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[***]

2020 CF 697

DANS L’AFFAIRE d’une demande de mandats présentée par [***] en vertu des articles 16 et 21 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

Et dans l’affaire visant [***un État étranger, un groupe d’États étrangers, une personne morale étrangère ou une personne étrangère***]

Répertorié : Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité (Re)

Cour fédérale, juge O’Reilly—Ottawa, 15, 16 et 20 mars, 24 avril, 11 juillet 2018 et 16 juin 2020.

Note de l’arrêtiste : Les parties caviardées par la Cour sont indiquées par [***].

Renseignement de sécurité — Demande de mandats visant la collecte de renseignements étrangers au titre de l’art. 16 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS) — Un certain nombre de questions ayant trait à l’art. 16 soulevées au cours des dernières années ont été traitées également — L’art. 16 autorise le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou Service) à prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités d’un étranger ou d’un État étranger — Ce rôle diffère de celui, fondamental, que l’art. 12 de cette même loi confie au Service : enquêter sur les menaces pour la sécurité du Canada — La demande était assortie d’observations portant sur des modifications que le Service voulait apporter aux modèles des mandats relatifs à l’art. 16, ainsi que sur le traitement des informations sur des Canadiens, y compris des élus, recueillies dans le cadre d’enquête menée au titre de ce même article — La Cour a nommé deux amici curiae et a été invitée à se prononcer sur d’autres points en particulier, qui avaient été rassemblés — Il s’agissait de savoir quelle est la portée de l’art. 16 de la Loi sur le SCRS (relativement, surtout, à la collecte d’informations sur des Canadiens, aux enquêtes menées simultanément sur les menaces pour la sécurité du Canada en vertu de l’art. 12 et aux modèles de mandats permettant l’exercice de pouvoirs intrusifs pour la collecte de renseignements étrangers); si l’art. 16 autorise le recours aux émulateurs de station de base (ESB); si l’art. 16 autorise l’interception de données [***]; et si l’art. 16 autorise l’interception de communications [***des personnes étrangères***] à l’extérieur du Canada — L’art. 16 accorde des pouvoirs étendus, mais le rôle qu’il confère au Service est limité — Le pouvoir de ce dernier de recueillir des renseignements étrangers est strictement circonscrit aux entités étrangères; il ne peut pas viser des Canadiens — Le Service ne peut intercepter les communications de Canadiens au titre de l’art. 16 que de manière incidente; il est tenu de minimiser le degré d’empiètement sur la vie privée de Canadiens qui sont des tiers innocents dans le cadre d’une enquête menée au titre de l’art. 16 — S’il y a lieu, la Cour peut imposer des conditions à l’exécution d’un mandat relatif à l’art. 16 afin de limiter l’empiètement excessif sur la vie privée — Le privilège parlementaire ne justifie pas la création de règles ou de directives spéciales pour le traitement des cas d’interception de communications d’élus au titre de l’art. 16 — Le Service devrait informer la Cour de la teneur des lignes directrices qu’il se donne quant au renversement de la divulgation minimale d’informations permettant de reconnaître des Canadiens dont les communications ont été interceptées de manière incidente, et donner à la Cour l’occasion de les commenter — Le Service a pris des mesures pour qu’il n’y ait aucune interaction de nature opérationnelle entre les activités de renseignement étranger qu’il mène en lien avec l’art. 16 et le mandat que lui donne l’art. 12 en matière de renseignement de sécurité; il a tenu compte des préoccupations de la Cour avec sérieux — Le Service a proposé des modifications destinées à aligner les modèles de mandats liés à l’art. 16 sur ceux liés à l’art. 12 — En ce qui concerne la capacité du Service de capturer des informations au moyen d’ESB, l’art. 16 autorise la réalisation, sans mandat, de fouilles minimalement envahissantes — Il existe suffisamment de mécanismes permettant d’empêcher le Service d’aller trop loin dans son rôle eu égard au renseignement étranger pour que soit respecté l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés quant aux fouilles minimalement envahissantes menées sans mandat, comme l’utilisation d’ESB — Partant, dans ce contexte, il n’y avait aucune différence importante entre les art. 12 et 16 en ce qui a trait à la nature et à l’objet — L’interception de données [***] permet d’obtenir davantage d’informations personnelles que les opérations fondées sur les ESB — Le Service effectue des sondages [***] par lesquels il tente de reconnaître l’appareil en particulier qu’utilise la cible de l’enquête — Les sondages en question peuvent entraîner la collecte envahissante d’informations sur le mode de vie — Par conséquent, le Service doit obtenir au préalable une autorisation judiciaire impartiale, c’est-à-dire un mandat, pour recueillir ces informations — Aux termes de l’art. 16, les renseignements étrangers ne peuvent être recueillis que « dans les limites du Canada », ce qui signifie, sans équivoque, dans les frontières géographiques du pays — Il y a respect de la restriction géographique de l’art. 16 lorsqu’il y a interception, dans les limites du Canada, de communications à l’étranger — Demande accueillie.

Une demande de mandats visant la collecte de renseignements étrangers au titre de l’article 16 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS) était à l’origine de la présente espèce, qui a ensuite pris de l’ampleur pour devenir un véhicule propice au traitement de questions ayant trait à l’article 16 soulevées au cours des dernières années. L’article 16 de la Loi sur le SCRS autorise le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou Service) à prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités d’un étranger ou d’un État étranger. Ce rôle diffère de celui, fondamental, que l’article 12 de cette même loi confie au Service : enquêter sur les menaces pour la sécurité du Canada. Lors de l’audition de la demande originale, la Cour a été avisée que la demande serait assortie d’observations portant sur des modifications que le Service voulait apporter aux modèles des mandats relatifs à l’article 16, ainsi que sur le traitement des informations sur des Canadiens, y compris des élus, recueillies dans le cadre d’enquête menée au titre de ce même article. Ce dernier point faisait suite à une directive antérieure par laquelle la Cour avait demandé au Service d’expliquer ses pratiques et procédures dans une future demande de mandats relatifs à l’article 16. La Cour a nommé deux amici curiae. Par la suite, le procureur général du Canada (procureur général) a cherché à aborder des questions que la Cour n’avait pas encore prises en considération dans le contexte de l’article 16. Outre ce qui concernait les modèles de mandats et le traitement des informations sur des Canadiens, le procureur général, d’un commun accord avec les amici, a demandé que la Cour se prononce sur d’autres points en particulier. Ces diverses questions ont été rassemblées et des décisions ont été rendues.

Il s’agissait de savoir quelle est la portée de l’article 16 de la Loi sur le SCRS (relativement, surtout, à la collecte d’informations sur des Canadiens, aux enquêtes menées simultanément sur les menaces pour la sécurité du Canada en vertu de l’article 12 et aux modèles de mandats permettant l’exercice de pouvoirs intrusifs pour la collecte de renseignements étrangers); si l’article 16 autorise le recours aux émulateurs de station de base (ESB); si l’article 16 autorise l’interception de données [***]; et si l’article 16 autorise l’interception de communications [***des personnes étrangères***] à l’extérieur du Canada.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Bien que la participation du Service à la protection du Canada contre les activités clandestines d’origine étrangère ne soit qu’un rôle secondaire, l’article 16 accorde des pouvoirs étendus. Par contre, le rôle que confère l’article 16 au Service est limité. Son pouvoir de recueillir des renseignements étrangers a toujours été strictement circonscrit aux entités étrangères; il ne peut pas viser des Canadiens. L’article 16 autorise le Service, dans les limites du Canada, à recueillir des informations ou des renseignements sur un État étranger ou un groupe d’États étrangers, ou sur une personne qui n’est pas un citoyen canadien, un résident permanent du Canada ou une personne morale constituée au Canada. Partant, le Service ne peut intercepter les communications de Canadiens au titre de l’article 16 que de manière incidente. Le Service est tenu de minimiser le degré d’empiètement sur la vie privée de Canadiens qui sont des tiers innocents dans le cadre d’une enquête menée au titre de l’article 16. S’il y a lieu, la Cour peut imposer des conditions à l’exécution d’un mandat relatif à l’article 16 afin de limiter l’empiètement excessif sur la vie privée. Le caractère inévitable de l’interception de communications de Canadiens et de l’obtention d’informations sur des Canadiens de manière incidente dans le cadre de la collecte de renseignements étrangers au titre de l’article 16 est un état de fait reconnu depuis la création du Service. Parallèlement, la collecte, la conservation et l’utilisation des informations recueillies de manière incidente soulèvent des préoccupations quant à la vie privée des Canadiens. Par le passé, la Cour a demandé au Service de fournir des explications sur ses [traduction] « pratiques de conservation de communications de Canadiens avec [***des personnes étrangères***] » en particulier. Par suite de la réponse du Service, la Cour a formulé une autre directive dans laquelle elle a demandé que la question juridique de la légitimité de la collecte et de la conservation d’informations sur des Canadiens, surtout lorsqu’il s’agit de représentants élus démocratiquement, soit soulevée dans une nouvelle demande de mandats relatifs à l’article 16 afin que la Cour puisse avoir à sa disposition toutes les informations nécessaires pour se prononcer adéquatement, s’il y a lieu. Le Service s’est conformé à cette directive dans la demande en l’espèce. En ce qui concerne les pratiques du Service quant aux informations sur des Canadiens, le Service a mis en relief la portée des mesures de protection en vigueur quant à la collecte de renseignements étrangers au titre de l’article 16. Une politique sur la divulgation minimale d’informations sur des Canadiens a été adoptée également, et elle sert à limiter la divulgation de l’identité de Canadiens dans tout renseignement lié à l’article 16.

L’interception, de manière incidente, de communications entre des députés fédéraux ou provinciaux et des étrangers ou des organisations étrangères a soulevé une préoccupation particulière, mais il s’agit d’une conséquence inévitable de la collecte de renseignements étrangers. Le privilège parlementaire ne justifie pas la création de règles ou de directives spéciales pour le traitement des cas d’interception de communications d’élus au titre de l’article 16. Les amici ont déclaré à juste titre que le Service devrait se donner des critères et des lignes directrices quant au renversement de la divulgation minimale d’informations permettant de reconnaître des Canadiens. Il y a lieu d’accroître la protection accordée aux informations sur des Canadiens recueillies de manière incidente dans le cadre de la collecte de renseignements étrangers. Sans lignes directrices, les décisions sur la conservation, la communication et la diffusion de ces informations relèvent de la discrétion de chacun. Les informations sur des Canadiens que le Service obtient ainsi méritent d’être traitées avec un soin particulier, à plus forte raison celles qui touchent des représentants officiels et de hauts fonctionnaires, comme le reconnaissent déjà les politiques du Service. Le Service devrait informer la Cour de la teneur de ces lignes directrices et lui donner l’occasion de les commenter. Dans chaque demande de mandats, le Service devrait continuer d’informer la Cour des cas possibles d’interception, de manière incidente, de communications de Canadiens, particulièrement s’il peut s’agir d’élus ou de fonctionnaires. Au besoin, la Cour pourra ainsi fixer des conditions à l’exécution des mandats qu’elle décerne.

Le possible chevauchement des rôles confiés au Service par les articles 12 et 16 de la Loi sur le SCRS, voire la confusion entre les deux, constituait une préoccupation permanente. Partant, le Service a été prié d’étudier la question, compte tenu du fait que certaines demandes de mandats récemment faites au titre de l’article 16 en matière de renseignement étranger ressemblaient à des demandes de mandats relatives à des enquêtes sur des menaces pour la sécurité nationale, qui relèvent de l’article 12. Cette situation était préoccupante en ce sens que l’article 16 pourrait finir par servir de solution de rechange ou de complément à l’article 12, contrairement à l’intention du législateur à l’adoption de la Loi sur le SCRS. Le Service a réglé cette question de façon satisfaisante. La preuve qu’il a produite a démontré qu’il a pris des mesures pour qu’il n’y ait aucune interaction de nature opérationnelle entre les activités de renseignement étranger qu’il mène en lien avec l’article 16 et le mandat que lui donne l’article 12 en matière de renseignement de sécurité. Bref, le Service a tenu compte de toutes les préoccupations avec sérieux tant dans ses opérations que dans ses politiques, et il n’était pas nécessaire de proposer l’adoption d’autres mesures par le Service.

Le Service a proposé un certain nombre de modifications destinées à aligner les modèles de mandats liés à l’article 16 sur ceux liés à l’article 12. Ces modifications ne soulevaient aucune question juridique. En règle générale, tout changement ou toute amélioration au libellé des modèles de mandats relatifs à l’article 12 devrait entraîner des modifications correspondantes dans les modèles de mandats applicables au renseignement étranger.

Le Service a cherché à confirmer que ses pouvoirs au titre de l’article 16 de la Loi sur le SCRS comprennent la capacité de capturer des informations au moyen d’émulateurs de station de base (ESB), qui peuvent permettre d’obtenir des données émises par des appareils mobiles. L’article 16 autorise la réalisation, sans mandat, de fouilles minimalement envahissantes. Il existe au moins trois grandes différences entre la nature et l’objet des articles 12 et 16. D’abord, l’article 16 donne au Service une autorisation; il ne lui impose pas une contrainte. Ensuite, l’article 16 ne charge pas directement le Service de recueillir des renseignements. Le rôle du Service est de prêter son assistance aux ministres mentionnés. Enfin, l’article 16 n’exige pas que la collecte d’informations ou de renseignement se fasse « dans la mesure strictement nécessaire » ni n’établit un critère comparable à celui des « motifs raisonnables de soupçonner ». S’il existe des différences importantes entre les rôles que confèrent au Service les articles 12 et 16, cela ne revient pas à affirmer que la nature et l’objet de l’article 16 sont, en quelque sorte, moins importants ou cruciaux pour les intérêts du Canada que ceux de l’article 12. Il existe suffisamment de mécanismes permettant d’empêcher le Service d’aller trop loin dans son rôle eu égard au renseignement étranger pour que soit respecté l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés quant aux fouilles minimalement envahissantes menées sans mandat, comme l’utilisation d’ESB. Partant, dans ce contexte, il n’y avait aucune différence importante entre les articles 12 et 16 en ce qui a trait à la nature et à l’objet. Dans les deux domaines, le rôle du Service sert les intérêts nationaux. En outre, bien qu’il ne comporte pas le libellé limitatif de l’article 12, l’article 16 comporte une contrainte essentielle à laquelle échappe l’article 12 : seuls des étrangers et des États étrangers peuvent être visés; les cibles ne peuvent pas être des Canadiens. Partant, il n’existe aucun conflit entre l’utilisation d’ESB sans mandat et l’article 8 de la Charte. L’article 16 offre un fondement légal suffisant et raisonnable aux fouilles sans mandat, pourvu qu’elles soient minimalement envahissantes et effectuées de manière raisonnable.

L’interception de données [***] permet d’obtenir davantage d’informations personnelles que les opérations fondées sur les ESB et nécessite un mandat. Le Service effectue ce qu’il appelle des « sondages [***] » qui lui permettent d’obtenir [***] en vue de reconnaître celui qu’utilise la cible de l’enquête. Pour ce faire, il utilise un appareil spécialement configuré pour capter [***]. Le Service a avancé que les informations les plus utiles qu’il recueille dans l’exercice du rôle que lui confie l’article 16 découlent des communications interceptées [***des personnes étrangères***] qui sont associées à [***des États étrangers, groupes d’États étrangers, ou personnes morales étrangères***] à propos desquels il prête actuellement son assistance au ministre. À l’instar des ESB, les sondages en question permettent au Service d’obtenir les identifiants électroniques uniques ayant trait aux appareils, ce qui lui permet ensuite de procéder, en vertu de mandats, à des interceptions. Les sondages [***] minimalement envahissants, menés au titre de l’article 16, le sont raisonnablement. Comme pour la technologie relative aux ESB, il n’y a aucune incidence sur les communications privées ou toute autre information privée stockée dans l’appareil. Les informations de tiers recueillies sont détruites. Compte tenu de la différence entre une opération fondée sur les EBS, qui implique une collecte minimalement envahissante, et les sondages en question, qui peuvent entraîner la collecte envahissante d’informations sur le mode de vie, ce dernier nécessite un mandat. De tels sondages peuvent mener à la collecte de renseignements personnels à caractère privé, qui n’ont été ni divulgués ni abandonnés par la cible d’une enquête. Ces facteurs tendent à démontrer qu’un mandat est nécessaire. Si l’article 16 est une disposition législative raisonnable qui permet la réalisation de fouilles minimalement envahissantes sans mandat, il est impossible de trancher de la même manière en ce qui a trait aux sondages en question qui permettent de recueillir des renseignements personnels sur le mode de vie. Par conséquent, le Service doit obtenir au préalable une autorisation judiciaire impartiale, c’est-à-dire un mandat, pour recueillir ces informations.

