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T-868-19

2020 CF 772

Elizabeth Harrison (demanderesse)

c.

Le ministre du Revenu national (défendeur)

Répertorié : Harrison c. Canada (Revenu national)

Cour fédérale, juge Strickland—Vancouver (par vidéoconférence), 16 et 21 juillet 2020.

Impôt sur le revenu — Pratique — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’Agence du revenu du Canada (ARC) a refusé de rembourser à la demanderesse une somme perçue auprès d’elle, le 19 décembre 2014, relativement à son année d’imposition 1988 — La demanderesse a sollicité le remboursement au motif que le délai de prescription de 10 ans prévu à l’art. 222 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi) avait expiré — La demanderesse a déclaré des pertes et d’autres déductions liées à sa participation à la société de personnes Trinity Denton (Trinity Denton) et à la société de personnes Sierra Trinity Limited (Sierra Trinity) — Elle s’est opposée au refus de l’ARC de déduire certaines pertes des sociétés — Plusieurs avis de nouvelle cotisation et avis d’opposition ont été déposés par la suite — Le 4 janvier 2011, la demanderesse a déposé un avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt (Cour de l’impôt) à l’égard de ses années d’imposition 1988, 1989 et 1990 — Un avis de nouvelle cotisation a été émis en décembre 2014 — La nouvelle cotisation a rétabli les déductions qui avaient été refusées relativement à Sierra Trinity, mais elle ne contenait aucun rajustement concernant les pertes de la société Trinity Denton — Le 19 décembre 2014, le ministre a utilisé le remboursement auquel la demanderesse avait par ailleurs droit pour réduire sa dette fiscale de 1988 — La demanderesse était du point de vue que le recouvrement de cette dette était prescrit en vertu de l’art. 222(4) de la Loi — Il s’agissait principalement de savoir si le ministre a raisonnablement conclu que le DPR n’avait pas expiré le 19 décembre 2014 — La conclusion du ministre selon laquelle le dépôt d’un appel auprès de la Cour de l’impôt constitue une reconnaissance de dette, faisant ainsi recommencer à zéro le délai de prescription, n’était pas justifiée, intelligible ni transparente, et elle était donc déraisonnable — Le dépôt d’un appel auprès de la Cour de l’impôt ne constitue pas une reconnaissance automatique d’une dette fiscale qui a pour effet de faire recommencer le délai de prescription — En ce qui concerne la question de savoir si le dépôt de l’appel a eu pour effet de proroger le DPR, puisque la dette de 1988 à l’égard des pertes de la société Trinity Denton n’était pas validement en litige dans l’appel, il ne s’agissait pas d’une « somme en litige » — Le recouvrement de cette dette n’était donc pas interdit par l’art. 225.1(3) de la Loi, et le délai de prescription pour le recouvrement n’a pas été prorogé par l’art. 222(8) — Le délai de prescription initial n’a pas recommencé à courir ni n’a été prorogé avant son expiration le 4 mars 2014 ou avant l’établissement de la nouvelle cotisation de décembre 2014 — Par conséquent, dans sa décision, l’ARC a conclu déraisonnablement que la nouvelle cotisation de décembre 2014 a fait recommencer le délai de prescription — Le fait pour le ministère de tarder à exercer ses droits en matière de recouvrement est contraire à l’intérêt public La décision de l’ARC a été annulée — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’Agence du revenu du Canada (ARC) a refusé de rembourser à la demanderesse une somme que l’ARC avait perçue auprès d’elle, le 19 décembre 2014, relativement à son année d’imposition 1988. La demanderesse a sollicité le remboursement au motif que le délai de prescription de 10 ans prévu à l’article 222 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi) avait expiré le 4 mars 2014.

En 1988, la demanderesse a déclaré des pertes et d’autres déductions liées à sa participation à la société de personnes Trinity Denton (Trinity Denton) et à la société de personnes Sierra Trinity Limited (Sierra Trinity). La demanderesse a fait l’objet d’une première nouvelle cotisation en 1992 et 1993. Elle s’est opposée au refus de déduire certaines pertes des sociétés Trinity Denton et Sierra Trinity. Plusieurs avis de nouvelles cotisations et avis d’opposition ont été déposés par la suite. Le 4 janvier 2011, la demanderesse a déposé un avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt (Cour de l’impôt) à l’égard de ses années d’imposition 1988, 1989 et 1990. La demanderesse a contesté le refus de déduire les déductions énumérées pour 1988. Un avis de nouvelle cotisation émis en décembre 2014 (la troisième nouvelle cotisation) a rétabli dans leur intégralité les déductions qui avaient été refusées relativement à Sierra Trinity. Elle ne contenait aucun rajustement concernant les pertes de la société Trinity Denton. La troisième nouvelle cotisation indiquait également que le remboursement auquel la demanderesse avait droit avait été utilisé pour réduire son solde dû précédent (c.-à-d. la dette fiscale de 1988). La demanderesse était du point de vue que le recouvrement de cette dette était prescrit en vertu du paragraphe 222(4) de la Loi. Elle a sollicité le remboursement de ce montant plus les intérêts. L’ARC a refusé la demande de la demanderesse, soulignant que le délai de prescription pour le recouvrement (le DPR) recommence à courir ou est prolongé lorsque certains événements se produisent.

Il s’agissait principalement de savoir si le ministre a raisonnablement conclu que le DPR, tel qu’établi au paragraphe 222(4) de la Loi, n’avait pas expiré le 19 décembre 2014.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La conclusion du ministre selon laquelle le dépôt d’un appel auprès de la Cour de l’impôt constitue une reconnaissance de dette, faisant ainsi recommencer à zéro le délai de prescription, n’était pas justifiée, intelligible ni transparente, et elle était déraisonnable. La LIR ne définit pas les termes « reconnaît » ou « reconnaît […] par écrit » figurant aux alinéas 222(5)a) et 222(6)b), respectivement. Les paragraphes 222(8) et 225.1(3), lus conjointement, prévoient expressément que, lorsqu’un appel est interjeté auprès de la Cour de l’impôt, le ministre ne peut prendre aucune mesure de recouvrement pour la somme en litige, et le délai de prescription est prorogé pour qu’il soit tenu compte de la période pendant laquelle l’affaire est en appel. En vertu des paragraphes 222(8) et 225.1(3), le dépôt d’un appel auprès de la Cour de l’impôt a pour effet de suspendre le délai de prescription en cours pour la durée de l’appel. Si le législateur avait voulu que le dépôt d’un appel auprès de la Cour de l’impôt ait pour effet de faire recommencer le délai de prescription, il l’aurait probablement dit clairement. Il serait absurde que le délai de prescription puisse recommencer à zéro par le dépôt d’un appel auprès de la Cour de l’impôt aux termes des alinéas 222(5)a) et (6)b) et, en même temps, être aussi prorogé aux termes du paragraphe 222(8). Le législateur a choisi de limiter les circonstances dans lesquelles le délai de prescription recommence à courir à celles énoncées au paragraphe 222(5), y compris lorsque le contribuable reconnaît la dette. Le ministre a interprété la Loi de façon déraisonnable en déterminant que le dépôt d’un appel auprès de la Cour de l’impôt constitue une reconnaissance automatique d’une dette fiscale qui a pour effet de faire recommencer le délai de prescription. Le sens normal de « reconnaissance » exige une admission ou une confirmation de la part de la personne qui reconnaît la chose alléguée, qu’il s’agisse d’une obligation à l’égard de dommages, d’un blâme, d’une responsabilité ou d’une obligation fiscale. Même si le dépôt d’un appel auprès de la Cour de l’impôt peut potentiellement faire reprendre du début le délai de prescription, le simple dépôt de l’appel ne constituera pas automatiquement une reconnaissance par écrit de la dette. Il faut plutôt examiner la teneur de l’appel lui­même dans chaque cas. La lecture des paragraphes 152(3) et (8) dans le contexte de l’objet général de la Loi ne mène pas à la conclusion selon laquelle une reconnaissance ne nécessite pas une admission d’obligation et a pour effet d’éliminer l’exigence en common law relative à une telle admission. Le fait que le ministre juge la dette valide ne signifie pas que le contribuable reconnaît son obligation à l’égard de cette dette. Lorsque le contribuable ne reconnaît pas que la partie contestée de la dette faisant l’objet d’une cotisation existe et est valide, le dépôt de l’appel ne constitue pas une « reconnaissance » de la dette. Ce point de vue est renforcé par les alinéas 222(6)a) et 222(6)c) de la Loi. Dans son avis d’appel à la Cour de l’impôt, la demanderesse n’a pas admis ni confirmé que la dette de 1988 était valide et exigible et « n[’a pas] confirm[é] [ni] adm[is] » le montant de la dette fiscale. En fait, elle a contesté la validité des montants de la cotisation établie.

En ce qui concerne la question de savoir si le dépôt de l’appel par la demanderesse auprès de la Cour de l’impôt, le 4 janvier 2011, a eu pour effet de proroger le DPR en vigueur, puisque la dette de 1988 à l’égard des pertes de la société Trinity Denton n’était pas validement en litige dans l’appel, il ne s’agissait pas d’une « somme en litige ». Le recouvrement de cette dette n’était donc pas interdit par le paragraphe 225.1(3) de la Loi, et le délai de prescription pour le recouvrement n’a pas été prorogé par le paragraphe 222(8).

Le délai de prescription initial n’a pas recommencé à courir ni n’a été prorogé avant son expiration le 4 mars 2014 ou avant l’établissement de la nouvelle cotisation de décembre 2014. Cette nouvelle cotisation est survenue après l’expiration du délai de prescription du 4 mars 2014 et ne pouvait avoir pour effet de proroger, de recommencer ou de ranimer le délai de prescription expiré. Par conséquent, dans sa décision, l’ARC a conclu déraisonnablement que la nouvelle cotisation de décembre 2014 a fait recommencer le délai de prescription. Le fait pour le ministère de tarder à exercer ses droits en matière de recouvrement est contraire à l’intérêt public. Il est évident que les justifications de l’existence de délais de prescription s’appliquent au recouvrement des créances fiscales.

En conclusion, la décision de l’ARC n’était pas justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle­ci et elle était par conséquent déraisonnable. La décision a été annulée et l’affaire a été renvoyée au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 152(3),(8), 164(2), 169(2.2),(3), 222 « action », « dette fiscale », 225.1(1),(2),(3),(4),(5), 248 « cotisation ».

Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, L.R.C. (1985), ch. S-23.

Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, ch. L.15, art. 45, 51(1).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F­7, art. 18.1.

Securities Act, R.S.B.C. 1996, ch. 418, art. 159, 161(6)(d).

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Connolly c. Canada (Revenu national), 2019 CAF 161, [2019] 4 R.C.F. 256; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Buik Estate v. Canasia Power Corp., 2014 ONSC 2959 (CanLII); Thandi (Re), 2017 BCSC 1201, 2017 D.T.C. 5090; West York International Inc. v. Importanne Marketing Inc., 2012 ONSC 6476 (CanLII); Canada (Attorney General) v. Simpson (1995), 26 O.R. (3d) 317, [1995] O.J. no 2850 (QL) (C. Sup.); Podovinikoff v. Montgomery (1984), 14 D.L.R. (4th) 716, 58 B.C.L.R. 204 (C.A. C.-B.).

DÉCISIONS CITÉES :

Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Doig c. Canada, 2011 CF 371; Canada v. Stasiuk, 2018 ONSC 1226 (CanLII); Ryan c. Moore, 2005 CSC 38, [2005] 2 R.C.S. 53; Belanger v. Gilbert (1984), 8 D.L.R. (4th) 92, 52 B.C.L.R. 197 (C.S. B.-C.), conf. par (1984), 14 D.L.R. (4th) 428, 58 B.C.L.R. 191 (C.A. B.-C.); Allen v. Bapco Paint Limited (1982), 34 B.C.L.R. 242, 1982 CanLII 624 (C.S. C.-B.); TransCanada Pipelines Ltd. c. Canada, 2001 CAF 314; Lornport Investments Ltd. c. Canada, [1992] 2 C.F. 293 (C.A.); La Reine c. Simard-Beaudry Inc., [1971] 1 C.F. 396, [1971] A.C.F. no 33 (QL) (1re inst.).

DOCTRINE CITÉE

Alberta. Law Reform Institute. Limitations. Report No. 55. Edmonton : The Institute, 1989.

Black’s Law Dictionary, 10e éd., Thomson Reuters, 2014.

Black’s Law Dictionary en ligne, 2e éd., « acknowledgement ».

Merriam­Webster Online Dictionary, « acknowledgement ».

Oxford English Dictionary en ligne, 3e éd., « acknowledgement ».

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2014.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’Agence du revenu du Canada a refusé de rembourser à la demanderesse une somme perçue auprès d’elle relativement à son année d’imposition 1988. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

David R. Davies et Jennifer Flood pour la demanderesse.

Jason Levine et Julio Paoletti pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Thorsteinssons LLP, Vancouver, pour la demanderesse.

La sous-procureure générale du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        La juge Strickland : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 26 avril 2019 par laquelle un directeur adjoint de la division du Recouvrement des recettes de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), au nom du ministre du Revenu national (le ministre), a refusé de rembourser à la demanderesse une somme que l’ARC avait perçue auprès d’elle, le 19 décembre 2014, relativement à son année d’imposition 1988. La demanderesse a sollicité le remboursement au motif que le délai de prescription de 10 ans prévu à l’article 222 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la LIR), avait expiré le 4 mars 2014. La demande de contrôle judiciaire est présentée sur le fondement de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F­7.

Contexte

[2]        Le contexte factuel de la présente affaire s’étend sur une longue période, à partir de 1988. Les faits sous­jacents, pour l’essentiel, ne sont toutefois pas contestés. Ces faits sont exposés en détail dans les présents motifs pour faciliter et clarifier l’analyse qui suit.

