IMM-7034-19
2021 CF 575
Giacomo Metallo (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Metallo c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge McHaffie—Par vidéoconférence, 31 mars; Ottawa, 9 juin 2021.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Motifs d’ordre humanitaire — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre d’une décision de la déléguée du défendeur, qui a conclu que les motifs d’ordre humanitaire présentés par le demandeur ne justifiaient pas le maintien de son statut de résident permanent — Une mesure de renvoi a donc été prise — Dans des décisions antérieures portant sur l’obtention du statut de résident permanent, la SAI a pris en compte la date à laquelle un agent avait établi un rapport d’interdiction de territoire aux fins du contrôle de l’obligation de résidence — Toutefois, dans le cas du demandeur, la SAI a pris en compte la date à laquelle le demandeur avait présenté sa demande de carte de résident permanent — Le demandeur est devenu un résident permanent du Canada en 1972 lorsqu’il est arrivé de l’Italie avec ses parents pendant qu’il était enfant — Il a passé son enfance au Canada avant de retourner en Italie avec sa famille en 1982 — Il a commencé à revenir au Canada en 2009 pour rendre visite à des membres de sa famille; puis il est arrivé au pays pour y rester en 2016 — Le demandeur a demandé une carte de résident permanent en novembre 2015 — Cette demande a été examinée par un agent d’immigration le 14 novembre 2016; l’agent a conclu que le demandeur ne s’était pas conformé à l’obligation de résidence que prévoit l’art. 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Aux termes de cette disposition, les résidents permanents doivent être effectivement présents au Canada pendant 730 jours durant une période quinquennale — L’agent d’immigration qui a apprécié la demande du demandeur a renvoyé à deux périodes quinquennales pertinentes : la période quinquennale précédant sa demande de carte de résident permanent et la période quinquennale précédant l’examen — Cela représentait un écart de 40 p. 100 pour la période précédant la demande et de 18 p. 100 pour la période précédant le contrôle — L’agent a soutenu que, selon l’art. 28(2)a)(i) de la Loi, il fallait prendre en considération la période précédant la date de la demande — En appel, la SAI a conclu que le manquement du demandeur à l’obligation de résidence était important — Il s’agissait de savoir si la SAI a commis une erreur dans l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire que le demandeur a soulevés en ce qui concerne son manquement à l’obligation de résidence au cours de la période quinquennale précédant la date à laquelle il a présenté sa demande, et si la SAI a commis une erreur dans la prise en compte des autres motifs d’ordre humanitaire qu’il a soulevés — La SAI a précédemment conclu que la période quinquennale qui s’appliquait était celle qui précédait l’établissement du rapport au titre de l’art. 44 — Or, en l’espèce, la SAI a adopté l’approche contraire en prenant en compte la période quinquennale qui avait pris fin à la date de la présentation de la demande — Bien que la SAI se soit clairement penchée sur la question du contrôle visé, elle n’a pas expliqué pourquoi la date déterminante quant au « contrôle » était la date de la demande au lieu de la date de l’établissement du rapport au titre de l’art. 44 — L’écart inexpliqué par rapport à la pratique antérieure de la SAI pour la définition de la période quinquennale visée était déraisonnable dans la présente affaire même si l’absence d’explication tenait vraisemblablement au fait que les parties n’ont pas relevé la question — La détermination de la période quinquennale applicable a eu une incidence sur le dossier du demandeur — L’étendue du manquement à l’obligation de résidence constituait un facteur important dans l’appréciation de la question de savoir si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient le maintien du statut de résident permanent — La SAI a estimé que le manquement à l’obligation de résidence était important — Il était impossible d’affirmer que la différence dans l’étendue du manquement entre les deux périodes quinquennales dans le cas du demandeur n’aurait pas eu d’incidence sur la prise en compte par la SAI des motifs d’ordre humanitaire — La décision de la SAI a été annulée, et l’affaire a été renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour un nouvel examen — Demande accueillie.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre d’une décision de la déléguée du défendeur, qui a conclu que les motifs d’ordre humanitaire présentés par le demandeur ne justifiaient pas le maintien de son statut de résident permanent, soulignant que l’inobservation de l’obligation de résidence était importante. Une mesure de renvoi a donc été prise. Dans la présente affaire, il fallait déterminer quelle période quinquennale devrait être prise en compte dans l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire pour une personne qui réside au Canada et qui a demandé une carte de résident permanent : la période quinquennale qui a pris fin à la date de la demande ou la période quinquennale qui a pris fin à la date de la décision de l’agent. Dans des décisions antérieures portant sur l’obtention du statut de résident permanent, la SAI avait pris en compte la date à laquelle un agent avait établi un rapport d’interdiction de territoire aux fins du contrôle de l’obligation de résidence. Toutefois, dans le cas du demandeur, la SAI a pris en compte la date à laquelle il avait présenté sa demande de carte de résident permanent. Cela a eu un effet concret sur l’appréciation par la SAI du manquement à l’obligation de résidence et, par conséquent, l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire.