Aux termes de l’article 16, les renseignements étrangers ne peuvent être recueillis que « dans les limites du Canada ». La Cour a été saisie d’autres litiges relatifs à l’expression « dans les limites du Canada », surtout dans X (Re) ([***]), où elle a conclu que l’expression « dans les limites du Canada » figurant à l’article 16 signifie, sans équivoque, dans les frontières géographiques du pays. Il y a respect de la restriction géographique de l’article 16 lorsqu’il y a interception, dans les limites du Canada, de communications à l’étranger. Puisqu’aucune disposition législative ne l’autorise clairement à intercepter les communications d’une personne à l’étranger, le Service a pour pratique de mettre fin à l’interception s’il apprend que [la personne étrangère] a quitté le Canada. L’interception se poursuivra cependant si [***la personne étrangère***] quitte le pays à l’insu du Service. Compte tenu de ces éléments de preuve, les interceptions que propose le Service auront lieu dans les limites du Canada et, partant, respecteront la restriction géographique prévue à l’article 16.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 184, 430(1.1)c).

Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R-2, art. 9(1)b).

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2 « menaces envers la sécurité du Canada »,12, 12.1, 12.2, 16, 21, 21.1.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567, conf. par. 2018 CAF 207; Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667; X (Re), 2017 CF 1047, [2018] 3 R.C.F. 111.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

X (Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396; Renvoi relatif à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, 2012 CF 1437, [2014] 2 R.C.F. 514; Caroline Lucas MP and Ors v. Security Service and Ors, [2015] UKIPTrib 14_79-CH; R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212; X (Re), 2009 CF 1058, [2010] 1 R.C.F. 460.

DÉCISIONS CITÉES :

R. c. Chesson, [1988] 2 R.C.S. 148; Pankiw c. Canada (Commission des droits de la personne), 2006 CF 1544, [2007] 4 R.C.F. 578; R. c. Shoker, 2006 CSC 44, [2006] 2 R.C.S. 399; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 S.C.R. 606; R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; R. c. A.M., 2008 CSC 19, [2008] 1 R.C.S. 569; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531; R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608; R. c. Kang-Brown, 2008 CSC 18, [2018] 1 R.C.S. 456; R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, Procès-verbaux et témoignages, 32e lég., 2e sess., fascicule no 38 (7 juin 1984).

Canada. Parlement. Sénat. Comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité, Délibérations du comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité sur la teneur du projet de loi C-157, 32e lég., 1re sess., 1983.

Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, novembre 1983.

Canada. Sécurité publique. Ministerial Directive on Legislators’ Privileges and Immunities in relation to Part IV.1 of the Criminal Code within the Precincts of Parliament, Provincial and Territorial Assemblies, Ottawa : Soliciteur général Canada, 1983.

Cheifetz, David. « La protection accordée aux communications des deputes » (1981), 4 Rev. parl. can. 17.

Colombie-Britannique. Legislative Assembly, Hansard, 32e lég., 2e sess. (6 juin 1980).

Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel, 1993–1994.

La procédure et les usages de la Chambre des communes, 2e éd. Ottawa : Chambre des communes, 2009.

Taylor, Donald E. « La surveillance électronique et l’immunité parlementaire » (1989), 12 Rev. parl. can. 12.

DEMANDE de mandats visant la collecte de renseignements étrangers au titre de l’article 16 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité à l’origine de la présente espèce, qui a ensuite pris de l’ampleur pour traiter des questions ayant trait à l’article 16 soulevées au cours des dernières années. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Jennifer Poirier et Amy Joslin-Besner pour le demandeur, le procureur général du Canada.

Gordon Cameron et Owen Rees à titre d’amici curiae.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur, le procureur général du Canada.

Gordon Cameron et Owen Rees à titre d’amici curiae.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge O’Reilly :

Table des matières

I.    Contexte

II.   Première question — Quelle est la portée de l’article 16 de la Loi sur le SCRS?

A.  Contexte — Historique et objet de l’article 16

B.  Collecte, de manière incidente, d’informations sur des Canadiens

1)   Introduction

2)   Contexte

3)   Pratiques du Service quant aux informations sur des Canadiens

4)   Communications et privilèges des élus

C.  Relation entre les articles 12 et 16

D.  Modifications proposées aux modèles de mandats relatifs à l’article 16

1)   Modifications accessoires aux modèles de mandats

2)   Précision de la portée de certains pouvoirs

3)   Nouveaux pouvoirs ou lieux

4)   Conclusion au sujet des modèles de mandats

III.  Deuxième question — L’article 16 autorise-t-il le recours aux ESB?

IV. Troisième question — L’article 16 autorise-t-il l’interception de données [***]?

1)   Technologie

2)   L’article 16 constitue-t-il une autorisation légale suffisante?

V.  Quatrième question — L’article 16 autorise-t-il l’interception de communications à l’extérieur du Canada?

VI. Conclusion et décision

I.          Contexte  [Retour à la table des matières]

[1]        Une demande de mandats visant la collecte de renseignements étrangers au titre de l’article 16 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (Loi sur le SCRS) est à l’origine de la présente espèce (les dispositions citées se trouvent en annexe), qui a ensuite pris de l’ampleur pour devenir un véhicule propice au traitement de questions ayant trait à l’article 16 soulevées au cours des dernières années.

[2]        L’article 16 de la Loi sur le SCRS autorise le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou Service) à prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités d’un étranger ou d’un État étranger. Ce rôle diffère de celui, fondamental, que l’article 12 de cette même loi confie au Service : enquêter sur les menaces pour la sécurité du Canada.

[3]        La demande originale dont j’ai été saisie a été entendue en octobre 2017. L’avocat du procureur général du Canada (procureur général) avait avisé la Cour que la demande serait assortie d’observations portant sur des modifications que le Service voulait apporter aux modèles des mandats relatifs à l’article 16, ainsi que sur le traitement des informations sur des Canadiens, y compris des élus, recueillies dans le cadre d’enquête menée au titre de ce même article. Ce dernier point faisait suite à une directive antérieure par laquelle la Cour avait demandé au Service d’expliquer ses pratiques et procédures dans une future demande de mandats relatifs à l’article 16 (d’autres détails sur cette directive figurent plus loin).

[4]        Après l’audience d’octobre 2017, j’ai nommé deux amici curiae pour m’aider, MM. Gordon Cameron et Owen Rees (M. Rees a renoncé à ce rôle à l’automne de 2018 en raison d’un changement d’emploi). En mars 2018, le procureur général a cherché à aborder des questions que la Cour n’avait pas encore prises en considération dans le contexte de l’article 16. Outre ce qui concernait les modèles de mandats et le traitement des informations sur des Canadiens, le procureur général, d’un commun accord avec les amici, a demandé que je me prononce sur les points suivants :

         l’interaction entre les articles 12 et 16 de la Loi sur le SCRS (en réponse à des préoccupations soulevées périodiquement par la Cour);

         la possibilité que l’article 16 autorise le Service à faire usage d’émulateurs de station de base (ESB);

         la possibilité que l’article 16 autorise le Service à effectuer des sondages [***];

         la possibilité que l’article 16 autorise le Service à intercepter les communications [***des personnes étrangères***] lorsqu’ils se rendent à l’extérieur du Canada.

[5]        Peu après, le procureur général a déposé un certain nombre d’autres affidavits ayant trait à ces questions. La présentation des éléments de preuve et des observations orales a été mise au rôle. Une audience a été tenue en juillet 2018, et des observations orales supplémentaires ont été déposées jusqu’en décembre 2018.

[6]        Dans le présent jugement, j’aborde toutes les questions dont j’ai été saisi. Je souligne toutefois qu’à certains égards, j’y résume simplement des informations dont j’ai pris connaissance à propos des activités menées par le Service au titre de l’article 16, qui ne requièrent pas que je me prononce de manière définitive. À titre d’exemple, je traite en détail de la question des politiques et des pratiques du Service en matière de collecte et de conservation d’informations sur des Canadiens, et je souligne les lacunes relevées par les amici. Toutefois, aucun fondement juridique ne m’a permis d’ordonner au Service d’en faire davantage. Je souligne cependant des domaines pour lesquels il y aurait lieu de renforcer les politiques et les pratiques du Service. De même, je décris comment le Service mène parallèlement des opérations au titre des articles 12 et 16 et souligne quelques préoccupations les concernant, mais je n’ai pu constater aucun fondement juridique à une ordonnance.

[7]        Par contre, il m’a fallu trancher au sujet de trois questions : l’utilisation proposée d’ESB, la collecte de données [***] ainsi que l’interception de communications [***des personnes étrangères***] à l’extérieur du Canada.

[8]        J’ai rassemblé les diverses questions dont je suis saisi sous quatre rubriques :

i.    Quelle est la portée de l’article 16 de la Loi sur le SCRS (relativement, surtout, à la collecte d’informations sur des Canadiens, aux enquêtes menées simultanément sur les menaces pour la sécurité du Canada en vertu de l’article 12 et aux modèles de mandats permettant l’exercice de pouvoirs intrusifs pour la collecte de renseignements étrangers)?

ii.   L’article 16 autorise-t-il le recours aux ESB?

iii.  L’article 16 autorise-t-il l’interception de données [***] ?

iv.  L’article 16 autorise-t-il l’interception de communications [***des personnes étrangères***] à l’extérieur du Canada?

[9]        En résumé, je conclus que le traitement des informations sur des Canadiens — dont des élus — par le Service, quoique satisfaisant, requiert des améliorations. J’ajoute que l’approche du Service quant aux enquêtes menées parallèlement au titre des articles 12 et 16 est satisfaisante. En outre, je constate que l’article 16 en soi autorise le Service à utiliser les ESB. Par contre, il ne l’autorise pas à intercepter sans mandat des données [***]. Enfin, je conclus que l’article 16 autorise l’interception, dans les limites du Canada, des communications [***d’une personne étrangère***] qui se trouve à l’extérieur du Canada.

II.         Première question — Quelle est la portée de l’article 16 de la Loi sur le SCRS?  [Retour à la table des matières]

[10]      La demande en l’espèce exige que je me penche sur la portée générale de l’article 16 en vue de donner réponse à certaines des questions susmentionnées, plus précises. Dans la présente section, je donne d’abord des éléments de contexte, puis je traite de la question de la collecte, de manière incidente, d’informations sur des Canadiens — dont des élus — dans le cadre d’enquêtes menées au titre de l’article 16. En outre, je compare et mets en contraste les articles 12 et 16. J’expose ensuite les modifications que le Service entend apporter aux modèles de mandats relatifs à l’article 16, en vue, surtout, de les aligner sur les mandats liés à l’article 12.

A.        Contexte — Historique et objet de l’article 16  [Retour à la table des matières]

[11]      Dès le départ, c’est-à-dire depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur le SCRS en 1984, le Service s’est vu confier le pouvoir exprès de prêter son assistance, dans les limites du Canada, aux ministres de la Défense nationale et des Affaires étrangères à la collecte d’informations sur « les moyens, les intentions ou les activités » d’un État étranger ou d’une personne qui n’entre dans aucune des catégories suivantes : les citoyens canadiens, les résidents permanents ou les personnes morales, aux termes des alinéas 16(1)a) et b). Dans la présente décision, il sera question, eu égard à ce rôle du Service, de « collecte de renseignements étrangers ».

[12]      Cependant, il était aussi manifeste que la participation du Service à la protection du Canada contre les activités clandestines d’origine étrangère n’était qu’un rôle secondaire (voire tertiaire, selon le Rapport du comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un service du renseignement de sécurité dans une société démocratique (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada), au paragraphe 49). Voir aussi X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567, au paragraphe 28, et X (Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396 (Données connexes), au paragraphe 165.

[13]      Néanmoins, l’article 16 accorde des pouvoirs étendus. Il est possible de soutenir que le segment « les moyens, les intentions ou les activités » renvoie à virtuellement quoi que ce soit qu’un pays [***ou une personne étrangère***] pourrait chercher à apprendre, à atteindre, à obtenir, à accomplir ou à mettre en œuvre. En outre, pour assumer le rôle que lui confère l’article 16, le Service peut demander à la Cour de lui octroyer divers pouvoirs envahissants, par exemple procéder à des fouilles et à des saisies, effectuer de la surveillance électronique et recueillir des renseignements relatifs à n’importe quel de ces objectifs en vue de prêter assistance à l’un ou l’autre des ministres mentionnés.

[14]      Les ministres en question peuvent demander de l’assistance sur une vaste gamme de sujets. À titre d’exemple, le ministre des Affaires étrangères est notamment chargé de la conduite des affaires extérieures du Canada, en plus de commerce international et de développement international. Pour l’heure, Affaires mondiales Canada se consacre en priorité à l’établissement d’une collaboration étroite avec des pays de la région de l’Asie-Pacifique et à la diversification du commerce international et des investissements à l’étranger. Le ministère a d’autres priorités dignes de mention : lutter contre le trafic de stupéfiants, entretenir une relation constructive avec les États-Unis et accroître le leadership du Canada sur la scène internationale dans des domaines comme les droits de la personne, les changements climatiques et le maintien de la paix. Le ministre est aussi chargé des relations diplomatiques du Canada. À ce titre, il doit veiller à ce que les diplomates et agents consulaires étrangers au Canada respectent leurs obligations, c’est-à-dire éviter d’enfreindre les lois canadiennes et de s’ingérer dans les affaires internes du pays.

[15]      Il n’est donc pas surprenant que le Service recueille de grandes quantités de renseignements étrangers lorsqu’il assume le rôle et exerce les pouvoirs étendus que lui a accordés le législateur au moyen de l’article 16.

[16]      Par contre, il est important de reconnaître que le rôle que confère l’article 16 au Service est limité. Son pouvoir de recueillir des renseignements étrangers a toujours été strictement circonscrit aux entités étrangères; il ne peut pas viser des Canadiens. L’article 16 autorise le Service, dans les limites du Canada, à recueillir des informations ou des renseignements sur un État étranger ou un groupe d’États étrangers, ou sur une personne qui n’appartient à aucune des catégories suivantes : citoyens canadiens, résidents permanents du Canada ou personne morale constituée au Canada. Il prévoit précisément que l’assistance prêtée par le Service ne peut pas viser d’entités canadiennes, qu’il s’agisse de citoyens, de résidents permanents ou de sociétés (Renvoi relatif à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, 2012 CF 1437, [2014] 2 R.C.F. 514 (SCRS (Re)), au paragraphe 98, sous la plume de la juge Anne Mactavish, maintenant à la Cour d’appel fédérale). Partant, le Service ne peut intercepter les communications de Canadiens au titre de l’article 16 que de manière incidente. De telles interceptions sont inévitables dans le cadre de la collecte de renseignements étrangers, surtout lorsqu’il y a exercice de pouvoirs de surveillance électronique.

