A-312-19
2021 CAF 86
Le procureur général du Canada (appelant)
c.
Dr. David Kattenberg et Psagot Winery Ltd. (intimés)
Répertorié : Canada (Procureur général) c. Kattenburg
Cour d’appel fédérale, juge en chef Noël, juges Boivin et Rivoalen, J.C.A.—Par vidéoconférence; Ottawa, 5 mai 2021.
Aliments et Drogues — Étiquetage — Appel visant un jugement de la Cour fédérale, qui a annulé la décision du Bureau des plaintes et des appels de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) selon laquelle des étiquettes comportant la mention [traduction] « “Produit d’Israël” » apposées sur des vins produits en Cisjordanie étaient conformes aux lois canadiennes sur l’étiquetage — La Cour fédérale a conclu que les étiquettes étaient fausses, trompeuses et mensongères — L’Agence a interprété et appliqué les exigences en matière d’étiquetage prévues dans la Loi sur les aliments et drogues et la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation — Les mots de l’Accord de libre‑échange Canada Israël (l’ALÉCI) n’indiquent pas que les territoires occupés font partie d’Israël — Le Canada définit les biens originaires d’un territoire auquel « s’applique la législation douanière d’Israël » comme étant des biens originaires « d’Israël ou d’un autre bénéficiaire de l’ALÉCI » — Cette distinction est conforme à la position officielle du Canada, qui ne reconnaît pas que les territoires occupés font partie d’Israël — L’interprétation de l’Agence n’était pas conforme au texte, au contexte et au but des dispositions législatives — Il a été impossible de déterminer la façon dont l’Agence a interprété ses lois habilitantes pour en venir à la conclusion que les étiquettes étaient conformes, y compris la façon dont elle a pris en considération les questions fondamentales — L’affaire a été renvoyée à l’Agence — Appel rejeté.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — La Cour fédérale a annulé la décision du Bureau des plaintes et des appels de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) selon laquelle des étiquettes comportant la mention [traduction] « “Produit d’Israël” » apposées sur des vins produits en Cisjordanie étaient conformes aux lois canadiennes sur l’étiquetage — La Cour fédérale a conclu que les étiquettes étaient fausses, trompeuses et mensongères — Elle a prononcé sa décision sur le fondement de la norme de la décision raisonnable avant qu’une décision soit rendue dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov (C.S.C.) — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée de la bonne façon — Il fallait déterminer si elle avait appliqué cette norme de la bonne façon compte tenu du droit tel qu’il existe après l’arrêt Vavilov — L’interprétation de l’Agence n’était pas conforme au texte, au contexte et au but des dispositions législatives — Il a été impossible de déterminer la façon dont l’Agence a interprété ses lois habilitantes pour en venir à la conclusion que les étiquettes étaient conformes — L’arrêt Vavilov enseigne que les cours de révision, lorsqu’elles se trouvent devant une absence de raisonnement, doivent s’abstenir de rendre la décision qu’elles considèrent être la bonne et de fournir leur propre raisonnement — Dans le contexte juridique post‑Vavilov, la Cour fédérale n’aurait pas dû se prêter à l’exercice qui était du ressort de l’Agence.
Il s’agissait d’un appel visant un jugement de la Cour fédérale, qui a annulé la décision du Bureau des plaintes et des appels de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) selon laquelle des étiquettes comportant la mention [traduction] « “Produit d’Israël” » apposées sur des vins produits en Cisjordanie étaient conformes aux lois canadiennes sur l’étiquetage.
La Cour fédérale a conclu que les étiquettes étaient fausses, trompeuses et mensongères. À son avis, la décision de l’Agence n’était pas raisonnable au regard de son analyse. Elle a annulé la décision pour ce motif et a renvoyé l’affaire à l’Agence en lui enjoignant de déterminer la façon dont les vins devraient être étiquetés. La Cour fédérale a prononcé sa décision sur le fondement de la norme de la décision raisonnable avant que la Cour suprême rende sa décision dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov.
Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée de la bonne façon.
Arrêt : l’appel doit être rejeté.
Bien que la Cour fédérale ait appliqué la norme de la décision raisonnable avant que l’arrêt Vavilov soit rendu, il fallait déterminer si elle avait appliqué cette norme de la bonne façon compte tenu du droit tel qu’il existe après l’arrêt Vavilov. La Cour suprême a clairement établi dans l’arrêt Vavilov que le tribunal qui effectue un contrôle selon la décision raisonnable doit se concentrer sur la décision rendue et sur le raisonnement qui la justifie. Dans la présente affaire, l’Agence devait interpréter et appliquer les exigences en matière d’étiquetage prévues dans la Loi sur les aliments et drogues (la LAD), et la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation (la LEEPC), et déterminer si les étiquettes en cause étaient fausses ou trompeuses selon le paragraphe 5(1) de la LAD et l’article 7 de la LEEPC. Les mots de l’Accord de libre-échange Canada‑Israël (l’ALÉCI) visent sans le moindre doute Israël et les territoires occupés, dont la Cisjordanie, mais il n’y est pas indiqué que les territoires occupés font partie d’Israël. Dans ses lois nationales, le Canada définit les biens originaires d’un territoire auquel « s’applique la législation douanière d’Israël » comme étant des biens originaires « d’Israël ou d’un autre bénéficiaire de l’ALÉCI ». Cette distinction entre les biens originaires d’Israël et les biens originaires d’autres bénéficiaires de l’ALÉCI, pour déterminer qui a droit aux tarifs préférentiels prévus dans l’ALÉCI, est conforme à la position officielle du Canada, qui ne reconnaît pas que les territoires occupés font partie d’Israël. Lorsque le décideur administratif, comme c’est le cas en l’espèce, procède à l’interprétation d’une disposition législative, il doit démontrer que son interprétation des dispositions pertinentes est conforme au texte, au contexte et au but de ces dispositions. En l’espèce, il n’y a eu aucune démonstration de ce genre. Il a été impossible de déterminer la façon dont l’Agence a interprété ses lois habilitantes pour en venir à la conclusion que les étiquettes étaient conformes, y compris la façon dont elle a pris en considération les questions fondamentales. L’arrêt Vavilov enseigne que les cours de révision, lorsqu’elles se trouvent devant une absence de raisonnement, doivent s’abstenir de rendre la décision qu’elles considèrent être la bonne et de fournir leur propre raisonnement. Dans le contexte juridique post‑Vavilov, la Cour fédérale n’aurait pas dû se prêter à l’exercice qui était du ressort de l’Agence. L’affaire a été renvoyée à l’Agence pour réexamen et nouvelle décision.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].
Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, L.R.C. (1985), ch. C-38, art. 7.
Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27, art. 5.
Règlement définissant certaines expressions pour l’application du Tarif des douanes, DORS/97-62, art. 1 « Israël ou autre bénéficiaire de l’ALÉCI ».
Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. B.02.108.
Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36, art. 50(1).
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de l’État d’Israël, 31 juillet 1996, [1997] R.T. Can. no 49, art. 1.4.1b).
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISION APPLIQUÉE :
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 , [2019] 4 R.C.S. 653.
DÉCISIONS CITÉES :
Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, [2021] 1 R.C.F. 374; Canada (Procureur général) c. Redman, 2020 CAF 209; Manitoba Government and General Employees’ Union v. The Minister of Finance for the Government, 2021 MBCA 36 (CanLII).
DOCTRINE CITÉE
Gouvernement du Canada. « Politique canadienne sur les aspects clés du conflit israélo-palestinien » (19 mars 2019), en ligne : <https ://www.international.gc.ca/world-monde/international_relations-relations_internationales/mena-moan/israeli-palistinian_policy-politique_israelo-palestinien.aspx?lang=fra˃.
