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A-481-19

2021 CAF 24

Western Oilfield Equipment Rentals Ltd. et FP Marangoni Inc. (appelantes)

c.

M-I L.L.C. (intimée)

Répertorié : Western Oilfield Equipment Rentals Ltd. c. M-I L.L.C.

Cour d’appel fédérale, juges Gleason, Locke et Mactavish, J.C.A. — Ottawa, 9 septembre 2020 et 9 février 2021.

Brevets — Contrefaçon — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale qui a conclu que certaines revendications de l’intimée concernant le brevet canadien no 2664173 (le brevet ′173) étaient valides et que les appelantes les avaient contrefaites — Le brevet ′173 concerne des tamis vibrants qui sont utilisés dans l’industrie pétrolière et gazière; il décrit une volonté d’augmenter la vitesse du débit à laquelle les tamis séparent le fluide des déblais ou d’autres solides — Il s’agissait de savoir : comment interpréter les éléments de la revendication; s’il y a eu contrefaçon; s’il y a eu invalidité; et s’il y a eu manquement à l’équité procédurale — En ce qui concerne l’interprétation de la revendication, la Cour fédérale n’a pas mal interprété les revendications de brevet en litige et elle n’a pas mal compris la preuve produite — L’intention de l’intimée de modifier les revendications n’était pas, en soi, révélatrice pour ce qui est de l’interprétation des revendications ou de la validité du brevet — En ce qui concerne la contrefaçon, le libellé de l’art. 55(2) de la Loi sur les brevets a été examiné; il n’y a rien dans ce dernier indiquant qu’une personne, qui accomplit un acte de contrefaçon antérieur à la délivrance d’un brevet, peut se dégager de sa responsabilité en cessant ses activités avant la délivrance du brevet — Quant à la question de l’incitation à la contrefaçon, il s’agit simplement d’une forme de contrefaçon de brevet, et non d’un délit distinct; il n’y a pas lieu de faire une distinction entre une contrefaçon par incitation antérieure à la délivrance d’un brevet et une contrefaçon directe antérieure à la délivrance d’un brevet — La Cour fédérale n’a commis aucune erreur en ce qui concerne la conclusion de contrefaçon — En outre, rien ne justifiait qu’une partie se dégage de sa responsabilité en se fondant sur la date à laquelle elle a donné ses instructions ou sur l’absence de preuve selon laquelle elle incitait ses clients à contrefaire au moyen des instructions — En ce qui concerne le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette invoqué par les appelantes, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur dans l’examen de celui-ci — Pour qu’un moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette soit accueilli, il n’est pas nécessaire de conclure que la revendication en question est non valide pour cause d’antériorité ou d’évidence — Dans les circonstances comme celles de la présente affaire, dans laquelle la Cour a interprété les revendications en litige, établi les revendications qui sont valides et celles qui ne le sont pas, et conclu que certaines revendications valides ont été contrefaites, l’examen du moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette était inutile — En ce qui concerne l’antériorité, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas compte de l’antériorité pour chacune des revendications — La Cour fédérale a conclu que certaines des revendications du brevet ′173 ont été antériorisées, tandis que cela n’a pas été le cas pour d’autres — Manifestement, la Cour fédérale a compris qu’il faut effectuer une analyse de l’antériorité, et c’est ce qu’elle a fait — En ce qui concerne l’évidence, la Cour fédérale a examiné chacun des concepts inventifs relevés par la preuve d’expert et a privilégié l’opinion d’un expert selon laquelle les revendications en litige étaient valides — Il n’y avait rien qui indiquait que l’approche adoptée par la Cour fédérale a entraîné une erreur susceptible de révision — La démarche à quatre volets énoncée dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc. est un moyen d’évaluer l’évidence, mais il n’est pas obligatoire — Les seuls examens obligatoires sont ceux exposés à l’art. 28.3 de la Loi, qui porte sur l’évidence pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention — En ce qui concerne l’insuffisance, la Cour fédérale n’a pas omis d’examiner les éléments de preuve — Elle n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le brevet n’était pas insuffisant — En ce qui concerne l’ambiguïté, l’approche de la Cour fédérale n’était pas une erreur de droit — Et la Cour fédérale n’a commis aucune erreur de droit, ni mal compris les éléments de preuve ou les arguments des appelantes sur l’inutilité ou omis de les examiner — En ce qui concerne la portée excessive, il s’agit d’un motif d’invalidité distinct qui doit être examiné séparément — Les appelantes ont affirmé que les revendications du brevet ′173 étaient non valides relativement aux motifs de portée excessive, mais ces arguments ont été rejetés — En ce qui concerne l’ajout d’un nouvel objet comme le prévoit l’art. 38.2(2) de la Loi, la disposition n’indique pas un critère strict ni n’envisage explicitement la révocation d’un brevet, contrairement à la disposition en question au Royaume-Uni — L’art. 38.2(1) de la Loi dispose que, sous réserve de certaines limites, une demande de brevet peut être modifiée — La décision de la Cour fédérale selon laquelle les circonstances ne sont pas pertinentes pour déterminer si l’art. 38.2(2) a été respecté n’était pas erronée — La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur non plus en concluant que la caractéristique visant à éviter le blocage par la boue dans la présente affaire pouvait, à tout le moins, être inférée de manière raisonnable de la demande de brevet originale — Étant donné que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions concernant l’invalidité, il n’était pas nécessaire d’examiner les prétentions des appelantes concernant les mesures de redressement — Enfin, en ce qui concerne l’équité procédurale, la présentation par les parties de rapports d’experts constituait un engagement devant la Cour à appeler ces experts à comparaître à l’instruction — Le droit des appelantes de contre-interroger était limité par leur engagement, qui était volontaire — Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale — Appel rejeté.

Brevets — Pratique — La Cour fédérale a conclu que certaines revendications de l’intimée concernant le brevet canadien no 2664173 (le brevet ′173) étaient valides et que les appelantes les avaient contrefaites — Il a été interjeté appel de cette décision — Il s’agissait de savoir si le procès tenu devant la Cour fédérale était équitable sur le plan de la procédure — La présentation par les parties de rapports d’experts constituait un engagement devant la Cour à appeler ces experts à comparaître à l’instruction — Cet engagement est devenu particulièrement important en l’espèce, car les parties ont également accepté de présenter les éléments de preuve des experts en suivant un ordre inhabituel — Bien que le principe général veuille que les parties aient le droit de mener un contre-interrogatoire comme elles le souhaitent, le droit des appelantes de contre-interroger était limité par leur engagement devant la Cour fédérale à appeler leurs experts à comparaître à titre de témoins — Cet engagement était volontaire — Au procès, la Cour fédérale a donné aux appelantes la possibilité de retirer leur engagement plutôt que de le respecter; il convenait d’enjoindre aux appelantes de choisir et il était nécessaire de veiller à ce que le procès soit équitable — En outre, bien que cette possibilité ait été accordée aux appelantes en l’espèce, la décision de le faire a été laissée à l’appréciation de la Cour fédérale — La Cour fédérale aurait pu simplement exiger que les appelantes respectent leur consentement.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale qui a conclu que certaines revendications de l’intimée concernant le brevet canadien no 2664173 (le brevet ′173) étaient valides et que les appelantes les avaient contrefaites. Le brevet ′173 concerne des tamis vibrants, qui sont utilisés dans l’industrie pétrolière et gazière pour séparer les déblais du fluide de forage qui remonte d’un puits en fonctionnement, afin que le fluide puisse être réutilisé. Le brevet ′173 décrit une volonté d’augmenter la vitesse du débit à laquelle les tamis séparent le fluide des déblais ou d’autres solides et d’améliorer leur efficacité. On sait que l’application d’une pression différentielle dans le crible peut accroître la capacité de fluide du tamis, mais ce faisant, des déblais peuvent rester collés au crible, ce qui empêche les fluides de s’écouler au travers de ce dernier. C’est ce qu’on nomme un « blocage » causé par la boue. Le brevet ′173 décrit [traduction] « une volonté constante d’obtenir des tamis plus efficaces avec une capacité de fluide accrue, un débit plus élevé de fluide au travers des cribles et une meilleure séparation du fluide ». Le brevet ′173 renferme 23 revendications. La Cour fédérale a conclu que les revendications 2, 4, 9, 10, 20, 21 et 22 étaient valides et que le système Vac Screen (système VS) des appelantes les contrefaisait. La Cour fédérale a aussi fait remarquer que les parties avaient convenu que les revendications 1, 11, 16 et 19 du brevet ′173 étaient non valides. Les appelantes étaient Western Oilfield Equipment Rentals Ltd. (Western) et FP Marangoni Inc. (FPM). FPM est une filiale en propriété exclusive de Western, mais elle n’est pas exploitée activement depuis 2014. Il a été conclu que les deux appelantes ont contrefait le brevet ′173.

Plusieurs questions ont été soulevées dans la présente affaire. Elles portaient sur : l’interprétation des éléments de la revendication; la question de savoir s’il y a eu contrefaçon; s’il y a eu invalidité; et s’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

En ce qui concerne l’interprétation de la revendication, la principale plainte des appelantes se rapportait au fait que la portée des revendications initiales du brevet ′173 a été élargie au cours de la poursuite de la demande de brevet de manière à inclure le système VS des appelantes. Cependant, un demandeur de brevet a parfaitement le droit, et serait bien avisé, de rédiger des revendications de brevet en tenant compte des produits des compétiteurs. La limite est que le demandeur doit respecter toutes les exigences liées aux revendications valides. Par conséquent, l’intention de l’intimée de modifier les revendications n’était pas, en soi, révélatrice pour ce qui est de l’interprétation des revendications ou de la validité du brevet. La Cour fédérale n’a pas mal interprété les revendications de brevet en litige et elle n’a pas mal compris la preuve produite.

Les revendications en litige dans le présent appel ne se limitaient pas aux revendications qui ont été jugées comme constituant une contrefaçon. Les arguments de non-validité des appelantes ayant porté sur toutes les revendications du brevet ′173 que l’intimée n’a pas reconnues comme étant non valides, ces revendications étaient également en litige. Les appelantes ont affirmé plus particulièrement que FPM a cessé ses activités en 2014, avant la délivrance du brevet ′173, et qu’elle ne pouvait donc pas être tenue responsable de contrefaçon. Elles ont soutenu qu’aux termes de la Loi, une partie n’est pas tenue responsable d’une contrefaçon antérieure à la délivrance d’un brevet si elle cesse les activités en question avant la délivrance du brevet. Les appelantes ont avancé également qu’une partie, quelles que soient ses activités après la délivrance d’un brevet, ne peut pas être tenue responsable d’une contrefaçon par incitation antérieure à la délivrance d’un brevet. Il s’agissait de déterminer si quelqu’un, qui exécute un acte de contrefaçon antérieur à la délivrance d’un brevet, peut se dégager de sa responsabilité, en application du paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets, en cessant les activités en question avant la délivrance du brevet, et (ii) si la responsabilité aux termes du paragraphe 55(2) s’étend à quelqu’un qui a exécuté un acte de contrefaçon par incitation antérieure à la délivrance d’un brevet. Pour répondre à ces questions, il fallait interpréter le paragraphe 55(2) de la Loi. Si l’on commence par l’examen du libellé du paragraphe 55(2), il n’y a rien dans ce dernier indiquant qu’une personne, qui accomplit un acte de contrefaçon antérieur à la délivrance d’un brevet, peut se dégager de sa responsabilité en cessant ses activités avant la délivrance du brevet. Le libellé porte sur la période qui va de la publication de la demande de brevet à la délivrance du brevet, ainsi que sur les activités pendant cette période qui auraient constitué une contrefaçon si le brevet avait déjà été octroyé. Rien n’indique dans le libellé que l’activité de contrefaçon doit se poursuivre après la délivrance du brevet. Quant à la question de l’incitation à la contrefaçon, il s’agit simplement d’une forme de contrefaçon de brevet, et non un délit distinct. Il n’y a pas lieu de faire une distinction entre une contrefaçon par incitation antérieure à la délivrance d’un brevet et une contrefaçon directe antérieure à la délivrance d’un brevet. Le contexte du paragraphe 55(2) de la Loi n’indique pas qu’une personne qui accomplit un acte de contrefaçon antérieur à la délivrance d’un brevet peut se dégager de toute responsabilité y afférente en cessant ses activités avant la délivrance du brevet. Aucun motif d’instance n’existe aux termes du paragraphe 55(2) tant que le brevet n’a pas été délivré, mais la responsabilité se rapporte à la période comprise entre la publication et la délivrance du brevet. L’objectif du paragraphe 55(2) est d’indemniser les inventeurs dont les brevets publiés sont utilisés sans autorisation avant qu’ils puissent faire valoir leurs droits. Rien dans le contexte ou l’objectif n’indique une exclusion de responsabilité à l’égard d’un breveté lorsque la contrefaçon antérieure à la délivrance d’un brevet cesse avant la délivrance du brevet ou lorsqu’il s’agit d’une contrefaçon par incitation. Par conséquent, aucune erreur de la Cour fédérale n’a été constatée en ce qui concerne la conclusion de contrefaçon à l’encontre de l’appelante FPM. En ce qui concerne l’incitation par l’appelante Western, rien ne justifiait qu’elle se dégage de sa responsabilité en se fondant sur la date à laquelle elle a donné ses instructions ou sur l’absence de preuve selon laquelle elle incitait ses clients à contrefaire au moyen des instructions.

En ce qui concerne le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette invoqué par les appelantes, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur dans l’examen de celui-ci. Le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette permet à un défendeur (ou à une cour) d’accélérer le processus d’interprétation des revendications d’un brevet puis celui visant à établir si ces revendications sont valides ou si elles ont été contrefaites, qui s’avèrent souvent longs et difficiles. Cependant, en pratique, l’application du moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette s’est révélée moins simple et cela a entraîné une mauvaise application du moyen de défense et une certaine incompréhension à l’égard de ce dernier. Bien que les parties accusées de contrefaçon de brevet fassent souvent valoir le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette, il est rare qu’elles s’appuient uniquement sur ce moyen de défense et qu’elles omettent l’analyse sur l’interprétation, la validité et la contrefaçon des revendications. Généralement, ce sont les arguments concernant toutes ces questions qui seront présentés à une cour. Cela s’explique peut-être par le fait que le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette invoqué s’accompagne généralement d’autres moyens de défense et qu’en qualité de moyen subsidiaire pour interpréter des revendications et effectuer une analyse sur leur validité et leur contrefaçon, il est parfois mal compris ou mal appliqué par les avocats et les tribunaux. Pour qu’un moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette soit accueilli, il n’est pas nécessaire de conclure que la revendication en question est non valide pour cause d’antériorité ou d’évidence. Bien au contraire, le principal avantage d’un moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette est d’éviter de devoir interpréter les revendications et tirer une conclusion sur les questions de validité et de contrefaçon. Si la cour a (i) interprété les revendications en litige, (ii) établi les revendications qui sont valides et celles qui ne le sont pas et (iii) conclu que certaines revendications valides ont été contrefaites (comme l’a fait la Cour fédérale en l’espèce), l’examen du moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette est inutile. Cela pourrait aussi créer de la confusion. En fait, il est sans doute préférable, dans certains cas, que la cour n’accueille pas le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette pour écourter le processus, car le processus d’interprétation des revendications qui est le plus laborieux pourrait amener la Cour à conclure que les revendications en question sont non valides. Une telle conclusion présenterait un intérêt non seulement pour les parties, mais aussi pour le grand public.

Les appelantes ont affirmé également que plusieurs publications et activités en matière de brevets constituent l’art antérieur qui antériorise les revendications en litige. Les appelantes ont fait observer, à juste titre, que l’évaluation de l’antériorité (également appelée absence de nouveauté) est un processus en deux étapes : la partie qui conteste une revendication doit établir que l’invention a été divulguée et réalisée. Au sujet de la divulgation, les appelantes ont omis de reconnaître deux exigences importantes. Premièrement, la divulgation « [doit] être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée ». La deuxième exigence importante à remplir en ce qui concerne la divulgation, que les appelantes ont omis de reconnaître, est que les essais successifs sont exclus à cette étape. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur. L’évaluation du caractère réalisable, mais pas de la divulgation, doit tenir compte des expériences dépourvues d’originalité. En ce qui concerne le caractère réalisable, il est important de garder à l’esprit que la question est de savoir si la personne versée dans l’art pourrait réaliser l’invention revendiquée sans trop de difficultés, et non l’art antérieur. Une autre exigence importante en matière d’antériorité est que tous les éléments essentiels de la revendication en litige doivent être divulgués et réalisés dans une seule référence d’antériorité. Cela signifie qu’il faut effectuer une analyse sur l’antériorité distincte pour chacune des références d’antériorité en litige. Il faut interpréter les enseignements de l’art antérieur de la manière dont une personne versée dans l’art les comprendrait. Par définition, cette personne versée dans l’art possède les connaissances générales courantes. Cependant, il ne s’ensuit pas qu’une partie, qui conteste la revendication d’un brevet, a nécessairement le droit de combler des défaillances dans une référence d’antériorité à l’aide de ces connaissances générales courantes. L’affirmation des appelantes selon laquelle la Cour fédérale a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’antériorité pour chacune des revendications n’a pas été retenue. La Cour fédérale a conclu que certaines des revendications du brevet ′173 ont été antériorisées, tandis que cela n’a pas été le cas pour d’autres. Manifestement, la Cour fédérale a compris qu’il faut effectuer une analyse de l’antériorité pour chacune des revendications, et c’est ce qu’elle a fait.

