CONF-1-20
2020 CF 616
DANS L’AFFAIRE d’une demande de mandats présentée par [***] en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23
ET DANS L’AFFAIRE VISANT le terrorisme islamiste, [***] [***]
Répertorié : Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re)
Cour fédérale, juge Gleeson—Ottawa (à huis‑clos, ex parte), 1er, 18 et 19 octobre et 7 novembre 2018, 14 et 28 janvier, 13 et 21 février, 29 mars, 1er au 3, 12, 17, 29 et 30 avril, 13 et 29 mai, 27 et 28 juin, 30 juillet, 28 août et 1er novembre 2019; 15 mai 2020.
Note de l’arrêtiste : Les parties caviardées par la Cour sont indiquées par [***].
Renseignement de sécurité — Affaire découlant de la demande de mandats faite par le Service canadien du renseignement de sécurité (le Service) en vertu des art. 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS), dans le cadre de son enquête sur le terrorisme islamiste — La question de la collecte illégale d’informations a été soulevée dans le cadre des demandes de mandats — La volonté et la capacité du Service de respecter l’obligation de franchise ont été remises en question — Le Service a payé un individu connu pour faciliter ou effectuer des actes de terrorisme — D’autres cas possibles d’illégalité ont été signalés — Une évaluation faite par les avocats du Service a permis de conclure que le Service menait probablement des activités illégales — Le service n’a pas avisé la Cour de cet état de fait — Le Service a néanmoins présenté des informations recueillies dans le cadre d’activités illégales à la Cour en appui à des demandes de mandats — Le procureur général du Canda a soutenu notamment que la Cour ne devrait pas exclure d’emblée, d’une demande de mandats, les informations recueillies illégalement — Il a fait valoir qu’il faudrait une norme souple prévoyant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire éclairé par la prise en considération de différents facteurs — Il s'agissait principalement de savoir : comment le manquement à l’obligation de franchise s’est produit et comment il fallait remédier à la situation; si un juge désigné peut prendre en considération et s’appuyer sur des informations probablement recueillies illégalement; si la Cour peut invalider le mandat décerné sur la foi de ces informations ou prendre d’autres mesures; si, en cas de suppression d’informations de la demande, la Cour peut encore se fonder sur la consultation et sur l’approbation préalables qu’exigent les art. 7(2) et 21(1) de la Loi sur le SCRS — Le Service a manqué à son obligation de franchise — Le manquement était attribuable à des défaillances organisationnelles; des décisions individuelles discutables ont contribué aux répercussions de ces défaillances ou les ont amplifiées — Le cadre d’évaluation des risques juridiques n’a pas mal été utilisé — Si l’activité est illégale, elle ne peut être menée — Dans le contexte d’une demande de mandats faite en vertu des art. 12 et 21 de la Loi sur le SCRS, la Cour peut tenir compte d’informations recueillies en infraction avec la loi — Les juges désignés ont le pouvoir de mettre en balance des intérêts et des facteurs concurrents — La Cour devrait tenir compte de la gravité de l’acte illégal, de l’équité et de l’intérêt de la collectivité dans l’optique de l’incidence générale qu’aurait à long terme la décision d’exclure les informations contestées sur la considération dont jouit l’administration de la justice — La Cour a le droit inhérent de revoir une ordonnance rendue ex parte lorsque, par la suite, sont portés à son attention des faits nouveaux qui auraient pu avoir une incidence sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire — Le pouvoir de la Cour de contrôler l’intégrité de sa propre procédure s’applique dans le contexte des demandes de mandats faites en vertu de la Loi sur le SCRS — Le cadre défini par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Garofoli (en droit criminel) s’applique à l’examen a posteriori d’un mandat relevant de la Loi sur le SCRS — L’exercice de mise en balance à effectuer lorsqu’un problème d’illégalité est porté à l’attention de la Cour dans le cadre d’un examen a posteriori met en cause les mêmes facteurs : la gravité de l’acte illégal, l’équité et l’intérêt de la collectivité — Chacun de ces facteurs s’accompagne de l’examen des questions subsidiaires déjà mentionnées — L’approche impliquant la mise en balance de facteurs qui vise à déterminer la validité d’un mandat en matière de sécurité nationale dans le contexte d’un manquement à l’obligation de franchise oblige à s’éloigner de l’arrêt Garofoli à cet égard — Après s’être prononcé sur la suppression d’informations, le juge désigné devrait appliquer le critère énoncé dans l’arrêt Garofoli, selon lequel les mandats « auraient pu être décernés » — Cependant, comme dans un contexte criminel, le juge désigné ne devrait pas annuler un mandat valide, à moins qu’il soit question d’une inconduite particulièrement grave — Si la suppression automatique mène à la conclusion que le mandat n’aurait pas pu être décerné, le juge désigné devrait être tenu d’effectuer un exercice de mise en balance exhaustif avant de trancher la question de façon définitive — La Cour a le pouvoir d’ordonner des mesures correctives relativement à un mandat invalidé et celui de prendre des mesures correctives quant aux informations recueillies en vertu de ce mandat — Avant de présenter une demande de mandats ou de demander le renouvellement d’un mandat, le directeur du Service doit consulter le sous‑ministre conformément à l’art. 7(2) de la Loi sur le SCRS, ce qui est une fonction porteuse de sens — La révélation d’un problème d’illégalité après coup serait une information d’intérêt pour le ministre et le sous-ministre impliqués dans le processus de consultation et d’approbation — Le juge désigné a la latitude de refuser la délivrance d’un mandat jusqu’à ce que le sous-ministre et le ministre aient été mis au courant de l’illégalité — Jugement : L’obligation de franchise envers la Cour n’a pas été respectée. Un examen externe devrait être effectué.
Les questions en litige dans le présent appel découlaient de la demande de mandats faite par le Service canadien du renseignement de sécurité (le Service) en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS), dans le cadre de son enquête sur le terrorisme islamiste.
La question de la collecte illégale d’informations a été soulevée par suite des questions posées par la Cour dans le cadre de l’une des demandes de mandats récentes. Le fait que le Service n’ait pas soulevé cette question a remis en question sa volonté et sa capacité de respecter l’obligation de franchise. Au cours du déroulement de l’instance, le problème de l’illégalité s’est cristallisé, et le Service a avisé la Cour qu’il avait fondé au moins deux autres demandes de mandats sur des informations susceptibles d’avoir été recueillies illégalement. Les cibles de l’enquête du Service étaient des citoyens canadiens qui ont combattu au sein de différents groupes liés à des interprétations extrémistes de l’islam. En vue de recueillir des informations, le Service avait versé des paiements pendant quelques années, totalisant moins de 25 000 $, à un individu connu pour faciliter ou effectuer des actes de terrorisme. Six autres cas possibles d’illégalité par le Service ou une source humaine agissant pour son compte ont été signalés à la Cour au fil de l’instance. Les avocats du Service ont appliqué un cadre d’évaluation des risques juridiques aux opérations fondées sur des sources humaines en cause dans les demandes de mandats. Dans chaque cas, ils ont tenu compte du problème de l’illégalité et ont conclu que le Service ou des personnes agissant pour son compte menaient très probablement des activités illégales. Ils ont conclu qu’il n’existait pas de possibilité d’atténuation. Une fois que des opérations à première vue illégales ont été approuvées, le Service a recueilli des informations qu’il a ensuite présentées à la Cour en appui à des demandes de mandats sans l’aviser de cet état de fait. Tous les intervenants dans le dépôt de plusieurs demandes de mandat ont passé outre au fait que les demandes comportaient des informations recueillies dans le cadre d’activités à première vue illégales. Le procureur général du Canda a soutenu notamment que la Cour ne devrait pas exclure d’emblée, d’une demande de mandats, les informations recueillies illégalement, et qu’il faudrait une norme souple prévoyant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire éclairé par la prise en considération de différents facteurs.
Il s’agissait principalement de déterminer comment le manquement à l’obligation de franchise s’est produit et comment il fallait remédier à la situation; si un juge désigné peut prendre en considération et s’appuyer sur des informations probablement recueillies illégalement pour décider de décerner un mandat en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS et, dans l’affirmative, de quels facteurs il doit tenir compte et lesquels il doit mettre en balance; si la Cour se rend compte que des informations qui lui ont été présentées avaient probablement été recueillies illégalement, si elle peut invalider le mandat décerné sur la foi de ces informations ou prendre d’autres mesures; en cas de suppression d’informations de la demande, si la Cour peut encore se fonder sur la consultation et sur l’approbation préalables qu’exigent les paragraphes 7(2) et 21(1) de la Loi sur le SCRS.
Jugement : le Service canadien du renseignement de sécurité a manqué à son obligation de franchise envers la Cour. Un examen externe exhaustif devrait être effectué afin de relever l’ensemble des lacunes et des défaillances systémiques, culturelles et liées à la gouvernance qui ont eu pour conséquences que le Service a mené des activités opérationnelles illégales et a manqué à son obligation de franchise.
Le manquement est attribuable en partie à des défaillances organisationnelles. Dans de nombreux cas, des décisions individuelles discutables ont contribué aux répercussions de ces défaillances ou les ont amplifiées. Rien dans la preuve ne donnait à penser que le cadre d’évaluation des risques juridiques a mal été utilisé. Elle révèle plutôt qu’il s’agit d’un mauvais outil d’évaluation et d’intervention en ce qui a trait aux actes illégaux. Si la Loi sur le SCRS n’autorise pas l’activité proposée du Service, il n’y a pas lieu de procéder à un exercice de mise en balance : l’activité est illégale et ne peut pas être menée. Le fait de catégoriser une activité illégale selon les risques qu’elle présente ne change rien au fait qu’elle est illégale.
Le fait qu’il ait été impossible ou difficile, pour les intervenants, d’accéder aux informations utiles au processus de demande de mandats explique en partie que le Service et ses avocats n’ont pas constaté le problème de la collecte illégale d’informations. Les faits et la preuve ont aussi soulevé des questions sur l’échange d’informations entre les cadres supérieurs du Service. Les circonstances et les événements qui ont mené le Service à agir dans l’illégalité malgré des avis juridiques justifient un examen approfondi qui doit tenir compte des grandes questions touchant la structure organisationnelle, la gouvernance et la culture tant au Service qu’au sein des composantes concernées du ministère de la Justice.
Dans le contexte d’une demande de mandats faite en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le SCRS, la Cour peut tenir compte d’informations probablement recueillies en infraction avec la loi. Il est reconnu en common law qu’un juge peut écarter des éléments de preuve dont l’utilisation nuirait à l’équité de l’instance. L’exclusion d’éléments de preuve au titre de la common law ou du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) requiert une analyse souple, qui tient compte du contexte. La jurisprudence relative à l’article 8 de la Charte s’éloigne de l’approche souple, fondée sur le contexte, à l’exclusion d’éléments de preuve au titre de la common law et du paragraphe 24(1). Au titre de l’article 8, toute information trompeuse, erronée ou obtenue inconstitutionnellement qui a été utilisée en appui à une demande de mandats est automatiquement supprimée. La Cour doit ensuite déterminer si elle aurait pu décerner le mandat sur la foi des informations restantes. La suppression automatique visant à établir la validité des mandats n’englobe pas l’exclusion automatique d’informations recueillies en vertu d’un mandat jugé invalide. L’objet de la doctrine relative à la suppression — empêcher l’État de tirer parti d’actes illégaux commis par des personnes qui agissent en son nom — est pertinent dans le contexte du renseignement de sécurité. Si l’on devait adopter une règle de suppression automatique en l’espèce, les éléments de preuve recueillis illégalement et présentés à la Cour dans le contexte de la sécurité nationale devraient être supprimés, alors que ces mêmes éléments pourraient très bien être déclarés admissibles dans une instance criminelle, au titre du paragraphe 24(2) de la Charte. Une telle règle pourrait amener un juge désigné à ne pas décerner un mandat en raison d’une illégalité mineure, même si l’enquête vise une menace grave. Un test d’une telle sévérité passerait outre le rôle du juge désigné dans la mise en balance, d’une part, de l’intérêt pour la collectivité d’assurer la sécurité nationale et, d’autre part, des droits et des intérêts personnels; cela pourrait ébranler la confiance du public. Les juges désignés saisis de demandes de mandat en application de l’article 21 de la Loi sur le SCRS « agissent à titre de gardiens contre les pouvoirs intrusifs ». Pour ce faire, ils doivent avoir le pouvoir de mettre en balance les intérêts et les facteurs concurrents lorsqu’est soulevée la question de l’admissibilité de la preuve. Cette conclusion est conforme à la jurisprudence et reflète les pratiques établies dans les procédures désignées. La Cour devrait tenir compte de trois facteurs lorsqu’elle détermine s’il y a lieu d’utiliser des informations découlant d’actes illégaux en appui à une demande de mandats : 1) la gravité de l’acte illégal; 2) l’équité; 3) l’intérêt de la collectivité. Comme dans le cas du paragraphe 24(2) de la Charte, le tribunal devrait tenir compte de ces facteurs et des questions sous-jacentes dans leur ensemble, dans l’optique de l’incidence générale qu’aurait à long terme la décision d’exclure les informations contestées sur la considération dont jouit l’administration de la justice.
La Cour a le droit inhérent de revoir une ordonnance rendue ex parte lorsque, par la suite, sont portés à son attention des faits nouveaux qui auraient pu avoir une incidence sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le raisonnement formulé dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, où la Cour d’appel fédérale a conclu que le « pouvoir des Cours fédérales de contrôler l’intégrité de leur propre procédure fait partie de leur fonction fondamentale, essentielle à la bonne administration de la justice, à la préservation de la primauté du droit et au maintien d’un juste équilibre entre les pouvoirs », s’applique aussi dans le contexte des demandes de mandats faites en vertu de la Loi sur le SCRS. Conclure que la Cour n’a pas le pouvoir de revoir les mandats décernés lorsqu’elle apprend, par la suite, qu’il y a eu des problèmes de franchise reviendrait à soustraire le Service aux conséquences de ses actes. Pour déterminer le critère à appliquer pour la révision d’un mandat décerné en vertu de la Loi sur le SCRS, il était utile de prendre connaissance des précédents relatifs aux mandats de perquisition décernés dans un contexte criminel. La jurisprudence criminelle ayant trait aux mandats s’appliquait davantage à l’espèce que la jurisprudence civile. Bien qu’un mandat relevant de la Loi sur le SCRS n’ait pas les mêmes fins qu’un mandat décerné dans un contexte criminel, il n’y a pas de raison que le cadre défini dans R. c. Garofoli ne s’applique pas à l’examen a posteriori d’un mandat relevant de la Loi sur le SCRS. L’exercice de mise en balance à effectuer lorsqu’un problème d’illégalité est porté à l’attention de la Cour dans le cadre d’un examen a posteriori met en cause les mêmes facteurs : 1) la gravité de l’acte illégal, 2) l’équité et 3) l’intérêt de la collectivité. Chacun de ces facteurs s’accompagne de l’examen des questions subsidiaires déjà mentionnées. L’approche impliquant la mise en balance de facteurs qui vise à déterminer la validité d’un mandat en matière de sécurité nationale dans le contexte d’un manquement à l’obligation de franchise oblige à s’éloigner de l’arrêt Garofoli à cet égard. Cela ne veut pas dire pour autant que la suppression automatique ne pourrait pas ou ne devrait pas s’appliquer lorsqu’il y a remise en question d’un mandat décerné pour des raisons de sécurité nationale dans le contexte d’une instance criminelle en cours. Après s’être prononcé sur la suppression d’informations, le juge devrait appliquer le critère selon lequel les mandats « auraient pu être décernés ». Le critère selon lequel les mandats « auraient pu être décernés » établi dans l’arrêt Garofoli ne supplante pas le pouvoir dont dispose la Cour de corriger les abus de sa propre procédure qui peuvent être commis lorsqu’un cas de non‑conformité implique un manquement à l’obligation de franchise ou une autre forme de conduite irrégulière. Cependant, comme dans un contexte criminel, le juge désigné ne devrait pas annuler un mandat valide, à moins qu’il soit question d’une inconduite particulièrement grave. Si la suppression automatique mène à la conclusion que le mandat n’aurait pas pu être décerné, le juge désigné devrait être tenu d’effectuer un exercice de mise en balance exhaustif avant de trancher la question de façon définitive.
La jurisprudence va dans le sens du point de vue selon lequel le plein pouvoir de la Cour englobe le pouvoir discrétionnaire d’ordonner des mesures correctives relativement à un mandat invalidé, y compris la destruction des informations recueillies en vertu de ce mandat. Le pouvoir incontesté de la Cour d’annuler ou de modifier un mandat qu’elle a décerné sur la foi d’informations erronées ou en raison d’un manquement à l’obligation de communication complète et franche englobe celui de prendre des mesures correctives quant aux informations recueillies en vertu de ce mandat. Toute autre conclusion pourrait bien effriter la confiance du public en l’administration de la justice. Le Service ne peut pas simplement invoquer sa mission pour soutenir qu’il conserve le plein accès aux informations recueillies en vertu d’un mandat invalidé. L’ajout d’un élément d’énoncé reflétant le pouvoir inhérent de la Cour de rendre d’autres ordonnances relatives aux informations recueillies en vertu du mandat serait avantageux.
Une dernière question a été soulevée au cours de l’instance quant au caractère adéquat de la consultation et de l’approbation préalables d’une demande dans les cas où il y a, par la suite, suppression d’informations. Avant de présenter une demande de mandats ou de demander le renouvellement d’un mandat, le directeur du Service doit consulter le sous‑ministre (paragraphe 7(2) de la Loi sur le SCRS) et obtenir l’approbation du ministre (paragraphe 21(1) de la Loi sur le SCRS). Consulter le sous-ministre est une fonction porteuse de sens, qui n’est accomplie que si le sous-ministre est mis au courant de tous les faits importants. La suppression d’informations ou la révélation d’un problème d’illégalité après coup seraient des informations d’intérêt pour le ministre et le sous-ministre impliqués dans le processus de consultation et d’approbation. Le juge désigné saisi d’une demande de mandat dispose d’un large pouvoir discrétionnaire quant à la décision de décerner le mandat. En cas de suppression d’informations importantes, de révélation d’un problème d’illégalité ou de divulgation d’autres circonstances importantes, le juge a toujours la latitude, dans l’exercice de son large pouvoir discrétionnaire, de refuser la délivrance jusqu’à ce que le sous-ministre et le ministre aient été mis au courant des circonstances.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8, 24.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 25.1, 83.01-83.33, 186(4).
Décret fixant au lendemain de la prise du présent décret la date d’entrée en vigueur de la Partie 1.1 et de certaines dispositions de cette loi, TR/2019-71, (2019) Gaz. C. II, vol. 153, no 15.
Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 101.
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 17.
Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J-2, art. 4a).
Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C- 23, art. 2 « ensemble de données », « menaces envers la sécurité du Canada », « source humaine », 6, 7(1),(2), 11.01–11.25, 11.13–11.15, 11.15(5), 12, 18, 18.1, 19(2), 20, 21.
Loi sur l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, L.C. 2019, ch. 13, art. 9–12.
Projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale, 1re sess., 42e lég., 2017 (1re lecture le 20 juin 2017), clauses 100, 101.
Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur Al-Qaïda et le Taliban, DORS/99-444.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
R. c. Grant, 2009 SCC 32, [2009] 2 S.C.R. 353; R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421, 1990 CanLII 52; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567; X (Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565; X (Re), 2013 CF 1275, [2015] 1 R.C.F. 635, conf. par 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684; Harkat (Re), 2009 CF 1050, [2010] 4 R.C.F. 149; R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223; R. v. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992; R. v. Jaser, 2014 ONSC 6052, 120 W.C.B. (2d) 241; R. v. Bacon, 2010 BCCA 135, 285 B.C.A.C. 108; Mahjoub (Re), 2013 CF 1096; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326; R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579; R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608; R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531.
DÉCISIONS CITÉES :
Alberta Government Telephones c. (Canada) Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 225; Canadian Broadcasting Corp. v. Attorney General (Ontario), [1959] R.C.S. 188; Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3; R. c. Neil, 2002 CSC 70, [2002] 3 R.C.S. 631; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401; R. v. Mahmood, 2011 ONCA 693, 107 O.R. (3d) 641; R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562; La Reine c. Wray, [1971] R.C.S. 272; R. v. Chau, [1997] O.J. no 6322 (QL) (Div. gén.), conf. pour d’autres motifs (2000), 140 O.A.C. 56, 2000 CanLII 17015 (C.A.); X (Re), 2018 CF 874; X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567; Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Morelli, 2010 CSC 8, [2010] 1 R.C.S. 253; R. v. Morris (1998), 173 N.S.R. (2d) 1, 134 C.C.C. (3d) 539; MTS Allstream Inc. V. Bell Mobility Inc., 2008 MBQB 103, 227 Man. R. (2d) 95; Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; Bergeron et al. c. Deschamps et al. [1978] 1 R.C.S. 243; Re Chapman and the Queen (1984), 46 O.R. (2d) 65 (C.A.); Lyons c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 633; R. v. G.B. (application by Bogiatzis, Christodoulou, Cusato and Churchill) (2003), 108 C.R.R. (2d) 294, [2003] O.J. no 3335 (QL) (C. sup.); Goodwin c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, [2015] 3 R.C.S. 250; R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128; R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34; R. c. Société TELUS Communications, 2013 CSC 16, [2013] 2 R.C.S. 3.
DOCTRINE CITÉE
Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. CSARS Rapport annuel 2014–2015 : Vers de nouveaux horizons : préparer le terrain du changement dans la surveillance des activités de renseignement de sécurité, Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2015.
Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. CSARS Rapport annuel 2015–2016 : Sur notre lancée, Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2016.
Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Examen d’une opération faisant appel à des sources humaines, Étude du csars 2008-04, 9 mars 2009.
Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Un examen de l’enquête du SCRS sur les « combattants étrangers » canadiens, Étude du CSARS 2015-09, 27 mai 2016.
Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La liberté et la sécurité devant la loi, Ottawa : Bureau du Conseil privé, 1981 (Président : D. C. McDonald).
Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada. Code type de déontologie professionnelle, Ottawa (tel que modifié le 14 mars 2017).
Keyes, John Mark. “Loyalty, Legality and Public Sector Lawyers” (2019), 97 Rev. du B. can. 129.
Ministère de la Justice. Politique du ministère de la Justice du Canada et du Service canadien du renseignement de sécurité sur l’obligation de franchise lors d’instances ex parte, 23 février 2017.
AFFAIRE découlant de la demande de mandats faite par le Service canadien du renseignement de sécurité en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, dans le cadre de son enquête sur le terrorisme islamiste. L’obligation de franchise envers la Cour n’a pas été respectée. Un examen externe devrait être effectué.
ONT COMPARU :
Robert Frater, c.r., Owen Rees, Gabrielle White, Helene Robertson, Nathalie Benoit, Jennifer Poirier et Stéphanie Dion pour le procureur général du Canada.
Gordon Cameron et Matthew Gourlay à titre d' amicus curiae.
Anil Kapoor, Dana Achtemichuk, Brian Gover, Stephen Aylward et Donald Bayne pour le déposant.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.
Gordon Cameron et Matthew Gourlay à titre d'amicus curiae.
Voici les motifs caviardés du jugement et le jugement rendus en français par
Le juge Gleeson :
I. Aperçu
II. Instances
D. Conférence de gestion d’instance de janvier 2019
E. Audience en formation plénière
F. Directive initiale du juge en chef
G. Audiences sur les questions d’intérêt commun
III. Contexte
A. À quoi est attribuable le problème de l’illégalité?
1) Le Service doit agir dans le respect de la loi
2) Le principe de l’immunité de l’État
3) L’évolution des avis juridiques
1) Évaluation des risques juridiques des opérations
2) Processus de demande de mandats
C. Projet de loi C-59 : réforme législative visant à régler le problème de l’illégalité
IV. Questions
V. Analyse
2) Manquement à l’obligation de franchise
3) Causes du manquement à l’obligation de franchise
4) Événements consécutifs à l’avis de janvier 2017
5) Problèmes organisationnels et systémiques ayant contribué au manquement à l’obligation de franchise
a) Gestion des connaissances et communications d’informations par le GLCS
b) Cadre d’évaluation des risques du ministère de la Justice
c) Interaction entre l’obligation de franchise et l’obligation de loyauté de l’avocat
d) Rôle du ministère de la Justice
e) Processus de demande de mandats
f) Cloisonnement des informations
g) Communication entre les cadres supérieurs du Service
6) Conclusion sur l’obligation de franchise
1) Un juge désigné peut revoir une décision de décerner un mandat
2) Le cadre défini dans l’arrêt Garofoli, modifié en fonction du contexte, guide l’examen a posteriori
2) Conservation de la compétence à l’égard des informations recueillies au moyen de conditions
G. Application au dossier [***Dossier B***]
1) Aperçu
2) Activités [***d’enquête***] du Service
4) Illégalité et exclusion d’informations
a) Autorisation du Service de mener [***l’enquête***]
b) [***Communication électronique***]
c) [***Appareil électronique***]
d) Communication de l’identité d’une source humaine
VI. Renonciation au secret professionnel de l’avocat
VII. Observations finales
I. Aperçu [Retour à la table des matières]
[1] Un juge désigné peut-il fonder, sur des informations recueillies illégalement, sa décision de décerner un mandat en vertu de l’article 21 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C- 23 (Loi sur le SCRS)? Dans l’affirmative, quels facteurs devrait-il prendre en considération? Il s’agit de questions inédites et importantes.
[2] La possibilité que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou Service) ou ses agents aient recueilli illégalement des informations ayant servi à étayer la demande de mandats constitue un autre élément extrêmement pertinent quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge désigné de décerner un mandat.
[3] Malheureusement, ni le Service ni l’avocat du procureur général du Canada (procureur général) n’ont porté à l’attention de la Cour la question de la collecte illégale d’informations dans le cadre de demandes de mandats récentes. Elle a plutôt été soulevée par suite de questions posées par le juge Simon Noël relativement à la demande de mandats dans le dossier [***Dossier A***]
[4] Le fait que le Service et ses avocats n’aient pas soulevé le problème de la possible illégalité de la collecte d’informations, qui a une incidence directe sur le contrôle judiciaire de la demande, remet en question la volonté et la capacité de respecter l’obligation de franchise. Comment et pourquoi un tel manquement aussi fondamental à l’obligation de communiquer à la Cour, pleinement et en toute franchise, toutes les informations touchant à la demande a-t-il pu se produire? Quelles sont les conséquences de ce manquement?
[5] Au cours du déroulement de l’instance, le problème de l’illégalité s’est cristallisé, et le Service a avisé la Cour qu’il avait fondé au moins deux autres demandes de mandats sur des informations susceptibles d’avoir été recueillies illégalement, c’est-à-dire dans les dossiers [***Dossier C***] (relevant de la juge Catherine Kane) et [***Dossier D***] (relevant du juge Henry Brown). Ce constat donne lieu à d’autres questions : un juge désigné peut-il invalider un mandat décerné au Service s’il est révélé, par la suite, que celui-ci a manqué à son obligation de franchise en taisant la possibilité que des informations aient été recueillies illégalement? Qu’en est-il de la conservation et de l’utilisation des informations recueillies en vertu d’un mandat ainsi invalidé?
[6] Lorsqu’il a pris connaissance de ces questions, le juge Richard Mosley, qui coordonnait alors les instances désignées, a convoqué une audience en formation plénière en février 2019, qui a été suivie d’audiences portant sur les questions d’intérêt commun présidées par les trois juges désignés saisis des trois demandes touchées par le problème de l’illégalité : moi-même (ayant repris le dossier [***Dossier A***] du juge Noël), la juge Kane et le juge Brown. Au cours de la majeure partie de l’année 2019, siégeant ensemble, mais chacun saisi de son propre dossier, nous avons pris connaissance d’éléments de preuve et reçu des observations ayant trait aux trois demandes, c’est-à-dire portant sur le manquement à l’obligation de franchise et aux circonstances qui l’ont entraîné.
[7] Messieurs Gordon Cameron et Matthew Gourlay ont été nommés amici curiae (amici) pour le dossier [***Dossier B***], l’audience en formation plénière et les audiences sur les questions d’intérêt commun.
[8] Les présents motifs sont très longs. Je commence par donner une vue d’ensemble de l’instance, puis je mets en contexte 1) la question de la collecte illégale et son incidence en l’espèce, 2) les processus qui auraient dû permettre au Service de soulever le problème de l’illégalité possible d’activités de collecte, ainsi que 3) les réformes législatives entreprises pour régler le problème de l’illégalité à l’avenir. Je m’attarde ensuite à chacune des nombreuses questions juridiques soulevées en l’espèce avant de me pencher sur celles qui découlent des dossiers [***Dossier A***] et [***Dossier B***].
[9] Au cours de l’instance, le directeur du Service a renoncé au secret professionnel de l’avocat à propos d’avis juridiques donnés au Service quant à l’immunité de l’État et au problème de l’illégalité dans ce contexte. Dans des observations orales, l’avocat du procureur général a laissé entendre que la renonciation n’avait pas été faite entièrement de plein gré. Bien qu’il en ait eu la possibilité, l’avocat n’a pas apporté d’autres précisions à ce sujet. À la fin du jugement, j’aborde brièvement ces circonstances en raison de l’importance primordiale du secret professionnel de l’avocat.
II. Instances [Retour à la table des matières]
[10] Les questions dont je suis saisi découlent de la demande de mandats faite par le Service en mars 2018, dans le dossier [***Dossier A***], en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le SCRS, dans le cadre de son enquête sur le terrorisme islamiste et les [***] cibles des mandats mentionnées dans l’intitulé.
A. Dossier [***Dossier A***] [Retour à la table des matières]
[11] Le juge Noël a d’abord été saisi de la demande dans ce dossier. En avril 2018, il a présidé une audience ex parte au cours de laquelle il a soulevé des préoccupations, notamment à propos des activités de collecte du Service mentionnées dans l’affidavit à l’appui et d’allusions à l’une des [***] cibles, qui aurait apparemment été une [***]. En outre, il a demandé s’il était possible que des sommes qui, selon le déposant, avaient été versées à une personne [traduction] « aient pu servir à des activités terroristes », soulignant que le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (Code criminel), fait état d’une telle situation.
[12] Les réponses données à nombre de ses questions n’ont pas satisfait le juge Noël. L’avocat du procureur général a entrepris de fournir d’autres informations. En fin de compte, dans son examen de la demande, le juge Noël a exclu toute information obtenue grâce aux méthodes qu’il avait remises en question ou qui était liées à d’autres sources de préoccupation. Estimant qu’il restait ensuite suffisamment d’informations fiables pour que la demande réponde aux exigences de l’article 21 de la Loi sur le SCRS, le juge Noël a décerné les mandats, mais est demeuré saisi de la demande afin de faire le suivi des engagements.
[13] La réponse aux engagements donnée par l’avocat du procureur général a provoqué d’autres échanges avec la Cour. Une conférence de gestion d’instance a été tenue en mai 2018. En juin 2018, une nouvelle avocate du procureur général a pris le dossier en charge et a reconnu par écrit à la Cour que la demande, y compris le précis des sources humaines, comportait des erreurs et des omissions. En guise de solution, elle a proposé que le Service présente une nouvelle demande contre les mêmes cibles. L’avocate a ensuite confirmé que les erreurs et les omissions ne concernaient pas les informations sur lesquelles le juge Noël s’était fondé pour décerner les mandats.
