2020 CF 1180
T-670-20
Merck Sharp & Dohme Corp. et Merck Canada Inc. (demanderesses)
c.
Sandoz Canada Inc. (défenderesse)
T-673-20
Merck Sharp & Dohme Corp. et Merck Canada Inc. (demanderesses)
c.
Pharmascience Inc. (défenderesse)
Répertorié : Merck Sharp & Dohme Corp. c. Sandoz Canada Inc.
Cour fédérale, juge Southcott—Ottawa, 23 novembre et 22 décembre 2020.
Brevets — Contrefaçon –– Requêtes des défenderesses en vue d’obtenir un jugement sommaire en application de la règle 215 des Règles des Cours fédérales ou, subsidiairement, une ordonnance radiant la déclaration déposée dans le cadre d’une action en contrefaçon de brevet conformément à la règle 221 — Les demanderesses se sont opposées aux requêtes et ont demandé un jugement sommaire rejetant la défense des défenderesses — Sandoz Canada Inc. et Pharmascience Inc. sont toutes deux défenderesses dans une action en contrefaçon de brevet intentée par les demanderesses, Merck Sharp & Dohme Corp. et Merck Canada Inc. — Ces requêtes étaient fondées sur la position des défenderesses selon laquelle l’art. 8.2 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), pris en vertu de la Loi sur les brevets, impose un délai de prescription et les actions ont été introduites après l’expiration de ce délai — Les demanderesses dans les deux actions ont soutenu que ces requêtes devraient être rejetées, mais ont sollicité aussi un jugement sommaire rejetant la défense des défenderesses fondée sur le délai de prescription — La demanderesse, Merck Canada Inc., est autorisée par Santé Canada à vendre de la sitagliptine (vendue sous la marque nominale JANUVIA) au Canada — L’autre demanderesse, Merck Sharp & Dohme Corp., est propriétaire de trois brevets inscrits au registre des brevets pour la sitagliptine — Le 13 février 2020, les défenderesses ont toutes deux signifié à Merck Canada Inc. un avis d’allégation (AA) à l’égard de ces trois brevets inscrits indiquant qu’une approbation réglementaire était demandée pour commercialiser et vendre un comprimé générique de sitagliptine au Canada — Moins de 45 jours plus tard, les demanderesses ont déposé des déclarations en vertu de l’art. 6(1) du Règlement contre chacune des défenderesses concernant les trois brevets visés par les AA — Par conséquent, conformément à l’art. 7(1)d) du Règlement, il y a eu un sursis automatique de 24 mois pour la délivrance d’un avis de conformité (AC) visant les médicaments génériques faisant l’objet des présentations des défenderesses à Santé Canada — En plus des brevets inscrits, Merck Sharp & Dohme Corp. est propriétaire du brevet canadien no 2518435 (brevet ′435), qui n’est pas inscrit au registre des brevets — Le 24 juin 2020, les demanderesses ont déposé des déclarations pour intenter les actions sous-tendant les présentes requêtes, dans lesquelles elles alléguaient que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente de comprimés de sitagliptine par les défenderesses contreviendrait à certaines revendications du brevet ′435 — Le 17 juillet 2020, les défenderesses ont déposé les versions originales des présentes requêtes en vue de faire radier les actions intentées en vertu de l’art. 8.2 du Règlement — Les demanderesses se sont opposées aux requêtes au motif qu’il n’existe pas de délai de prescription de 45 jours, comme les défenderesses l’ont prétendu; que la Cour devrait déterminer s’il y a lieu d’accorder en leur faveur un jugement sommaire qui rejetterait la défense des défenderesses fondée sur le délai de prescription au motif qu’elle ne soulevait pas de véritable question litigieuse — Il s’agissait de savoir si le Règlement impose des exigences quant au délai de prescription des actions intentées en vertu de l’art. 8.2; si la déclaration des demanderesses dans chaque action devait être rejetée ou radiée au motif qu’elle a été déposée après l’expiration du délai de prescription; et s’il y avait lieu d’accorder un jugement sommaire en faveur des demanderesses — L’introduction d’une action en vertu de l’art. 6(1) du Règlement déclenche automatiquement un sursis de 24 mois de la délivrance de l’AC (art. 7(1)d)) — Les demanderesses ont eu raison de soutenir qu’il existe un lien entre le délai de prescription de 45 jours pour obtenir le sursis réglementaire et la nécessité générale de mettre fin au litige dans les plus brefs délais — Le délai de prescription de 45 jours découle de l’intention que le sursis, s’il est invoqué par l’introduction d’une action en vertu de l’art. 6(1), soit invoqué rapidement afin qu’il prenne fin rapidement — Le sursis réglementaire ne s’applique qu’aux actions visées à l’art. 6(1), et non à celles visées à l’art. 8.2 — L’objet de l’art. 8.2 est de supprimer les barrières qui existaient auparavant à l’égard des actions quia timet afin de faciliter l’examen judiciaire des brevets non inscrits et, par conséquent, de dissiper l’incertitude découlant des risques associés à ces brevets — Toutefois, cet objet ne requiert pas que cette incertitude soit dissipée dans un délai donné, car aucune interprétation de l’art. 8.2 ne peut dissiper l’incertitude que continuera de présenter la possibilité qu’il y ait un litige pour contrefaçon de brevets non inscrits après le lancement de médicaments — L’élimination de la barrière de la common law réalisée par l’art. 8.2 permet un accès plus précoce à l’examen judiciaire et, par conséquent, à un règlement plus précoce des actions en contrefaçon de brevets non inscrits — Par conséquent, il n’y avait aucune raison de conclure que l’objectif législatif en cause exigeait une interprétation atténuée de l’art. 8.2 qui comprend un délai de prescription de 45 jours — En conclusion, il n’existait pas de véritable question litigieuse dans la défense des défenderesses fondée sur le délai de prescription — La défense fondée sur le délai de prescription a été rejetée — Requêtes des défenderesses rejetées; demande des demanderesses accueillie.
Chaque défenderesse a déposé une requête en vue d’obtenir un jugement sommaire en application de la règle 215 des Règles des Cours fédérales ou, subsidiairement, une ordonnance radiant la déclaration déposée dans le cadre d’une action en contrefaçon de brevet conformément à la règle 221. Sandoz Canada Inc. et Pharmascience Inc. sont toutes deux défenderesses dans une action en contrefaçon de brevet intentée par les demanderesses, Merck Sharp & Dohme Corp. et Merck Canada Inc. Ces requêtes étaient fondées sur la position des défenderesses selon laquelle l’article 8.2 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), pris en vertu de la Loi sur les brevets, impose un délai de prescription et les actions ont été introduites après l’expiration de ce délai. Les demanderesses dans les deux actions ont soutenu que ces requêtes devraient être rejetées, mais ont demandé aussi un jugement sommaire rejetant la défense des défenderesses fondée sur le délai de prescription. Les requêtes ont été entendues ensemble.
La demanderesse, Merck Canada Inc., est autorisée par Santé Canada à vendre de la sitagliptine (vendue sous la marque nominale JANUVIA) au Canada. L’autre demanderesse, Merck Sharp & Dohme Corp., est propriétaire de trois brevets inscrits au registre des brevets pour la sitagliptine. Le 13 février 2020, les défenderesses ont toutes deux signifié à Merck Canada Inc. un avis d’allégation (AA) à l’égard de ces trois brevets inscrits. Chaque AA indiquait qu’une approbation réglementaire était demandée pour commercialiser et vendre un comprimé générique de sitagliptine au Canada. Moins de 45 jours plus tard, les demanderesses ont déposé des déclarations en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement contre chacune des défenderesses concernant les trois brevets visés par les AA. Par conséquent, conformément à l’alinéa 7(1)d) du Règlement, il y a eu un sursis automatique de 24 mois pour la délivrance d’un avis de conformité (AC) visant les médicaments génériques faisant l’objet des présentations des défenderesses à Santé Canada. En plus des brevets inscrits, Merck Sharp & Dohme Corp. est propriétaire du brevet canadien no 2518435 (brevet ′435), qui n’est pas inscrit au registre des brevets. Le 24 juin 2020, les demanderesses ont déposé des déclarations pour intenter, en vertu de l’article 8.2 du Règlement, les actions sous-tendant les présentes requêtes, dans lesquelles elles alléguaient que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente de comprimés de sitagliptine par les défenderesses contreviendrait à certaines revendications du brevet ′435. Le 17 juillet 2020, les défenderesses ont déposé les versions originales des présentes requêtes en vue de faire radier les actions intentées en vertu de l’article 8.2 du Règlement, conformément à la règle 221. Ces requêtes se fondaient sur le fait que, selon l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 8.2, cet article prévoit un délai de prescription de 45 jours, qui a commencé à courir au moment de la signification des AA, et que les demanderesses ont signifié 132 jours après avoir reçu les AA leurs déclarations pour les actions intentées en vertu de l’article 8.2. Les demanderesses se sont opposées aux requêtes au motif qu’il n’existe pas de délai de prescription de 45 jours, comme les défenderesses l’ont prétendu. Elles ont soutenu également que la Cour devrait déterminer s’il y a lieu d’accorder en leur faveur un jugement sommaire qui rejetterait la défense des défenderesses fondée sur le délai de prescription au motif qu’elle ne soulève pas de véritable question litigieuse.
Il s’agissait de savoir si le Règlement impose des exigences quant au délai de prescription des actions intentées en vertu de l’article 8.2; si la déclaration des demanderesses dans chaque action devait être rejetée ou radiée au motif qu’elle a été déposée après l’expiration du délai de prescription; et s’il y avait lieu d’accorder un jugement sommaire en faveur des demanderesses.