APPEL visant un jugement de la Cour fédérale (2009 CF 1003, [2019] 4 R.C.F. 747), qui a annulé la décision du Bureau des plaintes et des appels de l’Agence canadienne d’inspection des aliments selon laquelle des étiquettes comportant la mention [traduction] « “Produit d’Israël” » apposées sur des vins produits en Cisjordanie étaient conformes aux lois canadiennes sur l’étiquetage. Appel rejeté.
ONT COMPARU :
Gail Sinclair, Negar Hashemi et Jennifer Caruso pour l’appelant.
A. Dimitri Lascaris, pour l’intimé Dr. David Kattenburg.
David Elmaleh, pour l’intimée Psagot Winery Ltd.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.
A. Dimitri Lascaris, Montréal, pour l’intimé Dr. David Kattenburg.
RE-LAW LLP, Vaughan, Ontario, pour l’intimée Psagot Winery Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour rendus par
[1] Le juge en chef Noël : Notre Cour est saisie d’un appel visant un jugement de la Cour fédérale (rendu par la juge Mactavish [aujourd’hui juge à la Cour d’appel fédérale]), annulant la décision du Bureau des plaintes et des appels de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) selon laquelle des étiquettes comportant la mention [traduction] « “Produit d’Israël” » apposées sur des vins produits en Cisjordanie étaient conformes aux lois canadiennes sur l’étiquetage (2019 CF 1003, [2019] 4 R.C.F. 747).
[2] La juge de la Cour fédérale a conclu que les étiquettes étaient fausses, trompeuses et mensongères. Elle en est venue à cette conclusion après avoir effectué sa propre analyse des éléments de preuve et des dispositions sur l’étiquetage (les dispositions pertinentes, dans leur version en vigueur au moment où l’Agence a rendu sa décision, sont reproduites à l’annexe 1). À son avis, la décision de l’Agence n’était pas raisonnable au regard de son analyse. Elle a annulé la décision pour ce motif et a renvoyé l’affaire à l’Agence en lui enjoignant de déterminer la façon dont les vins devraient être étiquetés.
[3] La question à trancher est celle de savoir si, en tirant cette conclusion, la juge de la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée de la bonne façon.
La norme de contrôle
[4] Après que la juge de la Cour fédérale a prononcé sa décision, la Cour suprême a rendu son arrêt de principe Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov). Étant donné l’importance de cet arrêt, notre Cour, par une ordonnance datée du 6 octobre 2020, a demandé aux parties de présenter des observations sur l’incidence qu’il pourrait avoir sur le présent appel.
[5] Dans son mémoire des faits et du droit, Dr. Kattenburg a soutenu, comme il l’a fait devant la juge de la Cour fédérale, que la norme de la décision raisonnable n’était pas la norme de contrôle applicable. Il a soutenu que l’interprétation des lois pertinentes conformément au droit international est une question [traduction] « d’importance fondamentale pour le système juridique dans son ensemble », de sorte que la norme applicable était celle de la décision correcte (mémoire de Dr. Kattenburg, au paragraphe 46).
[6] À l’audience, Dr. Kattenburg a reconnu, à juste titre, que la norme applicable était celle de la décision raisonnable. Par ailleurs, l’arrêt Vavilov vient renforcer l’idée que la décision raisonnable était la norme de contrôle qui s’appliquait par défaut en l’espèce (Vavilov, aux paragraphes 59 à 61). Les principes de droit international, à supposer qu’ils influent sur la question à trancher (voir par exemple Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, [2021] 1 R.C.F. 374, aux paragraphes 76 à 92), constituent seulement un élément du contexte servant à éclairer l’interprétation des lois canadiennes en matière d’étiquetage (Vavilov, au paragraphe 114).
L’application de la norme de la décision raisonnable
[7] Nous nous penchons maintenant sur la question de savoir si la norme de la décision raisonnable a été appliquée comme il se doit dans l’affaire dont nous sommes saisis. Bien que la juge de la Cour fédérale ait appliqué cette norme avant que soit rendu l’arrêt Vavilov, notre Cour doit se mettre à la place de la juge de la Cour fédérale et examiner si elle a appliqué cette norme telle qu’elle doit l’être selon l’arrêt Vavilov.