[14] Le juge Noël a demandé au juge en chef de réassigner l’affaire. En juin 2018, j’ai pris ce dossier en charge.
[15] En juillet 2018, lors d’une conférence de gestion d’instance, l’avocate du procureur général a confirmé l’intention du Service de faire une nouvelle demande qui serait plus complète et corrigerait les lacunes relevées dans la première. L’avocate estimait que cette démarche aurait deux objectifs : rassembler dans le même document les informations pertinentes présentées auparavant sous différentes formes et offrir une tribune permettant de prendre connaissance de l’ensemble de la preuve et des observations sur les questions importantes soulevées dans le dossier [***Dossier A***]
B. Dossier [***Dossier B***] [Retour à la table des matières]
[16] En septembre 2018, le Service a présenté la nouvelle demande, à laquelle le numéro de dossier [***Dossier B***] a été attribué. En octobre 2018, à l’audition de la demande, j’ai conclu qu’il était pertinent de répondre aux questions en suspens du dossier [***Dossier A***] pour déterminer quelles informations devaient être prises en considération en appui à la demande. Puisque les mandats décernés dans le dossier [***Dossier A***] étaient toujours en vigueur, j’ai pris en délibéré la décision relative à la demande dans l’attente de l’examen des questions juridiques sous-jacentes.
[17] En novembre 2018, j’ai entendu des observations en vue de circonscrire les questions juridiques découlant des dossiers [***Dossier A***] et [***Dossier B***]. En décembre 2018, j’ai émis une directive établissant les questions à l’intention du procureur général et des amici. Comme il en est question plus loin, les questions relatives à l’obligation de franchise et à l’illégalité ont beaucoup évolué en janvier et en février 2019. Il était devenu manifeste qu’il faudrait du temps pour décortiquer les questions en suspens découlant du dossier [***Dossier A***].
[18] En avril 2019, dans le dossier [***Dossier B***] j’ai pris connaissance d’éléments de preuve et d’observations mis à jour. Après avoir exclu les informations mentionnées dans mon ordonnance supplémentaire du 4 avril 2019, j’étais convaincu que les éléments de preuve restants répondaient aux exigences de l’article 21 de la Loi sur le SCRS. J’ai décerné les mandats jusqu’au 5 juillet 2019, et je suis demeuré saisi de la demande afin d’assurer le suivi des questions en suspens.
C. Avis à la Cour [Retour à la table des matières]
[19] Le 18 janvier 2019, l’avocat général principal du Groupe litiges et conseils en sécurité nationale (GLCSN) — qui, au ministère de la Justice, est chargé de représenter et de conseiller le Service — a écrit à la Cour pour l’aviser que le Service, en préparant des demandes de renouvellement et des demandes supplémentaires relatives aux mandats, avait réalisé que certaines des informations utilisées dans deux demandes distinctes — les dossiers [***Dossier C***] (relevant de la juge Kane) et [***Dossier D***] (relevant du juge Brown) — découlaient d’activités susceptibles d’être illégales. Dans les deux cas, le Service s’était vu décerner les mandats demandés. Selon l’avocat général principal, le Service tentait de déterminer si le problème s’était présenté en d’autres circonstances.
[20] Annexé à la lettre se trouvait un document intitulé [traduction] « Instructions provisoires sur la conduite d’opérations impliquant probablement la commission d’infractions criminelles », produit la veille par la sous-directrice des Opérations du Service. Selon le document, le Service n’allait plus approuver d’opérations probablement illégales, car elles comportaient des « risques juridiques élevés », et allait examiner toute opération de cette nature en cours afin d’en atténuer l’éventuel caractère illégal.
D. Conférence de gestion d’instance de janvier 2019 [Retour à la table des matières]
[21] En réaction à la lettre de l’avocat général principal, le juge Mosley, en sa qualité — à l’époque — de coordonnateur des instances désignées, a convoqué une conférence de gestion d’instance le 21 janvier 2019 qu’il a co-présidé avec la juge Kane, car le juge en chef Crampton, le juge Brown et moi-même étions à l’extérieur de la ville à ce moment. L’avocat général principal du GLCSN y a représenté le Service. Il a confirmé que des gestes posés par le Service ou des sources humaines agissant pour son compte avaient probablement contrevenu aux dispositions antiterroristes du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, que le Service avait isolé dans ses bases de données les informations recueillies en vertu des mandats décernés par la juge Kane et le juge Brown, que les informations recueillies dans le cadre des activités de collecte en cours étaient uniquement examinées dans la mesure nécessaire pour déterminer si elles faisaient état d’un danger imminent, et que le Service tentait de déterminer si des informations utilisées pour obtenir d’autres mandats en vigueur découlaient d’activités illégales.
E. Audience en formation plénière [Retour à la table des matières]
[22] Le 29 janvier 2019, par suite de la lettre du 18 janvier et de la conférence de gestion d’instance du 21 janvier, le juge Mosley a convoqué une audience en formation plénière, soulignant au passage les problèmes d’illégalité soulevés par le Service et signalant que de nouveaux affidavits avaient été présentés le 25 janvier 2019 dans le dossier [***Dossier B***]
[23] Les nouveaux éléments de preuve dans le dossier [***Dossier B***] comprenaient deux affidavits de documents qui avaient une incidence sur les grandes questions en l’espèce.
[24] Selon le premier, le directeur du Service avait renoncé au secret professionnel de l’avocat quant à six avis juridiques traitant de la possibilité que le Service bénéficie de l’immunité de l’État. Trois de ces avis y étaient annexés à titre de pièces, dont deux, datés de janvier 2017 et de janvier 2019, concluaient que le Service ne pouvait pas enfreindre le Code criminel sous le couvert de l’immunité de l’État.
[25] Le second faisait état des trois autres avis juridiques pour lesquels le Service avait renoncé au secret professionnel de l’avocat. Ces avis font partie intégrante de documents démontrant l’examen et l’approbation, par le Service, d’opérations impliquant des sources humaines.
[26] L’audience en formation plénière a eu lieu le 21 février 2019 en présence de tous les juges désignés disponibles. Les juges saisis des demandes en l’espèce en ont assuré la présidence lorsque les questions les concernant spécifiquement ont été abordées. D’entrée de jeu, le juge en chef a expliqué que la Cour cherchait à mieux comprendre les [traduction] « grandes questions » communes aux trois demandes, ainsi que leurs « répercussions possibles » sur d’autres mandats.
[27] L’audience a permis de confirmer que les problèmes relatifs à l’obligation de franchise et à l’illégalité touchaient aux affaires dont la juge Kane, le juge Brown et moi-même étions saisis, et qu’il faudrait des éléments de preuve pour les aborder. L’avocat du procureur général a précisé qu’il allait déposer de nouveaux éléments de preuve donnant des détails sur le problème de l’illégalité dans chaque dossier et faisant le point sur l’état des connaissances en la matière, tant au Service qu’au ministère de la Justice.
F. Directive initiale du juge en chef [Retour à la table des matières]
[28] Après l’audience, le juge en chef a émis une directive se voulant une réponse initiale aux préoccupations de la Cour quant à l’obligation de franchise et soulignant l’importance de cette dernière. Dans sa directive, le juge en chef a réitéré que le Service était assujetti aux obligations de franchise et de bonne foi la plus absolue et a souligné que la preuve présentée jusqu’alors donnait à penser que le cas de non-communication signalé dans la lettre du 18 janvier pouvait être un symptôme de défaillances systémiques au Service et au ministère de la Justice. Le juge en chef a exigé en outre que les déposants fassent figurer des éléments d’énoncé portant sur l’obligation de franchise dans les affidavits à l’appui, notamment, s’il y a lieu, une déclaration attestant que les informations sur lesquelles se fonde la demande n’ont pas été obtenues au moyen d’activités soulevant de réelles préoccupations sur le plan de l’illégalité. Dans sa directive, il a aussi exigé l’ajout d’éléments ayant trait à l’obligation de franchise dans l’énoncé de chaque ébauche de mandats soumise à la Cour.
[29] En avril 2019, l’avocat général principal du GLCSN a répondu par écrit à la Cour. Il a confirmé l’intention du Service de se conformer à l’esprit de la directive, mais a exprimé des préoccupations quant au libellé des énoncés concernant l’obligation de franchise. Il a proposé de présenter des modifications à l’attention de la Cour et a informé celle-ci que des instructions de procédure seraient données aux avocats du GLCSN relativement aux préoccupations du juge en chef. En avril 2019, ces instructions ont été communiquées à la Cour. En voici un extrait.
[traduction] Le Service ne fondera pas ses demandes de mandats sur des informations découlant d’activités illégales menées par lui-même ou ses sources. Dans les demandes de mandats, le Service doit porter à l’attention de la Cour toute activité illégale ou dont la légalité pourrait être mise en doute, et ce, pour que celle-ci puisse évaluer pleinement toute circonstance pouvant raisonnablement avoir une incidence sur sa décision de décerner le mandat.
[30] En septembre 2019, l’avocat général principal du GLCSN a donné d’autres instructions de procédure traitant de la communication d’informations relatives à des sources humaines dans les demandes de mandats.
[31] Récemment, par suite d’une autre directive du juge en chef, des observations et des propositions de modifications visant à répondre aux préoccupations du Service quant aux libellés proposés ont été présentées. Le juge en chef demeure saisi de la directive et de sa mise en œuvre, et rien dans le présent jugement n’invalide ni ne renverse la directive du juge en chef ni les questions qui en découlent et qui sont maintenant à l’étude à la lumière des observations de l’amicus curiae nommé par le juge en chef.
G. Audiences sur les questions d’intérêt commun [Retour à la table des matières]
[32] La demande originale au dossier [***Dossier A***] a donné lieu à une très longue instance devant la Cour. La preuve déposée dans chacun des trois dossiers [***Dossier C, Dossier B***] et [***Dossier D***] ainsi que dans le dossier [***Dossier A***] constituent une partie du dossier de l’instance sur les questions d’intérêt commun. Au fil des audiences, de nouveaux éléments de preuve jugés pertinents ont été reconnus, ce qui a entraîné la production de documents, le dépôt d’affidavits supplémentaires et l’audition de témoins, notamment après l’audition d’observations orales en juin 2019.
[33] Au total, quatorze déposants ont comparu relativement au dossier [***Dossier B***] et lors des audiences sur les questions d’intérêt commun. Il s’agissait de cadres supérieurs anciens et actuels du Service et du ministère de la Justice. Quelques-uns d’entre eux ont présenté plusieurs affidavits supplémentaires. Onze des quatorze déposants ont livré des témoignages et été contre-interrogés par les amici. Chacun d’eux a accepté de témoigner sur demande sans qu’il soit nécessaire de délivrer d’assignation à comparaître. Trois déposants ont demandé et se sont vu accorder qualité restreinte pour comparaître, et tous trois ont déposé de brèves représentations écrites, comme ils en avaient le droit.
[34] Pendant 24 jours, la Cour a présidé des conférences de gestion d’instances et a entendu témoignages et observations orales. La dernière d’audience a été 1er novembre 2019, et les dernières observations écrites ont été déposées au greffe le 28 novembre 2019. Le 23 mars 2020, le Service a présenté un affidavit supplémentaire comprenant une copie du rapport d’un examen récent sur l’utilisation d’informations provenant de sources humaines dans le dossier [***Dossier D***] J’aborde brièvement ce rapport dans mes observations finales.
[35] À titre informatif, un résumé de l’instance dans le dossier [***Dossier B***] et de celle sur les questions d’intérêt commun, une liste des déposants selon leur titre, les dates de dépôt des affidavits ainsi que les dates d’audiences se trouvent à l’annexe A, aux appendices 1 à 4. Les appendices 5 et 6 dressent la liste des principaux avis juridiques pour lesquels il y a eu renonciation au secret professionnel de l’avocat ainsi que des rapports du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) ayant trait aux questions soulevées.
III. Contexte [Retour à la table des matières]
A. À quoi est attribuable le problème de l’illégalité? [Retour à la table des matières]
1) Le Service doit agir dans le respect de la loi [Retour à la table des matières]
[36] En vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur le SCRS, le Service a le mandat d’enquêter sur les menaces pour la sécurité du Canada, notamment la menace terroriste que constituent des personnes ou des groupes prêts à recourir aux menaces ou à la violence à des fins politiques, religieuses ou idéologiques, c’est-à-dire l’alinéa c) de la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » donnée à l’article 2. Le mandat antiterroriste du Service est difficile à exécuter, et l’échec a des conséquences importantes. Pour s’acquitter de cette tâche, le Service doit repérer les personnes qui représentent une menace pour la sécurité du Canada et obtenir l’accès auprès d’elles. Pour ce faire, il a recours à une gamme d’outils qui n’est toutefois pas illimitée, malgré l’importance de son rôle en matière de sécurité nationale.
[37] Le Service est restreint par ce que les amici ont appelé à juste titre son [traduction] « engagement fondamental » envers la collecte légale de renseignements. Cet engagement tire son origine du rapport de la Commission McDonald de 1981, qui a eu un rôle prépondérant dans l’élaboration de la Loi sur le SCRS.
[…] la règle de droit doit être respectée dans toutes les opérations de sécurité. Cette expression a donné lieu à diverses interprétations mais retenons le sens qu’en donne l’auteur anglais, A. V. Dicey, lorsqu’il écrit :
[…] ici, chacun, quel que soit son rang ou sa condition, tombe sous le coup de la loi ordinaire du royaume et ressortit à la juridiction des tribunaux ordinaires […]. Pour nous, tout serviteur de l’État, du premier ministre au simple agent de police ou percepteur d’impôt, doit répondre comme tout autre citoyen des actes posés sans justification légale.
Quant à nous, cela signifie que les policiers et les membres d’un service de sécurité, de même que les hauts fonctionnaires et ministres qui les autorisent à agir, ne sont pas au-dessus des lois. Les membres du Service de sécurité ne devraient pas être libres d’enfreindre la loi au nom de la sécurité nationale. S’ils estiment que la loi ne leur accorde pas suffisamment de pouvoirs pour assurer la sécurité de l’État, les responsables de la sécurité doivent tenter de convaincre les législateurs, en l’occurrence le Parlement et les assemblées législatives des provinces, de modifier la loi. Ils doivent éviter d’y passer outre. C’est là une condition de toute société libérale. Il serait donc inacceptable de souscrire à l’opinion qui, à notre connaissance, a été exprimée au sein de la GRC et selon laquelle il n’appartient pas à un tribunal mais à l’Exécutif, lorsqu’il y a conflit, de concilier les exigences de la sécurité nationale et la liberté de l’individu.
(Bureau du Conseil privé du Canada, Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, Deuxième rapport : La liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1, partie II, 1981 (rapport de la Commission McDonald), aux pages 45 et 46; voir aussi le vol. 2, partie VI, à la page 776, au paragraphe 135) (Non souligné dans l’original; renvois omis.)
[38] Diverses dispositions de la Loi sur le SCRS concordent avec l’opinion exprimée dans le rapport de la Commission McDonald, soit que « la règle de droit [la primauté du droit] doit être respectée dans toutes les opérations de sécurité » (paragraphes 12.1(3.4); articles 20 et 21). En outre, la jurisprudence confirme que le Service est tenu de respecter la primauté du droit. Dans la décision X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567, le juge Noël a écrit que « la Loi sur le SCRS [doit] être interprété[e] avec prudence pour garantir une atteinte minimale à nos libertés les plus fondamentales, tout en veillant à ce que la primauté du droit soit respectée » (aux paragraphes 22 à 26; voir aussi X (Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396 (Données connexes), aux paragraphes 129 à 132).
[39] Le ministre peut émettre à l’intention du directeur du Service des directives écrites, communément appelées « instructions du ministre », portant sur la gestion de l’organisation (paragraphes 6(1) et (2) de la Loi sur le SCRS). Le ministre a exercé ce pouvoir au sujet de la conduite des opérations et de la responsabilité du Service (Instructions du ministre sur les opérations et la reddition de comptes (instructions du ministre de 2015), approuvées le 31 juillet 2015 par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui remplacent les instructions du ministre de 2008 sur les opérations ainsi que celles de 2001 sur la responsabilité et la reddition de comptes). Selon les instructions du ministre de 2015, le respect de la primauté du droit est le principe directeur de la conduite des opérations du Service.
Le gouvernement et la population du Canada s’attendent à ce que le Service canadien du renseignement de sécurité (le Service) assume efficacement les responsabilités qui lui sont conférées en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS). Ils s’attendent également à ce que le Service exerce ses fonctions dans le respect de la primauté du droit et des droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.
Conformément au paragraphe 6(2) de la Loi sur le SCRS, je donne les instructions qui suivent concernant mes attentes envers le Service en ce qui a trait à la réalisation de ses activités.
PRINCIPES FONDAMENTAUX
Toutes les activités du Service reposent sur les principes fondamentaux suivants :
● La primauté du droit est respectée. [Non souligné dans l’original.]
[40] Ainsi, le rapport de la Commission McDonald, la Loi sur le SCRS, la jurisprudence et les instructions du ministre de 2015 contraignent le Service à mener ses activités dans le respect de la loi.
2) Le principe de l’immunité de l’État [Retour à la table des matières]
[41] La collecte de renseignements visant à faire progresser l’enquête sur les menaces terroristes qui pèsent sur le Canada comporte d’importants défis opérationnels. Sans surprise, il arrive que le respect de la primauté du droit, surtout lorsque la législation évolue ou subit des modifications, complique le contexte dans lequel le Service et ses dirigeants doivent mener leurs activités, notamment dans la foulée des attentats terroristes perpétrés en 2001 aux États-Unis.
[42] À la suite de ces attentats, le législateur a adopté la Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch. 41, qui a eu pour effet d’élargir la portée des infractions de terrorisme mentionnées dans le Code criminel (à titre de référence, la partie II.1 [articles 83.01 à 83.33] du Code criminel constitue l’annexe B des présents motifs). Entre autres, la Loi antiterroriste a criminalisé la fourniture et la prestation de biens ou de services financiers ou connexes, soit dans l’intention d’en faire bénéficier toute personne qui se livre à une activité terroriste ou la facilite, soit en sachant qu’un groupe terroriste en bénéficiera (article 83.03 du Code criminel). Cette disposition a compliqué la tâche du Service. En effet, gagner l’accès auprès de cibles d’enquêtes de sécurité nationale portant sur le terrorisme exige parfois de fournir de l’argent ou des biens à de telles personnes. Ni les modifications apportées par la Loi antiterroriste ni la Loi sur le SCRS telle qu’elle était libellée en 2001 n’exemptaient le Service de se conformer aux dispositions élargies sur le terrorisme.
[43] Partant, certaines des activités du Service pouvaient impliquer une responsabilité criminelle. S’appuyant sur le principe de l’immunité de l’État et conseillé par le procureur général, le Service a conclu qu’aucune responsabilité criminelle n’était en cause dans ces circonstances.
[44] Le principe de l’immunité de l’État établit la présomption selon laquelle l’État n’est pas assujetti aux lois, sauf à celles qui précisent expressément qu’elles lient l’État, dont l’intention manifeste est de lier l’État, ou qui seraient inefficaces ou donneraient lieu à une absurdité si l’État n’était pas lié (Alberta Government Telephones c. (Canada) Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 225, à la page 281). Ce principe est exprimé à l’article 17 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21. Partant, le Service estimait être en mesure de mener des activités qui, à première vue, contrevenaient au Code criminel, puisque l’immunité de l’État dégageait ses employés et sources humaines de toute responsabilité criminelle et lui permettait donc d’agir légalement.
3) L’évolution des avis juridiques [Retour à la table des matières]
[45] Depuis longtemps, le principe de l’immunité de l’État fait l’objet de discussions et soulève des préoccupations entre le Service et le ministère de la Justice. Le débat a été lancé dans la foulée de l’arrêt R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565 (Campbell), dans lequel la Cour suprême du Canada traitait du principe de l’immunité de l’État dans le contexte de l’application de la loi. La Cour suprême a conclu que des policiers qui s’étaient fait passer pour des vendeurs de drogue et qui avaient offert de vendre leur produit à des dirigeants d’une organisation de trafic de drogue avaient enfreint la loi et ne bénéficiaient pas de l’immunité de l’État. En réaction, le législateur a créé un régime légal permettant aux policiers d’obtenir au préalable l’autorisation de commettre des actes par ailleurs illégaux dans un objectif valable d’exécution de la loi (article 25.1 du Code criminel). Ce régime ne s’applique pas au Service, à ses employés, ni à ses sources humaines.
[46] En avril 2002, après l’adoption de la Loi antiterroriste, le ministère de la Justice a produit un avis étudiant la possibilité que l’État soit lié par les modifications au Code criminel. Selon cet avis, conformément au principe de l’immunité de l’État, de manière générale, l’État n’était pas lié par les dispositions ajoutées au Code criminel par la Loi antiterroriste. L’avis soulignait toutefois que l’arrêt cité en appui — Canadian Broadcasting Corp. v. Attorney General (Ontario), [1959] R.C.S. 188 — était désuet, et [traduction] qu’« il n’[était] pas totalement manifeste que la Cour suprême en arriverait aujourd’hui aux mêmes conclusions si la question était expressément soulevée dans le cadre d’une affaire ».
[47] En 2004, le Service a demandé conseil à sa Sous-section des services juridiques relevant du ministère de la Justice (il s’agit maintenant du GLCSN; il en est fait mention sous cette appellation dans les présentes) quant à la responsabilité éventuelle de sources humaines et de leurs officiers traitants qui pourraient mener des activités qui, à première vue, contreviennent aux dispositions antiterroristes du Code criminel. Le GLCSN a conclu que l’immunité de l’État dégageait les sources humaines du Service et leurs officiers traitants de toute responsabilité criminelle. Cet avis était fondé sur celui de 2002, dont il a aussi repris les mises en garde, à savoir que l’immunité de l’État ne saurait être considérée comme un « remède miracle » aux actes susceptibles d’être illégaux devant permettre au Service d’exécuter son mandat. Le GLCSN y conseillait de procéder à une réforme législative pour dissiper l’incertitude à ce sujet.
[48] En avril 2005, dans un échange de courriels entre des cadres supérieurs du Service et des avocats du GLCSN, ces derniers ont donné des conseils de même nature, qualifiant cette vision des choses de [traduction] « position officielle » du ministère de la Justice. Selon les avocats du GLCSN, l’avis de 2002 avait peu de valeur, et le principe de l’immunité de l’État souffrait de l’absence d’appuis au sein de la communauté universitaire et d’appuis récents dans le milieu judiciaire.
[49] Selon le témoignage de l’ancienne avocate générale principale du GLCSN, la question a été soulevée au cours de son mandat de neuf ans, de 2009 à 2018. Au début de 2011, elle a entrepris des travaux visant la rédaction d’un document de réflexion sur la question au sein du GLCSN. En avril 2013, cette démarche a donné lieu à un nouvel avis juridique selon lequel il était peu probable que le Service invoque avec succès l’immunité de l’État et qui recommandait une solution législative. Dans l’avis, le GLCSN soulignait que les instructions du ministre en vigueur exigeaient que le Service respecte la primauté du droit et que ses sources humaines mènent pour son compte des activités exemptes d’actes illégaux. Le GLCSN concluait que ces facteurs rendraient difficile la commission d’actes illégaux nécessaires à l’atteinte d’objectifs liés au mandat.
[50] En septembre 2013, l’avocate générale principale du GLCSN a soumis l’avis de 2013 au Comité des litiges du Service. Après en avoir pris connaissance, le Comité a décidé d’envisager de faire modifier les instructions du ministre afin qu’elles tiennent compte de la possibilité d’invoquer l’immunité de l’État, et de documenter les mesures législatives proposées pour assurer que le Service soit en mesure de procéder aux réformes nécessaires s’il en avait la possibilité. Comme il en est question plus loin, il semble qu’une modification aux instructions du ministre portant sur la possibilité d’invoquer l’immunité de l’État ait été demandée sans succès en 2015.
[51] Dans son rapport annuel de 2014-2015, le CSARS [CSARS Rapport annuel 2014–2015 : Vers de nouveaux horizons : préparer le terrain du changement dans la surveillance des activités de renseignement de sécurité] — organisme de contrôle qui était alors chargé de veiller à ce que le Service fasse usage de ses pouvoirs adéquatement et en toute légalité — a soulevé des préoccupations quant à la possibilité que des opérations fondées sur des sources humaines enfreignent le Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur Al-Qaïda et le Taliban, DORS/99-444. Il a recommandé au Service de se donner des mécanismes internes permettant d’assurer qu’aucune opération de cette nature n’enfreigne ce règlement ou tout autre règlement fédéral ou loi fédérale similaire. Cette étude du CSARS n’était pas la première à signaler la possibilité que le Service et ses sources humaines puissent être impliqués dans des activités criminelles. En effet, en 2009, le CSARS a traité précisément des répercussions des dispositions antiterroristes du Code criminel, soulignant que [traduction] « les activités considérées comme des infractions à la Loi antiterroriste pourraient susciter la controverse […] et devraient faire l’objet d’une reddition de compte rigoureuse » (Étude du CSARS no 2008-04, Examen d’une opération faisant appel à des sources humaines). En fait, comme il en est question plus loin, le rapport annuel 2014-2015 ne constituait pas non plus le dernier mot du CSARS sur cette question. Les études pertinentes du CSARS sont énumérées à l’appendice 6 de l’annexe A.
[52] Il vaut la peine de souligner qu’à l’instar du CSARS à l’époque, son successeur — l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement — a accès à toute information en la possession du Service dans le cadre de ses travaux, dont celles qui sont protégées par tout privilège reconnu par le droit de la preuve, y compris par le secret professionnel de l’avocat (articles 9 à 12 de la Loi sur l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, L.C. 2019, ch. 13).
[53] En mai 2016, par suite d’un examen approfondi de la stratégie et des opérations fondées sur des sources ouvertes du Service ayant trait aux combattants étrangers (Un examen de l’enquête du SCRS sur les « combattants étrangers » canadiens, septembre 2015 (étude sur les combattants étrangers)), le CSARS a recommandé au Service de demander des précisions sur la possibilité que l’immunité de l’État protège ses employés et sources humaines des dispositions antiterroristes du Code criminel. Dans cette recommandation, le CSARS a cité ce qu’il a décrit comme un avis préliminaire du GLCSN sur la question de l’immunité de l’État dans le cadre de l’opération qui faisait l’objet de l’examen, qui qualifiait de [traduction] « zone grise » la capacité du Service d’invoquer l’immunité de l’État. Le CSARS a aussi été mis au fait de l’avis de 2013. Le CSARS a repris la recommandation susmentionnée dans son rapport annuel de 2015–2016 [CSARS Rapport annuel 2015–2016 : Sur notre lancée].
[54] En juillet 2015, le ministre a donné au Service ses instructions de 2015 mises à jour. Dans ses préparatifs connexes, le Service a cherché à faire inclure un passage qui préciserait que ses employés et ses sources humaines, par ailleurs tenus à légalité, bénéficieraient d’une exemption fondée sur l’immunité de l’État. En juin 2015, la sous-ministre adjointe de la sécurité publique, de la défense et de l’immigration au ministère de la Justice a traité cette demande et précisé que le Service ne bénéficiait probablement pas de l’immunité de l’État :
[traduction] Le ministère de la Justice n’est pas en mesure de fournir un tel libellé, car, selon lui, il est peu probable que les sources humaines puissent invoquer l’immunité de l’État comme moyen de défense si elles mènent des activités qui constituent des infractions au Code criminel ou à d’autres lois. En outre, le ministère estime qu’il est peu probable que le SCRS lui-même (y compris ses représentants et ses employés) bénéficierait de l’immunité de l’État relativement à de telles activités. Le fait de reconnaître l’immunité de l’État au SCRS ne s’accorde pas avec la Loi sur le SCRS, qui traite explicitement des activités illégales. À titre d’exemple, le paragraphe 20(2) exige du directeur qu’il fasse rapport au ministre des actes qui peuvent avoir été accomplis selon lui illicitement par des employés du Service dans l’exercice censé tel de leurs fonctions.
[…]
Les nouvelles dispositions de réduction de la menace [de la Loi sur le SCRS] vont aussi dans le sens de cette opinion […] La Loi sur le SCRS réfute maintenant tout argument selon lequel les activités qui contreviennent aux lois fédérales peuvent légitimement être considérées comme « allant dans le sens » des objectifs de l’État, qu’elles soient menées par des sources, des représentants ou des employés du SCRS. [Non souligné dans l’original.]
[55] Celle qui était alors l’avocate générale principale du GLCSN souligne l’importance de cet avis dans lequel, pour la première fois, le ministère de la Justice exprime sans équivoque au Service qu’il ne jouit probablement pas de l’immunité de l’État.
[56] Il est intéressant de constater que ni le Service ni le GLCSN n’ont communiqué au CSARS l’avis de juin 2015 tandis que ce dernier préparait l’étude sur les combattants étrangers. En outre, ils ne le lui ont pas communiqué en réponse à sa recommandation voulant que le Service cherche à préciser s’il pouvait invoquer le principe de l’immunité de l’État, et ce, même si le CSARS avait accès à l’avis juridique, qui avait un lien direct avec l’étude, allait dans le sens contraire de l’avis précédent et, selon toute apparence, répondait pleinement à la recommandation voulant que le Service demande des précisions juridiques sur la protection offerte par le principe.
[57] En octobre 2015, le GLCSN a préparé par écrit un autre avis à l’intention du Service sur la question de l’immunité de l’État qui contredisait l’avis sans équivoque de juin 2015 de la sous-ministre adjointe de la sécurité nationale, de la défense et de l’immigration. Selon les avocats du GLCSN, le ministère de la Justice maintenait que le Service [traduction] « pouvait invoquer » l’immunité de l’État, mais l’avertissait qu’un climat d’incertitude entourait l’applicabilité du principe et que son invocation, si l’affaire devait faire l’objet d’un examen judiciaire, avait des chances de réussite « de moyennes à faibles ». Après en avoir pris connaissance, l’avocate générale spéciale du GLCSN a soutenu que l’avis de 2015, trop favorable, selon elle, au principe de l’immunité de l’État, n’en était pas à une version définitive. L’avis a cependant été remis au sous-directeur des Opérations du Service.
[58] La recommandation du CSARS a mené le GLCSN à préparer un nouvel avis juridique qu’il a communiqué au directeur du Service en janvier 2017 et dans lequel il a conclu que le Service ne bénéficie pas de l’immunité de l’État. Le directeur a reconnu que le Service ne pouvait plus s’en remettre à l’immunité de l’État, ce qui allait avoir une grande incidence sur ses opérations. Le directeur a souhaité discuter de l’avis et de possibles solutions législatives avec le sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le sous-ministre de la Justice ainsi que le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement.
[59] Au cours de la réunion, le sous-ministre de la Justice a avancé que de hauts fonctionnaires du ministère allaient étudier l’avis. Le ministère informerait ensuite le directeur et le sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du résultat de l’examen et de l’existence possible de solutions valables qui ne nécessiteraient pas de réforme législative.
