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A-274-17

A-282-17

2020 CAF 130

Alvin Brown et End Immigration Detention Network (appelants)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (intimés)

et

Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés et Centre canadien pour la justice internationale (intervenants)

Répertorié : Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Gauthier, Stratas et Rennie, J.C.A.—Toronto, 26 et 27 février 2019; Ottawa, 7 août 2020.

Citoyenneté et Immigration –– Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Détention et mise en liberté –– Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la contestation par les appelants, fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, du régime de détention aux fins de l’immigration établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) –– Alvin Brown (appelant) a été déclaré interdit de territoire au Canada en raison de plusieurs infractions criminelles; on a ordonné qu’il soit détenu en attendant l’exécution de la mesure de renvoi –– La Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a ordonné, après chaque contrôle subséquent des motifs de détention, qu’elle se poursuive –– L’appelant a été détenu dans des établissements correctionnels provinciaux jusqu’à son renvoi cinq ans plus tard –– Malgré ses efforts, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) n’a pas été en mesure d’obtenir un titre de voyage pour l’appelant –– Devant la Cour fédérale, l’appelant a contesté la constitutionnalité du régime de détention aux fins de l’immigration établi au titre des art. 57 et 58 de la LIPR et des art. 244 à 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés –– L’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), dans lequel la Cour suprême du Canada a prescrit le processus et les protections nécessaires pour que la détention prolongée ou pour une durée indéterminée respecte les droits que les art. 7 et 12 de la Charte garantissent aux détenus, a jeté une ombre sur la contestation constitutionnelle des appelants –– La Cour suprême a affirmé que les longues périodes de détention permises par les dispositions de la LIPR ne contreviennent pas à la Charte lorsqu’elles sont assorties d’un contrôle régulier des motifs de la détention –– Il s’agissait de savoir si la Charte impose une obligation selon laquelle une détention dans le contexte de l’immigration ne doit pas dépasser une période prescrite –– La Charte n’impose pas une obligation selon laquelle une détention dans le contexte de l’immigration ne doit pas dépasser une période prescrite — Toutefois, les commissaires de la SI qui procèdent au contrôle des motifs de détention et les juges qui président au contrôle judiciaire doivent tenir compte de la Charte et des normes du droit administratif –– Les dispositions sur la détention, à la lumière de leur texte, de leur contexte et de leur objet, ne contreviennent pas aux art. 7, 9 ou 12 de la Charte –– Il ressortait clairement d’un examen que le régime de détention aux fins de l’immigration comporte toutes les mesures de protection exigées par l’arrêt Charkaoui pour que les périodes prolongées de détention soient conformes aux art. 7, 9 et 12 de la Charte –– La légalité de la détention peut être contrôlée par la Cour fédérale –– L’art. 58 de la LIPR autorise la détention dans plusieurs cas –– La LIPR n’est pas inconstitutionnelle parce qu’elle n’indique pas explicitement ce que le droit exige déjà –– Dès lors que le contrôle régulier des motifs de détention permet un véritable examen des critères non exhaustifs énumérés à l’art. 248 du Règlement, la détention prolongée est constitutionnelle –– En l’espèce, la disposition attribuant un pouvoir discrétionnaire emploie la locution « pris en compte », ce qui dénote un pouvoir discrétionnaire non limité –– Les critères prévus à l’art. 248 du Règlement doivent être respectés pour que le maintien en détention demeure légal sous le régime de la LIPR — Il doit aussi exister un lien entre la détention et un objectif d’immigration –– Le décideur doit être convaincu, au vu de la preuve, que le renvoi est possible — Charkaoui ne fait aucunement mention d’un critère de prévisibilité –– Selon le régime de contrôle des motifs de détention établi par le législateur, le fardeau juridique global d’établir que la détention est justifiée au titre de l’art. 58 de la LIPR, de l’art. 248 du Règlement et de la Charte incombe au ministre –– Le fardeau juridique n’est ni inversé ni modifié lorsque le ministre établit prima facie l’existence de motifs de détention –– L’équité procédurale exige que tous les éléments de preuve concernant les critères énoncés à l’art. 248 du Règlement soient communiqués à l’avance au détenu, que le ministre entende ou non s’appuyer sur ces éléments pour justifier le maintien en détention –– L’exercice légitime du pouvoir d’ordonner la détention nécessite donc un fondement de preuve suffisant –– Le contrôle judiciaire permet de vérifier la légalité d’une décision de maintien en détention à la lumière de la Charte et des principes de la common law; il permet de vérifier le raisonnement, sa transparence et son intégrité –– Appel rejeté.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Détention aux fins de l’immigration — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la contestation par les appelants, fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, du régime de détention aux fins de l’immigration établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) — Il s’agissait de savoir si la Charte impose une obligation selon laquelle une détention dans le contexte de l’immigration ne doit pas dépasser une période prescrite –– Les dispositions sur la détention, à la lumière de leur texte, de leur contexte et de leur objet, ne contreviennent pas aux art. 7, 9 ou 12 de la Charte –– Le régime de détention aux fins de l’immigration comporte toutes les mesures de protection exigées par l’arrêt Charkaoui pour que les périodes prolongées de détention soient conformes aux art. 7, 9 et 12 de la Charte –– Le pouvoir discrétionnaire de détention prévu à l’art. 58 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et à l’art. 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est conforme à la Constitution.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Garanties juridiques — Traitements ou peines cruels et inusités — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la contestation par les appelants, fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, du régime de détention aux fins de l’immigration établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) — Il s’agissait de savoir si la Charte impose une obligation selon laquelle une détention dans le contexte de l’immigration ne doit pas dépasser une période prescrite –– Les commissaires de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ont l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire conformément à la Charte; l’obligation de tenir compte des art. 7, 9 et 12 de la Charte est inhérente à l’exercice du pouvoir discrétionnaire visant à déterminer si la détention est justifiée ou non –– Comme l’a souligné l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), ce n’est pas la détention en soi, ni même sa durée, qui est condamnable; la détention n’est cruelle et inusitée au sens juridique que si elle déroge aux « normes de traitement reconnues » –– Ainsi, priver l’intéressé des moyens requis par les principes de justice fondamentale pour contester une détention peut rendre cette dernière arbitraire, cruelle ou inusitée, mais l’existence d’un régime permettant à un détenu de contester sa détention et d’être libéré s’il y a lieu peut amener le décideur à conclure que la détention n’est ni cruelle ni inusitée –– La Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de révision en rejetant bon nombre des arguments des appelants concernant les conditions de détention –– Les éléments de preuve portant sur les conditions de détention ne satisfaisaient pas au critère fixé par la Cour suprême pour qu’une peine soit jugée cruelle et inusitée et n’appuyaient pas la déclaration générale que sollicitaient les appelants.

Il s’agissait d’un appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la contestation par les appelants, fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, du régime de détention aux fins de l’immigration établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). En rejetant la contestation, la Cour fédérale a certifié la question de savoir si la Charte impose une obligation selon laquelle une détention dans le contexte de l’immigration ne doit pas dépasser une période prescrite, sans quoi la détention est présumée inconstitutionnelle, ou une période maximale, sans quoi la mise en liberté est obligatoire.

