise en marché qu’Aéroplan doit fournir à la CIBC. De plus, tant l’article 9 que l’annexe D indiquent expressément que les autres obligations d’Aéroplan (ce qui inclurait la délivrance de milles Aéroplan aux clients de la CIBC) sont accessoires aux services de promotion et de mise en marché.
[43] La formule même prévue à l’annexe D le confirme également. La formule est axée sur les sommes facturées sur les cartes de crédit Aéroplan émises par la CIBC. Dans les faits, la contrepartie que doit payer la CIBC est liée au succès des services de promotion et de mise en marché.
[44] La CIBC a reconnu lors de l’audience pour le présent appel que rien dans la convention conclue avec Aéroplan n’indiquait que la CIBC achetait des milles Aéroplan. De même, il n’existe dans la convention aucun passage indiquant explicitement que la CIBC payait les sommes en contrepartie des milles Aéroplan délivrés par Aéroplan.
[45] L’article 13 de la convention liant la CIBC et Aéroplan porte sur les comptes Aéroplan et plus précisément sur l’attribution de milles Aéroplan aux titulaires de cartes de crédit émises par la CIBC. Les sous-alinéas 13a)(i) et (ii) de la convention sont rédigés ainsi :
[traduction]
[***]
(ii) Par la suite, [Aéroplan], à ses propres frais, porte les points en milles au crédit du compte Aéroplan du titulaire de carte en fonction des rapports et calculs de la CIBC établis conformément au présent alinéa 13c) dans les deux jours ouvrables après avoir reçu la bande ou la transmission électronique de la CIBC; dans le cas où le nombre de points en milles d’un titulaire serait négatif, [Aéroplan] pourra déduire ce nombre points en milles du compte Aéroplan de ce titulaire. [Non souligné dans l’original.]
[46] L’alinéa 13c) porte sur le calcul des points Aéroplan. Le nombre de points en milles se calcule en fonction des sommes facturées sur une carte de crédit appartenant à un client de la CIBC, duquel on retire les sommes en souffrance.
[47] [***] Quoi qu’il en soit, rien dans ces dispositions ne permet de conclure que la CIBC payait la contrepartie qu’elle versait pour la simple délivrance de milles Aéroplan aux titulaires de carte de crédit. Ces dispositions ne sont pas incompatibles avec l’article 9 et l’annexe D selon lesquels les autres obligations d’Aéroplan (ce qui comprendrait l’obligation d’Aéroplan de porter les milles au crédit des comptes Aéroplan des clients de la CIBC) sont accessoires à l’obligation d’encourager ou d’aider les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte de crédit.
[48] La CIBC soutient que le témoignage de son témoin, M. Webster, à l’audience devant la Cour de l’impôt corroborait sa thèse, à savoir qu’elle achetait des milles Aéroplan et qu’il s’agissait de l’élément prédominant de la fourniture. La CIBC cite des extraits de ce témoignage au paragraphe 31 de son mémoire, lesquels sont tirés des pages 26 et 27 puis de la page 33 de la transcription de l’audience devant la Cour de l’impôt :
Extrait tiré des pages 26 et 27 :
[traduction]
Q. D’après vous, pourquoi la CIBC a-t-elle choisi Aéroplan?
R. CIBC a choisi Aéroplan, je crois, pour deux raisons principales, qui, je crois, sont demeurées les mêmes aussi longtemps que nous avons offert Aéroplan.
La première est que le programme pour grands voyageurs d’Air Canada, le programme Aéroplan, est attrayant pour les grands voyageurs et que ces grands voyageurs forment un groupe démographique attrayant pour la CIBC du fait que ce groupe tend à dépenser plus d’argent et est un groupe profitable du point de vue des cartes de crédit.
La deuxième raison, assez proche de la première, est que le fait qu’on offre des milles Aéroplan chaque fois qu’est utilisée une carte de crédit encourage les clients à regrouper leurs dépenses sur notre carte plutôt que de les disperser sur les cartes de crédit de nos compétiteurs.
Nous avons donc pu, en offrant des milles Aéroplan, faire plus d’affaires avec ces clients que nous avons attirés.
