Veuillez noter qu’à la suite d’un erratum publié dans [2022] Volume 1, 3e fascicule, huit notes en fin de texte ont été ajoutées à la décision Spencer c. Canada (Santé), [2021] 3 R.C.F. 621 (C.F.). Les corrections ont été apportées au présent document.
2021 CF 621
T-340-21
Barbara Spencer, Sabry Belhouchet, Blain Gowing, Dennis Ward, Reid Nehring, Cindy Crane, Denise Thomson, Norman Thomson, Jordan Hammond et Michel Lafontaine (demandeurs)
c.
Canada (Ministre de la Santé) et le procureur général du Canada (défendeurs)
T-341-21
Dominic Colvin (demandeur)
c.
Le procureur général du Canada (défendeur)
T-366-21
Steven Duesing et Nicole Mathis (demandeurs)
c.
Le procureur général du Canada (défendeur)
T-480-21
Rebel News Network Ltd et Keean Bexte (demandeurs)
c.
Le procureur général du Canada (défendeur)
Répertorié : Spencer c. Canada (Santé)
Cour fédérale, juge en chef Crampton—Par vidéoconférence, 1er au 3 juin; Ottawa, 18 juin 2021.
Santé et bien‑être social — Loi sur la mise en quarantaine — Demandes de contrôle judiciaire consolidées contestant des mesures imposées par le gouvernement fédéral pour éviter la propagation de la COVID‑19 par les voyageurs revenant de l’étranger par voie aérienne — Les personnes non exemptées devaient subir un test de dépistage de la COVID‑19 à leur arrivée au Canada et séjourner dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement (LHAG) ou dans une installation de quarantaine désignée (IQD) jusqu’à l’obtention des résultats du test — Les demandeurs ont affirmé entre autres choses que le gouverneur en conseil (ou l’administrateur en conseil (AC)) n’avait pas le pouvoir d’imposer les mesures contestées — Ils ont contesté certaines dispositions du Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations) (décret), pris par l’AC en vertu de l’art. 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine, y compris les obligations en matière d’isolement — Les mesures contestées ont été reproduites dans tous les décrets promulgués après le décret — Les demandeurs ont affirmé également que l’obligation de séjourner dans un LHAG constituait un obstacle arbitraire — Il s’agissait de savoir si les décrets outrepassaient les pouvoirs que l’art. 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine délègue au gouverneur en conseil — Les décrets contenant les mesures contestées n’excédaient pas les pouvoirs de l’AC — Le différend dépendait de la question de savoir si l’AC s’était demandé s’il pouvait y avoir d’autres solutions raisonnables — Le préambule du décret et d’autres documents révèlent que l’AC a été d’avis qu’aucune autre solution raisonnable ne permettait de prévenir la propagation de la COVID‑19 — Les notes explicatives et le préambule constituaient une justification raisonnable suffisante pour ce décret — Les mesures étaient conformes à la raison d’être et à la portée de l’art. 58(1) — Demandes rejetées.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Demandes de contrôle judiciaire consolidées contestant des mesures imposées par le gouvernement fédéral pour éviter la propagation de la COVID‑19 par les voyageurs revenant de l’étranger par voie aérienne — Les personnes non exemptées devaient subir un test de dépistage de la COVID‑19 à leur arrivée et séjourner dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement (LHAG) ou dans une installation de quarantaine désignée (IQD) jusqu’à l’obtention des résultats du test — Les demandeurs ont contesté certaines dispositions du Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations) (décret), pris par le gouverneur en conseil (ou l’administrateur en conseil (AC)) en vertu de l’art. 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine, faisant valoir que les mesures contestées avaient empiété sur la compétence exclusive des provinces — Il s’agissait de savoir si les décrets excédaient les compétences que l’art. 91(11) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au gouvernement fédéral — Les mesures étaient conformes à la raison d’être et à la portée de l’art. 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine — Le caractère essentiel du décret n’était pas de réglementer la santé comme telle, mais de réduire l’introduction et la propagation de la COVID‑19 — Cet objet s’accordait avec celui de la Loi sur la mise en quarantaine et relevait de l’art. 91(11) de la Loi constitutionnelle de 1867 — Demandes rejetées.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Liberté de circulation et d'établissement — Demandes de contrôle judiciaire consolidées contestant des mesures imposées par le gouvernement fédéral pour éviter la propagation de la COVID‑19 par les voyageurs revenant de l’étranger par voie aérienne — Les personnes non exemptées devaient subir un test de dépistage de la COVID‑19 à leur arrivée et séjourner dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement (LHAG) ou dans une installation de quarantaine désignée (IQD) jusqu’à l’obtention des résultats du test — Les demandeurs ont contesté certaines dispositions du Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations) (décret), pris par le gouverneur en conseil (ou l’administrateur en conseil (AC)) en vertu de l’art. 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine — Les demandeurs ont affirmé que l’obligation de séjourner dans un LHAG constituait un obstacle arbitraire à l’exercice du droit des voyageurs qui rentrent au pays par voie aérienne d’entrer librement au Canada — Il s’agissait de savoir si les mesures contestées violaient l’art. 6(1) de la Charte — Les mesures contestées n’étaient pas incompatibles avec l’objectif central de l’art. 6(1) — Elles n’empêchaient pas les voyageurs revenant au pays par voie aérienne de participer à la communauté nationale — Ces voyageurs ne se voyaient pas refuser l’entrée au Canada — Ils étaient simplement tenus de s’isoler brièvement à l’intérieur du Canada — Demandes rejetées.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Demandes de contrôle judiciaire consolidées contestant des mesures imposées par le gouvernement fédéral pour éviter la propagation de la COVID‑19 par les voyageurs revenant de l’étranger par voie aérienne — Les personnes non exemptées devaient subir un test de dépistage de la COVID‑19 à leur arrivée et séjourner dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement (LHAG) ou dans une installation de quarantaine désignée (IQD) jusqu’à l’obtention des résultats du test — Les demandeurs ont contesté certaines dispositions du Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations) (décret), pris par le gouverneur en conseil (ou l’administrateur en conseil (AC)) en vertu de l’art. 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine — Il s’agissait de savoir si les mesures contestées violaient le droit à la liberté et à la sécurité de la personne que garantit l’art. 7 de la Charte — Les violations alléguées n’ont pas mis en jeu le droit des demandeurs à la sécurité de leur personne — Les éléments de preuve démontrant le risque auquel ont été exposés les demandeurs et le préjudice qu’ils ont subi n’étaient pas suffisants pour faire entrer en jeu l’art. 7 — L’obligation de séjourner dans un LHAG a fait entrer en jeu le droit des demandeurs à la liberté — Il existait des éléments de preuve convaincants à l’appui de la décision d’imposer des mesures spéciales aux voyageurs revenant au pays par voie aérienne — Les justifications de l’obligation précise de se mettre en quarantaine fournissaient le lien rationnel requis entre l’objectif des mesures contestées et les limites imposées au droit des demandeurs à la liberté — Les mesures contestées n’avaient pas une portée excessive — Elles ne violaient pas les principes de justice fondamentale au motif qu’elles étaient totalement disproportionnées — Il était justifié de faire subir à chaque voyageur asymptomatique entrant au Canada par voie aérienne un test de dépistage et d’exiger qu’il séjourne dans un LHAG — La brève privation de liberté n’était pas assez importante pour être disproportionnée par rapport à l’objectif et aux justifications qui sous‑tendent les mesures contestées — Demandes rejetées.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions ou saisies abusives — Demandes de contrôle judiciaire consolidées contestant des mesures imposées par le gouvernement fédéral pour éviter la propagation de la COVID‑19 par les voyageurs revenant de l’étranger par voie aérienne — Les personnes non exemptées devaient subir un test de dépistage de la COVID‑19 à leur arrivée et séjourner dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement (LHAG) ou dans une installation de quarantaine désignée (IQD) jusqu’à l’obtention des résultats du test — Les demandeurs ont contesté certaines dispositions du Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations) (décret), pris par le gouverneur en conseil (ou l’administrateur en conseil (AC)) en vertu de l’art. 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine — Il s’agissait de savoir si les mesures contestées violaient l’art. 8 de la Charte — L’obligation de payer une réservation dans un LHAG n’a pas mis en jeu les intérêts des demandeurs visés par l’art. 8 — Ils n’avaient aucune attente raisonnable en matière de vie privée quant à l’argent qu’ils étaient tenus de débourser pour réserver un séjour dans un LHAG — Les circonstances de la présente affaire ne constituaient pas une enquête administrative ou criminelle — Demandes rejetées.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Arrestation, détention, emprisonnement — Demandes de contrôle judiciaire consolidées contestant des mesures imposées par le gouvernement fédéral pour éviter la propagation de la COVID‑19 par les voyageurs revenant de l’étranger par voie aérienne — Les personnes non exemptées devaient subir un test de dépistage de la COVID‑19 à leur arrivée et séjourner dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement (LHAG) ou dans une installation de quarantaine désignée (IQD) jusqu’à l’obtention des résultats du test — Les demandeurs ont contesté certaines dispositions du Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations) (décret), pris par le gouverneur en conseil (ou l’administrateur en conseil (AC)) en vertu de l’art. 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine — Il s’agissait de savoir si les mesures contestées violaient les art. 9, 10b), 11d) et e) et 12 de la Charte — Les mesures contestées ont mis en jeu les droits que les demandeurs tirent de l’art. 9 de la Charte — L’obligation de séjourner dans un LHAG pendant une période de 24 à 72 heures constituait une « détention » au sens de l’art. 9 — Or, une telle détention n’était pas arbitraire, sauf en ce qui concerne la demanderesse Nicole Mathis — Les droits de cette dernière ont été violés parce qu’elle n’a pas été informée du lieu où elle était emmenée — Cette atteinte n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte — Les droits que les demandeurs tirent de l’art. 10b) étaient en jeu, mais ils n’ont pas été violés, sauf en ce qui concerne Mme Mathis — Le droit de Mme Mathis d’être informée du droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat a été violé — Cette atteinte n’était pas justifiée non plus au regard de l’article premier de la Charte — Fournir une brochure aux voyageurs par voie aérienne qui entrent au pays ne suffisait pas — Il n’y a pas eu atteinte aux droits des demandeurs prévus aux art. 11d) et e) — Ces dispositions ne s’appliquent pas à moins qu’une personne ait été inculpée — Il n’y a pas eu non plus atteinte aux droits que les demandeurs tirent de l’art. 12 de la Charte — Les mesures contestées ne constituaient pas une « peine » ni n’étaient une conséquence d’une déclaration de culpabilité — Même en tenant pour acquis que l’exigence imposée aux voyageurs de séjourner dans un LHAG est assimilable à un « traitement », ce « traitement » n’était pas « cruel et inusité » — Demandes rejetées.
Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire consolidées qui contestaient des mesures imposées par le gouvernement fédéral pour éviter la propagation de la COVID‑19 par les voyageurs revenant de l’étranger par voie aérienne.
Figuraient parmi ces mesures l’obligation pour les personnes non exemptées de subir un test de dépistage de la COVID‑19 à leur arrivée au Canada (test exigé le premier jour) et de séjourner dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement (LHAG) ou dans une installation de quarantaine désignée (IQD) pendant 24 à 72 heures jusqu’à l’obtention des résultats du test. Selon les demandeurs, des voyageurs de vols internationaux qui ont été touchés par les mesures contestées, l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour a contrevenu à diverses dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. En outre, ils ont affirmé entre autres choses que le gouverneur en conseil (dans le présent contexte, l’administrateur en conseil (AC)) n’avait pas le pouvoir d’imposer les mesures contestées, et que les mesures contestées ont empiété sur la compétence exclusive des provinces. Les demandeurs dans le dossier T‑366‑21 ont contesté certaines dispositions du Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations) (décret de janvier), pris par l’AC en vertu de l’alinéa 58(1)d) de la Loi sur la mise en quarantaine. En raison de l’évolution continue de la COVID‑19, l’AC a abrogé et remplacé le décret de janvier par le décret de février, qui prévoyait certaines nouvelles mesures imposées aux voyageurs non exemptés qui rentraient au Canada par voie aérienne. Les demandeurs ont contesté notamment des mesures prévues dans le décret de février comportant des obligations en matière d’isolement qui s’appliquaient aux voyageurs par voie aérienne qui avaient des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils étaient atteints de la COVID‑19. Le décret de février a expiré en avril 2021. Toutefois, les mesures contestées ont été reproduites dans tous les décrets promulgués après celui de février, y compris le décret de mai, qui était en vigueur à la date de la présente instance et qui devait expirer en juin 2021. Le demandeur dans le dossier T‑341‑21 a affirmé que l’obligation de séjourner dans un LHAG constitue un obstacle arbitraire à l’exercice du droit des voyageurs qui rentrent au pays par voie aérienne d’entrer librement au Canada. Les demandeurs ont tous allégué que l’obligation de séjourner dans un LHAG jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour constituait une violation de leur droit à la liberté et à la sécurité de leur personne au sens de l’article 7 de la Charte.
Les principales questions en litige étaient les suivantes : 1) Les mesures contestées violaient‑elles l’une ou l’autre des dispositions suivantes de la Charte : le paragraphe 6(1), les articles 7, 8, 9, les alinéas 10b), 11d), 11e), ou l’article 12? 2) Dans l’affirmative, la justification de telles violations pouvait‑elle se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique? 3) Les décrets outrepassaient‑ils les pouvoirs que le paragraphe 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine délègue au gouverneur en conseil? 4) Les décrets excédaient‑ils les compétences que le paragraphe 91(11) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au gouvernement fédéral?
Jugement : les demandes doivent être rejetées.
Les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer que les mesures contestées violaient le paragraphe 6(1) de la Charte (le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir). Les mesures contestées ne sont pas incompatibles avec l’objectif central du paragraphe 6(1), qui vise à protéger contre l’exil et le bannissement. Autrement dit, elles n’empêchent pas les voyageurs qui reviennent au pays par voie aérienne de participer à la communauté nationale. Ces voyageurs ne se voient pas refuser l’entrée au Canada lorsqu’ils atterrissent à l’un des quatre aéroports où l’arrivée des vols internationaux est actuellement autorisée. Ils sont plutôt tenus de se mettre en quarantaine ou de s’isoler brièvement à l’intérieur du Canada. Le fait pour certains voyageurs de volontairement modifier le moment auquel ils préfèrent voyager afin d’éviter l’application des mesures contestées ne signifie pas que ces mesures violent les droits que leur garantit le paragraphe 6(1). Les droits prévus à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques peuvent être l’objet de restrictions qui sont nécessaires, notamment pour protéger la santé publique ou les droits et libertés d’autres personnes. Dans la mesure où les dispositions contestées constituent de telles restrictions, la liberté de circulation visée à l’article 12 y est assujettie. Les motifs qui justifient la différence de traitement entre les voyageurs par voie aérienne et les voyageurs par voie terrestre ne sont pas arbitraires. Ils reposent sur des données scientifiques indiquant que le pourcentage de voyageurs asymptomatiques revenus par voie aérienne au Canada qui ont obtenu un résultat positif au test de dépistage de la COVID‑19 est plus élevé que celui des voyageurs asymptomatiques qui reviennent par voie terrestre.
Les violations alléguées n’ont pas mis en jeu le droit des demandeurs à la sécurité de leur personne au sens de l’article 7 de la Charte. Les éléments de preuve démontrant le risque physique auquel ont été exposés les demandeurs et le préjudice psychologique qu’ils ont subi ne sont pas suffisants pour faire entrer en jeu l’article 7. En l’absence d’éléments établissant qu’un voyageur par voie aérienne a été infecté dans un LHAG ou une IQD, il est raisonnable d’en inférer que les risques d’y contracter la COVID-19 ne sont pas importants. L’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD a fait entrer en jeu le droit des demandeurs à la liberté. Dans l’analyse de la question de savoir si l’atteinte au droit des demandeurs à la liberté a été portée en conformité avec les principes de justice fondamentale, il fallait déterminer si les mesures contestées étaient arbitraires, avaient une portée excessive ou entraînaient des conséquences totalement disproportionnées à leur objet. Il existait des éléments de preuve convaincants à l’appui de la décision de l’AC d’imposer des mesures spéciales aux voyageurs qui reviennent au pays par voie aérienne, comme l’obligation précise de séjourner dans un LHAG ou une IQD. La preuve a démontré l’existence d’un motif valable qui justifie l’imposition d’exigences spéciales aux voyageurs qui rentrent au Canada par voie aérienne. C’est l’objectif des mesures contestées qui était pertinent dans la présente affaire, et non leur efficacité réelle. Tout ce qui était requis pour démontrer que les mesures contestées n’étaient pas arbitraires était l’existence d’un lien entre elles et leurs objectifs. Les justifications de l’obligation précise de se mettre en quarantaine dans un LHAG fournissaient le lien rationnel requis entre l’objectif des mesures contestées et les limites imposées au droit des demandeurs à la liberté. Il n’est pas déraisonnable d’exiger de ceux qui assument volontairement les risques liés au voyage qu’ils paient les frais associés à leur mise en quarantaine au point d’entrée, particulièrement lorsqu’ils s’exposent à ces risques malgré les avis répétés du gouvernement d’éviter de faire des voyages non essentiels. Les mesures contestées, en particulier l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD, n’avaient pas une portée excessive. Il existe un lien rationnel entre l’objet de ces mesures et leurs effets sur les personnes qui, d’après les demandeurs, auraient dû être exemptées de ces mesures. Les mesures contestées ne violaient pas les principes de justice fondamentale au motif qu’elles étaient totalement disproportionnées. Il est justifié de faire subir à chaque voyageur asymptomatique qui entre au Canada par voie aérienne un test de dépistage et d’exiger qu’il séjourne dans un LHAG ou une IQD jusqu’à l’obtention du résultat du test exigé le premier jour. Ces mesures ne sont pas sans rapport aucun avec l’objectif de réduction de l’introduction et de la propagation de la COVID‑19 au Canada. En particulier, la brève privation de liberté n’est pas sans rapport aucun avec cet objectif. Elle n’est pas assez importante pour être disproportionnée, et encore moins totalement disproportionnée, par rapport à l’objectif et aux justifications qui sous‑tendent les mesures contestées.
L’obligation de payer leur réservation dans un LHAG n’a pas mis en jeu les intérêts des demandeurs visés par l’article 8 de la Charte (le droit d’être protégé contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives). Les voyageurs qui arrivent au Canada par voie aérienne n’ont aucune attente raisonnable en matière de vie privée quant à l’argent qu’ils sont tenus de débourser pour réserver un séjour dans un LHAG. Les circonstances dans lesquelles les voyageurs par voie aérienne sont tenus de séjourner dans un LHAG ou dans une IQD ne constituent manifestement pas une « enquête administrative ou criminelle ».
Les mesures contestées, notamment l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD, ont mis en jeu les droits que les demandeurs tirent de l’article 9 (le droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires) parce qu’elles ont donné lieu à la détention des personnes non exemptées qui arrivent au Canada par voie aérienne. Toutefois, à l’exception de la demanderesse Nicole Mathis, les droits que les demandeurs tirent de l’article 9 n’ont pas été violés parce que leur détention était non abusive. Contrairement aux personnes qui sont régulièrement interrogées et qui font même l’objet d’une fouille physique à la frontière, les voyageurs par voie aérienne ne sont pas autorisés à rentrer chez eux le même jour. Compte tenu du caractère pénal des sanctions dont ces voyageurs sont passibles s’ils refusent de séjourner dans un LHAG, ou s’ils refusent de se conformer aux restrictions physiques imposées dans les LHAG, la personne raisonnable qui se trouverait dans cette situation serait susceptible de conclure qu’elle n’est pas « libre de partir ». Par conséquent, l’obligation de séjourner dans un LHAG ou dans une IQD pendant une période de 24 à 72 heures constitue une « détention » au sens de l’article 9. Or, une telle détention n’est pas « arbitraire ». Les différentes raisons qui permettent de conclure que la restriction au droit des demandeurs à la liberté n’est pas arbitraire militent également en faveur de la conclusion selon laquelle leur détention n’était pas arbitraire. La manière dont la détention a été effectuée était non abusive. S’agissant des droits que Mme Mathis tire de l’article 9, ils ont été violés parce qu’elle n’a pas été informée du lieu où elle était emmenée. Les atteintes portées aux droits qu’elle tire de l’article 9 et de l’alinéa 10b) de la Charte n’étaient pas justifiées au regard de l’article premier. Même si l’on tient compte du fait que les tribunaux font preuve de la plus grande retenue envers les gouvernements, on ne saurait dire que la justification de ces atteintes pouvait se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Les droits que les demandeurs tirent de l’alinéa 10b) de la Charte (le droit, en cas d’arrestation ou de détention, d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit) étaient en jeu. L’article 10 de la Charte vise à « assurer que, dans certaines situations, une personne soit informée de son droit à l’assistance d’un avocat et qu’elle puisse obtenir cette assistance sans délai ». Dans les présentes instances réunies, seule Mme Mathis a fourni des éléments de preuve suffisants pour établir qu’il y avait eu violation de son droit d’être informée du droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Cette atteinte n’était pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Quiconque détient une personne doit clairement lui faire part de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat de manière à ce qu’il soit facilement compris, dès le début de la détention. Le fait de fournir une longue brochure aux voyageurs par voie aérienne qui entrent au pays et qui en feront vraisemblablement la lecture plus tard ne suffit pas.
Il n’y a pas eu atteinte aux droits des demandeurs prévus aux alinéas 11d) et e) de la Charte (le droit de tout inculpé d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable et de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable). Ces dispositions ne s’appliquent pas à moins qu’une personne ait été inculpée. Les mesures contestées n’ont pas non plus porté atteinte aux droits que les demandeurs tirent de l’article 12 de la Charte (le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités). Les mesures contestées ne constituent pas une « peine ». L’une des exigences supplémentaires du critère qui permet d’assimiler une mesure à une peine est qu’il doit s’agir d’« une conséquence d’une déclaration de culpabilité qui fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée ». Cette condition n’était manifestement pas remplie dans le contexte actuel. Même en tenant pour acquis que l’exigence imposée aux voyageurs de séjourner dans un LHAG ou une IQD dès leur arrivée au Canada est assimilable à un « traitement » au sens de l’article 12, ce « traitement » ne satisfait pas au critère très strict exigé qui permettrait de le qualifier de « cruel et inusité ».
Les décrets contenant les mesures contestées n’excédaient pas les pouvoirs de l’AC. Le différend entre les parties sur la question de savoir si l’AC a outrepassé ses pouvoirs lorsqu’il a adopté les mesures contestées dépendait de la question à savoir si, après s’être demandé s’il pouvait y avoir d’autres solutions raisonnables, l’AC a été d’avis qu’il n’y en avait aucune. Le préambule du décret de février et d’autres documents révèlent que l’AC a effectivement été d’avis qu’aucune autre solution raisonnable ne permettait de prévenir la propagation de la COVID‑19. Les notes explicatives et le préambule du décret de février constituaient une justification raisonnable suffisante pour ce décret. Ces passages et ce préambule permettaient également de confirmer que les mesures envisagées par le décret sont conformes à la raison d’être et à la portée du paragraphe 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine.
Le Parlement a délégué à l’AC les pouvoirs prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine. Rien dans le libellé du paragraphe 91(11) de la Loi constitutionnelle de 1867 (la quarantaine et l’établissement et le maintien des hôpitaux de marine) ne permet de penser que le mot « quarantaine » devrait être limité aux mises en quarantaine de navires. Le sens ordinaire des mots « [l]a quarantaine et » indique que le Parlement s’est vu attribuer compétence sur la quarantaine et aussi sur l’autre matière mentionnée, à savoir l’établissement et le maintien des hôpitaux de marine. Le mot « navire » n’apparaît pas dans ce chef de compétence, et il est évident que le mot « marine » ne se rapporte qu’aux « hôpitaux » et non à la « quarantaine ». L’intention déclarée par l’AC lorsqu’il a promulgué le décret de février appuie l’argument selon lequel le « caractère véritable », ou « essentiel », de ce décret n’est pas de réglementer la santé comme telle. Il consiste plutôt en la « réduction de l’introduction et de la propagation de la COVID‑19 et de nouvelles variantes du virus au Canada en diminuant le risque d’importer des cas de l’extérieur du pays ». Cet objet s’accorde avec celui de la Loi sur la mise en quarantaine. La prévention ou la réduction de l’introduction et de la propagation de la COVID‑19 est un objectif qui relève clairement du paragraphe 91(11). Il va de soi que le pouvoir d’imposer une quarantaine a été conféré précisément dans le but de prévenir ou de freiner l’introduction et la propagation de maladies transmissibles en provenance de l’étranger. Dans la mesure où l’objectif primordial du paragraphe 91(11) peut être considéré comme étant la prévention ou la réduction de l’introduction et de la propagation de maladies provenant de l’étranger sur le territoire canadien, l’adoption de mesures qui s’appliquent à quiconque entre au Canada – même lorsqu’il s’agit d’un voyageur appelé à faire seulement une courte distance après qu’il a franchi la frontière – relève entièrement du pouvoir du Parlement. Sinon, cet objectif important pourrait être sérieusement compromis par ne serait‑ce qu’une seule province ou un seul territoire qui n’agirait pas de manière appropriée.
La réparation appropriée à l’égard des violations des droits de Mme Mathis relevait du paragraphe 24(1) de la Charte. Toutefois, Mme Mathis n’a pas donné avis de son intention de solliciter une réparation en application de cette disposition. Par conséquent, une telle réparation n’était pas indiquée.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 6, 7, 8, 9, 10b), 11d), e), 12, 24(1), 33
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 503.
Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44 [L.R.C. (1985), appendice III], art. 1a).
Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021-11, (2021) Gaz. C. I, 362, art. 1.2(1)a)(i), 4(1)a),(2).
Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021-75, (2021) Gaz. C. I, 673, art. 1 « isolement », « quarantaine », 1.2(1)a),b), 1.3, 3(1)a),a.1),(1.3), 4(1),(2), 5, 6(1), 6.2, 7(1), 7.1(1), 7.2(1), 9, 10(1),(2), 11.
Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021-174, (2021) Gaz. C. I, 1499.
Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021-313, (2021) Gaz. C. I, 1925.
Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021-421, (2021) Gaz. C. I, 2402.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(11), 92(7),(13),(16).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art.4
Loi sur la mise en quarantaine, L.C. 2005, ch. 20, art. 4, 58.
Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57(1).
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e supp.), ch. 31, art. 20(1)a),(2)b).
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 317.
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47, art. 12.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531; R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599; Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783.
DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :
R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; Martineau c. M.R.N., 2004 CSC 81, [2004] 3 R.C.S. 737.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
États-Unis d’Amérique c. Cotroni; États-Unis d’Amérique c. El Zein, [1989] 1 R.C.S. 1469; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46; Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791; Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, [2018] 2 R.C.S. 165; Québec (Procureur général) c. Laroche, 2002 CSC 72, [2012] 3 R.C.S. 708; R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353; R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613; R. c. Nagle, 2012 BCCA 373, 97 C.R. (6th) 346; R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; Spencer c. Canada (Procureur général), 2021 CF 361; R. c. Suberu, 2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460; MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567; Nesathurai v. Schuyler Farms Ltd., 2020 ONSC 4711 (C. div.); Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810; Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112; Taylor v. Newfoundland and Labrador, 2020 NLSC 125.
DÉCISIONS CITÉES :
Syndicat canadien de la fonction publique c. Canada (Procureur général), 2018 CF 518; Bande indienne Coldwater c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 292; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72, [2021] 3 R.C.F. 294; Ernewein v. General Motors of Canada Ltd., 2005 BCCA 540, 260 D.L.R. (4th) 488; Jones v. Zimmer GmbH, 2013 BCCA 21, 358 D.L.R. (4th) 499; R. v. P. (A.) (1996), 109 C.C.C. (3d) 385, [1996] O.J. no 2986 (QL), 1996 CarswellOnt 3150 (C.A.); Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN) c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 212, [2020] 1 R.C.F. 675; Taseko Mines Limited c. Canada (Environnement), 2017 CF 1100, conf. par 2019 CAF 320; Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 47, [2013] 3 R.C.S. 157; Smith c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 174 (QL), 2000 CanLII 14930 (C.A.F.), conf. par [2001] 3 R.C.S. 902; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; R. c. Dyment, [1998] 2 R.C.S. 417; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; X (Re), 2017 CF 1047, [2018] 3 R.C.F. 111; R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59; Canadian Constitution Foundation v. Canada (Attorney General), 2021 ONSC 2117, 488 C.R.R. (2d) 106; Ernst c. Alberta Energy Regulator, 2017 CSC 1, [2017] 1 R.C.S. 3; R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134; Rinfret v. Pope (1886), 10 LN 74, 12 Q.L.R. 303 (C.A. Qué.); Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; R. v. Jones (2006), 81 O.R. (3d) 481, 2006 CanLII 28086 (C.A. Ont.).
DOCTRINE CITÉE
Hutchison, S. C., J. C. Morton and M. P. Bury, Search and Seizure Law in Canada, version 2002, feuilles mobiles, Toronto : Carswell, 1993.
Lederman, W. R. Continuing Canadian Constitutional Dilemmas: Essays on the Constitutional History, Public Law and Federal System of Canada, Toronto : Butterworths, 1981.
Santé Canada. COVID-19 Comité consultatif d’experts en matière de tests et de dépistage. Stratégies prioritaires pour optimiser les tests et la quarantaine aux frontières du Canada, 27 mai 2021.
DEMANDES de contrôle judiciaire contestant des mesures imposées par le gouvernement fédéral pour éviter la propagation de la COVID‑19 par les voyageurs revenant de l’étranger par voie aérienne. Demandes rejetées.
