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A-151-19

2021 CAF 35

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Villa Ste-Rose Inc. (intimée)

Répertorié : Canada c. Villa Ste-Rose Inc.

Cour d’appel fédérale, juges Boivin, Gleason et LeBlanc, J.C.A.—Par vidéoconférence, 4 février; Ottawa, 25 février 2021.

Douanes et Accise — Loi sur la taxe d’accise — Appel d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) accueillant l’appel logé par l’intimée à l’encontre d’une cotisation établie par la ministre du Revenu national (la ministre) en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise — La cotisation établie par la ministre imposait à l’intimée des intérêts et une pénalité pour production tardive d’une déclaration relative à un montant de taxe sur les produits et services (TPS) que l’intimée était réputée devoir à la ministre — La C.C.I. a déterminé qu’en raison du fait qu’au moment où ce montant de TPS est devenu payable, l’intimée avait droit, aux termes de la Loi, à des remboursements de TPS totalisant une somme supérieure audit montant, la ministre n’était pas justifiée d’imposer les intérêts et la pénalité en litige — L’intimée exploite un centre d’hébergement pour personnes ainées semi-autonomes ou en perte d’autonomie à Laval, au Québec — En tout temps pertinent au présent litige, l’intimée n’était pas inscrite au fichier de la TPS et ses fournitures étaient exonérées de TPS — L’intimée a du faire reconstruire l’immeuble après qu’il a passé au feu et elle a payé la TPS sur les factures que lui a présenté le constructeur — Une fois les travaux complétés, l’intimée était alors réputée avoir effectué et reçu, par vente, la fourniture taxable de l’immeuble — L’intimée avait jusqu’au 31 décembre 2014 pour produire sa déclaration auprès de la ministre — Au même moment, elle était éligible, aux termes des paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi, à recevoir de la ministre des remboursements de TPS — Ces remboursements s’élevaient à 860 665,48 $ — Ce n’est toutefois que le 28 septembre 2015 que l’intimée a produit auprès de la ministre sa déclaration de TPS — Cette déclaration était accompagnée d’une demande, faite dans les délais prescrits, pour que les remboursements auxquels elle avait droit lui soient payés par la ministre — Le 30 octobre 2015, la ministre a délivré un avis de cotisation aux termes duquel, tout en lui reconnaissant un crédit au montant de 860 665,48 $ au titre desdits remboursements, elle a imposé à l’intimée, aux termes, respectivement, des art. 280(1) et 280.1 de la Loi, des intérêts totalisant 27 984,09 $ et une pénalité de l’ordre de 22 105,92 $ pour défaut de produire sa déclaration de TPS dans le délai prescrit par la Loi — Après s’être opposée sans succès auprès de la ministre à l’avis de cotisation, l’intimée s’est adressée à la C.C.I. — La C.C.I a décidé que l’intimée avait droit, en lien avec la fourniture taxable du nouvel immeuble, à deux types de remboursement, un premier visant la TPS payée aux fournisseurs lors de la reconstruction dudit immeuble, et un deuxième pour fonds et bâtiments loués à des fins résidentielles — Vu le retard de l’intimée à produire sa déclaration de TPS liée à l’acquisition réputée du nouvel immeuble, la C.C.I était d’avis que la ministre devait néanmoins, aux fins du calcul des intérêts et de la pénalité visés par les art. 280(1) et 280.1 de la Loi, opérer compensation entre la TPS payable par l’intimée et les remboursements auxquels l’intimée avait par ailleurs droit puisqu’au moment de recevoir ladite déclaration, la ministre avait aussi en mains les demandes de remboursement de l’intimée — Selon la C.C.I, la ministre ne pouvait, au 28 septembre 2015, calculer les intérêts et la pénalité imposables pour production tardive de la déclaration de TPS que sur le montant net payable par l’intimée — Comme ce montant était négatif, la ministre n’avait pas le pouvoir d’imposer à l’intimée les intérêts et la pénalité en litige — Il s’agissait de décider si la C.C.I. a commis une erreur en décidant que les intérêts et la pénalité payables aux termes des art. 280(1) et 280.1 de la Loi pour production tardive d’une déclaration de TPS, ne pouvaient être calculés que sur le montant de TPS payable par l’intimée, une fois tenu compte des remboursements auxquels elle avait par ailleurs droit — L’appelante n’a pas établi qu’il s’agissait d’un cas où il était clair et non équivoque que les art. 280(1) et 280.1 de la Loi ne permettent la comptabilisation des intérêts et de la pénalité pour retard à produire la déclaration de TPS que sur le montant de TPS dû à la ministre, sans égard aux remboursements par ailleurs payables au contribuable — La C.C.I. a eu raison de dire que les remboursements auxquels avait droit l’intimée visaient à prévenir que le « constructeur » non-inscrit soit désavantagé, sur le plan fiscal, par rapport au « constructeur » inscrit lequel peut récupérer la TPS qu’il a payée en semblables circonstances — Par ailleurs, un examen des art. 256.2(3) et 257(1) de la Loi a démontré que le droit aux remboursements qui y sont prévus est acquis lorsque les conditions d’ouverture qui y sont spécifiées sont rencontrées — Lorsque c’est le cas, la ministre doit procéder au remboursement — En d’autres termes, elle n’a pas le choix de ne pas le faire — L’art. 228(6) de la Loi, pour sa part, permet d’opérer compensation entre le montant de la taxe nette due par le contribuable et les remboursements qui lui sont payables par la ministre et cela dès le moment où le contribuable produit sa déclaration de TPS, en autant qu’une demande concomitante de remboursement est faite à la ministre — La C.C.I. s’en est remise à l’art. 296(2.1) pour dénoncer l’incongruité résultant du fait qu’il aurait été préférable que l’intimée se soustraie à son obligation de soumettre une demande de remboursement et même à celle de déclarer la TPS qu’elle était réputée devoir parce que, par opération de la Loi, elle était réputée avoir acquis d’elle-même l’immeuble reconstruit — Il est bien établi qu’une interprétation littérale susceptible de produire des résultats illogiques ou absurdes doit être écartée — L’interprétation proposée par l’appelante voulant que les intérêts et la pénalité pouvant être imposés en cas de retard à produire une déclaration de TPS, devaient être calculés, en toutes circonstances, en fonction du montant de la taxe nette, sans égards aux remboursements par ailleurs payables, était susceptible de produire de tels résultats — C’est la conclusion à laquelle est parvenue la C.C.I. et elle n’a pas erré en concluant de la sorte — Mais plus important encore, cette interprétation ne rendait pas compte du contexte dans lequel s’inscrivent les art. 280(1) et 280.1 de la Loi — En effet, le Parlement, en adoptant les art. 280(1) et 280.1 de la Loi, n’avait pas en tête que l’établissement du « montant » à payer ou à verser aux fins du calcul des intérêts et de la pénalité imposables pour production tardive de la déclaration de TPS, pouvait, dans des circonstances comme celles qui prévalaient en l’espèce, se faire sans égards aux remboursements par ailleurs payables au contribuable — Donc, les intérêts et la pénalité pour production tardive de la déclaration de TPS ne pouvaient être calculés que sur un montant reflétant ce que l’intimée devait réellement à la ministre pour la période de déclaration en cause — Comme ce montant était négatif, la C.C.I. avait raison de trouver que la ministre n’était pas justifiée d’imposer à l’intimée les intérêts et la pénalité qu’elle lui réclamait — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) accueillant l’appel logé par l’intimée à l’encontre d’une cotisation établie par la ministre du Revenu national (la ministre) en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise. La cotisation établie par la ministre imposait à l’intimée des intérêts et une pénalité pour production tardive d’une déclaration relative à un montant de taxe sur les produits et services (TPS) que l’intimée était réputée devoir à la ministre. La C.C.I. a déterminé qu’en raison du fait qu’au moment où ce montant de TPS est devenu payable, l’intimée avait droit, aux termes de la Loi, à des remboursements de TPS totalisant une somme supérieure audit montant, la ministre n’était pas justifiée d’imposer les intérêts et la pénalité en litige. L’appelante reprochait à la C.C.I. de s’être livrée à une interprétation de la Loi axée sur les résultats dans le but de corriger une situation hypothétique susceptible de créer un résultat indésirable. Ce faisant, a plaidé l’appelante, la C.C.I. aurait ignoré le texte clair de la Loi, commettant ainsi une erreur de droit justifiant l’intervention de la Cour.