[3]        Dans sa déclaration de revenus de 1988, la demanderesse a déclaré des pertes et d’autres déductions liées à sa participation à deux opérations, soit la société de personnes Trinity Denton (Trinity Denton) et la société de personnes Sierra Trinity Limited (Sierra Trinity).

[4]        Le 29 décembre 1992, l’année d’imposition 1988 de la demanderesse a fait l’objet d’une nouvelle cotisation (la première nouvelle cotisation).

[5]        Le 23 mars 1993, la demanderesse a déposé un avis d’opposition à la première nouvelle cotisation. Elle s’opposait au refus de l’ARC de déduire certaines pertes de la société Trinity Denton qui lui avaient été attribuées en sa qualité d’associée commanditée de cette entité. Plus particulièrement :

i.    la perte de 75 108 $ autre qu’en capital (la perte autre qu’en capital de 1988 de Trinity Denton);

ii.   la perte en capital de 25 125 $ (la perte en capital de 1988 de Trinity Denton);

(collectivement, les pertes de la société Trinity Denton.)

[6]        Le 29 décembre 1993, le ministre a établi un avis de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 1988 de la demanderesse (la deuxième nouvelle cotisation).

[7]        Le 18 mars 1994, la demanderesse a déposé un avis d’opposition à la deuxième nouvelle cotisation, dans lequel elle contestait :

i.    le refus de déduire la somme de 174 000 $ sur une déduction de 203 278 $ demandée au titre des frais d’exploration au Canada (les frais d’exploration au Canada de 1988);

ii.   le refus de déduire la somme de 12 218 $ sur une déduction de 27 743 $ demandée au titre des frais d’intérêt bancaire (les intérêts bancaires de 1988).

[8]        La demanderesse soutient que les frais d’exploration au Canada de 1988 et les frais d’intérêt bancaire de 1988 étaient liés à Sierra Trinity, et non à Trinity Denton. Ce fait n’est pas contesté par le défendeur.

[9]        Le 13 juin 1994, la demanderesse et le ministre ont conclu une convention de règlement à l’égard des pertes déclarées de la société Trinity Denton (la convention de règlement). Dans la convention de règlement, le ministre a convenu d’accorder un certain allégement concernant les intérêts, et la demanderesse a notamment accepté ce qui suit :

i.    l’établissement d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation dans laquelle le remboursement des pertes de la société de personnes déclarées était refusé;

ii.   la renonciation à tout droit de déposer un avis d’opposition ou d’appel concernant la suppression des pertes décrites dans la convention; la confirmation de la cotisation ou de la nouvelle cotisation si un avis d’opposition avait été déposé; et l’engagement à ne prendre aucune autre mesure pour contester la validité de la convention de règlement.

[10]      Le 30 mars 1995, le ministre a publié une lettre de confirmation concernant les avis d’opposition déposés pour les années d’imposition 1988 et 1989 (la première confirmation). À l’issue de son examen, le ministre a déclaré ce qui suit :

i.   les pertes à l’égard de la société de personnes Trinity Denton Limited dont la déduction a été précédemment refusée ont été confirmées [traduction] « conformément à notre convention »;

ii.  les frais d’intérêt sur tout impôt dû pour les années d’imposition 1988 et 1989, à la suite des nouvelles cotisations relatives à Trinity Denton, seraient annulés pour la période précédant le 1er mai 1991, [traduction] « conformément à notre convention de règlement ».

[11]      Le 7 octobre 2010, le ministre a publié une lettre de confirmation concernant les avis d’opposition déposés pour les années d’imposition 1988, 1989 et 1990 (la deuxième confirmation). Pour l’année d’imposition 1988, il a confirmé ce qui suit :

i.   l’achat de certaines données sismiques n’était pas admissible à titre de frais d’exploration au Canada de 1988 et le refus de déduire la somme de 174 000 $ pour l’année d’imposition 1988 (dans la deuxième nouvelle cotisation) était confirmé;

ii.  le refus de déduire la somme de 12 218 $ sur les 26 496,70 $ d’intérêts bancaires de 1988 (dans la deuxième nouvelle cotisation) était confirmé.

[12]      Le 4 janvier 2011, la demanderesse a déposé un avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de ses années d’imposition 1988, 1989 et 1990. Pour l’année d’imposition 1988, une version plus détaillée de l’historique des événements présenté précédemment a été citée. Les questions suivantes ont été soulevées dans l’avis d’appel pour l’année d’imposition 1988 :

i.   Les déductions énumérées (la perte autre qu’en capital de 1988 de Trinity Denton, la perte en capital de 1988 de Trinity Denton, l’intérêt bancaire de 1988 et les frais d’exploration au Canada de 1988) étaient­elles déductibles dans le calcul du revenu?

ii.  L’intérêt sur les ressources de 1988 était­il déductible dans le calcul du revenu?

iii. Le refus de déduire la perte autre qu’en capital de 1988 de Trinity Denton, la perte en capital de 1988 de Trinity Denton et l’intérêt bancaire de 1988 était­il prescrit?

[13]      La demanderesse a contesté le refus de déduire les déductions énumérées pour 1988, qui, selon elle, étaient valides. Elle a également affirmé que la deuxième nouvelle cotisation était inexacte et devait être annulée en raison du retard indu de l’ARC, que l’intérêt sur les ressources de 1988 devait être déduit et son revenu réduit en conséquence, et que le refus de déduire la perte autre qu’en capital de 1988 de Trinity Denton, la perte en capital de 1988 de Trinity Denton et l’intérêt bancaire de 1988 était prescrit. Elle a demandé que la deuxième nouvelle cotisation soit annulée ou, subsidiairement, qu’elle soit renvoyée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

[14]      Dans sa réponse à l’avis d’appel, le ministre a soutenu que les paragraphes 5 et 9 (ainsi que les alinéas 6b), 6c) et 12c)) de l’avis d’appel n’étaient pas fondés et devaient être radiés parce que la question des pertes découlant de la participation de la demanderesse dans la société de personnes Sierra Denton Limited n’avait pas été soulevée devant la Cour en raison de la convention de règlement, en vertu de laquelle la demanderesse avait convenu de ne pas déposer d’appel et ne pouvait donc pas interjeter appel de cette question aux termes du paragraphe 169(2.2) de la LIR. Je signale en passant que, comme les parties l’ont reconnu lorsqu’elles ont comparu devant moi, la référence à la société Sierra Denton Limited dans la réponse est erronée. Les paragraphes mentionnés de l’avis d’appel font en réalité référence à la société Trinity Denton, à la perte autre qu’en capital de 1988 de Trinity Denton et à la perte en capital de 1988 de Trinity Denton. La convention de règlement fait elle aussi référence à la société Trinity Denton.

[15]      Le 19 décembre 2014, le ministre a émis un avis de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 1988 de la demanderesse (la troisième nouvelle cotisation). La demanderesse affirme que la troisième nouvelle cotisation a rétabli dans leur intégralité les déductions qui avaient été refusées relativement à Sierra Trinity. Elle ne contenait aucun rajustement concernant les pertes de la société Trinity Denton. Cela n’est pas contesté par le défendeur.

[16]      La troisième nouvelle cotisation indique que la demanderesse avait droit à un remboursement de 929 152,13 $. Pour expliquer les changements dans la nouvelle cotisation, l’ARC a affirmé ce qui suit :

[traduction] Nous avons fait un rajustement en fonction du jugement sur consentement.

Nous avons réduit de 6 728,40 $ les intérêts sur acomptes provisionnels que nous vous avons facturés.

Nous avons réduit de 838 988,83 $ les intérêts sur arriérés que nous vous avons facturés.

Nous avons utilisé votre remboursement de 929 152,13 $ pour réduire votre solde dû précédent.

[17]      Par lettre datée du 20 septembre 2016, l’avocat de la demanderesse a informé l’ARC du point de vue de sa cliente selon lequel le recouvrement de la dette relativement à l’année d’imposition 1988 était prescrit en vertu du paragraphe 222(4) de la LIR, puisque le délai de prescription de 10 ans établi par cette disposition avait expiré. La lettre indiquait que la demanderesse avait fait l’objet de deux nouvelles cotisations distinctes pour l’année d’imposition 1988. La première nouvelle cotisation (29 décembre 1992) contenait des rajustements à sa participation dans Trinity Denton. La deuxième nouvelle cotisation (29 décembre 1993) contenait des rajustements à sa participation dans Sierra Trinity. La demanderesse a déposé le premier avis d’opposition, à l’égard de la première nouvelle cotisation, le 23 mars 1993. En 1994, elle a conclu la convention de règlement relative à la première nouvelle cotisation, dans laquelle elle a renoncé à son droit de présenter toute autre opposition ou tout autre appel relativement aux montants contestés dans le premier avis d’opposition. Elle avait alors déjà déposé le deuxième avis d’opposition, à l’égard de la deuxième nouvelle cotisation, qui a finalement été confirmée par l’ARC. Elle a ensuite interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt au sujet de la deuxième nouvelle cotisation.

[18]      Toutefois, en raison de la longue période qui s’était écoulée et des changements d’avocats survenus au cours de cette période, le nouvel avocat qui a rédigé l’avis d’appel n’était pas au courant de la convention de règlement conclue relativement à la première nouvelle cotisation. C’est pourquoi le nouvel avocat a inclus des renvois à la première cotisation dans l’avis d’appel. Dans sa réponse, le ministre a affirmé qu’il s’agissait de demandes inexactes, car les questions relatives à Trinity Denton avaient été réglées de façon définitive par la convention de règlement. La demanderesse n’a pas contesté cette affirmation en appel.

[19]      La lettre du 20 septembre 2016 précise qu’après la conclusion de la convention de règlement, l’ARC n’a pas communiqué avec la demanderesse au sujet d’un montant dû relativement à la première cotisation et qu’elle ne l’a fait qu’après le règlement de l’appel de la deuxième nouvelle cotisation en décembre 2014. Comme aucune mesure de recouvrement n’avait été prise le 4 mars 2014, l’ARC ne pouvait plus tenter d’en prendre après cette date en application du paragraphe 222(4) de la LIR.

[20]      Par lettre datée du 12 décembre 2017, l’avocat de la demanderesse a confirmé le message vocal de l’ARC selon lequel cette dernière ne prendrait pas de mesure de recouvrement relativement à un montant qui serait dû pour l’année d’imposition 1988. Dans une lettre datée du 25 janvier 2018 envoyée à l’ARC, l’avocat de la demanderesse a joint le calcul détaillé des intérêts sur les arriérés et les remboursements pour 1988 de sa cliente, qui indique un crédit de 91 080,10 $. La lettre indique que le ministre, le 19 décembre 2014, a appliqué ce crédit à la dette de 1988 et qu’il a à tort pris des mesures de recouvrement, en contravention du délai de prescription prévu au paragraphe 222(4) de la LIR. Dans la lettre, la demanderesse sollicitait le remboursement de ce montant plus les intérêts. Une lettre semblable a été envoyée par l’avocat de la demanderesse le 19 février 2018. Le ministre a renvoyé l’affaire au ministère de la Justice pour obtenir un avis. Le 1er avril 2019, l’avocat de la demanderesse a écrit au ministère de la Justice pour décrire le long historique de l’affaire et énoncer la position de la demanderesse.

[21]      Dans la lettre du 26 avril 2019, l’ARC a informé la demanderesse que sa demande de remboursement avait été refusée. Cette lettre contient la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

Décision faisant l’objet du contrôle

[22]      La lettre du 26 avril 2019 est brève. L’ARC prend acte de la demande de remboursement et souligne que le délai de prescription pour le recouvrement (le DPR) recommence à courir ou est prolongé lorsque certains événements se produisent, et elle renvoie la demanderesse à un lien vers le site Web de l’ARC pour des renseignements additionnels.

[23]      La lettre indique ensuite ce qui suit :

[traduction] Le 4 janvier 2011, la contribuable a interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) au sujet de l’année d’imposition 1988. Dans l’« avis d’appel » déposé, la contribuable reconnaît la nouvelle cotisation datée du 29 décembre 1992 (« première nouvelle cotisation ») et la nouvelle cotisation datée du 29 décembre 1993 (« deuxième nouvelle cotisation »). Le dépôt d’un appel auprès de la CCI constitue une reconnaissance de la dette, ce qui a pour effet de faire recommencer le DPR au jour un. Le DPR a été prolongé simultanément lorsque l’appel devant la CCI a été déposé, ce qui signifie que le DPR ne court pas pendant la période où l’appel est devant la CCI.

Le 19 décembre 2014, l’année d’imposition 1988 a fait l’objet d’une nouvelle cotisation, et le DPR a recommencé à courir 90 jours après cette date. Le DPR a recommencé à courir de nouveau au jour un le 20 mars 2015, et il prendrait fin 10 ans après cette date, soit le 20 mars 2025, à moins qu’il recommence ou soit prolongé de nouveau.

Le DPR pour l’année d’imposition 1988 n’avait pas pris fin le 4 mars 2014, et l’obligation n’était pas frappée de prescription lorsque le remboursement de 91 080,10 $ a été appliqué à l’obligation fiscale de 1998. Par conséquent, le remboursement demandé ne sera pas accordé.

Aperçu de la thèse de la demanderesse

[24]      Il est peut­être utile, avant d’aller plus loin, de donner un aperçu de la thèse de la demanderesse, car elle permet d’inscrire en contexte les discussions qui suivent.

[25]      Dans ses observations écrites, la demanderesse traite des dispositions de la LIR qui portent sur le délai de prescription de 10 ans applicable au recouvrement et sur les circonstances dans lesquelles il peut être prolongé ou remis à zéro.