Alvin Brown (appelant) a été déclaré interdit de territoire au Canada en raison de plusieurs infractions criminelles. À l’issue de son incarcération, on a ordonné qu’il soit détenu en attendant l’exécution de la mesure de renvoi, au motif qu’il constituait un danger pour la sécurité publique et présentait un risque de fuite. Même si la détention de l’appelant se prolongeait, la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a ordonné, après chaque contrôle subséquent des motifs de détention, qu’elle se poursuive. L’appelant a été détenu dans des établissements correctionnels provinciaux de l’Ontario de septembre 2011 jusqu’à son renvoi en Jamaïque cinq ans plus tard, en septembre 2016. Durant cette période, malgré des efforts répétés et continus, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) n’a pas été en mesure d’obtenir un titre de voyage pour l’appelant auprès du haut-commissariat de la Jamaïque. Devant la Cour fédérale, l’appelant et le End Immigration Detention Network ont contesté la constitutionnalité du régime de détention aux fins de l’immigration établi au titre des articles 57 et 58 de la LIPR et des articles 244 à 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Ils ont affirmé que le régime contrevient aux articles 7, 9, 12 et 15 de la Charte. Même si le renvoi de l’appelant du Canada avait été exécuté au moment de l’audience, la Cour fédérale a examiné la question de savoir si l’affaire était théorique et a exercé son pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande dans l’intérêt public. Les appelants ont interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale sur le fondement de la question certifiée. L’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), dans lequel la Cour suprême a prescrit le processus et les protections nécessaires pour que la détention prolongée ou pour une durée indéterminée respecte les droits que les articles 7 et 12 de la Charte garantissent aux détenus, a jeté une ombre sur la contestation constitutionnelle des appelants. La Cour suprême a affirmé que les longues périodes de détention permises par les dispositions de la LIPR ne contreviennent pas à la Charte lorsqu’elles sont assorties d’un processus permettant le contrôle régulier des motifs de la détention, du temps passé en détention, des raisons qui retardent l’expulsion, de la durée anticipée du prolongement de la détention et de l’existence de solutions de rechange à la détention comme la mise en liberté sous conditions. Toutefois, la Cour suprême a anticipé également la possibilité d’une détention non conforme à la Charte.

Les appelants ont soutenu plus particulièrement que, lorsque le renvoi n’est plus raisonnablement prévisible, la mise en liberté est la seule issue conforme à la Constitution, et l’absence de dispositions dans la LIPR prévoyant expressément la mise en liberté « dans ces circonstances » rend le régime inconstitutionnel. Ils ont fait valoir en outre que la disposition habilitante est inconstitutionnelle, car elle accorde un pouvoir discrétionnaire qui peut être exercé d’une manière inconstitutionnelle. Les appelants et les intervenants ont affirmé également que le régime de détention contrevient à l’article 7 de la Charte parce qu’il impose aux détenus la charge de justifier leur remise en liberté. De plus, ils ont contesté la constitutionnalité des ordonnances de détention sur le fondement de l’article 12 de la Charte.

Il s’agissait de savoir si la Charte impose une obligation selon laquelle une détention dans le contexte de l’immigration ne doit pas dépasser une période prescrite.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La Charte n’impose pas une obligation selon laquelle une détention dans le contexte de l’immigration ne doit pas dépasser une période prescrite. Toutefois, les commissaires de la SI qui procèdent au contrôle des motifs de détention et les juges qui président au contrôle judiciaire doivent tenir compte de la Charte et des normes du droit administratif. Les dispositions sur la détention, à la lumière de leur texte, de leur contexte et de leur objet, ne contreviennent pas aux articles 7, 9 ou 12 de la Charte. Le régime de détention possède les critères de validité constitutionnelle qui ont permis à la Cour suprême, dans l’arrêt Charkaoui, de conclure que les périodes prolongées de détention découlant du régime de certificats de sécurité établi par la LIPR ne violaient pas les articles 7 et 12 de la Charte. La Cour suprême nous a enseigné également par l’arrêt Charkaoui qu’en cas d’exercice indu du pouvoir discrétionnaire ayant entraîné la détention prolongée d’un détenu, le recours est la demande en annulation présentée suivant les principes du droit administratif et de l’article 24 de la Charte. Ce n’est pas la demande en invalidation de la disposition habilitante présentée en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le régime de détention aux fins de l’immigration comporte toutes les mesures de protection exigées par l’arrêt Charkaoui pour que les périodes prolongées de détention soient conformes aux articles 7, 9 et 12 de la Charte. Le contrôle des motifs de détention est rapide et fréquent : le paragraphe 57(2) de la LIPR exige que les motifs de détention soient contrôlés dans les 48 heures suivant l’arrestation, au moins une fois dans les sept jours suivant le premier contrôle et tous les 30 jours pendant toute la durée de la détention. Il incombe au ministre de la Sécurité publique (ministre) d’établir le motif de la détention et de prouver que la détention est justifiée à la lumière de critères obligatoires, propres à chaque cas. La détention ne peut être ordonnée que lorsqu’il n’existe pas d’autre solution de rechange; lorsqu’elle évalue les solutions de rechange à la détention, la SI est autorisée, aux termes du paragraphe 58(3), à imposer les conditions qu’elle estime nécessaires afin de neutraliser le risque associé à la mise en liberté. La légalité de la détention peut être contrôlée par la Cour fédérale. L’argument des appelants selon lequel la loi ne va pas assez loin n’a pas été retenu. L’article 58 de la LIPR autorise la détention dans plusieurs cas. Le pouvoir de détention est exercé principalement, mais non exclusivement, pendant la période qui précède le renvoi. Lorsque la détention est ordonnée aux fins du renvoi, et qu’il n’existe plus de possibilité de renvoi, la détention pour ce motif ne contribue plus au mécanisme de contrôle de l’immigration, et le pouvoir de détention ne saurait être exercé. La détention doit toujours être reliée, au vu de la preuve, à un objet énoncé dans la loi. Pour conclure, la LIPR n’est pas inconstitutionnelle parce qu’elle n’indique pas explicitement ce que le droit exige déjà. Aucun principe d’interprétation des lois n’exige que le législateur, pour garantir la constitutionnalité de sa loi, exprime ce que la loi prévoit déjà. Exiger une déclaration expresse voulant que le pouvoir de détention ne puisse être exercé que lorsqu’il existe une réelle possibilité de renvoi équivaudrait à ajouter, par interprétation, une disposition redondante.

Les appelants ont fait valoir un autre argument selon lequel, parce que le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 248 du Règlement n’est pas expressément subordonné à l’obligation de libérer les détenus dans l’éventualité d’une détention d’une durée déraisonnable ou d’un renvoi qui n’est pas prévisible dans un délai raisonnable, le régime est inconstitutionnel. Cet argument allait à l’encontre de la démarche établie d’analyse fondée sur la Charte. Dès lors que le contrôle régulier des motifs de détention permet un véritable examen des critères non exhaustifs énumérés à l’article 248, la détention prolongée est constitutionnelle. L’existence d’un pouvoir discrétionnaire, plutôt que d’emporter l’inconstitutionnalité, permet de veiller au respect des droits que la Charte garantit aux détenus compte tenu des circonstances propres à chacun. En l’espèce, la disposition attribuant un pouvoir discrétionnaire emploie la locution « pris en compte », ce qui dénote un pouvoir discrétionnaire non limité. La disposition n’empêche pas le décideur de tenir compte des normes fondées sur la Charte lorsqu’il évalue le bien-fondé de la détention, elle l’exige. Le pouvoir discrétionnaire de détention prévu à l’article 58 de la LIPR et à l’article 248 du Règlement est conforme à la Constitution. La décision d’ordonner ou non la détention avant le renvoi constitue un exercice délicat de pondération de l’ensemble des circonstances pertinentes. Comme on l’a fait remarquer dans l’arrêt Charkaoui, les critères prévus à l’article 248, loin d’être une source d’imprécision, garantissent le respect de la Constitution. Les critères prévus à l’article 248 sont des « critères réglementaires » qui « doi[vent] » être pris en compte, et qui permettent de veiller à ce que les périodes prolongées de détention ne contreviennent pas à la Charte. Le pouvoir discrétionnaire que confèrent ces critères est précisément ce qui garantit que le contexte et les circonstances propres à chaque cas sont pris en compte; une exigence énoncée dans l’arrêt Charkaoui pour qu’une détention prolongée puisse être conforme à la Constitution.