ONT COMPARU :
Sayeh Hassan et Henna Parmar pour les demandeurs dans les dossiers T-340-21 et T‑366‑21.
Jeffrey R. W. Rath pour le demandeur dans le dossier T-341-21.
Robert J. Hawkes, c.r., et Sarah Miller pour les demandeurs dans le dossier T‑480‑21.
Sharlene Telles-Langdon, Sharon Stewart Guthrie et Robert Drummond pour les défendeurs dans les dossiers T-340-21, T-341-21, T-366-21 et T-480-21.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Justice Centre for Constitutional Freedoms, Calgary, pour les demandeurs dans les dossiers T-340-21 et T-366-21.
Rath & Company, Foothills, Alberta, pour le demandeur dans le dossier T-341-21.
Jensen Shawa Solomon Duguid Hawkes LLP, Calgary, pour les demandeurs dans le dossier T-480-21.
La sous-procureure générale du Canada pour les défendeurs dans les dossiers T‑340‑21, T-341-21, T-366-21 et T-480-21.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendu par
Le juge en chef Crampton :
I. Introduction
II. Les parties
III. La COVID-19
IV. Les décrets, les dispositions législatives et les dispositions de la Charte qui s’appliquent
B. Les dispositions législatives applicables
C. Les dispositions applicables de la Charte
V. Les questions concernant la preuve
A. Le privilège applicable aux renseignements confidentiels du Cabinet
C. Les articles de presse et les articles universitaires présentés par les demandeurs
D. Le rapport publié la veille de l’audience
VII. La norme de contrôle
VIII. Analyse
(2) L’article 7
(ii) La portée excessive
(iii) Le caractère totalement disproportionné
(3) L’article 8
(4) L’article 9
a) Les principes juridiques applicables
c) Analyse
(5) L’alinéa 10b)
(7) L’article 12
(1) Le résumé des arguments des demandeurs
(2) Le résumé des arguments du défendeur
(3) Les principes juridiques applicables
(4) Analyse
a) Les mesures contestées excèdent-elles les pouvoirs conférés par la Loi sur la mise en quarantaine?
b) Les mesures contestées sont-elles raisonnables?
(1) Les arguments des demandeurs du RNN
(2) Les arguments du défendeur
(3) Les principes juridiques applicables
(4) Analyse
E. Les mesures contestées contreviennent-elles à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits?
F. Conclusion
Annexe 1 – Les dispositions législatives applicables
I. Introduction [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[1] La pandémie de COVID-19 a causé tant de décès et de souffrance au Canada et à l’étranger. Cette situation a exigé des mesures extraordinaires de la part de nos gouvernements ainsi que de grands sacrifices de la part de tous et chacun.
[2] L’une des responsabilités les plus fondamentales d’un État est de protéger ses membres contre la menace qui pèse sur leur santé et leur sécurité. Cependant, il doit le faire dans les limites de la loi.
[3] Essentiellement, les questions en litige dans les présentes demandes consolidées visent à savoir si certaines mesures que le gouvernement fédéral a imposées aux voyageurs qui reviennent de l’étranger par voie aérienne sont légales. Figurent parmi ces mesures l’obligation pour les personnes non exemptées de subir un test de dépistage de la COVID-19 à leur arrivée au Canada (test exigé le premier jour) et de séjourner dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement (LHAG) ou dans une installation de quarantaine désignée (IQD) pendant 24 à 72 heures jusqu’à l’obtention des résultats du test. Les personnes qui sont asymptomatiques à leur arrivée doivent séjourner dans un LHAG, tandis que celles qui présentent des symptômes doivent le faire dans une IQD. Les personnes qui séjournent dans un LHAG doivent le faire à leurs frais, lesquels peuvent dépasser 1 000 $. Quiconque contrevient à ces exigences et aux obligations connexes est passible d’une amende de plusieurs milliers de dollars en vertu de la Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47. Le non-respect de la Loi sur la mise en quarantaine, L.C. 2005, ch. 20, peut entraîner un emprisonnement maximal de trois ans et/ou une amende maximale de 1 000 000 $.
[4] Lorsqu’ils reçoivent les résultats du test exigé le premier jour, les voyageurs qui ont séjourné dans un LHAG ou une IQD sont tenus de se mettre en quarantaine ou de s’isoler pour le reste de la période de 14 jours suivant leur retour au Canada. Ils peuvent le faire à leur domicile ou dans un autre lieu de quarantaine approprié. Ceux dont le résultat au test de dépistage est négatif doivent se mettre en quarantaine conformément à leur plan de quarantaine, tandis que ceux dont le résultat est positif doivent s’isoler conformément à un plan d’isolement. Toutefois, les personnes qui ne disposent pas d’un plan de quarantaine ou d’isolement approprié, selon le cas, sont tenues de s’isoler dans une IQD. Tous les voyageurs sont également libres de s’isoler volontairement dans une IQD.
[5] Selon les demandeurs dans les présentes instances réunies, l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour contrevient à diverses dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (Charte). Ils soutiennent que la justification des avantages qui découleraient de cette obligation et des autres mesures contestées ne peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte. Selon eux, cela est en partie dû au fait que ces avantages ne sont pas proportionnels aux effets préjudiciables liés aux violations des droits qu’ils tirent de la Charte. À l’appui de cet argument, les demandeurs font remarquer que les voyageurs internationaux non exemptés qui entrent au Canada par voie terrestre ne sont pas assujettis aux mesures contestées. Ces voyageurs reçoivent plutôt des trousses de dépistage de la COVID-19 qu’ils doivent administrer dans le lieu de quarantaine ou d’isolement approprié choisi. À la date d’entrée en vigueur des mesures, environ 75 p. 100 des voyageurs arrivant au Canada étaient exemptés des mesures contestées.
[6] Les demandeurs dans le dossier no T-480-21 affirment en outre que le gouverneur en conseil (dans le présent contexte, l’administrateur en conseil (AC)) n’avait pas le pouvoir d’imposer les mesures contestées. Cette absence de pouvoir s’explique par l’existence, passée et actuelle, de solutions raisonnables permettant de prévenir l’introduction et la propagation de la COVID-19. Par conséquent, l’exigence prévue à l’alinéa 58(1)d) de la Loi sur la mise en quarantaine, selon laquelle il n’existe aucune autre solution, n’a pas été respectée. Ces demandeurs font également valoir que les mesures contestées empiètent sur la compétence exclusive des provinces et qu’elles outrepassent donc les pouvoirs du gouvernement fédéral. Enfin, ils soutiennent que certaines des mesures contestées contreviennent à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44 [L.R.C. (1985), appendice III].
[7] Pour les motifs qui suivent, sauf en ce qui concerne deux exceptions limitées quant à la manière dont les mesures contestées ont été exécutées à l’égard de la demanderesse Nicole Mathis, je conclus que les mesures contestées ne contreviennent pas à la Charte, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’effectuer l’analyse fondée sur l’article premier de la Charte, sauf en ce qui a trait aux deux exceptions mentionnées ci-dessus.
[8] Ces deux exceptions se rapportent aux droits que Mme Mathis tire de l’article 9 et de l’alinéa 10b) de la Charte. Plus particulièrement, elles concernent (i) le refus des agents des services frontaliers de révéler à Mme Mathis et à son conjoint l’emplacement de l’IQD vers lequel elle était emmenée, et (ii) le fait qu’on ne l’a pas convenablement informée de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. La justification de ces atteintes aux droits de Mme Mathis ne peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. La preuve établit que, dans le premier cas, il y a eu réparation depuis l’atteinte du fait que les voyageurs tenus de séjourner dans un LHAG doivent faire eux-mêmes leur réservation. Par conséquent, ils connaîtront l’emplacement de l’hôtel autorisé par le gouvernement. De plus, les voyageurs tenus de séjourner dans une IQD sont informés des renseignements importants concernant l’installation. Quant à la deuxième exception, les agents des services frontaliers savent dorénavant qu’ils doivent clairement informer les voyageurs de leur droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat d’une manière facile à comprendre, et ce, dès le début de la détention.
[9] Je conclus également que les mesures contestées relevaient des pouvoirs de l’AC et de la compétence du gouvernement fédéral. Enfin, les mesures contestées ne contreviennent pas à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits. Par conséquent, les présentes demandes seront rejetées.
[10] Étant donné que les mesures contestées cesseront d’avoir effet le lundi 21 juin 2021, ma décision est rendue publique aujourd’hui uniquement en anglais. La version française sera rendue publique dans les meilleurs délais. Je reconnais que selon l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e supp.), ch. 31, les décisions définitives des tribunaux fédéraux sont simultanément mises à la disposition du public dans les deux langues officielles si le point de droit présente de l’intérêt ou de l’importance pour celui-ci. Cependant, conformément au paragraphe 20(2) de cette loi, lorsque le tribunal estime que l’établissement d’une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l’intérêt public, la décision est rendue d’abord dans l’une des langues officielles, puis dans les meilleurs délais dans l’autre langue officielle. Elle est exécutoire à la date de prise d’effet de la première version. Compte tenu de la cessation d’effet imminente des mesures contestées, j’estime que le report de la publication du présent jugement (et ses motifs) jusqu’à l’établissement d’une version bilingue entraînerait un retard préjudiciable à l’intérêt public. Par conséquent, ma décision est publiée immédiatement en anglais, puis en français dans les meilleurs délais.
II. Les parties [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
A. Les demandeurs [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[11] Rebel News Network (RNN) est un média d’information indépendant dont le siège social est situé à Toronto, en Ontario. Certains de ses journalistes se rendent régulièrement aux États-Unis afin de faire des reportages sur des événements d’actualité et des enjeux politiques. L’un de ces journalistes, le demandeur Keean Bexte, a dû séjourner dans un LHAG à son retour au Canada le 28 février 2021. RNN et M. Bexte, qui sont les demandeurs dans le dossier no T-480-21, seront collectivement appelés les « demandeurs du RNN ».
[12] Dans ses observations écrites, le défendeur affirme qu’il ne croit pas que la qualité pour contester les mesures visées en l’espèce devrait être reconnue au RNN. Toutefois, dans ses observations orales, le défendeur a fait savoir qu’il n’a pas présenté de requête en vue de contester la qualité pour agir du RNN. Le défendeur a convenu en outre qu’en pratique, la question de la qualité pour agir du RNN n’a aucune incidence, car les avocats du RNN ont confirmé à l’audience que toutes les observations présentées pour le compte du RNN l’étaient aussi pour le compte de M. Bexte. Par conséquent, à la demande du défendeur, je ne me prononce pas sur la question de savoir si le RNN a la qualité pour agir dans la présente instance.
[13] Les autres demandeurs sont tous des voyageurs de vols internationaux qui ont été touchés par les mesures contestées. Les onze demandeurs dans les dossiers no T-340-21 et T-366-21 seront appelés les « demandeurs Spencer-Duesing ». M. Colvin est le seul demandeur dans le dossier no T-341-21.
[14] À l’exception de Barbara Spencer et de Cindy Crane, qui sont préoccupées par leur éventuelle mise en quarantaine dans un LHAG, les demandeurs sont tous revenus au Canada.
[15] À la date de production de leurs demandes respectives, les autres demandeurs avaient les mêmes préoccupations. Mme Thomson a dit que la perspective d’un séjour dans un LHAG est pour elle une source de crainte et d’anxiété. Par conséquent, elle est revenue au Canada deux jours avant l’entrée en vigueur de l’obligation de séjourner dans un LHAG en février. Elle a ajouté que, même après son retour, l’éventuel séjour de son conjoint dans un LHAG à son retour au pays était toujours une source de stress pour elle.
[16] À l’exception de M. Bexte et des personnes mentionnées dans le paragraphe ci-dessous, rien n’indique que l’un ou l’autre des demandeurs a finalement séjourné dans un LHAG ou une IQD à son retour au Canada.
[17] M. Duesing et Mme Mathis ont été détenus et transférés dans une « installation fédérale » en janvier de cette année, conformément aux dispositions d’un décret qui a expiré en février. Comme nous le verrons plus loin, ces dispositions ont été reprises dans les décrets promulgués ultérieurement.
[18] Selon son avocat, M. Colvin s’est vu infliger une amende de 3 000 $ [traduction] « au lieu d’une mise en quarantaine à proximité d’un aéroport » à son retour au Canada en avril. Son avocat soutient que les conclusions tirées relativement à sa demande « seront essentielles à la défense qu’il opposera à cette amende ».
III. La COVID-19 [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[19] Sauf indication contraire, le témoignage qui suit concernant la COVID-19 ne semble pas être contesté. Il a été livré par l’un des déposants du défendeur, le Dr Philippe Guillaume Poliquin, dont les compétences sont brièvement examinées plus loin à la partie IV.
[20] La COVID-19 est une maladie causée par un coronavirus connu sous le nom de SRAS-CoV-2. Elle a été détectée pour la première fois en Chine en décembre 2019 et s’est depuis propagée dans le monde entier. En mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé a déclaré qu’elle avait atteint l’état de pandémie. Selon les données publiées, la COVID-19 a infecté dans l’année subséquente plus de 118 millions de personnes et était liée à 2,6 millions de décès dans le monde. Au cours de cette même période, le Canada a compté 899 757 infections et 22 370 décès dus à la maladie.
[21] Comme c’est le cas pour les autres coronavirus, le SRAS-CoV-2 se propage chez les humains principalement par la transmission interhumaine. Cette propagation se produit par l’inhalation de gouttelettes respiratoires infectieuses et, dans certains cas, des aérosols créés lorsqu’une personne infectée tousse, éternue, chante, crie ou parle.
[22] Certaines personnes infectées par le virus sont asymptomatiques, ce qui signifie qu’elles ne présentent que peu ou pas de symptômes et peuvent donc ne pas savoir qu’elles sont infectées. Selon le Dr Poliquin, ces personnes asymptomatiques peuvent tout de même transmettre la COVID-19 à d’autres personnes qui sont autour d’elles. Certains des demandeurs ont contesté cet élément du témoignage du Dr Poliquin, mais ils n’ont fourni aucun élément de preuve le contredisant sur ce point.
[23] On appelle les personnes infectées qui ne présentent pas encore de symptômes des porteurs présymptomatiques. Elles peuvent également propager la maladie. La période d’incubation médiane, c’est-à-dire le temps entre l’exposition au virus et l’apparition des symptômes de la COVID-19, est de cinq jours. Toutefois, on estime que les symptômes apparaissent dans les 14 jours qui suivent l’exposition à la COVID-19.
[24] La période pendant laquelle une personne peut propager la maladie est connue comme la période de transmissibilité. Cette période commence dans la période qui précède l’apparition de symptômes et dure généralement 10 jours à compter de leur apparition.
[25] Comme tous les virus, celui qui est responsable de la COVID-19 mute naturellement au fil du temps, ce qui signifie que le matériel génétique du virus sera modifié. Cependant, les variants ne constituent pas tous un problème de santé publique. Ce n’est que lorsqu’une mutation entraîne une hausse de la transmissibilité ou de la virulence (gravité de la maladie), ou une baisse de l’efficacité des diagnostics, des vaccins ou des traitements disponibles qu’un variant d’intérêt devient un « variant préoccupant » (variant préoccupant). En janvier de cette année, trois variants préoccupants avaient été découverts : le variant B.1.1.7 (découvert pour la première fois au Royaume-Uni), le variant B.1351 (découvert pour la première fois en Afrique du Sud) et le variant P.1 (découvert pour la première fois au Brésil).
[26] En date du 11 février 2021, les trois variants préoccupants avaient été détectés au Canada. Collectivement, ils avaient infecté environ 458 personnes. L’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) était très préoccupée par le risque que la transmissibilité accrue de ces variants, ainsi que la résistance possible à l’immunité et aux vaccins, augmente substantiellement le nombre d’infections au Canada. L’ASPC craignait aussi que cette situation entraîne une augmentation significative du nombre d’hospitalisations et de décès, ainsi qu’une réduction possible de l’efficacité des vaccins.
[27] En date du 28 mars 2021, le variant B.1.1.7 avait infecté 7 725 personnes au Canada, le variant B.1.351, 269 personnes et le variant P.1, 272 personnes.
IV. Les décrets, les dispositions législatives et les dispositions de la Charte qui s’appliquent [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
A. Les décrets applicables [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
1) Le Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021-11[1] [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[28] M. Duesing et Mme Mathis, les demandeurs dans le dossier no T-366-21, contestent certaines dispositions du décret de janvier, pris le 20 janvier 2021 par l’AC en vertu de l’alinéa 58(1)d) de la Loi sur la mise en quarantaine. Suivant l’alinéa 4(1)a) et le paragraphe 4(2) de ce décret, M. Duesing et Mme Mathis étaient tenus de se mettre en quarantaine dans une IQD pendant trois nuits à leur retour au Canada plus tard ce mois-là. Ils devaient remplir cette obligation parce qu’ils n’avaient pas démontré avoir obtenu soit un résultat négatif à un essai moléculaire relatif à la COVID-19 effectué dans les 72 heures précédant l’heure de leur départ prévu pour le Canada, soit un résultat positif à cet essai effectué dans la période minimale de 14 jours et maximale de 90 jours précédant l’heure de départ, conformément au sous-alinéa 1.2(1)a)(i) du décret. Les demandeurs n’avaient qu’un résultat de test antigénique subi avant le départ. Le libellé complet des dispositions du décret de janvier mentionnées ci-dessus est reproduit à l’annexe 1 des présents motifs. L’obligation d’obtenir le résultat d’un essai effectué avant le départ n’est pas contestée dans les présentes demandes.
[29] Le décret de janvier a été abrogé le 14 février 2021. Cependant, le défendeur a expliqué à l’audition des présentes demandes qu’il n’a pas déposé une requête en radiation de la demande présentée par M. Duesing et Mme Mathis au motif que l’affaire est purement théorique, car les dispositions décrites ci-dessus figuraient dans tous les décrets qui ont suivi celui de janvier, y compris le décret actuellement en vigueur.
2) Le Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021-75[2] [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[30] En raison de l’évolution continue de la COVID-19, le 14 février 2021 l’AC a abrogé et remplacé le décret de janvier par le décret de février [Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021-75 (2021), Gaz. C. I, 673]. Le décret de février a ensuite été modifié le 21 février 2021[3].
[31] Les nouvelles mesures prévues dans le décret de février comprenaient l’obligation, applicable à tous les voyageurs non exemptés rentrant au pays par voie aérienne ou terrestre, de subir un essai moléculaire au moment de leur arrivée au Canada — c’est-à-dire le test exigé le premier jour — et de nouveau plus tard dans les 14 jours suivant l’entrée, pendant qu’ils sont en quarantaine. Les demandeurs ne contestent pas cette mesure particulière ni l’interdiction faite aux personnes symptomatiques de prendre les transports en commun.
[32] Toutefois, les demandeurs contestent certaines nouvelles mesures imposées aux voyageurs non exemptés qui rentrent au Canada par voie aérienne, dont les suivantes :[4]
i. l’obligation de séjourner, à leurs frais, dans un LHAG pendant une période maximale de 72 heures jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour (alinéa 3(1)a) et paragraphe 3(1.3));
ii. l’obligation de fournir par voie électronique la preuve de la réservation et du prépaiement du LHAG (sous-alinéa 1.2(1)a)(iii));
iii. l’obligation de fournir les éléments précisés au point précédent dès leur arrivée au Canada (division 1.2(1)a)(ii)(B));
iv. l’obligation de conserver ces éléments de preuve pendant la période de 14 jours qui suit leur retour au Canada (alinéa 1.2(1)b));
v. l’obligation d’inclure, dans leur plan de quarantaine, l’adresse du LHAG où ils entendent séjourner jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour, ainsi que certains renseignements supplémentaires non précisés qui s’appliquent seulement aux voyageurs par voie aérienne (sous-alinéa 1.3a)(ii));
vi. l’obligation imposée aux voyageurs qui ne peuvent séjourner dans un LHAG de faire leur quarantaine dans une IQD (paragraphes 4(1), 4(2) et 10(2)).
[33] Comme M. Duesing et Mme Mathis, les autres demandeurs dans les présentes instances réunies contestent également l’obligation de fournir avant l’embarquement la preuve qu’ils ont obtenu soit un résultat négatif à un essai moléculaire relatif à la COVID-19 effectué dans les 72 heures précédant l’heure de leur départ prévu pour le Canada, soit un résultat positif à cet essai effectué dans la période minimale de 14 jours et maximale de 90 jours précédant ce départ. Comme c’était le cas dans le décret de janvier, cette disposition figurait à l’alinéa 1.2(1)a) du décret de février. Les dispositions connexes qui obligent la personne qui ne fournit pas une telle preuve à séjourner dans une IQD étaient prévues aux paragraphes 4(1) et (2).
[34] De plus, les demandeurs Spencer-Duesing contestent les articles 5 et 11 du décret de février, lesquels comportent une liste des facteurs à prendre en compte pour le choix d’une installation de quarantaine aux fins des paragraphes 4(2) et 10(2). Ces demandeurs contestent également l’article 9, lequel comporte des obligations en matière d’isolement qui s’appliquent aux voyageurs par voie aérienne et qui ont des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils sont atteints de la COVID-19, qui présentent des signes et des symptômes de la COVID-19 ou qui se savent atteints de la COVID-19. Ces dispositions s’appliquent aussi à toute personne ayant été en contact avec un tel voyageur.
[35] Enfin, les demandeurs Spencer-Duesing contestent les dispositions du paragraphe 10(1) du décret de février, qui s’appliquent aux personnes considérées comme incapables de s’isoler.
[36] Le décret de février a expiré le 21 avril 2021. Toutefois, les parties semblent s’entendre pour dire que les demandes ne sont pas théoriques pour autant, car les dispositions mentionnées ci-dessus (mesures contestées) ont été reproduites dans tous les décrets promulgués après celui de février, y compris le décret actuellement en vigueur.
3) Les décrets subséquents [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[37] Le 19 mars 2021, l’AC a abrogé et remplacé le décret de février par un décret portant le même titre (C.P. 2021-174 [(2021) Gaz. C. I, 1499]. Le 21 avril 2021, il a ensuite abrogé le décret de mars et l’a remplacé par le décret C.P. 2021-313 [(2021) Gaz C. I, 1925]. Les décrets de mars et d’avril ont été légèrement remaniés, mais ils comportaient également les mesures contestées, quoique sous des numéros d’article différents.
[38] Le décret C.P. 2021-313 a par la suite été abrogé et remplacé, le 21 mai 2021, par le décret C.P. 2021-421 [(2021) G. Can. I, 2402] portant le même titre. Là encore, ce décret contient toujours les mesures contestées. La date de cessation d’effet du décret de mai est le 21 juin 2021.
B. Les dispositions législatives applicables [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[39] Les décrets mentionnés ci-dessus ont été promulgués par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 58 de la Loi sur la mise en quarantaine, lequel dispose :
Interdiction d’entrer
58 (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, interdire ou assujettir à des conditions l’entrée au Canada de toute catégorie de personnes qui ont séjourné dans un pays étranger ou dans une région donnée d’un pays étranger s’il est d’avis :
a) que le pays du séjour est aux prises avec l’apparition d’une maladie transmissible;
b) que l’introduction ou la propagation de cette maladie présenterait un danger grave et imminent pour la santé publique au Canada;
c) que l’entrée au Canada de ces personnes favoriserait l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada;
d) qu’il n’existe aucune autre solution raisonnable permettant de prévenir l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada.
[40] M. Bexte fait valoir que l’obligation imposée aux voyageurs qui rentrent au Canada par voie aérienne de payer leur séjour dans un LHAG l’a privé de son droit à la jouissance de ses biens prévu à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits, lequel dispose :
Reconnaissance et déclaration des droits et libertés
1 Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe :
a) le droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi;
[41] Les demandeurs Spencer-Duesing soutiennent que tout ou partie des [traduction]« restrictions de voyage » mentionnées ci-dessus sont contraires à l’article 503 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, lequel impose des obligations à l’« agent de la paix qui arrête une personne avec ou sans mandat » .
C. Les dispositions applicables de la Charte [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[42] Tous les demandeurs affirment que les mesures contestées violent les articles 7 et 9 de la Charte. Selon l’article 7, chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; l’État ne peut porter atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. L’article 9 garantit à chacun le droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.
[43] M. Colvin et les demandeurs Spencer-Duesing font également valoir que les mesures contestées violent le paragraphe 6(1) de la Charte, selon lequel tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.
[44] Les demandeurs du RNN affirment en outre que les mesures contestées contreviennent à l’article 8 de la Charte, lequel dispose que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
[45] Enfin, les demandeurs Spencer-Duesing soutiennent que les mesures contestées violent les alinéas 10b), 11d) et 11e), ainsi que l’article 12 de la Charte. L’alinéa 10b) garantit à chacun le droit, en cas d’arrestation ou de détention, d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit. L’alinéa 11d) énonce que tout inculpé a le droit d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable, et l’alinéa 11e), qu’il a le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable. Enfin, l’article 12 dit que chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
[46] Chacune des dispositions de la Charte mentionnées ci-dessus est reproduite à l’annexe 1 des présents motifs.
V. Les questions concernant la preuve [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
A. Le privilège applicable aux renseignements confidentiels du Cabinet [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[47] Conformément à la règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, M. Colvin a demandé que lui soient transmis les documents dont disposait l’AC lorsqu’il a émis le décret de février. Il a aussi demandé des copies de toute communication non protégée concernant quelconque des éléments de ce décret. En réponse, Mme Julie Adair, greffière adjointe du Conseil privé, a revendiqué au nom de l’AC le privilège applicable aux renseignements confidentiels du Cabinet.
[48] M. Colvin invite la Cour à tirer une inférence défavorable de ce refus de fournir les documents demandés. Il ajoute que le défendeur a certes le droit d’affirmer que ces documents sont visés par le privilège applicable aux renseignements confidentiels du Cabinet, mais que cette manière de procéder constitue un manquement aux principes d’équité procédurale et acquitte le défendeur de son obligation de justifier la violation des droits protégés par la Charte, conformément à l’article premier et au critère énoncé dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 (Oakes).
[49] Je ne suis pas d’accord. La promulgation d’un règlement est un acte législatif qui ne fait pas naître l’obligation d’équité procédurale : Syndicat canadien de la fonction publique c. Canada (Procureur général), 2018 CF 518 (SCFP), aux paragraphes 157–158 et 163. En l’absence d’un argument à l’effet que le privilège applicable aux renseignements confidentiels du Cabinet a irrégulièrement été revendiqué, il n’y a pas lieu de tirer une conclusion défavorable : SCFP, précitée, aux paragraphes 142 et 181. S’agissant de l’article premier de la Charte, le défendeur dispose d’autres moyens de s’acquitter de son obligation, si des violations d’autres dispositions de la Charte sont établies.
B. Les déposants du défendeur [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[50] À l’appui de sa réponse aux demandeurs, le défendeur a produit les affidavits des quatre hauts fonctionnaires du gouvernement suivants :
i. Kimby Barton est la directrice générale du Centre de la biosûreté de l’ASPC. Elle est principalement responsable de l’élaboration et de la mise en place de mesures de contrôle frontalier visant à prévenir la propagation de maladies infectieuses au Canada. Elle a été désignée comme étant la personne-ressource de l’ASPC dans les notes explicatives jointes aux décrets de janvier et de février, et aux décrets ultérieurs.
ii. Le Dr Guillaume Poliquin est le directeur général scientifique par intérim du Laboratoire national de microbiologie (LNM) au sein de l’ASPC. Il est principalement responsable du portefeuille de recherche sur les vaccins et les agents pathogènes émergents, dont le SRAS-CoV-1. Il dirige une équipe de scientifiques chargés de soutenir le dépistage de la COVID-19 au Canada, de mener des recherches sur le SRAS-CoV-2, de créer des modèles pour prédire l’évolution de la pandémie et de gérer la collecte de données visant à énoncer les directives nécessaires à la planification en matière de santé publique. Il a aussi la tâche de fournir des conseils pour appuyer le gouvernement du Canada dans la prise de décisions concernant les mesures de santé publique à adopter pour lutter contre la pandémie de COVID-19 et le programme de vaccination du Canada, notamment en ce qui concerne les aspects scientifiques et cliniques de la pandémie.
iii. La Dre Rachel Rodin est la directrice générale par intérim de la Direction du dépistage au sein de la Direction générale de la prévention et du contrôle des maladies infectieuses à l’ASPC, qui établit des programmes pilotes et des initiatives de dépistage. Dans l’exercice de ses fonctions habituelles, elle a donné entre le 2 avril 2020 et la date de son affidavit des avis sur la fourniture de tests de dépistage de la COVID-19 à l’échelle de la population.
iv. Michael Spowart est le directeur régional, région de l’Ouest (Colombie-Britannique et Alberta), à l’ASPC. Il dirige une équipe multidisciplinaire de professionnels de la santé publique chargés de la gestion des activités de première ligne concernant la promotion de la santé, la prévention des maladies et des programmes de protection de la santé. Au cours de la dernière année, il s’est concentré presque exclusivement sur la mise en œuvre des mesures et des plans d’intervention en cas de pandémie. À ce titre, il est responsable de la mise en œuvre des mesures de contrôle frontalier aux points d’entrée en Colombie-Britannique et en Alberta. Il participe régulièrement à des réunions pancanadiennes sur le fonctionnement des IQD et des LHAG, ou en est informé.
[51] À l’audition des présentes demandes, les avocats du défendeur ont expliqué que les déposants mentionnés ci-dessus n’ont pas été, par inadvertance, reconnus comme témoins experts ou n’ont pas été avisés qu’ils devaient signer le certificat selon la formule 52.2. Par conséquent, le défendeur semble s’incliner devant l’argument des demandeurs selon lequel ses déposants ne devraient pas être considérés comme des témoins experts.
