IMM-3379-19
2020 CF 751
Adrian Edmond Pascal (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Pascal c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge McHaffie—Toronto, 14 novembre 2019; Ottawa, 9 juillet 2020.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur est membre des « Galloway Boys », une organisation criminelle établie à Scarborough — La SI a conclu en outre qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les activités du demandeur faisaient partie d’un plan d’activités criminelles organisées — Par conséquent, elle a conclu que le demandeur était interdit de territoire au titre de l’art. 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) — La conclusion de la SI relative à la criminalité organisée a eu de graves conséquences pour lui; cette conclusion l’a empêché d’interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) — Le demandeur a soutenu plus particulièrement que la SI s’est appuyée de manière déraisonnable sur certaines sources d’information, (rapports de police, témoignage d’un policier et livre de type documentaire criminel); que certaines conclusions de la SI étaient déraisonnables — Il s’agissait de savoir si la SI a commis une erreur 1) dans son évaluation des éléments de preuve en comptant sur la véracité du contenu des rapports de police; en s’appuyant sur le témoignage d’un policier qui a été cité comme témoin ordinaire; en s’appuyant sur un livre de type « documentaire criminel » et sur des articles de journaux; en se fondant sur des jugements de tribunaux qui faisaient référence aux Galloway Boys; et en ne tenant pas compte, pour des motifs de crédibilité, des éléments de preuve présentés par le demandeur; 2) en concluant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les Galloway Boys constituaient une organisation criminelle pendant la période concernée; 3) en concluant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre des Galloway Boys — Même si la présentation et l’analyse faite par la SI des motifs de l’admission des rapports de police auraient pu être plus détaillées sur certains points, elles n’étaient pas insuffisantes au point de les rendre déraisonnables — Par conséquent, la conclusion de la SI selon laquelle les éléments contenus dans les rapports de police étaient crédibles et dignes de foi et la foi qu’elle a accordée au contenu de ces rapports étaient raisonnables — La conclusion de la SI selon laquelle l’agent de police des Services de police de Toronto qui a témoigné et qui a rédigé le rapport était crédible et digne de foi était fondée sur ses conclusions selon lesquelles son témoignage était sincère, non embelli, et sans contradictions — Par conséquent, l’appréciation des éléments de preuve par la SI n’était pas déraisonnable — En ce qui concerne le livre Bad Seeds, que la SI a estimé crédible et digne de foi, les inférences que la SI a faites pour évaluer l’existence et la nature des Galloway Boys faisaient partie du mandat de la SI consistant à établir s’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur en était un membre — Il n’était pas déraisonnable pour la SI de recourir au livre Bad Seeds à cette fin — En ce qui concerne le fait que la SI s’est référée à d’autres décisions judiciaires faisant référence aux Galloway Boys, la nature des procédures et l’usage limité que la SI en a fait ont mené à la conclusion que son recours aux décisions était raisonnable — En ce qui concerne les éléments de preuve présentés par le demandeur, le fait que la SI se soit appuyée sur les diverses sources de preuve et qu’elle ait préféré ces éléments de preuve à ceux du demandeur était cohérent avec la jurisprudence de la Cour concernant de telles conclusions; la SI a agi de manière raisonnable à cet égard — Le demandeur n’a pas établi que la conclusion de la SI selon laquelle les Galloway Boys existent et qu’ils sont une organisation criminelle au sens de l’art. 37(1)a) de la LIPR était déraisonnable — En ce qui concerne la conclusion de la SI selon laquelle le demandeur était membre des Galloway Boys, la SI s’est livrée à une analyse du comportement du demandeur — Elle a établi un lien et fait des comparaisons entre le demandeur et la criminalité organisée, soit en général, soit en tant que membre d’un gang particulier, mais cela était déraisonnable — Cependant, bien que ces comparaisons soient déraisonnables, elles n’ont pas rendu déraisonnable la conclusion de la SI quant à l’appartenance du demandeur à une organisation criminelle — La SI a également conclu que le demandeur s’était livré à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées — Cette conclusion constituait un motif d’interdiction de territoire distinct au titre de l’art. 37(1)a) de la LIPR, qui ne dépendait pas de la conclusion selon laquelle le demandeur était membre des Galloway Boys — Bien que les motifs de la SI auraient pu être plus détaillés à certains égards, ils répondaient plus qu’adéquatement aux exigences de transparence, de justification et d’intelligibilité relative au caractère raisonnable — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur est membre des « Galloway Boys », une organisation criminelle établie à Scarborough. La SI a conclu en outre qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les activités du demandeur faisaient partie d’un plan d’activités criminelles organisées, c’est-à-dire qu’il s’était livré à des activités criminelles organisées. Par conséquent, la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).
Bien que le demandeur ait concédé qu’il était également interdit de territoire au motif que la SI a tiré une conclusion de grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, la conclusion relative à la criminalité organisée a eu de graves conséquences pour lui. En particulier, cette conclusion l’a empêché d’interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration (SAI), qui aurait pu autrement prendre en considération des motifs d’ordre humanitaire en vertu de la LIPR. Le demandeur a soutenu que, pour parvenir à sa conclusion relative à la criminalité organisée, la SI s’est appuyée de manière déraisonnable sur certaines sources d’information, notamment le contenu de rapports de police, le témoignage d’un policier qui n’a jamais été en rapport avec le demandeur auparavant et un livre de type « documentaire criminel », intitulé Bad Seeds: The True Story of Toronto’s Galloway Boys Street Gang [Bad Seeds], et écrit par Betsy Powell, journaliste au Toronto Star. Il a affirmé également que la conclusion de la SI selon laquelle les Galloway Boys sont une organisation criminelle et la conclusion selon laquelle le demandeur était membre de cette organisation étaient déraisonnables. À la suite de la conclusion de la SI tirée au titre de l’article 37, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a été rejetée. La demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR a été rejetée.
Il s’agissait de savoir 1) si la SI a commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve en comptant sur la véracité du contenu des rapports de police; en s’appuyant sur le témoignage d’un policier qui a été cité comme témoin ordinaire; en s’appuyant sur un livre de type « documentaire criminel » et sur des articles de journaux; en se fondant sur des jugements de tribunaux qui faisaient référence aux Galloway Boys; et en ne tenant pas compte, pour des motifs de crédibilité, des éléments de preuve présentés par le demandeur; 2) si la SI a commis une erreur en concluant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les Galloway Boys constituaient une organisation criminelle pendant la période concernée, et 3) si la SI a commis une erreur en concluant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre des Galloway Boys.
Jugement : la demande doit être rejetée.
Pour parvenir à ces conclusions, la SI a admis la crédibilité d’un certain nombre de sources d’information et s’est appuyée sur celles-ci. La conclusion de la SI concernant la criminalité organisée était fondée en grande partie sur des constatations relatives aux nombreuses « interactions » entre le demandeur et la police. Certaines de ces interactions ont donné lieu à des déclarations de culpabilité. Cependant, la SI s’est également appuyée sur de nombreux incidents qui n’ont pas donné lieu à des déclarations de culpabilité ni à des accusations criminelles. À cet égard, la SI s’est appuyée sur les faits décrits dans les rapports de police qui ont été déposés en preuve. Le demandeur a fait valoir que la Cour a conclu que les rapports de police ne sont pas intrinsèquement fiables quant à la véracité de leur contenu, invoquant plusieurs décisions, mais le demandeur a surévalué les conclusions de ces affaires et sous-évalué l’analyse de la SI. En l’espèce, la SI a conclu que les rapports de police étaient crédibles et dignes de confiance « lorsqu’il s’agit d’essayer de comprendre ce qui s’est produit à des endroits et à des moments particuliers ». Elle a expressément confirmé qu’elle ne s’appuyait pas sur les accusations criminelles elles-mêmes et qu’elle n’a pas simplement admis les rapports de police dans leur intégralité, sans analyse. Même si la présentation et l’analyse faite par la SI des motifs de l’admission des rapports de police auraient pu être plus détaillées sur certains points, elles n’étaient pas insuffisantes au point de les rendre déraisonnables. Par conséquent, la conclusion de la SI selon laquelle les éléments contenus dans les rapports de police étaient crédibles et dignes de foi en l’occurrence et la foi qu’elle a accordée au contenu de ces rapports étaient raisonnables.
Le rapport que l’agent de police du Service de police de Toronto (SPT) a eu la tâche de préparer sur le demandeur a été déposé devant la SI, qui s’est appuyée également sur celui-ci. Il comprenait des informations sur les Galloway Boys, des résumés de l’information contenue dans les bases de données de la police concernant le demandeur et d’autres renseignements relatifs aux indices utilisés par le SPT pour déterminer si une personne est membre d’un gang. À la fin du rapport, l’agent a conclu que le demandeur est membre des Galloway Boys. La SI s’est appuyée sur le rapport et le témoignage de l’agent, concluant qu’il était « un témoin crédible et digne de foi », et a accordé « beaucoup d’importance » à son témoignage. La SI a précisé que ses constatations concernant les Galloway Boys et le demandeur ne reposaient pas essentiellement sur les convictions ou le rapport de l’agent et qu’il s’agissait d’une infime partie de la preuve crédible. La SI n’a pas « simplement répété et adopté » le témoignage de l’agent, comme l’a soutenu le demandeur. Elle a examiné en détail la nature du rapport et son fondement; l’étendue des connaissances de l’agent concernant le secteur de Galloway, les Galloway Boys et le demandeur. La conclusion de la SI selon laquelle l’agent était crédible et digne de foi était fondée sur ses conclusions selon lesquelles son témoignage était sincère, non embelli, et sans contradictions. Par conséquent, l’appréciation des éléments de preuve par la SI n’était pas déraisonnable, et, en l’absence d’un tel caractère déraisonnable, la Cour ne devait pas les soupeser de nouveau dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
En ce qui concerne le livre Bad Seeds, la SI a estimé qu’il était une source de preuve crédible et digne de foi, lui accordant « l’importance voulue ». La SI n’a pas admis le livre Bad Seeds sans analyse, et elle a plutôt fourni des motifs pour justifier son recours aux faits exposés dans le livre. La SI s’est appuyée sur le livre pour évaluer l’existence et la nature des Galloway Boys en se fondant sur les preuves recueillies avant et pendant le procès, ainsi que sur les autres sources de l’auteur. Elle a conclu que les Galloway Boys n’avaient pas cessé d’exister simplement parce que la police avait arrêté 17 personnes qu’elle croyait être associées au groupe. Ce type d’inférence factuelle fondée sur les éléments de preuve faisait partie du mandat de la SI consistant à établir s’il existait des motifs raisonnables de croire. Il n’était pas déraisonnable pour la SI de recourir au livre Bad Seeds à cette fin.
La SI n’a pas commis d’erreur en se référant aux conclusions d’autres décisions judiciaires faisant référence aux Galloway Boys. La jurisprudence ne crée pas d’obstacle absolu pour ce qui est de se référer aux faits tels qu’ils ont été constatés dans des procédures antérieures ou de s’y appuyer. En l’espèce, il n’y a pas eu de problème quant à l’admissibilité ou à l’équité, car les décisions antérieures ont été déposées sur consentement, et le demandeur a eu l’occasion de les examiner, au besoin. Bien que les décisions antérieures n’aient pas concerné le demandeur, la nature des procédures et l’usage limité que la SI en a fait ont mené à la conclusion que son recours aux décisions était raisonnable.
En ce qui concerne les éléments de preuve présentés par le demandeur, la SI a fourni un certain nombre de motifs pour conclure qu’ils n’étaient pas crédibles sur différents points. Il s’agissait notamment d’incohérences internes, de changements dans les versions des faits, de fausses déclarations au tribunal et des déclarations intéressées du demandeur, en plus des déclarations de culpabilité. Il s’agissait de motifs raisonnables à prendre en considération pour évaluer la crédibilité. En outre, rien n’indiquait que la SI a abordé l’affaire avec un esprit fermé. Le fait qu’un témoin ne soit pas cru ne signifie pas que le décideur était fermé à son témoignage ou qu’il n’a pas reconnu sa crédibilité. En résumé, le fait que la SI se soit appuyée sur les diverses sources de preuve et qu’elle ait préféré ces éléments de preuve à ceux du demandeur était cohérent avec la jurisprudence de la Cour concernant de telles conclusions, et était raisonnable.
En concluant que les Galloway Boys sont une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, la SI a conclu que les éléments de preuve concernant les Galloway Boys seraient évalués selon une approche souple, tout en gardant à l’esprit l’interprétation libérale et sans restriction accordée à la définition d’une organisation criminelle suivant le Code criminel. Le fait que la SI s’est appuyée sur les propres activités criminelles du demandeur au moment d’évaluer l’existence des Galloway Boys n’a pas donné lieu à un raisonnement circulaire, contrairement à ce que le demandeur a fait valoir. Son raisonnement n’était donc pas déraisonnable à cet égard. Les décisions relatives à l’appartenance à une organisation criminelle pourraient bien recouper les décisions relatives à l’existence d’une organisation criminelle, étant donné que l’existence de l’organisation et ses activités sont essentiellement confirmées par les activités cumulées de ses membres. Donc, le demandeur n’a pas établi que la conclusion de la SI selon laquelle les Galloway Boys existent et constituent une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) était déraisonnable.
En ce qui concerne la conclusion de la SI selon laquelle le demandeur était membre des Galloway Boys, la SI s’est livrée à une analyse du comportement du demandeur. Elle a souligné que les activités du demandeur confirmaient qu’il était membre d’une organisation criminelle, soit les Galloway Boys. Le fait que le demandeur et les Galloway Boys se soient livrés à certaines activités ne saurait à lui seul constituer un motif raisonnable de croire que le demandeur était membre d’une organisation criminelle ou des Galloway Boys en particulier. Toutefois, compte tenu des justifications fournies par la SI et de son examen des éléments de preuve, il était raisonnable pour la SI d’envisager que l’adoption continue d’un tel comportement en association avec d’autres personnes était un facteur, parmi d’autres, laissant supposer l’appartenance à une organisation criminelle. De même, le lien supplémentaire établi par la SI entre un tel comportement et les Galloway Boys, en particulier, était raisonnable dans le contexte des motifs supplémentaires de cette conclusion cités par la SI. Cependant, la SI est allée plus loin à plusieurs endroits, soulignant que l’utilisation de surnoms était une pratique courante parmi les membres de gangs criminels, y compris les Galloway Boys, et que les agissements du demandeur, qui a nié vivre des produits de la prostitution d’une autre personne, « s’apparentai[en]t à ceux d’un membre des Galloway Boys qui a lui aussi nié être le proxénète de sa petite amie ». Cela était déraisonnable. Le fait d’établir un quelconque lien entre un individu et la criminalité organisée, soit en général, soit en tant que membre d’un gang particulier, sur la base de l’utilisation de surnoms ou de la négation d’un crime, va au-delà du raisonnement acceptable. Bien que ces comparaisons spécifiques soient déraisonnables, elles n’ont pas rendu déraisonnable la conclusion de la SI quant à l’appartenance du demandeur à une organisation criminelle. Ces observations de la SI n’étaient pas essentielles relativement à la conclusion principale selon laquelle le demandeur était membre des Galloway Boys, ni aux principaux faits auxquels elles renvoyaient. Enfin, outre la conclusion selon laquelle le demandeur était membre des Galloway Boys, la SI a également conclu que le demandeur s’était livré à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées. Cette conclusion constituait un motif d’interdiction de territoire distinct au titre de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, qui ne dépendait pas de la conclusion selon laquelle le demandeur était membre des Galloway Boys.