L’intimée exploite un centre d’hébergement pour personnes ainées semi-autonomes ou en perte d’autonomie à Laval, au Québec. En tout temps pertinent au présent litige, l’intimée n’était pas inscrite au fichier de la TPS et ses fournitures étaient exonérées de TPS. En février 2013, l’immeuble qui abrite le centre d’hébergement que l’intimée exploite fut la proie des flammes. L’intimée a pris la décision de le reconstruire. Dans le cadre de la reconstruction, elle a payé la TPS sur les factures que lui a présenté le constructeur. Une fois les travaux complétés, l’intimée, suivant le paragraphe 191(3) de la Loi, était alors réputée avoir effectué et reçu, par vente, la fourniture taxable de l’immeuble. Il lui incombait dès lors de déclarer la TPS correspondante, dont le montant, non-contesté, s’élevait à 736 864,18 $. L’intimée avait jusqu’au 31 décembre 2014 pour produire sa déclaration auprès de la ministre. Au même moment, elle était éligible, aux termes des paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi, à recevoir de la ministre des remboursements de TPS. Ces remboursements s’élevaient à 860 665,48 $. Ce n’est toutefois que le 28 septembre 2015 que l’intimée a produit auprès de la ministre sa déclaration de TPS. Cette déclaration était accompagnée d’une demande, faite dans les délais prescrits, pour que les remboursements auxquels elle avait droit lui soient payés par la ministre. Le 30 octobre 2015, la ministre a délivré un avis de cotisation aux termes duquel, tout en lui reconnaissant un crédit au montant de 860 665,48 $ au titre desdits remboursements, elle a imposé à l’intimée, aux termes, respectivement, du paragraphe 280(1) et de l’article 280.1 de la Loi, des intérêts totalisant 27 984,09 $ et une pénalité de l’ordre de 22 105,92 $ pour défaut de produire sa déclaration de TPS dans le délai prescrit par la Loi. La pénalité et les intérêts étaient calculés sur le montant total exigible au titre de la TPS payable, soit 736 864,18 $. Après s’être opposée sans succès auprès de la ministre à l’avis de cotisation du 30 octobre 2015, l’intimée s’est adressée à la C.C.I.

La C.C.I. a estimé qu’il lui fallait déterminer si les intérêts et la pénalité pour production tardive de la déclaration de TPS imposés à l’intimée le 30 octobre 2015 devaient être calculés sur la totalité de la TPS exigible, comme l’a fait la ministre, ou sur la différence entre ce total et le montant des remboursements de TPS auxquels l’intimée avait par ailleurs droit. La C.C.I. a rappelé que l’intimée, suivant le paragraphe 191(3) de la Loi, devait s’autocotiser pour la TPS associée à la « vente » de l’immeuble reconstruit, une vente qu’elle est réputée avoir effectuée à elle-même à titre de « constructeur » au sens du paragraphe 123(1) de la Loi. Soulignant que l’intimée n’était pas inscrite au fichier de la TPS et qu’elle ne pouvait, en conséquence, au contraire des entreprises inscrites, réclamer de crédits sur les intrants (CTI) pour la TPS payée à ses fournisseurs, la C.C.I. a estimé que le législateur a voulu pallier à ce déséquilibre fiscal pour les non-inscrits réputés, comme l’intimée, avoir fait une fourniture taxable d’un immeuble, en instituant le mécanisme de remboursements prévu aux paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi. Suivant ce mécanisme, la C.C.I a décidé que l’intimée avait droit, en lien avec la fourniture taxable du nouvel immeuble, à deux types de remboursement, un premier visant la TPS payée aux fournisseurs lors de la reconstruction dudit immeuble, et un deuxième pour fonds et bâtiments loués à des fins résidentielles. Vu le retard de l’intimée à produire sa déclaration de TPS liée à l’acquisition réputée du nouvel immeuble, la C.C.I était d’avis que la ministre devait néanmoins, aux fins du calcul des intérêts et de la pénalité visés par le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 de la Loi, opérer compensation entre la TPS payable par l’intimée et les remboursements auxquels l’intimée avait par ailleurs droit puisqu’au moment de recevoir ladite déclaration, la ministre avait aussi en mains les demandes de remboursement de l’intimée. Cette obligation découlait, selon elle, de l’application du paragraphe 228(6) de la Loi, qui, lu conjointement avec les paragraphes 228(2) et 228(4), réfère nécessairement au concept de « taxe nette ». Donc, selon la C.C.I, la ministre ne pouvait, au 28 septembre 2015, calculer les intérêts et la pénalité imposables pour production tardive de la déclaration de TPS que sur le montant net payable par l’intimée, soit le montant représentant la différence entre la taxe due par elle et les remboursements qui lui étaient par ailleurs payables par la ministre à cette date. Comme ce montant était négatif, la ministre n’avait pas le pouvoir d’imposer à l’intimée les intérêts et la pénalité en litige.

Il s’agissait de décider ici si la C.C.I. a commis une erreur en décidant que les intérêts et la pénalité payables aux termes du paragraphe 280(1) et de l’article 280.1 de la Loi pour production tardive d’une déclaration de TPS, ne pouvaient être calculés que sur le montant de TPS payable par l’intimée, une fois tenu compte des remboursements auxquels elle avait par ailleurs droit.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

L’intimée offre des « fournitures exonérées », c’est-à-dire des services exonérés de taxes. Cela veut dire qu’elle n’a pas à facturer de TPS sur ses fournitures de biens et services. Cela veut dire également qu’elle n’a pas à être inscrite aux fichiers de la TPS, contrairement aux entreprises qui offrent des « fournitures taxables » et qui sont tenues, aux termes du paragraphe 221(1) de la Loi, de percevoir, au nom des autorités fiscales, la taxe payable par les acquéreurs de telles fournitures. Le statut de « non-inscrit » de l’intimée fait également en sorte qu’elle n’a pas droit de réclamer de CTI sur les biens et services qu’elle acquiert afin d’effectuer ses fournitures exonérées. Nonobstant son statut de non-inscrit, l’intimée, en faisant reconstruire l’immeuble abritant son centre d’hébergement suite à l’incendie qui l’a détruit, est réputée, par l’effet combiné de la définition de « constructeur » prévue au paragraphe 123(1) et du paragraphe 191(3) de la Loi, avoir, le jour où les travaux ont été achevés en grande partie, « effectué et reçu, par vente, la fourniture taxable de l’immeuble » et avoir, à cette date, « payé à titre d’acquéreur et perçu à titre de fournisseur […], la taxe relative à la fourniture, calculée sur la juste valeur marchande de l’immeuble ce jour-là ». L’intimée était donc, le jour où les travaux de reconstruction ont été achevés en grande partie, soit au 1er novembre 2014, réputée à la fois acquéreur et fournisseur de l’immeuble ainsi reconstruit, et à la fois responsable du paiement et de la perception de la taxe sur cette fourniture considérée comme taxable. Par le jeu des paragraphes 228(1), 228(2), 238(2) et 245(1) de la Loi, l’intimée devenait alors assujettie à l’obligation de produire auprès de la ministre une déclaration de « taxe nette » sur cette fourniture taxable et de lui verser le « montant positif » de cette taxe. L’intimée avait jusqu’au 31 décembre 2014 pour ce faire. Toutefois, pour cette même période, l’intimée, conformément aux paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi, était éligible à recevoir de la ministre des remboursements au titre, notamment, de la TPS payée aux fournisseurs lors de la reconstruction de l’immeuble. Elle pouvait, aux termes du paragraphe 228(6) de la Loi, en faire la demande à la ministre au moment de la production de sa déclaration de TPS dans les délais prescrits. Compte tenu du retard de l’intimée à produire sa déclaration de TPS dans les délais prescrits, il fallait se demander si les intérêts et la pénalité pouvant être imposés, aux termes du paragraphe 280(1) et de l’article 280.1 de la Loi, devaient être calculés uniquement en fonction de la TPS payable ou bien en fonction du montant net dû par le contribuable, en l’occurrence, le montant représentant la différence entre la TPS due et les remboursements auxquels le contribuable avait droit par ailleurs. L’appelante n’a pas établi qu’il s’agissait d’un cas où il était clair et non équivoque que le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 de la Loi ne permettent la comptabilisation des intérêts et de la pénalité pour retard à produire la déclaration de TPS que sur le montant de TPS dû à la ministre, sans égard aux remboursements par ailleurs payables au contribuable.