[60] Selon ce qu’en a compris le directeur, l’examen du ministère de la Justice allait donner lieu à la production, dans un avenir relativement rapproché, d’un avis définitif sur l’immunité de l’État. Entre-temps, selon le directeur, le Service n’aurait pas d’autres assises pour entreprendre des opérations qui, à première vue, enfreindraient le Code criminel. Le directeur a alors cessé d’approuver de telles opérations.
[61] Le ministère de la Justice n’a pas fourni de nouvel avis au Service dans les semaines ou les mois qui ont suivi : il ne l’a jamais fait. Le directeur ou ses subordonnées se sont-ils renseignés sur la progression de l’examen? Ce n’est pas clair. Toute demande de cette nature a eu une portée limitée et a été faite de manière informelle.
[62] La preuve établit bel et bien qu’à la suite de la réunion au sommet tenue à la fin de janvier 2017, le ministère de la Justice a préparé une version préliminaire d’un avis juridique à l’intention du sous-ministre, comme le directeur avait cru comprendre. Dans cet avis préliminaire, le ministère en arrivait à la même conclusion que dans celui de 2017 : le Service ne jouissait pas de l’immunité de l’État. Le ministère de la Justice n’a pas produit de version définitive de cet avis et ne l’a pas communiqué au directeur du Service.
[63] Les avocats du GLCSN ont continué de conseiller le Service sur l’immunité de l’État dans le contexte d’opérations particulières fondées sur des sources humaines. Cette démarche s’inscrivait dans les évaluations des risques opérationnels que le Service devait effectuer conformément aux instructions du ministre de 2015. Ces conseils ne constituaient pas une réponse à l’attente qu’avait le Service, surtout son directeur, que le ministère de la Justice allait produire un nouvel avis sur la question de l’immunité de l’État.
[64] En l’absence d’un nouvel avis, le Service a poursuivi les opérations comportant des risques juridiques élevés déjà approuvées. L’approbation de nouvelles opérations, interrompue en raison de l’avis de janvier 2017, a repris à la fin de mars 2017. Il s’agissait d’opérations qui, selon l’avis, étaient illégales.
B. Processus du Service [Retour à la table des matières]
[65] Selon la preuve, deux processus ont eu une importance particulière quant au manquement à l’obligation de franchise : l’évaluation des risques juridiques des opérations proposées et les demandes de mandats.
1) Évaluation des risques juridiques des opérations [Retour à la table des matières]
[66] Conformément aux instructions du ministre de 2015, le Service doit évaluer les risques que comporte toute opération qu’il entreprend, selon quatre volets : les risques opérationnels, politiques, juridiques et relatifs à la politique étrangère.
[67] Cette évaluation des risques obligatoire repose sur le cadre d’évaluation des risques juridiques du ministère de la Justice. Le cadre prévoit une évaluation des risques en fonction de la probabilité et de l’incidence d’un résultat défavorable. Il met en parallèle ces deux facteurs en vue de déterminer si, dans l’ensemble, les risques juridiques sont faibles, modérés ou élevés. Le cadre ne tient pas compte du concept d’illégalité. Il prévoit cependant la possibilité, théorique, qu’un résultat défavorable ait une probabilité de 100 p. 100. La sous-ministre adjointe de la sécurité publique, de la défense et de l’immigration a abordé la question en contre-interrogatoire.
[traduction]
M. GOURLAY :
Q. Donc, selon ce que vous en comprenez, l’avis [de janvier 2017] a eu pour effet de faire passer la cote de 4 à 5 en ce qui avait trait à l’immunité de l’État?
R. Oui. En ce qui avait trait… oui.
Q. Et lorsque la cote est de 5, lorsque les risques juridiques sont très élevés, une cote de 5, est-ce alors que… Laissez-moi reformuler : dans une telle situation, est-il nécessaire de préciser au client qu’il ne peut pas aller de l’avant?
R. Normalement, même avec une cote de 4, c’est-à-dire des risques juridiques élevés, il est attendu que le client, dans de telles circonstances, prenne des mesures pour atténuer les risques, pour les diminuer. Et je crois comprendre que le SCRS a effectivement pris de telles mesures. Il n’a pas mis fin à ses opérations, mais a commencé à en faire l’examen.
Toutefois, au niveau le plus élevé, le client dit normalement qu’il n’y a pas d’autorisation, qu’il est impossible d’aller de l’avant.
LE JUGE BROWN : Pardon; normalement, que ferait le client?
LE TÉMOIN : Au niveau le plus élevé, je dirais que, normalement, le client, devant un constat de « risques élevés », cherche à atténuer les risques, et je crois comprendre que le SCRS a effectivement pris des mesures pour examiner ses opérations et atténuer une partie des risques.
LE JUGE BROWN : Et pour ce qui est d’une cote de 5, qu’avez-vous dit?
LE TÉMOIN : Eh bien, lorsque la cote est de 5, le caractère illégal ne fait habituellement pas de doute, est une certitude.
M. GOURLAY :
Q. Il est donc possible d’affirmer qu’il s’agit de risques qui, de façon réaliste, ne peuvent pas être atténués? C’est bien ça?
R. En effet.
[…]
Q. Toutefois, vous les conseillez sur les risques juridiques, et vous avez affirmé que des risques juridiques très élevés, c’est-à-dire une cote de 5, ne peuvent pas être atténués. C’est bien ça?
R. En général, oui.
Q. Et il n’y a alors virtuellement aucune chance de plaider avec succès que l’acte en question était légal.
R. C’est exact, il n’y a plus d’arguments crédibles en ce sens.
Q. Donc, en de telles circonstances, vous vous attendriez à ce qu’un client qui mène ses activités dans le respect de la primauté du droit n’aille pas de l’avant avec une opération qui comporte un tel niveau de risques?
R. Oui, en général, c’est bien ça. [Non souligné dans l’original.]
[68] Les avocats du GLCSN ont appliqué le cadre d’évaluation des risques juridiques aux opérations fondées sur des sources humaines en cause dans la demande de mandats faite dans le dossier [***Dossier B***]. Dans chaque cas, ils ont tenu compte du problème de l’illégalité et ont conclu que le Service ou des personnes agissant pour son compte menaient très probablement des activités illégales. Ils ont aussi conclu qu’outre l’arrêt de l’activité, il n’existait pas de possibilité d’atténuation. Selon l’un de ces avis, ni la fiabilité ni l’utilité des informations à recueillir [traduction] « n’ont d’incidence sur l’analyse juridique ».
[69] Outre l’absence d’autorisation légale de mener l’activité, il a somme toute été estimé, dans chaque cas, que l’activité comportait des « risques juridiques élevés ». Chaque fois, le directeur a approuvé l’opération proposée, s’appuyant sur un exercice de pondération ayant permis de conclure que la fiabilité et l’utilité anticipées des informations que l’opération allait permettre d’obtenir en justifiaient les risques juridiques élevés. Dans un cas, l’évaluation du directeur renvoyait à une note d’un cadre supérieur qui estimait que l’approbation [traduction] « pourrait donner l’impression à la Cour que [les préoccupations du juge Noël dans le dossier [***Dossier A***] ont été ignorées ». L’approbation a néanmoins été accordée.
[70] Des cadres supérieurs et le directeur du Service ont mis en balance l’absence d’autorisation légale, qualifiée de « risque », et les avantages anticipés de l’opération. Ce faisant, le Service a considéré que l’absence d’autorisation légale d’entreprendre une opération était assimilable à un risque opérationnel, politique, juridique ou relatif à la politique étrangère. Une fois ainsi approuvées, des opérations à première vue illégales ont permis au Service de recueillir des informations qu’il a ensuite présentées à la Cour en appui à des demandes de mandats sans l’aviser de cet état de fait.
2) Processus de demande de mandats [Retour à la table des matières]
[71] Avant d’être présentée à la Cour, une demande de mandats fait l’objet d’un processus d’examen et d’approbation interne auquel participent avocat, déposant, cadres supérieurs du Service et hauts fonctionnaires du ministère de la Justice. Tous les intervenants de ces examens internes dans les dossiers [***Dossier C, Dossier A***] et [***Dossier D***] ont passé outre au fait que les demandes comportaient des informations recueillies dans le cadre d’activités à première vue illégales. Un survol du processus d’examen interne aidera à comprendre l’importance de ce manquement.
[72] Le Secrétariat du sous-directeur des Opérations du Service gère le processus de demandes de mandats. Lorsqu’une telle demande est jugée nécessaire, le Secrétariat affecte un déposant, un avocat et d’autres intervenants à la préparation et à l’examen.
[73] L’avocat procède à une évaluation préliminaire des informations qui serviront de matières premières à la demande pour déterminer si les faits justifient la délivrance des mandats en vertu de l’article 21 de la Loi sur le SCRS. Les intervenants se réunissent et établissent un calendrier des étapes nécessaires à la préparation de la demande.
[74] Les analystes du Service préparent ensuite un affidavit, avec la contribution directe du déposant. L’avocat passe en revue les versions préliminaires et donne des conseils. À cette étape, il veille surtout à ce que l’affidavit précise comment et quand les informations en question ont été obtenues.
[75] L’affidavit précise si des sources humaines ont été mises à contribution, mais, à cette étape, l’avocat ne dispose d’aucune information sur la source elle-même ou sur sa relation avec le Service. La possibilité d’examiner ces informations lui sera donnée plus tard; il n’aura cependant pas accès de façon indépendante aux dossiers des sources humaines.
[76] La version préliminaire de l’affidavit fait l’objet d’une vérification de l’exactitude des faits, puis est approuvée par le directeur général de la direction opérationnelle du Service qui cherche à obtenir les mandats. L’affidavit est ensuite acheminé au GLCSN, qui l’examine plus avant et assure les préparatifs en vue de la présentation au Comité d’examen des mandats, présidé par le directeur du Service. Outre ce dernier, le Comité se compose de l’avocat général principal du GLCSN, du sous-directeur des Opérations, du directeur adjoint des Opérations, du directeur adjoint de la Collecte, du directeur général de la direction opérationnelle qui cherche à obtenir les mandats ainsi qu’un représentant haut placé du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada. Le déposant, l’analyste et l’avocat chargés de la demande de mandats assistent également à la réunion.
[77] Outre la version préliminaire de l’affidavit, le Comité d’examen des mandats a accès à la liste des services étrangers et des sources humaines dont les informations ont servi à préparer l’affidavit. Les sources humaines y figurent sous des noms de code. Lui sont également fournies des informations limitées sur la fiabilité des sources, leur relation avec le Service et l’accès dont elles disposent auprès de la cible des mandats.
[78] Après l’examen de l’affidavit par le Comité, des versions préliminaires des mandats sont préparées et examinées. Le Comité d’examen du sous-directeur des Opérations réexamine les faits établis dans l’affidavit et s’assure que les commentaires du Comité d’examen des mandats ont été pris en considération. Parallèlement, avec l’aide de la section opérationnelle chargée des sources humaines, les analystes du Service produisent un « précis » pour chaque source humaine dont les informations ont servi à établir l’affidavit. Le précis de la source est censé donner des détails sur la relation de la source avec les cibles de l’enquête et toute autre information utile pour évaluer la fiabilité de la source, [***] L’avocat en examine la version préliminaire, encore une fois sans avoir accès aux dossiers des sources. Le déposant, les analystes, l’avocat et un représentant de la section opérationnelle chargée des sources humaines ont ensuite l’occasion de formuler des commentaires au sujet du précis. [***]
[79] Toutes les demandes de mandats présentées au titre de l’article 12 font l’objet d’un examen définitif par un avocat indépendant du Groupe sur la Sécurité nationale du ministère de la Justice. L’examen permet de vérifier, de manière indépendante, que les informations présentées à la Cour reflètent bel et bien la teneur des dossiers du Service, qu’elles ont été mises en contexte adéquatement et que leur fiabilité a été dépeinte avec exactitude. L’avocat indépendant se voit donner l’accès à toutes les informations servant de matières premières à l’affidavit et aux précis des sources.
[80] Une fois le processus terminé, le Service peut faire la demande de mandats.
C. Projet de loi C-59 : réforme législative visant à régler le problème de l’illégalité [Retour à la table des matières]
[81] Le Service et le ministère de la Justice ont déterminé que l’élaboration et la mise en œuvre d’un régime de justification étaient le meilleur moyen de régler le problème de l’illégalité. Cette possibilité, conforme aux avis juridiques qui se sont succédé au fil des ans, a été offerte au ministre de la Sécurité publique au début de 2017. Le Service et le ministère de la Justice ont alors travaillé de concert à la mettre en œuvre. Les articles 100 et 101 du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale, 42e lég., 1re sess., 2017, déposée en première lecture le 20 juin 2017, prévoyaient un régime de justification. Le régime est entré en vigueur le 25 juillet 2019 (TR/2019-71 [Décret fixant au lendemain de la prise du présent décret la date d’entrée en vigueur de la Partie 1.1 et de certaines dispositions de cette loi], (2019), Gaz. C. II, vol. 153, no 15).
IV. Questions [Retour à la table des matières]
[82] Les questions en l’espèce ont d’abord été soulevées dans une directive de décembre 2018. À ce moment, il a été reconnu que ces questions étaient appelées à changer au fil de la progression du dossier. Elles ont été reformulées dans des observations écrites, et j’en dresse la liste suivante.
A. Comment le manquement à l’obligation de franchise s’est-il produit, et comment remédier à la situation?
B. La Cour peut-elle prendre en considération et s’appuyer sur des informations probablement recueillies illégalement?
C. Dans l’affirmative, de quels facteurs doit-elle tenir compte, et lesquels doit-elle mettre en balance?
D. Si la Cour se rend compte que des informations qui lui ont été présentées avaient probablement été recueillies illégalement, peut-elle invalider les mandats décernés sur la foi de ces informations ou prendre d’autres mesures?
E. Si elle invalide un mandat décerné, quels pouvoirs la Cour peut-elle invoquer pour rendre des ordonnances réparatrices quant aux informations recueillies en vertu de ce mandat? Comment la Cour devrait-elle exercer ces pouvoirs?
F. En cas de suppression d’informations de la demande, la Cour peut-elle encore se fonder sur la consultation et sur l’approbation préalables qu’exigent les paragraphes 7(2) et 21(1) de la Loi sur le SCRS?
G. Application au dossier [***Dossier B***]
V. Analyse [Retour à la table des matières]
A. Comment le manquement à l’obligation de franchise s’est-il produit, et comment remédier à la situation? [Retour à la table des matières]
1) Obligation de franchise [Retour à la table des matières]
[83] Dans la décision X (Re), 2013 CF 1275, [2015] 1 R.C.F. 635 (X (Re) 2013), conf. par 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684 (X (Re) 2014), le juge Mosley a reconnu la nature et la portée étendues de l’obligation de franchise dans le contexte d’une demande de mandats faite en vertu de l’article 21 la Loi sur le SCRS [aux paragraphes 82, 83 et 87 à 89] :
La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Ruby c. Canada (Solliciteur général) 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 27, s’est penchée sur la question de l’obligation de divulgation complète et franche dans une instance ex parte :
La partie qui plaide ex parte devant un tribunal a l’obligation de présenter ses arguments avec la bonne foi la plus absolue. Elle doit offrir une preuve complète et détaillée, et n’omettre aucune donnée pertinente qui soit défavorable à son intérêt : Royal Bank, précité, par. 11. Presque tous les codes de déontologie professionnelle applicables aux avocats leur font cette obligation. Voir, par exemple, l’Alberta Code of Professional Conduct, ch. 10, règle 8.
Le SPGC reconnaît que cette obligation, également qualifiée d’obligation de bonne foi la plus absolue, joue dans toutes les instances dans lesquelles le Service plaide ex parte devant la Cour fédérale : Harkat (Re), 2010 CF 1243, au paragraphe 117, infirmée pour d’autres motifs 2012 CAF 122, [2012] 3 R.C.F. 635, jugement en délibéré devant la Cour suprême [la Cour suprême a depuis rendu sa décision. Voir 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33]; Charkaoui (Re), 2004 CAF 421, [2005] 2 R.C.F. 299, aux paragraphes 153 et 154; Almrei (Re), 2009 CF 1263, [2011] 1 R.C.F. 163, au paragraphe 498. Lorsqu’il présente une demande de mandats au titre des articles 12 et 21 de la Loi sur le SCRS, le Service doit faire état de tous les faits importants, favorables ou non.
[…]
À l’occasion de l’affaire R. c. G.B. (application by Bogiatzis, Christodoulou, Cusato and Churchill), [2003] O.T.C. 785 (C.S.J. Ont.), où il était question d’une demande de sursis des procédures au motif qu’un agent de police avait menti dans des affidavits afin d’obtenir des autorisations d’écoute téléphonique, la Cour, aux paragraphes 11 et 12, a défini les faits importants de la manière suivante :
[traduction] Les faits importants sont ceux qui peuvent permettre au juge saisi d’une demande de vérifier si les critères applicables en matière d’autorisation d’écoute téléphonique ont été satisfaits. Pour que la communication soit franche, c’est-à-dire sincère, l’affiant doit se pencher sur les faits qui sont défavorables à sa demande et communiquer en entier les faits connus, y compris tous les faits à partir desquels des déductions peuvent être tirées. Par conséquent, l’obligation de communication complète et franche signifie que l’affiant doit communiquer dans l’affidavit les faits qui lui sont connus qui tendent à réfuter l’existence de motifs raisonnables et probables ou la nécessité de faire enquête en ce qui concerne l’une ou l’autre cible visée par l’autorisation envisagée.
L’obligation de communication complète et franche signifie également que l’affiant ne doit jamais faire une déclaration trompeuse dans l’affidavit, que ce soit par la formulation utilisée ou par une omission stratégique de renseignements. [Souligement ajouté par le juge Mosley.]
Je retiens la thèse de l’avocat du SPGC portant que, en matière de demande de mandats au titre de l’article 21 de la Loi sur le SCRS, les faits importants sont ceux qui peuvent aider le juge 2013 CF 1275 (CanLII) désigné à décider si les critères énoncés aux alinéas 21(2)a) et 21(2)b) ont été satisfaits. […]
Toutefois, je ne retiens pas la conception étroite de la pertinence préconisée par le SPGC en cette matière car elle exclut les renseignements concernant le cadre élargi dans lequel les demandes de délivrance de mandats au titre de la Loi sur le SCRS sont présentées. Selon moi, cela revient à dire que la Cour ne doit pas être informée quant à des questions au sujet desquelles elle pourrait avoir des réserves si elle en était informée […]
[84] La décision X (Re) 2013 n’est pas la dernière décision qu’a rendue la Cour en matière d’obligation de franchise. Dans son rapport annuel de 2014-2015 publié à la fin de janvier 2016, le CSARS a mentionné un programme du Service impliquant la collecte et la conservation de certaines métadonnées ou données connexes. La Cour ignorait l’existence de ce programme, en vigueur depuis 2006. Cette révélation a mené, le 10 juin 2016, à la tenue d’une audience en formation plénière [audience de juin 2016] au cours de laquelle le sous-ministre de la Justice et le directeur ont abordé la question de la transparence, que le juge en chef a qualifiée [traduction] d’« élément fondamental de la relation qu’entretiennent le Service et la Cour ». Il s’agit du problème relatif à l’obligation de franchise dont le juge Noël a fait état dans la décision Données connexes.
[85] Avant qu’il ait été conclu à un nouveau manquement à l’obligation de franchise dans la décision Données connexes, au cours de l’audience de juin 2016, le ministère de la Justice a avisé la Cour qu’il avait fait appel à M. Murray Segal pour le conseiller sur les pratiques exemplaires ayant trait aux instances ex parte. En décembre 2016, ce dernier rendu son rapport définitif contenant de nombreuses recommandations (Murray D. Segal, Examen du processus de demande de mandats au SCRS, décembre 2016 (rapport Segal]).
[86] Le rapport Segal fait état d’une série de manquements à l’obligation de franchise, notamment ceux qu’ont mentionnés les juges Mosley dans la décision X (Re) 2013 et Noël, dans ses conclusions dans la décision Données connexes. Selon le rapport Segal, le Service et le ministère de la Justice doivent faire beaucoup plus qu’éviter toute fausseté pour respecter l’obligation de franchise, et cette obligation ne se limite pas au simple fait d’inclure toutes les informations pertinentes dans une demande.
[87] Le rapport Segal souligne aussi que, contrairement aux instances ex parte tenues dans d’autres contextes, il arrive rarement, dans le cas d’une demande de mandats faite par le Service en vertu de la Loi sur le SCRS, que la communication complète soit assurée à l’autre partie à une étape ultérieure du processus. Reconnaissant le caractère véritablement exceptionnel des instances en matière de sécurité nationale, M. Segal affirme que « le respect par les avocats de l’obligation de franchise est plus essentiel à l’observation du principe de la primauté du droit que dans toute autre situation ».
[88] Aux pages 16 et 17, le rapport Segal aborde les responsabilités spéciales des avocats du ministère public ainsi que leur rôle en ce qui a trait à l’obligation de franchise dans les demandes de mandats faites en vertu de la Loi sur le SCRS :
Enfin, les avocats du ministère public doivent exercer les rôles et responsabilités qui leur sont propres en tenant compte de l’importance à accorder à l’obligation de franchise dans ce contexte. Il convient de se rappeler que, lorsqu’ils présentent pour le SCRS une demande de mandats à la Cour fédérale, les avocats représentent le procureur général et le gouvernement du Canada. Le ministère public doit s’acquitter d’obligations particulières qui n’incombent pas aux autres parties. À cet égard, la Cour suprême a tenu les propos suivants [dans Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, au paragraphe 37, per Karakatsanis J.] :
Le procureur général n’est pas une partie à l’instance comme une autre. Sa singularité se manifeste par le rôle dévolu au procureur de la Couronne qui, à titre de représentant du procureur général, a des obligations accrues envers la cour et envers l’accusé en tant que représentant local de la justice (voir Boucher c. The Queen, [1955] R.C.S. 16, p. 23-24, le juge Rand; Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170, p. 191-192, le juge Lamer).
S’agissant de l’administration de la justice, le procureur général est investi d’obligations prépondérantes et uniques qui sont profondément ancrées dans nos traditions constitutionnelles. La Cour d’appel fédérale [dans Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, au paragraphe 51] a clairement exprimé cette idée en parlant du « rôle constitutionnel traditionnel des procureurs généraux en tant que gardiens de l’intérêt public dans l’administration de la justice. [Renvois omis.]
[89] Les obligations et les responsabilités découlant de l’obligation de franchise ne se limitent pas aux personnes qui comparaissent devant la Cour. Les titulaires de postes de direction au Service et au ministère de la Justice en ont aussi envers la Cour. Les cadres supérieurs et les dirigeants doivent veiller à ce que les demandeurs de mandats au nom du Service reconnaissent que celui-ci a un statut privilégié par rapport à la Cour. Ces personnes ne doivent pas se contenter de reconnaître l’importance de l’obligation de franchise : ils doivent déterminer et mettre en place les structures et les processus organisationnels qui permettront aux personnes et à l’organisation de la respecter.
[90] Les juges désignés, qui agissent à titre de gardiens en assurant l’équilibre entre les droits des particuliers et les besoins du Canada en matière de sécurité, doivent procéder à cet exercice de mise en balance sans pouvoir tirer parti de l’habituel processus contradictoire (Données connexes, au paragraphe 100). Partant, ils n’ont d’autre choix que de se fier au respect de l’obligation de franchise. Pour ce faire, ils doivent pouvoir être profondément convaincus que les personnes qui se présentent devant la Cour ont honoré leurs obligations et que les structures, la culture et les processus organisationnels leur ont fourni les outils et leur ont inspiré les valeurs nécessaires pour veiller à respecter l’obligation de franchise. Il s’agit d’une lourde responsabilité, dont il est essentiel de s’acquitter pour assurer le respect de la primauté du droit (rapport Segal, à la page 16).
2) Manquement à l’obligation de franchise [Retour à la table des matières]
[91] Le procureur général a reconnu qu’il y avait eu manquement à l’obligation de franchise. Il soutient toutefois que les avocats et le Service ont agi de bonne foi et tenté de respecter l’obligation en l’espèce et dans les demandes dont les juges Kane et Brown ont été saisis. À son avis, les comportements individuels ne sont pas en défaut : le manquement découle plutôt de défaillances organisationnelles qui ont empêché les employés du Service et les avocats de constater le problème de l’illégalité et de le signaler à la Cour.
[92] Cette explication n’atténue en rien l’effet d’effritement que produit ce manquement sur la confiance de la Cour envers la capacité du Service à faire preuve de franchise; cela a d’ailleurs été soulevé à l’audience de juin 2016. Elle donne plutôt à penser que la Cour ne saurait tenir pour acquis que les personnes qui se présentent devant elle font preuve de franchise. Il ne s’agit pas de jeter le blâme sur les personnes elles-mêmes, mais d’envisager que des défaillances organisationnelles les ont empêchées, en tout ou en partie, d’obtenir les informations utiles ou d’utiliser celles qu’elles possédaient. Dans une certaine mesure, il serait moins troublant de constater que le manquement à l’obligation de franchise est le fait d’une seule personne.
[93] Il ne fait aucun doute que le Service a manqué à l’obligation de franchise dans sa demande de mandats en l’espèce. La possibilité que le Service ait illégalement recueilli des informations dont il s’est servi en appui à une demande de mandats est un élément très pertinent tant pour l’évaluation que fait la Cour de ces informations que pour l’exercice qu’elle fait de son pouvoir discrétionnaire, en fin de compte.
[94] Dans son examen de la demande faite dans le dossier [***Dossier A***] le juge Noël était clairement préoccupé par la nature de l’opération ayant permis la collecte de certaines des informations à l’appui. Il a d’abord estimé que sa préoccupation avait trait au pouvoir du Service d’effectuer l’opération en cause, mais il a aussi fait remarquer des paiements versés à une personne impliquée dans des activités terroristes et a explicitement mentionné le Code criminel. Le procureur général a assuré au juge Noël que le Service avait réglé le problème, mais ce n’était pas le cas.
[95] L’avocat chargé du dossier [***Dossier A***] a été remplacé en mai 2018. À la fin de mai 2018, l’avocate nouvellement affectée au dossier a reconnu au juge Noël le problème de l’illégalité, ce qui ne traçait pas un portrait complet et franc de l’historique de ce problème.
[96] J’estime d’emblée que l’avocat porte le blâme de ne pas avoir répondu avec exactitude à la préoccupation du juge Noël. Cependant, je comprends que ce manquement s’inscrit dans un contexte élargi et, de ce fait, inquiétant. Les conseillers du Service savaient depuis des années que celui-ci recueillait des informations à l’appui des demandes de mandats au moyen d’activités illégales à première vue. L’avocate principale d’expérience du procureur général a signalé le problème en 2015, et le CSARS, en 2016. Le GLCSN en a fait état dans son avis de 2017. Au cours de cette période, le GLCSN a produit des avis sur le problème de l’illégalité dans les examens opérationnels. Malgré tout cela, en avril 2018, un avocat aguerri du GLCSN ignorait apparemment qu’il y avait un problème d’illégalité. Cela démontre non seulement une certaine méconnaissance sur le plan personnel, mais aussi l’existence de graves défaillances organisationnelles.
3) Causes du manquement à l’obligation de franchise [Retour à la table des matières]
[97] Compte tenu des antécédents du Service en la matière, l’importance du manquement en cause à l’obligation de franchise met en relief la nécessité de tenter d’en comprendre la cause, non pour trouver des coupables, mais pour assurer à la Cour que le Service et le ministère de la Justice prennent des mesures pour éviter que la situation se répète. Ces deux organisations doivent trouver les causes du manquement et s’y attaquer afin de rétablir la confiance de la Cour en leur capacité de respecter l’obligation de franchise dans les demandes de mandats.
[98] Pour faire la lumière sur les causes du manquement, les audiences sur les questions d’intérêt commun ont pris la forme de ce que l’avocat du procureur général a décrit, avec un esprit quelque peu critique, comme une démarche inquisitrice. En la matière, les demandes d’informations de la Cour ont revêtu — et devaient revêtir — un tel caractère. La Cour et les Canadiens méritent de comprendre comment une question aussi fondamentale que l’illégalité de la conduite du SCRS a pu ne pas être reconnue ni révélée au cours du processus de demande de mandats.
[99] Dans l’ensemble, je suis d’accord avec le procureur général lorsqu’il soutient, selon la preuve, qu’après avoir pris acte du rapport Segal, des personnes au Service et au ministère de la Justice ont déployé certains efforts pour faire comprendre l’obligation de franchise aux intervenants du processus de demande de mandats. En outre, d’après leurs propos, les témoins comprenaient la nature et de l’importance de l’obligation, et des mesures organisationnelles ont été prises pour assurer une vaste mise en œuvre des recommandations du rapport Segal. Malgré tout cela, le Service et l’avocat du procureur général ont reconnu que leur application a été lacunaire dans le dossier [***Dossier A***] et la Cour a de nouveau été appelée à se prononcer sur un manquement grave à l’obligation de franchise.
[100] Le manquement est attribuable en partie à des défaillances organisationnelles. Dans de nombreux cas, il semble que des décisions individuelles discutables aient contribué aux répercussions de ces défaillances ou les aient amplifiées. Cependant, comme cela a été souligné à l’audience de juin 2016, pour que l’individu respecte l’obligation de franchise lorsqu’il se présente devant la Cour, l’organisation doit s’être dotée de systèmes conçus et mis en œuvre de manière à assurer qu’il dispose de toutes les informations dont il a besoin à cet effet. Partant, si les systèmes organisationnels ne peuvent pas répondre à ce besoin fondamental, alors l’engagement individuel à respecter l’obligation de franchise n’a qu’une valeur limitée, et les manquements à cet égard se poursuivront.
[101] Les présents motifs sont axés sur les défaillances organisationnelles. En cela, la Cour tient compte de la preuve en l’espèce et fait état de son intérêt pour le respect rigoureux, à l’avenir, de l’obligation de franchise. Les audiences sur les questions d’intérêt commun ne visaient pas à étudier les comportements individuels ou à jeter le blâme sur quiconque. Certes, les présents motifs ne s’attardent pas aux décisions et aux actions individuelles qui, à la base, ont mené le Service à s’engager dans des opérations maintenant reconnues comme illégales; cela ne signifie pas pour autant que la preuve ne soulève pas de questions relatives à la prise de décisions par des individus. Il y a peut-être bien lieu de procéder à l’examen des comportements individuels, mais cela devra se faire devant une autre instance.
[102] Pour cette raison, j’ai évité d’identifier quiconque nommément dans les présents motifs.
[103] Avant de passer à l’étude de l’une ou l’autre défaillance organisationnelle, il est utile de passer en revue les étapes suivies après la communication de l’avis de janvier 2017 à celui qui était alors directeur du Service. Elles illustrent certaines des défaillances dont il est question plus loin. Elles révèlent en outre, fait troublant, que le Service était disposé à entreprendre des opérations malgré un avis lui signifiant qu’elles n’étaient pas autorisées par la Loi sur le SCRS. Elles révèlent également, fait aussi troublant, que le ministère de la Justice était réticent à signifier au Service, clairement et sans ambiguïté, que des activités opérationnelles qu’il proposait étaient illégales et qu’il n’avait pas l’autorisation de les mener.