Q. Comment savez-vous que vous avez pu faire plus d’affaires?
R. Nous savons que nous avons fait davantage d’affaires parce que nous pouvons voir que ces clients dépensent plus d’argent sur leur carte de crédit, lorsqu’on constate qu’ils utilisent chaque mois leur carte de crédit.
Extrait tiré de la page 33 :
[traduction]
Q. Selon vous, qu’est-ce qui justifie sur le plan commercial l’attribution de milles Aéroplan par la CIBC?
R. Sur le plan commercial, l’idée était qu’ils constituaient une récompense très attrayante que les clients désiraient et qui nous permettrait, comme je l’ai dit, d’attirer un plus grand nombre de clients à la CIBC — ce qui fut le cas — et qui les pousserait à se servir de leur carte plus souvent — ce qui fut aussi le cas.
[49] Bien que M. Webster ait parlé en termes généraux des objectifs de la CIBC (accroître les activités liées aux cartes de crédit en incitant les grands voyageurs à se procurer une carte et à l’utiliser), il n’affirme pas que la CIBC achetait des milles Aéroplan ni que la délivrance de milles par Aéroplan aux clients de la CIBC ne constituait pas une activité accessoire à l’accès à la liste des membres d’Aéroplan.
[50] La déclaration de M. Webster selon laquelle les [traduction] « grands voyageurs forment un groupe démographique attrayant pour la CIBC du fait que ce groupe tend à dépenser plus d’argent et est un groupe profitable du point de vue des cartes de crédit » étaye plutôt la conclusion que l’objectif principal de la CIBC était d’accéder à la base de données des membres d’Aéroplan, c’est-à-dire qu’Aéroplan fournirait la liste de ses membres, auxquels seraient envoyées des demandes de carte de crédit. Cette idée figure dans la convention, où il est écrit qu’Aéroplan doit exercer diverses activités [traduction] « encourageant ou aidant les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte », et se trouve également explicitée plus en détail à l’article 5 (voir le paragraphe 14 des présents motifs). Le témoignage de M. Webster confirme en général l’objectif de la CIBC, à savoir l’accroissement de ses activités de carte de crédit, qui serait réalisé par une hausse des demandes de carte et de l’utilisation de ces cartes.
[51] Si on interprétait le témoignage de M. Webster comme rehaussant l’importance des milles Aéroplan délivrés, ce témoignage serait incompatible avec l’article 9 et l’annexe D de la convention, où il est énoncé explicitement que les autres obligations d’Aéroplan (lesquelles incluraient l’obligation de délivrer les milles Aéroplan aux clients de la CIBC) sont accessoires aux obligations d’exercer des activités [traduction] « encourageant ou aidant les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte ».
[52] Comme l’a fait observer le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême, dans l’arrêt Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, 1993 CanLII 55, à la page 736 :
Comme dans d’autres domaines du droit, lorsqu’il faut établir l’objet ou l’intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l’objet subjectif d’une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l’objet se manifeste objectivement, et l’objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances.
[53] Dans l’arrêt MacDonald c. Canada, 2020 CSC 6, [2020] A.C.S. no 6 (QL), la juge Abella, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, a fait observer ce qui suit [au paragraphe 43] :
Le témoignage ex-post facto de M. MacDonald quant à ses intentions ne saurait supplanter les manifestations d’un objet différent qui ressort objectivement du dossier.
[54] Toute déclaration faite par M. Webster à l’audience devant la Cour de l’impôt qui pourrait être interprétée comme conférant au paiement de la contrepartie à Aéroplan par la CIBC une raison autre que ce qui est énoncé dans la convention ne peut supplanter les mots de la convention selon lesquels la CIBC paie une contrepartie à Aéroplan pour qu’Aéroplan exerce des activités [traduction] « encourageant ou aidant les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte ».