Si les critères prévus à l’article 248 du Règlement, qui ont force de loi, doivent être respectés pour que le maintien en détention demeure légal sous le régime de la LIPR, il doit aussi exister un lien entre la détention et un objectif d’immigration, à défaut de quoi, la détention sous le régime de la LIPR n’est plus possible. Pour vérifier s’il existe un lien avec un objectif d’immigration, il faut demander non pas si le renvoi est raisonnablement prévisible, mais, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a établi, si le renvoi est possible. Le critère de la « possibilité » met l’accent sur l’existence de faits objectifs crédibles. Le décideur doit être convaincu, au vu de la preuve, que le renvoi est possible.

Les conditions de détention sont pertinentes lorsque la légalité de la détention et la proportionnalité sont en cause, dans une contestation fondée sur l’article 12 de la Charte ou dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Les commissaires de la SI ont l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui leur est conféré conformément à la Charte. Il n’est pas nécessaire que la SI soit investie du pouvoir exprès d’examiner la nature ou les conditions de la détention. La faculté, en fait l’obligation, de tenir compte des articles 7, 9 et 12 est inhérente à l’exercice du pouvoir discrétionnaire visant à déterminer si la détention est justifiée ou non. Comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui, ce n’est pas la détention en soi, ni même sa durée, qui est condamnable; la détention n’est cruelle et inusitée au sens juridique que si elle déroge aux « normes de traitement reconnues ». Ainsi, priver l’intéressé des moyens requis par les principes de justice fondamentale pour contester une détention peut rendre cette détention arbitraire et servir à étayer l’argument selon lequel elle est cruelle ou inusitée. Cependant, l’existence d’un régime permettant à un détenu de contester sa détention et d’être libéré s’il y a lieu peut amener le décideur à conclure que la détention n’est ni cruelle ni inusitée. Bon nombre des arguments des appelants concernant les conditions de détention ont été rejetés par la Cour fédérale. Aucune erreur susceptible de révision dans cette conclusion n’a été démontrée. Les éléments de preuve portant sur les conditions de détention étaient loin de satisfaire au critère fixé par la Cour suprême pour qu’une peine soit jugée cruelle et inusitée et n’appuyaient pas la déclaration générale que sollicitaient les appelants.

Selon le régime de contrôle des motifs de détention établi par le législateur, le fardeau juridique global d’établir que la détention est justifiée au titre de l’article 58 de la LIPR, de l’article 248 du Règlement et de la Charte, incombe au ministre. Le fardeau juridique n’est ni inversé ni modifié lorsque le ministre établit prima facie l’existence de motifs de détention. Le détenu n’est pas tenu en droit de faire quoi que ce soit. L’établissement de motifs de détention n’emporte pas le prononcé d’une ordonnance de détention; il signifie simplement qu’il existe des raisons d’envisager une ordonnance de détention. De plus, le fardeau juridique qui incombe au ministre ne change pas au fil des contrôles successifs des motifs de détention. En ce qui concerne la pertinence des décisions antérieures portant sur la détention, rien dans la LIPR, ni dans la jurisprudence, n’oblige la personne détenue à produire des nouveaux éléments de preuve à chaque nouveau contrôle des motifs de détention pour obtenir de la SI une issue différente. Rien dans la LIPR, ni dans la jurisprudence, n’oblige la personne détenue à prouver que les circonstances ont changé. Les commissaires de la SI sont contraints par la Loi et leur serment de tenir compte des circonstances propres à chaque personne dont la détention ou la liberté est en jeu, de façon impartiale et avec ouverture d’esprit. Chaque commissaire est tenu d’entreprendre sa propre évaluation indépendante des éléments qui militent pour et contre la détention.

En ce qui concerne l’équité procédurale, rien dans le libellé du régime de détention aux fins de l’immigration de la LIPR n’écarte l’obligation d’équité procédurale. L’obligation d’équité procédurale imposée en common law vient suppléer aux règles concernant la communication de la preuve pour le contrôle des motifs de détention. La nécessité pour les détenus de connaître la preuve produite contre eux crée une obligation de communication. Pour être significative, l’obligation de communication ne peut se limiter aux renseignements sur lesquels le ministre entend s’appuyer. Tous les renseignements pertinents doivent être communiqués. L’article 26 des Règles de la Section de l’immigration[1], même s’il est respecté, ne répond pas entièrement aux exigences minimales de l’obligation d’équité prévue en common law. L’obligation de déposer les éléments de preuve ne s’applique que lorsque les renseignements fournis sont contestés par l’autre partie. Le Guide opérationnel : Exécution de la loi (ENF), chapitre ENF 3 « Enquêtes et contrôle de la détention » (ENF 3), indique que, « [s]i l’agent d’audience recommande le maintien en détention, il doit produire tous les éléments de preuve à la SI qui pourront être utiles à l’appui de sa recommandation » (à la page 40). L’équité procédurale exige plus que cela; elle exige que tous les éléments de preuve concernant les critères énoncés à l’article 248 soient communiqués à l’avance au détenu, que le ministre entende ou non s’appuyer sur ces éléments pour justifier le maintien en détention. L’exercice légitime du pouvoir d’ordonner la détention nécessite donc un fondement de preuve suffisant, y compris tous les éléments de preuve pertinents concernant les critères énoncés à l’article 248 du Règlement. En cas de communication inadéquate, le contrôle judiciaire peut être demandé, par voie d’instruction accélérée, et des mesures provisoires peuvent être prises pour ordonner la communication. Fait important, une décision de détention peut être invalidée s’il est établi que des documents importants n’ont pas été communiqués en temps opportun, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale.

En ce qui concerne l’encadrement judiciaire, le contrôle judiciaire permet de vérifier la légalité d’une décision de maintien en détention à la lumière de la Charte et des principes de la common law. Toutefois, il présente beaucoup d’autres utilités. Il permet de vérifier le raisonnement, sa transparence et son intégrité. Il permet d’examiner le traitement des facteurs discrétionnaires et de veiller à ce qu’ils aient bien été pris en compte. Il soumet les motifs de décision à un examen indépendant, afin de déterminer s’ils résistent à l’analyse, autant du point de vue de la Charte que du point de vue du droit administratif.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b), 7, 9, 11b), 12, 15, 24.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 515(1),(10)a),b),c), 520, 521, 679(3).

Immigration Act 1971 (R.-U.), ch. 77, art. 25.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38.01.

Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, ch. J.1.

Loi sur la santé mentale, L.R.O. 1990, ch. M-7.

Loi sur le ministère des Services correctionnels, L.R.O. 1990, ch. M.22, art. 17.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 11, 31 à 37.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2, 18.2.

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)h),i),(3)f), 34 à 37, 48(2), 55, 57, 58, 95(2), 117, 159(1)h).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 244 à 248.

Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229, art. 26.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 306 à 309, 317.

Tarif des douanes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 41.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION NON SUIVIE :

Allen c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 486.

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, 1989, CanLII 92; R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599.

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina, 2019 CSC 29, [2019] 2 R.C.S. 467; Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 214, 1994 CanLII 3521 (1re inst.); Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; R. v. Governor of Durham Prison, Ex p. Hardial Singh, [1984] 1 All E.R. 983, [1984] 1 W.L.R. 704 (Q.B.); R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Brown v. Canada (Public Safety), 2018 ONCA 14, 420 D.L.R. (4th) 124; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, 1988 CanLII 90; Canadian Civil Liberties Association v. Canada (Attorney General), 2019 ONCA 243, 433 D.L.R. (4th) 157, infirmant 2017 ONSC 7491 (CanLII), 140 O.R. (3d) 342; Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, 1986 CanLII 17; R. v. Farinacci (1993), 109 D.L.R. (4th) 97, 86 C.C.C. (3d) 32 (C.A. Ont.); R. c. St-Cloud, 2015 CSC 27, [2015] 2 R.C.S. 328; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572; P.S. v. Ontario, 2014 ONCA 900, 379 D.L.R. (4th) 191; Toure v. Canada (Public Safety & Emergency Preparedness), 2018 ONCA 681, 40 Admin. L.R. (6th) 261; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609; Teksavvy Solutions Inc. c. Bell Média Inc., 2020 CAF 108.