4) Événements consécutifs à l’avis de janvier 2017 [Retour à la table des matières]
[104] Le ministère de la Justice a rapidement amorcé un examen de l’avis de janvier 2017 après la réunion, en janvier 2017, entre le directeur, le sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le sous-ministre de la Justice et le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement. En février 2017, un avis préliminaire a été présenté au sous-ministre pour qu’il l’approuve. Cet avis en arrivait aux mêmes conclusions que celui de janvier 2017 : le Service ne jouissait pas de l’immunité de l’État, et une réforme législative s’imposait. Le ministère de la Justice n’a pas produit de version définitive de cet avis et ne l’a pas communiqué au Service. D’autres travaux ont été entrepris à la demande du sous-ministre d’alors, et il a été conclu, quelque part dans la seconde moitié de février 2017, que la résolution du problème passait nécessairement par une réforme législative. Ainsi, les efforts subséquents ont été axés sur cette solution plutôt que sur la production d’un autre avis.
[105] Le directeur du Service attendait un autre avis, mais ne l’a jamais reçu. La preuve reste vague sur les mesures prises par le directeur ou ses subordonnés pour s’enquérir de l’état d’avancement de cet avis, mais aucune demande officielle n’a été présentée à cet effet. De même, le ministère de la Justice n’a produit aucune communication officielle pour aviser le Service qu’il n’y aurait pas d’autre avis ou, à défaut, pour apporter des précisions à l’avis de janvier 2017. Pourtant, après la réunion au sommet de janvier 2017, l’avocate générale principale du GLCSN avait informé par écrit le directeur que [traduction] « [l’avis] [allait être] révisé en fonction des conclusions auxquelles parviendront les auteurs des travaux additionnels. Vous avez tout avantage à conserver ce message avec la note de service précédente pour vos dossiers ».
[106] Le directeur d’alors a attendu le nouvel avis sur l’immunité de l’État jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite en mai 2017. Entre-temps, il croyait comprendre que le Service devait invoquer cette immunité lorsqu’il entreprenait une activité opérationnelle par ailleurs illégale, comme c’était le cas depuis 2004.
[107] Après avoir pris connaissance de l’avis de janvier 2017, le directeur avait cessé d’approuver les opérations qui présentaient des « risques juridiques élevés ». Fin mars 2017, en l’absence d’un nouvel avis, il a recommencé à approuver les opérations dont la légalité soulevait des préoccupations lorsqu’il estimait que l’utilité de l’opération en justifiait le risque. Le directeur a pris cette décision sans en informer le sous-ministre de la Justice ni aucun autre haut fonctionnaire. Comme l’ont dit les amici, il semble que le Service n’avait pas l’intention de réveiller le chat qui dort.
[108] Le ministère de la Justice semblait aussi satisfait du statu quo et n’a formulé aucun conseil officiel après la réunion au sommet de 2017. S’agissant du problème de l’illégalité, le ministère a concentré ses efforts sur l’élaboration de ce qui a semblé être une réforme législative tournée vers l’avenir. Le GLCSN a poursuivi l’examen juridique des opérations du Service conformément au cadre d’évaluation des risques juridiques du ministère de la Justice et aux exigences des instructions du ministre de 2015.
[109] En l’absence du nouvel avis juridique promis, la position du ministère de la Justice sur l’immunité de l’État était loin d’être limpide. Il était néanmoins attendu des avocats du GLCSN qu’ils continuent de donner des conseils juridiques à ce sujet dans un contexte opérationnel. Les conseillers juridiques en matière d’opérations n’auraient pas dû être placés dans une telle situation. Les évaluations des risques juridiques des opérations figurant dans la preuve indiquent que, même laissés à eux-mêmes, les avocats du GLCSN estimaient que le Service ne pouvait pas invoquer l’immunité de l’État. Selon ces évaluations des risques, la Loi sur le SCRS n’autorisait généralement pas les activités proposées qui enfreignaient la partie II.1 du Code criminel; partant, celles-ci étaient très probablement illégales. Néanmoins, peut-être en raison de l’absence de précisions des cadres supérieurs, selon les évaluations juridiques globales que le GLCSN présentait au Service dans ces cas, ces activités n’étaient pas « illégales », mais comportaient des « risques juridiques élevés ».
[110] Des cadres supérieurs du Service, dont le directeur, ont recommandé et approuvé les activités opérationnelles sur la foi de cette catégorisation, le fait de qualifier de « risque élevé » un problème juridique. En effet, placer l’illégalité dans la catégorie des « risques juridiques » a permis au Service de procéder à l’exercice de pondération dont il est question plus haut : mettre en balance, d’une part, les avantages de l’opération et, d’autre part, les risques posés par son caractère illégal. Dans ce contexte, il a étudié des possibilités d’atténuation consistant à réduire la gravité de l’activité criminelle. Bien sûr, atténuer ainsi une activité illégale ne la rend pas légale pour autant; cela n’a pas d’incidence sur le problème fondamental de l’illégalité.
[111] De toute façon, l’exercice de mise en balance a mené à la recommandation et, en fin de compte, à l’approbation d’un grand nombre d’opérations jugées illégales par les conseillers juridiques du Service.
[112] Après mars 2017, il semble que ni le Service ni le ministère de la Justice n’aient fait quoi que ce soit pour régler le problème d’illégalité récurrent, outre le processus d’évaluation des risques juridiques des opérations. Des déposants ont plutôt parlé des activités d’élaboration du régime de justification apparemment tourné vers l’avenir qui figurait dans le projet de loi C-59, qui a été déposé au Parlement en juin 2017 et qui a reçu la sanction royale en juin 2019. Ce régime et la démarche qui y a donné lieu ne semblent pas s’appliquer aux périodes visées par les activités du Service. Rien, dans les observations orales ou écrites, ne laisse entendre que le régime prévoit une quelconque solution rétroactive ou rétrospective aux cas d’illégalité.
[113] Le Service a poursuivi ses opérations comportant des « risques juridiques élevés ». En mai 2017, le directeur a pris sa retraite. Son remplaçant est entré en fonction en juin 2017, le sous-directeur des Opérations d’alors assurant l’intérim. Le directeur intérimaire et le nouveau directeur savaient tous eux que la question de l’immunité de l’État restait à trancher. Toutefois, ils croyaient inchangée la position du ministère de la Justice, à savoir que le principe offrait toujours une forme de protection juridique au Service quant à ses activités illégales à première vue.
[114] En septembre 2017, le directeur a écrit au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Il a annexé à sa lettre celle qui avait été adressée au sous-ministre de la Justice, au sous-ministre de la Sécurité publique et au conseiller à la sécurité nationale et au renseignement et qui traitait de l’approche du Service envers la gestion des questions abordées dans le projet de loi C-59 dans l’attente de son adoption. Voici ce qu’il a écrit au sujet de l’immunité de l’État.
[traduction]
Depuis longtemps, le SCRS tient pour acquis que, sous l’égide de l’immunité de l’État, il est autorisé à mener des activités opérationnelles, dont certaines qui mettent à contribution des sources humaines, qui impliquent la commission d’actes ou d’omissions par ailleurs illégaux. Comme vous le savez, le projet de loi C-59 donnerait explicitement au SCRS le pouvoir d’entreprendre de telles activités.
Dans l’attente de l’adoption du projet de loi, pour mener de telles activités opérationnelles, le SCRS continuera d’interpréter l’immunité de l’État comme il le fait depuis longtemps. Ce faisant, il poursuivra les évaluations des risques opérationnels, politiques, juridiques et liés à la politique étrangère des activités qui, par ailleurs, constitueraient des infractions. Les évaluations des risques juridiques seront effectuées par le ministère de la Justice. Pour cette catégorie de risques comme pour les trois autres, une cote élevée entraîne la mise en balance, d’une part, de l’utilité de l’opération et, d’autre part, des risques reconnus, ainsi que l’examen de possibilités d’atténuation. Je souligne qu’une formation exhaustive en évaluation des risques a été élaborée et sera donnée aux agents de renseignement du SCRS au cours des prochains mois.
Le SCRS poursuit l’examen rigoureux de ses opérations fondées sur des sources humaines afin de repérer celles qui présentent des risques juridiques élevés. Il s’agit d’une mesure permanente. À l’instar de mon prédécesseur, je vous aviserai immédiatement de toute opération à risques élevés que j’approuverai, s’il y a lieu. [Non souligné dans l’original.]
[115] La déclaration sans équivoque du directeur, « [d]ans l’attente de l’adoption du projet de loi, pour mener de telles activités opérationnelles, le SCRS continuera d’interpréter l’immunité de l’État comme il le fait depuis longtemps » va directement à l’encontre de la conclusion formulée par le ministère de la Justice après la réunion de janvier 2017. Malgré cela, rien n’indique au dossier que ce dernier a tenté d’une quelconque manière d’aviser le directeur que, selon ses plus récents travaux sur la question, le Service ne jouissait pas de l’immunité de l’État.
[116] Du 18 juin 2017 à janvier 2019, lorsque les instructions du ministre ont mis fin à l’approbation de toute opération susceptible d’être illégale dans l’attente de l’adoption du régime de justification prévu par le projet de loi C-59, le directeur a approuvé [***>10***] activités pouvant être illégales. Selon les éléments de preuve qu’il a présentés, lorsqu’il a approuvé ces activités ou opérations, le directeur n’avait pas connaissance de l’avis de janvier 2017. Ce n’est qu’à la fin de décembre 2018 qu’il en a appris l’existence, c’est-à-dire après avoir demandé un avis juridique sur l’immunité de l’État en réponse aux questions sur l’illégalité soulevées dans le dossier [***Dossier B***].
[117] Des employés du Service et les avocats du GLCSN étaient au courant du problème de l’illégalité en 2017 et en 2018. Ces avocats ont continué d’examiner des opérations dont l’illégalité était en cause, et le Service a continué de les approuver après l’exercice de mise en balance. Malgré l’évidence du problème, ni les cadres supérieurs du Service ni leurs conseillers juridiques n’ont reconnu qu’il allait ou qu’il pourrait y avoir des conséquences à utiliser, dans une demande de mandats, des informations recueillies lors de telles opérations. À l’automne de 2016, l’avocate générale principale du GLCSN avait pourtant signalé le problème dans un courriel.
[118] L’instance dans le dossier [***Dossier B***] a mené le directeur, en novembre 2018, à demander un autre avis sur la possibilité d’invoquer l’immunité de l’État à l’avocat général principal du GLCSN, alors en poste, avis qui lui a été communiqué en janvier 2019.
[119] L’avis de janvier 2019 en arrivait à la même conclusion que celui de juin 2015, fourni par le sous-ministre adjoint de la sécurité publique, de la défense et de l’immigration, que celui de janvier 2017 remis à l’ancien directeur, et que l’avis préliminaire préparé en février 2017 — mais jamais communiqué — par le sous-ministre de la Justice. Voici la conclusion exprimée.
[traduction] À notre avis, dans le cadre juridique en vigueur, il n’existe aucun fondement légitime à ce que le Service commette des infractions criminelles. La Loi sur le SCRS ne l’autorise pas à commettre des actes criminels, même s’ils lui permettent d’obtenir des renseignements utiles.
[120] En conséquence, le Service a immédiatement pris des mesures concrètes : donner des instructions provisoires, examiner les mandats en vigueur pour vérifier si des informations recueillies illégalement avaient servi à les obtenir, et informer le ministre et le sous-ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le sous-ministre de la Justice, le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement, le CSARS et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.
[121] Près de quatre ans après avoir été informé pour la première fois qu’il ne jouissait pas de l’immunité de l’État, le Service a réagi à cet avis : il n’allait plus être question d’approuver les opérations qui, selon l’avis éclairé des conseillers juridiques du Service, étaient probablement illégales.
[122] Il est difficile de trop insister sur le caractère troublant de ces circonstances. Des activités opérationnelles ont été entreprises malgré un avis juridique précisant que la Loi sur le SCRS ne les cautionnait pas. Le Service s’est appuyé sur le principe de l’immunité de l’État, même si une avocate principale, dans le contexte d’un examen des instructions du ministre, lui avait affirmé que « [l]e fait de reconnaître l’immunité de l’État au SCRS ne s’accorde pas avec la Loi sur le SCRS ». Il a néanmoins continué de s’appuyer sur ce principe, même s’il s’était vu signifier sans équivoque par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile qu’il devait « exerce[r] ses fonctions dans le respect de la primauté du droit ». En outre, il a bénéficié, pour ce faire, de l’accord tacite du ministère de la Justice. Si la preuve révèle que les activités opérationnelles en cause ont bel et bien été signalées au ministre, parfois tardivement, il n’en reste pas moins que les rapports à cet effet faisaient état de « risques juridiques élevés », pas d’« illégalité ».
[123] Les circonstances soulèvent des questions fondamentales eu égard au respect de la primauté du droit, à la supervision des activités de renseignement de sécurité et aux actions des décideurs. Si elles vont bien au-delà de la portée de l’espèce, elles sont certainement pertinentes. Le respect de la primauté du droit, non seulement dans la parole, mais aussi dans le geste, doit être le principe directeur de la prise de décisions opérationnelles, même lorsqu’il complique la tâche. S’il ne l’est pas, comment un tribunal peut-il alors être persuadé que l’obligation de franchise sera respectée dans des circonstances difficiles ou embarrassantes? Comme il en était question dans le rapport de la Commission McDonald, les intérêts en matière de sécurité ne sauraient justifier d’enfreindre la loi. Si celle-ci est trop restrictive, il incombe plutôt aux responsables de la sécurité de persuader le législateur de la modifier (deuxième rapport de la Commission McDonald, vol. 1, page 45, au paragraphe 21). En l’espèce, les modifications législatives qui ont été apportées semblent tournées vers l’avenir et ne changent ni la nature ni la dimension morale des actes illégaux déjà commis.
[124] Il est aussi important de souligner que les « risques » que comporte l’approbation de telles opérations comprennent celui que des employés et des sources humaines du Service fassent l’objet de poursuites criminelles. Les personnes concernées ont-elles été avisées qu’elles couraient des « risques élevés » d’enfreindre des dispositions du Code criminel? Si ce n’est pas le cas, quelle autorité morale ou légale le directeur et les cadres supérieurs du Service ont-ils bien pu invoquer pour prendre sur eux de leur faire courir ces risques? Des questions similaires se posent relativement à la position des avocats du ministère de la Justice qui devaient donner au Service des avis juridiques dans le cadre d’opérations en l’absence de position claire de leur ministère sur la question de l’immunité de l’État.
5) Problèmes organisationnels et systémiques ayant contribué au manquement à l’obligation de franchise [Retour à la table des matières]
[125] La preuve fait état d’un certain nombre de défaillances organisationnelles qui ont contribué au manquement à l’obligation de franchise. Cependant, la compréhension qu’a la Cour de ces facteurs est circonscrite par la preuve qui lui a été présentée. Malgré la nature inquisitrice de sa démarche, la Cour n’a pas eu connaissance de tous les processus qui ont pu avoir trait au manquement. Partant, la liste des sujets de préoccupation soulevés n’est pas exhaustive. Elle constitue un point de départ pour ce qui doit être, à mon avis, un examen approfondi des processus qui, au Service et au ministère de la Justice, ont une incidence sur l’obligation de franchise. Dans les faits, malgré les changements importants qui auraient dû être apportés par suite de l’audience de juin 2016 et du dépôt du rapport Segal, le Service et le ministère de la Justice comptent toujours d’importantes défaillances organisationnelles qui ont une incidence sur l’obligation de franchise.
a) Gestion des connaissances et communications d’informations par le GLCSN [Retour à la table des matières]
[126] La position du ministère de la Justice sur l’immunité de l’État et le problème de l’illégalité au Service manquait de clarté et n’a pas été comprise de manière uniforme par les avocats et le Service. Voici trois exemples de ce que j’avance.
A. En 2016, le CSARS a recommandé au Service de demander des précisions sur la question de l’immunité de l’État. Or, cette question avait été précisée en 2015 dans un avis juridique communiqué au Service et au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile. L’avis de juin 2015, qui semble être une réponse directe à la recommandation formulée par le CSARS en 2016, a été produit par la sous-ministre adjointe chargée de gérer les services juridiques fournis au Service par le GLCSN. Le CSARS n’a pas été mis au courant de l’avis de 2015 dans le cadre de son étude. En outre, il semble que ni le Service ni le procureur général ne l’aient porté à l’attention du CSARS en réponse à sa recommandation.
B. En octobre 2015, le GLCSN a donné au sous-directeur des Opérations un avis sur la question de l’immunité de l’État qui ne faisait aucune allusion à l’avis produit par le sous-ministre adjoint quelques mois plus tôt. Il énonçait plutôt que, selon le ministère de la Justice, [traduction] « le Service [pouvait] invoquer l’immunité de l’État ». L’avocate générale principale a soutenu qu’il n’y avait jamais eu de version définitive de cet avis. Cependant, le sous-directeur des Opérations a reçu l’avis et, sur la foi de celui-ci, a compris que le Service pouvait continuer d’invoquer l’immunité de l’État.
C. En avril 2018, l’avocat qui a comparu dans le dossier [***Dossier A***] n’était pas au fait des avis juridiques pertinents. En fait, il semblait ignorer le grand problème de l’illégalité dans le contexte des dispositions antiterroristes du Code criminel, et ce, malgré les nombreux avis générés par le GLCSN à ce sujet. Attribuer cela à une négligence personnelle — bien que cela soit peut-être le cas — serait balayer trop aisément du revers de la main la responsabilité de l’organisation, qui doit se donner des mécanismes lui permettant de fournir efficacement aux personnes qui comparaissent devant la Cour de disposer des informations dont elles ont besoin pour respecter l’obligation de franchise.
[127] Le GLCSN doit assurer une gestion des connaissances et une communication d’informations efficaces, qui touche à l’ensemble des avocats, surtout ceux qui comparaissent devant la Cour.
b) Cadre d’évaluation des risques du ministère de la Justice [Retour à la table des matières]
[128] Comme il a été mentionné, l’évaluation des risques juridiques que présentent les opérations du Service se fait conformément au cadre d’évaluation des risques du ministère de la Justice. Rien dans la preuve ne donne à penser que le cadre a mal été utilisé; elle révèle plutôt qu’il s’agit d’un mauvais outil d’évaluation et d’intervention en ce qui a trait aux actes illégaux.
[129] Le cadre catégorise tous les problèmes selon les risques qu’ils présentent. Cette approche laisse entendre, tout au moins, que les risques peuvent être acceptés ou atténués. Ainsi, une activité qui enfreint manifestement la Loi sur le SCRS entre dans la catégorie « risques juridiques élevés », c’est-à-dire une activité qui, d’un point de vue opérationnel, peut être mise en balance avec les avantages de l’opération et acceptée si les avantages qu’elle procure sont importants. C’est exactement ce qui s’est produit. Toutefois, une activité qui enfreint la Loi sur le SCRS n’est pas un risque comme les autres : elle est à première vue illégale, et la mener serait aussi contraire à l’engagement fondamental du Service de recueillir des renseignements dans le respect de la loi.
[130] Si la Loi sur le SCRS n’autorise pas l’activité, il n’y a pas lieu de procéder à un exercice de mise en balance : l’activité est illégale et ne peut pas être menée, du moins, pas dans le respect de la loi. Le fait de catégoriser une activité illégale selon les risques qu’elle présente ne change rien au fait qu’elle est illégale.
[131] Sur la foi du cadre d’évaluation des risques, il a été jugé à tort que des activités du Service à première vue illégales présentaient des « risques juridiques élevés ». Cela a permis à des décideurs d’autoriser des activités illégales, puisqu’elles pouvaient être mises en balance avec les avantages escomptés. Partant, cette circonstance a non seulement mené le Service à agir dans l’illégalité dans le cadre d’opérations, mais elle a aussi pu contribuer au fait que les intervenants du processus d’approbation des mandats n’ont pas su reconnaître le caractère illégal des informations recueillies au moyen de ces activités. Le manque de sensibilisation au problème de l’illégalité a notamment été invoqué en guise d’explication au manquement à l’obligation de franchise.
c) Interaction entre l’obligation de franchise et l’obligation de loyauté de l’avocat [Retour à la table des matières]
[132] Les amici soutiennent que le manquement à l’obligation de franchise s’est poursuivi même après que les avocats ont reconnu le problème de l’illégalité dans le dossier [***Dossier A***], et ce, parce que les avocats n’ont pas, en toute franchise, avisé la Cour que le Service, sur la foi des avis juridiques qu’il avait reçus, était au courant du caractère illégal des activités de collecte entreprises. Selon les amici, pour que les circonstances aient pu être pleinement exposées, il aurait fallu que les avocats demandent une renonciation au privilège avant de comparaître devant la Cour.
[133] L’avocate qui a témoigné dans l’instance a reconnu qu’elle était consciente de son obligation de ne rien divulguer des avis juridiques fournis au Service. Elle a toutefois ajouté que, selon elle, rien n’obligeait à communiquer l’état des connaissances du Service ni les conclusions juridiques auxquelles était parvenu le GLCSN à cette étape de l’instance. Elle estimait qu’une fois qu’il avait été reconnu que la question de la légalité est l’une des questions juridiques à trancher, et en l’absence d’admission d’illégalité, la conclusion formulée par le procureur général dans son avis juridique pouvait faire l’objet d’observations et d’une décision de la Cour.
[134] L’opinion des amici me convainc : dans ces circonstances uniques, l’obligation de franchise nécessitait que les avocats demandent une renonciation au privilège avant de comparaître devant la Cour. Je reconnais toutefois que les avocats ont eu la tâche difficile d’équilibrer obligation de franchise et obligation relative au secret professionnel. Cela souligne que l’obligation de franchise peut entrer en conflit avec d’autres obligations professionnelles et avec les droits du Service. Il est nécessaire d’étudier activement et de discuter de la résolution de ces conflits par les avocats avant toute situation comme celle en l’espèce. Ni le Service ni le ministère de la Justice n’étaient bien placés pour reconnaître la situation et réaliser, très tôt dans le processus, une mise en balance des intérêts concurrents fondée sur des principes. Il est nécessaire de régler cette question.
d) Rôle du ministère de la Justice [Retour à la table des matières]
[135] De même, il y a lieu de s’attarder au rôle du ministère de la Justice dans les circonstances où un client entreprend des activités qu’il juge illégales.
[136] Dans un témoignage livré à une audience sur les questions d’intérêt commun, une avocate chevronnée du ministère de la Justice a affirmé qu’il était attendu qu’un client — dans ce cas, le Service — qui s’est vu signifier qu’aucune donnée probante ne permet de conclure qu’une activité peut être entreprise légalement n’aille pas de l’avant avec l’activité en question. Cependant l’avocate a clairement précisé qu’il n’incombe pas au ministère de la Justice de dicter leur comportement à ses clients.
[137] Cela est, certes, rigoureusement exact : les conseillers juridiques ne sont pas des décideurs. Toutefois, l’absence du rôle décisionnel doit être placée dans le contexte de la fonction qu’assume l’avocat à titre de représentant du procureur général et de la nature à huis clos et ex parte de l’instance.
[138] L’alinéa 4a) de la Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J-2, contraint les avocats du ministère de la Justice à ne pas s’en tenir à la simple prestation de conseils.
Attributions
4 Le ministre est le conseiller juridique officiel du gouverneur général et le jurisconsulte du Conseil privé de Sa Majesté pour le Canada; en outre, il :
a) veille au respect de la loi dans l’administration des affaires publiques.
[139] La Cour suprême du Canada a aussi soutenu que le procureur général et ses représentants ne sont pas des parties comme les autres. Ils sont des obligations accrues en matière d’administration de la justice (Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 37).
[140] Dans son article « Loyalty, Legality and Public Sector Lawyers » (loyauté, légalité et avocats de la fonction publique) (2019), 97 Rev. Du B. can. 129 chargé de cours et ex-premier conseiller législatif au ministère de la Justice, John Mark Keyes s’est penché sur l’obligation de loyauté des avocats de la fonction publique envers leur client et sur la limite que lui imposent les questions de légalité. Dans son examen de la justification et des éléments fondamentaux de l’obligation de loyauté, M. Keyes évoque le paragraphe 12 de l’arrêt R. c. Neil, 2002 CSC 70, [2002] 3 R.C.S. 631, pour affirmer que cette obligation est essentielle à la préservation de l’intégrité de l’administration de la justice (à la page 132) et que la confiance du client envers le respect de l’obligation est au cœur du rôle joué par l’avocat dans l’administration de la justice (à la page 132, citant l’arrêt Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401, au paragraphe 83).
[141] M. Keyes souligne toutefois que l’obligation de loyauté ne signifie pas qu’un avocat du gouvernement doit rester silencieux face à l’illégalité. Il cite en exemple le Code type de déontologie professionnelle de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, qui reconnaît les limites de l’obligation de loyauté dans un tel contexte et en tient compte. Il conclut que, [traduction] « comme tout autre membre d’un ordre de juristes, l’avocat de la fonction publique doit s’abstenir de prendre part à toute activité qui, “à sa connaissance”, est un acte répréhensible » (à la page 137). Il s’agit d’un seuil que ne permet pas d’atteindre le simple « risque » qu’une activité soit illégale. Toutefois, il est franchi lorsque [traduction] « rien ne permet de croire que l’action gouvernementale a un fondement juridique » (à la page 149).
[142] M. Keyes conclut en outre que les avocats de la fonction publique n’ont pas de pouvoir décisionnel et, partant, qu’ils ne pas sont assujettis à des critères plus contraignants que les autres juristes quand il s’agit de mettre de l’avant la primauté du droit et la légalité des activités du gouvernement. Je ne suis pas prêt à partager cette opinion. Toutefois, à la page 141, M. Keyes souligne ceci :
[traduction] S’agissant du respect de la primauté du droit, l’avocat de la fonction publique a pour devoir de donner des conseils avisés sur la légalité des mesures gouvernementales […] de favoriser les décisions qui, non seulement, diminuent le risque que la mesure soit déclarée illégale à l’issue d’une contestation judiciaire, mais aussi qui mettent de l’avant les valeurs constitutionnelles, dont la primauté du droit. [Note en bas de page omise.]
[143] Mais qu’est-ce qu’un « conseil avisé »? M. Keyes n’en donne pas de définition, mais le terme doit minimalement englober les concepts de « coordination », d’« à-propos » et de « limpidité », c’est-à-dire des conseils élaborés et formulés pour amener le décideur à prendre des mesures qui respectent la primauté du droit.
[144] S’agissant d’activités relatives à l’administration des affaires publiques non compatibles avec la primauté du droit, il ne saurait être suffisant de se contenter de donner un avis juridique, puis de laisser les choses suivre leur cours. Comme il en a été question plus haut, en septembre 2017, le directeur a officiellement signifié au ministère de la Justice que le Service allait d’office continuer d’invoquer l’immunité de l’État pour mener des activités opérationnelles illégales. Par son inaction apparente eu égard à cette information, alors qu’il en était arrivé aux conclusions établies dans l’avis de 2017, le ministère de la Justice est bien loin d’avoir respecté son obligation d’assurer l’administration des affaires publiques conformément à la loi.
[145] À cet égard, je souligne que le rapport de la Commission McDonald reconnaît l’importance du rôle du ministre de la Justice dans le respect des lois par un service de renseignement de sécurité : le ministère a « un rôle déterminant à jouer lorsqu’il s’agit de veiller à ce que les activités du service de renseignement pour la sécurité restent dans les limites de la légalité » (rapport de la Commission McDonald, vol. II, partie VIII, à la page 925, au paragraphe 84).
[146] Le rapport de la Commission McDonald aborde aussi le rôle du conseiller juridique lorsqu’est soulevé un problème d’illégalité. (Rapport de la Commission McDonald, vol. II, partie VI, à la page 777, au paragraphe 136.) :
[…] Le service doit être lié par l’opinion du conseiller juridique quant à la légalité d’une opération, à moins que le sous-procureur général du Canada n’émette une opinion contraire. Le conseiller juridique doit signaler à ce dernier, soit avant, soit après coup, tout acte illégal commis par le service dont il a eu connaissance.
[147] Cela n’excuse en rien le Service, qui a sa part de responsabilité dans ce qu’il convient d’appeler, au mieux, un manque de volonté quant à l’obtention de précision sur des avis juridiques qui avaient une incidence sur la légalité de ses opérations.
e) Processus de demande de mandats [Retour à la table des matières]
[148] En général, une demande de mandats implique un processus détaillé qui compte de nombreuses étapes. Malgré cela, aucun des intervenants n’a constaté le problème de l’illégalité ni n’a reconnu qu’en vertu de l’obligation de franchise, il est nécessaire de communiquer à la Cour que des informations recueillies au moyen [traduction] d’« opérations non cautionnées par la Loi sur le SCRS » figurent dans la demande de mandats.
[149] Comment se fait-il que le problème n’ait pas été constaté? Cette question n’a aucune réponse évidente. Tout au moins, nombre des intervenants du processus d’examen et d’approbation étaient au courant du problème de l’illégalité par suite de l’avis de janvier 2017. Ces personnes avaient aussi participé à l’examen et à l’approbation des opérations impliquant des actes illégaux dont le produit avait été utilisé dans les demandes de mandats.
[150] En outre, à l’automne de 2016, dans deux documents distincts, les avocats du GLCSN ont signalé au Service que le recours à des informations recueillies illégalement pourrait avoir des répercussions sur le traitement qu’en ferait un juge désigné. Voici comment le GLCSN a abordé la question dans un avis préliminaire communiqué au Service.
[traduction] Enfin, le Service devrait envisager de marquer d’une manière particulière les informations provenant de [***] afin de pouvoir déterminer avec précision si elles sont utilisées dans les demandes de mandats faites en vertu de l’article 21 ou de pouvoir les communiquer aux forces de l’ordre, en vertu de l’article 19. En effet, les informations utilisées ou communiquées pourront être examinées par un tribunal et, dans l’éventualité où elles serviraient à étayer des accusations criminelles, pourront être contestées par un intimé. Partant, s’il se fiait à des informations elles-mêmes obtenues illégalement, le Service pourrait se voir imputer de nombreuses responsabilités, notamment celle d’avoir nui à des poursuites criminelles. Il y a donc lieu de ne permettre l’utilisation de telles informations lors d’instances judiciaires qu’avec circonspection. [Passage caviardé dans l’original.]
[151] Même si le GLCSN l’avait prévenu que l’utilisation d’informations recueillies illégalement lors d’instances judiciaires pourrait lui valoir de se faire imputer de « nombreuses responsabilités », le Service n’a pas cessé cette pratique.
f) Cloisonnement des informations [Retour à la table des matières]
[152] Le fait qu’il ait été impossible ou difficile, pour les intervenants, d’accéder aux informations utiles au processus de demande de mandats explique en partie que le Service et ses avocats n’ont pas constaté le problème de la collecte illégale d’informations. Cela s’avère particulièrement pour ce qui est des dossiers des sources humaines.
[153] L’affidavit déposé le 7 novembre 2019 au nom du Service décrit différentes mesures prises pour régler ce problème. Depuis août 2019, l’avocat du GLCSN qui participe au processus de demande a accès aux dossiers des sources humaines au besoin pendant la préparation. De même, en août 2019, le Service a créé la Sous-section des déposants. Enfin, le Service a chargé un ancien sous-ministre de la Justice de revoir ses pratiques de communication d’informations sur les sources humaines dans les demandes de mandats. Cet examen est axé sur le cas de non-communication dans le dossier [***Dossier D***] Toutes ces mesures sont présentées comme une réponse au problème d’accès aux dossiers des sources humaines qu’ont le déposant et l’avocat.