En ce qui concerne l’évidence, les appelantes ont affirmé plus particulièrement que la Cour fédérale a commis une erreur en omettant, dans son évaluation des arguments d’évidence, (i) de relever le concept inventif des revendications et leurs différences par rapport à l’art antérieur et (ii) de demander si ces différences auraient été évidentes pour une personne versée dans l’art. Bien que la Cour fédérale n’ait pas divisé son analyse en quatre volets bien connus dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., les appelantes n’ont pas soutenu qu’elle a omis d’examiner les arguments d’évidence qu’elles ont soulevés. Dans son analyse de l’évidence, la Cour fédérale a examiné chacun des concepts inventifs relevés par la preuve d’expert et a privilégié l’opinion d’un expert selon laquelle les revendications en litige sont valides. L’analyse de la Cour fédérale a essentiellement consisté à faire fusionner les volets 2, 3 et 4 de la démarche à quatre volets. Il n’y avait rien qui indiquait que l’approche adoptée par la Cour fédérale a entraîné une erreur susceptible de révision. La démarche à quatre volets qui a été énoncée dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo est un moyen d’évaluer l’évidence, mais il n’est pas obligatoire. Dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, la Cour suprême du Canada qualifie la démarche à quatre volets d’approche utile. Les seuls examens obligatoires sont ceux exposés à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, qui porte sur l’évidence pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, eu égard à « toute communication [...] qui a été faite [...] avant la [date pertinente] de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs ». La démarche à quatre volets qui a été exposée dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo fournit un cadre pour évaluer l’évidence, mais elle n’approfondit pas la question de savoir si ces différences sont évidentes pour la personne versée dans l’art, sauf pour dire qu’il faut faire abstraction de toute connaissance de l’invention alléguée. En arrivant à sa conclusion sur l’évidence, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur de droit ou d’erreur manifeste et dominante sur une question de fait ou une question mixte de fait et de droit.

L’argument des appelantes sur l’insuffisance du mémoire descriptif du brevet ′173 était fondé sur les exigences indiquées au paragraphe 27(3) de la Loi. La Cour fédérale a examiné les questions soulevées par les appelantes. Elle a privilégié l’opinion d’un expert qui a expliqué que la personne versée dans l’art résoudrait facilement la totalité des insuffisances présumées dans le brevet ′173. La Cour fédérale a conclu que l’invention en litige ne décrivait aucun composant inventif, mais qu’elle avait plutôt trait à une combinaison de dispositifs connus. Elle n’a pas omis d’examiner les éléments de preuve, et ces derniers n’étaient pas tels que l’omission de conclure que le brevet ′173 était insuffisant constituait une erreur susceptible de révision. La Cour fédérale n’a pas non plus commis d’erreur susceptible de révision en refusant de conclure que le mémoire descriptif du brevet ′173 est insuffisant du fait qu’il ne remplit pas l’exigence de la meilleure manière. Les appelantes n’ont pas fourni suffisamment de détails pour établir que toute erreur qui pourrait avoir été commise par la Cour fédérale relativement à l’exigence de la meilleure manière énoncée à l’alinéa 27(3)c) de la Loi était suffisamment importante pour changer l’issue. Les détails mentionnés par les appelantes à l’égard de leurs autres arguments sur l’insuffisance n’étaient pas ceux qui devaient être inclus dans le mémoire descriptif.

Les appelantes ont affirmé que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que diverses revendications dans le brevet ′173 ne sont pas non valides pour cause d’ambiguïté, car la Cour fédérale a été en mesure d’interpréter les termes en litige utilisés dans ces revendications. Cependant, les appelantes n’ont renvoyé à aucune jurisprudence qui enseigne que l’approche de la Cour fédérale à l’égard de l’ambiguïté était une erreur de droit. Le fondement d’invalidité pour cause d’ambiguïté est celui selon lequel le brevet doit aviser comme il se doit le public quant aux activités revendiquées comme se rapportant uniquement au breveté. Si une personne versée dans l’art est en mesure d’interpréter les revendications, il s’ensuit que cet avis est alors fourni.

En ce qui concerne l’inutilité, les appelantes ont affirmé que la Cour fédérale n’a pas bien compris leurs arguments et qu’elle a appliqué le mauvais critère juridique. La Cour fédérale n’a commis aucune erreur de droit, elle n’a pas mal compris les éléments de preuve ou les arguments des appelantes sur l’inutilité et elle n’a pas omis de les examiner. Elle a souligné à juste titre que le fait que l’inventeur n’ait pas créé au départ un prototype qu’il était possible de commercialiser sur-le-champ ne voulait pas dire que ses essais ne révélaient pas une invention utile. Le critère d’utilité à remplir dans le contexte d’un brevet n’est pas l’utilité commerciale. La moindre parcelle d’utilité suffit. La Cour fédérale était de toute évidence convaincue que l’inventeur avait créé une invention utile. Elle était d’avis également qu’une chambre de dégazage externe n’était pas essentielle pour l’invention du brevet ′173, et les revendications qui ne comprennent pas cet élément ne manquent donc pas d’utilité. L’utilité est évaluée du point de vue de la personne versée dans l’art, non de celui de l’inventeur. Les doutes exprimés par l’inventeur quant à l’utilité d’une certaine réalisation ne donneraient pas nécessairement lieu à une conclusion d’inutilité. En outre, les doutes de l’inventeur quant à la question de savoir si la réalisation en question fonctionnerait étaient fondés sur le tamis précis qu’il a observé. Il ne s’agissait pas d’une conclusion selon laquelle aucun système équipé d’un plateau en porte-à-faux ne pouvait fonctionner. Ainsi, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de révision lors de son examen des arguments des appelantes sur l’inutilité.

Il existe deux cas où la revendication d’un brevet peut être jugée non valide pour cause de portée excessive (ou de revendication excessive) : sa portée peut être plus large que l’invention divulguée dans le mémoire descriptif ou sa portée peut être plus étendue que l’invention créée par l’inventeur. La notion de non-validité d’une revendication pour cause de portée excessive (ou de revendication excessive) découle de la combinaison des exigences selon lesquelles le mémoire descriptif d’un brevet (i) doit décrire d’une façon exacte et complète l’invention (paragraphe 27(3) de la Loi) et (ii) doit comprendre des « revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif » (paragraphe 27(4) de la Loi).     La portée excessive chevauche souvent d’autres motifs de non-validité. Si la portée d’une revendication est plus étendue que la description, elle pourrait être non valide pour cause de portée excessive, mais elle pourrait aussi être non valide parce que la description quant à sa mise en pratique n’est pas adéquate. Malgré ce chevauchement possible, la portée excessive est un motif d’invalidité distinct qui doit être examiné séparément. Les appelantes ont affirmé que les revendications du brevet ′173 étaient non valides relativement aux deux motifs de portée excessive, mais ces arguments ont été rejetés.

En ce qui concerne l’ajout d’un nouvel objet comme le prévoit le paragraphe 38.2(2) de la Loi, le critère pour établir la possibilité d’inférence raisonnable relative au nouvel objet n’est pas strict comme celui qui est appliqué au R.-U., comme l’ont soutenu les appelantes. Aux termes de la loi canadienne, un brevet est supposé valide, sauf preuve contraire (paragraphe 43(2)). Il incombait aux appelantes d’établir que le brevet ′173 est non valide, quel que soit le motif de non-validité. De plus, le paragraphe 38.2(2) n’indique pas un critère strict ni n’envisage explicitement la révocation d’un brevet, contrairement à la disposition en question au Royaume-Uni. Au contraire, le paragraphe 38.2(1) dispose que, sous réserve de certaines limites, une demande de brevet peut être modifiée. La disposition qui revêt un intérêt particulier dans le présent appel, le paragraphe 38.2(2) de la Loi, prévoit l’une des limites envisagées. La décision de la Cour fédérale selon laquelle les circonstances ne sont pas pertinentes pour déterminer si le paragraphe 38.2(2) a été respecté n’était pas erronée. La Cour fédérale a indiqué qu’il s’agit d’une question de logique, et non de fait. De même, l’intention de l’intimée de modifier les revendications pour élargir leur portée et inclure le système VS des appelantes n’était pas pertinente pour déterminer si le nouvel objet pouvait être inféré de manière raisonnable de la demande originale. La Cour fédérale a eu raison d’exclure des éléments de preuve sur ce point. Enfin, ce passage, dans le brevet ′173 initialement déposé, appuyait les revendications qui définissent l’intention d’éviter le blocage par la boue. Donc, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que la caractéristique visant à éviter le blocage par la boue pouvait, à tout le moins, être inférée de manière raisonnable de la demande de brevet originale.

En ce qui concerne l’équité procédurale, la présentation par les parties de rapports d’experts constituait un engagement devant la Cour à appeler ces experts à comparaître à l’instruction. Cet engagement est devenu particulièrement important en l’espèce, car les parties ont également accepté de présenter les éléments de preuve des experts en suivant un ordre inhabituel. Les appelantes ont avancé qu’elles avaient le droit de contre-interroger les témoins de l’intimée, sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées, et qu’elles avaient le droit de décider d’appeler leurs propres témoins à comparaître ou d’invoquer plutôt les éléments de preuve qu’elles ont obtenus pendant le contre-interrogatoire. Elles ont affirmé que le fait qu’on leur ait refusé le droit de mener un contre-interrogatoire comme elles le souhaitaient était inéquitable sur le plan procédural. Bien qu’il se soit agi d’un principe général, le droit des appelantes de contre-interroger était limité par leur engagement devant la Cour fédérale à appeler leurs experts à comparaître à titre de témoins. Cet engagement était volontaire; les appelantes auraient pu choisir de ne pas présenter les rapports de leurs experts avant l’instruction. Au procès, la Cour fédérale est allée jusqu’à donner aux appelantes la possibilité de retirer leur engagement plutôt que de le respecter. Non seulement il convenait que la Cour fédérale enjoigne aux appelantes de choisir, mais il était nécessaire de veiller à ce que le procès soit équitable. Les parties ne devraient pas non plus s’attendre à se voir offrir la possibilité, en cours de procès, de retirer un consentement. Bien que cette possibilité ait été accordée aux appelantes en l’espèce, la décision de le faire a été laissée à l’appréciation de la Cour fédérale. La Cour fédérale aurait pu simplement exiger que les appelantes respectent leur consentement.

Étant donné la conclusion selon laquelle la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur dans certaines de ses conclusions concernant l’invalidité, il n’était pas nécessaire d’examiner les prétentions des appelantes concernant les mesures de redressement.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, L.C. 2018, ch. 27, art. 201.

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 27(3),(4), 28.3, 38.2, 43(2), 53.1, 55(1),(2).

Patents Act 1977 (R.-U.), 1977, ch. 37, art. 72(1)(d).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 52.2, 258, 279, tarif B, colonne V.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165; Catnic Components Ltd. v. Hill & Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183, [1981] F.S.R. 60 (H.L.); Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067; Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024; Camso Inc. c. Soucy International Inc., 2019 CF 255, conf. par 2020 CAF 183; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Bauer Hockey Corp. c. Easton Sports Canada Inc., 2010 CF 361, conf. par 2011 CAF 83; Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro Industries Ltd., 2001 CFPI 889, [2002] 2 C.F. 3, inf. pour d’autres motifs par 2002 CAF 158, [2003] 1 C.F. 49; Gillette Safety Razor Company v. Anglo-American Trading Company Ltd. (1913), 30 R.P.C. 465 (H.L.); J. K. Smit & Sons, Inc. v. McClintock, [1940] R.C.S. 279, [1940] 1 D.L.R. 507; Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 113, conf. par 2013 CAF 219.

DÉCISIONS CITÉES :

Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352; Tearlab Corporation c. I-MED Pharma Inc., 2019 CAF 179; Pollard Banknote Limited c. BABN Technologies Corp., 2016 CF 883; CanMar Foods Ltd. c. TA Foods Ltd., 2021 CAF 7, [2021] 1 R.C.F. 799; Corlac Inc. c. Weatherford Canada Ltd., 2011 CAF 228; Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusé le 23 décembre 2020, [2020] C.S.C.R. no 79 (QL); Premier Tech Ltée c. Équipements Tardif Inc., [1993] A.C.F. no 283 (QL) (1re inst.); SanofiAventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 676; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2009 CF 1294, conf. par 2011 CAF 102; Biovail Corporation c. Canada (Santé), 2010 CF 46; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2010 CF 447, inf. par 2011 CAF 236; Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, 64 N.R. 287 (C.A.F.); General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A. Angl.); Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, [2014] 2 R.C.F. 459; Teva Canada Limitée c. Novartis Pharmaceuticals Canada inc., 2013 CAF 244; Bombardier Produits Récréatifs Inc. c. Arctic Cat, Inc., 2018 CAF 172; Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc., [1995] A.C.F. no 1243 (QL) (C.A.); Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725; AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2017 CSC 36, [2017] 1 R.C.S. 943; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2007 CAF 209; Bonzel v. Intervention Ltd. (No. 3), [1991] R.P.C. 553 (Pat. Ct.) (R.-U.); Gedeon Richter plc v. Bayer Pharma AG, [2012] EWCA Civ. 235, [2012] All E.R. 87.

DOCTRINE CITÉE

Barrigar, Robert et Andrew Shaughnessy, Canadian Patent Act Annotated, 2e éd., feuilles mobiles, Toronto : Carswell, 1994.

MacOdrum, Donald H. Fox on the Canadian Law of Patents, 5e éd., feuilles mobiles, Toronto : Carswell, 2002.

Vaver, David « Best Mode Disclosure in Canadian Patents » (2013), 25 I.P.J. 303.

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2019 CF 1606), qui a conclu que certaines revendications de l’intimée concernant le brevet canadien no 2664173 étaient valides et que les appelantes les avaient contrefaites. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Patrick S. Smith et R. Nelson Godfrey pour les appelantes.

Kevin L. LaRoche et Kirsten Crain pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l., Calgary, pour les appelantes.

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l., Ottawa, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Locke, J.C.A. :

I.     Contexte

[1]        La présente décision porte sur un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2019 CF 1606, le juge O’Reilly (la décision)) qui a conclu que certaines revendications de l’intimée concernant le brevet canadien no 2664173 (le brevet '173) étaient valides et que les appelantes les avaient contrefaites.

[2]        Le brevet '173 concerne des tamis vibrants dont la description, au paragraphe 6 de la décision, était la suivante :

[...] Les tamis vibrants sont utilisés dans l’industrie pétrolière et gazière pour séparer les déblais du fluide de forage qui remonte d’un puits en fonctionnement, afin que le fluide puisse être réutilisé. Les solides, qui sont produits lors de la pénétration de la roche par le trépan, sont souvent appelés « déblais ». Le fluide de forage aide à remonter les déblais en surface et à lubrifier l’équipement de forage. Le mélange solide-liquide qui remonte en surface au site de forage est appelé « boue ».

[3]        La suite de la description, au paragraphe 7 de la décision, est la suivante :

Un tamis vibrant fonctionne essentiellement comme un tamis qui vibre. Il reçoit la boue et procède au criblage des déblais qui se trouvent dans celle-ci. Le fluide est ensuite récupéré par les réservoirs se trouvant au-dessous. Étant donné que le fluide de forage est dispendieux, plus le tamis vibrant est efficace à séparer les solides, moins les coûts des travaux de forage sont élevés. Plus on récupère de fluide de forage réutilisable, mieux c’est.

[4]        Le brevet '173 décrit une volonté d’augmenter la vitesse du débit à laquelle les tamis séparent le fluide des déblais ou d’autres solides et d’améliorer leur efficacité. On sait que l’application d’une pression différentielle dans le crible peut accroître la capacité de fluide du tamis, mais ce faisant, des déblais peuvent rester collés au crible, ce qui empêche les fluides de s’écouler au travers de ce dernier. C’est ce qu’on nomme un « blocage » causé par la boue. Le brevet '173 décrit [traduction] « une volonté constante d’obtenir des tamis plus efficaces avec une capacité de fluide accrue, un débit plus élevé de fluide au travers des cribles et une meilleure séparation du fluide ».