[26]      Plus précisément, elle affirme que, aux termes du sous­alinéa 222(4)a)(ii) et de l’alinéa 222(4)b) de la LIR, le délai de prescription pour le recouvrement d’une dette fiscale qui était exigible le 4 mars 2004 commence à courir le 4 mars 2004 et prend fin 10 ans après le jour où il a commencé à courir.

[27]      Aux termes du paragraphe 222(8), le délai de prescription est prolongé dans certaines circonstances, particulièrement celles énoncées aux alinéas 222(8)a) à d). L’alinéa 222(8)a) est pertinent en l’espèce; il prévoit que le nombre de jours où, en raison de l’un des paragraphes 225.1(2) à (5), le ministre n’est pas en mesure d’exercer les actions visées au paragraphe 225.1(1) relativement à la dette fiscale prolonge d’autant la durée du délai de prescription. Aux termes du paragraphe 225.1(3), dans le cas où un contribuable en appelle auprès de la Cour canadienne de l’impôt d’une cotisation pour un montant payable en vertu de la LIR, le ministre, pour recouvrer la somme en litige, ne peut prendre aucune des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g). Par conséquent, le dépôt d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt a pour effet d’empêcher le ministre de recouvrer la dette fiscale pendant la période où l’appel est en cours, et la durée du délai de prescription est prolongée de cette période.

[28]      Aux termes du paragraphe 222(5), le délai de prescription de 10 ans pour le recouvrement d’une dette fiscale peut recommencer à courir, puis prendre fin 10 ans plus tard, dans les trois circonstances énoncées aux alinéas 222(5)a), b) et c) :

222 (1) […]

Reprise du délai de prescription

(5) […]

a)    le contribuable reconnaît la dette conformément au paragraphe (6);

b)    le ministre entreprend une action en recouvrement de la dette;

c)    le ministre établit, en vertu des paragraphes 159(3) ou 160(2) ou de l’alinéa 227(10)a), une cotisation à l’égard d’une personne concernant la dette.

[29]      Pour ce qui est de la reconnaissance d’une dette, le paragraphe 222(6) énonce ce qui suit :

222 (1) […]

Reconnaissance de dette fiscale

(6) Se reconnaît débiteur d’une dette fiscale le contribuable qui, selon le cas :

a)    promet, par écrit, de régler la dette;

b)    reconnaît la dette par écrit, que cette reconnaissance soit ou non rédigée en des termes qui permettent de déduire une promesse de règlement et renferme ou non un refus de payer;

c)    fait un paiement au titre de la dette, y compris un prétendu paiement fait au moyen d’un titre négociable qui fait l’objet d’un refus de paiement.

[30]      Selon la thèse générale de la demanderesse en l’espèce, aux termes du sous­alinéa 222(4)a)(ii), le délai de prescription pour la dette due par Trinity Denton pour l’année d’imposition 1988 (la dette de 1988) a commencé à courir le 4 mars 2004 et, aux termes de l’alinéa 222(4)b), il a pris fin le 4 mars 2014. La demanderesse soutient que, pendant cette période, le ministre n’a pris aucune mesure pour recouvrer la dette de 1988. Elle soutient également que les circonstances de l’espèce ne permettent pas non plus de conclure que le délai de prescription a été prorogé ou a recommencé à courir. Aux termes du paragraphe 222(3), le ministre ne pouvait donc pas entreprendre une action en recouvrement de la dette de 1988 après l’expiration du délai de prescription. Une « action » est définie au paragraphe 222(1) et s’entend d’une action en recouvrement d’une dette d’un contribuable, y compris toute mesure prise par le ministre en vertu du paragraphe 164(2) :

164 (1) […]

Imputation du remboursement

(2) Lorsque le contribuable est redevable d’un montant à Sa Majesté du chef du Canada ou du chef d’une province ou est sur le point de l’être, le ministre peut, au lieu de rembourser un paiement en trop ou une somme en litige, qui pourrait par ailleurs être remboursé en vertu du présent article, imputer la somme à rembourser sur ce dont le contribuable est ainsi redevable et en aviser celui-ci.

[31]      Le 19 décembre 2014, et malgré l’expiration du délai de prescription, le ministre a pris des mesures de recouvrement en appliquant à la dette de 1988 un crédit par ailleurs remboursable à la demanderesse. La demanderesse soutient que les motifs invoqués par le ministre dans sa décision de refuser sa demande de remboursement sont erronés en droit.

Dispositions applicables de la LIR

[32]      Le texte intégral des dispositions applicables de la LIR est reproduit à l’annexe « A » des présents motifs.

Questions en litige

[33]      La demanderesse soutient que la seule question en litige consiste à savoir si le ministre a commis une erreur de droit fondamentale en concluant que le délai de prescription visé au paragraphe 222(4) de la LIR, en ce qui a trait à la dette de 1988, n’avait pas expiré avant le 19 décembre 2014.

[34]      Le ministre soutient que trois questions se posent et que, si la réponse à l’une d’elles est affirmative, la demande de contrôle judiciaire doit alors être rejetée. Plus particulièrement :

i.      La troisième nouvelle cotisation établie le 19 décembre 2014 représentait­elle une autre cotisation entièrement nouvelle assortie d’un tout nouveau DPR relativement à l’obligation fiscale de la demanderesse pour 1988?

ii.     Le dépôt de l’appel par la demanderesse le 4 janvier 2011 a­t­il eu pour effet de suspendre pendant la durée de l’appel le DPR qui courait à ce moment?

iii.    La demanderesse a­t­elle « reconnu » son obligation fiscale pour l’année 1988 en interjetant appel (auprès de la Cour canadienne de l’impôt), faisant ainsi recommencer à zéro le DPR alors en vigueur?

[35]      À mon avis, et compte tenu de ma conclusion sur la norme de contrôle applicable énoncée ci­après, la question fondamentale est celle de savoir s’il était raisonnable pour le ministre de conclure que le DPR, tel qu’établi au paragraphe 222(4) de la LIR, n’avait pas expiré le 19 décembre 2014. Pour répondre à cette question, il faut d’abord trancher trois questions :

Première question 1 : La demanderesse a­t­elle « reconnu » son obligation fiscale pour l’année 1988 en interjetant appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt, faisant ainsi recommencer à zéro le DPR?

Deuxième question 2 : Le dépôt de l’appel par la demanderesse auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le 4 janvier 2011, a­t­il eu pour effet de proroger le DPR en vigueur?

Troisième question : La troisième nouvelle cotisation établie le 19 décembre 2014 représentait­elle une autre nouvelle cotisation, créant ainsi un nouveau DPR à l’égard de l’obligation fiscale de la demanderesse pour l’année 1988?

Norme de contrôle applicable

Thèse des parties

[36]      Dans ses observations écrites, la demanderesse a affirmé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, s’appuyant sur l’arrêt Connolly c. Canada (Revenu national), 2019 CAF 161, [2019] 4 R.C.F. 256 ( Connolly ) [au paragraphe 54] :

Je conviens avec M. Connolly que le premier volet de l’analyse que la fonctionnaire déléguée a faite du paragraphe 204.1(4), concernant le critère applicable qui y est prévu, soulève une question de droit et que, jusqu’à maintenant, notre Cour a examiné la manière dont le ministre ou son fonctionnaire délégué interprétait les dispositions de la LIR en regard de la norme de la décision correcte, même si, depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, ces questions doivent normalement être examinées en regard de la norme de la décision raisonnable : voir, par exemple, l’arrêt Fondation Redeemer, au paragraphe 24; l’arrêt Bozzer, au paragraphe 3; Sheldon Inwentash and Lynn Factor Charitable Foundation c. Canada, 2012 CAF 136, aux paragraphes 19 à 23; Prescient Foundation c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 120, aux paragraphes 12 et 13; Opportunities for the Disabled Foundation c. Canada (Revenu national), 2016 CAF 94, au paragraphe 16.

[37]      Le défendeur a soutenu dans ses observations écrites que l’interprétation par un décideur administratif de sa loi constitutive commande la déférence en contrôle judiciaire. En l’espèce, la LIR est la loi constitutive du ministre, et la demanderesse conteste l’interprétation et l’application de la LIR par ce dernier. Le défendeur a soutenu qu’il existe une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230, aux paragraphes 27 et 28) et qu’aucune des exceptions à cette présomption ne s’applique en l’espèce (McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895 (McLean), aux paragraphes 25–33).

[38]      Après le dépôt des observations écrites par les parties, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov). Les parties ont été autorisées à déposer d’autres observations écrites compte tenu de l’incidence de l’arrêt Vavilov sur leurs points de vue.

[39]      Dans ces observations supplémentaires, les parties ont convenu qu’après l’arrêt Vavilov, la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable.

[40]      La demanderesse soutient toutefois que cette présomption est réfutée compte tenu des circonstances de l’espèce et que, par conséquent, la norme de contrôle applicable demeure celle de la décision correcte. Plus précisément, elle soutient que l’interprétation des délais de prescription prévus par la loi est purement une question de droit et qu’elle est d’une importance capitale pour le fonctionnement du système juridique au Canada (Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, [2003] 1 R.C.S. 94 (Markevich), au paragraphe 17; McLean, au paragraphe 28). Selon la demanderesse, permettre au délégué du ministre d’interpréter le paragraphe 222(4) de la LIR [traduction] « sous le couvert d’un contrôle selon la norme de la “décision raisonnable” serait contraire à la primauté du droit et introduirait un degré inacceptable d’incertitude dans l’interprétation de la question juridique ». Elle ajoute que l’ARC, agissant au nom du ministre, n’a aucune expertise en particulier dans l’interprétation des questions juridiques concernant les délais de prescription et que la LIR ne donne pas à penser qu’il faut faire preuve de déférence à l’égard du ministre. À titre subsidiaire, si la Cour conclut que la norme de la décision raisonnable s’applique, elle doit l’appliquer de la manière énoncée dans l’arrêt Vavilov. Il faudrait pour cela reconnaître que l’ARC n’est pas un tribunal indépendant et qu’elle a un intérêt dans le résultat, soit de continuer à retenir le remboursement. L’ARC ne peut être autorisée à échafauder sa propre interprétation de la loi en fonction du résultat qu’elle souhaite atteindre (Vavilov, au paragraphe 121).

[41]      Le défendeur soutient que l’arrêt Vavilov prévoit deux situations où la présomption est réfutée : 1) lorsque la loi traite directement de la norme de contrôle ou le fait implicitement en prévoyant un appel direct d’une décision auprès d’un tribunal, et 2) lorsque la primauté du droit l’exige. Toutefois, aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce. La primauté du droit exige seulement que les cours de justice tranchent de manière définitive les questions de droit générales qui sont d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble (Vavilov, aux paragraphes 58–59, 61). La décision ne soulève pas de question générale ou abstraite concernant les délais de prescription en général. Elle soulève plutôt des questions mixtes de fait et de droit qui sont propres à l’application de la LIR.

Analyse

[42]      Comme la demanderesse s’appuie sur l’arrêt Connolly, il est important de noter que, après le paragraphe 54, invoqué par la demanderesse et précité, la Cour d’appel [fédérale] a ajouté ce qui suit :

Cela dit, étant donné les développements importants observés au cours des dernières années dans le domaine de la common law en matière de contrôle judiciaire, il se pourrait bien que cette approche ne soit plus la bonne, comme l’a récemment fait remarquer ma collègue la juge Woods, dans les arrêts Bonnybrook Park Industrial Development Co. Ltd. c. Canada (Revenu national), 2018 CAF 136, aux paragraphes 22 à 24, et Ark Angel Foundation c. Canada (Revenu national), 2019 CAF 21, aux paragraphes 30 et 31. Cependant, pour les motifs énoncés ci­après, je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur cette question en l’espèce.

[43]      À la suite de l’arrêt Connolly, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a conclu que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer chaque fois qu’une cour contrôle une décision administrative (Vavilov, aux paragraphes 16, 23, 25). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de circonstances. La première est celle où le législateur a prescrit la norme de contrôle ou a prévu un mécanisme d’appel, indiquant ainsi son intention que les normes applicables en appel devraient s’appliquer (Vavilov, aux paragraphes 17, 33). La deuxième est celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. Ce sera le cas pour certaines catégories de questions, soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux paragraphes 17, 53).

[44]      La demanderesse ne dit pas que la première circonstance s’applique en l’espèce. Elle est d’avis que la décision du ministre entre dans la catégorie des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et que, à ce titre, elle réfute la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique.

[45]      À mon sens, cette thèse n’est pas étayée par l’arrêt Vavilov ni par les circonstances factuelles de l’espèce. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a déclaré que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer à l’interprétation par le décideur administratif de sa loi habilitante, et aussi de façon plus générale aux autres aspects de sa décision (au paragraphe 25). De plus, en ce qui concerne les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, la Cour suprême a fait référence à l’arrêt Dunsmuir [c. Nouveau-Brunswick], 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir], au paragraphe 60, qui précise qu’elles sont, « “à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère[s] au domaine d’expertise de l’arbitre” ». Toutefois, bien que la Cour suprême soit demeurée d’avis que la primauté du droit exige que les cours de justice tranchent de manière définitive les questions de droit générales qui sont d’ « importance capitale pour le système juridique dans son ensemble », elle a conclu qu’il n’est plus nécessaire d’examiner l’expertise spécialisée du décideur pour déterminer s’il faut appliquer la norme de la décision correcte en pareil cas (Vavilov, au paragraphe 58). Autrement dit, pour déterminer la norme de contrôle applicable, la question de l’expertise n’est plus aussi pertinente qu’elle l’était dans l’analyse contextuelle précédemment requise. Désormais, la place que l’expertise occupe dans le processus décisionnel est un facteur dont il faut tenir compte lors du contrôle selon la norme présumée s’appliquer de la décision raisonnable (Vavilov, au paragraphe 31).