[154] Toutefois, le cloisonnement des informations touche aussi à d’autres intervenants qui jouent des rôles de contestation et d’approbation essentiels au processus. Les modifications signalées dans l’affidavit de novembre 2019 ne permettent pas de déterminer comment des personnes haut placées du volet opérationnel et du volet juridique n’ont pas su constater le problème de l’illégalité dans l’exercice de leurs fonctions de contestation et d’approbation.
[155] Les cadres supérieurs du Service et le GLCSN connaissaient déjà le problème de l’illégalité. À la fin de 2016, les avocats du GLCSN avaient constaté les conséquences néfastes de l’utilisation d’informations découlant des opérations contestées. Selon les éléments de preuve qu’il a présentés, le directeur a approuvé [***>10***] de ces opérations de juin 2017 à décembre 2018. Même s’il n’était pas manifeste, en contexte, qu’une opération douteuse avait un lien avec une demande de mandats, cette possibilité n’était pas que théorique. Pourtant, aucune des personnes haut placées n’a reconnu cette possibilité ni tenté d’en faire état au moment de donner le feu vert aux demandes de mandats en cause.
[156] Pour que les avocats impliqués dans les demandes puissent s’acquitter de leur tâche adéquatement, il est essentiel d’accroître leur accès aux dossiers des sources humaines. D’ailleurs, le juge Noël a souligné cette nécessité au Service dans la décision Harkat (Re), 2009 CF 1050, [2010] 4 R.C.F. 149, aux paragraphes 48 et 49. Le fait de mettre en œuvre à ce moment une mesure qu’un juge désigné a estimé nécessaire il y a plus d’une décennie ne contribue pas particulièrement au rétablissement de la confiance.
g) Communication entre les cadres supérieurs du Service [Retour à la table des matières]
[157] Les faits révélés au cours de l’instance sur les questions d’intérêt commun ont aussi soulevé des questions sur l’échange d’informations entre les cadres supérieurs du Service.
[158] Fait remarquable, selon la preuve, des décideurs opérationnels haut placés au Service n’avaient qu’une connaissance sommaire de l’avis de janvier 2017, et ce, même si le directeur d’alors avait affirmé que cet avis allait probablement contraindre le Service à mettre fin à un certain nombre d’opérations antiterroristes et qu’il pourrait avoir une incidence énorme sur les employés du Service. Bien que le directeur ait pris part à une réunion de haut niveau à l’extérieur du Service pour discuter des répercussions de l’avis, il ne semble pas que les cadres supérieurs aient accordé à l’avis une attention du même calibre. L’absence d’une compréhension profonde et commune de l’avis s’applique aussi aux détails concernant l’avis ultérieur que le directeur d’alors s’attendait à recevoir du ministère de la Justice.
[159] Il est surprenant et difficile de concevoir que les cadres supérieurs du Service aient pu ainsi ignorer en grande partie un enjeu pouvant avoir des répercussions aussi énormes sur l’organisation. Comment expliquer qu’un avis juridique qui, selon le directeur, avait une incidence aussi fondamentale sur le Service n’ait pas été décortiqué, discuté et analysé en profondeur dans les hautes sphères de l’organisation? L’explication ne se trouve pas dans la preuve. De même, la reprise, en mars 2017, de l’approbation des opérations comportant des risques élevés soulève des questions quant aux connaissances et aux communications, tant au Service qu’à l’extérieur.
[160] Après avoir pris connaissance de l’avis de janvier 2017, le directeur d’alors a cessé d’approuver les opérations en cause. Après la réunion de janvier 2017 avec le sous-ministre de la Justice et d’autres intervenants, le directeur s’attendait à recevoir un autre avis juridique sur le principe de l’immunité de l’État et son invocation par le Service. Il l’a attendu jusqu’à son départ à la retraite en mai 2017. En mars 2017, en l’absence de ce nouvel avis et sans informer de hauts fonctionnaires à l’extérieur du Service, en particulier le sous-ministre de la Justice, le directeur a recommencé à approuver les opérations présentant des « risques juridiques élevés ». Les premiers documents d’approbation comportaient une mise en garde selon laquelle l’approbation était accordée dans l’attente d’un avis définitif du ministère de la Justice. Cette mise en garde ne figure plus dans les documents les plus récents.
[161] Bien qu’il ait approuvé un grand nombre d’opérations censées comporter des « risques juridiques élevés » parce qu’elles impliquaient la commission d’actes illégaux, le nouveau directeur ignorait tout de l’avis de janvier 2017. Il savait que le sous-ministre de la Justice était censé produire un avis sur l’immunité de l’État. Toutefois, ni lui ni aucun autre cadre supérieur du Service n’a tenté de savoir où cet avis en était rendu. Il est possible de présumer que le directeur, s’il avait posé la question, se serait fait répondre qu’il n’y aurait pas d’autre avis juridique sur cette question; en effet, cette décision avait été prise au ministère de la Justice à la fin de février 2017. En outre, dans les demandes d’approbation d’opérations impliquant la commission d’actes illégaux présentées au directeur, aucun cadre supérieur du Service ni le GLCSN ne l’ont mis au courant de l’avis de janvier 2017, c’est-à-dire du dernier document substantiel reçu par le Service sur la question de l’immunité de l’État.
[162] Il semble que le problème de l’illégalité n’ait tout simplement pas été un sujet de discussion. Les intervenants semblaient disposés à considérer ce problème comme l’un des risques à mettre en balance avec d’autres intérêt et objectifs, dans l’attente d’un avis juridique dont la progression n’a pas fait l’objet d’un suivi. Tant les cadres supérieurs du Service que le ministère de la Justice se sont accommodés de la réforme législative comme solution, sauf que, bien sûr, cette solution ne touchait pas aux activités opérationnelles en cours et ne permettait en rien d’appuyer l’approbation de ces activités avant l’entrée en vigueur du régime de justification limité.
6) Conclusion sur l’obligation de franchise [Retour à la table des matières]
[163] Le renseignement de sécurité est essentiel à la sécurité nationale. Je suis conscient des défis que doivent relever celles et ceux qui en ont la responsabilité. Toutefois, malgré cela, la Cour et le public canadien doivent être persuadés que le respect de la primauté du droit est, et demeure, un principe fondamental de toute décision relative au renseignement de sécurité au pays. Les circonstances exposées dans les présentes donnent à penser qu’à l’échelle organisationnelle, dans une certaine mesure, les différents intervenants ont fait peu de cas de l’obligation de franchise et — malheureusement — de la primauté du droit ou, tout au moins, ont adopté à leur égard une attitude cavalière.
[164] En cela, je ne laisse pas entendre qu’il ne peut jamais y avoir non-respect de la primauté du droit. Des circonstances très exceptionnelles (erreur, manque de jugement, voire situation d’urgence) peuvent entraîner un manquement à ce principe fondamental. L’article 20 de la Loi sur le SCRS reconnaît cette possibilité et prévoit un mécanisme de signalement et de règlement pour de telles circonstances.
[165] Dans la décision Données connexes, le juge Noël s’est interrogé sur la nature des mesures à prendre pour que les conclusions de la Cour au sujet de l’obligation de franchise soient prises au sérieux [au paragraphe 108] :
[…], je conclus que le SCRS a manqué à son obligation de franchise en omettant d’informer la Cour de son programme de conservation des données connexes. Dans la décision X (Re), précitée, mon collègue le juge Mosley, dans un contexte factuel différent, a également conclu à un manquement à l’obligation de franchise. J’arrive à une conclusion similaire trois ans plus tard. Je me demande ce qui sera nécessaire pour s’assurer que de telles conclusions sont prises au sérieux. Sera-t-il nécessaire de recourir à une procédure d’outrage au tribunal, qui comporte de nombreuses conséquences? [Non souligné dans l’original.]
[166] Je me pose la même question.
[167] En 2016, par suite de l’audience de juin 2016 et des conclusions dans la décision Données connexes quant au manquement à l’obligation de franchise, le Service a pris des mesures pour améliorer sa capacité en la matière. Il a notamment commandé la production du rapport Segal, accru la reddition de comptes à la Cour, amélioré la formation individuelle sur l’obligation de franchise et produit une politique commune avec le ministère de la Justice à ce sujet (Politique du ministère de la Justice du Canada et du Service canadien du renseignement de sécurité sur l’obligation de franchise lors d’instances ex parte, 23 février 2017). Ces actions donnent à penser que le Service et le ministère de la Justice ont pris au sérieux les conclusions de la Cour. Malgré cela, au moment même où le Service mettait en œuvre des mesures découlant des recommandations du rapport Segal, les événements qui sous-tendent le dernier manquement à l’obligation de franchise se déroulaient.
[168] Selon la preuve, le problème de la possible illégalité était très bien connu dans le cénacle des organisations et des institutions qui jouent un rôle dans la surveillance ou la gestion des opérations du Service. Le CSARS a effectué des examens et signalé ses préoccupations au Service; Sécurité publique et le Bureau du conseil privé en avaient aussi connaissance, et ce, dès janvier 2017, par suite de la réunion alors convoquée par le directeur et à laquelle avaient assisté le sous-ministre de la Sécurité publique et le conseiller à la sécurité nationale (postes qui, depuis, ont changé de titulaire). Malgré cette connaissance répandue et l’importance éventuelle du problème de l’illégalité dans le contexte des demandes de mandats, cette question n’a jamais été portée à l’attention de la Cour. Rien n’excuse cet état de fait, compte tenu, surtout, que dans la foulée de la décision Données connexes et du rapport Segal, la Cour, le Service et le ministère de la Justice sont très sensibilisés à l’importance de l’obligation de franchise et entretiennent une collaboration à ce sujet. Il semble que seule la Cour ait été laissée dans l’ignorance.
[169] Une procédure d’outrage au tribunal peut avoir des conséquences pour l’organisation ou les personnes. Elle donnerait l’occasion à la Cour de réitérer ses préoccupations quant au manquement et aux circonstances qui y ont mené. Cette mesure serait adéquate si le manquement était attribuable à la négligence d’une personne ou à un problème organisationnel en particulier. Or, ce n’est pas le cas. Ce dernier manquement à l’obligation de franchise est le fait de nombreux facteurs. J’aborde certains d’entre eux dans les présents motifs, qui n’en dressent pas la liste exhaustive. En outre, une procédure d’outrage au tribunal ne permettrait pas d’étudier en détail et de régler toutes les questions liées à la primauté du droit soulevées au cours de l’instance.
[170] En l’espèce, le manquement à l’obligation de franchise est un symptôme de problèmes plus profonds et récurrents qui ont trait à la structure du Service, à sa gouvernance et, peut-être à sa culture organisationnelle. Au cours des audiences sur les questions d’intérêt commun, des questions ont été soulevées quant à l’organisation et à la prestation des services juridiques au SCRS et, de manière plus fondamentale, quant aux rôles et aux responsabilités des avocats du procureur général. Pourquoi est-ce qu’aucune mesure temporaire n’a été prise avant janvier 2019 pour régler le problème de l’illégalité? Ces questions ont une incidence sur l’espèce, mais leur portée la dépasse largement; les laisser sans réponse minerait la confiance qu’inspire le Service au public.
[171] La question de l’obligation de franchise est soulevée dans le contexte de l’illégalité. Les remarques du juge Binnie, au paragraphe 73 de l’arrêt Campbell, sont très éclairantes à cet égard.
[…] Une illégalité de quelque sorte commise par la police est une affaire grave. Une illégalité policière planifiée et approuvée par la hiérarchie de la GRC et mise en œuvre en dépit d’un avis juridique contraire pourrait indiquer, si cela était établi, un problème systémique potentiel en matière de responsabilisation et de contrôle de la police. La position de la GRC, par ailleurs, selon laquelle le ministère de la Justice a apporté son appui à une entreprise illégale pourrait, selon les circonstances, faire jouer une dimension différente, et cependant grave elle aussi, en matière d’abus de procédure.
[172] Une illégalité attribuable au Service est tout aussi grave qu’une illégalité policière. Omettre de repérer et de régler les problèmes organisationnels qui ont donné lieu au manquement à l’obligation de franchise minerait la confiance qu’inspire le Service au public.
[173] Lorsqu’il a abordé l’incidence de la décision Données connexes dans son témoignage, le directeur du Service a reconnu l’importance, pour son organisation, de la confiance du public et de la Cour.
[traduction] Je suis entré en fonction à titre de directeur en 2017 après que le Service et la Cour ont dû composer avec la décision [Données connexes] du juge Noël. Il m’a été extrêmement formateur de constater l’incidence qu’a eue cette décision, que j’oserais qualifier de défavorable pour le Service, sur celui-ci et sur la confiance des Canadiens. Cela m’a donné la possibilité de réfléchir sur la question, dont j’ai fait l’un des deux principes de mes premiers jours comme directeur du SCRS. C’est ce que j’ai exprimé dans mon message aux employés : nous devons conserver et accroître la confiance qu’inspire notre institution aux Canadiens et à la Cour.
Ainsi, la relation entre la Cour et le Service est absolument fondamentale à l’exercice, par ce dernier, de son mandat en matière de sécurité nationale. [Non souligné dans l’original.]
[174] Je suis d’accord avec le directeur. Pour réussir à jouer son rôle essentiel efficacement, le Service a besoin que les Canadiens et la Cour lui fassent confiance. Comme je l’ai dit, cette confiance a de nouveau été ébranlée. L’illégalité, ou la possible illégalité, n’a pas été communiquée de façon proactive. En fait, elle a été passée sous silence par le Service ou le ministère de la Justice dans le processus de préparation des mandats. Dans ces cas, l’illégalité n’a pas découlé de situations d’urgences ou d’imprévus, mais bien d’une réalité difficile à laquelle l’organisation a eu comme réaction — consciemment ou non — de faire comme si de rien n’était. Une procédure d’outrage au tribunal ne permettra pas de rétablir la confiance. Les circonstances et les événements qui ont mené le Service à agir dans l’illégalité malgré des avis juridiques justifient un examen approfondi qui doit tenir compte des grandes questions touchant la structure organisationnelle, la gouvernance et la culture tant au Service qu’au sein des composantes concernées du ministère de la Justice. À mon avis, toute démarche de portée inférieure ne saurait assurer le rétablissement et l’accroissement de la confiance dont jouit le Service à titre d’institution nationale essentielle.
[175] Je n’ai pas le pouvoir d’ordonner un tel examen exhaustif : cela incombe aux organes exécutifs du gouvernement. Je ne saurais trop recommander que ceux-ci mettent à profit, dans cet objectif, les connaissances et l’expertise que peuvent mettre à leur disposition différents organismes comme le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, le Bureau du commissaire au renseignement, ainsi que des spécialistes externes. L’examen approfondi doit non seulement aborder les problèmes dont le présent jugement fait état, mais aussi chercher à faire toute la lumière sur les événements sous-jacents afin que puissent être corrigées les défaillances systémiques, organisationnelles et, si nécessaire, personnelles qui seront ainsi révélées.
[176] Je passe maintenant aux questions juridiques qui ont été soulevées.
B. La Cour peut-elle prendre en considération et s’appuyer sur des informations probablement recueillies illégalement? [Retour à la table des matières]
[177] Le procureur général reconnaît que, pour recueillir des informations en vue d’exécuter son mandat en matière de sécurité nationale, le Service doit respecter la loi. Il soutient néanmoins que la Cour ne devrait pas exclure d’emblée, d’une demande de mandats, les informations recueillies illégalement, et qu’il faudrait, à ce propos, une norme souple prévoyant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire éclairé par la prise en considération de différents facteurs.
[178] Bien qu’ils ne soient pas en désaccord, les amici ajoutent que la doctrine relative à la suppression mentionnée dans la jurisprudence liée à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (Charte) peut servir de guide en la matière (R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223 (Grant no 1); R. c. Araujo, 2000 CSC 65, [2000] 2 R.C.S. 992 (Araujo), au paragraphe 57; R. v. Mahmood, 2011 ONCA 693, 107 O.R. (3d) 641, au paragraphe 116).
[179] Il est reconnu en common law qu’un juge peut écarter des éléments de preuve dont l’utilisation nuirait à l’équité de l’instance (R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562 (Harrer), au paragraphe 41). Dans une instance criminelle, au titre du paragraphe 24(1) de la Charte, un juge peut écarter des éléments de preuve qui n’ont pas été obtenus en violation de la Charte, mais qui rendraient tout de même le procès inéquitable. En effet, l’utilisation de ces éléments minerait le droit à un procès équitable garanti par la Charte (Harrer, au paragraphe 42). L’exclusion d’éléments de preuve au titre de la common law ou du paragraphe 24(1) requiert une analyse souple, qui tient compte du contexte (R. v. Jaser, 2014 ONSC 6052, 120 W.B.C. (2d) 241 (Jaser), au paragraphe 28; La Reine c. Wray, [1971] R.C.S. 272, aux pages 293 à 296).
[180] Par ailleurs, les éléments de preuve recueillis en violation de droits garantis à une personne par la Charte ne sont pas écartés d’emblée. En vertu du paragraphe 24(2) de la Charte, le juge écartera plutôt de tels éléments de preuve s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
[181] La jurisprudence relative à l’article 8 qui, selon les amici, devrait guider la Cour en l’espèce s’éloigne de l’approche souple, fondée sur le contexte, à l’exclusion d’éléments de preuve au titre de la common law et du paragraphe 24(1). Au titre de l’article 8, toute information trompeuse, erronée ou obtenue inconstitutionnellement qui a été utilisée en appui à une demande de mandats est automatiquement supprimée. La Cour doit ensuite déterminer si elle aurait pu décerner le mandat sur la foi des informations restantes. Toutefois, la suppression automatique visant à établir la validité des mandats n’englobe pas l’exclusion automatique d’informations recueillies en vertu d’un mandat jugé invalide.
[182] Si elle conclut à l’invalidité du mandat sur la foi des informations restantes après la suppression, la Cour doit alors déterminer si l’utilisation des informations recueillies illégalement est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, aux termes du paragraphe 24(2). En fin de compte, la décision d’utiliser les éléments de preuve exige la prise en considération des facteurs pertinents, conformément à la jurisprudence relative au paragraphe 24(2).
[183] Dans l’arrêt Grant no 1, le juge Sopinka souligne que la doctrine relative à la suppression empêche le ministère public de tirer parti des actes illégaux de la police, mais préserve la validité de mandats qui auraient été décernés de toute façon [aux pages 251 et 252] :
[…] dans des circonstances comme dans l’espèce où la dénonciation faisait état d’autres faits que ceux obtenus en contravention de la Charte, le tribunal qui siège en révision doit examiner si le mandat aurait été décerné sans la mention, dans la dénonciation faite sous serment aux fins de l’obtention du mandat, des faits obtenus d’une façon abusive : Garofoli, précité. De cette façon, le ministère public ne peut profiter des actes illégaux des policiers, sans être forcé de renoncer à des mandats de perquisition qui auraient été décernés de toute façon. En conséquence, le mandat et la perquisition en l’espèce seront jugés valides en vertu de la Constitution si le mandat aurait été décerné sans la mention dans la dénonciation des constatations faites lors des perquisitions périphériques inconstitutionnelles. On a admis que la police avait des motifs raisonnables d’obtenir un mandat avant même d’entreprendre l’une ou l’autre des perquisitions périphériques. Cette admission de l’intimé est tout à fait pertinente compte tenu des motifs raisonnables mentionnés dans la dénonciation faite sous serment à l’appui de la demande de mandats. [Non souligné dans l’original.]
[184] Comme l’a souligné le juge Code dans Jaser, la doctrine relative à la suppression a survécu, non sans s’attirer deux critiques importantes. En premier lieu, elle crée une anomalie : lorsqu’il détermine la validité d’un mandat, le juge doit d’emblée exclure les éléments de preuve découlant d’une violation de la Charte ou, par ailleurs, obtenus illégalement; par contre, au procès, le juge n’exclura les mêmes informations qu’à l’issue d’un exercice de pondération minutieux effectué au titre du paragraphe 24(2) (Jaser, au paragraphe 26, citant R. v. Chau, [1997] O.J. no 6322 (QL) (Div. gén.), au paragraphe 50, conf. pour d’autres motifs par (2000), 140 O.A.C. 56, 2000 CanLII 17015 (C.A.)). En second lieu, cette doctrine n’a pas de source évidente. Elle ne semble pas être une mesure de rectification des paragraphes 24(1) ou 24(2), car elle est rigide, catégorique et manque de proportionnalité, ni une mesure de rectification de la common law, car elle n’est fondée sur aucun principe d’exclusion traditionnel comme l’équité du procès, la fiabilité, l’abus de procédure ou la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable (Jaser, au paragraphe 28).
[185] L’objet de la doctrine relative à la suppression — empêcher l’État de tirer parti d’actes illégaux commis par des personnes qui agissent en son nom — est pertinent dans le contexte du renseignement de sécurité. Toutefois, une décision visant l’exclusion automatique dans une demande de mandats faite en vertu de la Loi sur le SCRS s’attirerait les mêmes critiques que mentionne le juge Code dans la décision Jaser.
[186] Si je devais adopter une règle de suppression automatique en l’espèce, les éléments de preuve recueillis illégalement et présentés à la Cour dans le contexte de la sécurité nationale devraient être supprimés, alors que ces mêmes éléments pourraient très bien être déclarés admissibles dans une instance criminelle, au titre du paragraphe 24(2). Une telle règle pourrait amener un juge désigné à ne pas décerner un mandat en raison d’une illégalité mineure, même si l’enquête vise une menace grave. Un test d’une telle sévérité passerait outre le rôle du juge désigné dans la mise en balance, d’une part, de l’intérêt pour la collectivité d’assurer la sécurité nationale et, d’autre part, des droits et des intérêts personnels; cela pourrait ébranler la confiance du public.
[187] Les juges désignés « agissent à titre de gardiens contre les pouvoirs intrusifs en assurant un équilibre entre les droits des particuliers et le besoin de l’État d’empiéter sur ces droits pour le bien de la collectivité » (Données connexes, au paragraphe 100). Pour ce faire, ils doivent avoir le pouvoir de mettre en balance les intérêts et les facteurs concurrents lorsqu’est soulevée la question de l’admissibilité de la preuve. Cette conclusion est conforme à la jurisprudence et reflète les pratiques établies dans les procédures désignées.
C. Si la Cour peut prendre en considération et s’appuyer sur des informations probablement recueillies illégalement, de quels facteurs doit-elle tenir compte, et lesquels doit-elle mettre en balance? [Retour à la table des matières]
[188] Comme il a été signalé plus haut, puisqu’il n’y a pas de précédents relatifs au traitement des informations recueillies illégalement au cours du processus de demande de mandats prévu par la Loi sur le SCRS, le procureur général et les amici ont fondé leurs arguments sur la jurisprudence relative à la Charte et à la common law. Bien que le contexte diffère, il y a chevauchement des intérêts qui sous-tendent une analyse effectuée au titre du paragraphe 24(2) et des intérêts mis en cause lorsque les responsables de la sécurité, pour faire avancer une enquête de sécurité nationale, s’appuient sur des informations recueillies illégalement pour obtenir l’autorisation judiciaire d’empiéter sur des droits individuels, y compris le droit à la protection de la vie privée garanti par l’article 8 de la Charte.
[189] Dans l’arrêt R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353 (Grant no 2), la Cour suprême s’est penchée sur le critère d’exclusion d’éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte. Selon la majorité, l’administration de la justice « englobe de façon plus générale le maintien des droits garantis par la Charte et du principe de la primauté du droit dans l’ensemble du système de justice » (au paragraphe 67). Elle a aussi soutenu que l’expression « déconsidérer l’administration de la justice » renvoie au maintien à long terme de l’intégrité du système de justice et de la confiance du public à son égard (au paragraphe 68). Cela suppose un examen de nature objective qui vise à déterminer si une personne raisonnable, au fait de l’ensemble des circonstances et des valeurs pertinentes, conclurait que l’utilisation d’éléments de preuves serait susceptible de déconsidérer, à long terme, l’administration de la justice (au paragraphe 68). Enfin, la Cour suprême a soutenu que l’exclusion d’éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2) ne vise ni à sanctionner ni à dédommager. Elle a plutôt un objectif social et se rapporte aux répercussions importantes de l’utilisation d’éléments de preuve recueillis en violation de la Charte sur la considération à long terme portée au système de justice (paragraphe 70).
[190] Se fondant sur ces principes, la Cour suprême a conclu que la question de la considération portée à l’administration de la justice requiert l’examen de trois éléments : 1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État, 2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé et 3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée sur le fond. Le rôle du tribunal consiste à évaluer et à mettre en balance chacune des questions pour déterminer si, eu égard aux circonstances, l’utilisation des éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice (au paragraphe 71).
[191] Lorsque la question de l’exclusion d’éléments de preuve est soulevée en l’absence de violation présumée de la Charte, la jurisprudence établit qu’un juge peut procéder à l’exclusion en se fondant soit sur la common law, soit sur le paragraphe 24(1). Dans un tel cas, l’équité du procès oriente l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Toutefois, à l’instar des facteurs à examiner pour ce qui est du paragraphe 24(2), s’agissant du procès, l’équité doit être prise en considération du point de vue tant de l’accusé que de la collectivité (Harrer, au paragraphe 45). Les règles d’exclusions en common law impliquent de tenir compte de questions relatives à l’équité du procès, à l’abus de procédure ainsi qu’à la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable des éléments de preuve.
[192] Le maintien de la primauté du droit, dont le respect des droits et des valeurs garantis par la Charte, est un élément important dans le contexte du droit applicable à la sécurité nationale. Cela se reflète dans la partie II [articles 21 à 28] de la Loi sur le SCRS, intitulée « Contrôle judiciaire », ainsi que dans l’essentiel de la jurisprudence relative aux instances désignées (Données connexes, au paragraphe 130; X (Re), 2018 CF 874, au paragraphe 43; X (Re), 2018 CF 738, [2019] 1 R.C.F. 567, aux paragraphes 22, 24 et 66).
[193] Dans l’arrêt Grant no 2, la Cour suprême a précisé que le tribunal, lorsqu’il étudie la gravité du comportement en cause ainsi que la possibilité que la prise en considération ou l’utilisation des éléments de preuve donne l’impression que le système de justice tolère le comportement contesté, doit déterminer s’il s’agissait d’une violation mineure ou si l’acte avait été commis par inadvertance, de bonne foi ou dans des circonstances atténuantes. Ces facteurs peuvent réduire la nécessité, pour le tribunal, de se dissocier du comportement. En revanche, le tribunal aura avantage à se distancer d’actes illégaux commis délibérément ou bien par négligence ou aveuglement volontaire quant à la loi. La preuve que des actes s’inscrivent dans un contexte d’abus tend à fonder l’exclusion. Chacun de ces facteurs s’applique facilement lorsque l’illégalité est en jeu dans le processus de demandes de mandats prévu par la Loi sur le SCRS.
[194] Le tribunal doit en outre tenir compte de l’incidence du manquement ainsi que de la possibilité que l’utilisation ou la prise en considération des éléments de preuve puissent donner l’impression qu’il fait peu de cas des droits individuels. Il lui faut ainsi déterminer à quel point le comportement a porté préjudice aux intérêts protégés.
[195] Compte tenu des facteurs à considérer dans la décision relative à l’exclusion dans les contextes susmentionnés, et après avoir pris connaissance des observations du procureur général et des amici, je suis d’avis que la Cour devrait tenir compte de trois facteurs lorsqu’elle détermine s’il y a lieu d’utiliser des informations découlant d’actes illégaux en appui à une demande de mandats : 1) la gravité de l’acte illégal; 2) l’équité; 3) l’intérêt de la collectivité. Chacun des facteurs s’accompagne de questions auxquelles la Cour doit donner réponse.
A. Gravité de l’acte illégal
i. S’agit-il d’un acte mineur, technique ou banal, ou s’agit-il d’une infraction grave?
ii. S’agit-il d’un acte commis de bonne foi, de façon involontaire ou par inadvertance, ou s’agit-il d’un geste posé en toute connaissance de cause, par ignorance, insouciance, négligence ou aveuglement volontaire?
iii. Est-ce un acte isolé ou s’inscrit-il dans un ensemble de comportements?
B. Équité
i. À quel point l’acte illégal est-il lié à la collecte d’informations?
ii. L’acte illégal a-t-il empiété de façon importante sur les droits ou les intérêts individuels?
iii. Le caractère illégal de l’acte remet-il en cause la crédibilité ou la fiabilité des informations?
C. Intérêt de la collectivité
i. Existe-t-il des circonstances atténuantes liées à l’acte illégal, par exemple la gravité ou l’imminence d’une menace pour la sécurité du Canada?
ii. Les circonstances uniques de l’affaire donnent-elles lieu à d’autres facteurs?
[196] Comme dans le cas du paragraphe 24(2), le tribunal devrait tenir compte de ces facteurs et des questions sous-jacentes dans l’optique de l’incidence générale qu’aurait à long terme la décision d’exclure les informations contestées sur la considération dont jouit l’administration de la justice. Il y a lieu d’accorder une attention particulière à l’attente relative au respect de la loi dans l’exécution des enquêtes de sécurité nationale. Il s’agit d’un examen de nature objective, qui vise à déterminer les conclusions que tirerait une personne raisonnable et informée (Grant no 2, au paragraphe 68).
[197] Les facteurs doivent être pris en considération dans leur ensemble. L’importance accordée à chacun dépendra des circonstances.
D. Si la Cour se rend compte que des informations qui lui ont été présentées avaient probablement été recueillies illégalement, peut-elle invalider les mandats décernés sur la foi de ces informations ou prendre d’autres mesures? [Retour à la table des matières]
1) Un juge désigné peut revoir une décision de décerner un mandat [Retour à la table des matières]
[198] Ne sont pas en cause, en l’espèce, les conséquences du signalement, après la délivrance d’un mandat, de circonstances ou de comportements qui auraient pu avoir une incidence sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Cette question a toutefois été soulevée dans les dossiers dont les juges Kane et Brown sont saisis. En outre, le Service a entrepris un examen de ses dossiers afin de déterminer si le problème de l’illégalité entache d’autres mandats décernés. Partant, il se peut qu’il soit constaté que des comportements susceptibles d’être illégaux ont été mis en cause dans d’autres demandes de mandats présentées à la Cour. La question des pouvoirs dont dispose la Cour en de telles circonstances ont fait l’objet d’observations écrites et orales lors des audiences sur les questions d’intérêt commun. Je l’aborde par souci d’exhaustivité.
[199] Parce qu’il s’agit d’une instance ex parte, le procureur général reconnaît qu’il peut y avoir lieu, lorsqu’un mandat a été décerné sans communication exhaustive des activités illégales, que la Cour conserve le pouvoir de se pencher sur ce problème et de réévaluer la validité du mandat. Il reconnaît en outre qu’un juge désigné peut annuler un mandat qui n’aurait pas dû être décerné en premier lieu.
