2020 CAF 103
A-382-17
3510395 Canada Inc. (appelante)
c.
Le procureur général du Canada (intimé)
A-383-17
3510395 Canada Inc. (appelante)
c.
Le procureur général du Canada (intimé)
Répertorié : 3510395 Canada Inc. c. Canada (Procureur général)
Cour d’appel fédérale, les juges Nadon, Webb et Woods, J.C.A.—Toronto, 29 avril 2019; Ottawa, 5 juin 2020.
Télécommunications — Appel interjeté à l’égard d’une décision dans laquelle le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) a conclu que l’appelante violait la loi canadienne sur la lutte contre les pourriels[1] (la Loi ou la LCAP) et lui a infligé une sanction administrative pécuniaire (SAP) — La Loi prévoit la réglementation notamment de l’envoi de messages électroniques commerciaux (MEC) — Le marketing par courriel était le principal mode de prospection commerciale de l’appelante — L’appelante a transmis des MEC pour promouvoir ses services à divers destinataires — Elle s’est vu signifier par la suite un procès-verbal de violation (PVV) en vertu de l’art. 22 de la Loi au motif qu’elle n’avait pas obtenu le consentement des destinataires avant de leur transmettre les MEC (art. 6(1)a) de la Loi), et que certains des MEC ne comportaient pas de mécanisme d’exclusion sous la forme d’un lien fonctionnel (art. 6(2)c) de la Loi) — Le CRTC a conclu que la Loi relevait de la compétence du Parlement — Il a conclu que la violation de l’art. 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) par les dispositions contestées était justifiée au regard de l’article premier de la Charte — Le CRTC s’est dit d’avis également que les dispositions contestées ne créaient pas d’infraction au sens de l’art. 11 de la Charte — Il a conclu que la Loi n’enfreint pas les art. 7 et 8 — Le CRTC a conclu notamment que l’appelante n’avait pas démontré que l’exception pour les communications interentreprises s’appliquait aux MEC visés — De l’avis du CRTC, l’appelante n’avait pas produit assez d’éléments démontrant l’existence de rapports avec les organisations auxquelles elle avait envoyé les MEC — Il s’agissait de savoir : si la Loi relève de la compétence du Parlement; si la violation de l’art. 2b) de la Charte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte; si la Loi enfreint les articles 7, 8 et 11 de la Charte; si le CRTC a mal interprété et appliqué l’exception pour les communications interentreprises et les exigences de la Loi relatives au consentement tacite lorsqu’il y a publication bien en vue — Pour décider si la LCAP était constitutionnelle, il a fallu recourir aux cinq indices énoncés dans l’arrêt General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, servant à déterminer si une loi relève du pouvoir général en matière de trafic et de commerce — Les dispositions de la LCAP sur les MEC représentent un exercice valide du pouvoir général en matière de trafic et de commerce du Parlement qui touche le Canada dans son ensemble et est visé par le second volet de l’art. 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 — En ce qui concerne l’art. 2b) de la Charte, les dispositions contestées restreignent la liberté d’expression, mais cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte — Les avantages de la Loi l’emportent sur ses effets préjudiciables sur la liberté d’expression — Étant donné qu’elle est une société et qu’elle ne se défendait pas contre des accusations de nature criminelle, l’appelante n’avait pas qualité pour invoquer la protection de l’art. 7 de la Charte — L’art. 8 de la Charte s’appliquait en l’espèce, mais il n’y a pas eu saisie abusive — Le régime de sanctions administratives pécuniaires (SAP) de la Loi n’enfreint pas l’art. 11d) de la Charte — L’objet des procédures menant aux SAP prévues par la Loi est de nature administrative et n’est pas de nature criminelle — Le CRTC n’a pas commis d’erreur dans son interprétation et son application de l’exception pour les communications interentreprises — L’existence d’une « relation contractuelle » ne tranchait pas la question de savoir si l’exception pour les communications interentreprises prévue par la Loi s’appliquait — Les relations contractuelles comptant un petit nombre de transactions touchant un petit nombre d’employés ne constituent pas un rapport pour l’application de l’exception pour les communications interentreprises — La preuve à faire pour démontrer l’existence de rapports pour l’application de l’exception pour les communications interentreprises est plus rigoureuse que la preuve à faire pour démontrer l’existence de relations d’affaires en cours — L’appelante n’a pas démontré qu’elle entretenait des rapports avec les organisations destinataires — Enfin, le CRTC n’a pas commis d’erreur dans son interprétation et son application des exigences de la Loi relatives au consentement tacite lorsqu’il y a publication bien en vue et aux mécanismes d’exclusion — Appels rejetés.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) a rejeté la contestation constitutionnelle intentée par l’appelante contre la loi canadienne sur la lutte contre les pourriels[2] (la Loi ou la LCAP) — La Loi prévoit la réglementation notamment de l’envoi de messages électroniques commerciaux (MEC) — L’appelante a transmis des MEC pour promouvoir ses services à divers destinataires en contravention des art. 6(1)a) et 6(2)c) de la Loi — Le CRTC a conclu que la Loi relevait de la compétence du Parlement — Il a examiné les cinq critères de validité permettant de vérifier qu’une loi relève de la compétence générale de réglementation du trafic et du commerce énoncés dans l’arrêt General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing (General Motors) — Il a déterminé que le caractère véritable de la Loi tombe sous le coup de l’art. 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui attribue au Parlement le pouvoir général en matière de trafic et de commerce — Il s’agissait de savoir si la Loi relève de la compétence du Parlement — Les dispositions de la Loi sur les MEC représentent un exercice valide du pouvoir général en matière de trafic et de commerce du Parlement — Les dispositions contestées créent un régime administratif distinct visant les MEC non sollicités — Le législateur entendait créer un régime réglementant l’envoi de MEC pour empêcher notamment que de telles pratiques nuisent à la cyberéconomie et entraînent des coûts pour les entreprises et les consommateurs — La Loi n’empiète pas sur un domaine de compétence provinciale en modifiant les modalités de contrats — Les dispositions sur les MEC contestées satisfont aux deux premiers indices de validité de l’arrêt General Motors — La loi contestée intéresse le commerce dans son ensemble et satisfait donc au troisième indice du critère de l’arrêt General Motors — La Constitution n’habilite pas les provinces, conjointement ou séparément, à adopter les dispositions sur les MEC — L’absence d’une ou de plusieurs provinces du régime compromettrait l’application de ce dernier — Les dispositions de la LCAP sur les MEC représentent un exercice valide du pouvoir général en matière de trafic et de commerce du Parlement qui touche le Canada dans son ensemble et est visé par le second volet de l’art. 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) a rejeté la contestation constitutionnelle intentée par l’appelante contre la loi canadienne sur la lutte contre les pourriels[3] (la Loi ou la LCAP) — Loi prévoit la réglementation notamment de l’envoi de messages électroniques commerciaux (MEC) — L’appelante a transmis des MEC pour promouvoir ses services à divers destinataires en contravention des art. 6(1)a) et 6(2)c) de la Loi — Le CRTC a conclu que les dispositions contestées de la Loi enfreignent l’art. 2b) de la Charte — Il a conclu que cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte — Il s’agissait de savoir si la violation par la Loi de l’art. 2b) est justifiée au regard de l’article premier — Les MEC constituent une activité protégée par l’art. 2b) — Les dispositions contestées portent atteinte à la liberté d’expression — Toutefois, cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte — La Loi satisfait au critère applicable à l’étape de l’analyse fondée sur l’article premier visant à déterminer si la restriction a été apportée « par une règle de droit » — Les dispositions contestées ne sont pas imprécises — La portée de l’objectif législatif de la Loi n’est pas trop générale — La Loi satisfait au critère du lien rationnel de l’analyse fondée sur l’article premier — La Loi crée une interdiction partielle, et non pas absolue, des MEC — Elle établit un régime légal complexe pour atteindre ses objectifs — Le CRTC a eu raison de ne pas retenir les solutions de rechange moins attentatoires proposées par l’appelante — Les avantages de la Loi l’emportent sur ses effets préjudiciables sur la liberté d’expression — La Loi ne constitue un obstacle aux formes non commerciales de discours que lorsque ces discours ont un but commercial — L’atteinte portée aux autres formes de discours est négligeable — L’expression commerciale se trouve à une certaine distance des valeurs fondamentales protégées par l’art. 2b) et commande un niveau de protection moindre.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures criminelles et pénales — Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) a rejeté la contestation constitutionnelle intentée par l’appelante contre la loi canadienne sur la lutte contre les pourriels[4] (la Loi ou la LCAP) — Le régime de sanctions administratives pécuniaires (SAP) de la Loi n’enfreint pas l’art. 11d) de la Charte — L’objet des procédures menant aux SAP est de nature administrative et n’est pas de nature criminelle — Les dispositions pertinentes de la Loi n’utilisent pas les termes traditionnellement associés aux procédures en matière criminelle — Le but du régime de SAP est d’assurer le respect des exigences réglementaires de la Loi.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) a rejeté la contestation constitutionnelle intentée par l’appelante contre la loi canadienne sur la lutte contre les pourriels[5] (la Loi ou la LCAP) — Il s’agissait de savoir si la Loi enfreint l’art. 7 de la Charte — Étant donné qu’elle est une société et qu’elle ne se défendait pas contre des accusations de nature criminelle, l’appelante n’avait pas qualité pour invoquer la protection de l’art. 7.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions ou saisies abusives — Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) a rejeté la contestation constitutionnelle intentée par l’appelante contre la loi canadienne sur la lutte contre les pourriels[6] (la Loi ou la LCAP) — Il s’agissait de savoir si la Loi enfreint l’art. 8 de la Charte — L’art. 8 s’appliquait en l’espèce — Toutefois, il n’y a pas eu saisie abusive — La norme à appliquer pour juger du caractère raisonnable de la saisie effectuée en vertu de l’art. 17 de la Loi a été énoncée dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, commission sur les pratiques restrictives du commerce) — L’avis de communication signifié à l’appelante satisfaisait à cette norme peu élevée.
Il s’agissait d’appels interjetés à l’égard de deux décisions de conformité et enquêtes connexes du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC). Dans la première décision, le CRTC a rejeté la contestation constitutionnelle intentée par l’appelante contre la loi canadienne sur la lutte contre les pourriels[7] (la Loi ou la LCAP). Dans la seconde décision, le CRTC était d’avis que l’appelante avait commis quatre violations de la Loi et lui a infligé une sanction administrative pécuniaire (SAP) de 200 000 $.
La Loi prévoit la réglementation de certaines formes d’activités commerciales relatives au commerce électronique, tout particulièrement, l’envoi de messages électroniques commerciaux (MEC). L’appelante était une petite entreprise qui offrait des cours sur des sujets comme la gestion d’équipe. Le marketing par courriel était son principal mode de prospection commerciale. L’appelante a mené trois campagnes publicitaires en 2014 et, dans le cadre de celles-ci, elle a transmis des MEC pour promouvoir ses services à divers destinataires au Québec. L’appelante s’est vu signifier par la suite un procès-verbal de violation (PVV) en vertu de l’article 22 de la Loi au motif qu’elle n’avait pas obtenu le consentement des destinataires avant de leur transmettre les MEC (alinéa 6(1)a) de la Loi), et que certains des MEC ne comportaient pas de mécanisme d’exclusion sous la forme d’un lien fonctionnel (alinéa 6(2)c) de la Loi). Dans ses observations au CRTC, l’appelante a nié avoir enfreint la Loi. Selon elle, la Loi était inconstitutionnelle. Le CRTC a conclu que la Loi relevait de la compétence du Parlement à l’issue d’une analyse en deux volets du partage des compétences. Le CRTC a examiné les cinq critères de validité permettant de vérifier qu’une loi relève de la compétence générale de réglementation du trafic et du commerce énoncés dans l’arrêt General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing (General Motors). Le CRTC a déterminé que le caractère véritable de la Loi tombe sous le coup du paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui attribue au Parlement le pouvoir général en matière de trafic et de commerce. Le CRTC a conclu que les dispositions contestées de la Loi enfreignent l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés parce qu’elles interdisent l’envoi de MEC non sollicités qui transmettent un message. Après avoir procédé à l’analyse fondée sur l’article premier décrite dans le critère énoncé à l’arrêt R. c. Oakes, le CRTC a conclu que l’atteinte portée à la liberté d’expression est justifiée au regard de l’article premier. Le CRTC s’est dit d’avis également que, comme les dispositions contestées de la LCAP ne créent pas d’infraction au sens de l’article 11 de la Charte, les droits garantis aux articles 7 et 8 de ce même texte aux personnes inculpées ne s’appliquent pas non plus. Le CRTC a donc conclu que la Loi n’enfreint pas les articles 7 et 8. En ce qui concerne la seconde décision, le CRTC a conclu notamment que l’appelante n’avait pas démontré que l’exception pour les communications interentreprises énoncée à l’alinéa 3a)(ii) du Règlement sur la protection du commerce électronique, DORS/2013-221 s’appliquait aux MEC visés. De l’avis du CRTC, l’appelante n’avait pas produit assez d’éléments démontrant l’existence de rapports avec les organisations auxquelles elle avait envoyé les MEC.
L’appelante a fait valoir entre autres choses que l’analyse du caractère véritable à laquelle le CRTC a procédé était lacunaire, car ce dernier a examiné la LCAP dans son ensemble, plutôt que les dispositions en litige; que l’atteinte portée par la Loi à l’alinéa 2b) de la Charte n’est pas justifiée au regard de l’article premier; et que la Loi porte atteinte au droit de ne pas témoigner contre soi-même garanti par les articles 7 et 11 de la Charte ainsi qu’au droit d’être protégé contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives garanti à l’article 8. Selon l’appelante, le CRTC a interprété l’exception pour les communications interentreprises de manière si étroite que celle-ci en est devenue presque inefficace.
En ce qui concerne la contestation constitutionnelle, il s’agissait de savoir si la Loi relève de la compétence du Parlement; si la violation de l’alinéa 2b) de la Charte est justifiée au regard de l’article premier; et si la Loi enfreint les articles 7, 8 et 11 de la Charte. En ce qui concerne la décision sur le PVV, il s’agissait de savoir principalement si le CRTC a mal interprété et appliqué l’exception pour les communications interentreprises.
Arrêt : les appels doivent être rejetés.
Les dispositions de la Loi sur les MEC représentent un exercice valide du pouvoir général en matière de trafic et de commerce du Parlement qui touche le Canada dans son ensemble et est visé par le second volet du paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle. Pour décider si la loi contestée relevait bel et bien de la compétence législative du Parlement, il fallait procéder à une analyse fondée sur le partage des compétences. Un courant jurisprudentiel s’étant soldé par l’arrêt General Motors a établi cinq indices servant à déterminer la validité d’une mesure prise en vertu du deuxième volet du paragraphe 91(2). La méthode de la Cour suprême permettant d’intégrer le critère établi dans l’arrêt General Motors à l’analyse du partage des compétences a été adoptée en l’espèce, et l’on a donc procédé à une analyse du caractère véritable de la loi visée pour appliquer ensuite le critère établi dans l’arrêt General Motors à l’étape de la classification. La Loi comporte trois régimes administratifs distincts, qui visent chacun une des catégories d’activités interdites établies aux articles 6, 7 et 8 de la Loi. Selon une telle interprétation, les dispositions contestées créent un régime administratif distinct visant les MEC non sollicités, qui est distinct de ceux visant la modification des données de transmission et l’installation non autorisée de programmes d’ordinateur. La Loi ne comporte aucune disposition distincte énonçant l’objet des dispositions sur les MEC. Toutefois, aux termes de l’article 3, la Loi a pour objet « de promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation des pratiques commerciales qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique ». Comme certaines activités commerciales sont susceptibles d’emporter de telles conséquences fâcheuses qui nuisent à l’économie, le législateur a décidé de réglementer ces pratiques en adoptant la Loi. Le législateur entendait, en adoptant les dispositions contestées, créer un régime réglementant l’envoi de MEC pour empêcher que de telles pratiques nuisent à la cyberéconomie et entraînent des coûts pour les entreprises et les consommateurs, ainsi que pour protéger les renseignements confidentiels et préserver la confiance des Canadiens dans le commerce électronique. Les dispositions contestées réglementent seulement un aspect étroit de la catégorie de messages visés. Elles ne visent pas à réglementer d’autres aspects des messages commerciaux, ni ne réglementent les contrats d’un secteur ou d’un commerce en particulier. Ces dispositions ont des effets sur les secteurs et commerces extrêmement variés qui participent au commerce électronique. Ces effets n’incluent pas la réglementation des contrats ni la frustration des droits issus de contrats. Par conséquent, la Loi n’empiète pas sur un domaine de compétence provinciale en modifiant les modalités de contrats. Le caractère véritable des dispositions contestées consiste à réglementer l’envoi par le public de MEC non sollicités en vue d’atténuer les risques pour la cyberéconomie canadienne susceptibles de découler de tels messages. Les dispositions sur les MEC contestées satisfont aux deux premiers indices de validité de l’arrêt General Motors, à savoir l’appartenance à un système général de réglementation faisant l’objet d’une surveillance constante par un organisme de réglementation. Le commerce électronique est devenu un pilier de l’économie nationale, qui transcende les secteurs et les catégories de participants au marché économique ainsi que les frontières provinciales. Les courriels non sollicités sont susceptibles de véhiculer des menaces en ligne, telles que les attaques d’hameçonnage, les logiciels malveillants, les vols d’identité et les escroqueries en ligne. Une fois qu’on accepte que le commerce électronique a infiltré l’économie canadienne dans son ensemble, et non un seul secteur, il doit s’ensuivre que la loi contestée intéresse le commerce dans son ensemble. Il est donc satisfait au troisième indice du critère de l’arrêt General Motors. Les dispositions de la Loi sur les MEC satisfont également au quatrième critère, puisque la Constitution n’habiliterait pas les provinces, conjointement ou séparément, à l’adopter. Enfin, l’absence d’une ou de plusieurs provinces du régime légal compromettrait l’application de ce dernier dans d’autres parties du pays. Si une province adoptait des lois plus laxes qu’une autre sur les MEC non sollicités, les expéditeurs de pourriels pourraient facilement, par le truchement de l’infonuagique ou d’autres méthodes, transmettre leurs MEC à partir de serveurs situés dans cette province. Tout régime interprovincial voué à la protection de la cyberéconomie canadienne contre les menaces que présentent les MEC non sollicités serait alors fondamentalement entravé. En ce qui a trait à la compétence générale du Parlement sur le trafic et le commerce, les cinq indices de validité énoncés dans l’arrêt General Motors sont établis pour déterminer si une loi relève de ce chef de compétence. Le CRTC n’a pas fait erreur en faisant fi de l’analyse de l’intérêt national.
Les MEC constituent une activité protégée par l’alinéa 2b) de la Charte. Les dispositions contestées restreignent cette activité et portent par conséquent atteinte à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b). Toutefois, cette atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte. L’article premier exige que la restriction du droit ou de la liberté garantis par la Charte soit apportée « par une règle de droit ». Ensuite, il faut déterminer si les mesures contestées ont un objectif urgent et réel ou, en d’autres mots, un objectif suffisamment important pour justifier la restriction d’un droit garanti par la Charte. La Loi satisfait amplement au critère applicable à l’étape de l’analyse fondée sur l’article premier visant à déterminer si la restriction a été apportée « par une règle de droit ». La Loi est suffisamment précise pour délimiter une aire ou une zone de risque. Réalistement, on ne peut s’attendre à rien de plus d’une loi et, constitutionnellement, on n’exige rien de plus d’une loi. Les dispositions contestées sont intelligibles, donnent une prise au pouvoir judiciaire et constituent un fondement pour un débat judiciaire. Par conséquent, elles ne comportent pas les caractéristiques de l’imprécision. Les dispositions de la Loi interdisant les MEC ne satisfaisant pas aux exigences légales en matière de consentement ou de contenu ou faisant l’objet d’une exception n’ont pas pour but d’interdire purement et simplement les MEC. L’objectif législatif de la Loi est plutôt d’atténuer certains effets néfastes causés par les MEC non sollicités. Il ne s’agit pas d’un objectif de portée trop générale. L’objectif de promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation des MEC est suffisamment important pour justifier la restriction d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution.
Les trois volets de l’analyse de la proportionnalité à effectuer sont les suivants : il doit y avoir un lien rationnel entre les mesures restrictives et l’objectif des mesures; les mesures contestées doivent porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en question; et il doit y avoir dans l’ensemble proportionnalité entre les avantages apportés par les mesures contestées et les effets préjudiciables qui en découlent. Le régime légal complexe qu’instaure la Loi est suffisamment adapté à ses objectifs pour satisfaire au critère du lien rationnel de l’analyse fondée sur l’article premier. À cette étape de l’analyse fondée sur l’article premier, le gouvernement doit établir un lien rationnel entre l’objectif de la loi et les moyens choisis pour le réaliser. S’il est juste de dire que, si une interdiction est trop vaste, la partie excédante n’est pas rationnellement liée à l’objectif, on peut établir une distinction entre le régime légal nuancé créé par la Loi et la méthode catégorique et rigide adoptée dans les lois contestées dans d’autres affaires. La Loi n’interdit pas de manière absolue les messages électroniques visant à encourager la participation à une activité commerciale. La Loi, et en particulier le paragraphe 6(1), crée une interdiction partielle, et non pas absolue, des MEC. Il existe plusieurs exceptions et exclusions à cette interdiction partielle. La Loi établit donc un régime légal complexe qui manifeste un degré considérable d’adaptation à ses objectifs. La juste appréciation des objectifs de la Loi montre clairement que la Loi peut restreindre de façon valide des messages qui peuvent sembler inoffensifs en comparaison avec « les pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses » sans que la restriction soit arbitraire ou injuste. Il est raisonnable de conclure que l’interdiction imposée par la Loi vise des pratiques dont on peut raisonnablement dire qu’elles sont contraires aux objectifs de la Loi et autorise des pratiques dont on ne peut pas raisonnablement dire la même chose.
L’étape suivante de l’analyse fondée sur l’article premier consiste à déterminer si « les mesures en cause restreignent le droit à la liberté d’expression aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de l’objectif législatif ». La loi peut être jugée invalide à cette étape dans le cas où « le gouvernement omet d’expliquer pourquoi il n’a pas choisi une mesure beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace ». L’appelante a semblé oublier que l’existence de solutions de rechange moins attentatoires ne peut rendre les dispositions contestées invalides à l’étape de l’atteinte minimale si ces solutions de rechange ne protègent pas suffisamment l’objectif du gouvernement. Le CRTC a eu raison de ne pas retenir les solutions de rechange proposées par l’appelante. Bien que les solutions de rechange n’aient pas à remplir les objectifs du législateur exactement dans la même mesure que les dispositions contestées, le modèle du régime à option de retrait—suivant lequel les messages doivent comporter un mécanisme d’exclusion qui permet au destinataire de choisir de ne pas recevoir d’autres messages—ne protège pas suffisamment l’un des objectifs, voire tous les objectifs, de la Loi énoncés à l’article 3. Le problème fondamental du régime à option de retrait est qu’il permet aux expéditeurs de pourriels de continuer à envoyer des pourriels. On peut conclure sans risque de se tromper que le modèle à option de retrait ne constitue pas une solution de rechange valable au régime prévu par la Loi dans le cadre de l’analyse sur l’atteinte minimale. Une deuxième solution de rechange à la Loi proposée par l’appelante et examinée par le CRTC était la loi adoptée par l’Australie, intitulée Spam Act 2003 (Cth). La différence entre les formes d’expression visées par la LCAP et celles visées par la loi australienne est suffisamment étroite pour que l’on puisse conclure que le modèle ouvert et le modèle fermé de la définition des MEC font l’un et l’autre partie de la gamme des solutions de rechange raisonnables. Il s’ensuit que la LCAP ne peut être jugée invalide à l’étape de l’atteinte minimale. Il était manifeste que les autres solutions de rechange que l’appelante a proposées ne protégeraient pas suffisamment les objectifs législatifs pour qu’elles soient valides aux fins de l’analyse sur l’atteinte minimale. Enfin, aucune des recommandations formulées par le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes dans son rapport sur la LCAP ne pourrait constituer une « solution de rechange » pouvant servir à l’étape de l’analyse sur l’atteinte minimale, pas plus que ces recommandations ne donnent à penser que les restrictions apportées par la Loi ne sont pas minimalement attentatoires.
Les avantages de la Loi l’emportent sur ses effets préjudiciables sur la liberté d’expression. La forme d’expression protégée constitutionnellement assujettie à la Loi n’est pas interdite, mais réglementée. En ce qui concerne les formes non commerciales de discours, comme le discours politique et religieux, l’action directe dans les communautés défavorisées, et les œuvres caritatives et dédiées au bien public, la Loi ne constitue un obstacle que lorsque ces discours ont un but commercial. L’atteinte portée à ces autres formes de discours est par conséquent négligeable puisque la Loi n’entrave pas les formes d’expression non commerciales. Les répercussions de la Loi sur l’expression commerciale sont atténuées par de nombreuses exceptions et un mécanisme de conformité réglementaire. L’expression commerciale se trouve à une certaine distance des valeurs fondamentales protégées par l’alinéa 2b) de la Charte et commande un niveau de protection proportionnellement moindre. Les restrictions à l’expression commerciale se justifient plus facilement que les restrictions à d’autres formes d’expression, comme l’expression politique, qui sont plus au cœur des valeurs protégées par l’alinéa 2b).
Le régime de SAP de la Loi n’enfreint pas l’alinéa 11(d) de la Charte. Les procédures menant aux SAP prévues par la Loi font partie d’un cadre administratif assurant la protection du public et ne sont « généralement pas de celles qui emportent l’application de l’art. 11 ». L’objet des procédures menant aux SAP prévues par la Loi, considérée dans leur contexte législatif global, est de nature administrative et n’est pas de nature criminelle. Le processus lié au régime de SAP établi par la Loi ne comporte aucune des caractéristiques propres aux procédures en matière criminelle, pas plus que les dispositions pertinentes de la Loi n’utilisent de termes traditionnellement associés aux procédures en matière criminelle. Le but du régime de SAP établi par la Loi est d’assurer le respect des exigences réglementaires de la Loi. Les amendes imposées en vertu de la Loi, bien qu’importantes, ne signifient pas nécessairement que la sanction a pour but de dénoncer ou de punir un comportement moralement ou socialement répréhensible.
Étant donné qu’elle est une société, l’appelante n’avait pas qualité pour invoquer la protection de l’article 7 de la Charte. L’appelante ne se défendait pas contre des accusations de nature criminelle. L’article 8 de la Charte, contrairement à l’article 7, s’appliquait en l’espèce. Cependant, les faits de la présente affaire ne montraient pas qu’il y a eu saisie abusive. L’article 17 de la Loi confère uniquement le pouvoir d’ordonner la communication de documents et non celui de perquisitionner des lieux — le premier pouvoir étant beaucoup moins intrusif que le second. La norme énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, commission sur les pratiques restrictives du commerce) est la norme à appliquer pour juger du caractère raisonnable de la saisie effectuée en vertu de l’article 17 de la Loi. L’avis de communication signifié à l’appelante satisfaisait à cette norme peu élevée.
Le CRTC n’a pas commis d’erreur dans son interprétation et son application de l’exception pour les communications interentreprises. Que l’achat par une organisation d’un cours pour un de ses employés auprès de l’appelante crée ou non une « relation contractuelle » ne tranchait pas la question de savoir si cet achat a créé un rapport pour l’application de l’exception pour les communications interentreprises prévue par la Loi. Il n’y avait rien d’erroné dans la conclusion du CRTC selon laquelle les relations contractuelles comptant un très petit nombre de transactions touchant un très petit nombre d’employés ne constituent pas un rapport pour l’application de l’exception pour les communications interentreprises. Le seul fait que le terme « relations d’affaires en cours » est défini alors que le terme « rapports » ne l’est pas ne fait pas en sorte que ce dernier doit nécessairement avoir une portée plus large ou, en d’autres mots, être plus facile à prouver. Lorsqu’on évalue le seuil servant à déterminer l’existence de relations d’un type ou l’autre, il faut prendre en considération les effets relatifs, dans le contexte des objectifs de la Loi, qu’entraînerait une conclusion confirmant l’existence de l’un ou l’autre type de relation. La preuve à faire pour démontrer l’existence de rapports pour l’application de l’exception pour les communications interentreprises devrait être plus rigoureuse que la preuve à faire pour démontrer l’existence de relations d’affaires en cours. Affirmer que les « activités » de l’organisation destinataire faisant l’objet du MEC doivent se limiter à l’entreprise fondamentale revient à interpréter trop étroitement le terme « activités » dans le libellé de l’exception. Les organisations exercent de nombreuses activités qui ne sont pas directement liées à leur entreprise fondamentale et entretiennent des rapports avec d’autres organisations afin de faciliter l’exercice de ces activités supplémentaires. Il n’y a rien dans le texte, le contexte ou l’objet de l’exception qui justifierait qu’on l’interprète en y ajoutant des qualificatifs qui ramèneraient la vaste gamme de ce qui peut constituer une activité d’affaires exercée par une organisation à une courte liste d’« activités » que les MEC d’organisations partenaires doivent concerner pour que s’applique l’exemption pour les communications interentreprises. Lorsqu’une organisation achète des cours de perfectionnement professionnel — qu’elle soit légalement tenue de le faire ou non —, les activités de cette organisation peuvent comprendre l’achat de cours de perfectionnement professionnel. Une seconde organisation qui offre de tels cours et qui entretient avec la première organisation des rapports fondés sur le fait qu’elle lui offre ces cours pourrait donc envoyer des MEC à cette première organisation au titre de l’exception pour les communications interentreprises.
En ce qui concerne les faits en l’espèce, les MEC auraient satisfait à l’exigence de la pertinence si l’appelante avait été en mesure de prouver que les organisations destinataires avaient acheté des cours de ce genre par le passé ou prévoyaient de le faire à l’avenir. Cependant, l’appelante n’a pas démontré qu’elle entretenait des rapports avec les organisations destinataires.
Enfin, le CRTC n’a pas commis d’erreur dans son interprétation et son application des exigences de la Loi relatives au consentement tacite lorsqu’il y a publication bien en vue et des exigences de la Loi concernant les mécanismes d’exclusion.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], 1, 2b), 7, 8, 11.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 126, 718.
Controlling the Assault of Non-Solicited Pornography and Marketing Act of 2003, 15 U.S.C. 103.
Health and Social Services Delivery Improvement Act, S.B.C. 2002, ch. 2.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(2).
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 248(1).
Loi favorisant le développement et la reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre, RLRQ, ch. D-8.3.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, art. 17, 31.1.
Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34.
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 69.6(2).
Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications, L.C. 2010, ch. 23, art. 1(1),(2),(3), 3, 6, 7, 8, 9, 10(1),(9),(10),(13), 11(1), 12(1),(2), 13, 14, 15, 17, 19, 20(1),(2),(3),(4),(5), 22, 24, 25, 27, 29(1), 30, 31, 32, 34(1).
Personal Information Protection Act, S.A. 2003, ch. P-6.5.
Proposition concernant une loi canadienne intitulée Loi sur les valeurs mobilières, décret C.P. 2010-667.
Règlement sur la détermination de la masse salariale, RLRQ, ch. D-8.3, r. 4, art. 1.
Règlement sur la protection du commerce électronique, DORS/2013-221, art. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Règlement sur la protection du commerce électronique (CRTC), DORS/2012-36, art. 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Spam Act 2003 (Cth), art. 6, ann. 2, art. 2(b).
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS appliQUÉES :
General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, 1989 CanLII 133; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, 1986 CanLII 46; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, 1989 CanLII 87; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, 1995 CanLII 64; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, 1990 CanLII 24; Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] A.C.S. no 65; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837 (sur la question de savoir comment intégrer le critère de General Motors à l’analyse sur le partage des compétences); Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, 1998 CanLII; Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295 (sur la question de savoir si une restriction est imposée par une « règle de droit »); Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, 1991 CanLII 60; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, 1992 CanLII 72; Health Services & Support-Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 39; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567; Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, [1990] 2 R.C.S. 232, 1990 CanLII 121; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, 1990 CanLII 135.
DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :
Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837 (sur la validité du régime prévu dans la LCAP); Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295 (sur la question de la portée excessive).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S. 302; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3; Parsons v. Citizens’ Insurance Co. of Canada (1881), 7 App. Cas. 96; Maritime National Fish Ltd. v. Ocean Trawlers Ltd., [1935] A.C. 524, [1935] 3 D.L.R. 12 (P.C.); R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45; R. c. Guignard, 2002 CSC 14, [2002] 1 R.C.S. 472; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, 1988 CanLII 19; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, 1986 CanLII 12; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344; R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, 1991 CanLII 39.
DÉCISIONS CITÉES :
Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, 1993 CanLII 43; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504; Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, 1994 CanLII 39; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733; Terre-Neuve-et-Labrador c. AbitibiBowater Inc., 2012 CSC 67, [2012] 3 R.C.S. 443; Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463; Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473; R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401, 1988 CanLII 63; Little Sisters Book & Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120; Trociuk c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2003 CSC 34, [2003] 1 R.C.S. 835; Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, 1989 CanLII 20; R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, 1987 CanLII 41; Dywidag Systems International, Canada Ltd. c. Zutphen Brothers Construction Ltd., [1990] 1 R.C.S. 705, 1990 CanLII 140; Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women c. Ministre du Revenu national, [1999] 1 R.C.S. 10, 1999 CanLII 704; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, 1985 CanLII 69; R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757; R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154, 1995 CanLII 44; 143471 Canada Inc. c. Québec (Procureur général); Tabah c. Québec (Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 339, à la page 377, 1994 CanLII 89.