En conclusion, les motifs de la SI étaient complets, volumineux et détaillés. La SI a expliqué le fondement juridique et factuel de ses conclusions, ainsi que les motifs de l’admission ou du rejet des éléments de preuve. Bien que les motifs auraient pu être plus détaillés à certains égards, ils répondaient plus qu’adéquatement aux exigences de transparence, de justification et d’intelligibilité relative au caractère raisonnable.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 13.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 2 « organisation criminelle », 467.1(1).
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 5.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 33, 36, 37, 64(1),(2), 67(1)c), 173, 175.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 F.C.R. 198; Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 122, [2006] 1 R.C.F. 474, infirmant 2004 CF 349, [2004] 3 R.C.F. 301; Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607; Colombie-Britannique (Procureur général) c. Malik, 2011 CSC 18, [2011] 1 R.C.S. 657.
décisions différenciées :
Ayele c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 126; Kamtasingh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 45.
décisions examinées :
Demaria c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 489; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, 1998 CanLII 8281 (C.F. 1re inst.); Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642 (1re inst.), conf. par [2001] 2 C.F. 297 (C.A.); Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100; Veerasingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1661; Rajagopal c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 523; Younis c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 944; Moffat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 896, [2019] 4 R.C.F. 331; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2003 CF 1225, [2004] 3 R.C.F. 523; Odulate c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CanLII 49129 (C.I.S.R.); R. v. Reeves, 2009 ONCJ 99; Bruzzese c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 230, [2015] 2 R.C.F. 693; Smith c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 FC 1194, [2011] 1 R.C.F. 36; Pathmanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 885, [2010] 3 R.C.F. 440; Shahzada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1176; Badal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 311; Kovacs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1473, [2006] 2 R.C.F. 456; Pacificador c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1462; Aissa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1156; R. v. Riley (2009), 246 C.C.C. (3d) 552, 2009 CanLII 15451 (C.S. Ont.); R. v. Abbey (2011), 82 C.R. (6th) 385, 2011 ONSC 1260 (CanLII); Abdi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 950, [2018] 3 R.C.F. 328.
décisions citées :
Pascal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 752; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Pajazitaj c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 540; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 705; Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487; Muneeswarakumar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 80; Balathavarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 340; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.); Huang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 472 (QL) (C.A.); Riley c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1226; Walters v. Ontario, 2015 ONSC 4855 (CanLII); Burton c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 549; R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670; Orozco Tovar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 600; Mkrtchytan c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 921; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papiers Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458; R. v. Munoz (2006), 86 O.R. (3d) 134, 2006 CanLII 3269 (C.S.).
DOCTRINE CITÉE
« Critics say current ‘gangs’ younger, less organized », CBS News (12 septembre 2012).
« Notorious Galloway Boys street gang undergoing renewal », CBC News (11 septembre 2012).
Powell, Betsy. Bad Seeds: The True Story of Toronto’s Galloway Boys Street Gang, Mississauga, Ont. : John Wiley & Sons Canada, 2010.
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (2019 CanLII 90444), qui a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur est membre des « Galloway Boys », une organisation criminelle établie à Scarborough. Demande rejetée.
ONT COMPARU :
Daniel Kingwell pour le demandeur.
Gregory George et Daniel Engel pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Mamann, Sandaluk and Kingwell LLP, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge McHaffie :
I. Aperçu
[1] La Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’Adrian Pascal est membre des « Galloway Boys », une organisation criminelle établie à Scarborough, et que, par conséquent, il est interdit de territoire pour criminalité organisée au titre de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Bien que M. Pascal concède qu’il est également interdit de territoire au motif que la SI a tiré une conclusion de grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, la conclusion relative à la criminalité organisée a de graves conséquences pour lui. En particulier, cette conclusion l’a empêché d’interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration (SAI), qui aurait pu autrement prendre en considération des motifs d’ordre humanitaire : LIPR, paragraphes 64(1),(2) et alinéa 67(1)c).
[2] M. Pascal soutient que, pour parvenir à sa conclusion relative à la criminalité organisée, la SI s’est appuyée de manière déraisonnable sur certaines sources d’information, notamment le contenu de rapports de police, le témoignage d’un policier qui n’a jamais été en rapport avec M. Pascal auparavant et un livre de type [traduction] « documentaire criminel », intitulé Bad Seeds: The True Story of Toronto’s Galloway Boys Street Gang, et écrit par Betsy Powell, journaliste au Toronto Star (Mississauga, Ont. : John Wiley & Sons Canada, 2010) [Bad Seeds]. Il affirme également que la conclusion de la SI selon laquelle les Galloway Boys sont une organisation criminelle et la conclusion selon laquelle M. Pascal est membre de cette organisation étaient déraisonnables, car elles remettent en question un grand nombre des conclusions de fait tirées par le tribunal.
[3] Je conclus que la décision de la SI était raisonnable. Le tribunal était en droit de s’appuyer sur des sources d’information qui pourraient ne pas être des éléments de preuve admissibles dans une procédure judiciaire, à condition qu’il explique en quoi l’information est crédible ou digne de foi. C’est ce que la SI a fait, en expliquant de manière claire, compréhensible et rationnelle les raisons pour lesquelles elle a admis de l’information telle que les rapports de police, le témoignage de l’agent et les renseignements contenus dans le livre Bad Seeds. Les décisions de fait de la SI étaient également raisonnables, et ses conclusions connexes, selon lesquelles il y avait des motifs raisonnables de croire que les Galloway Boys continuaient d’être une organisation criminelle dont M. Pascal était membre, étaient justifiées par les éléments de preuve qu’elle avait jugés crédibles. Bien qu’il y ait un aspect des conclusions de fait que j’estime déraisonnable, à savoir certaines comparaisons établies par la SI entre le comportement de M. Pascal et celui des Galloway Boys, cela ne rend pas la décision déraisonnable dans son ensemble. Quoi qu’il en soit, indépendamment de la décision relative à l’appartenance, la SI a également conclu que M. Pascal s’était livré à des activités criminelles organisées, ce qui constitue un motif indépendant d’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a).
[4] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. À la suite de la conclusion de la SI tirée au titre de l’article 37, M. Pascal a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a été rejetée. La demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR de M. Pascal a été entendue en même temps que la présente demande. Les motifs distincts du rejet de la demande sont publiés simultanément sous la référence 2020 CF 752.
II. Questions en litige et norme de contrôle
[5] M. Pascal soulève les questions suivantes quant à la présente demande :
A. La SI a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve :
1) en comptant sur la véracité du contenu des rapports de police;
2) en s’appuyant sur le témoignage d’un policier qui a été cité comme témoin ordinaire;
3) en s’appuyant sur un livre de type « documentaire criminel » et sur des articles de journaux;
4) en se fondant sur des jugements de tribunaux qui faisaient référence aux Galloway Boys;
5) en ne tenant pas compte, pour des motifs de crédibilité, des éléments de preuve présentés par M. Pascal?
B. La SI a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les Galloway Boys constituaient une organisation criminelle pendant la période concernée?
C. La SI a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Pascal était membre des Galloway Boys?
[6] La première de ces questions en litige touche l’évaluation faite par la SI des éléments de preuve dont elle était saisie, la question de savoir s’il faut s’appuyer sur ceux-ci et dans quelle mesure il faut le faire, ainsi que le poids à leur accorder. Les deux dernières questions en litige remettent en doute les conclusions particulières de la SI concernant les « motifs raisonnables » qui étaient au centre de la conclusion relative à la criminalité organisée. Chacune de ces questions en litige peut être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable : Demaria c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 489, aux paragraphes 34–36. Même si la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov a été rendue après l’audition de la présente affaire, elle confirme simplement que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, aux paragraphes 16–17 et 23–25.
[7] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit évaluer si la décision est justifiée, transparente et intelligible, en centrant son attention sur la décision rendue par le tribunal plutôt que sur la conclusion à laquelle la Cour serait parvenue : Vavilov, aux paragraphes 15 et 82–87; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 338, au paragraphe 59. La cour de révision n’a pas pour rôle de tirer ses propres conclusions de fait, de substituer son appréciation de la preuve ou de l’issue appropriée ou de soupeser à nouveau les éléments de preuve. Elle doit uniquement évaluer si les conclusions et le raisonnement du tribunal sont raisonnables : Khosa, aux paragraphes 59 et 61; Pajazitaj c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 540, au paragraphe 26.
[8] Deux des contestations de M. Pascal soulèvent des questions d’équité, la foi accordée par la SI à l’ouvrage Bad Seeds ainsi que la foi accordée aux faits associés à des accusations portées en 2018. Ces questions en litige sont examinées selon une norme « d’équité » qui s’apparente à celle de la décision correcte, selon laquelle la Cour établit si la procédure a été équitable dans son ensemble : Khosa, au paragraphe 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, au paragraphe 54.
III. Analyse
A. La foi accordée aux éléments de preuve par la Section de l’immigration était raisonnable
[9] La LIPR définit trois aspects importants de la détermination de la criminalité organisée : ce qui doit être établi, la norme selon laquelle cela doit être établi, et les éléments de preuve qui peuvent l’établir. Ce qui doit être établi est énoncé à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR :
Activités de criminalité organisée
37 (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :
a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation […] ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan; [Non souligné dans l’original.]
[10] L’expression « activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction [punissable par mise en accusation] », tant dans la LIPR que dans les décisions, est abrégée ainsi : « activités criminelles organisées » : LIPR, paragraphe 37(2); Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 122, [2006] 1 R.C.F. 474 [Thanaratnam (CAF)], au paragraphe 7; Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 R.C.F. 198, au paragraphe 47. La Cour d’appel fédérale a confirmé que l’alinéa 37(1)a) énonce deux « motifs distincts qui se chevauchent » en ce qui a trait à l’interdiction de territoire. Le premier motif est « l’appartenance » à une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités criminelles organisées (c.-à-d. une organisation criminelle). Le deuxième motif renvoie à l’action de se livrer à des activités criminelles organisées, ce qui ne nécessite pas « l’appartenance » à une organisation criminelle : Thanaratnam (CAF), aux paragraphes 5–8 et 30.
[11] Bien que le terme « organisation criminelle » soit utilisé pour désigner de manière abrégée une organisation décrite à l’alinéa 37(1)a), cette expression ne figure pas dans cette disposition; la LIPR adopte la définition d’« organisation criminelle » du Code criminel seulement en ce qui a trait à d’autres dispositions de la LIPR : LIPR, paragraphe 121.1(1); Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, article 2 (« organisation criminelle »), paragraphe 467.1(1). Dans l’arrêt Sittampalam, la Cour d’appel [fédérale] a conclu que la décision de ne pas adopter la définition du Code criminel laisse entendre que la jurisprudence relative au droit pénal n’est pas directement applicable en matière d’immigration : Sittampalam, au paragraphe 40. Il convient plutôt d’appliquer une interprétation « libérale, sans restriction aucune », conformément à l’intention de la LIPR de donner la priorité à la sécurité des Canadiens : Sittampalam, aux paragraphes 36 et 55.
[12] Parallèlement, la Cour suprême du Canada a plus récemment souligné que la similitude apparente entre le concept dans l’article 37 [de la LIPR] et celui dans le Code criminel n’est « pas le fruit du hasard » et favorise une interprétation harmonieuse : B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 705, aux paragraphes 37 et 41–46; Pajazitaj, aux paragraphes 30–33. Une « organisation criminelle » au sens de l’article 37 a en commun avec la définition du Code criminel au moins le fait que « l’organisation » doit être organisée d’une certaine manière — c.-à-d. avoir une certaine forme de structure organisationnelle — mais n’a pas besoin d’être formellement organisée : Sittampalam, aux paragraphes 38, 39 et 55; Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 349, [2004] 3 R.C.F. 301, aux paragraphes 29–31, inf. pour d’autres motifs, 2005 CAF 122, [2006] 1 R.C.F. 474
[13] Être « membre » d’une organisation criminelle est également une question d’interprétation « libérale et sans restriction » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, 1998 CanLII 8281 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 52; Sittampalam, au paragraphe 35. Être membre peut inclure « l’appartenance à » une organisation et ne nécessite pas une adhésion formelle : Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487, aux paragraphes 27–32; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642 (1re inst.) [Chiau (CF)], au paragraphe 34, conf. par [2001] 2 C.F. 297 (C.A.) [Chiau (CAF)], aux paragraphes 55–57.
[14] Il incombe au ministre d’établir ces éléments : Demaria, au paragraphe 65. La norme en fonction de laquelle sont établis ces éléments est énoncée à l’article 33 de la LIPR, qui prévoit que les faits qui composent l’interdiction de territoire pour criminalité organisée comprennent les faits « appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus » (non souligné dans l’original). Cette norme des « “motifs raisonnables” » a été décrite comme établissant une norme de preuve qui exige « davantage que de vagues soupçons, mais est moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile […] Il s’agit de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » [note en bas de page omise] : Chiau (CF), au paragraphe 27, conf. par Chiau (CAF), au paragraphe 60; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 114. Dans le même ordre d’idées, la Cour suprême du Canada a déclaré que les motifs raisonnables doivent essentiellement posséder « un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » : Mugesera, au paragraphe 114.
[15] Le besoin d’information « crédible » soulève la troisième question en litige pertinente, soit la question de savoir quels éléments de preuve peuvent établir les éléments de la criminalité organisée. L’article 173 de la LIPR prévoit que la SI n’est « pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve », mais qu’elle « peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision ». Cette souplesse en matière de preuve permet à la SI d’examiner des éléments de preuve provenant de sources qui pourraient ne pas être acceptables devant un autre tribunal. Elle laisse aussi expressément à la SI le pouvoir discrétionnaire de tirer des conclusions quant à la crédibilité et à la fiabilité : c’est ce qu’« elle juge » crédible, dans les circonstances, qui compte. Néanmoins, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas « absolu ». Comme tout pouvoir discrétionnaire conféré par la loi, il doit être exercé de manière raisonnable : Demaria, au paragraphe 121.