[200] Dans ses observations sur l’analyse qu’un juge devrait effectuer pour déterminer s’il y a lieu d’annuler un mandat, le procureur général renvoie à l’arrêt R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421, 1990 CanLII 52 (Garofoli). Selon le cadre défini dans l’arrêt Garofoli, le juge qui procède à un examen a posteriori doit se demander, après s’être penché sur la non-communication, si les mandats originaux auraient pu avoir été décernés sur la foi des informations restantes.
[201] Les amici sont aussi d’avis que la Cour conserve sa compétence sur les mandats qu’elle a décernés et qu’ainsi, elle peut agir lorsqu’elle apprend qu’un acte illégal relatif à un mandat a été commis.
[202] Je suis d’accord avec la position présentée d’un commun accord dans les observations. La Cour a le droit inhérent de revoir une ordonnance rendue ex parte lorsque, par la suite, sont portés à son attention des faits nouveaux qui auraient pu avoir une incidence sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. De préférence, le juge désigné qui a décerné le mandat réalisera aussi l’examen a posteriori (Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594, aux pages 607 et 625).
[203] Le juge Mosley a exercé ce pouvoir dans la décision X (Re) 2013. En janvier 2009, il a décerné au Service un mandat valide pour trois mois, qu’il a reconduit pour neuf mois en avril, décision qu’il a motivée par des observations écrites. En novembre 2013, le juge Mosley a rédigé d’autres motifs en raison de nouveaux développements ayant trait à sa décision de décerner le mandat en janvier et en avril 2009 [au paragraphe 4] :
Les présents motifs supplémentaires d’ordonnance répondent à de récents développements et visent à clarifier la portée et les limites des motifs délivrés en 2009. Selon moi, cela s’imposait en raison des renseignements additionnels qui ont été fournis à la Cour à la suite de la publication du Rapport annuel 2012–2013 du Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC), par l’honorable Robert Décary, c.r. […] Les présents motifs additionnels portent sur des questions qui ont été soulevées quant à savoir si l’obligation d’exposer complètement les faits à la Cour à laquelle est tenu le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) a été respectée et sur des questions concernant les pratiques de collecte à l’étranger du Service et de la CSTC relativement à la délivrance de 30-08.
[204] Dans ces autres motifs, le juge Mosley n’aborde pas directement la question du pouvoir de revenir sur les mandats décernés bien après leur expiration. Il semble toutefois que le procureur général n’ait pas contesté que la Cour ait eu le pouvoir de ce faire. Les nouveaux motifs ont été portés en appel. Au cours de l’appel, il ne semble pas que le procureur général ait contesté le pouvoir de la Cour d’aborder la question de la non-communication après la délivrance et l’expiration des mandats (X (Re) 2014).
[205] Dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50 (RBC), la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur le pouvoir dont dispose les Cours fédérales lorsqu’il s’agit d’examiner ex parte une demande présentée en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1. La Cour d’appel a souligné que l’existence d’une discrétion judiciaire est essentielle à la validité constitutionnelle d’un pouvoir qui permet de prendre des mesures assimilables à une saisie, même s’il est exercé dans un contexte non criminel (RBC, au paragraphe 23). Elle a ensuite étudié les pouvoirs dont disposent les Cours fédérales pour remédier au manquement aux obligations de franchise et de communication complète dans une instance ex parte [aux paragraphes 31 et 33 à 36] :
La thèse du ministre soulève également des questions plus fondamentales. Un manquement à l’obligation de communiquer tous les renseignements pertinents quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour au moment de la présentation d’une requête ex parte, telle que celle visée par le paragraphe 231.2(3), peut entraver la capacité e la Cour d’agir de manière appropriée et judiciaire et peut donner lieu au prononcé d’ordonnances qui n’auraient pas dû l’être. Il s’agit d’un abus de procédure.
[…]
Les Cours fédérales ont le pouvoir, indépendant de tout texte législatif, de remédier aux abus de procédure, tels l’omission de communiquer tous les renseignements pertinents au moment de la présentation d’une requête ex parte (Indian Manufacturing Ltd. et al. c. Lo et al. (1997), 75 C.P.R. (3d) 338, à la page 342 (C.A.F.); May & Baker (Canada) Ltd. c. Motor Tanker “Oak”, [1979] 1 C.F. 401, à la page 405 (C.A.)).
Selon cette jurisprudence, le pouvoir des Cours fédérales est un pouvoir « inhérent ». Il fut un temps où cette jurisprudence aurait pu être attaquée au motif que les Cours fédérales, en tant que cours d’origine législative, ne disposent pas de pouvoirs inhérents. Ce n’est cependant plus le cas.
La Cour suprême a confirmé que les Cours fédérales peuvent être considérées comme ayant « plénitude de compétence », de sorte que leurs pouvoirs s’apparentent aux pouvoirs inhérents des cours supérieures provinciales (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, aux paragraphes 35 à 38), (qui énonce, bien que dans un contexte différent, un principe d’application universelle). Ces pouvoirs sont particulièrement pertinents dans les cas où la Cour est appelée à exercer « son pouvoir de surveillance sur les agissements du ministre dans le cadre de l’administration et la mise en œuvre de la Loi » (Derakhshani, précité, aux paragraphes 10 et 11).
À mon avis, le pouvoir des Cours fédérales de repérer et d’examiner les cas d’abus de leur propre procédure et, si nécessaire, d’y remédier, est un pouvoir absolu, indépendant des pouvoirs conférés par un texte législatif, un « attribut immanent » qui fait partie de son « caractère essentiel », comme c’est le cas pour les cours supérieures provinciales dotées d’une compétence inhérente (voir MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725, au paragraphe 30). Le pouvoir des Cours fédérales de contrôler l’intégrité de leur propre procédure fait partie de leur fonction fondamentale, essentielle à la bonne administration de la justice, à la préservation de la primauté du droit et au maintien d’un juste équilibre entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Sans ce pouvoir, un tribunal, même un tribunal visé par l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, est affaibli et n’est pas véritablement un tribunal (voir MacMillan Bloedel, précité, aux paragraphes 30 à 38, citant avec approbation K. Mason, « The Inherent Jurisdiction of the Court » (1983), 57 A.L.J. 449, à la page, et I.H. Jacobs, « The Inherent Jurisdiction of the Court » (1970), 23 C.L.P. 23; voir aussi Crevier c. P.G. (Québec), [1981] 2 R.C.S. 220). [Non souligné dans l’original.]
[206] Ce raisonnement s’applique aussi dans le contexte des demandes de mandats faites en vertu de la Loi sur le SCRS. Conclure que la Cour n’a pas le pouvoir de revoir les mandats décernés lorsqu’elle apprend, par la suite, qu’il y a eu des problèmes de franchise reviendrait à soustraire le Service aux conséquences de ses actes. De même, la Cour serait impuissante devant des informations qui remettent en question la délivrance d’un mandat, si la Cour avait eu connaissance de toutes les informations pertinentes. Cela entraverait la capacité d’un juge désigné d’agir à titre de gardien contre les pouvoirs intrusifs de l’État (RBC, au paragraphe 31; Données connexes, au paragraphe 100) et effriterait la confiance du public en la primauté du droit.
2) Le cadre défini dans l’arrêt Garofoli, modifié en fonction du contexte, guide l’examen a posteriori [Retour à la table des matières]
[207] Pour déterminer le critère à appliquer pour la révision d’un mandat décerné en vertu de la Loi sur le SCRS, il est utile de prendre connaissance des précédents relatifs aux mandats de perquisition décernés dans un contexte criminel.
[208] La Charte exige généralement que les forces de l’ordre, avant de pouvoir perquisitionner, établissent sous serment qu’il existe des motifs raisonnables et probables justifiant la perquisition et que des éléments de preuve se trouveront sur les lieux (Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145 (Hunter), à la page 168).
[209] En cas de contestation d’un mandat de perquisition dans un contexte criminel, après avoir supprimé, des informations à l’appui, celles qui avaient été obtenues illégalement, le juge chargé de la révision doit déterminer si le mandat aurait pu être décerné sur la foi des informations restantes (Garofoli, à la page 1452; Araujo, au paragraphe 53). Il ne s’agit pas de déterminer si le juge aurait décerné le mandat, mais d’évaluer s’il reste, après la suppression des faits contestés, suffisamment d’informations crédibles et fiables pour justifier que le mandat aurait pu être décerné (R. c. Morelli, 2010 CSC 8, [2010] 1 R.C.S. 253 (Morelli), au paragraphe 40). Dans l’affirmative, le mandat demeure fondé.
[210] Pour déterminer si les informations suffisent, le juge qui siège en révision peut avoir recours à l’« amplification », c’est-à-dire à d’autres informations disponibles au moment de la demande qui permettraient de corriger de petites erreurs techniques commises de bonne foi dans la préparation des informations (Morelli, aux paragraphes 41 à 43).
[211] Le juge qui siège en révision ne devrait pas annuler un mandat à moins d’être convaincu, compte tenu de l’ensemble des informations présentées, que sa délivrance n’était pas fondée (Garofoli, à la page 1454).
[212] Dans l’arrêt Araujo, la Cour suprême, citant la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans R. v. Morris (1998), 173 N.S.R. (2d) 1, 134 C.C.C. (3d) 359 (Morris), a reconnu que la jurisprudence n’écarte pas la possibilité que l’erreur délibérée ou frauduleuse invalide le mandat, même si ce n’est pas automatiquement le cas. Le juge siégeant en révision peut annuler un mandat lorsque l’erreur constitue une infraction telle au processus de préautorisation que l’annulation est nécessaire pour le protéger (Araujo, au paragraphe 54).
[213] Dans l’arrêt R. v. Bacon, 2010 BCCA 135, 285 B.C.A.C. 108 (Bacon), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a soutenu que le juge siégeant en révision a pour rôle [traduction] « de supprimer toute information contestable et de déterminer si ce qui reste est suffisant » (au paragraphe 26) et, pour cet examen, tient compte des informations frauduleuses ou trompeuses et des cas de non-communication importants. La Cour d’appel n’a pas écarté l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire résiduel permettant l’annulation du mandat, mais a soutenu qu’il ne serait possible de ce faire que si un abus de procédure était démontré (au paragraphe 27).
[214] Dans un contexte civil, il a été soutenu que même une non-communication survenue par mégarde pouvait entraîner l’annulation d’une ordonnance rendue ex parte (MTS Allstream Inc. v. Bell Mobility Inc., 2008 MBQB 103, 227 Man. R. (2d) 95, au paragraphe 71). À première vue, il semble que l’approche préconisée en droit civil puisse être utile à la Cour en l’espèce. Toutefois, les considérations relatives aux questions de comportement répréhensible et de non-communication ayant trait à des ordonnances rendues ex parte dans le cadre de litiges entre parties privées diffèrent de celles dont je suis saisi. Partant, je conclus que la jurisprudence civile n’a qu’une faible utilité en l’espèce.
[215] La jurisprudence criminelle ayant trait aux mandats s’applique davantage à l’espèce. Bien qu’un mandat relevant de la Loi sur le SCRS n’ait pas les mêmes fins qu’un mandat décerné dans un contexte criminel, je ne vois pas pourquoi le cadre défini dans Garofoli ne s’appliquerait pas à l’examen a posteriori d’un mandat relevant de la Loi sur le SCRS. À l’instar d’un mandat dans un contexte criminel, un mandat relatif à la sécurité nationale autorise le gouvernement à empiéter sur la vie privée d’une personne. Le processus préalable à l’autorisation a le même objectif dans les deux contextes : prévenir les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu’elle ne se produise (Hunter, à la page 160). Dans les deux contextes, il incombe au ministère public d’établir qu’un mandat est nécessaire et que les conditions préalables à sa délivrance ont été réunies.
[216] À ce propos, je souligne que le juge Edmond Blanchard a appliqué le cadre défini dans l’arrêt Garofoli lors de son examen de mandats décernés en vertu de la Loi sur le SCRS dans la décision Mahjoub (Re), 2013 CF 1096. Il était saisi d’une requête en annulation desdits mandats fondée sur des omissions et des erreurs commises dans les informations communiquées au juge qui les avait décernés. S’appuyant sur l’arrêt Garofoli, le juge Blanchard a statué que les mandats auraient pu être décernés (au paragraphe 133). La Cour d’appel fédérale a entériné cette conclusion dans l’arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344 :
À mon avis, la nature différente des mandats délivrés en vertu de l’article 21 ne justifie pas une norme juridique différente. Le fait qu’un mandat délivré en vertu de l’article 21 peut être difficile à contester dans certains contextes ne mène pas logiquement à la conclusion que, lorsqu’il est contesté devant un tribunal pour omissions ou inexactitudes — exactement comme un mandat de perquisition en vertu du droit pénal —, il devrait être assujetti à un critère juridique différent. Pour ce qui est de la politique juridique, il est difficile de comprendre pourquoi un mandat délivré en vertu de l’article 21, qui pourrait avoir été décerné malgré des omissions ou des inexactitudes, devrait être traité différemment d’un mandat décerné en vertu du droit pénal. De fait, étant donné la nécessité sans cesse croissante de se protéger contre le terrorisme et d’autres menaces pour la sécurité nationale, il est difficile de comprendre pourquoi les critères d’admissibilité dans le contexte de la sécurité nationale devraient être plus rigoureux que ceux dans le contexte du droit pénal. [Non souligné dans l’original.]
[217] En souscrivant ainsi au critère selon lequel les mandats « auraient pu être décernés » établi dans l’arrêt Garofoli, la Cour d’appel fédérale ne s’est pas prononcée sur la possibilité que les informations contestées soient automatiquement supprimées lors de l’examen a posteriori d’un mandat.
[218] J’ai déjà statué que la décision de supprimer des informations recueillies illégalement au cours du processus de demande doit fait l’objet d’une analyse contextuelle qui met en balance la gravité de l’illégalité, l’équité et l’intérêt de la collectivité. J’en suis arrivé à cette conclusion notamment parce qu’il est nécessaire d’assurer que le juge désigné comprenne bien les circonstances du comportement illicite, la fiabilité des informations en question ainsi que la nature ou le niveau de la menace à laquelle l’État s’expose si les informations sont exclues de l’examen. Que la même situation se présente dans le cadre d’un examen a posteriori ne change en rien la justification qui sous-tend l’analyse contextuelle susmentionnée, qui doit être effectuée avant de déterminer si les informations restantes suffisent.
[219] L’exercice de mise en balance à effectuer lorsqu’un problème d’illégalité est porté à l’attention de la Cour dans le cadre d’un examen a posteriori met en cause les facteurs susmentionnés (voir le paragraphe 195) : 1) la gravité de l’acte illégal, 2) l’équité et 3) l’intérêt de la collectivité. Chacun de ces facteurs, comme il en est question plus haut, s’accompagne de questions qui doivent obtenir réponse.
[220] Certes, l’approche impliquant la mise en balance de facteurs qui vise à déterminer la validité d’un mandat en matière de sécurité nationale dans le contexte d’un manquement à l’obligation de franchise m’oblige à m’éloigner de l’arrêt Garofoli à cet égard. Toutefois, les critiques visant l’approche définie dans l’arrêt Garofoli — à savoir qu’elle crée une anomalie et que ses bases doctrinales sont fragiles — me confortent dans ma décision à cet égard (Jaser, aux paragraphes 25 à 29). En raison de cet éloignement, mes conclusions se limitent aux circonstances en l’espèce : déterminer la validité d’un mandat décerné pour des raisons de sécurité nationale remis en question pour des motifs liés à un manquement à l’obligation de franchise. Je ne dis pas pour autant que la suppression automatique ne pourrait pas ou ne devrait pas s’appliquer lorsqu’il y a remise en question d’un mandat décerné pour des raisons de sécurité nationale dans le contexte d’une instance criminelle en cours.
[221] Après s’être prononcé sur la suppression d’informations, le juge devrait appliquer le critère selon lequel les mandats « auraient pu être décernés ». Ce faisant, il prendra en considération les informations restantes au dossier, dont tout élément de preuve « amplificateur » qui vient corriger toute petite erreur technique commise de bonne foi dans la demande, et ce, afin de déterminer si les exigences prévues au paragraphe 21(3) de la Loi sur le SCRS auraient pu être respectées. Dans l’affirmative, le mandat reste valide. Si ce n’est pas le cas, il doit être annulé.
[222] Le critère selon lequel les mandats « auraient pu être décernés » établi dans l’arrêt Garofoli ne supplante pas le pouvoir dont dispose la Cour de corriger les abus de sa propre procédure qui peuvent être commis lorsqu’un cas de non-conformité implique un manquement à l’obligation de franchise ou une autre forme de conduite irrégulière de la part du Service ou du procureur général (RBC, au paragraphe 36). La jurisprudence relative à l’arrêt Garofoli reconnaît cette possibilité (Morris, à la page 553; Araujo, au paragraphe 54; Bacon, au paragraphe 27). Dans une telle circonstance, la Cour peut envisager différentes mesures correctives, la plus importante étant l’annulation du mandat. Cependant, à mon avis, comme dans un contexte criminel, le juge désigné ne devrait pas annuler un mandat valide, à moins qu’il soit question d’une inconduite particulièrement grave.
[223] Pour des raisons d’ordre pratique et par souci d’utiliser à bon escient les ressources judiciaires, le juge désigné qui doit revoir un mandat déjà décerné en raison d’un manquement à l’obligation de franchise peut évaluer directement si les informations restantes suffisent, après avoir exclu d’emblée les informations contestées. Il s’agit essentiellement de l’approche adoptée par le juge Noël dans le dossier [***Dossier A***] Toutefois, si la suppression automatique mène à la conclusion que le mandat n’aurait pas pu être décerné, j’estime que le juge désigné devrait être tenu d’effectuer un exercice de mise en balance exhaustif avant de trancher la question de façon définitive.
E. Si elle invalide un mandat décerné, quels pouvoirs la Cour peut-elle invoquer pour rendre des ordonnances réparatrices quant aux informations recueillies en vertu de ce mandat? Comment la Cour devrait-elle exercer ces pouvoirs? [Retour à la table des matières]
1) La Cour peut rendre une ordonnance quant à l’utilisation ou à la conservation d’informations recueillies en vertu d’un mandat invalidé [Retour à la table des matières]
[224] Le procureur général est d’avis que le Service peut conserver des informations recueillies en vertu d’un mandat invalidé, lorsqu’elles respectent le critère de la stricte nécessité prévu à l’article 12 de la Loi sur le SCRS, qui s’applique à la conservation (Données connexes, au paragraphe 256). Il ajoute que la compétence de la Cour sur les informations recueillies au moyen d’un mandat décerné en vertu de la Loi sur le SCRS n’est pas claire et qu’elle devrait être abordée avec précaution. Le procureur général avance que la Cour fédérale, à titre de tribunal établi en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], possède uniquement la compétence qui lui est conférée par la loi (Windsor (City) c. Canadian Transit Co, 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617, au paragraphe 33). Il reconnaît que la Cour dispose du pouvoir implicite qui lui est nécessaire pour exécuter le mandat que lui confère la loi (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, au paragraphe 17) et du plein pouvoir de remédier aux abus de sa propre procédure (RBC, aux paragraphes 33 et 36). Il reconnaît en outre, et la jurisprudence le confirme, que la Cour, en vertu de son pouvoir implicite et de son plein pouvoir, a compétence pour annuler ou modifier un mandat (X (Re) 2014; RBC, au paragraphe 33; alinéa 21(4)f) de la Loi sur le SCRS). Il soutient toutefois que ce pouvoir ne s’étend pas nécessairement à l’émission d’une ordonnance réparatrice ayant trait à la conservation ou à l’utilisation d’informations recueillies en vertu d’un mandat invalidé.
[225] Le procureur général souligne que l’article 21 ne comporte aucune disposition autorisant expressément l’émission d’ordonnances réparatrices. Il met en opposition cet état de fait avec le régime relatif aux ensembles de données récemment ajouté à la Loi sur le SCRS, qui limite l’utilisation que peut en faire le Service dans certaines circonstances (paragraphe 11.15(5)) et autorise expressément la Cour à prendre les mesures qui s’imposent dans le cadre d’un examen de la légalité de l’interrogation et de l’exploitation d’ensembles de données, selon le processus prévu à l’article 27.1. Cet argument ne me convainc pas.
[226] Le régime relatif aux ensembles de données est un ajout récent à la Loi sur le SCRS, aux termes de laquelle un « ensemble de données » est un « [e]nsemble d’information sauvegardées sous la forme d’un fichier numérique qui portent sur un sujet commun » (article 2). Selon l’article 11.01, il existe trois types d’ensembles de données : accessibles au public; canadiens; étrangers. Les articles 11.01 à 11.25 en prescrivent la collecte, la conservation, l’utilisation et la destruction, notamment l’exigence que les ensembles de données qui comportent principalement des informations liées à des Canadiens ou à d’autres individus se trouvant au Canada soient assujettis à une autorisation judiciaire (articles 11.13 à 11.15). La Loi sur le SCRS ne prévoit pas de mesures correctives judiciaires dans le contexte de ce processus d’autorisation.
[227] Le pouvoir légal de prendre des mesures correctives dont dispose la Cour, sur lequel se fonde le procureur général, est invoqué dans un contexte différent, c’est-à-dire l’examen judiciaire à effectuer lorsque l’Office de surveillance en matière de sécurité nationale et de renseignement est d’avis que le Service a mené des activités d’interrogation et d’exploitation qui pourraient ne pas être conformes à la loi (article 27.1).
[228] Ce processus n’est pas analogue aux processus d’autorisation judiciaire prévus aux articles 11.13 et 21. Ces derniers exigent la mise en balance d’intérêts individuels et d’intérêts de société concurrents au sein d’un cadre légal. Le juge désigné a l’entière discrétion quant au résultat de cet exercice de pondération, bien qu’il soit guidé par les critères légaux. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire dépend notamment du respect plein et entier, par le Service, de son obligation de franchise. Cela met en cause le pouvoir implicite et le plein pouvoir de la Cour de corriger les abus directement liés à l’exercice du pouvoir discrétionnaire.
[229] Bien qu’elle soit limitée et qu’elle se présente dans le contexte du droit criminel antérieur à la Charte, la jurisprudence va dans le sens du point de vue selon lequel le plein pouvoir de la Cour englobe le pouvoir discrétionnaire d’ordonner des mesures correctives relativement à un mandat invalidé, y compris la destruction des informations recueillies en vertu de ce mandat (Bergeron et al. c. Deschamps et al. [1978] 1 R.C.S. 243, aux pages 244 et 245). En droit criminel, il a été tranché qu’une autre conclusion viderait l’annulation de son sens (Re Chapman and the Queen (1984), 46 O.R. (2d) 65 (C.A.)). Depuis, l’article 24 de la Charte fait état du principe voulant qu’un tribunal ayant la compétence de décerner des mandats détient le pouvoir discrétionnaire, au moins au cours d’une instance, d’imposer des conséquences à l’obtention d’informations illégalement ou en violation de droits.
[230] Le procureur général soutien en outre que toute intention d’ordonner la destruction d’informations recueillies exige la prise en considération de l’obligation de conservation et de communication du Service, tel qu’il a été établi dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326 (Charkaoui), où la Cour suprême du Canada a statué que le Service a le devoir de conserver les informations qu’il recueille dans les limites prévues par la législation qui gouverne ses activités. Le procureur général ajoute que la prise d’éventuelles mesures correctives doit tenir compte du fait que l’annulation d’un mandat signifie que toute collecte effectuée en vertu de ce mandat est réputée abusive au sens de l’article 8 de la Charte, ce qui, en soi, est une mesure corrective importante. En l’espèce, le procureur général soutient qu’il n’y a pas lieu de prendre d’autres mesures correctives, soulignant aussi les mesures concrètes qui ont été prises pour corriger les défaillances systémiques et organisationnelles.
[231] Je ne suis pas en désaccord. Toutefois, ces arguments n’ont pas d’incidence sur la portée du pouvoir de réparation de la Cour eu égard à un mandat invalidé. Il y a plutôt lieu de tenir compte de ces questions au moment d’étudier si — et comment — un tribunal invoquera son pouvoir discrétionnaire pour s’attaquer à un abus de sa propre procédure ayant mené à l’annulation d’un mandat.
[232] Le pouvoir incontesté de la Cour d’annuler ou de modifier un mandat qu’elle a décerné sur la foi d’informations erronées ou en raison d’un manquement à l’obligation de communication complète et franche englobe celui de prendre des mesures correctives quant aux informations recueillies en vertu de ce mandat. Toute autre conclusion pourrait bien effriter la confiance du public en l’administration de la justice.
[233] À titre de mesures correctives, il peut être question de restreindre l’utilisation des informations recueillies en vertu du mandat invalidé, de les isoler, voire de les détruire. Il incombe au juge désigné de déterminer les éventuelles mesures à prendre, à la lumière des observations faites dans le dossier sur les circonstances de l’invalidation ainsi que d’autres facteurs, par exemple l’obligation de conservation et de communication du Service établie dans l’arrêt Charkaoui. Le procureur général est d’avis que le cadre en trois volets établi dans l’arrêt Grant no 2 serait le mieux adapté à cette analyse.
[234] Le cadre établi dans l’arrêt Grant no 2 touche effectivement les questions qui seraient soulevées dans ce contexte. Toutefois, il ne m’est pas nécessaire de prendre en considération l’ensemble des facteurs et des circonstances en cause. Il suffit de dire que le Service ne peut pas simplement invoquer sa mission pour soutenir qu’il conserve le plein accès aux informations recueillies en vertu d’un mandat invalidé. Le procureur général doit être prêt à aborder la question des mesures correctives et à démontrer que ces mesures ne seraient pas adéquates.
2) Conservation de la compétence à l’égard des informations recueillies au moyen de conditions [Retour à la table des matières]
[235] Les amici soutiennent qu’outre sa compétence inhérente en ce qui a trait à la prise de mesures correctives, la Cour peut aussi invoquer le pouvoir que lui confère la Loi sur le SCRS pour imposer « les conditions que le juge estime indiquées dans l’intérêt public » (alinéa 21(4)f)) au moment de la délivrance afin de conserver sa compétence eu égard aux informations recueillies en vertu du mandat. Les amici ont proposé une condition et un élément d’énoncé à ajouter, ensemble ou indépendamment, aux futurs mandats. S’ils sont adoptés, les passages proposés par les amici établiraient et confirmeraient le pouvoir permanent de la Cour de rendre des ordonnances relatives à l’utilisation ou à la conservation d’informations recueillies en vertu du mandat en cas de problèmes éventuels quant à l’obligation de franchise.
[236] Le procureur général soutient que l’alinéa 24(1)f) ne permet pas à la Cour d’ajouter à un mandat des dispositions qui lui donneraient un contrôle indéfini sur les informations recueillies en vertu du mandat. Il renvoie au paragraphe 186(4) du Code criminel, qui donne le pouvoir d’imposer des conditions lorsque des activités d’écoute électronique ont été autorisées par un juge. Le procureur général souligne que, selon l’arrêt Lyons c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 633, à la page 672, le terme « intérêt public » qui figure à l’alinéa 186(4)d) se rapporte à l’imposition, par un tribunal, de conditions relatives à l’exécution du mandat, pas à l’utilisation ni à la conservation des informations qu’il permet de recueillir. Selon le procureur général, l’alinéa 21(4)f) de la Loi sur le SCRS doit être interprété de même.
[237] En réponse, les amici soulignent que l’alinéa 21(4) de la Loi sur le SCRS touche non seulement aux activités de collecte, mais aussi, à l’alinéa d.1), à la conservation d’informations recueillies de manière incidente. Ils soutiennent en outre que les mandats décernés en vertu de la Loi sur le SCRS limitent déjà la conservation de certaines informations.
[238] Ayant déjà conclu que la Cour peut exercer son pouvoir inhérent en ce qui concerne l’utilisation ou la conservation d’informations lorsqu’elle a invalidé un mandat, je n’ai pas à me prononcer sur la possibilité que l’alinéa 24(4)f) constitue un autre fondement juridique à cet égard.
[239] Le procureur général juge redondant et inutile l’ajout d’un élément d’énoncé ou d’une condition faisant état du pouvoir inhérent de la Cour en la matière, comme l’ont proposé les amici. Ces derniers soutiennent plutôt que cet ajout aurait comme effet bénéfique de mettre en relief le pouvoir inhérent de la Cour.
[240] Je suis convaincu que l’ajout d’un élément d’énoncé reflétant le pouvoir inhérent de la Cour de rendre d’autres ordonnances relatives aux informations recueillies en vertu du mandat serait effectivement avantageux. Les amici ont proposé le libellé suivant :
[traduction] J’ai avisé le Service et le procureur général que la Cour peut, par ordonnance, limiter ou interdire l’utilisation ou la conservation des informations recueillies en vertu du présent mandat si elle détermine que la demande ayant mené à sa délivrance a été fondée sur des informations sur lesquelles la Cour n’aurait pas dû se fier, ou a été présentée sans que le Service ou le procureur général respecte son obligation de franchise envers elle.
[241] Dans les demandes étudiées par la Cour, les mandats se présentent habituellement sous forme de modèles types. Toutefois, le juge chargé de décerner les mandats a toute latitude quant au libellé d’un mandat et aux conditions qui y sont imposées. L’élément d’énoncé proposé par les amici n’a pas été soumis à une formation plénière de la Cour, comme cela s’était fait dans Données connexes (aux paragraphes 201 à 252). Je ne suis donc pas disposé à ordonner la modification des modèles de mandats. Toutefois, dans l’attente d’un processus qui permettra à un plus grand nombre de se pencher sur l’utilité d’un nouvel élément d’énoncé ou d’une nouvelle condition et de leur libellé, le Service s’assurera que les juges désignés :
A. savent que le pouvoir inhérent de la Cour lui permettra de traiter les cas de manquement à l’obligation de franchise ensuite portés à son attention. Elle pourra ainsi rendre des ordonnances relatives à l’utilisation ou à la conservation d’informations recueillies en vertu d’un mandat invalidé par la suite;
B. reçoivent l’élément d’énoncé proposé qui reflète le libellé établi au paragraphe 240.
F. En cas de suppression d’informations de la demande, la Cour peut-elle encore se fonder sur la consultation et sur l’approbation préalables qu’exigent les paragraphes 7(2) et 21(1) de la Loi sur le SCRS? [Retour à la table des matières]
[242] Une dernière question a été soulevée au cours de l’instance quant au caractère adéquat de la consultation et de l’approbation préalables d’une demande dans les cas où il y a, par la suite, suppression d’informations.
[243] Avant de présenter une demande de mandats en vertu de la Loi sur le SCRS ou de demander le renouvellement d’un mandat, le directeur du Service ou un employé désigné doit consulter le sous-ministre (paragraphe 7(2)) et obtenir l’approbation du ministre (paragraphe 21(1)). En l’absence de consultation et d’approbation, la Cour ne peut pas décerner un tel mandat.
[244] Le procureur général et les amici se sont demandé si la Cour peut toujours se fonder sur une consultation et une approbation après que des informations importantes ont été supprimées par la Cour, ou lorsque celle-ci prend connaissance après coup de circonstances qui auraient pu avoir une incidence importante sur la consultation et l’approbation, par exemple le problème de l’illégalité.