Jugement : les requêtes des défenderesses doivent être rejetées et la demande de jugement sommaire des demanderesses doit être accueillie.
Les observations des parties sur l’interprétation de l’article 8.2 ont mis l’accent sur le texte de cette disposition et le contexte d’autres articles du Règlement, mais se sont appuyées grandement sur leurs positions respectives concernant l’objectif législatif. Les demanderesses ont insisté principalement dans leurs observations sur le fait que l’article 8.2 ne contient aucune mention explicite d’un délai de prescription de 45 jours, ce qui contraste fortement avec le paragraphe 6(1), qui prévoit expressément un tel délai. Les défenderesses ont soutenu que le libellé de l’article 8.2 doit être interprété de façon atténuée pour prévoir un délai de prescription de 45 jours (ou au moins un certain délai de prescription) afin de permettre le règlement des actions en contrefaçon de brevets non inscrits avant l’expiration du sursis de 24 mois applicable aux actions en contrefaçon intentées en vertu du paragraphe 6(1) dans le délai de 45 jours. La différence entre les interprétations de l’article 8.2 proposées par les parties ne tenait pas à une jurisprudence différente ni aux principes d’interprétation qui y sont énoncés. En fait, ce sont les positions différentes des parties sur l’objet de l’article 8.2 qui ont donné lieu à des résultats différents dans l’application de ces principes.
L’alinéa 55.2(4)e) de la Loi, qui a une influence pour l’interprétation de la disposition en cause, permet l’adoption de règlements non seulement en ce qui concerne la prévention, mais aussi le règlement de différends portant sur la contrefaçon d’un brevet. L’introduction d’une action en vertu du paragraphe 6(1) déclenche automatiquement un sursis de 24 mois de la délivrance de l’AC (alinéa 7(1)d)). Les demanderesses ont eu raison de soutenir qu’il existe un lien entre le délai de prescription de 45 jours pour obtenir le sursis réglementaire et la nécessité générale de mettre fin au litige dans les plus brefs délais. Le délai de prescription de 45 jours découle de l’intention que le sursis, s’il est invoqué par l’introduction d’une action en vertu du paragraphe 6(1), soit invoqué rapidement afin qu’il prenne fin rapidement. Cela fait partie de l’équilibre, qui doit être atteint par le Règlement, entre la protection des droits de brevet et la disponibilité rapide de médicaments génériques. Toutefois, le sursis réglementaire ne s’applique qu’aux actions visées au paragraphe 6(1), et non à celles visées à l’article 8.2. Ce point a milité en faveur de l’argument des demanderesses selon lequel l’objet de la période de 45 jours, applicable aux actions intentées en vertu du paragraphe 6(1), ne s’applique pas aux actions fondées sur l’article 8.2. Ce serait un résultat étrange si, selon l’interprétation législative préconisée par les défenderesses, les actions intentées en vertu de l’article 8.2 étaient assujetties à un délai de prescription absolu de 45 jours, tandis que les actions intentées en vertu du paragraphe 6(1) ne le sont pas. Il n’y aurait aucune logique de soumettre les actions intentées en vertu de l’article 8.2 à une interdiction absolue après l’expiration du délai de 45 jours alors que cette interdiction ne s’applique pas aux actions fondées sur le paragraphe 6(1). Les demanderesses ont soulevé un certain nombre de points mettant l’accent sur les caractéristiques particulières du régime réglementaire applicable aux actions intentées en vertu du paragraphe 6(1) et inapplicables aux actions visées à l’article 8.2, et militant puissamment en faveur de leur position. Étant donné que l’action visée à l’article 8.2 n’est pas régie par le régime réglementaire, l’objectif sous-jacent du Règlement ne requiert pas, ni d’ailleurs ne préconise, une interprétation atténuée de l’article 8.2 selon laquelle cet article comprendrait un délai de prescription identique ou comparable à celui du paragraphe 6(1). L’objet de l’article 8.2 est de supprimer les barrières qui existaient auparavant à l’égard des actions quia timet afin de faciliter l’examen judiciaire des brevets non inscrits et, par conséquent, de dissiper l’incertitude découlant des risques associés à ces brevets. Toutefois, cet objet ne requiert pas que cette incertitude soit dissipée dans un délai donné, car aucune interprétation de l’article 8.2 ne peut dissiper l’incertitude que continuera de présenter la possibilité qu’il y ait un litige pour contrefaçon de brevets non inscrits après le lancement de médicaments. En fait, l’élimination de la barrière de la common law réalisée par l’article 8.2 permet un accès plus précoce à l’examen judiciaire et, par conséquent, à un règlement plus précoce des actions en contrefaçon de brevets non inscrits. Ce résultat est conforme à l’objectif général d’établir un équilibre entre la protection efficace des droits de brevets et l’entrée de médicaments génériques sur le marché en temps opportun. Par conséquent, il n’y avait aucune raison de conclure que l’objectif législatif en cause exigeait une interprétation atténuée de l’article 8.2 qui comprend un délai de prescription de 45 jours.
En conclusion, il n’existait pas de véritable question litigieuse dans la défense des défenderesses fondée sur le délai de prescription. Étant donné qu’aucun délai de prescription ne s’appliquait aux actions visées en l’espèce, cette défense devait être rejetée.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27.
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 54(1),(2), 55.2(4)e), 124(1).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 20.
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 3(7), 4(1), 5, 6(1), 6.01, 6.02, 6.09, 6.1, 6.12, 7(1)d), 8(6), 8.1, 8.2.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 215, 221, tarif B, colonne III.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Milano Pizza Ltd. c. 6034799 Canada Inc., 2018 CF 1112; Rodriguez c. Canada, 2018 CF 1125; Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2016 CF 136, [2017] 1 R.C.F. 3; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2009 CAF 187, [2010] 2 R.C.F. 389, conf. en partie Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2008 CF 1185, [2009] 3 R.C.F. 234; AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Genentech, Inc. c. Celltrion Healthcare Co., Ltd., 2019 CF 293; Connaught Laboratories Ltd. c. Smithkline Beecham Pharma Inc., 1998 CanLII 8917, [1998] A.C.F. no 1851 (QL) (1re inst); Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), 2010 CSC 28, [2010] 2 R.C.S. 61; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378; Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1993] A.C.F. no 1106 (QL) (C.A.); AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 855 (QL) (C.A.); Apotex Inc. c. Bayer Inc., 2020 CAF 86, [2021] 2 R.C.F. 184.
DÉCISIONS CITÉES :
Lepage c. Canada, 2017 CF 1136; Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3; 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804; Apotex Inc. c. Pfizer Inc., 2017 CAF 201, [2019] 2 R.C.F. 263; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306.
DOCTRINE CITÉE
Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, SOR/2017-166, Gaz. C. 2017.II.16.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ont. : LexisNexis, 2014.
REQUÊTES des défenderesses en vue d’obtenir un jugement sommaire en application de la règle 215 des Règles des Cours fédérales ou, subsidiairement, une ordonnance radiant la déclaration déposée dans le cadre d’une action en contrefaçon de brevet conformément à la règle 221; DEMANDE des demanderesses en vue d’obtenir un jugement sommaire rejetant la défense des défenderesses fondée sur le délai de prescription. Requêtes des défenderesses rejetées; demande des demanderesses accueillie.
ONT COMPARU :
David Tait et Bohdana Tkachuk pour les demanderesses.
Neil Fineberg pour la défenderesse Sandoz Canada Inc.
Kavita Ramamoorthy pour la défenderesse Pharmascience Inc.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour les demanderesses.
Fineberg Ramamoorthy LLP, Toronto, pour les défenderesses Sandoz Canada Inc. et Pharmascience Inc.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendu par
Le juge Southcott :
I. Aperçu
[1] Sandoz Canada Inc. et Pharmascience Inc. sont toutes deux défenderesses dans une action en contrefaçon de brevet intentée par Merck Sharp & Dohme Corp. et Merck Canada Inc. (dossiers de la Cour nos T-670-20 et T-673-20, respectivement). Dans le cadre de l’action à laquelle elle est partie, chaque défenderesse a déposé une requête en vue d’obtenir un jugement sommaire en application de la règle 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), ou, subsidiairement, une ordonnance radiant la déclaration déposée dans le cadre de cette action conformément à la règle 221.
[2] Les requêtes sont fondées sur la position des défenderesses selon laquelle l’article 8.2 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement ou le Règlement sur les MB (AC)), pris en vertu de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi), impose un délai de prescription et les actions ont été introduites après l’expiration de ce délai.
[3] Merck Sharp & Dohme Corp. et Merck Canada Inc., soit les demanderesses dans les deux actions, soutiennent que ces requêtes devraient être rejetées, mais sollicitent aussi un jugement sommaire rejetant la défense des défenderesses fondée sur le délai de prescription.
[4] Les défenderesses ont présenté les requêtes dans les deux actions en déposant des avis de requête le 17 juillet 2020. Elles ont ensuite modifié leurs avis de requête le 4 septembre 2020. Les requêtes ont été entendues ensemble le 23 novembre 2020. Comme les arguments des parties dans les deux affaires sont identiques, les présents motifs s’appliquent aux requêtes dans les deux actions.
[5] Pour les motifs expliqués plus en détail ci-dessous, les requêtes des défenderesses sont rejetées et la demande de jugement sommaire des demanderesses est accueillie. Il existe en l’espèce des circonstances qui justifient que la Cour rende un jugement sommaire sur la question d’interprétation législative soulevée par les parties. Je suis d’accord avec l’argument des demanderesses selon lequel l’article 8.2 du Règlement n’impose pas de délai de prescription applicable aux actions intentées en vertu de cette disposition. Mon jugement rejettera donc, dans chaque action, la défense des défenderesses fondée sur le délai de prescription.