[55] La CIBC soutient que le juge de la Cour de l’impôt a accordé trop d’importance à la convention. Dans son mémoire, la CIBC affirme ceci [aux paragraphes 34 et 35] :
[traduction] Le juge est arrivé à cette conclusion en se fondant principalement sur les clauses contractuelles qui présentent les paiements comme étant des « frais d’aiguillage » ou une contrepartie pour qu’Aéroplan encourage ou aide ses membres ou d’autres personnes à demander une carte Visa de la CIBC et aussi sur les clauses contractuelles qui présentent l’exécution des autres obligations d’Aéroplan comme étant accessoire (motifs, par. 32 et 33).
La conclusion du juge est fondée sur deux erreurs de droit :
a) Le juge a commis une erreur en accordant une importance déterminante à ce qu’il a estimé être l’arrangement entre les parties quant à ce qui constituait l’élément prédominant de la fourniture.
b) Le juge a commis une erreur lorsqu’il a omis de se demander, alors qu’il aurait dû le faire, ce qui constituait l’élément central de la fourniture de la société en commandite Aéroplan — l’élément de la fourniture qui à lui seul entraînait le paiement de la contrepartie ou sur lequel l’efficacité du contrat sur le plan commercial dépendait —, à savoir les milles Aéroplan que la CIBC achetait pour ses clients ou les services de promotion et de mise en marché de la société en commandite Aéroplan.
[56] La CIBC conteste l’importance que le juge de la Cour de l’impôt a accordée à la convention conclue entre la CIBC et Aéroplan. Essentiellement, la CIBC nous demande d’apprécier de nouveau les éléments de preuve et d’accorder moins d’importance à cette convention. Toutefois, juger de l’importance à accorder aux divers éléments de preuve est une tâche qui revient au juge de première instance. Ce n’est pas le rôle de notre Cour d’apprécier de nouveau les éléments de preuve (Barnwell c. Canada, 2016 CAF 150, [2016] A.C.F. no 516 (QL), au paragraphe 12).
[57] La thèse selon laquelle la convention qui lie les parties et aux termes de laquelle est versée une contrepartie pour une fourniture ne doit pas jouer de rôle prépondérant dans la décision sur les effets fiscaux découlant de la Loi est incompatible avec la Loi. Comme il a été indiqué, il incombe à l’acquéreur d’une fourniture taxable de payer la taxe (article 165 de la Loi), et cet acquéreur est la personne qui est tenue de payer la contrepartie de la fourniture aux termes de la convention qui s’applique (définition du terme « acquéreur » à l’article 123 de la Loi). Par conséquent, il s’ensuit logiquement que la convention aux termes de laquelle la contrepartie est à payer joue un rôle prépondérant dans la décision sur les effets fiscaux découlant de la Loi.
[58] Plus précisément dans l’arrêt Global Cash, quand il a fallu déterminer la nature de la fourniture, la convention aux termes de laquelle la contrepartie avait été versée a joué un rôle prépondérant. Dans cet arrêt, la première question examinée [au paragraphe 26] a été la suivante : « Après interprétation des contrats conclus entre les casinos et Global, quels sont les services fournis par les casinos à Global qui ont justifié le versement de commissions par Global? » De la même manière que dans l’arrêt Global Cash, la convention aux termes de laquelle la CIBC a versé une contrepartie pour la fourniture doit jouer un rôle prépondérant lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui a été acquis contre les sommes versées.
[59] Au paragraphe 35b) de son mémoire, la CIBC soutient que [traduction] « les milles Aéroplan que la CIBC achetait pour ses clients » étaient [traduction] « les services de promotion et de mise en marché de la société en commandite Aéroplan ». Ces services de promotion et de mise en marché sont décrits de manière générale à l’article 9 de la convention comme étant l’obligation pour Aéroplan d’exercer des activités [traduction] « encourageant ou aidant les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte ». Ces activités d’aiguillage, qu’Aéroplan devait exécuter, sont énoncées à l’article 5 de la convention et résumées au paragraphe 14 des présents motifs. La délivrance de milles Aéroplan aux clients de la CIBC ne fait partie d’aucune de ces activités d’aiguillage et, par conséquent, ne peut être considérée comme faisant partie de l’obligation d’Aéroplan d’encourager ou d’aider les membres d’Aéroplan ou d’autres personnes à présenter une demande de carte. Par conséquent, l’obligation d’Aéroplan de porter des milles Aéroplan au crédit des comptes Aéroplan des titulaires de carte de la CIBC (prévue à l’article 13) ne fait pas partie des services de promotion et de mise en marché que le juge de la Cour de l’impôt a reconnus comme étant l’élément prédominant de la fourniture. La délivrance de milles Aéroplan aux clients de la CIBC ne peut se hisser au rang de fourniture prédominante lorsque l’attribution de ces milles Aéroplan ne figure même pas dans les activités d’aiguillage pour lesquelles une contrepartie est à payer.