[5]        Le brevet '173 renferme 23 revendications. La Cour fédérale a conclu que les revendications 2, 4, 9, 10, 20, 21 et 22 étaient valides et que le système VS (système Vac Screen) des appelantes les contrefaisait. La Cour fédérale a aussi fait remarquer que les parties avaient convenu que les revendications 1, 11, 16 et 19 du brevet '173 étaient non valides. Les éléments des revendications en litige sont notamment les suivants :

A.    L’application de différentes pressions différentielles entre les premier et deuxième cribles (toutes les revendications);

B.    Le contrôle du débit d’air sous au moins une partie du premier crible pour empêcher tout blocage causé par la boue (revendications 2, 10);

C.   L’application de la pression différentielle dans le premier crible produite par une pompe à vide non intégrée au tamis (revendication 9);

D.   L’application de la pression différentielle dans le premier crible pour aspirer au travers de ce dernier les vapeurs et le fluide de forage acheminés vers une chambre de dégazage non intégrée au tamis (revendications 10 et 20);

E.    Un premier crible intégré à un tamis pour séparer les déblais de forage et le fluide de forage (revendications 20, 21 et 22);

F.    Un générateur de pression différentielle configuré pour aspirer au travers du premier crible de l’air ou de la vapeur pour accroître le débit du fluide de forage dans le premier crible par rapport à un deuxième crible intégré à un tamis (revendications 20, 21 et 22);

G.   Un bac se trouvant au-dessous du premier crible et configuré pour recueillir l’air ou la vapeur et le fluide de forage qui traverse le premier crible (revendication 20);

H.   Une chambre de dégazage non intégrée au tamis et en communication fluide avec le générateur de pression différentielle et le bac pour récupérer la totalité de l’air ou de la vapeur et le fluide de forage dans le bac (revendication 20);

I.     La possibilité d’ajuster l’air ou la vapeur aspirés au travers du premier crible pour empêcher tout blocage causé par les déblais de forage sur le premier crible (revendication 22).

[6]        Les appelantes sont Western Oilfield Equipment Rentals Ltd. (Western) et FP Marangoni Inc. (FPM). FPM est une filiale en propriété exclusive de Western, mais elle n’est pas exploitée activement depuis 2014. Il a été conclu que les deux appelantes ont contrefait le brevet ′173.

II.    Questions en litige

[7]        Les appelantes soulèvent plusieurs questions qu’il pourrait être utile de classer de la manière suivante :

i.     L’interprétation des éléments de la revendication, notamment : [traduction]

a)      « Premier crible »;

b)      « Contrôler le débit d’air »;

c)      « Vapeur »;

d)      « Chambre de dégazage »;

e)      « La totalité »;

f)       « Ou »;

g)      « Intégré à un tamis ».

ii.    La contrefaçon, notamment :

a)      Par FPM;

b)      Incitation par Western;

c)      Si le système VS aspire la vapeur;

d)      Moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette.

iii.   L’invalidité, notamment :

a)      L’antériorité, notamment par :

1.    La demande de brevet de Derrick;

2.    L’usage antérieur du brevet de Derrick;

3.    Le brevet de Vasshus;

4.    La demande de brevet d’Hensley;

5.    Les publications des brevets de Logue, de Bongert, d’Ennis, de Cook et de Fast;

b)      L’évidence;

c)      L’insuffisance;

d)      L’ambiguïté;

e)      L’inutilité;

f)       La portée excessive;

g)      L’ajout d’un nouvel objet;

iv.   L’équité procédurale;

v.    Les mesures de redressement.

[8]        Comme je l’explique ci-dessous, j’ai conclu que la Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de révision.

[9]        Avant de poursuivre, je me sens obligé de dire quelques mots au sujet du manque de jugement que dénote le fait d’avoir soulevé un aussi grand nombre de questions en appel, sans tenir dûment compte de la norme de contrôle applicable en l’espèce, d’autant plus qu’il s’agissait de questions intimement liées aux faits. Premièrement, il ressort de la démarche adoptée par les appelantes qu’elles ne sont pas elles-mêmes capables de relever les questions qui posent particulièrement problème. Cela est d’autant plus vrai que, lors de l’audition de l’appel, les appelantes ont insisté pour examiner toutes les questions soulevées dans leur mémoire des faits et du droit, bien que la Cour ait suggéré que les appelantes se concentrent sur leurs points les plus impératifs. Les appelantes, en adoptant cette démarche, ont non seulement manqué l’occasion de mettre en évidence certaines des questions, mais cela les a également empêché d’examiner plus en profondeur des points qui le méritaient peut-être. Cette démarche, en plus de nuire à la propre cause des appelantes, a entraîné du travail supplémentaire pour la Cour et a retardé l’annonce de cette décision. J’ai des commentaires supplémentaires ci-dessous concernant la manière dont les appelantes ont considéré la norme de contrôle.

III.   Norme de contrôle

[10]      Les appelantes ont accordé une attention insuffisante à la norme de contrôle dans leurs observations et c’est pourquoi il est important de mentionner la norme applicable en l’espèce.

[11]      Tel que le mentionne la Cour suprême dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (arrêt Housen), la norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit (voir le paragraphe 8), mais les conclusions de fait ou mixtes de fait et de droit ne sont susceptibles de révision que lorsque la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante (voir les paragraphes 10 et 36). La norme de l’erreur manifeste et dominante n’est pas facile à satisfaire. Comme l’a déclaré notre Cour dans l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, au paragraphe 46, cité avec l’approbation de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38 :

L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue […] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

[12]      La retenue à l’égard de la Cour fédérale sur les questions de fait est justifiée pour plusieurs raisons, notamment parce que le juge de première instance était présent tout au long du procès pour entendre tous les témoins et examiner l’ensemble de la preuve concernant les nombreuses questions en l’espèce. Il était donc bien mieux placé que les membres de notre Cour pour examiner et soupeser la preuve : voir l’arrêt Housen, au paragraphe 12.

[13]      Bien que les parties semblent être d’accord sur la norme de contrôle applicable, il sera nécessaire de se pencher sur son application à certaines des questions examinées ci-dessous. À titre d’observation générale, je remarque que les appelantes ne pourraient pas espérer obtenir gain de cause sur toute question pour laquelle la norme de contrôle qui s’applique est celle de l’erreur manifeste et dominante, sans mettre en évidence l’erreur alléguée de la Cour fédérale et expliquer pourquoi l’erreur devrait être considérée comme manifeste et dominante. Même après ce constat lors de l’audience, la plupart des arguments des appelantes n’étaient pas axés sur les points appropriés et ils constituaient plutôt des tentatives malavisées d’amener notre Cour à apprécier à nouveau la preuve et à requalifier les faits. Ce n’est pas notre rôle.

IV.   L’interprétation des éléments de la revendication

[14]      Dans la présente section, compte tenu de l’importance de l’interprétation des revendications par rapport aux questions de contrefaçon, de validité et de redressement, l’examen de ces nombreuses questions est déterminant.

[15]      Un brevet ne s’adresse pas au citoyen ordinaire, mais au travailleur versé dans l’art dont relève l’objet. Comme cela est indiqué dans l’arrêt Catnic Components Ltd. v. Hill & Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183, à la page 243, [1981] F.S.R. 60 (H.L.) (arrêt Catnic) et cité par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067 (arrêt Whirlpool), au paragraphe 44 :

[traduction] [...] Le mémoire descriptif d’un brevet doit recevoir une interprétation téléologique plutôt que l’interprétation purement littérale découlant du genre d’analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation.

[16]      La Cour suprême poursuit en déclarant ce qui suit au paragraphe 49g) de l’arrêt Whirlpool :

Même si elle est une appellation qui a été appliquée à l’interprétation des revendications par l’arrêt Catnic, précité, l’« interprétation téléologique » ellemême est fort compatible, selon moi, avec ce que le juge Dickson avait affirmé, l’année précédente, dans l’arrêt Consolboard [Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, 56 C.P.R. (2d) 145], au sujet de l’interprétation des revendications (aux pp. 520 et 521) :

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation, [1950] R.C.S. 36), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la p. 574 : [traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ».

Non seulement l’« interprétation téléologique » est-elle compatible avec ces principes bien établis, mais encore elle favorise l’atteinte de l’objectif visé par le juge Dickson, à savoir une interprétation des revendications de brevet qui « soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public ».

[17]      Les appelantes affirment que, selon la norme de contrôle, l’interprétation des revendications est une question de droit à laquelle la norme de la décision correcte s’applique. De son côté, l’intimée fait remarquer, à juste titre, que l’interprétation des revendications est généralement guidée par la preuve d’expert et que la pondération de cette preuve par le juge de première instance est examinée selon la norme de l’erreur manifeste et dominante : voir l’arrêt Tearlab Corporation c. I-MED Pharma Inc., 2019 CAF 179, au paragraphe 29. Par conséquent, bien que je n’aurais pas tiré les mêmes conclusions quant à la preuve d’expert entendue par la Cour fédérale, je dois m’en remettre à sa pondération de la preuve, sauf si je trouve une erreur qui satisfait à cette norme élevée.

[18]      Avant de commencer à me pencher sur les questions particulières d’interprétation des revendications à examiner, je dois me prononcer sur un argument que les appelantes ont soulevé lors de l’audience du présent appel (bien qu’il n’ait pas été mentionné dans leur mémoire). Elles soutiennent que notre Cour pourrait examiner l’article 53.1 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, qui traite de l’interprétation des revendications. La partie clé de cette disposition, le paragraphe 53.1(1) énonce ce qui suit :

Procédures judiciaires relatives aux brevets

[…]

Admissibilité en preuve

53.1 (1) Dans toute action ou procédure relative à un brevet, toute communication écrite ou partie de celle-ci peut être admise en preuve pour réfuter une déclaration faite, dans le cadre de l’action ou de la procédure, par le titulaire du brevet relativement à l’interprétation des revendications se rapportant au brevet si les conditions suivantes sont réunies:

a) elle est produite dans le cadre de la poursuite de la demande du brevet ou, à l’égard de ce brevet, d’une renonciation ou d’une demande ou procédure de réexamen;

b) elle est faite entre, d’une part, le demandeur ou le titulaire du brevet, et d’autre part, le commissaire, un membre du personnel du Bureau des brevets ou un conseiller du conseil de réexamen.

[19]      Bien que les appelantes qualifient cette disposition de [traduction] « préclusion fondée sur les notes apposées au dossier », il est important de noter qu’elle ne se rapporte pas à une préclusion. Elle dispose plutôt que certaines communications concernant un brevet ou la demande de brevet, entre un breveté ou un requérant et le Bureau des brevets, sont admissibles à titre de preuve dans le cadre d’une action ou d’une instance relative à un brevet [traduction] « pour réfuter une déclaration faite, dans le cadre de l’action ou de l’instance, par le titulaire du brevet relativement à l’interprétation des revendications se rapportant au brevet ». Cette disposition semble avoir été adoptée pour traiter une interdiction antérieure d’examen de l’historique de poursuite relatif à un brevet au moment d’interpréter ses revendications (voir l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024 (arrêt Free World Trust), au paragraphe 66; et la décision Pollard Banknote Limited c. BABN Technologies Corp., 2016 CF 883, aux paragraphes 79 et 81). Pour un plus vaste débat sur cette disposition, voir l’arrêt CanMar Foods Ltd. c. TA Foods Ltd., 2021 CAF 7, [2021] 1 R.C.F. 799, aux paragraphes 48 à 77.

[20]      L’article 53.1 est entré en vigueur en décembre 2018, lors de l’adoption de la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, L.C. 2018, ch. 27. Selon l’article 201 de cette loi, l’article 53.1 de la Loi sur les brevets s’applique « à toute action ou procédure qui n’est pas décidée de façon définitive à l’entrée en vigueur de cet article 53.1 ». Bien que le procès se soit terminé avant l’entrée en vigueur de l’article 53.1, la Cour fédérale n’a pas communiqué la décision avant décembre 2019. Il importe peu, au moment de la publication d’une décision de la Cour fédérale ou d’une décision définitive en appel, de savoir si on considère qu’une action est « décidée de façon définitive ». Il semble que l’action en l’espèce n’avait pas été décidée de façon définitive lorsque l’article 53.1 est entré en vigueur et, par conséquent, l’article 53.1 s’applique en l’espèce.

[21]      Cela dit, je note que la Cour fédérale n’a entendu aucun argument relatif à l’article 53.1, même après son entrée en vigueur qui a suivi le procès. Par conséquent, il serait difficile d’imputer une erreur à la Cour fédérale sur ce point. En outre, bien que les appelantes affirment que notre Cour devrait interpréter les revendications du brevet '173 à la lumière des revendications qui figuraient dans la demande de brevet initiale, elles n’indiquent aucune observation présentée par l’intimée à la Cour fédérale qu’elles cherchent à réfuter. La principale plainte des appelantes semble se rapporter au fait que la portée des revendications initiales a été élargie au cours de la poursuite de demande de brevet de manière à inclure le système VS des appelantes. Chacune des questions d’interprétation des revendications et de validité du brevet soulevées par les appelantes est traitée dans les paragraphes suivants. Cependant, comme je l’ai dit dans la décision Camso Inc. c. Soucy International Inc., 2019 CF 255 (décision Camso), au paragraphe 197, conf. par 2020 CAF 183 :

[...] Un demandeur de brevet a parfaitement le droit, et serait bien avisé, de rédiger des revendications de brevet en tenant compte des produits des compétiteurs. La limite est que le demandeur doit respecter toutes les exigences liées aux revendications valides.

[22]      Par conséquent, l’intention de l’intimée de modifier les revendications n’est pas, en soi, révélatrice pour ce qui est de l’interprétation des revendications ou de la validité du brevet.

A.    Premier crible

[23]      La présente question concerne essentiellement l’argument des appelantes présenté à la Cour fédérale et à notre Cour, selon lequel le « premier crible » correspond au crible le plus près de l’entrée du tamis et exclut le crible à la sortie du tamis. Les appelantes invoquent les connaissances générales courantes liées à l’utilisation de ce terme.

[24]      La Cour fédérale n’était pas d’accord avec cette interprétation. Ce faisant, la Cour fédérale a noté le désaccord entre les experts sur ce point (Peter Matthews et Bernard Murphy pour les appelantes et Robert Palmer pour l’intimée), mais elle a privilégié le témoignage de M. Palmer. Dans la décision, il a été souligné que M. Murphy est parvenu à son interprétation sans avoir lu quoi que ce soit dans le brevet '173 et qu’en fin de compte, il a reconnu que, dans le brevet '173, le premier crible pourrait être n’importe quel crible (voir le paragraphe 60). M. Matthews a également admis que le brevet '173 mentionne clairement qu’une pression différentielle peut être appliquée au crible à la sortie du tamis (voir le paragraphe 61).

[25]      De son côté, M. Palmer a fait valoir qu’il n’est pas nécessaire que le premier crible soit celui le plus près de l’entrée et qu’une personne versée dans l’art qui lirait le brevet '173 comprendrait que la principale différence entre le premier et le deuxième crible n’est pas l’emplacement, mais le fonctionnement. La Cour fédérale a souscrit à cet argument et a souligné que, lorsqu’il est nécessaire de distinguer les cribles, le brevet dit expressément au lecteur quel crible est lequel (voir le paragraphe 65).

[26]      La Cour fédérale n’a pas mal interprété la preuve et elle avait le droit de la soupeser de cette façon. Je ne constate aucune erreur.

B.    [traduction] « Contrôler le débit d’air »

[27]      La principale difficulté pour interpréter l’expression [traduction] « contrôler le débit d’air » réside dans le fait que la méthode dont il est le plus souvent question, dans le brevet '173, afin de résoudre le problème de la pression différentielle qui cause un blocage par la boue sur le crible, est la pulsation de la pression. Cette pulsation est également qualifiée de variation ou d’interruption intermittente de la pression à vide dans le brevet '173. Les appelantes affirment que l’interprétation de l’expression [traduction] « contrôler le débit d’air » devrait se limiter à ce type de pulsation et ne devrait pas inclure simplement l’ajustement d’une pression différentielle continue. Elles soutiennent qu’une interprétation plus large rendrait évidentes les revendications qui utilisent ce terme, puisque l’ajustement d’une pression différentielle continue, afin d’empêcher tout blocage par la boue, faisait partie des connaissances générales courantes, antérieures à la délivrance du brevet '173, d’une personne versée dans l’art.

[28]      L’argument concernant l’évidence est examiné plus loin dans les présents motifs. Cependant, l’interprétation des revendications est une étape distincte.

[29]      En ce qui concerne l’expression [traduction] « premier crible », je suis d’avis que la Cour fédérale comprenait la preuve d’expert et qu’elle a expliqué pourquoi elle est parvenue à une conclusion qu’elle était en droit de tirer. Au paragraphe 77 de sa décision, la Cour fédérale a souligné que le brevet '173 ne se rapporte pas simplement à la variation ou à la pulsation de la pression différentielle, mais aussi à la « manipulation du robinet » et que les experts étaient d’accord pour dire que certains des robinets mentionnés dans le brevet étaient destinés à contrôler le débit d’air (et qu’ils n’étaient pas simplement conçus pour des applications marche/arrêt). Cela appuie la conclusion de la Cour fédérale au paragraphe 76 de la décision selon laquelle l’expression [traduction] « contrôler le débit d’air » est plus vague que la variation ou la pulsation de la pression différentielle.