Le demandeur est devenu un résident permanent du Canada en 1972 lorsqu’il est arrivé de l’Italie avec ses parents pendant qu’il était enfant. Il a passé son enfance au Canada avant de retourner en Italie avec sa famille en 1982. Il a commencé à revenir au Canada en 2009 pour rendre visite à des membres de sa famille. Il a passé quelques semaines ou quelques mois par année au Canada entre cette date et la date à laquelle il est entré au pays pour y rester, en 2016. Le demandeur a demandé une carte de résident permanent en novembre 2015. Cette demande a été examinée par un agent d’immigration le 14 novembre 2016; l’agent a conclu que le demandeur ne s’était pas conformé à l’obligation de résidence que prévoit l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Aux termes de cette disposition, les résidents permanents doivent être effectivement présents au Canada pendant 730 jours durant une période quinquennale. L’agent d’immigration qui a apprécié la demande du demandeur a renvoyé à deux périodes quinquennales pertinentes : la période quinquennale précédant sa demande de carte de résident permanent (du 24 novembre 2010 au 23 novembre 2015) et la période quinquennale précédant l’examen (du 15 novembre 2011 au 14 novembre 2016). Il a soutenu que, selon le sous-alinéa 28(2)a)(i) de la Loi, le demandeur devait être effectivement présent pour 730 jours pendant la période quinquennale précédant la date de sa demande. Toutefois, le calcul a été effectué à l’égard de chacune des deux périodes quinquennales indiquées. Au cours de la période quinquennale précédant la demande, le demandeur a été effectivement présent au Canada pour 436 jours, soit un écart de 40 p. 100 par rapport à l’obligation de résidence. Pendant les cinq ans précédant le contrôle, il a été présent pour 601 jours au Canada, soit un écart de 18 p. 100. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas respecté l’obligation de résidence de 730 jours et n’avait pas soulevé de motifs d’ordre humanitaire justifiant le maintien de son statut de résident permanent. Il a par conséquent établi un rapport d’interdiction de territoire aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi. Le demandeur n’a pas été informé du résultat de ce contrôle ni n’a reçu le rapport établi aux termes de l’article 44. Il a fini par présenter une autre demande de carte de résident permanent en août 2017. Il a reçu la carte demandée, mais il a aussi été convoqué à une entrevue relative à l’interdiction de territoire avec une déléguée du ministre en juillet 2018. Ce n’est qu’à cette entrevue que le demandeur a appris l’existence du rapport d’interdiction de territoire. La déléguée du ministre a interrogé le demandeur au sujet du rapport établi aux termes de l’article 44. Le demandeur aurait été informé que la période quinquennale pertinente était cinq ans avant la date du rapport, mais que la période visée était celle du 24 novembre 2010 au 23 novembre 2015 (c.-à-d. cinq ans avant la date de la demande).
En appel, la SAI a souligné que, conformément à l’article 28, le résident permanent doit être effectivement présent au Canada pour au moins 730 jours avant le contrôle. La SAI a affirmé qu’en l’espèce, le contrôle était survenu lorsque le demandeur avait déposé une demande de carte de résident permanent, le 23 novembre 2015. La SAI a conclu que le manquement à l’obligation de résidence était important puisqu’il représentait plus du tiers du nombre de jours de présence requis par la loi. Après avoir pris en compte les circonstances de l’espèce, la SAI a conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales pour accueillir l’appel interjeté à l’égard de la mesure de renvoi et pour permettre au demandeur de conserver son statut de résident permanent.
Il s’agissait de savoir si la SAI a commis une erreur dans l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire que le demandeur a soulevés en ce qui concerne son manquement à l’obligation de résidence au cours de la période quinquennale précédant la date à laquelle il a présenté sa demande, et si la SAI a commis une erreur dans la prise en compte des autres motifs d’ordre humanitaire qu’il a soulevés.
Jugement : la demande doit être accueillie.
En règle générale, la Cour, lors d’un contrôle judiciaire, n’examinera pas les arguments qui auraient pu être soulevés devant le tribunal administratif, mais qui ne l’ont pas été. La SAI avait l’occasion de trancher la question de la période quinquennale applicable en première instance, et elle l’a fait, en proposant la réponse selon laquelle le contrôle en question était la demande de carte de résident permanent. Elle disposait de tous les éléments de preuve voulus pour en arriver à cette conclusion, puisque tant la date de la demande que la date du rapport établi aux termes de l’article 44 étaient connues, comme l’était aussi le nombre de jours au cours desquels le demandeur a été effectivement présent au Canada pendant les périodes respectives. Le défendeur n’a pas fait valoir de préjudice découlant du fait que la question avait été soulevée à ce stade. Dans le contexte actuel, plus particulièrement la contradiction entre cette décision et la jurisprudence récente de la SAI, le pouvoir discrétionnaire a été exercé pour examiner la question, ce qui pouvait avoir une incidence sur le statut du demandeur en tant que résident permanent du Canada. Dans des affaires antérieures, la SAI a conclu que la période quinquennale qui s’appliquait était celle qui précédait l’établissement du rapport au titre de l’article 44. En outre, quelques décisions de la Cour fédérale ont montré que la SAI a pris en compte la date du rapport établi au titre de l’article 44 comme date pertinente quant à la période quinquennale lorsque le demandeur était au Canada. En l’espèce, la SAI a adopté l’approche contraire en prenant en compte uniquement la période quinquennale qui avait pris fin à la date de la présentation de la demande. Elle l’a définie comme étant la période quinquennale précédant le contrôle. Bien que la SAI se soit clairement penchée sur la question du contrôle visé, elle n’a pas expliqué pourquoi la date déterminante quant au « contrôle » était la date de la demande au lieu de la date de l’établissement du rapport au titre de l’article 44. Même si d’autres affaires examinées peuvent ne pas être suffisantes pour constituer une « jurisprudence interne constante », elles n’en ont pas moins fait état de l’opinion arrêtée de commissaires de la SAI sur cette question en particulier et ont semblé refléter du moins une pratique de longue date de sorte que tout écart à cet égard se doit d’être justifié. L’écart inexpliqué par rapport à la pratique antérieure de la SAI pour la définition de la période quinquennale visée était déraisonnable même si l’absence d’explication tenait vraisemblablement au fait que les parties n’ont pas relevé la question.