[60] La Cour suprême du Canada a confirmé dans l’arrêt Shell Canada Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, 1999 CanLII 647, au paragraphe 39, que les rapports juridiques véritables établis par les contribuables doivent être respectés dans les décisions fiscales.
[61] Les rapports juridiques unissant la CIBC et Aéroplan sont définis par la convention conclue entre les deux parties. Rien ne montre que la convention ne constitue pas un rapport juridique véritable. Essentiellement, la CIBC nous demande de réécrire l’article 9 et l’annexe D de la convention pour qu’ils stipulent que la CIBC paie la contrepartie pour l’achat de milles Aéroplan et non pour qu’Aéroplan exerce des activités [traduction] « encourageant ou aidant les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte ». Je ne vois rien dans le dossier qui laisserait croire que les mots choisis par les parties pour libeller l’article 9 et de l’annexe D ne traduisent pas l’intention des parties, ni qui montrerait que les effets juridiques véritables de ces clauses diffèrent de ce que les mots indiquent.
[62] Lors de l’audience pour le présent appel, la CIBC a soulevé un autre motif d’appel. Elle a soutenu que le juge de la Cour de l’impôt avait commis une erreur en concluant que la fourniture prédominante était des services de promotion et de mise en marché parce que la Couronne n’avait pas invoqué cet argument devant lui. La CIBC a soutenu que des paragraphes de la réponse déposée par la Couronne auprès de la Cour de l’impôt et de l’exposé conjoint (partiel) des faits produit pour l’audience devant la Cour de l’impôt montrent que la Couronne a reconnu que la CIBC payait pour obtenir des milles Aéroplan.
[63] Cependant, la CIBC n’a invoqué ce motif d’appel ni dans son avis d’appel ni dans son mémoire. Si elle était d’avis que le juge de la Cour de l’impôt avait rendu une décision qui n’était pas fondée sur les observations des parties ou qui était contraire aux faits reconnus, la CIBC aurait dû soulever la question dans son avis d’appel et dans son mémoire.
[64] Bien que notre Cour puisse autoriser une partie à invoquer de nouveaux arguments à l’audience pour un appel lorsque la partie adverse a eu la possibilité d’y répondre, ce n’est pas le cas en l’espèce. Ce nouveau motif diffère grandement des autres motifs que la CIBC a soulevés. En outre, rien n’explique pourquoi la CIBC n’aurait pas pu invoquer ce motif dans son avis d’appel ou son mémoire. À mon avis, il n’était pas approprié que la CIBC soulève ce motif durant les observations orales et je n’examinerais pas la question.
[65] Quoi qu’il en soit, la Cour de l’impôt n’était pas liée par ce que la Couronne a pu reconnaître. Dans l’arrêt Hammill c. Canada, 2005 CAF 252, [2005] A.C.F. no 1197 (QL), notre Cour a fait observer ce qui suit [au paragraphe 31] :
L’issue d’un appel interjeté contre une cotisation établie sous le régime de la Loi ne dépend pas de la volonté des parties. Les deniers publics sont en jeu, et la législation donne à la Cour canadienne de l’impôt le mandat de confirmer ou modifier une telle cotisation en première instance sur la base des faits, prouvés ou admis. C’est pourquoi, si la Cour, placée devant un fait formellement admis, ne cherchera pas en général plus loin, les parties ne peuvent par convention dicter l’issue d’un appel en matière fiscale. La Cour canadienne de l’impôt n’est pas liée par la reconnaissance d’une allégation que des éléments de preuve régulièrement produits révèlent être contraire aux faits.