Il importait de rappeler l’objectif qui sous-tend les remboursements auxquels l’intimée avait droit suivant les paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi. Selon la note explicative concernant l’article 257 de la Loi, cette disposition « prévoit un remboursement à l’intention d’un non-inscrit qui effectue ou qui est réputé effectuer la fourniture taxable d’un immeuble par vente ». Ce remboursement est « calculé d’après la taxe que le non-inscrit a payée à l’achat de l’immeuble et qu’il n’a pas recouvrée par le biais d’un [CTI] ou d’un remboursement ». Il vise ainsi à « prévenir la double taxation ». Les paragraphes 256.2(3), 257(1) et 191(3) de la Loi, lus ensemble, font apparaître clairement cet objectif. L’intimée avait déjà acquitté la TPS à même les coûts de reconstruction que lui a facturés l’entrepreneur qu’elle a mandaté pour reconstruire son centre d’hébergement. Lui faire assumer également la TPS associée à la vente de l’immeuble reconstruit, qu’elle est réputée s’être faite à elle-même, constituerait sans aucun doute de la double taxation. La C.C.I. a eu raison de dire que les remboursements auxquels avait droit l’intimée visaient à prévenir que le « constructeur » non-inscrit soit désavantagé, sur le plan fiscal, par rapport au « constructeur » inscrit, dont la principale activité commerciale est la construction d’immeubles, lequel peut récupérer la TPS qu’il a payée en semblables circonstances. Par ailleurs, un examen des paragraphes 256.2(3) et 257(1) a démontré que le droit aux remboursements qui y sont prévus est acquis lorsque les conditions d’ouverture qui y sont spécifiées sont rencontrées. Lorsque c’est le cas, la ministre doit procéder au remboursement. En d’autres termes, elle n’a pas le choix de ne pas le faire. Le paragraphe 228(6) de la Loi, pour sa part, permet d’opérer compensation entre le montant de la taxe nette due par le contribuable et les remboursements qui lui sont payables par la ministre. La compensation prévue au paragraphe 228(6) est réputée, pour sa part, s’opérer dès le moment, quel qu’il soit, où le contribuable produit sa déclaration de TPS, en autant qu’une demande concomitante de remboursement est faite à la ministre.

L’appelante reprochait à la C.C.I. d’avoir associé les remboursements au calcul de la taxe nette, ce que, selon elle, le texte des paragraphes 262(1) et 228(6) de la Loi ne lui permettait pas de faire. C’est ici qu’intervenait le paragraphe 296(2.1) de la Loi, lequel porte sur le traitement des remboursements non demandés lorsque le ministre du Revenu national établit une cotisation, quel que soit le type de remboursement en cause. Le paragraphe 296(1) de la Loi confère à la ministre le pouvoir d’établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou encore une cotisation supplémentaire en vue de déterminer, notamment, la « taxe nette » de même que, lorsqu’applicables, les intérêts et pénalités payables par une personne. Les paragraphes 296(2) et 296(2.1), pour leur part, concernent le traitement, dans l’établissement de la cotisation, des crédits, y compris des CTI (paragraphe 296(2)), et des remboursements (paragraphe 296(2.1)) non demandés par un contribuable. Le traitement de l’un et l’autre est à toutes fins utiles identique. Le texte du paragraphe 296(2.1) n’exclut aucun type de remboursement de son application. Les remboursements prévus aux paragraphes 261(1), 256.2(3) et 257(1) sont regroupés sous la même section — la section VI, intitulée « Remboursements » (« Rebates » dans la version anglaise) — de la partie IX de la Loi. Outre les conditions d’ouverture qui leur sont propres, il n’y a aucune raison de principe de les distinguer pour les fins de la mise en œuvre du paragraphe 296(2.1). Ainsi, l’intimée aurait été en meilleure position si elle avait simplement fait défaut de demander les remboursements auxquels elle avait droit. À partir du moment où, en la cotisant, la ministre aurait constaté qu’elle avait droit auxdits remboursements, ce n’est pas par la simple compensation du montant de taxe nette payable au moment du constat opéré par la ministre que cet avantage se serait matérialisé mais bien par la réduction même du montant de ladite taxe. Dans un tel scénario, la taxe nette due par l’intimée se serait soldée par un montant négatif, le montant des remboursements payables à l’intimée étant supérieur à celui de ladite taxe. C’est ce montant négatif de taxe nette que la ministre, aux termes du paragraphe 296(1) de la Loi, aurait alors été tenue de cotiser, faisant en sorte qu’il n’y avait dès lors plus ouverture à l’imposition d’intérêts et de pénalité pour production tardive de la déclaration de TPS. La C.C.I. s’en est remise au paragraphe 296(2.1) pour dénoncer l’incongruité résultant du fait qu’il aurait été préférable que l’intimée se soustraie à son obligation de soumettre une demande de remboursement et même à celle de déclarer la TPS qu’elle était réputée devoir parce que, par opération de la Loi, elle était réputée avoir acquis d’elle-même l’immeuble reconstruit. Il est bien établi, comme l’a rappelé la C.C.I., qu’une interprétation littérale susceptible de produire des résultats illogiques ou absurdes doit être écartée. L’interprétation proposée par l’appelante voulant que les intérêts et la pénalité pouvant être imposés en cas de retard à produire une déclaration de TPS, devaient être calculés, en toutes circonstances, en fonction du montant de la taxe nette, sans égards aux remboursements par ailleurs payables, était susceptible de produire de tels résultats. C’est la conclusion à laquelle est parvenue la C.C.I. et elle n’a pas erré en concluant de la sorte. Mais plus important encore, cette interprétation ne rendait pas compte du contexte dans lequel s’inscrivent le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 de la Loi. Ici, il est acquis que l’intimée avait droit aux remboursements prévus aux paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi et que le montant de ces remboursements excédait celui de la taxe qu’elle devait par ailleurs. Il est acquis également que ces remboursements et cette taxe sont inextricablement liés puisqu’ils concernent une même fourniture taxable et une même période de déclaration. Au surplus, la ministre a reconnu que si l’intimée avait produit sa déclaration de TPS, accompagnée de ses demandes de remboursements, au 31 décembre 2014, et donc, si elle avait suivi la procédure applicable, aucun montant de taxe n’aurait eu à être payé ou versé et aucun intérêt ou pénalité n’aurait pu être imposé. Ainsi, dans la mesure où l’intention évidente du législateur, en adoptant les paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi, notamment, était de s’assurer qu’un contribuable non-inscrit ne soit pas désavantagé face au contribuable inscrit, lequel, contrairement au premier, peut déduire des CTI dans l’établissement du montant de la taxe nette dont il est redevable, et dans la mesure également où la Loi permet au contribuable non-inscrit qui fait défaut de produire une demande de remboursement dans les délais prescrits de profiter d’un même avantage, soit celui de voir appliquer le montant du remboursement en réduction de la taxe nette due par lui, le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 ne pouvaient avoir le sens et la portée que l’appelante leur prêtait. En effet, le Parlement, en adoptant le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 de la Loi, n’avait pas en tête que l’établissement du « montant » à payer ou à verser aux fins du calcul des intérêts et de la pénalité imposables pour production tardive de la déclaration de TPS, pouvait, dans des circonstances comme celles qui prévalaient en l’espèce, se faire sans égards aux remboursements par ailleurs payables au contribuable. Donc, les intérêts et la pénalité pour production tardive de la déclaration de TPS ne pouvaient être calculés que sur un montant reflétant ce que l’intimée devait réellement à la ministre pour la période de déclaration en cause. Comme ce montant était négatif, la C.C.I. avait raison de trouver que la ministre n’était pas justifiée d’imposer à l’intimée les intérêts et la pénalité qu’elle lui réclamait.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 123(1), 169(1), 191(3), 221(1), 225(1), 228(1),(2),(4),(6), 238(2), 245(1), 256.2(3),(7)a), 257, 261(1),(2)c),(3), 262(1), 280(1), 280(1.1), 280.1, 296(1),(2),(2.1).

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Humber College Institute of Technology & Advanced Learning c. La Reine, 2013 CCI 146 (CanLII), [2013] A.C.I. no 117 (QL); Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances)), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; United Parcel Service du Canada Ltée c. Canada, 2009 CSC 20, [2009] 1 R.C.S. 657.

décisions citées :

Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445; Canada c. Cheema, 2018 CAF 45, [2018] 4 R.C.F. 328; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; Jabel Image Concepts Inc. c. Canada, [2000] A.C.F. no 894 (QL) (C.A.); Silicon Graphics Ltd. c. Canada, 2002 CAF 260, [2003] 1 C.F. 447; Canada c. Succession Ast, [1997] 3 C.F. 86, [1997] A.C.F. no 267 (QL) (C.A.); ExxonMobil Canada Ltd. c. Canada, 2010 CAF 1; Renvoi relatif à la taxe de vente du Québec, [1994] 2 R.C.S. 715; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

DOCTRINE CITÉE

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham, Ontario : LexisNexis, 2014.

APPEL d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2019 CCI 60) accueillant l’appel logé par l’intimée à l’encontre d’une cotisation établie par la ministre du Revenu national en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Christian Lemay et Antoine Lamarre pour l’appelante.