[8] L’arrêt Vavilov donne des indications fondamentales tant sur la nature de la norme de la décision raisonnable que sur son application. En prodiguant ces indications, la Cour suprême a reconnu que sa décision rompait avec certains aspects essentiels de la jurisprudence, mais elle a fait observer qu’il fallait soupeser la certitude juridique par rapport aux coûts liés au fait de continuer à souscrire à une approche erronée.
[9] Le développement le plus important apporté par l’arrêt Vavilov semble être la reconnaissance du fait que, lorsque le législateur constitue un décideur administratif dans le but précis d’administrer un régime législatif, il faut accepter que le législateur voulait également que ce décideur s’acquitte de son mandat et interprète la loi qui s’applique à toutes questions qui lui sont soumises (Vavilov, au paragraphe 24). Cette reconnaissance de la légitimité et de la compétence des décideurs administratifs a pour corollaire l’obligation pour ces derniers d’adhérer à une « culture de la justification » et de fournir un raisonnement motivant les décisions qu’ils prennent dans l’exécution de leur mandat légal (Vavilov, au paragraphe 14).
[10] En affirmant cela, la Cour suprême a clairement établi que le tribunal qui effectue un contrôle selon la décision raisonnable doit se concentrer sur la décision rendue et sur le raisonnement qui la justifie (Vavilov, au paragraphe 83). Des motifs, interprétés eu égard au dossier, qui ne permettent pas au lecteur de comprendre le raisonnement du décideur sur un point crucial constituent en soi un fondement suffisant pour qu’il soit conclu que la décision ne satisfait pas au critère de la décision raisonnable (Vavilov, au paragraphe 103).
[11] C’est précisément ce dont il est question en l’espèce. L’Agence devait interpréter et appliquer les exigences en matière d’étiquetage prévues dans la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27 (la LAD), et la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, L.R.C. (1985), ch. C-38 (la LEEPC), et déterminer si les étiquettes en cause étaient fausses ou trompeuses selon le paragraphe 5(1) de la LAD et l’article 7 de la LEEPC.
[12] Le dossier révèle que la position exprimée par Affaires mondiales Canada au sujet de l’Accord de libre-échange Canada-Israël [Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de l’État d’Israël, 31 juillet 1996], [1997] R.T. Can. no 49 (l’ALÉCI), a joué un rôle déterminant dans la décision qui a été rendue (les dispositions pertinentes de l’ALÉCI, dans sa version en vigueur au moment où l’Agence a rendu sa décision, sont reproduites à l’annexe 2). Bien que l’ALÉCI puisse éclairer le débat, nous ne savons pas pourquoi l’Agence a conclu que cet accord permettait de trancher la question dont elle était saisie au titre de lois en matière d’étiquetage.
[13] Dans son avis à l’Agence, Affaires mondiales Canada affirme que la Cisjordanie est un territoire visé par l’ALÉCI, car c’est un « territoire auquel s’applique la législation douanière d’Israël » (affidavit d’Eric Jeaurond, dossier d’appel, vol. 3, page 491, paragraphe 34, citant l’alinéa 1.4.1b) de l’ALÉCI). Ces mots visent sans le moindre doute Israël et les territoires occupés, dont la Cisjordanie, mais il n’y est pas indiqué que les territoires occupés font partie d’Israël. En effet, dans ses lois nationales, le Canada définit les biens originaires d’un territoire auquel « s’applique la législation douanière d’Israël » comme étant des biens originaires « d’Israël ou d’un autre bénéficiaire de l’ALÉCI » (non souligné dans l’original) (paragraphe 50(1) du Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36; voir également la définition de « Israël ou autre bénéficiaire de l’ALÉCI » [à l’article 1] dans le Règlement définissant certaines expressions pour l’application du Tarif des douanes, DORS/97-62). Cette distinction entre les biens originaires d’Israël et les biens originaires d’autres bénéficiaires de l’ALÉCI, pour déterminer qui a droit aux tarifs préférentiels prévus dans l’ALÉCI, est conforme à la position officielle du Canada, qui ne reconnaît pas que les territoires occupés font partie d’Israël (Gouvernement du Canada, « Politique canadienne sur les aspects clés du conflit israélo-palestinien » (modifié pour la dernière fois le 19 mars 2019), en ligne à l’adresse : <https://www.international.gc.ca/world-monde/international_relations-relations_internationales/mena-moan/israeli-palistinian_policy-politique_israelo-palestinien.aspx?lang=fra˃).