[66] Le juge de la Cour de l’impôt n’était pas lié par la reconnaissance du fait que la CIBC a payé pour des milles Aéroplan étant donné que la convention, laquelle a été produite en preuve devant la Cour de l’impôt, comme il le fallait, établit clairement que les paiements versés par la CIBC en contrepartie des activités d’Aéroplan [traduction] « encourageant ou aidant les membres d’Aéroplan et d’autres personnes à présenter des demandes de carte ».
[67] Rien ne permet de conclure que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur dans son interprétation de la convention liant Aéroplan et la CIBC et, par conséquent, rien ne permet de conclure qu’il a commis une erreur lorsqu’il a conclu que la fourniture prédominante effectuée aux termes de cette convention était des services de promotion et de mise en marché. Par conséquent, je rejetterais le présent appel.
[68] Le juge de la Cour de l’impôt a également examiné la question de savoir si les milles Aéroplan étaient des certificats-cadeaux. La classification des milles Aéroplan pour l’application de la Loi (qu’ils soient considérés comme étant des certificats-cadeaux, des bons ou autres choses) aura un effet sur les personnes qui veulent échanger leurs milles Aéroplan et sur Aéroplan, qui acceptera ces milles en contrepartie de produits ou de services. Cependant, ni les personnes qui échangent leurs milles Aéroplan ni Aéroplan ne sont des parties au présent appel. Le juge de la Cour de l’impôt a également noté, au paragraphe 77 de ses motifs, que la façon dont Aéroplan traitait le rachat de milles Aéroplan n’était pas claire.
[69] En conséquence de quoi, je n’examinerais pas la question de savoir si les milles Aéroplan sont des certificats-cadeaux pour l’application de la Loi. Les présents motifs ne doivent pas être interprétés comme confirmant la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle les milles Aéroplan ne sont pas des certificats-cadeaux ni celle selon laquelle un bien, pour être considéré comme étant un certificat-cadeau, doit avoir des attributs semblables à ceux de l’argent.
V. Conclusion
[70] Par conséquent, je rejetterais le présent appel avec dépens.
Le juge Rennie, J.C.A. : Je suis d'accord.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs public du jugement rendus par
[71] Le juge Stratas, J.C.A. (dissident) : Je ne parviens pas à la même conclusion que mon collègue.
[72] Pour déterminer quel est l’élément prédominant d’une fourniture unique qui est composée de plusieurs éléments, mixte ou composite, il faut isoler les éléments de la fourniture et se demander lequel donne à la fourniture son efficacité sur le plan commercial ou lequel, sur le plan pratique ou commercial, entraîne le paiement de la contrepartie : Global Cash Access (Canada) Inc. c. Canada, 2013 CAF 269, [2016] A.C.F. no 1271 (QL), paragraphes 26 à 30; Great-West, Compagnie d’assurance-vie c. Canada, 2016 CAF 316, [2016] A.C.F. no 1408 (QL), paragraphe 50. Autrement dit, sur le plan pratique ou commercial, qu’est-ce que le contribuable obtient véritablement aux termes de cette partie de la convention?
[73] Cette question nous fait sortir de l’aspect purement technique des obligations juridiques stipulées dans un contrat. Comme le fait observer l’appelante, [traduction] « les modalités du contrat sont pertinentes, mais elles ne peuvent pas être déterminantes » et [traduction] « les parties ne peuvent pas, au moyen d’une clause, s’imposer mutuellement ni imposer au ministre une conclusion donnée sur l’élément prédominant d’une fourniture composite unique pour l’application de la TPS » : voir le paragraphe 27 du mémoire de l’appelante. Les obligations juridiques d’un contrat nous renseignent sur les poursuites, soit qui peut poursuivre et pour quel motif. Mais savoir qui peut poursuivre et pour quel motif constitue au mieux un indice quant à la question plus générale de ce que le contribuable obtenait véritablement, sur le plan pratique ou commercial, aux termes de cette partie de la convention.