Camille Janvier-Langis pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

La sous-procureure générale du Canada pour l’appelante.

Dentons Canada S.E.N.C.R.L., Montréal, pour l’intimée.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]        Le juge LeBlanc, J.C.A. : L’appelante se pourvoit en appel d’un jugement de la juge Johanne D’Auray de la Cour canadienne de l’impôt (répertorié à 2019 CCI 60), rendu le 15 mars 2019. Aux termes de ce jugement (jugement), la juge D’Auray (ou la juge de première instance) accueillait l’appel logé par l’intimée à l’encontre d’une cotisation établie par la ministre du Revenu national (la ministre) en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la Loi).

[2]        La cotisation établie par la ministre imposait à l’intimée des intérêts et une pénalité pour production tardive d’une déclaration relative à un montant de taxe sur les produits et services (TPS) que l’intimée était réputée devoir à la ministre. La juge de première instance a déterminé qu’en raison du fait qu’au moment où ce montant de TPS est devenu payable, l’intimée avait droit, aux termes de la Loi, à des remboursements de TPS totalisant une somme supérieure audit montant, la ministre n’était pas justifiée d’imposer les intérêts et la pénalité en litige.

[3]        L’appelante reproche à la juge D’Auray de s’être livrée à une interprétation de la Loi axée sur les résultats dans le but de corriger une situation hypothétique susceptible de créer un résultat indésirable. Ce faisant, plaide l’appelante, la juge D’Auray aurait ignoré le texte clair de la Loi, commettant ainsi une erreur de droit justifiant l’intervention de cette Cour.

[4]        Pour les motifs qui suivent, l’appelante ne m’a pas convaincu qu’il y a lieu d’intervenir.

I.     Contexte

[5]        Les faits relatifs au présent litige sont relativement simples et ne sont pas contestés. Ils peuvent être résumés comme suit.

[6]        L’intimée exploite un centre d’hébergement pour personnes ainées semi-autonomes ou en perte d’autonomie à Laval, au Québec. En tout temps pertinent au présent litige, l’intimée n’est pas inscrite au fichier de la TPS et ses fournitures sont exonérées de TPS.

[7]        En février 2013, l’immeuble qui abrite le centre d’hébergement que l’intimée exploite est la proie des flammes. L’intimée prend la décision de le reconstruire. Dans le cadre de la reconstruction, elle paie la TPS sur les factures que lui présente le constructeur. Une fois les travaux complétés, l’intimée, suivant le paragraphe 191(3) de la Loi, est alors réputée avoir effectué et reçu, par vente, la fourniture taxable de l’immeuble.

[8]        Il lui incombe dès lors de déclarer la TPS correspondante, dont le montant, non-contesté, s’élève à 736 864,18 $. L’intimée a jusqu’au 31 décembre 2014 pour produire sa déclaration auprès de la ministre. Au même moment, elle est éligible, aux termes des paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi, à recevoir de la ministre des remboursements de TPS. Ces remboursements s’élèvent à 860 665,48 $.

[9]        Ce n’est toutefois que le 28 septembre 2015 que l’intimée produit auprès de la ministre sa déclaration de TPS. Cette déclaration est accompagnée d’une demande, faite dans les délais prescrits, pour que les remboursements auxquels elle a droit lui soient payés par la ministre.

[10]      Le 30 octobre 2015, la ministre délivre un avis de cotisation aux termes duquel, tout en lui reconnaissant un crédit au montant de 860 665,48 $ au titre desdits remboursements, elle impose à l’intimée, aux termes, respectivement, du paragraphe 280(1) et de l’article 280.1 de la Loi, des intérêts totalisant 27 984,09 $ et une pénalité de l’ordre de 22 105,92 $ pour défaut de produire sa déclaration de TPS dans le délai prescrit par la Loi. La pénalité et les intérêts sont calculés sur le montant total exigible au titre de la TPS payable, soit 736 864,18 $.

[11]      Après s’être opposée sans succès auprès de la ministre à l’avis de cotisation du 30 octobre 2015, l’intimée s’adresse à la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.).

II.    Le jugement frappé d’appel

[12]      La juge D’Auray estime qu’il lui faut déterminer si les intérêts et la pénalité pour production tardive de la déclaration de TPS imposés à l’intimée le 30 octobre 2015 devaient être calculés sur la totalité de la TPS exigible, comme l’a fait la ministre, ou sur la différence entre ce total et le montant des remboursements de TPS auxquels l’intimée avait par ailleurs droit.

[13]      D’entrée de jeu, la juge D’Auray rappelle que l’intimée, suivant le paragraphe 191(3) de la Loi, devait s’autocotiser pour la TPS associée à la « vente » de l’immeuble reconstruit, une vente qu’elle est réputée avoir effectuée à elle-même à titre de « constructeur » au sens du paragraphe 123(1) de la Loi. Soulignant que l’intimée n’est pas inscrite au fichier de la TPS et qu’elle ne peut, en conséquence, au contraire des entreprises inscrites, réclamer de crédits sur les intrants (CTI) pour la TPS payée à ses fournisseurs, la juge D’Auray estime que le législateur a voulu pallier à ce déséquilibre fiscal pour les non-inscrits réputés, comme l’intimée, avoir fait une fourniture taxable d’un immeuble, en instituant le mécanisme de remboursements prévu aux paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi.

[14]      Suivant ce mécanisme, poursuit la juge D’Auray, l’intimée avait droit, en lien avec la fourniture taxable du nouvel immeuble, à deux types de remboursement, un premier visant la TPS payée aux fournisseurs lors de la reconstruction dudit immeuble, et un deuxième pour fonds et bâtiments loués à des fins résidentielles.

[15]      Constatant le retard de l’intimée à produire sa déclaration de TPS liée à l’acquisition réputée du nouvel immeuble, la juge D’Auray se dit d’avis que la ministre devait néanmoins, aux fins du calcul des intérêts et de la pénalité visés par le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 de la Loi, opérer compensation entre la TPS payable par l’intimée et les remboursements auxquels l’intimée avait par ailleurs droit puisqu’au moment de recevoir ladite déclaration, la ministre avait aussi en mains les demandes de remboursement de l’intimée. Cette obligation découle, selon elle, de l’application du paragraphe 228(6) de la Loi, qui, lu conjointement avec les paragraphes 228(2) et 228(4), réfère nécessairement au concept de « taxe nette », soit à la taxe réputée versée au moment de la déclaration de TPS moins le montant des remboursements payables par la ministre aux termes des demandes de remboursement visées par le paragraphe 228(6) et produites concomitamment à la déclaration de TPS.

[16]      Selon cette interprétation, poursuit la juge D’Auray, la ministre ne pouvait, au 28 septembre 2015, calculer les intérêts et la pénalité imposables pour production tardive de la déclaration de TPS que sur le montant net payable par l’intimée, soit le montant représentant la différence entre la taxe due par elle et les remboursements qui lui étaient par ailleurs payables par la ministre à cette date. Comme ce montant était négatif, la ministre n’avait pas le pouvoir d’imposer à l’intimée les intérêts et la pénalité en litige.

[17]      La juge D’Auray a noté à cet égard que le paragraphe 296(2.1) de la Loi imposait la même obligation à la ministre dans les cas où elle constatait qu’un remboursement était dû alors qu’elle n’était saisie d’aucune demande de remboursement et que le délai pour produire une telle demande était expiré. Elle y voyait là un indice probant que la ministre, en matière de remboursements, pouvait agir « de manière rétroactive » (jugement, au paragraphe 23).

[18]      Elle s’est ensuite attardée au jugement d’un de ses collègues dans l’affaire Humber College Institute of Technology & Advanced Learning c. La Reine, 2013 CCI 146, [2013] A.C.I. no 117 (QL) (Humber College), une affaire, selon elle, « quasi identique » (jugement, au paragraphe 8) où la C.C.I. a statué que les intérêts et la pénalité payables pour production tardive d’une déclaration de TPS faite en lien, comme ici, avec l’obligation d’autocotisation prévue au paragraphe 191(3) de la Loi, ne devaient être calculés que sur la différence entre le montant de TPS exigible et celui des remboursements par ailleurs payables par la ministre.

[19]      Précisant qu’elle en était arrivée au même résultat que son collègue, mais qu’elle y était parvenue par un chemin différent, celui du paragraphe 228(6) de la Loi, la juge D’Auray a noté que l’affaire Humber College illustrait néanmoins comment un contribuable qui dépose une déclaration de TPS et une demande de remboursement, dès qu’il s’aperçoit que la Loi l’exigeait, se trouverait défavorisé sur le plan fiscal, si la position de la ministre devait prévaloir en l’espèce, par rapport à celui qui ne fait rien et qui attend que la ministre le cotise.