[14] Il va sans dire que l’article B.02.108 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, dans la mesure où il prévoit que les étiquettes de vins doivent mentionner le « pays d’origine », ne peut s’appliquer littéralement lorsque le produit ne vient pas d’un pays reconnu.
[15] Comme la Cour suprême l’explique dans l’arrêt Vavilov, le principe de justification auquel sont tenus les décideurs administratifs n’exige pas que les motifs soient longs ou détaillés; de plus, les motifs doivent être examinés à la lumière du dossier et des observations des parties. Cela dit, indépendamment de la forme qu’ils prennent, lorsque le décideur administratif, comme c’est le cas en l’espèce, procède à l’interprétation d’une disposition législative, il doit démontrer que son interprétation des dispositions pertinentes est conforme au texte, au contexte et au but de ces dispositions (Vavilov, au paragraphe 120, tel qu’appliqué dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Redman, 2020 CAF 209, aux paragraphes 20 et 21). En l’espèce, il n’y a aucune démonstration de ce genre.
[16] Bien qu’il puisse y avoir des affaires où la cour de révision arrive à discerner la façon dont le décideur administratif a interprété les lois pertinentes même si celui-ci n’a pas examiné la question expressément (Vavilov, au paragraphe 123), ce n’est pas le cas en l’espèce. Nous n’avons absolument aucune idée de la façon dont l’Agence a interprété ses lois habilitantes pour en venir à la conclusion que les étiquettes étaient conformes, y compris la façon dont elle a pris en considération les questions fondamentales : par rapport à quoi les mots « faux » et « trompeurs » sont-ils définis, et aux yeux de qui ou du point de vue de qui la question de savoir si les étiquettes sont fausses ou trompeuses doit-elle être examinée?
[17] L’arrêt Vavilov enseigne que les cours de révision, lorsqu’elles se trouvent devant une absence de raisonnement, doivent s’abstenir de rendre la décision qu’elles considèrent être la bonne et de fournir leur propre raisonnement (Vavilov, au paragraphe 96). Cet enseignement ne fait que reconnaître la structure institutionnelle choisie par le législateur lorsqu’il confère à des décideurs administratifs la tâche d’interpréter les lois qu’ils sont appelés à appliquer et la tâche de les appliquer aux faits propres à l’affaire dont ils sont saisis, des exercices vis-à-vis desquels les cours de révision doivent faire preuve de retenue. Il s’ensuit que, dans le contexte juridique post-Vavilov, la juge de la Cour fédérale n’aurait pas dû se prêter à l’exercice qui était du ressort de l’Agence.
[18] La mesure de redressement appropriée est de renvoyer l’affaire à l’Agence pour qu’elle puisse la trancher elle-même. Il ne s’agit pas d’un type d’affaire où l’on peut se dispenser de cette étape au motif que l’issue de l’affaire est évidente (comparer avec Manitoba Government and General Employees’ Union v. The Minister of Finance for the Government, 2021 MBCA 36 (CanLII), aux paragraphes 104 à 108). Dans son réexamen de l’affaire, l’Agence voudra obtenir les observations des parties concernées. Celles-ci comprennent le plaignant Dr. Kattenburg, de même que Psagot Winery Ltd. puisque ce sont ses étiquettes qui sont en cause. L’Agence pourra également recevoir des observations et prendre une décision sur la question de savoir si les droits et libertés garantis par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés] ont un rôle à jouer dans sa prise de décision; là encore elle devra veiller à ce que sa décision soit justifiée par un raisonnement.