[74] Mon collègue dirige son attention sur le libellé des clauses du contrat, à l’exclusion de toute autre chose. Au paragraphe 10 de ses motifs, il se fonde sur le libellé des clauses pour conclure que les obligations d’Aéroplan sont « accessoires » à l’obligation d’Aéroplan d’encourager ou d’aider les membres d’Aéroplan à présenter des demandes de carte à la CIBC. Il se fonde également sur l’annexe D de la convention, qui reprend ce même langage et établit la formule servant à calculer la somme que la CIBC devait payer à Aéroplan. Cette formule, dans les grandes lignes, est basée sur la valeur de l’ensemble des biens et services facturés sur les cartes de crédit de la CIBC. Mon collègue ajoute, au paragraphe 39 qu’il n’a pas besoin d’examiner l’efficacité sur le plan commercial parce que le contrat précise qu’une obligation est accessoire à une autre :
Par conséquent, la question qui doit être examinée est de savoir ce qu’a fourni Aéroplan à la CIBC pour la contrepartie versée. Pour répondre à cette question, il n’est pas nécessaire d’examiner l’efficacité sur le plan commercial de la convention entre la CIBC et Aéroplan parce que cette convention établit explicitement quelle est la fourniture prédominante et quelles sont les fournitures accessoires.
À mon avis, cette approche s’écarte du critère établi dans les arrêts Global Cash et Great-West, qui nous lient et qui nous encouragent à nous pencher sur l’aspect pratique et commercial de la fourniture. À présent que l’approche de mon collègue entre dans le droit jurisprudentiel, je crains qu’à l’avenir les parties ajoutent des mots non pas pour modifier leurs obligations contractuelles ou l’aspect pratique et commercial de leur fourniture, mais bien pour obtenir un traitement plus favorable en matière de TPS. Les rédacteurs rusés et astucieux sauront sans doute en tirer avantage, mais cette brèche mettra à mal les objectifs importants que la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la Loi), est censée mettre en œuvre.
[75] Nous devons suivre l’approche présentée aux paragraphes 72 et 73 des présents motifs. Selon cette approche, la première étape consisterait à isoler les divers éléments de la fourniture. La Cour de l’impôt l’a déjà fait (aux paragraphes 20 à 22) :
• la CIBC a obtenu des renseignements sur les clients d’Aéroplan (voir les alinéas 5(i) et (ii) de la convention de 2003 sur les cartes de crédit);
• Aéroplan et la CIBC ont obtenu toutes les deux des occasions de faire de la promotion, au moyen de feuillets publicitaires ou dans l’établissement de l’autre partie (voir les alinéas 5(iii) à (vi) et les alinéas 8(iv) et (v) de la convention de 2003 sur les cartes de crédit);
• Aéroplan et la CIBC ont convenu d’élaborer un plan annuel de mise en marché pour la carte de la CIBC et de partager les coûts de promotion (voir l’alinéa 8(i) de la convention de 2003 sur les cartes de crédit);
• la CIBC a obtenu le droit d’attribuer des milles (voir l’article 13 de la convention de 2003 sur les cartes de crédit).
[76] Voyons à présent quel est l’élément prédominant. L’élément qui prédomine est celui qui donne à la fourniture son efficacité sur le plan commercial ou, en d’autres mots, la raison justifiant la contrepartie. Les motifs de la Cour de l’impôt à cet égard sont diffus et obscurs et je n’arrive pas à voir le fondement de sa décision sur ce point, ce qui permet à notre Cour de procéder à sa propre analyse et, s’il le faut, de modifier la décision de la Cour de l’impôt.
[77] À mon avis, l’élément qui confère à la fourniture son efficacité sur le plan commercial, l’élément prédominant de la fourniture, est le droit d’attribuer des milles. Sans ce droit d’attribuer des milles, les parties n’auraient aucun intérêt à exécuter les autres obligations. Par exemple, quel serait l’intérêt de la CIBC à recevoir des données sur les clients d’Aéroplan ou des occasions de faire de la publicité si elle n’était pas en mesure d’offrir des milles Aéroplan à ses clients? Cette approche fait écho à la conclusion que notre Cour a tirée sur les faits de l’affaire Global Cash, au paragraphe 28, selon laquelle, sans l’élément prédominant de l’affaire, les parties « n’aurai[ent] eu aucune raison [d’exécuter leurs autres obligations] ».