[16] Bien qu’elle soit antérieure aux arrêts Mugesera et Sittampalam, je suis d’accord avec M. Pascal pour dire que la déclaration du juge O’Reilly, au paragraphe 21 de la décision Thanaratnam (CF), demeure une description pertinente de la norme et du seuil de preuve applicables au titre de l’article 37 :
Cependant, il y a un équilibre important à respecter. D’une part, le législateur a établi un seuil de preuve assez bas dans ce domaine et a laissé au décideur beaucoup de latitude pour recueillir toutes les preuves qu’il estime fiables, que celles-ci soient ou non normalement admissibles devant un tribunal. Manifestement, le législateur souhaitait laisser à la Commission le maximum de souplesse. En outre, il ne voulait pas imposer au ministre un seuil de preuve trop lourd. Pourtant, il faut insister sur le deuxième élément de cette équation. La norme des motifs raisonnables assure une protection contre l’arbitraire et les mesures étatiques injustifiées […] C’est un seuil important et significatif. Il exige une évaluation objective et il ne peut être respecté que lorsqu’il est appuyé par une preuve crédible. [Non souligné dans l’original.]
[17] La SI a énoncé les principes susmentionnés dans ses motifs, lesquels sont publiés sous l’intitulé Pascal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CanLII 90444 (C.I.S.R.), aux paragraphes 7–12, 15–19, 22–29 et 68–73. M. Pascal ne conteste pas l’énoncé de la loi de la SI sur ces principes généraux. Il conteste plutôt la manière dont ces derniers ont été appliqués, dans son cas particulier, aux éléments de preuve dont la SI était saisie.
[18] La SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les Galloway Boys étaient une organisation criminelle au sens de l’article 37, qu’ils continuaient d’exister et que M. Pascal était et est toujours membre des Galloway Boys : Pascal, aux paragraphes 12, 67, 90, 163, 165, 171, 182–184. Elle a également conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les activités de M. Pascal faisaient partie d’un plan d’activités criminelles organisées, c’est-à-dire qu’il s’était livré à des activités criminelles organisées : Pascal, aux paragraphes 114, 185. Par conséquent, la SI a conclu que M. Pascal était interdit de territoire au titre de l’alinéa 37(1)a).
[19] Pour parvenir à ces conclusions, la SI a admis la crédibilité d’un certain nombre de sources d’information et s’est appuyée sur celles-ci. M. Pascal soutient que la SI a commis une erreur en établissant ce qui constituait des « éléments de preuve crédible et digne de foi », même dans le cadre de l’approche plus générale de la preuve énoncée à l’article 173 de la LIPR. Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que la foi accordée par la SI à ces renseignements était raisonnable.
1) Foi accordée aux rapports de police par la Section de l’immigration
[20] La conclusion de la SI concernant la criminalité organisée était fondée en grande partie sur des constatations relatives aux nombreuses « interactions » entre M. Pascal et la police. Certaines de ces interactions ont donné lieu à des déclarations de culpabilité. Il s’agit notamment d’une condamnation pour vol commis lorsque M. Pascal était mineur, de condamnations ultérieures pour profération de menaces de mort et de la condamnation de 2014 pour agression armée qui a donné lieu à une déclaration de grande criminalité au titre de l’article 36 de la LIPR : Pascal, aux paragraphes 5, 127, 155, 158, 161 et 164. Cependant, la SI s’est également appuyée sur de nombreux incidents qui n’ont pas donné lieu à des déclarations de culpabilité ni à des accusations criminelles. À cet égard, la SI s’est appuyée sur les faits décrits dans les rapports de police qui ont été déposés en preuve.
[21] Au paragraphe 84 de ses motifs, la SI a décrit le fondement qui lui a permis de s’appuyer sur ces faits :
Je considère que les rapports de police et les documents connexes sont crédibles et dignes de foi lorsqu’il s’agit d’essayer de comprendre ce qui s’est produit à des endroits et à des moments particuliers. Les accusations criminelles elles-mêmes ne servent pas de fondement à mes conclusions. Les détails sous-jacents (c.-à-d. déclarations, observations, articles saisis) que je juge crédibles ou dignes de foi ont plutôt été pris en compte, ainsi que d’autres éléments de preuve crédibles sur lesquels je fonde mes conclusions66. [Note de bas de page dans l’original.]
[22] La note de bas de page de la SI dans le passage ci-dessus se rapporte à la décision Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607. Dans cette affaire, la juge Mactavish, alors juge à la Cour, a établi une distinction entre le fait de se fonder sur le fait qu’une personne a été accusée d’une infraction criminelle et le fait de se fonder sur la preuve qui sous-tend les accusations en question : Thuraisingam, au paragraphe 35. Elle a souligné que l’accusation « ne prouve rien », mais que la preuve sous-tendant l’accusation « peut être suffisante pour justifier qu’un avis […] soit émis de bonne foi » en ce qui concerne les allégations en question. Dans l’arrêt Sittampalam, la Cour d’appel fédérale a adopté ce raisonnement. Citant l’affaire Thuraisingam, la Cour a mentionné que des accusations ne peuvent pas être utilisées « comme seule » preuve de la criminalité, mais que « la preuve relative à des accusations qui ont été retirées ou rejetées peut être prise en considération » : Sittampalam, au paragraphe 50.
[23] M. Pascal soutient que la Cour a conclu que les rapports de police ne sont pas intrinsèquement fiables quant à la véracité de leur contenu, invoquant les décisions Veerasingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1661; Rajagopal c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 523; Younis c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 944; et Demaria. Il ajoute que le fait que la SI se soit appuyée sur les rapports de police (ou les faits qui les sous-tendent) équivalait à une [traduction] « acceptation crédule et généralisée des rapports en ce qui a trait à la véracité de leur contenu, sans analyse ».
[24] À mon avis, M. Pascal surévalue les conclusions de ces affaires et sous-évalue l’analyse de la SI. Dans chacun des cas relevés invoqués, le tribunal a effectivement appliqué l’approche décrite dans la décision Thuraisingam et l’arrêt Sittampalam. Cette approche reconnaît qu’il n’est pas possible de s’appuyer sur le simple fait d’une accusation, mais qu’il est possible de s’appuyer sur les éléments de preuve qui la sous-tendent, qui peuvent comprendre des rapports de police, si le motif en est expliqué.
[25] Dans l’affaire Veerasingam, par exemple, la juge Snider a conclu que les rapports de police en cause ne pouvaient pas être raisonnablement considérés comme une preuve fiable et crédible d’un enlèvement. Cependant, elle n’est pas parvenue à cette conclusion simplement parce que les éléments de preuve se trouvaient dans un rapport de police ou parce que le policier qui l’avait préparé n’avait pas témoigné. Elle a examiné le rapport lui-même et a constaté qu’il reposait sur l’interrogatoire d’un témoin qui était « loin d’être certain » quant à savoir si la présumée victime avait été forcée et a fourni des descriptions contradictoires : Veerasingam, au paragraphe 11. Notamment, la juge Snider a reconnu que, même dans de telles circonstances, la SAI aurait pu préférer la preuve du rapport de police à celle du demandeur, si elle avait expliqué pourquoi et si elle avait apprécié la preuve. Toutefois, aucune appréciation n’avait été effectuée : Veerasingam, au paragraphe 12.
[26] La même préoccupation était au cœur de la décision du juge Mosley dans l’affaire Rajagopal. La SAI y a admis le contenu d’un constat de police parce que le demandeur avait plaidé coupable aux accusations qui y figuraient. Étant donné que le constat de police était constitué d’allégations consignées au cours de l’enquête et non des conclusions du tribunal relatives à la déclaration de culpabilité, il était inapproprié de simplement émettre cette hypothèse : Rajagopal, aux paragraphes 40–43. Notamment, le juge Mosley a confirmé, tout comme la juge Snider, qu’il était loisible à la SAI de conclure qu’elle préférait les constats au témoignage du demandeur, mais qu’elle ne l’avait pas fait : Rajagopal, au paragraphe 43.
[27] Dans la décision Younis, le juge Russell a fait référence aux décisions Thuraisingam, Rajagopal et Veerasingam. Il a conclu que la SAI avait commis une erreur en s’appuyant sur l’accusation elle-même et en n’évaluant pas la fiabilité et la crédibilité d’un rapport préparé pour le procureur de la Couronne. Concernant le premier point, le juge Russell a estimé que la SAI avait « omis de faire la distinction nécessaire entre le fait que les accusations proposées n’étaient que de simples allégations et celui que le demandeur n’avait pas été déclaré coupable des infractions » : Younis, au paragraphe 55. Pour ce qui est du deuxième point, il a estimé que la décision de la SAI ne comportait « aucune analyse au sujet de la fiabilité et de la crédibilité » du rapport, ce qui laisse entendre que la SAI « ne s’est pas penchée » sur la question : Younis, au paragraphe 56.
[28] Les conclusions du juge Russell dans la décision Younis sont similaires à celles qu’il a tirées dix ans plus tard dans la décision Demaria. Dans cette affaire, la conclusion de la SI relative à la criminalité organisée était liée aux « convictions personnelles des trois policiers qui ont présenté des rapports et des témoignages » et ne fournissait « aucune analyse véritable de la fiabilité des éléments de preuve produits pour étayer » ces convictions : Demaria, au paragraphe 149. Le juge Russell a également fait part de ses préoccupations quant au fait que la SI s’était simplement appuyée sur les conclusions des policiers plutôt que d’évaluer des faits précis qui témoignent de l’appartenance à une organisation criminelle : Demaria, au paragraphe 128.
[29] L’important dans chacune de ces affaires est donc que le décideur évalue le contenu d’un rapport de police et arrive à la conclusion que ce dernier est « crédible ou digne de foi », plutôt que de ne pas se pencher sur la question ou d’émettre une simple hypothèse à cet effet. Si une telle évaluation est faite, la Cour et la Cour d’appel [fédérale] ont reconnu qu’il peut être raisonnable de s’appuyer sur des rapports de police, même lorsque les faits qui y sont décrits ne sont pas corroborés distinctement par des témoignages de policiers ou de témoins : Sittampalam, aux paragraphes 52–53; Veerasingam, au paragraphe 12; Rajagopal, au paragraphe 43; voir également Muneeswarakumar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 80, aux paragraphes 20–26.
[30] En l’espèce, la SI a conclu que les rapports de police étaient crédibles et dignes de confiance « lorsqu’il s’agit d’essayer de comprendre ce qui s’est produit à des endroits et à des moments particuliers ». Elle a expressément confirmé qu’elle ne s’appuyait pas sur les accusations criminelles elles-mêmes, ce qui s’accorde avec l’arrêt Sittampalam. Je ne suis pas d’accord avec M. Pascal pour dire que la SI a simplement admis les rapports de police dans leur intégralité, sans analyse. Au contraire, elle a déclaré qu’elle s’appuyait uniquement sur « [l]es détails sous-jacents (c.-à-d. déclarations, observations, articles saisis) qu[’elle] juge crédibles ou dignes de foi » (non souligné dans l’original), qui ont été pris en compte, ainsi que d’autres éléments de preuve crédibles : Pascal, au paragraphe 84. À mon sens, cela signifie que seules les sections des rapports de police qui ont été jugées crédibles ou dignes de foi ont été admises, ce qui est étayé par la référence ultérieure de la SI à son évaluation des « éléments de preuve sous-jacents qu[’elle] juge crédibles ou dignes de foi » : Pascal, au paragraphe 91. Ailleurs, la SI a fait précisément référence à l’information contenue dans ces rapports et aux motifs pour lesquels elle a été jugée crédible et digne de confiance : Pascal, aux paragraphes 100 et 140–141. Elle a également fait référence aux éléments de preuve présentés par M. Pascal concernant les incidents décrits dans les rapports, souligné les points de divergence et expliqué les raisons pour lesquelles ils n’ont pas été admis : Pascal, aux paragraphes 102–108, 116, 118–128, 130–141 et 151–154.
[31] Les décisions Veerasingam, Rajagopal, Younis et Demaria décrivent toutes des circonstances dans lesquelles il n’y a effectivement eu aucun examen ni aucune analyse de la crédibilité ou de la fiabilité des rapports de police. Outre ces décisions, la jurisprudence ne traite guère de la quantité d’analyse nécessaire pour justifier l’acceptation de rapports de police comme étant « crédibles ou dignes de foi ». Au paragraphe 53 de l’arrêt Sittampalam, la Cour d’appel [fédérale] a fait les observations suivantes sans discuter de manière significative de l’étendue de l’analyse faite par la SI :
À cet égard, je constate que la Commission a considéré que la preuve provenant des sources de la police était crédible et digne de foi dans les circonstances de l’espèce, ce qu’elle pouvait parfaitement faire dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire. La Commission se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité de la preuve qui lui est présentée dans le cadre d’une audience portant sur l’admissibilité; les conclusions relatives à la crédibilité doivent faire l’objet d’une grande déférence dans le cadre d’un contrôle judiciaire et elles ne peuvent être infirmées que si elles sont abusives ou arbitraires ou ont été tirées sans qu’il soit tenu compte de la preuve [...] [Non souligné dans l’original; renvoi omis.]
Au paragraphes 12 et 13 de l’arrêt Balathavarajan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 340, la conclusion de la Cour d’appel [fédérale] portant sur le même libellé de l’article 175 de la LIPR a un effet similaire.
[32] Conformément au libellé de l’article 173, « l’occurrence » de l’affaire est pertinente pour décider s’il est raisonnable de conclure que les éléments de preuve sont crédibles ou dignes de foi. Cependant, à moins que le décideur se soit penché sur la question de savoir si les éléments de preuve sont [traduction] « crédibles et dignes de foi en toute occurrence » et qu’il ait rendu sur ce point une décision raisonnable et fondée sur les éléments de preuve — c’est-à-dire une décision qui répond aux exigences en matière de justification, de transparence et d’intelligibilité — la Cour ne devrait pas intervenir.