[17]      Le Service est tenu de minimiser le degré d’empiètement sur la vie privée de Canadiens qui sont des tiers innocents dans le cadre d’une enquête menée au titre de l’article 16. Ainsi, la Cour demande au Service de lui fournir à l’avance les noms des personnes dont il pourrait intercepter les communications de manière incidente (conformément à l’arrêt R. c. Chesson, [1988] 2 R.C.S. 148). S’il y a lieu, la Cour peut imposer des conditions à l’exécution d’un mandat relatif à l’article 16 afin de limiter l’empiètement excessif sur la vie privée. Toutefois, le degré d’atteinte à la vie privée est nettement supérieur lorsqu’il s’agit de cibles, car les communications de tiers ne peuvent pas, elles, être interceptées intentionnellement (SCRS (Re), aux paragraphes 33 et 34).

B.        Collecte, de manière incidente, d’informations sur des Canadiens  [Retour à la table des matières]

1)         Introduction  [Retour à la table des matières]

[18]      Le caractère inévitable de l’interception de communications de Canadiens et de l’obtention d’informations sur des Canadiens de manière incidente dans le cadre de la collecte de renseignements étrangers au titre de l’article 16 est un état de fait reconnu depuis la création du Service. Il a été proposé que le Service soit tenu de mettre fin à une interception si un Canadien était impliqué dans la communication visée. Difficilement applicable, cette proposition a été rejetée en 1984 par le Comité permanent de la justice et des affaires juridiques (Canada, Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages, fascicule no 38 [32e lég., 2e sess.] (7 juin 1984), aux pages 65 à 68).

[19]      Parallèlement, la collecte, la conservation et l’utilisation des informations recueillies de manière incidente soulèvent des préoccupations quant à la vie privée des Canadiens.

[20]      J’ai pris connaissance d’une preuve abondante sur la manière dont le Service traite les informations sur des Canadiens recueillies de manière incidente au titre de l’article 16, essentiellement sous forme d’affidavits et de témoignages déposés et livrés par [***] employé haut placé du Service, directeur général du Secrétariat du sous-directeur des Opérations (SDO). Ce qui suit s’inspire en grande partie des éléments de preuve communiqués par cette personne.

2)         Contexte  [Retour à la table des matières]

[21]      En 2017, mon collègue, le juge Simon Noël, par voie d’une directive, a demandé au Service de fournir des explications sur ses [traduction] « pratiques de conservation de communications de Canadiens avec [***des personnes étrangères***] ainsi que sur la condition 1 du mandat sur les interceptions générales et les fouilles ». Dans une lettre au juge Noël, le Service a répondu que l’article 16 prévoit la collecte, de manière incidente, d’informations sur des Canadiens, comme l’a reconnu précisément la juge Mactavish en 2011 (SCRS (Re), précitée). Elle a conclu qu’« interprété correctement, le paragraphe 16(2) interdit l’interception des communications [de citoyens canadiens] […], sauf dans la mesure où ces communications pourraient être interceptées accidentellement dans l’exercice des pouvoirs conférés par mandat à l’égard des communications » de non-Canadiens (SCRS (Re), au paragraphe 106). Partant, selon le Service dans sa réponse au juge Noël, [traduction] « les mandats confèrent au Service des pouvoirs d’interception; seulement en exerçant ceux-ci, il peut intercepter, de manière incidente, les communications et les communications orales de toute personne ».

[22]      Le Service a aussi expliqué au juge Noël qu’il traitait rapidement les informations recueillies de manière incidente et détruisait, [***] toute information échappant aux exceptions prévues à la condition 1 des mandats. En vertu de la condition 1, les informations sur des Canadiens sont détruites à moins qu’elles, selon le cas, a) aient trait à des activités qui constituent une menace pour la sécurité nationale; b) puissent permettre la prévention d’un acte criminel ou servir dans le cadre d’une enquête ou de poursuites relatives à un acte criminel; c) aient trait aux moyens, aux intentions ou aux activités des personnes, personnes morales ou États étrangers au sujet desquels un ministre a demandé l’assistance du Service.

[23]      Le Service affirme conserver [***] les informations qui sont des cas d’exception prévus à la condition 1, conformément à son calendrier de conservation (bien que depuis, ce délai ait été réduit en pratique à [***] Toutefois, les informations peuvent faire l’objet de rapports qui, eux, peuvent être conservés de 20 à 50 ans.

[24]      Par suite de la réponse du Service, le juge Noël a formulé une autre directive dans laquelle il a souligné que la lettre [traduction] « sou[levait] des questions sur la légitimité de la collecte et de la conservation d’informations sur des Canadiens, surtout lorsqu’il s’agit de représentants élus démocratiquement ». Il a demandé que [traduction] « cette question juridique soit soulevée dans une nouvelle demande de mandats relatifs à l’article 16 afin que la Cour puisse avoir à sa disposition tous les faits et toutes les informations juridiques nécessaires pour se prononcer adéquatement, s’il y a lieu ».

[25]      Le Service a fini par se conformer à la directive du juge Noël dans la demande en l’espèce. Comme il en est question plus haut, le Service a profité de l’occasion pour soulever d’autres questions juridiques ayant trait à l’article 16.

3)         Pratiques du Service quant aux informations sur des Canadiens  [Retour à la table des matières]

[26]      Le Service a mis en relief la portée des mesures de protection en vigueur quant à la collecte de renseignements étrangers au titre de l’article 16.

[27]      Le Service ne peut agir au titre de l’article 16 que si la ministre des Affaires étrangères ou le ministre de la Défense nationale lui demande personnellement, par écrit, de lui prêter assistance. L’assistance est subordonnée à une lettre de consentement du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

[28]      Un document appelé « Justificatif » (« Rationale ») est annexé à la lettre de demande. Il établit les exigences spécifiques en matière de renseignement et comporte une rubrique, « Demandes et instructions précises » (« Clear Requirements/Tasking »), qui expose en détail les questions qui intéressent particulièrement le ministre demandeur.

[29]      Une lettre de demande ne mène pas automatiquement à une demande de mandats par le Service. Celui-ci pourra d’abord utiliser des méthodes de collecte de renseignements minimalement envahissantes, par exemple la filature et le recours à des sources humaines. Il pourra faire une demande de mandats s’il a besoin de recourir à des techniques plus envahissantes.

[30]      Conformément à la Directive du SDO [sous-directeur des Opérations] par rapport à l’article 16 de la Loi sur le SCRS, datant de 2014, le Service commence par s’assurer que l’aide demandée est visée à l’article 16, ne vise aucun Canadien et ne concerne aucune information dont la collecte relèverait normalement du rôle qui lui est confié par l’article 12 (c’est-à-dire celles qui ont trait aux menaces pour la sécurité du Canada).

[31]      Un analyste des communications (AC) examine les informations recueillies au titre de l’article 16. Il détermine si elles sont utiles, sans quoi elles sont détruites. Dans l’affirmative, l’AC rédige un rapport interne qu’il soumet à son superviseur, qui vérifie la pertinence des informations et veille au respect des politiques du Service. Le rapport approuvé est ensuite versé dans la base de données du Service consacrée à l’article 16.

[32]      Les rapports internes de l’AC peuvent servir de bases à un rapport externe rédigé par un agent des exigences (AE) chargé de répondre aux besoins exprimés par le ministre dans le Justificatif annexé à la lettre de demande. Les rapports externes ne sont diffusés qu’en fonction du principe du besoin de savoir. Leurs destinataires doivent demander l’autorisation du Service pour en faire un usage quelconque. Le niveau hiérarchique de la personne chargée de donner cette approbation varie en fonction de la sensibilité du contenu.

[33]      Les informations sur des Canadiens recueillies de manière incidente bénéficient de diverses mesures de protection. D’abord, l’accès à la base de données consacrée à l’article 16 est limité; il n’est accordé qu’en fonction d’un dossier précis. Autrement dit, quiconque est chargé d’analyser les renseignements étrangers ayant trait à un pays ne pourra pas consulter les informations qui en concernent un autre. [***] qui est un employé haut placé du Service, contrôle l’accès.

[34]      Le Service s’est aussi donné une politique sur la divulgation minimale d’informations sur des Canadiens. Selon la Directive du SDO par rapport à l’article 16 de la Loi sur le SCRS, précitée, s’entend par « divulgation minimale » l’adoption de mesures afin de réduire au strict minimum la portée de la surveillance électronique tout en assurant l’atteinte des objectifs légitimes d’une enquête. Cependant, le point 1.19 de la politique OPS-221 en donne une définition plus utile en l’espèce :

Expression désignant le principe selon lequel, à moins d’une exemption particulière, toute mention qui permet de reconnaître un citoyen canadien, un résident permanent au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) ou une personne morale constituée en vertu d’une loi fédérale, provinciale ou territoriale est remplacée par un terme général.

[35]      Autrement dit, ce principe sert à limiter la divulgation de l’identité de Canadiens (citoyens, résidents permanents et personnes morales) dans tout renseignement lié à l’article 16, soit par suppression ou par remplacement par un terme général, par exemple « une entreprise canadienne » ou « un Canadien connu ».

[36]      La politique OPS-221 prévoit quatre exceptions à la divulgation minimale. Une information n’y est pas assujettie si elle :

i.      permet de comprendre ou d’exploiter les renseignements étrangers;

ii.     concerne des activités qui pourraient constituer une « [menace] envers la sécurité du Canada », au sens de l’article 2 de la Loi sur le SCRS;

iii.    peut prévenir un acte criminel présumé ou servir dans le cadre d’une enquête ou de poursuites relatives à un acte criminel présumé;

iv.    peut être obtenue de sources ouvertes.

[37]      En pratique, la divulgation minimale s’applique davantage dans les rapports externes que dans les rapports internes. En général, les destinataires de rapports externes n’ont pas besoin de connaître l’identité des Canadiens en cause pour comprendre ou utiliser les renseignements que fournit le Service en réponse à une demande d’un ministre. Un rapport externe vise principalement à répondre aux besoins exprimés par le ministre dans le Justificatif annexé à sa lettre de demande. En cela, les renseignements personnels n’auront vraisemblablement pas une grande utilité. En revanche, les informations brutes que contiennent les rapports internes seront difficiles à comprendre si l’identité des personnes en cause n’est pas révélée. Le témoin du Service a fourni des exemples de rapports internes dans lesquels les informations auraient été pratiquement inutiles si l’identité d’un Canadien n’avait pas été connue.

[38]      La décision de l’AE de révéler l’identité d’un Canadien dans un rapport externe parce qu’elle est nécessaire à la compréhension des renseignements étrangers n’obéit à aucun critère officiel. La Direction de l’évaluation du renseignement du Service élabore des lignes directrices à ce sujet. Toutefois, l’AE tient compte du ministère client qui en sera le destinataire ainsi que de l’usage probable qu’il en fera. Partant, il limitera parfois la diffusion d’un rapport contenant des informations qui pourraient permettre de découvrir l’identité d’une personne, ou il y ajoutera une mise en garde spéciale. La décision de l’AE de ne pas appliquer la divulgation minimale est assujettie à l’examen de son superviseur.

[39]      La politique OPS-221 donne des directives spéciales ayant trait aux « représentants officiels » et aux « hauts fonctionnaires » canadiens. La première catégorie englobe les membres des corps législatifs provinciaux et territoriaux, les maires, les maires suppléants et les conseillers municipaux. L’autre est assez générale :

Premier ministre, gouverneur général, lieutenant-gouverneur, greffier du Conseil privé, personne nommée par décret, premier ministre provincial et territorial, chef d’un parti d’opposition d’une province et d’un territoire, député fédéral, sénateur, secrétaire parlementaire et d’une assemblée législative, sous-ministre, sous-ministre délégué, sous-ministre adjoint, dirigeant d’un organisme ou d’une société d’État, membre de la magistrature et chef de cabinet d’un haut fonctionnaire.

[40]      Conformément à la politique, tout rapport externe devant faire état d’informations ou de renseignements liés à des représentants officiels ou à de hauts fonctionnaires requiert l’approbation préalable du directeur du Service ou d’une personne désignée (point 3.1 de la politique OPS-221).

[41]      Le destinataire d’un rapport externe dans lequel les informations sur un Canadien ont fait l’objet d’une divulgation minimale peut demander au Service de révéler l’identité de la personne ou de l’entreprise en cause, c’est-à-dire de renverser la divulgation minimale. Si le Service accède à la demande, les informations seront consignées dans un rapport distinct afin d’éviter que le rapport original soit modifié; autrement dit, les autres destinataires ne seront pas mis au courant de l’identité du Canadien en cause.

[42]      Le renversement de la divulgation minimale dans un rapport externe ne nécessite pas de justification particulière, et le Service n’applique aucun critère précis pour accéder à une telle demande. Toutefois, selon la pratique courante, le demandeur doit donner une raison quelconque pour laquelle l’identité devrait être divulguée et préciser jusqu’à quel point cette information sera diffusée par la suite. La demande est ensuite acheminée à la direction opérationnelle compétente pour être étudiée. Celle-ci prend en considération la justification et la source de la demande et peut demander des précisions. Elle tient compte de la possibilité que l’identité visée ait trait à une source ou permette de découvrir l’identité d’une source, ce qui est un motif de rejet de la demande. Le demandeur essuiera également un refus si la divulgation est susceptible de nuire à une opération du Service en cours.

[43]      Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) a examiné les opérations du Service liées à la collecte de renseignements au titre de l’article 16 et en a traité dans certains rapports annuels. Au début des années 90, le CSARS a commencé à examiner les renseignements étrangers conservés par le Service (jusqu’alors, l’article n’avait été invoqué que rarement). Il a conclu que le Service ne conservait aucune information excédentaire ou inutile découlant des opérations liées à l’article 16 ou de rapports du Centre de la sécurité des télécommunications ([Rapport annuel] 1993–1994, à la page 37).

[44]      Au milieu des années 90, le CSARS était convaincu que le Service traitait adéquatement les informations sur des Canadiens, y compris des personnalités politiques, et qu’il examinait les demandes de mandats au moins une fois l’an. Cependant, le nombre de demandes faites au titre de l’article 16 croissait.

[45]      Par contre, à la fin des années 90, le CSARS a constaté des cas où de telles demandes du ministre ne respectaient pas l’interdiction de viser des Canadiens (1997–1998, à la page 53).

[46]      En 1999, ayant remarqué que certains mandats relatifs à l’article 16 ne contenaient pas de mise en garde relative à l’interception, de manière incidente, de communications de Canadiens, le CSARS a recommandé que les ministres qui demandent l’assistance du Service précisent, s’il y a lieu, l’existence d’une probabilité réelle que ces interceptions se produisent, et que les mandats interdisent explicitement de prendre des Canadiens pour cible (1999–2000, à la page 30). Le CSARS a aussi soulevé des préoccupations quant à la durée de la période de conservation d’informations sur des Canadiens par le Service et a suggéré que les rapports destinés aux organismes demandeurs contiennent uniquement les informations absolument essentielles à l’exploitation des renseignements étrangers.

[47]      Dans la demande de mandats en l’espèce, le Service propose de souligner qu’il reconnaît la portée limitée de l’article 16 en ce qui a trait aux Canadiens par l’ajout, à l’énoncé, d’un paragraphe précisant que le juge saisi de la demande est convaincu que les mandats demandés au titre de l’article 16 ne visent aucun Canadien :

[traduction] Je suis convaincu que les mandats visés par la présente demande respectent la condition imposée par le paragraphe 16(2) de la Loi [sur le SCRS], plus précisément que les pouvoirs demandés ne seront pas exercés contre des citoyens canadiens, des résidents permanents au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou des personnes morales constituées sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale.

[48]      Cet élément d’énoncé figure dans les mandats décernés au titre de l’article 16 au cours de la dernière année. Il s’agit d’un ajout important qui, à mon avis, devrait demeurer, compte tenu, surtout, des préoccupations soulevées par le CSARS au fil des ans.

4)    Communications et privilèges des élus  [Retour à la table des matières]

[49]      L’interception, de manière incidente, de communications entre des députés fédéraux ou provinciaux et des étrangers ou des organisations étrangères soulève une préoccupation particulière. Je réitère qu’il s’agit d’une conséquence inévitable de la collecte de renseignements étrangers. À titre d’exemple, il se peut qu’[***une personne étrangère***] dont le Service intercepte les communications en vertu d’un mandat décerné par la Cour, téléphone à un député pour discuter d’une question ou d’une préoccupation d’intérêt mutuel. Le Service interceptera ainsi les propos du député ou du ministre de manière incidente dans l’exécution du mandat.