[78] Mon collègue et la Cour de l’impôt ont tous deux été influencés par le fait que la CIBC entend utiliser son droit d’attribuer des milles pour accroître ses activités de carte de crédit. Ils affirment tous deux que, parce que la CIBC utilisera les milles comme outil de promotion, ces milles constitueront en soi un service de promotion et de mise en marché.
[79] Le simple fait que la CIBC prévoit se servir de son bien, c’est-à-dire le droit d’attribuer des milles, pour faire de l’argent n’étaye pas le point de vue selon lequel il s’agit de services de promotion et de mise en marché. Je propose quatre motifs.
[80] Premièrement, les milles, qui sont un bien au sens du paragraphe 123(1) de la Loi, ne peuvent devenir un service. Un bien ne peut devenir un service parce qu’un service est, selon la définition, « [t]out ce qui n’est [pas] un bien » : paragraphe 123(1) de la Loi.
[81] Deuxièmement, la simple intention de faire de l’argent plus tard est un fondement trop diffus pour changer la nature de la fourniture dont ont convenu la CIBC et Aéroplan. Dans l’économie d’aujourd’hui, presque toutes les opérations avant consommation sont exécutées en vue d’attirer le consommateur et de faire de l’argent, c’est-à-dire à des fins de mise en marché et de promotion. Par exemple, un réparateur de véhicule tout-terrain peut payer pour avoir le droit d’utiliser et d’afficher les marques de commerce de fabricants afin de faire la promotion de sa capacité à réparer les véhicules de ces fabricants. L’objectif est bien la mise en marché et la promotion, mais il demeure que le réparateur a acquis un bien. De la même manière, la CIBC a obtenu le droit d’attribuer des milles, droit qui, selon le ministre, équivaudrait à l’acquisition des milles eux-mêmes, dans le but d’attirer de nouveaux clients pour ses cartes de crédit.
[82] Troisièmement, l’approche est contraire au régime de la Loi, qui taxe les fournitures. Le traitement fiscal d’une opération ou d’une fourniture doit être établi à la suite de l’analyse de l’opération ou de la fourniture elle-même et non pas en fonction d’opérations ou de fournitures qui seraient effectuées plus tard. Autrement dit, l’importance doit être placée sur la nature de la fourniture en question, en l’espèce l’acquisition d’une forme de bien, soit le droit d’attribuer des milles : Camp Mini-Yo-We Inc. c. Canada, 2006 CAF 413, [2006] A.C.F. no 1942 (QL), au paragraphe 33.
[83] Enfin, le témoignage de M. Webster n’étaye pas la conclusion de la Cour de l’impôt selon laquelle la CIBC espérait étendre ses activités principalement au moyen des services de mise en marché et de promotion qu’Aéroplan avait l’obligation de fournir à la CIBC aux termes de la convention. Ce témoignage montre plutôt que la motivation de la CIBC était de récompenser avec des milles les titulaires de carte de crédit parce que la CIBC pensait pouvoir ainsi attirer de nouveaux clients et développer ses activités de carte de crédit.
[84] L’analyse ci-dessus a l’avantage d’être compatible avec les hypothèses avancées par le ministre. S’il n’y a pas d’éléments de preuve infirmant une hypothèse, et je n’en vois aucun en l’espèce, la Cour doit y souscrire. De plus, personne n’a fait valoir devant notre Cour ni devant la Cour de l’impôt que la conclusion quant à l’élément prédominant d’une fourniture unique qui est composée de plusieurs éléments, mixte ou composite doit être fondée sur le libellé technique des obligations inscrites au contrat, sans doute parce que les parties reconnaissaient à juste titre que nous sommes liés par l’approche établie dans les arrêts Global Cash et Great-West.