[20]      La juge D’Auray conclut que son interprétation de la Loi est conforme à l’idée que la taxe et le remboursement sont, suivant ces dispositions, inextricablement liés et cadre davantage « avec l’objectif de la Loi et la raison d’être des dispositions sur les remboursements » (jugement, au paragraphe 39).

[21]      Cette interprétation fait ainsi en sorte que le constructeur d’un immeuble, qui est non-inscrit au registre de TPS, ne sera pas désavantagé par rapport au constructeur inscrit qui, lui, ne peut se voir imposer d’intérêts et de pénalités que sur le montant net de la TPS à payer, soit sur la différence entre le montant brut de la taxe à payer et les CTI qu’il est en droit de réclamer. Elle évite ainsi un résultat que le législateur ne peut avoir voulu, soit celui qui ferait en sorte qu’une personne qui ne dépose ni déclaration de TPS, ni demande de remboursement, ou qui ne dépose qu’une déclaration, sans y joindre une demande de remboursement, se retrouverait dans une meilleure position que le contribuable qui procède à une autocotisation tardive, puisque cette personne n’aurait pas, elle, à payer les intérêts et la pénalité sur le montant intégral de la TPS exigible. En d’autres termes, souligne la juge D’Auray, avaliser la position de la ministre reviendrait à encourager les contribuables dans la situation de l’intimée à faire fi de leur obligation d’autocotisation.

III.   La position de l’appelante

[22]      L’appelante soutient que le texte des dispositions législatives en cause n’autorise pas l’interprétation retenue par la juge de première instance. Plus particulièrement, elle plaide que la juge D’Auray, en interprétant le paragraphe 228(6) de la Loi comme elle l’a fait, s’est trouvée à lui donner une portée rétroactive, faisant ainsi violence au texte de ladite disposition.

[23]      Toujours selon l’appelante, la juge de première instance aurait erronément associé les remboursements auxquels l’intimée avait droit aux termes du paragraphe 228(6) au calcul de la « taxe nette » au sens des paragraphes 225(1) et 228(1) de la Loi. Le paragraphe 228(6) de la Loi ne permettrait pas une telle association; il ne ferait que créer une présomption à l’effet que ces remboursements sont appliqués en paiement de la taxe nette, et non en réduction de celle-ci. D’ailleurs, ajoute l’appelante, lorsque la Loi prévoit que certains montants peuvent être déduits du calcul de la taxe nette, elle le fait en des termes exprès, ce qui n’est pas le cas du paragraphe 228(6).

[24]      Au surplus, les remboursements dont il est question ici, soit ceux prévus aux paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi, obéiraient à des règles particulières aux termes desquelles ils ne deviendraient payables par la ministre qu’au moment où le contribuable en fait la demande. En d’autres termes, ils ne seraient pas pertinents, plaide l’appelante, au calcul de la taxe nette due par le contribuable et, par conséquent, au calcul des intérêts et pénalité payables en cas de production tardive d’une déclaration de TPS, le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 de la Loi opérant indépendamment du paragraphe 228(6).

[25]      Ainsi, si le paragraphe 228(6) obligeait la ministre à opérer compensation, reconnaît l’appelante, ce n’est, précise-t-elle, qu’au moment où l’intimée a produit sa demande de remboursement, le 28 septembre 2015, que cette obligation s’est enclenchée. La Ministre était donc parfaitement en droit, ajoute l’appelante, de calculer les intérêts et la pénalité imposables en vertu du paragraphe 280(1) et de l’article 280.1 pour production tardive de la déclaration de TPS, sur l’intégralité du montant de taxe dû puisqu’aucune compensation ne pouvait s’opérer entre le moment où ladite déclaration aurait dû être produite, soit le 31 décembre 2014, et le moment où elle l’a été en septembre 2015.

IV.   La question en litige et la norme de contrôle

[26]      Il s’agit de décider ici si la juge D’Auray a commis une erreur en décidant que les intérêts et la pénalité payables aux termes du paragraphe 280(1) et de l’article 280.1 de la Loi pour production tardive d’une déclaration de TPS, ne pouvaient être calculés que sur le montant de TPS payable par l’intimée, une fois tenu compte des remboursements auxquels elle avait par ailleurs droit.

[27]      Les parties sont toutes deux d’avis que la norme de contrôle applicable à cette question — une question d’interprétation législative — est celle de la décision correcte. Cela est conforme à l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 qui exige que les questions de droit soulevées en appel soient analysées suivant cette norme.

V.    L’analyse

[28]      La toile de fond dans laquelle s’inscrit le présent litige ne porte pas à controverse, que ce soit sur les plans factuel ou légal. L’intimée, qui, je le rappelle, opère un centre d’hébergement pour personnes semi-autonomes ou en perte d’autonomie, offre des « fournitures exonérées », c’est-à-dire des services exonérés de taxes. Cela veut dire qu’elle n’a pas à facturer de TPS sur ses fournitures de biens et services. Cela veut dire également qu’elle n’a pas à être inscrite aux fichiers de la TPS, contrairement aux entreprises qui offrent des « fournitures taxables » et qui sont tenues, aux termes du paragraphe 221(1) de la Loi, de percevoir, au nom des autorités fiscales, la taxe payable par les acquéreurs de telles fournitures.

[29]      Le statut de « non-inscrit » de l’intimée fait également en sorte que, contrairement toujours aux entreprises inscrites, elle n’a pas droit de réclamer de CTI sur les biens et services qu’elle acquiert afin d’effectuer ses fournitures exonérées. Les CTI, calculés selon la formule établie au paragraphe 169(1) de la Loi, permettent en effet de recouvrer du gouvernement la taxe payée par l’acquéreur d’une fourniture taxable qui utilise le bien ou le service ainsi taxable dans la production d’autres fournitures taxables (Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445 (Renvoi relatif à la TPS), à la page 456). Cela s’inscrit dans la logique de la TPS. Suivant cette logique, la taxe n’est ultimement assumée que par le consommateur final du bien ou du service. Toutefois, ce n’est pas le cas des fournitures exonérées. J’y reviendrai.

[30]      Nonobstant son statut de non-inscrit, l’intimée, en faisant reconstruire l’immeuble abritant son centre d’hébergement suite à l’incendie qui l’a détruit, est réputée, par l’effet combiné de la définition de « constructeur » prévue au paragraphe 123(1) et du paragraphe 191(3) de la Loi, avoir, le jour où les travaux ont été achevés en grande partie, « effectué et reçu, par vente, la fourniture taxable de l’immeuble » et avoir, à cette date, « payé à titre d’acquéreur et perçu à titre de fournisseur […], la taxe relative à la fourniture, calculée sur la juste valeur marchande de l’immeuble ce jour-là ».

[31]      L’intimée était donc, le jour où les travaux de reconstruction ont été achevés en grande partie, que les parties situent, d’un commun accord, tel qu’indiqué précédemment, au 1er novembre 2014, réputée à la fois acquéreur et fournisseur de l’immeuble ainsi reconstruit, et à la fois responsable du paiement et de la perception de la taxe sur cette fourniture considérée comme taxable.

[32]      Par le jeu des paragraphes 228(1), 228(2), 238(2) et 245(1) de la Loi, l’intimée devenait alors assujettie à l’obligation de produire auprès de la ministre une déclaration de « taxe nette » sur cette fourniture taxable et de lui verser le « montant positif » de cette taxe. L’intimée avait jusqu’au 31 décembre 2014 pour ce faire. Dans le calcul de la « taxe nette » à verser, l’intimée ne pouvait toutefois en soustraire de CTI pour la période visée par sa déclaration, comme le permet le paragraphe 225(1) de la Loi qui prévoit la formule applicable à l’établissement du montant de la « taxe nette », puisqu’elle est considérée n’effectuer, dans le cours de ses opérations, que des fournitures exonérées.

[33]      Toutefois, pour cette même période, l’intimée, conformément aux paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi, était éligible à recevoir de la ministre des remboursements au titre, notamment, de la TPS payée aux fournisseurs lors de la reconstruction de l’immeuble. Elle pouvait, aux termes du paragraphe 228(6) de la Loi, en faire la demande à la ministre au moment de la production de sa déclaration de TPS. Suivant l’alinéa 256.2(7)a) et le paragraphe 257(2) de la Loi, elle ne pouvait, par contre, attendre plus de deux ans de la date où la fourniture taxable a été effectuée, pour réclamer ces remboursements.

[34]      Il n’est pas contesté en l’espèce, comme on l’a vu, qu’au 1er novembre 2014, l’intimée était réputée devoir à la ministre, en TPS, la somme de 736 864,18 $. Il n’est pas contesté non plus qu’au 30 novembre 2014, l’intimée était en droit de réclamer de la ministre des remboursements de l’ordre de 860 647,30 $, en vue de compenser le montant de TPS dont elle était par ailleurs redevable.