[52] Quoi qu’il en soit, le défendeur soutient que les déposants du gouvernement qui occupent des postes élevés et ont des responsabilités importantes de supervision au sein de leurs ministères ou organismes ont une connaissance personnelle suffisante pour témoigner directement sur la conduite du personnel, les activités et les événements dans leurs ministères ou organismes et en périphérie.
[53] Je suis d’accord. C’est particulièrement le cas dans une instance faisant l’objet d’un contrôle judiciaire complexe et dont le déroulement a été très hâté : Bande indienne Coldwater c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 292 (Coldwater), aux paragraphes 46 et 58, et lorsque les témoignages portent sur la justification de mesures prises par les déposants et ceux avec qui ils ont étroitement travaillé, et des avis qu’ils ont donnés, plutôt que sur la véracité des renseignements sur lesquels ils se sont appuyés.
[54] Vu que Mme Barton, le Dr Poliquin, la Dre Rodin et M. Spowart occupent des postes de niveau supérieur, ils ont le droit de témoigner sur les faits dont ils ont une connaissance personnelle, ainsi que sur la justification des décisions prises par leur ministère ou leur direction générale et des avis que ces ministères ou ces directions générales ont donnés au gouvernement du Canada. Bien entendu, si j’ai des doutes quant à la fiabilité de leurs témoignages, j’en tiendrai compte au moment de décider du poids que je leur accorderai.
[55] D’après certains demandeurs, les déposants du défendeur n’ont fourni qu’une partie des renseignements, étaient très argumentatifs et n’étaient généralement pas impartiaux. Je ne suis pas d’accord. Après avoir examiné leurs affidavits et les transcriptions des contre-interrogatoires menés par les avocats respectifs des demandeurs du RNN, des demandeurs Spencer-Duesing et de M. Colvin, j’estime que leurs témoignages étaient sincères, francs, succincts et généralement crédibles. Sauf indication contraire, je n’ai aucune préoccupation concernant leurs témoignages.
C. Les articles de presse et les articles universitaires présentés par les demandeurs [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[56] Le défendeur soutient que certains articles de presse sur lesquels les demandeurs se sont fondés sont inadmissibles. Je suis d’accord. Les articles de presse qui sont produits afin que leur contenu soit tenu pour véridique sont inadmissibles en raison de la règle générale qui exclut la preuve par ouï-dire : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72, [2021] 3 R.C.F. 294, au paragraphe 150.
[57] Je conviens également avec le défendeur que les articles joints aux affidavits des demandeurs ne peuvent, au même titre que les articles universitaires joints aux affidavits produits par les déposants du défendeur, servir à établir les faits qu’ils contiennent : Ernewein v. General Motors of Canada Ltd., 2005 BCCA 540, 260 D.L.R. (4th) 488, au paragraphe 41; Jones v. Zimmer GmbH, 2013 BCCA 21, 358 D.L.R. (4th) 499, aux paragraphes 45–47. Ce n’est toutefois pas le cas pour plusieurs autres documents qu’ont produit différents déposants, car, comme ils bénéficient de l’exception à la règle du ouï-dire qui s’applique aux documents publics, ils sont admissibles pour établir la véracité de leur contenu : R. v. P. (A.) (1996), 109 C.C.C. (3d) 385, [1996] O.J. no 2986 (QL), 1996 CarswellOnt 3150 (C.A.), aux paragraphes 14 et 15. L’admissibilité de ces documents publics n’étant pas contestée, mon examen de cette question s’arrête ici.
[58] Compte tenu de ce qui précède, les pièces suivantes sont inadmissibles :
i. la pièce A, jointe à l’affidavit produit par Mme Crane (affidavit de Mme Crane);
ii. la pièce A, jointe à l’affidavit produit par Mme Spencer (affidavit de Mme Spencer);
iii. les pièces B, H et I, jointes à l’affidavit produit par M. Levant (affidavit de M. Levant).
[59] De même, les passages suivants des affidavits, qui reprennent le contenu des articles de presse, sont inadmissibles :
i. l’affidavit de Mme Crane, au paragraphe 10, la première phrase et le deuxième segment de la troisième phrase;
ii. l’affidavit de Mme Spencer, au paragraphe 14, la première phrase et le deuxième segment de la troisième phrase;
iii. l’affidavit de M. Levant, au paragraphe 14, la deuxième phrase et le paragraphe 37;
iv. l’affidavit produit par Mme Thomson, la sixième phrase du paragraphe 10;
v. l’affidavit produit par M. Thomson, la première phrase du paragraphe 9.
[60] Ces éléments n’ont aucune incidence, car les conclusions que je tire sur les questions en litige dans les présentes demandes ne seraient pas différentes même si j’admettais les éléments de preuve et les documents mentionnés ci-dessus. L’importance que je leur aurais accordée n’aurait été que minime.
D. Le rapport publié la veille de l’audience [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[61] Le 29 mai 2021, les demandeurs Spencer-Duesing ont présenté une requête en vue d’obtenir l’autorisation de signifier et déposer le rapport intitulé Stratégies prioritaires pour optimiser les tests et la quarantaine aux frontières du Canada (rapport de mai). Ce rapport a été publié le 27 mai 2021 par le Comité consultatif d’experts sur les tests et le dépistage de la COVID-19. Le Comité recommandait, entre autres, de remplacer l’obligation de se mettre en quarantaine dans un LHAG ou une IQD et de porter une attention particulière sur le respect de la quarantaine dans les ménages des voyageurs ou dans d’autres lieux de quarantaine appropriés (rapport de mai, aux pages 12, 13 et 18). Cette recommandation était fondée sur le fait que l’approche actuelle à la quarantaine obligatoire n’est pas appliquée de la même manière aux voyageurs par voie terrestre et aux voyageurs par voie aérienne, que le coût qu’elle entraîne est élevé, qu’elle offre aux voyageurs la possibilité d’y échapper en payant une amende et qu’elle n’est pas adaptée à la période d’incubation du virus.
[62] À l’audience, les demandeurs Spencer-Duesing ont expliqué qu’ils voulaient produire le rapport de mai uniquement aux fins de leurs observations sur l’article premier de la Charte. Étant donné que le défendeur a consenti à ce que le document soit admis à cette seule fin, j’accueille la requête.
VI. Les questions en litige [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[63] Les parties semblent s’entendre sur les questions en litige dans les présentes demandes réunies, bien qu’elles les aient formulées de façon quelque peu différente. À mon avis, la meilleure formulation des questions en litige est la suivante :
1. Les mesures contestées violent-elles l’une ou l’autre des dispositions suivantes de la Charte : les articles 7, 8, 9, 12, le paragraphe 6(1), les alinéas 10b), 11d) ou 11e)?
2. Dans l’affirmative, la justification de telles violations peut-elle se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique?
3. Les décrets contenant les mesures contestées outrepassent-ils les pouvoirs que le paragraphe 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine délègue au gouverneur en conseil ? Dans la négative, les mesures contestées sont-elles néanmoins déraisonnables?
4. Les décrets contenant les mesures contestées excèdent-ils les compétences que le paragraphe 91(11) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], confère au gouvernement fédéral?
5. Les mesures contestées contreviennent-elles à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits?
6. Quelles sont, le cas échéant, les réparations appropriées?
VII. La norme de contrôle [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[64] La norme que la Cour doit appliquer aux questions en litige se rapportant à la Charte, à la Loi constitutionnelle de 1867 et à la Déclaration canadienne des droits, est celle de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), aux paragraphes 53, 55 et 69; Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN) c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 212, [2020] 1 R.C.F. 675, aux paragraphes 17 et 21; Taseko Mines Limited c. Canada (Environnement), 2017 CF 1100, aux paragraphes 49 et 54, conf. par 2019 CAF 320, aux paragraphes 19 et 22.
[65] Appelée à décider si les mesures contestées outrepassent les pouvoirs que le paragraphe 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine délègue à l’AC, la Cour doit appliquer la norme de la décision raisonnable : Vavilov, précité, aux paragraphes 65–68 et 109. Elle doit aussi appliquer cette norme pour décider du caractère raisonnable des mesures contestées. Je rappelle les principes applicables à l’évaluation du caractère raisonnable plus loin à la partie VIII.C des présents motifs.
VIII. Analyse [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
A. Les mesures contestées violent-elles l’une ou l’autre des dispositions suivantes de la Charte : les articles 7, 8, 9, 12, le paragraphe 6(1), les alinéas 10b), 11d) ou 11e)? [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
1) Le paragraphe 6(1) [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[66] Le paragraphe 6(1) dispose : « Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir ».
[67] M. Colvin affirme que l’obligation de séjourner dans un LHAG constitue un obstacle arbitraire à l’exercice du droit des voyageurs qui rentrent au pays par voie aérienne d’entrer librement au Canada. Il reconnaît qu’il peut parfois être urgent de détenir ou de retenir une personne à la frontière en raison de [traduction] « soupçons d’activités criminelles, de pièces d’identité inappropriées, de motifs d’entrée douteux ou même de soupçons de maladies transmissibles ». Toutefois, il affirme qu’il n’y a aucune urgence dans le cas de personnes comme lui, qui n’ont pas été infectées par la COVID-19, n’ont pas eu de contact avec une personne infectée par le virus, ont obtenu un résultat négatif au test de dépistage avant leur départ pour le Canada et ont les moyens et la capacité de se mettre en quarantaine à leur domicile pendant 14 jours.
[68] Je ne suis pas d’accord.
[69] Je reconnais qu’une interprétation libérale du paragraphe 6(1) est compatible avec le fait que cette disposition est soustraite à l’application de l’article 33 de la Charte et n’est assujettie à aucune restriction, comme celles que prévoient les paragraphes 6(3) et (4) : Divito c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 47, [2013] 3 R.C.S. 157 (Divito), au paragraphe 28. Je reconnais en outre que « les droits garantis par la Charte doivent recevoir une interprétation libérale afin de réaliser l’objectif qui consiste à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte » : États-Unis d’Amérique c. Cotroni; États-Unis d’Amérique c. El Zein, [1989] 1 R.C.S. 1469 (Cotroni), à la page 1480. En même temps, « il importe de ne pas aller au-delà de l’objet véritable du droit ou de la liberté en question » : R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, à la page 344.
[70] Dans l’arrêt Cotroni, précité, la Cour suprême du Canada dit à la page 1482 que « le par. 6(1) vise à protéger contre l’exil et le bannissement qui ont pour objet l’exclusion de la participation à la communauté nationale ».
[71] Les mesures contestées ne sont en aucune façon incompatibles avec cette essence ou cet objet. Autrement dit, elles n’empêchent pas les voyageurs qui reviennent au pays par voie aérienne de participer à la communauté nationale. Ces voyageurs ne se voient pas refuser l’entrée au Canada lorsqu’ils atterrissent à l’un des quatre aéroports où l’arrivée des vols internationaux est actuellement autorisée. Ils sont plutôt tenus de se mettre en quarantaine ou de s’isoler brièvement à l’intérieur du Canada. Même si le lieu précis dans lequel ils doivent s’isoler diffère de celui où les voyageurs qui rentrent au pays par voie terrestre doivent s’isoler, il se situe tout de même au Canada.
[72] Selon les demandeurs Spencer-Duesing, l’essence des droits garantis au paragraphe 6(1) de la Charte est la suivante : [traduction] « [L]a capacité des Canadiens d’entrer au Canada et d’en sortir à leur gré. Les mesures contestées ont privé les Canadiens de cette volonté, car la décision des Canadiens de voyager ou non et à quel moment est fonction de ces mesures. » À cet égard, les demandeurs Spencer-Duesing s’appuient sur le passage suivant des motifs dissidents de la juge Wilson dans l’arrêt Cotroni, précité, aux pages 1504–1505 :
[…] je suis d’avis que le par. 6(1) de la Charte a été conçu pour protéger la liberté d’un citoyen canadien d’entrer au pays et d’en sortir à son gré. Il peut aller et venir comme bon lui semble […] Le droit protégé est plutôt axé sur la liberté d’un citoyen canadien de choisir de son propre gré s’il veut entrer ou demeurer au Canada ou encore le quitter. [Non souligné dans l’original.]
[73] Or, la majorité de la Cour suprême du Canada n’a pas souscrit à cette dissidence dans une décision ultérieure.
[74] À mon avis, le fait pour certains voyageurs de volontairement modifier le moment auquel ils préfèrent voyager afin d’éviter l’application des mesures contestées ne signifie pas que ces mesures violent les droits que leur garantit le paragraphe 6(1). Les lois valablement adoptées, comme celles qui régissent l’impôt sur le revenu ou les prestations d’assurance-emploi, peuvent avoir pour effet d’influencer le choix des dates de voyage. Cet effet ne les rend pas incompatibles avec le paragraphe 6(1) : Smith c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 174 (QL), 2000 CanLII 14930 (C.A.F.), conf. par [2001] 3 R.C.S. 902, au paragraphe 3.
[75] Les demandeurs Spencer-Duesing soutiennent en outre que le paragraphe 6(1) devrait être interprété à la lumière de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, [1976] R.T. Can. no 47 (PIDCP). Je suis d’accord : Divito, précité, au paragraphe 25. Toutefois, l’article 12 ne leur est d’aucun secours. Il dispose :
Article 12
1. Quiconque se trouve légalement sur le territoire d’un État a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.
2. Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.
3. Les droits mentionnés ci-dessus ne peuvent être l’objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte.
4. Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays. [Non souligné dans l’original.]
[76] Comme l’indique la partie soulignée du paragraphe 3 de l’article 12 ci-dessus, les droits prévus à l’article 12 peuvent être l’objet de restrictions qui sont nécessaires, notamment pour protéger la santé publique ou les droits et libertés d’autres personnes. Dans la mesure où les dispositions contestées constituent de telles restrictions, la liberté de circulation visée à l’article 12 y est assujettie. Le pouvoir de l’AC de promulguer ces mesures est examiné plus en détail à la partie VIII.C des présents motifs.
[77] En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 12 du PIDCP, je ne retiens pas l’argument de M. Colvin selon lequel les mesures contestées sont arbitraires parce qu’elles ciblent sans distinction chaque voyageur par voie aérienne. Je suis très sensible au mécontentement évident de M. Colvin du fait d’avoir été traité différemment des voyageurs qui rentrent au pays par voie terrestre. Cependant, les motifs qui justifient la différence de traitement entre les voyageurs par voie aérienne et les voyageurs par voie terrestre ne sont pas arbitraires. Ils reposent sur des données scientifiques — que j’admets — indiquant que le pourcentage de voyageurs asymptomatiques revenus par voie aérienne au Canada qui ont obtenu un résultat positif au test de dépistage de la COVID-19 est plus élevé (1,7 p. 100) que celui des voyageurs asymptomatiques qui reviennent par voie terrestre (0,3 p. 100) : transcription du contre-interrogatoire de Mme Kimby Barton, mené le 16 avril 2021, à la page 26, aux lignes 7–12; transcription du contre-interrogatoire de la Dre Rachel Rodin, mené le 15 avril 2021, à la page 37, aux lignes 4–8.
[78] M. Colvin soutient également que les mesures contestées constituent une atteinte au droit d’entrer au Canada, car les voyageurs qui reviennent au pays par voie aérienne ne peuvent se prévaloir de ce droit que s’ils acceptent qu’il y ait atteinte aux droits qu’ils tirent de l’article 7 de la Charte. À cet égard, il affirme que la menace d’une détention arbitraire dans un LHAG viole le paragraphe 6(1) tout autant que l’expulsion d’une personne du Canada vers un pays où elle risquerait la torture ou la peine capitale viole l’article 7.
[79] Dans la prochaine section ci-dessous, je traite de l’allégation selon laquelle les mesures contestées violent l’article 7. Je m’en tiens pour le moment à rejeter l’analogie faite entre les mesures contestées et la déportation vers un pays où une personne risquerait la torture ou la peine de mort.
[80] En résumé, pour les motifs énoncés ci-dessus, les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer que les mesures contestées violent le paragraphe 6(1) de la Charte.
2) L’article 7 [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[81] L’article 7 de la Charte dispose : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. »
[82] Pour faire la preuve d’une violation de l’article 7, les demandeurs doivent démontrer les deux éléments suivants, à savoir : (i) la loi en question porte atteinte à leur droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de leur personne; et (ii) cette atteinte a été portée en non-conformité avec les principes de justice fondamentale. Ce deuxième volet exige que la Cour examine si la loi est arbitraire, si elle a une portée excessive ou si elle entraîne des conséquences totalement disproportionnées à leur objet : Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331 (Carter), aux paragraphes 55 et 72.
[83] Les demandeurs allèguent tous que l’obligation de séjourner dans un LHAG jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour constitue une violation de leur droit à la liberté. Les demandeurs Spencer-Duesing et M. Colvin affirment également que cette obligation porte atteinte à leur droit à la sécurité de leur personne. J’examine cette deuxième prétention en premier.
a) La sécurité de sa personne [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[84] Il est allégué que les intérêts protégés par le droit à la sécurité de la personne sont en jeu en raison du risque d’exposition au virus SRAS-COV-2 dans les LHAG ou les IQD, du risque d’agression et du [traduction] « préjudice psychologique grave » causé par la perspective d’un séjour dans un LHAG.
[85] S’agissant du risque d’exposition au virus, les demandeurs Spencer-Duesing s’appuient sur les [traduction] « rapports qui ont circulé indiquant clairement que des rassemblements ont lieu [dans les LHAG] d’une manière qui contrevient aux règles acceptables de distanciation sociale ». Ils font aussi remarquer que M. Bexte, qui n’a pas allégué une atteinte à son droit à la sécurité de sa personne, a affirmé qu’il a été exposé à 14 personnes lorsqu’il a séjourné dans un LHAG et qu’il a été mis en contact étroit (à moins de six pieds) avec d’autres personnes alors qu’il était sous la garde du personnel de l’hôtel[5]. De plus, ils ont fait référence à des éléments de preuve démontrant qu’il y a eu des éclosions de COVID-19 parmi les membres du personnel dans des LHAG. Monsieur Colvin ajoute qu’il y a eu atteinte à son droit à la sécurité de sa personne parce qu’il aurait potentiellement été exposé à des aérosols susceptibles de transmettre le virus responsable de la COVID-19 dans des LHAG.
[86] S’agissant des agressions, les demandeurs Spencer-Duesing dénoncent une seule occurrence d’agression sexuelle commise dans une IQD.
[87] Quant au préjudice psychologique, certains des mêmes demandeurs allèguent avoir vécu un stress et une angoisse graves en raison des [traduction] « mesures oppressives du gouvernement ». Mme Mathis ajoute qu’elle a vécu un traumatisme du fait qu’elle a été [traduction] « emmenée dans un lieu secret » et que son époux n’a pas été en mesure de savoir où elle se trouvait. Mme Thompson, qui est revenue au Canada avant l’entrée en vigueur des mesures contestées, affirme que « la perspective d’être emprisonnée par le gouvernement fédéral a eu des répercussions très néfastes sur sa santé mentale ».
[88] Je peux certainement comprendre les préoccupations mentionnées ci-dessus et la manière dont elles peuvent avoir été la source de stress et d’angoisse pour les demandeurs en question. Il n’est pas difficile d’appréhender comment la perspective d’un séjour obligatoire dans un LHAG ou une IQD, et ensuite la présence réelle dans ces installations, pourraient être des facteurs déclencheurs de stress et d’angoisse chez certaines personnes. Toutefois, j’estime que les violations alléguées n’ont pas mis en jeu le droit des demandeurs à la sécurité de leur personne.
[89] Ce droit « englobe “une notion d’autonomie personnelle qui comprend […] la maîtrise de l’intégrité de sa personne sans aucune intervention de l’État” […] et elle est mise en jeu par l’atteinte de l’État à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne, y compris toute mesure prise par l’État qui cause des souffrances physiques ou de graves souffrances psychologiques » : Carter, précité, au paragraphe 64.
[90] Les éléments de preuve démontrant le risque physique auquel ont été exposés les demandeurs et le préjudice psychologique qu’ils ont subi ne sont pas suffisants pour faire entrer en jeu l’article 7. Rien n’établit que l’un des demandeurs a subi un préjudice physique ou qu’il a été infecté par la COVID-19 dans un LHAG ou une IQD. Le témoignage non contesté de M. Spowart démontre qu’il y a eu quelques cas de propagation communautaire de la COVID-19 parmi le personnel dans des LHAG, mais aucun cas de COVID-19 n’était lié à la transmission entre voyageurs dans un LHAG ou une IQD. Il est entendu que rien au dossier de la Cour ne semble indiquer qu’un voyageur revenu au Canada par voie aérienne a été infecté par la COVID-19 dans une telle installation. Selon le témoignage de M. Spowart — que je retiens —, un large éventail de mesures et de protocoles ont été mis en œuvre dans les LHAG et les IQD, ainsi qu’en ce qui concerne le transport vers ces installations, afin de garantir la sécurité des voyageurs. En l’absence d’éléments établissant qu’un voyageur par voie aérienne a été infecté dans un LHAG ou une IQD, il est raisonnable d’en inférer que les risques d’y contracter la COVID-19 ne sont pas importants.
[91] Je tiens simplement à ajouter que les LHAG, qui étaient principalement visés dans les observations des demandeurs, sont destinés aux voyageurs asymptomatiques qui se sont conformés à l’obligation de subir un test de dépistage de la COVID-19 avant leur départ, qui ont un plan approprié de quarantaine après leur séjour dans un LHAG et qui ne sont pas ou n’ont pas été en contact étroit avec des personnes qui sont des cas confirmés ou probables de COVID-19.
[92] Le fait qu’une personne qui n’est pas partie à la présente demande aurait été agressée sexuellement dans une IQD ne suffit pas pour mettre en jeu le droit à la sécurité de leur personne que l’article 7 garantit aux demandeurs. Je fais remarquer incidemment que les chambres dans les LHAG et les IQD sont munies de serrures, et que du personnel de sécurité est présent dans l’ensemble de ces installations : affidavit de Michael Spowart, souscrit le 31 mars 2021, aux paragraphes 60–63.
[93] En ce qui concerne le préjudice psychologique qu’auraient subi les demandeurs, le défendeur reconnaît que l’obligation de séjourner dans un LHAG pourrait être la source de stress ou d’angoisse. Par contre, il soutient que la preuve produite par les demandeurs ne permet pas de faire entrer en jeu le droit à la sécurité de leur personne qu’ils tirent de l’article 7. Je suis d’accord.
[94] Dans l’arrêt Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46 (G. (J.)), la Cour suprême du Canada a expliqué comme suit, aux paragraphes 59 et 60, la teneur du préjudice psychologique requis à cet égard :
[…] Il est manifeste que le droit à la sécurité de la personne ne protège pas l’individu contre les tensions et les angoisses ordinaires qu’une personne ayant une sensibilité raisonnable éprouverait par suite d’un acte gouvernemental. Si le droit était interprété de manière aussi large, d’innombrables initiatives gouvernementales pourraient être contestées au motif qu’elles violent le droit à la sécurité de la personne, ce qui élargirait considérablement l’étendue du contrôle judiciaire, et partant, banaliserait la protection constitutionnelle des droits […]
Pour qu’une restriction de la sécurité de la personne soit établie, il faut donc que l’acte de l’État faisant l’objet de la contestation ait des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique d’une personne. On doit procéder à l’évaluation objective des répercussions de l’ingérence de l’État, en particulier de son incidence sur l’intégrité psychologique d’une personne ayant une sensibilité raisonnable. Il n’est pas nécessaire que l’ingérence de l’État ait entraîné un choc nerveux ou un trouble psychiatrique, mais ses répercussions doivent être plus importantes qu’une tension ou une angoisse ordinaires. [Non souligné dans l’original.]
[95] Dans les affaires où il a été reconnu que le type de préjudice psychologique subi satisfaisait à ce critère, les événements attentatoires étaient les suivants : le retrait de la garde d’un enfant par l’État (G (J), précité, au paragraphe 61); le fait d’empêcher une personne de mettre fin à sa vie au moment de son choix (Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, aux pages 588–589); des restrictions à l’obtention d’un avortement thérapeutique qui augmentaient les risques de complications et de mortalité (R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, aux pages 90–91); et les délais d’attente pour obtenir des soins cruciaux (Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791 (Chaoulli), aux paragraphes 116–124).
[96] À mon avis, les circonstances mentionnées ci-dessus et le préjudice psychologique subi par les personnes en question sont, sur le plan qualitatif, d’une plus grande ampleur en comparaison des circonstances en cause dans les présentes demandes et du préjudice que les demandeurs auraient subi selon une évaluation objective.
[97] Par conséquent, et pour les motifs supplémentaires fournis ci-dessus, je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré que leur droit à la sécurité de leur personne qu’ils tirent de l’article 7 de la Charte a été ou serait vraisemblablement mis en jeu par les mesures contestées.
b) Le droit à la liberté [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[98] Les demandeurs soutiennent que les mesures contestées ont porté atteinte à leur droit à la liberté parce qu’elles les ont obligés, sous la menace d’une amende et/ou d’une peine d’emprisonnement, à séjourner dans un LHAG jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour.
[99] Le défendeur reconnaît que l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD a fait entrer en jeu le droit des demandeurs à la liberté, tout en faisant remarquer que l’étendue de la privation est nettement moins grave que l’atteinte à la liberté qui était en cause dans les affaires invoquées par les demandeurs.
[100] Je suis d’accord. Aucun des demandeurs ne conteste la validité de la quarantaine obligatoire de 14 jours pour les voyageurs qui reviennent au pays. Ils contestent plutôt l’obligation de passer les premières 24 à 72 heures de cette période dans un LHAG ou une IQD jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour. J’estime que cette situation se situe à l’extrémité inférieure du spectre des atteintes au droit à la liberté garanti par l’article 7.
[101] Il n’en demeure pas moins que l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD pendant 24 à 72 heures a manifestement porté atteinte au droit à la liberté des demandeurs qui ont dû y séjourner et fait entrer en jeu le droit à la liberté des deux demandeurs qui ne sont pas encore revenus au Canada.
[102] Par conséquent, il est nécessaire de passer à la deuxième étape de l’analyse et de déterminer si l’atteinte au droit des demandeurs à la liberté a été ou sera portée en conformité avec les principes de justice fondamentale. Comme je l’ai mentionné au paragraphe 82 ci-dessus, la Cour doit dans ce volet de l’analyse se demander si les mesures contestées sont arbitraires, ont une portée excessive ou entraînent des conséquences totalement disproportionnées à leur objet. Ces trois notions « supposent la comparaison de l’atteinte aux droits causée par la loi avec l’objectif de la loi, et non avec son efficacité » : Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101 (Bedford), au paragraphe 123.
(i) Le caractère arbitraire [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[103] Les demandeurs du RNN soutiennent que l’atteinte portée à leur droit à la liberté est arbitraire pour deux raisons. Premièrement, ils affirment qu’il est arbitraire d’obliger un voyageur par voie aérienne à séjourner dans un LHAG, alors que les voyageurs par voie terrestre qui reviennent du même endroit ne pas sont tenus de le faire. C’est aussi l’argument des demandeurs Spencer-Duesing.
[104] Je ne suis pas d’accord. Il existe des éléments de preuve convaincants à l’appui de la décision de l’AC d’imposer des mesures spéciales aux voyageurs qui reviennent au pays par voie aérienne, comme l’obligation précise de séjourner dans un LHAG ou une IQD.
[105] La preuve démontre l’existence d’un motif valable qui justifie l’imposition d’exigences spéciales aux voyageurs qui rentrent au Canada par voie aérienne. Comme je l’ai déjà mentionné, d’après les témoignages de la Dre Rodin et de Mme Barton — que je retiens — le pourcentage de voyageurs par voie aérienne asymptomatiques qui ont obtenu un résultat positif au test de dépistage de la COVID-19 est plus élevé (1,7 p. 100) que celui des voyageurs par voie terrestre asymptomatiques (0,3 p. 100) De plus, le Dr Poliquin affirme que [traduction] « selon les renseignements que possède actuellement le LNM, les cas du variant préoccupant P.1 ont tous été introduits au Canada par les voyageurs par voie aérienne, et le variant a été contenu dans les provinces d’arrivée. Cela indique que, jusqu’à présent, les mesures prises aux frontières ont prévenu la propagation du variant préoccupant P.1 » : affidavit du Dr Guillaume Poliquin, souscrit le 30 mars 2021, au paragraphe 67 (affidavit du Dr Poliquin). Le Dr Poliquin a aussi mentionné un mémoire scientifique, daté du 27 décembre 2020, qui rendait compte des six uniques cas connus ou présumés du variant B.1.1.7 au Canada à l’époque. Selon ce mémoire, tous ces cas sauf un étaient liés à des personnes qui avaient des antécédents de voyage à l’étranger. L’autre cas concernait une personne [traduction]« qui avait manifestement des antécédents de voyage » : affidavit du Dr Poliquin, précité, au paragraphe 32. Le Dr Poliquin a ajouté : [traduction] « Limiter l’importation et la propagation des variants préoccupants et d’autres variants émergents sera essentiel pour contenir l’épidémie au Canada » : affidavit du Dr Poliquin, précité, au paragraphe 69.
[106] Le Dr Poliquin a également relaté une éclosion particulièrement tragique du variant préoccupant B.1.1.7 à l’Établissement de soins de longue durée Roberta Place à Barrie, en Ontario. En fin de compte, 100 p. 100 des résidents et 105 des employés à cet établissement ont été infectés par le variant B.1.1.7, ce qui a entraîné 71 morts : affidavit du Dr Poliquin, précité, au paragraphe 48.