[85] Ayant déjà conclu que les milles étaient l’élément prédominant de la fourniture, je dois examiner la question de savoir si ces milles sont des certificats-cadeaux pour l’application de la Loi. Les présents motifs ne faisant pas partie de la décision majoritaire, je serai bref.
[86] La taxe sur les produits et services prévue par la Loi n’est imposée que sur la consommation de biens ou de services taxables acquis à titre onéreux. Aucune taxe de vente n’est imposée sur l’argent, qui est un moyen d’échange et non un bien ou un service de consommation : voir les définitions des termes « service » et « bien » au paragraphe 123(1) de la Loi, qui excluent toutes deux l’argent. Qui plus est, le législateur a prévu un traitement unique pour d’autres moyens d’échange comme les bons, les certificats-cadeaux et les unités de troc : voir les articles 181 à 181.3 de la Loi.
[87] La Loi ne définit pas le terme « certificat-cadeau ». Cependant, dans son sens ordinaire, il s’agit d’une pièce, format papier ou électronique, pouvant être utilisée, sous réserve de conditions, en contrepartie pleine ou partielle d’une fourniture offerte par un fournisseur. Cette définition confère au certificat-cadeau des attributs fort semblables à ceux de l’argent et ne le fait en rien ressembler à des biens ou à des services de consommation. Selon cette définition, les milles peuvent être considérés comme étant des certificats-cadeaux.
[88] La Cour de l’impôt a conclu, au paragraphe 83 de ses motifs, que les milles ne pouvaient pas être des certificats-cadeaux parce qu’ils n’ont pas de valeur monétaire fixe. L’exigence qu’il existe une valeur monétaire fixe n’est fondée ni sur le texte, ni sur le contexte, ni sur l’objet de la Loi. Il convient de noter que la Loi n’exige pas non plus que les autres moyens d’échange aient une valeur monétaire fixe, comme les devises étrangères, dont la valeur en dollars canadiens varie dans le temps.
[89] Je confirmerais des décisions antérieures de la Cour canadienne de l’impôt, et les motifs les justifiant, selon lesquelles les points de récompense n’ont pas besoin d’avoir une valeur monétaire fixe pour être considérés comme étant des certificats-cadeaux : Banque Royale du Canada c. La Reine, 2007 CCI 281, [2007] A.C.I. no 361 (QL), paragraphes 47 à 51. Cependant, le simple fait que les points de récompense peuvent être annulés par l’émetteur de ces points ne signifie pas qu’ils ne sont pas des certificats-cadeaux; je ne confirmerais pas la décision Banque Royale du Canada c. La Reine sur ce point.
[90] Dans le monde du commerce, les milles fonctionnent comme des certificats-cadeaux. Les milles sont achetés par les partenaires d’accumulation d’Aéroplan pour récompenser leurs clients. Ils sont un moyen d’échange parce qu’ils peuvent servir de contrepartie pour des biens ou des services de la même manière que de l’argent ou des certificats-cadeaux. Aéroplan accepte les milles en contrepartie de billets d’avion, de marchandises ou de cartes-cadeaux, sous réserve de quelques conditions. La présente affaire diffère de l’affaire Canasia Industries Ltd. c. La Reine, 2003 CCI 33, dans laquelle les conditions de rachat onéreuses avaient pour conséquence que les points de récompense ne fonctionnaient pas comme des moyens d’échange.
[91] En l’espèce, la CIBC payait une contrepartie pour les milles; pour l’application de la TPS, les milles constituent des certificats-cadeaux, ce qui est conforme au régime prévu par la Loi. Il s’ensuit que l’article 181.2 s’applique, de sorte que l’acquisition de milles par la CIBC ne constitue pas une fourniture. La CIBC a donc payé la TPS par erreur. Elle a droit au remboursement qu’elle demande.
[92] Par conséquent, j’accueillerais l’appel avec dépens devant toutes les cours et je renverrais les cotisations au ministre pour l’établissement de nouvelles cotisations, étant entendu que la CIBC a droit au remboursement qu’elle demande.