A. Contexte législatif et réglementaire
[6] Voici une description générale du régime réglementaire sous-jacent à la question soulevée dans les présentes requêtes. Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes sur cette question seront examinées plus en détail dans la partie « Analyse » des présents motifs.
[7] Pour vendre un médicament au Canada, les fabricants de produits pharmaceutiques doivent obtenir l’autorisation de Santé Canada sous la forme d’un avis de conformité (AC) délivré en vertu de règlements pris en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27. Une « première personne » qui dépose une demande d’AC pour un médicament peut présenter au ministre de la Santé une liste de brevets liés au médicament et, si elle reçoit un AC, faire inscrire cette liste au registre des brevets en vertu du Règlement sur les MB (AC) (paragraphes 4(1) et 3(7)). Lorsqu’une « seconde personne » dépose par la suite une demande d’AC qui renvoie à un médicament pour lequel un brevet est inscrit au registre des brevets, le Règlement exige que cette seconde personne signifie à la première personne un avis d’allégation (AA) relativement au médicament, qui inclut notamment, le cas échéant, toute allégation portant que le brevet inscrit est invalide (article 5 du Règlement).
[8] En vertu du paragraphe 6(1) du Règlement, la première personne ou le propriétaire d’un brevet qui reçoit un AA peut, dans les 45 jours suivant la signification de l’AA, intenter une action devant la Cour fédérale contre la seconde personne qui a signifié l’AA afin d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente d’un médicament, conformément à la présentation de la seconde personne, contreferait le brevet. Le droit d’action prévu au paragraphe 6(1) ne s’applique qu’aux brevets inscrits auxquels renvoie l’AA. Une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) déclenche un sursis automatique empêchant le ministre de la Santé de délivrer un AC à la seconde personne pendant 24 mois (alinéa 7(1)d) du Règlement). Le paragraphe 6(1) est libellé comme suit :
6 (1) La première personne ou le propriétaire d’un brevet qui reçoit un avis d’allégation en application de l’alinéa 5(3)a) peut, au plus tard quarante-cinq jours après la date à laquelle la première personne a reçu signification de l’avis, intenter une action contre la seconde personne devant la Cour fédérale afin d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente d’une drogue, conformément à la présentation ou au supplément visé aux paragraphes 5(1) ou (2), contreferait tout brevet ou tout certificat de protection supplémentaire visé par une allégation faite dans cet avis.
[9] L’article 8.2 du Règlement, dont l’interprétation est en litige dans les présentes requêtes, confère à la première personne ou au propriétaire d’un brevet le droit, sur réception d’un AA, d’intenter une action en contrefaçon de brevet qui pourrait résulter de la fabrication, de la construction, de l’exploitation ou de la vente du médicament faisant l’objet de la présentation de la seconde personne. Le droit d’action prévu à l’article 8.2 s’applique aux brevets autres que ceux inscrits mentionnés dans l’AA. L’article 8.2 est rédigé comme suit :
8.2 Sur réception d’un avis d’allégation à l’égard d’une présentation ou d’un supplément, la première personne ou le propriétaire d’un brevet peut, en vertu des paragraphes 54(1) ou 124(1) de la Loi sur les brevets, intenter une action en contrefaçon d’un brevet ou d’un certificat de protection supplémentaire — autre qu’un brevet ou un certificat de protection supplémentaire visé par une allégation faite dans cet avis — à l’égard de la contrefaçon qui pourrait résulter de la fabrication, de la construction, de l’exploitation ou de la vente de la drogue conformément à la présentation ou au supplément.
B. Contexte factuel
[10] La demanderesse, Merck Canada Inc., est autorisée par Santé Canada à vendre de la sitagliptine (vendue sous la marque nominale JANUVIA) au Canada. L’autre demanderesse, Merck Sharp & Dohme Corp., est propriétaire de trois brevets inscrits au registre des brevets pour la sitagliptine. Le 13 février 2020, les défenderesses ont toutes deux signifié à Merck Canada Inc. un AA à l’égard de ces trois brevets inscrits. Chaque AA indiquait qu’une approbation réglementaire était demandée pour commercialiser et vendre un comprimé générique de sitagliptine au Canada.
[11] Moins de 45 jours plus tard, les demanderesses ont déposé des déclarations en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les MB (AC)) (dans les dossiers no T-418-20 et T-419-20) contre chacune des défenderesses concernant les trois brevets visés par les AA. Par conséquent, conformément à l’alinéa 7(1)d) du Règlement, il y a un sursis automatique de 24 mois pour la délivrance d’un AC visant les médicaments génériques faisant l’objet des présentations des défenderesses à Santé Canada.
[12] En plus des brevets inscrits, Merck Sharp & Dohme Corp. est propriétaire du brevet canadien no 2518435 (brevet ′435), qui n’est pas inscrit au registre des brevets. Le 24 juin 2020, les demanderesses ont déposé des déclarations pour intenter, en vertu de l’article 8.2 du Règlement, les actions sous-tendant les présentes requêtes (dans les dossiers nos T-670-20 et T-673-20), dans lesquelles elles alléguaient que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente de comprimés de sitagliptine par les défenderesses contreviendrait à certaines revendications du brevet ′435.
[13] Le 17 juillet 2020, les défenderesses ont déposé les versions originales des présentes requêtes en vue de faire radier les actions intentées en vertu de l’article 8.2 du Règlement, conformément à la règle 221. Ces requêtes se fondaient sur le fait que, selon l’interprétation qu’il convient de donner à l’article 8.2, cet article prévoie un délai de prescription de 45 jours, qui a commencé à courir au moment de la signification des AA, et que les demanderesses ont signifié 132 jours après avoir reçu les AA leurs déclarations pour les actions intentées en vertu de l’article 8.2.
[14] Les requêtes devaient initialement être entendues le 3 septembre 2020. Toutefois, à la fin d’août 2020, les défenderesses ont informé la Cour qu’elles avaient l’intention de modifier leurs requêtes pour ajouter une demande de jugement sommaire. Après avoir entendu les observations des parties, la protonotaire Furlanetto a ordonné, le 11 septembre 2020, que les requêtes en jugement sommaire et en radiation modifiées des défenderesses soient entendues le 23 novembre 2020 et que les demanderesses conservent le droit de soulever, aux fins d’adjudication des dépens, le report de l’audience et les modifications apportées à ces requêtes, ces éléments pouvant être considérés comme pertinents.
II. Questions en litige
[15] Les défenderesses soutiennent que les questions à trancher dans la présente requête sont les suivantes :
A. Le Règlement sur les MB (AC) impose-t-il des exigences quant au délai de prescription des actions intentées en vertu de l’article 8.2?
B. La déclaration des demanderesses dans chaque action devrait-elle être rejetée ou radiée au motif qu’elle a été déposée après l’expiration du délai de prescription?
[16] Les demanderesses s’opposent aux requêtes. Elles soutiennent également que la Cour devrait déterminer s’il y a lieu d’accorder un jugement sommaire en faveur des demanderesses qui rejetterait la défense des défenderesses fondée sur le délai de prescription au motif qu’elle ne soulève pas de véritable question litigieuse.
III. Analyse
A. Caractère approprié de la question du délai de prescription pour un jugement sommaire
[17] Bien que la présente requête ait été initialement présentée conformément à la règle 221 sous forme de requête en radiation, les documents de requête modifiés et les arguments présentés par les parties à l’audience mettaient l’accent sur la possibilité d’obtenir un jugement sommaire pour trancher la question juridique de savoir si un délai de prescription de 45 jours s’applique aux actions intentées en vertu de l’article 8.2 du Règlement.
[18] Le paragraphe 215(1) des Règles prévoit que si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence. Dans la décision Milano Pizza Ltd. c. 6034799 Canada Inc., 2018 CF 1112 (Milano Pizza), aux paragraphes 24 à 41, la juge Mactavish a résumé le droit régissant les requêtes en jugement sommaire devant la Cour fédérale, et a notamment expliqué que les jugements sommaires ont pour objet de permettre à la Cour de statuer sommairement sur des actions qui ne devraient pas se rendre à procès, parce qu’elles ne soulèvent pas de véritable question litigieuse qui devrait donner lieu à un procès, épargnant ainsi les ressources judiciaires limitées et améliorant l’accès à la justice (au paragraphe 25).
[19] Comme les défenderesses l’ont fait remarquer, dans la décision Rodriguez c. Canada, 2018 CF 1125, le juge Norris a fait observer que, lorsque nul ne conteste réellement la preuve et que le seul litige consiste à savoir comment appliquer les principes juridiques pertinents, l’affaire peut être tranchée facilement et équitablement dans le contexte d’une requête de jugement sommaire (au paragraphe 24). La question de savoir si un délai de prescription est expiré est le genre de circonstances pour lesquelles l’octroi d’un jugement sommaire peut être approprié (voir, par exemple, Lepage c. Canada, 2017 CF 1136, au paragraphe 53).
[20] Je n’ai pas besoin d’examiner plus en détail les principes qui régissent la possibilité d’obtenir un jugement sommaire parce que les parties aux présentes requêtes conviennent que la question du délai de prescription soulevée par les requêtes des défenderesses peut être tranchée de cette façon. Les demanderesses s’opposent aux requêtes au motif qu’il n’existe pas de délai de prescription de 45 jours, comme les défenderesses le prétendent. Elles exhortent toutefois la Cour à se prononcer en leur faveur en rendant un jugement sommaire sur cette question. En d’autres termes, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir s’il existe un délai de prescription applicable, mais elles conviennent que la Cour devrait trancher cette question dans un sens ou dans l’autre dans le cadre des présentes requêtes et rendre un jugement sommaire à cet égard en conséquence.