[107] Je reconnais que les demandeurs n’admettent pas le fait que l’un ou l’autre des variants préoccupants P.1, B.1.1.7 ou B.1.351 est arrivé au Canada par le biais de voyageurs qui sont entrés par voie aérienne. Toutefois, ce qui importe en l’espèce est que le Dr Poliquin et son équipe au LNM, qui ont conseillé le gouvernement sur les mesures contestées, avaient un motif valable de croire que le variant préoccupant P.1, à tout le moins, était arrivé de cette manière au Canada, et que cette raison constituait un appui supplémentaire pour des mesures ciblant les voyageurs par voie aérienne. L’échange entre l’avocat de M. Colvin (Me Rath) et le Dr Poliquin le démontre également :
[traduction]
[Me Rath] Q Bien. Et en ce qui concerne ces mesures qui, selon vous, fonctionnent ensemble, avez-vous des raisons de penser que ces mesures seraient moins efficaces si les personnes qui arrivent au Canada par avion étaient simplement autorisées à se mettre en quarantaine chez elles jusqu’à ce qu’elles puissent subir leur deuxième test?
R Ce serait une preuve indirecte. Mais prenez l’exemple de l’ampleur de la propagation du variant B.1.1.7, ce sont vraisemblablement des introductions multiples échelonnées sur une période donnée qui expliquent pourquoi ce variant a pu se propager et pourquoi le nombre de cas a dépassé celui du virus de type sauvage en si peu de temps. Nous constatons également pour ce qui est de ces variants, par exemple le variant P.1 dans le contexte des mesures de contrôle frontalier actuellement appliquées, il y avait au Canada trois cas du variant P.1 de janvier à la mi-mars. Et une fois qu’il a commencé à se transmettre à l’intérieur du pays par le biais d’un certain nombre de groupes de cas, nous avons constaté une propagation importante.
Q Donc, selon votre témoignage — désolé, je ne voulais pas vous interrompre. Allez-y, finissez votre réponse; je m’excuse.
R Par conséquent, dans le contexte de la mise en quarantaine à domicile où il y a un risque que cette mise en quarantaine ne soit pas respectée à la lettre et un risque de multiples introductions de cas, nous avons pu observer auparavant avec le variant B.1.1.7, qu’il s’agit d’une situation qui facilite les chaînes de transmission et qui mène à un déplacement rapide des types de variants; alors que, lorsque le nombre d’importations est limité, la propagation des variants peut au moins être retardée.
(Transcription du contre-interrogatoire du Dr Guillaume Poliquin, mené le 19 avril 2021, à la page 94.)
[108] Le passage suivant des notes explicatives du décret de février fait état de la préoccupation de l’AC concernant les risques précis posés par les voyageurs par voie aérienne :
Le gouvernement du Canada collabore avec les gouvernements provinciaux et les intervenants de l’industrie pour recueillir des données sur le dépistage auprès des voyageurs entrant au Canada à certains aéroports et postes frontaliers dans le cadre de projets pilotes. Ces programmes pilotes ont démontré que la fréquence des personnes qui entrent au Canada et qui sont infectées par la COVID-19 s’élève à environ 1 % à 2 %, ce qui signifie qu’au moins une personne sur chaque vol comptant 100 passagers à destination du Canada est infectée par le virus qui cause la COVID-19.
(Le décret de février, notes explicatives, précité, à la page 726.)
[109] Compte tenu des risques accrus que posent les voyageurs par voie aérienne par rapport aux voyageurs par voie terrestre, Mme Barton a expliqué lors de son contre-interrogatoire que l’un des motifs justifiant l’obligation de séjourner dans un LHAG était que les personnes qui ont reçu un résultat positif au test exigé le premier jour seraient portées à modifier leur comportement et que, par conséquent, elles [traduction] « seraient moins susceptibles d’infecter des personnes à leur domicile » après leur séjour dans un LHAG : transcription du contre-interrogatoire de Mme Barton, précitée, à la page 137.
[110] Le Dr Poliquin a fourni deux motifs supplémentaires. Voici ses explications :
[traduction]
51. L’ajout d’un essai moléculaire relatif à la COVID-19 après l’entrée et l’obligation d’en attendre les résultats dans un [LHAG] sont des couches de protection supplémentaires qui aident à se protéger contre l’introduction et la propagation de variants préoccupants dans la collectivité et accroissent la protection globale des Canadiens. 52. Ces exigences supplémentaires contribuent à empêcher les voyageurs infectés qui ne présentent aucun symptôme de prendre immédiatement un vol intérieur et d’infecter potentiellement d’autres passagers, d’utiliser d’autres moyens de transport public pour se rendre jusqu’à leur domicile pour se mettre en quarantaine, ou d’infecter d’autres personnes à leur domicile pendant leur quarantaine jusqu’à ce qu’ils reçoivent les résultats de leur essai moléculaire relatif à la COVID-19 après l’entrée.
(Affidavit du Dr Poliquin.)
[111] Le dernier de ces deux motifs est lié à la préoccupation de l’ASPC selon laquelle on peut difficilement s’attendre à ce que tous les voyageurs respectent leur quarantaine à domicile ou à un autre lieu de quarantaine approprié. Cette préoccupation était fondée sur les résultats de deux études qui ont révélé que les voyageurs internationaux arrivant au Canada exposaient et infectaient d’autres personnes, même après avoir reçu la directive de se mettre en quarantaine : affidavit de la Dre Rachel Rodin, souscrit le 30 mars 2021, à l’alinéa 16c) (affidavit de la Dre Rodin).
[112] Le quatrième motif invoqué pour justifier le séjour obligatoire dans un LHAG est qu’il permet la détection et l’isolement précoces des voyageurs par voie aérienne qui sont infectés et qui ne présentent aucun symptôme : décret de février, notes explicatives, précité, aux pages 726–727.
[113] S’agissant de l’argument des demandeurs du RNN selon lequel il est arbitraire de traiter différemment les voyageurs qui rentrent au Canada par voie aérienne et ceux qui rentrent par voie terrestre lesquels, dans les deux cas, reviennent du même endroit à l’étranger, je retiens le témoignage de Mme Barton selon lequel [traduction] « [l]e fait de cibler par des mesures de contrôle frontalier uniquement les voyageurs qui arrivent de “points chauds” s’est avéré inefficace pour limiter l’entrée de la COVID-19 au Canada, car leur efficacité est largement tributaire de l’exactitude des renseignements provenant d’autres pays sur les taux de cas » : affidavit de Kimby Barton, souscrit le 31 mars 2021, au paragraphe 39 (affidavit de Mme Barton). À cet égard, Mme Barton a fait remarquer que l’ASPC savait que des criminels à l’étranger produisaient de faux certificats de résultats de tests. Par exemple, un rapport daté du 1er février 2021 produit par l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) mettait en garde contre la vente de certificats indiquant un résultat négatif à un test de dépistage de la COVID-19 au Royaume-Uni, en France et en Espagne : affidavit de Mme Barton, précité, au paragraphe 16. Compte tenu de tous les éléments de preuve qui précèdent, il n’est pas arbitraire de traiter différemment les voyageurs par voie aérienne et les voyageurs par voie terrestre, même s’ils reviennent au Canada à partir du même endroit.
[114] En pratique, une autre raison de traiter différemment les voyageurs par voie aérienne et les voyageurs par voie terrestre, du moins en ce qui concerne l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD, est qu’il n’y a pas d’hôtels ou d’autres installations à proximité de bon nombre des 117 postes frontaliers terrestres au Canada : affidavit de Mme Barton, précité, au paragraphe 45. Je fais remarquer incidemment que la plupart des personnes qui entrent au Canada par voie terrestre sont des fournisseurs de services essentiels : transcription du contre-interrogatoire de Mme Barton, précitée, aux pages 98–99.
[115] Les demandeurs du RNN affirment également que les mesures contestées sont arbitraires parce qu’elles ne permettent pas d’atteindre leurs objectifs. Ils soutiennent que ce défaut découle du fait que les voyageurs par voie aérienne qui ont un plan de quarantaine approprié sont autorisés à quitter le LHAG où ils séjournent après avoir obtenu le résultat du test exigé le premier jour, qu’il soit négatif ou positif. Par conséquent, l’obligation de séjourner dans un LHAG ne saurait, à leur avis, avoir une incidence positive discernable sur la propagation de la COVID-19.
[116] Je ne suis pas d’accord.
[117] Il convient de rappeler à ce stade-ci que c’est l’objectif des mesures contestées qui est pertinent, et non leur efficacité réelle : Bedford, précité. Une loi ne sera jugée arbitraire qu’en « l’absence de lien rationnel entre l’objet de la loi et la limite qu’elle impose à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne » : Carter, précité, au paragraphe 83, citant Bedford, précité, au paragraphe 111. Par conséquent, tout ce qui est requis pour démontrer que les mesures contestées ne sont pas arbitraires est l’existence d’un lien entre elles et leurs objectifs.
[118] L’objectif déclaré des décrets contestés, comme nous l’avons vu ci-dessus, est « la réduction de l’introduction et de la propagation de la COVID-19 et de nouvelles variantes du virus au Canada en diminuant le risque d’importer des cas de l’extérieur du pays » : décret de février, notes explicatives, précité, à la page 720, dossier du défendeur, R84. Cet objectif ressort également du passage de l’affidavit du Dr Poliquin cité au paragraphe 110 ci-dessus.
[119] Comme nous l’avons vu ci-dessus, les justifications de l’obligation précise de se mettre en quarantaine dans un LHAG étaient les suivantes : (i) les personnes qui savent qu’elles ont obtenu un résultat positif sont susceptibles de modifier leur comportement de manière à réduire le risque de transmettre la COVID-19 à d’autres personnes dans leur domicile et dans la collectivité en général; (ii) éviter que des personnes transmettent à d’autres le virus lorsqu’elles doivent utiliser un moyen de transport public pour se rendre à leur domicile ou dans un autre lieu de quarantaine approprié après leur entrée au Canada; (iii) éviter que les voyageurs infectés transmettent le virus à d’autres personnes dans leur domicile ou dans la collectivité pendant la période où ils se trouvent dans un LHAG; (iv) faciliter la détection et l’isolement précoces des voyageurs par voie aérienne infectés qui ne présentent aucun symptôme.
[120] À mon avis, ces justifications fournissent le lien rationnel requis entre l’objectif des mesures contestées, y compris l’obligation précise de séjourner dans un LHAG, et les limites imposées au droit des demandeurs à la liberté.
[121] Je reconnais que cet objectif aurait très bien pu être atteint de diverses manières. On aurait certes pu, par exemple, réduire le nombre d’exemptions aux mesures contestées, exiger que les personnes qui ont obtenu un résultat positif soient isolées dans une IQD pendant 14 jours, et exiger que les voyageurs asymptomatiques séjournent dans un LHAG pendant une période plus longue. Je comprends aussi parfaitement que pour les demandeurs il est injuste que les mesures contestées, en particulier l’obligation de séjourner dans un LHAG à leurs frais, ne visent que les voyageurs qui reviennent au pays par voie aérienne. Cependant, il n’est pas déraisonnable d’exiger de ceux qui assument volontairement les risques liés au voyage qu’ils paient les frais associés à leur mise en quarantaine au point d’entrée, particulièrement lorsqu’ils s’exposent à ces risques malgré les avis répétés du gouvernement, et même malgré le nombre de fois où leur premier ministre les a exhortés à éviter de faire des voyages non essentiels : affidavit de Mme Barton, précité, aux paragraphes 27–28.
[122] Quoi qu’il en soit, « [p]our établir que la pratique du gouvernement est arbitraire, il ne suffit pas de démontrer qu’elle était d’une quelconque façon inadéquate ou qu’elle ne favorisait pas autant l’atteinte de l’objectif du gouvernement qu’une autre façon de faire » : Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, [2018] 2 R.C.S. 165, au paragraphe 73.
(ii) La portée excessive [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[123] Une mesure sera considérée comme ayant une portée excessive lorsqu’elle « nie des droits d’une manière généralement favorable à la réalisation de son objet, [mais qu’elle] va trop loin en niant les droits de certaines personnes d’une façon qui n’a aucun rapport avec son objet » : Carter, précité, au paragraphe 85. Toutefois, « [i]l ne s’agit pas de savoir si le législateur a choisi le moyen le moins restrictif, mais de savoir si le moyen choisi porte atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne d’une manière qui n’a aucun lien avec le mal qu’avait à l’esprit le législateur » : Carter, précité, au paragraphe 85. S’il existe un lien rationnel entre l’effet sur les intéressés et l’objet de la mesure, la mesure ne sera pas jugée excessive : Bedford, précité, au paragraphe 113.
[124] Les demandeurs affirment que les mesures contestées, en particulier l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD, ont une portée excessive pour plusieurs raisons. Plus précisément, ils soutiennent que ces mesures s’appliquent inutilement aux personnes qui (i) sont asymptomatiques, ont récemment obtenu un résultat négatif au test de dépistage de la COVID-19 et n’ont pas été récemment en contact avec une personne infectée; (ii) ont leur propre véhicule privé (et n’ont donc pas besoin de recourir à un moyen de transport public); (iii) vivent seules ou ont voyagé avec tous les membres de leur foyer. En outre, ils affirment que l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD est inutile étant donné les exigences plus strictes que les mesures contestées imposent à l’égard des plans de quarantaine appropriés.
[125] Je ne suis pas d’accord. Il existe un lien rationnel entre les personnes décrites ci-dessus, y compris celles qui ont un plan de quarantaine ou d’isolement approprié, et l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD. En bref, il est raisonnable de croire, comme l’a expliqué Mme Barton, que les personnes qui savent qu’elles ont obtenu un résultat positif sont susceptibles de modifier leur comportement de manière à réduire le risque de transmission de la COVID-19 à d’autres personnes dans leur domicile et dans la collectivité en général. C’est le cas une fois que ces personnes sont rentrées chez elles de l’aéroport et pendant leur trajet depuis l’aéroport. (On s’attendrait à ce que ces personnes soient moins portées à s’arrêter en cours de route dans des lieux où d’autres personnes sont présentes.) En outre, l’obligation de séjourner dans un LHAG permet d’éviter que les personnes infectées et asymptomatiques transmettent la COVID-19 à d’autres personnes dans leur domicile ou dans la collectivité pendant leur séjour dans un LHAG ou une IQD. La crainte d’une telle transmission est fondée sur les éléments de preuve démontrant que même les voyageurs qui ont obtenu un résultat positif et qui étaient censés s’isoler à leur domicile ou dans un autre lieu approprié ont transmis le virus à d’autres personnes : voir le paragraphe 111 ci-dessus.
[126] De plus, l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD facilite la détection et l’isolement précoces des voyageurs par voie aérienne infectés qui ne présentent aucun symptôme. Cette obligation permet, entre autres choses, aux agents frontaliers de procéder à un examen plus détaillé des plans de quarantaine ou d’isolement des voyageurs dont le résultat du test de dépistage est positif. Ce genre d’examen permet non seulement de renforcer ces plans, mais aussi de détecter les personnes infectées dont les plans d’isolement ne sont pas appropriés. Ce processus donne également la possibilité aux voyageurs infectés de décider de s’isoler dans une IQD, plutôt que de rentrer chez eux ou dans un autre lieu de quarantaine approprié et d’éventuellement transmettre le virus à d’autres personnes.
[127] Les demandeurs Spencer-Duesing soutiennent en outre que les mesures contestées ont une portée excessive parce qu’elles s’appliquent aux voyageurs vaccinés. Or, ils n’ont présenté aucun élément de preuve permettant d’établir que ces voyageurs ne posent aucun risque de transmettre le virus à d’autres. Selon le témoignage non contesté du Dr Poliquin, [traduction] « à l’heure actuelle, la preuve ne permet pas de déterminer quel impact, le cas échéant, les vaccins contre la COVID-19 auront sur la transmission du SRAS-CoV-2 » : affidavit du Dr Poliquin, précité, au paragraphe 13.
[128] M. Colvin affirme que l’obligation de séjourner dans un LHAG a une portée excessive, car elle expose les personnes visées à un plus grand risque de contracter le virus que si elles étaient autorisées à se rendre directement chez elles ou dans un autre lieu de quarantaine approprié immédiatement après leur arrivée au Canada. Toutefois, il n’a fourni aucune preuve à l’appui de son argument. Selon la preuve au dossier, aucun voyageur par voie aérienne n’a été infecté par le virus dans un LHAG ou une IQD : voir le paragraphe 90 ci-dessus.
[129] Les demandeurs du RNN soutiennent que les mesures contestées ont une portée excessive parce que le gouvernement du Canada avait déjà suspendu tous les vols vers et depuis le Mexique et les pays des Caraïbes entre le 31 janvier et le 30 avril 2021. Cependant, cet argument ne tient pas compte de la preuve selon laquelle la COVID-19 s’était répandue dans presque tous les pays du monde au moment où le décret de février a été promulgué. En date du 11 février 2021, il était également devenu évident que les variants préoccupants se répandaient dans le monde entier, 85 pays ayant signalé des cas confirmés du variant B.1.1.7, 25 pays ayant signalé des cas confirmés du variant B.1.351 et 16 pays ayant signalé des cas confirmés du variant P.1 : affidavit du Dr Poliquin, précité, au paragraphe 46.
[130] Enfin, les demandeurs du RNN soutiennent que les mesures contestées ont une portée excessive parce qu’elles ont d’importants effets préjudiciables sur le plan socio-économique qui n’ont pas été mesurés par rapport au taux d’infection contractée à l’étranger et au nombre de voyageurs qui doivent utiliser les moyens de transport public. Toutefois, la source citée à l’appui de leur argument est datée du 8 décembre 2020, soit avant la date du décret de février, et le passage en question concernait le large éventail de [traduction] « restrictions aux frontières » qui avaient été imposées depuis mars 2020. Les demandeurs du RNN n’ont renvoyé à aucun élément de preuve démontrant des effets préjudiciables sur le plan socio-économique liés aux mesures contestées. Leur simple affirmation selon laquelle de tels effets n’ont pas été pris en compte dans le processus d’élaboration et d’adoption des mesures contestées n’est pas étayée non plus.
[131] En résumé, les diverses affirmations des demandeurs concernant la portée excessive des mesures contestées sont dénuées de fondement. Pour les motifs exposés ci-dessus, j’estime qu’il existe un lien rationnel entre l’objet de ces mesures et leurs effets sur les personnes qui, d’après les demandeurs, auraient dû être exemptées de ces mesures. J’ajoute incidemment que je suis sensible au point de vue exprimé par Mme Barton selon lequel [traduction] « il est très difficile de mettre en place des mesures aux frontières qui doivent tenir compte de tous les effets ainsi que des moyens et mécanismes de voyage possibles » : transcription du contre-interrogatoire de Mme Barton, précitée, à la page 58.
(iii) Le caractère totalement disproportionné [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[132] S’agissant de cet aspect de l’analyse fondée sur l’article 7, il faut « comparer [l’objet de la loi] “de prime abord” et ses effets préjudiciables sur les droits du demandeur, et déterminer si cette incidence est sans rapport aucun avec l’objet de la loi » : Carter, précité, au paragraphe 89, citant Bedford, précité, au paragraphe 125. Cet exercice commande une norme élevée pour établir le caractère totalement disproportionné : Carter, précité, au paragraphe 89. En bref, l’incidence préjudiciable sur la personne doit être « si importante qu’elle viole nos normes fondamentales » : Bedford, précité, au paragraphe 109. Par conséquent, la règle qui exclut la disproportion totale ne s’applique que « dans les cas extrêmes où la gravité de l’atteinte est sans rapport aucun avec l’objectif de la mesure » : Bedford, précité, au paragraphe 120.
[133] Selon les demandeurs du RNN, les mesures contestées sont totalement disproportionnées parce qu’elles s’appliquent à l’ensemble des voyageurs par voie aérienne, même si environ 98 p. 100 d’entre eux ne présentent aucun symptôme, n’ont pas obtenu un résultat positif au test de dépistage de la COVID-19 et n’en obtiendront pas. Ils soutiennent également qu’elles sont totalement disproportionnées parce qu’il n’y a pas d’exception pour les voyageurs qui disposent d’un moyen de transport privé, ont un plan de quarantaine approprié et ne présentent aucun risque significatif de transmettre la COVID-19 pendant la période d’isolement. Ils ajoutent que ces mesures sont totalement disproportionnées parce qu’elles ont peu d’effet sur la propagation de la COVID-19, du fait qu’elles ne s’appliquent pas à de nombreux autres voyageurs, notamment ceux qui entrent au Canada par voie terrestre et les voyageurs exemptés qui entrent par voie aérienne. Les autres demandeurs ont aussi certaines de ces préoccupations.
[134] Je ne suis pas de leur avis. Comme il n’y a aucun moyen de savoir à l’avance quel voyageur asymptomatique qui entre au Canada par voie aérienne sera infecté et incubera le virus de la COVID-19 au moment de son arrivée, il est justifié de faire subir à chacun un test de dépistage et d’exiger qu’il séjourne dans un LHAG ou une IQD jusqu’à l’obtention du résultat du test exigé le premier jour. Ces mesures, et leurs conséquences sur les voyageurs par voie aérienne, ne sont pas [traduction] « sans rapport aucun » avec l’objectif de « réduction de l’introduction et de la propagation de la COVID-19 et de nouvelles variantes du virus au Canada en diminuant le risque d’importer des cas de l’extérieur du pays » : décret de février, notes explicatives, précité, à la page 720.
[135] En particulier, la brève privation de liberté (de 24 à 72 heures) n’est pas sans rapport aucun avec cet objectif ni avec les effets bénéfiques mentionnés par les déposants du défendeur : voir les paragraphes 109–112 ci-dessus. Si cette privation de liberté n’est pas anodine, elle n’est pas non plus assez importante pour être disproportionnée, et encore moins totalement disproportionnée, par rapport à l’objectif et aux justifications qui sous-tendent les mesures contestées. La preuve indique également que des efforts raisonnables sont faits pour accommoder les personnes qui doivent séjourner dans les LHAG, par exemple en ce qui concerne leurs préférences alimentaires, la fréquence des pauses en plein air et le souhait d’avoir un animal de compagnie dans leur chambre. De plus, les familles qui voyagent ensemble sont placées dans des chambres contiguës.
[136] Par conséquent, les mesures contestées ne violent pas les principes de justice fondamentale au motif qu’elles sont totalement disproportionnées.
(iv) L’article 7 — Conclusion [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[137] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que le droit des demandeurs à la sécurité de leur personne n’est pas mis en jeu par les mesures contestées. En outre, bien que le droit des demandeurs à la liberté soit en jeu, la privation de ce droit était conforme aux principes de justice fondamentale. Par conséquent, les mesures contestées ne portent pas atteinte à l’article 7 de la Charte.
3) L’article 8 [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[138] Les demandeurs du RNN soutiennent que l’obligation pour les voyageurs non exemptés de payer leur réservation dans un LHAG constitue une saisie abusive au sens de l’article 8 de la Charte. À l’appui de cet argument, ils affirment qu’il n’est pas nécessaire que la saisie au sens de l’article 8 fasse suite à une perquisition et qu’il y a saisie lorsque [traduction] « les autorités prennent quelque chose […] appartenant à une personne, contre son gré ».
[139] Cette définition est incomplète. Lorsque la portée de l’article 8 est bien définie, il est manifeste que les intérêts des demandeurs du RNN visés par cette disposition ne sont pas en jeu.
[140] L’article 8 dispose : « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. »
[141] Dans ce contexte, il y a saisie « lorsque les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement » : R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531 (Reeves), au paragraphe 13, citant R. c. Dyment, [1998] 2 R.C.S. 417, à la page 431.
[142] Toutefois, l’article 8 n’entre en jeu que si « la personne qui l’invoque peut s’attendre raisonnablement au respect de sa vie privée relativement à l’endroit ou à l’objet qui est inspecté ou pris par l’État » : Reeves, précité, au paragraphe 12, citant R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34 (Cole), aux paragraphes 34 et 36. En outre, cette attente en matière de vie privée s’applique au contexte « d’une enquête administrative ou criminelle » : Québec (Procureur général) c. Laroche, 2002 CSC 72, [2012] 3 R.C.S. 708, au paragraphe 53, citant S. C. Hutchison, J. C. Morton et M. P. Bury, Search and Seizure Law in Canada (Toronto : Carswell, 1993) (version 2 de 2002, feuilles mobiles), à la page 2‑5.
[143] Pour juger si la personne qui invoque l’article 8 a une attente en matière de vie privée, le tribunal doit examiner « l’ensemble des circonstances » : Reeves, précité, au paragraphe 12. Le caractère objectivement raisonnable des attentes d’une personne en matière de vie privée variera selon que la perquisition ou la saisie se produit dans un contexte criminel plutôt que dans un contexte administratif ou réglementaire; les intrusions par l’État qui constituent une perquisition ou une saisie dans le contexte criminel peuvent ne correspondre ni à l’une ni à l’autre dans le contexte administratif : X (Re), 2017 CF 1047, [2018] 3 R.C.F. 111, au paragraphe 123.
[144] Si l’article 8 entre en jeu, le tribunal doit alors déterminer si la saisie était raisonnable : Reeves, précité, au paragraphe 12, citant R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, aux paragraphes 31 et 45(5).
[145] Une perquisition ou une saisie est raisonnable « si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n’a rien d’abusif et si la fouille, [la perquisition ou la saisie] n’a pas été effectuée d’une manière abusive » : Reeves, précité, au paragraphe 14, citant R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, à la page 278.
[146] Concernant ce qui précède, l’obligation de payer leur réservation dans un LHAG ne met manifestement pas en jeu les intérêts des demandeurs du RNN visés par l’article 8.
[147] Je doute fort que cette obligation s’apparente à une situation où « les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement », conformément à la jurisprudence se rattachant à l’article 8. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’examiner longuement cette question, étant donné qu’il ressort manifestement de « l’ensemble des circonstances » que les voyageurs qui arrivent au Canada par voie aérienne n’ont aucune attente raisonnable en matière de vie privée quant à l’argent qu’ils sont tenus de débourser pour réserver un séjour dans un LHAG. Ils n’ont pas affirmé le contraire. Ils semblent plutôt se préoccuper principalement du fait d’avoir à payer leur séjour dans un LHAG, qu’ils considèrent comme excessif lorsque combiné à l’obligation de séjourner dans un LHAG — ce à quoi ils s’opposent fermement. Vu sous cet angle, leur argument ne semble être guère plus qu’un moyen de conserver le droit de propriété sur leur argent — quelque chose qui « a été délibérément exclue de la Charte » : Laroche, précité, au paragraphe 52.
[148] De plus, les circonstances dans lesquelles les voyageurs par voie aérienne sont tenus de séjourner dans un LHAG ou dans une IQD — notamment, jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour — ne constituent manifestement pas une « enquête administrative ou criminelle ». Là encore, les demandeurs du RNN n’ont pas affirmé le contraire.
[149] Vu que les demandeurs du RNN ne se sont pas acquittés de leur fardeau d’établir que les droits qu’ils tirent de l’article 8 sont en jeu, il n’est pas nécessaire d’examiner si la « saisie » de leur argent était raisonnable.
4) L’article 9 [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
a) Les principes juridiques applicables
[150] L’article 9 de la Charte dispose : « Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires. »
[151] L’article 9 vise à « protéger la liberté individuelle contre l’ingérence injustifiée de l’État. Les mesures de protection que comporte cette disposition restreignent la capacité de l’État de recourir sans justification appropriée à des moyens intimidants et coercitifs à l’égard des citoyens » : R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692 (Le), au paragraphe 25.
[152] L’analyse de l’article 9 comporte deux volets. En premier lieu, le tribunal doit examiner s’il y a eu une détention. S’il répond à cette question par l’affirmative, il doit ensuite examiner si la détention était arbitraire : Le, précité, au paragraphe 124.
[153] Une détention au sens de l’article 9 exige « l’application de contraintes physiques ou psychologiques appréciables » : Le, précité, au paragraphe 27, citant R. c. Mann, 2004 CSC 52, [2004] 3 R.C.S. 59, au paragraphe 19; R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621 (Hufsky), aux pages 631–632; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353 (Grant), aux paragraphes 28–29. Il y a également détention dans le cas d’une « une entrave à la liberté autre qu’une arrestation par suite de laquelle une personne peut raisonnablement avoir besoin de l’assistance d’un avocat, mais pourrait, en l’absence de cette garantie constitutionnelle, être empêchée d’y avoir recours sans délai » : R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613 (Therens), à la page 642. En fin de compte, une [traduction]« analyse contextuelle » est nécessaire : R. c. Nagle, 2012 BCCA 373, 97 C.R. (6th) 346 (Nagle), au paragraphe 32.
[154] Même en l’absence d’une réelle contrainte physique ou d’une menace de contrainte physique, il peut y avoir détention « si la personne intéressée se soumet ou acquiesce à la privation de liberté et croit raisonnablement qu’elle n’a pas le choix d’agir autrement » : Therens, précité, à la page 644. Dans le contexte du droit pénal, cela peut être le cas même si la détention est « d’une durée relativement brève » : Hufsky, précité. Toutefois, dans le contexte du contrôle des frontières, « [l]es gens ne s’attendent pas à traverser les frontières internationales sans faire l’objet d’une vérification » : R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495 (Simmons), à la page 528. En conséquence, l’interrogatoire de routine auquel procède les agents des douanes et les fouilles de routine sur la personne ou l’examen des bagages ne constituent pas une détention, même lorsque ces fouilles sont effectuées en privée dans des pièces destinées à cette fin : Simmons, précité, aux pages 521 et 528–529.
[155] Suivant l’arrêt Grant de la CSC, la détention visée par l’article 9 est assimilable à une détention psychologique de la part des agents de l’État, notamment lorsqu’une personne est « légalement tenue de se conformer à un ordre ou à une sommation » ou lorsqu’une personne raisonnable, même si elle n’est pas légalement tenue d’obtempérer, « conclur[ait] qu’elle n’est pas libre de partir » : Grant, précité, aux paragraphes 30–31.