DOCTRINE CITÉE
Canada. Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 2e sess., no 053 (7 mai 2009).
Canada. Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 2e sess., no 105 (2 novembre 2009).
Canada. Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 2e sess., no 106 (3 novembre 2009).
Canada. Groupe de travail sur le pourriel. Freinons le pourriel : Créer un Internet plus fort et plus sécuritaire, Ottawa : Industrie Canada, mai 2005.
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Bulletin d’information de Conformité et Enquêtes CRTC 2012-548. « Lignes directrices sur l’interprétation du Règlement sur la protection du commerce électronique (CRTC), 10 octobre 2012.
Dictionnaire Larousse en ligne (consulté le 1er juin 2020) : www.larousse.fr/dictionnaires/francais, « activité », « commercial ».
Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (2006-04-19), « Report of the OECD Task Force on Spam : Anti-Spam Toolkit of Recommended Policies and Measures », Documents de travail de l’OCDE sur l’économie numérique, n° 114, Éditions OCDE, Paris, en ligne : https://doi.org/10.1787/231503010627.
APPELS interjetés à l’égard de décisions de conformité et enquêtes[8] du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, rejetant la contestation constitutionnelle intentée par l’appelante contre la loi canadienne sur la lutte contre les pourriels[9], concluant que l’appelante avait commis quatre violations de la Loi et lui infligeant une sanction administrative pécuniaire. Appels rejetés.
ONT COMPARU :
Barry B. Sookman, Noah Zucker, Charles S. Morgan et Daniel G.C. Glover pour l’appelante.
Lynn Marchildon, Craig Collins-Williams et Joanie Roy pour l’intimé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
McCarthy Tétrault LLP, Montréal, pour l’appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Nadon, J.C.A. :
I. Introduction
[1] La Cour est saisie de deux appels interjetés par 3510395 Canada Inc., faisant affaire sous la raison sociale CompuFinder (l’appelante), à l’égard de deux décisions de conformité et enquêtes connexes du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC). Dans la première, le CRTC a rejeté la contestation constitutionnelle intentée par l’appelante contre la Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications, L.C. 2010, ch. 23 (la Loi ou la LCAP). Le CRTC estimait que la Loi relevait de la compétence en matière de trafic et de commerce que le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement et que l’atteinte à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, article 8, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte) est justifiée au regard de l’article premier. Dans la seconde décision, le CRTC était d’avis que l’appelante avait commis quatre violations de la Loi et lui a infligé une sanction administrative pécuniaire (SAP) de 200 000 $.
[2] L’appelante se pourvoit sous le régime du paragraphe 27(1) de la Loi, qui l’autorise à interjeter appel à notre Cour des décisions du CRTC prises en vertu de la Loi.
[3] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais les appels avec dépens.
II. Dispositions applicables
[4] Les dispositions de la Loi que l’appelante conteste figurent à l’annexe A. Les principales dispositions sont reproduites dans le corps de l’analyse des présents motifs.
III. Faits
[5] La Loi a été adoptée par le Parlement en 2010 et est entrée en vigueur en 2014. Elle prévoit la réglementation de certaines formes d’activités commerciales relatives au commerce électronique, tout particulièrement, l’envoi de messages électroniques commerciaux (MEC).
[6] Fondée en 1998, l’appelante était une petite entreprise située à Morin Heights, au Québec. Elle offrait environ 300 cours de perfectionnement professionnel sur des sujets comme la gestion d’équipe, les aptitudes administratives, la planification budgétaire et l’utilisation avantageuse des médias sociaux. Le marketing par courriel était son principal mode de prospection commerciale.
[7] L’appelante a mené trois campagnes publicitaires entre juillet et septembre 2014. Dans le cadre de celles-ci, elle a transmis 317 MEC pour promouvoir ses services de formation et de perfectionnement à divers destinataires, principalement des travailleurs du Québec. Le 5 mars 2015, à la suite d’une enquête, l’appelante s’est vu signifier un procès-verbal de violation en vertu de l’article 22 de la Loi. Aux termes du procès-verbal, l’appelante n’avait pas obtenu le consentement des destinataires avant de leur transmettre les MEC, en contravention à l’alinéa 6(1)a) de la Loi, et certains des MEC ne comportaient pas de mécanisme d’exclusion sous la forme d’un lien fonctionnel, en contravention à l’alinéa 6(2)c) de la Loi. Le procès-verbal prévoyait une SAP de 1 100 000 $.
[8] Le 15 mai 2015, l’appelante a présenté des observations au CRTC conformément à l’article 24 de la Loi. L’appelante a nié avoir enfreint la Loi, a invoqué la partialité de la part du personnel ayant enquêté sur ses activités et s’est plainte d’une communication préalable inadéquate dans le cadre de l’instance. En outre, selon l’appelante, quoi qu’il en soit, la Loi serait inconstitutionnelle. Le 19 octobre 2017, le CRTC a tranché l’affaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi. Il a scindé en deux sa décision, rendant la décision de conformité et enquêtes CRTC 2017-367 [Loi canadienne anti-pourriel 3510395 Canada Inc., exerçant ses activités sous le nom de Compu.Finder – Contestation constitutionnelle de la Loi canadienne anti-pourriel - Numéro de dossier : EPR 9094-201400302-001] (la décision sur la constitutionnalité) sur la constitutionnalité de la Loi, et la décision de conformité et enquêtes CRTC 2017-368 [Loi canadienne anti-pourriel 3510395 Canada Inc., exerçant ses activités sous le nom de Compu.Finder – Violations de la Loi canadienne anti-pourriel - Numéro de dossier : EPR 9094-201400302-001] (la décision sur le procès-verbal de violation) sur les violations de la Loi reprochées à l’appelante.
IV. Décisions du CRTC
[9] Dans la décision sur la constitutionnalité, le CRTC a conclu que la Loi était valide et conforme à la Charte. Le CRTC a ensuite jugé, dans la décision sur le procès-verbal de violation, que l’appelante avait effectivement enfreint la Loi.
A. Décision sur la constitutionnalité
1) Compétence
[10] Le CRTC a invoqué les arrêts Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, 1993 CanLII 43 et Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504 pour justifier sa compétence à l’égard des questions relatives au partage des pouvoirs et à la Charte, respectivement. La compétence d’un tribunal administratif à l’égard de l’une ou l’autre de ces questions de nature constitutionnelle est subordonnée principalement à la capacité de ce tribunal de trancher des questions de droit. Le CRTC est habilité, par le paragraphe 34(1) de la Loi, à trancher toute question de droit ou de fait soulevée dans le cadre d’une instance sous le régime de la Loi. Les parties conviennent que le CRTC est habilité à trancher les deux questions constitutionnelles.
2) La Loi relève de la compétence du Parlement
[11] Le CRTC a conclu que la Loi relevait de la compétence du Parlement à l’issue d’une analyse en deux volets, dont le premier était axé sur le caractère véritable de la Loi et le second, sur le rangement dans la catégorie de sujets énumérés dans la Loi constitutionnelle de 1867.
[12] Selon le CRTC, l’objet de la Loi « porte sur le commerce électronique » (décision sur la constitutionnalité, au paragraphe 43). Dans l’analyse ayant mené à cette conclusion, le CRTC a tenu compte du fait que la Loi réglemente d’autres menaces électroniques que les MEC. Il a conclu que l’effet direct de la Loi consiste à réglementer, outre les MEC, la modification des données de transmission de messages électroniques et l’installation de programmes d’ordinateur non sollicités dans le cours d’activités commerciales. L’effet global de la Loi, selon le CRTC, consiste à mettre sur pied un régime permettant d’assurer « la viabilité du commerce électronique au Canada » (décision sur la constitutionnalité, au paragraphe 47).
[13] À l’étape de son analyse portant sur le rangement dans une catégorie de sujets, le CRTC a examiné les cinq critères de validité permettant de vérifier qu’une loi relève de la compétence générale de réglementation du trafic et du commerce énoncés dans l’arrêt General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, 1989 CanLII 133 (General Motors). Le CRTC a conclu que la Loi constitue un régime général de réglementation faisant l’objet d’une surveillance par un organisme de réglementation et qu’elle porte sur des questions d’une importance cruciale pour l’économie nationale. Cette conclusion était étayée par celle selon laquelle les menaces électroniques ne sont pas limitées à une tranche ou à un groupe de participants d’un secteur en particulier de l’économie ou d’une région du pays. En outre, selon le CRTC, les provinces ne pourraient atteindre les objectifs du régime, et ce pour deux raisons. Premièrement, les questions que vise la réglementation ont des effets de portée nationale sur tous les secteurs de l’économie numérique canadienne. Deuxièmement, les provinces ont le pouvoir inhérent de se soustraire à tout régime interprovincial. Enfin, le CRTC a conclu que l’absence de toute province d’un régime comme celui que constitue la Loi en compromettrait l’application.
[14] Le CRTC a déterminé que le caractère véritable de la Loi tombe sous le coup du paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui attribue au Parlement le pouvoir général en matière de trafic et de commerce. Par conséquent, le CRTC a conclu que la Loi relève de la compétence du Parlement.
3) La Loi enfreint l’alinéa 2b) de la Charte, mais l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier
[15] Le procureur général convient que les dispositions contestées de la Loi enfreignent l’alinéa 2b) de la Charte parce qu’elles interdisent l’envoi de MEC non sollicités qui transmettent un message. Le CRTC a accepté cette concession.
[16] Le CRTC a procédé à l’analyse fondée sur l’article premier décrite dans le critère énoncé à l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, 1986 CanLII 46 et modifié par l’arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, 1994 CanLII 39.
[17] Premièrement, le CRTC était d’avis que la Loi était une règle de droit. Selon le CRTC, la définition d’un MEC, si elle est de large portée, n’est pas vague, car elle vise les messages électroniques qui incitent la participation à une activité commerciale, fournit des exemples d’activités interdites et comporte plusieurs termes définis dans la Loi. Il estimait que la définition était suffisamment précise pour limiter le pouvoir discrétionnaire relatif à son application et pour circonscrire une zone de risque. Il a invoqué l’arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, 1989 CanLII 87, à l’appui de la thèse selon laquelle la norme applicable n’est pas celle de la certitude : « [e]n droit, la précision absolue est rare, voire inexistante. La question est de savoir si le législateur a formulé une norme intelligible sur laquelle le pouvoir judiciaire doit se fonder pour exécuter ses fonctions » (décision sur la constitutionnalité, au paragraphe 90). Le CRTC a répondu à cette question par l’affirmative.
[18] Ensuite, le CRTC a conclu que l’objet de la Loi était suffisamment important pour justifier une restriction à un droit protégé par la Charte. Le CRTC a inféré du titre de la Loi l’objet de cette dernière : « Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique ». Le CRTC a déterminé, à la lumière d’éléments de preuve sur l’effet négatif des MEC non sollicités (pourriels) et des menaces électroniques connexes sur le commerce électronique au Canada, que cet objet était réel et urgent.
[19] Au premier des trois volets de l’analyse de la proportionnalité, le CRTC a conclu au lien rationnel entre les restrictions à la liberté d’expression imposées par la Loi et l’objet de cette dernière. Il était à son avis logique et raisonnable de conclure que l’interdiction de MEC non sollicités aurait pour effet de réduire la quantité de pourriels et, par conséquent, les effets négatifs de ces derniers sur les entreprises et les consommateurs canadiens. Le CRTC a également indiqué que la Loi, à la lumière du dossier, semblait avoir l’effet attendu.
[20] Ensuite, le CRTC a jugé que la Loi satisfaisait au critère de l’atteinte minimale. Selon lui, la Loi ne portait pas atteinte aux droits garantis par la Charte plus que nécessaire. S’il existait des moyens moins restrictifs d’atteindre l’objectif, le CRTC estimait que ceux-ci ne permettraient pas autant d’atteindre l’objectif du gouvernement visant à empêcher les effets négatifs des pourriels. De l’avis du CRTC, les diverses exceptions et exclusions prévues à la Loi réduisent matériellement l’atteinte au droit garanti par l’alinéa 2b) et font en sorte que la mesure appartient aux solutions de rechange raisonnables envisagées dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, 1995 CanLII 64.
[21] Enfin, selon le CRTC, les avantages de la Loi sont proportionnels à ses effets négatifs sur la liberté d’expression. En premier lieu, le CRTC fait remarquer que la Loi porte atteinte seulement à l’expression commerciale. Invoquant l’arrêt R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, 1990 CanLII 24 (Keegstra), il affirme que ce type d’expression se situe à l’extérieur du champ des valeurs fondamentales au cœur de l’alinéa 2b). En second lieu, le CRTC estime, à la lumière du dossier, que la Loi a notamment comme effet négatif d’obliger des entreprises à modifier, à réduire ou à cesser leurs pratiques de marketing par courriel et de mener certaines entreprises canadiennes à croire qu’elles ne peuvent pas se mesurer à leurs concurrentes américaines. Toutefois, selon le CRTC, le dossier révèle également l’absence d’incidence véritable sur l’efficacité du marketing électronique et une diminution simultanée de 37 p. 100 des pourriels issus du Canada. Il fait aussi observer que, si la Loi porte atteinte à la liberté d’expression, l’activité qu’elle vise est toujours permise, dans la mesure où l’expéditeur obtient le consentement du destinataire, s’identifie et fournit un mécanisme d’exclusion. Partant, la Loi est loin de prévoir une interdiction totale de l’expression commerciale en générale ou des MEC en particulier.
[22] Le CRTC est d’avis que le procureur général s’est acquitté de l’obligation qui lui incombait de démontrer que les effets négatifs de la Loi sur la liberté d’expression ne l’emportent pas sur les avantages pour l’intérêt public général, notamment une confiance accrue à l’égard du commerce électronique, qui profite à l’économie dans son ensemble.
[23] Selon le CRTC, l’atteinte portée à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte est justifiée au regard de l’article premier.
4) Les dispositions contestées ne font pas jouer l’article 11 de la Charte
[24] Le CRTC estime que les dispositions contestées de la Loi n’ont pas pour effet de créer une infraction pour l’application de l’article 11 de la Charte. Il applique pour ce faire le critère en deux volets énoncé dans l’arrêt Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3 (Guindon), servant à décider si une violation constitue une infraction criminelle au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’article 11. En premier lieu, le CRTC examine les objets de la loi et la procédure ayant mené à la sanction et arrive à la conclusion que la mesure n’est pas de nature criminelle. Suivant le CRTC, les objets de cette dernière, examinés à la lumière du régime légal dans son ensemble, sont de nature administrative; elle vise à décourager les pourriels et les autres menaces électroniques. De l’avis du CRTC, la mesure a pour objet la réglementation d’un secteur d’activité limité. Le CRTC conclut également que la procédure ayant mené à l’imposition d’une sanction ne comporte aucune des caractéristiques d’une instance de nature criminelle. Par exemple, le libellé de la Loi ne comporte pas les termes qu’on associe généralement à la procédure criminelle, tels que « culpabilité », « acquittement », « mise en accusation », « déclaration de culpabilité par procédure sommaire », « poursuite », « inculpé » ou « accusé ». Or, il comporte des termes comme « prépondérance des probabilités », « précautions », « sanction », « engagement » et « observations ». Les instances intentées sous le régime de la Loi ne prévoient pas non plus d’arrestation, de mise en accusation, de citation à comparaître devant une cour de juridiction criminelle ni de risque de casier judiciaire. Enfin, l’article 30 de la Loi dispose expressément qu’une violation de la Loi ne constitue pas une infraction et que l’article 126 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, ne s’applique pas.
[25] Au second volet du critère énoncé dans l’arrêt Guindon, le CRTC conclut que la Loi ne prévoit pas de véritable conséquence pénale. Selon le CRTC, même si le montant maximal d’une SAP peut être élevé, la jurisprudence a empêché qu’il soit arbitraire. En outre, la limite supérieure ne s’applique pas, sauf dans les cas où elle est véritablement justifiée. Le CRTC invoque une jurisprudence selon laquelle des SAP d’une fourchette équivalente à celle prévue dans la Loi ne font pas jouer l’article 11. Il fait également observer que le montant de la SAP infligée sous le régime de la Loi dépend des facteurs prévus au paragraphe 20(3) qui, selon le CRTC, présentent des considérations administratives, et non pas des principes de détermination de la peine. Le CRTC conclut en outre à l’absence de stigmatisation découlant de l’imposition d’une SAP sous le régime de la Loi. Enfin, même si les SAP sont versées au Trésor, ce qui est susceptible de révéler une véritable conséquence pénale, le CRTC est d’avis que ce seul facteur n’est pas déterminant.
5) La Loi n’enfreint pas les articles 7 et 8 de la Charte
[26] Le CRTC est d’avis que, comme la Loi ne crée pas d’infraction au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’article 11 de la Charte, les droits garantis aux articles 7 et 8 de ce même texte aux personnes inculpées ne s’appliquent pas. Le CRTC conclut donc que la Loi n’enfreint pas les articles 7 et 8 de la Charte.
B. Décision sur le procès-verbal de violation
[27] Dans la seconde décision, le CRTC applique la Loi aux faits consignés dans le procès-verbal de violation délivré à l’appelante et conclut à une violation de la Loi. Le CRTC examine 317 messages électroniques envoyés par l’appelante à divers destinataires entre juillet et septembre 2014. Ces messages constituent le fondement de trois violations reprochées de l’alinéa 6(1)a) de la Loi, à savoir l’envoi de MEC sans le consentement des destinataires, et une violation reprochée de l’alinéa 6(2)c), à savoir l’envoi de MEC qui ne comportent pas de mécanismes d’exclusion. Le CRTC finit par conclure que l’appelante a commis les quatre violations.
1) Questions préliminaires
a) Effet de la faillite de l’appelante
[28] Le CRTC estime que son examen de la décision sur le procès-verbal de violation n’est en rien modifié par le fait que l’appelante a présenté un avis de son intention de faire une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (la Loi sur la faillite), le 9 août 2016. L’appelante a indiqué le CRTC parmi ses créanciers non garantis le 28 novembre 2016.
b) L’appelante n’a pas subi de préjudice pendant ou après l’enquête
[29] Le CRTC rejette la prétention de l’appelante selon laquelle elle a subi un préjudice à l’étape de l’enquête, car on ne lui a pas demandé si des exemptions s’appliquaient dans son cas. Il rejette également l’argument de l’appelante voulant que le rapport d’enquête étayant le procès-verbal de violation faisait fi de la possibilité d’exemptions applicables. Il rappelle que l’appelante avait été informée qu’il lui était loisible de fournir des renseignements sur des exemptions applicables à l’étape de production de l’enquête et à nouveau au moment de présenter ses observations au CRTC. Elle a saisi cette dernière occasion, et le CRTC a examiné ses prétentions au sujet des exemptions dans ses décisions. Le CRTC est arrivé à la conclusion que l’appelante n’avait subi aucun préjudice au cours de l’enquête ou après.
c) Preuve étayant le rapport d’enquête
[30] Le CRTC a examiné 317 des 451 MEC visés dans le rapport d’enquête, en partie en raison de lacunes dans ce dernier et en partie parce que certains MEC semblaient ne pas dater de la période définie dans le procès-verbal de violation.
2) Violations de la Loi
[31] Avant de décider si l’appelante avait commis les violations qu’on lui reproche, le CRTC a d’abord examiné les exclusions prévues dans la Loi et a conclu qu’aucune ne s’appliquait pour soustraire l’appelante aux exigences quant au consentement et au contenu énoncées à l’article 6. Le CRTC a ensuite conclu que l’ajout d’un lien non fonctionnel en plus d’un lien fonctionnel dans un MEC ne permettait pas de satisfaire à l’exigence relative au mécanisme d’exclusion de la Loi. Enfin, le CRTC a conclu que l’appelante ne pouvait invoquer comme moyen de défense qu’elles avaient pris toutes les précautions voulues.
a) L’exception pour les communications interentreprises ne n’applique pas aux MEC
[32] Le CRTC a conclu que l’appelante n’avait pas démontré que l’exception pour les communications interentreprises s’appliquait aux MEC visés. Le sous-alinéa 3a)(ii) du Règlement sur la protection du commerce électronique, DORS/2013-221 (le Règlement) dispose que l’article 6 de la Loi ne s’applique pas aux MEC transmis par le personnel d’une organisation à celui d’une autre organisation si les organisations entretiennent des rapports et que le message concerne les activités de l’organisation qui en est le destinataire. Selon le CRTC, la preuve de l’appelante selon laquelle une organisation avait payé l’appelante pour une formation pour le compte d’un employé ne démontre pas, à elle seule, l’existence de rapports qui permettraient à l’appelante de faire du démarchage directement auprès des autres employés de l’organisation. Tout au plus, une telle transaction démontre des rapports commerciaux entre l’appelante et un seul employé, pour l’application de l’alinéa 10(9)a) de la Loi, qui porte sur le consentement tacite.
[33] Selon le CRTC, la preuve de rapports, pour l’application de l’exception pour les communications interentreprises, pourrait comprendre la preuve qu’un membre d’une organisation avec qui l’appelante avait communiqué avait le pouvoir et l’intention de créer de tels rapports pour le compte de l’organisation. Le CRTC a également indiqué que l’historique de la correspondance avec une organisation pourrait, selon sa nature, permettre de démontrer l’existence de tels rapports. Toutefois, de l’avis du CRTC, l’appelante n’avait pas produit assez d’éléments démontrant l’existence de rapports avec les organisations auxquelles elle avait envoyé les MEC.
b) Le mécanisme d’exclusion non fonctionnel
[34] L’enquête portant sur les activités de l’appelante a révélé 87 MEC comportant un mécanisme d’exclusion non fonctionnel, ce qu’interdit l’alinéa 6(2)c) de la Loi. Précisément, ces MEC comportent deux hyperliens, soit un qui semble fonctionner et un autre qui génère un message d’erreur.
[35] Selon le CRTC, les hyperliens non fonctionnels créaient de la confusion et de la frustration chez les destinataires et portaient certains à croire qu’ils ne pouvaient se soustraire à l’envoi de ces messages. Ainsi, les 87 MEC ne répondaient pas aux normes établies dans les paragraphes 3(1) et 3(2) du Règlement sur la protection du commerce électronique (CRTC), DORS/2012-36 (le Règlement du CRTC), qui exigent, dans le cas du premier, que les mécanismes d’exclusion soient « énoncés en termes clairs et facilement lisibles » et, dans le cas du second, qu’ils doivent « pouvoir s’exécuter facilement ». Le CRTC a donc conclu que ces MEC enfreignaient l’alinéa 6(2)c) de la Loi, qui exige que les mécanismes d’exclusion respectent « les exigences réglementaires » mentionnées plus haut.
c) Le consentement tacite découlant de la publication bien en vue n’est pas démontré
[36] Le CRTC a rejeté l’argument de l’appelante selon lequel 132 des 317 messages visés avaient été transmis avec le consentement tacite des destinataires, leur adresse électronique étant publiée bien en vue. Aux termes de l’alinéa 10(9)b) de la Loi, le consentement est tacite, pour l’application de l’article 6 de la Loi, lorsque le destinataire « a publié bien en vue, ou a ainsi fait publier, l’adresse électronique à laquelle il a été envoyé, la publication ne comporte aucune mention précisant qu’elle ne veut recevoir aucun message électronique commercial non sollicité à cette adresse et le message a un lien soit avec l’exercice des attributions de la personne, soit avec son entreprise commerciale ou les fonctions qu’elle exerce au sein d’une telle entreprise ».
[37] Le CRTC était d’avis que la plupart des éléments de preuve avancés par l’appelante ne démontrait pas que les destinataires avaient publié bien en vue leur adresse électronique, au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’alinéa 10(9)b). L’appelante avait trouvé certaines des adresses dans les répertoires en ligne de tiers qui ne précisaient pas si le contenu avait été fourni par les utilisateurs. Elle avait trouvé d’autres adresses dans des répertoires en ligne où les renseignements avaient été fournis par les utilisateurs, mais qui comportaient des mentions interdisant l’envoi de MEC aux adresses colligées. Dans d’autres cas, l’appelante aurait, selon le CRTC, simplement conjecturé, sans preuve, le rôle, les fonctions ou les attributions de l’organisation ou de la personne à qui les MEC avaient été envoyés. De l’avis du CRTC, aucune de ces situations ne permettait de satisfaire à l’exception de la publication bien en vue prévue à l’alinéa 10(9)b) de la Loi.
d) Le moyen de défense des précautions voulues n’est pas opposable
[38] Le CRTC a rejeté l’argument subsidiaire de l’appelante selon lequel elle ne devrait pas être tenue responsable d’éventuelles violations, car elle avait pris toutes les précautions voulues pour les prévenir. Elle avait notamment engagé des employés chargés d’obtenir le consentement des destinataires à l’envoi des MEC, elle avait communiqué avec le CRTC pour obtenir des directives sur l’exception pour les communications interentreprises, elle avait respecté presque à la perfection les exigences quant au mécanisme d’exclusion et elle a retenu les services d’un cabinet de consultation chargé de monter un programme de conformité.
[39] Selon le CRTC, certaines de ces mesures ne fondaient pas le moyen de défense des précautions voulues, car elles avaient été prises après les violations reprochées. D’autres mesures démontraient que l’appelante connaissait les exigences prévues dans la Loi, mais il n’est pas évident qu’elles avaient permis ou auraient pu permettre de prévenir les violations en question. En outre, le CRTC n’était pas convaincu par certaines des prétentions de l’appelante, comme celle à propos de la quasi-perfection quant à la conformité à l’exigence relative au mécanisme d’exclusion; comme l’appelante a transmis des MEC dépourvus de liens fonctionnels, il est impossible de savoir combien de requêtes d’exclusion ne sont jamais arrivées à destination. Le CRTC a conclu que l’appelante avait pris des mesures pour se préparer en vue de l’entrée en vigueur de la Loi, mais n’avait pas démontré qu’elle avait pris toutes les mesures raisonnables au cours de la période visée pour prévenir les violations qu’on lui reproche. Le CRTC a donc rejeté le moyen de défense des précautions voulues opposé par l’appelante.
3) Conclusions à propos des violations reprochées à l’appelante
[40] Selon le CRTC, l’appelante a envoyé 317 MEC à des destinataires sans obtenir leur consentement, ce qui constitue une violation de l’alinéa 6(1)a) de la Loi. Le CRTC était d’avis que l’exception pour les communications interentreprises prévue au sous-alinéa 3a)(ii) du Règlement ne s’appliquait pas à ces MEC et qu’aucun des destinataires n’avait publié bien en vue son adresse électronique, au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’alinéa 10(9)b) de la Loi. Le CRTC a également conclu que 87 des 317 messages contrevenaient à l’alinéa 6(2)c) de la Loi, car ils comportaient un mécanisme d’exclusion non fonctionnel. En outre, le CRTC était d’avis que l’appelante ne pouvait opposer aux violations reprochées le moyen de défense des précautions voulues. Par conséquent, le CRTC a conclu, selon la prépondérance des probabilités, à trois violations de l’alinéa 6(1)a) de la Loi et à une violation de l’alinéa 6(2)c), comme il était énoncé dans le procès-verbal de violation.
4) Réduction de la SAP par le CRTC – de 1 100 000 $ à 200 000 $
[41] Selon le CRTC, le montant de la SAP qui convenait en l’espèce s’établissait à 200 000 $, plutôt qu’à 1 100 000 $, comme il était établi dans le procès-verbal de violation. Pour ce faire, le CRTC a examiné les actes de l’appelante à la lumière des éléments énumérés au paragraphe 20(3) de la Loi, servant à déterminer le montant de la SAP.
[42] L’appelante n’avait pas d’antécédent en matière de violation de la Loi, n’avait pas pris d’engagement sous le régime de cette dernière ou d’autres lois. Elle n’a pas non plus tiré d’avantage financier des violations. Cependant, rien n’indiquait que l’appelante avait dédommagé les personnes touchées par ses violations.
[43] Le CRTC a conclu que le régime de SAP de la Loi avait pour objet d’assurer la conformité par la dissuasion. Toutefois, de l’avis du CRTC, la SAP de 1 100 000 $ établie dans le procès-verbal de violation était indûment axée sur la dissuasion générale et disproportionnelle à la sanction nécessaire pour favoriser la conformité de l’appelante en particulier. Selon le CRTC, une SAP moindre convenait mieux.
[44] Selon le CRTC, la nature et la portée des violations commises par l’appelante militent également en faveur d’une sanction réduite. Le CRTC a admis que les messages de l’appelante n’avaient pas causé les pires maux que l’on associe à d’autres genres de MEC non sollicités. Or, les messages étaient généralement dérangeants et non sollicités, et la frustration qu’ils ont causée était exacerbée par l’incapacité des destinataires à s’exclure des envois en raison de liens non fonctionnels. Le CRTC a également fait remarquer qu’il avait déjà réduit le nombre de messages examinés; des 451 messages possibles, il n’en a examiné que 317. De l’avis du CRTC, les actes de l’appelante justifiaient toujours une sanction, mais une sanction inférieure à celle qui était prévue dans le procès-verbal de violation.
[45] Ensuite, le CRTC a analysé la capacité de l’appelante de payer la sanction proposée, un élément qui, selon le CRTC, militait également en faveur d’une réduction de la SAP initiale établie à 1 100 000 $. Il a accordé davantage de poids aux revenus annuels de l’appelante qu’à ses profits, pour déterminer la capacité de payer, estimant que ces derniers pouvaient plus facilement être manipulés pour paraître inférieurs que les premiers. Selon le CRTC, les prétentions de l’appelante quant à l’effet draconien qu’aurait la sanction proposée sur les propriétaires et sur la viabilité à long terme de l’entreprise étaient dépourvues de fondement détaillé. De l’avis du CRTC, suivant certains indicateurs, l’appelante était en mesure d’acquitter la sanction proposée, alors que selon d’autres, elle ne l’était pas. Le CRTC a conclu que l’appelante était en mesure d’acquitter une certaine sanction, mais qu’une sanction réduite était préférable.
[46] Selon le CRTC, le fait que l’appelante n’avait pas collaboré à l’enquête sur ses activités, qui est ressorti du rapport d’enquête, ne devrait pas jouer beaucoup dans le calcul de la SAP nécessaire pour favoriser la conformité de l’appelante. Le CRTC savait que la procédure d’enquête prévue dans la Loi venait d’être mise en place quand l’appelante tentait de s’y retrouver, et l’appelante n’avait pas tenté de miner ou de ralentir l’enquête.
[47] Selon le CRTC, les efforts de l’appelante visant à améliorer sa conformité après l’enquête sur ses actes révélaient une attitude positive d’autocorrection. Si ces efforts ne rendaient pas la sanction inutile, de l’avis du CRTC, ils militaient en faveur d’une sanction réduite.
[48] En dernier lieu, le CRTC a examiné la proportionnalité globale entre le montant considérable de la SAP et les éléments mentionnés plus haut, à la lumière des circonstances de l’appelante. Le CRTC a conclu que la SAP de 1 100 000 $ établie dans le procès-verbal de violation était disproportionnelle à la sanction nécessaire pour favoriser la conformité de l’appelante et a décidé d’en réduire le montant, l’établissant à 200 000 $.
[49] Même s’il était d’avis que la SAP initiale de 1 100 000 $ n’était pas proportionnelle aux violations commises par l’appelante et à la sanction nécessaire pour favoriser la conformité, le CRTC a rejeté l’argument de l’appelante selon lequel la SAP en l’espèce constituait une véritable sanction pénale et faisait ainsi jouer l’article 11 de la Charte. Sa conclusion était fondée sur les mêmes motifs que ceux qui fondaient sa conclusion, dans la décision sur la constitutionnalité, selon laquelle la Loi, en général, n’inflige pas de véritable conséquence pénale.
[50] Le CRTC a conclu, compte tenu de l’ensemble de toutes les circonstances pertinentes, qu’une SAP de 200 000 $ convenait.
V. Observations de l’appelante
A. Décision sur la constitutionnalité
1) La Loi ne relève pas de la compétence du Parlement
[51] Selon l’appelante, le CRTC a conclu à tort que la Loi relevait de la compétence du Parlement en matière de trafic et de commerce. L’analyse du caractère véritable à laquelle le CRTC a procédé était lacunaire, car ce dernier a examiné la Loi dans son ensemble, plutôt que les dispositions en litige. Le CRTC a abordé l’analyse d’une perspective trop large, et cette erreur a compromis le reste de l’analyse.
[52] Selon l’appelante, le caractère véritable des dispositions en litige transcende le trafic et le commerce. Ces dispositions, selon l’appelante, visent tous les messages susceptibles de posséder un objet commercial mineur, réglementent des messages de nature purement locale et nuisent à l’acquittement d’obligations contractuelles. Le caractère véritable des dispositions de la Loi sur les messages, selon l’appelante, consiste à réglementer les messages non sollicités en général. Les dispositions en litige relèvent donc de la compétence des provinces sur les institutions municipales, les matières d’une nature locale, la propriété et les droits civils.