La détermination de la période quinquennale applicable a eu une incidence sur le dossier du demandeur. L’argument du défendeur selon lequel la prise en compte de la première période quinquennale n’était pas déterminante étant donné l’appréciation du manquement effectuée par la SAI et sa conclusion quant aux autres motifs d’ordre humanitaire ont été écartés. L’étendue du manquement à l’obligation de résidence constituait un facteur important dans l’appréciation de la question de savoir si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient le maintien du statut de résident permanent. La SAI a estimé que le manquement à l’obligation de résidence était important puisqu’il représentait plus du tiers du nombre de jours de présence requis par la loi. La prise en compte par la SAI de l’étendue du manquement était suffisamment importante dans son rejet de l’appel du demandeur qu’il était impossible de conclure que l’issue aurait été la même si elle avait pris en compte la période quinquennale ultérieure. Bien qu’il puisse fort ne pas y avoir de démarcation franche entre ce qui est un manquement important et ce qui n’en est pas un, il était impossible d’affirmer que la différence dans l’étendue du manquement entre les deux périodes quinquennales dans le cas du demandeur n’aurait pas eu d’incidence sur la prise en compte par la SAI des motifs d’ordre humanitaire.
En ce qui concerne l’évaluation par la SAI des facteurs d’ordre humanitaire, en analysant les raisons pour lesquelles le demandeur avait quitté le Canada, la SAI a souligné qu’il était retourné en Italie avec sa famille quand il était enfant. Sur la foi d’un extrait qu’elle a tiré de l’affaire Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la SAI conclu que « la prise de mesures spéciales eu égard à la situation de l’appelant équivaudrait à soutenir la décision des parents, ce qui serait contraire à la jurisprudence ». Elle a par conséquent évalué « de façon défavorable » le facteur lié aux motifs de départ du Canada. Toutefois, la décision Lai ne donne pas à penser que le fait de faire droit à un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire équivaudrait à « soutenir la décision des parents ». Un tel résultat ne serait pas non plus contraire au raisonnement énoncé dans la décision Lai. Au contraire, la Cour fédérale a déjà reconnu que la décision Lai n’empêche pas la prise en compte de l’âge au moment du départ (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ma). En dépit du fait que la décision Lai reconnaît qu’une demande de réparation ne devrait pas être renforcée par la décision d’un parent de faire quitter le pays à un enfant, cela ne signifie pas que cet élément doit ou devrait être traité de façon défavorable dans une appréciation des motifs d’ordre humanitaire. Étant donné les conclusions en ce qui concerne la période quinquennale qui s’appliquait, il n’était pas nécessaire d’examiner la question de savoir si l’approche adoptée par la SAI à l’égard des questions liées à l’existence de motifs d’ordre humanitaire constituait une erreur suffisante pour rendre la décision déraisonnable.
Par conséquent, la décision de la SAI a été annulée, et l’affaire a été renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour un nouvel examen.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 28, 44, 67(1)c).
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 28, 62(1).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ma, 2017 CF 886.
décisions examinées :
Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Rastgou c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CanLII 129864 (C.I.S.R.); Parikh c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 13, confirmant 2015 CanLII 92733 (C.I.S.R.); Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 187, confirmant 2017 CanLII 63732 (C.I.S.R.); Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 327, confirmant 2019 CanLII 30481 (C.I.S.R.); Lai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1359.
décisions citées :
Gazi c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 993; Oleynik c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 5; Yahaya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1570; Amorocho-Diaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CanLII 76301 (C.I.S.R.); Tantoush c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 245; Behl c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1255; Sanchez Rebaza c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 509; Gilbert c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CanLII 77079 (C.I.S.R.); Razaghi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CanLII 99644 (C.I.S.R.); Ambat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CanLII 80733 (C.I.S.R.), conf. par 2011 CF 292.
DOCTRINE CITÉE
Citoyenneté et Immigration Canada. Guide opérationnel : Traitement des demandes à l’étranger (OP), chapitre OP 10 « Détermination du statut de résident permanent ».