[50]      Selon les amici, les interceptions de ce type n’empiètent pas directement sur le privilège parlementaire. Ils soutiennent toutefois qu’elles mettent en cause les valeurs qui sous-tendent et dans lesquelles baigne ce privilège et que, partant, les communications interceptées de manière incidente doivent être traitées avec un soin particulier.

[51]      À mon avis, le privilège parlementaire ne justifie pas la création de règles ou de directives spéciales pour le traitement des cas d’interception de communications d’élus au titre de l’article 16. Premièrement, le privilège parlementaire, bien compris, n’est pas mis en cause par ce genre d’interceptions. Deuxièmement, le Service a adopté, pour ce qui est du traitement des communications de Canadiens interceptées de manière incidente au titre de l’article 16, y compris celles de représentants officiels et de hauts fonctionnaires, des procédures (voir plus haut) généralement adéquates qui concordent avec son mandat. Toutefois, comme il en est question plus loin, je conviens avec les amici que le Service devrait se donner des critères et des lignes directrices quant au renversement de la divulgation minimale d’informations permettant de reconnaître des Canadiens.

[52]      Selon La procédure et les usages de la Chambre des communes, 2e éd., [Ottawa : Chambre des communes], 2009, le « privilège parlementaire » s’entend des droits que détiennent les députés qui sont essentiels à leur rôle :

Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers à chaque chambre, collectivement, […] et aux membres de chaque chambre, individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s’acquitter de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d’autres organismes ou particuliers. On est donc fondé à affirmer que, bien qu’il s’insère dans l’ensemble des lois, le privilège n’en constitue pas moins, en quelque sorte, une dérogation au droit commun.

[53]      À titre d’exemple, pour qu’ils puissent discuter des questions liées aux politiques publiques avec une liberté accrue, les membres des corps législatifs bénéficient d’une immunité contre la diffamation pour les propos qu’ils tiennent dans l’enceinte parlementaire sur des sujets liés aux affaires parlementaires. Il s’agit d’un privilège limité qui ne s’étend même pas aux communications entre ces personnes et leurs électeurs (Pankiw c. Canada (Commission des droits de la personne), 2006 CF 1544, [2007] 4 R.C.F. 578.

[54]      Au fil des ans, des corps législatifs ont étudié la possibilité que l’interception électronique des communications de leurs membres empiète sur le privilège parlementaire, mais sans trancher de manière définitive.

[55]      À la fin des années 70, le président de la Chambre des communes, M. James Jerome, a statué que l’interception des communications d’un député, même à l’extérieur de l’enceinte parlementaire, soulève une question prima facie de privilège et pourrait être considérée comme une forme de harcèlement, d’obstruction de nuisance ou d’intimidation. Toutefois, une motion visant à renvoyer la question au Comité permanent des privilèges et élections a été battue en Chambre. Partant, aucune décision officielle n’a été rendue à ce sujet (Comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité, Délibérations du comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité sur la teneur du projet de loi C-157 [32e lég., 1re sess., 1983]; La procédure et les usages de la Chambre des communes, 2e éd., 2009, page 9).

[56]      En 1980, un comité spécial du Parlement de la Colombie-Britannique a conclu que l’interception des communications d’un député par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) constituait une violation du privilège parlementaire et un outrage au Parlement. Selon le Comité, la crainte de voir leurs communications interceptées empêchait les députés de s’acquitter adéquatement de leurs fonctions législatives, y compris à domicile [à la page 2850, Colombie-Britannique, Legislative Assembly, Hansard, 32e lég., 2e sess., (6 juin 1980)] :

[traduction] […] une démocratie parlementaire ne peut s’épanouir que si les députés et leurs électeurs peuvent communiquer librement, ouvertement et franchement sans que la crainte d’une interception […] ne nuise à leurs communications.

[57]      En 1980 également, un comité spécial de l’Assemblée du Yukon s’est penché sur la possibilité que la mise sous écoute de la ligne téléphonique du ministre de la Justice constitue une violation du privilège parlementaire. À l’instar du comité britanno-colombien, le comité spécial du Yukon a conclu que les actions de la GRC constituaient une violation du privilège parlementaire et un outrage à la Chambre (voir Donald E. Taylor, « La surveillance électronique et l’immunité parlementaire » (1989), 12 Rev. parl. can. 12; David Cheifetz, « La protection accordée aux communications des députés » (1981), 4 Rev. parl. can. 16).

[58]      En 1983, ces démarches en Colombie-Britannique et au Yukon ont mené à l’émission, par le Solliciteur général du Canada, de la directive ministérielle sur le privilège et les immunités des membres de corps législatifs, relativement à la partie IV.1 du Code criminel, au parlement et dans les enceintes des Assemblées provinciales et territoriales (Ministerial Directive on Legislators’ Privileges and Immunities in relation to Part IV.1 of the Criminal Code within the Precincts of Parliament, Provincial and Territorial Assemblies). Selon la directive, la GRC devait demander au préalable un avis juridique au ministère de la Justice provincial ou fédéral et informer l’agent chargé de faire la demande de mandats qu’un privilège pouvait être mis en cause. L’agent devait ensuite aviser le juge saisi de la demande des circonstances particulières. En outre, le ministre responsable — le Solliciteur général au fédéral et le procureur général en province — devait être informé au préalable de l’exécution du mandat, et le président de la Chambre devait donner son consentement si le mandat devait être exécuté au parlement ou dans l’enceinte d’une Assemblée.

[59]      Ces exemples montrent que l’interception des communications de membres de corps législatifs soulève des préoccupations particulières. Toutefois, aucun d’entre eux ne traite des décisions judiciaires ayant trait à la portée du privilège parlementaire en général ni des répercussions qu’aurait l’interception de telles communications sur un quelconque privilège.

[60]      Au Royaume-Uni en 2015, l’Investigatory Powers Tribunal (tribunal sur les pouvoirs d’enquête) s’est penché sur la question dans l’affaire Caroline Lucas MP and Ors v. Security Service and Ors, [2015] UKIPTrib 14_79-CH. Le Tribunal a souligné que l’approche générale, la « doctrine Wilson », interdisait l’interception des communications de parlementaires. Toutefois, selon la directive officielle donnée aux services de sécurité, la doctrine Wilson s’applique lorsque les communications elles-mêmes sont visées, mais pas lorsqu’elles sont interceptées de manière incidente. Néanmoins, moyennant la prise de mesures spéciales, il est possible de viser et d’intercepter les communications d’un député en vertu d’un mandat. Ces mesures comprennent l’obtention d’une autorisation spéciale par les autorités compétentes, l’implication du secrétaire d’État, du secrétaire du Cabinet, du premier ministre et d’un avocat spécial chargé de conserver et de traiter les communications interceptées.

[61]      Partant, au Royaume-Uni, malgré la doctrine Wilson, l’interception ciblée de communications de parlementaires n’est pas frappée d’un interdit absolu, mais un grand soin est apporté à ce que de telles interceptions soient justifiées et que leur produit soit traité avec précaution. Soulignons toutefois que ces mandats britanniques ne sont pas assujettis à une autorisation judiciaire.

[62]      Dans l’arrêt Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667 (Vaid), la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur la portée du privilège parlementaire en général, mais pas sur la question de l’interception des communications de parlementaires. En cause dans l’arrêt Vaid se trouvait la compétence du Parlement quant aux droits reconnus aux employés de la Chambre des communes, par comparaison avec la compétence d’autres instances comme le Tribunal canadien des droits de la personne eu égard aux fonctionnaires fédéraux en général.

[63]      Dans l’arrêt Vaid, la Cour suprême précise bien qu’il revient aux tribunaux, pas aux corps législatifs, de définir la portée du privilège parlementaire. En premier lieu, il faut déterminer « si l’existence et l’étendue du privilège revendiqué ont été établies péremptoirement » en ce qui concerne le Parlement du Canada ou la Chambre des communes britannique (Vaid, au paragraphe 39). En l’absence de décision péremptoire, le tribunal doit « déterminer […] si la revendication satisfait au critère de nécessité qui sert d’assise à tout privilège parlementaire » (Vaid, au paragraphe 40). Le tribunal accordera un « grand respect » aux opinions des membres des corps législatifs sur le degré d’autonomie dont ils estiment devoir bénéficier pour s’acquitter de leurs fonctions, bien qu’il ne soit pas lié par ces opinions (Vaid, au paragraphe 40).

[64]      Partant, la définition de la portée d’un privilège est du ressort des tribunaux, tandis que les membres des corps législatifs en déterminent le bien fondé et l’opportunité de son exercice.

[65]      Pour déterminer ce qui est « nécessaire », il est impératif de définir ce qu’il faut pour « protéger les législateurs dans l’exécution de leurs fonctions législatives et délibératives et de la tâche de l’Assemblée législative de demander des comptes au gouvernement relativement à la conduite des affaires du pays » (Vaid, au paragraphe 41). L’exigence de nécessité impose « d’importantes limites » à la portée du privilège (Vaid, au paragraphe 43). À titre d’exemple, certains mots ou actes peuvent n’avoir aucun trait aux travaux parlementaires et, donc, ne pas être visés par le privilège. Les tribunaux ne considéreront comme visées par le privilège que les activités « si étroitement et directement liées » aux fonctions parlementaires « qu’une intervention externe saperait l’autonomie dont l’assemblée ou son membre ont besoin pour accomplir leur travail dignement et efficacement » (Vaid, au paragraphe 46).

[66]      Dans l’arrêt Vaid, la Cour suprême a conclu que le privilège parlementaire n’écarte pas la compétence du tribunal et a établi des principes généraux, dont voici les plus pertinents en l’espèce :

         Le privilège parlementaire comprend l’immunité dont les députés ont absolument besoin pour effectuer leur travail législatif.

         Le critère de nécessité consiste à déterminer ce que requièrent la dignité et l’efficacité de la Chambre. Ces deux concepts se rapportent à l’autonomie nécessaire pour que le Parlement et les parlementaires fassent leur travail.

         La partie qui invoque l’immunité que confère le privilège parlementaire a le fardeau d’en établir l’existence.

         Une fois la catégorie ou sphère d’activité établie, c’est au Parlement qu’il revient de décider si l’exercice du privilège est nécessaire ou approprié.

         Les catégories sont notamment la liberté d’expression, le contrôle qu’exercent les Chambres sur les débats ou travaux du Parlement, le pouvoir d’exclure les étrangers des débats, le pouvoir disciplinaire du Parlement à l’endroit des députés et des non-députés qui s’ingèrent dans l’exercice des fonctions du Parlement, y compris l’immunité contre l’arrestation dont jouissent les députés pendant une session parlementaire.

         Le simple fait qu’un corps législatif affirme qu’un acte enfreint ses privilèges n’empêchera pas les tribunaux de se pencher sur la question et de décider si le privilège revendiqué existe réellement.

         Les tribunaux examineront des plus près les affaires dans lesquelles la revendication d’un privilège a des répercussions sur des personnes qui ne sont pas membres de l’Assemblée législative en cause, que celles qui portent sur des questions purement internes.

[67]      La Cour n’a pas fait allusion au type de privilège susmentionné relativement aux assemblées britanno-colombienne et yukonaise et n’a pas fait figurer la protection contre l’écoute électronique dans les catégories de privilège actuellement reconnues. Cependant, il est clair que, selon son raisonnement, il incomberait aux tribunaux, et pas aux membres d’un corps législatif, de déterminer si un tel privilège existe vraiment. Partant, bien qu’elles méritent un grand respect, les opinions des membres des corps législatifs de Colombie-Britannique et du Yukon ne sont pas déterminantes.

[68]      En somme, il n’existe aucun fondement juridique clair à l’hypothèse selon laquelle l’interception des communications de parlementaires constitue en soi une violation du privilège parlementaire. La question du privilège ne serait soulevée que si l’interception nuisait au député dans l’exercice de ses fonctions parlementaires ou constituait autrement du harcèlement ou de l’intimidation.

[69]      Un parlementaire canadien ne pourrait pas être directement visé par des activités menées au titre de l’article 16. Toutefois, comme il a été mentionné, ses communications pourraient être interceptées de manière incidente en vertu d’un mandat relatif à l’article 16 valide en matière de renseignement étranger. Il est difficile de concevoir comment une telle interception pourrait être assimilée à une tentative de nuire au député dans l’exercice de ses fonctions parlementaires, puisqu’il n’est pas une cible. En outre, cet état de fait rend peu probable l’exécution du mandat dans l’enceinte parlementaire. Il n’y aurait aucun besoin de demander l’autorisation du président de la Chambre pour effectuer une interception.

[70]      De toute façon, comme il a été expliqué, les amici ne soutiennent pas que les parlementaires jouissent effectivement de l’immunité contre l’interception, de manière incidente, de leurs communications dans le contexte de la collecte de renseignements étrangers. Partant, je n’ai pas à me prononcer de façon définitive sur la question. Par contre, je dois déterminer si les demandes d’interception et le produit de ces interceptions doivent recevoir un traitement spécial.

[71]      Les amici sont d’avis que les politiques en vigueur qui s’appliquent à l’interception, de manière incidente, des communications de parlementaires ne protègent pas bien la vie privée des Canadiens. Ils proposent que la Cour impose des conditions au Service en matière de conservation, de communication et de divulgation minimale d’informations concernant des élus, en vertu du pouvoir que lui confère l’alinéa 21(4)f) de la Loi sur le SCRS d’ajouter des conditions à l’exécution d’un mandat qu’elle décerne. Ils suggèrent également à la Cour de jouer un rôle de supervision. À leur avis, en particulier, le Service devrait être tenu de présenter une nouvelle demande à la Cour pour être autorisé à conserver les communications de Canadiens recueillies de manière incidente, pour diffuser les informations ainsi recueillies ou pour renverser la divulgation minimale d’informations permettant de reconnaître des Canadiens. Ils soulignent que, s’agissant de communications d’élus interceptées de manière incidente, ces exigences permettraient à la Cour de trancher toute question touchant le privilège parlementaire. Bien qu’ils ne voient pas la nécessité de règles spéciales eu égard aux parlementaires, ils soulignent que des règles plus précises au sujet des Canadiens en général favoriseraient aussi les communications entre les élus et leurs électeurs.

[72]      Je souscris en grande partie à l’opinion des amici. Il y a lieu d’accroître la protection accordée aux informations sur des Canadiens recueillies de manière incidente dans le cadre de la collecte de renseignements étrangers. Comme je l’ai mentionné, aucun critère officiel ne guide les employés du Service — entre autres — en ce qui a trait au renversement de la divulgation minimale de l’identité de Canadiens. Sans lignes directrices, les décisions sur la conservation, la communication et la diffusion de ces informations relèvent de la discrétion de chacun. Ce n’est pas suffisant, surtout que ces informations ne sont que des sous-produits de la collecte de renseignements étrangers par le Service. Toutefois, je n’irais pas jusqu’à imposer au Service l’obligation générale de redemander à la Cour l’autorisation de conserver les informations sur des Canadiens recueillies de manière incidente.

[73]      Les informations sur des Canadiens que le Service obtient ainsi méritent d’être traitées avec un soin particulier, à plus forte raison celles qui touchent des représentants officiels et de hauts fonctionnaires, comme le reconnaissent déjà les politiques du Service. Comme cela a été expliqué, la nécessité d’un soin accru n’est pas liée au privilège parlementaire en soi; en effet, peu de ces représentants pourraient réellement l’invoquer. La préoccupation relative à la collecte d’informations sur ces représentants tient à la possibilité que le Service intercepte des communications très sensibles de personnes chargées de la gouvernance du Canada. Ces informations, surtout celles qui concernent l’identité des Canadiens qui ont pris part à la communication, doivent être traitées avec soin.