[33] Il est à noter que, alors que M. Pascal affirme que ses éléments de preuve contredisaient les rapports de police, cela se présentait généralement sous la forme d’explications des faits énoncés plutôt que d’affirmations selon lesquelles les déclarations n’étaient pas consignées correctement dans les rapports ou que les faits énoncés ne s’étaient pas produits. Dans certains cas, les éléments de preuve fournis par M. Pascal confirmaient en grande partie le contenu des rapports de police. Par exemple, les rapports de police portant sur un incident qui a eu lieu lors d’une fête à Aurora le 1er juillet 2016 indiquaient que des personnes s’étaient fait tirer dessus, que des témoins avaient observé M. Pascal et d’autres personnes monter dans une Porsche blanche, que le véhicule avait été arrêté après une poursuite dangereuse, que M. Pascal et quatre autres personnes avaient été appréhendés, que des douilles avaient été vues dans le véhicule et que divers éléments de preuve avaient été saisis, notamment d’importantes sommes d’argent. Durant son témoignage, M. Pascal a confirmé que des coups de feu ont été tirés, qu’il est monté dans une Porsche blanche et qu’ils [traduction] « sont partis sur l’autoroute, ont essayé de s’enfuir », mais qu’ils ont été appréhendés. Bien qu’il ait également affirmé dans son témoignage que c’était la première fois qu’il voyait les autres dans la voiture et qu’il y était monté parce qu’il ne trouvait pas son oncle avec lequel il était arrivé, rien ne contredisait les faits tels qu’ils étaient exposés dans les rapports de police. M. Pascal n’a pas non plus mentionné qu’il y avait quoi que ce soit d’incorrect dans les rapports de police.
[34] Même si la présentation et l’analyse faite par la SI des motifs de l’admission des rapports de police auraient pu être plus détaillées sur certains points, j’estime qu’elles n’étaient pas insuffisantes au point de les rendre déraisonnables. Par conséquent, j’estime que la conclusion de la SI selon laquelle les éléments contenus dans les rapports de police étaient crédibles et dignes de foi en l’occurrence et la foi qu’elle a accordée au contenu de ces rapports étaient raisonnables.
[35] M. Pascal présente deux autres observations concernant le traitement des rapports de police par la SI. Il fait valoir que la SI [traduction] « ne s’est pas préoccupée du jugement rendu relativement aux accusations » et que cela était déraisonnable, car le fait que les accusations n’aient pas donné lieu à des déclarations de culpabilité est pertinent. À mon avis, ce n’est pas une interprétation juste de la décision de la SI. Le passage que souligne M. Pascal est le début d’une longue discussion sur l’« [i]nteraction policière et [les] indices d’appartenance à un gang », dans laquelle la SI examine les éléments de preuve relatifs aux interactions de M. Pascal avec la police afin d’établir s’il était membre d’une organisation criminelle : Pascal, au paragraphe 89. La SI a déclaré ce qui suit :
Dans mon évaluation de la preuve des interactions de M. Pascal avec la police, je n’ai pas mis l’accent sur les accusations criminelles portées ni sur les décisions des tribunaux. La police et les tribunaux ont leurs propres critères, règles de preuve et normes juridiques pour en arriver à leurs conclusions. Ils diffèrent de la façon dont la Section de l’immigration évalue les éléments de preuve suivant l’alinéa 37(1)a) de la Loi. [Non souligné dans l’original.]
[36] À mon avis, cette déclaration est tout à fait conforme à l’approche relative aux éléments de preuve et à l’information sous-tendant les accusations criminelles, qui est décrite notamment dans l’arrêt Sittampalam. La décision de ne pas avoir « mis l’accent » sur les accusations particulières portées ou les jugements connexes n’équivaut pas à un manque d’intérêt ou au fait de ne pas reconnaître que les accusations n’ont pas donné lieu à des déclarations de culpabilité. En effet, la SI a fait référence au règlement, au retrait ou au sursis des accusations à plusieurs reprises et n’a pas formulé d’hypothèses erronées selon lesquelles M. Pascal aurait été déclaré coupable. Au contraire, la SI a évalué les faits sous-jacents pour établir s’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Pascal était membre d’une organisation criminelle. La Cour d’appel [fédérale] a confirmé que ce motif est raisonnable : Sittampalam, au paragraphe 50.
[37] M. Pascal conteste également l’affirmation de la SI selon laquelle elle a considéré un rapport de police relatif à un incident d’attaque au couteau survenu à London en 2006 comme « crédible et digne de foi, car [elle] n’[avait] aucune preuve crédible [lui] permettant de penser le contraire » : Pascal, au paragraphe 140. Il soutient que cela revient à conclure que les rapports eux-mêmes ont établi le fardeau de la preuve à réfuter. Je pense que cet argument reprend une phrase hors contexte dans le but de lui attribuer une interprétation déraisonnable. La déclaration a été faite dans le cadre d’un examen détaillé de l’incident de 2006, qui comprenait des références au propre témoignage de M. Pascal, aux incohérences dans ses éléments de preuve et aux déclarations qui auraient été faites à la police de London. La SI a estimé que le témoignage de M. Pascal n’était ni crédible ni digne de foi compte tenu des incohérences et a préféré les éléments de preuve exposés dans le rapport de police; le tribunal a également noté que rien « n’indiqu[ait] que la police de London percevait ces trois hommes différemment des autres habitants de la ville ». En d’autres termes, la SI n’a pas conclu que le rapport de police était crédible simplement parce qu’il n’y avait aucune preuve crédible du contraire. Elle a examiné les éléments de preuve et a expliqué pourquoi elle préférait ceux du rapport de police à ceux de M. Pascal. C’est précisément le type d’analyse qui est décrit comme étant raisonnable dans les décisions Veerasingam et Rajagopal.
2) Éléments de preuve fournis par l’agent Petersen
[38] Le seul témoin appelé par le ministre devant la SI était un agent de police du Service de police de Toronto (SPT), Kris Petersen. L’Unité des gangs de rue et des armes à feu du SPT a confié à l’agent Petersen la tâche de préparer un rapport sur M. Pascal, qui est décrit à la fois comme une déclaration préalable à son témoignage et comme un [traduction] « rapport d’expert intéressé ». Ce rapport, déposé devant la SI et sur lequel celle-ci s’appuie, comprend des informations sur les Galloway Boys, des résumés de l’information contenue dans les bases de données de la police concernant M. Pascal et d’autres renseignements relatifs aux indices utilisés par le SPT pour déterminer si une personne est membre d’un gang. À la fin du rapport, l’agent Petersen conclut que M. Pascal est membre des Galloway Boys (ou Galloway Boyz).
[39] L’agent Petersen n’avait pas qualité de témoin expert. Il a témoigné en tant que témoin ordinaire concernant le contenu de son rapport, ainsi que les indices utilisés par la police pour évaluer l’appartenance à un gang et ses conclusions.
[40] La SI s’est appuyée sur le rapport et le témoignage de l’agent Petersen; le tribunal a conclu qu’il était « un témoin crédible et digne de foi » et accordé « beaucoup d’importance » à son témoignage : Pascal, au paragraphe 74. La SI a précisé que ses constatations concernant les Galloway Boys et M. Pascal « ne repos[ai]ent pas essentiellement sur les convictions ou le rapport de l’agent Petersen » et qu’il « s’agit d’une infime partie de la preuve crédible » : Pascal, au paragraphe 83. M. Pascal remet en question cette interprétation; il a souligné les nombreuses références au témoignage de l’agent Petersen pour soutenir que la SI [traduction] « s’est fortement appuyée » sur son témoignage. Bien que je ne pense pas que cela ait une incidence sur l’issue de l’affaire, j’estime qu’une évaluation juste se situe entre ces deux descriptions. Il est évident que la SI s’appuie fréquemment sur le témoignage de l’agent Petersen et y fait référence dans ses motifs. De façon générale, les références aux éléments de preuve dans la décision de la SI renvoient en grande partie au rapport de l’agent Petersen (partie de la pièce AH-1) et à son témoignage; au livre Bad Seeds (pièce AH-24); aux rapports de police (pièces AH-3, AH-8, AH-15 et AH-17); à des articles de presse; et au témoignage de M. Pascal.
[41] M. Pascal fait valoir qu’il existe un certain nombre de motifs qui permettent de mettre en doute la fiabilité de l’agent Petersen, en répétant essentiellement les observations qu’il a présentées à la SI sur ces questions. À mon avis, aucune de ces questions ne rend déraisonnable la foi que la SI accorde aux éléments de preuve de l’agent Petersen. Elles reviennent plutôt à ce que M. Pascal demande à la Cour de substituer son appréciation de la crédibilité à celle de la SI, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
[42] Tel que mentionné, l’agent Petersen n’a pas été appelé à témoigner en qualité d’expert. Selon M. Pascal, cela signifie que la SI devait fournir des [traduction] « motifs détaillés » pour admettre son témoignage ordinaire. M. Pascal n’a avancé aucun argument pour justifier la proposition selon laquelle la SI devait fournir une évaluation plus détaillée ou plus approfondie du témoignage d’un agent de police que celle des déclarations de tout autre témoin, à l’exception du récent examen par le juge Annis des dangers d’une utilisation abusive de la preuve d’expert dans le contexte d’un rapport psychologique d’expert : Moffat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 896, [2019] 4 R.C.F. 331, aux paragraphes 26–28.
[43] Quoi qu’il en soit, la SI n’a pas [traduction] « simplement répété et adopté » le témoignage de l’agent Petersen, comme le soutient M. Pascal. Elle a examiné en détail la nature du rapport et son fondement; l’étendue des connaissances de l’agent Petersen concernant le secteur de Galloway, les Galloway Boys et M. Pascal ou l’absence de telles connaissances; ainsi que les critiques du témoignage formulées par M. Pascal. La conclusion de la SI selon laquelle l’agent Petersen était crédible et digne de foi était fondée sur ses conclusions selon lesquelles son témoignage était sincère, non embelli, sans contradictions, inchangé lors du contre-interrogatoire, impartial, direct, neutre et professionnel : Pascal, aux paragraphes 74–82. La SI a également souligné que l’agent Petersen avait déjà publié des rapports qui ne permettaient pas de conclure à une appartenance à un gang et a affirmé que son manque d’interactions personnelles avec M. Pascal augmentait son objectivité et sa neutralité. Il est difficile de voir comment cela peut être décrit comme une incapacité à évaluer la crédibilité, la fiabilité ou le témoignage de l’agent Petersen ou comme un tribunal « acceptant aveuglément » son évaluation : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2003 CF 1225, [2004] 3 R.C.F. 523, aux paragraphes 105–107.
[44] La référence de M. Pascal au rejet des éléments de preuve provenant de la police dans les décisions Demaria, Thanabalasingham et Odulate c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2017 CanLII 49129 (C.I.S.R.) est peu utile. Dans la première affaire, le juge Russell a conclu que le fait que la SI se soit appuyée sur les témoignages des agents de police était déraisonnable, compte tenu de la nature des éléments de preuves et de la façon dont la SI s’est appuyée sur eux. Dans les deux autres affaires, la SI a décidé de ne pas admettre les éléments de preuves provenant des agents de police en se fondant sur son évaluation de ceux-ci. Aucune de ces décisions ne peut ni ne doit prédéterminer l’issue de l’évaluation par la SI des éléments de preuve fournis par l’agent Petersen dans le cas qui nous occupe, pas plus que le rejet d’éléments de preuve dans d’autres affaires ne rend leur admission déraisonnable en l’espèce. Il en est ainsi même si ces éléments de preuve ont en commun certaines des qualités ou des restrictions citées par d’autres décideurs.
[45] Je n’admets pas non plus l’argument de M. Pascal selon lequel la SI a effectivement accepté les problèmes quant aux éléments de preuve provenant de l’agent Petersen en faisant référence au rapport de ce dernier, même si la SI ne s’est pas fondée sur ces aspects des éléments de preuve. M. Pascal cite, par exemple, une préoccupation concernant le cadre analytique de l’appartenance à un gang utilisé par l’agent Petersen, ainsi que le recours à trois des indices utilisés par la police dans cette évaluation. M. Pascal fait remarquer que l’expert appelé à l’audience a critiqué ce cadre et souligne les lacunes prétendues dans l’analyse de l’agent Petersen fondée sur ce cadre.
[46] Toutefois, la SI n’a pas adopté l’analyse de l’agent Petersen sur ces points. Au contraire, elle a déclaré que les critères de la police étaient crédibles, mais qu’elle prendrait une décision indépendante sur la question de savoir si les interactions de M. Pascal avec la police et ses associations personnelles correspondaient à l’interprétation de « l’appartenance » au sens de l’alinéa 37(1)a) énoncée par la Cour : Pascal, au paragraphe 87. La SI a également fait expressément référence au rapport d’expert déposé par M. Pascal et reconnu qu’il n’existe pas de définition normalisée d’un gang ni de liste exhaustive des critères d’appartenance à un gang : Pascal, aux paragraphes 79 et 85. Alors que M. Pascal critique l’agent Petersen pour s’être appuyé sur une fiche écrite par un agent de police comme « preuve matérielle », la SI ne s’est pas appuyée sur ce fait; au contraire, elle a déclaré qu’« [a]ucun indice physique rattaché aux Galloway Boys […] n’a été trouvé en la possession de M. Pascal » : Pascal, au paragraphe 169. Le rôle de la Cour est d’examiner le caractère raisonnable de la décision de la SI, et non pas le caractère raisonnable des aspects des éléments de preuve fournis par l’agent Petersen, sur lesquels la SI ne s’est pas appuyée. Je ne pense pas non plus qu’il incombait à la SI de faire référence à ces questions au moment d’évaluer les éléments de preuve présentés par l’agent Petersen. La SI n’était pas tenue de faire référence à chaque élément de preuve ou à chaque argument soulevé par M. Pascal : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.)), [[1999] 1 C.F. F-53 (fiche analytique)] au paragraphe 16.
[47] De même, je n’ai pas l’intention d’aborder chacun des arguments soulevés par M. Pascal en critique du témoignage de l’agent Petersen; je soulignerai seulement que, à mon avis, ils ne démontrent pas, individuellement ou cumulativement, que l’agent Petersen était [traduction] « manifestement peu fiable » ou qu’il était déraisonnable pour la SI de se fonder sur son témoignage. Toutefois, j’aborderai deux autres arguments sur lesquels M. Pascal insiste particulièrement.
[48] Premièrement, M. Pascal soulève ce qu’il dit être une préoccupation fondamentale, à savoir que l’agent Petersen ne le connaissait pas, ni professionnellement ni personnellement. Il n’était partie à aucune de ses interactions avec la police, n’avait préparé aucun des rapports de police et ne l’avait jamais rencontré. Je suis d’accord avec M. Pascal pour dire que cela signifie que les éléments de preuve présentés par l’agent Petersen concernant les actes de M. Pascal étaient nécessairement dérivés. Ils étaient plutôt fondés sur son examen de rapports qui avaient été soit également déposés à la SI, soit, dans certains cas, examinés par lui indépendamment. De plus, l’agent Petersen a précisé que ses renseignements concernant les Galloway Boys découlaient de sa propre expérience et d’autres sources, notamment l’expérience d’autres agents, des rapports de renseignement et des informations tirées d’écoutes électroniques.