[19] Soyons clairs, l’Agence n’est pas liée par les motifs de la juge de la Cour fédérale. Il sera loisible à l’Agence, en tant que décideur chargé de trancher la question de l’étiquetage sur le fond, de parvenir à toute conclusion qu’elle juge appropriée, dans la mesure où son interprétation des dispositions pertinentes et leur application aux faits en cause peuvent être considérées comme étant raisonnables.
Dispositif
[20] L’appel sera donc rejeté et l’affaire sera renvoyée à l’Agence pour réexamen et nouvelle décision conformément aux présents motifs. Les dépens n’ont pas été demandés, donc ils ne seront pas adjugés.
Le juge Boivin, J.C.A. : Je suis d’accord.
La juge Rivoalen, J.C.A. : Je suis d’accord.
ANNEXE 1
Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, L.R.C. (1985), ch. C-38.
Étiquetage contenant des renseignements faux
7 (1) Le fournisseur ne peut apposer sur un produit préemballé un étiquetage qui contient de l’information fausse ou trompeuse se rapportant au produit — ou pouvant raisonnablement donner cette impression —, ni vendre, importer ou annoncer un produit préemballé ainsi étiqueté.
Définition de information fausse ou trompeuse
(2) Pour l’application du présent article et relativement à un produit préemballé, information fausse ou trompeuse s’entend notamment :
[…]
c) de toute description ou illustration de [son] […] origine […] qui peut raisonnablement être jugée de nature à tromper sur l’objet de la description ou de l’illustration.
Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27.
Fraude
5 (1) Il est interdit d’étiqueter, d’emballer, de traiter, de préparer ou de vendre un aliment — ou d’en faire la publicité — de manière fausse, trompeuse ou mensongère ou susceptible de créer une fausse impression quant à sa nature, sa valeur, sa quantité, sa composition, ses avantages ou sa sûreté.
Étiquetage ou emballage non réglementaire
(2) L’aliment qui n’est pas étiqueté ou emballé ainsi que l’exigent les règlements ou dont l’étiquetage ou l’emballage n’est pas conforme aux règlements est réputé contrevenir au paragraphe (1).
Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.
B.02.108 Le pays d’origine doit être clairement indiqué sur l’espace principal de l’étiquette d’un vin.
ANNEXE 2
Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de l’État d’Israël, 31 juillet 1996, [1997] R.T. Can. no 49.
CHAPITRE 1
Objectifs
Article 1.2 : Objectif
1. L’objectif du présent accord, défini de façon plus précise dans ses dispositions, consiste à éliminer les obstacles au commerce et à faciliter le mouvement des produits entre les territoires des Parties, de manière à favoriser une concurrence équitable et à augmenter substantiellement les possibilités d’investissement dans la zone de libre-échange.
[…]
Article 1.4 : Définitions d’application générale
1. Aux fins du présent accord, et sauf stipulation contraire :
[…]
b) dans le cas d’Israël, du territoire auquel s’applique la législation douanière d’Israël.
Règlement définissant certaines expressions pour l’application du tarif des douanes, DORS/97-62.
Définitions
1 Les expressions suivantes sont définies pour l’application du Tarif des douanes.
[…]
Israël ou autre bénéficiaire de l’ALÉCI Le territoire où est appliquée la législation douanière d’Israël, y compris le territoire où elle est appliquée en conformité avec l’article III du document intitulé Protocol on Economic Relations, avec ses modifications successives, figurant à l’annexe V du document intitulé Israeli-Palestinian Interim Agreement on the West Bank and the Gaza Strip, du 28 septembre 1995. (Israel or another CIFTA beneficiary)
Tarif des douanes, L.C. 1997, ch. 36.
Tarif de l’Accord Canada–Israël
Application du TACI
50 (1) […] les marchandises originaires d’Israël ou d’un autre bénéficiaire de l’ALÉCI bénéficient des taux du tarif de l’Accord Canada — Israël.