C.   [traduction] « vapeur »

[30]      Les appelantes affirment que les experts ont convenu que le terme [traduction] « vapeur » dans les revendications prête à confusion, mais que la Cour fédérale n’était pas d’accord, concluant que la vapeur est un brouillard, et non un gaz. Je ne crois pas que la Cour fédérale n’était pas d’accord avec l’opinion des experts selon laquelle le terme [traduction] « vapeur » dans les revendications prête à confusion. Il a été reconnu, au paragraphe 69 de la décision, que les experts étaient d’accord sur ce point et la discussion subséquente portait sur la confusion. Au paragraphe 70, la Cour fédérale a indiqué que « [l]a signification du terme « vapeur » n’est en soi pas très compliquée — air ou gaz contenant des particules liquides en suspension ». La discussion subséquente n’a pas sensiblement modifié la définition. Au paragraphe 72, la Cour fédérale a déclaré qu’« [u]ne vapeur n’est pas un gaz entraîné. Et un gaz n’est pas une vapeur ». (Note : un gaz entraîné est un gaz qui est emprisonné dans un fluide.)

[31]      Les appelantes semblent établir une importante distinction entre la vapeur et le brouillard. J’estime que cette importante distinction n’existe pas. L’un ou l’autre de ces termes peut faire référence à un gaz contenant des particules liquides en suspension. La Cour fédérale n’établit pas non plus cette distinction. Les appelantes semblent vouloir dire qu’un brouillard est différent, car il se crée lorsque le fluide de forage est aspiré au travers du crible et, par conséquent, les particules liquides en suspension constituent le fluide de forage. Ce point de vue n’est toutefois pas étayé dans la décision et la preuve invoquée par les appelantes n’oblige pas non plus la Cour fédérale à souscrire à ce point de vue.

[32]      Les appelantes appuient également leurs arguments en se fondant sur l’utilisation par la Cour fédérale du terme « gaz » et non du terme « vapeur » aux paragraphes 102, 108 et 115 de la décision. Premièrement, elles mentionnent la déclaration, au paragraphe 72 de la décision, selon laquelle un gaz n’est pas une vapeur. Puis elles soulignent le libellé utilisé par la Cour fédérale dans les paragraphes énumérés ci-dessus. J’examinerai chacun de ces points, mais je suis d’accord avec l’intimée quand elle fait valoir l’argument selon lequel le libellé utilisé par la Cour fédérale est malheureux, mais insignifiant.

[33]      Un gaz est différent d’une vapeur simplement en ce sens que la vapeur contient des particules liquides en suspension, ce qui, techniquement parlant, n’est pas le cas du gaz. Au paragraphe 102 de la décision, le plateau situé sous le crible du système VS des appelantes a été décrit comme recueillant le « le fluide, les particules fines et les gaz qui passent au travers du crible ». Les appelantes infèrent que la Cour fédérale entendait exclure les gaz contenant des particules liquides en suspension (vapeur). Ayant examiné la décision en détail, je ne crois pas que c’était l’intention de la Cour fédérale. Je ne crois pas non plus que la Cour fédérale a particulièrement mal compris la preuve sur cette question.

[34]      Au paragraphe 108 de la décision, il est indiqué qu’un véritable dégazeur (au regard des connaissances générales courantes, qui n’est pas interprété dans le contexte du brevet '173) est « utilisé pour récupérer les gaz entraînés dans le fluide de forage ». Je ne vois aucun problème avec l’utilisation du terme « gaz » en l’espèce, même si l’on suit l’interprétation stricte de ce terme donnée par les appelantes.

[35]      Enfin, le paragraphe 115 de la décision décrivait le système VS des appelantes comme ayant un plateau situé sous le crible « pour récupérer le liquide et les gaz ». Cela concorde avec le paragraphe 102 et mon point de vue à cet égard est le même.

D.   [traduction] « chambre de dégazage »

[36]      Les appelantes affirment que le terme [traduction] « chambre de dégazage » utilisé dans certaines des revendications en litige se rapporte à un dégazeur, que la personne versée dans l’art connaît bien, et qui désigne un appareil qui sépare les gaz entraînés du fluide de forage. Les appelantes attirent l’attention sur les références répétées aux gaz entraînés qui figurent dans le brevet '173. Les appelantes s’opposent à l’interprétation plus large de ce terme donnée par la Cour fédérale pour inclure toute chambre qui sépare l’air ou la vapeur du fluide de forage.

[37]      La Cour fédérale a retenu le témoignage de l’expert de l’intimée, M. Palmer (et des autres experts) selon lequel la chambre de dégazage, décrite et revendiquée dans le brevet '173, n’est pas un véritable dégazeur tel que la personne versée dans l’art le comprend. La Cour fédérale avait le droit de retenir le témoignage de M. Palmer concernant le sens de l’expression [traduction] « chambre de dégazage » dans le brevet '173. Je ne vois aucune erreur susceptible de révision dans la conclusion de la Cour fédérale à cet égard. Bien que le brevet '173 mentionne des gaz entraînés, l’élément décrit comme une chambre de dégazage à la figure 6 du brevet '173 est simplement un réservoir de rétention pour le liquide dans lequel l’air est évacué et qui ressemble beaucoup à un aspirateur de liquides domestique. L’expert des appelantes, M. Murphy, l’a reconnu. Le brevet '173 ne décrit pas des moyens permettant de supprimer les gaz entraînés.

[38]      Lors de l’audience, les appelantes ont ajouté un argument selon lequel la Cour fédérale a commis une erreur en interprétant l’expression [traduction] « chambre de dégazage », dans les revendications 10, 17 et 20, comme ayant la même portée que le terme [traduction] « chambre », dans les revendications 12 et 16. Les appelantes affirment que, dans cette conclusion, on omettait de reconnaître le principe de la différenciation des revendications et la revendication 17 qui diffère de la revendication 12 uniquement par le fait que la chambre est définie comme une chambre de dégazage. Cet argument ne peut être retenu. D’abord, le principe de la différenciation des revendications n’est pas absolu. Il porte plutôt sur une présomption réfutable : lorsque des revendications diffèrent l’une de l’autre à un seul égard, il est difficile de prétendre que l’on n’a pas fait de la caractéristique différente un élément essentiel de la revendication : arrêt Whirlpool, au paragraphe 79; décision Camso, au paragraphe 103. En outre, l’argument des appelantes contredit l’opinion de leur propre expert, M. Murphy, qui a interprété les deux termes en indiquant qu’ils étaient équivalents (voir le paragraphe 72 du rapport de M. Murphy sur l’invalidité, dossier d’appel, vol. 33, onglet 302, à la page A6567).

E.    [traduction] « la totalité »

[39]      Les revendications 12 et 20 du brevet '173 précisent que [traduction] « la totalité » de l’air ou de la vapeur et du fluide de forage qui passe au travers du premier crible est acheminée vers une chambre de dégazage (ou une chambre). Les appelantes s’opposent à la Cour fédérale qui qualifie d’élément essentiel le terme [traduction] « la totalité » dans les présentes revendications. Les appelantes affirment que la Cour fédérale n’a pas fourni d’analyse téléologique du terme [traduction] « la totalité ».

[40]      Je ne suis pas certain de savoir précisément ce qui, en l’espèce, manquait dans l’analyse de la Cour fédérale, selon les appelantes. Elle a tenu compte de l’affirmation de M. Murphy au sujet de la présence possible de gaz dangereux dans la boue, mais elle l’a rejetée pour le motif que le brevet '173 ne renferme pas de revendications concernant le traitement de ces gaz. La Cour fédérale a également souligné l’absence du terme [traduction] « la totalité » dans la revendication 10 pour conclure que ce terme est essentiel dans les revendications 12 et 20. Je ne décèle dans cette analyse aucune erreur.

[41]      Je remarque aussi le principe selon lequel les éléments des revendications du brevet sont présumés essentiels : arrêt Free World Trust, au paragraphe 57. Les appelantes ne font aucun argument raisonnable quant à la raison pour laquelle le terme « la totalité », dans les revendications 12 et 20, devrait être considéré comme non essentiel.

F.    [traduction] « ou »

[42]      Les appelantes affirment que le terme [traduction] « ou », dans l’expression [traduction] « l’air ou la vapeur », dans les revendications 19 et 20, devrait être interprété au sens conjonctif et que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que l’expression porte sur l’air ou sur la vapeur ou sur les deux combinés. L’expression « l’air ou la vapeur » renvoie à ce qui est aspiré au travers du premier crible, puis acheminé vers la chambre de dégazage. D’une part, les appelantes affirment que la vapeur ne peut pas être aspirée au travers du premier crible sans que l’air le soit aussi. Les appelantes soutiennent également que la vapeur doit être acheminée vers la chambre de dégazage, car celle-ci ne servirait à rien si elle ne recueillait que de l’air.

[43]      La Cour fédérale a tenu compte de cet argument, mais elle a tiré sa conclusion en se fondant sur l’opinion de M. Palmer. À mon avis, il était loisible à la Cour fédérale de privilégier le témoignage de M. Palmer. L’argument des appelantes suppose que l’objet de la chambre de dégazage revendiquée est de récupérer les particules liquides en suspension sous forme de vapeur. Ce n’est pas le cas. Son objet est plutôt de séparer l’air ou la vapeur du fluide de forage récupéré de la boue.

G.   [traduction] « intégré à un tamis »

[44]      Les revendications 20, 21 et 22 du brevet '173 dépendent de la revendication 19 qui définit [traduction] « un deuxième crible intégré à un tamis ». Les appelantes affirment que ces revendications exigent que le deuxième crible soit situé à l’intérieur du tamis et qu’il ne suffit pas que le deuxième crible soit installé à l’extérieur du tamis.

[45]      La Cour fédérale n’a pas interprété explicitement l’expression [traduction] « intégré à un tamis ». Cependant, il est implicite, dans la décision, que la Cour fédérale a conclu qu’un deuxième crible est « intégré au tamis » s’il est bien fixé ou intégré à ce dernier, le tamis : voir les paragraphes 16 et 87 de la décision. Le témoignage de M. Palmer étayait cette conclusion : il était indiqué, au paragraphe 40 de son rapport en réponse, qu’un crible [traduction] « monté à l’extérieur sur le tamis et qui devient partie intégrante du tamis [...] devient véritablement un élément du tamis en prolongeant le lit du tamis ». On considère donc qu’il est « intégré » au tamis (dossier d’appel, vol. 21, onglet 83, à la page A4211). Il était loisible à la Cour fédérale de tirer cette conclusion.

V.    La contrefaçon

[46]      La présente section porte sur ces arguments de non-contrefaçon soulevés par les appelantes qui ne sont pas réfutés par l’analyse de l’interprétation des revendications dans la section précédente des présents motifs.

[47]      Il est utile, en guise d’introduction à l’analyse de la présente section, de dire quelques mots au sujet des revendications qui sont en litige dans le présent appel. Elles ne se limitent pas aux revendications qui ont été jugées comme constituant une contrefaçon. Les arguments de non-validité des appelantes portant sur toutes les revendications du brevet '173 que l’intimée ne reconnaît pas comme étant non valides, ces revendications sont également en litige.

[48]      Les revendications 1 à 18 concernent une méthode comprenant certaines étapes. Ces revendications sont directement contrefaites lorsqu’on exécute toutes les étapes de la méthode revendiquée. Omettre une étape essentielle d’une méthode revendiquée ne constitue pas une contrefaçon directe de la revendication. Cependant, celui qui incite sciemment un autre à exécuter toutes les étapes de la méthode revendiquée (c.-à-d. une contrefaçon directe) pourrait être tenu responsable d’incitation à la contrefaçon : Corlac Inc. c. Weatherford Canada Ltd., 2011 CAF 228, au paragraphe 162.

[49]      Les revendications 19 à 23 du brevet '173 concernent un système. Celui qui fabrique, construit, utilise ou vend un système qui comprend tous les éléments essentiels des revendications contrefait directement ces revendications. Comme avec les revendications relatives à une méthode, omettre un élément essentiel de la méthode ne constitue pas une contrefaçon directe de la revendication d’un système, mais celui qui incite sciemment un autre à contrefaire pourrait être tenu responsable d’incitation à la contrefaçon.

[50]      En l’espèce, la question de l’incitation à la contrefaçon, en lien avec les revendications relatives à la méthode, est particulièrement pertinente, car toutes les revendications en litige relatives à la méthode comprennent l’étape de l’introduction (ou de l’acheminement) d’une boue sur un tamis. Cette étape est généralement exécutée par le client des appelantes, plutôt que par les appelantes elles-mêmes.

[51]      Il est aussi utile, en guise d’introduction à l’analyse de la contrefaçon, de discuter brièvement de la question de la responsabilité d’un breveté relativement à des activités qui précèdent la délivrance du brevet. Le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets prévoit une responsabilité pour tous les dommages que la contrefaçon d’un brevet délivré fait subir. Cependant, le paragraphe 55(2) porte sur la responsabilité relativement à certaines activités qui précèdent la délivrance du brevet. La version actuelle du paragraphe 55(2), qui ne diffère pas considérablement du libellé en vigueur présenté à la Cour fédérale, est rédigée ainsi :

Contrefaçon

[…]

55 […]

Indemnité raisonnable

(2) Est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci, à concurrence d’une indemnité raisonnable, quiconque accomplit un acte leur faisant subir un dommage après la date à laquelle le mémoire descriptif compris dans la demande de brevet est devenu accessible au public, en français ou en anglais, sous le régime de l’article 10 et avant la date de l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où ce mémoire descriptif est ainsi devenu accessible.

[52]      Bien que les activités de ce type prévues au paragraphe 55(2) ne constituent pas une véritable contrefaçon de brevet, puisque leur exécution a lieu alors qu’aucun brevet n’existe encore, par souci de simplicité, je les qualifierai de [traduction] « contrefaçon antérieure à la délivrance d’un brevet » dans les présents motifs. Les éléments suivants du paragraphe 55(2) sont importants :

i.     la responsabilité relative à la contrefaçon antérieure à la délivrance d’un brevet n’est pas engagée au titre « d’un acte […] faisant subir un dommage » (comme cela est le cas dans des affaires de véritable contrefaçon de brevet), mais plutôt « à concurrence d’une indemnité raisonnable […] [au titre d’]un dommage [subi] »;

ii.    la période de responsabilité commence à la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible au public, jusqu’à la délivrance du brevet;

iii.   la responsabilité découle d’activités « [qui] aurai[ent] constitué une contrefaçon si le brevet avait été octroyé à la date où ce mémoire descriptif est ainsi devenu accessible ».

[53]      Fait important, la demande concernant le brevet '173, dont la date de dépôt est le 1er octobre 2007 et dont la date de publication (la date à laquelle la demande est devenue accessible au public) est le 10 avril 2008, a été modifiée le 2 octobre 2013 en vue d’ajouter notamment de nouvelles revendications. Avant cette date, toutes les revendications dans la demande définissaient la variation de la pression différentielle dans le crible. Les activités des appelantes n’étaient donc pas visées par les revendications précédentes. Ces faits ne sont pas en litige et il n’existe aucun argument selon lequel l’une ou l’autre des appelantes est responsable de toutes ses activités avant le 2 octobre 2013.

[54]      J’examinerai maintenant les arguments précis soulevés par les appelantes.

A.    Par FPM

[55]      Les appelantes affirment que FPM a cessé ses activités en 2014, avant la délivrance du brevet '173. Elle ne peut pas être tenue responsable de contrefaçon. Les appelantes soutiennent qu’aux termes de la Loi sur les brevets, une partie n’est pas tenue responsable d’une contrefaçon antérieure à la délivrance d’un brevet si elle cesse les activités en question avant la délivrance du brevet. Les appelantes avancent également qu’une partie, quelles que soient ses activités après la délivrance d’un brevet, ne peut pas être tenue responsable d’une contrefaçon par incitation antérieure à la délivrance d’un brevet. Les appelantes reconnaissent qu’il n’existe aucune jurisprudence à l’appui de ces prétentions, mais elles soulignent qu’il n’existe pas non plus de jurisprudence qui contredit leur thèse.

[56]      D’abord, je remarque que, même si je retiens l’argument des appelantes, selon lequel FPM a cessé ses activités en 2014, cet événement s’est produit après la modification des revendications survenue le 2 octobre 2013. Par conséquent, certaines des activités en cause antérieures à la délivrance du brevet, qui ont été menées par FPM, ont eu lieu alors que les revendications modifiées étaient versées au dossier. Cela signifie que FPM ne pouvait pas se dégager de sa responsabilité en invoquant le fait que ses activités ont toutes été menées avant la modification, même si cela constituait un motif pour se dégager de sa responsabilité. En l’espèce, je n’exprime aucune opinion sur la question de savoir si cela constituerait un motif pour se dégager de ses responsabilités.