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (2019 CanLII 129108 (C.I.S.R.)) par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre d’une décision de la déléguée du défendeur, qui a conclu que les motifs d’ordre humanitaire présentés par le demandeur ne justifiaient pas le maintien de son statut de résident permanent. Demande accueillie.
ONT COMPARU :
Arghavan Gerami pour le demandeur.
Yusuf Khan pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Gerami Law Professional Corporation, Ottawa, pour le demandeur.
La sous-procureure générale du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge McHaffie :
I. Aperçu
[1] Tous les résidents permanents canadiens doivent se conformer à une obligation de résidence, qui suppose généralement qu’ils soient effectivement présents au Canada pour au moins 730 jours pendant chaque période quinquennale. L’obligation s’applique à toutes les périodes quinquennales, mais il suffit de prouver qu’elle est respectée pour la période quinquennale « précédant le contrôle » au cours de laquelle elle est appréciée. Le manquement à cette obligation est remédié si un agent conclut que des motifs d’ordre humanitaire justifient le maintien du statut de résident permanent. La question principale à trancher en l’espèce est celle de savoir quelle période quinquennale devrait être prise en compte dans l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire pour une personne qui réside au Canada et qui a demandé une carte de résident permanent : la période quinquennale qui a pris fin à la date de la demande ou la période quinquennale qui a pris fin à la date de la décision de l’agent.
[2] Dans des décisions antérieures dans lesquelles la question s’était posée, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) avait pris en compte la date à laquelle un agent avait établi un rapport d’interdiction de territoire établi aux fins du contrôle de l’obligation de résidence. Cette approche a aussi été relevée dans des décisions de la Cour, mais pas en tant que question contestée. Toutefois, dans le cas de M. Giacomo Metallo, la SAI a pris en compte la date à laquelle il avait présenté sa demande de carte de résident permanent : Metallo c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CanLII 129108 (C.I.S.R.) (la décision de la SAI), au paragraphe 9. Cela a eu un effet concret sur l’appréciation par la SAI du manquement à l’obligation de résidence et, par conséquent, l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire. Je conclus que cet écart inexpliqué par rapport à des décisions antérieures est déraisonnable et suppose le réexamen de l’appel interjeté par M. Metallo. C’est ce que je conclus même si la conseil de M. Metallo ne s’est pas opposée à la prise en compte de la date figurant sur la demande ou au calcul du nombre de jours manquants eu égard à l’obligation de résidence lors de l’audience devant la SAI. Bien qu’il soit habituellement interdit à un demandeur de soulever en contrôle judiciaire des arguments qui n’ont pas été présentés devant un tribunal administratif, je conclus que la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner la question dans les circonstances de l’espèce.
[3] La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. L’appel de M. Metallo est renvoyé à la SAI pour qu’un autre commissaire rende une nouvelle décision.
II. Questions en litige et norme de contrôle
[4] M. Metallo soulève les questions suivantes dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire :
A. La SAI a-t-elle commis une erreur dans l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire qu’il a soulevés en ce qui concerne son manquement à l’obligation de résidence au cours de la période quinquennale précédant la date à laquelle il a présenté sa demande?
B. La SAI a-t-elle commis une erreur dans la prise en compte des autres motifs d’ordre humanitaire qu’il a soulevés?
[5] Les parties conviennent que la décision de la SAI quant à ces questions est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 [Vavilov], aux paragraphes 16, 17, 23 à 25 et 115; Gazi c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 993, aux paragraphes 17 à 19.
[6] Une décision raisonnable présente « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et [elle] est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » : Vavilov, au paragraphe 99. Les « contraintes juridiques » pertinentes qui ont une incidence sur la décision comprennent notamment le régime législatif applicable, les précédents contraignants antérieurs, les décisions antérieures de l’organisme administratif et les observations des parties : Vavilov, aux paragraphes 106, 108 à 112 et 127 à 132.
III. Analyse
A. La SAI a de manière déraisonnable adopté une période quinquennale différente dans le cas de M. Metallo
1) Contexte factuel
[7] M. Metallo est devenu un résident permanent du Canada en 1972 lorsqu’il est arrivé de l’Italie avec ses parents pendant qu’il était enfant. Il a passé son enfance au Canada avant de retourner en Italie avec sa famille en 1982 lorsque son père a eu un accident sur son lieu de travail. Il a commencé à revenir au Canada en 2009 pour rendre visite à des membres de sa famille. Il passait alors quelques semaines ou quelques mois par année au Canada, et lorsqu’il est entré au pays pour y rester, en 2016, M. Metallo a demandé une carte de résident permanent en novembre 2015 afin d’obtenir un numéro d’assurance-sociale et de commencer à travailler au Canada.
[8] Bien qu’il ne l’ait appris qu’au bout de quelques années, la demande de carte de résident permanent de M. Metallo a été examinée par un agent d’immigration le 14 novembre 2016. L’agent a conclu que M. Metallo ne s’était pas conformé à l’obligation de résidence que prévoit l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Aux termes de cette disposition, les résidents permanents doivent être effectivement présents au Canada pendant 730 jours durant une période quinquennale (avec certaines restrictions et exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce) :
Obligation de résidence
28 (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.