[21] Bien sûr, si les demanderesses ont gain de cause à l’égard de cette question, un jugement sommaire en leur faveur ne servira qu’à retirer un des moyens de défense des questions soulevées dans les actions. Toutefois, comme les défenderesses le font remarquer dans leurs observations écrites, les paragraphes 215(2) et (3) des Règles permettent à la Cour d’accueillir en partie des requêtes en jugement sommaire. Les demanderesses s’appuient également sur la décision Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2016 CF 136, [2017] 1 R.C.F. 3, aux paragraphes 33 à 36, où le juge Diner a conclu que, dans le cadre d’une requête concernant l’interprétation d’une loi, la Cour pouvait rendre un jugement sommaire en faveur de l’une ou l’autre des parties, peu importe qu’une requête incidente ait été déposée ou non. (Voir aussi Milano Pizza, au paragraphe 111.)
[22] Les présentes requêtes soulèvent une question d’interprétation législative. Les parties ne contestent pas les faits et, de toute façon, il n’est nécessaire de tirer aucune conclusion de fait pour trancher la question d’interprétation législative. Je conviens avec les parties que cette question peut être tranchée par un jugement sommaire dans le cadre des présentes requêtes.
B. Principes d’interprétation législative
[23] Les parties s’entendent également sur les principes fondamentaux qui régissent l’interprétation législative, bien que, comme je l’expliquerai plus loin dans la présente analyse, elles diffèrent quelque peu d’opinion sur certaines des nuances des principes d’interprétation identifiés dans la jurisprudence, et elles ne s’entendent pas sur le résultat de l’application de ces principes à la question en cause.
[24] Les parties conviennent que l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 (Rizzo Shoes) est l’arrêt de principe en ce qui concerne ce que l’on appelle l’« approche moderne » en matière d’interprétation législative, qui exige que le libellé d’une loi soit interprété dans son contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (au paragraphe 21). L’interprétation d’une disposition législative comprend une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la loi dans son ensemble (voir, par exemple, Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 21).
[25] Les défenderesses soulignent également que l’objectif législatif devrait être pris en compte à chaque étape de l’analyse législative, y compris lors de l’analyse textuelle. Dans la mesure où le libellé le permet, il faut privilégier l’interprétation qui est compatible avec l’objectif législatif ou qui en favorise la réalisation, tout en évitant celle qui fait échec à cet objectif (voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ont. : LexisNexis, 2014) (Sullivan), à la page 260).
[26] De plus, les défenderesses s’appuient essentiellement sur la capacité d’« interpréter de façon atténuée » une disposition, lorsqu’il ressort d’une analyse contextuelle que le législateur souhaitait que la disposition ait une portée limitée, afin que la disposition puisse s’harmoniser avec l’objet de la loi. Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Merck Frosst Canada Ltd., 2009 CAF 187, [2010] 2 R.C.F. 389, aux paragraphes 87 à 91, la Cour d’appel fédérale a souscrit à cette approche suivie par la Cour fédérale, et a fait la distinction entre « l’interprétation atténuée » et « l’interprétation large ». Dans la décision faisant l’objet de l’appel, Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2008 CF 1185, [2009] 3 R.C.F. 234, aux paragraphes 98 à 102, le juge Hughes s’est fondé sur l’explication de Sullivan concernant la différence entre « l’interprétation atténuée » et « l’interprétation large ». La première est décrite comme une technique légitime d’interprétation, qui comprend l’ajout de restrictions ou de caractéristiques pour donner effet à la portée prévue de la loi. La seconde est décrite comme un élargissement de la portée de la loi et non comme une technique légitime d’interprétation, sauf peut-être en vue d’une réparation constitutionnelle. Le juge Hughes a également expliqué que, bien que la loi soit présumée être bien rédigée (la « présomption de perfection »), cette présomption peut être facilement réfutée, car des erreurs de rédaction se produisent inévitablement.
[27] Les défenderesses soulignent également que, lorsque le libellé qui est interprété figure dans un règlement, le processus d’interprétation doit s’inscrire dans le contexte de la loi habilitante et de ses contraintes (voir AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560 (AstraZeneca), aux paragraphes 15–16).
[28] Enfin, les défenderesses font remarquer que l’historique et l’évolution d’une loi sont des éléments extrinsèques qui peuvent aider à déterminer l’intention du législateur (voir, par exemple, Rizzo Shoes, au paragraphe 31). Les deux parties s’appuient sur le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR), qui accompagnait les plus récentes modifications apportées au Règlement en 2017 [DORS/2017-166, Gaz. C. 2017.II.16], ainsi que sur les REIR applicables aux séries de modifications précédentes, pour aider à comprendre l’intention du législateur.
[29] Je n’ai aucune difficulté à accepter les principes décrits ci-dessus comme étant pertinents pour le processus d’interprétation législative. J’appliquerai ces principes à l’interprétation de la disposition en cause dans les présentes requêtes.
C. Sources permettant de déterminer l’objectif législatif
[30] Compte tenu de l’argument des défenderesses selon lequel l’objectif législatif imprègne tous les aspects du processus d’interprétation législative, je commencerai par identifier leurs observations concernant les sources à partir desquelles cet objectif peut être déterminé et résumer leurs positions respectives sur l’objectif législatif.
[31] Les observations écrites modifiées des défenderesses décrivent l’objet général du Règlement :
[traduction] 29. Le Règlement vise à établir un équilibre entre l’intérêt de mettre à la disposition du public des médicaments sûrs et efficaces et la nécessité d’empêcher en même temps le recours abusif à l’exception à la contrefaçon de brevets qui concerne les « travaux préalables » visée au paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets. Le Règlement vise à atteindre cet équilibre en permettant l’introduction de procédures judiciaires pour régler certaines questions concernant les brevets sans retarder indûment l’accès aux médicaments génériques. Cet objectif est demeuré inchangé par les modifications apportées au Règlement en 2017.
[32] Bien que la description des défenderesses s’appuie en partie sur l’arrêt AstraZeneca (aux paragraphes 15–16), où la Cour a examiné une version antérieure du Règlement, les défenderesses font également remarquer que la décision Genentech, Inc. c. Celltrion Healthcare Co., Ltd., 2019 CF 293 (Genentech) a décrit l’objet de la version actuelle du Règlement en termes similaires. Plus précisément, la décision Genentech (au paragraphe 23) s’est appuyé sur l’arrêt AstraZeneca pour décrire le paragraphe 6(1) du Règlement, adopté dans le but restreint d’empêcher la contrefaçon par une personne qui tire parti des exceptions à la contrefaçon de brevets qui concernent les travaux préalables et l’emmagasinage.
[33] Conformément à leur description exposée ci-dessus quant à l’objet général du Règlement, les défenderesses renvoient également au paragraphe suivant de la section « Contexte » du REIR visant les modifications de 2017 [à la page 33] :
La politique sur les brevets pharmaceutiques du gouvernement cherche à équilibrer, d’une part, une protection efficace des brevets visant des drogues innovantes et, d’autre part, l’entrée sur le marché en temps opportun des médicaments génériques moins coûteux qui leur font concurrence. Le Règlement avait pour objet d’assurer cet équilibre en permettant l’introduction de procédures judiciaires sommaires pour régler certaines questions concernant les brevets sans retarder indûment l’accès aux médicaments génériques. Avec le temps, le Règlement est devenu moins efficace, notamment parce que les plaideurs ont intenté des procédures additionnelles en vertu de la Loi sur les brevets (la Loi) lorsqu’ils n’étaient pas satisfaits des décisions rendues dans le cadre de la procédure sommaire.
[34] Dans ce contexte, les modifications de 2017 ont incorporé au Règlement un droit d’action pour contrefaçon de brevets inscrits (voir le paragraphe 6(1)). Toutefois, les modifications prévoyaient également des droits d’action pour contrefaçon de brevets non inscrits (voir les articles 8.1 et 8.2). À cet égard, les défenderesses soulignent les paragraphes suivants du REIR [aux pages 48 et 49] :
Droits d’action connexes
Certains brevets ne sont pas admissibles à l’inscription au registre des brevets (par exemple les brevets revendiquant un intermédiaire chimique ou le processus de fabrication d’une drogue) et les brevets admissibles ne sont pas nécessairement inscrits au registre. Ces brevets peuvent créer de l’incertitude s’ils sont susceptibles d’être contrefaits par un fabricant de produits génériques. Des droits d’action connexes sont permis pour faciliter l’examen judiciaire de ces brevets sans étendre la portée des procédures visées par le Règlement.
[…]
Droit d’action de l’innovateur
Le Règlement permet à la première personne ou au propriétaire d’un brevet, à la réception d’un AA, d’intenter une action en contrefaçon de brevet qui ne fait pas l’objet d’une allégation dans l’AA découlant de la fabrication, de la construction, de l’exploitation ou de la vente d’une drogue selon la présentation ou le supplément de la seconde personne. La disposition ne crée pas une procédure en contrefaçon distincte. Elle vise à permettre à la première personne ou au propriétaire d’un brevet d’intenter une poursuite avant qu’il y ait contrefaçon (en d’autres termes, une action quia timet). [Souligné par les défenderesses.]