[245] Le procureur général est d’avis que les conclusions subséquentes du juge qui a décerné le mandat n’annulent ni la consultation ni l’approbation. Il soutient que l’exigence de consulter le sous-ministre et d’obtenir l’approbation du ministre avant de présenter une demande de mandats judiciaire illustre les rôles distincts de l’organe exécutif et de la Cour, comme c’était l’intention du législateur : l’organe exécutif évalue si la gravité de la menace pour la sécurité nationale justifie la demande de mandats; la Cour évalue et met en balance les éléments de preuve présentés en appui à la demande. Selon le procureur général, la Loi sur le SCRS donne au ministre les outils nécessaires pour s’assurer que les conclusions judiciaires soient portées à son attention, ainsi que le pouvoir d’agir quand les circonstances s’y prêtent; il peut ainsi ordonner au Service de mettre fin à l’exécution d’un mandat (article 6).
[246] Les amici soutiennent qu’il y a lieu de présumer que la consultation avec le sous-ministre est censée être porteuse de sens et comporter une évaluation de la probabilité que la demande soit accordée. Ils ajoutent que la Cour pourrait conclure que ce n’est plus le cas après qu’elle a modifié le dossier de façon importante par la suppression d’éléments de preuve en raison d’un problème d’illégalité qui n’avait pas été signalé au moment de la consultation. De même, selon les amici, il ne saurait être question de présumer que le ministre, au moment de décider d’approuver la demande, n’aurait pas trouvé qu’un problème d’illégalité important n’aurait pas été un facteur pertinent.
[247] La Loi sur le SCRS ne traite pas de l’objet de l’obligation, pour le directeur, de consulter le sous-ministre avant de faire une demande de mandats. Le rapport de la Commission McDonald aborde effectivement le rôle du sous-ministre dans le processus de demande de mandats. Cette participation a pour objectif d’assurer que le ministre, lorsqu’il détermine s’il y a lieu de demander un mandat, « puisse compter sur l’avis des fonctionnaires les plus haut placés et les plus expérimentés [du] ministère » (rapport de la Commission McDonald, vol. 1, partie V, à la page 582, au paragraphe 95). Je suis donc d’accord avec les amici : consulter le sous-ministre est une fonction porteuse de sens, qui n’est accomplie que si le sous-ministre est mis au courant de tous les faits importants.
[248] L’objet de l’approbation du ministre est abordé dans les débats législatifs. Comme l’a affirmé le solliciteur général Robert Kaplan, dans son témoignage devant au Comité permanent de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes, il s’agit de déterminer [traduction] « si la sécurité nationale est en jeu ». Il a ajouté que, pour décider s’il approuve une demande de mandats, « le ministre évalue la gravité de la menace et approuve la demande s’il estime que le jeu en vaut la chandelle ». Pour remplir son rôle, c’est-à-dire déterminer si « le jeu en vaut la chandelle », le ministre a besoin d’être mis au courant avec précision des faits utiles qui, il est possible de le présumer, comprennent les questions relatives à la légalité des méthodes utilisées pour recueillir les informations sur lesquelles repose la demande de mandats.
[249] La suppression d’informations et la révélation d’un problème d’illégalité après coup seraient des informations d’intérêt pour le ministre et le sous-ministre impliqués dans le processus de consultation et d’approbation. Toutefois, je ne saurais conclure que ces circonstances entachent le processus de consultation et d’approbation antérieur. Les éléments de preuve présentés à la Cour doivent faire état du processus, mais pas de ce qui a été communiqué au sous-ministre ni au ministre. Les informations communiquées peuvent être protégées par un privilège. Il ne revient pas à la Cour de se perdre en conjectures sur le contenu de la consultation ni sur les facteurs ou les circonstances pris en considération par le sous-ministre ou le ministre.
[250] Bien que le processus de consultation et d’approbation préalable à la demande de mandats que prévoit la Loi sur le SCRS ne soit pas entaché par les circonstances ou les faits mis au jour au cours de l’examen judiciaire de la demande, le juge désigné saisi de la demande dispose d’un large pouvoir discrétionnaire quant à la décision de décerner le mandat. En cas de suppression d’informations importantes, de révélation d’un problème d’illégalité ou de divulgation d’autres circonstances importantes, le juge a toujours la latitude, dans l’exercice de son large pouvoir discrétionnaire, de refuser la délivrance jusqu’à ce que le sous-ministre et le ministre aient été mis au courant des circonstances.
G. Application au dossier [***Dossier B***] [Retour à la table des matières]
1) Aperçu [Retour à la table des matières]
[251] Comme il en a été question plus haut, la décision relative au dossier [***Dossier B***] a été prise en délibéré dans l’attente de l’examen des questions juridiques sous-jacentes. En raison de l’expiration à venir des mandats décernés dans le dossier [***Dossier A***] et de la portée croissante des questions découlant de la procédure en formation plénière et des audiences sur les questions d’intérêt commun, en avril 2019, j’ai reçu et entendu des éléments de preuve mis à jour. Les mandats demandés ont été décernés. Ce que j’ai appelé une « ordonnance supplémentaire » est devenu une partie intégrante des mandats décernés. Elle :
A. décrit en détail l’historique des procédures à compter du 4 avril 2019;
B. décrit les éléments de preuves mentionnés dans l’affidavit supplémentaire déposé en réponse à des démarches antérieures et informe la Cour des derniers développements de l’enquête du Service sur les activités liées à la menace des [***] cibles des mandats demandés;
C. souligne que l’avocat du procureur général avait remis à la Cour une copie non signée de l’affidavit du 6 septembre 2018, dans lequel les informations obtenues au moyen d’activités directement liées aux questions juridiques soumises à la dont la Cour étaient surlignées à titre indicatif;
D. souligne que les informations surlignées dans la copie non signée de l’affidavit du 6 septembre 2018 remis à la Cour ont été exclues de l’examen de la demande;
E. souligne que les informations fournies par [***] sources humaines ont été prises en considération, la Cour étant convaincue [***] qu’elles dataient d’avant toute activité illégale présumée et, [***] que le Service en aurait pris connaissance d’une autre manière.
[252] Bien que cela ne soit pas signalé dans l’ordonnance supplémentaire, les informations obtenues dans le cadre d’activités directement liées aux questions juridiques dont est saisie la Cour ont aussi été surlignées dans l’affidavit du 1er avril 2019. Elles ont aussi été exclues de l’examen de la demande.
2) Activités [***d’enquête***] du Service [Retour à la table des matières]
[253] Les affidavits présentés le 6 septembre 2018 et le 1er avril 2019 établissent que les [***] cibles de l’enquête du Service mentionnées dans les dossiers [***Dossier A***] et [***Dossier B***] [***] sont des citoyens canadiens qui se sont rendus [***] se trouvaient [***] au moment de la demande de mandats, et ils y ont combattu au sein de différents groupes liés à des interprétations extrémistes de l’islam. Selon le déposant chacun d’entre eux a des liens avec d’autres personnes radicalisées qui en ont appelé à la perpétration d’attentats terroristes contre des pays occidentaux ou qui sont impliquées dans la préparation de tels attentats. Le déposant croit que les mandats sont nécessaires pour faire enquête sur la menace que font planer ces personnes dans l’éventualité de leur retour au Canada.
[254] Avant de faire la demande initiale dans le dossier [***Dossier A***], le Service a mené des activités de collecte sans mandat, qui ont impliqué l’exécution de ce qui a été appelé, dans le dossier [***Dossier B***] [traduction] [***l’enquête***] du Service.
[255] [***L’enquête***] a permis la collecte d’informations utilisées en appui à la demande dans le dossier [***Dossier A***] Le juge Noël a demandé au déposant des détails additionnels et des précisions sur de nombreux points, dont l’autorité dont disposait le Service pour entreprendre [***l’enquête***] le caractère opportun de paiements qui, selon l’affidavit, avaient été faits à [***]
[256] [***L’enquête***] a été décrite dans la preuve présentée dans le dossier [***Dossier B***] Selon le déposant, il est particulièrement difficile d’enquêter sur des combattants canadiens [***] En vue de recueillir des informations sur les activités liées à la menace de personnes dans des milieux hostiles et difficiles, le Service [***a mené une enquête. Au cours de cette enquête, le Service a versé des paiements pendant quelques années, totalisant moins de 25 000 $, à un individu connu pour faciliter ou effectuer des actes de terrorisme.***] [***]
[257] [***]
[258] [***]
[259] [***]
3) Autres illégalités [Retour à la table des matières]
[260] Outre l’éventuel caractère illégal des paiements effectués [***au cours de l’enquête***] [***] six autres cas possibles d’illégalité ont été signalés à la Cour au fil de l’instance. Il s’agissait du versement de paiements ou de fourniture de biens par le Service ou une source humaine agissant pour son compte [***] Dans l’un des six cas signalés, un [***] a été interrompu intentionnellement avant d’être reçu.
[261] Les avocats du procureur général ont préparé un tableau décrivant chacun des cas à l’occasion des audiences sur les questions d’intérêt commun. Les entrées pertinentes en l’espèce figurent à l’annexe C des présents jugements et motifs.
4) Illégalité et exclusion d’informations [Retour à la table des matières]
[262] Les circonstances dans lesquelles un juge désigné pourrait recevoir et examiner des informations probablement recueillies illégalement ont été l’un des points focaux des audiences sur les questions d’intérêt commun. J’ai exposé plus haut mes conclusions à ce sujet. En bref, j’ai conclu qu’un juge désigné, lorsqu’il est convaincu que des informations en appui à une demande de mandats ont probablement été recueillies illégalement, peut néanmoins en tenir compte, mais seulement après avoir soupesé les facteurs et les circonstances susmentionnés.
[263] Le temps que j’examine la demande en l’espèce et que je me prononce, le Service et le ministère de la Justice avaient reconnu le manquement à l’obligation de franchise. Le Service a aussi révélé les circonstances du versement, de la fourniture ou de la prestation de paiements, de biens ou de services en infraction ou en possible infraction avec le Code criminel. Les informations recueillies auprès des sources et au moyen de [***l’enquête***] qui ont servi à établir la demande ont été reconnues comme telles. À cette étape, je n’avais pas entamé de réflexion sur la possibilité que le comportement peut-être illégal l’ait carrément été, selon la prépondérance des probabilités; néanmoins, j’ai décidé d’exclure de l’examen toutes les informations contestées.
[264] Depuis, j’ai conclu — voir plus haut — que l’approche consistant à supprimer automatiquement les informations recueillies illégalement ne permet pas d’évaluer, d’examiner ni de mettre en balance, en tenant compte des nuances nécessaires, les circonstances qui peuvent avoir mené à la collecte illégale dans le contexte de la sécurité nationale. À mon avis, toute décision d’exclure des informations nécessaires à la demande de mandats devrait requérir un examen et une mise en balance des facteurs et des circonstances dont il est question plus haut dans les présents motifs.
[265] Cependant, il n’est pas déplacé que le juge désigné, avant de procéder à cet exercice, demande si les informations peut-être affectées sont nécessaires pour appuyer la demande. S’il reste suffisamment d’informations fiables après l’exclusion pour justifier la délivrance des mandats demandés, le juge peut alors décider d’aller de l’avant sur la foi des informations restantes. Au cours de cet examen initial, les informations ne sont pas exclues parce qu’elles sont sans importance ou qu’elles ne sont pas pertinentes pour ce qui est de déterminer le respect des critères prévus à l’article 21 (R. v. G.B. (application by Bogiatzis, Christodoulou, Cusato and Churchill) (2003), 108 C.R.R. (2d) 294, [2003] O.J. no 3335 (QL) (C. sup.), au paragraphe 11). Il s’agit plutôt d’évaluer si, compte tenu de l’ensemble des informations restantes, le juge désigné a besoin de celles qui sont contestées pour se prononcer sur la demande. Si ce n’est pas le cas, le juge n’a pas à déterminer si le comportement était illégal ni à procéder à l’exercice de mise en balance.
[266] En l’espèce, ayant décidé d’exclure d’emblée les informations et étant convaincu, sur la foi des informations restantes, que les mandats pouvaient être décernés, je n’ai pas à déterminer si je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les activités en cause du Service étaient illégales. De toute façon, cet état de fait a été reconnu par les avocats du procureur général dans tous les cas de fourniture de fonds ou de biens énumérés à l’annexe C, sauf deux. Je n’ai pas non plus à soupeser les intérêts et les facteurs mentionnés plus haut. À cette étape du processus, ces questions sont caduques.
[267] Lorsqu’elle a décerné les mandats, la Cour ignorait l’un des cas d’illégalité possible, à savoir le transfert à [***une cible***] par une source humaine, [***d’un avantage financier évalué à moins de 20 $***] Le Service a approuvé le transfert [***] Il l’a porté à l’attention de la Cour après l’avoir constaté lors de l’examen des dossiers des sources humaines dont les informations avaient servi à obtenir des mandats en vigueur, examen qu’il avait amorcé après avoir reçu l’avis de janvier 2019.
[268] La source impliquée dans ce cas d’illégalité possible avait aussi viré des fonds à [***] opération qui avait été communiquée avant la délivrance des mandats. Les informations fournies par cette source n’ont pas été exclues de l’examen, car toutes les informations à l’appui de la demande dataient d’avant le virement. Les informations de la source datent aussi d’avant le transfert [***] communiqué par la suite. Aucun des deux cas d’illégalité possible n’avait d’incidence sur les informations à l’appui de la demande. Le transfert [***] révélé tardivement, n’aurait pas empêché le juge de décerner les mandats.
[269] En décidant que les mandats pouvaient être décernés, j’étais bien conscient que la délivrance de mandats est résolument un pouvoir discrétionnaire de la Cour. En effet, le paragraphe 21(3) de la Loi sur le SCRS prévoit que le juge, s’il est convaincu, « peut décerner le mandat ». Un manquement à l’obligation de franchise et un problème d’illégalité sont des circonstances qui peuvent très bien amener le juge à ne pas décerner les mandats, même si les conditions pour ce faire sont autrement réunies. Toutefois, en l’espèce, j’étais convaincu qu’il était non seulement possible, mais nécessaire, de décerner les mandats.
5) Autres questions [Retour à la table des matières]
[270] Les questions soulevées dans le dossier [***Dossier A***] et abordées dans le dossier [***Dossier B***] ne se limitent pas au problème d’illégalité réelle ou possible découlant de [***l’enquête***] et d’autres activités de sources humaines. J’aborde ici, tour à tour, les questions restantes.
a) Autorisation du Service de mener [***l’enquête***] [Retour à la table des matières]
[271] Selon l’avocat du procureur général, les [***enquêtes du type en cause***] sont une technique utilisée depuis longtemps dans les enquêtes criminelles. Le Service peut en faire usage lorsque l’opération est dûment autorisée, qu’il n’y a pas atteinte à un droit protégé et qu’il n’y a pas d’abus de procédure. Les amici partagent cette opinion.
[272] En vertu de l’article 12 de la Loi sur le SCRS, le Service peut recueillir des informations et des renseignements. Cette loi ne décrit pas les techniques opérationnelles que le Service peut employer pour ce faire. Par contre, l’article 18 mentionne des « activités opérationnelles cachées du Service » — « covert operational activities of the Service ».
[273] Le Service s’est donné des politiques qui traitent de la réalisation d’activités [***] et établissent les processus d’autorisation de telles activités. Selon la preuve, [***l’enquête***] en cause avait été approuvée au Service; [***l’enquête***] visait à enquêter sur une menace pour la sécurité du Canada découlant des activités de combattants canadiens à l’étranger. Je suis convaincu que [***l’enquête***] était légale et dûment autorisée conformément aux procédures du Service.
[274] De même, rien ne donne à penser que la collecte d’informations au cours de [***l’enquête***] a porté atteinte à des droits protégés ni que le Service a mené des activités coercitives ou abusives. Je suis convaincu que le Service avait l’autorité d’entreprendre [***l’enquête***] qui, dans son déroulement, n’a donné lieu à aucune atteinte à des droits individuels.
b) [***Communication électronique***] [Retour à la table des matières]
[275] Au cours de son enquête sur la menace que faisait planer [***] le Service a interrogé [***une personne***] qui avait clavardé avec lui [***]. [***La personne***] a consenti par écrit à ce que le Service accède directement à son compte [***] lui donnant pour ce faire ses justificatifs d’identité. Le Service a ainsi pu examiner la teneur des messages échangés entre [***la personne***] et [***]
[276] Même si [***la personne***] a consenti à ce que le Service ait accès aux messages [***], cette démarche ne met pas moins en cause la possibilité qu’[***] ait pu avoir une attente raisonnable en matière de vie privée relativement à ces communications électroniques.
[277] Pour qu’une action constitue une fouille, une perquisition ou une saisie visée par l’article 8, la personne visée doit avoir une attente raisonnable en matière de vie privée relativement aux informations auxquelles l’État a eu accès (Hunter, aux pages 150 à 160; Goodwin c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 46, [2015] 3 R.C.S. 250, au paragraphe 55). L’existence d’une telle attente doit être déterminée eu égard à l’ensemble des circonstances (R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, au paragraphe 45). Cette analyse repose sur l’objet de la fouille, de la perquisition ou de la saisie, sur le droit direct de la personne à l’égard de l’objet, sur son attente subjective en matière de vie privée ainsi que sur l’évaluation du caractère raisonnable de ladite attente subjective (R. c. Tessling, 2004 CSC 67, [2004] 3 R.C.S. 432, aux paragraphes 31 et 32; R. c. Patrick, 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579 (Patrick), au paragraphe 27; R. c. Cole, 2012 CSC 53, [2012] 3 R.C.S. 34, aux paragraphes 40 et 45).
[278] Les informations — notamment le contenu des communications — sur support électronique, peuvent susciter une attente raisonnable en matière de vie privée (Morelli; R. c. Société TELUS Communications, 2013 SCC 16, [2013] 2 R.C.S. 3; R. c. Marakah, 2017 CSC 59, [2017] 2 R.C.S. 608 (Marakah)). Dans l’arrêt Marakah, la majorité de la Cour suprême a conclu que les deux parties à une conversation électronique peuvent, en fonction de l’ensemble des circonstances, nourrir une attente raisonnable en matière de vie privée eu égard à cette conversation (Marakah, au paragraphe 5). La Cour suprême a cerné trois facteurs à prendre en considération pour déterminer le caractère objectivement raisonnable d’une attente subjective en matière de vie privée en ce qui a trait à une conversation électronique : 1) le lieu fouillé; 2) le caractère privé de l’objet de la fouille; 3) le contrôle de la personne sur l’objet de la fouille (Marakah, au paragraphe 24).
[279] En ce qui a trait aux informations stockées sur un ordinateur partagé, la Cour suprême a aussi soutenu que le consentement d’une partie n’annule pas l’attente raisonnable en matière de vie privée que peut avoir l’autre partie (R. c. Reeves, 2018 CSC 56, [2018] 3 R.C.S. 531 (Reeves), au paragraphe 41). Comme il est souligné dans Reeves, au paragraphe 41, les risques que court une personne qui donne accès à des informations qu’elle aurait préféré garder privées n’annule pas son attente raisonnable en matière de vie privée : « Il ne faut pas se demander quels risques ont été pris par la personne qui invoque la Charte, mais plutôt quels risques devraient lui être imposés dans le cadre d’une société libre et démocratique. »
[280] Le procureur général reconnaît l’attente raisonnable en matière de vie privée qu’avait [***] eu égard aux communications [***] mais soutient qu’il ne saurait être question de conclure que l’attente était objectivement raisonnable. Il souligne que cet élément de preuve a été obtenu [***] avant que la Cour suprême du Canada se prononce dans Marakah et Reeves. Il ajoute qu’à ce moment, la jurisprudence n’aurait pas permis de conclure que la conversation [***] suscitait, chez [***] une telle attente raisonnable. Selon le procureur général, le Service disposait des autorisations nécessaires pour agir comme il l’a fait [***] et que ce dernier, dans le contexte juridique actuel, dispose encore des pouvoirs nécessaires pour accéder à ces communications sans mandat.
[281] Les amici ne contestent pas l’opinion selon laquelle les manquements ont été commis en toute bonne foi. Ils soulignent cependant que, dans ce cas, la possible entorse constitue un problème complexe et qu’il est loin d’être clair que les trois facteurs établis dans Marakah pourraient permettre de répondre à la question du caractère raisonnablement objectif de l’attente subjective d’[***] en matière de vie privée. Citant les opinions divergentes de la formation de sept juges dans Reeves, les amici soulignent que d’importantes précisions devront être apportées en la matière sur le plan de la jurisprudence.
[282] La possibilité qu’[***] ait eu une attente raisonnable en matière de vie privée [***] soulève effectivement une série de questions complexes. Je conviens avec les amici qu’il n’y a pas lieu d’y répondre en l’espèce. [***Les communications électroniques***] ont été exclues de l’examen menant à la décision de décerner les mandats. Par ailleurs, en raison des circonstances, il existe une forte présomption selon laquelle ces informations, même recueillies illégalement, auraient très bien pu être prises en considération pour d’autres motifs. Partant, il n’est ni nécessaire ni approprié que je traite de ces questions.
c) [***Appareil électronique***] [Retour à la table des matières]
[283] [***Durant l’enquête contre l’une des cibles, un partenaire a fourni au Service un appareil électronique qui avait été laissé de côté par la cible lorsque celle-ci avait quitté le Canada. Cet appareil avait subséquemment été fourni au partenaire. Celui-ci informe le Service que l’appareil électronique a été fourni avec consentement et que le partenaire s’est fié à ce consentement pour accéder à l’appareil électronique. L’appareil électronique a fourni des renseignements dont le Service s’est servi au soutien de sa demande de mandats.***] [***]
[284] Le procureur général reconnaît que [***l’individu qui a fourni l’appareil électronique au partenaire***] ne pouvait pas renoncer, pour [***la cible***] à l’attente raisonnable en matière de vie privée. Il soutient toutefois [***que la cible***] a abandonné [***l’appareil électronique***] et, donc, renoncé à ses droits le concernant. Selon lui, la fouille ne constituait pas une violation de la Charte.
[285] Dans l’arrêt Patrick, le juge Binnie énonce que l’abandon est une question de fait.
L’abandon est donc une question de fait. Il faut se demander si la façon dont la personne qui revendique la protection de l’art. 8 s’est comportée à l’égard de la chose faisant l’objet de sa revendication amènerait un observateur raisonnable et indépendant à conclure qu’il est déraisonnable pour cette personne, eu égard à l’ensemble des circonstances, de continuer à revendiquer le droit au respect de la vie privée.
[286] Partant, est-il possible de conclure, compte tenu de l’ensemble des circonstances, que [***l’appareil électronique***] a été abandonné? À mon avis, c’est bien le cas.
[287] L’abandon est une conclusion tirée du comportement, et le point de démarcation raisonnable quant à toute revendication d’un droit garanti en matière de vie privée se rapporte au comportement de la personne affectée (Patrick, au paragraphe 54). [***La cible***] a quitté le Canada [***] signalé sa disparition. [***] En outre, il fait savoir qu’il n’avait aucune intention de revenir au Canada, et rien dans la preuve ne va dans le sens contraire de cette affirmation.
[288] Le fait qu’une personne ait quitté le pays sans intention d’y revenir ne suffit pas à conclure à l’abandon d’un objet personnel, particulièrement [***un appareil électronique personnel***] [***appareil électronique personnel***] et de son contenu constitue une atteinte grave à la vie privée (Morelli, au paragraphe 105). Toutefois, en l’espèce, la preuve relative à l’abandon va au-delà de cela. L’objet et les circonstances du départ [***de la cible***] ainsi que les circonstances entourant son absence permanente du Canada constituent des facteurs pertinents.
[289] Selon la preuve, pour [***la cible***] le Canada était source d’insatisfaction, et il ne voulait plus y vivre. Il avait fait sienne une interprétation violente de l’islam et voulait mener le djihad. Il a quitté le Canada sans prévenir [***] Il a affirmé n’avoir aucune intention de rentrer au Canada, [***] L’ensemble de ces circonstances permettent effectivement à un observateur raisonnable de conclure au caractère déraisonnable de toute revendication du droit au respect de la vie privée [***]
d) Communication de l’identité d’une source humaine [Retour à la table des matières]
[290] La Loi sur le SCRS interdit de communiquer l’identité d’une source humaine dans une instance devant un tribunal, à moins que la source humaine et le directeur y consentent.
18.1 […]
Interdiction de communication
(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (8), dans une instance devant un tribunal, un organisme ou une personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production d’informations, nul ne peut communiquer l’identité d’une source humaine ou toute information qui permettrait de découvrir cette identité.
Exception — consentement
(3) L’identité d’une source humaine ou une information qui permettrait de découvrir cette identité peut être communiquée dans une instance visée au paragraphe (2) si la source humaine et le directeur y consentent.
[291] Au sens de la Loi sur le SCRS, une « source humaine » est une personne physique qui a reçu une promesse d’anonymat.
2 […]
source humaine Personne physique qui a reçu une promesse d’anonymat et qui, par la suite, a fourni, fournit ou pourrait vraisemblablement fournir des informations au Service. (human source)
[292] [***]
[293] Le Service a acquiescé à la demande et a donc communiqué l’identité d’une source dont les informations ont été utilisées en appui aux demandes dans les dossiers [***Dossier A***] et [***Dossier B***] La Cour a appris cette communication [***du partenaire***] dans le précis de la source humaine dans le dossier [***Dossier A***] Cela a soulevé des questions quant aux circonstances et à la connaissance qu’avait – peut-être – la source de cette démarche par le Service.
[294] L’audience initiale a permis de confirmer que le privilège prévu à l’article 18.1 ne s’appliquait pas dans les circonstances susmentionnées. Toutefois, la communication de l’identité de la source humaine [***au partenaire***] demeure un problème, car cette démarche semble entrer en contradiction avec la promesse d’anonymat que reçoivent toutes les sources humaines (article 2 de la Loi sur le SCRS).
[295] Le procureur général soutient qu’en l’espèce, la communication de l’identité n’a pas eu d’incidence sur la décision de décerner les mandats demandés, car rien ne donnait à penser que la relation entre la source et le Service avait un lien quelconque avec la crédibilité ou la fiabilité. Il ajoute que la promesse d’anonymat prévue par la Loi sur le SCRS vise à établir une assise sur laquelle appuyer la revendication et l’évaluation du privilège visé à l’article 18.1 au cours d’une instance. La promesse ne s’applique pas aux communications confidentielles faites pour des motifs opérationnels. Selon le procureur général, le paragraphe 19(2) de la Loi sur le SCRS autorise le Service à communiquer l’identité d’une source humaine pour en assurer la sécurité au cours d’une de ses enquêtes. Il soutient en outre qu’un [***partenaire***] qui est le destinataire de la communication entre de ce fait dans le « cercle » du privilège, et il est attendu que [***ce partenaire***] protégera l’identité de la source. Enfin, le procureur général est d’avis que la décision d’informer — ou pas — la source humaine que son identité sera communiquée [***au partenaire***] doit être prise après que la meilleure marche à suivre pour assurer la protection de la source a été arrêtée. Selon le procureur général, en l’occurrence, la sécurité de la source a motivé la communication, aucun recours judiciaire n’est justifié, et les informations fournies par la source peuvent servir en appui à la demande.
[296] Contrairement à ce qu’a affirmé le procureur général dans ses observations, les circonstances de la communication de l’identité en l’espèce ont eu une incidence sur la demande. Comme l’a reconnu le procureur général, les circonstances et les motifs sous-jacents de la communication sont des facteurs qui peuvent très bien avoir des répercussions sur la crédibilité et la fiabilité. La Cour ne peut se prononcer sur l’importance des faits et des circonstances qu’après en avoir pris connaissance. La communication illégitime ou non autorisée de l’identité d’une source peut aussi avoir une incidence sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de décerner un mandat. Partant, je suis d’avis que la Cour est tout à fait en droit de demander des précisions sur l’autorisation de communiquer, sur les motifs de la communication et sur la nature des risques pour la sécurité en question, qui sont des facteurs pertinents.
[297] J’ai quelques réserves sur les observations du procureur général, selon qui l’anonymat promis à la source se limite au grand public et, en particulier, aux groupes et aux personnes sur lesquels la source fait rapport. Je ne suis pas convaincu que cette interprétation restrictive de la promesse tienne la route devant une interprétation contextuelle de la définition de « source humaine » (article 2 de la Loi sur le SCRS), ni qu’elle s’accorde avec l’objectif sous-jacent, c’est-à-dire assurer à la source que son identité sera protégée. Toutefois, je n’ai pas à me prononcer sur cette question en l’espèce.
[298] Je suis convaincu qu’un recours judiciaire n’est pas nécessaire en l’espèce et que les informations fournies par la source pouvaient être prises en considération pour l’examen de la demande.
VI. Renonciation au secret professionnel de l’avocat [Retour à la table des matières]
[299] Au cours de leur examen des questions dont est saisie la Cour, les amici ont remarqué que les témoins se fondaient sur des avis juridiques pour expliquer leur comportement et ont considéré que la renonciation au secret professionnel de l’avocat était volontaire, ce que le procureur général a contesté, laissant plutôt entendre que la Cour avait eu une influence en la matière. Il a demandé l’autorisation de présenter d’autres observations à ce sujet.
[300] En fin de compte, l’avocat du procureur général n’a pas donné suite à sa demande de présenter d’autres observations et a reconnu le caractère volontaire de la renonciation du Service au secret professionnel de l’avocat. Toutefois, l’avocat a expliqué que son objection initiale découlait de l’intérêt judiciaire exprimé dans l’avis juridique consécutif à l’envoi de la lettre de l’avocat général principal à la Cour en janvier 2019.
[301] Bien que la question n’ait pas été creusée, l’affirmation selon laquelle la Cour aurait tenté d’influencer la production d’avis juridiques visés par le secret professionnel de l’avocat mérite que je m’y attarde.
[302] Comme il en est question plus haut, la lettre adressée à la Cour en janvier 2019 par l’avocat général principal comprenait une copie des [traduction] « Instructions provisoires sur la conduite d’opérations impliquant probablement la commission d’infractions criminelles ». Selon ces instructions, le problème de l’illégalité est attribuable aux [traduction] « modifications au contexte juridique du Canada »; en outre, l’« évolution du droit a accru les risques juridiques pour les employés et les sources humaines du Service », et le gouvernement s’est attaqué à ses risques par la création d’un régime de justification légal. Lors de la conférence de gestion d’instance consécutive à la lettre de janvier 2019, l’avocat a été invité à énumérer les modifications au contexte juridique auxquelles les instructions faisaient allusion. Il n’a pas été appelé à divulguer d’avis juridique, bien qu’il ait avisé la Cour que le secret professionnel de l’avocat limitait les réponses qu’il pouvait donner, ce que la Cour a respecté.
[303] La Cour a été informée que le directeur du Service avait renoncé au secret professionnel de l’avocat ayant trait à des avis juridiques pertinents quant à la présentation de l’affidavit de janvier 2019 dans le dossier [***Dossier B***] L’éventuelle renonciation à ce privilège n’avait pas été soulevée dans ce dossier.
[304] Au cours des audiences sur les questions d’intérêt commun, les amici ont demandé d’autres documents, soit qui avaient servi à fonder l’avis juridique visé par la renonciation (et que celui-ci mentionnait), soit grâce auxquels les déposants avaient étayé leur témoignage. Lorsque cette situation se présentait, l’avocat du Service prenait note de toute revendication du privilège et demandait des instructions. La portée et l’incidence de la renonciation initiale par le Service n’ont jamais été mises en cause.