[53] L’appelante soutient que les dispositions contestées ne sauraient tomber sous le coup de la compétence générale du Parlement sur le trafic et le commerce seulement parce que certains aspects des MEC ont une portée nationale. Elle fait remarquer que les dispositions sur les MEC de la Loi évincent des règlements provinciaux en matière de protection des consommateurs, de protection des renseignements personnels et de marketing. L’appelante affirme également que les provinces ont le pouvoir de légiférer pour régler les problèmes que vise la Loi.
2) La Loi enfreint l’alinéa 2b) et n’est pas justifiée au regard de l’article premier
[54] Selon l’appelante, l’atteinte portée par la Loi à la liberté garantie par l’alinéa 2b) de la Charte n’est pas justifiée au regard de l’article premier.
a) La Loi est trop vague pour constituer une restriction apportée par « une règle de droit »
[55] L’appelante affirme que les principales définitions énoncées dans la Loi sont trop générales et pas assez exhaustives pour circonscrire clairement une zone de risque. Les exceptions et les règlements de la Loi génèrent également de la confusion, ce qui nuit au respect de cette mesure. Selon l’appelante, comme un message peut être converti en MEC s’il est accessible au moyen d’un lien, la Loi crée un [traduction] « risque impossible à déterminer ». Elle soutient également que la Loi fait intervenir une norme inintelligible, en raison de l’absence d’« éléments susceptibles d’aider le public ou les tribunaux à comprendre l’étendue du risque » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 43). Enfin, l’appelante fait valoir que l’obligation pour le MEC de comporter les coordonnées de la personne « au nom de qui il a été envoyé » est trop vague.
b) L’objet des dispositions contestées n’est pas réel et urgent
[56] L’appelante soutient que les mesures attentatoires ont pour objet d’empêcher l’envoi de messages électroniques non sollicités comportant tout élément un tant soit peu commercial. Elle affirme qu’il ne s’agit pas d’un objet réel et urgent. Le CRTC aurait inféré à tort l’objet des mesures du titre de la Loi et de la disposition énonçant son objet, à savoir l’article 3. Selon l’appelante, l’analyse fondée sur l’article premier concerne seulement l’objet des mesures attentatoires.
[57] Les mesures attentatoires ne visent pas seulement à prévenir les pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses. Si c’était le cas, l’appelante convient qu’il s’agirait d’un objet réel et urgent. Au contraire, les dispositions contestées interdisent a priori tous les messages comportant un message un tant soit peu commercial, dont une panoplie de messages avantageux. Selon l’appelante, ces mesures ne sauraient avoir pour objet la protection de l’économie, car elles nuisent en fait au commerce électronique.
c) Les dispositions contestées sont dépourvues de lien rationnel avec l’objet de la Loi
[58] Selon l’appelante, le CRTC a eu tort de conclure qu’« un lien logique et rationnel entre les mesures attentatoires et les objectifs du gouvernement » suffisait pour qu’il soit satisfait au critère du lien rationnel. Elle estime que le CRTC a fait fi de plusieurs considérations [traduction] « arbitraires, injustes et irrationnelles » qui auraient dû porter un coup fatal à la Loi à l’étape du lien rationnel (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 52). Suivant l’appelante, l’interdiction applicable à tout MEC non sollicité est trop générale et vise des messages qui ne nuisent pas au commerce électronique, comme les messages assortis de coupons ou qui invitent les destinataires à appuyer les victimes de catastrophes naturelles. Elle fournit d’autres exemples de messages qui, selon elle, tomberaient sous le coup de l’interdiction de la Loi et qui démontrent le caractère arbitraire, injuste et irrationnel de cette interdiction.
d) La Loi ne porte pas une atteinte minimale
[59] L’appelante invoque également la portée excessive pour plaider que la Loi ne satisfait pas au volet de l’atteinte minimale. Selon elle, le CRTC a fait erreur en n’examinant pas séparément chacune de ses prétentions sur la portée excessive de la Loi. À ses yeux, le CRTC ne s’est pas demandé si la Loi représente véritablement la mesure la moins draconienne permettant d’atteindre les objectifs du gouvernement. Au lieu d’une définition non exhaustive du terme « message électronique commercial » et d’une liste exhaustive d’exceptions, le législateur aurait pu faire le contraire, comme en Australie. Il aurait également pu adopter un régime à option de retrait plutôt qu’un régime à option d’adhésion applicable au consentement du destinataire. Elle suggère également d’exclure les messages interpersonnels du champ de la définition de MEC, de prévoir une exception pour les organismes faisant oeuvre de bienfaisance et d’exclure le contenu accessible par un lien de l’examen visant à déterminer si un message est un MEC. L’appelante soutient que toutes ces suggestions représentent une solution de rechange moins draconienne à la Loi. À son avis, la Loi ne porte donc pas une atteinte minimale aux droits que protège l’alinéa 2b).
e) Les effets délétères de la Loi ne sont pas proportionnels à ses avantages
[60] L’appelante soutient que le CRTC a conclu à tort que les MEC se situent à l’extérieur du champ des valeurs fondamentales au cœur de l’alinéa 2b) et sont moins dignes de protection que d’autres formes d’expression. Elle affirme qu’il a aussi eu tort de faire fi des nombreux types de discours non commerciaux qui sont visés par l’interdiction générale prévue dans la Loi. Elle compare la Loi à la Loi albertaine sur la protection des renseignements personnels (Personal Information Protection Act, S.A. 2003, ch. P-6.5) qui prévoyait une interdiction générale semblable, assortie de régimes d’exclusion. La Cour suprême a jugé que cette loi ne satisfaisait pas au volet de la proportionnalité de l’analyse fondée sur l’article premier dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733.
[61] Selon l’appelante, la Loi restreint plusieurs formes de discours de nature positive, comme le discours politique ou religieux, les œuvres caritatives et dédiées au bien public et la publicité par des professionnels. En revanche, il n’est pas évident que la Loi a des effets positifs. Son grave effet sur la liberté d’expression n’est donc pas justifié.
3) La Loi enfreint les articles 11, 7 et 8 de la Charte
[62] Selon l’appelante, la Loi porte atteinte au droit de ne pas témoigner contre soi-même garanti par les articles 7 et 11 de la Charte ainsi qu’au droit d’être protégé contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives garanti à l’article 8. L’appelante affirme que la SAP prévue à la Loi constitue une [traduction] « véritable conséquence pénale » et fait donc intervenir l’article 11 (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 85). Elle soutient que les personnes sanctionnées sous le régime de la Loi ne peuvent se prévaloir des diverses protections procédurales garanties par l’article 11. L’appelante affirme également que les pouvoirs de contrainte conférés à certaines personnes par la Loi portent atteinte au droit de ne pas témoigner contre soi-même prévu à l’article 7 et à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives garantie par l’article 8. Selon elle, ces atteintes se produisent lorsque des personnes désignées contraignent des particuliers ou des organisations à produire des documents qui sont ultérieurement utilisés contre ces mêmes particuliers ou organisations dans les instances intentées sous le régime de la Loi.
B. Décision sur le procès-verbal de violation
1) Application et interprétation de la Loi sur la faillite
[63] Suivant l’appelante, le CRTC a conclu à tort que la proposition faite par l’appelante à ses créanciers en application de la Loi sur la faillite ne jouait pas sur le procès-verbal de violation. Elle soutient que les obligations énoncées dans le procès-verbal de violation constituent des créances non garanties qui ont été compromises par l’acceptation, par les créanciers et le tribunal appelé à prononcer la faillite, de la proposition faite par l’appelante. Selon elle, le CRTC n’était pas fondé à infliger une SAP de 200 000 $.
[64] L’appelante affirme que le CRTC a fait fi du critère juridique servant à déterminer si les obligations énoncées dans le procès-verbal de violation constituent des « réclamations prouvables » pour l’application de la Loi sur la faillite. Selon l’appelante, le critère à trois volets énoncé dans l’arrêt Terre-Neuve-et-Labrador c. AbitibiBowater Inc., 2012 CSC 67, [2012] 3 R.C.S. 443, est respecté par la SAP énoncée dans le procès-verbal de violation, qui représente une obligation envers un créancier (le CRTC) ayant pris naissance avant que l’appelante ne présente son avis d’intention et à laquelle il est possible d’attribuer une valeur pécunaire. Selon l’appelante, ses obligations énoncées dans le procès-verbal de violation constituaient dans les faits des réclamations prouvables. Elle en était donc libérée par suite de la proposition faite sous le régime de la Loi sur la faillite. Elle affirme que le CRTC a fait erreur en lui infligeant une sanction de 200 000 $ sur le fondement d’obligations dont l’avait libérée la proposition.
[65] Il convient de noter que l’intimé reconnaît l’impossibilité, hors de la procédure d’insolvabilité, d’obliger l’appelante à acquitter la SAP (mémoire de l’intimé sur la question du procès-verbal de violation, aux paragraphes 22, 24 et 26). Même si la question du caractère exécutoire n’est pas en litige, l’appelante demande tout de même à la Cour de se prononcer sur celle-ci. L’appelante fait valoir que le CRTC, dans sa décision, affirme que la sanction infligée à l’appelante n’a pas été compromise par la proposition faite par cette dernière sous le régime de la Loi sur la faillite et que la SAP demeure exigible. L’appelante reconnaît la possibilité que le tribunal qui prononcera la faillite sursoie à l’exécution de la SAP et sait que l’intimé a admis que cette dernière n’était pas exécutoire, mais signale que pareille concession n’équivaut pas à un jugement de notre Cour.
2) Le traitement par le CRTC de l’exception pour les communications interentreprises
[66] Selon l’appelante, le CRTC a conclu à tort que l’exception pour les communications interentreprises prévue au sous-alinéa 3a)(ii) du Règlement ne s’appliquait à aucun des 317 MEC. Elle affirme que le législateur, en prévoyant cette exception, entendait empêcher que les communications commerciales normales soient régies par la Loi plus que nécessaire. Elle soutient avoir démontré, pour 168 des 317 MEC en question, que les messages avaient été envoyés aux employés d’organisations avec qui elle communiquait de longue date ou avait des rapports contractuels fondés sur le paiement de cours de perfectionnement professionnel. Le CRTC a commis une erreur en concluant que l’exception pour les communications interentreprises ne s’appliquait pas à de tels rapports.
[67] Selon l’appelante, le CRTC a interprété l’exception de manière si étroite que celle-ci en est devenue presque inefficace. L’interprétation du CRTC serait contraire à l’objet de la Loi, car elle décourage en fait l’utilisation de moyens électroniques pour les activités commerciales.
[68] L’appelante prétend également que le CRTC a confondu le critère juridique applicable pour déterminer l’existence de « rapports » dans le cas de l’exception pour les communications interentreprises avec celui applicable pour déterminer l’existence de « relations d’affaires en cours » lorsqu’il s’agit de décider s’il y avait consentement tacite pour l’application du paragraphe 10(9) de la Loi. Elle affirme que, logiquement, le premier devrait se voir attribuer un [traduction] « sens considérablement plus large » que le second, un terme plus « spécifique » (mémoire de l’appelante sur la question du procès-verbal de décision, au paragraphe 64), tout particulièrement comme le législateur a décidé de ne pas définir le premier.
[69] En outre, l’appelante soutient que le CRTC a interprété de manière trop restrictive l’exigence de la pertinence de l’exception pour les communications interentreprises. Elle affirme que ses MEC offraient des services de formation pour le perfectionnement des employés des organisations destinataires. Ces dernières étaient tenues en droit d’offrir à leurs employés des programmes de formation [traduction] « du même genre que ceux publicisés et offerts » par l’appelante (mémoire de l’appelante sur la question du procès-verbal de violation, au paragraphe 68). Selon l’appelante, l’exception n’exige pas que les MEC ne fassent pas précisément référence aux activités des organisations destinataires.
[70] Enfin, l’appelante affirme que le CRTC a inventé l’exigence selon laquelle les rapports ne sont établis avec des organisations que par l’intermédiaire de personnes ayant assez de pouvoir pour lier ces organisations. Elle soutient qu’une telle exigence est contraire à la lettre et à l’esprit de l’exception.
3) Le traitement par le CRTC du consentement tacite découlant de la publication bien en vue
[71] Selon l’appelante, le CRTC a aussi mal interprété et appliqué l’alinéa 10(9)b) de la Loi, qui dispose que le consentement tacite à la réception de MEC peut être inféré de la situation où le destinataire a publié bien en vue son adresse électronique. L’appelante a fourni au CRTC un tableau énumérant les adresses de courriel qui étaient, à ses dires, publiées bien en vue, la source de publication et le titre du destinataire, s’il était connu. Elle renvoie au titre de poste des destinataires indiqué dans le tableau pour démontrer que les MEC visés concernaient les activités commerciales des destinataires, un élément essentiel pour qu’il y ait consentement tacite pour l’application de l’alinéa 10(9)b). L’appelante affirme également qu’il a été satisfait à cette exigence parce que les MEC concernaient des cours [traduction] « d’intérêt général pour les employés » (mémoire de l’appelante sur la question du procès-verbal de violation, au paragraphe 78).
4) Le traitement par le CRTC de l’exigence relative au mécanisme d’exclusion
[72] Enfin, l’appelante soutient que le CRTC a mal interprété et appliqué l’article 3 du Règlement du CRTC, aux termes duquel les mécanismes d’exclusion doivent être énoncés [traduction] « en termes clairs et facilement lisibles » et « pouvoir s’exécuter facilement » (mémoire de l’appelante sur la question du procès-verbal de violation, au paragraphe 82). Selon l’appelante, la présence de liens non fonctionnels dans certains MEC n’enlève rien au fait que ces mêmes MEC comportaient également des hyperliens fonctionnels et étaient conformes au libellé exprès du Règlement du CRTC. De l’avis de l’appelante, les conclusions contraires du CRTC constituent une erreur d’interprétation et d’application des exigences relatives aux mécanismes d’exclusion.
VI. Les questions en litige
A. Contestation constitutionnelle
1) La Loi relève-t-elle de la compétence du Parlement?
2) La violation de l’alinéa 2b) de la Charte est-elle justifiée au regard de l’article premier?
3) La Loi enfreint-elle l’article 11 de la Charte?
4) La Loi enfreint-elle les articles 7 et 8 de la Charte?
B. Procès-verbal de violation
1) Le CRTC a-t-il mal interprété et appliqué l’exception pour les communications interentreprises?
2) Le CRTC a-t-il mal interprété et appliqué l’exigence de la Loi relative au consentement tacite découlant de la publication bien en vue?
3) Le CRTC a-t-il mal interprété et appliqué l’exigence de la Loi quant au mécanisme d’exclusion?
VII. Norme de contrôle
[73] Les présents appels concernent deux décisions du CRTC rendues conformément à la procédure prévue à l’article 25 de la Loi. Ces décisions emportent un droit légal d’appel à notre Cour (Loi, paragraphe 27(1)). Pour citer la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] A.C.S. no 65 (Vavilov) : « lorsque le législateur prévoit un appel à l’encontre d’une décision administrative devant une cour de justice, la cour saisie de l’appel doit recourir aux normes applicables en appel pour réviser la décision » (au paragraphe 37). L’arrêt de principe sur les normes de contrôle en appel est Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen) suivant lequel les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte tandis que les questions de fait et mixtes de fait et de droit sont assujetties à celle de l’erreur manifeste et dominante.
[74] La Cour applique la norme de la décision correcte à la décision du CRTC sur la constitutionnalité, qui concerne la validité et la conformité à la Charte de la Loi. La Cour suprême du Canada explique l’application de cette norme au paragraphe 50 de son arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, en ces termes :
[…] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.
Ainsi, la Cour procède à sa propre analyse de la loi contestée, fondée sur le partage des compétences et la Charte, pour décider s’il convient de confirmer la décision sur la constitutionnalité ou si la Cour doit intervenir pour la rendre conforme à ses conclusions. Si la Cour tient compte du raisonnement du CRTC, « elle est en fin de compte habilitée à tirer ses propres conclusions sur la question en litige » (Vavilov, au paragraphe 54).
[75] En revanche, la Cour examine la décision sur le procès-verbal de violation – et son application de la Loi aux faits de l’affaire – selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. La Cour n’intervient que si une conclusion du CRTC révèle une erreur évidente qui touche directement à l’issue de l’affaire (Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38).
VIII. La décision sur la constitutionnalité
A. Analyse du partage des compétences : validité au regard du paragraphe 91(2)
[76] L’appelante conteste la conclusion du CRTC selon laquelle la Loi relève de la compétence du Parlement. Selon le CRTC, la Loi résulte d’un exercice valide par le Parlement de la compétence à l’égard du trafic et du commerce que lui confère le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867. Précisément, le CRTC est d’avis que la Loi relève du second volet du pouvoir général en matière de trafic et de commerce à l’échelle du pays.
[77] Pour décider si la loi contestée relève bel et bien de la compétence législative du Parlement, il faut procéder à une analyse fondée sur le partage des compétences, qui comprend généralement deux volets. En premier lieu, on détermine le caractère véritable de la loi à la lumière de son objet et de son effet. En second lieu, on range la loi dans l’une ou l’autre des catégories de sujets que la Loi constitutionnelle de 1867 attribue soit au Parlement, soit aux provinces. Si la loi tombe sous le coup de la compétence de l’ordre de gouvernement qui l’a adoptée, elle est valide. En revanche, si la loi tombe sous le coup d’un chef de compétence qui ne relève pas de l’ordre de gouvernement qui l’a adoptée, elle n’est pas valide et doit être abrogée (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837 (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières), aux paragraphes 63 à 65; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783, au paragraphe 15).
[78] Or, signalons que, lorsque l’analyse porte précisément sur la question de savoir si la loi résulte d’un exercice valide par le Parlement de son pouvoir général en matière de trafic et de commerce, la jurisprudence prévoit une certaine manière de procéder à l’analyse du partage des compétences. Un courant jurisprudentiel s’étant soldé par l’arrêt General Motors a établi cinq indices servant à déterminer la validité d’une mesure prise en vertu de ce volet du pouvoir prévu au paragraphe 91(2). Ces indices sont énoncés en détail ci-après, mais le critère de l’arrêt General Motors veut que, lorsque « la loi s’inscrit dans un régime général de réglementation visant le trafic et le commerce et faisant l’objet d’une surveillance par un organisme de réglementation, elle relève du pouvoir fédéral général relatif au trafic et au commerce si la matière réglementée revêt véritablement une importance et une portée nationales » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 83).
[79] L’avis consultatif émis par la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières démontre une méthode permettant d’intégrer le critère établi dans l’arrêt General Motors à l’analyse du partage des compétences. La Cour suprême procède d’abord à une analyse du caractère véritable de la loi visée pour appliquer ensuite le critère établi dans l’arrêt General Motors à l’étape de la classification. Les présents motifs adoptent la même démarche. Ainsi, « nous devons cerner ce qu’est le caractère véritable de la loi proposée quant à son objet et quant à ses effets; ensuite, nous devons nous demander si le régime, à la lumière de cette caractérisation, satisfait aux critères établis dans General Motors » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 92).
1) Portée de la loi examinée
[80] Dans son avis d’appel, l’appelante indique qu’elle sollicite une déclaration d’invalidité de la Loi entière. Or, devant le CRTC, elle n’a contesté que certaines dispositions (décision sur la constitutionnalité, aux paragraphes 11 et 12). Plus précisément, les arguments quant à l’invalidité de la Loi devant le CRTC portaient exclusivement sur les dispositions de celle-ci concernant les MEC (décision sur la constitutionnalité, au paragraphe 37). En outre, dans son mémoire d’appel, l’appelante limite ses arguments quant à l’invalidité aux [traduction] « dispositions de la Loi sur les messages » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 81). Par conséquent, je pars du principe que la contestation sur le plan de la validité ne vise que les dispositions de la Loi sur les MEC.
[81] Les parties et le CRTC conviennent que les dispositions de la Loi sur les MEC sont les principales dispositions en litige (décision sur la constitutionnalité, au paragraphe 37). Néanmoins, ils ne s’entendent pas sur la portée de la mesure qu’il convient d’examiner dans l’analyse du partage des compétences. Selon l’appelante, les dispositions sur les MEC doivent être examinées en vase clos; à son avis, le CRTC a donc fait erreur en examinant la Loi dans son ensemble. Précisément, le CRTC, en procédant à l’analyse du caractère véritable, a tenu compte de l’objet et des effets des articles 7 et 8, qui portent sur la modification des données de transmission de messages électronique et l’installation interdite d’un programme d’ordinateur, respectivement (décision sur la constitutionnalité, aux paragraphes 37, 43 et 45). Selon l’appelante, l’affaire n’intéresse pas ces dispositions, et la démarche qu’il faut adopter consiste à déterminer le caractère véritable des dispositions contestées qui portent sur les MEC, isolément de la Loi dans son ensemble (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 80). Pour sa part, l’intimé défend la démarche adoptée par le CRTC (mémoire de l’intimé sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 90) même s’il a appliqué celle préconisée par l’appelante, qui consiste à analyser les dispositions sur les MEC en particulier (mémoire de l’intimé sur les questions constitutionnelles, aux paragraphes 92, 95 et 96).
[82] Pour résoudre cette contradiction, il est utile de rappeler que le critère établi dans l’arrêt General Motors permet d’évaluer la validité d’une mesure à l’échelle du régime administratif. Pour citer la Cour suprême, si elle n’est pas essentielle, « [l’]existence d’un tel système législatif constitue l’une des caractéristiques les plus fondamentales » d’une loi valide en matière de trafic et de commerce. Ainsi, « [l]a plupart des dispositions dont la validité est confirmée en vertu du deuxième aspect du paragraphe 91(2) sont reliées à un système de réglementation » (General Motors, aux pages 667 et 668). L’existence d’un tel régime n’est pas contestée en l’espèce (décision sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 53), mais sa portée l’est.
[83] Un régime administratif peut ressortir d’une seule disposition ou d’une partie d’une loi qu’il est possible d’isoler ou constituer une loi en entier. Dans l’arrêt General Motors, la Cour suprême indique trois caractéristiques d’un tel régime : activités interdites, existence d’un mécanisme d’enquête et recours (General Motors, à la page 676).
[84] Lorsqu’il s’agit de décider s’il existe un régime administratif pertinent dans l’affaire dont nous sommes saisis, deux démarches sont possibles. Premièrement, on peut affirmer que la Loi dans son ensemble représente un seul régime administratif. C’est l’interprétation adoptée par le CRTC (décision sur la constitutionnalité, aux paragraphes 37, 43 et 45). Suivant cette interprétation, les activités interdites sont définies en termes généraux comme étant celles qui « découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique » (Loi, article 3). Les articles 6 à 8 décrivent trois sous-catégories d’activités interdites, à savoir, l’envoi de MEC non sollicités, la modification des données de transmission des messages électroniques et l’installation interdite d’un programme d’ordinateur. Suivant une telle interprétation, si l’on conclut que les dispositions sur les MEC empiètent sur un domaine de compétence législative provincial, elles pourraient tout de même être valides en raison de leur appartenance au régime administratif général que prévoit la Loi, à condition que ce dernier soit valide et que les dispositions y soient suffisamment intégrées, dans la mesure de leur empiétement. C’est là l’essence de la doctrine des pouvoirs accessoires : « la conclusion que, en raison de son caractère véritable, une disposition prise isolément empiète sur des pouvoirs provinciaux n’est pas déterminante quant à sa constitutionnalité fondamentale […] Il faut examiner tant la disposition contestée que la loi dans son ensemble lorsqu’on procède à une analayse constitutionnelle » (Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, [2005] 3 R.C.S. 302 (Kirkbi), au paragraphe 20. Le CRTC avait peut-être ce principe à l’esprit quand il a affirmé « dans la mesure où il était nécessaire de le faire aux fins de l’analyse du caractère véritable, le Conseil a tenu compte de l’objet et des effets du régime réglementaire de la LCAP dans leur ensemble » (décision sur la constitutionnalité, au paragraphe 37).
[85] Si on déterminait que la Loi ne présentait qu’un seul régime administratif, il serait justifié d’examiner l’objet et les effets des articles 7 et 8 pour décider si le régime global que prévoit la Loi était valide. Or, même dans un tel scénario, il serait nécessaire de déterminer en premier lieu le caractère véritable des dispositions contestées isolément avant d’examiner le régime global. Comme le précise la Cour suprême, dans les cas où seules certaines dispositions d’une loi sont contestées, à la « première étape de l’analyse, il faut qualifier la disposition contestée indépendamment du reste de la Loi » (Kirkbi, au paragraphe 23). Le CRTC a envisagé la Loi dans son ensemble, dès le début de son analyse sur le caractère véritable, et n’a examiné l’objet et les effets des dispositions sur les MEC contestées à aucune étape de son raisonnement.
[86] Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que l’analyse du partage des compétences appelle un examen des articles 7 et 8 en l’espèce. L’intimé n’a pas soulevé la doctrine des pouvoirs accessoires pour étayer son argument quant à la validité des dispositions contestées sur les MEC. Il n’est donc pas opportun d’emprunter cette voie.
[87] À mon avis, la deuxième interprétation, qui correspond davantage à celle préconisée par l’appelante, est préférable. Suivant celle-ci, la Loi comporte trois régimes administratifs distincts, dont chacun vise une des trois catégories d’activités interdites établies aux articles 6, 7 et 8. Selon une telle interprétation, les dispositions contestées créent un régime administratif distinct visant les MEC non sollicités, qui est distinct de ceux visant la modification des données de transmission et l’installation de programmes d’ordinateur. Il n’est donc pas justifié d’examiner l’objet et les effets de ces deux derniers dans l’analyse de la constitutionnalité des dispositions contestées sur les MEC, qui doit être considérée à part. L’analyse doit être limitée aux dispositions contestées, qui ensemble forment le régime prévu par la Loi sur les MEC, et « [l]a question à trancher est donc celle de savoir si la somme des dispositions de ce régime, considérées ensemble, relève du pouvoir général en matière de trafic et de commerce » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 91). Si des dispositions qui semblent invalides peuvent devenir constitutionnelles une fois intégrées à un régime autrement valide, la simple existence de deux autres régimes valides au sein d’une même loi ne rend pas constitutionnel un régime invalide.
[88] Signalons que le CRTC semble reconnaître l’existence de plus d’un régime au sein de la Loi, car il distingue, au paragraphe 37 de sa décision sur la constitutionnalité, les dispositions sur les « MEC non sollicités » des « dispositions de la LCAP relatives à la modification des données de transmission ou à l’installation de programmes d’ordinateur ».
[89] C’est pourquoi dans l’analyse du partage des compétences, qui suit, nous déterminons d’abord le caractère véritable des dispositions contestées, examinées ensemble comme un régime économique visant à réglementer l’envoi de MEC non sollicités, en considérant leur objet et leurs effets, isolément des autres dispositions de la Loi, notamment les articles 7 et 8. Ensuite, nous décidons si le régime relatif aux MEC, ainsi qualifié, satisfait au critère énoncé dans l’arrêt General Motors et constitue par conséquent une mesure législative fédérale valide relevant du pouvoir général du Parlement en matière de trafic et de commerce (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, aux paragraphes 91 et 92).
[90] Avant d’aller plus loin, signalons que, quelle que soit l’interprétation adoptée parmi les deux décrites plus haut — c’est-à-dire l’existence, soit d’un seul régime administratif, soit de trois —, il est satisfait aux deux autres éléments d’un régime administratif, à savoir l’existence d’une procédure d’enquête et l’existence de recours (General Motors, à la page 676). Il est satisfait à ces éléments, car l’article 14 et d’autres dispositions confèrent des pouvoirs d’enquête et d’application à certaines personnes, outre le CRTC, le commissaire de la concurrence, le commissaire à la protection de la vie privée et la Cour. Rappelons que l’existence d’un régime administratif n’est pas contestée en l’espèce (décision sur la constitutionnalité, au paragraphe 53). L’analyse qui précède importe seulement lorsqu’il s’agit de circonscrire les paramètres du régime administratif qu’il faut examiner dans les parties qui suivent.
2) Analyse du caractère véritable
[91] Comme il est décidé que l’analyse du caractère véritable porte sur les dispositions sur les MEC, interprétées isolément, il faut ensuite examiner l’objet et les effets de ces dernières, autrement dit, ce qu’elles cherchent à accomplir et ce qu’elles accomplissent effectivement (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 94).
a) Objet des dispositions sur les MEC
[92] La jurisprudence enseigne qu’il est possible de discerner l’objet d’une loi à partir d’éléments de preuve intrinsèque et extrinsèque. La preuve intrinsèque, qui ressort des termes mêmes de la loi, comprend la disposition énonçant expressément son objet, ainsi que l’économie générale de la loi. Les éléments de preuve extrinsèque pertinents comprennent les rapports sur la filière législative, y compris les Débats de la Chambre des communes, les publications gouvernementales et d’autres documents semblables (Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, au paragraphe 31; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, à la page 484, 1993 CanLII 74 (Morgentaler)). Il peut aussi être utile, pour déterminer l’objet d’une loi, de trouver la lacune dans le régime légal que la loi visait à corriger, autrement dit, le mal auquel le législateur entendait remédier en légiférant (Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, au paragraphe 17; Morgentaler, à la page 484).
[93] La Loi ne comporte évidemment aucune disposition distincte énonçant l’objet des dispositions sur les MEC. Or, la disposition énonçant l’objet de la Loi dans son ensemble, qui figure à l’article 3, permet de discerner l’objet des dispositions contestées. Aux termes de l’article 3, la Loi a pour objet « de promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation des pratiques commerciales qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique ». Le titre de la Loi reflète cet objet. Les motifs ayant mené le législateur à vouloir réglementer de telles pratiques commerciales sont énumérées aux alinéas 3a) à d). Ces dispositions énoncent les maux auxquels la mesure voulait remédier. Précisément, les pratiques commerciales visées par la Loi :
Objet de la loi
3 […]
a) elles nuisent à l’accessibilité, à la fiabilité, à l’efficience et à l’utilisation optimale des moyens de communication électronique dans le cadre des activités commerciales;
b) elles entraînent des coûts supplémentaires pour les entreprises et les consommateurs;
c) elles compromettent la protection de la vie privée et la sécurité des renseignements confidentiels;
d) elles minent la confiance des Canadiens quant à l’utilisation des moyens de communication électronique pour l’exercice de leurs activités commerciales au Canada et à l’étranger.
Comme certaines activités commerciales sont susceptibles d’emporter de telles conséquences fâcheuses qui nuisent à l’économie, le législateur a décidé de réglementer ces pratiques en adoptant la Loi.
[94] Les activités commerciales qui sont réglementées par la Loi se rangent dans trois catégories : la modification des données de transmission des messages électroniques, l’installation interdite de programmes d’ordinateur et l’envoi de MEC non sollicités, sur laquelle portent les présents appels. Il ressort de l’article 3 que le législateur entendait, en adoptant les dispositions contestées, créer un régime réglementant l’envoi de MEC pour empêcher que de telles pratiques nuisent à la cyberéconomie et entraînent des coûts pour les entreprises et les consommateurs, ainsi que pour protéger les renseignements confidentiels et préserver la confiance des Canadiens dans le commerce électronique.
[95] Les débats parlementaires étayent uniformément la conclusion selon laquelle les dispositions sur les MEC ont pour objet de réglementer l’envoi de MEC non sollicités pour lutter contre les pourriels et les menaces en ligne connexes dans l’intérêt de la protection des renseignements personnels et de la sécurité en vue de promouvoir la cyberéconomie (voir le dossier d’appel conjoint) :
Ce projet de loi va réduire le fardeau du pourriel pour les entreprises canadiennes et les risques pour le public canadien. L’objectif est de préserver la confiance dans le commerce électronique en répondant aux problèmes de protection de la vie privée et de la sécurité des personnes causés par le pourriel et les menaces connexes. (Débats de la Chambre des communes, 40e législ., 2e sess., no 053 (7 mais 2009), p. 3216 (Mike Lake); dossier d’appel conjoint, p. 1151.)
Le gouvernement a la responsabilité de créer des conditions économiques propices à l’édification de l’économie numérique. L’un des moyens de le faire est d’établir le cadre législatif approprié pour que les gens aient confiance dans les transactions en ligne et les communications. Des règles interdisant les courriels non sollicités sont essentielles dans un tel cadre. (Débats de la Chambre des communes, 40e législ., 2e sess., no 105 (2 novembre 2009), p. 6469 (Mike Lake); dossier d’appel conjoint, p. 1135.)
Le projet de loi vise à réduire le pourriel et les autres problèmes informatiques qui découragent les gens d’utiliser le commerce électronique et minent la confidentialité. Il vise à rétablir la confiance des consommateurs à l’égard du commerce en ligne en les protégeant, de même que les entreprises canadiennes, contre le pourriel. […] Notre objectif est d’asseoir la confiance dans le cybercommerce en dissipant les inquiétudes relatives à la vie privée et à la sécurité personnelle que les consommateurs associent aux pourriels et aux menaces connexes et qui les dissuadent de faire des transactions commerciales en ligne. (Débats de la Chambre des communes, 40e législ., 2e sess., no 106 (3 novembre 2009), p. 6581 (Gordon Brown); dossier d’appel conjoint, p. 1144.)
Après tout, ce projet de loi s’inspire du travail d’un groupe de travail chargé d’étudier les pourriels. Ce dernier a recommandé d’adopter des mesures musclées pour lutter contre les courriels commerciaux non sollicités parce qu’il a reconnu que les pourriels deviennent plus qu’un simple désagrément. Ils servent à propager des virus, des chevaux de Troie et des vers électroniques sur Internet et minent la confiance des gens dans l’économie numérique. (Débats de la Chambre des communes, 40e législ., 3e sess., no 101 (22 novembre 2010), p. 6268 (Dave Van Kesteren); dossier d’appel conjoint, p. 1163.)