Application
(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :
a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :
(i) il est effectivement présent au Canada,
[…]
b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins de cinq ans, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquennale précédant le contrôle;
c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle. [Non souligné dans l’original; dispositions non pertinentes omises.]
[9] L’agent d’immigration qui a apprécié la demande de M. Metallo a renvoyé aux deux [traduction] « périodes quinquennales visées » : la période quinquennale précédant sa demande de carte de résident permanent (du 24 novembre 2010 au 23 novembre 2015) et la période quinquennale précédant l’examen (du 15 novembre 2011 au 14 novembre 2016). Il a soutenu que, selon le sous-alinéa 28(2)a)(i) de la LIPR, M. Metallo devait être effectivement présent pour 730 jours pendant la période quinquennale précédant la date de sa demande. Toutefois, il a effectué le calcul à l’égard de chacune des deux périodes quinquennales indiquées. Au cours de la période quinquennale précédant la demande, M. Metallo a été effectivement présent au Canada pour 436 jours, soit un écart de 40 p. 100 par rapport à l’obligation de résidence. Pendant les cinq ans précédant le contrôle, il a été présent pour 601 jours au Canada, soit un écart de 18 p. 100.
[10] L’agent a conclu que M. Metallo n’avait pas respecté l’obligation de résidence de 730 jours et n’avait pas soulevé de motifs d’ordre humanitaire justifiant le maintien de son statut de résident permanent. Il a par conséquent établi un rapport d’interdiction de territoire aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR, en disant être d’avis que M. Metallo n’avait pas respecté l’obligation de résidence.
[11] Pour des raisons inconnues, M. Metallo n’a pas été informé du résultat de ce contrôle ni reçu le rapport établi aux termes de l’article 44, en dépit des efforts qu’il a faits pour suivre l’avancement de sa demande de carte de résident permanent. Il a fini par présenter une autre demande de carte de résident permanent en août 2017. Il a reçu la carte demandée, mais il a aussi été convoqué à une entrevue relative à l’interdiction de territoire avec une déléguée du ministre en juillet 2018. Ce n’est qu’à cette entrevue que M. Metallo a appris l’existence du rapport d’interdiction de territoire.
[12] La déléguée du ministre a interrogé M. Metallo au sujet du rapport établi aux termes de l’article 44. Selon les notes relatives à cette entrevue consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), M. Metallo a été informé que la période quinquennale visée était [traduction] « cinq ans avant la date du rapport » (non souligné dans l’original), mais que la période visée était celle du 24 novembre 2010 au 23 novembre 2015 (c.-à-d. cinq ans avant la date de la demande). Dans une décision rendue de vive voix le même jour, la déléguée du ministre a conclu que les motifs d’ordre humanitaire présentés par M. Metallo ne justifiaient pas le maintien de son statut de résident permanent, soulignant que l’inobservation de l’obligation de résidence était importante. Elle a par conséquent pris une mesure de renvoi le 10 juillet 2018. Dans les notes qui ont apparemment été versées dans le SMGC à l’issue de l’entrevue, la déléguée du ministre a à nouveau renvoyé à la même période quinquennale, mais a mentionné la date de la demande de carte de résident permanent plutôt que la date du rapport établi aux termes de l’article 44.
2) L’audience devant la SAI et la décision
[13] M. Metallo a interjeté appel auprès de la SAI. Il n’a pas contesté qu’il n’avait pas respecté l’obligation de résidence, ce qui est vrai pour chaque période quinquennale. Dès le début de l’audience, la SAI a renvoyé à la période quinquennale précédant la demande de carte de résident permanent et a demandé si M. Metallo contestait la validité de la décision ou s’il invoquait seulement des motifs d’ordre humanitaire pour expliquer le manquement. La conseil a confirmé que l’appel reposait sur les motifs d’ordre humanitaire. Cependant, pendant un échange, la conseil a confirmé que M. Metallo ne contestait pas qu’il avait manqué à l’obligation de résidence et qu’il ne s’opposait pas au calcul de 436 jours pendant lesquels il avait été effectivement présent au Canada.
[14] La SAI a rejeté l’appel de M. Metallo. Elle a souligné que, conformément à l’article 28, le résident permanent « doit être effectivement présent au Canada pour au moins 730 jours avant le contrôle » (la SAI utilise le terme « control » plutôt qu’« examination » en anglais, probablement en raison de la présence du terme « contrôle » dans la version française de la disposition) : la décision de la SAI, au paragraphe 9. La SAI a affirmé qu’en l’espèce, le contrôle était survenu lorsque l’appelant avait déposé une demande de carte de résident permanent, le 23 novembre 2015. La SAI a conclu que le manquement « [était] important puisqu’il représente plus du tiers du nombre de jours de présence requis par la loi » : la décision de la SAI, au paragraphe 11. Après avoir pris en compte les circonstances de l’espèce, la SAI a conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales pour accueillir l’appel interjeté à l’égard de la mesure de renvoi et pour permettre à M. Metallo de conserver son statut de résident permanent : LIPR, alinéa 67(1)c).