[156] L’examen du caractère arbitraire de la détention comporte un test à trois volets. Plus précisément, la détention doit être autorisée par une règle de droit, la règle de droit elle-même doit être exempte de caractère abusif et la manière dont la détention est effectuée doit être non abusive : Le, précité, au paragraphe 124.
b) Les arguments des parties [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[157] Les demandeurs font valoir que les mesures contestées, plus précisément l’obligation de séjourner dans un LHAG et l’interdiction de sortir de leur chambre sous peine d’une forte amende et/ou d’une peine d’emprisonnement[6], constituent une forme de détention au sens de l’article 9. Ils ajoutent que cette forme de détention est arbitraire parce que les mesures en question : assujettissent les voyageurs par voie aérienne à une politique générale qui ne tient pas compte de leur situation particulière; ne s’appliquent pas aux voyageurs qui entrent au Canada par voie terrestre (lesquels constituent la grande majorité des voyageurs); ne fournissent pas de critères suffisants pour guider les agents de contrôle dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire et faire en sorte que leur décision soit raisonnable dans chaque cas; ne permettent pas d’atteindre les objectifs publics déclarés étant donné que les variants préoccupants sont déjà présents au Canada et que les voyageurs sont autorisés à rentrer chez eux après avoir obtenu le résultat du test exigé le premier jour, qu’il soit positif ou négatif. Ils s’opposent également au fait d’être assujettis à des politiques déraisonnables, comme l’interdiction de prendre des photographies ou des vidéos sous peine de sanction, et ils répètent qu’ils craignent d’être exposés à des risques accrus dans les installations destinées aux LHAG. Enfin, ils affirment que les mesures contestées entraînent la stigmatisation des voyageurs par voie aérienne étant donné qu’elles sont fondées sur le principe selon lequel ils sont plus susceptibles que les voyageurs par voie terrestre d’être des porteurs du virus et de le transmettre sur le territoire canadien.
[158] Le défendeur soutient que les mesures contestées ne donnent lieu à aucune détention au sens de l’article 9. Subsidiairement, il affirme que s’il y a détention lorsque les mesures sont appliquées dans les LHAG, une telle détention n’est pas arbitraire. S’appuyant sur la décision Canadian Constitution Foundation v. Canada (Attorney General), 2021 ONSC 2117, 488 C.R.R. (2d) 106 (CCF), au paragraphe 39, il s’oppose à cet argument au motif qu’il est frivole.
[159] À l’appui de son argument selon lequel il n’y a pas détention lorsqu’un voyageur qui rentre au Canada par voie aérienne est mis en quarantaine jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour, le défendeur soutient que, dans le contexte d’une pandémie mondiale et de nouveaux variants préoccupants, cette obligation constitue le prolongement du contrôle de routine d’entrée au Canada. En d’autres termes, on ne saurait dire que les personnes dont la liberté et la liberté de mouvement sont restreintes dans le cadre d’un contrôle de routine sont détenues, à condition que les restrictions ne dépassent pas le processus normal de contrôle. De l’avis du défendeur, l’obligation de séjourner dans un LHAG s’inscrit dans un tel processus. Étant donné que cette mesure s’applique uniformément à tous les voyageurs par voie aérienne non exemptés, elle ne comporte pas les caractéristiques d’une détention à la frontière[7]. De plus, le fait de compter parmi les « milliers » de voyageurs appelés à se rendre régulièrement à un LHAG chaque jour n’entraîne pas leur stigmatisation, d’autant plus que le public a été amplement informé du renforcement possible des mesures de quarantaine tout au long de la pandémie.
[160] Subsidiairement, le défendeur fait valoir que l’obligation de séjourner dans un LHAG ne constitue pas une détention parce qu’il n’y a aucune contrainte physique. À cet égard, le défendeur fait remarquer que les voyageurs font eux-mêmes leur réservation dans un LHAG, peuvent s’y rendre en utilisant leur propre véhicule, s’y enregistrer comme ils le feraient dans n’importe quel hôtel et y séjourner en famille.
[161] Quoi qu’il en soit, le défendeur fait valoir que s’il y a détention au sens de l’article 9, elle n’est pas arbitraire pour les mêmes raisons qui font en sorte que l’atteinte au droit à la liberté que les voyageurs par voie aérienne tirent de l’article 7 n’est pas arbitraire.
c) Analyse [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[162] À mon avis, l’obligation de séjourner dans un LHAG constitue une détention au sens de l’article 9. Cependant, cette détention n’est pas arbitraire. Par conséquent, il n’y a aucune violation à l’article 9.
[163] La durée du processus normal de contrôle frontalier est relativement courte, surtout si on la compare à l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD pendant 24 à 72 heures. Même en supposant qu’un processus de contrôle de quelques heures ne constitue pas une détention au sens de l’article 9 (Nagle, au paragraphe 35), j’estime qu’un processus de contrôle d’une durée de 24 à 72 heures constitue incontestablement une détention.
[164] Contrairement aux personnes qui sont régulièrement interrogées et qui font même l’objet d’une fouille physique à la frontière, les voyageurs par voie aérienne ne sont pas autorisés à rentrer chez eux le même jour. Ils pourraient ne pas être autorisés à le faire pendant une période maximale de trois jours. Pendant cette période, ils doivent rester dans leur chambre d’hôtel. Ils peuvent demander d’avoir une ou plusieurs pauses en plein air, mais il n’en demeure pas moins que leur liberté de mouvement est très limitée. Compte tenu du caractère pénal des sanctions dont ces voyageurs sont passibles s’ils refusent de séjourner dans un LHAG, ou s’ils refusent de se conformer aux restrictions physiques imposées dans les LHAG, la personne raisonnable qui se trouverait dans cette situation serait susceptible de conclure qu’elle n’est pas « libre de partir ».
[165] Par conséquent, l’obligation de séjourner dans un LHAG ou dans une IQD pendant une période de 24 à 72 heures constitue une détention au sens de l’article 9.
[166] Or, une telle détention n’est pas arbitraire. Comme nous l’avons vu ci-dessus, cette étape de l’analyse comporte trois volets, à savoir : (i) la détention doit être autorisée par une règle de droit, (ii) la règle de droit elle-même doit être exempte de caractère abusif et (iii) la manière dont la détention est effectuée doit être non abusive : Le, précité, au paragraphe 124.
[167] L’obligation de séjourner dans un LHAG étant prescrite par les mesures contestées, le premier volet du critère est établi.
[168] S’agissant du deuxième volet du critère, je conviens avec le défendeur que les différentes raisons qui permettent de conclure que la restriction au droit des demandeurs à la liberté n’est pas arbitraire militent également en faveur de la conclusion selon laquelle leur détention n’est pas arbitraire. Ce raisonnement s’applique à plusieurs des arguments des demandeurs relativement aux articles 7 et 9.
[169] S’agissant du troisième volet du critère, j’estime que la manière dont la détention est effectuée est non abusive. Les voyageurs par voie aérienne font eux-mêmes leur réservation à l’hôtel autorisé par le gouvernement, ils peuvent s’y rendre en utilisant leur propre véhicule, s’y enregistrer comme ils le feraient dans n’importe quel autre hôtel, ils peuvent présenter les demandes spéciales ou signaler les besoins en matière d’accessibilité qu’ils ont au moment de leur séjour, ils peuvent demander des pauses en plein air (notamment pour fumer), ils conservent leur téléphone personnel et sont libres de l’utiliser sans restriction, ils ont un accès Wi-Fi à l’Internet, une gamme d’options alimentaires (dont des repas à emporter au moyen d’une livraison sans contact) leur est offerte, une gamme d’options de télévision et de films leur est offerte, et ils sont généralement libres de faire ce qu’ils veulent dans la chambre d’hôtel. Même si les voyageurs qui séjournent dans une IQD ne peuvent pas faire toutes ces choses, la manière dont leur détention est effectuée est non abusive. De plus, ceux qui séjournent dans un LHAG ou une IQD peuvent aussi verrouiller leur chambre s’ils le souhaitent, et rien dans la preuve n’indique que quiconque est physiquement forcé d’aller dans sa chambre. En outre, ils peuvent régler leur départ du LHAG ou de l’IQD peu après avoir obtenu les résultats du test exigé le premier jour.
[170] Par ailleurs, rien dans la preuve ne démontre que les voyageurs sont exposés à un risque significatif d’infection dans un LHAG ou une IQD : voir le paragraphe 90 ci-dessus. Je tiens à souligner que le juge Pentney a tiré une conclusion similaire après avoir examiné une requête antérieure dans le cadre de la présente instance : Spencer c. Canada (Procureur général), 2021 CF 361 (Spencer), aux paragraphes 110 et 127.
[171] Contrairement aux arguments des demandeurs, j’estime que les restrictions relatives à la prise de photographies ou de vidéos dans un LHAG ou une IQD ne sont pas déraisonnables. À mon avis, il s’agit d’une mesure de précaution raisonnable visant à prévenir qu’il y ait atteinte aux intérêts en matière de vie privée des travailleurs et des autres voyageurs se trouvant à l’installation.
[172] Madame Mathis soutient qu’on ne lui a pas dit où se trouvait son installation de quarantaine et que les policiers qui l’ont escortée ont refusé de fournir ces renseignements à son conjoint. En réponse aux préoccupations que j’ai exprimées à ce sujet au cours de l’audience, l’avocat du défendeur a dit que cette situation s’était produite avant l’entrée en vigueur du décret de février et que depuis son entrée en vigueur, les voyageurs savent maintenant où ils séjourneront parce qu’ils choisissent et réservent eux-mêmes une chambre dans un LHAG. En ce qui concerne les IQD, selon le témoignage non contesté de M. Spowart, les voyageurs sont informés du nom de l’hôtel, et ils sont libres de communiquer ces renseignements à leur famille ou à leurs amis : affidavit de M. Spowart, précité, au paragraphe 56, dossier du RNN, R910. Quoi qu’il en soit, j’estime que le fait de ne pas révéler à une personne l’endroit où elle est placée en détention est déraisonnable et rend cette détention abusive.
[173] Enfin, je ne souscris pas aux arguments des demandeurs selon lesquels les mesures contestées sont arbitraires étant donné qu’elles ne tiennent pas compte des circonstances individuelles et ne fournissent pas de critères suffisants pour guider les agents de contrôle dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire et faire en sorte que leur décision soit raisonnable dans chaque cas. Pour tirer cette conclusion, j’ai tenu compte du contexte général dans lequel les mesures contestées ont été mises en œuvre et dans lequel les agents de contrôle exercent leurs activités.
[174] Le décret de janvier, le décret de février et les suivants comportent des dispositions exhaustives qui tiennent compte des considérations individuelles et qui visent à limiter l’exercice du pouvoir discrétionnaire des agents de contrôle.
[175] Prenons par exemple le décret de février :
i. Le terme « isolement » est défini comme suit à l’article premier : « Mise à l’écart de personnes qui ont des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles sont atteintes de la COVID-19, qui présentent des signes et symptômes de la COVID-19 ou qui se savent atteintes de la COVID-19, de manière à prévenir la propagation de la maladie. »
ii. Voici la définition de « quarantaine » : « Mise à l’écart de personnes de manière à prévenir la propagation éventuelle de maladies. »
iii. L’article 1.3 définit de façon très détaillée les exigences auxquelles doit satisfaire un « plan approprié de quarantaine »;
iv. L’alinéa 3(1)a.1) énonce les exigences applicables à la mise en quarantaine volontaire;
v. Le paragraphe 4(1) précise les cinq raisons pour lesquelles une personne qui entre au Canada par aéronef est considérée comme incapable de se mettre en quarantaine;
vi. L’article 5 énumère six facteurs qui doivent impérativement être pris en compte pour décider du lieu où une personne doit se mettre en quarantaine;
vii. Le paragraphe 6(1) comporte une liste exhaustive des exemptions à l’obligation de se mettre en quarantaine;
viii. L’article 6.2, le paragraphe 7(1) et le paragraphe 7.2(1) prévoient des exemptions supplémentaires;
ix. Le paragraphe 7.1(1) comporte une liste des exemptions pour motifs d’ordre humanitaire;
x. L’article 9 définit de façon stricte qui doit être isolé et où il peut l’isoler;
xi. Le paragraphe 10(1) définit de façon stricte qui est considéré comme incapable d’isoler;
xii. Le paragraphe 10(2) définit les exigences applicables aux personnes qui sont incapables de s’isoler;
xiii. L’article 11 comporte une liste de six facteurs qui doivent impérativement être pris en compte dans le choix d’une installation d’isolement.
[176] En plus de ce qui précède, un document détaillé intitulé Bulletin d’information de quart de travail (ce document destiné aux agents de contrôle a d’abord été publié en novembre 2020 puis mis à jour le 23 février 2021) contient des instructions très précises à l’intention de ces agents. Voici des exemples de ce qu’il contient :
i. l’obligation d’effectuer une inspection visuelle (pour détecter notamment des signes de maladie);
ii. l’obligation de poser aux voyageurs une question très précise et celle de fournir à un moment précis le document vert ou le document rouge dont il est question ci-dessous;
iii. l’obligation de référer dans des cas précis le voyageur à un agent de quarantaine pour une évaluation plus approfondie;
iv. l’exigence selon laquelle les agents de contrôle « doivent partir du principe que tous les voyageurs sont tenus de se mettre en quarantaine, à moins qu’ils puissent démontrer au moment du traitement qu’ils répondent explicitement à l’une des exemptions de quarantaine décrites à l’article 6 du Décret du QIAO ou qu’ils possèdent une lettre d’autorisation délivrée par [Patrimoine canadien], en vertu du paragraphe 7.2(1) du Décret du QIAO pour être exemptés de l’obligation de se mettre en quarantaine »;
v. l’obligation de faire une mise en garde précise aux voyageurs asymptomatiques exemptés à qui l’« [o]n ne demande[ra] pas de [se] mettre en quarantaine »;
vi. l’obligation de poser des questions précises aux voyageurs afin de savoir s’ils disposent d’un plan approprié de quarantaine;
vii. les motifs pour lesquels une personne peut obtenir une libération limitée de la quarantaine pour des motifs d’ordre humanitaire.
[177] Les documents verts et rouges mentionnés ci-dessus semblent être les documents intitulés Maladie à coronavirus (COVID-19) – Exigences obligatoires pour les voyageurs devant être mis en quarantaine qui arrivent par voie aérienne (Green Information Guide) et Maladie à coronavirus (COVID-19) – Exigences obligatoires pour les voyageurs devant respecter une période d’isolement qui arrivent par voir aérienne (Red Information Guide), lesquels sont joints à la pièce B de l’affidavit de M. Spowart. Ces documents fournissent les exigences précises liées au « lieu de quarantaine approprié » et au « lieu d’isolement approprié ».
[178] Eu égard au résumé présenté dans les trois paragraphes précédents, je conclus à l’existence de critères suffisants pour guider les agents de contrôle dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire et faire en sorte que leur décision soit raisonnable dans chaque cas. Ces critères sont énoncés dans le décret de janvier, le décret de février et les suivants, ainsi que dans les documents supplémentaires décrits ci-dessus.
[179] En résumé, j’estime que les mesures contestées, notamment l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD, mettent en jeu les droits que les demandeurs tirent de l’article 9 parce qu’elles donnent lieu à la détention des personnes non exemptées qui arrivent au Canada par voie aérienne. Toutefois, à l’exception de Mme Mathis, les droits que les demandeurs tirent de l’article 9 ne sont pas violés parce que leur détention est non abusive, pour les raisons suivantes : (i) la détention est autorisée par une règle de droit (c.-à-d., les mêmes décrets qui renferment les mesures contestées), (ii) la règle de droit elle-même est exempte de caractère abusif et (iii) la manière dont la détention est effectuée est non abusive. En outre, les mesures contestées, de même que les autres documents dont il a été question dans les paragraphes précédents, fournissent des critères suffisants pour guider les agents de contrôle dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire et faire en sorte que leur décision soit raisonnable dans chaque cas.
[180] S’agissant des droits que Mme Mathis tire de l’article 9, je conclus qu’ils ont été violés parce qu’elle n’a pas été informée du lieu où elle était emmenée.
5) L’alinéa 10b) [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[181] Selon l’alinéa 10b), chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention, d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit [non souligné dans l’original].
[182] L’article 10 de la Charte vise à « assurer que, dans certaines situations, une personne soit informée de son droit à l’assistance d’un avocat et qu’elle puisse obtenir cette assistance sans délai » : Therens, précité, à la page 641. L’une de ces situations est celle où la personne est détenue par l’État.
[183] Le sens de « détention » est essentiellement le même pour l’article 9 et l’article 10 : Hufsky, précité, au paragraphe 12; Grant, précité, aux paragraphes 28–29. Par conséquent, étant donné que j’ai conclu, dans la section qui précède, que l’obligation de séjourner dans un LHAG pendant 24 à 72 heures donne lieu à une détention, les droits que les demandeurs tirent de l’alinéa 10b) sont en jeu.
[184] L’expression « sans délai » utilisée à l’article 10 signifie « immédiatement » : R. c. Suberu, 2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460 (Suberu), aux paragraphes 41 et 42.
[185] En plus d’affirmer que l’obligation de séjourner dans un LHAG ne donne pas lieu à une détention au sens de l’article 10, le défendeur soutient que les voyageurs qui entrent au Canada par voie aérienne n’ont pas besoin de l’assistance d’un avocat. Il explique que les voyageurs ne seraient pas exposés à des conséquences juridiques importantes, comme le risque d’auto-incrimination ou la saisie d’éléments de preuve, du fait de leur mise en quarantaine. Or, ses explications ne tiennent pas compte du fait que le droit à un avocat vise également « à aider les détenus à recouvrer leur liberté » : Suberu, précité, au paragraphe 40.
[186] Comme c’est aussi le cas pour d’autres dispositions de la Charte, le fardeau d’établir qu’il y a eu violation de l’article 10 incombe à la personne qui l’allègue : Ernst c. Alberta Energy Regulator, 2017 CSC 1, [2017] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 21 et 22. « Le fondement factuel n’est […] pas une simple formalité qui peut être ignorée et, bien au contraire, son absence est fatale à la thèse présentée par les appelants » : MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, à la page 366.
[187] Dans les présentes instances réunies, une seule demanderesse (Mme Mathis) a fourni des éléments de preuve suffisants pour établir qu’il y avait eu violation de son droit d’être informée du droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Ces éléments se trouvent au paragraphe 13 de son affidavit et n’ont pas été contestés directement par le défendeur.
[188] Néanmoins, dans son affidavit, M. Spowart a déclaré que les trousses d’accueil fournies aux voyageurs qui entrent au Canada par voie aérienne [traduction] « rappellent aux voyageurs qu’ils peuvent communiquer avec un avocat s’ils le souhaitent ». La trousse en question est une brochure non datée de dix pages intitulée INFORMATION CONCERNANT VOTRE SÉJOUR DANS UN SITE DE QUARANTAINE OU D’ISOLEMENT. À la dernière page de ce document figure l’énoncé suivant : « Nous serions également ravis de vous aider à communiquer avec le conseiller juridique de votre choix, si vous le désirez. » Le même énoncé figure à la page 4 d’un autre document, également joint à l’affidavit de M. Spowart, intitulé Maladie à coronavirus (COVID-19), INFORMATION CONCERNANT VOTRE SÉJOUR DANS UNE INSTALLATION DE QUARANTAINES DÉSIGNÉE PAR LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL.
[189] Même en supposant que les deux documents mentionnés ci-dessus, ou l’un d’eux, aient été fournis à Mme Mathis, j’estime que le fait de lui avoir fourni ces documents à son arrivée ne satisfait pas aux obligations que l’alinéa 10b) impose au défendeur. Pour s’acquitter de ces obligations, quiconque détient une personne doit clairement lui faire part de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat de manière à ce qu’il soit facilement compris, dès le début de la détention. Le fait de fournir une longue brochure à une personne qui en fera vraisemblablement la lecture plus tard ne suffit pas. Il faut aller plus loin parce que les personnes qui choisissent de lire le document plus tard n’auront pas été réellement informées de leur droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Entre autres choses, l’exercice de ce droit devrait permettre aux voyageurs par voie aérienne de mieux comprendre les conséquences juridiques que pourrait entraîner le non-respect de l’obligation de séjourner dans un LHAG et des mesures connexes, y compris la façon dont ils devraient se mettre en quarantaine.
[190] Il s’ensuit que Mme Mathis, qui n’a contesté que le décret de janvier, s’est acquittée de son fardeau d’établir qu’il y avait eu atteinte aux droits que lui garantit l’alinéa 10b). Je reviens sur cette atteinte à la partie VIII.B des présents motifs, où j’examine brièvement la question de savoir si cette atteinte est raisonnablement justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
[191] Aucun des autres demandeurs n’a fourni de preuve directe d’une atteinte aux droits que leur garantit l’alinéa 10b). Même si M. Duesing a joint à son affidavit un exemplaire de la brochure qui lui a été fournie dès son arrivée à l’IQD où il a séjourné (avant l’entrée en vigueur du décret de février), il n’a pas précisément soulevé la question de son droit à l’assistance d’un avocat. Par conséquent, j’estime que ni lui ni les autres demandeurs ne se sont acquittés du fardeau exigé pour établir qu’il y a eu atteinte à l’alinéa 10b).
6) Les alinéas 11d) et e) [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[192] Les alinéas 11d) et e) disposent : « Tout inculpé a le droit […] d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable; [et] e) de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable. »
[193] Les demandeurs Spencer-Duesing soutiennent qu’en [traduction] « obligeant les voyageurs par voie aérienne à se rendre dans des installations fédérales », le gouvernement « porte atteinte à leur droit d’être présumés innocents tant qu’ils ne sont pas déclarés coupables ». En ce qui concerne l’alinéa 11e), ils affirment qu’il y a atteinte aux droits des voyageurs par voie aérienne parce que ceux-ci n’ont pas [traduction]« la possibilité de comparaître devant un tribunal et de contester leur détention ».
[194] Ces arguments sont dénués de fondement.
[195] En bref, les alinéas 11d) et e) ne s’appliquent pas à moins qu’une personne ait été inculpée.
[196] S’appuyant sur l’arrêt R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541 (Wigglesworth), à la page 559, et sur l’arrêt Martineau c. M.R.N., 2004 CSC 81, [2004] 3 R.C.S. 737 (Martineau), aux paragraphes 19 et 21 à 29, les demandeurs Spencer-Duesing, soutiennent que l’article 11 s’applique [traduction] « lorsqu’une déclaration de culpabilité est susceptible d’entraîner une véritable conséquence pénale ». Toutefois, ces arrêts ne sont d’aucune utilité pour les demandeurs.
[197] En bref, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Wigglesworth a explicitement adopté une interprétation restrictive de l’article 11. Expliquant son raisonnement, elle a dit que les droits garantis par cette disposition « peuvent être invoqués par les personnes que l’État poursuit pour des infractions publiques comportant des sanctions punitives, c.‑à‑d. des infractions criminelles, quasi criminelles et de nature réglementaire, qu’elles aient été édictées par le gouvernement fédéral ou par les provinces » : Wigglesworth, précité, à la page 554 (non souligné dans l’original). Plus loin dans ses motifs, elle a ajouté : « Il est certain que ces droits sont accordés à ceux qui sont accusés d’infractions criminelles, à ceux qui doivent faire face au pouvoir de poursuite de l’État et qui peuvent très bien subir une privation de liberté par suite de l’exercice de ce pouvoir » : Wigglesworth, précité, à la page 558 (non souligné dans l’original). Cet arrêt n’est d’aucune utilité pour les demandeurs parce qu’ils ne font pas l’objet d’une poursuite de la part de l’État relativement à une infraction dont ils ont été accusés.
[198] En ce qui concerne l’arrêt Martineau, précité, la Cour dit expressément au paragraphe 23 que « [s]eules les procédures pénales entraînent l’application de l’art. 11 de la Charte ».
[199] Vu que les demandeurs Spencer-Duesing ne sont actuellement visés par aucune procédure pénale, les droits qu’ils tirent de l’article 11 ne sont pas en jeu. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’article 11 n’a aucune application dans le contexte actuel.
[200] S’appuyant essentiellement sur le même argument qui a été examiné ci-dessus, les demandeurs Spencer-Duesing ont allégué qu’il y avait eu atteinte à leurs droits en vertu de l’article 503 du Code criminel. Cette disposition impose certaines obligations à un « agent de la paix qui arrête une personne avec ou sans mandat et qui ne la met pas en liberté en vertu de toute autre disposition de la présente partie ». Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cette disposition ne s’applique pas non plus dans le présent contexte.
7) L’article 12 [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[201] L’article 12 de la Charte dispose : « Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. »
[202] Les parties semblent s’entendre pour dire que les mesures contestées ne constituent pas une peine. Je suis d’accord. En bref, l’une des exigences supplémentaires du critère qui permet d’assimiler une mesure à une peine est qu’il doit s’agir d’« une conséquence d’une déclaration de culpabilité qui fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée » : R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599 (Boudreault), au paragraphe 39. Cette condition n’est manifestement pas remplie dans le contexte actuel.
[203] Les demandeurs Spencer-Duesing soutiennent que [traduction] « détenir en masse des citoyens respectueux des lois, même lorsqu’ils sont en bonne santé, non infectieux, ou s’ils obtiennent un résultat négatif à la COVID-19, constitue un traitement prévu par l’État qui est exagérément disproportionné et incompatible avec la dignité humaine ».
[204] Même en tenant pour acquis, sans pour autant me prononcer sur ce point, que l’exigence imposée aux voyageurs de séjourner dans un LHAG ou une IQD dès leur arrivée au Canada est assimilable à un traitement au sens de l’article 12, j’estime que ce traitement ne satisfait pas au critère très strict exigé qui permettrait de le qualifier de cruel et d’inusité. En bref, ce critère a été exprimé de différentes manières : le traitement doit être « excessi[f] au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine », « odieu[x] ou intolérable pour la société » et « exagérément disproportionn[é] » : Boudreault, précité, aux paragraphes 45–46. Manifestement, on ne peut dire que l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD pendant 24 à 72 heures correspond à ce critère.
[205] Par conséquent, les mesures contestées ne portent pas atteinte aux droits que les demandeurs tirent de l’article 12.
B. Dans l’affirmative, la justification de telles violations peut-elle se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique? [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[206] Pour les motifs exposés à la partie VIII.A ci-dessus, Mme Mathis a établi qu’il y a eu atteinte aux droits qu’elle tire de l’article 9 et de l’alinéa 10b) de la Charte. Aucune des autres violations de la Charte qui auraient été commises n’a été établie.
[207] Les droits et libertés garantis par la Charte ne sont pas absolus, car « [i]l peut être nécessaire de les restreindre lorsque leur exercice empêcherait d’atteindre des objectifs sociaux fondamentalement importants » : Oakes, précité, à la page 136.
[208] Par conséquent, une mesure qui a été jugée contraire à la Charte résistera à une contestation lorsqu’il est établi qu’elle constitue une limite raisonnable prescrite par une règle de droit et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, au sens de l’article premier de la Charte.
[209] La charge de prouver qu’une restriction apportée à un droit garanti par la Charte répond à ce critère incombe à la partie qui demande le maintien de cette restriction, en l’espèce le défendeur : Oakes, précité, aux pages 136–137.
[210] L’analyse de la question de savoir si ce critère est rempli se fait en deux étapes. À la première étape, il faut examiner si les objectifs que les mesures contestées visent à atteindre « se rapporte[nt] à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique ». Vu la conclusion que je tire au sujet de l’article premier dans le paragraphe ci-dessous, je n’examine pas plus longuement ce volet du critère. En bref, je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il est satisfait. Ainsi que l’ont admis les demandeurs Spencer-Duesing, l’objectif des mesures contestées, [traduction] « qui consiste à freiner la propagation de la COVID-19 et de ses variants préoccupants, est urgent et réel ».
[211] La deuxième étape de l’examen fondé sur l’article premier « nécessite l’application d’“une sorte de critère de proportionnalité” » : Oakes, précité, à la page 139. Ce critère de proportionnalité comporte trois volets. Premièrement, les mesures doivent avoir un lien rationnel avec leurs objectifs. Deuxièmement, les moyens adoptés doivent être de nature à porter « le moins possible » atteinte au droit ou à la liberté en question. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures en question et les objectifs reconnus comme étant « urgents et réels » : Oakes, précité, à la page 139.
[212] Il n’est pas nécessaire que je me prononce sur les premier et troisième volets de la deuxième étape de l’examen parce que j’estime qu’il est évident que les atteintes aux droits que l’article 9 et de l’alinéa 10b) garantissent à Mme Mathis ne satisfont pas au critère de l’atteinte minimale. J’en arrive à cette conclusion parce que le défendeur n’a pas établi qu’il était raisonnablement nécessaire de ne pas lui révéler, ainsi qu’à son conjoint, le lieu de l’IQD où elle a été emmenée : R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45, au paragraphe 96. Je suis plutôt d’accord avec Mme Mathis pour dire qu’au Canada, les gens ne sont pas emmenés en détention dans des endroits secrets.
[213] Heureusement, le décret de février et les suivants ont réglé ce grave problème étant donné que les voyageurs par voie aérienne doivent depuis réserver eux-mêmes leur séjour dans un LHAG. En ce qui concerne les IQD, selon le témoignage non contesté de M. Spowart, les voyageurs sont informés du nom de l’IQD vers laquelle ils sont dirigés et dès lors qu’un agent frontalier détermine qu’un voyageur sera dirigé vers une IQD, il lui donne des précisions sur l’IQD et sur son séjour : affidavit de M. Spowart, précité, aux paragraphes 46 et 56.
[214] S’agissant de l’atteinte portée au droit de Mme Mathis d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informée de ce droit, là encore, le défendeur n’a pas établi qu’il était raisonnable qu’elle ne soit pas informée de ce droit de manière claire lorsqu’elle a été emmenée à l’IQD.