[96] Enfin, signalons que l’appelante reproche au CRTC [traduction] « l’importance considérable qu’il accorde à “la disposition énonçant l’objet” de la Loi » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 80). Cependant, signalons également que l’appelante, dans sa recherche de ce qu’elle qualifie de [traduction] « véritable objet » des dispositions sur les MEC, omet d’examiner les éléments de preuve intrinsèque et extrinsèque dont il est possible de tirer l’objet d’une loi, suivant la jurisprudence. Elle semble plutôt formuler l’objet des dispositions à la lumière des effets qu’elle attribue à ces dernières (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 81).
b) Effets des dispositions sur les MEC
[97] Abordons ensuite les effets des dispositions sur les MEC. Une telle analyse, qui nécessite d’examiner la manière dont la Loi atteint son objet, fait intervenir deux types d’effets : premièrement, les effets juridiques directs de la mesure sur les droits et les obligations des personnes qui y sont assujetties et, deuxièmement, les conséquences pratiques de l’application du régime qui transcendent sa seule opération juridique. La mesure est susceptible d’avoir des effets incidents faisant jouer une autre matière qui ne relève pas de la compétence du Parlement — ces effets peuvent être écartés dans la recherche du caractère véritable de la loi (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 63; voir également Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, 2007 CSC 22, [2007] 2 R.C.S. 3 (Banque canadienne de l’Ouest), au paragraphe 28 et General Motors, à la page 667).
(i) Effets juridiques directs
[98] Les dispositions contestées ont pour effet juridique direct la création d’un régime fédéral de réglementation des MEC non sollicités applicable à toutes les provinces. Dans le cadre de ce régime, les personnes souhaitant envoyer des communications électroniques dont l’objet, raisonnablement interprété, est de promouvoir la participation à une activité commerciale n’y sont autorisées que si elles ont obtenu le consentement des destinataires et si leurs messages sont conformes aux exigences prévues dans la Loi quant à l’existence d’un mécanisme d’exclusion et aux coordonnées de l’expéditeur. Ces restrictions légales s’appliquent, à moins qu’un message soit visé par une exception prévue à la Loi ou que le destinataire a consenti tacitement à recevoir le message. L’expéditeur qui contrevient à ces règles s’expose à une SAP ou à une action civile. Ce sont là les effets directs des dispositions sur les MEC. Elles n’ont pas pour effet, contrairement à ce qu’affirme l’appelante, de [traduction] « viser tous les messages susceptibles de comporter un objet un tant soit peu commercial » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 81, souligné et en gras dans l’original).
[99] Il ressort également des sujets que les dispositions sur les MEC ne réglementent pas que leur opération est limitée à l’objet énoncé. Autrement dit, les effets des dispositions ne semblent pas différer de manière importante de l’objet énoncé; si c’était le cas, on pourait croire à l’existence d’un « motif déguisé » (Renvoi sur la Loi sur les armes à feu, au paragraphe 18). Les dispositions contestées visent une catégorie de communications électroniques, à savoir les messages commerciaux, qui est étroitement liée à l’objet des dispositions, qui consiste à protéger le commerce électronique. Les dispositions n’ont pas d’effet sur l’envoi de messages électroniques dont on ne peut raisonnablement affirmer qu’ils visent à promouvoir la participation à une activité commerciale. Ainsi, la thèse de l’appelante selon laquelle [traduction] « le “véritable objet” de la Loi consiste à réglementer les messages non sollicités de manière générale » est réfutée (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, par. 81, souligné et en gras dans l’original).
[100] Plus précisément, les dispositions contestées réglementent seulement un aspect étroit de la catégorie de messages visés. Elles subordonnent l’envoi de MEC à trois conditions : le consentement exprès ou tacite de l’expéditeur, un mécanisme d’exclusion permettant aux destinataires de retirer leur consentement et l’inclusion de l’identité et des coordonnés de l’expéditeur, de sorte que les destinataires puissent communiquer directement avec ce dernier pour l’informer du retrait de leur consentement, au besoin.
[101] Les dispositions sur les MEC ne visent pas à réglementer d’autres aspects des messages commerciaux. Elles n’ont aucune incidence sur les modalités d’un contrat de vente intervenu entre l’expéditeur des MEC et le destinataire. Elles ne réglementent pas la teneur des MEC, sauf pour obliger l’expéditeur à y inclure un mécanisme d’exclusion ainsi que ses coordonnées. Les aspects relatifs au marketing et à la publicité ne sont pas autrement touchés. Les dispositions ne protègent pas les consommateurs des pratiques déloyales autres que l’envoi de MEC non sollicités. Essentiellement, dès lors que le consentement du destinataire est obtenu et qu’il est satisfait aux quelques conditions imposées quant à la teneur des messages, il est loisible aux expéditeurs de MEC d’offrir, d’annoncer ou de promouvoir toutes sortes d’opérations, d’actes ou de pratiques, sous quelque forme et suivant quelque modalité que ce soit.
[102] Comme le fait observer la Cour suprême au sujet de la concurrence dans l’arrêt General Motors, l’envoi de messages électroniques commerciaux « ne constitue pas un seul et même sujet, pas plus que l’inflation ou la pollution » (à la page 682). Les provinces peuvent légiférer en la matière en vertu de leur compétence sur la protection du consommateur et le marketing notamment. Cependant, si la réglementation de l’aspect étroit des messages commerciaux visés par les dispositions contestées constitue un objet qui relève validement de la compétence fédérale, le législateur dispose également du pouvoir constitutionnel de légiférer en la matière.
[103] Selon la théorie du double aspect « le fait qu’une matière puisse, à une fin et à un égard précis, relever de la compétence fédérale ne signifie pas que cette matière ne peut, à une autre fin et à un autre égard, relever de la compétence provinciale » (Banque canadienne de l’Ouest, au paragraphe 30; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 66). Cette théorie « reconnaît que le Parlement et les législatures provinciales peuvent adopter des lois valables sur un même sujet, à partir des perspectives selon lesquelles on les considère, c’est-à-dire selon les “aspects” variés de la “matière” discutée » (Banque canadienne de l’Ouest, au paragraphe 30). Signalons aussi à cet égard que les dispositions contestées n’ont pas pour effet d’évincer, ou de dédoubler de manière importante, une loi provinciale.
[104] Abordons brièvement la thèse de l’appelante selon laquelle les dispositions contestées empiètent sur une matière de compétence provinciale, car leurs exigences quant au consentement [traduction] « ont un effet sur les modalités contractuelles » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 81). La nature des effets n’est pas précisée, l’appelante n’ayant fourni aucune explication ni analyse étayant cet argument. La prétention de l’appelante, énoncée en une seule phrase, renvoie à une lettre adressée à Industrie Canada par Me Philip Palmer, un avocat qui connaît bien la Loi et qui a comparu devant le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie, chargé de faire rapport au Parlement sur la Loi (dossier d’appel conjoint, aux pages 13913 et 13914). Dans sa lettre, Me Palmer aborde expressément l’obligation pour les MEC de comporter un mécanisme d’exclusion. Il présente le scénario hypothétique suivant : un contrat stipule que le créancier ne peut exercer ses droits contre un débiteur qu’après lui avoir transmis un avis électronique. La Loi oblige les messages électroniques antérieurs du créancier au débiteur de comporter un mécanisme d’exclusion. Si le débiteur recourait de manière « stratégique » à un tel mécanisme avant l’envoi de l’avis, le débiteur [traduction] « disposerait d’un moyen de ralentir, voire de bloquer, l’exercice des droits » du créancier (dossier d’appel conjoint, à la page 13914). Selon Me Palmer, il en résulterait [traduction] « la frustration des droits contractuels » (dossier d’appel conjoint, à la page 13914).
[105] Je rejette cet argument soulevé (ou évoqué) par l’appelante. Suivant l’arrêt Parsons v. Citizens’ Insurance Co. of Canada (1881) 7 App. Cas. 96 (Parsons), une décision de principe sur la portée de la compétence fédérale en matière de trafic et de commerce, le paragraphe 91(2) [traduction] « ne comprend pas le pouvoir de légiférer pour réglementer les contrats d’un échange ou d’un commerce en particulier » (Parsons, à la page 113; voir également le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 75). Or, il est manifeste que les dispositions sur les MEC de la Loi ne réglementent pas les contrats d’un secteur ou d’un commerce en particulier. Ces dispositions ont des effets sur les secteurs et commerces extrêmement variés qui participent au commerce électronique. Quoi qu’il en soit, ces effets n’incluent pas véritablement la réglementation des contrats ni la frustration des droits issus de contrats.
[106] En premier lieu, signalons que ni les obligations quant au mécanisme d’exclusion, ni quelque autre facette de la Loi n’empêchent les parties à un contrat d’y préciser toute méthode de communication ou d’avis voulue. En deuxième lieu, la frustration d’un contrat ne peut découler que [traduction] « d’une cause attribuable à aucune des parties » (Maritime National Fish Ltd. v. Ocean Trawlers Ltd., [1935] A.C. 524, à la page 531, [1935] 3 D.L.R. 12 (P.C.) (Maritime National Fish)). Dans le scénario hypothétique présenté par Me Palmer, le débiteur, en s’excluant des messages du créancier et en bloquant la transmission de l’avis prévu dans le contrat, aurait créé les conditions empêchant l’exercice des droits contractuels du créancier. Le débiteur ne pourrait alors [traduction] « exciper de son propre manquement pour se soustraire à la responsabilité au titre du contrat » (Maritime National Fish, à la page 531). Le débiteur est responsable, et le créancier conserve les droits que le contrat lui confère. Comme Me Palmer le signale à bon droit, tout au plus, le recours de mauvaise foi au mécanisme d’exclusion par l’une des parties au contrat serait susceptible de ralentir l’exercice des droits contractuels — il ne saurait cependant frustrer ces droits ou modifier les modalités d’un contrat. Par conséquent, nous ne sommes pas convaincus que la Loi empiète sur un domaine de compétence provinciale en modifiant les modalités de contrats.
(ii) Effets pratiques
[107] Les dispositions contestées ont notamment pour effet pratique de réglementer la transmission intraprovinciale de renseignements commerciaux. Dans de tels cas, il se peut que même l’aspect étroit des messages commerciaux visés par les dispositions sur les MEC de la Loi relève de la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils ou sur les matières d’une nature locale ou privée. Cependant, ce n’est pas fatal pour la mesure législative. La réglementation de messages de nature [traduction] « purement locale », comme le fait valoir l’appelante au paragraphe 81 de son mémoire sur les questions constitutionnelles, n’est qu’un effet accessoire ou secondaire des dispositions contestées.
[108] Par effets accessoires, on entend les « effets de la loi qui peuvent avoir une importance pratique significative mais qui sont accessoires et secondaires au mandat de la législature qui a édicté la loi » (Banque canadienne de l’Ouest, au paragraphe 28 renvoyant à Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473, au paragraphe 28). Les intrusions incidentes dans des matières de compétence provinciale sont tout à fait conformes à la vision moderne du fédéralisme; on peut en faire fi dans l’analayse du partage des compétences (Banque canadienne de l’Ouest, au paragraphe 29). En effet, « [l]a doctrine du “caractère véritable” repose sur la reconnaissance de l’impossibilité pratique qu’une législature exerce efficacement sa compétence sur un sujet sans que son intervention ne touche incidemment à des matières relevant de la compétence de l’autre ordre de gouvernement » (Banque canadienne de l’Ouest, au paragraphe 29). Ce qui est déterminant est l’objet dominant ou la nature véritable de la loi, et non ses effets secondaires.
[109] La réglementation des messages intraprovinciaux constitue un effet accessoire des dispositions contestées, dont l’objet primaire consiste à réglementer les MEC qui, de par leur nature, ne respectent pas les frontières provinciales et sont susceptibles d’avoir un effet grave sur l’économie nationale. Dans la poursuite de cet objet primaire, il est inévitable que les dispositions contestées réglementent également des messages intraprovinciaux. Les remarques du juge en chef Dickson dans l’arrêt General Motors, aux pages 692 et 693, au sujet de l’article 31.1 de ce qui était à l’époque la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, s’appliquent également à la présente espèce, vu la nécessité sur le plan pratique d’un régime national sur les MEC :
[…] À mon avis, le fait qu’une loi fédérale puisse avoir des ramifications sur le commerce dans une seule province ne sera pas fatal à la validité de cette loi. Toute loi générale aura forcément des répercussions locales et il serait absurde d’invalider des lois pour cette seule raison. Toutes les dispositions de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions peuvent s’appliquer à des opérations purement intraprovinciales. D’ailleurs, la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ne serait pas une loi efficace en matière de concurrence si elle ne pouvait viser les activités intraprovinciales. Le simple fait que l’art. 31.1 puisse s’appliquer à des opérations qui se déroulent entièrement dans une seule province ne compromet pas la validité de l’article.
[110] Vu l’objet et les effets des dispositions de la Loi sur les MEC décrits plus haut, nous estimons que le caractère véritable de ces dernières consiste à réglementer l’envoi des MEC non sollicités en vue d’atténuer les risques pour la cyberéconomie canadienne susceptibles de découler de tels messages.
3) Classification : critère de l’arrêt General Motors
[111] Une fois que le caractère véritable des dispositions contestées est établi, il faut ensuite ranger ces dernières dans l’un ou l’autre chefs de compétence énumérés dans la Loi constitutionnelle de 1867. La Cour doit décider si les dispositions sur les MEC, en particulier, représentent un exercice valide de la compétence générale du Parlement en matière de trafic et de commerce à l’échelle du pays. Ce domaine de compétence fédérale est particulièrement sujet à une interprétation large susceptible de rompre l’équilibre établi par la Constitution entre les matières fédérales et les matières provinciales. Or, si une interprétation indûment large est susceptible de permettre au Parlement d’empiéter sur les champs de compétence provinciale visant la propriété et les droits civils ainsi que les matières de nature locale, omettre de donner une portée significative à la compétence du Parlement sur le trafic et le commerce nuirait tout autant à l’intégrité du cadre constitutionnel (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, aux paragraphes 70 à 74).
[112] Pour assurer l’équilibre entre les pouvoirs fédéraux et les pouvoirs provinciaux, il convient de circonscrire la compétence fédérale générale sur le trafic et le commerce aux matières « d’une nature véritablement nationale et différente sur le plan qualitatif de celles qui sont visées par les chefs de compétence provinciale intéressant les matières locales ainsi que la propriété et les droits civils » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 70). Pour distinguer ces matières de celles ayant une nature locale se prêtant davantage à la réglementation provinciale, la jurisprudence a élaboré une analyse comportant cinq facteurs.
[113] La Cour suprême énonce dans l’arrêt General Motors les cinq indices de validité d’une loi réglementant le trafic et le commerce ainsi : (i) la mesure législative contestée doit s’inscrire dans un système général de réglementation; (ii) le système doit faire l’objet d’une surveillance constante par un organisme de réglementation; (iii) la mesure législative doit porter sur le commerce dans son ensemble plutôt que sur un secteur en particulier; (iv) la mesure doit être d’une nature telle que la Constitution n’habiliterait pas les provinces, conjointement ou séparément, à l’adopter; (v) l’omission d’inclure une seule ou plusieurs provinces ou localités dans le système législatif compromettrait l’application de ce système dans d’autres parties du pays (Kirkbi, au paragraphe 17 renvoyant à General Motors, à la page 662).
[114] La présence des cinq facteurs énoncés dans l’arrêt General Motors indique un exercice valide de la compétence générale du Parlement en matière de trafic et de commerce. Toutefois, cette liste n’est pas exhaustive, et l’absence d’un facteur n’est pas forcément fatale à la mesure législative fédérale (Kirkbi, au paragraphe 17). Comme l’affirme la Cour suprême dans l’arrêt General Motors, les cinq indices constituent simplement une « façon ordonnée » d’aborder l’analyse, c’est-à-dire « une liste préliminaire de contrôle de caractéristiques dont l’existence dans la mesure législative est un indice de sa validité en vertu de la compétence en matière [de trafic] et de commerce » (General Motors, aux pages 662 et 663).
[115] Comme l’appelante admet que les dispositions sur les MEC contestées satisfont aux deux premiers indices de validité, à savoir l’appartenance à un système général de réglementation faisant l’objet d’une surveillance constante par un organisme de réglementation (décision sur la constitutionnalité, au paragraphe 53), passons au troisième volet de l’analyse.
a) Critère de l’arrêt General Motors (iii) la mesure législative porte-t-elle sur le commerce dans son ensemble?
[116] Suivant le troisième indice du critère de l’arrêt General Motors, la mesure législative doit concerner le commerce dans son ensemble et non un secteur en particulier. J’accepte la conclusion du CRTC, énoncée aux paragraphes 56 et 57 de sa décision sur la constitutionnalité, selon laquelle le commerce électronique est devenu un pilier de l’économie nationale, qui transcende les secteurs et les catégories de participants au marché économique ainsi que les frontières provinciales. Le courriel, qui transcende aussi les frontières, est essentiel au fonctionnement de la cyberéconomie pour les motifs énoncés au paragraphe 57 de la décision sur la constitutionnalité.
[117] Les courriels non sollicités sont susceptibles de véhiculer des menaces en ligne, « telles que les attaques d’hameçonnage, les logiciels malveillants, les réseaux de zombies (logiciels malveillants qui sont contrôlés à distance), les vols d’identité et les escroqueries en ligne » (décision sur la constitutionnalité, au paragraphe 61). Le dossier révèle que la faculté des MEC de transmettre pareil contenu pernicieux entraîne des coûts directs et indirects pour les entreprises, contraintes d’investir dans des solutions de sécurité comme des filtres antipourriel, ce qui fait augmenter les frais reliés aux services de dépannage informatique, réduit la productivité et accapare la capacité de stockage des données et la capacité des serveurs. Si les menaces qu’emportent les MEC se concrétisent, la capacité des entreprises et des particuliers — selon la victime de l’attaque — d’utiliser des moyens électroniques de réaliser des activités commerciales serait également sérieusement entravée. Les MEC non sollicités, tant parce qu’ils peuvent être un véhicule pour des menaces électroniques que parce qu’ils arrivent souvent sans qu’on les ait sollicités et qu’ils sont irritants, minent la confiance des consommateurs à l’égard du commerce électronique (Canada, Groupe de travail sur le pourriel, Freinons le pourriel : Créer un Internet plus fort et plus sécuritaire (Ottawa : Industrie Canada, mai 2005) (rapport du Groupe de travail sur le pourriel); dossier d’appel conjoint, à la page 11905; OCDE, Direction de la Science, de la technologie et de l’innovation, Comité de la politique à l’égard des consommateurs et Comité de la politique de l’information, de l’informatique et des communications, Rapport du Groupe de réflexion sur le spam de l’OCDE : Boîte à outils anti-spam de politiques et mesures recommandées, document de l’OCDE sur l’économie du numérique no 114, DSTI/CP/ICCP/SPAM(2005)3/FINAL (le 19 mai 2006); dossier d’appel conjoint, à la page 12617).
[118] Ces effets délétères des MEC non sollicités nuisent au commerce électronique au Canada. Les dispositions contestées réglementent l’envoi de MEC non sollicités pour contrer de telles menaces. Une fois qu’on accepte que le commerce électronique a infiltré l’économie canadienne dans son ensemble, et non un seul secteur — non pas que l’appelante conteste sérieusement pareille thèse —, il s’ensuit que la loi contestée intéresse le commerce dans son ensemble. Il est donc satisfait au troisième indice du critère de l’arrêt General Motors.
[119] Or, l’appelante établit un parallèle entre les dispositions de la Loi sur les MEC et le projet de loi fédéral sur les valeurs mobilières dont la Cour suprême, dans le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, a affirmé qu’il ne relevait pas de la compétence fédérale. Tout comme cette dernière mesure a infiltré [traduction] « tous les aspects des contrats sur les valeurs mobilières » et aurait « évincé le réglementation provinciale dans son ensemble », les dispositions de la Loi sur les MEC « intéresse la réglementation courante des messages, qui tombe également sous le coup de la législation provinciale en matière de protection du consommateur, de la protection des renseignements personnels et de marketing » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 82).
[120] Il faut rejeter l’argument de l’appelante et distinguer le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières de la présente affaire, et ce pour deux motifs. En premier lieu, contrairement à la Loi sur les valeurs mobilières avortée [Proposition concernant une loi canadienne intitulée Loi sur les valeurs mobilières, décret C.P. 2010‑667], les dispositions sur les MEC ne réglementent pas un seul secteur par le menu. En second lieu, il n’est pas évident que les dispositions sur les MEC évincent effectivement la réglementation provinciale.
[121] La Loi sur les valeurs mobilières excédait le pouvoir général du Parlement en matière de trafic et de commerce, parce qu’elle visait la réglementation courante d’un secteur en particulier, à savoir le secteur des valeurs mobilières (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 123). Pour citer la Cour suprême, « la Loi régirait à l’échelle provinciale tous les aspects des contrats portant sur les valeurs mobilières, y compris la protection du public et la compétence professionnelle dans les provinces » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 122, italiques dans l’original). La loi constituait ainsi une « tentative du gouvernement fédéral de réglementer tout le commerce des valeurs mobilières au Canada » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 126).
[122] L’analogie établie par l’appelante entre la Loi sur les valeurs mobilières et les dispositions de la Loi sur les MEC ne convient pas. Premièrement, les dispositions contestées réglementent non pas tous les messages, mais seuls certains types, à savoir les messages commerciaux. Deuxièmement, elles ne visent qu’un aspect limité de ce type de messages, ce qui laisse amplement de jeu aux provinces pour réglementer les MEC, notamment à l’égard des aspects mentionnés par l’appelante que sont la protection des consommateurs, la protection des renseignements personnels et le marketing. Troisièmement, les « messages » ou, plus précisément, les « messages commerciaux » ne constituent pas un secteur économique distinct comme c’était le cas pour le marché des valeurs mobilières. Le commerce électronique transcende les secteurs et a infiltré tous les domaines de l’économie. Ainsi, les dispositions de la Loi sur les MEC réglemente un aspect en particulier de nombreux secteurs, et non pas tous les aspects d’un seul secteur, comme c’était le cas de la Loi sur les valeurs mobilières. L’analyse actuelle consiste à décider si cet aspect relève d’un champ de compétence fédérale. L’analogie bancale avec la Loi sur les valeurs mobilières, dont le projet a été abandonné, n’étaye pas, et emporte encore moins, une réponse négative à cette question.
[123] En outre, les provinces avaient consacré d’énormes efforts pendant de nombreuses années avant la Loi sur les valeurs mobilières à la réglementation des valeurs mobilières, ce qui n’est pas le cas de la réglementation des MEC et de la Loi. Au moment du Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, chaque province et territoire possédait déjà sa propre législation sur les valeurs mobilières et son propre organisme de réglementation (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphes 41, 101 et 115). Il aurait fallu, pour adhérer au régime fédéral, que les provinces suspendent l’application de leurs lois. La Loi sur les valeurs mobilières aurait eu pour effet « de dédoubler et d’évincer les régimes provinciaux et territoriaux de réglementation des valeurs mobilières actuels, pour les remplacer par un nouveau régime de réglementation fédéral » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 106). En revanche, comme le fait remarquer le CRTC aux paragraphes 46 et 66 de sa décision sur la constitutionnalité, aucune législation provinciale régissant l’envoi de MEC non sollicités et les menaces en ligne connexes ne précède l’adoption de la Loi. Par conséquent, l’évincement de la législation provinciale existante ne joue pas en l’espèce comme il jouait dans le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières. L’absence d’exemples concrets d’évincement contredit l’analogie invoquée par l’appelante entre l’effet de la Loi sur les valeurs mobilières [traduction] « évinçant l’ensemble de la réglementation provinciale sur les valeurs mobilières » et ceux de la Loi (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 82).
b) Critère de l’arrêt General Motors (iv) Les provinces sont-elles incapables de légiférer?
[124] Suivant le quatrième indice de validité d’une loi relevant du pouvoir général en matière de trafic et de commerce, la Constitution n’habiliterait pas les provinces, conjointement ou séparément, à l’adopter. J’estime que les dispositions de la Loi sur les MEC satisfont également à ce critère. Il se peut que la Constitution habilite les provinces à adopter de concert une loi uniforme réglementant les MEC non sollicités. Or, comme le reconnaît le CRTC au paragraphe 70 de sa décision sur la constitutionnalité, rien ne garantit que les provinces pourraient traiter à long terme de telles questions, car elles conservent la possibilité de retirer leur adhésion à tout régime interprovincial. Le raisonnement avancé par la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières — quant à l’incapacité des provinces de réaliser les objectifs nationaux visés par un régime fédéral de valeurs mobilières — s’applique tout autant à la Loi en l’espèce : « [l]a prérogative inhérente à toute province de refuser d’adhérer à un régime interprovincial […] limite, sur le plan constitutionnel, la faculté de chacune de réaliser les objectifs véritablement nationaux de la loi fédérale proposée » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 120). La souveraineté des provinces en matière d’action législative future fait que les dispositions de la Loi sur les MEC « diff[èrent], du point de vue qualitatif, du fruit d’une action provinciale concertée ou non » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 121).
c) Critère de l’arrêt General Motors (v) l’omission d’inclure une province compromettrait-elle le système?
[125] Selon le dernier indice du critère de l’arrêt General Motors, l’absence d’une ou de plusieurs provinces du régime légal compromet-elle l’application de ce dernier dans d’autres parties du pays? Je rappelle ici les directives données par la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, suivant lesquelles « il ne faut pas considérer que ce critère a pour effet d’obliger le tribunal à se demander quelle politique constitue le choix optimal » et « [i]l ne s’agit pas de déterminer quel ordre de gouvernement — fédéral ou provincial — est considéré comme étant le mieux placé pour légiférer en la matière » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 90). L’analyse doit plutôt porter sur la question de savoir si les matières en question « sont essentiel[le]s dans l’intérêt national, transcendent les intérêts provinciaux et revêtent une importance et une portée véritablement nationales » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 90). À mon avis, la réglementation des MEC non sollicités ressortit à de telles matières.
[126] En ce qui a trait à l’objectif véritablement national qu’est la protection de la cyberéconomie des menaces en ligne susceptibles d’émaner de toute localité au pays ou d’avoir des effets délétères sur toute localité, la réglementation fédérale s’impose. Si une province adoptait des lois plus laxes qu’une autre sur les MEC non sollicités, les expéditeurs de pourriels pourraient facilement, par le truchement de l’infonuagique ou d’autres méthodes, transmettre leurs MEC à partir de serveurs situés dans cette province (dossier d’appel conjoint, à la page 11414). Tout régime interprovincial voué à la protection de la cyberéconomie canadienne contre les menaces que présentent les MEC non sollicités serait alors fondamentalement entravé. Ainsi, un régime fédéral, comme les dispositions sur les MEC contestées, « différerait, au plan qualitatif, d’un régime interprovincial à participation volontaire » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 123).
[127] La justification qui sous-tend la législation fédérale régissant les pourriels est la même que celle qui sous-tendait la réglementation fédérale de la concurrence et que la Cour suprême a acceptée dans l’arrêt General Motors. Une société « peut traverser les frontières provinciales pour acheter ou vendre, prêter ou emprunter, engager ou congédier », c’est-à-dire qu’il y a à toutes fins utiles « absence de barrières artificielles » en matière de concurrence. Par conséquent, « le marché des biens et des services est concurrentiel à l’échelle nationale et les lois provinciales ne peuvent servir de mécanisme de réglementation efficace » (General Motors, à la page 679). Les barrières artificielles que sont les frontières provinciales ne jouent pas non plus lorsqu’il est question de l’internet, du courriel et de la cyberéconomie. En fait, il est peut-être plus facile encore pour les expéditeurs de pourriels que pour les sociétés de traverser les frontières provinciales pour mener leurs activités. Dans de telles circonstances, la législation provinciale n’est tout simplement pas à la hauteur lorsqu’il s’agit de réglementer les MEC non sollicités.
[128] Enfin, abordons l’hypothèse de l’appelante selon laquelle [traduction] « le champ que réglemente la Loi est dépourvu des aspects uniques, distincts et indivisibles qui le distinguent manifestement des matières de compétence provinciale » et sa critique à l’égard du CRTC pour avoir fait fi d’une telle analyse (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, aux paragraphe 82, note 116). Le critère avancé par l’appelante sert à décider si une question a un intérêt national et relève du pouvoir conféré au Parlement en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement (R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401 [aux pages 432–433], 1988 CanLII 63). L’intimé n’a pas invoqué les pouvoirs du Parlement en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement pour défendre la validité des dispositions de la Loi sur les MEC. En ce qui a trait à la compétence générale du Parlement sur le trafic et le commerce, la question de savoir si les matières sont « d’une nature véritablement nationale et différente sur le plan qualitatif de celles qui sont visées par les chefs de compétence provinciale » [Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 70] est examinée à la lumière des cinq indices de validité énoncés dans l’arrêt General Motors — un critère établi expressément pour déterminer si une loi relève de ce chef de compétence — (General Motors, aux pages 678 et 680; Kirkbi, au paragraphe 16; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, au paragraphe 109). L’appelante fait allusion à tort à la théorie de l’intérêt national. Le CRTC n’a donc pas fait erreur en faisant fi de cette analyse.
[129] Vu ce qui précède, je conclus que les dispositions de la Loi sur les MEC représentent un exercice valide du pouvoir général en matière de trafic et de commerce du Parlement qui touche le Canada dans son ensemble et est visé par le second volet du paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.
B. L’infraction à l’alinéa 2b) de la Charte est-elle justifiée au regard de l’article premier?
[130] Habituellement, pour effectuer une analyse fondée sur l’alinéa 2b) de la Charte, il faut commencer par déterminer si l’activité en question constitue de l’expression au sens de l’alinéa 2b) de la Charte, c’est-à-dire si elle consiste à transmettre un message ou à tenter de le faire. Il faut ensuite déterminer si la disposition contestée restreint cette expression (R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45 (Sharpe), au paragraphes 147 et 148). Cela dit, l’intimé reconnaît que les MEC constituent une activité protégée par l’alinéa 2b), que l’objet des dispositions contestées consiste à restreindre cette activité et que les dispositions contestées par conséquente portent atteinte à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte (mémoire de l’intimé sur les questions constitutionnelles, aux paragraphes 34 et 35). Cette concession est raisonnable étant donné le point de vue bien établi selon lequel l’expression commerciale est constitutionnellement protégée (voir par exemple les arrêts Sharpe, aux paragraphes 143 et 144; R. c. Guignard, 2002 CSC 14, [2002] 1 R.C.S. 472 (Guignard), au paragraphe 21; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, 1988 CanLII 19 (Ford); Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la page 971, 1989 CanLII 87 (Irwin Toy)). Par conséquent, je passerai directement à l’analyse fondée sur l’article premier.
[131] À titre préliminaire, l’analyse fondée sur l’article premier exige que la restriction du droit ou de la liberté garantis par la Charte soit apportée « par une règle de droit ». Ensuite, il faut déterminer si les mesures contestées ont un objectif urgent et réel ou, en d’autres mots, un objectif suffisamment important pour justifier la restriction d’un droit garanti par la Charte. Les trois volets de l’analyse de la proportionnalité à effectuer ensuite sont les suivants : 1) il doit y avoir un lien rationnel entre les mesures restrictives et l’objectif des mesures; 2) les mesures contestées doivent porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en question; 3) il doit y avoir dans l’ensemble proportionnalité entre les avantages apportés par les mesures contestées et les effets préjudiciables qui en découlent (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, 1986 CanLII 46 (Oakes); Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, 1994 CanLII 39; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, 1998 CanLII 829 (Thomson Newspapers 1998)).
1) La liberté est-elle restreinte « par une règle de droit »?
[132] L’analyse applicable à la question de savoir si une restriction est apportée « par une règle de droit » comporte deux volets : la restriction doit constituer une règle de droit adoptée en bonne et due forme, et elle doit être suffisamment précise et accessible pour constituer une règle de droit (Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, 2009 CSC 31, [2009] 2 R.C.S. 295 (Vancouver Transportation Authority), au paragraphe 50).
[133] L’analyse sur le partage des compétences effectuée plus haut a montré que le législateur a adopté la Loi de manière légitime au titre de son pouvoir en matière de réglementation du trafic et du commerce prévu au paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867. La Loi a donc été adoptée en bonne et due forme.
[134] Ensuite, il faut déterminer si la Loi est suffisamment précise pour satisfaire au second volet de l’analyse. L’exigence de ce second volet vise un double objectif. En premier lieu, elle permet aux personnes visées par la règle de droit de savoir ce que celle-ci interdit pour qu’elles puissent ajuster leur conduite en conséquence. En deuxième lieu, la précision donne des indications sur la façon dont la règle de droit doit être appliquée, ce qui fait obstacle aux mesures arbitraires de l’État (Vancouver Transportation Authority, au paragraphe 50). La disposition restreignant une liberté ou un droit garantis par la Charte doit être présentée de façon intelligible tant pour le public que pour les agents chargés de son application.