[49] Je conviens que l’absence d’expérience personnelle avec M. Pascal est un élément qui pourrait et devrait être pris en compte par la SI dans son évaluation des éléments de preuve fournis par l’agent et de leur fiabilité. La SI l’a fait, en soulignant que, à son avis, cela ne compromettait pas la fiabilité, la crédibilité ou la véracité des éléments de preuve présentés par l’agent Petersen et que, en fait, cela favorisait l’objectivité de ce dernier : Pascal, au paragraphe 81. Ce type d’évaluation est à la discrétion de la SI et était raisonnable. Il n’est pas nécessaire qu’un policier ait participé directement à une ou plusieurs arrestations d’un individu pour que ses éléments de preuve soient admis et pris en considération dans une procédure d’immigration. Une telle exigence contreviendrait à l’article 173 de la LIPR ainsi qu’à la reconnaissance par la Cour d’appel fédérale du fait que les « éléments de preuve crédibles ou dignes de foi » peuvent parfois être « faibles » et inclure des éléments de preuve provenant d’informateurs de police non divulgués ou même de doubles ouï-dire : Balathavarajan, au paragraphe 12; Huang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 472 (QL) (C.A.).
[50] Deuxièmement, M. Pascal souligne la décision de la Cour de justice de l’Ontario intitulée R. v. Reeves (2009 ONCJ 99). Dans cette affaire criminelle, la Cour a conclu que le témoignage de l’agent Petersen était [traduction] « erroné, exagéré, incohérent ou manifestement contradictoire » par rapport à d’autres éléments de preuve fiables et a exprimé de [traduction] « graves préoccupations » quant à sa crédibilité. La Cour a observé que l’agent Petersen avait procédé à une perquisition illégale et qu’il [traduction] « était prêt à dissimuler sa conduite illégale en omettant des renseignements cruciaux dans ses notes et son témoignage » : Reeves, aux paragraphes 55–58 et 81. Il s’agit de conclusions graves qui peuvent permettre de soutenir que la crédibilité et la fiabilité des éléments de preuve de l’agent Petersen dans d’autres affaires sont minées. M. Pascal a présenté cette observation, laquelle a été examinée, mais elle n’a pas été admise par la SI. Le tribunal a estimé que les conclusions de la Cour, dans le contexte de 17 années de services policiers et de témoignages devant les tribunaux, n’ont pas eu une incidence défavorable quant à la crédibilité et à la fiabilité du rapport de l’agent Petersen et de son témoignage : Pascal, au paragraphe 82. Il n’appartient pas à la Cour de réévaluer cette décision relative à la crédibilité en fonction de la façon dont elle pourrait évaluer les conclusions antérieures, ni de substituer sa propre évaluation de la crédibilité de l’agent Petersen.
[51] En outre, j’estime que les conclusions de la SI sur cette question n’ont pas montré une incohérence déraisonnable quant à son approche relativement aux conclusions en matière de crédibilité. M. Pascal soutient que la SI était prête à faire fi des conclusions sérieuses de la décision Reeves tout en jugeant M. Pascal non crédible sur le fondement de [traduction] « préoccupations mineures », notamment les fausses déclarations faites au tribunal lors d’une audience de détermination de la peine et son non-respect des ordonnances d’engagement. Encore une fois, j’estime que cette critique ne permet pas d’interférer avec l’évaluation de la SI en ce qui concerne la crédibilité. Les décisions relatives à la crédibilité dépendent nécessairement du contexte, et une tentative de comparaison des motifs invoqués pour les différentes évaluations de la crédibilité risque de les priver de ce contexte. En l’espèce, outre les motifs liés aux fausses déclarations et aux violations des ordonnances du tribunal, la SI a formulé d’autres conclusions relatives à la crédibilité du témoignage de M. Pascal, notamment en ce qui concerne son affirmation selon laquelle il n’avait pas vu ses amis à une fête à Aurora avant de quitter la fête, les raisons qu’il a données pour justifier le fait qu’il possédait et utilisait un gilet pare-balles, son témoignage incohérent au sujet de l’agression au couteau à London et son témoignage intéressé concernant une présumée agression de sa petite amie en 2010 : Pascal, aux paragraphes 104–106, 120–124, 130–135 et 154. Compte tenu des éléments de preuve, la SI était en droit de tirer ces conclusions. Le fait qu’elle ait tiré ces conclusions tout en reconnaissant la crédibilité de l’agent Petersen en dépit des déclarations faites dans l’affaire Reeves ne rend pas sa décision déraisonnable.
[52] Finalement, M. Pascal concède que le témoignage de l’agent Petersen était admissible. Il soutient qu’il n’aurait pas dû être pris en compte ou qu’il n’aurait pas dû avoir autant de poids, compte tenu des préoccupations quant à son expérience et à ses antécédents. L’appréciation des éléments de preuve par la SI n’était pas déraisonnable, et, en l’absence d’un tel caractère déraisonnable, la Cour ne les soupèsera pas de nouveau dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
3) Foi accordée au livre Bad Seeds
[53] Bad Seeds est un livre portant sur l’arrestation et la condamnation de trois hommes pour meurtre et tentative de meurtre en 2004. L’une de ces condamnations a été cassée en appel, mais celles des deux autres hommes, Tyshan Riley et Philip Atkins, étaient toujours en vigueur au moment de l’audience devant la SI. Bad Seeds prend la forme d’un [traduction] « documentaire criminel » et a été écrit par Betsy Powell, journaliste du Toronto Star. Le livre traite des détails de l’arrestation et du procès, mais il aborde également, de manière plus générale, le contexte des gangs de Toronto et les Galloway Boys en particulier. M. Riley a été accusé d’être le chef des Galloway Boys, et M. Atkins, d’être un membre important du gang. M. Riley et M. Atkins ont été reconnus coupables de meurtre, de tentative de meurtre et d’infraction au profit d’une organisation criminelle.
[54] La SI a estimé que Bad Seeds était une source de preuve crédible et digne de foi, lui accordant « l’importance voulue » : Pascal, aux paragraphes 31–32. La SI a eu recours au livre Bad Seeds de manière assez importante, le citant a environ 38 reprises dans des notes de bas de page à l’appui de diverses conclusions de faits. Comme le fait remarquer M. Pascal, ces renvois concernent à la fois la nature et l’existence des « Galloway Boys » et les conclusions selon lesquelles la conduite de M. Pascal était parallèle à celle des membres décrite dans le livre.
[55] M. Pascal critique le fait que la SI se soit appuyée sur le livre Bad Seeds pour des motifs similaires à ceux évoqués à propos des rapports de police; il fait valoir qu’il a été admis dans son intégralité, sans analyse. Il soutient que la Cour a critiqué l’admission d’articles de presse sans explication : Thuraisingam, au paragraphe 39; Demaria, aux paragraphes 143–145.
[56] La Cour a reconnu que la SI peut se fonder sur des articles de presse dans des cas appropriés, même s’ils ne sont pas admissibles dans une procédure judiciaire : Bruzzese c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 230, [2015] 2 R.C.F. 693 aux paragraphes 57–58. Au paragraphe 57 de la décision Bruzzese, le juge de Montigny, alors juge à la Cour, a reconnu les préoccupations liées aux articles de presse et à leur admissibilité dans les procédures d’immigration :
Il est bien sûr vrai que des articles de presse ne peuvent pas être considérés devant une cour de justice comme la preuve de faits précis au sujet d’incidents précis, que l’auteur d’un article ne peut pas être contre‑interrogé et que les nouvelles sont parfois inexactes, peu fiables et fondées sur le ouï‑dire. Cependant, l’article du Toronto Star repose sur une recherche fouillée et il cite les autorités italiennes et des décisions judiciaires italiennes. Le demandeur n’a pas jugé bon de réfuter les renseignements qui y sont rapportés et il n’a pas non plus souligné d’erreurs factuelles, sauf de façon indirecte. Le journaliste qui a rédigé l’article a communiqué avec le demandeur pour l’interroger et ce dernier a refusé de participer à une entrevue. Dans ces circonstances, les commissaires de la SI pouvaient valablement utiliser cet article pour tirer une conclusion d’association à une organisation criminelle. [Non souligné dans l’original.]
[57] Le juge Russell a cité le passage précédent dans l’affaire Demaria, concluant que « [l]e poids qui peut être accordé aux articles de journaux dépend largement du contexte et des indices généraux de fiabilité » : Demaria, aux paragraphes 142–143. Dans la décision, il a conclu que la SI n’avait pas abordé les indices de fiabilité sur lesquels elle s’appuyait et, après avoir examiné les articles, que ceux-ci ne fournissaient aucun fondement factuel à l’appui de motifs raisonnables de croire : Demaria, aux paragraphes 114 et 144–145.
Bien que Bad Seeds appartienne au genre du roman, l’information est de la même qualité que celle présentée dans les articles de journaux et les documents d’instance criminelle présentés en preuve. L’auteur est un journaliste chevronné dans le domaine criminel qui a couvert l’enquête préliminaire et le procès pour meurtre de Tyshan Riley, Phillip Atkins et [la troisième personne]. L’auteur a passé en revue des centaines d’heures de témoignages, allant des écoutes électroniques aux entrevues policières réalisées auprès des suspects et de témoins. Le livre est rempli de citations et d’information recueillie auprès de chercheurs, de personnalités influentes, de policiers, du tribunal pénal et de membres des Galloway Boys eux-mêmes. J’estime que ce livre respecte les normes journalistiques pour ce qui est de la vérification des sources, du souci des détails et de l’exactitude des citations. Le livre présente l’histoire des gangs de rue de Toronto ainsi qu’un aperçu d’un groupe particulier de gens du sud-est de Scarborough. [Non souligné dans l’original; renvoi omis.]
[59] En examinant les renseignements contenus dans le livre, la SI a mentionné des indices supplémentaires de crédibilité. En se référant à la déposition d’un témoin au procès de M. Riley et de M. Atkins, la SI a observé que celui-ci avait été jugé comme un témoin crédible lors de l’audience préliminaire et qu’il avait entretenu des liens étroits avec l’accusé : Pascal, au paragraphe 45. La SI s’est référée aux éléments de preuve présentés au procès de cette personne, comme ils ont été rapportés dans le livre Bad Seeds à plusieurs reprises : Pascal, aux paragraphes 34, 36, 42, 45 et 162.
[60] À mon avis, il s’agit de motifs raisonnables pour évaluer la crédibilité et la fiabilité du livre en tant que source d’information et pour justifier la décision qu’a rendue la SI en dehors des circonstances décrites dans la décision Demaria. Il convient également de souligner que, comme dans la décision Bruzzese, M. Pascal ne soulève aucun élément de preuve contredisant les aspects du livre Bad Seeds sur lesquels la SI s’est appuyée.
[61] M. Pascal soutient également que le livre Bad Seeds est d’une pertinence limitée puisqu’il ne traite que d’événements concernant les Galloway Boys et de leur existence jusqu’en 2004, moment où M. Riley, M. Atkins et bien d’autres personnes reconnues comme membres des Galloway Boys ont été appréhendés. Bien que cela soit en grande partie vrai, cela correspond à l’utilisation que la SI a faite du livre. Le tribunal s’est appuyé sur le livre pour évaluer l’existence et la nature des Galloway Boys en se fondant sur les preuves recueillies avant et pendant le procès, ainsi que sur les autres sources de l’auteur. Il a également examiné les conséquences des arrestations et les éléments de preuve relatifs à la période postérieure à 2004, en renvoyant à des éléments de preuve qui citaient à la fois des personnes qui croyaient que le gang continuait d’exister et d’autres qui pensaient que les activités criminelles ultérieures étaient davantage individualisées que liées au gang. La SI a tiré la conclusion suivante : « Je ne crois pas que les Galloway Boys ont cessé d’exister simplement parce que la police a arrêté 17 personnes qu’elle croyait être associées au groupe » [note de bas de page omise] : Pascal, aux paragraphes 59–62. Ce type d’inférence factuelle fondée sur les éléments de preuve fait partie du mandat de la SI consistant à établir s’il existe des motifs raisonnables de croire. Je ne pense pas qu’il soit déraisonnable pour la SI de recourir au livre Bad Seeds à cette fin.
[62] M. Pascal soutient également qu’il était injuste que la SI s’appuie de manière importante sur le livre Bad Seeds, étant donné la manière dont il a été présenté en preuve. Le ministre a initialement dévoilé des extraits du livre dans le cadre de sa communication initiale déposée le premier jour de l’audience. En réponse, M. Pascal a déposé d’autres extraits du livre dans le cadre de sa communication, également déposée le premier jour de l’audience. À la fin de l’audience, le ministre a déposé l’intégralité du livre, sans objection de la part de M. Pascal, et a fait référence à un certain nombre de passages de celui-ci en plaidoirie finale. Dans ses conclusions écrites, M. Pascal a fait remarquer qu’il n’avait pas eu l’occasion de répondre quant à un aspect du livre, à savoir la signification de comportements tels que le fait d’envelopper des noms dans un légume dans un réfrigérateur (auxquels la SI n’a pas fait référence). Toutefois, il n’a soulevé aucun argument concernant l’équité de l’admission du livre en preuve. Ayant consenti à son admission en preuve, M. Pascal ne peut pas faire valoir qu’il était injuste pour la SI de s’appuyer sur le livre dans une plus large mesure que ce à quoi il s’attendait. La SI n’a pas été limitée dans sa capacité à se fonder sur les parties des éléments de preuve qu’elle a jugées fiables ou dignes de foi. Bien que l’étendue de la foi accordée par la SI à ces éléments de preuve ait pu surprendre M. Pascal, cela ne la rend pas injuste dans les circonstances.
[63] Enfin, comme pour ses arguments au sujet du livre Bad Seeds, M. Pascal critique le fait que la SI s’est appuyée sur d’autres articles de presse; il a affirmé à nouveau que le tribunal n’a fourni aucune analyse des motifs pour lesquels elle a jugé les articles dignes de foi. Je ne peux pas admettre cet argument. Les motifs pour lesquels la SI s’est appuyée sur les articles de presse sont certainement moins manifestes qu’en ce qui concerne le livre Bad Seeds. En effet, la référence à la qualité de l’information dans les articles de presse qui se trouve dans le passage au sujet du livre Bad Seeds reproduit au paragraphe 58 ci-dessus est le seul endroit où la fiabilité des articles est directement abordée. Toutefois, cela est probablement attribuable au fait que les deux parties ont déposé un certain nombre d’articles de presse devant de la SI, et M. Pascal n’a pas soutenu que les articles de presse déposés par lui ou par le ministre ne devraient pas être invoqués. Au contraire, M. Pascal a avancé des arguments faisant référence au contenu des articles et s’appuyant sur celui-ci. En effet, les articles cités par la SI dans ses motifs comprenaient ceux déposés par M. Pascal. Il en résulte que M. Pascal fait maintenant valoir, du moins en partie, qu’il était déraisonnable pour la SI de se fonder sur des éléments de preuve qu’il a lui-même présentés et dont il a fait valoir qu’ils devaient être pris en compte. Dans ces circonstances, je ne peux pas conclure que l’évaluation limitée de la SI quant à la fiabilité des articles de presse était déraisonnable.