3) La Cour exercera son pouvoir discrétionnaire pour prendre en compte la période quinquennale qui s’applique
[15] En règle générale, la Cour, lors d’un contrôle judiciaire, n’examinera pas les arguments qui auraient pu être soulevés devant le tribunal administratif, mais qui ne l’ont pas été : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 [Alberta Teachers], aux paragraphes 22 et 23; Oleynik c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 5 [Oleynik], au paragraphe 71. Cette règle vise à laisser le tribunal trancher la question en première instance ainsi qu’à prévenir le risque de préjudice pour la partie adverse et d’insuffisance du dossier de preuve : Alberta Teachers, aux paragrphes 24 à 26; Oleynik, au paragraphe 71; Yahaya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1570, au paragraphe 41.
[16] Dans la présente affaire, comme dans l’arrêt Alberta Teachers, les « considérations qui justifient la règle générale ont une application limitée en l’espèce » : Alberta Teachers, au paragraphe 28. La SAI avait l’occasion de trancher la question en première instance, et elle l’a fait, en proposant la réponse selon laquelle le contrôle en question était la demande de carte de résident permanent. Elle disposait de tous les éléments de preuve voulus pour rendre cette conclusion, puisque tant la date de la demande de carte de résident que la date du rapport établi aux termes de l’article 44 étaient connues, comme l’était aussi le nombre de jours au cours desquels M. Metallo a été effectivement présent au Canada pendant les périodes respectives. Le ministre n’a pas fait valoir de préjudice découlant du fait que la question avait été soulevée à ce stade.
[17] Dans le contexte actuel, plus particulièrement la contradiction entre cette décision et la jurisprudence récente de la SAI, comme on le verra plus loin, je conclus que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’examiner la question, ce qui pourrait avoir une incidence sur le statut de M. Metallo en tant que résident permanent du Canada.
4) Décisions antérieures quant à la période quinquennale qui s’applique
[18] Comme l’a souligné la majorité de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, les décideurs administratifs ne sont pas liés par leurs décisions antérieures suivant la règle du stare decisis. Quoi qu’il en soit, les personnes visées par les décisions administratives sont en droit de s’attendre à ce que les affaires semblables soient généralement tranchées de la même façon : Vavilov, au paragraphe 129. Par conséquent, la question de savoir si une décision en particulier est conforme à la jurisprudence de l’organisme administratif est une contrainte dont il faut tenir compte au moment de décider si cette décision est raisonnable. Lorsqu’un décideur s’écarte « d’une pratique de longue date ou d’une jurisprudence interne constante », c’est sur ses épaules que repose « le fardeau d’expliquer cet écart dans ses motifs » : Vavilov, au paragraphe 131.
[19] Dans la décision Rastgou c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CanLII 129864 (C.I.S.R.) [Rastgou], la SAI était confrontée à la même situation que celle en l’espèce. M. Rastgou avait demandé une nouvelle carte de résident permanent à partir du Canada, et un rapport avait été établi aux termes de l’article 44 près d’un an plus tard. Pour voir si des motifs d’ordre humanitaire militaient en faveur de M. Rastgou, la SAI a dû prendre en compte la question de savoir si le manquement à l’obligation de résidence devrait être calculé selon la période quinquennale précédant la date de la présentation de la demande ou la période quinquennale précédant l’établissement du rapport : Rastgou, aux paragraphes 3 et 9 à 12. Comme dans le cas de M. Metallo, l’agent a inclus les deux périodes dans ses notes : Rastgou, au paragraphe 13.
[20] Dans la décision Rastgou, le ministre a soutenu que la première période quinquennale devrait s’appliquer. Du même souffle, il a affirmé que l’agent avait inclus les deux périodes parce que le demandeur serait réputé s’être conformé à l’article 28 s’il avait les jours requis au cours de la seconde période quinquennale précédant le rapport établi au titre de l’article 44. La SAI a dit estimer que cette explication appuyait une conclusion selon laquelle la dernière période s’appliquait : Rastgou, au paragraphe 16.
[21] Dans la décision Rastgou, la SAI a mis en parallèle la situation des personnes qui présentent une demande au Canada et celle des personnes qui demandent un titre de voyage pour résident permanent à l’étranger : Rastgou, aux paragraphes 17 à 19. Dans ces cas, le respect de l’obligation de résidence est apprécié selon la période quinquennale précédant la présentation de la demande : voir, p. ex., Amorocho-Diaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CanLII 76301 (C.I.S.R.) [Amorocho-Diaz], au paragraphe 6, citant le Guide opérationnel : Traitement des demandes à l’étranger (OP), chapitre OP 10 « Détermination du statut de résident permanent ». La prise en compte de la date de la demande faite à l’étranger fait en sorte que le demandeur n’est aucunement défavorisé si l’appréciation de la demande est retardée : Amorocho-Diaz, au paragraphe 16. Cette approche se constate dans les descriptions factuelles de conclusions de ce genre qu’a contrôlées la Cour : Tantoush c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 245, au paragraphe 16; Behl c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1255, aux paragraphes 7 et 8; Sanchez Rebaza c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 509, aux paragraphes 9 et 10.