DÉCISIONS CITÉES :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CanLII 699; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344; Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 FCA 130, [2018] 2 R.C.F. 229; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, 1995 CanLII 112; R. c. Khawaja, 2012 CSC 69, [2012] 3 R.C.S. 555; R. c. Levkovic, 2013 CSC 25, [2013] 2 R.C.S. 204; Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34, [2020] 1 R.C.F. 700; Kreishan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, [2020] 2 R.C.F. 299; Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, [2018] 2 R.C.S. 165; Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, 1985 CanLII 65; Zadvydas v. Davis, 533 U.S. 678 (2001); A. v. Secretary of State for the Home Department, [2004] UKHL 56, [2005] 3 All E.R. 169; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, 1991 CanLII 104; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, 1992 CanLII 72; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, 1998 CanLII 815; McKay et al. v. The Queen, [1965] R.C.S. 798; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Rooney, 2016 CF 1097, [2017] 2 R.C.F. 375; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281; Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, 1990 CanLII 49; Nation Gitxaala c. Canada, 2015 CAF 73; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, 1992 CanLII 74; R. c. Myers, 2019 CSC 18, [2019] 2 R.C.S. 105; R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711, 1992 CanLII 53; Chaudhary v. Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2015 ONCA 700, 127 O.R. (3d) 401; Ogiamien v. Ontario (Community Safety and Correctional Services), 2017 ONCA 839, 55 Imm. L.R. (4th) 220; Canada v. Dadzie, 2016 ONSC 6045 (CanLII), [2016] O.J. no 5185 (QL); Scotland v. Canada (Attorney General), 2017 ONSC 4850 (CanLII), 52 Imm. L.R. (4th) 188; Ali v. Canada (Attorney General), 2017 ONSC 2660 (CanLII), 26 Admin. L.R. (6th) 78; R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765; Stables c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1319, [2013] 3 R.C.F. 240; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130; R. c. Morrisey, 2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90; Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385, 1990 CanLII 50; R. c. Fontaine, 2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702; F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23; Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, 1999 CanLII 694; Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, 1990 CanLII 70; R. c. Darrach, 2000 CSC 46, [2000] 2 R.C.S. 443; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Hamdan, 2019 CF 1129; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Berisha, 2012 CF 1100, [2014] 1 R.C.F. 574; Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, 1985 CanLII 23; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, 1993 CanLII 128; Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781; Kane c. Cons. d’administration de l’U.C.B., [1980] 1 R.C.S. 1105, 1980 CanLII 10; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) v. Li, 2009 CAF 85, [2010] 2 R.C.F. 433; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Arook, 2019 CF 1130; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Taino, 2020 CF 427; Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shen, 2020 CF 405; R. c. Bird, 2019 CSC 7, [2019] 1 R.C.S. 409; MPSEP v. Mustafa Abdi Faarah, IMM-1347-19, le juge Boswell, ordonnance en date du 26 février 2019 (C.F.); MPSEP v. Martin Sevic, IMM-1375-20, le juge Fothergill, ordonnance en date du 26 février 2020 (C.F.); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Ahmed, 2019 CF 1006; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Baniashkar, 2019 CF 729; MPSEP v. Afshin Ighani Maleki, IMM-2466-20, le juge Zinn, ordonnance en date du 2 juin 2020 (C.F.); MPSEP v. Dawei Shen, IMM-1626-20, la juge Elliott, ordonnance en date du 19 mars 2020 (C.F.); Première nation Denesuline de Fond du Lac c. Mercredi, 2020 CAF 59; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. LeBon, 2013 CAF 55; D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95; Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 195.

DOCTRINE CITÉE

Brown, Donald J. M. et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles. Toronto : Thomson Reuters, 2019.

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide opérationnel : Exécution de la loi (ENF), chapitre ENF 3 : « Enquêtes et contrôle de la détention ».

Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Directives numéro 2 du président : Détention. Ottawa : Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, 1er avril 2019.

Daly, Paul. « To Have the Point : Canada (Public Safety and Emergency Preparedness) v. Chhina, 2019 SCC 29 » (5 juin 2019) en ligne : Administrative Law Matters <www.administrativelawmatters.com/blog/2019/06/05/to-have-the-point-canada-public-safety-and-emergency-preparedness-v-chhina-2019-scc-29/>.

Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Principes directeurs relatifs aux critères et aux normes applicables à la détention des demandeurs d’asile et alternatives à la détention, 2012.

Jones, Martin et Sasha Baglay. Refugee Law, 2e éd. Toronto : Irwin Law, 2017.

Lederman, Sidney N., Alan W. Bryant et Michelle K. Fuerst. The Law of Evidence in Canada, 5e éd. Toronto : Lexis Nexis, 2018.

Nations Unies. Assemblée générale. Principes de base et lignes directrices des Nations Unies sur les voies et procédures permettant aux personnes privées de liberté d’introduire un recours devant un tribunal, 4 mai 2015, WGAD/CRP.1/2015.

Sullivan, Ruth. Statutory Interpretation, 3e éd. Toronto : Irwin Law, 2016.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ont. : Lexis Nexis, 2014.

APPEL d’une décision (2017 CF 710, [2018] 2 R.C.F. 453 par laquelle la Cour fédérale a rejeté la contestation par les appelants, fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, du régime de détention aux fins de l’immigration établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Jared Will et Jean Marie Vecina pour l’appelant Alvin Brown.

Swathi V. Sekhar pour l’appelant End Immigration Detention Network.

Bernard Assan et Charles Julian Jubenville pour les intimés.

Sharryn Aiken, Maureen Silcoff et Aris Daghighian pour les intervenants.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jared Will & Associates, Toronto, pour l’appelant Alvin Brown.

La sous-procureure générale du Canada pour les intimés.

Bureau du droit des réfugiés, Aide juridique Ontario, Toronto, pour les intervenants.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugements rendus par

Le Juge Rennie, J.C.A. :

Table des matières

I.    Aperçu

II.   Les dispositions de la LIPR relatives à la détention respectent les articles 7 et 9 de la Charte

III.  Limites quant au pouvoir de détention

a)   Distinction d’avec l’arrêt Jordan

b)   Autres compétences et droit international

c)   Conclusion concernant les articles 7 et 9

IV. Pouvoir discrétionnaire et constitutionnalité

V.  Audience de contrôle des motifs de détention conforme à la Charte et au droit administratif

a)   Lien avec un objectif d’immigration

b)   Article 12

c)   Fardeau juridique

d)   Pertinence des décisions antérieures portant sur la détention

e)   Équité procédurale

VI.   Encadrement judiciaire

VII.  Conclusion

I.          Aperçu  [Retour à la table des matières]

[1]        Chaque jour au pays, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) doit exécuter des mesures de renvoi. Dans la plupart des cas, le renvoi se fait de manière expéditive, mais il n’en est pas toujours ainsi. Parfois, la personne qui doit être renvoyée ne se présente pas. Parfois, le pays d’accueil peut retarder ou refuser la délivrance des titres de voyage nécessaires. Parfois, la situation politique dans le pays d’accueil est instable ou le renvoi comporte un risque inacceptable de violation des droits de la personne. Il peut en résulter des retards importants qui placent la personne faisant l’objet de la mesure de renvoi dans une situation incertaine sur les plans administratif et juridique : elle n’est pas autorisée à demeurer au Canada, mais le Canada ne peut exécuter la mesure de renvoi.

[2]        Dans le cas de certains étrangers, il peut également y avoir des motifs raisonnables de croire qu’ils constituent un danger pour la sécurité publique ou présentent un risque de fuite et sont susceptibles de se soustraire à la mesure de renvoi. Dans de tels cas, la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada peut ordonner leur arrestation et leur détention préalable au renvoi (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, article 55 (LIPR)).