[46]      La Cour suprême a ensuite souligné que la principale raison d’être de cette catégorie de questions est la nécessité de trancher certaines questions de droit générales « de manière uniforme et cohérente » étant donné leurs « répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble » (Dunsmuir, au paragraphe 60). Dans ces cas, la norme de contrôle de la décision correcte s’impose à l’égard des questions de droit générales qui sont « “d’une importance fondamentale, de grande portée” » et susceptibles d’avoir des répercussions juridiques significatives sur le système de justice dans son ensemble ou sur d’autres institutions gouvernementales (Vavilov, au paragraphe 59). La Cour suprême a mentionné ses arrêts antérieurs à cet égard, puis elle a déclaré ce qui suit :

[…] Par exemple, la question soulevée dans University of Calgary ne pouvait pas être tranchée par application de la norme de la décision raisonnable en raison des conséquences juridiques de la décision sur une vaste gamme d’autres régimes législatifs et en raison de la nécessité d’une protection uniforme du secret professionnel de l’avocat — en cause dans cette affaire — pour le bon fonctionnement du système de justice : University of Calgary, par. 19-26. Ainsi que le montre cette jurisprudence, résoudre des questions de droit générales « d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble » a des répercussions qui transcendent la décision en cause, d’où le besoin de « réponses uniformes et cohérentes ».

[47]      En outre [aux paragraphes 61–62] :

Nous tenons à préciser que le simple fait qu’un conflit puisse être « d’intérêt public général » ne suffit pas pour qu’une question entre dans cette catégorie — pas plus que ne l’est le fait qu’une question formulée dans un sens général ou abstrait porte sur un enjeu important : voir, p. ex., Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, par. 66; McLean, par. 28; Barreau du Québec c. Québec (Procureur général), 2017 CSC 56, [2017] 2 R.C.S. 488, par. 18. La jurisprudence renferme de nombreux exemples de questions que notre Cour n’a pas considérées comme étant des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Mentionnons, entre autres, la question de savoir si un certain tribunal administratif peut accorder ou non un type particulier d’indemnité (Mowat, par. 25); les cas dans lesquels un arbitre peut appliquer une préclusion à titre de réparation (NorMan Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616, par. 3738); l’interprétation d’une disposition législative prescrivant le délai pour mener à terme une enquête (Alberta Teachers, par. 32); la portée des droits de la direction prévus dans une convention collective (Pâtes & Papier Irving, par. 7, 1516 et 66, les juges Rothstein et Moldaver, dissidents mais non sur ce point); l’application d’un délai de prescription en vertu d’une loi portant sur les valeurs mobilières (McLean, par. 2831); la possibilité pour une partie à un contrat confidentiel de porter plainte sous un régime particulier de réglementation (Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, par. 60); et la portée d’une exception permettant aux non-avocats de représenter un ministre dans certaines instances (Barreau du Québec, par. 17-18). Comme ces commentaires l’indiquent et ces exemples le montrent, le simple fait que l’expertise n’occupe plus de place dans la sélection de la norme de contrôle ne veut pas dire que les questions d’importance capitale forment désormais une vaste catégorie fourre­tout à laquelle s’applique la norme de la décision correcte.

En somme, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble exigent une réponse unique et définitive. Lorsque ces questions se posent, la primauté du droit requiert que les cours de justice apportent un niveau de certitude juridique qui soit supérieur à celui que permet le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable. [Italiques dans l’original.]

[48]      Je remarque que, dans l’arrêt McLean, qui a été cité par la Cour suprême au paragraphe 61 de l’arrêt Vavilov comme exemple de questions qui ne sont pas des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, la Cour suprême s’est demandé si, pour l’application l’alinéa 161(6)d) de la loi britanno-colombienne intitulée Securities Act [R.S.B.C. 1996, ch. 418] (Loi sur les valeurs mobilières), « l’événement » à partir duquel commence à courir le délai de prescription de six ans prévu à l’article 159 était la conduite qui a donné lieu à la convention de règlement ou à la convention de règlement elle-même. Les juges majoritaires ont conclu que, bien que les délais de prescription, sur le plan théorique, revêtent « généralement une importance capitale aux fins d’une saine administration de la justice » [italique dans l’original], il ne s’ensuit pas que l’interprétation du délai applicable par le commissaire aux valeurs mobilières doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte. Elle a ajouté que le sens du terme « événement » employé à l’article 159 constituait « un point technique d’interprétation législative dans un contexte très précis » (McLean, au paragraphe 28).

[49]      À mon avis, cette circonstance est similaire. La décision en l’espèce ne repose pas uniquement sur l’interprétation du paragraphe 222(4) de la LIR par le ministre, mais aussi sur l’application par le ministre de cette disposition, et de dispositions connexes, aux faits de l’espèce. Il s’agit donc d’une question mixte de fait et de droit. Je ne suis pas non plus convaincue que l’interprétation de cette disposition par le ministre dans sa décision donne lieu à une question de droit générale d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. L’interprétation du ministre se limite à la situation propre à la demanderesse, à savoir si la convention de règlement a entraîné la prorogation ou la reprise du délai de prescription et, dans la négative, si le délai de prescription avait expiré avant la troisième nouvelle cotisation et ne pouvait être réactivé par cette dernière. Cette interprétation aura principalement des répercussions sur la situation propre à la demanderesse, et il ne s’agit pas d’une question de droit générale d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble qui exige une réponse unique et définitive. Par conséquent, la présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable est la norme de la décision raisonnable n’a pas été réfutée.

[50]      Je constate enfin que, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême s’est également penchée sur la façon dont une cour de révision devrait s’y prendre pour procéder au contrôle selon la norme de la décision raisonnable (aux paragraphes 73–145).

[51]      Dans son analyse, la Cour suprême a traité des principes d’interprétation de la loi comme élément d’une analyse selon la norme de la décision raisonnable et a conclu que les questions d’interprétation de la loi ne reçoivent pas un traitement exceptionnel et, comme toute autre question de droit, elles peuvent être évaluées selon la norme de la décision raisonnable (au paragraphe 115).

[52]      De façon plus générale, la Cour suprême a conclu que la cour de révision doit déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable et, pour ce faire, elle doit « se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle­ci » (Vavilov, aux paragraphes 15, 99). Lorsqu’une décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti, elle est raisonnable et commande la déférence de la part de la cour de révision (Vavilov, au paragraphe 85).

Première question : La demanderesse a­t­elle « reconnu » son obligation fiscale pour l’année 1988 en interjetant appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt,faisant ainsirecommencer à zéro le DPR?

Thèse de la demanderesse

[53]      La première question consiste à déterminer si la demanderesse a « [reconnu] […] par écrit » la dette de 1988, telle que cette expression est décrite à l’alinéa 222(6)b) de la LIR, en interjetant appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt, faisant ainsi recommencer à zéro le DPR aux termes de l’alinéa 222(5)a). La demanderesse soutient que l’appel ne constituait pas une reconnaissance par écrit de la dette de 1988 et que, par conséquent, le délai de prescription n’a pas recommencé à zéro.

[54]      Elle soutient que, comme la LIR ne définit pas en quoi consiste une reconnaissance par écrit, il faut interpréter cette notion en lisant les termes de la disposition législative « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 [Rizzo], au paragraphe 21), y compris en tenant compte du sens ordinaire de ces termes. Selon cette interprétation, l’appel ne constitue pas une reconnaissance par écrit de la dette de 1988.

[55]      À cet égard, la demanderesse souligne notamment que l’alinéa 222(8)a) prévoit que le délai de prescription est prorogé pendant qu’un appel est en instance. Il serait redondant et incohérent de conclure que l’alinéa 222(5)a) vise également la reprise simultanée du délai de prescription. Si le législateur avait voulu que le délai de prescription recommence à zéro dès le dépôt d’un avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt, il l’aurait dit. La demanderesse soutient que cette interprétation est également conforme à l’objet législatif de l’article 222 et à la politique qui sous­tend les délais de prescription en général (Alberta Law Reform Institute, Report No. 55, Limitations (Edmonton : The Institute, 1989), à la page 92). Autrement dit, lorsqu’un contribuable n’admet pas ou ne vérifie pas son obligation, il n’a pas renoncé à son besoin d’être protégé par le délai de prescription, et rien ne justifie le renouvellement du délai de prescription. À l’inverse, selon le principe de la préclusion, si un débiteur a promis de payer une dette, le créancier devrait alors pouvoir se fier à cette nouvelle promesse, et le délai de prescription ne devrait pas être renouvelé compte tenu de cette promesse.

[56]      De plus, de par sa nature même, un appel est un différend quant à l’existence d’une dette fiscale, et non une confirmation de son existence. En déposant l’appel, la demanderesse a simplement reconnu que les première et deuxième nouvelles cotisations avaient été établies pour son année d’imposition 1988. Elle n’a pas reconnu l’existence en soi de la dette de 1988 ni son obligation à l’égard de cette dette. En fait, elle a expressément nié l’existence de toute obligation pour l’année d’imposition 1988. Étant donné que la demanderesse, en déposant son appel, n’a pas « confirmé et admis » (Buik Estate v. Canasia Power Corp., 2014 ONSC 2959 (CanLII) (Buik), au paragraphe 35) l’exactitude de la première nouvelle cotisation ou de la deuxième nouvelle cotisation ni l’existence de la dette de 1988, il ne s’agissait pas d’une reconnaissance par écrit de la dette fiscale, et le délai de prescription n’a pas recommencé à zéro.

Thèse du défendeur

[57]      Le défendeur soutient que l’interprétation du ministre de ce qui constitue une « reconnaissance par écrit » dans le contexte de la LIR était raisonnable et commande la retenue. Bien que le défendeur reconnaisse que des termes semblables à ceux du paragraphe 222(5) de la LIR figurent dans la loi britanno-colombienne intitulée Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236 (Loi sur le délai de prescription), il affirme qu’il convient néanmoins d’établir une distinction entre les décisions citées par la demanderesse et l’espèce en raison du contexte législatif et de l’objet de la LIR, soit de percevoir des fonds pour le fonctionnement du secteur public.

[58]      De plus, selon le paragraphe 152(8) de la LIR, une cotisation doit, sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel interjeté en vertu de la partie I [articles 2 à 181.71] et sous réserve d’une nouvelle cotisation, être réputée valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s’y rattachant en vertu de la LIR. Selon le paragraphe 152(3), le fait qu’une cotisation est inexacte ou incomplète ou qu’aucune cotisation n’a pas été établie n’a aucun effet sur les responsabilités du contribuable à l’égard de l’impôt prévu par la partie I.

[59]      Par conséquent, le défendeur soutient qu’il n’est pas nécessaire qu’un contribuable admette son obligation puisque, selon la LIR, cette obligation est réputée exister et la LIR élimine toute condition nécessaire en common law pour qu’une admission d’obligation constitue une reconnaissance. Le dépôt d’un appel d’une dette fiscale valide et exécutoire constitue une reconnaissance de cette dette. Le sens ordinaire du terme « reconnaître » peut permettre une telle interprétation et est raisonnable.

Analyse

[60]      Selon la décision, en déposant l’avis d’appel, la demanderesse a reconnu la première nouvelle cotisation et la deuxième nouvelle cotisation. De plus, [traduction] « le dépôt d’un appel auprès de la CCI constitue une reconnaissance de la dette et a eu pour effet de faire recommencer le DPR au jour un ». Il semble que ce point de vue soit généralement adopté par l’ARC, selon lequel le dépôt d’un appel constitue une reconnaissance de la dette en question et, par conséquent, a pour effet de repartir du début le délai de prescription pour le recouvrement.

[61]      Je souligne au passage que le raisonnement du défendeur, à propos des paragraphes 152(3) et (8) de la LIR, ne se trouve pas dans la décision par laquelle le remboursement demandé a été refusé. Le ministre ne fait aucune référence expresse aux dispositions de la LIR à l’appui de sa conclusion. Le dossier certifié du tribunal, tout comme la décision, ne contient pas de notes ni d’analyse. Il contient seulement des extraits du Manuel du recouvrement national de l’ARC et une capture d’écran d’une partie du site Web externe de l’ARC concernant les délais de prescription, qui indiquent tous les deux, sans explication, que le dépôt d’un avis d’opposition ou d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt constitue une reconnaissance de la dette. L’extrait du site Web externe indique que de telles mesures auront pour effet de faire recommencer le délai de prescription pour le recouvrement, car elles « sont considérées comme une reconnaissance de dette ». Le lien électronique auquel la demanderesse a été renvoyée dans la décision est vraisemblablement un lien vers le site Web de l’ARC. Cela dit, l’interprétation de l’alinéa 222(5)a) et du paragraphe 222(6) n’était pas directement en cause lorsque la demanderesse a présenté ses observations à l’ARC pour demander un remboursement. Toutefois, l’ARC semble s’appuyer sur son interprétation de la LIR dans la décision sans justifier sa conclusion.

[62]      Par conséquent, il faut d’abord établir si l’ARC a raisonnablement conclu que le fait d’interjeter appel est, en soi, une reconnaissance qui suffira à faire recommencer le délai de prescription dans chaque cas.

[63]      La Cour suprême du Canada a déclaré qu’il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (Vavilov, au paragraphe 117; Rizzo, au paragraphe 21; dans le contexte de la LIR, voir aussi Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10). Elle a aussi déclaré que, pour évaluer le caractère raisonnable de l’interprétation d’une loi, la cour de révision doit se demander « si les outils d’interprétation législative, y compris le texte, le contexte et l’objet de la disposition, peuvent raisonnablement étayer la conclusion » du ministre (Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83, au paragraphe 108).