[57]      Les questions les plus importantes, en l’espèce, sont celles de savoir (i) si quelqu’un, qui exécute un acte de contrefaçon antérieur à la délivrance d’un brevet, peut se dégager de sa responsabilité, en application du paragraphe 55(2), en cessant les activités en question avant la délivrance du brevet et (ii) si la responsabilité aux termes du paragraphe 55(2) s’étend à quelqu’un qui a exécuté un acte de contrefaçon par incitation antérieure à la délivrance d’un brevet. Pour répondre à ces questions, il faut interpréter le paragraphe 55(2).

[58]      La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10, a énoncé la directive suivante relative à l’interprétation des dispositions législatives :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[59]      Si l’on commence par l’examen du libellé du paragraphe 55(2) (reproduit au paragraphe 51 ci-dessus), je remarque que rien dans ce dernier n’indique qu’une personne, qui accomplit un acte de contrefaçon antérieur à la délivrance d’un brevet, peut se dégager de sa responsabilité en cessant ses activités avant la délivrance du brevet. Le libellé porte sur la période qui va de la publication de la demande de brevet à la délivrance du brevet, ainsi que sur les activités pendant cette période qui auraient constitué une contrefaçon si le brevet avait déjà été octroyé. Rien n’indique dans le libellé que l’activité de contrefaçon doit se poursuivre après la délivrance du brevet.

[60]      Quant à la question de l’incitation à la contrefaçon, je remarque qu’il s’agit simplement d’une forme de contrefaçon de brevet, et non un délit distinct : Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 (arrêt Hospira 2020), au paragraphe 45, autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. refusée, 39099 (23 décembre 2020) [[2020] C.S.C.R. no 79 (QL)]; Bauer Hockey Corp. c. Easton Sports Canada Inc., 2010 CF 361 (décision Bauer), au paragraphe 199, conf. par 2011 CAF 83. Il n’y a pas lieu de faire une distinction entre une contrefaçon par incitation antérieure à la délivrance d’un brevet et une contrefaçon directe antérieure à la délivrance d’un brevet.

[61]      Le contexte du paragraphe 55(2) n’indique pas qu’une personne qui accomplit un acte de contrefaçon antérieur à la délivrance d’un brevet peut se dégager de toute responsabilité y afférente en cessant ses activités avant la délivrance du brevet. La notion de contrefaçon antérieure à la délivrance d’un brevet a été ajoutée au régime canadien des brevets lorsque le Canada a adopté la pratique existante dans la majeure partie du reste du monde et a commencé à (i) publier des demandes de brevets avant la délivrance de ceux-ci et (ii) à compter la durée de validité du brevet à partir de la date du dépôt de la demande du brevet, plutôt qu’à partir de la date de sa délivrance. Étant donné que la durée de validité du brevet comptait pendant le traitement de la demande et que le public avait accès à l’invention une fois que la demande était publiée (généralement 18 mois après la date de priorité de la demande), il a été décidé que le régime des brevets imposerait une responsabilité, à concurrence d’une « indemnité raisonnable », à quiconque utilise des inventions sans y être autorisé pendant la période antérieure à la délivrance d’un brevet. Aucun motif d’instance n’existe aux termes du paragraphe 55(2) tant que le brevet n’a pas été délivré (voir la décision Premier Tech Ltée c. Équipements Tardif Inc., [1993] A.C.F. no 283 (QL) (1re inst.)), mais la responsabilité se rapporte à la période comprise entre la publication et la délivrance du brevet. Il n’en reste pas moins qu’une invention qui a été rendue publique, mais qui n’a pas encore fait l’objet de la délivrance d’un brevet, pourrait être exploitée par un tiers pendant cette période, alors que l’inventeur ne pourrait empêcher cette exploitation. L’arrêt de cette exploitation avant la délivrance du brevet n’a pas pour effet de réduire les pertes que son exploitation par un tiers fait subir à l’inventeur pendant la période antérieure à la délivrance du brevet.

[62]      De même, le contexte du paragraphe 55(2) n’indique pas qu’il faut faire une distinction entre une contrefaçon par incitation antérieure à la délivrance d’un brevet et une contrefaçon directe antérieure à la délivrance d’un brevet. Dans un cas comme dans l’autre, la question de l’utilisation non autorisée d’une invention avant la délivrance du brevet est présente.

[63]      La discussion dans les deux précédents paragraphes au sujet du contexte du paragraphe 55(2) explique aussi son objectif : indemniser les inventeurs dont les brevets publiés sont utilisés sans autorisation avant qu’ils puissent faire valoir leurs droits. Rien dans le contexte ou l’objectif n’indique une exclusion de responsabilité à l’égard d’un breveté lorsque la contrefaçon antérieure à la délivrance d’un brevet cesse avant la délivrance du brevet ou lorsqu’il s’agit d’une contrefaçon par incitation. On peut supposer que plus tôt une telle activité cesse, plus la responsabilité, à concurrence d’une indemnité raisonnable, diminuera. Or, si la personne qui accomplit un acte de contrefaçon antérieur à la délivrance d’un brevet pouvait poursuivre ses activités, possiblement pendant plusieurs années, puis se dégager de toute responsabilité en cessant ces activités juste avant la délivrance du brevet, cela irait à l’encontre de l’objet de la disposition. De même, si, en incitant un tiers à accomplir un acte de contrefaçon directe, une personne pouvait se dégager de sa responsabilité, cela contrecarrerait l’objet de la disposition. Les motifs liés à l’imposition d’une responsabilité pour contrefaçon à quelqu’un qui incite sciemment un tiers à accomplir un acte de contrefaçon après la délivrance d’un brevet sont également valables avant la délivrance du brevet.

[64]      Il existe un précédent où il a été conclu qu’un acte de contrefaçon antérieur à la délivrance d’un brevet peut être accompli par incitation. La Section de première instance de la Cour fédérale est parvenue à cette conclusion dans la décision Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro Industries Ltd., 2001 CFPI 889, [2002] 2 C.F. 3, où elle a conclu qu’un défendeur, Canwell Enviro-Industries Ltd., avait incité un autre défendeur, la ville de Medicine Hat, à commettre des actes de contrefaçon avant la délivrance d’un brevet. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., 2002 CAF 158, [2003] 1 C.F. 49, a infirmé cette décision au motif que le brevet en litige était non valide. Cependant, la Cour d’appel fédérale n’a formulé aucun commentaire sur la question de la responsabilité liée à l’incitation à commettre un acte de contrefaçon antérieur à la délivrance d’un brevet.

[65]      Une autre affaire dans laquelle un procès a amené un tribunal à conclure qu’une incitation donnait ouverture à une responsabilité liée à une contrefaçon antérieure à la délivrance d’un brevet est la décision Bauer. Dans cette décision, la Cour fédérale a conclu que la défenderesse était responsable d’avoir contrefait directement et par incitation un brevet avant sa délivrance. La Cour d’appel fédérale a maintenu la décision, mais elle n’a pas jugé nécessaire d’examiner l’argument de la défenderesse selon lequel la juge de première instance avait appliqué le mauvais critère en ce qui concerne l’incitation, étant donné qu’elle avait aussi conclu qu’il y a eu une contrefaçon directe avant la délivrance du brevet.

[66]      En conclusion, je ne décèle aucune erreur commise par la Cour fédérale en ce qui concerne la conclusion de contrefaçon à l’encontre de FPM.

B.    Incitation par Western

[67]      Les appelantes affirment que, bien que la Cour fédérale ait conclu qu’elles avaient fourni des instructions sur l’utilisation de leur système VS, elle n’a pas indiqué quand ou dans quelles circonstances cela s’est produit. Les appelantes soutiennent qu’il n’y avait aucune preuve directe selon laquelle les clients de Western ont reçu des instructions et ont été incités à contrefaire.

[68]      Cependant, la Cour fédérale a retenu les éléments de preuve (voir les paragraphes 131 et 132 de la décision) selon lesquels des instructions écrites étaient toujours données. À cet égard, un motif ressort des éléments de preuve : des instructions sont nécessaires, car les équipes de forage sont temporaires. Un autre motif invoqué est que les tamis vibrants sont potentiellement dangereux si aucune instruction n’est donnée. Rien ne justifie que Western se dégage de sa responsabilité en se fondant sur la date à laquelle elle a donné ses instructions.

[69]      Rien ne justifie non plus que Western se dégage de sa responsabilité en se fondant sur l’absence de preuve selon laquelle elle incitait ses clients à contrefaire au moyen des instructions. La description des interactions avec les clients, aux paragraphes 131 et 132 de la décision, suffisait pour appuyer la conclusion au paragraphe 134 selon laquelle l’influence exercée par Western avait été réelle.

[70]      Western affirme aussi qu’on ne peut pas inciter quelqu’un à commettre un acte évident et qu’il était évident qu’il fallait diminuer la pression différentielle pour résoudre le problème lié au blocage causé par la boue. Cet argument ne peut être retenu. Il y a incitation lorsque l’influence exercée par l’incitateur donne lieu à un acte de contrefaçon directe. Il y a contrefaçon directe lorsque le contrefacteur direct a exécuté toutes les étapes essentielles de l’invention revendiquée. Le fait qu’au moins une de ces étapes, en soi, ne constitue pas une idée originale ne dégage pas le contrefacteur direct de sa responsabilité. De même, ce fait ne dégage pas l’incitateur de sa responsabilité. L’incitation est l’influence exercée en vue de contrefaire directement et la Cour fédérale a, à juste titre, relevé cette influence.

C.   Si le système VS aspire la vapeur

[71]      Les appelantes affirment qu’il n’y a aucune preuve pour appuyer la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle leur système VS contrefait les revendications 10 et 20 à 22, car il peut séparer les gaz du fluide de forage. Cependant, les arguments des appelantes sur ce point dépendent de leurs arguments précédents (que j’ai rejetés) concernant la signification du terme [traduction] « vapeur » et de la conjonction [traduction] « ou » et l’utilisation malheureuse par la Cour fédérale du terme [traduction] « gaz » dans certains paragraphes de la décision (voir les paragraphes 30 à 35 et 42 à 43 ci-dessus).

[72]      Les appelantes soutiennent aussi que, si le terme [traduction] « totalité » dans la revendication 20 est essentiel, il n’y a alors pas de contrefaçon, car il n’y a aucune preuve selon laquelle la totalité de la vapeur aspirée au travers du crible est séparée du fluide de forage. Cet argument est une mauvaise interprétation de la revendication 20. La revendication 20 mentionne une chambre de dégazage [traduction] « externe pour recueillir la totalité de l’air ou de la vapeur et le fluide de forage dans le bac [situé sous le crible] et séparer l’air ou la vapeur du fluide de forage ». Le terme [traduction] « totalité » se rapporte à l’air, à la vapeur et au fluide de forage qui est recueilli par la chambre de dégazage. Il ne se rapporte pas à la vapeur ou à l’air qui est séparé du fluide de forage. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que la totalité de la vapeur aspirée au travers du crible soit séparée du fluide de forage.

D.   Moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette

[73]      Les appelantes affirment que la Cour fédérale a commis une erreur, car elle a omis d’examiner leur moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette, en se fondant principalement sur la demande de brevet de Derrick (voir la discussion dans la section intitulée Antériorité ci-dessous). L’intimée répond que la Cour fédérale a établi que Derrick n’antériorisait pas les revendications contrefaites et que [traduction] « par conséquent, s’il n’était pas nommé, [l]e moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette était traité en gros ».

[74]      Bien que je ne constate aucune erreur dans l’examen qu’a fait la Cour fédérale du moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette (ou dans le fait qu’elle ne l’ait pas examiné), les observations de l’intimée indiquent une incompréhension commune quant à la nature de cette question, ce qui me pousse à dire quelques mots sur le sujet.

[75]      Le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette tire son nom de l’arrêt Gillette Safety Razor Company v. Anglo-American Trading Company Ltd. (1913), 30 R.P.C. 465 (arrêt Gillette) rendu par la Chambre des lords du Royaume-Uni. Cet arrêt a généré le principe selon lequel, si un défendeur est accusé de contrefaire un brevet avec un produit qui est identique à l’art antérieur ou qui n’est pas suffisamment différent de celui-ci, le breveté se trouve devant un dilemme s’il fait valoir sa demande. Selon les propos de Lord Moulton dans l’arrêt Gillette, à la page 480 :

[traduction] [...] Si les revendications de ce brevet avaient une portée suffisamment large pour l’inclure, le brevet serait défectueux, car ce qui s’y retrouverait ne se distinguerait pas de façon brevetable de ce qui était déjà en possession du public. Un tel brevet serait défectueux, faute de nouveauté. Si les revendications n’avaient pas une portée suffisamment large pour y inclure [le produit] de la défenderesse, le breveté ne pourrait pas se plaindre qu’il en soit fait usage par le public. Autrement dit, les défenderesses doivent avoir gain de cause soit au sujet de l’invalidité du brevet ou de l’absence de contrefaçon.

[76]      La Cour suprême du Canada a adopté une approche similaire dans l’arrêt J. K. Smit & Sons, Inc. v. McClintock, [1940] R.C.S. 279, où l’appelante a demandé d’obtenir une déclaration d’absence de contrefaçon au motif qu’elle utilisait une méthode connue dans l’art antérieur. À la page 286, la Cour s’est demandé [traduction] « si l’intimé, au moment où il a présenté une demande relative à son brevet, s’est vu octroyer un brevet pour le procédé que les appelantes utilisent ». La Cour, en répondant à cette question par la négative, a conclu qu’il ne pouvait pas y avoir de contrefaçon d’une revendication valide d’un brevet.

[77]      Le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette permet à un défendeur (ou à une cour) d’accélérer le processus d’interprétation des revendications d’un brevet, puis celui visant à établir si ces revendications sont valides ou si elles ont été contrefaites, qui s’avèrent souvent longs et difficiles.

[78]      Cependant, en pratique, l’application du moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette s’est révélée moins simple et cela a entraîné une mauvaise application du moyen de défense et une certaine incompréhension à l’égard de ce dernier. Bien que les parties accusées de contrefaçon de brevet fassent souvent valoir le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette, il est rare qu’elles s’appuient uniquement sur ce moyen de défense et qu’elles omettent l’analyse sur l’interprétation, la validité et la contrefaçon des revendications. Généralement, ce sont les arguments concernant toutes ces questions qui seront présentés à une cour. De même, il est rare que les tribunaux, qui traitent un moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette, ainsi que les questions d’interprétation, de validité et de contrefaçon des revendications, ignorent les autres questions et se limitent au moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette.

[79]      Cela s’explique peut-être par le fait que le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette invoqué s’accompagne généralement d’autres moyens de défense et qu’en qualité de moyen subsidiaire pour interpréter des revendications et effectuer une analyse sur leur validité et leur contrefaçon, il est parfois mal compris ou mal appliqué par les avocats et les tribunaux. Par exemple, contrairement à ce qu’enseigne la jurisprudence de la Cour fédérale, pour qu’un moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette soit accueilli, il n’est pas nécessaire de conclure que la revendication en question est non valide pour cause d’antériorité ou d’évidence (voir les décisions SanofiAventis Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 676, au paragraphe 349; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2009 CF 1294, au paragraphe 72, conf. par 2011 CAF 102; Biovail Corporation c. Canada (Santé), 2010 CF 46, au paragraphe 122; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2010 CF 447, au paragraphe 86, inf. par 2011 CAF 236; Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 113 (décision Eurocopter), au paragraphe 52, conf. par 2013 CAF 219). Bien au contraire, le principal avantage d’un moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette est d’éviter de devoir interpréter les revendications et tirer une conclusion sur les questions de validité et de contrefaçon. Si la cour a (i) interprété les revendications en litige, (ii) établi les revendications qui sont valides et celles qui ne le sont pas et (iii) conclu que certaines revendications valides ont été contrefaites (comme l’a fait la Cour fédérale en l’espèce), l’examen du moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette est inutile. Cela pourrait aussi créer de la confusion. En fait, il est sans doute préférable, dans certains cas, que la cour n’accueille pas le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette pour écourter le processus, car le processus d’interprétation des revendications qui est le plus laborieux pourrait amener la Cour à conclure que les revendications en question sont non valides. Une telle conclusion présenterait un intérêt non seulement pour les parties, mais aussi pour le grand public.