[3]        Au cours d’une année, plus de 5 000 personnes, interdites de territoire au Canada pour diverses raisons, sont détenues par les autorités de l’immigration, soit dans un centre de détention pour immigrants de l’ASFC soit dans un établissement correctionnel provincial. La détention est courte ou intermittente dans la grande majorité des cas et dure bien moins que 100 jours. Or, certains détenus sont mis en détention beaucoup plus longtemps. C’est le cas de l’appelant, Alvin John Brown.

[4]        La Cour fédérale décrit les faits entourant le séjour de M. Brown au Canada, puis son renvoi (2017 CF 710, [2018] 2 R.C.F. 453 [motifs] le juge Fothergill, aux paragraphes 9 à 18). Il a été déclaré interdit de territoire au Canada en raison de plusieurs infractions criminelles. À l’issue de son incarcération, on a ordonné qu’il soit détenu en attendant l’exécution de la mesure de renvoi, au motif qu’il constituait un danger pour la sécurité publique et présentait un risque de fuite. Même si la détention de M. Brown se prolongeait, la SI a ordonné, après chaque contrôle subséquent des motifs de détention, qu’elle se poursuive.

[5]        M. Brown a été détenu dans des établissements correctionnels provinciaux de l’Ontario de septembre 2011 jusqu’à son renvoi en Jamaïque cinq ans plus tard, en septembre 2016. Durant cette période, malgré des efforts répétés et continus, l’ASFC n’a pas été en mesure d’obtenir un titre de voyage pour M. Brown auprès du haut-commissariat de la Jamaïque.

[6]        Devant la Cour fédérale, M. Brown et le End Immigration Detention Network, un tiers à qui la Cour a accordé qualité pour agir dans l’intérêt public, ont contesté la constitutionnalité du régime de détention aux fins de l’immigration établi au titre des articles 57 et 58 de la LIPR et des articles 244 à 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Ils ont affirmé que le régime contrevient aux articles 7, 9, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44 (Charte)].

[7]        Même si le renvoi de M. Brown du Canada avait été exécuté au moment de l’audience, personne n’a soulevé d’objection au motif que l’affaire était devenue théorique. La Cour fédérale a toutefois examiné cette question et, à la lumière de la jurisprudence, a exercé son pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande dans l’intérêt public. Personne n’a soulevé la question du caractère théorique devant notre Cour, et rien au dossier ne justifie que l’on mette en doute l’exercice qu’a fait la Cour fédérale de son pouvoir discrétionnaire.

[8]        La Cour fédérale a rejeté la contestation des appelants fondée sur la Charte. Ils interjettent maintenant appel devant notre Cour sur le fondement de la question certifiée suivante :

La [Charte] impose-t-elle une obligation selon laquelle une détention dans le contexte de l’immigration ne doit pas dépasser une période de temps prescrite, sans quoi la détention est présumée inconstitutionnelle, ou une période de temps maximal, sans quoi la mise en liberté est obligatoire?

[9]        Une fois qu’une question est certifiée, la Cour peut examiner toutes les questions pouvant avoir une incidence sur l’issue de l’appel (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CanLII 699 (Baker), au paragraphe 12; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344, au paragraphe 50; Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229, au paragraphe 37).

[10]      Devant notre Cour, les appelants maintiennent leur contestation constitutionnelle. Ils ont l’appui de deux intervenants : l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés et le Centre canadien pour la justice internationale. Les intervenants sollicitent certaines protections procédurales pour les personnes détenues aux fins de l’immigration, y compris la mise en liberté d’office après l’expiration d’un délai précis, la communication rapide par le ministre de la Sécurité publique de tout élément de preuve pertinent au regard du dossier d’une personne détenue et l’imposition au ministre de la Sécurité publique de la charge d’établir, sur le fondement de solides motifs, que le maintien en détention est justifié.

[11]      L’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui), jette une ombre sur la contestation constitutionnelle des appelants. Dans cet arrêt, la Cour suprême prescrit le processus et les protections nécessaires pour que la détention prolongée ou pour une durée indéterminée respecte les droits que les articles 7 et 12 de la Charte garantissent aux détenus.

[12]      Les conclusions de la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui figurent au paragraphe 96 :

La question de la peine cruelle et inusitée au sens de l’art. 12 est étroitement liée aux considérations relatives à l’art. 7, puisque le caractère indéterminé de la détention ainsi que le stress psychologique qui en découle sont liés aux mécanismes offerts au détenu pour recouvrer sa liberté. Ce n’est pas la détention en soi, ni même sa durée, qui est condamnable. Il est vrai que la détention en soi n’est jamais agréable, mais elle n’est cruelle et inusitée au sens juridique que si elle déroge aux normes de traitement reconnues. L’absence des moyens requis par les principes de justice fondamentale pour contester une détention peut en faire une détention d’une durée indéterminée arbitraire et servir à étayer l’argument selon lequel elle est cruelle ou inusitée.

[13]      Au paragraphe 105 du même arrêt, la Cour suprême reconnaît que la détention aux fins de l’immigration peut être d’une durée indéterminée : « [i]l est donc clair que la LIPR, qui n’impose en principe la détention qu’en attendant l’expulsion, peut en fait permettre une détention prolongée ou pour une durée indéterminée et l’assujettissement à de sévères conditions de mise en liberté pendant une longue période ». La Cour rejette l’argument du détenu selon lequel, après cinq ans, sa détention a dorénavant une durée indéterminée; partant, elle est inconstitutionnelle.

[14]      La Cour suprême affirme que les longues périodes de détention permises par les dispositions de la LIPR ne contreviennent pas à la Charte lorsqu’elles sont assorties d’un processus permettant le contrôle régulier des motifs de la détention, du temps passé en détention, des raisons qui retardent l’expulsion, de la durée anticipée du prolongement de la détention et de l’existence de solutions de rechange à la détention comme la mise en liberté sous conditions (Charkaoui, aux paragraphes 110 à 117).

[15]      Toutefois, la Cour suprême anticipe également la possibilité d’une détention non conforme à la Charte. Dans ce cas, selon la Cour, même si la détention prolongée sous le régime de la LIPR n’est pas inconstitutionnelle, « [c]ela n’écarte toutefois pas la possibilité que, dans un cas particulier, un juge arrive à la conclusion que la détention constitue un traitement cruel et inusité ou est incompatible avec les principes de justice fondamentale, de sorte qu’elle constitue une violation de la Charte ouvrant droit à réparation conformément au par. 24(1) de la Charte » (au paragraphe 123).

[16]      L’arrêt Charkaoui fait obstacle à l’argument des appelants, selon lequel la détention prolongée ou pour une durée indéterminée est en soi inconstitutionnelle. En réponse, les appelants attaquent de front l’arrêt Charkaoui.

[17]      Les appelants soutiennent que, lorsque le renvoi n’est plus raisonnablement prévisible, la mise en liberté est la seule issue conforme à la Constitution; l’absence de dispositions dans la LIPR prévoyant expressément la mise en liberté [traduction] « dans ces circonstances » rend le régime inconstitutionnel. Établissant une analogie avec les principes exprimés dans l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631 (Jordan), les appelants soutiennent que les droits qui leur sont garantis aux articles 7 et 9 de la Charte ne peuvent être protégés que par une limite imposée par les tribunaux quant à la durée de la détention ou, subsidiairement, que le régime devrait être déclaré inconstitutionnel en vertu de l’article 52 [de la Loi constitutionnelle de 1982]. Ils affirment que l’arrêt Charkaoui doit être interprété à la lumière des principes énoncés dans l’arrêt Jordan.

[18]      Les appelants font valoir un second argument contre le régime de détention. Ils affirment que la disposition habilitante est inconstitutionnelle, car elle accorde un pouvoir discrétionnaire qui peut être exercé d’une manière inconstitutionnelle. Selon eux, pour que les dispositions de la LIPR portant sur la détention soient jugées constitutionnelles, il doit être impossible pour la SI d’ordonner la détention lorsqu’il n’existe aucune possibilité raisonnable de renvoi.