[135] La jurisprudence établit clairement qu’il convient d’interpréter « l’obligation de précision de manière libérale » et que « la norme n’est pas stricte » (Vancouver Transportation Authority, au paragraphe 54; Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, aux pages 94 à 97, 1991 CanLII 60 (Osborne)). La règle de droit contestée ne sera invalidée à cette étape que si elle est « si obscur[e] que les méthodes ordinaires ne permettent pas de lui donner une interprétation le moindrement exacte » (Osborne, à la page 94).
[136] Le pendant de l’obligation voulant que les règles de droit soient suffisamment précises est que celles-ci ne peuvent pas être d’une imprécision inacceptable. Le principe de l’imprécision a été examiné par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, 1992 CanLII 72 (Nova Scotia Pharmaceutical Society). La Cour y a déclaré au paragraphe 38 [aux pages 630 et 631 du R.C.S.] que seule la disposition présentant le « degré le plus grave de l’imprécision » ne satisferait pas à l’exigence de la « restriction prescrite “par une règle de droit” ». La Cour a décrit ce en quoi consiste une disposition inconstitutionnellement imprécise au paragraphe 64, dans les termes ci-après [aux pages 639 et 640 du R.C.S.] :
Une disposition imprécise ne constitue pas un fondement adéquat pour un débat judiciaire, c’est-à-dire pour trancher quant à sa signification à la suite d’une analyse raisonnée appliquant des critères juridiques. Elle ne délimite pas suffisamment une sphère de risque et ne peut donc fournir ni d’avertissement raisonnable aux citoyens ni de limitation du pouvoir discrétionnaire dans l’application de la loi. Une telle disposition n’est pas intelligible, pour reprendre la terminologie de la jurisprudence de notre Cour, et ne donne par conséquent pas suffisamment d’indication susceptible d’alimenter un débat judiciaire. Elle ne donne aucune prise au pouvoir judiciaire. C’est là une norme exigeante […]
[137] Avec ces principes à l’esprit, je me pencherai maintenant sur les dispositions contestées. L’appelante soutient que des définitions essentielles de la Loi sont ouvertes et n’établissent pas de zone légale de risque (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 40). L’appelante vise en particulier deux des termes définis dans la Loi : « activité commerciale » au paragraphe 1(1) et « message électronique commercial » au paragraphe 1(2) (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, aux paragraphes 39 et 42). Ces dispositions sont reproduites ci-dessous :
Définitions
1(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
activité commerciale Tout acte isolé ou activité régulière qui revêt un caractère commercial, que la personne qui l’accomplit le fasse ou non dans le but de réaliser un profit, à l’exception de tout acte ou activité accompli à des fins d’observation de la loi, de sécurité publique, de protection du Canada, de conduite des affaires internationales ou de défense du Canada.
[…]
message électronique Message envoyé par tout moyen de télécommunication, notamment un message textuel, sonore, vocal ou visuel.
[…]
Message électronique commercial
(2) Pour l’application de la présente loi, est un message électronique commercial le message électronique dont il est raisonnable de conclure, vu son contenu, le contenu de tout site Web ou autre banque de données auquel il donne accès par hyperlien ou l’information qu’il donne sur la personne à contacter, qu’il a pour but, entre autres, d’encourager la participation à une activité commerciale et, notamment, tout message électronique qui, selon le cas :
a) comporte une offre d’achat, de vente, de troc ou de louage d’un produit, bien, service, terrain ou droit ou intérêt foncier;
b) offre une possibilité d’affaires, d’investissement ou de jeu;
c) annonce ou fait la promotion d’une chose ou possibilité mentionnée aux alinéas a) ou b);
d) fait la promotion d’une personne, y compris l’image de celle-ci auprès du public, comme étant une personne qui accomplit — ou a l’intention d’accomplir — un des actes mentionnés aux alinéas a) à c)
[138] Commençons par la définition de MEC énoncée au paragraphe 1(2). Cette définition repose sur deux concepts sous-jacents. D’abord, un MEC est un message électronique. Au paragraphe 1(1), le message électronique est défini ainsi : « Message envoyé par tout moyen de télécommunication, notamment un message textuel, sonore, vocal ou visuel ». Cette définition inclut ce que la personne moyenne s’attendrait à y trouver : les courriels, les messages textes et toute autre forme de message textuel, ainsi que les messages sonores ou vocaux transmis par n’importe laquelle des différentes plateformes de média social ou de messagerie instantanée qui fonctionne électroniquement. Le paragraphe 6(8) vient préciser que les appels téléphoniques et les messageries vocales sont exclus de cette définition. L’appelante ne semble pas contester cet aspect de la définition de MEC.
[139] Après avoir démêlé les nuances du paragraphe 1(2), il apparaît que le second élément constitutif du MEC est que celui-ci encourage la participation à une activité commerciale. Au même titre que « message électronique », le terme « activité commerciale » est défini au paragraphe 1(1). Selon cette définition, sont visés par le terme « activité » tout acte ou toute activité. Il y est aussi précisé que l’activité « commerciale » ne se limite pas aux actes et activités accomplis dans le but de réaliser un profit. Bien qu’elles ne précisent pas davantage ce qu’on entend par « commercial », il ne s’ensuit pas que les définitions des termes « activité commerciale » et « message électronique commercial » sont d’une imprécision inacceptable.
[140] Le mot « commercial » n’est pas un mot inconnu de la personne moyenne. Le dictionnaire Larousse définit l’adjectif « commercial » comme signifiant « relatif au commerce, qui s’en occupe, qui y a trait ». À son tour, le nom « commerce » est défini ainsi :
Activité consistant dans l’achat, la vente, l’échange de marchandises, de denrées, de valeurs, dans la vente de services; métier de celui qui achète des objets pour les revendre.
(SOURCE : Dictionnaire Larousse en ligne (consulté le 1er juin 2020) : www.larousse.fr/dictionnaires/francais)
[141] Cette définition capture les principaux éléments de la signification que la personne moyenne attribuerait au mot « commerce » : l’achat, la vente, l’échange. De plus, le mot « commercial » se fait donner une définition plus concrète dans les descriptions de MEC aux alinéas 1(2)a) à d), qui renvoient à l’achat, à la vente, au troc ou au louage, ainsi qu’aux possibilités d’affaires, d’investissement ou de jeu.
[142] L’appelante soutient qu’enlever la réalisation d’un profit de la définition du terme « activité commerciale » crée de l’ambiguïté. Je ne suis pas de cet avis. Bien que les actes ou activités consistant en l’échange, l’achat et la vente puissent typiquement viser la réalisation d’un profit, de telles activités pourraient en même temps, ou à titre subsidiaire, être exercées à d’autres fins, par exemple à des fins politiques ou altruistes. Ces autres fins pourraient être complémentaires aux fins de réalisation d’un profit, y être égales ou les supplanter entièrement, et motiver des activités qui, dans leur manière et leur forme, et par conséquent aux yeux de la personne normale, constituent des activités commerciales. Je souscris donc à l’opinion de l’intimé selon laquelle l’exclusion de la réalisation d’un profit de la définition d’« activité commerciale » diminue plutôt que n’accroît l’ambiguïté en tuant dans l’œuf les querelles oiseuses sur les attentes subjectives des expéditeurs des MEC.
[143] À mon avis, interpréter ensemble les définitions d’« activité commerciale » au paragraphe 1(1) et de « message électronique commercial » au paragraphe 1(2) explique suffisamment clairement le sens du terme « activité commerciale » pour l’application de la définition de MEC au paragraphe 1(2).
[144] De plus, le sens de l’expression « encourager la participation » à une activité commerciale ressort raisonnablement clairement du paragraphe 1(2). Cela signifie notamment offrir à quelqu’un d’accomplir une activité qui consiste en l’achat, la vente, le troc ou le louage de quelque chose ou toute activité qui serait jugée semblable selon la signification qu’attribue la personne moyenne au terme « activité commerciale ». Cela vise également l’offre de l’une ou l’autre des possibilités énoncées au paragraphe 1(2) ou de possibilités raisonnablement semblables. Enfin, cela signifie aussi annoncer ou faire la promotion de ces activités ou possibilités.
[145] Le dernier élément à prendre en considération est la façon de déterminer si le message électronique a pour but, entre autres, d’encourager la participation à une activité commerciale. Le paragraphe 1(2) précise qu’il faut tirer une conclusion raisonnable à cet égard au vu du contenu du message, des hyperliens qu’il fournit et des informations qu’il donne sur la personne à contacter.
[146] Ainsi, interprétés conjointement, les paragraphes 1(1) et 1(2) indiquent quel est le support visé par la Loi, disent au public ce à quoi il doit porter attention et où il doit porter attention afin de savoir quelle est la conduite visée et précisent que la norme à utiliser pour déterminer si un message électronique donné est un MEC est la norme juridique bien connue de la raisonnabilité.
[147] Cependant, l’appelante soutient que la zone de risque créée par la Loi est d’une imprécision inacceptable parce que le législateur, pour aider le lecteur à comprendre la définition de MEC, a choisi d’utiliser des exemples ou des descriptions plutôt que d’énoncer des facteurs (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 43). Il suffit de dire qu’il n’existe ni précédent ni doctrine à l’appui de l’affirmation voulant qu’il soit nécessaire d’énoncer des facteurs encadrant l’application d’une disposition légale afin que cette disposition soit constitutionnelle. Le recours à l’énumération non exhaustive d’exemples ou de descriptions pour aider les citoyens et les agents d’application de la loi est également une technique répandue de rédaction législative et, en soi, ne rend pas une disposition imprécise au point d’être inconstitutionnelle.
[148] L’appelante soutient également que, parce que le contenu auquel donne accès un hyperlien peut faire d’un message un MEC et que ce contenu peut être modifié en tout temps, la définition de MEC crée un [traduction] « risque inconnu ». Il ne fait aucun doute qu’inclure un hyperlien augmente le risque qu’un message électronique soit considéré comme un MEC étant donné que l’hyperlien augmente de beaucoup la quantité de renseignements visés par l’examen servant à déterminer s’il peut être raisonnablement conclu que le message électronique a pour but, entre autres, d’encourager la participation à une activité commerciale. Ce risque sera plus ou moins grand en fonction de la nature des sites auxquels l’hyperlien donne accès : les sites comportent-ils une offre d’achat, de vente, de troc ou de louage d’un produit, bien, service ou terrain? Offrent-ils des possibilités d’affaires, d’investissement ou de jeu? Annoncent-ils ou font-ils la promotion de ces choses ou possibilités? Est-ce que ces choses ou possibilités constituent la fonction principale ou le but principal des sites? La nature des sites augmente-t-elle ou diminue-t-elle la possibilité qu’une des choses ou possibilités susmentionnées, bien que ne figurant pas sur les sites au moment de l’inclusion des hyperliens dans le message électronique, y soit subséquemment ajoutée? Les réponses à ces questions aideront à mesurer le risque associé à l’inclusion d’un hyperlien dans un message électronique. Les expéditeurs de messages doivent se rappeler que les liens sont examinés en conjonction avec le contenu du message et l’information sur la personne à contacter lorsqu’il s’agit de savoir s’il est raisonnable de conclure que le message électronique a pour but, entre autres, d’encourager la participation à une activité commerciale. L’expéditeur ne peut jamais connaître avec exactitude le risque auquel il s’expose en incluant un hyperlien dans un message électronique, mais il ne se trouve pas non plus dépourvu d’indications ni dans l’inconnu total à cet égard.
[149] Enfin, l’appelante conteste l’expression « au nom de qui » au paragraphe 11(1) de la Loi, qui exige que les MEC comportent un mécanisme permettant à la personne recevant le message d’exprimer sa volonté de ne plus recevoir de MEC soit de l’expéditeur soit de la personne « au nom de qui » le message a été envoyé. L’on peut trouver suffisamment de renseignements sur qui constitue une personne « au nom de qui » les messages sont envoyés dans le Résumé de l’Étude d’Impact de la Réglementation (REIR) de la Loi et sur la page de la foire aux questions au sujet de la Loi canadienne anti-pourriel du site Web du gouvernement du Canada (en ligne : gouvernement du Canada, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes <https ://crtc.gc.ca/fra/com500/faq500.htm>). Dans les deux documents il est expliqué que « [s]eulement les personnes qui jouent un rôle important dans le contenu du MEC ou dans le choix des destinataires » sont considérées comme des personnes « au nom de qui » le message est envoyé (dossier d’appel conjoint, à la page 13647).
[150] Je ne suis pas d’avis que les passages des dispositions contestées mis en évidence par l’appelante sont « si obscur[s] que les méthodes ordinaires ne permettent pas de [leur] donner une interprétation le moindrement exacte » (Osborne, à la page 94) ou atteignent le « degré le plus grave de l’imprécision » (Nova Scotia Pharmaceutical Society, à la page 630). Les observations ci-après formulées par le juge Gonthier, à la page 639 de l’arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society, sont pertinentes :
[…] Le langage n’est pas l’instrument exact que d’aucuns pensent qu’il est. On ne peut pas soutenir qu’un texte de loi peut et doit fournir suffisamment d’indications pour qu’il soit possible de prédire les conséquences juridiques d’une conduite donnée. Tout ce qu’il peut faire, c’est énoncer certaines limites, qui tracent le contour d’une sphère de risque. Mais c’est une caractéristique inhérente de notre système juridique que certains actes seront aux limites de la ligne de démarcation de la sphère de risque; il est alors impossible de prédire avec certitude. Guider, plutôt que diriger, la conduite est un objectif plus réaliste.
[151] La Loi est suffisamment précise pour délimiter une aire ou une zone de risque. Réalistement, on ne peut s’attendre à rien de plus d’une loi et, constitutionnellement, on n’exige rien de plus d’une loi. Les dispositions contestées sont intelligibles, donnent une prise au pouvoir judiciaire et constituent un fondement pour un débat judiciaire. Par conséquent, elles ne comportent pas les caractéristiques de l’imprécision énoncées dans l’arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society. Je conclus que la Loi satisfait amplement au critère applicable à l’étape de l’analyse fondée sur l’article premier visant à déterminer si la restriction a été apportée « par une règle de droit ».
2) Les dispositions apportant la restriction ont-elles un objectif urgent et réel?
[152] La prochaine étape de l’analyse fondée sur l’article premier consiste à examiner si l’objectif législatif des mesures contestées est suffisamment important pour justifier la restriction au droit ou à la liberté garantis par la Charte. À cette étape, il est crucial que l’on formule avec exactitude en quoi consiste l’objectif législatif pertinent.
[153] Le CRTC a trouvé l’objectif de la Loi dans son titre et dans sa disposition énonçant son objet, soit l’article 3. Il est écrit dans le titre que la Loi vise à promouvoir « l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique ». À l’article 3, cet objectif est répété et il y est expliqué que la Loi vise précisément à régir certaines pratiques pour les raisons ci-après :
Objet de la loi
3 […]
a) elles nuisent à l’accessibilité, à la fiabilité, à l’efficience et à l’utilisation optimale des moyens de communication électronique dans le cadre des activités commerciales;
b) elles entraînent des coûts supplémentaires pour les entreprises et les consommateurs;
c) elles compromettent la protection de la vie privée et la sécurité des renseignements confidentiels;
d) elles minent la confiance des Canadiens quant à l’utilisation des moyens de communication électronique pour l’exercice de leurs activités commerciales au Canada et à l’étranger.
[154] L’appelante, à l’inverse, soutient que l’objectif pertinent n’est pas l’objectif de la Loi dans son ensemble, mais l’objectif des dispositions contestées en tant que telles. L’approche que fait valoir l’appelante est la bonne (voir, par exemple, RJR-MacDonald Inc. c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 199, 1995 CanLII 64 (RJR-MacDonald), au paragraphe 144; Thomson Newspapers 1998, au paragraphe 125). Cependant, comme je l’ai expliqué aux paragraphes 0 et 0 des présents motifs, si on remplaçait simplement les mots « réglementation de certaines pratiques » dans le titre et « réglementation des pratiques commerciales » à l’article 3 par « réglementation des MEC », le titre et l’article 3 de la Loi énonceraient essentiellement l’objectif des dispositions contestées de la Loi. Le CRTC ne s’est donc pas trompé de beaucoup.
[155] L’appelante propose tant un objectif [traduction] « de portée générale » qu’un objectif [traduction] « de portée plus étroite » pour les dispositions contestées (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 50). L’appelante soutient que l’objectif de portée générale consiste à [traduction] « éliminer les messages électroniques non sollicités comportant un élément un tant soit peu commercial indépendamment de qui l’a envoyé » et que l’objectif de portée plus étroite consiste à [traduction] « lutter contre “les pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses” » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 50, souligné et en gras dans l’original). Ni l’une ni l’autre des formulations proposées par l’appelante ne peut être retenue.
[156] La formulation qu’utilise l’appelante pour décrire l’objectif de portée générale des dispositions contestées est presque identique à la description qu’elle fait de la fonction ou de l’effet de la Loi et qu’elle répète aux paragraphes 1, 8, 15, 62, 63 et 75 de son mémoire sur les questions constitutionnelles.
[157] Je ferai deux observations sur les diverses affirmations de l’appelante à cet égard. Premièrement, ces affirmations sont de l’hyperbole. Contrairement à ce que soutient l’appelante, la Loi n’interdit pas tout discours ou toute expression qui peut avoir trait à des activités commerciales ou y ressembler un tant soit peu ou qui pourrait, peut-être, éventuellement, être considéré comme comportant un tout petit élément, aspect, caractère ou objectif vaguement ou légèrement commercial (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, aux paragraphes 1, 8, 15, 46, 50, 62, 63 et 75). En fait, l’interdiction prévue par la Loi vise les messages électroniques dont il est raisonnable de conclure qu’ils ont — et non qu’ils pourraient avoir, qu’ils ont peut-être ou qu’ils auront éventuellement — pour but, entre autres, d’encourager la participation à une activité commerciale. En outre, l’interdiction vise ces messages seulement si, d’une part, leur destinataire n’a pas consenti à les recevoir ou leur contenu n’est pas conforme aux exigences et, d’autre part, aucune des diverses exceptions pour certaines personnes et organisations ne s’applique. Deuxièmement, l’appelante confond l’objectif des dispositions sur les MEC et les moyens utilisés pour la réalisation de cet objectif. La Cour suprême a fait une mise en garde contre cette pratique, au paragraphe 23 de l’arrêt Thomson Newspapers 1998 :
La Cour doit d’abord évaluer l’objectif de la mesure législative attentatoire, par opposition aux moyens choisis pour l’appliquer. La question est de savoir si la préoccupation qui a incité à l’adoption de la loi contestée est urgente et réelle, et si l’objet de la loi est suffisamment important (Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la p. 987, le juge en chef Dickson et les juges Lamer (maintenant Juge en chef) et Wilson). La distinction entre l’« objectif » et les « moyens » est importante […] [Souligné dans l’original.]
[158] Ainsi, dans l’arrêt RJR-MacDonald, l’objectif de la mesure contestée, qui interdisait la publicité en faveur du tabac, n’était pas simplement d’interdire les publicités en faveur du tabac, mais d’« empêcher la population canadienne de se laisser convaincre par la publicité et la promotion de faire usage du tabac » (RJR-MacDonald, au paragraphe 144). L’objectif des dispositions d’interdiction n’était pas l’interdiction en tant que telle, mais la prévention des effets néfastes causés par la pratique interdite.
[159] De manière semblable, les dispositions de la Loi interdisant les MEC ne satisfaisant pas aux exigences légales en matière de consentement ou de contenu et ne faisant pas l’objet d’une exception n’ont pas pour but d’interdire purement et simplement les MEC. L’objectif législatif de la Loi est d’atténuer certains effets néfastes causés par les MEC non sollicités. Ces effets sont énoncés aux alinéas 3a) à d) de la disposition d’objet de la Loi.
[160] Il ne s’agit pas non plus d’un objectif de portée trop générale. L’article 3 énonce l’objectif général de la Loi (promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne), que viennent préciser les sous-objectifs énumérés aux alinéas a) à d). Cette structure est semblable à celle de l’objectif, jugé valide par la Cour suprême du Canada, de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Health and Social Services Delivery Improvement Act, S.B.C. 2002, ch. 2, dans l’arrêt Health Services & Support-Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391 (Health Services). Au paragraphe 146 de cet arrêt, la Cour suprême a écrit ceci :
Nous rejetons l’argument que l’objectif du gouvernement est formulé en termes trop généraux. Le gouvernement définit son objectif comme étant un objectif principal unique (améliorer la prestation de services de santé ), poursuivi au moyen de plusieurs sous-objectifs (permettre aux autorités sanitaires de concentrer les ressources sur la prestation des services cliniques, rendre les employeurs du secteur de la santé et les autorités sanitaires plus aptes à réagir rapidement aux changements de circonstances, et accroître l’obligation de rendre compte des décideurs dans le système de santé public). Même en admettant que l’objectif principal soit formulé en termes plutôt généraux, les objectifs précis du gouvernement paraissent clairement énoncés dans les sous-objectifs. L’objectif n’est donc pas exprimé d’une manière trop générale.
[161] Le raisonnement de la Cour suprême s’applique tout autant à l’objectif de la Loi, énoncé à l’article 3. Et il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’objectif de promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation des MEC, lesquels peuvent avoir les effets pernicieux énoncés aux alinéas 3a) à d), est suffisamment important pour justifier la restriction d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution.
[162] Avant que nous ne passions à la prochaine étape de l’analyse fondée sur l’article premier, il convient d’expliquer brièvement pourquoi l’objectif de portée étroite tel que l’a formulé l’appelante ne peut pas non plus être retenu. Dans les mots de l’appelante, dans cette version, l’objectif de la Loi consiste à [traduction] « lutter contre “les pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses” » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 50, souligné et en gras dans l’original). L’appelante dit avoir tiré cet objectif législatif d’un document d’information sur le projet de loi C-28 publié par Industrie Canada (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, note 28). Il s’agit d’une pratique peu recommandée, et c’est un euphémisme, que d’omettre, lorsqu’on examine l’objectif d’un texte législatif, d’analyser le texte législatif en question ou d’y faire renvoi, pour se fonder plutôt sur des documents d’information complémentaire. Qui plus est, l’appelante ne rapporte pas fidèlement ce qui est déclaré dans le document d’information au sujet de l’objectif du projet de loi. Le document dit en fait que le projet de loi C-28 « vise à réduire les pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses, ainsi que les autres activités du même genre qui découragent les activités commerciales par voie électronique » (non souligné dans l’original). Au sujet de l’objectif de la Loi, plus précisément, il est écrit dans le document d’information que « [c]ette législation vise à accroître la confiance des consommateurs à l’égard du commerce électronique en protégeant à la fois les consommateurs et les entreprises canadiennes contre les pourriels non sollicités et les autres menaces en ligne du même genre » (dossier d’appel conjoint, à la page 1394). Il ne fait aucun doute que l’expression « pourriels non sollicités et les autres menaces en ligne » ne vise pas que les pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses. Le fait que le législateur avait l’intention que la Loi aille au-delà des pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses ressort aussi des débats consignés dans le Hansard :
[…]Le maliciel est un des pires aspects du pourriel. Mais même les messages les moins nuisibles, les courriels non sollicités qui inondent nos boîtes d’entrée d’incitations à acheter par correspondance des médicaments ou à faire un tour dans une boîte de nuit de New York, même ces messages agaçants pénalisent l’économie.
(Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 2e sess., no 53 (7 mai 2009), à la page 3216; dossier d’appel conjoint, à la page 1151.)
[163] À mon avis, il est clair que l’objectif de la Loi n’est pas aussi restreint que l’appelante tente de le démontrer dans la formulation qu’elle propose à titre d’objectif de portée étroite. La formulation correcte de l’objectif de la Loi et, plus précisément, de l’objectif des dispositions contestées sur les MEC se trouve à l’article 3 de la Loi.
3) Les mesures contestées sont-elles rationnellement liées à l’objectif?
[164] À cette étape de l’analyse fondée sur l’article premier, le gouvernement doit établir un lien rationnel entre l’objectif de la loi et les moyens choisis pour le réaliser. Cela demande un « lien causal, fondé sur la raison ou la logique, entre la violation et l’avantage recherché » (RJR-MacDonald, au paragraphe 153). Il n’est pas toujours nécessaire de faire la preuve directe de ce lien; il suffit de montrer « qu’il est raisonnable de supposer que la restriction peut contribuer à la réalisation de l’objectif, et non qu’elle y contribuera effectivement » (Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567 (Hutterian), au paragraphe 48). La Cour suprême a affirmé que cet élément du critère énoncé dans l’arrêt Oakes n’était « “pas particulièrement exigeant” » (Health Services, au paragraphe 148, citant Little Sisters Book & Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120, au paragraphe 228, également cité dans l’arrêt Trociuk c. Colombie-Britannique (Procureur général), 2003 CSC 34, [2003] 1 R.C.S. 835, au paragraphe 34). L’exigence du lien rationnel a pour but d’éviter que les droits garantis par la Charte soient restreints arbitrairement (Hutterian, au paragraphe 48). En ce sens, il est vérifié par cette exigence « dans quelle mesure l’ensemble législatif est adapté à son objet » (R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, 1986 CanLII 12, au paragraphe 127 [à la page 770 du R.C.S.]).
[165] L’appelante a raison quand elle affirme que, si une interdiction est trop vaste, la partie excédante n’est pas rationnellement liée à l’objectif. L’appelante invoque deux arrêts dans lesquels la Cour suprême a invalidé des dispositions parce qu’elles étaient de portée trop générale : Vancouver Transportation Authority et Oakes (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, aux paragraphes 53 et 54). Cependant, on peut établir une distinction entre le régime légal nuancé créé par la Loi et la méthode catégorique et rigide adoptée dans les lois contestées dans ces affaires. L’arrêt Vancouver Transportation Authority portait sur l’interdiction absolue d’afficher des publicités à caractère politique sur le côté des autobus. L’arrêt Oakes portait sur la présomption automatique et impérative selon laquelle toute personne en possession de la moindre quantité de stupéfiants — même une quantité minime — les possédait en vue d’en faire le trafic. L’objectif des dispositions contestées était, respectivement, d’offrir un réseau de transport en commun sûr et accueillant et de faciliter l’obtention de verdicts de culpabilité contre les trafiquants. Dans les deux cas, les mesures étaient de portée trop générale parce que ni l’interdiction absolue créée par la première ni la présomption impérative créée par la seconde ne contribuait, logiquement et raisonnablement, à la réalisation de leur objectif législatif respectif. Ce ne sont pas toutes les publicités à caractère politique qui sont choquantes, et la possession simple d’une petite quantité de stupéfiants ne justifie pas invariablement que l’on conclue qu’il y a possession en vue de se livrer au trafic. Ni l’une ni l’autre des mesures contestées n’était adaptée à son objectif : l’interdiction était totale et la présomption n’était pas discrétionnaire. La portée trop vaste de ces lois, à laquelle s’ajoutaient les cadres rigides et intransigeants, signifiait nécessairement que ces lois visaient des activités qui n’étaient pas liées à leur objectif. On ne peut en dire autant de la Loi.
[166] La Loi n’interdit pas de manière absolue les messages électroniques visant à encourager la participation à une activité commerciale. Elle prévoit des moyens permettant l’exercice de la pratique réglementée, c’est-à-dire lorsque le destinataire donne expressément ou tacitement son consentement et qu’il est satisfait aux exigences relatives au contenu et au mécanisme d’exclusion. Il peut y avoir consentement tacite lorsque l’expéditeur et le destinataire sont liés par des relations d’affaires ou privées, ce qui couvre un certain nombre de situations, ainsi que lorsque le destinataire a publié bien en vue son adresse électronique ou l’a communiquée à l’expéditeur et que certaines autres conditions sont remplies. Donc la Loi, et en particulier le paragraphe 6(1), crée une interdiction partielle, et non pas absolue, des MEC.
[167] Il existe également plusieurs exceptions et exclusions à cette interdiction partielle. Par exemple, l’interdiction ne s’applique pas aux prix ou estimations pour une fourniture demandés par le destinataire; aux renseignements en matière de garantie, de sécurité ou de rappel à l’égard d’un produit; aux mises à jour ou améliorations à l’égard d’un produit ou d’un service; aux renseignements liés au statut d’employé; aux messages entre employés d’une même organisation ou entre des organisations entretenant des rapports; aux MEC envoyés pour satisfaire à une obligation juridique, pour donner avis d’un droit ou d’une obligation juridique ou pour faire valoir un droit ou exécuter une obligation juridique; aux MEC envoyés à un compte sécuritaire et confidentiel à accès restreint par le fournisseur du compte; aux MEC envoyés par un organisme de bienfaisance ou par une organisation ou un parti politiques ou par un candidat ou qui ont été envoyés en leur nom; ni au premier MEC envoyé à un destinataire à la suite d’une recommandation faite par une personne avec laquelle le destinataire entretient un rapport. L’interdiction ne s’applique pas non plus lorsqu’il y a une relation privée ou des liens familiaux entre l’expéditeur et le destinataire. La Loi établit donc un régime légal complexe qui manifeste un degré considérable d’adaptation à ses objectifs, qui va bien au-delà de l’adaptation liée à l’interdiction absolue examinée dans l’arrêt Vancouver Transportation Authority ou à la présomption impérative en cause dans l’arrêt Oakes.
[168] Si l’objectif de la Loi était seulement de prévenir « les pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses », il serait possible de conclure que l’interdiction principale établie par la Loi, bien qu’elle soit partielle et assortie de nombreuses exceptions, est de portée trop générale et ne satisfait pas au critère du lien rationnel. Cependant, l’objectif de la Loi n’est pas si étroit. Il consiste plutôt à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de pratiques commerciales qui, entre autres, nuisent à l’efficience et à l’utilisation optimale des moyens de communication électronique dans le cadre des activités commerciales ou minent la confiance des Canadiens à cet égard. Une vaste gamme de messages commerciaux, qui vont bien au-delà de ce que l’on pourrait considérer comme étant « les pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses », peut être contraire à cet objectif et par conséquent être rationnellement, et non arbitrairement, liée à l’interdiction établie au paragraphe 6(1).
[169] Lorsque l’appelante affirme que [traduction] « la Loi va bien au-delà des pourriels dangereux », elle ne pense tout simplement pas au bon type de danger. Cela ressort clairement, par exemple, de sa déclaration, au paragraphe 55 de son mémoire sur les questions constitutionnelles, selon laquelle [traduction] « il est irrationnel de supposer que l’envoi d’un coupon à un consommateur » est contraire à l’objectif de la Loi. La question à poser à cet égard n’est pas celle de savoir si un courriel comportant un coupon compte parmi les [traduction] « formes les plus dangereuses et trompeuses de menaces en ligne ». De toute évidence, ce n’est pas le cas. La question qu’il faut plutôt poser est celle de savoir si une avalanche de courriels offrant une multitude de coupons, à laquelle le destinataire n’a pas consenti, et à laquelle il est incapable de mettre fin, peut nuire à l’efficience ou à l’utilisation optimale du courriel comme moyen de communication électronique dans le cadre des activités commerciales et miner la confiance du destinataire à cet égard. Sans le moindre doute, la réponse est oui. La juste appréciation des objectifs de la Loi montre clairement que la Loi peut restreindre de façon valide des messages qui peuvent sembler inoffensifs en comparaison avec « les pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses » sans que la restriction soit arbitraire ou injuste.
[170] Le régime légal complexe qu’instaure la Loi est suffisamment adapté à ses objectifs pour satisfaire au critère du lien rationnel de l’analyse fondée sur l’article premier. Il est raisonnable de conclure que l’interdiction imposée par la Loi vise des pratiques dont on peut raisonnablement dire qu’elles sont contraires aux objectifs de la Loi et autorise des pratiques dont on ne peut pas raisonnablement dire la même chose.
4) Les mesures contestées imposent-elles une restriction minimale?
[171] À cette étape de l’analyse fondée sur l’article premier, il faut déterminer si « les mesures en cause restreignent le droit à la liberté d’expression aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de l’objectif législatif » (RJR-MacDonald, au paragraphe 160). Bien que la disposition doive être soigneusement adaptée afin de réduire au minimum la restriction des droits constitutionnellement garantis, le processus d’adaptation « est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur » (RJR-MacDonald, au paragraphe 160). L’exigence est la suivante : « [l]a disposition doit être raisonnablement adaptée à ses objectifs; elle ne doit pas […] porter atteinte au droit plus qu’il n’est raisonnablement nécessaire de le faire, eu égard aux difficultés pratiques et aux pressions contradictoires qui doivent être prises en considération » (Sharpe, au paragraphe 96, souligné dans l’original). Par conséquent, pour que la loi soit jugée valide à cette étape, il suffit que « le moyen en question ait été choisi parmi une gamme de solutions raisonnables au problème visé » (Sharpe, au paragraphe 96).
[172] La loi peut être jugée invalide dans le cas où « le gouvernement omet d’expliquer pourquoi il n’a pas choisi une mesure beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace » (RJR-MacDonald, au paragraphe 160). Comme la Cour suprême l’a dit clairement dans l’arrêt Hutterian, la mesure « tout aussi efficace » n’a pas à permettre « d’atteindre l’objectif exactement dans la même mesure que la mesure contestée », mais doit inclure des solutions de rechange qui « protègent suffisamment » l’objectif du gouvernement (Hutterian, au paragraphe 55, en italique dans l’original).