[64]      Pour ce qui est du contexte, l’article 222 doit être considéré dans le contexte de cette disposition dans son ensemble, d’autres dispositions applicables et de l’objet de la LIR. À cet égard, la LIR ne définit pas les termes « reconnaît » ou « reconnaît […] par écrit » figurant aux alinéas 222(5)a) et 222(6)b), respectivement. Ces dispositions ne précisent pas non plus que le dépôt d’un appel constitue une reconnaissance ni que le dépôt d’un appel servira à faire recommencer le délai de prescription. Il est toutefois important de souligner que les paragraphes 222(8) et 225.1(3), lus conjointement, prévoient expressément que, lorsqu’un appel est interjeté auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le ministre ne peut prendre aucune mesure de recouvrement pour la somme en litige, et le délai de prescription est prorogé pour qu’il soit tenu compte de la période pendant laquelle l’affaire est en appel. En vertu des paragraphes 222(8) et 225.1(3), le dépôt d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt a pour effet de suspendre le délai de prescription en cours pour la durée de l’appel. Une fois l’appel tranché, le délai de prescription reprend et est prolongé de la durée pendant laquelle il a été suspendu en raison de l’appel. Le délai de prescription de 10 ans est donc maintenu.

[65]      À mon avis, si le législateur avait voulu que le dépôt d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt ait pour effet de faire recommencer le délai de prescription, il l’aurait probablement dit clairement (voir, par exemple, Doig c. Canada, 2011 CF 371, au paragraphe 27). De plus, le fait que les paragraphes 222(8) et 225.1(3) prévoient expressément la prorogation du délai de prescription par le dépôt d’un appel, tandis que les alinéas 222(5)a) et 222(6)b), qui portent sur la reprise des délais de prescription, sont muets quant à la question des appels, milite contre l’interprétation selon laquelle le dépôt d’un appel constituerait une « reconnaissance » de l’impôt en question.

[66]      Il serait également absurde que le délai de prescription puisse recommencer à zéro par le dépôt d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt aux termes des alinéas 222(5)a) et (6)b) et, en même temps, être aussi prorogé aux termes du paragraphe 222(8). Deux délais de prescription différents pourraient alors courir pour la même affaire. Dans la mesure où c’est ce que l’ARC laissait supposer dans la décision lorsqu’elle a déclaré que le dépôt de l’appel a eu pour effet de faire recommencer le délai de prescription et que le délai de prescription [traduction] « a été prorogé simultanément lorsque l’appel à la CCI a été déposé », il s’agit à mon avis d’une interprétation déraisonnable.

[67]      Compte tenu des facteurs qui précèdent, je suis d’avis que la conclusion générale du ministre selon laquelle le dépôt d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt constitue une reconnaissance de dette, faisant ainsi recommencer à zéro le délai de prescription, n’est pas justifiée, intelligible ni transparente, et elle est déraisonnable (Vavilov, aux paragraphes 14, 86, 95, 99–101, 105, 120–121).

[68]      Toutefois, je tiendrai également compte des autres observations des parties quant à l’interprétation du terme « reconnaissance » figurant à l’alinéa 222(6)b).

[69]      Selon l’application de la règle du sens ordinaire, l’interprétation commence par le sens ordinaire — lire les termes en suivant leur sens grammatical et ordinaire. Cependant, [traduction] « les interprètes doivent tenir compte du contexte global des termes à interpréter dans chaque cas, peu importe la clarté de ces termes à première vue » (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. (Markham, Ont.  : LexisNexis Canada, 2014), à la section 3.7). Le sens ordinaire et grammatical des termes dans une disposition législative n’est pas déterminant; il faut plutôt lire l’article dans son contexte global, « c’est­à­dire examiner l’historique de la disposition, sa place dans l’économie générale de la Loi, l’objet de la Loi elle­même ainsi que l’intention du législateur tant dans l’adoption de la Loi tout entière que dans l’adoption de cette disposition particulière » (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 34).

[70]      En ce qui concerne l’interprétation de la LIR, dans l’arrêt Markevich, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit [au paragraphe 14] :

Rien n’appuie la théorie selon laquelle la LIR est un code complet qui ne peut être interprété à la lumière des lois d’application générale. La LIR ne s’applique pas dans un vide législatif : voir Will­Kare, précité, par. 31. Voir également P. W. Hogg, J. E. Magee et T. Cook, Principles of Canadian Income Tax Law (3e éd. 1999), p. 2, où les auteurs notent que la [traduction] « Loi de l’impôt sur le revenu se fonde implicitement sur le droit commun ». En conséquence, pour savoir si une loi ou un principe juridique influe sur l’application de la LIR, il faut analyser les dispositions particulières en cause.

[71]      En l’espèce, les dispositions applicables de la LIR sont l’alinéa 222(5)a) et le paragraphe 222(6) :

222 (1) […]

Reprise du délai de prescription

(5) Le délai de prescription pour le recouvrement d’une dette fiscale d’un contribuable recommence à courir — et prend fin, sous réserve du paragraphe (8), dix ans plus tard — le jour, antérieur à celui où il prendrait fin par ailleurs, où, selon le cas :

a) le contribuable reconnaît la dette conformément au paragraphe (6);

b) le ministre entreprend une action en recouvrement de la dette;

c) le ministre établit, en vertu des paragraphes 159(3) ou 160(2) ou de l’alinéa 227(10)a), une cotisation à l’égard d’une personne concernant la dette.

Reconnaissance de dette fiscale

(6) Se reconnaît débiteur d’une dette fiscale le contribuable qui, selon le cas :

a) promet, par écrit, de régler la dette;

b) reconnaît la dette par écrit, que cette reconnaissance soit ou non rédigée en des termes qui permettent de déduire une promesse de règlement et renferme ou non un refus de payer;

c) fait un paiement au titre de la dette, y compris un prétendu paiement fait au moyen d’un titre négociable qui fait l’objet d’un refus de paiement.

[72]      Comme il a été souligné précédemment, ces dispositions ne précisent pas que le dépôt d’un avis d’appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt constitue une reconnaissance par écrit de la dette fiscale, ce qui aurait pour effet de faire recommencer, plutôt que de suspendre et de proroger, le délai de prescription. Le législateur a plutôt choisi de limiter les circonstances dans lesquelles le délai de prescription recommence à courir à celles énoncées au paragraphe 222(5), y compris lorsque le contribuable reconnaît la dette (alinéa 222(5)a)).

[73]      La demanderesse soutient que, selon le sens normal et ordinaire du terme « reconnaissance », il doit y avoir une forme quelconque d’admission ou de vérification de la dette exigible pour que le délai de prescription recommence à courir aux termes du paragraphe 222(5). Elle affirme que cette interprétation est conforme à la jurisprudence à laquelle elle a fait référence. Elle cite la définition du Black’s Law Dictionary (Black’s Law Dictionary en ligne, 2e éd., sous l’entrée acknowledgement (reconnaissance)) : [traduction] « Action de déclarer que quelque chose est vrai ou factuel [...] Message confirmant qu’une communication a été reçue [...] SYN. vérification ». De plus, le Oxford English Dictionary (Oxford English Dictionary en ligne, 3e éd., sous l’entrée acknowledgement (reconnaissance)) définit ce terme comme [traduction] « l’action ou l’acte de reconnaître, de confesser, d’admettre ou de posséder quelque chose : admission, confession ».

[74]      Le défendeur fait référence à une définition semblable du Black’s Law Dictionary : [traduction] « Reconnaître (quelque chose) comme étant factuel ou valide » (Black’s Law Dictionary, 10e éd, Thomson Reuters, 2014, page 27). Le défendeur affirme que l’utilisation du terme disjonctif « ou » est importante, car, en interjetant appel d’une dette fiscale faisant l’objet d’une cotisation, le contribuable reconnaît que la dette est factuelle — elle existe comme obligation — même s’il conteste sa validité.

[75]      Je souligne que le dictionnaire en ligne Merriam­Webster (Merriam­Webster Online Dictionary, sous l’entrée acknowledgement (reconnaissance)) définit ce terme comme l’acte de reconnaître quelque chose ou quelqu’un, comme la reconnaissance d’une erreur, ainsi que comme une déclaration ou un aveu de son acte ou d’un fait pour lui donner une validité juridique.

[76]      À mon avis, le sens normal de « reconnaissance » exige une admission ou une confirmation de la part de la personne qui reconnaît la chose alléguée, qu’il s’agisse d’une obligation à l’égard de dommages, d’un blâme, d’une responsabilité ou d’une obligation fiscale.

[77]      Quant à l’interprétation judiciaire du terme, il ne semble pas y avoir beaucoup de décisions qui portent directement sur ce point. Le défendeur n’a fourni aucune décision et la demanderesse n’a mentionné qu’une seule décision qui traite des paragraphes 222(5) et (6) de la LIR. Il s’agit de la décision Thandi (Re), 2017 BCSC 1201, 2017 D.T.C. 5090 (Thandi). Dans cette affaire, la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la C.S.C.-B.) a conclu que la participation de l’ARC à une procédure de forclusion dans le but exprès de tenter de recouvrer la dette impayée constituait une « action en recouvrement d’une dette » visée au paragraphe 222(1). Elle a aussi conclu que la preuve était suffisante pour appuyer la thèse de l’ARC selon laquelle cette dernière avait reçu une reconnaissance par écrit de la dette, conformément aux paragraphes 222(5) et 222(6). Plus précisément, une note inscrite dans un registre de recouvrement de l’ARC indiquait que l’avocat de M. Thandi avait envoyé une lettre (qui n’était pas en preuve) dans laquelle il demandait la confirmation que l’ARC rendrait sa décision une fois que les fonds excédentaires seraient versés à l’ARC. En l’absence d’une preuve contradictoire présentée par M. Thandi, la C.S.C.-B. a conclu que, par la lettre de son avocat, M. Thandi avait reconnu sa dette par écrit, de sorte que le délai de prescription avait recommencé à courir (Thandi, aux paragraphes 31–33).

[78]      Je retiens de la décision Thandi que, lorsqu’il est allégué qu’il y a eu reconnaissance par écrit d’une dette fiscale, conformément à l’alinéa 222(6)b) de la LIR, c’est la teneur de cette reconnaissance qui permet de déterminer si elle a bien eu lieu. Dans le contexte de l’espèce, cela signifie que, même si le dépôt d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt peut potentiellement faire reprendre du début le délai de prescription, le simple dépôt de l’appel ne constituera pas automatiquement une reconnaissance par écrit de la dette. Il faut plutôt examiner la teneur de l’appel lui­même dans chaque cas.

[79]      Dans le reste de la jurisprudence fournie par la demanderesse, les tribunaux ont examiné si la reconnaissance par écrit d’une dette était suffisante pour faire recommencer à courir le délai de prescription dans le contexte des lois provinciales en matière de prescription. Dans la décision Buik, la Cour de justice de l’Ontario a examiné le délai de prescription visé au paragraphe 51(1) de la Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, ch. L.15, qui prévoyait qu’une dette reconnue par écrit avant l’expiration du délai de prescription, à partir de laquelle on pouvait déduire une promesse de paiement, avait pour effet de créer un tout nouveau délai de prescription. La Cour de justice a conclu que, dans l’affaire dont elle était saisie, la dette avait été reconnue au moyen de lettres, ce qui avait eu pour effet de faire recommencer à courir le délai de prescription. La Cour de justice a notamment examiné la jurisprudence pertinente suivante [au paragraphe 35] :

[traduction] Dans la décision Canada (AG) v Simpson (1995), 1995 CanLII 7230 (C. sup. Ont.), 26 O.R. (3d) 317 (Div. gén.), la Cour a conclu que les demandes d’allégement d’intérêts d’un débiteur ne constituaient pas une reconnaissance de dette au sens de la loi. La juge Charron a conclu qu’il faut une plus grande certitude avant qu’un écrit n’exclue les parties de l’application de la loi. En plus d’être par écrit et signée par son auteur (ou son mandataire), la reconnaissance de dette doit « confirmer et admettre le montant qui demeure impayé » : West York International Inc. v Importanne Marketing Inc., 2012 ONSC 6476 (CanLII), au para 92. Voir aussi Ainsley v Fitzpatrick, 2013 ONSC 3338 (CanLII), au para 55, conf par 2014 ONCA 93 (CanLII); Graeme Mew, The Law of Limitations, 2e éd (Markham, Ontario : Butterworths, 2004) aux p 115-16.

[80]      Je souligne que, dans la décision West York International Inc. v. Importanne Marketing Inc., 2012 ONSC 6476 (CanLII), citée dans la décision Buik, la Cour supérieure de justice a déclaré ce qui suit [au paragraphe 92] :

[traduction] Il est bien établi en droit que, lorsqu’il faut établir si une reconnaissance satisfait aux exigences de l’article 13 de la Loi sur la prescription des actions, la reconnaissance doit, au minimum, confirmer et admettre le montant qui demeure impayé. De plus, la reconnaissance doit être écrite et signée par son auteur ou son mandataire. [Non souligné dans l’original.]

[81]      La décision Canada (Attorney General) v. Simpson (1995), 26 O.R. (3d) 317, [1995] O.J. no 2850 (QL) (C. sup.) ( Simpson ), également citée dans la décision Buik, portait sur une demande d’allégement d’intérêts fondée sur la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants [L.R.C. (1985), ch. S-23]. La Cour de l’Ontario (Division générale) a conclu que la demande ne constituait pas une reconnaissance de dette suffisante pour l’exclure de l’application de l’article 45 de la Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, ch. L.15. Elle a rejeté la requête en jugement sommaire du demandeur. La Cour a conclu qu’aucune des demandes d’allégement d’intérêts du défendeur ne constituait une reconnaissance de dette au sens de la loi, car le libellé était trop équivoque :

[traduction] À mon avis, aucune des demandes d’allégement d’intérêts du défendeur ne constitue une reconnaissance de dette au sens de la loi. Le demandeur ne serait pas non plus en meilleure position si les formulaires avaient par la suite été remplis par les établissements de crédit et retournés au défendeur conformément à la procédure établie. En effet, si les détails du prêt avaient été inscrits sur le formulaire avant que le défendeur ne le signe, la position du demandeur aurait été plus solide, mais, à mon avis, la question aurait quand même été très discutable. Bien sûr, la question qui me vient immédiatement à l’esprit est la suivante : « Pourquoi le débiteur demanderait­il un allégement d’intérêts sur des prêts s’il n’est pas l’emprunteur? » Je pense que la personne qui demande un allégement d’intérêts serait normalement quelqu’un qui reconnaît qu’il doit de l’argent, mais qui a de la difficulté à s’acquitter de la dette à ce moment­là. Néanmoins, un débiteur qui conteste une partie ou la totalité du montant du capital de « ses » prêts, établi par l’établissement de crédit, pourrait tout aussi bien demander un allégement d’intérêts qu’un débiteur qui ne conteste pas le montant du capital. Le débiteur qui conteste n’aurait rien à perdre; s’il était finalement jugé responsable de la dette, il n’aurait au moins pas à payer une partie des intérêts.