[80]      Il convient de souligner que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Eurocopter au paragraphe 115, a conclu que, dans cette affaire, « [p]ar voie de conséquence », la défense Gillette invoquée par l’intimée, au regard de son argument relatif à l’antériorité, a échoué. Je n’interprète pas cette déclaration comme un enseignement portant que la défense Gillette échouera toujours si une antériorité n’a pas été établie. Dans l’arrêt Eurocopter, la Cour d’appel fédérale a souligné, au paragraphe 37, que l’intimée avait fait la promotion de son produit censément contrefait en le qualifiant d’innovant et que le juge de première instance avait examiné ce fait en rejetant la défense Gillette. Dans ce contexte, le rejet de la défense Gillette est logique : il semblerait contradictoire de faire valoir qu’un produit est innovant tout en affirmant qu’on applique l’art antérieur.

VI.   Invalidité

A.    Antériorité

[81]      Les appelantes affirment que plusieurs publications et activités en matière de brevets constituent l’art antérieur qui antériorise les revendications en litige. Les appelantes font observer, à juste titre, que l’évaluation de l’antériorité (également appelée absence de nouveauté) est un processus en deux étapes : la partie qui conteste une revendication doit établir que l’invention a été divulguée et réalisée. Les appelantes affirment que la divulgation est fondée sur la question de savoir si la réalisation de l’objet de l’art antérieur entraînerait une contrefaçon. En ce qui concerne le caractère réalisable, les appelantes avancent que le critère à satisfaire consiste à déterminer si la personne versée dans l’art [traduction] « aurait été en mesure d’exécuter l’art antérieur sans trop de difficulté ». Il convient de commenter ces deux arguments.

[82]      Au sujet de la divulgation, les appelants omettent de reconnaître deux exigences importantes. Premièrement, la divulgation « [doit] être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée » (non souligné dans l’original) : arrêt Free World Trust, au paragraphe 26, renvoyant à l’arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289, à la page 297, 64 N.R. 287 (C.A.F.) (arrêt Beloit). « Aussi clair qu’il soit, un poteau indicateur placé sur la voie menant à l’invention du breveté ne suffit pas »; « [i]l faut prouver clairement que l’inventeur préalable a pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant le breveté » : arrêt Free World Trust, au paragraphe 26, renvoyant à l’arrêt Beloit; arrêt General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A. Angl.) (arrêt General Tire & Rubber), à la page 486.

[83]      La deuxième exigence importante à remplir en ce qui concerne la divulgation, que les appelantes ont omis de reconnaître, est que les essais successifs sont exclus à cette étape. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur : Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (arrêt Sanofi-Synthelabo), au paragraphe 25. L’évaluation du caractère réalisable, mais pas de la divulgation, doit tenir compte des expériences dépourvues d’originalité.

[84]      En ce qui concerne le caractère réalisable, il est important de garder à l’esprit que la question est de savoir si la personne versée dans l’art pourrait réaliser l’invention revendiquée sans trop de difficultés, et non l’art antérieur : arrêt Sanofi-Synthelabo, au paragraphe 27. L’argument des appelantes cité vers la fin du paragraphe 81 ci-dessus porte sur le caractère réalisable de l’art antérieur.

[85]      Une autre exigence importante en matière d’antériorité est que tous les éléments essentiels de la revendication en litige doivent être divulgués et réalisés dans une seule référence d’antériorité : arrêt Free World Trust, au paragraphe 26; arrêt General Tire & Rubber, à la page 486. Cela signifie qu’il faut effectuer une analyse sur l’antériorité distincte pour chacune des références d’antériorité en litige.

[86]      Les appelantes affirment qu’il faut examiner l’antériorité (et l’évidence) du point de vue d’une personne versée dans l’art, en tenant compte des connaissances générales courantes que cette personne aurait possédées. Assurément, il faut interpréter les enseignements de l’art antérieur de la manière dont une personne versée dans l’art les comprendrait. Il est également vrai que, par définition, cette personne versée dans l’art possède les connaissances générales courantes. Cependant, il ne s’ensuit pas qu’une partie, qui conteste la revendication d’un brevet, a nécessairement le droit de combler des défaillances dans une référence d’antériorité à l’aide de ces connaissances générales courantes. Comme cela a été indiqué ci-dessus, la personne versée dans l’art doit trouver dans la référence d’antériorité suffisamment de renseignements qui lui permettent de réaliser l’invention revendiquée, sans échouer. Cela pourrait ne pas être nécessairement le cas lorsque la personne versée dans l’art doit combler des défaillances à l’aide des connaissances générales courantes.

[87]      Ce même commentaire s’applique à un argument connexe présenté par les appelantes : l’antériorité dépend de l’idée originale d’une revendication. Les appelantes affirment que la Cour fédérale a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’antériorité pour chacune des revendications. Je rejette cet argument. La Cour fédérale a conclu que certaines des revendications du brevet '173 ont été antériorisées, tandis que cela n’a pas été le cas pour d’autres. Manifestement, la Cour fédérale a compris qu’il faut effectuer une analyse de l’antériorité pour chacune des revendications, et c’est ce qu’elle a fait.

[88]      À ce stade, il convient de rappeler la norme que notre Cour doit appliquer pour examiner la décision de la Cour fédérale : celle de la décision correcte en ce qui concerne les questions de droit et de l’erreur manifeste et dominante en ce qui a trait aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit. Par exemple, il est généralement loisible à la Cour fédérale de favoriser un témoignage d’expert au détriment d’un autre. Au paragraphe 148 de sa décision, la Cour fédérale a indiqué qu’elle était d’accord avec les opinions de l’expert de l’intimée, M. Palmer, au sujet de l’antériorité.

[89]      Avant d’entrer dans une analyse de chaque argument des appelantes concernant l’antériorité, je souligne que je n’ai pas besoin d’examiner certains arguments rejetés en raison de mon analyse sur l’interprétation des revendications ci-dessus.

1)    La demande de brevet de Derrick

[90]      La Cour fédérale a accueilli l’aveu de l’intimée selon lequel la publication de la demande no 2005/0082236 relative au brevet américain (Derrick) antériorise les revendications 1, 11, 16 et 19 du brevet '173. Cependant, la Cour fédérale n’était pas convaincue de l’antériorité de toutes les autres revendications du brevet '173.

[91]      Les appelantes affirment que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le brevet de Derrick ne montre pas comment contrôler le débit d’air pour éviter tout blocage, comme cela est défini dans les revendications 2 et 10. De même, la revendication 22 définit le réglage du débit d’air pour empêcher tout blocage. Les appelantes soutiennent que la Cour fédérale n’a pas examiné la réalisation décrite à la figure 23 et aux paragraphes 78 à 79 du brevet de Derrick.

[92]      Le passage sur lequel les appelantes se concentrent est tiré du paragraphe 79 :

[traduction] Dans une réalisation privilégiée, une pression à vide ou une succion de l’ordre de 20 à 80 po d’eau est appliquée à la chambre de succion 75 et cette succion est relâchée par intermittence. Cette application de succion et de relâchement de la succion par intervalle cause le déplacement des particules grossières le long du crible ondulé 4, desquelles les particules liquides et fines sont séparées et les particules grossières sont par la suite acheminées dans le conteneur surdimensionné 227 depuis la machine vibrante équipée de cribles 221 […]

[93]      À mon avis, la référence à la séparation entre les particules grossières et les particules liquides et fines, puis au fait que ces particules grossières sont acheminées depuis le crible ne contredit pas la conclusion rendue par la Cour fédérale. La Cour fédérale était manifestement intéressée par la distinction établie entre le déblocage d’un crible sur lequel étaient collés des déblais et le fait d’empêcher en premier lieu que le problème de blocage ne survienne. Bien que le passage mentionné ci-dessus prévoie manifestement une solution au problème de déblais collés, je ne constate aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion rendue par la Cour fédérale selon laquelle le brevet de Derrick ne montre pas comment empêcher tout blocage. La Cour fédérale s’est appuyée sur le témoignage de l’expert de l’intimée, M. Palmer, qui a clairement étayé cette conclusion. En outre, au paragraphe 168 de la décision, la référence au séparateur cyclone décrit dans le brevet de Derrick indique que la Cour fédérale a en effet examiné la réalisation présentée à la figure 23 du brevet de Derrick.

[94]      Les appelantes affirment aussi que le brevet de Derrick antériorise la revendication 20. Cet argument est fondé sur l’aveu de M. Palmer selon lequel le brevet de Derrick antériorise la revendication 16 (et décrit ainsi tous les éléments y afférents) et l’élément 232 dans le brevet de Derrick est l’équivalent de la chambre de dégazage mentionnée dans le brevet '173. Cependant, la revendication 20 définit des éléments qui ne le sont pas dans la revendication 16. Par exemple, la chambre de dégazage de la revendication 20 est définie comme [traduction] « recueillant la totalité de l’air ou de la vapeur et le fluide de forage dans le bac », le bac étant défini comme se trouvant sous le premier crible. L’élément 232 dans le brevet de Derrick ne recueille rien provenant du réservoir 224 qui semble être l’équivalent du bac. Par conséquent, je ne constate aucune erreur dans la conclusion selon laquelle le brevet de Derrick n’antériorise pas la revendication 20.

2)    Usage antérieur du brevet de Derrick

[95]      Les appelantes affirment que la preuve d’essais réalisés sur le système décrit dans le brevet de Derrick suffisait aussi pour établir une antériorité des revendications invoquées du brevet '173. La Cour fédérale n’a pas souscrit à cet argument au motif que (i) la preuve quant aux essais reposait sur les souvenirs non corroborés de l’expert de l’appelante, M. Murphy et (ii) les essais étant confidentiels, ils ne pouvaient pas être invoqués aux fins d’antériorité.

[96]      Les appelantes contestent ces deux conclusions. En ce qui a trait à la corroboration, elles soulignent que l’intimée et l’inventeur du brevet '173 étaient au courant des essais et qu’ils ont pris des photos de la machine mise à l’essai. Elles soulignent également que la demande de brevet relative au brevet de Derrick corrobore les souvenirs de M. Murphy. Cependant, les appelantes n’invoquent aucun élément de preuve relatif aux essais qui est suffisamment détaillé pour combler les défaillances qui ont amené la Cour fédérale à conclure que la demande de brevet Derrick n’antériorise pas les revendications en litige. Je n’infirmerais pas la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la preuve d’essais réalisés présentée en l’espèce ne suffit pas pour établir une antériorité. Il était loisible à la Cour fédérale de soulever l’absence de corroboration des souvenirs de M. Murphy : décision Camso, au paragraphe 117.

[97]      Étant parvenu à cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner si les essais en question étaient en effet confidentiels et d’en déduire qu’ils ne pouvaient ainsi pas être invoqués.

3)    Le brevet de Vasshus

[98]      La Cour fédérale a conclu que le brevet canadien no 2613043 (Vasshus) n’antériorise pas les revendications contestées du brevet '173. La Cour fédérale s’est appuyée sur le fait que l’appareil montré dans le brevet de Vasshus n’est pas un tamis vibrant. La Cour fédérale a souligné que l’appareil est muni d’une courroie filtrante (au lieu du crible vibrant d’un tamis vibrant) et que, même s’il est mentionné dans le brevet de Vasshus qu’il est possible de remplacer la courroie par un crible vibrant, le brevet n’explique pas comment le faire et MM. Murphy et Palmer ont convenu que cela nécessiterait une ingéniosité inventive.

[99]      Les appelantes affirment que la personne versée dans l’art saurait comment effectuer ce remplacement, mais elles ne nient pas que leur expert, M. Murphy, reconnaissait la nécessité d’une ingéniosité inventive. Les appelantes font aussi observer que M. Palmer a indiqué qu’il [traduction] « ne prêtait pas attention » au passage dans le brevet de Vasshus qui prévoyait ce remplacement. Cependant, M. Palmer a expliqué qu’il n’y prêtait pas attention, car le remplacement produirait un appareil complètement différent et le brevet n’indiquait pas clairement comment effectuer le remplacement.

[100]   À mon avis, il existait des éléments de preuve étayant la conclusion de la Cour fédérale concernant le brevet de Vasshus et je ne constate aucune erreur manifeste et dominante dans la façon dont la Cour fédérale a examiné ces éléments de preuve.

4)    La demande de brevet d’Hensley

[101]   La Cour fédérale a énoncé plusieurs motifs invoqués par M. Palmer selon lesquels la publication de la demande no 2005/0183994 relative au brevet américain (Hensley) n’antériorise pas le brevet '173. Ces motifs étaient notamment les suivants : (i) une pression différentielle continue est appliquée sur tous les cribles, au lieu d’appliquer une pression différentielle intermittente sur un crible et non sur les autres, (ii) aucun moyen de contrôle du débit d’air n’intervient pour empêcher tout blocage et (iii) une chambre de dégazage externe n’est pas intégrée pour séparer l’air ou la vapeur du fluide de forage.

[102]   Que la Cour fédérale ait commis ou non une erreur en ce qui concerne la première des différences mentionnées précédemment, je conclus qu’elle n’a pas commis d’erreur en ce qui concerne les deuxième et troisième différences et cela suffit pour conclure qu’il n’y a aucune erreur susceptible de révision en ce qui a trait au brevet d’Hensley. Quant à la deuxième différence, les appelantes n’ont relevé aucune erreur dans la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle, bien que le brevet d’Hensley mentionne la possibilité de synchroniser la pression différentielle et le taux de vibration du tamis, il ne prévoit aucun moyen pour y arriver. M. Palmer était d’avis qu’il serait pratiquement impossible d’y arriver.

[103]   Quant à la troisième différence, les appelantes affirment que les experts ont convenu que, dans le brevet d’Hensley, le générateur de pression différentielle ne serait pas intégré au tamis et qu’un réservoir de rétention devrait être associé à ce générateur de pression différentielle. Je ne constate aucune preuve de cet accord entre les experts dans les références invoquées par les appelantes. Les appelantes soutiennent que le générateur de pression différentielle du brevet d’Hensley n’est pas présenté, mais M. Palmer l’a assimilé à la pompe à air 42 intégrée à l’unité vibrante : consulter le paragraphe 11 de la pièce 2 du rapport en réponse (validité) de Robert Palmer (dossier d’appel, vol. 21, onglet 82, à la page A4093); contre-interrogatoire de Robert Palmer, le 6 novembre 2018, aux lignes 10 à 14 de la page 98 (dossier d’appel, vol. 10, onglet 29, à la page A1838).

5)    Les publications des brevets de Logue, de Bongert, d’Ennis, de Cook et de Fast

[104]   La Cour fédérale a conclu que l’ensemble des références décrites dans la présente section antériorisait le brevet ′173, car elles concernent principalement des appareils destinés à séparer les liquides des solides (c.-à-d. récupérer les solides), plutôt qu’à récupérer le liquide. Les appelantes contestent cette distinction au motif qu’elle va à l’encontre des témoignages des experts des deux parties. Cependant, les appelantes ne relèvent aucune contradiction dans le témoignage de M. Palmer dont les éléments de preuve sur l’antériorité sont privilégiés par la Cour fédérale.

[105]   Je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision en établissant une distinction avec les références d’antériorité décrites dans la présente section, au motif qu’elles ne portent pas sur la récupération de liquide, et en concluant, par conséquent, qu’elles n’antériorisent pas le brevet '173.

[106]   La Cour fédérale a aussi établi une distinction avec ces références d’antériorité pour d’autres motifs (voir les paragraphes 196, 198 et 200 de la décision) et il n’a pas non plus été révélé que ces distinctions étaient erronées.

B.    L’évidence

[107]   Les appelantes affirment que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que l’art antérieur ne comprend pas la référence à l’ajustement de la pression différentielle pour éviter tout blocage par la boue. Elles invoquent l’aveu de M. Palmer selon lequel une personne versée dans l’art qui applique une pression différentielle et constate un blocage causé par la boue diminuerait la pression. Cet argument doit être rejeté, car la déclaration de M. Palmer concernait le fait de régler le problème de blocage causé par la boue et non de l’empêcher en premier lieu. Les appelantes tentent de pallier cette défaillance en mettant en évidence le paragraphe 79 et la figure 23 du brevet de Derrick, mais cet argument a déjà été rejeté dans une discussion sur l’antériorité fondée sur le brevet de Derrick (voir les paragraphes 91 à 94 ci-dessus).

[108]   Les appelantes affirment aussi que la Cour fédérale a commis une erreur en omettant, dans son évaluation des arguments d’évidence, (i) de relever le concept inventif des revendications et leurs différences par rapport à l’art antérieur et (ii) de demander si ces différences auraient été évidentes pour une personne versée dans l’art. Bien que la Cour fédérale n’ait pas divisé son analyse en quatre volets bien connus dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo au paragraphe 67, les appelantes ne soutiennent pas qu’elle a omis d’examiner les arguments d’évidence qu’elles ont soulevés. Dans son analyse de l’évidence, aux paragraphes 212 à 226 de la décision, la Cour fédérale a examiné chacun des concepts inventifs relevés par M. Murphy, en tenant compte des opinions de MM. Murphy et Palmer et elle a privilégié l’opinion de M. Palmer selon laquelle les revendications en litige sont valides. L’analyse de la Cour fédérale a essentiellement consisté à faire fusionner les volets 2, 3 et 4 de la démarche à quatre volets. Je ne vois rien qui indique que l’approche adoptée par la Cour fédérale a entraîné une erreur susceptible de révision.