[173] L’appelante reproche au CRTC d’avoir rejeté les solutions de rechange qu’elle proposait bien qu’il ait reconnu qu’elles auraient été moins attentatoires aux droits et libertés garantis par l’alinéa 2b) de la Charte que la Loi. Selon l’appelante, cela montre que le CRTC [traduction] « ne reconnaît pas la nécessité d’examiner s’il existe des moyens moins attentatoires de réaliser l’objectif législatif et si les “moyens les moins radicaux” ont été choisis » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 62). Cependant, l’appelante semble oublier que l’existence de solutions de rechange moins attentatoires ne peut rendre les dispositions contestées invalides si ces solutions de rechange ne protègent pas suffisamment l’objectif du gouvernement (Hutterian, au paragraphe 55). La Cour suprême l’a affirmé au paragraphe 54 de l’arrêt Hutterian : « Les moyens moins attentatoires qui ne lui permettraient pas de réaliser son objectif ne sont pas examinés à ce stade. » Parce qu’il avait conclu que les solutions de rechange proposées par l’appelante ne protégeaient pas adéquatement les objectifs législatifs de la Loi, logiquement, le CRTC ne les a pas retenues (décision du CRTC, au paragraphe 150). Il faut maintenant déterminer si les conclusions du CRTC au sujet des solutions de rechange étaient correctes.
[174] Une solution de rechange au régime à « option d’adhésion » prévu par la Loi à l’égard du consentement du destinataire est le régime à « option de retrait » utilisé dans une loi américaine équivalente à la Loi, intitulée Controlling the Assault of Non-Solicited Pornography and Marketing Act of 2003, 15 U.S.C. 103. Sous ce régime, le destinataire n’a pas à donner son consentement aux messages commerciaux, mais ces derniers doivent comporter un mécanisme d’exclusion qui permet au destinataire de choisir de ne pas recevoir d’autres messages.
[175] Bien que les solutions de rechange n’aient pas à remplir les objectifs du législateur exactement dans la même mesure que les dispositions contestées, il est clair que le modèle du régime à option de retrait ne protège pas suffisamment l’un des objectifs, voire tous les objectifs, de la Loi énoncés à l’article 3. S’il n’était pas nécessaire d’obtenir le consentement du destinataire des MEC, les boîtes de réception pourraient être inondées ou, pour utiliser une expression familière, « exploser » à cause de messages commerciaux non sollicités. Une telle pratique irait à l’encontre de l’objectif énoncé à l’alinéa 3a), qui est d’empêcher que l’on nuise à l’efficience et à l’utilisation optimale des moyens de communication électronique dans le cadre des activités commerciales. Elle serait aussi contraire à l’objectif sous-jacent de la Loi de donner la possibilité « aux entreprises et aux consommateurs d’exercer un contrôle sur leur corbeille arrivée et sur leurs ordinateurs » (Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 2e sess., no 106 (3 novembre 2009) (Gordon Brown), à la page 6581; dossier d’appel conjoint, à la page1143).
[176] Le régime à option de retrait pourrait également permettre l’entrée de courriels potentiellement dommageables, qui pourraient être ouverts par erreur ou en toute innocence et ainsi déverser leur contenu pernicieux. Assurément, il n’est pas nécessaire de fournir des explications détaillées pour illustrer en quoi cette pratique serait contraire à tous les objectifs énoncés dans la Loi.
[177] Enfin, le CRTC a également affirmé que le régime à option de retrait impose un fardeau en temps, en efforts et, au bout du compte, en coûts sur les destinataires qui veulent échapper aux messages non sollicités, ce qui est contraire à l’alinéa 3b), qui vise à éviter les coûts supplémentaires pour les entreprises et les consommateurs. Le problème fondamental du régime à option de retrait est qu’il permet aux expéditeurs de pourriels de continuer à envoyer des pourriels. Il convient de rappeler que le Groupe de travail sur le pourriel établi par le gouvernement du Canada en 2005 a précisément recommandé que le Canada adopte un régime à option d’adhésion dans sa future législation anti-pourriels (Rapport du Groupe de travail sur le pourriel, aux pages 3, 14 et 15; dossier d’appel conjoint, aux pages 11907, 11917 et 11918). Les États-Unis sont en fait le seul pays du G8 à avoir utilisé le régime à option de retrait (mémoire de l’intimé sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 13). À mon avis, on peut conclure sans risque de se tromper que le modèle à option de retrait ne constitue pas une solution de rechange valable au régime prévu par la Loi dans le cadre de l’analyse sur l’atteinte minimale.
[178] Une deuxième solution de rechange à la Loi proposée par l’appelante et examinée par le CRTC est la loi adoptée par l’Australie, intitulée Spam Act 2003 (Cth). Comme la Loi, cette loi australienne établit un régime à option d’adhésion comportant diverses exceptions. Pour nos besoins, il y a deux principales différences entre la loi canadienne et la loi australienne. En premier lieu, la loi australienne adopte une définition fermée du terme MEC, tandis que la définition de ce terme dans la Loi est ouverte. En second lieu, la loi australienne comporte une définition ouverte du consentement tacite, tandis que la Loi énonce avec précision les circonstances dans lesquelles il y a consentement tacite. Au sujet de cette solution de rechange, le CRTC a conclu qu’il n’était pas manifeste qu’elle porterait moins atteinte à la liberté d’expression que la Loi, une conclusion à laquelle je ne peux que souscrire.
[179] Le paragraphe 1(2) de la Loi définit le MEC comme étant un message qui a pour but, entre autres, d’encourager la participation à une activité commerciale. Les alinéas 1(2)a) à d) présentent ensuite une liste, qui n’est pas exhaustive, de descriptions de messages qui sont visés par cette définition. À l’opposé, l’article 6 de la loi australienne limite la définition des MEC aux messages qui correspondent à l’une ou l’autre des descriptions énumérées dans cette disposition, lesquelles sont quasi identiques à celles figurant aux alinéas 1(2)a) à d) de la Loi.
[180] Par conséquent, la définition de MEC figurant dans la Loi vise les mêmes formes d’expression que celles visées par la loi australienne. La différence essentielle entre les deux, en ce qui concerne l’atteinte à la liberté d’expression, est le sous-ensemble de messages électroniques qui ne seraient pas conformes aux descriptions des alinéas 1(2)a) à d) de la Loi, mais qui seraient néanmoins visés par la Loi parce qu’on pourrait raisonnablement conclure qu’ils encouragent la participation à une activité commerciale.
[181] À mon avis, les descriptions de ce qui constitue un MEC énumérées à l’article 6 de la loi australienne et aux alinéas 1(2)a) à d) de la LCAP sont passablement complètes. Je ne suis donc pas convaincu qu’il reste un vaste éventail de messages électroniques qui ne correspondraient pas à ces descriptions, mais qui pourraient être considérés comme encourageant la participation à une activité commerciale. Les termes plus généraux dans lesquels est formulée la définition de MEC dans la Loi ne fait qu’offrir une certaine souplesse par rapport aux cas limites ou aux cas ambigus qu’on ne peut prévoir — chose certaine, au vu des faits portés à notre connaissance, nous ne sommes pas saisis de l’un de ces cas. Cette souplesse supplémentaire n’a pas pour effet d’invalider les dispositions.
[182] La différence entre les formes d’expression visées par la LCAP et celles visées par la loi australienne est, à mon avis, suffisamment étroite pour que l’on puisse conclure que le modèle ouvert et le modèle fermé de la définition des MEC font l’un et l’autre partie de la gamme des solutions de rechange raisonnables. Il s’ensuit que la LCAP ne peut être jugée invalide à l’étape de l’atteinte minimale, car la Cour suprême a affirmé clairement que, « pour établir la justification, il n’est pas nécessaire de démontrer que le législateur a choisi le moyen le moins restrictif de réaliser son objectif. Il suffit que le moyen en question ait été choisi parmi une gamme de solutions raisonnables au problème visé » (Sharpe, au paragraphe 96).
[183] Pour des motifs semblables, je ne peux souscrire à l’argument voulant que le modèle ouvert permettant d’inférer le consentement, tel qu’il est énoncé à l’alinéa 2b) [de l’annexe 2] de la loi australienne, soit manifestement moins attentatoire à la liberté d’expression que le modèle de consentement tacite énoncé dans la LCAP, lequel, dans les mots du CRTC, « définit des méthodes plus précises et en plus grand nombre pour obtenir l’équivalence du consentement » que son équivalent australien (décision sur la constitutionnalité, au paragraphe 162).
[184] L’appelante présente, sans analyse à l’appui, d’autres propositions qui sont possiblement moins attentatoires à la liberté d’expression que la Loi, mais qui, tout aussi probablement, ne protégeraient pas suffisamment les objectifs de la Loi. Ces propositions comptent notamment les suivantes : exiger que le but principal du MEC, plutôt que seulement un de ses buts, soit commercial; abolir l’exigence du mécanisme d’exclusion pour [traduction] « les messages purement transactionnels ou les avertissements de sécurité »; limiter les MEC aux envois de masse; ne pas prendre en compte le contenu inclus par hyperlien pour déterminer si un message est un MEC; et ne pas interdire les messages qui font la promotion d’une personne en tant que personne qui vend des produits ou des services (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, aux paragraphes 64 et 65).
[185] L’appelante soutient, au paragraphe 65 de son mémoire sur les questions constitutionnelles, que [traduction] « n’importe laquelle de ces solutions de rechange aurait été “moins radicale” et aurait atteint les objectifs énoncés par le gouvernement de mettre fin aux “pourriels sous leurs formes les plus dangereuses et trompeuses” et de supprimer des éléments nuisibles au commerce électronique » (souligné et en gras dans l’original). À mon sens, il est n’est pas du tout clair que les solutions de rechange que l’appelante propose — peut-être parce qu’elle ne les a pas du tout explicitées — seraient moins attentatoires que la Loi à un point suffisant pour que cette dernière ne fasse pas partie de la gamme des solutions de rechange raisonnables. Et encore une fois, l’appelante ne parvient à donner à ses solutions de rechange l’apparence qu’elles sont acceptables qu’en amoindrissant les objectifs de la Loi. Lorsque ceux-ci sont correctement pris en considération, il devient manifeste que les propositions de l’appelante ne protégeraient pas suffisamment les objectifs législatifs pour qu’elles soient valides aux fins de l’analyse sur l’atteinte minimale.
[186] Il faut aussi souligner que plusieurs des solutions proposées par l’appelante pour réduire l’atteinte à la liberté font déjà partie du cadre établi par la Loi, y compris des exceptions pour les organisations faisant œuvre de bienfaisance (Règlement, alinéas 3g) et h)) et les personnes entretenant des relations privées ou ayant des liens familiaux (Loi, al. 6(5)a) et b)).
[187] Enfin, l’appelante soutient que le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes (le Comité) a formulé [traduction] « de nombreuses recommandations qui diminueraient l’effet dissuasif et les répercussions qu’a la Loi sur les formes d’expression légitimes ». L’appelante soutient que ces recommandations, à elles seules, font qu’il est [traduction] « impossible de soutenir » que la Loi est minimalement attentatoire (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 66). Cependant, aucune des 13 recommandations formulées par le Comité dans son rapport sur la LCAP ne pourrait constituer une « solution de rechange » pouvant servir à l’étape de l’analyse sur l’atteinte minimale, pas plus que ces recommandations ne donnent à penser que les restrictions apportées par la Loi ne sont pas minimalement attentatoires. Les recommandations ne font que demander des éclaircissements sur certains termes de la Loi, pour que les dispositions « soient claires et intelligibles pour les parties visées par la Loi et qu’elles n’engendrent pas des coûts de conformité indus ». Ces recommandations n’étayent pas l’argument de l’appelante selon lequel la Loi restreint la liberté d’expression plus qu’il n’est nécessaire pour la réalisation de ses objectifs.
5) Y a-t-il proportionnalité entre les effets bénéfiques et les effets préjudiciables des mesures contestées?
[188] La dernière étape de l’analyse fondée sur l’article premier consister à examiner si « les conséquences [des dispositions attentatoires] sont disproportionnées aux avantages pouvant en découler » (Thomson Newspapers 1998, au paragraphe 125). Pour les besoins de cet examen, les effets préjudiciables des dispositions sont « mesurés au regard des valeurs consacrées par la Charte » (Thomson Newspapers 1998, au paragraphe 125). En d’autres mots, cette étape porte sur la question de savoir si la disposition « produi[t] des avantages qui l’emportent sur les effets négatifs de l’atteinte à la liberté d’expression » (Guignard, au paragraphe 28). Plus précisément, les coûts en argent ne sont pas pertinents.
[189] La Loi restreint la liberté d’expression en créant une présomption d’interdiction contre les MEC non sollicités. Les messages qui ne sont pas visés par une exception ne peuvent être envoyés que s’ils satisfont aux exigences prévues par la Loi, c’est-à-dire que le destinataire a consenti, expressément ou tacitement, à recevoir le MEC et que le message comporte un mécanisme d’exclusion ainsi que le nom et les coordonnées de l’expéditeur. La forme d’expression protégée constitutionnellement assujettie à la Loi n’est donc pas interdite, mais réglementée.
[190] L’appelante soutient que cette réglementation a un effet dissuasif sur [traduction] « le discours commercial légitime et bénéfique de même que sur le discours politique et religieux, l’action directe dans les communautés défavorisées, les œuvres caritatives et dédiées au bien public, [et] la publicité par les professionnels » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 73).
[191] En ce qui concerne les formes non commerciales de discours mentionnées par l’appelante, la Loi ne constitue un obstacle que lorsque ces discours ont un but commercial. L’atteinte portée à ces autres formes de discours est par conséquent négligeable puisque la Loi n’entrave en aucune façon les formes d’expression non commerciales. La Loi prévoit également des exceptions pour certaines de ces formes d’expression même lorsqu’elles ont un but commercial. Par exemple, l’article 3 du Règlement précise que l’interdiction établie par la Loi ne vise pas les messages sollicitant des dons pour les organismes de bienfaisance enregistrés au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1. L’organisme de bienfaisance enregistré, au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu, comprend tout organisme agissant à des fins de soulagement de la pauvreté, de promotion de l’éducation et de promotion de la religion ou à d’autres fins manifestement utiles à la société (Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women c. Ministre du Revenu national, [1999] 1 R.C.S. 10, 1999 CanLII 704, au paragraphe 42).
[192] L’appelante soutient que [traduction] « le discours commercial légitime et bénéfique » affecté par la Loi est un message qui [traduction] « renforce ou continue une relation d’affaires, communique des renseignements à l’avantage du consommateur et fournit au consommateur des choix économiques » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 75). J’observe que les exceptions prévues par la Loi s’appliquent aux relations d’affaires existantes (LCAP, alinéa 10(9)a), paragraphe 10(10)) ainsi qu’aux situations où le consommateur reçoit de l’information utile comme des renseignements en matière de garantie, de sécurité ou de rappel à l’égard d’un produit ou des renseignements qui font suite à une transaction antérieure (LCAP, paragraphe 6(6)). Les consommateurs ont toujours la possibilité de consentir à recevoir des MEC sur des choix économiques s’ils veulent plus de renseignements.
[193] Compte tenu de ce qui précède, je ne peux souscrire à l’observation de l’appelante selon laquelle la Loi a des effets préjudiciables importants sur des formes d’expression autres que l’expression commerciale et je conclus que les répercussions de la Loi sur l’expression commerciale sont atténuées par de nombreuses exceptions et un mécanisme de conformité réglementaire.
[194] En évaluant l’atteinte que porte la Loi à la liberté d’expression, il faut préciser que l’expression commerciale n’est pas une forme d’expression aussi farouchement protégée que d’autres formes. Les trois valeurs fondamentales au cœur de l’alinéa 2b) de la Charte ont été énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Keegstra. Elles ont été résumées ainsi au paragraphe 72 de l’arrêt RJR-MacDonald : « la découverte de la vérité dans les affaires politiques et dans les entreprises scientifiques et artistiques, la protection de l’autonomie et de l’enrichissement personnels et la promotion de la participation du public au processus démocratique ». Il est bien établi que « ce ne sont pas toutes les expressions qui méritent la même protection » (Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, [1990] 2 R.C.S. 232, à la page 247, 1990 CanLII 121 (Rocket), citant Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, 1989 CanLII 20). Plus particulièrement, « lorsque la forme d’expression menacée s’écarte beaucoup de l’“esprit même” de la garantie, […] les restrictions à cette expression sont moins difficiles à justifier » (RJR-MacDonald, au paragraphe 72).
[195] L’appelante soutient que l’expression commerciale s’assimile aux valeurs fondamentales protégées par l’alinéa 2b). Au paragraphe 69 de son mémoire sur les questions constitutionnelles, elle soutient que le CRTC a commis [traduction] « une erreur fondamentale » en concluant que les MEC ne sont pas compris dans les valeurs fondamentales de l’alinéa 2b), en contradiction avec [traduction] « les conclusions claires tirées notamment dans les arrêts Guignard, Irwin Toy et Ford ». Cependant, aucun des arrêts invoqués par l’appelante n’étaye son argument voulant que l’expression commerciale s’assimile aux valeurs fondamentales protégées par l’alinéa 2b). Les arrêts Guignard et Irwin Toy citent tous deux l’arrêt Ford à l’appui de l’affirmation selon laquelle l’expression commerciale bénéficie d’une protection constitutionnelle. Les deux arrêts citent le même passage aux pages 766 et 767 de l’arrêt Ford :
[…] Étant donné que cette Cour a déjà affirmé à plusieurs reprises que les droits et libertés garantis par la Charte canadienne doivent recevoir une interprétation large et libérale, il n’y a aucune raison valable d’exclure l’expression commerciale de la protection de l’al. 2b) de la Charte.
[196] Les arrêts Ford, Guignard et Irwin Toy n’établissent pas que l’expression commerciale constitue une valeur fondamentale protégée par l’alinéa 2b), bien au contraire. Il y est écrit que l’expression commerciale doit être protégée constitutionnellement seulement parce que les libertés garanties par la Charte doivent recevoir « une interprétation large et libérale ».
[197] À mon avis, la Cour suprême, dans l’analyse qu’elle a faite de l’expression commerciale dans les arrêts Keegstra et Rocket, ne laisse aucun doute quant au fait que cette forme d’expression se trouve à une certaine distance des valeurs fondamentales protégées par l’alinéa 2b) et commande un niveau de protection proportionnellement moindre. Les pages 246 et 247 de l’arrêt Rocket, à mon sens, ne peuvent vouloir dire autre chose :
Bien que la méthode canadienne ne consiste pas à appliquer des critères spéciaux aux restrictions imposées à l’expression commerciale, notre méthode d’analyse permet d’aborder la détermination de leur constitutionnalité avec sensibilité et en fonction de chaque cas particulier. En situant les valeurs contradictoires dans leur contexte factuel et social au moment de procéder à l’analyse fondée sur l’article premier, les tribunaux ont la possibilité de tenir compte des caractéristiques spéciales de l’expression en question. Comme le juge Wilson le fait remarquer dans Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, ce ne sont pas toutes les expressions qui méritent la même protection. Toutes les violations de la liberté d’expression ne sont pas également graves.
L’expression qui est restreinte par ce règlement est celle de dentistes qui désirent communiquer des renseignements à des patients réels ou éventuels. Dans la plupart des cas, leur raison d’agir ainsi est principalement d’ordre économique. À l’inverse, s’ils sont empêchés d’agir ainsi, la perte qu’ils subissent est simplement une perte de bénéfice et non une perte d’occasion de participer au processus politique ou au « marché des idées », ou de réaliser un épanouissement personnel sur le plan spirituel ou artistique : voir Irwin Toy, précité, à la p. 976. Cela laisse entendre qu’il se pourrait que des restrictions imposées à des expressions de ce genre soient plus faciles à justifier que d’autres atteintes à l’al. 2b). [Non souligné dans l’original.]
[198] Je crois que, lorsqu’il est fait renvoi à cet extrait au paragraphe 88 de l’arrêt Keegstra, on y attribue la même interprétation que j’en fais : les restrictions à l’expression commerciale se justifient beaucoup plus facilement que les restrictions à d’autres formes d’expression, comme l’expression politique, qui sont plus au cœur des valeurs protégées par l’alinéa 2b) (voir aussi Sharpe, au paragraphe 23). Il faut garder ce principe à l’esprit lorsque l’on apprécie l’expression restreinte par la Loi.
[199] En ce qui concerne les effets de la Loi restreignant la liberté d’expression, je crois qu’ils apportent des avantages considérables. Les pourriels sont une nuisance et, s’ils n’étaient pas réglementés, ils pourraient avoir des effets importants et néfastes sur l’économie du Canada, que le législateur tente d’éviter par la Loi. La quantité de pourriels que la Loi empêche les internautes canadiens de recevoir est énorme : des éléments de preuve au dossier montrent que les pourriels ont compté pour au moins 90 p. 100 de tous les courriels envoyés en 2014 (mémoire de l’intimé, au paragraphe 7, citant le dossier d’appel conjoint, à la page 12067). Les avantages de la Loi ne sont pas infimes.
[200] Les avantages de la Loi ne relèvent pas non plus de la conjecture. Dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la Loi, le nombre de pourriels provenant du Canada a chuté de 37 p. 100, après quoi le Canada non seulement ne se trouvait plus parmi les cinq premiers dans le classement des pays produisant le plus de pourriels au monde, mais ne se trouvait plus parmi les vingt premiers (mémoire de l’intimé sur les questions constitutionnelles, par. 19, citant le dossier d’appel conjoint, aux pages 3625 et 13968 à 14017). Bien que ces chiffres montrent que la Loi a été efficace sur la question bien réelle de la diminution de la quantité de pourriels, des éléments de preuve montrent également que les avantages que la diminution de la quantité de pourriels est censée apporter à la cyberéconomie canadienne se sont concrétisés. Des statistiques montrent qu’après l’édiction de la Loi, il y a eu une augmentation de la proportion de MEC atteignant leurs destinataires ainsi que de la proportion de MEC ouverts et lus par leurs destinataires (mémoire de l’intimé sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 21, citant le dossier d’appel conjoint, aux pages 13988 et 13989). Des éléments de preuve montrent en outre que le rendement du marketing par courriel chez les entreprises canadiennes a augmenté de plus de 20 p. 100 au cours de la même période et que les ventes au détail en ligne ont également augmenté (mémoire de l’intimé sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 21, citant le dossier d’appel conjoint, à la page 14060; décision sur la constitutionnalité, au paragraphe 180).
[201] L’appelante met en doute le fait que ces avantages soient véritablement issus de la Loi, soulignant la déclaration du Comité selon laquelle « [i]l est difficile d’établir que la diminution des pourriels provenant du Canada est attribuable à la Loi » (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, au paragraphe 74; dossier d’appel conjoint, à la page 13987). Bien que l’appelante tente d’en déduire que le Comité partage son opinion voulant que les avantages apportés par la Loi soient illusoires, il est révélateur que le rapport du Comité ne propose aucune refonte majeure de la Loi, mais seulement des éclaircissements mineurs pour que la Loi « continue de “promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne” » (dossier d’appel conjoint, à la page 13978, non souligné dans l’original).
[202] Au bout du compte, je conclus que les avantages de la Loi l’emportent sur ses effets préjudiciables sur la liberté d’expression.
C. La Loi enfreint-elle l’article 11 de la Charte?
[203] L’appelante soutient également que le régime de SAP enfreint l’alinéa 11d) de la Charte. L’article 11 offre diverses protections procédurales à « tout inculpé ». Les procédures résultant de sanctions administratives ne donnent pas lieu à l’application des protections prévues à l’article 11 (Guindon, au paragraphe 44). Pour que l’argument de l’appelante fondé sur l’article 11 soit retenu, il faudrait conclure qu’elle a été accusée d’une infraction criminelle. Les contraventions à une loi sont de nature criminelle pour l’application de l’article 11 lorsque, par sa nature même, la procédure est criminelle ou lorsqu’une véritable conséquence pénale découle de la sanction (Guindon, au paragraphes 44 et 51).
1) Le régime de la SAP est-il de nature criminelle?
[204] La Cour suprême du Canada a mis en évidence trois facteurs à utiliser pour déterminer si une procédure est de nature criminelle ou administrative : l’objet de la loi, l’objectif de la sanction et le processus menant à la sanction (Guindon, au paragraphe 52).
a) L’objet de la loi
[205] Cette partie de l’analyse consiste à examiner si l’objet de la procédure, considéré dans son contexte législatif global, est de nature réglementaire ou pénale (Guindon, au paragraphe 53). La procédure qui est de nature criminelle vise à « amener la personne en cause “à rendre compte à la société” d’une conduite “contraire à l’intérêt public” », tandis que la procédure qui est de nature administrative vise l’observation des règles ou la réglementation de la conduite dans une sphère d’activité limitée (Guindon, au paragraphes 45 et 53).
[206] Il a été établi plus haut que le régime législatif contesté régit l’envoi de MEC non sollicités pour empêcher les nuisances à la cyberéconomie et l’imposition de coûts aux entreprises et aux consommateurs ainsi que pour protéger les renseignements confidentiels et la confiance des Canadiens dans le commerce électronique. Le régime a donc pour objet de régir une conduite dans une sphère d’activité limitée — l’envoi de MEC — pour protéger les Canadiens par la réglementation de certaines pratiques commerciales. Les procédures menant aux SAP prévues par la Loi font partie d’un cadre administratif assurant la protection du public et ne sont « généralement pas de celles qui emportent l’application de l’art. 11 » (Guindon, au paragraphe 53, citant R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541, 1987 CanLII 41).
[207] Le Hansard donne également à penser que le régime de SAP de la Loi a un but administratif :
L’un des meilleurs moyens de combattre les pourriels est une loi efficace. Le projet de loi C-27 met en place des dispositions importantes qui visent à protéger les consommateurs et les entreprises au Canada contre les formes les plus graves et trompeuses de préjudice électronique. Il prévoit un régime de réglementation pour favoriser la conformité et protéger la vie privée et la sécurité personnelle des Canadiens en ligne. Il propose un ensemble clair de règles qui seront à l’avantage de tous les Canadiens. Il favorisera la confiance dans les communications en ligne et le commerce électronique.
Le projet de loi combat les pourriels et les autres formes de menaces en ligne de deux façons. Il donne les pouvoirs de réglementation nécessaires pour imposer des sanctions monétaires et donner aux particuliers et aux entreprises le droit de poursuivre les polluposteurs. Il a recours au pouvoir fédéral en matière de commerce plutôt qu’aux pouvoirs d’exécution du Code criminel. Un régime administratif civil comme celui de la Loi sur la protection du commerce électronique est conforme à ce qui se fait ailleurs dans le monde.
(Débats de la Chambre des communes, 40e lég., 2e sess., no 105 (2 novembre 2009) (hon. Mike Lake), aux pages 6459 et 6460; dossier d’appel conjoint, aux pages 1135 et 1136.)
Je conclus que l’objet des procédures menant aux SAP prévues par la Loi, considérée dans leur contexte législatif global, est de nature administrative.
b) L’objectif de la sanction
[208] Lorsque la sanction en cause est une SAP, l’objectif de la sanction est pertinent tant lors de cette étape de l’examen que lors de la seconde étape consistant à déterminer si la SAP constitue une véritable conséquence pénale. Par souci de concision, ce facteur sera analysé à la seconde étape seulement (Guindon, au paragraphe 52).
c) Le processus menant à la sanction
[209] L’élément central ici consiste à déterminer dans quelle mesure les procédures de SAP prévues par la Loi comportent les caractéristiques traditionnelles des procédures criminelles. La Cour suprême a décrit certaines des considérations pertinentes de la manière suivante : « celle de savoir si le processus comprend le dépôt d’une accusation, une arrestation ou une assignation à comparaître devant une cour de juridiction criminelle, et celle de savoir si une conclusion de responsabilité conduit à un casier judiciaire » (Guindon, au paragraphe 63). L’emploi de termes habituellement liés au processus criminel est également utile pour déterminer si une disposition renvoie à une procédure criminelle.
[210] Les procédures menant aux SAP prévues par la Loi commencent par la signification d’un procès-verbal de violation à la personne dont la personne désignée par le CRTC en vertu de l’article 14 a des motifs raisonnables de croire qu’elle a contrevenu aux articles 6 à 9 de la Loi (LCAP, article 22). La personne à qui a été signifié le procès-verbal de violation peut choisir soit de payer la SAP qui y est inscrite, soit de présenter au CRTC des observations à l’égard de la violation présumée ou du montant de la sanction (LCAP, article 24). Si la personne choisit de présenter des observations, le CRTC détermine, selon la prépondérance des probabilités, si la personne a bel et bien commis la violation. Il peut ensuite maintenir la sanction prévue dans le procès-verbal, en réduire le montant ou y renoncer (LCAP, paragraphe 25(1)). Il peut être interjeté appel de cette décision devant notre Cour (LCAP, article 27). Au bout du compte, la personne à qui est signifié un procès-verbal de violation peut se faire imposer une SAP en vertu du paragraphe 20(1) ainsi qu’une ordonnance lui enjoignant de cesser la pratique interdite en vertu du paragraphe 26(1).
[211] Le processus lié au régime de SAP établi par la Loi ne comporte aucune des caractéristiques propres aux procédures en matière criminelle, pas plus que les dispositions pertinentes de la Loi n’utilisent de termes traditionnellement associés aux procédures en matière criminelle. Au contraire, comme l’a fait observer le CRTC au paragraphe 203 de sa décision sur la constitutionnalité, des « termes comme “prépondérance des probabilités”, “diligence raisonnable”, “sanction”, “engagement” ou “observations” » se voient partout dans les dispositions de la Loi portant sur les SAP.
[212] Je conclus que les procédures menant aux SAP prévues dans la Loi ne sont pas de nature criminelle.
2) Est-ce qu’il découle de la sanction une véritable conséquence pénale?
[213] La véritable conséquence pénale s’entend « de la peine d’emprisonnement ou de l’amende qui, compte tenu de son importance et d’autres considérations pertinentes, est infligée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que d’assurer l’observation de la loi » (Guindon, au paragraphe 75). L’amende pécuniaire satisfait à ce critère si elle a un but ou un effet punitif. Cet examen prend en compte plusieurs facteurs dont le montant de l’amende, la question de savoir si son importance tient à des considérations réglementaires plutôt qu’à des principes de détermination de la peine en matière criminelle, la question de savoir si la sanction stigmatise ou non et la personne à qui l’amende est payée (Guindon, au paragraphe 76).
[214] Les dispositions de la Loi portant sur les SAP donnent fortement à penser que l’objectif du régime de sanctions de la Loi est d’assurer l’observation des exigences réglementaires de la Loi. Les articles 15, 17 et 19, établissant les pouvoirs d’enquête de la personne désignée, précisent que ces pouvoirs ne peuvent être exercés que pour vérifier le respect de la Loi, découvrir si une contravention à la Loi a été commise ou faciliter une enquête sur une contravention à une loi étrangère visant des comportements essentiellement semblables à ceux interdits par la Loi. En outre, le paragraphe 20(2) dispose expressément que l’imposition de sanctions en vertu de la Loi « vise non pas à punir, mais plutôt à favoriser le respect de la présente loi ». Enfin, l’article 30 dispose en toutes lettres que les violations ne sont pas des infractions pour l’application du Code criminel. Le but du régime de SAP établi par la Loi est donc d’assurer le respect des exigences réglementaires de la Loi.
[215] Les amendes imposées en vertu de la Loi peuvent s’élever au maximum à 1 000 000 $ dans le cas d’une personne physique et à 10 000 000 $ dans le cas de toute autre personne, dont les sociétés (LCAP, paragraphe 20(4)). Bien qu’importantes, ces sommes ne signifient pas nécessairement que la sanction a pour but de dénoncer ou de punir un comportement moralement ou socialement répréhensible. La Cour suprême a reconnu qu’une « pénalité d’un montant substantiel » peut être nécessaire pour la réalisation de l’objectif de nature administrative de décourager l’inobservation du régime en évitant que les SAP ne deviennent un simple coût d’exploitation. Exiger que les sanctions soient conformes à des objectifs de nature administrative « ne veut pas dire qu’une pénalité d’un montant très élevé ne puisse être infligée à titre de sanction pécuniaire administrative » (Guindon, au paragraphe 77).
[216] Comme le CRTC l’a souligné, la Cour suprême, dans l’arrêt Guindon, a renvoyé à une décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans laquelle celle-ci avait conclu qu’une SAP de 10 000 000 $ imposée en vertu de la Loi sur la concurrence ne faisait pas jouer l’article 11 de la Charte (Guindon, au paragraphe 80). Je ne suis pas prêt à conclure qu’une sanction pécuniaire éventuelle de cette importance n’est pas également nécessaire pour décourager l’inobservation de la Loi par une grande organisation commerciale qui s’attendrait à faire des profits considérables par des campagnes de marketing consistant en l’envoi massif de courriels à tout vent. Aussi, je réitérerais l’observation du CRTC au paragraphe 214 de sa décision sur la constitutionnalité selon laquelle les montants de 1 000 000 $ et de 10 000 000 $ sont les amendes maximales : les sanctions maximales, qui offrent une certaine souplesse dans la réalisation des objectifs de nature administrative consistant à veiller au respect de la Loi et à en décourager l’inobservation, peuvent être infligées dans les cas où des personnes physiques ou morales disposant de ressources considérables commettent des violations particulièrement répréhensibles.