[215] En résumé, je conclus que les atteintes portées aux droits que Mme Mathis tire de l’article 9 et de l’alinéa 10b) de la Charte ne sont pas justifiées au regard de l’article premier. Même si l’on tient compte du fait que les tribunaux font preuve de la plus grande retenue envers les gouvernements « [l]orsqu’ils examinent une mesure réglementaire complexe visant à remédier à un problème social » : Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 467 (Hutterian Brethren), au paragraphe 37, on ne saurait dire que la justification de ces atteintes peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Je reviens sur ces atteintes à la partie IX ci-dessous.
C. Les décrets contenant les mesures contestées outrepassent-ils les pouvoirs que le paragraphe 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine délègue au gouverneur en conseil? Dans la négative, les mesures contestées sont-elles néanmoins déraisonnables? [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
1) Le résumé des arguments des demandeurs [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[216] Les demandeurs du RNN soutiennent que le décret de février constituait un exercice déraisonnable des pouvoirs conférés par la Loi sur la mise en quarantaine et qu’il était donc ultra vires.
[217] Ils font essentiellement valoir que les mesures contestées ne relèvent pas du pouvoir délégué prévu au paragraphe 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine parce qu’elles ne satisfont pas à l’exigence énoncée à l’alinéa 58(1)d) selon laquelle « il n’existe aucune autre solution raisonnable permettant de prévenir l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada »[8]. Les demandeurs du RNN affirment qu’il existait d’autres solutions et que le défendeur n’a fourni aucun élément pour faire connaître les autres solutions qui avaient été envisagées. Quoi qu’il en soit, ils disent que le défendeur n’a pas non plus établi que l’exigence énoncée à l’alinéa 58(1)d), qui est une condition préalable à l’exercice du pouvoir délégué, était satisfaite.
[218] Les demandeurs du RNN soutiennent qu’en l’absence de tels éléments de preuve, ou de toute raison expliquant cet aspect de la décision d’adopter les mesures contestées, la Cour devrait faire porter son examen sur le résultat, plutôt que d’émettre des hypothèses sur le processus de raisonnement sous-jacent à ces mesures. À leur avis, une telle insistance démontre que les mesures contestées sont déraisonnables. Entre autres, ils affirment que ces mesures sont excessives, arbitraires et n’aboutissent à rien, car toute personne tenue de séjourner dans un LHAG ou une IQD qui a un plan approprié de quarantaine ou d’isolement est autorisée à quitter cet endroit après avoir obtenu les résultats du test exigé le premier jour. Ces personnes peuvent ensuite se mettre en quarantaine ou s’isoler à l’endroit même où elles auraient séjourné si les mesures contestées n’existaient pas. De plus, étant donné qu’environ 2 p. 100 seulement des voyageurs asymptomatiques obtiennent des résultats positifs au test exigé le premier jour, les mesures contestées ont pour effet de détenir 98 p. 100 des voyageurs de vols internationaux, à leurs frais, sans motif. De plus, les mesures contestées ne s’appliquent pas aux personnes qui traversent la frontière canadienne par voie terrestre, lesquelles constituent la grande majorité des voyageurs qui entrent au Canada.
[219] Les demandeurs du RNN font aussi valoir qu’aucune raison n’a été fournie pour expliquer en quoi les mesures qui étaient applicables avant l’entrée en vigueur des mesures contestées étaient insuffisantes. À cet égard, ces demandeurs font remarquer que selon les renseignements joints à l’affidavit de Mme Barton, les taux de cas importés pour 100 000 voyageurs ont culminé la semaine du 3 janvier 2021, puis ont diminué dans les semaines suivantes. À leur avis, cet élément ébranle l’argument du défendeur selon lequel il n’existait aucune autre solution pour remplacer l’obligation de séjourner à un LHAG, parce que les mesures précédentes [traduction] « avaient presque éliminé le problème que [l’obligation] de séjourner dans un LHAG imposée plus tard était censée régler ».
(2) Le résumé des arguments du défendeur [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[220] Le défendeur fait valoir que le caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir que le paragraphe 58(1) délègue à l’AC ressort de façon très évidente du dossier. Il affirme que, notamment, les éléments de preuve appuient l’avis de l’AC selon lequel « il n’existe aucune autre solution raisonnable permettant de prévenir l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada ».
[221] Étant donné que le paragraphe 58(1) exige simplement que l’AC soit « d’avis » que les conditions énoncées aux alinéas a) à d) sont remplies, le défendeur affirme qu’il n’est pas nécessaire que ces conditions soient objectivement remplies avant que l’adoption d’un décret en vertu de cette disposition puisse être jugée raisonnable. Au contraire, le décret aura été adopté de manière raisonnable [traduction]« si les motifs sont fondés sur les ouvrages scientifiques et si le pouvoir a été exercé de manière juste et appropriée dans les circonstances » : Nesathurai v. Schuyler Farms Ltd., 2020 ONSC 4711 (C. div.), aux paragraphess 40 à 42 et 52.
[222] Le défendeur soutient qu’il existait et qu’il existe toujours un fondement solide, étayé par l’évolution des connaissances scientifiques et les renseignements existants, pour appuyer la conclusion selon laquelle des mesures plus restrictives que celles qui étaient en place avant la mise en œuvre des mesures contestées étaient nécessaires. Ces mesures, et en particulier l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour, étaient raisonnables. Entre autres, elles permettent la détection et l’isolement précoces de la catégorie de voyageurs dont le taux de positivité est le plus élevé, et elles réduisent le risque que ces voyageurs infectent d’autres personnes.
[223] Quoi qu’il en soit, dans une situation où les connaissances scientifiques évoluent et où la menace se répand plus rapidement que la capacité de l’État de recueillir de solides données probantes, le principe de précaution, « une approche fondamentale de prise de décision dans l’incertitude[,] souligne l’importance d’agir en fonction de la meilleure information disponible afin de protéger la santé des Canadiens » : Spencer, précité, au paragraphe 113.
3) Les principes juridiques applicables [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[224] L’analyse de la question de savoir si l’adoption d’une mesure donnée était ultra vires (est au-delà) des pouvoirs délégués commence généralement par l’examen minutieux du régime législatif applicable et des motifs du décideur : Vavilov, précité, aux paragraphes 108 et 109.
[225] Dans les cas où le processus d’élaboration d’une mesure contestée ne se prête pas à la production d’une série de motifs, la cour de révision doit tenir compte de façon globale de toutes les circonstances pertinentes, y compris le contexte global et le dossier dans son ensemble, afin de comprendre la mesure et de tenter de déterminer le raisonnement qui la sous-tend : Vavilov, précité, au paragraphe 137.
[226] Pour avoir gain de cause, la partie qui conteste la validité d’une mesure a le fardeau de démontrer que cette mesure est incompatible avec l’objectif de sa loi habilitante ou encore qu’elle déborde le cadre du mandat prévu par la loi : Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810 (Katz), au paragraphe 24. En l’absence d’une telle démonstration, la mesure jouira d’une présomption de validité : Katz, précité, au paragraphe 25.
[227] Avant que la mesure ne soit jugée incompatible avec l’objet de la loi, il devra être démontré qu’elle repose sur des considérations sans importance, qu’elle est non pertinente ou complètement étrangère à cet objet : Katz, précité, au paragraphe 28.
[228] Dans son analyse, la Cour adoptera une approche téléologique large, sans examiner si la mesure était « nécessaire, sage ou efficace dans la pratique » : Katz, précité, aux paragraphes 26 et 27.
[229] L’obligation de tenir compte de façon globale de toutes les circonstances pertinentes, y compris le contexte global et le dossier dans son ensemble, s’applique également à l’analyse du caractère raisonnable de la mesure contestée : Vavilov, précité, aux paragraphes 75, 89, 103, 107 et 110.
[230] Même lorsqu’une instance décisionnelle titulaire de pouvoirs délégués dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire, toute mesure qu’il adopte « doit en fin de compte être conforme “à la raison d’être et à la portée du régime législatif sous lequel elle a été adoptée” » : Vavilov, précité, au paragraphe 108, citant Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, aux paragraphes 15 et 25 à 28.
[231] Dans le cadre de son analyse, la Cour doit examiner avec une « attention respectueuse » le fil de raisonnement suivi par le décideur, et chercher à le comprendre : Vavilov, précité, au paragraphe 84. Son examen doit « porte[r] à la fois sur le résultat et sur le processus » : Vavilov, précité, au paragraphe 87. À cet égard, la Cour examinera si la mesure est suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Une mesure suffisamment justifiée, transparente et intelligible est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, précité, au paragraphe 85.
[232] En d’autres termes, la Cour vérifiera si elle est en mesure de comprendre le fondement sur lequel la mesure a été prise et se prononcera par la suite sur « l’appartenance de la [mesure] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Vavilov, précité, aux paragraphes 86 et 97. Pour savoir si la mesure fait partie de ces issues possibles, la Cour procédera à un examen « rigoureux » et examinera son incidence possible sur les personnes auxquelles elle s’applique : Vavilov, précité, aux paragraphes 14, 67, 106 et 138.
4) Analyse [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
a) Les mesures contestées excèdent-elles les pouvoirs conférés par la Loi sur la mise en quarantaine? [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[233] Essentiellement, le différend entre les parties sur la question de savoir si l’AC a outrepassé ses pouvoirs lorsqu’il a adopté les mesures contestées dépend de la question à savoir si, après s’être demandé s’il pouvait y avoir d’autres solutions raisonnables, l’AC a été d’avis qu’il n’y en avait aucune. Les demandeurs du RNN font valoir que rien dans la preuve n’indique que l’AC a rempli l’une ou l’autre de ces conditions, et qu’il existait bien de telles autres solutions raisonnables. Je ne suis pas d’accord.
[234] Comme le processus qui précède l’adoption d’autres types de mesures législatives subordonnées, le processus de promulgation de décrets comme les mesures contestées ne se prête pas à la production d’une série de motifs. Par conséquent, dans son examen des questions soulevées par les demandeurs du RNN, la Cour doit tenir compte de façon globale de toutes les circonstances pertinentes, dont le contexte global et le dossier dans son ensemble, afin de comprendre la mesure et de tenter de découvrir sa justification sous-jacente : Vavilov, précité, au paragraphe 137.
[235] À cet égard, les éléments les plus pertinents de la preuve sont le préambule du décret de février, les notes explicatives qui y étaient jointes et les témoignages des déposants du défendeur. Ces documents révèlent que l’AC a effectivement été d’avis qu’aucune autre solution raisonnable ne permettait de prévenir la propagation de la COVID-19.
[236] Le quatrième paragraphe du préambule du décret de février dans lequel figurent les mesures contestées est expressément formulé comme suit : « Attendu que l’administrateur en conseil est d’avis qu’il n’existe aucune autre solution raisonnable permettant de prévenir l’introduction ou la propagation de la [COVID-19] au Canada. »
[237] Passons à l’examen des autres solutions précises que les demandeurs du RNN ont mentionnées, qui sont les suivantes :
i. Le recours continu aux mesures en vigueur avant l’adoption des mesures contestées — les demandeurs soutiennent que ces mesures antérieures [traduction]« avaient presque éliminé le problème que le séjour dans un LHAG imposé plus tard était censé régler »;
ii. L’obligation pour les voyageurs qui entrent au Canada par voie aérienne de se mettre en quarantaine dans un lieu se trouvant à l’écart des travailleurs de la santé ou des personnes vulnérables — les demandeurs affirment que cette obligation aurait pu empêcher l’éclosion de COVID-19 au foyer Roberta Place, dont il est question au paragraphe 106 ci-dessus;
iii. Un dépistage accru;
iv. L’interdiction aux voyageurs qui entrent au Canada par voie aérienne d’utiliser toute forme de « transport public »;
v. L’imposition d’exigences plus strictes pour les plans de quarantaine et d’isolement;
vi. La possibilité pour quiconque dispose d’un moyen de transport privé depuis l’aéroport de se rendre directement au lieu de quarantaine approprié, plutôt que d’attendre le résultat du test exigé le premier jour avant d’être autorisé à le faire;
vii. La restriction des voyages d’agrément, comme cela a été fait lorsqu’une restriction a été appliquée aux voyages à destination et au départ du Mexique et des pays des Caraïbes par un autre décret.
[238] S’agissant du recours continu aux mesures en vigueur avant l’adoption des mesures contestées, les notes explicatives du décret de février précisent ce qui suit :
Sur la base de l’examen actuel de l’expérience internationale en matière de nouveaux variants, il est justifié d’introduire des mesures supplémentaires qui tirent parti de la disponibilité des technologies de test pour prévenir davantage l’introduction et la propagation de la COVID-19 ou de nouveaux variants préoccupants au Canada.
[Décret de février, notes explicatives, précité, à la page 726.]
[239] De plus, Mme Barton, principale responsable de la rédaction des décrets conformément aux dispositions de la Loi sur la mise en quarantaine, dit que d’après les renseignements dont elle disposait à l’époque [traduction]« les mesures en vigueur depuis le 7 janvier 2021 ne permettaient pas de prévenir ou de limiter suffisamment l’importation, par voie aérienne, de cas de COVID-19 au Canada, compte tenu surtout de l’émergence de variants préoccupants » : affidavit de Mme Barton, précité, au paragraphe 17. Dans le même paragraphe, elle indique que ces renseignements étaient les suivants :
[TRADUCTION]
i. « Avant la [promulgation des mesures contestées], les voyageurs asymptomatiques qui entraient au Canada pouvaient continuer leurs déplacements au moyen du transport public, qui auraient pu être par exemple un vol intérieur;
ii. Les données obtenues dans le cadre d’un projet pilote de dépistage en Alberta, en novembre et décembre 2020, montrent les voyageurs asymptomatiques qui entraient au Canada étaient, dans une proportion se situant environ entre 1 et 2 %, infectés par la COVID-19. En d’autres termes, pour chaque vol de 100 personnes arrivant au Canada, en moyenne une ou deux personnes étaient infectées par la COVID-19 […]; [Mme Barton a par la suite produit d’autres données indiquant qu’en janvier 2021, le nombre de passagers arrivant au Canada par voie aérienne s’est élevé à 325 765. Au cours du même mois, selon les données sur les cas importés de COVID-19, le nombre de vols touchés (vols internationaux avec confirmations de cas de COVID-19) a plus que triplé entre septembre (157 personnes infectées dans 131 vols) et janvier (698 personnes infectées dans 407 vols, du 1er au 27 janvier) (affidavit de Mme Barton, aux paragraphes 19 et 20).]
iii. Suivant l’entrée en vigueur des exigences en matière de dépistage avant le départ le 7 janvier 2021, les renseignements obtenus dans le cadre d’un programme pilote en Ontario ont montré que 2,2 % des voyageurs asymptomatiques entrés au Canada étaient infectés par la COVID-19 même s’ils avaient fourni la preuve d’un résultat négatif au test subi avant le départ […];
iv. Les données provenant des tests de dépistage sur les voyageurs à bord de vols effectués du 10 au 18 janvier 2021 en provenance d’un pays qui n’a pas les ressources nécessaires pour administrer les tests avant le départ ont montré un taux de positivité à la COVID-19 de 6,8 % chez les voyageurs asymptomatiques […];
v. Les données sur la transmissibilité accrue des variants préoccupants indiquent que le Canada doit prendre davantage de précautions aux points d’entrée afin de réduire autant que possible le risque de créer de nouvelles chaînes de transmission avec ces variants ».
[240] Madame Barton ajoute qu’elle a obtenu des renseignements de nombreuses sources et que ces renseignements avaient été utilisés [traduction]« pour appuyer la ministre de la Santé dans son rôle consistant à formuler des recommandations pour la rédaction des décrets » : affidavit de Mme Barton, précité, au paragraphe 10.
[241] Compte tenu de ce qui précède, j’estime que l’AC a examiné la possibilité de continuer à s’appuyer sur les mesures en vigueur avant d’opter les mesures contestées, puis qu’il a décidé, pour des motifs raisonnables, de ne pas le faire.
[242] S’agissant des six autres solutions mentionnées par les demandeurs du RNN, trois d’entre elles faisaient partie du décret de février. Il est possible d’inférer des justifications fournies pour les mesures contestées, notamment l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD, que les autres solutions mentionnées ci-dessous n’ont pas été jugées suffisantes, chacune en soi ou même globalement, pour faire face aux risques que cette obligation était censée écarter. Comme nous l’avons vu plus haut aux paragraphes 109 à 112, ces justifications étaient les suivantes : (i) les personnes dont le résultat au test exigé le premier jour était positif sont susceptibles de modifier leur comportement au lieu de quarantaine approprié, (ii) éviter que les voyageurs qui entrent au Canada par voie aérienne montent immédiatement à bord d’un vol intérieur ou d’un autre moyen de transport public; (iii) faire séjourner dans un LHAG ou une IQD les personnes qui attendent le résultat au test exigé le premier jour, afin d’éviter qu’elles infectent quiconque se trouverait à leur domicile ou dans un autre lieu de quarantaine approprié; et (iv) faciliter la détection et l’isolement précoces des voyageurs asymptomatiques qui sont infectés.
[243] Les trois autres solutions expressément mentionnées par les demandeurs du RNN qui font partie du décret de février sont les suivantes :
i. Éviter les contacts avec les travailleurs de la santé et les personnes vulnérables Selon l’alinéa 1.3f), le plan de quarantaine approprié doit indiquer que le lieu de quarantaine permettra au voyageur d’« éviter d’entrer en contact avec des personnes vulnérables — autres qu’un adulte consentant ou le parent ou l’enfant à charge dans une relation parent-enfant — et des personnes qui leur fournissent des soins ». L’alinéa 1.3g) contient une disposition semblable visant à éviter tout contact avec un fournisseur de soins de santé. Les sous-alinéas 3(1)a.1)(ii) et b)(ii) exigent également qu’une personne asymptomatique se mette en quarantaine à un lieu où elle ne sera pas en contact avec une personne vulnérable (sous réserve de la même condition mentionnée ci-dessus). Le sous-alinéa 9b)(ii) contient une disposition similaire pour les personnes symptomatiques.
ii. Tests supplémentaires : L’article 1.4 du décret comportait des dispositions pour l’ajout de tests (c.-à-d. le test exigé le premier jour ainsi qu’un deuxième test).
iii. Éviter les transports publics : L’alinéa 10(1)c) prévoit qu’une personne symptomatique est considérée comme incapable de s’isoler s’il lui est nécessaire de prendre un moyen de transport public pour se rendre à son lieu d’isolement depuis le lieu de son entrée au Canada. Il aurait certes été souhaitable que les personnes asymptomatiques soient aussi visées par une disposition similaire, mais les justifications fournies au soutien de l’obligation de séjourner dans un LHAG permettent d’inférer qu’un tel ajout au décret de février n’a pas été jugé suffisant pour faire face aux risques que cette obligation était censée écarter : voir les paragraphes 109–112 ci-dessus.
[244] S’agissant des trois autres solutions mentionnées par les demandeurs du RNN, il est possible, là encore, d’inférer des justifications au soutien des mesures contestées (voir le paragraphe 242 ci-dessus) — notamment l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD — que ces autres solutions n’étaient pas jugées suffisantes pour faire face aux risques que cette obligation ciblait.
[245] Dans le cadre de leur examen des mesures contestées, Mme Barton et son équipe ont été informées des mesures prises dans d’autres pays, notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande. Toutefois, l’approche plus stricte adoptée par l’Australie, la Nouvelle-Zélande et certains autres pays insulaires n’a pas été considérée comme réalisable ici, étant donné la longueur de la frontière terrestre qui sépare le Canada et les États-Unis.
[246] En résumé, contrairement aux observations des demandeurs du RNN, l’AC a bien été d’avis qu’aucune autre solution raisonnable ne permettait de prévenir l’introduction ou la propagation de la COVID-19. C’est ce qui ressort du quatrième paragraphe du préambule du décret de février, reproduit au paragraphe 236 ci-dessus. À cet égard, l’AC a précisément considéré que les mesures en vigueur avant la promulgation des mesures contestées n’étaient pas suffisantes pour faire face au risque posé par la COVID-19. Le passage tiré des notes explicatives du décret de février, reproduit au paragraphe 238 ci-dessus, le démontre clairement.
[247] De plus, dans le décret de février, l’AC a précisément traité de trois des six autres solutions mentionnées par les demandeurs du RNN. Le fait pour l’AC d’avoir également inclus dans ce décret l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD montre implicitement qu’il a jugé que les trois autres solutions en question ne permettraient pas en soi de faire face aux risques posés par la COVID-19.
[248] Il est possible d’inférer des justifications fournies au soutien des mesures contestées que les trois autres solutions mentionnées par les demandeurs du RNN n’ont pas été jugées suffisantes pour faire face aux risques que les mesures contestées ciblaient. Ces justifications indiquent également que les mesures contestées étaient conformes à l’objet sous-jacent de l’article 58 de la Loi sur la mise en quarantaine.
[249] Enfin, les approches adoptées par d’autres pays ont été examinées.
[250] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que les décrets contenant les mesures contestées n’excèdent pas les pouvoirs de l’AC. La preuve dans son ensemble révèle que l’AC a bien été d’avis qu’aucune autre solution raisonnable ne permettait de prévenir l’introduction ou la propagation de la COVID-19 au Canada. Son avis commande une certaine déférence, d’autant plus que l’alinéa 58(1)d) permet à l’AC d’exercer les pouvoirs d’urgence prévus au paragraphe 58(1) lorsqu’il est d’avis que les conditions décrites aux alinéas a) à d) sont remplies. Dans la mesure où son avis est raisonnablement étayé par la preuve, il importe peu que d’autres personnes, comme les demandeurs du RNN, croient ou même démontrent qu’il existait bien une autre solution raisonnable. Il s’avère que les autres solutions mentionnées par les demandeurs du RNN ont également été examinées, explicitement ou implicitement. Elles n’ont pas été jugées suffisantes pour prévenir l’introduction ou la propagation de la COVID-19 au Canada.
[251] Les demandeurs du RNN soutiennent également que les décrets contenant les mesures contestées sont ultra vires de la Loi sur la mise en quarantaine parce qu’elles sont arbitraires. Pour les motifs que j’ai déjà exposés aux paragraphes 77, 103–122 et 166–179 ci-dessus, je ne suis pas d’accord.
b) Les mesures contestées sont-elles raisonnables? [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[252] Selon M. Colvin, le décret de février est déraisonnable parce que le défendeur n’a pas fourni le dossier de décision dont disposait l’AC relativement à ce décret. J’ai déjà examiné ce point aux paragraphes 47-49 ci-dessus. En bref, comme le processus qui précède l’adoption d’autres types de mesures législatives subordonnées, le processus de promulgation de décrets comme les mesures contestées ne se prête pas à la production d’une série de motifs. Dans de telles circonstances, il est permis d’examiner le contexte global et le dossier dans son ensemble pour comprendre les mesures contestées et tenter de déterminer leur justification sous-jacente. Mon évaluation de ce contexte est exposée ci-dessus et n’a pas besoin d’être répétée à ce stade-ci pour répondre au point précis soulevé par M. Colvin.
[253] Monsieur Colvin soutient en outre que le défendeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombe de justifier l’atteinte aux droits des citoyens canadiens. Je présume que les droits en question sont ceux qui sont visés aux articles 6 et 9 de la Charte, étant donné que ce sont les seules atteintes précises qu’il allègue. Là encore, j’ai déjà examiné ces allégations et j’ai conclu que les mesures contestées ne contreviennent pas aux articles 6 ou 9 de la Charte. Il n’est pas nécessaire de reprendre cette analyse à ce stade-ci.
[254] Monsieur Colvin semble également affirmer que les mesures contestées sont déraisonnables parce qu’elles sont arbitraires et parce qu’elles ne sont pas suffisamment justifiées ou étayées de façon générale. Il ajoute qu’elles sont également fondées sur une analyse erronée.
[255] J’ai déjà traité aux paragraphes 77, 103–122 et 166–179 ci-dessus de l’allégation selon laquelle les mesures contestées sont arbitraires dans mon examen d’autres allégations formulées par M. Colvin ou d’autres demandeurs. L’analyse à laquelle je me suis livré s’applique également dans ce cas-ci et fournit un fondement suffisant pour conclure que les mesures contestées ne sont pas déraisonnables en raison de leur caractère arbitraire.
[256] S’agissant des autres arguments de M. Colvin, je ne suis pas d’accord pour dire que les mesures contestées sont déraisonnables parce qu’elles ne sont pas suffisamment justifiées ou étayées de façon générale, ou parce qu’elles sont fondées sur une analyse erronée.
[257] Les justifications fondamentales étayant les mesures contestées ont été exposées dans le préambule du décret de février, qui suit de près le libellé de chacune des dispositions des alinéas 58(1)a) à d) de la Loi sur la mise en quarantaine. Ces justifications ont aussi été mentionnées dans les notes explicatives du décret de février. Outre le passage cité au paragraphe 238 ci-dessus, les passages suivants des notes explicatives, aux pages 723 à 728 de ce décret justifient la nécessité de mesures de contrôle frontalier plus strictes que celles qui étaient déjà en place :
[…] Comme le nombre de cas continue d’augmenter partout au Canada, on s’inquiète de la capacité nationale à faire face à la pandémie. Une augmentation du nombre de cas signalés dans les hôpitaux et les unités de soins intensifs pourrait submerger le système de santé, ce qui aggraverait encore les effets négatifs du virus sur la santé. L’introduction de nouvelles variantes du virus qui provoque la COVID-19 avec une transmissibilité que l’on redoute plus élevée pourrait encore aggraver les effets négatifs de la COVID-19 sur la santé. [À la page 723.]
[…]
Alors que les nouvelles variantes continuent de se propager au Royaume-Uni, en Afrique du Sud, au Brésil et dans d’autres pays, il est tout à fait justifié d’exiger que les voyageurs se rendant au Canada subissent un test de dépistage de la COVID-19 avant et à l’arrivée au Canada et ils devraient, à quelques exceptions près, être mis en quarantaine dès leur arrivée jusqu’à ce qu’ils reçoivent un résultat de test négatif afin d’accroître la protection globale des Canadiens et de prévenir toute nouvelle introduction et transmission de tous les variants du virus qui provoque la COVID-19 au Canada. [À la page 724.]
[…]
À l’heure actuelle, les voyages continuent de présenter un risque d’importation de cas, notamment de nouveaux variants du virus qui cause la COVID-19, et ils augmentent le potentiel de transmission communautaire de la COVID-19. [À la page 725.]
[…]
Si les voyageurs doivent continuer à entrer au Canada, il est important de réduire autant que possible le risque que des voyageurs introduisent des cas de COVID-19 au Canada. Il est prouvé que les tests effectués avant le départ, combinés aux tests effectués sur tous les voyageurs à leur entrée et à nouveau plus tard au cours de la période de quarantaine, permettront de détecter la majorité des personnes atteintes de COVID-19 arrivant au Canada. L’identification de ces cas permettra également le séquençage génétique et l’identification de nouveaux variants préoccupants pour soutenir les efforts de santé publique visant à contenir la propagation de la COVID-19. Le fait d’obliger les voyageurs entrant au Canada par avion à séjourner dans des lieux d’hébergement autorisés par le gouvernement jusqu’à ce qu’ils reçoivent leur premier résultat de test permettra d’identifier et d’isoler ceux qui pourraient introduire ou propager des variants de la COVID-19. [Aux pages 726–727.]
[…]
[…] Le gouvernement du Canada reconnaît que les interdictions d’entrée, les exigences de quarantaine obligatoire et les protocoles de dépistage imposent un fardeau important à l’économie canadienne, aux Canadiens et à leurs familles immédiates et élargies. Ensemble, ces mesures demeurent le moyen le plus efficace de limiter l’introduction de nouveaux cas de COVID-19 au Canada. Avec l’arrivée potentielle de nouvelles variantes plus transmissibles du virus, le gouvernement du Canada continue d’adopter une approche de précaution en augmentant les restrictions aux frontières et les conditions d’entrée, et en limitant les voyages en provenance de tout pays afin de préserver les capacités du système de santé canadien et de réduire l’introduction et la transmission de la COVID-19 au pays. [À la page 728.]
[258] J’estime que les passages des notes explicatives cités ci-dessus et le préambule du décret de février constituent une justification raisonnable suffisante pour ce décret. En bref, ils révèlent « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle », qui est suffisamment transparente et intelligible. Ces passages et ce préambule permettent également à la Cour de confirmer que les mesures envisagées par le décret sont conformes à la raison d’être et à la portée du paragraphe 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine.
[259] S’agissant des mesures précises de ce décret qui sont contestées, comme je l’ai déjà mentionné, les justifications étaient les suivantes : (i) les personnes dont le résultat au test exigé le premier jour est positif sont susceptibles de modifier leur comportement au lieu de quarantaine approprié, (ii) éviter que des personnes transmettent le virus lorsqu’elles utilisent les moyens de transport public pour se rendre à leur domicile ou à d’autres lieux appropriés de quarantaine; (iii) éviter que les voyageurs qui entrent par voie aérienne transmettent le virus à d’autres personnes dans leur domicile, dans un autre lieu de quarantaine approprié, ou dans la collectivité, pendant qu’ils séjournent dans un LHAG ou une IQD; et (iv) faciliter la détection et l’isolement précoces des voyageurs asymptomatiques entrés au pays par voie aérienne qui sont infectés. Là encore, j’estime que collectivement, les justifications fournissent un fondement raisonnable pour les mesures contestées. Ces justifications sont également suffisamment transparentes, intelligibles et révèlent une analyse cohérente et rationnelle.