[35] Compte tenu du renvoi ci-dessus aux actions quia timet, il est utile d’expliquer à ce stade-ci que, avant les modifications réglementaires de 2017, la common law interdisait de telles actions (c’est-à-dire des actions visant à restreindre une activité qui était menacée, alors que les droits du demandeur n’avaient pas encore été violés), sauf dans des circonstances exceptionnelles. Dans la décision Connaught Laboratories Ltd. c. Smithkline Beecham Pharma Inc., 1998 CanLII 8917, [1998] A.C.F. no 1851 (QL) (1re inst.), au paragraphe 20, on a expliqué qu’une déclaration dans une procédure préventive dans laquelle on alléguait une contrefaçon de brevet exigeait : a) des allégations d’une intention exprimée et délibérée de s’engager dans une activité dont le résultat implique une forte possibilité de contravention; b) que l’activité en question soit imminente et que le préjudice en résultant soit très important, sinon irréparable; c) que les faits plaidés soient pertinents, précis et déterminants.
[36] Pour aider à interpréter l’article 8.2 du Règlement, les défenderesses renvoient également à la loi habilitante en vertu de laquelle l’article 8.2 a été adopté. Les parties semblent convenir que le paragraphe pertinent de la Loi est l’alinéa 55.2(4)e), qui prévoit ce qui suit :
55.2 […]
Règlements
(4) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir la contrefaçon de tout brevet qui résulte ou pourrait résulter, de façon directe ou autrement, de la fabrication, de la construction, de l’utilisation ou de la vente, au titre du paragraphe (1), d’une invention brevetée, et notamment :
[…]
e) régir la prévention et le règlement de différends portant sur la contrefaçon d’un brevet qui pourrait résulter, de façon directe ou autrement, de la fabrication, de la construction, de l’utilisation ou de la vente d’un produit visé à l’alinéa a).
[37] Je ne comprends pas que les demanderesses contestent de quelque façon que ce soit le fait que les défenderesses s’appuient sur les sources susmentionnées pour comprendre l’objectif législatif. Les demanderesses s’appuient également sur le paragraphe suivant de la section « Objectifs » du REIR des modifications de 2017 :
[…] le gouvernement croit que les modifications apportées permettent d’atteindre bon nombre d’objectifs.
[…]
● Cinquièmement, les modifications enlèvent des barrières qui pourraient faire en sorte que les innovateurs et les fabricants de médicaments génériques n’intenteront pas d’actions portant sur des brevets hors du cadre du Règlement avant l’arrivée du produit générique sur le marché.
[38] Plus loin dans la présente analyse, je reviendrai plus en détail sur les positions respectives des parties concernant l’objectif législatif qui sous-tend l’article 8.2 du Règlement ainsi que sur leurs arguments à l’appui de ces positions et qui en découlent. Toutefois, en bref, la position des défenderesses est que l’objet de la disposition consiste à rechercher une certitude juridique en ce qui concerne les risques associés aux brevets non inscrits avant le lancement d’un médicament générique. En revanche, la position des demanderesses est que l’objet de la disposition consiste à enlever les barrières qui existaient auparavant pour dissiper l’incertitude découlant de ces risques, mais pas nécessairement pour dissiper cette incertitude ou éliminer ces risques avant le lancement d’un médicament générique.
D. Examen du texte et du contexte
[39] Je me pencherai maintenant sur la question en litige, à savoir celle de savoir si l’article 8.2 impose un délai de prescription, comme l’ont fait valoir les défenderesses. Conformément à la jurisprudence applicable, les observations des parties sur l’interprétation de l’article 8.2 mettent l’accent sur le texte de cette disposition et le contexte d’autres articles du Règlement, mais s’appuient grandement sur leurs positions respectives concernant l’objectif législatif.
[40] Par souci de commodité, je reproduis le texte de l’article 8.2 :
8.2 Sur réception d’un avis d’allégation à l’égard d’une présentation ou d’un supplément, la première personne ou le propriétaire d’un brevet peut, en vertu des paragraphes 54(1) ou 124(1) de la Loi sur les brevets, intenter une action en contrefaçon d’un brevet ou d’un certificat de protection supplémentaire — autre qu’un brevet ou un certificat de protection supplémentaire visé par une allégation faite dans cet avis — à l’égard de la contrefaçon qui pourrait résulter de la fabrication, de la construction, de l’exploitation ou de la vente de la drogue conformément à la présentation ou au supplément.
[41] Mettant l’accent sur le texte et le contexte, les demanderesses insistent principalement dans leurs observations sur le fait que l’article 8.2 ne contient aucune mention explicite d’un délai de prescription de 45 jours, ce qui contraste fortement avec le paragraphe 6(1), qui prévoit expressément un tel délai. Elles soutiennent que le paragraphe 6(1) démontre que les rédacteurs du Règlement savaient clairement comment prévoir un délai de prescription, et que le fait qu’ils ne l’aient pas fait à l’article 8.2 démontre qu’ils ne souhaitaient prévoir aucun délai de prescription pour les actions intentées en vertu de cet article. Les demanderesses s’appuient sur un raisonnement similaire exposé dans l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, aux paragraphes 63 à 65. Elles soulignent également la remarque de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), 2010 CSC 28, [2010] 2 R.C.S. 61, au paragraphe 37, selon laquelle rien ne permet de penser que le législateur aurait choisi d’adopter, dans une même loi, deux techniques législatives différentes pour atteindre un même résultat.
[42] Ces arguments sont simples mais convaincants. Je garde toutefois à l’esprit l’observation des défenderesses selon laquelle la jurisprudence met en garde contre l’adoption d’une approche purement littérale en matière d’interprétation législative. Même si les termes d’une disposition législative semblent clairs, il faut aller au-delà du texte et examiner le contexte et l’objectif législatif (voir Apotex Inc. c. Pfizer Inc., 2017 CAF 201, [2019] 2 R.C.F. 263, aux paragraphes 50 et 51). Avant d’examiner d’autres arguments des demanderesses, j’expliquerai ceux présentés par les défenderesses pour appuyer leur position selon laquelle un délai de prescription s’applique à l’article 8.2 malgré l’absence de termes explicites à cet effet dans l’article.
[43] Mettant l’accent sur le texte de l’article 8.2, les défenderesses font remarquer qu’il confère le droit d’action « [s]ur réception d’un avis d’allégation ». Elles ajoutent que la disposition n’utilise pas le libellé « [s]ur ou après la réception d’un avis d’allégation ». Les termes choisis laissent plutôt entendre une immédiateté, et elles soutiennent qu’il faut donner un sens aux termes qui permettent d’atteindre l’objet de l’article comme de l’ensemble du régime.
[44] Comme les demanderesses, les défenderesses s’appuient également sur le paragraphe 6(1) comme contexte, mais elles soutiennent que le délai de prescription de 45 jours prévu au paragraphe 6(1) appuie leur interprétation, car il est, selon elles, nécessaire d’assurer l’uniformité du moment où on peut intenter et donc régler des actions en contrefaçon de brevets inscrits et non inscrits afin de réaliser l’intention du législateur. Comme je l’ai déjà dit, les défenderesses se fondent sur la capacité d’« interpréter de façon atténuée » une disposition législative, de limiter ou de qualifier le libellé explicite afin de réaliser cette intention.
[45] Les défenderesses soutiennent que, pour atteindre l’objet de l’article 8.2 et dissiper l’incertitude juridique associée au risque que des brevets non inscrits soient contrefaits par le médicament générique visé par un AA, cette incertitude doit être dissipée en temps opportun. Elles font valoir que le fait de permettre à une première personne d’intenter une action en vertu de l’article 8.2 chaque fois qu’elle le désire après qu’un AA lui a été signifié ne permettrait pas de dissiper cette incertitude, car un litige dans le cadre de l’article 8.2 (ainsi que la possibilité pour la première personne de demander une injonction) pourrait se poursuivre après le délai dans lequel un litige pour contrefaçon de brevets inscrits en vertu du paragraphe 6(1) doit être tranché.
[46] En fait, les défenderesses évoquent le spectre d’une première personne qui intente des actions successives en vertu de l’article 8.2. Elles soutiennent que cette possibilité irait à l’encontre tant de l’objectif législatif général de permettre l’entrée en temps opportun de médicaments génériques sur le marché que de l’objet particulier sous-tendant l’article 8.2, à savoir dissiper l’incertitude juridique quant à l’effet des brevets non inscrits sur cette entrée sur le marché. Les défenderesses soulèvent le problème de la « perpétuation » des brevets, préoccupation au sujet des brevets qui apparaissent tardivement et entravent l’entrée de médicaments génériques sur le marché (voir, par exemple, AstraZeneca, au paragraphe 39, pour un examen de la question) qui existait avant les modifications apportées au Règlement en 2006. Ces modifications répondaient à cette préoccupation en « gelant » le registre des brevets en date du dépôt d’une demande d’AC pour un médicament générique. Les défenderesses font valoir que, sans un délai de prescription applicable aux actions intentées en vertu de l’article 8.2, la possibilité que des brevets soient perpétués réapparaîtra, car les premières personnes peuvent intenter des poursuites successives à l’égard de brevets non inscrits et ainsi empêcher l’entrée de médicaments génériques sur le marché.
[47] Par conséquent, les défenderesses soutiennent que le libellé « [s]ur réception d’un avis d’allégation » à l’article 8.2 doit être interprété comme signifiant qu’une action fondée sur l’article 8.2 doit être intentée immédiatement après la réception d’un AA et, au plus tard, dans les 45 jours suivant cette réception. Bien que l’article 8.2 ne mentionne aucun délai de prescription de 45 jours, les défenderesses soutiennent qu’il est nécessaire d’interpréter de façon atténuée le libellé de la disposition pour inclure ce délai de prescription afin de permettre le règlement des actions en contrefaçon de brevets non inscrits à l’intérieur du sursis de 24 mois qui résulte des actions en contrefaçon intentées en vertu du paragraphe 6(1) dans le délai de 45 jours.