[217] Également, il y a peu de recoupements entre les éléments servant à déterminer l’importance de la SAP, énumérés au paragraphe 20(3), et les principes de détermination de la peine en matière criminelle figurant à l’article 718 du Code criminel. L’absence de fondement [traduction] « purement économique » ou [traduction] « mathématique » pour le calcul de la peine, qu’invoque l’appelante, ne mène pas à la conclusion que le montant des sanctions infligées en vertu de la Loi est établi de manière à répondre à des objectifs de détermination de la peine en matière criminelle plutôt qu’à des objectifs de nature administrative.
[218] L’appelante n’a pas soutenu que les SAP infligées en vertu de la Loi entraînent une stigmatisation, et j’estime que ce n’est pas le cas. Ces sanctions sont infligées pour des violations de règles économiques et non pour une conduite qui, de par sa nature, suscite moralement l’opprobre. Par conséquent, à supposer qu’une stigmatisation découlât des sanctions infligées en vertu de la Loi, elle serait petite, surtout en comparaison avec une déclaration de culpabilité à des infractions criminelles.
[219] Enfin, les SAP infligées en vertu de la Loi sont payables au receveur général, donc sont versées au Trésor (LCAP, paragraphe 29(1)). Bien que cela puisse constituer un indice qu’il s’agit d’une véritable conséquence pénale, ce facteur seul n’est pas déterminant, surtout lorsque d’autres facteurs pertinents indiquent le contraire (Guindon, au paragraphe 88).
[220] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la Loi ne prévoit pas de procédures donnant généralement lieu à de véritables conséquences pénales.
D. La SAP infligée en l’espèce était-elle une violation de l’article 11 de la Charte?
[221] En ce qui concerne l’amende de 1 100 000 $ prévue dans le procès-verbal de violation, la question de savoir si cette sanction constituait une véritable conséquence pénale est une question mixte de fait et de droit. Les conclusions du CRTC à cet égard doivent donc être examinées selon la norme demandant une grande retenue de l’erreur manifeste et dominante plutôt que celle de la décision correcte (Housen, au paragraphe 36). Cette norme de contrôle n’admet l’intervention dans la décision de première instance que lorsque celle-ci comporte une erreur qui à la fois est évidente et touche directement à l’issue de l’affaire (Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38).
[222] Le CRTC expose les motifs à l’appui de sa conclusion selon laquelle l’amende infligée à l’appelante ne constituait pas une véritable conséquence pénale aux paragraphes 120 à 124 de sa décision sur le procès-verbal de violation. Le CRTC en est venu à sa conclusion après avoir examiné, en appliquant les critères juridiques appropriés, les circonstances ayant mené à la signification à l’appelante du procès-verbal de violation.
[223] Le CRTC a examiné l’amende de 1 100 000 $ infligée à l’appelante en fonction des facteurs servant à établir le montant de la sanction, énumérés au paragraphe 20(3) de la Loi. Le CRTC a conclu que la SAP infligée en l’espèce était « disproportionnée par rapport au montant requis pour atteindre les objectifs réglementaires et promouvoir la conformité à la Loi à l’avenir » (décision sur le procès-verbal de violation, au paragraphe 119). Le CRTC a à juste titre reconnu que, lorsque le montant de la sanction est « disproportionné par rapport au montant qui permettrait d’atteindre les objectifs réglementaires, il y a lieu de penser qu’il s’agit d’une véritable conséquence pénale » (décision sur le procès-verbal de violation, au paragraphe 122). Cependant, le CRTC a ensuite expliqué que l’importance de l’amende n’était qu’un facteur parmi d’autres servant à déterminer si la sanction pécuniaire était, par son objet ou son effet, punitive et constituait de ce fait une véritable conséquence pénale. Les autres facteurs — la personne à qui est payée l’amende, la question de savoir si l’importance de la peine tient à des considérations administratives plutôt qu’à des principes de détermination de la peine en matière criminelle, la question de savoir si la sanction stigmatise ou non — ont été pris en compte par le CRTC dans son examen du régime général de SAP établi par la Loi, aux paragraphes 211 à 223 de sa décision sur la constitutionnalité.
[224] Le CRTC a décidé, au bout du compte, que les facteurs pertinents n’étayaient pas la conclusion selon laquelle la sanction constituait une véritable conséquence pénale en l’espèce (décision sur le procès-verbal de violation, au paragraphe 123). Ce n’est certainement pas la seule conclusion qui aurait pu être tirée sur le fondement de l’analyse effectuée par le CRTC. Cependant, même si notre Cour aurait pu tirer une conclusion différente, cela ne justifie pas qu’elle intervienne dans la décision du CRTC à cet égard. Le juge Stratas, s’exprimant pour la Cour, a affirmé ce qui suit, au paragraphe 70 de l’arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344 :
[…] Si une cour d’appel avait carte blanche, elle pourrait pondérer différemment les éléments de preuve et parvenir à un résultat différent. Elle pourrait être portée à tirer des inférences différentes ou à voir des implications factuelles différentes dans les éléments de preuve. Mais ces choses, sans plus, n’équivalent pas à l’erreur manifeste et dominante.
[225] La conclusion du CRTC selon laquelle l’amende infligée à l’appelante ne constitue pas une véritable conséquence pénale, ainsi que son raisonnement juridique l’étayant, ne présente pas le type d’erreur évidente touchant directement à l’issue de l’affaire qui justifierait l’intervention de notre Cour selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.
E. La Loi enfreint-elle l’article 7 de la Charte?
[226] L’appelante affirme brièvement que la Loi enfreint l’article 7 ainsi que l’article 8 de la Charte (mémoire de l’appelante sur les questions constitutionnelles, aux paragraphes 84(a) et 87).
[227] L’argument de l’appelante fondé sur l’article 7 ne peut être retenu parce que, comme il est clairement établi dans les sections précédentes des présents motifs, l’appelante ne fait pas l’objet d’une procédure pénale. Étant donné qu’elle est une société, l’appelante n’a pas qualité pour invoquer la protection de l’article 7 de la Charte.
[228] Il est bien établi que le terme « chacun », utilisé à l’article 7, « exclu[t] les sociétés et autres entités qui ne peuvent jouir de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne, et […] ne compren[d] que les êtres humains » (Irwin Toy, à la page 1004; voir également Dywidag Systems International, Canada Ltd. c. Zutphen Brothers Construction Ltd., [1990] 1 R.C.S. 705, à la page 709, 1990 CanLII 140 (Dywidag Systems)). En règle générale, les sociétés ne peuvent se prévaloir des protections conférées par l’article 7.
[229] L’exception à cette règle est que la société accusée au titre d’une disposition pénale peut contester cette disposition au motif qu’elle enfreint les droits d’un être humain garantis par l’article 7. Cette exception a été exposée pour la première fois dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, 1985 CanLII 69, et a depuis été réitérée par la Cour suprême dans plusieurs arrêts (voir notamment Irwin Toy, à la page 1004; Dywidag Systems, à la page 709; R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, à la page 179, 1991 CanLII 39 (Wholesale Travel)). Étant donné ma conclusion selon laquelle l’appelante ne se défend pas contre des accusations de nature criminelle, « [i]l n’y a aucune poursuite pénale en cours en l’espèce de sorte que le principe formulé dans l’arrêt Big M Drug Mart n’entre pas en jeu » (Irwin Toy, à la page 1004). L’appelante demeure donc assujettie au principe général voulant que les sociétés ne puissent se prévaloir des protections conférées par l’article 7 de la Charte. L’argument de l’appelante fondé sur l’article 7 ne peut donc être retenu.
F. La Loi enfreint-elle l’article 8 de la Charte?
[230] L’article 8 de la Charte, contrairement à l’article 7, s’applique en l’espèce. Cependant, à mon avis, les faits de la présente affaire ne montrent pas qu’il y a eu saisie abusive. L’argument de l’appelante fondé sur l’article 8 concerne l’avis de communication qu’on lui a signifié en vertu de l’article 17 de la Loi. L’avis exigeait la communication de renseignements concernant les pratiques utilisées par l’appelante pour consigner le consentement des personnes à figurer sur sa liste d’envoi à titre de destinataire potentiel de courriels et pour assurer le suivi à cet égard.
[231] La jurisprudence établit clairement qu’une communication ordonnée dans l’exercice de pouvoirs conférés par la loi peut constituer une saisie au sens de l’article 8 même lorsque ces pouvoirs sont de nature administrative (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, aux pages 640 à 642, 1990 CanLII 137). Cependant, la Charte doit être interprétée de façon contextuelle, et un droit ou une liberté peut avoir un sens différent selon le contexte dans lequel il est revendiqué (Wholesale Travel, aux pages 225 et 226). Plus précisément, « un droit garanti par la Charte peut avoir dans un cadre réglementaire une portée et une incidence différentes de celles qu’[il] aurai[t] dans un contexte criminel à proprement dit » (Wholesale Travel, à la page 226). Dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, 1990 CanLII 135 (Thomson Newspapers 1990), qui portait sur les ordonnances de production rendues en vertu de l’article 17 de ce qui était alors la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, les paramètres de ce qui constitue une fouille, une perquisition ou une saisie non abusive ont été lourdement influencés par le caractère administratif du texte législatif. Je trouve les motifs du juge La Forest dans cet arrêt convaincants. Il explique que, dans une société moderne [à la page 507], « cette réglementation doit nécessairement comporter l’inspection de lieux ou de documents de nature privée par des fonctionnaires de l’État ». Par conséquent :
Il s’ensuit que les attentes des particuliers ne peuvent être très élevées quant au respect de leur droit à la vie privée dans le cas de lieux ou de documents utilisés ou produits dans l’exercice d’activités qui, bien que légales, sont normalement réglementées par l’État. Dans une société où l’on reconnaît le besoin de réglementer efficacement certains domaines d’activités privées et où l’on y donne suite, l’inspection de lieux et de documents par l’État est un aspect routinier auquel les particuliers s’attendent en exerçant cette activité.
(Thompson Newspapers 1990, à la page 507.)
[232] La jurisprudence subséquente confirme sans le moindre doute que les registres et les documents produits dans le cours normal d’activités commerciales réglementées font l’objet d’une attente réduite quant au respect de la vie privée (voir par exemple R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 757, au paragraphe 72; R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154, 1995 CanLII 44, au paragraphe 50; 143471 Canada Inc. c. Québec (Procureur général); Tabah c. Québec (Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 339, à la page 377, 1994 CanLII 89). C’est exactement ce type de registre ou dossier que l’appelante s’est fait ordonner de communiquer.
[233] Il est également important de souligner que l’article 17 de la Loi confère uniquement le pouvoir d’ordonner la communication de documents et non celui de perquisitionner des lieux — le premier pouvoir étant beaucoup moins intrusif que le second. Dans l’arrêt Thomson Newspapers 1990, comme en l’espèce, les facteurs contextuels pertinents étaient « la portée restreinte du pouvoir d’ordonner la production de documents, ainsi que le peu de renseignements de nature privée susceptibles de se trouver dans les dossiers et documents qui peuvent être légalement exigés » (Thomson Newspapers 1990, à la page 522). Le juge La Forest avait conclu que, dans cette affaire, la norme du caractère raisonnable des saisies était « moins sévère et plus souple » que les « normes sévères du caractère raisonnable habituellement applicables dans les enquêtes criminelles » (Thomson Newspapers 1990, aux pages 506 et 520). Plus précisément, le juge La Forest a conclu que la limite constitutionnelle appropriée pour les ordonnances administratives de communication était que « [l]es documents recherchés doivent se rapporter à l’enquête en cours » (Thomson Newspapers 1990, à la page 530). Étant donné les similitudes entre cette affaire et celle dont nous sommes saisis, et étant donné que l’appelante n’a pas dit un mot sur la portée qu’il convient de donner à l’article 8 dans les circonstances propres à la présente affaire, je conclus que la norme énoncée par le juge La Forest dans l’arrêt Thomson Newspapers 1990 est également la norme à appliquer pour juger du caractère raisonnable de la saisie effectuée en vertu de l’article 17 de la Loi. Je conclus que l’avis de communication signifié à l’appelante satisfait à cette norme peu élevée et, par conséquent, je ne retiens pas l’argument fondé sur l’article 8 de l’appelante.
IX. Décision sur le procès-verbal de violation
A. Question préliminaire : application de la Loi sur la faillite
[234] Étant donné que l’intimé a reconnu que la SAP imposée à l’appelante dans le procès-verbal de violation ne pouvait être exécutée en dehors de la procédure d’insolvabilité, notre Cour n’a pas à se prononcer sur les allusions du CRTC concernant la question de savoir si la SAP était compromise par la proposition faite par l’appelante sous le régime de la Loi sur la faillite. L’intimé est la partie qui tirerait un bénéfice s’il était donné suite à l’exécution de la SAP. Il est également la partie qui serait chargée de veiller à l’exécution de la SAP, à supposer que cela soit possible. L’intimé a concédé que ce n’était pas possible. Notre Cour n’a pas à en dire plus. Les deux parties conviennent que les procédures entamées sous le régime de la Loi sur la faillite n’ont par ailleurs aucun effet sur la capacité du CRTC de mener à bien sa procédure de révision. Je partage cet avis (voir Loi sur la faillite, paragraphe 69.6(2)).
B. Le CRTC a-t-il commis une erreur dans son interprétation et son application de l’exception pour les communications interentreprises?
[235] Le CRTC n’a pas souscrit à l’observation de l’appelante selon laquelle elle n’était pas tenue d’obtenir de consentement pour plusieurs de ses courriels ni d’y inclure le contenu exigé à l’article 6 de la Loi en raison de l’exception pour les communications interentreprises prévue au sous-alinéa 3a)(ii) du Règlement :
Article 6 de la Loi- messages exemptés
3 L’article 6 de la Loi ne s’applique pas au message électronique commercial :
a) envoyé par l’employé, le représentant, le consultant ou le franchisé d’une organisation, selon le cas :
[…]
(ii) à l’employé, au représentant, au consultant ou au franchisé d’une autre organisation si leurs organisations respectives entretiennent des rapports et que le message concerne les activités de l’organisation à qui le message est envoyé;
Cette exception s’applique lorsqu’il est satisfait à trois exigences : (i) le MEC est envoyé par un employé d’une organisation à un employé d’une autre organisation; (ii) ces organisations entretiennent des rapports; (iii) le MEC concerne les activités de l’organisation destinataire. Le CRTC a conclu que les courriels de l’appelante ne satisfaisaient ni à la deuxième ni à la troisième exigence de cette exception.
1) L’exigence du rapport
[236] L’appelante soutient que le CRTC a commis une erreur en refusant de reconnaître qu’elle entretenait des rapports avec chacune des organisations destinataires étant donné que chacune des organisations avait déjà acheté des cours de perfectionnement professionnel de l’appelante, ce qui créait une relation contractuelle. L’appelante souligne que ce type de relation contractuelle suffirait à prouver l’existence de « relations d’affaires en cours » desquelles on pourrait déduire qu’il y a consentement tacite au titre de l’alinéa 10(9)a) de la Loi. L’appelante affirme que, puisque le terme « relations d’affaires en cours » figurant à l’alinéa 10(9)a) est défini dans la Loi, alors que le terme « rapports » dans le contexte de l’exception pour les communications interentreprises ne l’est pas, il faut donner au second terme un [traduction] « sens beaucoup plus large » qu’au premier (mémoire de l’appelante sur le procès-verbal de violation, au paragraphe 64). Par conséquent, puisque l’achat par une personne d’un cours auprès de l’appelante fait naître une « relation d’affaires en cours » entre l’appelante et cette personne, alors, à plus forte raison, le fait qu’une organisation ait acheté un cours auprès de l’appelante fait naître un « rapport » entre elles.
[237] À mon avis, le CRTC n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante dans son application aux faits en l’espèce de l’exception pour les communications interentreprises. Que l’achat par une organisation d’un cours pour un de ses employés auprès de l’appelante crée ou non une « relation contractuelle » ne tranche pas la question de savoir si cet achat crée un rapport pour l’application de l’exception pour les communications interentreprises prévue par la Loi. Le CRTC n’a pas non plus affirmé qu’une relation contractuelle ne pourrait jamais constituer un rapport pour l’application de cette exception. Il a simplement conclu que les relations contractuelles bien précises dont a fait état l’appelante ne démontraient pas qu’il y avait rapport pour l’application de cette exception. Il a fait observer que, pour chaque organisation, l’appelante a produit une preuve de paiement montrant que l’organisation avait acheté une seule séance de formation pour un ou deux de ses employés. Je ne vois rien de manifestement erroné dans la conclusion du CRTC selon laquelle les relations contractuelles comptant un très petit nombre de transactions touchant un très petit nombre d’employés ne constituent pas un rapport pour l’application de l’exception pour les communications interentreprises.
[238] Je ne souscris pas non plus à l’argument selon lequel, parce que le terme « relations d’affaires en cours » est défini alors que le terme « rapports » ne l’est pas, ce dernier doit nécessairement avoir une portée plus large ou, en d’autres mots, doit être plus facile à prouver. Lorsqu’on évalue le seuil servant à déterminer l’existence de relations d’un type ou l’autre, il faut prendre en considération les effets relatifs, dans le contexte des objectifs de la Loi, qu’entraînerait une conclusion confirmant l’existence de l’un ou l’autre type de relation. Conclure à l’existence de relations d’affaires en l’espèce permettrait à l’appelante d’envoyer des MEC aux personnes — des personnes physiques — ayant acheté auprès de l’appelante un cours dans les deux années précédentes. Par contre, conclure à l’existence de rapports pour l’application de l’exception pour les communications interentreprises permettrait à l’appelante d’envoyer des MEC non seulement aux personnes physiques ayant suivi le cours ou aux personnes physiques ayant payé le cours, mais à tous les autres employés de l’organisation à laquelle appartiennent ces personnes — et cette organisation peut être très vaste. Cette dernière conclusion exposerait un nombre beaucoup plus grand de personnes à une pratique potentiellement préjudiciable que la Loi a pour raison d’être de régir. Cela montre, contrairement à ce que soutient l’appelante, que la preuve à faire pour démontrer l’existence de rapports pour l’application de l’exception pour les communications interentreprises devrait en fait être plus rigoureuse que la preuve à faire pour démontrer l’existence de relations d’affaires.
[239] L’appelante soutient aussi que le CRTC a confondu le critère juridique servant à démontrer l’existence de rapports pour l’application de l’exception pour les communications interentreprises avec le critère servant à démontrer l’existence de relations d’affaires pour l’application de l’alinéa 10(9)a) de la Loi. Une lecture attentive des paragraphes 43 à 46 de la décision sur le procès-verbal de violation révèle que le CRTC n’a rien fait de tel. Il a simplement fait observer que, bien que la preuve du demandeur ait été insuffisante pour démontrer l’existence de rapports, elle aurait peut-être pu établir l’existence de relations d’affaires entre l’appelante et les employés, et seulement ces employés, ayant suivi les cours de l’appelante. Même s’il aurait été préférable que le CRTC s’abstienne d’émettre de telles conjectures, il est clair que le CRTC n’a pas confondu les deux notions.
[240] L’appelante soutient aussi que le CRTC a mal interprété l’exception pour les communications interentreprises en estimant que l’existence de rapports ne pouvait être établie qu’entre employés ayant le pouvoir de lier leurs organisations. Je ne crois pas que le CRTC ait tiré cette conclusion. Après avoir conclu que l’appelante n’avait pas démontré l’existence de rapports entre les organisations avec ses quelques éléments de preuve quant à des transactions antérieures, le CRTC a mentionné d’autres types de renseignements que l’appelante aurait pu produire à l’appui de ses observations. Notamment, l’appelante aurait pu apporter des éléments de preuve montrant que les employés ayant acheté les cours ou les employés ayant suivi les cours de l’appelante avaient le pouvoir de créer des relations au nom de leur organisation. Le CRTC n’a pas affirmé que des éléments de preuve montrant l’existence d’un tel pouvoir étaient réellement nécessaires, seulement qu’ils auraient pu aider l’appelante à satisfaire à la norme de preuve applicable afin de démontrer l’existence de rapports entre organisations, ce que les éléments de preuve de l’appelante concernant les transactions antérieures, à eux seuls, ne pouvaient faire.
2) L’exigence de la pertinence
[241] L’appelante soutient que ses MEC concernaient les activités des organisations destinataires parce qu’ils font la promotion de services de perfectionnement professionnel et que les organisations destinataires sont légalement tenues de fournir de la formation à leurs employés, conformément aux exigences québécoises de la Loi favorisant le développement et la reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre, RLRQ, ch. D-8.3, et du Règlement sur la détermination de la masse salariale, RLRQ, ch. D-8.3, r. 4, article 1. L’intimé, à l’inverse, soutient que les « activités » d’une organisation pour l’application de l’exigence de la pertinence ne comprennent pas toutes les activités qu’exerce l’organisation pour s’acquitter de ses nombreuses obligations légales. Il affirme que, si c’était le cas, un cabinet comptable pourrait envoyer des MEC faisant la promotion de ses services à n’importe quelle société sous prétexte que les sociétés sont légalement tenues de produire des déclarations de revenus annuelles (mémoire de l’intimé sur le procès-verbal de violation, au paragraphe 52).
[242] L’observation de l’appelante soulève la question de ce en quoi consiste une « activité » d’une organisation pour l’application de l’exigence de la pertinence. L’intimé semble affirmer que les « activités » de l’organisation destinataire faisant l’objet du MEC doivent se limiter à l’entreprise fondamentale. Je ne souscris pas à l’idée que le terme « activités » dans le libellé de l’exception doive s’interpréter aussi étroitement. Le dictionnaire définit « activité » de façon beaucoup plus large. Le dictionnaire Larousse donne au mot « activité », entre autres, le sens d’« action de quelqu’un, d’une entreprise, d’un pays dans un domaine défini ». En outre, l’interprétation restrictive proposée par l’intimé est contraire au but de l’exemption, qui est d’[traduction] « éviter que les communications d’affaires soi[ent] inutilement visées par la Loi » (REIR, dans le dossier d’appel conjoint, à la page 13648).
[243] Les organisations exercent de nombreuses activités qui ne sont pas directement liées à leur entreprise fondamentale et entretiennent des rapports avec d’autres organisations afin de faciliter l’exercice de ces activités supplémentaires. Une communication faite au titre d’un de ces rapports ne constitue pas moins une « communication d’affaires » qu’une communication touchant plus directement à l’entreprise fondamentale de l’organisation. Je ne vois rien dans le texte, le contexte ou l’objet de l’exception qui justifierait qu’on l’interprète en y ajoutant des qualificatifs qui ramèneraient la très vaste gamme de ce qui peut constituer une activité d’affaires exercée par une organisation à une courte liste d’« activités » que les MEC d’organisations partenaires doivent concerner pour que s’applique l’exemption pour les communications interentreprises.
[244] Par conséquent, je suis d’avis que, lorsqu’une organisation achète des cours de perfectionnement professionnel — qu’elle soit légalement tenue de le faire ou non —, les activités de cette organisation peuvent comprendre l’achat de cours de perfectionnement professionnel. Une seconde organisation qui offre de tels cours et qui entretient avec la première organisation des rapports fondés sur le fait qu’elle lui offre ces cours pourrait donc envoyer des MEC à cette première organisation au titre de l’exception pour les communications interentreprises.
[245] En ce qui concerne les faits en l’espèce, je constate que les MEC envoyés par l’appelante faisaient la promotion de cours de perfectionnement professionnel dans des domaines comme la gestion d’équipe, les compétences administratives, la planification budgétaire et l’accroissement de la productivité. Ces MEC satisferaient à l’exigence de la pertinence si l’appelante était en mesure de prouver que les organisations destinataires avaient acheté des cours de ce genre par le passé ou prévoyaient de le faire à l’avenir. Le lien nécessaire entre le bien ou le service dont le MEC fait la promotion et les activités de l’organisation destinataire sera la plupart du temps établi du simple fait des rapports qu’entretiennent les organisations expéditrices et destinataires, lesquels seront typiquement fondés sur la fourniture par la première de ce même bien ou service à la seconde. Au bout du compte, cela rend théorique la question de savoir si la loi québécoise invoquée par l’appelante suffit en soi à établir que les activités de chaque organisation comprennent l’achat de cours de perfectionnement professionnel du type dont l’appelante fait la promotion dans ses MEC. Cependant, je ferai observer que la loi ne s’applique qu’aux organisations qui sont à la fois situées au Québec et dont la masse salariale est supérieure au seuil énoncé dans le règlement. Ce ne sont pas tous les destinataires des MEC de l’appelante qui résident au Québec et, pour ceux dont c’est le cas, l’appelante n’a fourni aucun élément de preuve montrant que leur masse salariale était supérieure au seuil entraînant l’application de la loi. En outre, l’appelante ne démontre pas que la loi exige des organisations visées qu’elles investissent exclusivement dans le type de cours qu’elle offre. Si les organisations peuvent choisir et choisissent dans les faits d’investir dans des cours de perfectionnement professionnel qui sont substantiellement différents de ceux offerts par l’appelante, il ne serait pas manifeste que les MEC de l’appelante concerneraient les activités de ces organisations.
C. Le CRTC a-t-il commis une erreur dans son interprétation et son application des exigences de la Loi relatives au consentement tacite lorsqu’il y a publication bien en vue?
[246] Le CRTC a également rejeté l’observation de l’appelante selon laquelle elle n’était pas tenue d’obtenir de consentement pour plusieurs de ses MEC ni d’y inclure le contenu exigé à l’article 6 de la Loi parce que le consentement du destinataire avait été donné tacitement au titre de l’alinéa 10(9)b) de la Loi. Cette disposition est rédigée ainsi :
10 […]
Consentement tacite : article 6
(9) Pour l’application de l’article 6, il n’y a consentement tacite que dans l’un ou l’autre des cas suivants :
[…]
b) la personne à qui le message est envoyé a publié bien en vue, ou a ainsi fait publier, l’adresse électronique à laquelle il a été envoyé, la publication ne comporte aucune mention précisant qu’elle ne veut recevoir aucun message électronique commercial non sollicité à cette adresse et le message a un lien soit avec l’exercice des attributions de la personne, soit avec son entreprise commerciale ou les fonctions qu’elle exerce au sein d’une telle entreprise.
L’alinéa 10(9)b) autorise donc l’envoi de MEC lorsqu’il est satisfait aux trois exigences suivantes :
1. Le destinataire a publié bien en vue ou fait publier bien en vue son adresse électronique;
2. La publication ne comporte aucune mention précisant que le destinataire ne veut recevoir aucun MEC;
3. Le MEC a un lien soit avec l’exercice des attributions du destinataire, soit avec son entreprise commerciale ou les fonctions qu’il exerce au sein d’une telle entreprise.
[247] L’appelante a produit un tableau énumérant les adresses de courriel de chacun des destinataires dont elle prétend avoir obtenu le consentement tacite au titre de cette disposition. Ce tableau comporte aussi des renseignements supplémentaires qui, selon l’appelante, montrent que les exigences de la publication bien en vue et de la pertinence (la première et la troisième des exigences énumérées ci-dessus) étaient respectées dans chaque cas.
[248] L’appelante soutient que son tableau montre qu’il a été satisfait à l’exigence de la publication bien en vue — la première des exigences énumérées ci-dessus — dans chaque cas parce que le tableau comporte, à côté de chaque adresse de courriel, un lien vers le site Web où l’on peut trouver cette adresse. Cependant, le CRTC a conclu que certaines des adresses de courriel avaient été obtenues d’un répertoire en ligne d’un tiers qui ne précisait pas si le contenu avait été fourni par les utilisateurs. Autrement dit, pour ces adresses de courriel, l’appelante n’a pas démontré que les destinataires avaient eux-mêmes « publié bien en vue, ou ainsi fait publier » leurs adresses de courriel. Le CRTC a conclu que d’autres adresses de courriel avaient été tirées de sites comportant des mentions selon lesquelles il ne fallait pas envoyer de MEC non sollicités aux adresses y figurant. Dans ces cas, le CRTC a conclu qu’il n’avait pas été satisfait à la deuxième des trois exigences prévues à l’alinéa 10(9)b) de la Loi.
[249] Les observations de l’appelante en appel ne démontrent pas que le CRTC a commis une erreur manifeste et dominante en tirant ces conclusions. En fait, l’appelante ne répond en aucune façon aux conclusions du CRTC à cet égard. Je remarque que l’appelante se plaint du fait que l’expression « publication bien en vue » ne soit pas définie dans la Loi et [traduction] « [qu’]en aucun temps le CRTC n’a clarifié cette expression ni fourni d’indications » (mémoire de l’appelante sur le procès-verbal de violation, aux paragraphes 78 et 79). Cependant, la conclusion du CRTC est fondée sur le libellé explicite de l’alinéa 10(9)b) de la Loi. Je ne vois pas comment le libellé de cette disposition pourrait ne pas étayer les conclusions du CRTC ni comment ce libellé pourrait raisonnablement laisser croire à l’appelante que la disposition autorise le siphonnage d’adresses de courriel de répertoires en ligne de tiers ou de sites comportant des mises en garde contre les courriels non sollicités. Je ne vois aucune erreur dans les conclusions du CRTC.
[250] En ce qui concerne l’exigence de la pertinence prévue à l’alinéa 10(9)b) — la troisième des exigences énumérées plus haut — l’appelante affirme satisfaire à cette exigence parce que son tableau comprenait le titre du poste du destinataire, lorsqu’elle avait ce renseignement. Par cette observation, l’appelante fait valoir qu’en fournissant le titre du poste du destinataire, elle a établi quel était [traduction] « le rôle du destinataire au sein de l’organisation pertinente, ce qui est un moyen de démontrer que le MEC concerne les activités du destinataire au sein de cette organisation » (mémoire de l’appelante sur le procès-verbal de violation, au paragraphe 77).
[251] À ce sujet, encore une fois, l’appelante présente la même thèse qu’elle a présentée devant le CRTC : plutôt que de mettre en évidence une erreur dans le raisonnement du CRTC, elle ne fait que reprendre ses observations devant notre Cour.
[252] Le CRTC a conclu que l’appelante a simplement émis des hypothèses quant aux fonctions des destinataires en se basant sur le titre de leur poste, puis a présumé que les MEC concernaient ces fonctions (décision sur le procès-verbal de violation, au paragraphe 70). Le CRTC souligne le cas d’un destinataire qui occupait, selon le tableau, la fonction de [traduction] « professeur », mais dont le site donné en référence par l’appelante ne donnait aucune indication sur les responsabilités du professeur. Le CRTC relève aussi le cas d’organisations destinataires figurant dans le tableau pour lesquelles aucun titre de poste n’était fourni, peut-être pour de bonnes raisons, mais il n’en demeurait pas moins que le tableau ne comportait pas le moindre renseignement sur les activités ou les fonctions de ces organisations. Le CRTC était donc dans l’incapacité de déterminer si les MEC en question avaient, pour de nombreux destinataires, un lien soit avec l’exercice de leurs attributions, soit avec leur entreprise commerciale ou les fonctions qu’ils exercent au sein d’une telle entreprise.
[253] Le CRTC a fait observer que, conformément à l’article 13 de la Loi, il incombait à l’appelante d’établir qu’il était satisfait aux exigences préalables au consentement tacite prévues à l’alinéa 10(9)b). En ce qui concerne l’exigence de la pertinence de cette disposition, le CRTC a conclu que l’appelante « n’a pas fourni de justifications ni d’éléments de preuve pour démontrer comment cette exigence était respectée dans ces cas » (décision sur le procès-verbal de violation, au paragraphe 72).
[254] Je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans le raisonnement du CRTC ou dans ses conclusions. J’y ajouterais qu’à mon avis, le CRTC ne s’est pas exprimé en termes assez forts pour dire à quel point l’appelante était loin de satisfaire à l’exigence de la pertinence en l’espèce en ne faisant que fournir le titre du poste de (certains) destinataires. De toute évidence, le titre du poste occupé par un destinataire et les attributions officielles de celui-ci ne sont pas la même chose. En se contentant d’énoncer le titre du poste de chaque destinataire, l’appelante — contrairement à ce qu’a charitablement dit le CRTC — n’a même pas pris la peine d’émettre des hypothèses quant aux attributions des titulaires des postes. C’est au CRTC et à notre Cour qu’a incombé la tâche douteuse d’émettre ces hypothèses, ainsi que la tâche subséquente de conjecturer sur la manière dont les MEC envoyés à chaque destinataire pouvaient concerner les attributions hypothétiques du destinataire.
[255] Je n’affirmerai pas catégoriquement qu’il ne sera jamais possible qu’un titre de poste, en soi, suffise à établir en quoi consistent les attributions, l’entreprise commerciale ou les fonctions du titulaire du poste, ni que le sujet d’un MEC ne pourrait jamais, à première vue, concerner ces attributions, entreprise commerciale ou fonctions. Les conclusions de ce type doivent se tirer en fonction des faits propres à chaque affaire. Cependant, je suis convaincu que les faits de la présente affaire ne le permettent pas. En outre, même s’ils le permettaient, le CRTC n’aurait pas commis d’erreur manifeste et dominante en s’attendant à ce que le travail d’émettre des hypothèses soit fait par la partie à laquelle incombe le fardeau de démontrer qu’il est satisfait aux exigences préalables au consentement tacite. Quoi qu’il en soit, il pourrait être judicieux de la part de l’organisation souhaitant se fonder sur l’alinéa 10(9)b) de la Loi qu’elle soit prête à expliquer expressément quelles sont les « attributions » de la personne ou de l’organisation qui reçoit le message ou « son entreprise commerciale ou les fonctions qu’elle exerce » — je ne crois pas qu’il soit nécessaire de définir les termes entre guillemets —, à tout le moins qu’elle explique la mesure dans laquelle ces attributions, entreprise commerciale ou fonctions se rapportent au sujet du MEC en question. L’organisation devrait ensuite être prête à expliquer, tout aussi expressément, quel est le lien du MEC avec ces attributions, entreprise commerciale ou fonctions du destinataire. À mon avis, le libellé explicite de l’alinéa 10(9)b) n’exige rien de moins.