[74]      J’estime que le Service doit se donner des lignes directrices sur la diffusion d’informations pouvant permettre de reconnaître des Canadiens dont les communications ont été interceptées de manière incidente et sur le renversement de la divulgation minimale les concernant. Il devrait informer la Cour de la teneur de ces lignes directrices et lui donner l’occasion de les commenter. Dans chaque demande de mandats, le Service devrait continuer d’informer la Cour des cas possibles d’interception, de manière incidente, de communications de Canadiens, particulièrement s’il peut s’agir d’élus ou de fonctionnaires. Au besoin, la Cour pourra ainsi fixer des conditions à l’exécution des mandats qu’elle décerne. À titre d’exemple, comme l’ont proposé les amici, elle pourrait imposer au Service de lui redemander des directives sur le traitement des informations recueillies.

C.        Relation entre les articles 12 et 16  [Retour à la table des matières]

[75]      Le possible chevauchement des rôles confiés au Service par les articles 12 et 16, voire la confusion entre les deux, constitue une préoccupation permanente des juges de la Cour. Partant, j’ai demandé au Service d’étudier la question, compte tenu du fait que certaines demandes de mandats récemment faites au titre de l’article 16 en matière de renseignement étranger ressemblaient à des demandes de mandats relatives à des enquêtes sur des menaces pour la sécurité nationale, qui relèvent de l’article 12. La ressemblance découle de deux caractéristiques de ces demandes de mandats faites au titre de l’article 16. D’abord, elles portaient essentiellement sur des questions qui passeraient facilement pour des menaces pour la sécurité du Canada. Ensuite, elles mentionnaient des cibles qui faisaient déjà l’objet de mandats décernés au titre de l’article 12.

[76]      Cette situation est préoccupante en ce sens que l’article 16 pourrait finir par servir de solution de rechange ou de complément à l’article 12, contrairement à l’intention du législateur à l’adoption de la Loi sur le SCRS. Lorsqu’il demande un mandat, il peut arriver que le Service considère qu’invoquer l’article 16 plutôt que l’article 12 présente un avantage. On peut soutenir que l’article 16 offre à la collecte d’informations une portée plus étendue, car celles-ci concernent « les moyens, les intentions ou les activités » de tout État étranger ou de tout non-Canadien. En revanche, l’article 12 ne touche qu’à la collecte, à l’analyse et à la conservation d’informations sur des « menaces envers la sécurité du Canada », terme défini dans la Loi sur le SCRS.

[77]      Voici un cas de figure possible, à titre d’exemple. Le Service pourrait faire une demande de mandats au titre de l’article 16 pour prendre connaissance des intentions, des moyens ou des activités d’un étranger qu’il estime être impliqué, au Canada, dans une activité qui constitue un danger, mais à laquelle la définition de « [menace] envers la sécurité du Canada » ne s’applique pas nécessairement. Bien sûr, l’article 16 ne vient pas sans contraintes. Le Service ne peut demander un mandat relatif au renseignement étranger que si le ministre de la Défense nationale ou des Affaires étrangères lui a demandé de lui prêter son assistance, et uniquement avec le consentement du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. En outre, le Service ne recueillerait des informations que dans les limites du Canada. Il ne pourrait pas viser directement un Canadien, mais s’il savait qu’un Canadien était en contact avec [***] ou d’autres étrangers, le Service pourrait viser cet État ou cet étranger et intercepter « de manière incidente » les communications du Canadien en question. Dans les faits, un Canadien pourrait devenir la cible indirecte d’un mandat relatif au renseignement étranger, même si celui-ci interdit expressément que des Canadiens soient pris pour cible.

[78]      Je m’empresse de préciser que rien ne porte à croire que le Service a déjà fait un tel usage de l’article 16. La préoccupation émane de la possibilité que cela puisse être et, comme je l’ai mentionné, de la ressemblance apparente entre de récentes demandes de mandats relatives à l’article 16 et les demandes de mandats faites au titre de l’article 12.

[79]      Le Service a abordé la question au moyen des témoignages de deux employés haut placés et expérimentés au Service, qui m’ont convaincu que le Service a pris des mesures pour qu’il n’y ait aucune interaction de nature opérationnelle entre les activités de renseignement étranger qu’il mène en lien avec l’article 16 et le mandat que lui donne l’article 12 en matière de renseignement de sécurité. Voici un résumé de ces témoignages.

[80]      Les opérations du Service, qu’elles relèvent de l’article 12 ou de l’article 16 ou qu’elles soient d’une autre nature, sont assujetties à des politiques internes. S’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne ou un groupe représente une menace pour la sécurité nationale, une demande d’autorisation d’enquête peut être présentée aux autorités compétentes au sein du Service. Celles-ci veillent à ce que l’enquête soit conforme aux politiques du Service et aux lois applicables et constitue une réaction adaptée à la menace perçue.

[81]      Un analyste examine les informations recueillies en vertu de l’article 12 pour en déterminer l’utilité sur le plan du renseignement. Le Service les conserve uniquement pendant la période prévue dans son calendrier de conservation. Celles qui n’ont pas d’utilité sur le plan du renseignement sont détruites [***] suivant la collecte. Les informations utiles peuvent être conservées pour 20 ou 25 ans après la date de la dernière intervention au dossier. Les informations recueillies en vertu d’un mandat sont assujetties aux conditions qui y figurent. À titre d’exemple, des délais précis s’appliquent à la destruction des communications entre un avocat et son client et des communications de tiers.

[82]      Des politiques régissent également la production des rapports opérationnels. L’analyste prépare un tel rapport après avoir conclu que les informations recueillies sont utiles et que les conditions et politiques applicables ont été respectées. Le rapport passe ensuite entre les mains d’un superviseur, qui vérifie la pertinence des informations, s’assure du respect des politiques du Service et, si les informations ont été recueillies en vertu d’un mandat, confirme que les dispositions et les conditions en ont été respectées. Le rapport approuvé est ensuite versé dans les bases de données du Service ayant trait à l’article 12 et peut servir de matière première à des rapports de renseignement destinés à des intervenants au gouvernement fédéral, qui se voient signifier de ne pas les utiliser ni les diffuser plus avant sans l’autorisation du Service.

[83]      Les informations recueillies au titre de l’article 16 subissent, séparément, un traitement similaire. Encore une fois, l’enquête doit d’abord être autorisée. En l’occurrence, toutefois, l’autorisation découle du consentement que donne le ministre de la Sécurité publique à la demande d’assistance présentée par écrit par le ministre des Affaires étrangères ou de la Défense nationale. Une fois la demande et le consentement reçus, le Service commence la collecte d’informations pertinentes. S’il a des motifs raisonnables de croire qu’il a besoin des pouvoirs prévus dans des mandats, le Service en fait la demande à la Cour en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS.

[84]      Le Service reconnaît la possibilité qu’il y ait confusion entre les rôles que lui confèrent les articles 12 et 16. Ses politiques opérationnelles prévoient que des enquêtes parallèles peuvent être nécessaires en certaines circonstances. Cependant, elles prévoient spécifiquement que [traduction] « les opérations menées à l’appui d’une enquête visée à un article de la Loi sur le SCRS ne doivent pas servir de prétexte à la conduite d’opérations en application d’un autre article de cette même loi » (souligné dans l’original).

[85]      Au fil des ans, le CSARS a réitéré de semblables préoccupations.

[86]      En 2006–2007, le CSARS a signalé que l’inspecteur général avait remarqué des chevauchements considérables entre des opérations menées au titre de l’article 12 et de l’article 16. À titre d’exemple, des agents chargés d’obtenir des informations à l’étranger en vertu de l’article 12 fournissaient des renseignements visés à l’article 16. L’inspecteur général s’est même questionné sur la portée de la restriction géographique prévue à l’article 16 (« dans les limites du Canada ») quant aux pouvoirs du Service (à la page 37).

[87]      En outre, en 2009–2010, le CSARS a souligné que le Service avait qualifié de [traduction] « collectes mixtes » des enquêtes menées simultanément au titre des articles 12 et 16, lorsque des opérations effectuées au titre des deux articles avaient les mêmes cibles. Le CSARS a fait observer que, si la situation perdurait, le Service pourrait devenir un organisme ayant des rôles équivalents en matière de renseignement étranger et de renseignement de sécurité, ce qui n’était pas l’intention originale du législateur. Il a recommandé que le gouvernement du Canada offre une orientation ou des conseils au Service au sujet de son rôle accru dans la collecte de renseignements étrangers (2009–2010, à la page 15).

[88]      En 2013, le CSARS a de nouveau détecté un conflit possible entre les rôles confiés au Service par les articles 12 et 16. Le Service lui-même estimait que ses fonctions visées à l’article 16, qui ne concernent pas la menace, étaient susceptibles de le détourner de son rôle premier, à savoir recueillir des informations liées à la menace en vertu de l’article 12 (2012–2013, à la page 16).

[89]      En 2015, le CSARS a félicité le Service pour avoir adapté ses procédures relatives à l’article 16 afin de coordonner et de simplifier ses priorités et ses activités. Le Service avait aussi apporté des changements en vue d’établir une distinction entre les opérations qu’il menait au titre des articles 12 et 16 (2014–2015, à la page 22).

[90]      Les amici insistent pour dire que le Service ne doit faire aucun [traduction] « usage valable en apparence » d’un mandat décerné au titre de l’article 16 pour recueillir des renseignements de sécurité en vertu de l’article 12. Cela signifie que le Service devrait demander un mandat distinct au titre de l’article 12 si son enquête liée à l’article 16 révélait une menace pour la sécurité nationale. En outre, en cas d’enquêtes parallèles, le Service doit satisfaire aux exigences propres aux mandats relatifs à l’un et à l’autre article de manière distincte et indépendante, et informer le juge saisi de chaque demande de l’existence de l’autre.

[91]      Compte tenu de la preuve en l’espèce, les amici admettent que le Service suit actuellement les procédures proposées. Toutefois, ils soulignent que les mesures de protection renforcées ayant trait aux informations sur des Canadiens recueillies de manière incidente qu’ils recommandent (voir plus haut) aideraient à assurer que le Service n’utilise pas de mandats sur le renseignement étranger pour recueillir des renseignements de sécurité sur des Canadiens.

[92]      À mon avis, le Service est parfaitement au courant des préoccupations de la Cour (et du CSARS) à cet égard. Il en a tenu compte avec sérieux tant dans ses opérations que dans ses politiques. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de proposer l’adoption d’autres mesures par le Service. Par contre, je n’ai aucun doute que les juges de la Cour continueront de s’attendre à ce que le Service réponde à toute préoccupation qu’elle pourra avoir au sujet de toute « collecte mixte ». En outre, je conviens avec les amici que des mesures de protection rigoureuses quant aux informations sur des Canadiens recueillies de manière incidente aideraient à dissiper certaines de ces préoccupations.

D.        Modifications proposées aux modèles de mandats relatifs à l’article 16  [Retour à la table des matières]

[93]      Le procureur général propose une série de modifications aux modèles (format et contenu) des différents mandats sur le renseignement étranger que décerne la Cour au titre de l’article 16. Il y en a trois catégories :

i.    les modifications accessoires permettant d’aligner les modèles de mandats relatifs à l’article 16 sur ceux liés à l’article 12;

ii.   la précision de la portée de certains pouvoirs;

iii.  les nouveaux pouvoirs.

[94]      Ci-dessous, je n’aborde que les modifications proposées qui n’élargissent pas de manière importante les pouvoirs exercés en vertu des mandats relatifs à l’article 16. Je traiterais plus loin des changements plus importants que souhaite apporter le Service, par exemple en ce qui a trait à l’utilisation d’ESB et au sondage [***]

1)         Modifications accessoires aux modèles de mandats  [Retour à la table des matières]

[95]      Le Service propose des modifications destinées à aligner les modèles de mandats liés à l’article 16 sur ceux liés à l’article 12 :

   Ajouter une condition précisant la définition du terme « détruire » lorsqu’il y a obligation, pour le Service, de détruire des informations. Ainsi, les informations détruites ne pourront être récupérées ni par le Service ni par un organisme ou une personne agissant en son nom.

   Modifier la définition de « domicile » pour qu’elle inclue tout lieu où un directeur général régional a des motifs raisonnables de croire qu’une personne réside.

   Ajouter une définition de « données d’essai » et une condition correspondante autorisant le Service à conserver les communications interceptées à la seule fin de perfectionner ou d’entretenir ses solutions d’interception et de collecte.

   Remplacer le terme [***] et sa définition par [***] qui décrit plus précisément les moyens utilisés pour localiser une personne ou un véhicule [***]

   Élargir la description des lieux où le mandat peut être exécuté pour qu’elle inclue [***]

   Ajouter le pouvoir d’intercepter [***]

   Ajouter le pouvoir d’obtenir des images de personnes qui sont mentionnées dans le mandat ou qui se trouvent à des endroits mentionnés dans le mandat.

   Ajouter, à la condition portant sur la conservation, une période d’évaluation de [***] après laquelle les informations recueillies (hormis celles qui proviennent [***] devront être détruites, sauf si les conditions précisées ont été respectées (c’est-à-dire que les informations ont trait à une menace, à un crime ou aux moyens, intentions ou activités de l’État étranger).

   Ajouter une condition permettant au Service de créer des copies de sauvegarde des informations recueillies dans le cadre d’interceptions.

   Dans le mandat sur [***] ajouter le pouvoir d’obtenir des informations sur [***]

[96]      Les amici n’ont exprimé aucune préoccupation importante à propos de ces modifications. Je conviens qu’il s’agit de modifications de routine qui ne soulèvent aucune question juridique.

2)         Précision de la portée de certains pouvoirs  [Retour à la table des matières]

[97]      Le Service souhaite préciser qu’il a le droit [***] Cela lui permettrait d’intercepter [***] sans avoir à [***]

[98]      Ni l’une ni l’autre activité n’exigerait de modification aux mandats ni n’impliquerait l’exercice d’un nouveau pouvoir.

[99]      Le Service cherche aussi à préciser le pouvoir de fouiller [***]. À proprement parler, il ne s’agit pas d’un nouveau pouvoir, mais le Service propose d’allonger la liste des lieux où les fouilles peuvent être effectuées pour qu’elle comprenne, [***]

[100]   Encore une fois, les amici n’avaient aucun problème à cet égard, et je ne constate aucune question juridique que soulèveraient les modifications proposées.

3)         Nouveaux pouvoirs ou lieux  [Retour à la table des matières]

[101]   Le Service cherche à obtenir deux pouvoirs qu’il n’a jamais demandés aux fins des enquêtes menées au titre de l’article 16 : fouiller [***] ainsi que [***] Dans les deux cas, les fouilles seraient limitées aux [***emplacements utilisés par des personnes étrangères***]

[102]   Les pouvoirs de ce genre sont fréquemment exercés dans le contexte de l’article 12, et il n’existe pas de motifs évidents de ne pas les accorder pour ce qui est des enquêtes relatives à l’article 16.

4)         Conclusion au sujet des modèles de mandats  [Retour à la table des matières]

[103]   Nombre des modifications susmentionnées ont fait l’objet d’observations et de discussions avec la Cour, par suite de l’audience tenue en séance plénière ayant donné lieu à la décision Données connexes du juge Simon Noël (X (Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396 [précitée]). Ces discussions ne sont pas terminées. En règle générale, tout changement ou toute amélioration au libellé des modèles de mandats relatifs à l’article 12 devrait entraîner des modifications correspondantes dans les modèles de mandats applicables au renseignement étranger.

III.        Deuxième question — L’article 16 autorise-t-il le recours aux ESB?  [Retour à la table des matières]

[104]   Le Service cherche à confirmer que ses pouvoirs au titre de l’article 16 de la Loi sur le SCRS comprennent la capacité de capturer des informations au moyen d’émulateurs de station de base (ESB). Les ESB peuvent permettre d’obtenir des données émises par des appareils mobiles, à savoir l’identité internationale d’abonnement mobile (International Mobile Subscriber Identity) (IMSI), qui révèle le pays où est enregistré le compte d’utilisateur de l’appareil, le code de réseau du fournisseur de services et un numéro d’identification de l’abonné attribué par le fournisseur de service, ainsi que l’identité internationale d’équipement mobile (International Mobile Equipment Identity) (IMEI), qui précise la marque, le modèle et le numéro de série de l’appareil. Les ESB ne permettent d’obtenir aucune autre caractéristique des appareils visés, ni le contenu des communications. Les ESB ont une seule utilité : obtenir des informations susceptibles d’être utilisées dans une demande de mandats faite à la Cour en vue d’intercepter les communications de l’utilisateur.