4) Jugements faisant référence aux Galloway Boys
[64] M. Pascal critique le fait que la SI s’appuie sur d’autres jugements de tribunaux faisant référence aux Galloway Boys; il soutient que c’est une erreur d’adopter les conclusions de fait d’autres tribunaux et que ceux-ci n’ont pas conclu que les Galloway Boys étaient une organisation criminelle. M. Pascal fait référence aux décisions de la Cour qui mettent en garde contre le fait de soulever des conclusions de fait d’autres cours ou tribunaux : Smith c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1194, [2011] 1 R.C.F. 36, au paragraphe 61; Pathmanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 885, [2010] 3 R.C.F. 440, au paragraphe 43; Shahzada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1176, au paragraphe 6.
[65] Je ne suis pas convaincu que la SI a commis une erreur en se référant aux conclusions d’autres décisions judiciaires. La jurisprudence ne crée pas d’obstacle absolu pour ce qui est de se référer aux faits tels qu’ils ont été constatés dans des procédures antérieures ou de s’y appuyer. Je souligne que les décisions Smith, Pathmanathan et Shahzada concernaient des éléments de preuve relatifs à la « situation du pays » dans le cadre de demandes d’asile, et en particulier des questions en litige telles que la protection de l’État et le risque de persécution : Smith, aux paragraphes 54–61; Pathmanathan, aux paragraphes 35–43; Shahzada, aux paragraphes 5–6. Comme le juge de Montigny l’a mentionné dans la décision Smith, « [i]l a été conclu à maintes reprises qu’on ne peut pas trancher de manière définitive la question de l’existence ou de l’absence de la protection de l’État dans un pays en particulier sur le fondement de conclusions antérieures portant sur la protection de l’État (ou sur l’absence de cette protection) tirées dans une affaire donnée » : Smith, au paragraphe 61. Toutefois, même dans ce contexte, la Cour a souligné qu’un tribunal peut, dans une certaine mesure, s’appuyer sur l’enquête d’un autre tribunal, mais que ce doit être fait de manière « “restreinte, réfléchie et justifiée” » : Shahzada, au paragraphe 6, citant Badal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 311, au paragraphe 25.
[66] La conclusion selon laquelle un événement particulier s’est produit un jour donné ou une organisation existe est d’une nature différente de la conclusion selon laquelle, par exemple, la protection de l’État est offerte dans un pays donné. Bien qu’elles soient toujours pertinentes, les mises en garde formulées dans les décisions Smith, Pathmanathan, Shahzada et Badal peuvent ne pas être aussi directement applicables dans le cadre de conclusions de fait précises citées dans d’autres décisions.
[67] Le ministre a évoqué d’autres affaires dans lesquelles la Cour a estimé que les décisions d’autres tribunaux concernant les mêmes personnes peuvent constituer une « preuve utile et importante » qui doivent être prises en considération, même si elles n’ont pas force exécutoire : Kovacs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1473, [2006] 2 R.C.F. 456, aux paragraphes 9–10; Pacificador c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1462, au paragraphe 83; voir également Aissa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1156, au paragraphe 73. Ces décisions comportent des conclusions formulées dans des décisions antérieures de cours de justice ou de tribunaux concernant les demandeurs eux-mêmes et, par conséquent, ne sont pas non plus directement comparables à la situation actuelle.
[68] Une décision antérieure concernant la même partie était également en cause dans l’arrêt Malik, dans le cadre duquel la Cour suprême du Canada s’est penchée sur le recours à des décisions antérieures de manière plus générale : Colombie-Britannique (Procureur général) c. Malik, 2011 CSC 18, [2011] 1 R.C.S. 657. Après avoir examiné les principes d’efficacité et d’équité des litiges, le juge Binnie, au nom de la Cour suprême, a conclu que la question de savoir si une décision antérieure est admissible n’est pas une question de « règles […] rigides », mais qu’elle dépendra des fins pour lesquelles elle est présentée et de l’utilisation que l’on entend faire de ses conclusions : Malik, aux paragraphes 37 et 44–46. Le poids qu’il faut attribuer à ces conclusions « “dépendr[a] des circonstances de chaque cas” », en tenant compte de questions telles que l’identité des participants, la similitude des questions en litige, la nature des procédures antérieures et à la possibilité donnée à la partie lésée de contester la décision : Malik, aux paragraphes 47–48.
[69] À mon avis, les facteurs énoncés dans l’arrêt Malik fournissent un cadre utile pour l’examen du recours par la SI à des décisions antérieures. La préoccupation quant à l’efficacité des litiges, l’évitement de « règles rigides » et la prise en considération des « circonstances de l’affaire » font écho aux principes énoncés à l’article 173 de la LIPR. L’identité des participants, la similitude des questions et la nature des procédures antérieures sont toutes pertinentes pour établir si les renseignements sont crédibles et dignes de foi. Et dans le contexte du droit administratif, la pertinence d’une possibilité d’examiner les conclusions antérieures est une question d’équité procédurale, préoccupation soulevée tant dans la décision Smith (paragraphes 57–60) que dans la décision Pathmanathan (paragraphes 37–41).
[70] En l’espèce, il n’y a pas eu de problème quant à l’admissibilité ou à l’équité, car les décisions antérieures ont été déposées sur consentement, et M. Pascal a eu l’occasion de les examiner, au besoin. À mon avis, bien que les décisions antérieures n’aient pas concerné M. Pascal, la nature des procédures et l’usage limité que la SI en a fait mènent à la conclusion que son recours aux décisions était raisonnable.
[71] Je suis d’accord avec le ministre pour dire que M. Pascal exagère en affirmant que la SI [traduction] « s’est largement appuyée sur les conclusions tirées dans d’autres décisions de tribunaux ». La SI a inclus une section de deux paragraphes intitulée « Conclusions de la Cour concernant les Galloway Boys » en conclusion d’une longue analyse des éléments de preuve portant sur la question de savoir si les Galloway Boys existent en tant qu’organisation criminelle : Pascal, aux paragraphes 65–66. Dans ces paragraphes, la SI a fait référence aux condamnations de Tyshan Riley et de Philip Atkins, en 2009, pour meurtre, tentative de meurtre et commission d’une infraction au profit d’une organisation criminelle, à savoir les Galloway Boys; et au plaidoyer de culpabilité de la petite amie d’un des hommes pour conspiration visant à intimider un témoin au profit d’une organisation criminelle. La SI a également fait référence aux déclarations du juge Dambrot — qui a présidé le procès à l’issue duquel M. Riley et M. Atkins ont été déclarés coupables — dans le cadre d’une requête préliminaire visant à exclure des éléments de preuve : R. v. Riley (2009), 246 C.C.C. (3d) 552, 2009 CanLII 15451 (C.S. Ont.). Dans cette affaire, le juge Dambrot a fait référence à des éléments de preuve relatifs à une tentative de vol à Pickering, en 2004, qui a eu lieu après l’arrestation de M. Riley et de M. Atkins, comme étant des [traduction] « éléments de preuve solides » à l’appui de l’accusation de criminalité organisée : Riley, aux paragraphes 161–162.
[72] Même si les jugements de la Cour supérieure de l’Ontario sur ces condamnations ne figuraient pas au dossier, des renseignements confirmant leur existence figuraient dans le livre Bad Seeds, ainsi que dans la décision de la Cour intitulée Riley c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1226, au paragraphe 5. À mon avis, la condamnation de M. Riley et de M. Atkins, y compris leur condamnation pour criminalité organisée à titre de membres des Galloway Boys, est pertinente quant à la question de l’existence des Galloway Boys. Il serait contraire à l’intention des articles 33 et 173 de la LIPR d’exiger effectivement un nouveau procès pour cette affaire criminelle avant qu’elle puisse être considérée comme faisant partie intégrante de la preuve concernant l’existence des Galloway Boys. Rien n’indique que la SI se soit appuyée sur les condamnations ou les renseignements concernant le vol comme preuve concluante de l’existence des Galloway Boys en tant qu’organisation criminelle. Je suis d’accord avec le ministre pour dire qu’il s’agit là de renseignements pertinents dans les circonstances et qu’il était raisonnable que la SI les prenne en considération.
[73] De même, je considère que la référence de la SI à la décision R. v. Abbey (2011), 82 C.R. (6th) 386, 2011 ONSC 1260, comme une affaire dans laquelle la Cour a accepté (sur le fondement d’un exposé conjoint des faits et dans le cadre d’une décision en matière de preuve) le fait que les « Galloway Boys sont un gang de rue criminel du Sud-est de Scarborough » [note de bas de page omise] n’est pas déraisonnable : Pascal, au paragraphe 66. Même si M. Pascal a raison de dire que la question en litige dans l’affaire Abbey n’était pas celle de savoir si les Galloway Boys étaient une organisation criminelle, la SI n’a pas laissé entendre que c’était le cas. Il s’agissait simplement d’un indice parmi d’autres de l’existence de l’organisation. Bien que les références aux Galloway Boys dans d’autres affaires (telles que Walters v. Ontario, 2015 ONSC 4855 (CanLII), ou Burton c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 549) puissent avoir moins de valeur, j’estime que le fait de les mentionner dans une note de bas de page ne rend pas déraisonnable la conclusion selon laquelle les tribunaux ont admis l’existence des Galloway Boys en tant que gang, ni la décision de la SI dans son ensemble.
[74] M. Pascal mentionne d’autres références à des décisions judiciaires dans la décision de la SI. Cependant, elles sont peu nombreuses, et j’estime qu’aucune d’entre elles n’est déraisonnable ou significative. Par exemple, M. Pascal se plaint de la note de bas de page de la SI renvoyant aux éléments de preuve de la police dans l’affaire Abbey comme l’une des trois références citées pour l’affirmation selon laquelle la « liste des critères n’est […] pas exhaustive » [note de bas de page omise] dans le cas de l’appartenance à un gang : Abbey, au paragraphe 33; Pascal, au paragraphe 85. Il semble que le but de la référence est simplement de montrer l’approche du SPT par rapport aux critères. Quoi qu’il en soit, la conclusion selon laquelle la liste des critères n’est pas exhaustive semble correspondre au témoignage de l’expert de M. Pascal, qui a souligné que [traduction] « divers critères » ont été utilisés et qu’aucun accord sur les critères n’a été établi.
5) Éléments de preuve présentés par M. Pascal
[75] M. Pascal oppose le traitement des sources de preuve précédentes au traitement de ses propres éléments de preuve qui, selon lui, ont été [traduction] « catégoriquement rejetés », sauf lorsqu’ils servaient les conclusions de la SI. Il affirme également qu’il était déraisonnable et injuste de la part de la SI de ne pas le considérer comme un témoin fiable sur le fondement de son casier judiciaire et du fait qu’il avait précédemment enfreint des conditions d’ordre juridique. Je ne souscris pas à cette affirmation.
[76] Il peut être raisonnable, dans des circonstances appropriées, de prendre en considération les déclarations de culpabilité antérieures dans le cadre d’une décision relative à la crédibilité. Ces considérations sont valables dans le contexte pénal (R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670, aux paragraphes 15 et 22–25) ainsi que dans le contexte de l’immigration (Orozco Tovar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 600, au paragraphe 39). Comme il a été mentionné plus haut, la SI a fourni un certain nombre de motifs pour conclure que les éléments de preuve de M. Pascal n’étaient pas crédibles sur différents points. Il s’agissait notamment d’incohérences internes, de changements dans les versions des faits, de fausses déclarations au tribunal et de ses déclarations intéressées, en plus des déclarations de culpabilité. Ce sont des motifs raisonnables à prendre en considération pour évaluer la crédibilité.
[77] Quoi qu’il en soit, contrairement aux arguments de M. Pascal, la SI n’a pas simplement fait référence au manquement antérieur à la caution par M. Pascal comme une indication générale de manque de crédibilité. Elle a soulevé la question en examinant les éléments de preuve relatifs aux événements survenus lors d’une fête à Aurora le 1er juillet 2016. Après une fusillade lors de la fête, M. Pascal a été arrêté dans une voiture avec d’autres personnes, dont un ami que M. Pascal devait éviter selon les conditions assorties à son engagement. M. Pascal a affirmé qu’il était venu à la fête avec son oncle (sa caution) et qu’il ne savait pas que l’ami était à la fête jusqu’à ce qu’il le voie dans la voiture. La SI a rejeté cette histoire, estimant que ce n’était pas une coïncidence s’ils s’étaient trouvés à la même fête : Pascal, aux paragraphes 102–104. La SI a également souligné que le fait d’avoir quitté sa caution et d’avoir manqué à son engagement correspondait à sa conduite antérieure et que ces antécédents diminuaient sa fiabilité : Pascal, au paragraphe 106. Il est raisonnable de se référer au manquement à l’engagement antérieur et de le considérer comme un obstacle à la crédibilité dans de telles circonstances.
[78] Contrairement à ce qu’affirme M. Pascal, rien n’indique que la SI a abordé l’affaire avec un esprit fermé. Le fait qu’un témoin ne soit pas cru ne signifie pas que le décideur était fermé à son témoignage ou qu’il n’a pas reconnu sa crédibilité. À cet égard, cette affaire n’est en rien similaire à celles citées par M. Pascal, soit Ayele c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 126 et Kamtasingh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 45. Dans ces décisions, la Cour a estimé qu’il était injuste d’empêcher ou de décourager un demandeur de présenter des éléments de preuve corroborants, puis de prendre une décision défavorable en matière de crédibilité. Rien de tel ne s’est produit en l’espèce.
[79] En résumé, je conclus que le fait que la SI se soit appuyée sur les diverses sources de preuve et qu’elle ait préféré ces éléments de preuve à ceux de M. Pascal est cohérent avec la jurisprudence de la Cour concernant de telles conclusions, et qu’elle a agi de manière raisonnable.