[19]      Les appelants et les intervenants affirment également que le régime de détention contrevient à l’article 7 de la Charte parce qu’il impose aux détenus la charge de justifier leur remise en liberté. De plus, ils contestent la constitutionnalité des ordonnances de détention sur le fondement de l’article 12 de la Charte, parce que la SI n’a pas de pouvoir sur le lieu et les conditions de la détention. Ils soulèvent également un argument fondé sur l’équité procédurale vu les renseignements limités communiqués par le ministre durant les audiences sur la détention.

[20]      Les arguments contre le régime de détention ne peuvent être retenus. Par conséquent, je rejetterais l’appel. Toutefois, comme nous l’expliquons ci-après, les commissaires de la SI qui procèdent au contrôle des motifs de détention et les juges qui président au contrôle judiciaire doivent tenir compte de la Charte et des normes du droit administratif. Bien que les appelants n’aient pas gain de cause dans leur contestation de la légalité des dispositions, plusieurs de leurs arguments sont validés par les conclusions énoncées dans les présents motifs quant aux éléments dont il faut tenir compte au moment du contrôle judiciaire des motifs de détention.

[21]      Toutes les analyses fondées sur la Charte doivent débuter par une compréhension éclairée de la loi en question. La loi doit d’abord être interprétée selon les principes reconnus d’interprétation des lois (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837, au paragraphe 21). En outre, en examinant les effets de la loi, comme il se doit quand la Charte est invoquée, il faut en comprendre l’application à la lumière des principes reconnus de la common law et du droit administratif (voir, par exemple, Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, à la page 1049, 1995 CanLII 112; R. c. Khawaja, 2012 CSC 69, [2012] 3 R.C.S. 555, aux paragraphes 43 à 45; R. c. Levkovic, 2013 CSC 25, [2013] 2 R.C.S. 204, au paragraphe 78; Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3e éd., Toronto : Irwin Law, 2016, à la page 315).

[22]      Les dispositions sur la détention, à la lumière de leur texte, de leur contexte et de leur objet, ne contreviennent pas aux articles 7, 9 ou 12 de la Charte. Le régime de détention possède les critères de validité constitutionnelle qui ont permis à la Cour suprême, dans l’arrêt Charkaoui, de conclure que les périodes prolongées de détention découlant du régime de certificats de sécurité établi par la LIPR ne violaient pas les articles 7 et 12 de la Charte. Ces critères incluent le contrôle vigoureux et opportun du maintien en détention pour en déterminer la nécessité, la capacité de « prendre en considération les conditions qui neutraliseraient le danger » et de « concevoir des conditions efficaces pour neutraliser le risque associé à la mise en liberté » et le pouvoir d’ordonner une mise en liberté si la nécessité d’une détention n’est plus présente (Charkaoui, aux paragraphes 117 et 119 à 123).

[23]      L’arrêt Charkaoui nous enseigne également, tout comme de nombreux autres précédents, qu’en cas d’exercice indu du pouvoir discrétionnaire ayant entraîné la détention prolongée d’un détenu, le recours est la demande en annulation présentée suivant les principes du droit administratif et de l’article 24 de la Charte. Ce n’est pas la demande en invalidation de la disposition habilitante présentée en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[24]      Deux observations préliminaires s’imposent.

[25]      D’abord, le présent appel ne nécessite rien de plus que l’application des principes établis à une loi précise et à un dossier de preuve précis. Il n’y a pas réellement de différend entre les parties en ce qui concerne les principes établis. Par conséquent, je ne m’attarde pas sur la teneur générale de l’article 7 de la Charte (voir, par exemple, Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34, [2020] 1 R.C.F. 700, aux paragraphes 76 à 90; Kreishan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, [2020] 2 R.C.F. 299, aux paragraphes 78 à 87) ou sur l’analyse à deux volets qu’appelle l’article 7 (Ewert c. Canada, 2018 CSC 30, [2018] 2 R.C.S. 165, au paragraphe 68, et Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, au paragraphe 58). Il suffit de dire que les droits que la Charte garantit à M. Brown sont en jeu, et qu’à titre d’étranger au Canada, il a qualité pour contester ce régime légal en invoquant les articles 7, 9 et 12 de la Charte (Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, aux pages 201 et 202, 1985 CanLII 65; voir également R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754 (Appulonappa), au paragraphe 23). Il n’y a également pas de différend concernant la portée et la teneur des articles 7, 9 et 12.

[26]      La seconde observation a trait à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Chhina, 2019 CSC 29, [2019] 2 R.C.S. 467 (Chhina). Cet arrêt a été rendu pendant que le présent appel était en délibéré, et les parties ont présenté des observations écrites supplémentaires à ce propos. Un commentaire s’impose sur la pertinence de l’arrêt Chhina à l’égard des questions soulevées dans le présent appel.

[27]      La constitutionnalité du régime de détention aux fins de l’immigration n’était pas en litige devant la Cour suprême dans l’affaire Chhina. Cette dernière portait sur la possibilité de recourir à une demande d’habeas corpus, plutôt qu’au contrôle judiciaire, pour déterminer la légalité d’une ordonnance de détention. L’affaire ne nécessitait pas une interprétation complète des dispositions de la LIPR relatives à la détention, et aucune n’a été faite. La Cour suprême n’a pas répondu aux questions qui sont soulevées en l’espèce. Elle n’a pas non plus écarté ou mis en doute l’arrêt Charkaoui, qui concerne directement la question que doit trancher notre Cour.

II.         Les dispositions de la LIPR relatives à la détention respectent les articles 7 et 9 de la Charte  [Retour à la table des matières]

[28]      Aux termes des articles 34 à 37 de la LIPR, un étranger peut être interdit de territoire et passible de renvoi pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux, pour grande criminalité et pour criminalité organisée. À moins que la Cour fédérale ne sursoie à la mesure de renvoi, l’étranger visé par cette mesure « doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible » (LIPR, paragraphe 48(2)).

[29]      Aux termes du paragraphe 55(1), la SI peut lancer un mandat en vue de l’arrestation et de la détention d’un étranger dont elle a des motifs raisonnables de croire qu’il est interdit de territoire et qu’il constitue un danger pour la sécurité publique ou présente un risque de fuite. Aucun mandat n’est nécessaire pour l’étranger qui n’est pas une personne protégée au sens du paragraphe 95(2) de la LIPR et qui constitue un danger pour la sécurité publique ou présente un risque de fuite, ou dont l’identité ne peut être confirmée (LIPR, paragraphe 55(2)).

[30]      Dans les 48 heures suivant l’arrestation, ou dans les meilleurs délais par la suite, la SI doit contrôler les motifs de détention invoqués par le ministre responsable de l’ASFC, soit le ministre de la Sécurité publique (LIPR, paragraphe 57(1)). Si la SI conclut qu’une ordonnance de détention est indiquée, un second contrôle doit avoir lieu dans les sept jours suivants, puis au moins tous les 30 jours par la suite, si nécessaire (LIPR, paragraphe 57(2)).

[31]      Le paragraphe 58(1) précise qu’il peut exister des motifs de détention dans cinq circonstances :

Mise en liberté par la Section de l’immigration

58 (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

a) le résident permanent ou l’étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

b) le résident permanent ou l’étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour grande criminalité, criminalité ou criminalité organisée;

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger — autre qu’un étranger désigné qui était âgé de seize ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause — n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger;

e) le ministre estime que l’identité de l’étranger qui est un étranger désigné et qui était âgé de seize ans ou plus à la date de l’arrivée visée par la désignation en cause n’a pas été prouvée.

[32]      Le texte du paragraphe 58(1) est clair, et le contexte et l’objet de l’article 58 ne changent rien au sens ordinaire de ce texte. Aux termes du paragraphe 58(1), la mise en liberté doit être prononcée, à moins que la SI ne soit convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe un motif de détention. Si un motif de détention n’est pas établi, l’enquête est terminée. La mise en liberté est ordonnée d’office.