D. Le CRTC a-t-il commis une erreur dans son interprétation et son application des exigences de la Loi relatives aux mécanismes d’exclusion?
[256] Il a été constaté que, parmi les MEC envoyés par l’appelante, 87 comportaient deux liens ou mécanismes d’exclusion : l’un qui fonctionnait correctement et l’autre qui produisait un message d’erreur lorsqu’on tentait d’y accéder. Le CRTC a conclu que ces MEC contrevenaient au paragraphe 6(2) de la Loi, qui exige que les MEC contiennent un mécanisme d’exclusion conforme aux exigences réglementaires. Précisément, le CRTC a conclu que les MEC comportant un deuxième mécanisme non fonctionnel n’étaient pas conformes aux paragraphes 3(1) et 3(3) du Règlement du CRTC. Ces deux dispositions exigent respectivement que le mécanisme soit énoncé en termes clairs et facilement lisibles et qu’il puisse s’exécuter facilement.
[257] Je ne suis pas convaincu que les conclusions du CRTC soient entachées d’une erreur justifiant notre intervention. Au sujet de l’observation de l’appelante selon laquelle [traduction] « rien n’indique que le mécanisme d’exclusion fonctionnel était énoncé en termes moins clairs ou moins facilement lisibles » que le mécanisme non fonctionnel, je ferai observer que l’inverse est également vrai. En outre, même si l’appelante avait démontré — ce qu’elle n’a pas fait — que le mécanisme d’exclusion fonctionnel de chaque MEC, en raison, par exemple, de la taille supérieure de sa police de caractère, était « facilement lisible », au sens qu’il « peut être décelé, vu » (Larousse) facilement, il pourrait ne pas avoir été énoncé en « termes clairs ». Selon le Larousse, « clair » signifie, entre autres choses, « qui est parfaitement intelligible, sans ambiguïté, qui se comprend aisément » et « qui est manifeste, net, évident ». La simple présence dans le MEC d’un second mécanisme d’exclusion, indépendamment du fait qu’il soit plus facile à déceler que le premier, crée de l’ambiguïté et rend le contenu moins net : pourquoi y a-t-il un deuxième mécanisme? Lequel de ces mécanismes le destinataire doit-il choisir afin d’être exclu de la liste d’envoi? À mon avis, le CRTC n’a pas commis d’erreur manifeste en concluant que les MEC comportant un second mécanisme d’exclusion non fonctionnel n’étaient pas conformes à l’exigence du paragraphe 3(1) du Règlement du CRTC selon laquelle les MEC doivent comporter un mécanisme d’exclusion énoncé en termes clairs et facilement lisibles.
[258] En ce qui concerne l’exigence énoncée au paragraphe 3(3) du Règlement du CRTC selon laquelle le mécanisme d’exclusion doit s’exécuter facilement, l’appelante soutient que rien n’indique que le mécanisme d’exclusion fonctionnel de chaque MEC s’exécutait moins facilement parce qu’il y avait aussi un mécanisme non fonctionnel. Pour sa part, l’intimé porte à l’attention de la Cour la déclaration du CRTC dans ses « Lignes directrices sur l’interprétation du Règlement sur la protection du commerce électronique (CRTC) » (Bulletin d’information de Conformité et Enquêtes CRTC 2012-548) selon laquelle [au paragraphe 11] « un mécanisme d’exclusion “s’exécute facilement” s’il est simple, rapide et facile d’utilisation pour le consommateur et si l’accès se fait sans difficulté ni délai ».
[259] À mon avis, l’efficacité non diminuée du mécanisme fonctionnel que fait valoir l’appelante ne pourrait servir qu’à démontrer que ce mécanisme s’exécute facilement après avoir été sélectionné entre deux liens concurrents. Cependant, le destinataire, avant d’avoir sélectionné le lien fonctionnel, s’était fait présenter deux possibilités, sans élément lui indiquant laquelle était la bonne. Ce fait, en soi, peut causer un délai et compromettre la facilité avec laquelle le mécanisme est censé s’exécuter. Ces difficultés s’aggravent lorsque le destinataire essaie d’abord le mécanisme défectueux et qu’il se retrouve devant un message d’erreur. Nul besoin d’émettre des hypothèses pour savoir si les destinataires en éprouveraient confusion et frustration : les déclarations écrites de consommateurs présentées au CRTC peuvent le confirmer, et l’ont confirmé. Par conséquent, je ne vois aucune erreur dans la conclusion du CRTC selon laquelle les MEC en question ne satisfaisaient pas à l’exigence prévue au paragraphe 3(3) du Règlement du CRTC selon laquelle le mécanisme d’exclusion doit pouvoir s’exécuter facilement.
X. Conclusion
[260] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel avec dépens.
Le juge Webb, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.
La juge Woods, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.
ANNEXE A
Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la loi sur la concurrence, la loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la loi sur les télécommunications, L.C. 2010, c 23.
Définitions
1(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
activité commerciale Tout acte isolé ou activité régulière qui revêt un caractère commercial, que la personne qui l’accomplit le fasse ou non dans le but de réaliser un profit, à l’exception de tout acte ou activité accompli à des fins d’observation de la loi, de sécurité publique, de protection du Canada, de conduite des affaires internationales ou de défense du Canada.
[…]
message électronique Message envoyé par tout moyen de télécommunication, notamment un message textuel, sonore, vocal ou visuel.
[…]
Message électronique commercial
(2) Pour l’application de la présente loi, est un message électronique commercial le message électronique dont il est raisonnable de conclure, vu son contenu, le contenu de tout site Web ou autre banque de données auquel il donne accès par hyperlien ou l’information qu’il donne sur la personne à contacter, qu’il a pour but, entre autres, d’encourager la participation à une activité commerciale et, notamment, tout message électronique qui, selon le cas :
a) comporte une offre d’achat, de vente, de troc ou de louage d’un produit, bien, service, terrain ou droit ou intérêt foncier;
b) offre une possibilité d’affaires, d’investissement ou de jeu;
c) annonce ou fait la promotion d’une chose ou possibilité mentionnée aux alinéas a) ou b);
d) fait la promotion d’une personne, y compris l’image de celle-ci auprès du public, comme étant une personne qui accomplit — ou a l’intention d’accomplir — un des actes mentionnés aux alinéas a) à c)
Assimilation
(3) Le message électronique comportant une demande de consentement en vue de la transmission d’un message visé au paragraphe (2) est aussi considéré comme un message électronique commercial.
[…]
Objet de la loi
3 La présente loi a pour objet de promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation des pratiques commerciales qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique pour les raisons suivantes :
a) elles nuisent à l’accessibilité, à la fiabilité, à l’efficience et à l’utilisation optimale des moyens de communication électronique dans le cadre des activités commerciales;
b) elles entraînent des coûts supplémentaires pour les entreprises et les consommateurs;
c) elles compromettent la protection de la vie privée et la sécurité des renseignements confidentiels;
d) elles minent la confiance des Canadiens quant à l’utilisation des moyens de communication électronique pour l’exercice de leurs activités commerciales au Canada et à l’étranger.
[…]
Messages électroniques non sollicités
6 (1) Il est interdit d’envoyer à une adresse électronique un message électronique commercial, de l’y faire envoyer ou de permettre qu’il y soit envoyé, sauf si :
a) la personne à qui le message est envoyé a consenti expressément ou tacitement à le recevoir;
b) le message est conforme au paragraphe (2).
[…]
Exception
(5) Le présent article ne s’applique pas aux messages électroniques commerciaux suivants :
a) les messages qui sont envoyés par une personne physique ou au nom de celle-ci à une autre, si ces personnes ont entre elles des liens familiaux ou personnels, au sens des règlements;
b) les messages qui sont envoyés à une personne qui exerce des activités commerciales et qui constituent uniquement une demande — notamment une demande de renseignements — portant sur ces activités;
c) les messages qui font partie d’une catégorie réglementaire ou qui sont envoyés dans les circonstances précisées par règlements.
(6) L’alinéa (1)a) ne s’applique pas aux messages électroniques commerciaux qui sont uniquement, selon le cas :
a) des messages qui donnent, à la demande des personnes qui les reçoivent, un prix ou une estimation pour la fourniture de biens, produits, services, terrains ou droits ou intérêts fonciers;
b) des messages qui facilitent, complètent ou confirment la réalisation d’une opération commerciale que les personnes qui les reçoivent ont au préalable accepté de conclure avec les personnes qui les ont envoyés ou, le cas échéant, celles au nom de qui ils ont été envoyés;
c) des messages qui donnent des renseignements en matière de garantie, de rappel ou de sécurité à l’égard de biens ou produits utilisés ou achetés par les personnes qui reçoivent ces messages ou de services obtenus par celles-ci;
d) des messages qui donnent des éléments d’information factuels aux personnes qui les reçoivent à l’égard :
(i) soit de l’utilisation ou de l’achat par ces personnes, pendant une certaine période, de biens, produits ou services offerts par les personnes qui ont envoyé ces messages ou, le cas échéant, celles au nom de qui ils ont été envoyés au titre d’un abonnement, d’une adhésion, d’un compte, d’un prêt ou de toute autre relation semblable,
(ii) soit de cet abonnement, cette adhésion, ce compte, ce prêt ou cette autre relation;
e) des messages qui fournissent des renseignements directement liés au statut d’employé des personnes qui les reçoivent ou à tout régime de prestations auquel elles participent ou dont elles tirent des avantages;
f) des messages au moyen desquels sont livrés des biens, produits ou services, y compris des mises à jour ou des améliorations à l’égard de ceux-ci, auxquels les personnes qui reçoivent ces messages ont droit au titre d’une opération déjà conclue avec les personnes qui les ont envoyés ou, le cas échéant, celles au nom de qui ils ont été envoyés;
g) des messages envoyés à l’une des fins prévues par les règlements.
[…]
Consentement exprès : articles 6 à 8
10 (1) Quiconque entend obtenir le consentement exprès d’une personne pour accomplir un acte visé à l’un des articles 6 à 8 doit, lorsqu’il demande le consentement, énoncer en termes simples et clairs, les renseignements suivants :
a) les fins auxquelles le consentement est sollicité;
b) les renseignements réglementaires permettant d’identifier la personne qui sollicite le consentement et, s’il est sollicité au nom d’une autre personne, les renseignements réglementaires permettant d’identifier celle-ci;
c) tout autre renseignement précisé par règlement.
[…]
Consentement tacite : article 6
(9) Pour l’application de l’article 6, il n’y a consentement tacite que dans l’un ou l’autre des cas suivants :
a) la personne qui envoie le message, le fait envoyer ou en permet l’envoi a, avec la personne qui le reçoit, des relations d’affaires en cours ou des relations privées en cours;
b) la personne à qui le message est envoyé a publié bien en vue, ou a ainsi fait publier, l’adresse électronique à laquelle il a été envoyé, la publication ne comporte aucune mention précisant qu’elle ne veut recevoir aucun message électronique commercial non sollicité à cette adresse et le message a un lien soit avec l’exercice des attributions de la personne, soit avec son entreprise commerciale ou les fonctions qu’elle exerce au sein d’une telle entreprise;
c) la personne à qui le message est envoyé a communiqué l’adresse électronique à laquelle il est envoyé à la personne qui envoie le message, le fait envoyer ou en permet l’envoi, sans aucune mention précisant qu’elle ne veut recevoir aucun message électronique commercial non sollicité à cette adresse et le message a un lien soit avec l’exercice des attributions de la personne, soit avec son entreprise commerciale ou les fonctions qu’elle exerce au sein d’une telle entreprise;
d) le message est envoyé dans les autres circonstances prévues par règlement.
Définition de relations d’affaires en cours
(10) Pour l’application du paragraphe (9), relations d’affaires en cours s’entend des relations d’affaires entre la personne qui envoie le message, le fait envoyer ou en permet l’envoi et la personne qui le reçoit, découlant, selon le cas :
a) de l’achat ou du louage par la seconde personne, au cours des deux ans précédant la date d’envoi du message, d’un bien, produit, service, terrain ou droit ou intérêt foncier de la première personne;
b) de l’acceptation par la seconde personne, au cours de cette période, d’une possibilité d’affaires, d’investissement ou de jeu offerte par la première personne;
c) du troc d’une chose mentionnée à l’alinéa a) intervenu entre elles au cours de cette période;
d) de tout contrat — toujours en vigueur ou venu à échéance au cours de cette période — conclu par écrit entre elles au sujet d’une chose non mentionnée aux alinéas a) à c);
e) d’une demande — notamment une demande de renseignements — présentée par la seconde personne à la première, au cours des six mois précédant la date d’envoi du message, relativement à une chose ou à une possibilité mentionnée aux alinéas a) ou c).
[…]
Définition de relations privées en cours
(13) Pour l’application du paragraphe (9), relations privées en cours s’entend des relations entre la personne qui envoie le message, le fait envoyer ou en permet l’envoi et la personne qui le reçoit, qui ne sont pas des relations d’affaires et qui découlent, selon le cas :
a) d’un don ou d’un cadeau offert par la seconde personne à la première au cours des deux ans précédant la date d’envoi du message, dans le cas où cette première personne est un organisme de bienfaisance enregistré au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, une organisation ou un parti politiques ou un candidat — au sens de toute loi fédérale ou provinciale — à une charge publique élective;
b) du travail effectué à titre de bénévole par la seconde personne pour la première au cours des deux ans précédant la date d’envoi du message, dans le cas où cette première personne est un organisme de bienfaisance enregistré au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, une organisation ou un parti politiques ou un candidat — au sens de toute loi fédérale ou provinciale — à une charge publique élective;
c) d’une adhésion, au sens des règlements, de la seconde personne auprès de la première au cours des deux ans précédant la date d’envoi du message, dans le cas où cette première personne est un club, une association ou un organisme bénévole, au sens des règlements.
[…]
Contravention à article 6
12 (1) Il n’y a contravention à l’article 6 que si un ordinateur situé au Canada est utilisé pour envoyer ou récupérer le message électronique.
Contravention à l’article 7
(2) Il n’y a contravention à l’article 7 que si un ordinateur situé au Canada est utilisé pour envoyer, acheminer ou récupérer le message électronique.
[…]
Avis de communication
17 (1) La personne désignée pour l’application du présent article peut faire signifier à toute personne un avis pour l’obliger à communiquer la copie de tout document qui est en sa possession ou sous sa responsabilité ou à établir tout document à partir de données, renseignements ou documents qui sont en sa possession ou sous sa responsabilité et à le communiquer.
But de l’avis
(2) Elle ne peut établir l’avis qu’à l’une ou l’autre des fins suivantes :
a) vérifier le respect de la présente loi;
b) décider si une contravention à l’un des articles 6 à 9 a été commise;
c) faciliter une enquête, instance ou poursuite relative à une contravention à une loi d’un État étranger visant des comportements essentiellement semblables à ceux interdits par l’un des articles 6 à 9.
Contenu de l’avis
(3) L’avis précise le lieu et la forme de la communication, le délai dans lequel elle doit être faite ainsi que le nom de la personne à qui elle doit l’être.
Conditions
(4) La personne désignée peut assortir l’avis de conditions visant à empêcher la divulgation de tout ou partie de son contenu, ou de son existence si elle a des motifs raisonnables de croire que cette divulgation compromettrait le déroulement :
(a) soit d’une enquête menée au titre de la présente loi;
(b) soit d’une enquête, instance ou poursuite relative à une contravention à une loi d’un État étranger visant des comportements essentiellement semblables à ceux interdits par l’un des articles 6 à 9.
Expiration et annulation des conditions
(5) Les conditions visant à empêcher la divulgation expirent six mois après la signification de l’avis, à moins qu’avant l’expiration de celles-ci un avis les renouvelant — pour une période additionnelle de six mois — n’ait été signifié à la personne en question. L’avis renouvelant les conditions ne peut être signifié qu’une seule fois et un avis les annulant peut l’être à tout moment.
Aucune restitution
(6) Il n’est pas nécessaire de retourner à la personne les documents ou copies de documents qu’elle a communiqués en application du présent article.
[…]
Violations
20 (1) Toute contravention à l’un des articles 6 à 9 constitue une violation exposant son auteur à une sanction administrative pécuniaire.
But de la sanction
(2) L’imposition de la sanction vise non pas à punir, mais plutôt à favoriser le respect de la présente loi.
Détermination du montant de la sanction
(3) Pour la détermination du montant de la sanction, il est tenu compte des éléments suivants :
a) le but de la sanction;
b) la nature et la portée de la violation;
c) les antécédents de l’auteur de la violation, à savoir violation à la présente loi, comportement susceptible d’examen visé à l’article 74.011 de la Loi sur la concurrence et contravention à l’article 5 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques qui met en cause une collecte ou une utilisation visée aux paragraphes 7.1(2) ou (3) de cette loi;
d) ses antécédents au regard des engagements contractés en vertu du paragraphe 21(1) et des consentements signés en vertu du paragraphe 74.12(1) de la Loi sur la concurrence concernant des actes ou omissions qui constituent des comportements susceptibles d’examen visés à l’article 74.011 de cette loi;
e) tout avantage financier qu’il a retiré de la commission de la violation;
f) sa capacité de payer le montant de la sanction;
g) tout versement d’une somme qu’il a fait volontairement, à titre de dédommagement, à toute personne touchée par la violation;
h) tout critère prévu par règlement;
i) tout autre élément pertinent.
Plafond de la sanction
(4) Le montant maximal de la sanction pour une violation est de 1 000 000 $, dans le cas où l’auteur est une personne physique, et de 10 000 000 $ dans le cas de toute autre personne.
Pouvoir réglementaire
(5) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :
a) désigner les dispositions dont la contravention constitue une violation distincte pour chacun des jours au cours desquels la contravention se continue;
b) prévoir les critères pour l’application de l’alinéa (3)h).
[…]
Procès-verbal de violation
22 (1) Si elle a des motifs raisonnables de croire qu’une violation a été commise, la personne désignée pour l’application du présent article peut dresser un procès-verbal qu’elle fait signifier à l’auteur présumé de la violation.
Contenu du procès-verbal
(2) Le procès-verbal mentionne :
a) le nom de l’auteur présumé de la violation;
b) les actes ou omissions pour lesquels le procès-verbal est signifié et les dispositions en cause;
c) le montant de la sanction à payer, ainsi que le délai et les modalités de paiement;
d) la faculté de présenter des observations au Conseil dans les trente jours suivant la signification du procès-verbal ou dans le délai plus long précisé dans celui-ci, et les modalités à respecter pour ce faire;
e) le fait que le défaut de paiement du montant de la sanction ou l’omission de présenter des observations conformément au procès-verbal vaut déclaration de responsabilité et entraîne l’imposition de la sanction prévue dans celui-ci;
f) le fait que, en cas de déclaration de responsabilité, il peut être rendu à l’endroit de la personne en cause une ordonnance lui enjoignant d’accomplir tout acte ou de s’en abstenir pour se conformer à la présente loi, et que l’ordonnance est exécutoire comme si elle avait été rendue par un tribunal compétent.
[…]
Observations
25 (1) Si la personne présente des observations selon les modalités qui sont prévues dans le procès-verbal, le Conseil décide, selon la prépondérance des probabilités, de sa responsabilité à l’égard de la violation et, le cas échéant, il peut imposer la sanction prévue dans le procès-verbal, en réduire le montant, y renoncer ou encore en suspendre le paiement aux conditions qu’il estime nécessaires pour l’observation de la présente loi.
Signification de la décision
(2) Le Conseil fait signifier à la personne en question copie de sa décision et l’avise par la même occasion de son droit d’interjeter appel.
[…]
Précision
30 Il est entendu que les violations ne sont pas des infractions; en conséquence, nul ne peut être poursuivi à ce titre sur le fondement de l’article 126 du Code criminel.
Administrateurs, dirigeants, etc.
31 En cas de commission par une personne morale d’une violation, ceux de ses dirigeants, administrateurs ou mandataires qui l’ont ordonnée ou autorisée, ou qui y ont consenti ou participé, sont responsables de la violation, que la personne morale fasse ou non l’objet de procédures en violation.
Responsabilité indirecte
32 L’employeur ou le mandant est responsable de la violation commise par son employé ou son mandataire dans le cadre de son emploi ou du mandat, que celui-ci soit ou non connu ou fasse ou non l’objet de procédures en violation.
Règlement sur la protection du commerce électronique (CRTC), DORS/2012-36
Définition
1 Dans le présent règlement, Loi s’entend de la Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications.
Renseignements à inclure dans les messages électroniques commerciaux
2 (1) Pour l’application du paragraphe 6(2) de la Loi, le message électronique commercial comporte les renseignements suivants :
a) le nom sous lequel la personne qui envoie le message exerce ses activités commerciales, s’il diffère du sien, ou, à défaut, son nom;
b) si le message est envoyé au nom d’une autre personne, le nom sous lequel celle-ci exerce ses activités commerciales, s’il diffère du sien, ou, à défaut, son nom;
c) si le message est envoyé au nom d’une autre personne, une mention indiquant le nom de la personne qui envoie le message et celui au nom de qui il est envoyé;
d) l’adresse postale et soit le numéro de téléphone donnant accès à un agent de service ou à un service de messagerie vocale, soit l’adresse de courriel ou du site Web de la personne qui envoie le message ou, le cas échéant, de celle au nom de qui il est envoyé.
(2) S’il est pratiquement impossible d’inclure les renseignements mentionnés au paragraphe (1) et le mécanisme d’exclusion visé à l’alinéa 6(2)c) de la Loi dans le message électronique commercial, ils peuvent être affichés sur une page Web facilement accessible sans frais par le destinataire au moyen d’un lien indiqué dans le message en termes clairs et facilement lisibles.
Forme des messages électroniques commerciaux
3 (1) Les renseignements visés à l’article 2 et le mécanisme d’exclusion visé à l’alinéa 6(2)c) de la Loi doivent être énoncés en termes clairs et facilement lisibles.
(2) Le mécanisme d’exclusion visé à l’alinéa 6(2)c) de la Loi doit pouvoir s’exécuter facilement.
Renseignements à inclure dans les demandes de consentement
4 Pour l’application des paragraphes 10(1) et (3) de la Loi, la demande de consentement est faite oralement ou par écrit et séparément pour chacun des actes visés aux articles 6 à 8 de la Loi et comporte les renseignements suivants :
a) le nom sous lequel la personne qui sollicite le consentement exerce ses activités commerciales, s’il diffère du sien, ou, à défaut, son nom;
b) si le consentement est sollicité au nom d’une autre personne, le nom sous lequel celle-ci exerce ses activités commerciales, s’il diffère du sien, ou, à défaut, son nom;
c) si le consentement est sollicité au nom d’une autre personne, une mention indiquant le nom de la personne qui sollicite le consentement et celui au nom de qui il est sollicité;
d) l’adresse postale et soit le numéro de téléphone donnant accès à un agent de service ou à un service de messagerie vocale, soit l’adresse de courriel ou du site Web de la personne qui sollicite le consentement ou, le cas échéant, de celle au nom de qui il est sollicité;
e) un énoncé portant que la personne auprès de qui le consentement est sollicité peut retirer son consentement.
Programme d’ordinateur effectuant des fonctions spécifiques
5 Les éléments d’un programme d’ordinateur qui effectuent l’une ou l’autre des fonctions mentionnées au paragraphe 10(5) de la Loi sont portés à l’attention de la personne auprès de qui le consentement est sollicité séparément des autres renseignements fournis dans la demande de consentement et la personne qui sollicite le consentement doit obtenir de cette personne une confirmation écrite attestant qu’elle comprend et accepte que le programme effectue les fonctions mentionnées.
Entrée en vigueur
6 (1) Le présent règlement, à l’exception de l’article 5, entre en vigueur à la date d’entrée en vigueur des articles 6, 7 et 9 à 11 et du paragraphe 64(2) de la Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications, chapitre 23 des Lois du Canada (2010) ou, si elle est postérieure, à la date de son enregistrement.
(2) L’article 5 entre en vigueur à la date d’entrée en vigueur de l’article 8 de la loi visée au paragraphe (1).
Règlement sur la protection du commerce électronique, DORS/2013-221
Définition
Définition de Loi
1 Dans le présent règlement, Loi s’entend de la Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications.
Liens familiaux et liens personnels
Liens familiaux et personnels
2 Pour l’application de l’alinéa 6(5)a) de la Loi :
a) des personnes physiques sont unies par des liens familiaux si la personne qui envoie le message et la personne à qui le message est envoyé sont unies par les liens de mariage ou d’union de fait ou de filiation et ont eu entre elles des communications volontaires, directes et bidirectionnelles;
b) des personnes physiques sont unies par des liens personnels si la personne qui envoie le message et la personne à qui le message est envoyé ont eu entre elles des communications volontaires, directes et bidirectionnelles permettant raisonnablement de conclure à l’existence de tels liens, compte tenu des facteurs pertinents, notamment, le partage d’intérêts, d’expériences, d’opinions et d’informations, comme en témoignent leurs communications et la fréquence de celles-ci, le temps écoulé depuis la dernière communication et le fait que les parties se sont rencontrées ou non en personne.
Messages électroniques commerciaux exemptés
Article 6 de la Loi- messages exemptés
3 L’article 6 de la Loi ne s’applique pas au message électronique commercial :
a) envoyé par l’employé, le représentant, le consultant ou le franchisé d’une organisation, selon le cas :
(i) à un autre employé, un représentant, un consultant ou un franchisé au sein de la même organisation, si le message concerne les activités de l’organisation,
(ii) à l’employé, au représentant, au consultant ou au franchisé d’une autre organisation si leurs organisations respectives entretiennent des rapports et que le message concerne les activités de l’organisation à qui le message est envoyé;
b) envoyé en réponse à une demande — notamment une demande de renseignements — ou par suite d’une plainte, ou sollicité de quelque façon que ce soit par la personne à qui le message est envoyé;
c) envoyé :
(i) pour satisfaire à une obligation juridique,
(ii) pour donner avis d’un droit, d’une obligation juridique, d’une ordonnance d’un tribunal, d’un jugement ou d’un tarif existants ou à venir,
(iii) pour faire valoir un droit ou exécuter une obligation juridique, une ordonnance judiciaire, un jugement ou un tarif,
(iv) pour faire valoir un droit découlant d’une règle de droit fédérale, provinciale, municipale ou étrangère;
d) envoyé et reçu par l’entremise d’un service de messagerie électronique, si les renseignements et le mécanisme d’exclusion requis en application du paragraphe 6(2) de la Loi sont publiés de façon à être visibles et facilement accessibles sur l’interface utilisateur au moyen de laquelle le message sera récupéré et que la personne à qui le message est envoyé a consenti expressément ou tacitement à le recevoir;
e) envoyé à un compte sécuritaire et confidentiel à accès restreint, auquel les messages ne peuvent être envoyés que par la personne qui a fourni le compte à la personne qui reçoit le message;
f) si la personne qui l’envoie, le fait envoyer ou en permet l’envoi a des motifs raisonnables de croire qu’il sera récupéré dans un État étranger mentionné à l’annexe et qu’il sera conforme à une loi de cet État régissant les comportements essentiellement similaires à ceux interdits par l’article 6 de la Loi;
g) envoyé par un organisme de bienfaisance enregistré au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou en son nom si le principal objet du message est de lever des fonds pour les activités de bienfaisance de l’organisme en cause;
h) envoyé par une organisation ou un parti politiques ou un candidat — au sens de toute loi fédérale ou provinciale — à une charge publique élective ou pour le compte de ceux-ci si le principal objet du message est de demander des contributions au sens du paragraphe 2(1) de la Loi électorale du Canada.
Alinéa 6(1)a) — messages exemptés
4 (1) L’alinéa 6(1)a) de la Loi ne s’applique pas au premier message électronique commercial qui, d’une part, est envoyé par une personne à une personne physique en vue d’entrer en contact avec elle par suite d’une recommandation d’une ou de plusieurs personnes physiques ayant, avec l’expéditeur du message et avec son destinataire des relations d’affaires en cours, des relations privées en cours ou des liens familiaux ou personnels et si, d’autre part, ce message révèle le nom au complet de la ou des personnes physiques ayant fait la recommandation et comporte la mention qu’il est envoyé par suite d’une telle recommandation.
Relations d’affaires en cours ou relations privées en cours
(2) Des relations d’affaires en cours ou des relations privées en cours s’entendent au sens des paragraphes 10(10) et (13) de la Loi, respectivement.
Conditions d’utilisation du consentement
Obligations — personne dont l’identité est inconnue
5 (1) Pour l’application de l’alinée 10(2)b) de la Loi, la personne qui a obtenu le consentement exprès au nom d’une autre personne dont l’identité était inconnue peut autoriser toute personne à utiliser le consentement à condition de veiller à ce que, dans tout message électronique commercial envoyé à la personne qui a donné le consentement :
a) son identité soit établie à titre de personne ayant obtenu le consentement;
b) la personne autorisée fournisse un mécanisme d’exclusion qui, en plus d’être conforme aux exigences de l’article 11 de la Loi, permet à la personne ayant donné le consentement de le retirer à la personne qui l’a obtenu ou à toute autre personne autorisée à l’utiliser.
Personne qui a obtenu le consentement
(2) La personne qui a obtenu le consentement veille à ce que la personne autorisée qui a envoyé le message l’avise dès qu’elle est informée que le consentement a été retiré à l’une des personnes suivantes :
a) la personne qui a obtenu le consentement;
b) la personne autorisée qui a envoyé le message;
c) toute autre personne autorisée à utiliser le consentement.
Avis de retrait aux autres personnes autorisées
(3) Sur reception d’un avis de retrait du consentement concernant la personne visée à l’alinéa (2)c), la personne qui a obtenu le consentement avise sans délai l’intéressé.
Donner suite au retrait de consentement
(4) La personne qui a obtenu le consentement donne suite au retrait du consentement conformément au paragraphe 11(3) de la Loi et veille à ce que la personne visée à l’alinéa (2)c) fasse de même, le cas échéant.
Programmes d’ordinateur
Programmes précisés
6 Les programmes vises pour l’application du sous-alinéa 10(8)a)(vi) de la Loi sont les suivants :
a) le programme qui est installé par le télécommunicateur ou en son nom uniquement pour protéger la sécurité de la totalité ou d’une partie de son réseau d’une menace actuelle et identifiable à l’accessibilité, à la fiabilité, à l’efficacité ou à l’utilisation optimale du réseau;
b) le programme qui est installé par le télécommunicateur qui possède ou exploite le réseau, ou en son nom, sur tous les ordinateurs faisant partie du réseau pour la mise à jour ou a niveau de ce réseau;
c) le programme qui est nécessaire à la correction d’une défaillance dans le fonctionnement de l’ordinateur ou d’un de ses programmes et qui est installé uniquement à cette fin.
Adhésion, club, association et organisme bénévole
Adhésion
7 (1) Pour l’application de l’alinéa 10(13)c) de la Loi, l’adhésion est le fait d’être accepté comme membre d’un club, d’une association ou d’un organisme bénévole conformément aux exigences d’appartenance de l’un ou l’autre.
Club, association ou organisme bénévole
(2) Pour l’application de l’alinéa 10(13)c) de la Loi, un club, une association ou un organisme bénévole est une organisation sans but lucratif constituée et administrée uniquement pour l’exercice d’activités non lucratives, notamment des activités liées au bien-être social, aux améliorations locales et aux loisirs ou divertissements, et dont aucun revenu n’est versé à un propriétaire, membre ou actionnaire — ou ne peut par ailleurs servir à son profit personnel — sauf si le propriétaire, membre ou acionnaire est une organisation dont le but premier est de promouvoir le sport amateur au Canada.
Entrée en vigueur
L.C. 2010, ch. 23
*8 (1) Le présent règlement, à l’exception de l’article 6, entre en vigueur à la date d’entrée en vigueur des articles 6, 7 et 9 à 11 et du paragraphe 64(1) de la Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sr le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications, chapitre 23 des Loi du Canada (2010), ou, si elle est postérieure, à la date de son enregistrement.
Article 6
(2) L’article 6 entre en vigueur à la date d’entrée en vigueur de l’article 8 de la loi visée au paragraphe (1).
[1] Loi visant à promouvoir l’efficacité et la capacité d’adaptation de l’économie canadienne par la réglementation de certaines pratiques qui découragent l’exercice des activités commerciales par voie électronique et modifiant la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, la Loi sur la concurrence, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi sur les télécommunications, L.C. 2010, ch. 23 (LCAP).
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Loi canadienne anti-pourriel 3510395 Canada Inc., exerçant ses activités sous le nom de Compu.Finder – Contestation constitutionnelle de la Loi canadienne anti-pourriel - Numéro de dossier : EPR 9094-201400302-001, décision de conformité et enquêtes CRTC 2017-367
Loi canadienne anti-pourriel 3510395 Canada Inc., exerçant ses activités sous le nom de Compu.Finder – Violations de la Loi canadienne anti-pourriel - Numéro de dossier : EPR 9094-201400302-001, Décision de Conformité et Enquêtes CRTC 2017-368.
[9] LCAP, supra, note 1.