[48] En réponse à ces arguments, les demanderesses affirment que la Cour ne peut faire fi des termes que le législateur a effectivement employés et réécrire la loi (voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, au paragraphe 40). Elles s’appuient également sur l’arrêt Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103 (Friesen), pour soutenir que la Cour ne devrait pas accepter une interprétation qui nécessite l’ajout de mots lorsqu’il existe une autre interprétation acceptable qui ne requiert aucun ajout de cette nature (au paragraphe 41). De plus, dans l’arrêt R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378 (Zeolkowski), à la page 1387, la Cour suprême a déclaré que donner aux mêmes mots le même sens dans l’ensemble d’une loi est un principe de base en matière d’interprétation des lois.
[49] Les défenderesses remettent en question la validité des principes énoncés dans les arrêts Friesen et Zeolkowski, faisant remarquer que les deux arrêts sont antérieurs à l’arrêt Rizzo Shoes. J’admets qu’il peut y avoir des circonstances où une expression judiciaire antérieure d’un principe d’interprétation peut devoir céder la place aux principes directeurs de l’approche moderne. Toutefois, en l’absence de toute observation convaincante faisant état d’incohérences entre les principes énoncés dans ces arrêts et ceux expliqués dans l’arrêt Rizzo Shoes, je ne vois aucune raison de rejeter les enseignements de la jurisprudence plus ancienne. Je ne considère pas non plus que les principes exposés dans les précédents plus anciens orientent la Cour vers un résultat différent dans les présentes affaires de ceux formulés dans l’arrêt Rizzo Shoes et la jurisprudence subséquente.
[50] Les demanderesses soulignent que le paragraphe 6(1) et l’article 8.2 emploient un libellé similaire pour expliquer l’effet de la réception d’un AA. Le paragraphe 6(1) prévoit que « [l]a première personne ou le propriétaire d’un brevet qui reçoit un avis d’allégation […] peut […] intenter une action », et l’article 8.2 que « [s]ur réception d’un avis d’allégation […] la première personne ou le propriétaire d’un brevet peut […] intenter une action ». Les demanderesses reconnaissent que ce libellé n’est pas identique dans les deux dispositions, mais il est, selon elles, suffisamment similaire pour que le principe exprimé dans l’arrêt Zeolkowski s’applique.
[51] J’accepte la valeur des enseignements de l’arrêt Zeolkowski, mais je ne suis pas convaincu qu’ils aident les demanderesses dans les présentes affaires particulières. Les défenderesses s’appuient sur l’emploi des termes « [s]ur réception » à l’article 8.2. Ces termes ne sont pas reproduits de façon identique au paragraphe 6(1). Je ne considère donc pas que l’arrêt Zeolkowski oriente nécessairement la Cour vers le résultat préconisé par les demanderesses.
[52] En ce qui concerne l’arrêt Friesen, la question de savoir s’il existe une interprétation acceptable de la disposition en cause qui ne nécessite pas l’ajout de mots me semble similaire à l’exercice d’interprétation consistant à déterminer si le respect de l’objectif législatif requiert ou non une interprétation atténuée par l’ajout de mots qualificatifs. Je n’estime donc pas que Friesen est en conflit avec le processus d’interprétation qui, selon les défenderesses, devrait être mené.
[53] À mon avis, la différence entre les interprétations de l’article 8.2 proposées par les parties ne tient pas à une jurisprudence différente ni aux principes d’interprétation qui y sont énoncés. En fait, ce sont les positions différentes des parties sur l’objet de l’article 8.2 qui donnent lieu à des résultats différents dans l’application de ces principes. J’examinerai maintenant les arguments des parties à l’appui de ces positions.
E. Examen de l’objectif législatif
[54] Comme je l’ai expliqué ci-dessus, les défenderesses soutiennent que le libellé de l’article 8.2 doit être interprété de façon atténuée pour prévoir un délai de prescription de 45 jours (ou au moins un certain délai de prescription) afin de permettre le règlement des actions en contrefaçon de brevets non inscrits avant l’expiration du sursis de 24 mois applicable aux actions en contrefaçon intentées en vertu du paragraphe 6(1) dans le délai de 45 jours. Autrement, les actions en suspens intentées en vertu de l’article 8.2 peuvent entraver l’entrée de médicaments génériques sur le marché, même si toutes les actions intentées en vertu du paragraphe 6(1) ont été réglées. Les défenderesses affirment que cette interprétation de l’article 8.2 est nécessaire pour atteindre l’objet de cet article, soit la recherche d’une certitude juridique à l’égard des brevets non inscrits avant le lancement d’un médicament générique.
[55] À l’appui de cette explication de l’objet de l’article 8.2, les défenderesses invoquent les énoncés du REIR de 2017 cités précédemment dans les présents motifs. En résumé, le REIR indique que des droits d’action sont proposés pour faciliter l’examen judiciaire des brevets non inscrits qui peuvent créer une incertitude juridique, et (apparemment en ce qui concerne l’article 8.2) il renvoie explicitement à l’« objectif » de permettre à la première personne d’intenter une poursuite avant qu’il y ait contrefaçon.
[56] Les défenderesses invoquent également l’alinéa 55.2(4)e) habilitant de la Loi, et soulignent en particulier le renvoi dans cet article à la prévention de différends portant sur la contrefaçon d’un brevet. Elles font valoir que la prévention de la contrefaçon par un médicament générique pour lequel un AC est demandé n’est possible que si l’action fondée sur l’article du Règlement pris en vertu de la disposition habilitante est intentée immédiatement après la signification de l’AA, de sorte que le litige qui en résulte peut être tranché avant l’entrée du produit sur le marché.
[57] Les arguments des défenderesses ne sont pas sans fondement, car j’admets que l’incertitude juridique associée aux brevets non inscrits est réduite plus tôt si la procédure relative aux brevets est introduite et, par conséquent, réglée rapidement. J’admets également l’argument selon lequel la prévention des différends portant sur la contrefaçon d’un brevet est possible si la Cour se prononce sur les préoccupations relatives à la contrefaçon potentielle avant le lancement du produit susceptible d’être contrefait. Toutefois, je ne suis pas convaincu que l’objet du Règlement, ou de l’article 8.2 en particulier, devrait être compris exactement comme le préconisent les défenderesses, ou que cet objet oriente l’interprétation que les défenderesses exhortent la Cour à adopter.
[58] En examinant d’abord l’influence de l’alinéa 55.2(4)e) de la Loi pour l’interprétation de la disposition en cause, je remarque qu’il permet l’adoption de règlements non seulement en ce qui concerne la prévention, mais aussi le règlement de différends portant sur la contrefaçon d’un brevet. Ce point ne va pas dans le sens de l’argument des défenderesses selon lequel l’article 8.2 a un but strictement préventif qui requiert qu’il soit interprété de manière à permettre uniquement les actions qui sont introduites rapidement et, par conséquent, susceptibles d’être conclues avant une potentielle contrefaçon. Même si l’on devait interpréter la « prévention » comme se rapportant uniquement aux litiges qui se terminent avant le lancement du médicament générique, et le « règlement » comme se rapportant aux litiges qui se terminent après ce lancement, l’alinéa 55.2(4)e) permet l’adoption de règlements à ces deux fins. De plus, les demanderesses font valoir de façon valable que même un litige qui ne se termine qu’après le lancement du produit sert à prévenir la contrefaçon (si la première personne a gain de cause) après le jugement.
[59] En ce qui concerne le REIR de 2017, en plus des paragraphes sur lesquels s’appuient les défenderesses, les demanderesses soulignent le paragraphe qui explique que les modifications de 2017 enlèvent les barrières qui pourraient faire en sorte que les innovateurs et les fabricants de médicaments génériques n’intenteront pas d’actions portant sur des brevets hors du cadre du Règlement avant l’entrée du médicament générique sur le marché. Les demanderesses font valoir que l’intention du législateur est que les actions intentées en vertu de l’article 8.2 ne fassent pas partie du régime réglementaire créé par le Règlement. Le Règlement régit les actions intentées en vertu du paragraphe 6(1), mais les actions visées à l’article 8.2 sont intentées hors du cadre de ce régime, et le seul effet du Règlement sur ces actions est d’enlever les barrières que la common law créait à l’égard des actions quia timet.
[60] Je suis d’accord qu’un tel objet peut être déduit du libellé du REIR. Je suis également d’accord avec l’argument des demanderesses selon lequel on peut déduire d’autres dispositions du Règlement que le législateur souhaitait que les actions fondées sur l’article 8.2 soient introduites indépendamment du régime réglementaire applicable aux actions intentées en vertu du paragraphe 6(1). Comme je l’ai déjà mentionné, l’introduction d’une action en vertu du paragraphe 6(1) déclenche automatiquement un sursis de 24 mois de la délivrance de l’AC (alinéa 7(1)d)). Les demanderesses renvoient à l’arrêt Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1993] A.C.F. no 1106 (QL) (C.A.), aux paragraphes 12 à 14, pour soutenir qu’il existe un lien entre le délai de prescription de 45 jours pour obtenir le sursis réglementaire et la nécessité générale de mettre fin au litige dans les plus brefs délais.