[35]      L’appelante convient que si l’intimée avait produit sa déclaration de TPS et ses demandes de remboursements au 31 décembre 2014, date limite pour produire ladite déclaration, la TPS due par l’intimée aurait été, par l’opération du paragraphe 228(6) de la Loi, entièrement compensée par les remboursements par ailleurs payables par la ministre. En fait, la ministre aurait été, à ce moment, redevable envers l’intimée de l’excédent des remboursements qu’elle était tenue de lui payer aux termes des paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi, une fois la TPS compensée.

[36]      Il est utile de reproduire ici le paragraphe 228(6) de la Loi :

228 […]

Compensation de remboursement

(6) Dans le cas où une personne produit, à un moment donné et conformément à la présente partie, une déclaration où elle indique un montant (appelé « versement » au présent paragraphe) qu’elle est tenue de verser en application des paragraphes (2) ou (2.3) ou de payer en application des paragraphes (2.1) ou (4) ou des sections IV ou IV.1 et qu’elle demande dans cette déclaration, ou dans une autre déclaration ou une demande produite conformément à la présente partie avec cette déclaration, un remboursement qui lui est payable à ce moment en application de la présente partie, compte non tenu de la section III, la personne est réputée avoir versé à ce moment au titre de son versement, et le ministre avoir payé à ce moment au titre du remboursement, ce versement ou, s’il est inférieur, le montant du remboursement.

[37]      Il faut donc s’interroger sur les conséquences, s’il en est, du retard de l’intimée à produire sa déclaration de TPS dans un tel contexte. En d’autres termes, il faut se demander si les intérêts et la pénalité pouvant être imposés, aux termes du paragraphe 280(1) et de l’article 280.1 de la Loi, en cas de retard à produire une déclaration de TPS dans les délais prescrits, doivent être calculés uniquement en fonction de la TPS payable ou bien en fonction du montant net dû par le contribuable, en l’occurrence, le montant représentant la différence entre la TPS due et les remboursements auxquels le contribuable a droit par ailleurs.

[38]      Cela requiert à mon avis une analyse du sens à donner au concept de « montant à verser ou à payer » à partir duquel les intérêts et la pénalité doivent, suivant ces deux dispositions, être calculés. Il s’agit là de la seule question à résoudre en l’espèce. À cette fin, il est également utile de reproduire, ici, le texte de ces deux dispositions :

Intérêts

280 (1) Sous réserve du présent article et de l’article 281, la personne qui ne verse pas ou ne paie pas un montant au receveur général dans le délai prévu par la présente partie est tenue de payer des intérêts sur ce montant, calculés au taux réglementaire pour la période commençant le lendemain de l’expiration du délai et se terminant le jour du versement ou du paiement.

[…]

Non-production d’une déclaration

280.1 Quiconque omet de produire une déclaration pour une période de déclaration selon les modalités et dans le délai prévus par la présente partie est passible d’une pénalité égale à la somme des montants suivants :

a) le montant correspondant à 1 % du total des montants représentant chacun un montant qui est à verser ou à payer pour la période de déclaration, mais qui ne l’a pas été au plus tard à la date limite où la déclaration devait être produite;

b) le produit du quart du montant déterminé selon l’alinéa a) par le nombre de mois entiers, jusqu’à concurrence de douze, compris dans la période commençant à la date limite où la déclaration devait être produite et se terminant le jour où elle est effectivement produite.

[39]      Il est bien établi que la méthode moderne d’interprétation des lois s’applique maintenant tout autant aux lois fiscales qu’aux autres lois (Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances)), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715 (Placer Dome), au paragraphe 21; voir aussi Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 (Trustco), aux paragraphes 10–11; Canada c. Cheema, 2018 CAF 45, [2018] 4 R.C.F. 328 (Cheema), au paragraphe 73. Il nous faut donc lire les termes de la Loi « “ dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la [L]oi, l’objet de la [L]oi et l’intention du législateur ” » (Placer Dome, au paragraphe 21, citant Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la page 578).

[40]      Bien que le texte d’une loi fiscale puisse jouer un « rôle primordial » dans le processus d’interprétation, lorsqu’il est « précis et non équivoque », ce rôle s’amenuise au profit du contexte et de l’objet de la loi lorsque le texte en cause peut recevoir plus d’une interprétation raisonnable (Placer Dome, aux paragraphes 21–22). L’analyse du contexte et de l’objet de la loi demeure par ailleurs utile en toute circonstance puisqu’elle peut permettre de révéler ou de dissiper une ambiguïté latente dans un texte qui peut sembler non ambigu à première vue (Placer Dome, au paragraphe 22).

[41]      Le processus d’interprétation sera donc fonction du degré de précision et de clarté de la disposition fiscale en cause. Si elle ne présente aucune ambiguïté, il suffira généralement de l’appliquer, l’objet de la disposition ne pouvant servir à créer une exception tacite à ce qui est par ailleurs clairement prescrit (Placer Dome, au paragraphe 23; Cheema, au paragraphe 74). À l’inverse, c’est-à-dire si la disposition présente une ambiguïté, il faut alors « accorder plus d’importance au contexte, à l’économie et à l’objet de la loi en question » (Placer Dome, au paragraphe 23).

[42]      En l’espèce, l’appelante ne m’a pas convaincu que nous sommes en présence d’un cas où il est clair et non équivoque que le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 de la Loi ne permettent la comptabilisation des intérêts et de la pénalité pour retard à produire la déclaration de TPS que sur le montant de TPS dû à la ministre, sans égard aux remboursements par ailleurs payables au contribuable. Un examen de ces deux dispositions, en lien avec le contexte, l’économie et l’objet de la Loi, devient donc nécessaire.

[43]      La position de l’appelante tient essentiellement à deux propositions :

a.    La première veut que les « remboursements », tels que définis à la Loi, n’entrent pas, contrairement aux CTI, dans le calcul de la « taxe nette » que l’intimée était tenue de déclarer suivant le paragraphe 238(2) de la Loi; ils sont plutôt assujettis à un régime particulier qui fait en sorte qu’ils ne deviennent payables qu’au moment où le contribuable en fait la demande et qu’ils n’affectent donc pas, jusqu’à ce moment, le montant de la taxe nette due.

b.    La seconde est à l’effet que le paragraphe 228(6) de la Loi ne fait pas exception à cette règle; il n’a d’impact sur la taxe nette payable que lorsque les remboursements sont réclamés; en ce sens, cette disposition n’a aucune portée rétroactive sur le montant de la taxe nette elle-même et ne peut donc avoir aucun effet sur le calcul des intérêts et de la pénalité pour production tardive d’une déclaration de TPS, lesquels sont applicables sur le montant total de la taxe nette due jusqu’au moment où le remboursement devient payable et où la compensation peut dès lors s’opérer.

[44]      Ces propositions se heurtent à un certain nombre d’obstacles. D’une part, le paragraphe 280(1) de la Loi s’adresse à la personne qui, pour une période de déclaration donnée, « ne verse pas ou ne paie pas un montant au receveur général dans le délai prévu [à la partie IX] » (je souligne). Pour sa part, la pénalité payable pour ce retard est aussi fonction, suivant l’article 280.1, de chaque montant qui est à verser ou à payer pour la période de déclaration en cause. Le mot « montant » est défini comme suit dans la Loi « [a]rgent, ou bien ou service exprimé sous forme d’un montant d’argent ou d’une valeur en argent » (voir le paragraphe 123(1)). À l’évidence, le législateur a opté pour une définition souple et générale.

[45]      Le texte de ces deux dispositions ne contient donc pas de référence explicite à la « taxe nette », qui, dans la Loi, réfère à un sens précis. Ce n’est toutefois pas le cas du paragraphe 280(1.1), qui, lui, réfère au montant payable « au titre de [la] taxe nette ». Cela signale que le législateur avait en tête deux concepts distincts lorsqu’il a rédigé ces dispositions. En effet, tel que le dicte la présomption d’uniformité d’expression, lorsque le législateur utilise deux expressions différentes dans une même loi en lien avec un même sujet, il faut présumer qu’il n’a pas voulu dire la même chose (voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham, Ontario : LexisNexis, 2014, à la page 218, citant Jabel Image Concepts Inc. c. Canada, [2000] A.C.F. no 894 (QL) (C.A.), au paragraphe 12. Il ne peut en être autrement lorsque, comme ici, il utilise, dans le même article de loi, deux expressions différentes en lien avec ce même sujet.