[260] Ma conclusion à cet égard est renforcée par le témoignage selon lequel certains voyageurs revenus au pays ont continué d’infecter d’autres personnes avec la COVID-19 même lorsqu’on leur a demandé de se mettre en quarantaine (affidavit de la Dre Rodin, précité, au paragraphe 16c)). Compte tenu de ce fait, la justification suivante fournie par Mme Barton au soutien de l’obligation de séjourner dans un LHAG n’est pas déraisonnable, même si l’on considère que les voyageurs sont autorisés à quitter le LHAG pour se mettre en quarantaine chez eux ou à un autre lieu de quarantaine approprié, après avoir obtenu le résultat du test exigé le premier jour :
[traduction]
L’obligation, imposée aux voyageurs qui entrent au Canada par voie aérienne dans les quatre aéroports autorisés à recevoir les vols internationaux, de séjourner dans un LHAG jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé à leur arrivée vise à empêcher ces voyageurs d’introduire et de propager par inadvertance la COVID-19, en particulier les variants préoccupants, au Canada. Cette mesure permet de veiller à ce que les voyageurs soient surveillés de près jusqu’à ce qu’ils obtiennent les résultats du test exigé à leur arrivée. En cas de résultat positif, des mesures de santé publique peuvent être prises rapidement, notamment le déplacement du voyageur vers une installation de quarantaine désignée ou le transport privé vers le lieu de quarantaine désigné.
(Affidavit de Mme Barton, précité, au paragraphe 38.)
[261] Cette justification s’applique également à l’obligation pour les voyageurs symptomatiques de séjourner dans une IQD.
[262] Monsieur Colvin fait également valoir que les témoignages des déposants que le défendeur a fait entendre pour appuyer les mesures contestées [traduction]« comportent très certainement des failles pour de nombreuses raisons, notamment parce qu’ils constituent du ouï-dire, présentent des arguments et des éléments politiques et contiennent des énoncés biaisés dénués de caractère probant à presque chaque paragraphe ». Je ne suis pas d’accord. Comme nous l’avons vu au paragraphe 55 ci-dessus, j’estime que ces déposants étaient sincères, francs, succincts et généralement crédibles. Il est entendu qu’à mon avis, ils n’ont pas présenté d’arguments et n’ont pas fait d’énoncés biaisés ou généralement désintéressés. J’estime également que leurs témoignages ne constituaient pas du ouï-dire inadmissible : voir les paragraphes 53–54 ci-dessus.
[263] Monsieur Colvin a contesté de façon plus particulière l’obligation pour les voyageurs d’attendre les résultats d’un test par PCR, qu’il juge non fiable pour diverses raisons. Toutefois, même à supposer que ce test présente certaines limites ou lacunes, des motifs raisonnables permettaient d’exiger que les voyageurs s’y soumettent, tant avant leur départ pour le Canada qu’à leur arrivée. Ces motifs sont exposés dans le passage suivant des notes explicatives du décret de février :
Les tests moléculaires de la COVID-19 comme le test de réaction en chaîne de la polymérase (RCP) et le test de reverse transcription loop-mediated isothermal amplification (LAMP) ont une sensibilité plus élevée pour la détection de COVID-19 pendant la durée de l’infection. Ils sont également capables de détecter la plupart des infections symptomatiques et asymptomatiques, les rendant plus précis pour le dépistage avant le départ. Un test d’antigènes est plus susceptible de ne pas détecter une infection à la COVID-19 par rapport à un test moléculaire, comme le test RCP. Par conséquent, les tests moléculaires sont plus précis à utiliser lors du dépistage avant le départ.
(Décret de février, notes explicatives, précité, à la page 727.)
[264] Le Dr Poliquin a fourni une explication similaire, quoique plus détaillée, dans son affidavit : affidavit du Dr Poliquin, précité, aux paragraphes 54–57.
[265] En résumé, pour toutes les raisons exposées ci-dessus, je conclus que les mesures contestées ne sont pas déraisonnables.
D. Les décrets contenant les mesures contestées excèdent-ils les compétences que le paragraphe 91(11) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au gouvernement fédéral? [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
1) Les arguments des demandeurs du RNN [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[266] Les demandeurs du RNN font valoir que le décret de février, qui contient les mesures contestées, excède les compétences du gouvernement fédéral et empiète de façon illégitime sur la compétence exclusive des provinces en matière de santé publique. Ils affirment que cette compétence relève du paragraphe 92(7) de la Loi constitutionnelle de 1867, lequel vise « [l]’établissement, l’entretien et l’administration des hôpitaux, asiles, institutions et hospices de charité dans la province, autres que les hôpitaux de marine », et du paragraphe 92(13), lequel vise « [l]a propriété et les droits civils dans la province ». De plus, le paragraphe 92(16) confère compétence aux provinces sur « [g]énéralement toutes les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province ».
[267] À l’appui de leur argument, les demandeurs du RNN soutiennent que le caractère véritable du décret de février se rattache à la réglementation de la santé publique. Ils ajoutent que le décret de février ne poursuit pas un résultat différent de celui que les provinces pourraient atteindre de manière indépendante. Ils affirment en outre qu’une fois qu’un voyageur est autorisé à entrer au Canada, il est inacceptable et inconstitutionnel que le gouvernement fédéral impose des conditions de nature locale. Une telle mesure empêche les provinces de décider elles-mêmes de ce qui constitue ou non une restriction raisonnable au droit à la liberté des citoyens. Elle a également d’autres répercussions socio-économiques sur les provinces.
[268] Les demandeurs du RNN soutiennent en outre que la compétence du gouvernement fédéral sur la « [...] quarantaine et l’établissement et [le] maintien des hôpitaux de marine », énoncée au paragraphe 91(11) de la Loi constitutionnelle de 1867, est limitée à la mise en quarantaine des navires. Quoi qu’il en soit, ils affirment que ce pouvoir devrait être interprété de façon restrictive dans la mesure où il empiète sur une compétence provinciale incontestable ou sur des matières d’une nature locale. En outre, en l’absence d’un chef de compétence clair, le gouvernement fédéral ne peut pas compter sur son pouvoir résiduel pour faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada sur des matières d’intérêt national ou dans des situations d’urgence nationale.
[269] Subsidiairement, les demandeurs du RNN affirment que le décret de février va trop loin dans ses efforts pour contrôler les populations locales, en particulier à l’égard des voyageurs de retour au pays qui n’ont pas à prendre un vol de correspondance interprovincial.
2) Les arguments du défendeur [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[270] Selon le défendeur, le sens ordinaire et grammatical du paragraphe 91(11) démontre qu’il ne se limite pas à la mise en quarantaine de navires, et que la compétence du Parlement en matière de quarantaine à l’entrée au Canada est reconnue de longue date.
[271] Le défendeur soutient que le caractère véritable du décret de février et des suivants relève du paragraphe 91(11) parce que leur objectif déclaré est « la réduction de l’introduction et de la propagation de la COVID-19 et de nouvelles variantes du virus au Canada en diminuant le risque d’importer des cas de l’extérieur du pays » : décret de février, notes explicatives, précité, à la p 720. En outre, le décret de février a été émis en vertu de la Loi sur la mise en quarantaine, dont le titre intégral est Loi visant à prévenir l’introduction et la propagation de maladies transmissibles et dont l’objet est « la protection de la santé publique au moyen de mesures exhaustives visant à prévenir l’introduction et la propagation de maladies transmissibles » : Loi sur la mise en quarantaine, précitée, article 4.
[272] Le défendeur ajoute que, même si les provinces ont compétence en matière de santé publique et d’épidémies locales, y compris les pouvoirs de quarantaine, le gouvernement fédéral a également compétence en vertu de la règle du double aspect.
3) Les principes juridiques applicables [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[273] La première étape pour établir si une loi relève d’un chef de compétence fédéral ou provincial en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 consiste à évaluer le « caractère véritable » ou le « caractère essentiel » de la loi : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783 (Renvoi sur les armes à feu), au paragraphe 15. Il s’agit d’examiner « le but visé par le législateur qui l’a adoptée et l’effet juridique de la loi » : Renvoi sur les armes à feu, précité, au paragraphe 16.
[274] Dans cette évaluation, l’efficacité réelle de la loi n’est pas utile pour l’analyse de la Cour. « L’examen vise plutôt à déterminer comment la loi cherche à atteindre son but afin de mieux comprendre son [traduction]“entière portée” » : Renvoi sur les armes à feu, précité, au paragraphe 18, citant W. R. Lederman, Continuing Canadian Constitutional Dilemmas : Essays on the Constitutional History, Public Law and Federal System of Canada, Toronto, Butterworths, 1981, aux pages 239 et 240.
[275] En cherchant à comprendre l’objet de la loi, il peut souvent être utile d’examiner le mal qu’elle vise : Renvoi sur les armes à feu, précité, au paragraphe 17.
[276] L’analyse du caractère véritable comporte implicitement la reconnaissance du fait qu’il peut être impossible pour un ordre de gouvernement d’exercer efficacement sa compétence sur un sujet sans que son intervention ne touche incidemment à des matières relevant de la compétence de l’autre ordre de gouvernement : Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3 (Banque canadienne de l’Ouest), au paragraphe 29.
[277] Dans le cadre de cette analyse, il est important de décrire le caractère véritable avec le plus de précision possible, afin d’éviter que la loi se rattache superficiellement à la fois à un chef de compétence fédéral et à un chef de compétence provincial, ou encore que soit exagérée la mesure dans laquelle la loi ou la disposition déborde sur la sphère de compétence de l’autre ordre de gouvernement : Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11 (Renvois sur la LTPGES), au paragraphe 52.
[278] La deuxième étape d’une analyse du partage des compétences consiste à qualifier le caractère essentiel de la loi selon les chefs de compétence attribués par la Loi constitutionnelle de 1867 auxquels elle se rapporte : Renvoi sur les armes à feu, précité, au paragraphe 25.
[279] Certaines matières peuvent relever de la compétence fédérale et provinciale : Banque canadienne de l’Ouest, précité, au paragraphe 30. Bien que les provinces aient depuis longtemps été considérées comme ayant compétence en matière de santé sur leur territoire (voir p. ex. R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, aux pages 490 et 491), le gouvernement fédéral est maintenant considéré comme ayant compétence concurrente dans ce domaine : Carter, précité, au paragraphe 53. Cela est d’autant plus vrai lorsque le Parlement légifère sur une matière fédérale qui touche à la santé : Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, au paragraphe 66.
4) Analyse [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[280] À mon avis, les deux étapes de l’analyse du partage des compétences permettent de régler le différend entre les parties sur cette question. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument des demandeurs du RNN concernant les pouvoirs résiduels du gouvernement fédéral.
[281] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le sens ordinaire et grammatical du paragraphe 91(11) contredit l’argument des demandeurs du RNN selon lequel le mot « quarantaine » dans cette disposition devrait être limité aux mises en quarantaine de navires.
[282] À mon avis, rien dans le texte du paragraphe 91(11) ne permet d’affirmer que le sens du mot « quarantaine » devrait être limité de la manière proposée par les demandeurs du RNN. Par souci de commodité, il convient de reproduire cette disposition ici : « 11. La quarantaine et l’établissement et maintien des hôpitaux de marine. »
[283] Le sens ordinaire des mots « [l]a quarantaine et » indique que le Parlement s’est vu attribuer compétence sur la quarantaine et aussi sur l’autre matière mentionnée, à savoir l’établissement et le maintien des hôpitaux de marine. Le mot « navire » n’apparaît pas dans ce chef de compétence, et il est évident que le mot « marine » ne se rapporte qu’aux « hôpitaux » et non à la « quarantaine ».
[284] Les demandeurs du RNN font remarquer que, dans l’arrêt Schneider c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 112, la Cour suprême du Canada a cité à la page 136 les observations suivantes, formulées par la Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces en 1938 : « [L]’Acte de l’Amérique britannique du Nord n’[a] pas attribué de pouvoirs définis en matière de santé publique. Cependant, il avait confié au Dominion la juridiction sur les hôpitaux de marine et la quarantaine (probablement la quarantaine des navires) […] ». Ils s’appuient sur ces observations pour justifier leur interprétation restrictive de la compétence que le paragraphe 91(11) confère au gouvernement fédéral.
[285] Or, dans l’arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791 [précité], la Cour suprême du Canada a adopté au paragraphe 16 une interprétation plus libérale lorsqu’elle a fait observer incidemment que le gouvernement fédéral est « doté d’une compétence explicite sur certaines matières touchant la santé, comme la quarantaine, ainsi que l’établissement et l’entretien des hôpitaux de marine ».
[286] Cette même interprétation a été retenue dans la décision Taylor v. Newfoundland, 2020 NLSC 125, aux paragraphes 272 et 273 [Taylor] :
[traduction]
Le paragraphe 91(11) confère au gouvernement fédéral un pouvoir exclusif en ce qui concerne « [l]a quarantaine et l’établissement et maintien des hôpitaux de marine ».
L’établissement et le maintien d’hôpitaux de marine ne s’appliquent manifestement pas à l’al. 28(1)h) de la PHPPA. Toutefois, le par. 91(11) confère aussi au gouvernement fédéral une compétence exclusive en matière de quarantaine. À cette fin, le gouvernement fédéral a adopté la Loi sur la mise en quarantaine, LC 2004, c 20.
[287] Plus loin dans la décision Taylor, la cour commente que [traduction] « dans l’arrêt Rinfret v. Pope (1886), 10 LN 74, 12 Q.L.R. 303 (C.A. Qué.), [la Cour d’appel du Québec] a conclu que, exception faite de la compétence fédérale en matière de quarantaine et d’hôpitaux de marine, toutes les questions de santé publique relèvent du contrôle des provinces » : Taylor, précité, au paragraphe 279 (non souligné dans l’original). J’ouvre ici une parenthèse pour ajouter que la partie de l’arrêt Rinfret où la cour reconnaissait la compétence provinciale exclusive en matière de santé publique s’oppose à la jurisprudence plus récente de la Cour suprême du Canada : Carter, précité, au paragraphe 53.
[288] S’agissant de l’étape du « caractère véritable » de l’analyse du partage des compétences, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le fait pour les demandeurs du RNN de qualifier le décret de février de loi qui réglemente la santé publique déroge au principe selon lequel une loi attaquée doit être décrite avec le plus de précision possible : Renvois sur la LTPGES, précité.
[289] Je conviens également que l’intention déclarée par l’AC lorsqu’il a promulgué le décret de février appuie l’argument selon lequel le caractère véritable, ou essentiel, de ce décret n’est pas de réglementer la santé comme telle. Il consiste plutôt en la « réduction de l’introduction et de la propagation de la COVID-19 et de nouvelles variantes du virus au Canada en diminuant le risque d’importer des cas de l’extérieur du pays » : décret de février, notes explicatives, précité, à la p 720. Cet objet s’accorde avec celui de la Loi sur la mise en quarantaine, qui est « la protection de la santé publique au moyen de mesures exhaustives visant à prévenir l’introduction et la propagation de maladies transmissibles » : Loi sur la mise en quarantaine, précitée, article 4.
[290] Le contexte dans lequel le décret de février a été promulgué appuie également l’argument selon lequel le « caractère véritable » du décret est de prévenir l’introduction et la propagation de la COVID-19. Ce caractère véritable ressort également clairement des dispositions du décret de février, y compris les mesures contestées. En d’autres termes, le moyen envisagé dans le décret de février pour atteindre son objectif consiste à mettre en œuvre des mesures visant à détecter les voyageurs internationaux infectés et à les empêcher d’infecter d’autres personnes au Canada. Le fait que le décret de février ne soit pas aussi efficace à cet égard que certains le préféreraient n’est d’aucune utilité pour la présente analyse : Renvoi sur les armes à feu, précité, au paragraphe 18.
[291] J’en arrive à l’étape de la classification de l’analyse. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la prévention ou la réduction de l’introduction et de la propagation de la COVID-19 est un objectif qui relève clairement du paragraphe 91(11) de la Loi constitutionnelle de 1867. À mon avis, il va de soi que le pouvoir d’imposer une quarantaine a été conféré précisément dans le but de prévenir ou de freiner l’introduction et la propagation de maladies transmissibles en provenance de l’étranger.
[292] Cette classification est étayée par les dispositions précises du décret de février qui sont au cœur du présent litige. Ces dispositions traitent de l’obligation de se mettre en quarantaine dans un LHAG ou une IQD. Les demandeurs ont tous fait vigoureusement valoir que les voyageurs qui reviennent au Canada devraient pouvoir se mettre en quarantaine à leur domicile, à la condition d’avoir un plan de quarantaine approprié.
[293] Je conviens avec le défendeur qu’il importe peu qu’il soit depuis longtemps reconnu que les provinces ont compétence en matière de santé et qu’elles ont même le pouvoir de prévenir la propagation d’une épidémie au niveau local. Conformément à la règle du double aspect, le Parlement a également compétence pour adopter des mesures visant à prévenir ou à freiner l’introduction et la propagation de maladies provenant de l’étranger sur le territoire canadien.
[294] Je ne retiens pas l’argument des demandeurs du RNN selon lequel le décret de février est excessif parce qu’il s’applique aux voyageurs par voie aérienne qui vivent à proximité de l’un des quatre aéroports où les vols internationaux sont autorisés à atterrir. Dans la mesure où l’objectif primordial du paragraphe 91(11) peut être considéré comme étant la prévention ou la réduction de l’introduction et de la propagation de maladies provenant de l’étranger sur le territoire canadien, l’adoption de mesures qui s’appliquent à quiconque entre au Canada – même lorsqu’il s’agit d’un voyageur appelé à faire seulement une courte distance après qu’il a franchi la frontière – relève entièrement du pouvoir du Parlement. Sinon, cet objectif important pourrait être sérieusement compromis par ne serait-ce qu’une seule province ou un seul territoire qui n’agirait pas de manière appropriée.
[295] En résumé, pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que le décret de février et les suivants n’excèdent pas les pouvoirs de l’AC, à qui le Parlement a délégué les pouvoirs prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine.
E. Les mesures contestées contreviennent-elles à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits? [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[296] Les demandeurs du RNN font valoir que les mesures contestées contreviennent à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits parce qu’elles privent, sans application régulière de la loi, les voyageurs qui entrent au pays par voie aérienne de leurs biens de nature financière, à savoir l’argent nécessaire pour payer leur séjour dans un LHAG.
[297] L’alinéa 1a) dispose : « Il est par les présentes reconnu et déclaré que […] les libertés fondamentales ci-après énoncé[e]s ont existé et continueront à exister […] a) le droit de l’individu [...] à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi. »
[298] À l’audition des présentes demandes réunies, les demandeurs du RNN ont fait savoir que leur argument sur ce point [traduction]« ne tiendrait plus » si je concluais que le décret de février ne viole pas la Charte, qu’il n’excède pas les pouvoirs énoncés au paragraphe 58(1) de la Loi sur la mise en quarantaine et qu’il n’excède pas les pouvoirs du Parlement. Compte tenu de mes conclusions sur ces questions et étant donné que les seules violations de la Charte auxquelles j’ai conclu se rapportent au décret de janvier, lequel n’a pas été contesté par les demandeurs du RNN, je termine ici mon examen de cette question. Je tiens simplement à faire remarquer incidemment que le problème à l’origine de l’une de ces violations, c’est-à-dire le défaut d’informer Mme Mathis du lieu où se trouvait l’IQD où elle était emmenée, ne se pose plus : voir le paragraphe 213 ci-dessus. L’autre violation ne se rapportait pas aux dispositions du décret de février ou les suivants — à savoir, le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit. Les agents frontaliers devront prendre des dispositions à cet égard à l’avenir, si l’obligation de séjourner dans un LHAG ou une IQD à l’arrivée au Canada est maintenue.
F. Conclusion [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
[299] Pour les motifs exposés à la partie VIII.A de la présente décision, les mesures contestées, en soi, ne violent aucune des dispositions suivantes : les articles 7, 8, 9 et 12, le paragraphe 6(1) ainsi que les alinéas 10b), 11d) et 11e) de la Charte. Toutefois, la manière dont les mesures contestées ont été exécutées à l’égard de la demanderesse Nicole Mathis a porté atteinte aux droits qu’elle tire de l’article 9 et de l’alinéa 10b) de la Charte.
[300] En particulier, (i) le refus des agents des services frontaliers de révéler à Mme Mathis et à son conjoint l’emplacement de l’installation vers laquelle elle était emmenée a porté atteinte au droit que lui garantit l’article 9, et (ii) le fait qu’on ne l’a pas convenablement informée de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat a porté atteinte aux droits qui lui garantit l’alinéa 10b).
[301] Pour les motifs exposés à la partie VIII.B. de la présente décision, la justification de ces violations des droits de Mme Mathis ne peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
[302] Puisque ces violations se rapportaient à un acte gouvernemental ou à une pratique administrative, la réparation appropriée relève du paragraphe 24(1) de la Charte, plutôt que de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1867 : Hutterian Brethren, précité, au paragraphe 67. Toutefois, dans l’avis de question constitutionnelle qu’ils ont signifié au défendeur conformément au paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales, Mme Mathis et les autres demandeurs Spencer-Duesing n’ont pas donné avis de leur intention de solliciter une réparation en application du paragraphe 24(1). Ils ont plutôt uniquement renvoyé aux violations alléguées et à l’article 52. C’est aussi le cas pour les observations écrites qui ont été présentées pour le compte de ces demandeurs. Par conséquent, j’estime qu’une réparation en application du paragraphe 24(1) n’est pas indiquée, même si dans l’avis de demande qui a été déposé pour le compte de Mme Mathis et M. Duesing dans le dossier T-366-21, une réparation était sollicitée en application de cette disposition.
[303] Ma conclusion ne change rien dans les faits étant donné que la preuve établit qu’il y a eu réparation à la première des deux atteintes portées aux droits de Mme Mathis depuis qu’elle a été détenue en vertu du décret de janvier. En vertu du décret de février et des suivants, les voyageurs tenus de séjourner dans un LHAG doivent faire eux-mêmes leur réservation (afin qu’ils connaissent son emplacement), tandis que les voyageurs qui doivent séjourner dans une IQD sont informés des renseignements importants concernant cette installation. Quant à la deuxième violation, les agents des services frontaliers savent dorénavant qu’ils doivent clairement informer les voyageurs de leur droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat d’une manière facile à comprendre, et ce, dès le début de la détention.
[304] Pour les motifs exposés à la partie VIII.C. de la présente décision, je conclus également que les décrets contenant les mesures contestées relèvent des pouvoirs de l’AC et ne sont pas déraisonnables.
[305] Pour les motifs exposés à la partie VIII.D. de la présente décision, je conclus que les décrets contenant les mesures contestées relèvent de la compétence du gouvernement fédéral.
[306] Enfin, pour les motifs expliqués à la partie VIII.E. de la présente décision, les mesures contestées ne contreviennent pas à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits.
[307] Par conséquent, les demandes seront rejetées.
[308] Étant donné que la pandémie de COVID-19 peut continuer d’évoluer et que de nouveaux variants préoccupants peuvent continuer d’apparaître, j’estime qu’il est utile de formuler quelques observations finales. Elles sont d’autant plus importantes, car le défendeur, pressé d’expliquer pourquoi des mesures de contrôle frontalier plus strictes n’avaient pas été imposées, a répondu que l’une des raisons était la Charte. En outre, le gouvernement fédéral pourrait devoir agir rapidement pour répondre aux menaces que peuvent présenter des variants préoccupants nouveaux ou existants.
[309] En bref, j’estime que les principes de justice fondamentale permettraient l’imposition de mesures de contrôle frontalier plus strictes si l’AC était d’avis que les conditions préalables énoncées aux alinéas 58(1)a) à d) de la Loi sur la mise en quarantaine sont remplies. Il pourrait s’agir par exemple d’une période de quarantaine plus longue à la frontière. À mon avis, il ne serait pas nécessaire de recourir à l’article premier de la Charte pour imposer une telle mesure.
[310] En plus de sauver plus de vies et d’épargner des souffrances majeures, en particulier celles des personnes qui seraient hospitalisées ou qui souffriraient de symptômes graves sur une longue période, une telle mesure pourrait bien contribuer à d’autres objectifs importants. Par exemple, celui de modifier la perception de certains, comme les demandeurs en l’espèce, qui croient que des mesures moins strictes et moins uniformément appliquées sont injustes et ne contribuent pas réellement à empêcher l’entrée et la propagation de la COVID-19 et de variants préoccupants.
[311] Je reconnais que ceux qui ont des résidences secondaires à l’étranger ou d’autres bonnes raisons de voyager peuvent ne pas se réjouir de telles mesures, surtout s’ils doivent payer pour certaines d’entre elles. Cependant, comme en temps de guerre et d’autres crises, les pandémies exigent des sacrifices pour sauver des vies et éviter des souffrances généralisées. Même si certains refusent de faire de tels sacrifices, et adoptent des comportements qui présentent un risque avéré pour la santé et la sécurité d’autrui, les principes de justice fondamentale n’empêchent pas l’État de s’acquitter de sa fonction essentielle de protéger ses citoyens contre ce risque : Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, au paragraphe 1; R. v. Jones (2006), 81 O.R. (3d) 481, 2006 CanLII 28086 (C.A. Ont.), au paragraphe 31. Bien entendu, comme d’autres principes, les principes de justice fondamentale ont leurs limites. J’estime toutefois qu’il y a actuellement encore un peu de marge de manœuvre à l’intérieur de ces limites, avant que le recours à l’article premier de la Charte ne soit nécessaire.
JUGEMENT dans les dossiers T-340-21, T-341-21, T-366-21, T-480-21
LA COUR STATUE COMME SUIT :
1. Les présentes demandes sont rejetées.
2. Les parties sont invitées à s’entendre sur la question des dépens. Si elles ne peuvent arriver à s’entendre, elles devront présenter des observations qui tiennent compte des conclusions auxquelles je suis parvenu sur chacune des questions en litige. Les demandeurs réunis en un seul groupe et le défendeur devront produire leurs observations au plus tard à la fermeture des bureaux le 25 juin 2021, et ces observations ne devront pas dépasser cinq pages.
Annexe 1 – Les dispositions législatives applicables [Retour à la TABLE DES MATIÈRES]
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]
Droits et libertés au Canada
1 La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.
[…]
Liberté de circulation
6 (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.
[…]
Vie, liberté et sécurité
7 Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Fouilles, perquisitions ou saisies
8 Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Détention ou emprisonnement
9 Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.
Arrestation ou détention
10 Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :
[…]
b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;
[…]
Affaires criminelles et pénales
11 Tout inculpé a le droit :
[…]
d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;
e) de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable;
[…]
Cruauté
12 Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
[…]
Recours en cas d’atteinte aux droits et libertés
24 (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
[…]
Primauté de la Constitution du Canada
52 (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Loi sur la mise en quarantaine, L.C. 2005, ch. 20
Interdiction d’entrer
58 (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, interdire ou assujettir à des conditions l’entrée au Canada de toute catégorie de personnes qui ont séjourné dans un pays étranger ou dans une région donnée d’un pays étranger s’il est d’avis :
a) que le pays du séjour est aux prises avec l’apparition d’une maladie transmissible;
b) que l’introduction ou la propagation de cette maladie présenterait un danger grave et imminent pour la santé publique au Canada;
c) que l’entrée au Canada de ces personnes favoriserait l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada;
d) qu’il n’existe aucune autre solution raisonnable permettant de prévenir l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada.
Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021-11, (2021) Gaz. C. I, 362 (Loi sur la mise en quarantaine) [décret de janvier]
Définitions
1 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent décret.
[…]
isolement Mise à l’écart de personnes qui ont des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles sont atteintes de la COVID-19, qui présentent des signes et symptômes de la COVID-19 ou qui se savent atteintes de la COVID-19, de manière à prévenir la propagation de la maladie. (isolation)
[…]
quarantaine Mise à l’écart de personnes de manière à prévenir la propagation éventuelle de maladies. (quarantine)
[…]
Entrée à bord d’un aéronef — essai moléculaire relatif à la COVID-19 et plan de quarantaine
1.2 (1) Toute personne qui entre au Canada à bord d’un aéronef est tenue de satisfaire aux exigences suivantes :
a) elle doit, avant de monter à bord de l’aéronef pour le vol à destination du Canada, faire ce qui suit :
(i) si elle est âgée d’au moins cinq ans et sous réserve du paragraphe (2), présenter à l’exploitant de l’aéronef la preuve, contenant les précisions ci-après, qu’elle a obtenu, soit un résultat négatif à un essai moléculaire relatif à la COVID-19 qui a été effectué sur un échantillon prélevé dans les soixante-douze heures, ou dans une autre période prévue sous le régime de la Loi sur l’aéronautique, précédant l’heure de départ de l’aéronef prévue initialement, soit un résultat positif à cet essai qui a été effectué sur un échantillon prélevé dans la période minimale de quatorze jours et maximale de quatre-vingt-dix jours précédant l’heure de départ de l’aéronef prévue initialement :
(A) le nom et la date de naissance de la personne,
(B) le nom et l’adresse municipale du laboratoire qui a effectué l’essai,
(C) la date à laquelle l’échantillon a été prélevé et le procédé utilisé,
(D) le résultat de l’essai,
Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID-19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021-75, (2021) Gaz. C. I, 673 (Loi sur la mise en quarantaine) [décret de février, tel que modifié]
1.2 (1) […]
(ii) sous réserve du paragraphe 3, fournir au ministre de la Santé, à l’agent de contrôle ou à l’agent de quarantaine :
(A) d’une part, un plan approprié de quarantaine,
(B) d’autre part, la preuve du paiement d’un hébergement prépayé lui permettant de demeurer en quarantaine, pendant la période de trois jours qui commence le jour de son entrée au Canada, dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement,
(iii) utiliser le moyen électronique précisé par le ministre de la Santé pour lui fournir le plan approprié de quarantaine visé à la division (ii)(A) et la preuve du prépaiement visé à la division (ii)(B), à moins qu’elle n’appartienne à une catégorie de personnes qui, selon ce que conclut ce dernier, sont incapables de le fournir par ce moyen électronique pour un motif tel un handicap, l’absence d’une infrastructure convenable, une panne de service ou un désastre naturel, auquel cas elle lui fait parvenir le plan selon les modalités — de temps et autres — fixées par lui;
b) elle conserve la preuve visée au sous-alinéa a)(i) pendant la période de quatorze jours qui commence le jour de son entrée au Canada ou, le cas échéant, qui recommence aux termes des paragraphes 3(2) ou 4(4).