[82]      À mon sens, la décision Simpson est pertinente en l’espèce puisqu’elle démontre que le dépôt d’un document qui peut, à première vue, laisser supposer qu’il s’agit d’une reconnaissance de dette ne suffit pas, en soi, à relancer une dette. C’est le contenu du document qui est déterminant. Dans cette affaire, en raison d’un manque de détails concernant le prêt sous­jacent, il a été conclu que la demande d’allégement d’intérêts ne constituait pas une reconnaissance par écrit de la dette (voir aussi Canada v. Stasiuk, 2018 ONSC 1226 (CanLII), aux paragraphes 15, 28–38).

[83]      Dans l’arrêt Podovinikoff v. Montgomery (1984), 14 D.L.R. (4th) 716, 58 B.C.L.R. 204 (C.A.C.-B.), la Cour d’appel de la Colombie­Britannique s’est demandé si, aux termes de la Limitation Act (Loi sur le délai de prescription), la reconnaissance d’une cause d’action doit équivaloir à un aveu de responsabilité si la reconnaissance doit servir de confirmation de la cause d’action. Elle a conclu [à la page 8] ce qui suit :

[traduction] [...] une personne peut reconnaître comme un simple fait que quelqu’un a fait valoir (probablement en présentant une demande) une cause d’action contre elle sans reconnaître sa responsabilité. Toutefois, je suis également d’avis qu’une telle reconnaissance de l’existence d’une cause d’action ne suffit pas du tout à répondre aux exigences du sous­alinéa 5(2)a)(i) de la Loi. Selon cette disposition, une personne ne confirme une cause d’action que si elle « reconnaît une cause d’action, un droit ou un titre [...] ». La reconnaissance d’un droit ou d’un titre signifie, à mon avis, la reconnaissance d’une certaine responsabilité. Le terme « reconnaissance » doit avoir le même sens lorsqu’il est utilisé en référence à une cause d’action. Par conséquent, il s’ensuit que, ce qui lie un défendeur et entraîne l’application du sous­alinéa 5(2)a)(i) est la reconnaissance par écrit d’une cause d’action dans laquelle il admet une certaine responsabilité.

(Voir aussi Ryan c. Moore, 2005 CSC 38, [2005] 2 R.C.S. 53, aux paragraphes 43–46).

[84]      Comme je l’ai indiqué précédemment, je retiens de la décision Thandi que, lorsqu’il est allégué qu’il y a eu reconnaissance par écrit d’une dette fiscale, conformément à l’alinéa 222(6)b) de la LIR, c’est la teneur de cette reconnaissance qui déterminera si elle a eu lieu. Cette exigence d’examen du contenu du document en litige est également étayée par la jurisprudence mentionnée précédemment sur l’interprétation des reconnaissances par écrit dans le contexte des lois provinciales en matière de prescription.

[85]      À mon avis, cette jurisprudence n’appuie pas l’analyse qui consiste à interpréter la reconnaissance écrite, comme ce terme est utilisé à l’alinéa 222(5)a) et au paragraphe 222(6), de façon à ce que le simple dépôt d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt constituera automatiquement et dans tous les cas une reconnaissance d’une dette fiscale contestée en tout ou en partie par l’appelant, faisant ainsi recommencer à zéro le délai de prescription de 10 ans. Si le dépôt d’un appel peut entraîner l’application de ces dispositions, c’est plutôt la teneur de l’appel en cause qui permettra de déterminer si ces dispositions s’appliquent.

[86]      Le défendeur soutient toutefois qu’il n’est pas nécessaire que le contribuable reconnaisse son obligation, puisque selon la LIR, cette obligation est réputée exister et, par conséquent, la LIR élimine toute condition nécessaire en common law pour qu’une admission d’obligation constitue une « reconnaissance ». Plus précisément, l’objet législatif de la LIR, qui est de percevoir des fonds pour le fonctionnement du secteur public, permet, dans le contexte des paragraphes 152(8) et 152(3), d’établir une distinction entre l’interprétation par le ministre du terme « reconnaissance » et la jurisprudence invoquée par la demanderesse et de la rendre raisonnable.

[87]      À mon avis, bien que la LIR constitue un régime législatif distinct, elle « ne s’applique pas dans un vide législatif » (Markevich, au paragraphe 14). De plus, comme la LIR ne définit pas ce qui constitue une « reconnaissance par écrit », la jurisprudence relative aux délais de prescription en matière civile, qui contient des termes très semblables au paragraphe 222(6), est un outil d’interprétation utile pour déterminer, de façon plus générale, ce qui est requis pour qu’un document soit considéré comme une reconnaissance.

[88]      Le défendeur s’appuie sur les paragraphes 152(3) et (8) de la LIR, affirmant qu’ils permettent d’éliminer l’exigence en common law selon laquelle, pour qu’il y ait reconnaissance, il doit y avoir admission de responsabilité. Ce n’est toutefois pas ce que disent les termes utilisés dans ces dispositions. Selon le paragraphe 152(3), le fait qu’une cotisation est inexacte ou incomplète ou qu’aucune cotisation n’a été établie n’a pas d’effet sur les responsabilités du contribuable à l’égard de l’impôt prévu. Selon le paragraphe 152(8), sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel, et sous réserve d’une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure visée par la LIR.

[89]      Je conviens qu’il faut interpréter les alinéas 222(5)a) et 222(6)b) en gardant à l’esprit l’objet général de la LIR, qui est, selon le défendeur, de percevoir des fonds et d’appuyer le secteur public. Toutefois, contrairement aux dispositions invoquées par le défendeur, l’article 222 porte spécifiquement sur le recouvrement. Les paragraphes 222(4) à (10) portent sur les délais de prescription liés au recouvrement. Selon le paragraphe 222(3), une action en recouvrement d’une dette fiscale ne peut être entreprise par le ministre après l’expiration du délai de prescription pour le recouvrement de la dette. Je ne suis pas convaincue que la lecture des paragraphes 152(3) et (8) dans le contexte de l’objet général de la LIR mène à la conclusion du défendeur selon laquelle une reconnaissance, conformément aux alinéas 222(5)a) et 222(6)b), ne nécessite pas une admission d’obligation et a pour effet d’éliminer l’exigence en common law relative à une telle admission. Le défendeur n’a pas non plus invoqué de jurisprudence appuyant une telle affirmation.

[90]      Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que, en interjetant appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le contribuable reconnaît seulement que le ministre a établi une cotisation créant une dette fiscale, que le ministre estime valide. À mon avis, le fait que le ministre juge la dette valide ne signifie pas que le contribuable reconnaît son obligation à l’égard de cette dette. L’objectif même de l’appel est de contester la validité de cette cotisation, en tout ou en partie. Lorsque le contribuable ne reconnaît pas que la partie contestée de la dette faisant l’objet d’une cotisation existe et est valide, ou autrement dit, lorsque l’appel nie la validité de la dette et donc l’obligation à son égard, le dépôt de l’appel ne constitue pas une « reconnaissance » de la dette.

[91]      Ce point de vue est renforcé par les deux autres alinéas du paragraphe 222(6), soit les alinéas 222(6)a) et 222(6)c). Selon l’alinéa 222(6)a), le contribuable se reconnaît débiteur d’une dette fiscale s’il promet, par écrit, de régler la dette. Dans un tel cas, en acceptant de payer la dette, le contribuable reconnaît que la dette (l’obligation) existe et ne conteste pas ou ne nie pas sa validité. Par conséquent, la nouvelle promesse de payer empêche le contribuable d’affirmer que le délai de prescription initial continue de courir, car la promesse de payer fait recommencer le délai de prescription. Il en va de même pour l’alinéa 222(6)c), qui traite des circonstances dans lesquelles le contribuable fait un paiement qui est refusé. Dans un tel contexte, la reconnaissance visée à l’alinéa 222(6)b) nécessite davantage de la part du contribuable que le simple dépôt d’un appel contestant la dette fiscale faisant l’objet d’une cotisation — le contribuable doit admettre ou confirmer que l’obligation fiscale non seulement existe, mais qu’elle est valide. Comme le fait valoir la demanderesse, cette interprétation est également conforme aux principes sous­jacents des délais de prescription.

[92]      Autrement dit, même si, comme le défendeur le soutient, la dette fiscale est valide et exécutoire tant qu’elle n’est pas modifiée ni annulée aux termes des paragraphes 152(3) et (8), l’alinéa 222(6)b) et l’alinéa 222(6)c) ne permettent pas d’affirmer que la reconnaissance visée à l’alinéa 222(6)a) ne nécessite pas une admission de l’obligation. Lorsqu’il reconnaît une dette, le contribuable doit confirmer et admettre le montant de la dette fiscale exigible pour que le délai de prescription recommence à zéro. Le simple dépôt d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt ne constitue pas automatiquement une reconnaissance au sens du paragraphe 222(6). Le fond de l’appel doit être analysé.

[93]      Par conséquent, je conclus que le ministre a interprété la LIR de façon déraisonnable en déterminant que le dépôt d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt constitue une reconnaissance automatique d’une dette fiscale qui a pour effet de faire recommencer le délai de prescription.

[94]      Cette conclusion m’amène à me demander si le contenu de l’avis d’appel déposé en l’espèce constituait une reconnaissance par écrit de la dette de 1988. Selon la décision, l’avis d’appel a reconnu à la fois la première nouvelle cotisation et la deuxième nouvelle cotisation. La demanderesse soutient que, dans l’appel, elle n’a admis aucune obligation relative à la première ou à la deuxième nouvelle cotisation. En réalité, l’appel niait expressément l’existence de toute obligation pour l’année d’imposition 1988. La demanderesse affirme que, contrairement au défendeur dans l’arrêt Belanger v. Gilbert (1984), 8 D.L.R. (4th) 92, 52 B.C.L.R. 197 (C.S.C.-B.), conf par (1984), 14 D.L.R. (4th) 428, 58 B.C.L.R. 191 (C.A.C.-B.), elle n’a pas envisagé de règlement ou autrement reconnu implicitement la dette de 1988. Elle a plutôt demandé expressément que la Cour canadienne de l’impôt annule la deuxième cotisation dans son intégralité. Dans l’avis d’appel, la demanderesse n’a pas reconnu expressément ni implicitement qu’une dette valide était exigible et a refusé expressément toute obligation à l’égard de la dette faisant l’objet d’une cotisation (citant Allen v. Bapco Paint Limited (1982), 34 B.C.L.R. 242, 12 A.C.W.S. (2d) 505 (C.S.C.-B.).

[95]      J’ai examiné l’avis d’appel. Il soulevait la question de savoir si les demandes présentées, y compris les déductions pour 1988, étaient déductibles dans le calcul du revenu et si le refus de rembourser la perte autre qu’une perte en capital de 1988 de Trinity Denton, la perte en capital de 1988 de Trinity Denton et l’intérêt bancaire de 1988 était prescrit. La demanderesse a contesté les refus et déclaré que les demandes de déduction pour les dépenses avaient été faites de façon valide. Elle a notamment déclaré que la deuxième nouvelle cotisation était inadéquate et devait être annulée et que les montants en cause représentaient des dépenses raisonnables et sont déductibles tels que déclarés. Elle a demandé comme réparation que la deuxième nouvelle cotisation soit annulée ou, subsidiairement, qu’elle soit renvoyée au ministre pour réexamen.

[96]      Je suis d’avis que, dans l’appel, la demanderesse n’admet pas ou ne confirme pas que la dette de 1988 est valide et exigible et « ne confirme pas et n’admet pas » le montant de la dette fiscale. En fait, elle conteste la validité des montants de la cotisation établie. Par conséquent, la conclusion du ministre selon laquelle l’appel constitue une reconnaissance par écrit de la dette de 1988, aux termes de l’alinéa 222(6)b), et selon laquelle le dépôt de l’appel a eu pour effet de faire recommencer le délai de prescription conformément à l’alinéa 222(5)a), est injustifiée et déraisonnable.

[97]      En conclusion, pour les motifs que j’ai énoncés précédemment aux paragraphes 60 à 67, j’ai estimé que la conclusion générale du ministre, selon laquelle le dépôt d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt constitue une reconnaissance de dette et fait recommencer à zéro le délai de prescription, n’est pas justifiée et est déraisonnable. Je conclus également que le ministre a interprété la LIR de façon déraisonnable en concluant que le dépôt d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt constitue une reconnaissance automatique d’une dette fiscale qui, sans égard au fond de l’appel, a pour effet de faire recommencer le délai de prescription. En l’espèce, dans son avis d’appel, la demanderesse n’a pas reconnu la dette de 1998.

Deuxième question : Le dépôt de l’appel par la demanderesse auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le 4 janvier 2011, a­t­il eu pour effet de proroger le DPR en vigueur?