[33]      Or, la détention n’est pas ordonnée sur simple preuve d’un motif de détention. L’article 248 du Règlement est très clair à ce sujet. Avant qu’une ordonnance de détention puisse être rendue, la SI doit, à la seconde étape, déterminer si la détention est justifiée compte tenu de certains critères prescrits (voir également Martin Jones et Sasha Baglay, Refugee Law, 2e éd., Toronto : Irwin Law, 2017, à la page 389). Les critères prescrits sont les suivants :

Autres critères

248 S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci-après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

a) le motif de la détention;

b) la durée de la détention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère, de l’Agence des services frontaliers du Canada ou de l’intéressé;

e) l’existence de solutions de rechange à la détention;

f) l’intérêt supérieur de tout enfant de moins de dix-huit ans directement touché.

[34]      Ces critères ont été énoncés pour la première fois par le juge Rothstein, alors juge à la Cour fédérale, dans la décision Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 214, à la page 231, 1994 CanLII 3521 (1re inst.) (Sahin). Ils ont par la suite été consacrés à l’article 248 du Règlement, qui est entré en vigueur en 2002 (DORS/2002-227).

[35]      Lorsqu’elle évalue des solutions de rechange à la détention, la SI peut imposer à la personne détenue les conditions qu’elle estime nécessaires pour atténuer les risques (LIPR, paragraphe 58(3)). Le ministre ou la personne détenue peut par la suite demander la modification des conditions au motif qu’elles ne sont plus nécessaires pour garantir le respect de la Loi.

[36]      Si la SI ordonne la détention, le détenu est confié à la garde de l’ASFC, qui peut décider de le placer dans un Centre de surveillance de l’Immigration ou de le transférer aux autorités provinciales pour qu’il soit placé dans un établissement correctionnel provincial. La SI n’a aucun contrôle sur les privilèges auxquels un détenu a accès pendant sa détention. Si un détenu est insatisfait des conditions de sa détention, il peut déposer une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, s’il est placé dans un établissement fédéral, ou, s’il est placé dans un établissement provincial, à la cour supérieure provinciale sur le fondement d’une loi comme la Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, ch. J.1.

[37]      Il ressort de cet examen que le régime de détention aux fins de l’immigration comporte toutes les mesures de protection exigées par l’arrêt Charkaoui pour que les périodes prolongées de détention soient conformes aux articles 7, 9 et 12 de la Charte. Le contrôle des motifs de détention est rapide et fréquent : le paragraphe 57(2) de la LIPR exige que les motifs de détention soient contrôlés dans les 48 heures suivant l’arrestation, au moins une fois dans les sept jours suivant le premier contrôle et tous les 30 jours pendant toute la durée de la détention. Il incombe au ministre d’établir le motif de la détention et de prouver que la détention est justifiée à la lumière de critères obligatoires, propres à chaque cas. La détention ne peut être ordonnée que lorsqu’il n’existe pas d’autre solution de rechange; lorsqu’elle évalue les solutions de rechange à la détention, la SI est autorisée, aux termes du paragraphe 58(3), à imposer les conditions qu’elle estime nécessaires afin de neutraliser le risque associé à la mise en liberté. La légalité de la détention peut être contrôlée par la Cour fédérale.

[38]      La Cour suprême indique récemment dans l’arrêt Chhina (au paragraphe 60), dans une remarque incidente, que les facteurs prévus à l’article 248 du Règlement peuvent être lacunaires ou vagues parce qu’ils n’exigent pas explicitement la mise en liberté si le renvoi ne peut être exécuté dans un avenir prévisible. Cette remarque incidente n’annule pas la conclusion centrale de la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui, soit que le maintien en détention n’est pas automatiquement contraire à la Charte. Dans cette affaire, la question que devait trancher la Cour intéressait les critères prévus à l’article 248. Il serait surprenant que quelques mots mentionnés au passage dans l’arrêt Chhina supplantent la conclusion détaillée, bien réfléchie et nécessaire de l’arrêt Charkaoui, de manière indirecte.

[39]      Néanmoins, les appelants affirment que la loi ne va pas assez loin. Ils soulignent que la LIPR est inconstitutionnelle parce qu’elle n’interdit pas expressément la détention lorsqu’il n’existe pas de possibilité raisonnablement prévisible de renvoi, et parce qu’elle n’impose pas de période maximale de détention. Pour les motifs qui suivent, ces arguments ne sont pas retenus.

III.        Limites quant au pouvoir de détention  [Retour à la table des matières]

[40]      Un pouvoir prévu par une loi, comme le pouvoir de détention en l’espèce, ne peut être exercé que pour l’objet auquel il est destiné. Ce principe du droit administratif découle de l’obligation que tous les actes de l’État procèdent d’un pouvoir conféré par la loi. Qu’il soit explicite ou implicite, le texte d’une loi, considéré à la lumière de son contexte et de son objet, prescrit les limites du pouvoir légal d’un décideur exerçant un pouvoir discrétionnaire (Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, Toronto : Thomson Reuters, 2019, aux paragraphes 15 :2241; Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 (Entertainment Software Assoc.), au paragraphe 88 et la jurisprudence qui y est citée). L’expression classique de ce principe figure dans l’arrêt Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121 (Roncarelli), où le juge Rand affirme (à la page 140) :

[traduction] Dans une réglementation publique de cette nature, il n’y a rien de tel qu’une « discrétion » absolue et sans entraves, c’est-à-dire celle où l’administrateur pourrait agir pour n’importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi [...] Une loi doit toujours s’entendre comme s’appliquant dans une certaine optique, et tout écart manifeste de sa ligne ou de son objet est tout aussi répréhensible que la fraude ou la corruption.

[41]      Citant l’arrêt Roncarelli, la Cour suprême souligne ce qui suit dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) (au paragraphe 108) :

[…] bien qu’un organisme administratif puisse disposer d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de prendre une décision en particulier, cette décision doit en fin de compte être conforme « à la raison d’être et à la portée du régime législatif sous lequel elle a été adoptée » : Catalyst […] De même, la décision doit tenir compte de toute contrainte plus spécifique clairement imposée par le régime législatif applicable, telle que les définitions, les formules ou les principes prévus par la loi qui prescrivent l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire : voir Montréal (Ville), par. 33 et 4041; Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203, par. 3840.

[42]      La LIPR a de nombreux objets, y compris assurer la sécurité des Canadiens et promouvoir la justice internationale en interdisant de territoire les criminels et les personnes qui constituent un danger à la sécurité (LIPR, alinéas 3(1)h) et i)). Le pouvoir de détention, énoncé au paragraphe 58(1), est l’un des mécanismes permettant la réalisation de ces objectifs. La détention ne peut être ordonnée que si elle a un rapport, démontré par le dossier de preuve, avec l’un des motifs énumérés au paragraphe 58(1); il s’agit ainsi d’une application de ce principe. Le pouvoir de détention doit toujours demeurer rattaché aux objets de la LIPR.

[43]      L’obligation implicite de n’exercer le pouvoir de détention que lorsqu’il favorise les objectifs de la LIPR a guidé l’interprétation de cette dernière durant des décennies. Dans la décision Sahin, aux pages 226 à 229, le juge Rothstein invoque la décision R. v. Governor of Durham Prison, Ex p. Hardial Singh, [1984] 1 All E.R. 983, [1984] 1 W.L.R. 704 (Q.B.). Dans cette affaire, le juge Woolf (alors juge à la Cour du Banc de la Reine), à l’issue de son examen du pouvoir de détention prévu dans la Immigration Act 1971 [(R.-U.), ch. 77, art. 25], conclut que la Loi est assujettie à deux limites implicites : le pouvoir de détention est subordonné aux fins du renvoi et le ministre responsable doit agir [traduction] « avec une promptitude raisonnable » [au paragraphe 8] pour assurer le renvoi.