[109]   La démarche à quatre volets énoncée dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo au paragraphe 67, est un moyen d’évaluer l’évidence, mais il n’est pas obligatoire. Dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, au paragraphe 63, la Cour suprême du Canada avertit qu’il faut éviter « une règle trop rigide qui restreint l’examen portant sur l’évidence ». La Cour qualifie la démarche à quatre volets d’approche utile. À maintes reprises, notre Cour a affirmé que le cadre fourni dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo n’est pas obligatoire : arrêts Corlac Inc. c. Weatherford Canada Ltd., 2011 CAF 228 [précité], aux paragraphes 67 et 68; Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, [2014] 2 R.C.F. 459, au paragraphe 105; Teva Canada Limitée c. Novartis Pharmaceuticals Canada inc., 2013 CAF 244, au paragraphe 7. À mon avis, les seuls examens obligatoires sont ceux exposés à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets qui porte sur l’évidence pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, eu égard à « toute communication [...] qui a été faite [...] avant la [date pertinente] de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs ».

[110]   Il est également utile de constater que la démarche à quatre volets exposée dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo fournit un cadre pour évaluer l’évidence (qui préconise d’identifier la personne versée dans l’art et de déterminer les connaissances générales courantes de cette personne, ainsi que de définir l’idée originale et de recenser les différences, s’il en est, par rapport à l’état de la technique). En revanche, elle n’approfondit pas la question de savoir si ces différences sont évidentes pour la personne versée dans l’art, sauf pour dire qu’il faut faire abstraction de toute connaissance de l’invention alléguée.

[111]   Les appelantes invoquent aussi l’aveu de M. Palmer selon lequel les réservoirs de rétention, qui correspondent à l’interprétation de l’expression [traduction] « chambre de dégazage » donnée par la Cour fédérale, faisaient partie de l’art antérieur pertinent. Cependant, cela ne suffit pas pour établir qu’il était évident que la méthode et le système revendiqués dans le brevet '173 comportent cette chambre de dégazage.

[112]   Je ne peux pas dire si j’aurais tiré la même conclusion sur l’évidence si j’avais été chargé d’examiner cette question en première instance, mais cela n’est pas pertinent. Je dois en déférer à la Cour fédérale, sauf s’il y a eu une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante sur une question de fait ou une question mixte de fait et de droit, en particulier sur ces questions qui sont intimement liées aux faits comme l’évidence. Je ne vois pas d’erreur de la sorte.

C.   L’insuffisance

[113]   L’argument des appelantes sur l’insuffisance du mémoire descriptif du brevet '173 est fondé sur les exigences indiquées au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets :

Demandes de brevets

Mémoire descriptif

27 (3) Le mémoire descriptif doit:

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

[114]   Au sujet de l’alinéa 27(3)a) de la Loi sur les brevets, les appelantes affirment que le mémoire descriptif ne décrit pas certains éléments des revendications si l’interprétation de ces éléments correspond à celle donnée par la Cour fédérale. Au sujet de l’alinéa 27(3)b), les appelantes soutiennent que le fait qu’une personne versée dans l’art puisse « comprendre » en consultant le mémoire descriptif ne suffit pas. Les appelantes n’invoquent aucune jurisprudence sur ce dernier point et je ne suis pas d’accord avec la formulation de cette affirmation. Le fait qu’une personne versée dans l’art puisse comprendre comment confectionner l’invention pourrait bien suffire. Un brevet n’est pas invalidé pour avoir manqué aux exigences du paragraphe 27(3) de la Loi du seul fait qu’il pourrait être nécessaire de procéder à quelques essais dénués de caractère inventif pour réaliser une invention adéquatement divulguée : arrêt Bombardier Produits Récréatifs Inc. c. Arctic Cat, Inc., 2018 CAF 172, au paragraphe 78.

[115]   La Cour fédérale a examiné les questions soulevées par les appelantes. Elle a noté l’opinion de M. Murphy, selon laquelle une personne versée dans l’art aurait du mal à réaliser l’invention décrite et revendiquée dans le brevet '173, du fait que certaines caractéristiques des revendications n’y sont pas décrites. Cependant, la Cour fédérale a privilégié l’opinion de M. Palmer qui a expliqué que la personne versée dans l’art résoudrait facilement la totalité des insuffisances présumées dans le brevet '173. La Cour fédérale a conclu que l’invention en litige ne décrivait aucun composant inventif, mais qu’elle avait plutôt trait à une combinaison de dispositifs connus.

[116]   Les appelantes ont aussi affirmé que le mémoire descriptif est insuffisant, car il induit le public en erreur en ne communiquant pas au lecteur les connaissances de l’inventeur quant au fait que certains composants étaient nécessaires pour que l’invention fonctionne. Pour appuyer cet argument, les appelantes invoquent des difficultés techniques auxquelles l’inventeur a dû faire face pendant la mise au point du système breveté avant le dépôt de la demande relative au brevet '173. Bien qu’il semble que ces difficultés aient été réelles, les détails qui, selon ce qu’affirment les appelantes, ne sont pas contenus dans le mémoire descriptif ne sont pas nécessairement ceux qui devaient y être inclus. Je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale a omis d’examiner les éléments de preuve ou qu’ils étaient tels que la conclusion selon laquelle le brevet '173 était insuffisant constituait une erreur susceptible de révision.

[117]   Les appelantes invoquent aussi l’exigence de la « meilleure manière » en ce qui concerne les machines qui est énoncée à l’alinéa 27(3)c) de la Loi sur les brevets et elles affirment que la Cour fédérale a commis une erreur en n’admettant pas que les revendications relatives au système du brevet '173 (revendications 19 à 23) faisaient l’objet de cette exigence.

[118]   La Cour fédérale a rejeté l’argument de la « meilleure manière » invoqué par les appelantes en indiquant que l’alinéa 27(3)c) « se rapporte uniquement aux machines et, selon ma compréhension du brevet, celuici revendique une méthode et un système, et non une machine » (voir le paragraphe 146 de la décision).

[119]   Je dois dire qu’on voit mal comment les revendications relatives à un système dans le brevet '173 ne se rapportent pas à une machine. Je remarque que même la Cour fédérale, aux paragraphes 6 et 15 de la décision, a qualifié le tamis vibrant breveté de machine. Il ne m’apparaît pas évident que le fait de définir une invention comme un système plutôt que comme une machine devrait éliminer la nécessité de se conformer à l’alinéa 27(3)c) de la Loi sur les brevets. En outre, il existe un doute considérable quant à la question de savoir si, malgré le libellé de l’alinéa 27(3)c), l’exigence de la meilleure manière se limite aux machines : Donald MacOdrum, Fox on the Canadian Law of Patents, 5e éd., feuilles mobiles (Toronto : Carswell, 2002), au paragraphe 7.8(d)(iv); Robert Barrigar et Andrew Shaughnessy, Canadian Patent Act Annotated, 2e éd., feuilles mobiles (Toronto : Carswell, 1994), au paragraphe 27:1570ff; David Vaver, « Best Mode Disclosure in Canadian Patents » (2013), 25 I.P.J. 303.

[120]   Malgré ces doutes, je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision en refusant de conclure que le mémoire descriptif du brevet '173 est insuffisant du fait qu’il ne remplit pas l’exigence de la meilleure manière. Les appelantes affirment que la Cour fédérale a constaté que les problèmes liés à un prototype ont été résolus avant la date de dépôt, mais aucune solution n’a été divulguée dans le mémoire descriptif. Cependant, les appelantes n’ont pas fourni suffisamment de détails pour me convaincre que toute erreur qui pourrait avoir été commise par la Cour fédérale relativement à l’exigence de la meilleure manière était suffisamment importante pour changer l’issue. Comme je l’ai mentionné dans les paragraphes ci-dessus, je ne suis pas convaincu que les détails mentionnés par les appelantes à l’égard de leurs autres arguments sur l’insuffisance sont ceux qui devaient être inclus dans le mémoire descriptif.

D.   Ambiguïté

[121]   Les appelantes affirment que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que diverses revendications dans le brevet '173 ne sont pas non valides pour cause d’ambiguïté, car la Cour fédérale a été en mesure d’interpréter les termes en litige utilisés dans ces revendications. Les appelantes qualifient cette approche de non conforme à la jurisprudence et d’erreur de droit. Cependant, les appelantes ne renvoient à aucune jurisprudence qui enseigne que l’approche de la Cour fédérale à l’égard de l’ambiguïté est une erreur de droit. En fait, la jurisprudence appuie cette approche : p. ex. Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc., [1995] A.C.F. no 1243 (QL), 63 C.P.R (3d) 473 (C.A.), à la page 484; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, au paragraphe 37. Le fondement d’invalidité pour cause d’ambiguïté est celui selon lequel le brevet doit aviser comme il se doit le public quant aux activités revendiquées comme se rapportant uniquement au breveté. Si une personne versée dans l’art est en mesure d’interpréter les revendications, il s’ensuit que cet avis est alors fourni.

[122]   La principale plainte des appelantes semble être plus factuelle : la Cour fédérale n’aurait pas dû conclure que les terme et expression en question [traduction] « vapeur » et [traduction] « chambre de dégazage » pouvaient être interprétés. Ces questions ont été traitées dans la section sur l’interprétation des revendications ci-dessus.

E.    L’inutilité

[123]   Les appelantes affirment que la Cour fédérale n’a pas bien compris leurs arguments concernant l’inutilité et qu’elle a appliqué le mauvais critère juridique. Les appelantes ont trois principaux arguments concernant l’inutilité :

i.     les revendications manquent d’utilité parce que l’inventeur n’a pas été en mesure de produire un prototype fonctionnel pratique avant son travail de mise au point sur l’invention qui s’est achevé vers la fin de l’année 2006;

ii.    l’unique moyen pratique imaginé pour résoudre le problème d’introduction de liquide dans l’entrée du système d’aspiration a consisté à utiliser une chambre de dégazage externe; cependant, certaines des revendications en litige ne définissent pas une chambre de dégazage externe et ces revendications manquent donc d’utilité, car elles comprennent des réalisations qui ne fonctionnent pas;

iii.   toutes les revendications qui comprennent la version du système VS des appelantes où le plateau est en porte-à-faux sur l’extrémité du tamis manque d’utilité, car l’inventeur pensait que cette version s’effondrerait et il ne pouvait donc pas y avoir de prédiction d’utilité valable.

[124]   Je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale a commis une erreur de droit, qu’elle n’a pas bien compris les éléments de preuve ou les arguments des appelantes sur l’inutilité ou qu’elle a omis de les examiner. La décision a fait référence aux deux premiers arguments mentionnés ci-dessus, aux paragraphes 136 et 138, respectivement. En ce qui concerne le premier argument, la Cour fédérale a souligné, à juste titre, au paragraphe 139 de sa décision, que le fait que l’inventeur n’ait pas créé au départ un prototype qu’il était possible de commercialiser sur-le-champ ne veut pas dire que ses essais ne révélaient pas une invention utile. Le critère d’utilité à remplir dans le contexte d’un brevet n’est pas l’utilité commerciale. La moindre parcelle d’utilité suffit : AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2017 CSC 36, [2017] 1 R.C.S. 943, au paragraphe 55. À mon avis, ce passage de la décision constitue l’examen du premier argument. La Cour fédérale était de toute évidence convaincue que l’inventeur avait créé une invention utile.

[125]   En ce qui concerne le deuxième argument, il n’est pas très clair comment la Cour fédérale est parvenue à une conclusion sur ce point ou même si elle est parvenue à une telle conclusion. Cependant, au paragraphe 139 de la décision, on a fait l’observation suivante : « on ne considère pas qu’une revendication manque d’utilité parce qu’elle omet de mentionner un composant qu’une personne versée dans l’art reconnaîtrait comme nécessaire, comme un robinet permettant de régler le débit d’un liquide passant dans un conduit ». Bien qu’il semble communément admis qu’une chambre de dégazage externe n’était pas un composant auquel une personne dépourvue d’esprit inventif aurait pensé pour protéger le système d’aspiration contre l’introduction de liquide, ce passage ne semble pas reconnaître qu’il existait d’autres moyens d’obtenir cette protection auxquels une personne dépourvue d’esprit inventif et utilisant des composants connus aurait pensé à utiliser. Par conséquent, il semble que la Cour fédérale était d’avis qu’une chambre de dégazage externe n’était pas essentielle pour l’invention du brevet '173 et les revendications qui ne comprennent pas cet élément ne manquent donc pas d’utilité.

[126]   Le troisième argument des appelantes sur l’inutilité doit être rejeté pour deux raisons. Premièrement, l’utilité est évaluée du point de vue de la personne versée dans l’art, non de celui de l’inventeur. Les doutes exprimés par l’inventeur quant à l’utilité d’une certaine réalisation ne donneraient pas nécessairement lieu à une conclusion d’inutilité. La deuxième raison pour laquelle cet argument doit être rejeté est que les doutes de l’inventeur quant à la question de savoir si la réalisation en question fonctionnerait étaient fondés sur le tamis précis qu’il a observé. Il ne s’agissait pas d’une conclusion selon laquelle aucun système équipé d’un plateau en porte-à-faux ne pouvait fonctionner.

[127]   Je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de révision lors de son examen des arguments des appelantes sur l’inutilité mentionnés ci-dessus.

F.    Portée excessive

[128]   Il existe deux cas où la revendication d’un brevet peut être jugée non valide pour cause de portée excessive (ou de revendication excessive) : sa portée peut être plus large que l’invention divulguée dans le mémoire descriptif ou sa portée peut être plus étendue que l’invention créée par l’inventeur : Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2007 CAF 209, au paragraphe 115.

[129]   La notion de non-validité d’une revendication pour cause de portée excessive (ou de revendication excessive) découle de la combinaison des exigences selon lesquelles le mémoire descriptif d’un brevet (i) doit décrire d’une façon exacte et complète l’invention (voir le paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets) et (ii) doit comprendre des « revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif » (voir le paragraphe 27(4)). On pourrait aussi considérer qu’une revendication excessive est une conséquence naturelle de la théorie d’un marché en droit des brevets décrite dans l’arrêt Free World Trust, au paragraphe 13 : « [e]n contrepartie de la divulgation de l’invention, l’inventeur obtient, pour un certain laps de temps, le droit exclusif de l’exploiter ». Si une revendication réclame plus que ce qu’elle décrit ou plus que ce que l’inventeur a créé, elle accorde au breveté plus de droits que ce que le marché lui confère. Une telle revendication contrevient au marché et est donc non valide.

[130]   La portée excessive chevauche souvent d’autres motifs de non-validité. Par exemple, une revendication qui est non valide pour cause d’antériorité, du fait qu’elle comprend des réalisations qui sont décrites dans les antériorités, pourrait aussi être jugée excessive du fait qu’elle réclame plus que ce que l’inventeur a véritablement inventé. En outre, la portée excessive pourrait être considérée comme l’opposé de l’insuffisance. Si la portée d’une revendication est plus étendue que la description, elle pourrait être non valide pour cause de portée excessive, mais elle pourrait aussi être non valide parce que la description quant à sa mise en pratique n’est pas adéquate. Malgré ce chevauchement possible, la portée excessive est un motif d’invalidité distinct qui doit être examiné séparément.

[131]   Les appelantes affirment que les revendications du brevet '173 sont non valides relativement aux deux motifs de portée excessive.

1)    Portée des revendications plus large que l’invention divulguée

[132]   Les appelantes soutiennent que la Cour fédérale a conclu que la vapeur désigne un brouillard et que rien dans le brevet '173 ne décrit l’aspiration d’un brouillard au travers d’un crible et sa séparation du fluide de forage. Aux paragraphes 30 et 31 ci-dessus, j’ai traité de l’aspect de brouillard de la vapeur. Je remarque au passage que cet argument semble plus se rapporter à une insuffisance qu’à une revendication excessive. Quoi qu’il en soit, je ne constate rien qui, dans la portée du terme [traduction] « vapeur » contenu dans les revendications, comprend quelque chose qui n’a pas été envisagé dans la divulgation.

[133]   Les appelantes affirment aussi que la portée de la revendication 20 est excessive, car rien dans le brevet '173 ne décrit l’aspiration de la totalité de l’air, de la vapeur et du fluide de forage au travers d’un premier crible, mais pas d’un second. Encore une fois, cet argument semble plus se rapporter à une insuffisance qu’à une revendication excessive. Quoi qu’il en soit, je ne constate rien dans la portée de la revendication 20 qui comprend quelque chose qui n’aurait pas été évident pour une personne versée dans l’art qui lit la divulgation.