[305] L’affirmation selon laquelle la Cour a influencé la décision du Service de renoncer au secret professionnel de l’avocat n’est pas défendable. Comme en atteste l’affidavit de janvier 2019, qui faisait état de la renonciation, la décision en la matière appartenait au Service, qui l’a prise.
VII. Observations finales [Retour à la table des matières]
[306] En novembre 2019, le Service a avisé la Cour qu’il avait pris trois mesures relatives à l’accès aux informations sur des sources humaines dans le processus de préparation des demandes de mandats ainsi qu’à l’utilisation de ces informations. Notamment, à la mi-septembre 2019, il avait chargé l’ancien sous-ministre Morris Rosenberg de revoir ses pratiques en matière de communication d’informations sur des sources humaines dans les demandes de mandats. Il a entrepris cet examen dans le contexte de la non-communication d’informations relatives à une source dans le dossier [***Dossier D***] (le juge Brown).
[307] En mars 2020, la Cour a appris que M. Rosenberg avait terminé son rapport, [traduction] « Examen indépendant : L’obligation de franchise au SCRS », qui lui a ensuite été présenté au moyen d’un affidavit supplémentaire. Il porte uniquement sur les circonstances entourant la source unique dans le dossier [***Dossier D***] Il s’agit d’un exposé, une série de diapositives où les informations figurent sous forme de listes et d’énoncés appuyés par des diagrammes et des tableaux.
[308] Au sujet du mandat qui lui a été confié, M. Rosenberg souligne que [traduction] « dans leurs examens de l’obligation de franchise, MM. Segal et Sims se sont concentrés sur les relations entre, d’une part, les Services juridiques et le déposant et, d’autre part, la Cour fédérale. Le présent examen porte plus précisément sur les mesures qui peuvent être prises au Service pour répondre aux préoccupations ayant trait à l’obligation de franchise ».
[309] M. Rosenberg relève dans son rapport que, dans les communications internes, les relations entre le ministère de la Justice et le Service ainsi que dans la formation, des lacunes qui ont contribué au problème soulevé dans le dossier [***Dossier D***] Il souligne que, pour combler ces lacunes, il est nécessaire au préalable [traduction] « de régler les problèmes de culture qui ont trait aux mandats ».
[310] Bien qu’il ait une portée limitée, ce rapport interne révèle que la culture organisationnelle nuit tant à l’engagement envers les valeurs fondamentales, dont le respect de la primauté du droit, qu’à leur observation. Il me conforte dans mon opinion : un examen externe approfondi s’impose. Il s’agit d’un autre signe qu’il est impératif de prendre des mesures pour régler ces problèmes. L’examen doit porter sur les processus, la gouvernance, la culture et les relations qui, au Service et au ministère de la Justice, ont une incidence sur l’obligation de franchise. Il doit aussi aborder des préoccupations de fond quant à la priorisation de la primauté du droit comme principe fondamental de tout processus décisionnel au Service. Le rapport de M. Rosenberg est un autre indice qui pointe vers la nécessité d’un examen externe approfondi : il ne remplace pas un tel examen.
[311] Relativement aux questions de fond soulevées en l’espèce, j’ai formulé les conclusions suivantes :
A. Dans le contexte d’une demande de mandats faite en vertu des articles 12 et 21 de la Loi sur le SCRS, la Cour peut tenir compte d’informations probablement recueillies en infraction avec la loi. Toutefois, elle ne devrait le faire qu’après avoir examiné et soupesés tous les facteurs utiles, notamment la gravité de l’activité probablement illégale, les circonstances qui l’entourent, l’incidence de toute illégalité probable sur l’équité et les droits individuels, ainsi que les intérêts pour la collectivité pouvant être mis en cause. Il y a lieu d’examiner et de soupeser ces facteurs dans le contexte élargi de l’incidence générale qu’aurait à long terme la décision de prendre en considération ou d’exclure les informations contestées sur la considération dont jouit l’administration de la justice, en accordant une attention particulière à l’attente relative au respect de la loi dans l’exécution des enquêtes de sécurité nationale.
B. La Cour a le droit inhérent de revoir une ordonnance rendue ex parte lorsque, par la suite, sont portés à son attention des faits nouveaux qui auraient pu avoir une incidence sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Lorsque ces faits révèlent que des informations probablement recueillies en infraction avec la loi ont été présentées à la Cour, celle-ci détermine si elle aurait dû tenir compte de l’une ou l’autre de ces informations dans l’analyse mentionnée à l’alinéa ci-dessus. Après s’être prononcée sur l’exclusion ou la prise en considération des informations contestées, la Cour détermine si l’ordonnance aurait pu avoir été rendue sur la foi des informations qui lui avaient été présentées à juste titre.
C. La Cour peut aussi envisager de prendre des mesures correctives à l’égard des informations recueillies en vertu d’un mandat qu’elle décide d’annuler ou de modifier parce qu’ont été portés à son attention des faits nouveaux qui auraient pu avoir une incidence sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
D. La découverte ou la communication de circonstances ou de faits importants au cours de l’examen judiciaire d’une demande de mandats n’entachent pas le processus de consultation et d’approbation préalable que prévoit la Loi sur le SCRS. Le juge désigné conserve toutefois le pouvoir discrétionnaire inhérent de refuser de décerner un mandat avant que les circonstances ou les faits ainsi découverts aient été portés à l’attention des autorités ou des intervenants compétents.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
1. Le Service canadien du renseignement de sécurité a manqué à son obligation de franchise envers la Cour, c’est-à-dire qu’il a négligé de reconnaître et de communiquer de façon proactive qu’il avait utilisé, en appui aux demandes de mandats dans les dossiers [***Dossier A***] et [***Dossier B***] des informations découlant probablement d’activités illégales.
2. Il est recommandé qu’un examen externe exhaustif soit effectué afin de relever l’ensemble des lacunes et des défaillances systémiques, culturelles et liées à la gouvernance qui ont eu pour conséquences que le Service canadien du renseignement de sécurité a mené des activités opérationnelles dont il a reconnu l’illégalité et a manqué à son obligation de franchise. L’examen devrait porter, notamment, sur les éléments suivants :
i. l’application du cadre d’évaluation des risques juridiques du ministère de la Justice aux opérations du Service canadien du renseignement de sécurité;
ii. le mode de prestation des avis juridiques au Service canadien du renseignement de sécurité;
iii. une évaluation du caractère adéquat du recours, en toutes circonstances, aux risques juridiques comme cadre d’évaluation et de prestation de conseils quant aux conséquences juridiques des opérations de renseignement;
iv. l’échange d’information au sein du Groupe litiges et conseils en sécurité nationale, particulièrement entre les employés qui ont un rôle consultatif et ceux qui comparaissent devant la Cour;
v. l’interaction entre l’obligation de franchise des avocats du Service envers la Cour et leur obligation de loyauté envers le Service canadien du renseignement de sécurité;
vi. la nature et la portée de l’obligation d’agir de l’avocat du procureur général lorsqu’il sait qu’un client mène effectivement ou probablement des activités en violation de la loi;
vii. les pratiques en matière de sécurité de l’information adoptées par le Service en vue d’assurer que les décideurs et conseillers principaux, lorsqu’ils examinent et approuvent des activités opérationnelles, soient en mesure de reconnaître les liens pertinents entre des initiatives opérationnelles distinctes ainsi que la pertinence éventuelle d’autres informations qu’ils possèdent;
viii. la démarche visant à assurer la Cour que, dans le processus de préparation de la demande de mandats, les informations fournies par des sources humaines ont fait l’objet d’un examen aussi rigoureux que toute autre information, et que les déposants peuvent pleinement s’acquitter de leur obligation de franchise en ce qui les concerne;
ix. la possibilité que des comportements individuels ou que la prise de décisions sur le plan individuel doivent faire l’objet d’un examen ou de mesures additionnels.
3. Dans l’attente d’une modification aux modèles de mandats, le Service canadien du renseignement de sécurité utilisera le libellé qui figure au paragraphe 241 des présents motifs.
4. Le Service canadien du renseignement de sécurité et le ministère de la Justice sont tenus, dans les 60 jours, d’informer la Cour de la manière dont ils entendent donner suite à ses recommandations.
5. Les avocats du procureur général et le Service canadien du renseignement de sécurité doivent d’abord passer en revue le présent jugement et les motifs qui l’accompagnent pour déterminer les parties qui peuvent être rendues publiques dans les 20 jours suivants la date des présents jugement et motifs. Une fois ces 20 jours écoulés, les amici examinent le caviardage proposé dans les 20 jours suivants. Les avocats du procureur général et les amici se consulteront et prendront des décisions en fonction du principe de la publicité des débats judiciaires. Toute question litigieuse doit être soumise au soussigné dans les cinq (5) jours suivants aux fins de décision.
ANNEXE A
Appendice 1
APERÇU DE LA PREUVE ET DE L’INSTANCE
Déposants dans le dossier [***Dossier B***][1]
DÉPOSANTS |
|||
Poste du déposant |
Dates relatives à l’affidavit |
Date du témoignage |
|
Date de la déclaration sous serment ou de l’affirmation solennelle |
Date de dépôt au dossier |
||
Agent de renseignement du SCRS — chef adjoint, Division de l’antiterrorisme (Demandeur dans le dossier [***Dossier B***]) |
23 août 2018 |
7 septembre 2018 |
18 octobre 2018 |
6 septembre 2018 |
7 septembre 2018 |
13 février 2019 |
|
8 novembre 2018 |
9 novembre 2018 |
3 avril 2019 |
|
8 mars 2019 |
8 mars 2019 |
||
1er avril 2019 |
1er avril 2019 |
||
28 mai 2019 |
28 mai 2019 |
||
Agent de renseignement du SCRS – chef, Gestion des sources humaines |
25 janvier 2019 |
25 janvier 2019 |
13 février 2019 |
25 janvier 2019 (affidavit de documents en deux volumes) |
25 janvier 2019 |
||
28 février 2019 |
8 mars 2019 |
||
7 novembre 2019 |
8 novembre 2019 |
||
23 mars 2020 |
23 mars 2020 |
||
Adjoint juridique |
25 janvier 2019 (affidavit de documents) |
25 janvier 2019 |
[VIDE] |
Avocat général, GLCSN |
6 mars 2019 |
15 mars 2019 |
17 avril 2019 |
Avocat, GLCSN |
14 mars 2019 |
15 mars 2019 |
29 avril 2019 |
23 avril 2019 (en appui à une requête en qualité restreinte pour comparaître) |
26 avril 2019 |
ANNEXE A
Appendice 2
APERÇU DE LA PREUVE ET DE L’INSTANCE
Audiences et conférences de gestion d’instance dans le dossier [***Dossier B***][2]
AUDIENCES ET CONFÉRENCES DE GESTION D’INSTANCE [CGI] |
|||
Date |
Audience ou CGI |
Juge en présence |
Commentaires |
1er octobre 2018 |
CGI |
Le juge Gleeson |
[VIDE] |
18 octobre 2018 |
Audience |
Le juge Gleeson |
Témoin |
19 octobre 2018 |
CGI |
Le juge Gleeson |
[VIDE] |
7 novembre 2018 |
CGI |
Le juge Gleeson |
[VIDE] |
14 janvier 2019 |
CGI |
Le juge Gleeson |
[VIDE] |
13 février 2019 |
Audience |
Le juge Gleeson |
Témoins |
29 mars 2019 |
CGI |
Le juge Gleeson |
[VIDE] |
3 avril 2019 |
Audience et CGI |
Le juge Gleeson |
Témoin |
17 avril 2019 |
Audience |
Le juge Gleeson |
Témoin |
29 avril 2019 |
Audience |
Le juge Gleeson |
Témoin |
28 juin 2019 |
Audience |
Le juge Gleeson |
Observations orales |
ANNEXE A
Appendice 3
APERÇU DE LA PREUVE ET DE L’INSTANCE
Déposants dans l’instance sur les questions d’intérêt commun[3]
DÉPOSANTS |
|||
Poste du déposant |
Dates relatives à l’affidavit |
Date du témoignage |
|
Date de la déclaration sous serment ou de l’affirmation solennelle |
Date de dépôt au dossier |
||
Directeur, SCRS (de 2013 à mai 2017) |
14 mars 2019 |
15 mars 2019 |
Les 1er et 2 avril 2019 |
Sous-directeur des Opérations, SCRS (de juin 2018 à aujourd’hui) |
17 mars 2019 |
18 mars 2019 |
Les 1er et 2 avril 2019 |
Directeur, SCRS (de juin 2017 à aujourd’hui) |
17 mars 2019 |
18 mars 2019 |
Les 1er et 2 avril 2019 |
Adjoint juridique |
29 mars 2019 |
29 mars 2019 |
[BLANK] |
7 novembre 2019 |
8 novembre 2019 |
||
Sous-directeur des Opérations, SCRS (de 2013 à 2019) |
24 avril 2019 |
24 avril 2019 |
29 avril 2019 |
Avocat général, GLCSN |
24 avril 2019 |
25 avril 2019 |
[VIDE] |
Directrice exécutive et avocate générale principale, GLCSN (de 2009 à 2018) |
25 avril 2019 29 avril 2019 (en appui à une requête en qualité restreinte pour comparaître) |
25 avril 2019 29 avril 2019 |
30 avril et 13 mai 2019 |
Sous-ministre de la Justice et sous-procureur général du Canada (du 26 juin 2017 à aujourd’hui) |
10 juin 2019 |
10 juin 2019 |
[VIDE] |
Sous-ministre de la Justice et sous-procureur général du Canada (du 5 novembre 2012 au 23 juin 2017) |
5 juillet 2019 |
5 juillet 2019 |
28 août 2019 |
Sous-ministre adjointe de la sécurité publique, de la défense et de l’immigration (de 2014 à aujourd’hui) |
8 août 2018 |
9 août 2018 |
28 août 2019 |
Agent de renseignement du SCRS – chef, Gestion des sources humaines |
7 novembre 2019 |
8 novembre 2019 |
[VIDE] |
23 mars 2020 |
23 mars 2020 |
||
|
|
ANNEXE A
Appendice 4
APERÇU DE LA PREUVE ET DE L’INSTANCE
Audiences et conférences de gestion d’instance dans l’instance sur les questions d’intérêt commun
AUDIENCES ET CONFÉRENCES DE GESTION D’INSTANCE [CGI] |
|||
Date |
Audience ou CGI |
Juge en présence |
Commentaires |
28 janvier 2019 |
CGI |
Les juges Mosley et Kane |
[VIDE] |
21 février 2019 |
Audience |
En formation plénière |
[VIDE] |
1er avril 2019 |
Audience |
Les juges Brown et Gleeson |
Témoins |
2 avril 2019 |
Audience |
Les juges Brown et Gleeson |
Témoins |
12 avril 2019 |
CGI |
Les juges Kane, Brown et Gleeson |
[VIDE] |
29 avril 2019 |
Audience |
Les juges Kane, Brown et Gleeson |
Témoin |
30 avril 2019 |
Audience |
Les juges Kane, Brown et Gleeson |
Témoin |
13 mai 2019 |
Audience |
Les juges Kane, Brown et Gleeson |
Témoin |
29 mai 2019 |
Audience |
Les juges Kane, Brown et Gleeson |
[VIDE] |
27 juin 2019 |
Audience |
Les juges Kane, Brown et Gleeson |
Observations orales |
30 juillet 2019 |
CGI |
Les juges Kane, Brown et Gleeson |
[VIDE] |
28 août 2019 |
Audience |
Les juges Kane, Brown et Gleeson |
Témoins |
1er novembre 2019 |
Audience |
Les juges Brown et Gleeson |
Observations orales |
ANNEXE A
Appendice 5
APERÇU DE LA PREUVE ET DE L’INSTANCE
Avis juridiques
AVIS JURIDIQUES |
|||
Date |
Auteur |
Destinataire |
Situation au dossier |
5 avril 2002 |
Section du droit administratif et constitutionnel, ministère de la Justice |
De nombreux destinataires |
Affidavit de document de l’adjointe juridique déposé le 29 mars 2019 |
28 avril 2005 |
GLCSN |
De nombreux destinataires au SCRS |
Affidavit de document de l’adjointe juridique déposé le 29 mars 2019 |
11 avril 2013 |
GLCSN |
Avocate générale principale, GLCSN |
Affidavit de document de l’adjointe juridique déposé le 29 mars 2019 |
29 juin 2015 |
Sous-ministre adjoint de la sécurité publique, de la défense et de l’immigration |
Fonctionnaires de Sécurité publique et du SCRS |
Affidavit de la sous-ministre adjointe de la sécurité publique, de la défense et de l’immigration, déposé le 9 août 2019 |
8 octobre 2015 |
GLCSN |
Sous-directeur des Opérations, SCRS |
Affidavit du sous-directeur des Opérations du SCRS, déposé le 18 mars 2019 |
Divers avis préparés dans le contexte de l’évaluation des risques juridiques des opérations, de mars 2017 à la fin de 2018 |
GLCSN |
SCRS |
Affidavit de documents de l’agent de renseignement du SCRS – chef, Gestion des sources humaines, déposé le 25 janvier 2019; affidavit de l’avocate générale, GLCSN, déposé le 25 avril 2019 |
23 janvier 2017 |
GLCSN |
Directeur, SCRS |
Affidavit de document de l’adjointe juridique déposé le 25 janvier 2019 |
3 février 2017 |
Avis préliminaire préparé à l’attention du sous-ministre de la Justice |
Directeur, SCRS |
Affidavit du sous-ministre de la Justice et sous-procureur général du Canada, déposé le 5 juillet 2019 |
7 janvier 2019 |
Avocat général principal, GLCSN |
Directeur, SCRS |
Affidavit de document de l’adjointe juridique déposé le 25 janvier 2019 |
ANNEXE A
Appendice 6
APERÇU DE LA PREUVE ET DE L’INSTANCE
Rapports pertinents du
Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS)
RAPPORTS DU CSARS |
|||
Titre
|
Numéro de l’étude du CSARS |
Référence publique
|
Situation au dossier |
Opérations du SCRS faisant appel à des sources humaines |
2008-04 |
Rapport annuel du CSARS de 2008-2009, p. 18-19 |
Faisait partie d’une lettre de l’avocat du procureur général datée du 8 mai 2019 en réponse à un engagement |
L’enquête du SCRS sur les combattants étrangers canadiens |
2014-05 |
Rapport annuel du CSARS de 2014-2015, p. 15-17 |
Dans le rapport annuel du CSARS de 2014-2015 qui constitue la pièce « CC 1 », le 1er avril 2019 |
La relation et les échanges entre le SCRS et le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement |
2014-07 |
Rapport annuel du CSARS de 2014-2015, p. 17-20 Mis à jour |
Déposé le 9 avril 2019 en réponse à un engagement |
Un examen de l’enquête du SCRS sur les « combattants étrangers » canadiens |
2015-09 |
Rapport annuel du CSARS de 2015-2016, p.21-23 |
Pièce « APP2 », le 1er avril 2019 |
ANNEXE B
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46
PARTIE II.1
Terrorisme
Définitions et interprétation
Définitions
83.01 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.
activité terroriste
a) Soit un acte — action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger — qui, au Canada, constitue une des infractions suivantes :
(i) les infractions visées au paragraphe 7(2) et mettant en oeuvre la Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, signée à La Haye le 16 décembre 1970,
(ii) les infractions visées au paragraphe 7(2) et mettant en oeuvre la Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, signée à Montréal le 23 septembre 1971,
(iii) les infractions visées au paragraphe 7(3) et mettant en oeuvre la Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1973,
(iv) les infractions visées au paragraphe 7(3.1) et mettant en oeuvre la Convention internationale contre la prise d’otages, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1979,
(v) les infractions visées au paragraphe 7(2.21) et mettant en oeuvre la Convention sur la protection physique des matières nucléaires, faite à Vienne et New York le 3 mars 1980, et modifiée par l’Amendement à la Convention sur la protection physique des matières nucléaires, fait à Vienne le 8 juillet 2005, ainsi que la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, faite à New York le 14 septembre 2005,
(vi) les infractions visées au paragraphe 7(2) et mettant en oeuvre le Protocole pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports servant à l’aviation civile internationale, complémentaire à la Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, signé à Montréal le 24 février 1988,
(vii) les infractions visées au paragraphe 7(2.1) et mettant en oeuvre la Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime, conclue à Rome le 10 mars1988,
(viii) les infractions visées aux paragraphes 7(2.1) ou (2.2) et mettant en oeuvre le Protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental, conclu à Rome le 10 mars 1988,
(ix) les infractions visées au paragraphe 7(3.72) et mettant en oeuvre la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 15 décembre 1997,
(x) les infractions visées au paragraphe 7(3.73) et mettant en oeuvre la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1999;
b) soit un acte — action ou omission, commise au Canada ou à l’étranger :
(i) d’une part, commis à la fois :
(A) au nom — exclusivement ou non — d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique,
(B) en vue — exclusivement ou non — d’intimider tout ou partie de la population quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir, que la personne, la population, le gouvernement ou l’organisation soit ou non au Canada,
(ii) d’autre part, qui intentionnellement, selon le cas :
(A) cause des blessures graves à une personne ou la mort de celle-ci, par l’usage de la violence,
(B) met en danger la vie d’une personne,
(C) compromet gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population,
(D) cause des dommages matériels considérables, que les biens visés soient publics ou privés, dans des circonstances telles qu’il est probable que l’une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C) en résultera,
(E) perturbe gravement ou paralyse des services, installations ou systèmes essentiels, publics ou privés, sauf dans le cadre de revendications, de protestations ou de manifestations d’un désaccord ou d’un arrêt de travail qui n’ont pas pour but de provoquer l’une des situations mentionnées aux divisions (A) à (C).
Sont visés par la présente définition, relativement à un tel acte, le complot, la tentative, la menace, la complicité après le fait et l’encouragement à la perpétration; il est entendu que sont exclus de la présente définition l’acte — action ou omission — commis au cours d’un conflit armé et conforme, au moment et au lieu de la perpétration, au droit international coutumier ou au droit international conventionnel applicable au conflit ainsi que les activités menées par les forces armées d’un État dans l’exercice de leurs fonctions officielles, dans la mesure où ces activités sont régies par d’autres règles de droit international. (terrorist activity)
Canadien Citoyen canadien, résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou personne morale constituée ou prorogée sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale. (Canadian)
entité Personne, groupe, fiducie, société de personnes ou fonds, ou organisation ou association non dotée de la personnalité morale. (entity)
entité inscrite Entité inscrite sur la liste établie par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 83.05. (listed entity)
groupe terroriste
a) Soit une entité dont l’un des objets ou l’une des activités est de se livrer à des activités terroristes ou de les faciliter;
b) soit une entité inscrite.
Est assimilé à un groupe terroriste un groupe ou une association formé de groupes terroristes au sens de la présente définition. (terrorist group)
Interprétation
(1.1) Il est entendu que l’expression d’une pensée, d’une croyance ou d’une opinion de nature politique, religieuse ou idéologique n’est visée à l’alinéa b) de la définition de activité terroriste au paragraphe (1) que si elle constitue un acte — action ou omission — répondant aux critères de cet alinéa.
Interprétation
(1.2) Il est entendu que l’attentat suicide à la bombe est un acte visé aux alinéas a) ou b) de la définition de activité terroriste au paragraphe (1) s’il répond aux critères prévus à l’alinéa en cause.
Facilitation
(2) Pour l’application de la présente partie, faciliter s’interprète en conformité avec le paragraphe 83.19(2).
Financement du terrorisme
Fournir ou réunir des biens en vue de certains actes
83.02 Est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, directement ou non, fournit ou réunit, délibérément et sans justification ou excuse légitime, des biens dans l’intention de les voir utiliser — ou en sachant qu’ils seront utilisés — en tout ou en partie, en vue :
a) d’un acte — action ou omission — qui constitue l’une des infractions prévues aux sous-alinéas a)(i) à (ix) de la définition de activité terroriste au paragraphe 83.01(1);
b) de tout autre acte — action ou omission — destiné à causer la mort ou des dommages corporels graves à une personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, notamment un civil, si, par sa nature ou son contexte, cet acte est destiné à intimider la population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque.
Fournir, rendre disponibles, etc. des biens ou services à des fins terroristes
83.03 Est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, directement ou non, réunit des biens ou fournit — ou invite une autre personne à le faire — ou rend disponibles des biens ou des services financiers ou connexes :
a) soit dans l’intention de les voir utiliser — ou en sachant qu’ils seront utilisés —, en tout ou en partie, pour une activité terroriste, pour faciliter une telle activité ou pour en faire bénéficier une personne qui se livre à une telle activité ou la facilite;
b) soit en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie, par un groupe terroriste ou qu’ils bénéficieront, en tout ou en partie, à celui-ci.
[…]
Participer, faciliter, donner des instructions et héberger
Participation à une activité d’un groupe terroriste
83.18 (1) Quiconque, sciemment, participe à une activité d’un groupe terroriste, ou y contribue, directement ou non, dans le but d’accroître la capacité de tout groupe terroriste de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.
Poursuite
(2) Pour que l’infraction visée au paragraphe (1) soit commise, il n’est pas nécessaire :
a) qu’une activité terroriste soit effectivement menée ou facilitée par un groupeterroriste;
b) que la participation ou la contribution de l’accusé accroisse effectivement la capacité d’un groupe terroriste de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter;
c) que l’accusé connaisse la nature exacte de toute activité terroriste susceptible d’être menée ou facilitée par un groupe terroriste.
Participation ou contribution
(3) La participation ou la contribution à une activité d’un groupe terroriste s’entend notamment :
a) du fait de donner ou d’acquérir de la formation ou de recruter une personne à une telle fin;
b) du fait de mettre des compétences ou une expertise à la disposition d’un groupe terroriste, à son profit ou sous sa direction, ou en association avec lui, ou d’offrir de le faire;
c) du fait de recruter une personne en vue de faciliter ou de commettre une infraction de terrorisme ou un acte à l’étranger qui, s’il était commis au Canada, constituerait une telle infraction;
d) du fait d’entrer ou de demeurer dans un pays au profit ou sous la direction d’un groupe terroriste, ou en association avec lui;
e) du fait d’être disponible, sous les instructions de quiconque fait partie d’un groupe terroriste, pour faciliter ou commettre une infraction de terrorisme ou un acte à l’étranger qui, s’il était commis au Canada, constituerait une telle infraction.
Facteurs
(4) Pour déterminer si l’accusé participe ou contribue à une activité d’un groupe terroriste, le tribunal peut notamment prendre en compte les faits suivants :
a) l’accusé utilise un nom, un mot, un symbole ou un autre signe qui identifie le groupe ou y est associé;
b) il fréquente quiconque fait partie du groupe terroriste;
c) il reçoit un avantage du groupe terroriste;
d) il se livre régulièrement à des activités selon les instructions d’une personne faisant partie du groupe terroriste.
Quitter le Canada : participation à une activité d’un groupe terroriste
83.181 Quiconque quitte ou tente de quitter le Canada — ou monte ou tente de monter dans un moyen de transport dans l’intention de quitter le Canada — dans le but de commettre un acte à l’étranger qui, s’il était commis au Canada, constituerait l’infraction visée au paragraphe 83.18(1) est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.
Facilitation d’une activité terroriste
83.19 (1) Est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque sciemment facilite une activité terroriste.
Facilitation
(2) Pour l’application de la présente partie, il n’est pas nécessaire pour faciliter une activité terroriste :
a) que l’intéressé sache qu’il se trouve à faciliter une activité terroriste en particulier;
b) qu’une activité terroriste en particulier ait été envisagée au moment où elle est facilitée;
c) qu’une activité terroriste soit effectivement mise à exécution.
Quitter le Canada : facilitation d’une activité terroriste
83.191 Est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque quitte ou tente de quitter le Canada — ou monte ou tente de monter dans un moyen de transport dans l’intention de quitter le Canada — dans le but de commettre un acte à l’étranger qui, s’il était commis au Canada, constituerait l’infraction visée au paragraphe 83.19(1).
ANNEXE C
ACTIVITÉS AYANT TRAIT AUX QUESTIONS SOUS-JACENTES
[***Dossier B***] DANS L’AFFAIRE VISANT LE TERRORISME ISLAMISTE, [***] |
||||
Type d’aide |
Activité en cause |
Y a-t-il eu infraction au Code criminel? |
Références |
L’activité s’est-elle déroulée avant ou après la délivrance des mandats? |
[***] |
Le SCRS a versé [***des paiements pendants quelques années, totalisant moins de 25 000 $, à un individu connu pour faciliter ou effectuer des actes de terrorisme.]
|
Oui – Offrir de l’argent à une personne, sachant qu’elle se livre à une activité terroriste ou la facilite. |
[***] |
[***] |
[***] |
[***] a remis à [***une cible dont le paiement pour les services rendus est inférieur à 5 000 $***] |
Peut-être – article 83.03 Tout dépendant de l’application de Hinchey à l’article 83.03, le [***] peut ne pas avoir procuré de bénéfice au destinataire. |
[***] [***] |
[***] |
[***] |
[***] pour le compte du Service, a versé [***moins de 1 000$ à la cible***] |
Oui – article 83.03 Offrir de l’argent à une personne, sachant qu’elle se livre à une activité terroriste ou la facilite. |
[***] |
[***]
|
[***Fonds mis à disposition***] |
Le SCRS a demandé à [***] de verser [***des paiements***] à [***une cible pour services rendus***] |
Oui – article 83.03 Offrir de l’argent à une personne, sachant qu’elle se livre à une activité terroriste ou la facilite. |
[***]
|
[***]
|
[***Fonds mis à disposition***] |
interruption du virement de fonds [***] à [***une cible***] |
Non La cible de l’enquête, c’est-à-dire la personne qui participe à une activité terroriste, ne tire bénéfice d’aucun bien lorsque le virement de fonds est interrompu délibérément avant qu’elle l’ait reçu. |
[***] |
[***] |
[***Fonds mis à disposition***] |
[***] a remis à [***une cible***] [***] [***un bénéfice financier d’une valeur inférieure à 20$.***]
|
Oui – article 83.03 Offrir de l’argent à une personne, sachant qu’elle se livre à une activité terroriste ou la facilite. |
[***]
|
[***] |
Fourniture de biens |
Le SCRS a demandé à [***] de remettre à [***une cible***] [***des biens d’une valeur inférieure à 2 000 $***]. |
Oui – article 83.03 Offrir des biens personnels à une personne, sachant qu’elle se livre à une activité terroriste ou la facilite. |
[***] |
[***] |
[1] La présente annexe ne fait pas état des affidavits supplémentaires et des autres témoignages déposés et entendus dans le dossier [***Dossier D***] et des affidavits supplémentaires déposés dans le dossier [***Dossier C***]
[2] Une série de CGI ont été tenues dans le dossier [***Dossier A***] d’avril à juillet 2018, soit avant le dépôt de la nouvelle demande dans le dossier [***Dossier B***] le 7 septembre 2018.
[3] La présente annexe ne fait pas état des affidavits supplémentaires et des autres témoignages déposés et entendus dans le dossier [***Dossier D***] et des affidavits supplémentaires déposés dans le dossier [***Dossier C***]