[105]   Sous la plume du juge en chef Paul Crampton, la Cour a traité du recours aux ESB dans le contexte de l’article 12 de la Loi sur le SCRS, c’est-à-dire aux fins d’enquêtes sur des menaces pour la sécurité nationale (X (Re), 2017 CF 1047, [2018] 3 R.C.F. 111 (X (Re) (ESB)). Le juge en chef a conclu que l’utilisation d’un ESB était assimilable à une fouille, parce que l’utilisateur d’un appareil mobile avait une attente raisonnable en matière de vie privée relativement aux informations qu’un ESB pourrait capturer. Toutefois, il a conclu à la légalité de l’utilisation d’un ESB sans mandat, tant que le Service prenait des mesures pour minimiser l’empiètement sur la vie privée, notamment éviter d’intercepter le contenu de communications et les informations stockés sur l’appareil, détruire toute information de tiers recueillie de manière incidente et ne pas utiliser les informations à des fins de géolocalisation. Bien que les informations que l’ESB permet d’obtenir puissent aider le Service à créer un mince profil personnel de l’utilisateur, ce qui met en cause l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte), le juge en chef a conclu que les fouilles sans mandat n’étaient pas abusives, étant très ciblées, très précises et minimalement envahissantes.

[106]   Je suis donc saisi de la question suivante : l’analyse effectuée par le juge en chef dans le contexte de la sécurité nationale tient-elle autant la route en matière de collecte de renseignements étrangers ou, du moins, y a-t-il des points de comparaison? Le juge en chef a insisté à plusieurs reprises sur la nature spéciale et sur l’objet de l’article 12 de la Loi sur le SCRS, en particulier sur l’intérêt de l’État envers l’obtention d’informations qui l’aideraient à assurer la sécurité nationale. Comme il en a été question, la nature et l’objet de l’article 16 sont différents. Cette différence a-t-elle une incidence sur la légalité du recours aux ESB sans mandat par le Service? Pour répondre à cette question, je vais examiner les parties de la décision du juge en chef où son analyse pourrait être influencée par les différences entre la nature et l’objet des articles 12 et 16. Je me pencherai ensuite sur d’autres différences entre ces deux dispositions.

[107]   D’entrée de jeu, le juge en chef a clairement souligné que les fouilles effectuées sans mandat sont présumées abusives et contreviennent donc à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garantie par l’article 8 de la Charte. Néanmoins, une telle fouille pourrait être jugée non abusive si elle est autorisée par une loi, si la disposition législative l’autorisant est raisonnable et si elle n’a pas été effectuée de manière abusive. Il a conclu qu’en vertu de l’article 12, le Service est tenu de recueillir, d’analyser et de conserver des informations et des renseignements sur des activités qui constituent des menaces pour la sécurité nationale (au paragraphe 196). En outre, l’article 21 de Loi sur le SCRS établit les circonstances entourant l’obtention d’un mandat par le Service. Par contre, la Loi sur le SCRS n’exige pas que le Service obtienne un mandat chaque fois qu’il cherche à recueillir des informations ayant trait à la sécurité nationale, même quand la collecte met en cause l’attente raisonnable d’une personne eu égard à sa vie privée. Il a constaté l’existence d’une gamme d’activités minimalement envahissantes que peut mener le Service pour assumer son rôle en matière de sécurité nationale sans devoir obtenir de mandat (au paragraphe 198), encore une fois, tant qu’elles sont autorisées par une loi, que la disposition législative les autorisant est raisonnable et que les fouilles ainsi effectuées ne le sont pas de manière abusive.

[108]   À l’inverse, en vertu de l’article 16, le Service a la possibilité — mais pas l’obligation — de prêter son assistance aux ministres mentionnés à la collecte de renseignements étrangers. Il ne s’agit pas d’un rôle aussi prépondérant ni aussi direct que son rôle en matière de sécurité nationale. Par contre, en l’occurrence tout comme pour ce qui a trait à l’article 12, le Service peut faire une demande de mandats en vertu de l’article 21 pour s’acquitter de ses fonctions. Néanmoins, bien que les différences entre les deux rôles confiés au Service par sa loi habilitante soient claires, rien ne permet de conclure pour ce seul motif que les exigences relatives aux mandats sont différentes. Tout comme il peut recueillir sans mandat certaines informations relatives à la sécurité nationale en vertu de l’article 12, il peut prêter son assistance à la collecte de certains renseignements étrangers sans devoir obtenir de mandat. La Loi sur le SCRS l’autorise à recueillir les deux types d’informations et de renseignements. Les cas d’empiètement sur l’attente raisonnable en matière de vie privée n’exigent pas tous l’obtention d’un mandat; ce n’est le cas que des fouilles qui, autrement, seraient abusives, comme le juge en chef l’a conclu eu égard à l’article 12 (au paragraphe 199). Je conclus que l’article 16 autorise la réalisation, sans mandat, de fouilles minimalement envahissantes.

[109]   Le juge en chef a conclu au caractère raisonnable de l’article 12, compte tenu de sa nature et de son objet, de l’ampleur de l’intrusion qu’il autorise, du mécanisme d’intrusion qu’il permet d’utiliser, de la supervision judiciaire qu’il prévoit ainsi que d’autres mesures de contrôle. Comme il en est question plus haut, les premiers de ces éléments, c’est-à-dire la nature et l’objet de la disposition, diffèrent de façon importante entre les articles 12 et 16.

[110]   Selon le juge en chef, la nature et l’objet de l’article 12 consistent en l’octroi, au Service, de la responsabilité de recueillir, d’analyser et de conserver, dans la mesure strictement nécessaire, des informations et des renseignements sur des activités pour lesquelles le Service a des motifs raisonnables de croire qu’elles constituent des « menaces envers la sécurité du Canada », au sens de l’article 2 de la Loi sur le SCRS. Il s’agit, selon le juge en chef, d’un rôle « central et, sans doute, essentiel » [au paragraphe 203]. Il a rejeté les arguments des amici, qui estimaient que le critère des motifs raisonnables de soupçonner était faible sur le plan constitutionnel, soulignant que ce critère avait été approuvé par la Cour suprême dans des affaires où le droit au respect de la vie privée était réduit, qui mettaient en cause des intérêts publics de premier plan ou qui traitaient de méthodes de fouilles très précises (aux paragraphes 206 et 207). Il a conclu que les fouilles réalisées au moyen d’ESB pour l’application de l’article 12 comportaient chacun de ces éléments : intrusion minimale, préoccupations urgente liées à la sécurité nationale et très grande précision.

[111]   Il existe au moins trois grandes différences entre la nature et l’objet des articles 12 et 16. D’abord, l’article 16 donne au Service une autorisation; il ne lui impose pas une contrainte. En effet, le Service « peut » prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou des Affaires étrangères à la collecte d’informations et de renseignements sur des étrangers ou des États étrangers. Par contre, en pratique, il est difficile d’envisager une situation où le Service refuserait de prêter l’assistance demandée, dans la mesure où cette disposition exige que le ministre présente une demande écrite et que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile donne son consentement personnel par écrit.

[112]   Ensuite, l’article 16 ne charge pas directement le Service de recueillir des renseignements. Le rôle du Service, qui est de prêter son assistance aux ministres mentionnés, ne saurait être décrit comme « central et, sans doute, essentiel ». Comme l’a souligné le juge Noël, « l’article 16 comporte un objectif orienté vers l’assistance ou les politiques, plutôt que sur la menace » (X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567 [précitée], au paragraphe 54). Par contre, il s’agit indubitablement d’une responsabilité importante que les ministres considèrent probablement comme très utile dans l’exercice de leurs fonctions, mais qui n’est pas de même calibre que le rôle fondamental confié au Service par l’article 12 : enquêter sur les menaces pour la sécurité nationale. Comme il en a été question, le rôle du Service en matière de renseignement étranger a toujours été secondaire, tout au plus, par rapport à son mandat eu égard à la sécurité nationale.

[113]   Enfin, l’article 16 n’exige pas que la collecte d’informations ou de renseignement se fasse « dans la mesure strictement nécessaire » ni n’établit un critère comparable à celui des « motifs raisonnables de soupçonner ». En outre, aucune définition légale des termes « moyens, […] intentions ou […] activités » d’entités étrangères ne vient limiter la portée des enquêtes du Service. En soi, l’article 16 donne au Service un mandat plus large que l’article 12.

[114]   Encore une fois, souligner les différences importantes entre les rôles que confèrent au Service les articles 12 et 16 ne revient pas à affirmer que la nature et l’objet de l’article 16 sont, en quelque sorte, moins importants ou cruciaux pour les intérêts du Canada que ceux de l’article 12. Au moyen de l’article 16, le législateur a prévu que le Service assume un rôle important, bien que secondaire, par rapport aux responsabilités prévues à l’article 12, en vue de faire progresser les intérêts du Canada en matière de défense nationale et d’affaires internationales. Il est possible de soutenir que la capacité du Canada de se défendre et d’entretenir des relations productives avec d’autres pays est aussi essentielle à sa souveraineté que sa capacité de lutter contre les menaces pour sa sécurité.

[115]   Les amici soutiennent que ce dernier facteur, en particulier l’absence de critère relatif aux « motifs raisonnables de soupçonner », distingue l’article 16 de l’article 12 dans ce contexte. À leur avis, l’article 16 ne saurait résister à un examen constitutionnel sans qu’un tel critère y soit jugé implicite, c’est-à-dire que le Service pourrait utiliser les ESB uniquement s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’un étranger possède des informations sur les moyens, les intentions ou les activités d’un État étranger qui aideraient le ministre dans les domaines de la défense ou de la conduite des affaires internationales du Canada.

[116]   Je ne suis pas d’accord. L’absence de critère relatif aux « motifs raisonnables de soupçonner » n’est pas fatale sur le plan constitutionnel. L’article 16 comporte d’autres exigences qui, dans ce contexte, constituent une solution de rechange adéquate au critère. Le Service ne peut recueillir des renseignements étrangers que si le ministre des Affaires étrangères ou de la Défense nationale présente lui demande personnellement, par écrit, de lui prêter son assistance, et que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile donne son aval par écrit. Le Service n’agit qu’après que deux des principaux ministres fédéraux ont conclu que la collecte de renseignements étrangers est nécessaire pour protéger les intérêts du Canada en matière de défense ou d’affaires internationales. Il incombe à ces ministres de déterminer s’il est nécessaire de demander au Service de s’acquitter de son mandat eu égard au renseignement étranger. Rien ne me permet de remettre en question la bonne foi des ministres ni de douter de leur capacité à déterminer ce qui relève de l’intérêt supérieur du Canada. En outre, bien sûr, la Cour conserve son pouvoir discrétionnaire quant à la délivrance de mandats en vertu de l’article 21 si le Service cherche, plus tard, à exercer des pouvoirs envahissants.

[117]   De plus, en pratique, il est peu probable que le Service, dans son rôle relatif au renseignement étranger, étire des ressources déjà rares pour tenter de recueillir des informations auprès de personnes qui ne savent probablement rien des moyens, des intentions ou des activités d’un État étranger. En cela, l’article 16 constitue en quelque sorte sa propre limite, compte tenu du fait que la collecte de renseignements étrangers n’est pas au cœur de la raison d’être du Service, par rapport au rôle que lui confie l’article 12, qui est critique, central et, sans doute, essentiel. Il est bien plus probable que le Service soit enclin à trop en faire dans l’exécution de ce mandat qu’en ce qui concerne son rôle au titre de l’article 16.

[118]   J’estime qu’il existe suffisamment de mécanismes permettant d’empêcher le Service d’aller trop loin dans son rôle eu égard au renseignement étranger pour que soit respecté l’article 8 de la Charte quant aux fouilles minimalement envahissantes menées sans mandat, comme l’utilisation d’ESB.

[119]   Partant, dans ce contexte, je ne constate aucune différence importante entre les articles 12 et 16 en ce qui a trait à la nature et à l’objet. Dans les deux domaines, le rôle du Service sert les intérêts nationaux.

[120]   En outre, bien qu’il ne comporte pas le libellé limitatif de l’article 12, l’article 16 comporte une contrainte essentielle à laquelle échappe l’article 12 : seuls des étrangers et des États étrangers peuvent être visés; les cibles ne peuvent pas être des Canadiens. L’article 16 a une portée large, mais un champ d’application étroit.

[121]   Le législateur a reconnu que le Service devait avoir une latitude supérieure dans sa collecte d’informations et de renseignements sur les entités étrangères au Canada, à des fins de défense et de relations internationales, que celle dont il dispose pour enquêter sur les menaces pour la sécurité nationale.

[122]   Il faut comprendre que les limites prévues à l’article 16 restreignent les pouvoirs du Service en fonction du rôle qui lui est confié, c’est-à-dire prêter son assistance en matière de défense nationale et d’avancement des relations internationales du Canada. Il existe des limites claires quant à l’exercice par le Service, au titre de l’article 16, de pouvoirs minimalement envahissants, comme la collecte de données au moyen d’ESB.

[123]   Le dernier facteur à prendre en considération eu égard à l’article 8 de la Charte est le caractère raisonnable de l’exécution de la fouille — le recours à un ESB. Le juge en chef Crampton a conclu que, dans le contexte de l’article 12, elle était effectivement raisonnable. Il a pris en considération les facteurs suivants :

         Les IMSI et les IMEI de tiers recueillies ont été détruites avant de faire l’objet de la moindre analyse.

         Les opérations fondées sur des ESB ne nuisent d’aucune manière perceptible à l’expérience de l’utilisateur d’un appareil. En particulier, elles n’interrompent pas d’appels actifs ni n’empêchent l’utilisateur de composer le 911.

         Les ESB et le matériel connexe ne permettent pas d’intercepter le contenu d’une communication ou d’obtenir des informations stockées dans un appareil (aux paragraphes 238 à 242).

[124]   Les mêmes facteurs s’appliquent aux opérations fondées sur des ESB menées au titre de l’article 16. Je conviens avec le juge en chef que les opérations fondées sur des ESB sont menées de manière raisonnable.

[125]   Partant, je ne constate aucun conflit entre l’utilisation d’ESB sans mandat et l’article 8 de la Charte. L’article 16 offre un fondement légal suffisant et raisonnable aux fouilles sans mandat, pourvu qu’elles soient minimalement envahissantes et effectuées de manière raisonnable.

IV.       Troisième question — L’article 16 autorise-t-il l’interception de données [***] ?  [Retour à la table des matières]

[***Les caviardages dans la section ci-dessous concernent une technologie qui permet au Service de recueillir certaines informations d’un appareil portable. La Cour a conclu que le Service peut utiliser cette technologie sans mandat pour obtenir un sous-ensemble précis de ces informations afin d’identifier cet appareil à des fins futures. Toutefois, la Cour a soulevé le fait que la technologie pourrait aussi permettre au Service d’acquérir, à partir de l’appareil portable, des informations sur les activités privées ainsi que les choix personnels d’un individu. La Cour statue qu’un mandat est nécessaire pour acquérir ces informations supplémentaires.***]

[126]   Le Service soutient que l’interception de données [***] et les opérations fondées sur les ESB sont essentiellement de même nature, car il s’agit dans les deux cas de fouilles minimalement envahissantes menées de manière raisonnable au titre de pouvoirs légaux valides et raisonnables (article 16).

[127]   Je ne suis pas d’accord. L’interception de données [***] permet d’obtenir davantage d’informations personnelles que les opérations fondées sur les ESB et nécessite un mandat.