[98]      Les dispositions applicables de la LIR sont l’alinéa 222(8)a) ainsi que les paragraphes 225.1(2) et (3) :

222 (1) […]

Prorogation du délai de prescription

(8) Le nombre de jours où au moins un des faits suivants se vérifie prolonge d’autant la durée du délai de prescription :

(a) en raison de l’un des paragraphes 225.1(2) à (5), le ministre n’est pas en mesure d’exercer les actions visées au paragraphe 225.1(1) relativement à la dette fiscale;

[...]

225.1 (1) […]

Restriction

(2) Dans le cas où un contribuable signifie en vertu de la présente loi un avis d’opposition à une cotisation pour un montant payable en vertu de cette loi, le ministre, pour recouvrer la somme en litige, ne peut prendre aucune des mesures visées aux alinéas (1)a) à g) avant le quatre­vingt­onzième jour suivant la date d’envoi d’un avis au contribuable où il confirme ou modifie la cotisation.

Idem

(3) Dans le cas où un contribuable en appelle d’une cotisation pour un montant payable en vertu de la présente loi, auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le ministre, pour recouvrer la somme en litige, ne peut prendre aucune des mesures visées aux alinéas (1)a) à g) avant la date de mise à la poste au contribuable d’une copie de la décision de la cour ou la date où le contribuable se désiste de l’appel si celle-ci est antérieure.

[99]      Dans sa décision, le ministre a déclaré que le DPR a recommencé à zéro et a simultanément été prorogé lorsque l’appel, interjeté à l’égard de la première nouvelle cotisation et de la deuxième nouvelle cotisation, a été déposé, ce qui signifie que le DPR a cessé de courir pendant l’appel.

Thèse de la demanderesse

[100]   La demanderesse soutient que, bien que le paragraphe 225.1(3) de la LIR interdise au ministre de prendre des mesures de recouvrement pendant qu’une dette fiscale présumée fait l’objet d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt, il est essentiel de souligner que cette disposition interdit seulement au ministre de recouvrer la « somme en litige » en appel. Elle n’interdit pas le recouvrement de tous les montants exigibles à l’égard des années d’imposition en cause.

[101]   En l’espèce, la deuxième confirmation du 7 octobre 2010 ne constitue pas une « action » en recouvrement de la dette de 1988 au sens du paragraphe 222(1) de la LIR. En effet, avant de déposer l’appel, la demanderesse avait renoncé à son droit d’interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt relativement aux pertes de la société de personnes Trinity Denton en vertu de la convention de règlement. Par conséquent, en interjetant appel, la demanderesse n’aurait pas pu contester validement les montants refusés à l’égard de Trinity Denton dans la deuxième nouvelle cotisation, comme l’a affirmé le ministre dans sa réponse à l’appel. Comme la dette de 1988 à l’égard des pertes de la société de personnes Trinity Denton n’était pas validement en litige dans l’appel, il ne s’agissait pas d’une « somme en litige » et son recouvrement n’était donc pas interdit par le paragraphe 225.1(3) de la LIR, et le délai de prescription pour son recouvrement n’a pas été prorogé en vertu du paragraphe 222(8).

[102]   Ainsi, bien que l’appel ait pu avoir pour effet de proroger le délai de prescription applicable au montant dû relativement aux déductions pour Sierra Trinity refusées dans la deuxième nouvelle cotisation, il n’a eu aucun effet sur le délai de prescription applicable à la dette de 1988 découlant des pertes de la société Trinity Denton et visée par la première nouvelle cotisation.

Thèse du défendeur

[103]   Le ministre n’est pas d’accord avec la demanderesse pour dire que l’appel n’a pas eu pour effet de suspendre le délai de prescription relativement à l’ensemble de la dette fiscale de 1988 au motif que des parties de la dette fiscale soulevées en appel ne constituaient pas une « somme en litige » valide devant la Cour canadienne de l’impôt. Le ministre affirme que l’appel a manifestement mis en cause des éléments de l’année d’imposition 1988 de la demanderesse qui ont une incidence sur l’impôt net exigible qui serait recouvrable, sur les dépenses, ainsi que sur les pertes refusées.

[104]   Le ministre soutient que la demanderesse comprend mal le sens du terme « somme en litige » au paragraphe 225.1(3) et que la somme en litige correspond à la cotisation. Le ministre ne pouvait pas recouvrer une partie de ce qui était dû pour l’année d’imposition tant que toutes les questions ayant une incidence sur l’obligation nette n’étaient pas réglées. Lorsque le législateur veut autoriser le recouvrement d’une partie seulement du montant de la cotisation, il le fait clairement, comme le démontre une comparaison entre le libellé du paragraphe 225.1(3) et celui du paragraphe 225.1(4).

Analyse

[105]   Tout d’abord, je souligne qu’il est vrai que l’avis d’appel déposé le 4 janvier 2011 a soulevé expressément les questions de savoir si les déductions pour l’année 1988 étaient déductibles dans le calcul du revenu et si le refus de rembourser la perte autre qu’en capital de 1988 de Trinity Denton et la perte en capital de 1988 de Trinity Denton (et l’intérêt bancaire de 1988) était prescrit.

[106]   Le ministre a toutefois contesté le bien-fondé de ces questions soulevées en appel. Selon la réponse déposée au nom du ministre, des paragraphes précis de l’avis d’appel étaient inappropriés et devaient être radiés au motif que la Cour canadienne de l’impôt n’était pas régulièrement saisie de la question des pertes découlant de la participation de la demanderesse dans Trinity Denton (désignée incorrectement comme la société de personnes Sierra Denton Limited) en raison de la convention de règlement du 13 juin 1994, en vertu de laquelle tout appel était interdit relativement à ces questions. La position du ministre était clairement énoncée dans la section sur les motifs invoqués et les réparations demandées :

[traduction]

23.   La Cour n’est pas régulièrement saisie de la question du refus du ministre de rembourser les pertes de la société, car l’appelante ne peut, en vertu de la convention de règlement et du paragraphe 169(2.2) de la Loi, interjeter appel de la nouvelle cotisation du ministre datée du 29 décembre 1992 [la deuxième nouvelle cotisation], qui porte sur ces pertes. De plus, la nouvelle cotisation du ministre datée du 29 décembre 1992 n’a pas été portée en appel dans le délai prévu à l’alinéa 169(1)a) de la Loi.

24.   En vertu de la convention de règlement, qui a réglé de façon définitive la question du refus de rembourser les pertes de la société et qui interdit à l’appelante d’interjeter appel de cette question ou de contester la validité de la convention de règlement, il est interdit à l’appelante de contester le refus de rembourser les pertes de la société. De plus, le délai prescrit à l’article 169 de la Loi pour interjeter appel de la nouvelle cotisation du 29 décembre 1992 auprès de la Cour a expiré en 1995, et l’appelante n’a pas demandé la prorogation du délai pour interjeter appel de cette nouvelle cotisation.

[107]   La convention de règlement porte sur Trinity Denton et prévoyait l’établissement d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation dans laquelle le remboursement des pertes de la société Trinity Denton était refusé. À cet égard, la première confirmation du 30 mars 1995 confirmait que le refus antérieur de rembourser les pertes relativement à Trinity Denton était confirmé conformément à la convention de règlement. Rien n’indique que, après la réponse, les pertes de la société de personnes Trinity Denton ont été soulevées en appel. Bien que la troisième nouvelle cotisation fasse référence à des rajustements effectués conformément au jugement sur consentement, le jugement sur consentement rendu par la Cour canadienne de l’impôt ne figure pas au dossier. De plus, la lettre du 20 septembre 2016 que l’avocat de la demanderesse a adressée au ministre explique que le nouvel avocat qui a rédigé l’avis d’appel n’était pas au courant de la convention de règlement et que c’est pour cette raison que l’avis d’appel visait les pertes de la société Trinity Denton et faisait référence à la première nouvelle cotisation, qui contenait des rajustements relatifs à la participation de la demanderesse dans Trinity Denton. La lettre indique également que la demanderesse n’a pas contesté les affirmations que contenait la réponse du ministre.

[108]   Je suis d’avis que, en raison de la convention de règlement, qui, comme la première confirmation, a précédé le dépôt de l’appel, les pertes de la société de personnes Trinity Denton n’ont pas été soulevées de façon régulière et n’étaient donc pas en litige au moment du dépôt de l’appel. Elles ont été incluses par erreur dans l’appel, comme l’a alors reconnu le ministre. Dans sa réponse, le ministre a eu raison d’affirmer que les questions relatives à Trinity Denton n’étaient pas validement susceptibles d’appel conformément à la convention de règlement.

[109]   Par conséquent, bien que le défendeur soutienne maintenant que l’appel a mis en cause des éléments de l’année d’imposition 1988 de la demanderesse qui ont eu une incidence sur l’impôt net exigible qui serait recouvrable, la question des pertes de la société Trinity Denton a été réglée par la convention de règlement. Non seulement la question ne pouvait être régulièrement soulevée en appel, mais les montants convenus dans la convention de règlement ne pouvaient être modifiés. Ces montants ne pouvaient donc pas avoir une incidence sur l’obligation nette de la demanderesse pour 1988, qui a finalement été réglée par l’appel. La demanderesse fait remarquer que la deuxième nouvelle cotisation a fait passer l’impôt fédéral net de 107 999 $ à 163 622,30 $ et l’impôt net de la Colombie­Britannique de 54 935,70 $ à 82 747,30 $. La troisième nouvelle cotisation a annulé ces augmentations et a rétabli les montants figurant dans la deuxième nouvelle cotisation. La demanderesse affirme que ces montants ne concernent que Sierra Trinity et non Trinity Denton, car la question des pertes de Trinity Denton avait déjà été réglée. Ces faits ne sont pas contestés par le défendeur, peut­être parce que les détails du règlement se sont perdus au fil du temps.

[110]   Par conséquent, compte tenu des faits propres à l’espèce, puisque la dette de 1988 à l’égard des pertes de la société Trinity Denton n’était pas validement en litige dans l’appel, comme l’a reconnu le ministre dans sa réponse, il ne s’agissait pas d’une « somme en litige ». Le recouvrement de cette dette n’était donc pas interdit par le paragraphe 225.1(3) de la LIR, et le délai de prescription pour le recouvrement n’a pas été prorogé par le paragraphe 222(8).

[111]   Pour ce qui est de l’observation du défendeur selon laquelle le terme « somme en litige » est lié au libellé antérieur du paragraphe 225.1(3) et la somme en litige est donc le montant total de la cotisation, le défendeur ne fournit aucune décision ni aucune disposition de la LIR pour appuyer une telle interprétation. De plus, selon le paragraphe 225.1(3), dans le cas où un contribuable « en appelle d’une cotisation pour un montant payable en vertu de la présente loi, auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le ministre, pour recouvrer la somme en litige, ne peut prendre aucune des mesures visées » [non souligné dans l’original]. Vraisemblablement, si le législateur avait voulu empêcher le ministre de recouvrer la totalité de la dette fiscale établie pour l’année en question, il l’aurait dit au lieu de limiter la restriction à la « somme en litige ».

[112]   Quoi qu’il en soit, même si une « somme en litige » vise en temps normal, comme le défendeur le soutient, la totalité de la nouvelle cotisation ou le montant net d’impôt dû pour la totalité d’une année d’imposition, à la lumière de la convention de règlement interdisant tout appel futur sur des questions relatives aux pertes de la société Trinity Denton, je suis d’avis qu’une somme en litige dans ce contexte en particulier ne peut correspondre qu’aux questions pour lesquelles la demanderesse disposait encore d’un droit d’appel valide aux termes de la LIR, soit les pertes de Sierra Trinity dont le remboursement a été refusé.

[113]   J’aimerais apporter deux derniers points sur cette question. Premièrement, dans la décision, l’ARC affirme que dans son avis d’appel, la demanderesse a reconnu la première cotisation et la deuxième cotisation. Cela laisse supposer que le fond de l’appel était pertinent. Deuxièmement, dans la décision, l’ARC ne reconnaît pas la position adoptée par le ministre dans sa réponse, qui conteste les renvois à la première cotisation dans l’appel en raison de l’existence de la convention de règlement. Il est impossible d’établir, d’après les motifs, si l’ARC a tenu compte de la réponse et de l’incidence de la convention de règlement dans sa décision. La décision n’est pas transparente à cet égard.

Troisième question : La troisième nouvelle cotisation établie le 19 décembre 2014 représentait-elle une autre nouvelle cotisation, créant ainsi un nouveau DPR à l’égard de l’obligation fiscale de la demanderesse pour l’année 1988?

[114]   Le troisième motif sur lequel repose la décision est que l’année d’imposition 1988 de la demanderesse a fait l’objet d’une nouvelle cotisation le 19 décembre 2014, soit la troisième nouvelle cotisation, qui a de nouveau fait recommencer le DPR, 90 jours après cette date, soit le 20 mars 2015. Le délai de prescription n’expirerait donc pas avant 10 ans à partir de cette date, soit le 20 mars 2025.

Thèse de la demanderesse

[115]   La demanderesse soutient que, si le délai de prescription n’a pas recommencé ou n’a pas été prorogé antérieurement en raison des deux autres motifs soulevés par le ministre, soit la reconnaissance de la dette (alinéa 222(5)a) et le paragraphe 222(6) de la LIR) et la prorogation du délai de prescription créée par l’appel interjeté auprès de la Cour canadienne de l’impôt (alinéa 222(8)a)), le troisième motif ne peut donc pas, à lui seul, avoir pour effet de proroger davantage le délai de prescription. Plus précisément, une fois le délai de prescription expiré, aucune mesure prise par la suite ne peut avoir pour effet de proroger davantage le délai de prescription. En l’espèce, puisqu’aucun des deux premiers motifs n’a eu pour effet de proroger ou de faire recommencer le délai de prescription, la troisième nouvelle cotisation, établie le 19 décembre 2014, soit après l’expiration du délai de prescription du 4 mars 2014, ne peut donc pas avoir pour effet de proroger ou de faire recommencer le délai de prescription.