[46]      Le texte du paragraphe 280(1) et de l’article 280.1 de la Loi ne nous renseigne pas davantage sur le caractère brut ou net du « montant » non versé ou non payé sur lequel des intérêts et une pénalité peuvent être imputés. À la lumière des paragraphes 228(6), 256.2(3), 257(1) et 296(2.1) de la Loi, qui traitent soit du droit à des remboursements, soit du droit d’en opérer compensation contre la taxe payable, soit du droit à leur déductibilité en réduction du montant de la taxe nette due lorsque le contribuable omet de les réclamer, le texte du paragraphe 280(1) et de l’article 280.1 n’offre pas de réponse « précis[e] et non équivoque » quant à la nature exacte du « montant » dont il y est question. Cela nous oblige à nous interroger sur l’interaction entre ces différentes dispositions de la Loi, à la lumière du contexte, de l’objet et de l’économie générale de celle-ci.

[47]      Il importe de rappeler, d’entrée de jeu, l’objectif qui sous-tend les remboursements auxquels l’intimée a droit suivant les paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi. Selon la note explicative concernant l’article 257 de la Loi, produite par les parties dans le cahier conjoint d’autorités, cette disposition « prévoit un remboursement à l’intention d’un non-inscrit qui effectue ou qui est réputé effectuer la fourniture taxable d’un immeuble par vente ». Ce remboursement est « calculé d’après la taxe que le non-inscrit a payée à l’achat de l’immeuble et qu’il n’a pas recouvrée par le biais d’un [CTI] ou d’un remboursement ». Il vise ainsi à « prévenir la double taxation ».

[48]      Bien que les notes explicatives émises en lien avec les lois fiscales ne lient pas la Cour, elles peuvent néanmoins avoir un certain poids et même constituer un facteur important à considérer dans leur interprétation (Silicon Graphics Ltd. c. Canada, 2002 CAF 260, [2003] 1 C.F. 447, au paragraphe 50, citant Canada c. Succession Ast, [1997] 3 C.F. 86, [1997] A.C.F. no 267 (QL) (C.A.), au paragraphe 27; voir aussi ExxonMobil Canada Ltd. c. Canada, 2010 CAF 1, au paragraphe 51). Ici, les paragraphes 256.2(3), 257(1) et 191(3) de la Loi, lus ensemble, font, selon moi, apparaître clairement cet objectif. Je rappelle que l’intimée a déjà acquitté la TPS à même les coûts de reconstruction que lui a facturés l’entrepreneur qu’elle a mandaté pour reconstruire son centre d’hébergement. Lui faire assumer également la TPS associée à la vente de l’immeuble reconstruit, qu’elle est réputée s’être faite à elle-même, constituerait sans aucun doute de la double taxation.

[49]      Je suis donc d’accord avec la juge de première instance pour dire que les remboursements auxquels avait droit l’intimée visaient à prévenir que le « constructeur » non-inscrit, réputé avoir effectué, et reçu par vente, la fourniture taxable d’un immeuble devant servir à produire des services exonérés de TPS destinés, comme ici, à des clientèles vulnérables, soit désavantagé, sur le plan fiscal, par rapport au « constructeur » inscrit, dont la principale activité commerciale est la construction d’immeubles, lequel peut récupérer la TPS qu’il a payée en semblables circonstances puisque c’est ultimement l’acquéreur de la fourniture taxable ainsi produite qui sera responsable d’acquitter la TPS.

[50]      Le Parlement a voulu, somme toute, pallier à une situation qui serait autrement inéquitable pour les « constructeurs » non-inscrits parce qu’elle leur imposerait, sans véritable justification, un fardeau fiscal plus lourd, soit celui d’assumer une taxe qui ne peut être reportée sur l’ultime acquéreur du service offert parce que cet acquéreur reçoit de ce « constructeur » réputé, un service non-taxable (voir Renvoi relatif à la taxe de vente du Québec, [1994] 2 R.C.S. 715, à la page 722). Il s’agit là, à mon sens, d’un élément de contexte important aux fins de l’interprétation du paragraphe 280(1) et de l’article 280.1 de la Loi.

[51]      Par ailleurs, un examen des paragraphes 256.2(3) et 257(1) démontre que le droit aux remboursements qui y sont prévus est acquis lorsque les conditions d’ouverture qui y sont spécifiées sont rencontrées. Lorsque c’est le cas, la ministre doit procéder au remboursement. En d’autres termes, elle n’a pas le choix de ne pas le faire. Son pouvoir est alors lié.

[52]      Le paragraphe 228(6) de la Loi, pour sa part, permet d’opérer compensation entre le montant de la taxe nette due par le contribuable et les remboursements qui lui sont payables par la ministre. Cela se veut, en quelque sorte, le pendant du paragraphe 225(1) de la Loi en ce qui a trait aux CTI, à la différence près que les CTI peuvent être déduits du montant de TPS dû aux fins du calcul de la « taxe nette ». La compensation prévue au paragraphe 228(6) est réputée, pour sa part, s’opérer dès le moment, quel qu’il soit, où le contribuable produit sa déclaration de TPS, en autant qu’une demande concomitante de remboursement est faite à la ministre, laquelle peut être produite à même ladite déclaration, dans une « autre déclaration » ou dans « une demande produite conformément à la présente partie ».

[53]      L’appelante insiste sur le fait que suivant le paragraphe 262(1) de la Loi, un remboursement doit être précédé d’une demande présentée en la forme et suivant les modalités déterminées par la ministre. Tant que cette demande n’a pas été faite, plaide-t-elle, le remboursement anticipé ne peut produire aucun effet, que ce soit sur le montant de taxe nette que le contribuable devra acquitter ou sur le calcul des intérêts et de la pénalité dont il pourrait être redevable en raison de la production tardive de sa déclaration de TPS. L’appelante reproche donc à la juge de première instance d’avoir associé les remboursements au calcul de la taxe nette, ce que, selon elle, le texte des paragraphes 262(1) et 228(6) de la Loi ne lui permettait pas de faire.

[54]      C’est ici, à mon avis, qu’intervient le paragraphe 296(2.1) de la Loi. Cette disposition a été considérée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire United Parcel Service du Canada Ltée c. Canada, 2009 CSC 20, [2009] 1 R.C.S. 657 (UPS). Bien que cette affaire concernait un autre type de remboursement que ceux dont il est question en l’espèce, soit un remboursement pour de la TPS payée en trop, tel que le prévoit le paragraphe 261(1) de la Loi, elle nous renseigne sur le sens et la portée du paragraphe 296(2.1) de la Loi, lequel porte sur le traitement des remboursements non demandés lorsque le ministre du Revenu national établit une cotisation, quel que soit le type de remboursement en cause.

[55]      Le paragraphe 296(1) de la Loi confère à la ministre le pouvoir d’établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou encore une cotisation supplémentaire en vue de déterminer, notamment, la « taxe nette » de même que, lorsqu’applicables, les intérêts et pénalités payables par une personne. Les paragraphes 296(2) et 296(2.1), pour leur part, concernent le traitement, dans l’établissement de la cotisation, des crédits, y compris des CTI (paragraphe 296(2)), et des remboursements (paragraphe 296(2.1)) non demandés par un contribuable. Le traitement de l’un et l’autre est à toutes fins utiles identique.

[56]      Dans l’arrêt UPS, le contribuable, United Parcel Service du Canada Ltée (United Parcel), avait payé, à l’égard de marchandises importées, un montant au titre de la TPS qu’il n’avait pas à payer. Ce trop-payé résultait d’erreurs commises par lui et ses clients. United Parcel n’avait par ailleurs produit aucune demande de remboursement, comme l’y obligeait le paragraphe 261(3) de la Loi, pas plus qu’il n’avait présenté, comme il aurait pu le faire, de demandes de remboursement aux termes des dispositions de la Loi et de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, identifiées à l’alinéa 261(2)c) de la Loi. Il avait plutôt opté de déduire, dans ses déclarations mensuelles de TPS, les montants payés en trop du montant de TPS dont il était lui-même redevable.

[57]      Le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé ces déductions, lesquelles s’élevaient, pour la période en cause, à 2 937 123 $, n’accordant à United Parcel qu’un redressement de 36 265 $ en plus de lui réclamer des intérêts au montant de 456 606,20 $ et de lui infliger une pénalité de 632 229,77 $.

[58]      Même s’il reconnaissait que la somme résiduaire de 2 900 858 $ constituait un trop-payé au sens du paragraphe 261(1) de la Loi et que cette somme n’aurait pas été payable si des erreurs n’avaient pas été commises, le ministre soutenait néanmoins que United Parcel n’avait pas droit au remboursement de ce trop-payé parce que, notamment, il n’avait pas suivi la procédure requise pour obtenir ledit remboursement.