B. La conclusion de la Section de l’immigration concernant l’organisation criminelle était raisonnable
[80] La SI a conclu que les Galloway Boys sont une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR : Pascal, au paragraphe 67. Elle a énoncé la législation pertinente concernant la portée de l’alinéa et a conclu que « les éléments de preuve concernant les Galloway Boys seront évalués selon une approche souple, tout en gardant à l’esprit l’interprétation libérale et sans restriction accordée à la définition d’une organisation criminelle suivant le Code [criminel] » : Pascal, aux paragraphes 23–30. Comme il a été mentionné plus haut, M. Pascal ne conteste pas la déclaration de la SI concernant le droit applicable. Il conteste plutôt les conclusions de fait tirées par la SI qui l’ont amenée à établir que les Galloway Boys sont une organisation criminelle.
[81] La SI a structuré ses motifs sur la question en six volets : le territoire des Galloway Boys; leur structure; leurs activités criminelles et lucratives; leurs dirigeants et leurs symboles; leur existence depuis l’époque de Tyshan Riley; et enfin, les conclusions du tribunal concernant les Galloway Boys, dont il est question aux paragraphes 64 à 74 ci-dessus. M. Pascal conteste les conclusions de fait tirées par la SI dans chacun de ces volets, soulevant au moins 17 conclusions distinctes de la SI. Ces conclusions sont notamment que les Galloway Boys ont un territoire établi, que leur structure comprend des sous-groupes associés, que le trafic de drogues est lucratif, que des membres des Galloway Boys ont été accusés d’infractions criminelles en 2013, que les Galloway Boys ont eu des indices d’appartenance, qu’ils continuent d’exister et que les tribunaux ont conclu qu’ils étaient une organisation criminelle.
[82] À mon avis, la contestation de M. Pascal qui a le plus de poids est celle du fait que la SI s’est appuyée sur ses propres activités criminelles au moment d’évaluer l’existence des Galloway Boys : Pascal, aux paragraphes 49, 51 et 54. Selon M. Pascal, il s’agit d’un raisonnement circulaire, car il suppose que lui-même est membre des Galloway Boys dans le but d’attribuer ses actes aux Galloway Boys et de confirmer ainsi leur existence. Même si je reconnais qu’il s’agit là d’un problème potentiel, je conclus que le raisonnement de la SI n’est ni circulaire ni déraisonnable. Les décisions relatives à l’appartenance à une organisation criminelle pourraient bien recouper les décisions relatives à l’existence d’une organisation criminelle, étant donné que l’existence de l’organisation et ses activités sont essentiellement confirmées par les activités cumulées de ses membres. Les conclusions ne sont donc pas nécessairement distinctes. Il est vrai que les activités continues de M. Pascal ne constituent une preuve de l’existence des Galloway Boys que s’il est membre de ce groupe. Toutefois, cela n’exclut pas la possibilité que ces activités démontrent effectivement l’existence continue de l’organisation si la conclusion peut être raisonnablement tirée de la preuve selon laquelle il les a exercées en tant que membre de l’organisation.
[83] Si la seule preuve de l’existence des Galloway Boys était les activités de M. Pascal, ou si la seule preuve de son appartenance à l’organisation était sa participation à ces mêmes activités, cela pourrait créer une circularité déraisonnable puisque chaque conclusion est uniquement fondée sur l’autre. Je suis d’accord avec le ministre pour dire que, dans l’ensemble, les motifs de la SI s’appuient sur divers autres éléments de preuve et facteurs pour établir à la fois l’existence continue des Galloway Boys (y compris les incidents violents survenus après l’arrestation de M. Riley et de M. Atkins et les déclarations de la police concernant les luttes continues pour prendre la tête du gang) et l’appartenance de M. Pascal à ce gang (y compris la nature et le moment de son vol en 2004, ses antécédents et ses associations criminelles, ainsi que le lieu de plusieurs des incidents auxquels il était mêlé). Dans ce contexte, je conclus que l’examen par la SI des agissements de M. Pascal, comme étant à l’appui d’une décision combinée selon laquelle les Galloway Boys existent et M. Pascal en est membre, n’est pas déraisonnable.
[84] Les autres contestations de M. Pascal concernant les conclusions de la SI sur l’existence des Galloway Boys sont moins convaincantes. Nombre d’entre elles sont fondées sur le fait que la SI s’est appuyée sur des éléments de preuve provenant de l’agent Petersen, le livre Bad Seeds et des rapports de police concernant des incidents qui n’ont pas donné lieu à des déclarations de culpabilité ou des jugements de tribunaux. Pour les motifs exposés ci-dessus concernant ces sources de preuve, ces arguments ne sont pas admis.
[85] Certaines des contestations de M. Pascal sont fondées sur les renseignements contenus dans le livre Bad Seeds ou sur le fait que les décisions de justice sont [traduction] « désuètes », en ce sens qu’elles datent d’avant les interactions ultérieures de M. Pascal avec la police. Hormis le vol commis en 2004 pour lequel M. Pascal a été déclaré coupable en tant que jeune contrevenant et qui s’est produit avant l’arrestation de M. Riley, M. Atkins et d’autres personnes, les diverses interactions sur lesquelles la SI s’est appuyée datent effectivement d’après la plupart des faits décrits dans le livre Bad Seeds. Toutefois, le raisonnement de la SI, qui a pris en considération l’existence et les caractéristiques des Galloway Boys à l’époque de Tyshan Riley (au moment où les activités de M. Pascal ont commencé), puis évalué si l’organisation a continué à exister après les arrestations, était raisonnable. De même, il était raisonnable d’utiliser les renseignements disponibles à l’époque pour évaluer la nature de l’organisation à ce moment-là, avant de déterminer si elle existait toujours.
[86] Dans certains cas, M. Pascal cherche à miner l’élément de preuve particulier sur lequel la SI s’est appuyée. Par exemple, sur la question de la structure organisationnelle des Galloway Boys, il souligne que l’agent Petersen n’a pas été en mesure d’expliquer [traduction] « l’évolution » et l’histoire du territoire des Galloway Boys, ni de définir clairement la structure de l’organisation. Cela revient à demander à la Cour de réévaluer les éléments de preuve afin d’accorder plus d’importance aux faiblesses ou aux limites du témoignage de l’agent Petersen que la SI était prête à accorder. Là encore, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
[87] Les conclusions de la SI quant à la structure de l’organisation ont notamment été formulées dans le contexte des décisions où est interprété l’alinéa 37(1)a). Dans celles-ci, il est souligné que les organisations criminelles n’ont habituellement pas de structures définies, mais qu’elles sont « peu structurées », de sorte qu’il faut « faire preuve de souplesse » pour les évaluer : Sittampalam, au paragraphe 39. L’incapacité de l’agent Petersen à définir clairement la structure du groupe (ou, comme l’a fait valoir M. Pascal dans ses observations présentées devant la SI, auxquelles il a fait référence à la Cour, à fournir un [traduction] « organigramme ») ne rend pas déraisonnable la conclusion selon laquelle les Galloway Boys étaient [traduction] « organisés ». Comme pour les critiques de M. Pascal concernant l’incapacité de l’agent Petersen à fournir des renseignements sur « l’évolution » ou l’origine des limites du territoire des Galloway Boys, les arguments de M. Pascal semblent supposer que les attributs d’une organisation criminelle doivent être définis avec précision, soit pour qu’un témoin puisse raisonnablement parler d’eux, soit pour que la SI ait des motifs raisonnables de croire que le groupe est une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a). Ni l’un ni l’autre n’est correct.
[88] Dans certains cas, les arguments de M. Pascal sont tout simplement superflus. Par exemple, il conteste l’affirmation de la SI selon laquelle « [l]e trafic de drogues est un commerce lucratif, comme en fait foi les quelque 5 800 $ saisis dans l’incident d’Aurora et la capacité de M. Pascal de s’offrir des chaussures Balenciaga » [note de bas de page omise] : Pascal, au paragraphe 49. Il affirme que la SI a commis une erreur en faisant cette déclaration, non seulement parce qu’elle s’est appuyée sur des rapports de police (ce qui est abordé plus haut dans le cadre d’une question plus large), mais aussi parce qu’il n’y avait aucune preuve de la valeur des chaussures. Outre la question de savoir si la SI peut se fier à sa connaissance du coût de certaines chaussures, le fait qu’elle ait mentionné en passant la valeur d’une gamme de chaussures, dans le contexte d’une déclaration concernant le trafic de drogues en tant qu’activité lucrative ne rend pas la conclusion déraisonnable et, à plus forte raison, n’affecte pas le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.
[89] Dans d’autres cas, les arguments de M. Pascal ne tiennent pas compte des éléments de preuve et des motifs de la SI. Par exemple, M. Pascal critique la conclusion de la SI selon laquelle le nom des Galloway Boys vient de la police et a ensuite été adopté par ses membres : Pascal, au paragraphe 36. Il affirme que la SI a [traduction] « ignoré de manière sélective » les éléments de preuve provenant de la même source et laissant entendre que les Galloway Boys ont cessé d’exister après l’arrestation de M. Riley et de M. Atkins. La SI a fait cette découverte concernant le nom des Galloway Boys en se fondant sur un article de la CBC [« Notorious Galloway Boys street gang undergoing renewal »], daté du 11 septembre 2012, qui cite Anthony Hutchinson, désigné comme un « expert des gangs certifié par la cour ». En fait, M. Pascal avait l’intention au départ d’appeler M. Hutchinson à témoigner à titre d’expert des gangs de rue de Toronto, mais il ne l’a finalement pas fait. Contrairement à l’argument de M. Pascal, M. Hutchinson ne laisse pas entendre dans le même article que les Galloway Boys avaient cessé d’exister. En réalité, l’article cite M. Hutchinson, selon qui [traduction] « il est probable qu’il y aura des groupes concurrents qui se disputeront le contrôle de l’organisation ». Cela laisse entendre que l’organisation existe toujours, et non qu’elle a cessé d’exister. M. Pascal a déposé un autre article de la CBC [« Critics say current ‘gangs’ younger, less organized »] publié le lendemain, qui cite M. Hutchinson disant que les actes de violence commis en 2012 n’étaient pas attribuables à une nouvelle rivalité entre gangs, mais ils faisaient partie de quelque chose de « beaucoup plus désorganisé, plus insensé ». La SI a cité et pris en compte les propos de M. Hutchinson dans ce deuxième article au moment d’évaluer l’existence continue des Galloway Boys : Pascal, au paragraphe 63. L’évaluation de ces points de vue contradictoires concernant l’existence continue des Galloway Boys et les conclusions à tirer des éléments de preuve sont du ressort de la SI. L’évaluation de ces questions par la SI et son recours aux différentes sources de preuve est expliquée et logique et ne montre aucun signe que des déclarations contraires ont été ignorées de manière sélective.
[90] M. Pascal conteste également la référence ultérieure de la SI à un « expert des gangs certifié par la cour » qui a parlé de la participation des Galloway Boys à des activités criminelles : Pascal, au paragraphe 53. M. Pascal affirme que la SI faisait référence à l’agent Petersen, qui n’avait pas qualité d’expert, au motif que la note de bas de page du paragraphe renvoyait au rapport de l’agent Petersen. Cependant, la même note de bas de page renvoie également à l’article de la CBC du 11 septembre 2012 mentionné ci-dessus, qui décrit M. Hutchinson comme un « expert des gangs certifié par la cour ». Bien que je sois d’accord avec M. Pascal sur le fait que ne pas nommer M. Hutchinson rend plus difficile l’évaluation de la référence, en particulier dans une note de bas de page avec de multiples citations d’éléments de preuve, je ne peux pas conclure que la SI faisait référence à l’agent Petersen ou lui attribuait de manière déraisonnable le titre d’expert.
[91] Je conclus donc que M. Pascal n’a pas établi que la conclusion de la SI selon laquelle les Galloway Boys existent et constituent une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) était déraisonnable.
C. La conclusion de la Section de l’immigration quant à l’adhésion était raisonnable
[92] La SI a conclu que M. Pascal était membre des Galloway Boys en se fondant sur une « décision indépendante quant à savoir si les éléments de preuve crédibles qui sous-tendent les interactions de M. Pascal avec la police et celles concernant ses associations personnelles correspondent à l’interprétation au sens large et sans réserve de l’appartenance établie par la Cour fédérale » : Pascal, au paragraphe 87. M. Pascal prétend que ce n’est pas vrai, puisque la SI s’est appuyée aveuglément sur les éléments de preuve fournis par l’agent Petersen. Il conteste également plus de 40 autres déclarations et conclusions de la SI, affirmant qu’elles sont contraires aux éléments de preuve, fondées sur des éléments qui n’auraient pas dû être pris en compte ou hypothétiques.
[93] Je le répète, la plupart des contestations de M. Pascal concernant ces conclusions sont fondées sur le fait que la SI s’appuie sur les éléments de preuve provenant de l’agent Petersen, le livre Bad Seeds ou le contenu des rapports de police. D’autres arguments sont fondés sur la conclusion de la SI selon laquelle M. Pascal n’était pas crédible et son rejet des versions des faits. Chacun de ces arguments est traité dans la discussion ci-dessus concernant ces sources de preuve.
[94] Parmi les autres arguments, il y en a un qui montre que la SI s’est livrée à une analyse déraisonnable. À plusieurs endroits, la SI a établi des liens entre M. Pascal et les Galloway Boys en soulignant que ses actions étaient conformes à celles attribuées aux Galloway Boys ou typiques de celles-ci : Pascal, aux paragraphes 49–51, 142, 146, 152 et 157. Bien que les similitudes de comportement criminel ne permettent pas à elles seules d’établir un lien, je reconnais qu’il peut être pertinent, dans le cadre de l’évaluation globale, de souligner que le comportement d’une personne correspond à celui qui est associé aux organisations criminelles en général ou à l’organisation criminelle en particulier. Toutefois, de telles comparaisons ont des limites. Plus le comportement décrit est généralisé ou commun, moins il peut être considéré comme un indicateur d’association.
[95] La SI a souligné que les activités de M. Pascal — qui se livrait au trafic de drogues, vivait des produits de la prostitution d’une autre personne et possédait des armes à feu — correspondaient à celles des Galloway Boys et confirmaient qu’il était membre d’une organisation criminelle, soit les Galloway Boys : Pascal, aux paragraphes 49–51, 146 et 157. Le trafic de drogue, le fait de vivre des produits de la prostitution d’une autre personne et la possession d’armes à feu ne sont évidemment pas l’apanage des organisations criminelles ou des Galloway Boys. Par conséquent, je reconnais que le fait que M. Pascal et les Galloway Boys se soient livrés à ces activités ne saurait à lui seul constituer un motif raisonnable de croire que M. Pascal était membre d’une organisation criminelle ou des Galloway Boys en particulier : Mkrtchytan c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 921, aux paragraphes 16–19. Toutefois, compte tenu des justifications fournies par la SI et de son examen des éléments de preuve, j’estime qu’il était raisonnable pour la SI d’envisager que l’adoption continue d’un tel comportement en association avec d’autres personnes était un facteur, parmi autres, laissant supposer l’appartenance à une organisation criminelle. De même, je reconnais que le lien supplémentaire établi par la SI entre un tel comportement et les Galloway Boys en particulier — en d’autres termes, que l’organisation criminelle en question était les Galloway Boys — était raisonnable dans le contexte des motifs supplémentaires de cette conclusion cités par la SI.