[22] La SAI a conclu que la prise en compte de la date à laquelle le contrôle avait eu lieu et le rapport avait été établi est conforme au libellé du sous-alinéa 28(2)b)(ii) de la LIPR, au libellé du paragraphe 62(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, et à la position du ministre quant au respect de l’article 28 : Rastgou, aux paragraphes 16 à 21. Par conséquent, elle a conclu que la période quinquennale qui s’appliquait était celle qui précédait l’établissement du rapport au titre de l’article 44, soulignant que sa conclusion était « conforme à l’approche adoptée par d’autres tribunaux et par les conseils du ministre dans le cadre d’appels semblables » : Rastgou, au paragraphe 22, citant les décisions Gilbert c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CanLII 77079 (C.I.S.R.) [Gilbert] et Razaghi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CanLII 99644 (C.I.S.R.) [Razaghi].
[23] Outre les décisions Gilbert et Razaghi, quelques décisions de la Cour montrent que la SAI a pris en compte la date du rapport établi au titre de l’article 44 comme date pertinente quant à la période quinquennale lorsque le demandeur était au Canada. Dans la décision Parikh, la période quinquennale visée prenait fin à la date du rapport établi au titre de l’article 44, même si la demanderesse était arrivée au Canada et avait été interrogée cinq mois auparavant : Parikh c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 13 [Parikh], aux paragraphes 8 et 14, confirmant la décision 2015 CanLII 92733 (C.I.S.R.). Même si la période visée n’était pas contestée, le juge Pentney a décrit la période quinquennale prenant fin à la date du rapport établi au titre de l’article 44 comme étant la « bonne période » : Parikh, au paragraphe 14. En outre, dans la décision Li, la demanderesse était arrivée au Canada et avait été contrôlée en avril 2016, mais la période quinquennale visée prenait fin à la date du rapport établi au titre de l’article 44, en mai 2016 : Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 187, au paragraphe 10, confirmant 2017 CanLII 63732 (C.I.S.R.), au paragraphe 5 et à la note 4. Dans la décision Huang, la période visée était encore la période quinquennale précédant la date de la présentation de la demande de titre de voyage pour résident permanent : Huang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 327, aux paragraphes 4 et 6, confirmant 2019 CanLII 30481 (C.I.S.R.).
[24] En l’espèce, la SAI a adopté l’approche contraire en prenant en compte uniquement la période quinquennale qui avait pris fin à la date de la présentation de la demande. Elle l’a définie comme étant la période quinquennale précédant le contrôle. Même si la SAI s’est clairement penchée sur la question du contrôle visé, elle n’a pas expliqué pourquoi la date déterminante quant au « contrôle » était la date de la demande au lieu de la date de l’établissement du rapport au titre de l’article 44. Même si la décision Rastgou et les autres affaires mentionnées précédemment peuvent ne pas être suffisantes pour constituer une « jurisprudence interne constante », elles n’en font pas moins état de l’opinion arrêtée de commissaires de la SAI sur cette question en particulier et semblent refléter du moins une pratique de longue date de sorte que tout écart à cet égard se doit d’être justifié : Vavilov, au paragraphe 131.
[25] J’estime que cet écart inexpliqué par rapport à la pratique antérieure de la SAI pour la définition de la période quinquennale visée est déraisonnable, même si l’absence d’explication tient vraisemblablement au fait que les parties n’ont pas relevé la question.
5) Incidence sur le dossier de M. Metallo
[26] La moindre lacune ou insuffisance relevée dans une décision ne la rend pas déraisonnable dans son ensemble. Une décision administrative ne devrait pas être annulée pour une « erreur mineure » ou une lacune superficielle ou accessoire : Vavilov, au paragraphe 100. Le ministre dit estimer que la prise en compte de la première période quinquennale n’était pas déterminante étant donné l’appréciation du manquement effectuée par la SAI et sa conclusion quant aux autres motifs d’ordre humanitaire.
[27] Je ne suis pas de cet avis. L’étendue du manquement à l’obligation de résidence constitue un facteur important dans l’appréciation de la question de savoir si des motifs d’ordre humanitaire justifient le maintien du statut de résident permanent : Ambat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CanLII 80733 (C.I.S.R.), au paragraphe 38, conf. par 2011 CF 292, au paragraphe 27. Comme il est mentionné précédemment, la SAI a estimé que le manquement à l’obligation de résidence « [était] important puisqu’il représente plus du tiers du nombre de jours de présence requis par la loi » : la décision de la SAI, au paragraphe 11.
[28] Le ministre soutient que la différence dans l’étendue du manquement (40 p. 100 par rapport à 18 p. 100) n’était pas suffisante pour changer l’issue et contraste avec le manquement de 10 p. 100, au sujet duquel la SAI, dans la décision Rastgou [au paragraphe 25], a dit estimer qu’« [i]l ne s’agi[ssai]t pas d’un manquement important ». J’estime que la prise en compte par la SAI de l’étendue du manquement était suffisamment importante dans son rejet de l’appel de M. Metallo qu’il m’est impossible de conclure que l’issue aurait été la même si elle avait pris en compte l’autre période quinquennale. Bien qu’il puisse fort ne pas y avoir de démarcation franche entre ce qui est un manquement important et ce qui n’en est pas un, je ne peux pas affirmer que la différence dans l’étendue du manquement entre les deux périodes quinquennales dans le cas de M. Metallo n’aurait pas eu d’incidence sur la prise en compte par la SAI des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, je conclus que la décision de la SAI devrait être annulée.