[61] J’admets l’argument des demanderesses selon lequel ces caractéristiques de l’action intentée en vertu du paragraphe 6(1) sont liées. Le délai de prescription de 45 jours découle de l’intention que le sursis, s’il est invoqué par l’introduction d’une action en vertu du paragraphe 6(1), soit invoqué rapidement afin qu’il prenne fin rapidement. Cela fait partie de l’équilibre, qui doit être atteint par le Règlement, entre la protection des droits de brevet et la disponibilité rapide de médicaments génériques. Toutefois, le sursis réglementaire ne s’applique qu’aux actions visées au paragraphe 6(1), et non à celles visées à l’article 8.2. Ce point milite en faveur de l’argument des demanderesses selon lequel l’objet de la période de 45 jours, applicable aux actions intentées en vertu du paragraphe 6(1), ne s’applique pas aux actions fondées sur l’article 8.2.
[62] Bien entendu, une première personne peut demander un sursis judiciaire dans le cadre d’une action intentée en vertu de l’article 8.2. Toutefois, ce sursis est discrétionnaire et la question de savoir s’il sera possible d’y recourir dépendra de l’évaluation des circonstances particulières de l’affaire dans le cadre de laquelle il est demandé. C’est la nature automatique du sursis de 24 mois déclenché par les actions visées au paragraphe 6(1) qui crée le besoin d’un délai de prescription de 45 jours. À mon avis, la possibilité d’obtenir de la Cour un sursis discrétionnaire n’indique pas qu’il est nécessaire qu’il y ait un délai de prescription similaire applicable aux actions intentées en vertu de l’article 8.2.
[63] Les demanderesses font remarquer qu’il existe d’autres dispositions du Règlement qui visent également à faire progresser rapidement les actions fondées sur le paragraphe 6(1). Celles-ci sont automatiquement gérées à titre d’instance spéciale conformément aux Règles (article 6.1 du Règlement), et certaines dispositions exigent ou visent à inciter les parties à faire preuve de diligence dans la tenue de l’instance (articles 6.09, 6.12 et paragraphe 8(6)). Ces dispositions ne s’appliquent pas aux actions intentées en vertu de l’article 8.2. Encore une fois, cette différence milite en faveur de la position des demanderesses selon laquelle le délai de prescription de 45 jours, qui est lié à la nécessité d’une progression rapide des instances fondées sur le paragraphe 6(1), ne vise pas à s’appliquer à l’article 8.2.
[64] Les demanderesses insistent en particulier sur l’effet de l’article 6.01 du Règlement, qui interdit expressément toute action contre la seconde personne pour contrefaçon d’un brevet qui fait l’objet d’un AA, autre qu’une action fondée sur le paragraphe 6(1), à moins que la première personne n’ait pas, dans le délai de 45 jours, des motifs raisonnables pour intenter l’action. Cela vise à faire des actions visées au paragraphe 6(1) intentées à l’intérieur du délai de prescription un recours exclusif, à moins que l’exception fondée sur les « motifs raisonnables » ne s’applique. La possibilité de recourir à l’exception milite à l’encontre de la position des défenderesses. Les demanderesses soutiennent, et je suis d’accord, que ce serait un résultat étrange si, selon l’interprétation législative préconisée par les défenderesses, les actions intentées en vertu de l’article 8.2 étaient assujetties à un délai de prescription absolu de 45 jours, tandis que les actions intentées en vertu du paragraphe 6(1) ne l’étaient pas.
[65] En tirant cette conclusion, je garde à l’esprit l’argument des défenderesses selon lequel l’interprétation qu’elles proposent ne signifierait pas que, si le délai de 45 jours était expiré, une action pour contrefaçon d’un brevet non inscrit serait à jamais interdite. Les défenderesses reconnaissent que, même si selon leur interprétation de l’article 8.2 l’introduction d’une action quia timet autorisée par l’article 8.2 ne serait pas permise si le délai était écoulé, la première personne pourrait quand même intenter une action en vertu de la Loi après le lancement du médicament générique en cas de contrefaçon. Toutefois, ce point ne me dissuade pas de conclure qu’il n’y aurait aucune logique de soumettre les actions intentées en vertu de l’article 8.2 à une interdiction absolue après l’expiration du délai de 45 jours, alors que cette interdiction ne s’appliquerait pas aux actions fondées sur le paragraphe 6(1).
[66] Les demanderesses invoquent également l’objet des AA dans le régime réglementaire régissant les actions intentées en vertu du paragraphe 6(1) pour appuyer leur position sur la question d’interprétation en litige. Comme il est expliqué dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 855 (QL) (C.A.), au paragraphe 19, cet objet est de permettre à la première personne de décider en toute confiance à l’intérieur d’une période de 45 jours si elle doit contester la délivrance de l’AC en intentant une action en vertu du paragraphe 6(1). Les demanderesses soutiennent que l’AA et les renseignements qui y sont fournis, qui visent en grande partie les brevets mentionnés dans l’AA, fournissent à la première personne suffisamment de renseignements pour qu’elle soit en mesure de préparer son action assez rapidement afin de respecter le délai de 45 jours. Toutefois, étant donné que l’AA ne vise pas les brevets non inscrits, la première personne ne serait pas de la même façon en mesure d’intenter une action en vertu de l’article 8.2 dans le même délai de 45 jours.
[67] Enfin, les demanderesses soulignent l’interdiction prévue à l’article 6.02 de réunir toute autre action à une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) pendant la durée du sursis de 24 mois. Dans son récent arrêt Apotex Inc. c. Bayer Inc., 2020 CAF 86, [2021] 2 R.C.F. 184 (Bayer), la Cour d’appel fédérale a expliqué que l’objectif de cette interdiction est de permettre le règlement rapide des actions intentées en vertu du paragraphe 6(1) dans le délai de 24 mois (aux paragraphes 96 et 122). En revanche, les actions intentées en vertu de l’article 8.2 ne sont pas visées par cette interdiction. En fait, les demanderesses soutiennent qu’il serait incompatible avec l’objectif législatif défini dans l’arrêt Bayer d’exiger que les actions fondées sur l’article 8.2 soient introduites dans le même délai que les actions intentées en vertu du paragraphe 6(1), car cela augmenterait le fardeau imposé aux parties et la difficulté de conclure la procédure introduite au titre du paragraphe 6(1) dans le délai de 24 mois.
[68] Je conclus que les points susmentionnés soulevés par les demanderesses, qui mettent l’accent sur les caractéristiques particulières du régime réglementaire applicable aux actions intentées en vertu du paragraphe 6(1) et inapplicables aux actions visées à l’article 8.2, militent puissamment en faveur de leur position. Étant donné que l’action visée à l’article 8.2 n’est pas régie par le régime réglementaire, l’objectif sous-jacent du Règlement ne requiert pas, ni d’ailleurs ne préconise, une interprétation atténuée de l’article 8.2 selon laquelle cet article comprendrait un délai de prescription identique ou comparable à celui du paragraphe 6(1).
[69] Les demanderesses répondent également directement à l’argument des défenderesses selon lequel l’objectif législatif de permettre l’entrée de médicaments génériques sur le marché après la conclusion d’un litige visé au paragraphe 6(1) exige que les actions fondées sur l’article 8.2 soient intentées et conclues dans le même délai afin d’éviter des litiges successifs. Comme les demanderesses l’ont fait observer, l’article 8.2 donne simplement à la première personne la possibilité d’intenter une action en contrefaçon d’un brevet non inscrit avant l’entrée de médicaments génériques sur le marché. Les demanderesses font remarquer que les défenderesses reconnaissent que, même si leur interprétation de l’article 8.2 était admise, il serait toujours loisible à la première personne d’intenter une poursuite pour contrefaçon d’un brevet non inscrit après l’entrée sur le marché, lorsque les restrictions imposées aux actions quia timet par la common law ne s’appliqueraient plus et que la première personne n’aurait plus besoin de recourir à l’article 8.2. Par conséquent, les demanderesses soutiennent qu’on ne peut conclure que l’objectif législatif est d’éliminer tout autre risque de litige pour contrefaçon de brevet au moment de l’entrée du médicament générique sur le marché.
[70] Concernant l’argument des défenderesses selon lequel, sans délai de prescription, l’article 8.2 entraînera une résurgence de la préoccupation qui existait avant 2006 quant à la perpétuation des brevets, les demanderesses répondent que le problème de la perpétuation des brevets découlait du sursis automatique déclenché par l’introduction d’une action en contrefaçon d’un brevet inscrit. En vertu du régime antérieur à 2006, une série de telles actions entraînerait des sursis successifs, continuant de retarder l’entrée du médicament générique sur le marché. Toutefois, l’introduction d’une action fondée sur l’article 8.2 n’entraîne pas de sursis automatique. Comme on l’a vu, il est possible que la première personne demande un sursis judiciaire dans le cadre d’une action intentée en vertu de l’article 8.2. Toutefois, il s’agit d’une mesure discrétionnaire qui, par conséquent, ne soulève pas la même préoccupation quant à la possibilité qu’il y ait des sursis automatiques successifs qui existait avant 2006. Encore une fois, je suis d’accord avec les observations des demanderesses.
[71] J’admets que l’objet de l’article 8.2 est de supprimer les barrières qui existaient auparavant à l’égard des actions quia timet afin de faciliter l’examen judiciaire des brevets non inscrits et, par conséquent, de dissiper l’incertitude découlant des risques associés à ces brevets. Toutefois, cet objet ne requiert pas que cette incertitude soit dissipée dans un délai donné, car aucune interprétation de l’article 8.2 ne peut dissiper l’incertitude que continuera de présenter la possibilité qu’il y ait un litige pour contrefaçon de brevets non inscrits après le lancement de médicaments. En fait, l’élimination de la barrière de la common law réalisée par l’article 8.2 permet un accès plus précoce à l’examen judiciaire et, par conséquent, à un règlement plus précoce des actions en contrefaçon de brevets non inscrits. Ce résultat est conforme à l’objectif général d’établir un équilibre entre la protection efficace des droits de brevets et l’entrée de médicaments génériques sur le marché en temps opportun.