[96] Cependant, la SI est allée plus loin à plusieurs endroits, soulignant que l’utilisation de surnoms était une pratique courante parmi les membres de gangs criminels, y compris les Galloway Boys, et que les agissements de M. Pascal, qui a nié vivre des produits de la prostitution d’une autre personne, « s’apparentent à ceux d’un membre des Galloway Boys qui a lui aussi nié être le proxénète de sa petite amie » [note de bas de page omise] : Pascal, aux paragraphes 142 et 152. À mon avis, cela est déraisonnable. Le fait d’établir un quelconque lien entre un individu et la criminalité organisée, soit en général, soit en tant que membre d’un gang particulier, sur la base de l’utilisation de surnoms ou de la négation d’un crime, va au-delà du raisonnement acceptable.
[97] Bien que ces comparaisons spécifiques soient déraisonnables, je ne pense pas qu’elles rendent déraisonnable la conclusion de la SI quant à l’appartenance de M. Pascal à une organisation criminelle. Ces observations de la SI n’étaient pas essentielles relativement à la conclusion principale selon laquelle M. Pascal était membre des Galloway Boys, ni aux principaux faits auxquels elles renvoyaient, à savoir les circonstances entourant la participation de M. Pascal à l’agression au couteau à London dans la première affaire, et la question de savoir si M. Pascal vivait des produits de la prostitution d’une autre personne, dans la deuxième. Contrairement à la situation dans l’affaire Demaria, je conclus qu’il est possible d’établir, et même d’éclaircir dans ces circonstances, le fait que la SI serait parvenue à la même conclusion avec ou sans ces comparaisons relativement mineures : Demaria, aux paragraphes 146–148; voir également Abdi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 950, [2018] 3 R.C.F. 328, au paragraphe 40. Inversement, le fait d’invalider la décision de la SI sur le fondement de cette erreur mineure reviendrait à se lancer dans « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur », ce contre quoi la Cour suprême a mis en garde : Vavilov, au paragraphe 102, citant Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, au paragraphe 54.
[98] Les autres motifs invoqués par M. Pascal ne montrent pas que la SI a été déraisonnable. Encore une fois, je ne propose pas d’aborder toutes les allégations selon lesquelles la SI a commis une erreur en arrivant à une conclusion de fait. Toutefois, je vais aborder quatre autres arguments soulevés par M. Pascal.
[99] Premièrement, M. Pascal critique la SI pour avoir relevé 15 incidents qui ont établi de façon cumulative son appartenance aux Galloway Boys, mais ensuite examiné en détail que six de ces incidents : Pascal, au paragraphe 90. Je suis d’accord avec M. Pascal pour dire que cette déclaration de la SI donne l’impression que les neuf incidents restants n’ont pas été analysés. Cependant, lorsque les motifs sont considérés dans leur ensemble, il apparaît que les incidents restants sont mentionnés dans d’autres sections de la décision d’une manière qui montre la façon dont ils sont liés aux conclusions de la SI. Par exemple, le vol dans une épicerie de quartier commis en 2004, pour lequel M. Pascal a été déclaré coupable, ne figure pas parmi les six incidents examinés en détail, mais son incidence quant à la participation de M. Pascal aux activités des Galloway Boys est examiné dans plusieurs autres sections de la décision : Pascal, aux paragraphes 127, 158, 161, 164 et 182. Même si je reconnais que la SI aurait pu être plus claire ou plus détaillée quant à la manière dont certains incidents ont été invoqués ou considérés comme pertinents, notamment l’incident de 2006 au cours duquel M. Pascal a été reconnu comme ayant demandé de l’argent en pointant une arme à feu, je ne crois pas que le manque de détails ou d’analyse concernant de tels incidents rende la conclusion de la SI déraisonnable dans le contexte de l’ensemble de ses motifs.
[100] Deuxièmement, M. Pascal affirme que la SI s’est appuyée de manière déraisonnable sur la simple existence d’interactions avec la police et a pris ces interactions pour de la criminalité. Il soutient, en se référant à la décision du juge Southcott dans la décision Abdi, que les interactions avec la police ne constituent pas une preuve de criminalité, organisée ou autre : Abdi, aux paragraphes 38–40. Toutefois, contrairement à la situation dans la décision Abdi, la SI ne s’est pas simplement appuyée sur un nombre total d’accusations ou d’incidents pour parvenir à sa conclusion, en l’espèce. Elle a plutôt fait référence aux faits qui sous-tendent les différents incidents comme étant des éléments de preuve pertinents permettant de conclure à l’appartenance à une organisation criminelle. Comme l’a reconnu le juge Southcott dans la décision Abdi, il ne faut pas simplement compter les interactions, et, dans l’arrêt Sittampalam, il a été reconnu qu’une telle prise en considération était appropriée : Abdi, aux paragraphes 36–38; Sittampalam, au paragraphe 50. En particulier, si M. Pascal laisse entendre que ses nombreuses interactions avec la police sont tout aussi compatibles avec le fait d’avoir grandi dans une collectivité marginalisée et d’être le « “suspect habituel” », cela ne tient pas compte de la nature de ces interactions, qui comprennent notamment l’identification spécifique de M. Pascal non seulement comme ayant été arrêté ou appréhendé, mais comme ayant pris part directement à des activités précises constituant un comportement criminel : Pascal, aux paragraphes 166–167.
[101] Troisièmement, M. Pascal soutient que la SI s’est livrée à des suppositions en tirant des conclusions sur certains événements en se fondant sur les faits exposés dans les rapports de police. En particulier, il fait valoir que les conclusions de la SI selon lesquelles deux événements survenus en 2015 et en 2016 sont révélateurs d’activité organisée visant le trafic de drogues ne sont que des suppositions qui dépassent les faits exposés dans les rapports. Le ministre, d’autre part, laisse entendre que la SI a simplement fait des déductions raisonnables à partir des éléments de preuve. Le ministre a souligné que la Cour d’appel fédérale a confirmé des inférences similaires selon lesquelles les événements étaient « lié[s] aux gangs » et fait remarquer que le fait que d’autres inférences puissent être tirées ne les rend pas déraisonnables : Thanaratnam (CAF), aux paragraphes 19 et 34–36.
[102] La ligne entre le fait de tirer des conclusions justifiables fondées sur des éléments de preuve et le fait de se livrer à des suppositions peut être notoirement difficile à tracer : R. v. Munoz (2006), 86 O.R. (3d) 134, 2006 CanLII 3269 (C.S.), aux paragraphes 23–31. En l’espèce, je suis convaincu que la SI n’a pas dépassé les limites de l’inférence raisonnable en matière de suppositions. Le libellé du paragraphe 37 de l’arrêt Thanaratnam (CAF) semble applicable :
Il est possible, bien sûr, comme son avocate l’a affirmé, que M. Thanaratnam se soit simplement « tenu » avec des membres du groupe VVT et qu’il ait été tout simplement assez malchanceux de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Néanmoins, je le répète, le fait qu’il puisse exister une explication plus anodine ne rend pas la conclusion opposée manifestement déraisonnable, particulièrement lorsque l’on tient compte du nombre élevé d’« interactions » survenues entre la police et M. Thanaratnam avant sa détention en 2001.
[103] Dans le cas qui nous occupe, la SI a tenu compte des différents faits sous-tendant les nombreux incidents auxquels M. Pascal a apparemment participé et qui impliquaient des armes, de la drogue, de la prostitution et la profération de menaces et elle n’a pas admis « l’explication plus anodine » selon laquelle M. Pascal se trouvait constamment et fréquemment au mauvais endroit au mauvais moment ou qu’il agissait de son propre chef. Je ne peux pas conclure que cela était déraisonnable.
[104] Quatrièmement, M. Pascal prétend qu’il était injuste que la SI se soit appuyée sur les événements qui ont conduit à son arrestation au début 2018 pour de nombreuses accusations en matière de drogues et d’armes à feu : Pascal, aux paragraphes 91–101. Ces accusations ont été portées après le début de l’audience sur l’interdiction de territoire, mais avant que M. Pascal ne dépose son témoignage. L’agent Petersen a abordé les accusations dans son témoignage. Au début de son témoignage, M. Pascal a refusé de répondre à des questions sur ces accusations en instance, en particulier avant la divulgation de la preuve par le ministère public, au motif que ses réponses pourraient tendre à l’incriminer, et pour des questions d’équité procédurale : Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, article 5; Charte canadienne des droits et libertés, article 13. La SI a statué que, par souci d’équité, le ministre ne pouvait pas interroger M. Pascal sur les accusations en instance jusqu’à ce que la preuve soit divulguée. Le dernier jour de l’audience, avant les observations du ministre, le conseil de M. Pascal a fait savoir que la divulgation de la preuve avait été reçue. Aucune des parties n’a cherché à interroger M. Pascal sur les accusations de 2018, et l’affaire s’est poursuivie directement par des observations. Dans ses observations, M. Pascal a fait valoir qu’il serait injuste de prendre en considération les accusations de 2018, car il n’a pas eu la possibilité d’y répondre.
[105] La SI a conclu que le fait de s’appuyer sur ces accusations ne cause pas d’injustice. Elle a fait remarquer que le conseil aurait pu rappeler M. Pascal pour qu’il témoigne, si cela était souhaité, et que « [s]i M. Pascal voulait avoir l’occasion de répondre aux accusations datant de janvier 2018, [elle se serai[t] attendue à ce que son conseil [l]’en avise au moment où il s’est acquitté de son engagement [de l’informer lorsque la divulgation de la preuve a été reçue] » : Pascal, au paragraphe 176. J’en conviens. N’ayant pas cherché à témoigner sur les accusations de janvier 2018, M. Pascal ne peut pas se plaindre de ne pas avoir eu l’occasion de le faire. Bien qu’il aurait été préférable que la SI soulève la question, M. Pascal était en possession des informations concernant la divulgation avant la SI et a eu l’occasion de chercher à apporter des éléments de preuve. Le fait de se fonder sur les renseignements sous-jacents aux accusations de 2018 n’a pas causé d’injustice dans de telles circonstances. Je souligne que, en tout état de cause, la SI a déclaré que sa conclusion selon laquelle M. Pascal est membre des Galloway Boys serait demeurée inchangée, même sans tenir compte de ces renseignements.
[106] M. Pascal souligne également que la SI a déclaré qu’elle ne disposait d’aucune information sur la décision rendue à l’égard des accusations de 2018, si ce n’est que leur sort a « été réglé » : Pascal, au paragraphe 91. Il semble que le conseil ait écrit à la SI à deux reprises après que les observations ont été achevées. La première lettre, datée d’avril 2019, visait l’aviser du fait que le sort des accusations criminelles avait « été réglé » et à lui demander de rendre sa décision. La deuxième, écrite le 8 mai 2019, visait à aviser la SI du fait que les accusations avaient été rejetées et suspendues et à demander une fois de plus qu’une décision soit rendue. La décision de la SI a été rendue le 30 mai 2019, et ses motifs étaient datés du 7 juin 2019. Il semble que le paragraphe 91 de la décision pourrait avoir été rédigé soit avant la réception de la lettre du 8 mai 2019, soit sans en tenir compte. Néanmoins, étant donné l’approche de la SI à l’égard des accusations et des faits sous-jacents, son analyse selon laquelle elle a trouvé les éléments de preuve sous-jacents crédibles ou dignes de foi ainsi que sa précision selon laquelle le résultat aurait été le même sans tenir compte de ces renseignements, je ne vois aucun caractère déraisonnable découlant de la déclaration de la SI selon laquelle le sort des accusations a été réglé; elle n’avait pas d’information sur la décision : Pascal, aux paragraphes 91, 100 et 177.
[107] En ce qui concerne le reste des arguments de M. Pascal, je déclare simplement que je souscris à l’évaluation du ministre selon laquelle, dans de nombreux cas, M. Pascal cherche à ce que la Cour réévalue ou soupèse à nouveau les éléments de preuve ou qu’elle tire des conclusions différentes de celles de la SI en matière de crédibilité. Dans d’autres cas, M. Pascal exagère les conclusions de la SI ou accuse la SI de faire fi de ses arguments ou de certains aspects de la preuve ou de ne pas s’y intéresser, alors qu’elle a de toute évidence examiné et traité les arguments et les éléments de preuve en question. Aucun de ces arguments ne me permet de confirmer que la conclusion de la SI selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Pascal est membre des Galloway Boys était déraisonnable.
[108] Enfin, je remarque que, outre la conclusion selon laquelle M. Pascal était membre des Galloway Boys, la SI a également conclu que M. Pascal s’était livré à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées : Pascal, aux paragraphes 14, 68–69, 114, 159, 163, 165 et 185. Cette conclusion constitue un motif d’interdiction de territoire distinct au titre de l’alinéa 37(1)a), qui ne dépend pas de la conclusion selon laquelle M. Pascal était membre des Galloway Boys : Thanaratnam (CAF), au paragraphe 30; Mkrtchytan, aux paragraphes 6–7.
IV. Conclusion
[109] Les motifs de la SI étaient complets, volumineux et détaillés. Le tribunal a expliqué le fondement juridique et factuel de ses conclusions, ainsi que les motifs de l’admission ou du rejet des éléments de preuve. Bien que les motifs auraient pu être plus détaillés à certains égards, ils répondaient plus qu’adéquatement aux exigences de transparence, de justification et d’intelligibilité relative au caractère raisonnable. De toute évidence, M. Pascal ne souscrivait pas à l’évaluation par la SI des éléments de preuve, à la foi qu’elle a accordée à certaines sources qui ne seraient pas admissibles dans d’autres contextes juridiques et à sa conclusion selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était membre des Galloway Boys. Toutefois, ce désaccord n’en fait pas une décision déraisonnable. La SI devait établir si M. Pascal était interdit de territoire pour criminalité organisée sur le fondement des éléments de preuve qu’elle jugeait crédibles et dignes de foi. Elle l’a fait et a expliqué les motifs de sa décision de manière raisonnée.
[110] La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
Jugement dans le dossier IMM-3379-19
LA COUR STATUE que
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.