[128]   En premier lieu, je vais aborder la technologie relative aux interceptions [***] et aux informations que celles-ci permettent d’obtenir. Je vais ensuite me prononcer sur la possibilité que l’article 16 suffise à autoriser ces interceptions, ou si un mandat doit être obtenu.

[129]   Le Service et les amici conviennent que les sondages [***] ne contreviennent pas à l’alinéa 9(1)b) de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R-2, ni à l’article 184 ni à l’alinéa 430(1.1)c) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. Je suis d’accord avec leurs observations et je n’ai rien à ajouter à ce propos. Je souligne que le juge en chef Crampton en est arrivé à une conclusion similaire quant aux opérations fondées sur des ESB (X (Re) (ESB) [précitée], aux paragraphes 82 à 106).

1)         Technologie  [Retour à la table des matières]

[130]   L’aperçu ci-dessous s’inspire largement de l’affidavit et du témoignage de [***] employé du Service spécialiste [***]

[131]   [***]

[132]   [***]

[133]   [***]

[134]   [***]

[135]   [***]

[136]   Le Service effectue ce qu’il appelle des « sondages [***] » qui lui permettent d’obtenir [***] en vue de reconnaître celui qu’utilise la cible de l’enquête.

[137]   Pour ce faire, il utilise un appareil spécialement configuré pour capter, [***] Qu’il soit portable ou stationnaire, l’appareil est passif [***] Il n’intercepte ni le contenu des communications ni l’activité [***] Il recueille simplement [***] L’analyse [***] peut permettre au Service de déterminer quel appareil utilise sa cible.

[138]   [***]

[139]   [***]

[140]   Conformément aux politiques du Service, les sondages ne durent pas plus de [***] Il détruit toute information recueillie au cours du sondage s’il n’a pas réussi à obtenir [***] de l’appareil de la cible pendant cette période. Si le Service obtient [***] il la conserve.

[141]   Les sondages [***] visent à recenser [***] d’appareils utilisés par des cibles d’enquête. Fort [***] et d’un mandat, le Service peut commencer à intercepter [***] de la cible [***] Tout comme pour l’utilisation d’un ESB, l’obtention [***] permet au Service de demander un mandat lui permettant d’effectuer des fouilles plus envahissantes.

[142]   Le Service précise bien que les seules informations uniques, permanentes et reconnaissables qu’il obtient grâce aux sondages [***] sont [***] Il ne s’agit pas, cependant, des seules informations qu’il recueille.

[143]   Le Service obtient aussi des informations connexes, [***] S’agissant d’un appareil, ce sont des détails comme [***] Le Service conserve ces informations si elles ont trait à [***] Autrement dit, si le Service obtient [***] de l’appareil d’une cible, il conserve [***] et les informations connexes liées à l’appareil.

[144]   S’agissant [***] les informations connexes sont notamment [***] Le dispositif qu’utilise le Service pour effectuer les sondages génère aussi des données connexes [***] Ces dernières sont les plus utiles pour le Service, car elles permettent d’établir [***] au moment du sondage.

[145]   Le Service soutient que les deux informations les plus utiles obtenues lors des sondages sont [***] de la cible. Il obtient [***] grâce aux [***] Seuls [***] sont révélés; les informations n’incluent pas [***] Cependant, [***] parfois une source d’informations, comme [***] de la cible.

[146]   La [***] apprendra au Service, par exemple, [***] ce qui peut lui permettre d’établir ses habitudes [***] Le Service peut aussi évoquer ces informations dans une demande de mandats qui l’autoriseront à intercepter [***] de la cible grâce à des méthodes particulières.

[147]   À titre d’exemple, si [***] de la cible révèle [***] le Service pourrait se servir [***]

[148]   [***]

2)   L’article 16 constitue-t-il une autorisation légale suffisante? [Retour à la table des matières]

[149]   Le Service avance que, dans bien des cas, les informations les plus utiles qu’il recueille dans l’exercice du rôle que lui confie l’article 16 découlent des communications interceptées [***des personnes étrangères***] [***qui sont associées à des États étrangers, groupes d’États étrangers, ou personnes morales étrangères***] à propos desquels il prête actuellement son assistance au ministre [***]

[150]   Pour obtenir un mandat lui permettant de procéder à ces interceptions, le Service doit donner des motifs raisonnables de croire [***qu’une personne, ou des personnes, étrangères***] effectueront ou recevront des communications au moyen [***] en particulier [***] dont eux-mêmes [***] sont propriétaires ou qu’ils louent. [***] À l’instar des ESB, les sondages [***] permettent au Service d’obtenir les identifiants électroniques uniques ayant trait aux appareils, ce qui leur permet ensuite de procéder, en vertu de mandats, à l’interception [***]

[151]   Le Service reconnaît que le recours aux sondages [***] pour obtenir [***] constitue une fouille visée à l’article 8 de la Charte. Il soutient toutefois que de telles fouilles constituent des atteintes minimes à l’attente des personnes au respect de leur vie privée. Le Service estime [***] est comparable à l’IMSI et à l’IMEI recueillis au moyen d’un ESB, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une information dont la collecte sans mandat n’enfreint pas l’article 8. [***] ne révèle rien à propos de son utilisateur.

[152]   En ce qui a trait [***] le Service soutient que les informations obtenues sur [***] l’utilisateur [traduction] « ont souvent une utilité relativement faible et sont peu indiscrètes ». Tout au plus, elles révèlent au Service [***]

[153]   En outre, le Service soutient que l’article 16 constitue une autorisation légale raisonnable de procéder aux sondages [***] qui lui permettent d’obtenir [***] Le Service estime que le législateur, au moyen de l’article 16, l’a explicitement autorisé à recueillir des renseignements étrangers, dans les limites du Canada, pour aider les ministres des Affaires étrangères et de la Défense à déterminer les moyens, les intentions et les activités d’étrangers.

[154]   Selon le Service, l’article 16 respecte l’exigence selon laquelle la disposition législative qui autorise une fouille sans mandat doit clairement octroyer un pouvoir officiel et établir des critères limpides (citant R. c. Spencer, 2014 CSC 43, [2014] 2 R.C.S. 212 (Spencer) et R. c. Shoker, 2006 CSC 44, [2006] 2 R.C.S. 399). En outre, de l’avis du Service, l’article 16 n’établit pas un critère vague au point d’en être inconstitutionnel (comme en fait état l’arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606).

[155]   Le Service ajoute que, de toute façon, l’application d’une norme moins rigoureuse se justifie dans un tel contexte, lorsque les droits à la vie privée sont réduits ou lorsque les objectifs de l’État sont prédominants (R. c. Chehil, 2013 CSC 49, [2013] 3 R.C.S. 220, au paragraphe 23; X (Re) (ESB), au paragraphe 206).

[156]   En outre, le Service souligne différentes caractéristiques de l’article 16 qui, à son avis, attestent de son caractère raisonnable. Ces facteurs concordent en gros avec les demandes présentées par le Service quant aux opérations fondées sur des ESB, dont il est question plus haut. Il est toutefois utile de les répéter ici.

a)         Nature et objet

[157]   L’article 16 permet d’atteindre un important objectif étatique, à savoir la collecte de renseignements étrangers en vue d’aider les ministres en matière de défense nationale et d’affaires internationales.

b)         Critères et limites

[158]   L’article 16 comporte des critères objectifs et prévoit des limites strictes, notamment les obligations suivantes : un ministre demande l’assistance du Service par écrit; le ministre de la Sécurité publique y consent personnellement; l’assistance porte sur les moyens, les intentions ou les activités d’un État étranger, ne peut viser aucun Canadien et est prêtée dans les limites du Canada.

c)         Équilibre

[159]   L’article 16 établit un équilibre entre, d’une part, l’intérêt public dans la collecte de renseignements étrangers et, d’autre part, le respect de la vie privée. Les ministres doivent mettre ces facteurs en balance avant de présenter une demande d’assistance qui amènera le Service à utiliser des techniques d’enquête.

d)         Empiètement minimal 

[160]   Puisque le Service peut exercer des pouvoirs envahissants en vertu de mandats visés à l’article 21 de la Loi sur le SCRS pour assumer le rôle que lui confie l’article 16, il s’ensuit que l’article 16 permet la collecte d’informations sans mandat grâce à des méthodes minimalement envahissantes.

e)         Précision

[161]   La façon dont procède le Service pour effectuer des sondages [***] assure que les informations recueillies permettent de reconnaître l’appareil utilisé par la cible et que les informations liées à d’autres appareils sont laissées de côté.

f)          Reddition de comptes 

[162]   Le Service rend compte de ses activités au ministre de la Sécurité publique et est assujetti aux instructions du ministre sur les opérations et la reddition de comptes. En outre, l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement examine la conduite du Service (cela revenait auparavant au CSARS).

[163]   Le Service soutient également que les autres limites prévues à l’article 12 (collecte dans la mesure strictement nécessaire et existence de motifs raisonnables de soupçonner) ne s’appliquent pas dans le contexte de l’article 16.

[164]   Cependant, les amici soulignent que, pour l’application de l’article 8 de la Charte, une fouille sans mandat est présumée abusive (R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265). Pour ne pas enfreindre l’article 8, une fouille sans mandat doit être autorisée expressément par une disposition législative raisonnable et être effectuée de façon raisonnable. Les amici soutiennent que l’article 16 n’autorise pas les fouilles que constituent les sondages [***] et que le pouvoir de les effectuer ne saurait être considéré comme implicite.

[165]   À leur avis, ces fouilles sont plus que minimalement envahissantes et, partant, ne peuvent être effectuées qu’en vertu d’un mandat. Notamment, elles permettent aux enquêteurs d’établir le profil personnel de cibles [***]

[166]   J’ai déjà conclu que l’article 16 offre un fondement légal suffisant et raisonnable aux fouilles sans mandat minimalement envahissantes, notamment l’obtention de l’IMSI et de l’IMEI au moyen d’opérations fondées sur des ESB menées de façon raisonnable. Ma conclusion est la même eu égard au recours au sondage [***] dont il est question plus haut, qui servent à obtenir [***] des appareils des cibles. [***] ne révèle aucun renseignement personnel sur la cible. Elle permet simplement au Service de reconnaître l’appareil pour des motifs ultérieurs. Essentiellement, dans le contexte [***] est analogue à l’IMSI et à l’IMEI dans le contexte des ESB.

[167]   Partant, je conviens avec le Service que l’article 16 offre un fondement légal raisonnable à l’obtention [***] des appareils d’une cible au moyen de sondages [***]

[168]   En outre, je suis convaincu que les sondages [***] minimalement envahissants, menés au titre de l’article 16, le sont raisonnablement. Comme pour la technologie relative aux ESB, il n’y a aucune incidence sur les communications privées, [***] ou toute autre information privée stockée dans l’appareil. Les informations de tiers recueillies sont détruites.

[169]   Cependant, j’en arrive à une conclusion différente en ce qui a trait aux autres informations que le Service obtiendrait au moyen des sondages [***]

[170]   Je réitère que le Service reconnaît que les sondages [***] constituent des fouilles, mais soutient qu’à l’instar des opérations fondées sur les ESB, ces sondages sont minimalement envahissants et devraient pouvoir être effectués sans mandat.

[171]   Par contre, en ce qui a trait [***] il est important de souligner le genre de fouille en cause. La cible d’une telle fouille aurait un intérêt considérable à garder privées ses activités personnelles, et elle a manifestement une attente subjective en matière de vie privée. Dans les circonstances, il s’agirait d’une attente raisonnable.

[172]   Comme il en est question plus haut, [***] peuvent renseigner les enquêteurs sur les activités privées de la cible et leur permettre de tirer des conclusions quant à ses choix personnels. L’importance des informations recueillies est un facteur dont il faut tenir compte dans ce contexte (Spencer, aux paragraphes 18 et 26 à 31; R. c. A.M., 2008 CSC 19, [2008] 1 R.C.S. 569, au paragraphe 38).

[173]   Dans l’arrêt Spencer, le juge Thomas Cromwell, au nom de la Cour, souligne la nécessité d’adopter une approche téléologique aux questions qui mettent en cause l’article 8, axée sur « la protection de la vie privée considérée comme une condition préalable à la sécurité individuelle, à l’épanouissement personnel et à l’autonomie ainsi qu’au maintien d’une société démocratique prospère » (au paragraphe 15). En particulier, pour déterminer si une personne a une attente raisonnable en matière de vie privée, il est nécessaire de prendre en considération l’ensemble des circonstances ainsi que l’objet de la recherche, le droit de la personne concernée à l’égard de l’objet, l’attente subjective de la personne en matière de respect de sa vie privée ainsi que le caractère raisonnable de cette attente (au paragraphe 18).

[174]   En ce qui a trait à l’objet de la fouille, il est souvent important de voir au-delà des informations elles-mêmes et de tenir compte de ce qu’elles révèlent. À titre d’exemple, dans l’arrêt Spencer, le juge Cromwell a conclu que l’objet de la fouille allait au-delà des informations sur l’abonné obtenues par la police et touchait aussi aux détails sur le mode de vie que ces informations pourraient finir par révéler (aux paragraphes 25 et 26). En effet, elles ont permis aux policiers de mettre en rapport le nom et l’adresse d’une personne avec des activités auxquelles s’intéressaient les autorités étatiques, en l’occurrence la collecte de pornographie infantile. Il ne faut pas définir l’objet de la fouille de façon restrictive (R. c. Reeves, 2018 CSC 5, [2018] 3 R.C.S. 531, au paragraphe 29), particulièrement lorsqu’elle porte sur des données électroniques (R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608 (Marakah), au paragraphe 14).

[175]   De même, la Cour suprême a soutenu que les informations obtenues lorsqu’un chien renifle un colis sont, purement et simplement, les odeurs qui en émanent. Toutefois, la réaction du chien permet d’inférer le contenu du colis (R. c. Kang-Brown, 2008 CSC 18, [2018] 1 R.C.S. 456 [Kang-Brown]). Partant, pour déterminer l’objet d’une recherche, il est nécessaire d’aller au-delà des informations obtenues et de s’intéresser aux conclusions qu’il est possible d’en tirer (Marakah, au paragraphe 20).

[176]   En l’espèce, [***] d’une personne permettrait au Service de tirer des conclusions quant à son mode de vie et à ses activités privées. Une personne aurait un intérêt direct en la matière et s’attendrait subjectivement à ce que ces informations demeurent du domaine privé.

[177]   À mon avis, cette attente subjective en matière de vie privée serait raisonnable dans les circonstances. Le caractère privé des informations qui peuvent être inférées [***] revêt une importance particulière dans ce contexte. Le Service souligne à juste titre que, souvent, [***] ne révélera rien du propriétaire d’un appareil. À titre d’exemple, il peut s’agir d’une simple [***] En revanche, [***] peut révéler [***] la personne d’intérêt peut être liée, [***] En général, le propriétaire d’un appareil n’a aucun pouvoir sur [***] sauf peut-être [***] Cette absence de contrôle ne signifie cependant pas que l’attente en matière de vie privée eu égard aux informations susceptibles d’être révélées n’est pas raisonnable (Marakah, au paragraphe 41).

[178]   Ainsi, à mon avis, les informations [***] peuvent permettre de tirer des conclusions sur des éléments du mode de vie et des activités privées de personnes qui souhaiterait les conserver et les mettre à l’abri des autorités étatiques (R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, à la page 293). Leur attente en matière de respect de la vie privée eu égard à ces informations est raisonnable.

[179]   Partant, compte tenu de la différence entre une opération fondée sur les ESB, qui implique une collecte minimalement envahissante, et le sondage [***] qui peut entraîner la collecte envahissante d’informations sur le mode de vie, je conclus que ce dernier nécessite un mandat. De tels sondages peuvent mener à la collecte de renseignements personnels à caractère privé, qui n’ont été ni divulgués ni abandonnés par la cible d’une enquête. Ces facteurs tendent à démontrer qu’un mandat est nécessaire (R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, au paragraphe 32).