[72] Par conséquent, il n’y a aucune raison de conclure que l’objectif législatif en cause exige une interprétation atténuée de l’article 8.2 qui comprenne un délai de prescription de 45 jours.
F. Argument concernant la compétence
[73] Avant de conclure mon analyse, je dois traiter d’une question relative à la compétence soulevée par les défenderesses. Ces dernières font remarquer que l’article 8.2 permet à la première personne d’intenter une action en contrefaçon d’un brevet non inscrit en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi (ou, bien qu’il ne soit pas pertinent en l’espèce, du paragraphe 124(1) de la Loi). L’article 54 de la Loi prévoit ce qui suit :
Juridiction des tribunaux
54 (1) Une action en contrefaçon de brevet peut être portée devant la cour d’archives qui, dans la province où il est allégué que la contrefaçon s’est produite, a juridiction, pécuniairement, jusqu’à concurrence du montant des dommages-intérêts réclamés et qui, par rapport aux autres tribunaux de la province, tient ses audiences dans l’endroit le plus rapproché du lieu de résidence ou d’affaires du défendeur. Ce tribunal juge la cause et statue sur les frais, et l’appropriation de juridiction par le tribunal est en soi une preuve suffisante de juridiction.
Juridiction de la Cour fédérale
(2) Le présent article n’a pas pour effet de restreindre la juridiction attribuée à la Cour fédérale par l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales ou autrement.
[74] Il ressort de la lecture du paragraphe 54(1) qu’il renvoie à la compétence des cours supérieures provinciales, et non à celle de la Cour fédérale. Bien entendu, le paragraphe 54(2) prévoit que le paragraphe 54(1) ne restreint pas la compétence attribuée à la Cour fédérale en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, qui, quant à lui, prévoit ce qui suit :
Propriété industrielle : compétence exclusive
20 (1) La Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, dans les cas suivants opposant notamment des administrés :
a) conflit des demandes de brevet d’invention ou de certificat de protection supplémentaire sous le régime de la Loi sur les brevets, ou d’enregistrement d’un droit d’auteur, d’une marque de commerce, d’un dessin industriel ou d’une topographie au sens de la Loi sur les topographies de circuits intégrés;
b) tentative d’invalidation ou d’annulation d’un brevet d’invention ou d’un certificat de protection supplémentaire délivré sous le régime de la Loi sur les brevets, ou tentative d’inscription, de radiation ou de modification dans un registre de droits d’auteur, de marques de commerce, de dessins industriels ou de topographies visées à l’alinéa a).
Propriété industrielle : compétence concurrente
(2) Elle a compétence concurrente dans tous les autres cas de recours sous le régime d’une loi fédérale ou de toute autre règle de droit non visés par le paragraphe (1) relativement à un brevet d’invention, à un certificat de protection supplémentaire délivré sous le régime de la Loi sur les brevets, à un droit d’auteur, à une marque de commerce, à un dessin industriel ou à une topographie au sens de la Loi sur les topographies de circuits intégrés.
[75] L’argument des défenderesses est que le libellé des dispositions n’établit aucun lien explicite entre le droit d’action prévu à l’article 8.2 et la compétence de la Cour fédérale. Je ne comprends pas que les défenderesses contestent directement la compétence de la Cour à l’égard des actions visées en l’espèce, du moins pas dans le cadre de la présente requête. En fait, les défenderesses soutiennent que, si l’intention du législateur en adoptant l’article 8.2 était de conférer une compétence concurrente aux cours supérieures provinciales et à la Cour fédérale, la rédaction législative manque d’élégance. Les défenderesses invoquent ce point pour illustrer la difficulté d’adopter une approche littérale en matière d’interprétation législative. Elles font valoir que, si la Cour est portée à conclure qu’aucun délai de prescription ne s’applique à l’article 8.2, parce qu’aucun terme explicite à cet effet ne figure dans cet article, la Cour doit se borner à une interprétation littérale selon laquelle l’article renvoie uniquement au paragraphe 54(1), ce qui soulève des préoccupations quant à l’absence de compétence de la Cour fédérale à l’égard des actions intentées en vertu de l’article 8.2. Autrement dit, si la « présomption de perfection » n’est pas réfutée en ce qui a trait à l’article 8.2, cette présomption s’applique à l’ensemble de l’article, y compris à son renvoi au paragraphe 54(1) uniquement.
[76] Je n’ai pas l’intention d’entreprendre une analyse détaillée de cette question relative à la compétence. Je n’interprète pas l’avis de requête des défenderesses comme une demande de réparation fondée sur l’absence de compétence de la Cour à l’égard des présentes actions. Je ne serais pas non plus disposé à tirer une conclusion sur cette question sans qu’elle ne soit soulevée plus clairement et argumentée de façon plus complète que cela a été le cas dans le cadre des présentes requêtes.
[77] J’ai néanmoins examiné l’argument des défenderesses dans le contexte de l’exercice d’interprétation législative dans lequel il est soulevé. À mon avis, cet argument n’aide pas les défenderesses, car ma conclusion selon laquelle l’article 8.2 ne prévoit pas de délai de prescription n’est pas fondée sur une analyse se limitant à une interprétation littérale de cet article. Il importe de préciser que le texte de l’article est un élément important de l’analyse et, comme je l’ai déjà indiqué dans les présents motifs, l’absence de délai de prescription expressément prévu dans le libellé de l’article milite fortement contre l’interprétation proposée par les défenderesses. Toutefois, j’ai effectué l’analyse plus large préconisée par les défenderesses et appuyée par la jurisprudence en tenant compte non seulement du texte, mais aussi du contexte et de l’objectif législatif de l’article 8.2 et du Règlement en général et, sur le fondement de cette analyse complète, j’ai rejeté l’interprétation proposée par les défenderesses.
IV. Conclusion
[78] Au terme de l’exercice d’interprétation législative effectué, je suis convaincu qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse dans la défense des défenderesses fondée sur le délai de prescription. Étant donné qu’aucun délai de prescription ne s’applique aux actions visées en l’espèce, cette défense doit être rejetée. Mon jugement rejettera donc la requête des défenderesses, mais accordera un jugement sommaire en faveur des demanderesses rejetant la défense fondée sur le délai de prescription dans les deux actions.
V. Dépens
[79] Toutes les parties ont sollicité des dépens. Les demanderesses réclament les dépens des présentes requêtes, payables immédiatement, quelle que soit l’issue de la cause. Elles soutiennent également que des dépens élevés sont appropriés pour les indemniser de l’effet de la décision des défenderesses de faire reporter l’instruction de leurs requêtes en radiation, peu avant la date prévue pour leur instruction, pour ajouter la demande de jugement sommaire.
[80] Les défenderesses soutiennent que les dépens devraient suivre l’issue de la cause et ne sont pas d’accord que le report de l’instruction de leurs requêtes devrait entraîner des dépens élevés.
[81] Je suis d’accord avec les demanderesses pour dire que les dépens devraient être adjugés aux parties qui ont gain de cause dans le cadre des présentes requêtes et être payables immédiatement, quelle que soit l’issue de la cause. Si les défenderesses avaient eu gain de cause, ce résultat aurait mis fin aux actions et les dépens auraient nécessairement suivi. De même, les demanderesses devraient recevoir leurs dépens compte tenu de leur succès.
[82] Toutefois, je ne considère pas que les circonstances qui ont mené à l’audition des présentes requêtes justifient des dépens élevés. J’estime que les demanderesses n’ont pas eu à déployer beaucoup d’efforts supplémentaires pour répondre aux requêtes après leur report ou l’ajout de la demande de jugement sommaire des défenderesses. Les arguments portant sur l’interprétation législative soulevés à l’égard des requêtes en jugement sommaire sont les mêmes que ceux soulevés à l’égard des requêtes en radiation. De plus, l’ajout par les défenderesses de la demande de jugement sommaire a ouvert la porte aux demanderesses pour demander également un jugement sommaire dans l’éventualité où leur position sur la question de l’interprétation législative l’emporterait. Les demanderesses ont ainsi pu bénéficier de la suppression d’une question qui aurait autrement dû être tranchée au procès.
[83] La Cour a demandé aux parties de s’entendre sur la quantification des dépens, mais elles n’y sont pas parvenues. Par conséquent, j’adjugerai des dépens conformément à la colonne III du tarif B [des Règles des Cours fédérales], plus les débours raisonnables pouvant être établis. Si, malgré ces indications, les parties ne parviennent pas à s’entendre sur la quantification, les dépens seront taxés.
JUGEMENT dans les dossiers T-670-20 ET T-673-20
LA COUR STATUE que :
1. La requête en radiation et en jugement sommaire des défenderesses est rejetée.
2. Un jugement sommaire partiel est rendu en faveur des demanderesses; la Cour rejette la défense des défenderesses selon laquelle l’action des demanderesses est prescrite.
3. Les dépens relatifs aux présentes requêtes, payables immédiatement par les défenderesses, sont adjugés aux demanderesses, quelle que soit l’issue de la cause. Les dépens, calculés en fonction de la colonne III du tarif B et majorés des débours raisonnables qui peuvent être établis, seront taxés si les parties ne peuvent s’entendre sur leur quantification.