Thèse du défendeur

[116]   Le défendeur soutient qu’un nouveau DPR de 10 ans a commencé à courir lorsque le ministre a établi la troisième nouvelle cotisation. La définition de « cotisation » [au paragraphe 248] dans la LIR comprend une « nouvelle cotisation », et une nouvelle cotisation subséquente annule une cotisation ou une nouvelle cotisation antérieure établie pour la même année d’imposition si la nouvelle cotisation subséquente fixe l’impôt total du contribuable pour l’année (TransCanada Pipelines Ltd. c. Canada, 2001 CAF 314, au paragraphe 12; Lornport Investments Ltd. c. Canada [1992] 2 C.F. 293 (C.A.), au paragraphe 6). En l’espèce, la troisième nouvelle cotisation a fixé l’impôt net de la demanderesse et a annulé et remplacé la deuxième nouvelle cotisation. Conformément au paragraphe 222(4) de la LIR, le délai de prescription pour les dettes fiscales de 1988 a recommencé à courir le 19 décembre 2014 et à la date à laquelle la troisième nouvelle cotisation a été envoyée à la demanderesse. Par conséquent, il était raisonnable pour le ministre de refuser la demande de remboursement de la demanderesse.

Analyse

[117]   En l’espèce, nul ne conteste que le délai de prescription initial a commencé à courir le 4 mars 2004 conformément au sous­alinéa 222(4)a)(ii) de la LIR. Ainsi, à moins d’être prorogé ou de recommencer à courir, il expirerait 10 ans plus tard, soit le 4 mars 2014.

[118]   Un délai de prescription peut recommencer à courir dans les trois circonstances décrites aux alinéas 222(5)a), b) et c). J’ai conclu précédemment que le délai de prescription n’a pas recommencé par suite du dépôt de l’appel. J’ai tiré cette conclusion parce que le dépôt de l’appel ne constituait pas une reconnaissance par écrit de la dette fiscale au sens de l’alinéa 222(5)a) et du paragraphe 222(6). Les motifs de la décision sont brefs et n’indiquent pas que le ministre a intenté une action en recouvrement de la dette fiscale et que le délai de prescription a recommencé à courir conformément à l’alinéa 222(5)b), ni que l’alinéa 222(5)c) s’applique. Autrement dit, les motifs n’indiquent pas que de telles mesures ont été prises ou ont motivé le refus d’accorder le remboursement demandé. Ainsi, le délai de prescription initial n’a pas recommencé à courir avant son expiration du 4 mars 2014 ou avant l’établissement de la troisième nouvelle cotisation. J’ai également conclu que le délai de prescription n’a pas été prorogé par suite du dépôt de l’appel comme le prévoient le paragraphe 225.1(3) et l’alinéa 222(8)a).

[119]   Par conséquent, compte tenu du dossier dont je dispose, je ne peux conclure que le délai de prescription initial a recommencé à courir ou a été prorogé avant son expiration le 4 mars 2014 ou avant l’établissement de la troisième nouvelle cotisation. La demanderesse soutient que, une fois le délai de prescription expiré, aucune mesure prise par la suite ne peut avoir pour effet de proroger davantage le délai de prescription. Le défendeur ne conteste pas cette affirmation. Pour cette raison, la troisième nouvelle cotisation, établie le 19 décembre 2014, est survenue après l’expiration du délai de prescription du 4 mars 2014 et ne pouvait avoir pour effet de proroger, de recommencer ou de ranimer le délai de prescription expiré. Par conséquent, dans sa décision, le ministre a conclu déraisonnablement que la troisième nouvelle cotisation a fait recommencer le délai de prescription.

[120]   Le défendeur soutient que, bien qu’une cotisation, qui par définition englobe une nouvelle cotisation, ne crée pas la dette, et qu’il s’agit tout au plus d’une confirmation de son existence (La Reine c. Simard­Beaudry Inc., [1971] 1 C.F. 396, [1971] A.C.F. no 33 (QL) (1re inst.), au paragraphe 20), le délai de prescription associé à une dette fiscale en particulier est « lié » à la cotisation et confirme l’existence de cette dette. Ainsi, pour établir si le délai de prescription est écoulé, la Cour doit déterminer quand la cotisation a été établie. Comme la deuxième nouvelle cotisation a fixé l’impôt net de la demanderesse à 163 622,30 $ et que la troisième nouvelle cotisation a fixé l’impôt net de la demanderesse à 107 999,00 $, la troisième nouvelle cotisation a annulé et remplacé la deuxième cotisation (TransCanada Pipelines Ltd. c. Canada, 2001 CAF 314 [précité], au paragraphe 12). Ainsi, le délai de prescription pour la dette fiscale de 1988 a commencé à courir à la date de la troisième cotisation, soit le 19 décembre 2014.

[121]   Toutefois, même si c’est le cas, comme je l’ai mentionné précédemment, une fois le délai de prescription expiré, il ne pouvait être ranimé par la troisième nouvelle cotisation.

[122]   Le défendeur affirme également que, par application du paragraphe 169(3), lorsqu’il y a appel, le ministre peut, avec le consentement écrit du contribuable, établir une nouvelle cotisation concernant les montants payables en vertu de la LIR, ce qui a été fait en l’espèce au moyen d’un jugement par consentement. Ainsi, la troisième nouvelle cotisation était liée à la dette fiscale de 1988, y compris les pertes de la société Trinity Denton visées par la convention de règlement 10 ans plus tôt.

[123]   Toutefois, comme je l’ai déjà dit, le jugement sur consentement relatif à l’appel interjeté auprès de la Cour canadienne de l’impôt ne figure pas au dossier. De plus, étant donné que les pertes de la société Trinity Denton n’étaient pas susceptibles d’appel, comme l’indique la réponse, il est difficile de voir comment le jugement sur consentement aurait pu avoir pour effet de faire accepter à la demanderesse la nouvelle cotisation pour les montants en question et, par conséquent, de « lier » les pertes à la troisième nouvelle cotisation.

[124]   Le défendeur soutient également que la convention de règlement n’a pas d’importance; tout ce qui compte, c’est qu’il y a eu un changement à l’année d’imposition 1988, comme l’a démontré la troisième cotisation, qui a ainsi ravivé l’obligation de la demanderesse. Compte tenu des faits en l’espèce et du dossier dont je dispose, et étant donné que le défendeur ne conteste pas l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la troisième cotisation portait exclusivement sur des montants liés à Sierra Trinity et, à cet égard, que la troisième cotisation a simplement réduit l’impôt net qui avait été augmenté par la deuxième nouvelle cotisation et l’a ramené au montant de la cotisation initiale, je ne puis être d’accord avec le défendeur.

[125]   Ainsi que l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Markevich : « [U]n délai de prescription incite le ministre à agir avec diligence dans le recouvrement des créances fiscales. Vu les répercussions importantes que celui­ci a sur la sécurité financière des citoyens canadiens, le fait pour le ministère de tarder à exercer ses droits en matière de recouvrement est contraire à l’intérêt public. Il est évident que les justifications de l’existence de délais de prescription s’appliquent au recouvrement des créances fiscales » (au paragraphe 20). En l’espèce, le ministre a conclu la convention de règlement le 13 juin 1994. Le montant de l’obligation fiscale de la demanderesse à l’égard de la dette de 1988 a été reconnu et réglé par la convention et n’était plus en litige. Le ministre pouvait chercher à recouvrer les montants convenus avant l’expiration du délai de prescription.

[126]   En conclusion, pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision n’était pas justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle­ci (Vavilov, aux paragraphes 14, 15, 86, 95, 99–101, 105, 120–121) et qu’elle était par conséquent déraisonnable.

JUGEMENT dans le dossier T­868­19

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision du 26 avril 2019 du directeur adjoint de la division du Recouvrement des recettes de l’Agence du revenu du Canada, au nom du ministre du Revenu national, est annulée, et l’affaire est renvoyée au ministre pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant compte des présents motifs.

3.      Le défendeur verse à la demanderesse des dépens d’un montant forfaitaire tout compris de 2 000 $.

ANNEXE A

L’article 152 de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit ce qui suit :

152 (1) […]

Responsabilité indépendante de l’avis

(3) Le fait qu’une cotisation est inexacte ou incomplète ou qu’aucune cotisation n’a été faite n’a pas d’effet sur les responsabilités du contribuable à l’égard de l’impôt prévu par la présente partie.

[…]

Présomption de validité de la cotisation

(8) Sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel fait en vertu de la présente partie et sous réserve d’une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s’y rattachant en vertu de la présente loi. 

L’article 222 de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit ce qui suit :

Définitions

222 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

action Toute action en recouvrement d’une dette fiscale d’un contribuable, y compris les procédures judiciaires et toute mesure prise par le ministre en vertu des paragraphes 129(2), 131(3), 132(2) ou 164(2), de l’article 203 ou d’une disposition de la présente partie. (action)

dette fiscale Toute somme payable par un contribuable sous le régime de la présente loi. (tax debt)

[…]

Délai de prescription

(4) Le délai de prescription pour le recouvrement d’une dette fiscale d’un contribuable :

a) commence à courir :

(i) si un avis de cotisation, ou un avis visé au paragraphe 226(1), concernant la dette est envoyé ou signifié au contribuable après le 3 mars 2004, le quatre-vingt-dixième jour suivant le jour où le dernier de ces avis est envoyé ou signifié,

(ii) si le sous-alinéa (i) ne s’applique pas et que la dette était exigible le 4 mars 2004, ou l’aurait été en l’absence de tout délai de prescription qui s’est appliqué par ailleurs au recouvrement de la dette, le 4 mars 2004;

b) prend fin, sous réserve du paragraphe (8), dix ans après le jour de son début.

Reprise du délai de prescription

(5) Le délai de prescription pour le recouvrement d’une dette fiscale d’un contribuable recommence à courir — et prend fin, sous réserve du paragraphe (8), dix ans plus tard — le jour, antérieur à celui où il prendrait fin par ailleurs, où, selon le cas :

a) le contribuable reconnaît la dette conformément au paragraphe (6);

b) le ministre entreprend une action en recouvrement de la dette;

c) le ministre établit, en vertu des paragraphes 159(3) ou 160(2) ou de l’alinéa 227(10)a), une cotisation à l’égard d’une personne concernant la dette.

Reconnaissance de dette fiscale

(6) Se reconnaît débiteur d’une dette fiscale le contribuable qui, selon le cas :

a) promet, par écrit, de régler la dette;

b) reconnaît la dette par écrit, que cette reconnaissance soit ou non rédigée en des termes qui permettent de déduire une promesse de règlement et renferme ou non un refus de payer;

c) fait un paiement au titre de la dette, y compris un prétendu paiement fait au moyen d’un titre négociable qui fait l’objet d’un refus de paiement.

Mandataire ou représentant légal

(7) Pour l’application du présent article, la reconnaissance faite par le mandataire ou le représentant légal d’un contribuable a la même valeur que si elle était faite par le contribuable.

Prorogation du délai de prescription

(8) Le nombre de jours où au moins un des faits suivants se vérifie prolonge d’autant la durée du délai de prescription :

a) en raison de l’un des paragraphes 225.1(2) à (5), le ministre n’est pas en mesure d’exercer les actions visées au paragraphe 225.1(1) relativement à la dette fiscale;

b) le ministre a accepté et détient une garantie pour le paiement de la dette fiscale;

c) la personne, qui résidait au Canada à la date applicable visée à l’alinéa (4)a) relativement à la dette fiscale, est un non-résident;

d) l’une des actions que le ministre peut exercer par ailleurs relativement à la dette fiscale est limitée ou interdite en vertu d’une disposition quelconque de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ou de la Loi sur la médiation en matière d’endettement agricole.

L’article 225.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit ce qui suit :

Restrictions au recouvrement

225.1 (1) Si un contribuable est redevable du montant d’une cotisation établie en vertu des dispositions de la présente loi, exception faite des paragraphes 152(4.2), 169(3) et 220(3.1), le ministre, pour recouvrer le montant impayé, ne peut, avant le lendemain du jour du début du recouvrement du montant, prendre les mesures suivantes :

a) entamer une poursuite devant un tribunal;

b) attester le montant, conformément à l’article 223;

c) obliger une personne à faire un paiement, conformément au paragraphe 224(1);

d) obliger une institution ou une personne visée au paragraphe 224(1.1) à faire un paiement, conformément à ce paragraphe;

e) [Abrogé, 2006, ch. 4, art. 166]

f) obliger une personne à remettre des fonds, conformément au paragraphe 224.3(1);

g) donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre, conformément au paragraphe 225(1).

[…]

Restriction

(2) Dans le cas où un contribuable signifie en vertu de la présente loi un avis d’opposition à une cotisation pour un montant payable en vertu de cette loi, le ministre, pour recouvrer la somme en litige, ne peut prendre aucune des mesures visées aux alinéas (1)a) à g) avant le quatre-vingt-onzième jour suivant la date d’envoi d’un avis au contribuable où il confirme ou modifie la cotisation.

Idem

(3) Dans le cas où un contribuable en appelle d’une cotisation pour un montant payable en vertu de la présente loi, auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le ministre, pour recouvrer la somme en litige, ne peut prendre aucune des mesures visées aux alinéas (1)a) à g) avant la date de mise à la poste au contribuable d’une copie de la décision de la cour ou la date où le contribuable se désiste de l’appel si celle-ci est antérieure.

Idem

(3) Dans le cas où un contribuable en appelle d’une cotisation pour un montant payable en vertu de la présente loi, auprès de la Cour canadienne de l’impôt, le ministre, pour recouvrer la somme en litige, ne peut prendre aucune des mesures visées aux alinéas (1)a) à g) avant la date de mise à la poste au contribuable d’une copie de la décision de la cour ou la date où le contribuable se désiste de l’appel si celle-ci est antérieure.

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