[59]      La Cour suprême a écarté cet argument. Ce faisant, elle a invoqué le paragraphe 296(2.1) de la Loi, une disposition, selon elle, obligeant le ministre à appliquer le montant d’un remboursement « en réduction de la taxe nette » par ailleurs payable, lorsqu’il constate, lors de l’établissement d’une cotisation, « qu’un remboursement aurait été payable s’il avait fait l’objet d’une demande, qu’il n’a pas fait l’objet d’une telle demande et que le délai pour réclamer un remboursement est expiré » (UPS, au paragraphe 29). Elle a ajouté ceci, quant au sens et à la portée de cette disposition [au paragraphe 30] :

Selon mon interprétation du par. 296(2.1), même si aucune demande de remboursement n’a été produite avant l’expiration du délai applicable, si le ministre constate qu’un remboursement aurait dû être accordé s’il avait été réclamé, il doit, lors de l’établissement de la nouvelle cotisation, appliquer le montant du remboursement en réduction de la taxe nette due par le contribuable. Le paragraphe fait référence à un

« montant de remboursement déductible ». Ce terme doit s’entendre d’un montant de remboursement qui aurait été accordé si la procédure applicable avait été suivie. Autrement dit, le non-respect de cette procédure n’est pas fatal pour la demande de remboursement.

[60]      Prenant acte du fait que le ministre avait reconnu que le montant résiduaire de 2 900 858 $ constituait un trop-payé et que ce trop-payé n’avait pas été perçu des clients de United Parcel, la Cour en a conclu que si les procédures appropriées avaient été suivies afin d’obtenir le remboursement de ce trop-payé, celui-ci aurait été accordé, faisant en sorte que le ministre était tenu d’appliquer le montant du remboursement en réduction de la taxe nette imposée à UPS, conformément aux paragraphes 261(1) et 296(2.1) de la Loi (UPS, au paragraphe 33).

[61]      Comme je l’ai déjà souligné, le texte du paragraphe 296(2.1) n’exclut aucun type de remboursement de son application. Les remboursements prévus aux paragraphes 261(1), 256.2(3) et 257(1) sont regroupés sous la même section — la section VI, intitulée « Remboursements » (« Rebates » dans la version anglaise) — de la partie IX de la Loi. Outre les conditions d’ouverture qui leur sont propres, il n’y a aucune raison de principe de les distinguer pour les fins de la mise en œuvre du paragraphe 296(2.1).

[62]      Ainsi, il faut comprendre que l’intimée aurait été en meilleure position si elle avait simplement fait défaut de demander les remboursements auxquels elle a droit. À partir du moment où, en la cotisant, la ministre aurait constaté qu’elle avait droit auxdits remboursements, ce n’est pas par la simple compensation du montant de taxe nette payable au moment du constat opéré par la ministre que cet avantage se serait matérialisé mais bien par la réduction même du montant de ladite taxe.

[63]      Dans un tel scénario, bien réel, la taxe nette due par l’intimée se serait soldée par un montant négatif, le montant des remboursements payables à l’intimée étant supérieur à celui de ladite taxe. C’est ce montant négatif de taxe nette que la ministre, aux termes du paragraphe 296(1) de la Loi, aurait alors été tenue de cotiser, faisant en sorte qu’il n’y avait dès lors plus ouverture à l’imposition d’intérêts et de pénalité pour production tardive de la déclaration de TPS.

[64]      L’appelante estime toutefois que le paragraphe 296(2.1) ne s’applique pas en l’espèce puisque l’intimée a produit des demandes de remboursement. Elle précise que la juge D’Auray l’a d’ailleurs reconnu. Dans la mesure où cela signifie que le paragraphe 296(2.1) n’est d’aucune utilité à l’exercice d’interprétation qu’il faut faire en l’espèce, ce qui n’est certes pas la conclusion à laquelle en est arrivée la juge D’Auray, cet argument ne peut être retenu. La juge D’Auray s’en est remise au paragraphe 296(2.1) pour dénoncer l’incongruité résultant du fait qu’il aurait été préférable que l’intimée se soustraie à son obligation de soumettre une demande de remboursement et même à celle de déclarer la TPS qu’elle était réputée devoir parce que, par opération de la Loi, elle était réputée avoir acquis d’elle-même l’immeuble reconstruit.

[65]      Il est bien établi, comme l’a rappelé la juge D’Auray, qu’une interprétation littérale susceptible de produire des résultats illogiques ou absurdes doit être écartée (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 27). L’interprétation proposée par l’appelante voulant que les intérêts et la pénalité pouvant être imposés en cas de retard à produire une déclaration de TPS, doivent être calculés, en toutes circonstances, en fonction du montant de la taxe nette, sans égards aux remboursements par ailleurs payables, est susceptible de produire, comme on l’a vu, de tels résultats.

[66]      C’est la conclusion à laquelle est parvenue la juge D’Auray et je ne saurais dire qu’elle a erré en concluant de la sorte. Pour paraphraser le juge Miller dans la décision Humber College, il serait pour le moins incongru que des dispositions censées aider un contribuable causent plus de tort à un contribuable bien intentionné qu’à celui qui l’est moins (Humber College, au paragraphe 1). Cela ne peut être le résultat que recherchait le Parlement en adoptant le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 de la Loi.

[67]      Mais plus important encore, cette interprétation ne rend pas compte du contexte dans lequel s’inscrivent le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 de la Loi. Ici, il est acquis que l’intimée a droit aux remboursements prévus aux paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi et que le montant de ces remboursements excède celui de la taxe qu’elle doit par ailleurs. Il est acquis également que ces remboursements et cette taxe, comme l’a souligné la juge D’Auray, sont inextricablement liés puisqu’ils concernent une même fourniture taxable et une même période de déclaration. Au surplus, la ministre reconnaît que si l’intimée avait produit sa déclaration de TPS, accompagnée de ses demandes de remboursements, au 31 décembre 2014, et donc, si elle avait suivi la procédure applicable, aucun montant de taxe n’aurait eu à être payé ou versé et aucun intérêt ou pénalité n’aurait pu être imposé.

[68]      Ainsi, dans la mesure où l’intention évidente du législateur, en adoptant les paragraphes 256.2(3) et 257(1) de la Loi, notamment, était de s’assurer qu’un contribuable non-inscrit ne soit pas désavantagé face au contribuable inscrit, lequel, contrairement au premier, peut déduire des CTI dans l’établissement du montant de la taxe nette dont il est redevable, et dans la mesure également où la Loi permet au contribuable non-inscrit qui fait défaut de produire une demande de remboursement dans les délais prescrits de profiter d’un même avantage, soit celui de voir « appliquer le montant du remboursement en réduction de la taxe nette due par [lui] » (UPS, au paragraphe 30), le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 ne peuvent avoir le sens et la portée que l’appelante leur prête.

[69]      En effet, je ne crois pas que le Parlement, en adoptant le paragraphe 280(1) et l’article 280.1 de la Loi, avait en tête que l’établissement du « montant » à payer ou à verser aux fins du calcul des intérêts et de la pénalité imposables pour production tardive de la déclaration de TPS, puisse, dans des circonstances comme celles qui prévalent en l’espèce, se faire sans égards aux remboursements par ailleurs payables au contribuable. En d’autres termes, ce « montant » ne peut représenter, dans des circonstances comme les nôtres, que le montant de taxe réellement dû par le contribuable. Il aurait fallu que le législateur s’exprime autrement qu’il ne l’a fait pour pouvoir se rendre à l’argument de l’appelante à l’effet qu’il est clair et non-équivoque que ce « montant » ne peut représenter que la taxe nette, sans prise en compte des remboursements par ailleurs dus et payables au contribuable.

[70]      Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Trustco, les tribunaux « doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux » et ce même si « [l]’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier » (Trustco, au paragraphe 10). La position défendue par l’appelante en l’espèce, laquelle propose une lecture décontextualisée du paragraphe 280(1) et de l’article 280.1 et susceptible, par surcroît, de donner des résultats que le Parlement ne peut avoir souhaités, heurte de front ce principe général. Il n’y a pas lieu d’y faire droit.

[71]      Je suis donc d’avis que les intérêts et la pénalité pour production tardive de la déclaration de TPS ne pouvaient être calculés que sur un montant reflétant ce que l’intimée devait réellement à la ministre pour la période de déclaration en cause. Comme ce montant était négatif, je suis d’accord avec la juge D’Auray pour dire que la ministre n’était pas justifiée d’imposer à l’intimée les intérêts et la pénalité qu’elle lui réclame.

[72]      Pour tous ces motifs, je propose de rejeter l’appel, avec dépens en faveur de l’intimée.

Le juge Boivin, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Gleason, J.C.A. : Je suis d’accord.

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