[…]
Plan approprié de quarantaine
1.3 Le plan approprié de quarantaine visé à la division 1.2(1)(a)(ii)(A) doit satisfaire aux exigences suivantes :
a) il contient les renseignements suivants :
(i) dans le cas où la personne entre au Canada par voie terrestre, l’adresse municipale du lieu où elle entend se mettre en quarantaine pendant la période de quatorze jours qui commence le jour de son entrée au Canada,
(ii) dans le cas où elle entre au Canada à bord d’un aéronef :
(A) d’une part, le nom et l’adresse du lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement où elle entend se mettre en quarantaine pendant la période qui commence le jour de son entrée au Canada et y demeurer en quarantaine jusqu’au moment où elle reçoit le résultat de l’essai moléculaire visé au sous-alinéa 1.4(1)a)(i),
(B) l’adresse municipale du lieu où elle entend se mettre en quarantaine pendant la période qui commence le jour où elle reçoit la preuve d’un résultat négatif à l’essai moléculaire visé au sous-alinéa 1.4(1)a)(i) et y demeurer en quarantaine pendant le reste de la période de quatorze jours qui commence le jour de son entrée au Canada,
(iii) les renseignements permettant de la joindre pendant la période de quatorze jours qui commence le jour de son entrée au Canada;
b) il indique que le lieu visé à l’alinéa a)(i) ou à la division a)(ii)(B), selon le cas, lui permet d’éviter d’entrer en contact pendant la période de quatorze jours qui commence le jour de son entrée au Canada, avec toute personne qui n’a pas voyagé avec elle, à moins qu’il ne s’agisse d’un mineur et d’un parent ou d’un tuteur qui fournit un soutien ou des soins au mineur;
c) il indique que nul ne sera présent dans le lieu visé au sous-alinéa a)(i) ou à la division a)(ii)(B), selon le cas, hormis quiconque y réside habituellement;
d) il indique qu’elle aura un accès à une chambre à coucher dans le lieu visé au sous-alinéa a)(i) ou à la division a)(ii)(B), selon le cas, distincts de celles utilisées par les personnes qui n’ont pas voyagé et ne sont pas entrées au Canada avec elle;
e) il indique que le lieu visé au sous-alinéa a)(i) ou à la division a)(ii)(B), selon le cas, lui permet d’obtenir des objets ou des services pour combler ses besoins essentiels sans devoir le quitter;
f) il indique que le lieu visé au sous-alinéa a)(i) ou à la division a)(ii)(B), selon le cas, lui permet d’éviter d’entrer en cont10act avec des personnes vulnérables — autres qu’un adulte consentant ou le parent ou l’enfant à charge dans une relation parent-enfant — et des personnes qui leur fournissent des soins;
g) il indique que le lieu visé au sous-alinéa a)(i) ou à la division a)(ii)(B), selon le cas, lui permet d’éviter d’entrer en contact avec tout fournisseur de soins de santé et toute personne qui travaille ou aide dans un établissement, un foyer ou un lieu de travail où des personnes vulnérables sont présentes.
[…]
Obligations
3 (1) Toute personne qui entre au Canada et qui ne présente pas de signes et symptômes de la COVID-19 est tenue, à la fois :
a) si elle entre au Canada à bord d’un aéronef, de se mettre en quarantaine sans délai conformément aux instructions de l’agent de contrôle ou de l’agent de quarantaine dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement et d’y demeurer en quarantaine jusqu’au moment où elle reçoit le résultat de l’essai moléculaire visé au sous-alinéa 1.4(1)a)(i);
a.1) si elle entre au Canada à bord d’un moyen de transport autre qu’un aéronef, de se mettre en quarantaine sans délai conformément aux instructions de l’agent de contrôle ou de l’agent de quarantaine dans un lieu qui remplit les conditions ci-après et d’y demeurer en quarantaine jusqu’à l’expiration de la période de quatorze jours qui commence le jour de son entrée au Canada :
(i) il est jugé approprié par l’administrateur en chef, compte tenu du danger pour la santé publique que présente la COVID-19, de la probabilité que la personne ait été exposée à la COVID-19 avant son entrée au Canada ou de la mesure dans laquelle elle l’a été et de tout autre facteur qu’il juge pertinent,
(ii) il permet à la personne d’éviter d’entrer en contact avec des personnes vulnérables autres que des adultes consentants ou le parent ou l’enfant à charge dans une relation parent-enfant,
(iii) il permet à la personne d’obtenir des objets ou des services pour combler ses besoins essentiels sans devoir le quitter;
[…]
Accommodation — expense [sic]
(1.3) Il est entendu que toute personne visée à l’alinéa (1)a) doit satisfaire aux conditions prévues à cet alinéa à ses propres frais, à moins que Sa Majesté du chef du Canada ou un mandataire de cette dernière payent ces frais ou fournissent l’hébergement.
[…]
Incapacité de se mettre en quarantaine
4 (1) La personne visée à l’article 3 est considérée comme incapable de se mettre en quarantaine si, selon le cas :
a) elle n’a pas fourni la preuve visée à l’alinéa 1.1(1)a) ou au sous-alinéa 1.2(1)a)(i), à moins qu’elle soit soustraite à cette exigence par application du paragraphe 1.1(2) ou 1.2(2);
b) elle refuse de subir un essai moléculaire relatif à la COVID-19 conformément à l’alinéa 1.4(1)a);
c) elle n’a pas fourni de plan approprié de quarantaine conformément au présent décret;
d) elle ne peut se mettre en quarantaine conformément aux alinéas 3(1)a) ou a.1), selon le cas, ou à l’alinéa b);
e) pendant qu’elle demeure en quarantaine dans un lieu d’hébergement autorisé par le gouvernement visé à l’alinéa 3(1)a), elle commence à présenter des signes et symptômes de laCOVID-19, obtient un résultat positif à tout type d’essai relatif à la COVID-19 ou est exposée à une autre personne qui en présente.
[…]
Obligations — quarantaine dans une installation de quarantaine
(2) La personne qui est considérée comme incapable de se mettre en quarantaine à son entrée au Canada ou à tout autre moment pendant la période de quatorze jours prévue à l’article 3 est tenue, à la fois :
a) si l’agent de contrôle ou l’agent de quarantaine l’ordonne, de prendre tout véhicule fourni par le gouvernement du Canada pour se rendre à l’installation de quarantaine ou pour être transférée d’une telle installation à une autre;
b) de se soumettre en quarantaine sans délai :
(i) soit à l’installation de quarantaine, conformément aux instructions de l’agent de contrôle ou de l’agent de quarantaine, et de demeurer en quarantaine à l’installation, ou à toute autre installation de quarantaine à laquelle elle est subséquemment transférée, jusqu’à l’expiration de la période de quatorze jours,
(ii) soit à tout autre lieu que l’agent de quarantaine juge approprié, conformément aux instructions de l’agent de quarantaine, et de demeurer en quarantaine à ce lieu, ou à tout autre lieu auquel elle est subséquemment transférée, jusqu’à l’expiration de la période de quatorze jours;
c) dans le cas où la personne est considérée comme incapable de se mettre en quarantaine dans les quarante-huit heures suivant son entrée au Canada, de signaler son arrivée à l’installation de quarantaine à l’agent de contrôle ou à l’agent de quarantaine à cette installation, et ce dans les quarante-huit heures suivant son entrée au Canada, à moins que la personne ait déjà signalé son arrivée au lieu de quarantaine en application de l’alinéa 3(1)b);
d) sous réserve du paragraphe (3), de faire ce qui suit, jusqu’à l’expiration de cette période de quatorze jours :
(i) vérifier la présence de signes et symptômes de la COVID-19,
(ii) communiquer quotidiennement à l’agent de contrôle ou à l’agent de quarantaine à l’installation de quarantaine son état de santé relativement aux signes et symptômes de la COVID-19,
(iii) dans le cas où elle commence à présenter des signes et symptômes de la COVID-19 ou obtient un résultat positif à tout essai relatif à la COVID-19, suivre les instructions de l’autorité sanitaire précisée par l’agent de contrôle ou l’agent de quarantaine;
e) de subir, pendant qu’elle demeure à l’installation de quarantaine, tout contrôle médical exigé par l’agent de quarantaine.
[…]
Choix — installation de quarantaine
5 Lorsqu’il choisit l’installation de quarantaine pour l’application du paragraphe 4(2), l’administrateur en chef tient compte des facteurs suivants :
a) le danger pour la santé publique que présente la COVID-19;
b) la possibilité de contrôler l’accès à l’installation de quarantaine;
c) la capacité de l’installation de quarantaine;
d) la possibilité d’y mettre des personnes en quarantaine;
e) la probabilité que la personne ait été exposée à la COVID-19 avant son entrée au Canada ou la mesure dans laquelle elle l’a été;
f) tout autre facteur qu’il juge pertinent.
Non-application — obligation de se mettre en quarantaine
6 (1) Les alinéas 3(1)a) ou a.1), selon le cas, et l’alinéa b), le sous-alinéa 3(1)c)(ii) et l’article 4 ne s’appliquent pas, sous réserve du paragraphe (2), aux personnes suivantes :
a) le membre d’équipage, au sens du paragraphe 101.01(1) du Règlement de l’aviation canadien, et la personne qui entre au Canada seulement pour devenir un tel membre d’équipage;
b) le membre d’équipage, au sens du paragraphe 3(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, et la personne qui entre au Canada seulement pour devenir un tel membre d’équipage;
c) la personne qui entre au Canada à l’invitation du ministre de la Santé afin de participer aux efforts de lutte contre la COVID-19;
d) le membre des Forces canadiennes ou d’une force étrangère présente au Canada au sens de l’article 2 de la Loi sur les forces étrangères présentes au Canada qui entre au Canada afin d’exécuter ses tâches à ce titre;
e) la personne qui, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie de personnes, fournira un service essentiel, selon ce que conclut l’administrateur en chef, si elle respecte les conditions qui lui sont imposées par ce dernier pour réduire le risque d’introduction ou de propagation de la COVID-19;
f) la personne dont la présence au Canada, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie de personnes, est dans l’intérêt national, selon ce que conclut le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ou le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, si elle respecte les conditions qui lui sont imposées par le ministre compétent pour réduire le risque d’introduction ou de propagation de la COVID-19;
g) la personne qui est autorisée à travailler au Canada afin d’offrir des services d’urgence en vertu de l’alinéa 186t) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et qui entre au Canada afin d’offrir de tels services;
h) la personne qui entre au Canada afin de fournir des soins médicaux, de transporter ou de collecter de l’équipement, des fournitures ou des traitements médicaux essentiels ou de faire la livraison, l’entretien ou la réparation d’équipements ou d’instruments qui sont nécessaires du point de vue médical, si elle ne prodigue pas directement de soins à une personne âgée de soixante-cinq ans ou plus pendant la période de quatorze jours qui commence le jour de son entrée au Canada;
i) la personne qui entre au Canada afin d’y recevoir, dans les trente-six heures suivantes, des services ou traitements médicaux essentiels non liés à la COVID-19, si elle est sous supervision médicale pendant la période de quatorze jours qui commence le jour de son entrée au Canada;
i.1) le citoyen canadien, le résident permanent, le résident temporaire, la personne protégée ou la personne inscrite à titre d’Indien sous le régime de la Loi sur les Indiens qui réside au Canada et qui a reçu des services ou traitements médicaux essentiels dans un pays étranger, si elle détient les preuves suivantes :
(i) une preuve écrite d’un professionnel de la santé titulaire d’une licence ou d’un permis d’exercice au Canada indiquant qu’il est nécessaire qu’elle reçoive des services ou traitements médicaux dans un pays étranger,
(ii) une preuve écrite d’un professionnel de la santé titulaire d’une licence ou d’un permis d’exercice dans le pays étranger indiquant qu’elle a reçu des services ou traitements médicaux dans ce pays;
j) la personne qui est autorisée à travailler au Canada à titre d’étudiant dans un domaine lié à la santé, en vertu de l’alinéa 186p) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, et qui entre au Canada afin d’exercer ses fonctions, si elle ne prodigue pas directement de soins à une personne âgée de soixante-cinq ans ou plus pendant la période de quatorze jours qui commence le jour de son entrée au Canada;
k) le professionnel de la santé titulaire d’une licence ou d’un permis d’exercice qui détient une preuve d’emploi au Canada et qui entre au Canada afin d’exercer ses fonctions, s’il ne prodigue pas directement de soins à une personne âgée de soixante-cinq ans ou plus pendant la période de quatorze jours qui commence le jour de son entrée au Canada;
l) la personne, notamment le capitaine, le matelot de pont, l’observateur, l’inspecteur, le scientifique et toute autre personne appuyant des activités liées à la pêche commerciale ou à la recherche en matière de pêche, qui entre au Canada à bord d’un bateau de pêche canadien ou d’un bateau de pêche étranger au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la protection des pêches côtières dans le but de participer à des activités de pêche ou liées à la pêche, notamment le déchargement du poisson, les réparations, le ravitaillement du bateau et le remplacement de l’équipage;
m) le résident habituel d’une collectivité intégrée existant des deux côtés de la frontière entre le Canada et les États-Unis qui entre au Canada à l’intérieur des limites frontalières de cette collectivité, si l’entrée au Canada est nécessaire pour vaquer à ses activités quotidiennes au sein de celle-ci;
n) la personne qui entre au Canada pour revenir à son lieu de résidence habituel au Canada après avoir vaqué à ses activités quotidiennes qui, compte tenu des contraintes géographiques, nécessitent l’entrée aux États-Unis;
o) la personne qui cherche à entrer au Canada à bord d’un bâtiment au sens de l’article 2 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada qui effectue de la recherche et qui est exploité, soit par le gouvernement du Canada, ou à sa demande ou avec son autorisation, soit par le gouvernement d’une province, une administration locale ou une entité — gouvernement, conseil ou autre — autorisée à agir pour le compte d’un groupe autochtone, si elle demeure sur le bâtiment;
p) l’étudiant inscrit à un établissement répertorié au sens de tout décret pris en vertu de l’article 58 de la Loi sur la mise en quarantaine qui fréquente régulièrement l’établissement et qui entre au Canada pour s’y rendre, si le gouvernement de la province et l’autorité sanitaire du lieu où celui-ci se trouve ont indiqué à l’Agence de la santé publique du Canada que l’établissement est approuvé comme étant apte à recevoir des étudiants soustraits à l’alinéa 3(1)a) et à l’article 4;
q) le conducteur d’un véhicule qui entre au Canada pour déposer ou prendre à l’établissement visé à l’alinéa p) un étudiant qui y est inscrit, s’il ne quitte le véhicule au Canada que pour accompagner l’étudiant entre le véhicule et l’établissement répertorié, le cas échéant, et s’il porte un masque lorsqu’il se trouve hors de son véhicule;
r) l’étudiant inscrit à un établissement d’enseignement aux États-Unis qui fréquente régulièrement l’établissement et qui entre au Canada afin de retourner à son lieu de résidence habituel après s’être rendu à cet établissement, s’il ne prodigue pas directement de soins à une personne âgée de soixante-cinq ans ou plus;
s) le conducteur d’un véhicule qui entre au Canada après avoir déposé ou pris un étudiant à l’établissement visé à l’alinéa r) où l’étudiant est inscrit et qui entre au Canada afin de retourner à son lieu de résidence habituel après s’y être rendu, s’il n’a quitté le véhicule à l’extérieur du Canada que pour accompagner l’étudiant entre le véhicule et l’établissement, le cas échéant, et s’il a porté un masque lorsqu’il s’est trouvé hors de son véhicule;
t) l’enfant à charge qui entre au Canada en vertu d’une entente écrite ou d’une ordonnance judiciaire en matière de garde, d’accès ou de rôle parental;
u) le conducteur d’un véhicule qui entre au Canada pour déposer ou prendre un enfant à charge en vertu d’une entente écrite ou d’une ordonnance judiciaire en matière de garde, d’accès ou de rôle parental, s’il ne quitte le véhicule au Canada que pour déposer l’enfant à charge ou le faire entrer dans le véhicule, le cas échéant, et s’il porte un masque lorsqu’il se trouve hors de son véhicule;
v) le conducteur d’un véhicule qui entre au Canada après avoir déposé ou pris un enfant à charge en vertu d’une entente écrite ou d’une ordonnance judiciaire en matière de garde, d’accès ou de rôle parental, s’il n’a quitté le véhicule à l’extérieur du Canada que pour déposer l’enfant à charge ou le faire entrer dans le véhicule, le cas échéant, et s’il a porté un masque lorsqu’il s’est trouvé hors de son véhicule;
w) le résident habituel des collectivités éloignées de Northwest Angle (Minnesota) ou de Hyder (Alaska) qui entre au Canada seulement pour obtenir des objets ou des services pour combler ses besoins essentiels dans la collectivité canadienne la plus proche où de tels objets ou services sont disponibles;
x) le résident habituel des collectivités éloignées de l’île Campobello (Nouveau-Brunswick) ou de Stewart (Colombie-Britannique) qui entre au Canada après être entré aux États-Unis seulement pour obtenir des objets ou des services pour combler ses besoins essentiels dans la collectivité américaine la plus proche où de tels objets ou services sont disponibles;
y) la personne qui entre au Canada à bord d’un véhicule à un poste frontalier dans l’une des circonstances ci-après, si elle est demeurée dans le véhicule durant son séjour à l’extérieur du Canada et, le cas échéant, si aucune autre personne à bord du véhicule ne l’a quitté durant le séjour :
(i) elle s’est vu refuser le droit d’entrer aux États-Unis au poste frontalier,
(ii) elle est entrée sur le territoire des États-Unis, mais n’a pas cherché à obtenir le droit d’entrer aux États-Unis au poste frontalier.
[…]
Non-application — personnes participant à un projet
6.2 (1) Les alinéas 3(1)a) ou a.1), selon le cas, et l’alinéa b), le sous-alinéa 3(1)c)(ii) et l’article 4 ne s’appliquent pas, sous réserve du paragraphe (2), à la personne qui, en vertu d’un arrangement conclu entre le ministre de la Santé et son homologue chargé de la santé dans la province où cette personne entre au Canada, participe à un projet visant à recueillir des renseignements pour orienter l’élaboration d’obligations en matière de quarantaine autres que celles prévues dans le présent décret, si elle respecte les conditions qui lui sont imposées par le ministre de la Santé pour réduire le risque d’introduction ou de propagation de la COVID-19.
Non-application — personne tenue de fournir la preuve
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à la personne qui est tenue de fournir la preuve visée à l’alinéa 1.1(1)a) ou au sous-alinéa 1.2(1)a)(i), mais qui omet de la faire, à moins qu’elle reçoive subséquemment la preuve d’un résultat négatif à tout essai relatif à la COVID-19 ou l’autorisation de l’agent de quarantaine de quitter l’installation de quarantaine ou l’autre lieu que celui-ci a jugé approprié.
Non-application — raison médicale
7 (1) Les alinéas 3(1)a) ou a.1), selon le cas, et l’article 4 ne s’appliquent pas :
a) pour la durée soit de toute urgence médicale, soit de tout service ou traitement médicaux essentiels, obligeant la personne visée à se rendre ou à être amenée à un établissement de santé qui, dans le cas de la personne qui se trouve dans une installation de quarantaine, est situé à l’extérieur de l’installation de quarantaine;
b) pour la durée nécessaire afin de permettre à la personne de subir un essai moléculaire relatif à la COVID-19.
Non-application — motifs d’ordre humanitaire
7.1 (1) Les alinéas 3(1)a) ou a.1), selon le cas, et l’article 4 ne s’appliquent pas, sous réserve du paragraphe (3), si le ministre de la Santé, à la fois :
a) conclut que la personne visée cherche à éviter de se mettre en quarantaine ou à interrompre sa quarantaine, selon le cas, afin d’accomplir l’une des actions suivantes :
(i) fournir un soutien à un citoyen canadien, à un résident permanent, à un résident temporaire, à une personne protégée ou à une personne inscrite à titre d’Indien sous le régime de la Loi sur les Indiens qui réside au Canada et qu’un professionnel de la santé titulaire d’une licence ou d’un permis d’exercice juge gravement malade, ou assister au décès d’une telle personne,
(ii) fournir des soins à un citoyen canadien, à un résident permanent, à un résident temporaire, à une personne protégée ou à une personne inscrite à titre d’Indien sous le régime de la Loi sur les Indiens qui réside au Canada et qui, selon un professionnel de la santé titulaire d’une licence ou d’un permis d’exercice, nécessite du soutien pour une raison médicale,
(iii) assister à des funérailles ou à une cérémonie de fin de vie;
b) n’a pas été avisé, par écrit, par le gouvernement de la province où sera accomplie l’action visée à l’alinéa a) qu’il s’oppose à la non-application de l’alinéa 3(1)a) et de l’article 4 aux personnes qui accomplissent l’action visée à l’alinéa a) dans la province;
c) dans le cas où la personne visée entend accomplir l’action visée à l’alinéa a) dans tout lieu autre qu’un lieu public extérieur, conclut que le responsable du lieu ne s’oppose pas à ce que cette dernière s’y trouve afin d’accomplir cette action.
[…]
Non-application — événement unisport international
7.2 (1) Les alinéas 3(1)a) ou a.1), selon le cas, et l’alinéa b), le sous-alinéa 3(1)c)(ii) et l’article 4 ne s’appliquent pas, sous réserve du paragraphe (5), à la personne à laquelle une lettre d’autorisation a été délivrée en vertu du paragraphe (2) et qui entre au Canada pour participer à un événement unisport international comme athlète de haut niveau ou pour remplir des fonctions essentielles liées à l’événement, si elle est affiliée à un organisme national responsable du sport en cause.
[…]
Obligations
9 Toute personne qui entre au Canada et qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’elle est atteinte de la COVID-19, qui présente des signes et symptômes de la COVID-19 ou qui se sait atteinte de la COVID-19 et toute personne qui a voyagé avec elle sont tenues, à la fois :
a) de s’isoler sans délai conformément aux instructions de l’agent de contrôle ou de l’agent de quarantaine dans une installation de quarantaine et d’y demeurer en isolement jusqu’au moment où elles reçoivent le résultat de l’essai moléculaire visé au sous-alinéa 1.4(1)a)(i);
b) si elles reçoivent la preuve d’un résultat positif à l’essai moléculaire visé au sous-alinéa 1.4(1)a) ou subi suivant un protocole d’essai alternatif visé au paragraphe 1.5(1), de s’isoler sans délai conformément aux instructions de l’agent de contrôle ou de l’agent de quarantaine dans un lieu qui remplit les conditions ci-après et d’y demeurer en isolement pendant le reste de la période de quatorze jours qui commence le jour de leur entrée au Canada :
(i) il est jugé approprié par l’administrateur en chef, compte tenu du danger pour la santé publique que présente la COVID-19, de la probabilité que ces personnes aient été exposées à la COVID-19 avant leur entrée au Canada ou de la mesure dans laquelle elles l’ont été et de tout autre facteur qu’il juge pertinent,
(ii) il permet à ces personnes d’éviter d’entrer en contact avec des personnes vulnérables autres qu’un adulte consentant ou le parent ou l’enfant à charge dans une relation parent-enfant,
(iii) il permet à ces personnes d’obtenir des objets ou des services pour combler leurs besoins essentiels sans devoir le quitter;
c) de signaler, par tout moyen électronique ou par appel téléphonique à un numéro précisés par le ministre de la Santé, leur arrivée au lieu d’isolement et de fournir, de la même manière, l’adresse municipale de celui-ci, et ce dans les quarante-huit heures suivant leur entrée au Canada;
d) de subir, pendant la période de quatorze jours, tout contrôle médical exigé par l’agent de quarantaine, de vérifier ses signes et symptômes de la COVID-19 et, si elles nécessitent des soins médicaux additionnels, de communiquer avec l’autorité sanitaire précisée par l’agent de contrôle ou l’agent de quarantaine.
Incapacité de s’isoler
10 (1) La personne visée à l’article 9 est considérée comme incapable de s’isoler si, selon le cas :
a) elle n’a pas fourni la preuve visée à l’alinéa 1.1(1)a) ou au sous-alinéa 1.2(1)a)(i), à moins qu’elle soit soustraite à cette exigence par application des paragraphes 1.1(2) ou 1.2(2), selon le cas;
b) elle refuse de subir un essai moléculaire relatif à la COVID-19 conformément à l’alinéa 1.4(1)a);
c) il lui est nécessaire de prendre un moyen de transport public, notamment un aéronef, un autocar, un train, le métro, un taxi ou un service de covoiturage, pour se rendre à son lieu d’isolement depuis le lieu de son entrée au Canada;
d) elle ne peut s’isoler conformément à l’alinéa 9a);
e) elle reçoit la preuve d’un résultat positif à l’essai moléculaire visé au sous-alinéa 1.4(1)a)(i) pendant qu’elle demeure en isolement dans une installation de quarantaine conformément à l’alinéa 9a);
f) elle a voyagé avec une personne qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’elle est atteinte de la COVID-19, qui présente des signes et symptômes de la COVID-19 ou qui se sait atteinte de la COVID-19.
Obligations — isolement dans une installation de quarantaine
(2) La personne qui, à son entrée au Canada ou à tout autre moment pendant la période de quatorze jours prévue à l’article 9, est considérée incapable de s’isoler est tenue, à la fois :
a) si l’agent de contrôle ou l’agent de quarantaine l’ordonne, de prendre tout véhicule fourni par le gouvernement du Canada pour se rendre à l’installation de quarantaine ou pour être transférée d’une telle installation à une autre;
b) de se soumettre à l’isolement sans délai :
(i) soit à l’installation de quarantaine, conformément aux instructions de l’agent de contrôle ou de l’agent de quarantaine, et de demeurer en isolement à l’installation, ou à toute autre installation de quarantaine à laquelle elle est subséquemment transférée, jusqu’à l’expiration de la période de quatorze jours,
(ii) soit à tout autre lieu que l’agent de quarantaine juge approprié, conformément aux instructions de ce dernier, et de demeurer en isolement à ce lieu, ou à tout autre lieu auquel elle est subséquemment transférée, jusqu’à l’expiration de la période de quatorze jours;
c) dans le cas où elle est considérée comme incapable de s’isoler dans les quarante-huit heures suivant son entrée au Canada, de signaler son arrivée à l’installation de quarantaine à l’agent de contrôle ou à l’agent de quarantaine à cette installation, et ce dans les quarante-huit heures suivant son entrée au Canada, à moins qu’elle ait déjà signalé son arrivée au lieu d’isolement en application de l’alinéa 9b);
d) de subir tout contrôle médical exigé par l’agent de quarantaine, de vérifier la présence de signes et symptômes de la COVID-19 et, si elle nécessite des soins médicaux additionnels, de communiquer avec l’autorité sanitaire précisée par l’agent de contrôle ou l’agent de quarantaine, et ce jusqu’à l’expiration de la période de quatorze jours.
[…]
Choix — installation de quarantaine
11 Lorsqu’il choisit l’installation de quarantaine pour l’application du paragraphe 10(2), l’administrateur en chef tient compte des facteurs suivants :
a) le danger pour la santé publique que présente la COVID-19;
b) la possibilité de contrôler l’accès à l’installation de quarantaine;
c) la capacité de l’installation de quarantaine;
d) la possibilité d’y isoler des personnes;
e) la probabilité que des personnes aient été exposées à la COVID-19 avant leur entrée au Canada ou la mesure dans laquelle elles l’ont été;
f) tout autre facteur qu’il juge pertinent.
[1] Le Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021‑11, (2021) Gaz. C. I, 362 (Loi sur la mise en quarantaine) (décret de janvier).
[2] Le Décret visant la réduction du risque d’exposition à la COVID‑19 au Canada (quarantaine, isolement et autres obligations), C.P. 2021‑75, (2021) Gaz. C. I, 673 (Loi sur la mise en quarantaine) (décret de février).
[3] Le décret de février a été modifié par l’adjonction des articles 15 à 30, dont l’effet était de modifier différents éléments des articles 1 à 14. Aux fins de la présente décision, c’est à la version modifiée des dispositions du décret de février que je renvoie.
[4] Certains des demandeurs n’ont pas précisé quelles dispositions particulières ils contestaient, outre celles qui concernent l’obligation de se mettre en quarantaine ou de s’isoler dans un LHAG ou une IQD jusqu’à l’obtention des résultats du test exigé le premier jour.
[5] Je souligne qu’au paragraphe 18 de son affidavit, M. Bexte déclare que, lors de ses voyages, du 25 au 28 février 2021, il [traduction] « a suivi les recommandations relatives à la distanciation physique, au lavage des mains et au port du masque lorsque cela était nécessaire ».
[6] Comme nous l’avons vu, les personnes qui refusent de se conformer aux mesures contestées sont passibles d’une amende ne dépassant pas 5 000 $ suivant la Loi sur les contraventions. Les personnes qui contreviennent à la Loi sur la mise en quarantaine sont passibles d’une amende ne dépassant pas 1 000 000 $ et/ou une peine d’emprisonnement d’au plus trois ans.
[7] PGC MFD, DPGC, onglet 12, au paragraphe 113.
[8] Le texte intégral de l’alinéa 58(1)d) de la Loi sur la mise en quarantaine est reproduit au paragraphe 39 ci-dessus et à l’annexe 1 ci-dessous.