[29] M. Metallo a soutenu que la prise en compte par la SAI de la période quinquennale précédant la date de la demande va à l’encontre des principes d’interprétation législative et que la seule interprétation raisonnable était celle selon laquelle [traduction] « la période quinquennale précédant le contrôle » était la période quinquennale prenant fin à la date du rapport établi aux termes de l’article 44 : Vavilov, aux paragraphes 115 à 124. Dans les circonstances, je n’estime pas opportun de me prononcer sur ces arguments relatifs à l’interprétation législative ou d’entreprendre cette démarche en première instance : Vavilov, aux paragraphes 115 et 116. L’affaire sera plutôt renvoyée à la SAI pour une nouvelle décision : Vavilov, aux paragraphes 140 à 141.
B. L’évaluation des facteurs d’ordre humanitaire par la SAI
[30] La conclusion précédente est suffisante pour trancher la présente demande de contrôle judiciaire. Puisque la SAI aura, au cours du nouvel examen, le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte les motifs d’ordre humanitaire dans leur contexte, je n’examinerai pas les arguments avancés par M. Metallo en la matière en détail, d’autant plus qu’ils portent sur des appréciations factuelles et discrétionnaires. J’estime toutefois opportun de formuler de brèves observations sur deux éléments de l’analyse effectuée par la SAI se rapportant à des questions plus juridiques.
[31] En premier lieu, en analysant les raisons pour lesquelles M. Metallo avait quitté le Canada, la SAI a souligné qu’il était retourné en Italie avec sa famille quand il était enfant. Elle a cité la décision de la Cour dans Lai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1359 [Lai], au paragraphe 26 :
Un enfant à charge, et d’un jeune âge, est peu à même, sinon pas du tout, de remplir par lui-même l’obligation de résidence qui est imposée pour assurer la préservation de son statut de résident permanent ou pour établir les véritables liens avec le Canada qui sont en général nécessaires à la prise de mesures spéciales au titre de motifs d’ordre humanitaire. Dans la plupart des cas, l’enfant ne peut faire que ce que ses parents sont disposés à lui permettre ou à appuyer. Le statut de la demanderesse au Canada a sans doute été compromis par les décisions de ses parents, mais sa demande de mesures spéciales ne saurait être renforcée par lesdites décisions.
[32] Sur la foi de cet extrait, la SAI a conclu que « la prise de mesures spéciales eu égard à la situation de l’appelant équivaudrait à soutenir la décision des parents, ce qui serait contraire à la jurisprudence » : la décision de la SAI, au paragraphe 15. Elle a par conséquent évalué « de façon défavorable » le facteur lié aux motifs de départ du Canada.
[33] J’estime que la décision Lai ne donne pas à penser que le fait de faire droit à un appel fondé sur des motifs d’ordre humanitaire équivaudrait à « soutenir la décision des parents ». Un tel résultat ne serait pas non plus contraire au raisonnement énoncé dans la décision Lai. En fait, dans la décision Ma, la Cour a reconnu que la décision Lai n’empêchait pas la prise en compte de l’âge au moment du départ : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Ma, 2017 CF 886 [Ma], aux paragraphes 22 et 23. En dépit du fait que la décision Lai reconnaît qu’une demande de réparation ne devrait pas être renforcée par la décision d’un parent de faire quitter le pays à un enfant, cela ne signifie pas que cet élément doit ou devrait être traité de façon défavorable dans une appréciation des motifs d’ordre humanitaire.
[34] En second lieu, la SAI a renvoyé au fait que M. Metallo n’était pas au courant de son statut de résident permanent au Canada, en affirmant que « personne ne peut plaider l’ignorance de la loi » : la décision de la SAI, au paragraphe 17. Toutefois, le juge Locke a affirmé dans la décision Ma que « plaider l’ignorance de la loi et plaider l’ignorance de sa situation juridique sont deux choses très différentes » : la décision Ma, au paragraphe 24. Il a conclu que l’erreur en était une de fait plutôt qu’une de droit, ce qui constituerait un motif d’ordre humanitaire pertinent : la décision Ma, au paragraphe 24.
[35] Étant donné mes conclusions en ce qui concerne la période quinquennale qui s’applique, il n’est pas nécessaire que j’examine la question de savoir si l’approche adoptée par la SAI à l’égard de ces questions constituait une erreur suffisante pour rendre la décision déraisonnable.
IV. Conclusion
[36] La décision de la SAI est par conséquent annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAI pour un nouvel examen.
[37] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier. À l’issue de l’audience, j’ai autorisé le demandeur à réfléchir encore à la question de la certification, mais aucune question à certifier n’a été proposée par la suite. J’estime qu’aucune question répondant aux exigences de la certification n’est soulevée en l’espèce, et aucune ne sera certifiée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-7034-19
LA COUR DÉCLARE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section d’appel de l’immigration est annulée et l’appel de M. Metallo est renvoyé à la Section d’appel de l’immigration pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.