2)    Revendications de portée excessive par rapport à l’invention créée

[134]   Les appelantes affirment que l’inventeur du brevet '173 n’a jamais prévu (i) l’application d’une pression différentielle constante (seulement une pression pulsée) ou (ii) l’application d’une pression différentielle au crible à la sortie du tamis et non aux autres cribles. Les appelantes mentionnent comme éléments de preuve des intentions de l’inventeur plusieurs documents, mais le mémoire descriptif du brevet '173 est lui-même un indicateur fiable de ce que l’inventeur avait à l’esprit.

[135]   En interprétant l’expression [traduction] « contrôler le débit d’air », j’ai expliqué ma conclusion selon laquelle la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que le brevet '173 prévoit une pression différentielle constante. En outre, la Cour fédérale a retenu le propre témoignage de l’inventeur selon lequel il envisageait une pression différentielle constante. Je ne constate aucune erreur en l’espèce.

[136]   Il en va de même de l’application de la pression uniquement au crible, à la sortie du tamis. La Cour fédérale a retenu le témoignage de l’inventeur selon lequel il prévoyait cet arrangement. La Cour fédérale a également invoqué le paragraphe 37 du brevet '173 qui décrit clairement un tamis muni de deux ensembles de cribles et qui prévoit l’application d’une pression différentielle [traduction] « sur l’un ou l’autre des ensembles de cribles ou sur les deux ». Les appelantes demandent instamment à notre Cour de conclure qu’une erreur a été commise au motif que le paragraphe 37 renvoie aux ensembles de cribles, plutôt qu’à des cribles individuels, mais je ne vois aucune raison d’accueillir cette demande en raison de cette distinction.

G.   L’ajout d’un nouvel objet

[137]   Le paragraphe 38.2(2) de la Loi sur les brevets est ainsi libellé :

Modification du mémoire descriptif et des dessins

[…]

38.2 […]

Limite

(2) Les dessins et le mémoire descriptif qui sont compris dans une demande autre qu’une demande divisionnaire ne peuvent être modifiés pour y ajouter des éléments qui ne peuvent raisonnablement s’inférer des dessins ou du mémoire descriptif qui sont compris dans la demande à sa date de dépôt.

[138]   Les appelantes affirment que le brevet '173 est non valide, car les revendications pour [traduction] « contrôler le débit d’air » expliquent que l’objet de ce concept est d’« éviter tout blocage de la boue sur le crible » et cet objet ne pouvait pas être inféré de manière raisonnable de la demande de brevet déposée. Il convient de mentionner également que cet objet a été mis en évidence pour distinguer le brevet '173 de celui de Derrick. Les appelantes soutiennent aussi que la demande originale relative au brevet '173 prévoyait seulement une pression différentielle pulsée, et non une pression continue considérée par la Cour fédérale comme relevant de la portée des revendications. Selon les appelantes, le brevet '173 est donc non valide, car une pression continue ne pouvait pas être inférée de manière raisonnable de la demande de brevet originale.

[139]   Les appelantes critiquent aussi le refus par la Cour fédérale d’admettre des éléments de preuve sur les circonstances qui entourent l’ajout de l’objet en litige. Elles font remarquer que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour appuyer sa décision.

[140]   Les appelantes soulignent le peu de jurisprudence concernant l’article 38.2 de la Loi sur les brevets. Elles affirment que le critère pour établir la possibilité d’inférence raisonnable relative au nouvel objet est strict : on devrait considérer que cet objet a été ajouté, sauf s’il est divulgué explicitement ou implicitement, de façon claire et non équivoque, dans la demande originale. Elles invoquent deux décisions du Royaume-Uni pour appuyer leur thèse : Bonzel v. Intervention Ltd. (No. 3), [1991] R.P.C. 553 (Pat. Ct.); Gedeon Richter plc v. Bayer Pharma AG, [2012] EWCA Civ 235, [2012] All E.R. 87, au paragraphe 13.

[141]   Il existe au moins trois bonnes raisons de faire preuve de prudence par rapport à l’adoption de l’approche du Royaume-Uni. La première raison est que cette approche suppose que cet objet a été ajouté à tort et elle impose à l’intimée la charge de prouver qu’il en est autrement. Aux termes de la Loi sur les brevets du Canada, un brevet est supposé valide, sauf preuve contraire (voir le paragraphe 43(2)). Il incombe aux appelantes d’établir que le brevet '173 est non valide, quel que soit le motif de non-validité.

[142]   La deuxième raison de faire preuve de prudence par rapport à l’adoption du critère strict du Royaume-Uni est que la disposition en question (alinéa 72(1)(d) de la Patents Act 1977 [(U.K.), 1977, ch. 37] du Royaume-Uni) ne mentionne pas la notion de possibilité d’inférence raisonnable. Elle dispose simplement qu’un brevet peut être invalidé si [traduction] « la portée de l’objet divulgué dans le mémoire descriptif du brevet dépasse celle de l’objet divulgué dans la demande déposée d’un brevet ». Compte tenu de cette disposition, qui ne prévoit aucune exception pour un objet que l’on peut raisonnablement déduire, il n’est pas surprenant que les tribunaux au Royaume-Uni appliquent un critère strict. La disposition canadienne, par contre, n’indique pas un critère strict.

[143]   La troisième raison de faire preuve de prudence par rapport au critère strict du Royaume-Uni est que la disposition de ce pays envisage explicitement la révocation d’un brevet. Ce n’est pas ce que l’article 38.2 envisage. Au contraire, le paragraphe 38.2(1) dispose que, sous réserve de certaines limites, une demande de brevet peut être modifiée. La disposition qui revêt un intérêt particulier dans le présent appel, le paragraphe 38.2(2), prévoit l’une des limites envisagées.

[144]   Un dernier commentaire sur la Loi porte sur la critique par les appelantes de la décision de la Cour fédérale selon laquelle les circonstances ne sont pas pertinentes pour déterminer si le paragraphe 38.2(2) a été respecté. La Cour fédérale a indiqué qu’il s’agit d’une question de logique, et non de fait (voir le paragraphe 236 de la décision). Il semble que les faits précis que les appelantes ont cherché à faire examiner concernaient l’intention de l’intimée de modifier les revendications pour élargir leur portée et inclure le système VS des appelantes. J’ai déjà indiqué (voir les paragraphes 21 et 22 ci-dessus) qu’un tel motif est légitime. De même, l’intention de l’intimée de modifier les revendications n’est pas pertinente pour déterminer si le nouvel objet qui y est ajouté peut être inféré de manière raisonnable de la demande originale. La Cour fédérale a eu raison d’exclure des éléments de preuve sur ce point.

[145]   Passons aux faits. J’ai déjà souligné dans ma discussion sur l’expression [traduction] « contrôler le débit d’air » que la Cour fédérale reconnaissait que le brevet '173, même initialement déposé, envisageait une pression différentielle continue ainsi qu’une variation de la pression (voir le paragraphe 29 ci-dessus). Cela permet aussi de statuer sur cet aspect de l’argument des appelantes concernant l’ajout d’un nouvel objet.

[146]   Quant à l’objet qui est d’éviter tout blocage causé par la boue, au lieu de simplement débloquer le composant sur lequel colle la boue, la Cour fédérale a souligné, au paragraphe 252 de la décision, le passage suivant tiré du paragraphe 33 du brevet '173 :

[traduction] En modifiant la pression pour passer d’une pression à vide à une pression statique et inversement, les solides peuvent être acheminés sur le crible sans obstacles, ce qui évite que des solides s’accumulent sur le crible ou y adhèrent, et n’empêchent donc pas le fluide de traverser le crible.

[147]   Bien que ce passage ne soit d’aucune utilité à l’intimée relativement au point précédent qui porte sur la pression différentielle continue par rapport à la variation de la pression, il prévoit l’acheminement de solides sur le crible [traduction] « sans obstacles », [traduction] « évitant » ainsi l’accumulation des solides. À mon avis, ce passage, dans le brevet '173 initialement déposé, appuie les revendications qui définissent l’intention d’éviter le blocage par la boue. Par conséquent, je conclus que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que cette caractéristique pouvait, à tout le moins, être inférée de manière raisonnable de la demande de brevet originale.

VII.  Équité procédurale

[148]   Les procès en contrefaçon de brevets comprennent généralement les témoignages des experts. Les témoignages des experts étant souvent abondants et complexes, les Règles des Cours fédérales, DORS./98-106, disposent que ces éléments de preuve soient accompagnés d’un affidavit ou d’une déclaration de l’expert dûment signifiés et déposés : voir les règles 52.2, 258 et 279. Ces affidavits ou déclarations (rapports) d’experts sont généralement échangés dans le contexte de la conférence préparatoire à l’audience ou conformément à une ordonnance de la Cour.

[149]   La règle 267 porte qu’aucun rapport d’expert étayant le témoignage de l’expert ne sera adressé avant l’instruction à un juge d’instruction, à moins d’une entente entre les parties ou d’une ordonnance de la Cour. Bien que cet article soit utile pour s’assurer que le juge d’instruction n’est pas exposé à des témoignages sans serments, on a souvent l’impression que le procès se déroulera plus efficacement si le juge d’instruction, dans le cadre de sa préparation, a l’occasion d’examiner les rapports d’experts et d’ainsi plus se familiariser avec les questions technologiques en jeu. Par conséquent, une pratique, par laquelle les parties peuvent présenter au juge d’instruction des rapports d’experts avant l’instruction, a été mise au point à cet effet.

[150]   Le juge d’instruction devrait toutefois veiller à éviter d’être exposé à des témoignages sans serments et à ne pas perdre son temps. Dans l’Avis aux parties et à la communauté juridique de la Cour fédérale – Directives en matière de gestion de l’instruction, daté d’avril 2017, il est indiqué ce qui suit au paragraphe 7 :

En présentant un rapport d’expert à la Cour, la partie s’engage devant la Cour à appeler cet expert à comparaître à l’instruction. Si la production d’un expert dépend d’un événement subséquent à l’instruction, le rapport ne doit pas être présenté tant que la partie ne peut s’engager à produire le témoin.

[151]   Dans leur mémoire relatif à la conférence de gestion de l’instruction et daté du 19 juillet 2018, les appelantes ont convenu que, sauf indication contraire dans le mémoire, les lignes directrices sur la gestion des instances s’appliqueraient. Les parties ont plus tard présenté leurs rapports d’experts. Conformément aux Directives en matière de gestion de l’instruction, cette présentation des rapports d’experts constituait un engagement devant la Cour à appeler ces experts à comparaître à l’instruction.

[152]   Cet engagement est devenu particulièrement important en l’espèce, car les parties ont également accepté de présenter les éléments de preuve des experts en suivant un ordre inhabituel. Si l’ordre habituel avait été suivi, l’intimée aurait commencé par présenter sa preuve principale sur les questions de contrefaçon sur lesquelles elle avait le fardeau de la preuve. Les appelantes auraient ensuite présenté leur preuve principale sur les questions de non-validité sur lesquelles elles avaient le fardeau de la preuve. L’intimée n’aurait présenté ses éléments de preuve sur la non-validité qu’après la soumission par les appelantes de leurs éléments de preuve. En l’espèce, les parties ont convenu que l’expert de l’intimée, M. Palmer, témoignerait sur les questions de contrefaçon et de validité, avant la présentation par les appelantes de leurs éléments de preuve. De cette façon, M. Palmer ne devait comparaître qu’une fois.

[153]   Les appelantes nient avoir convenu de présenter les éléments de preuve en suivant un autre ordre, mais cette thèse est fallacieuse. Premièrement, les appelantes ont été avisées de l’ordre proposé de présentation des éléments de preuve et elles ne s’y sont pas opposées. Elles étaient également présentes au procès et y ont participé en suivant l’ordre proposé. Fait encore plus important, le procès-verbal de la conférence de gestion de l’instruction daté du 10 septembre 2018 indique que les appelantes ont accepté expressément l’ordre proposé.

[154]   Au procès, M. Palmer a été interrogé et contre-interrogé sur des questions de contrefaçon et de validité. Au cours du contre-interrogatoire, les appelantes ont adressé à M. Palmer des parties des rapports de leurs experts sur la non-validité et y ont même joint une partie d’un rapport à titre de preuve au procès.

[155]   À un moment donné pendant le contre-interrogatoire, les appelantes ont signalé qu’elles pourraient finalement ne pas appeler leurs témoins experts à comparaître. Compte tenu de cela, l’intimée a demandé que tous les éléments de preuve de M. Palmer sur les questions de non-validité (y compris le témoignage, le rapport d’expert et les pièces y afférentes) soient exclus et qu’aucune poursuite du contre-interrogatoire sur ces questions ne soit autorisée. Après avoir entendu les parties, la Cour fédérale a ordonné aux appelantes de retirer leurs rapports d’experts ou de confirmer qu’elles appelleraient leurs experts à comparaître à titre de témoins.

[156]   Les appelantes ont avancé qu’elles avaient le droit de contre-interroger les témoins de l’intimée, sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées, et qu’elles avaient le droit de décider d’appeler leurs propres témoins à comparaître ou d’invoquer plutôt les éléments de preuve qu’elles ont obtenus pendant le contre-interrogatoire. Pour appuyer leur thèse, les appelantes invoquent la jurisprudence et affirment que le fait qu’on leur ait refusé le droit de mener un contre-interrogatoire comme elles le souhaitaient était inéquitable sur le plan procédural.

[157]   Je ne mets pas en doute leur thèse du point de vue du principe général. Cependant, à mon avis, leur droit de contre-interroger était limité par leur engagement devant la Cour fédérale à appeler leurs experts à comparaître à titre de témoins. Cet engagement était volontaire; les appelantes auraient pu choisir de ne pas présenter les rapports de leurs experts avant l’instruction. Au procès, la Cour fédérale est allée jusqu’à donner aux appelantes la possibilité de retirer leur engagement plutôt que de le respecter. Bien sûr, comme cet engagement était la raison pour laquelle les rapports de leurs experts avaient été présentés en premier lieu, le retrait de ces rapports aurait naturellement suivi celui de leur engagement.

[158]   Je suis d’accord avec l’intimée pour dire que non seulement il convenait que la Cour fédérale enjoigne aux appelantes de choisir, mais qu’il était nécessaire de veiller à ce que le procès soit équitable. Autrement, les appelantes auraient pu se fonder sur les témoignages sans serments qui avaient été présentés à M. Palmer, sans devoir les soumettre à un contre-interrogatoire. En outre, dans des circonstances normales, les éléments de preuve de l’intimée sur la non-validité auraient été présentés après ceux des appelantes. L’intimée (et non les appelantes) aurait pu décider s’il y avait lieu ou non de produire des éléments de preuve après avoir pris connaissance de ceux de la partie adverse. Les appelantes ne veulent faire aucune concession. Elles cherchent à tirer profit de l’ordre inversé proposé au procès sans en assumer les conséquences.

[159]   De plus, le fait de ne pas exiger des appelantes qu’elles respectent leur engagement ou qu’elles retirent les rapports de leurs experts aurait découragé le type de coopération qui a amené les parties à accepter en premier lieu (i) de présenter à la Cour fédérale des rapports d’experts avant l’instruction et (ii) de modifier l’ordre de la présentation des éléments de preuve pour des raisons d’efficacité. Il s’agissait de mesures souhaitables qui étaient censées aider la Cour fédérale et améliorer l’efficacité du procès. Les parties ne souscrivent peut-être pas à la présentation devant la Cour des rapports d’experts avant l’instruction ou à la proposition de l’ordre de présentation des éléments de preuve, mais après y avoir consenti, elles ne devraient pas se plaindre des conséquences naturelles de ce consentement. La coopération entre les parties avant et pendant le procès devrait être encouragée.

[160]   Je devrais ajouter que les parties ne devraient pas non plus s’attendre à se voir offrir la possibilité, en cours de procès, de retirer un consentement. Bien que cette possibilité ait été accordée aux appelantes en l’espèce, la décision de le faire a été laissée à l’appréciation de la Cour fédérale. La Cour fédérale aurait pu simplement exiger que les appelantes respectent leur consentement.

VIII. Mesures de redressement

[161]   Les prétentions des appelantes concernant les mesures de redressement s’appliquent uniquement si la Cour conclut que la Cour fédérale a commis une erreur dans certaines de ses conclusions concernant la non-validité. Ayant conclu que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les prétentions des appelantes concernant les mesures de redressement.

IX.   Conclusion

[162]   Pour les motifs énoncés ci-dessus, je rejetterais le présent appel avec dépens. Les appelantes n’ayant pas raisonnablement limité les questions dont la Cour a été saisie et l’intimée ayant obtenu gain de cause à l’égard de chaque argument soulevé, j’adjugerais des dépens suivant le maximum de la fourchette prévue à la colonne V du tarif [B].

[163]   Pour faire suite à la demande de l’intimée, j’ordonnerais que le cautionnement pour dépens que les appelantes ont été tenues de déposer soit remis à l’intimée.

La juge Gleason, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Mactavish, J.C.A. : Je suis d’accord.

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