[180]   En outre, rien de ce que j’ai devant moi ne porte à croire qu’il serait impossible ou infaisable d’obtenir un mandat pour effectuer un sondage [***] (Kang-Brown, au paragraphe 59).

[181]   Si j’ai effectivement conclu que l’article 16 est une disposition législative raisonnable qui permet la réalisation de fouilles minimalement envahissantes sans mandat, je ne peux pas trancher de la même manière en ce qui a trait aux sondages [***] qui permettent de recueillir des renseignements personnels sur le mode de vie. À mon avis, le Service doit obtenir au préalable une autorisation judiciaire impartiale, c’est-à-dire un mandat, pour recueillir ces informations. Essentiellement, je suis donc d’accord avec le juge en chef Crampton lorsqu’il conclut « lorsqu’il passe à des activités de collecte plus envahissantes, le Service doit obtenir un mandat » (X (Re) (ESB), au paragraphe 219).

V.        Quatrième question — L’article 16 autorise-t-il l’interception de communications à l’extérieur du Canada?  [Retour à la table des matières]

[182]   Le Service cherche à s’assurer qu’il a le pouvoir légitime d’intercepter les communications [***d’une personne étrangère***] dans les limites du Canada, même si [***cette personne étrangère***] se trouve à l’étranger. Le Service estime que ce pouvoir accroîtrait sa capacité de recueillir des informations sur les moyens, les intentions ou les activités [***] en cause.

[183]   Cette question est soulevée parce qu’aux termes de l’article 16, les renseignements étrangers ne peuvent être recueillis que « dans les limites du Canada ». La Cour a été saisie d’autres litiges relatifs à l’expression « dans les limites du Canada », surtout dans la décision X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567 [précitée] (dossier [***]), décision confirmée dans X (Re), ([***]), 2018 CAF 207. Le juge Simon Noël y a conclu que l’expression « dans les limites du Canada » figurant à l’article 16 signifie, sans équivoque, dans les frontières géographiques du pays (aux paragraphes 62 et 100).

[184]   Les amici conviennent avec le Service qu’il y a respect de la restriction géographique de l’article 16 lorsqu’il y a interception, dans les limites du Canada, de communications à l’étranger.

[185]   Je suis d’accord. Néanmoins, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur ce que le Service propose, je décris le déroulement de ces interceptions.

[186]   [***] employé du Service chargé de mettre au point un logiciel servant à la collecte d’informations auprès de fournisseurs de services de communication (FSC), a expliqué comment le Service intercepte, dans les limites du Canada, des communications à l’étranger.

[187]   [***] le Service est en mesure d’intercepter des communications effectuées au moyen de téléphones et d’appareils mobiles ainsi que des activités Internet, [***]

[188]   Selon le Service, il s’agit [traduction] d’« interceptions légales » [IL] lorsqu’elles sont menées en vue d’assurer la sécurité nationale ou d’aider à faire appliquer la loi en vertu de mandats judiciaires. [***]

[189]   Le téléphone d’une personne qui se rend à l’étranger cherchera un fournisseur de service local adéquat, c’est-à-dire avec lequel le FSC canadien de la personne a conclu une entente. Ce processus est couramment appelé « itinérance ». Le fournisseur étranger échange des informations avec le FSC canadien afin de confirmer que la personne est bel et bien une abonnée disposant d’un forfait de services.

[190]   En conséquence, le FSC canadien sait quand un client quitte le Canada et utilise son téléphone à l’étranger. [***]

[191]   [***]

[192]   Pour l’heure, puisqu’aucune disposition législative ne l’autorise clairement à intercepter les communications d’une personne à l’étranger, le Service a pour pratique de mettre fin à l’interception s’il apprend que [***la personne étrangère***] a quitté le Canada. L’interception se poursuivra cependant si [***la personne étrangère***] quitte le pays à l’insu du Service.

[193]   Compte tenu de ces éléments de preuve, je suis convaincu que les interceptions que propose le Service auront lieu dans les limites du Canada et, partant, respecteront la restriction géographique prévue à l’article 16. Essentiellement, la situation est similaire aux interceptions, au Canada, de communications étrangères effectuées en vertu de l’article 12, dont le juge Richard Mosley a traité en détail dans la décision X (Re), 2009 CF 1058, [2010] 1 R.C.F. 460.

VI.       Conclusion et décision  [Retour à la table des matières]

[194]   La demande en l’espèce a donné à la Cour de prendre connaissance d’informations détaillées sur certains aspects du mandat relatif au renseignement étranger que confère au Service l’article 16 de la Loi sur le SCRS. En particulier, le Service a expliqué ses politiques et pratiques eu égard à la collecte, de manière incidente, d’informations sur des Canadiens, dont des élus, et à la conduite en parallèle d’opérations relevant des articles 12 et 16. Dans ces deux domaines, j’ai constaté que, dans l’ensemble, la conduite du Service est adéquate et satisfaisante. Je suggère cependant au Service de se donner des lignes directrices sur la diffusion d’informations pouvant permettre de reconnaître des Canadiens dont les communications ont été interceptées de manière incidente et sur le renversement de la divulgation minimale les concernant, et de donner à la Cour la possibilité de les commenter. Le Service devrait aussi informer la Cour des cas possibles d’interception, de manière incidente, de communications d’élus ou de fonctionnaires, ce qui permettrait à la Cour de fixer toute condition nécessaire à l’exécution des mandats. Il pourrait s’agir d’imposer au Service de lui redemander des directives sur le traitement des informations recueillies.

[195]   En outre, je suis d’accord avec les modifications proposées par le Service aux modèles de mandats relatifs à l’article 16.

[196]   Je conclus que l’article 16 constitue, pour le Service, une autorisation légale suffisante pour effectuer des fouilles minimalement envahissantes en vue de recueillir des renseignements étrangers. L’utilisation d’ESB telle que proposée par le Service entre dans cette catégorie de fouilles et, partant, ne nécessite pas de mandat.

[197]   Toutefois, je constate que l’interception de données [***] dans la mesure où elle permet de découvrir [***] d’une personne, est plus que minimalement envahissante. [***] d’une personne permettrait au Service de tirer des conclusions quant à son mode de vie, [***] Pour respecter l’article 8 de la Charte, de telles fouilles requièrent l’obtention d’un mandat décerné par un tribunal.

[198]   Enfin, l’interception par le Service, en sol canadien, de communications [***des personnes étrangères***] qui se trouvent à l’extérieur du Canada respecte la restriction géographique prévue à l’article 16 : de telles interceptions ont lieu « dans les limites du Canada ».

JUGEMENT DANS LE DOSSIER [***]

LA COUR STATUE que :

1.   Le Service devrait se donner des lignes directrices sur la diffusion d’informations pouvant permettre de reconnaître des Canadiens dont les communications ont été interceptées de manière incidente et sur le renversement de la divulgation minimale les concernant, donner à la Cour la possibilité de les commenter et informer la Cour des cas possibles d’interception, de manière incidente, de communications d’élus ou de fonctionnaires.

2.   L’article 16 constitue, pour le Service, une autorisation légale suffisante pour recourir aux ESB sans mandat, de la manière proposée.

3.   L’interception de données [***] dans la mesure où elle permet de découvrir [***] d’une personne, est plus que minimalement envahissante et nécessite un mandat.

4.   L’interception par le Service, en sol canadien, de communications [***des personnes étrangères***] qui se trouvent à l’extérieur du Canada respecte la restriction géographique prévue à l’article 16 : de telles interceptions ont lieu « dans les limites du Canada ».

5.   Dans les 15 jours, l’avocat du procureur général présentera ses suggestions quant aux informations à caviarder dans la présente décision en vue de sa diffusion publique. L’amicus disposera ensuite de 15 jours pour présenter ses observations à leur sujet. Il est entendu que les avocats s’efforceront de caviarder le moins de passages possible.

ANNEXE

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23

DÉFINITIONS

Définitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

menaces envers la sécurité du Canada Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités suivantes :

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d). (threats to the security of Canada)

[…]

FONCTIONS DU SERVICE

Informations et renseignements

12(1) Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.

Aucune limite territoriale

(2) Il est entendu que le Service peut exercer les fonctions que le paragraphe (1) lui confère même à l’extérieur du Canada.

Mesures pour réduire les menaces envers la sécurité du Canada

12.1 (1) S’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une activité donnée constitue une menace envers la sécurité du Canada, le Service peut prendre des mesures, même à l’extérieur du Canada, pour réduire la menace.

Limites

(2) Les mesures doivent être justes et adaptées aux circonstances, compte tenu de la nature de la menace et des mesures, ainsi que des solutions de rechange acceptables pour réduire la menace.

Mandat

(3) La prise par le Service de mesures pour réduire une menace envers la sécurité du Canada est subordonnée à l’obtention d’un mandat au titre de l’article 21.1 s’il s’agit de mesures qui porteront atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte canadienne des droits et libertés ou qui seront contraires à d’autres règles du droit canadien.

Précision

(4) Il est entendu que le paragraphe (1) ne confère au Service aucun pouvoir de contrôle d’application de la loi.

Interdictions

12.2(1) Dans le cadre des mesures qu’il prend pour réduire une menace envers la sécurité du Canada, le Service ne peut :

a) causer, volontairement ou par négligence criminelle, des lésions corporelles à un individu ou la mort de celui-ci;

b) tenter volontairement de quelque manière d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice;

c) porter atteinte à l’intégrité sexuelle d’un individu.

Définition de lésions corporelles

(2) Au paragraphe (1), lésions corporelles s’entend au sens de l’article 2 du Code criminel.

[…]

Assistance

16(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le Service peut, dans les domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada, prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères, dans les limites du Canada, à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités :

a) d’un État étranger ou d’un groupe d’États étrangers;

b) d’une personne qui n’appartient à aucune des catégories suivantes :

(i) les citoyens canadiens,

(ii) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés,

(iii) les personnes morales constituées sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale.

Restriction

(2) L’assistance autorisée au paragraphe (1) est subordonnée au fait qu’elle ne vise pas des personnes mentionnées à l’alinéa (1)b).

Consentement personnel des ministres

(3) L’exercice par le Service des fonctions visées au paragraphe (1) est subordonné :

a) à une demande personnelle écrite du ministre de la Défense nationale ou du ministre des Affaires étrangères;

b) au consentement personnel écrit du ministre.

[…]

PARTIE II

CONTRÔLE JUDICIAIRE

Demande de mandat

21(1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête, au Canada ou à l’extérieur du Canada, sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16.

Contenue de la demande

(2) La demande visée au paragraphe (1) est présentée par écrit et accompagnée de l’affidavit du demandeur portant sur les points suivants :

a) les faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);

b) le fait que d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l’urgence de l’affaire est telle qu’il serait très difficile de mener l’enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (1) ne pourraient être acquises;

c) les catégories de communications dont l’interception, les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont l’acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l’exercice, sont à autoriser;

d) l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

e) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat demandé;

f) si possible, une description générale du lieu où le mandat demandé est à exécuter;

g) la durée de validité applicable en vertu du paragraphe (5), de soixante jours ou d’un an au maximum, selon le cas, demandée pour le mandat;

h) la mention des demandes antérieures présentées au titre du paragraphe (1) touchant des personnes visées à l’alinéa d), la date de chacune de ces demandes, le nom du juge à qui elles ont été présentées et la décision de celui-ci dans chaque cas.

Délivrance du mandat

(3) Par dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique, le juge à qui est présentée la demande visée au paragraphe (1) peut décerner le mandat s’il est convaincu de l’existence des faits mentionnés aux alinéas (2)a) et b) et dans l’affidavit qui accompagne la demande; le mandat autorise ses destinataires à intercepter des communications ou à acquérir des informations, documents ou objets. À cette fin, il peut autoriser aussi, de leur part :

a) l’accès à un lieu ou un objet ou l’ouverture d’un objet;

b) la recherche, l’enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informations qui s’y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l’établissement de copies ou d’extraits par tout procédé;

c) l’installation, l’entretien et l’enlèvement d’objets.

Activités à l’extérieur du Canada

(3.1) Sans égard à toute autre règle de droit, notamment le droit de tout État étranger, le juge peut autoriser l’exercice à l’extérieur du Canada des activités autorisées par le mandat décerné, en vertu du paragraphe (3), pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada.

Contenu du mandat

(4) Le mandat décerné en vertu du paragraphe (3) porte les indications suivantes :

a) les catégories de communications dont l’interception, les catégories d’informations, de documents ou d’objets dont l’acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas (3)a) à c) dont l’exercice, sont autorisés;

b) l’identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;

c) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat;

d) si possible, une description générale du lieu où le mandat peut être exécuté;

e) la durée de validité du mandat;

f) les conditions que le juge estime indiquées dans l’intérêt public.

Durée maximale

(5) Il ne peut être décerné de mandat en vertu du paragraphe (3) que pour une période maximale :

a) de soixante jours, lorsque le mandat est décerné pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’alinéa d) de la définition de telles menaces contenue à l’article 2;

b) d’un an, dans tout autre cas.

Demande de mandat — mesures pour réduire les menaces envers la sécurité du Canada

21.1(1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de prendre, au Canada ou à l’extérieur du Canada, des mesures pour réduire une menace envers la sécurité du Canada.

Contenu de la demande

(2) La demande est présentée par écrit et accompagnée de l’affidavit du demandeur portant sur les points suivants :

a) les faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de prendre des mesures pour réduire une menace envers la sécurité du Canada;

b) les mesures envisagées;

c) le fait que les mesures envisagées sont justes et adaptées aux circonstances, compte tenu de la nature de la menace et des mesures, ainsi que des solutions de rechange acceptables pour réduire la menace;

d) l’identité des personnes qui sont touchées directement par les mesures envisagées, si elle est connue;

e) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat demandé;

f) si possible, une description générale du lieu où le mandat demandé est à exécuter;

g) la durée de validité applicable en vertu du paragraphe (6), de soixante jours ou de cent vingt jours au maximum, selon le cas, demandée pour le mandat;

h) la mention des demandes antérieures présentées au titre du paragraphe (1) touchant des personnes visées à l’alinéa d), la date de chacune de ces demandes, le nom du juge à qui elles ont été présentées et la décision de celui-ci dans chaque cas.

Délivrance du mandat

(3) Par dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique, le juge à qui est présentée la demande visée au paragraphe (1) peut décerner le mandat s’il est convaincu de l’existence des faits qui sont mentionnés aux alinéas (2)a) et c) et énoncés dans l’affidavit qui accompagne la demande; le mandat autorise ses destinataires à prendre les mesures qui y sont indiquées. À cette fin, il peut autoriser aussi, de leur part :

a) l’accès à un lieu ou un objet ou l’ouverture d’un objet;

b) la recherche, l’enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informations qui s’y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l’établissement de copies ou d’extraits par tout procédé;

c) l’installation, l’entretien et l’enlèvement d’objets;

d) les autres actes nécessaires dans les circonstances à la prise des mesures.

Mesures à l’extérieur du Canada

(4) Sans égard à toute autre règle de droit, notamment le droit de tout État étranger, le juge peut autoriser la prise à l’extérieur du Canada des mesures indiquées dans le mandat décerné en vertu du paragraphe (3).

Contenu du mandat

(5) Le mandat décerné en vertu du paragraphe (3) porte les indications suivantes :

a) les mesures autorisées;

b) l’identité des personnes qui sont touchées directement par les mesures, si elle est connue;

c) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat;

d) si possible, une description générale du lieu où le mandat peut être exécuté;

e) la durée de validité du mandat;

f) les conditions que le juge estime indiquées dans l’intérêt public.

Durée maximale

(6) Il ne peut être décerné de mandat en vertu du paragraphe (3) que pour une période maximale :

a) de soixante jours, lorsque le mandat est décerné pour permettre au Service de prendre des mesures pour réduire une menace envers la sécurité du Canada au sens de l’alinéa d) de la définition de telles menaces à l’article 2;

b) de cent vingt jours, dans tout autre cas.

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