[44]      L’article 58 de la LIPR autorise la détention dans plusieurs cas, y compris avant que l’identité de la personne puisse être prouvée, avant le prononcé d’une décision d’interdiction de territoire ou pour des motifs liés à la sécurité publique. Le pouvoir de détention est exercé principalement, mais non exclusivement, pendant la période qui précède le renvoi. Lorsque la détention est ordonnée aux fins du renvoi, et qu’il n’existe plus de possibilité de renvoi, la détention pour ce motif ne contribue plus au mécanisme de contrôle de l’immigration, et le pouvoir de détention ne saurait être exercé. La détention doit toujours être reliée, au vu de la preuve, à un objet énoncé dans la loi. Pour conclure, la LIPR n’est pas inconstitutionnelle parce qu’elle n’indique pas explicitement ce que le droit exige déjà.

[45]      La Charte ne change rien à cette conclusion.

[46]      Outre l’approche moderne en matière d’interprétation des lois, il faut tenir compte de la présomption suivant laquelle le législateur entend édicter des lois conformes à la Charte. Lorsqu’une disposition légale peut être jugée inconstitutionnelle selon une interprétation et constitutionnelle selon une autre, c’est cette dernière qui doit être retenue (Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la page 1078, 1989 CanLII 92 (Slaight); R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, à la page 1010, 1991 CanLII 104; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, à la page 660, 1992 CanLII 72; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, 1998 CanLII 815, au paragraphe 66).

[47]      Selon la présomption de conformité, [traduction] « le législateur entend adopter des lois qui sont conformes à la Constitution et, dans la mesure du possible, on donne aux lois une interprétation qui permet d’atteindre ce résultat » (souligné dans l’original) (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham, Ont. : Lexis Nexis, 2014, 523, au paragraphe 16.3 (Sullivan on the Construction of Statutes)). Ce principe est ancré dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada remontant à plus d’un demi-siècle (voir McKay et al. v. The Queen, [1965] R.C.S. 798, aux pages 803 et 804). Dans l’arrêt R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45, au paragraphe 33, la juge en chef McLachlin confirme l’application de cette présomption dans les situations où les droits consentis par la Charte sont en jeu. Plus récemment, la Cour suprême affirme que les dispositions de la LIPR relatives à la détention, soit les dispositions dont il est ici question, doivent être interprétées « en harmonie avec les valeurs consacrées par la Charte qui définissent les paramètres de son application » (Chhina, au paragraphe 128, la juge Abella est dissidente, mais pas sur ce point).

a)    Distinction d’avec l’arrêt Jordan  [Retour à la table des matières]

[48]      Quoi qu’il en soit, les appelants et les intervenants soutiennent que la Cour suprême modifie le droit dans le relativement récent arrêt Jordan, postérieur à l’arrêt Charkaoui. Ils affirment que la Cour suprême reconnaît maintenant que, dans certaines situations, des délais doivent être imposés pour garantir le respect de la Charte. M. Brown soutient que le délai maximal de détention est de six mois, alors que, selon le End Immigration Detention Network, il est de trois mois, après quoi, la détention est selon eux arbitraire et contrevient aux articles 7 et 9.

[49]      L’arrêt Jordan ne modifie en rien les conclusions de nature constitutionnelle énoncées dans l’arrêt Charkaoui. Il n’établit pas que les articles 7 et 9 de la Charte commandent l’imposition de délais fixes en matière de détention.

[50]      Dans l’arrêt Jordan, la Cour suprême établit des plafonds audelà desquels le délai entre le dépôt des accusations et le procès est présumé déraisonnable au vu de l’alinéa 11b) de la Charte. Dès lors que le délai dépasse le plafond, il incombe au ministère public de réfuter la présomption quant au délai déraisonnable en établissant l’existence de circonstances exceptionnelles. Ce plafond a été fixé à 18 mois pour les affaires instruites par une cour provinciale et à 30 mois pour celles portées devant une cour supérieure (ou celles instruites par une cour provinciale à l’issue d’une enquête préliminaire) (Jordan, au paragraphe 105).

[51]      Les lignes directrices établies dans l’arrêt Jordan ont pour objet de protéger le droit à un procès dans un délai raisonnable garanti par l’alinéa 11b) de la Charte. Or, les considérations qui ont poussé la Cour à établir ces lignes directrices se distinguent nettement de celles entourant la détention aux fins de l’immigration. Comme je l’explique ci-après, les différences entre le système de justice pénale et le régime de détention aux fins de l’immigration ne pourraient être plus grandes.

[52]      Les administrations fédérale et provinciales encadrent de concert presque chacun des aspects du système de justice pénale et des conditions susceptibles d’emporter des lenteurs. Le fédéral a compétence pour légiférer en matière de droit pénal et de procédure criminelle, en modifiant le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. La construction des cours de justice, la nomination des juges, la dotation en personnel des cours provinciales et des bureaux des procureurs de la poursuite ainsi que les ressources dont dispose la police pour la communication de la preuve relèvent toutes de la compétence législative soit fédérale, soit provinciale.

[53]      Par contre, même si le renvoi est l’un des objectifs de la détention, le Canada n’est pas maître de son exécution. Il peut être empêché par une instabilité politique dans le pays d’accueil. Il peut être retardé par une preuve lacunaire de l’identité de la personne (voir, par exemple, Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Rooney, 2016 CF 1097, [2017] 2 R.C.F. 375). Il faut obtenir des titres de voyage d’un grand nombre de pays très différents, dont certains peuvent être réticents au retour d’un de leur ressortissant. Chacun aura sa propre conception de ce qui constitue un délai raisonnable de réponse de l’administration à une demande de titres de voyage. Le renvoi est subordonné à la collaboration du pays d’accueil, lequel, pour toutes sortes de raisons, peut hésiter à délivrer un titre de voyage, ou être incapable de le faire. La situation de M. Brown en est un bon exemple. Malgré les diverses demandes présentées par l’ASFC, lesquelles sont souvent restées sans réponse, il a fallu au gouvernement jamaïcain près de cinq ans pour confirmer la nationalité de M. Brown et lui délivrer un titre de voyage. Ayant finalement obtenu le document, l’ASFC a procédé au renvoi de M. Brown le lendemain.

b)    Autres compétences et droit international  [Retour à la table des matières]

[54]      Les appelants invoquent le droit international et le droit de pays étrangers pour affirmer qu’une interprétation textuelle des dispositions de la LIPR relatives à la détention aux fins de l’immigration va à l’encontre des normes internationales de base.

[55]      Il existe une présomption bien établie selon laquelle, dans la mesure du possible, les lois internes du Canada doivent être interprétées d’une manière conforme au droit international (R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292 (Hape), au paragraphe 53). Il faut souligner l’importance des termes « dans la mesure du possible » (Entertainment Software Assoc., aux paragraphes 76 à 92). Faute d’indication contraire, il est également présumé que les dispositions législatives respectent « les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel » (Hape, au paragraphe 53; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704, au paragraphe 47; Sullivan on the Construction of Statutes, au paragraphe 18.6; voir également de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655, aux paragraphes 82 à 87 et Entertainment Software Assoc., aux paragraphes 89 et 90).

[56]      Par conséquent, les obligations auxquelles le Canada a consenti en signant les traités internationaux et les principes qui sous-tendent le droit international peuvent jouer dans l’interprétation des lois canadiennes. Ce fait est confirmé par l’alinéa 3(3)f) de la LIPR, qui indique que « [l]’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet [...] de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire ».

[57]      Toutefois, un autre élément fait contrepoids à ces principes : la doctrine de la suprématie parlementaire. Il convient de donner effet à une disposition qui n’est pas ambiguë, même si elle est contraire aux obligations internationales du Canada ou au droit international (Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281, au paragraphe 35; Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269, au paragraphe 50; National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, à la page 1371, 1990 CanLII 49; Nation Gitxaala c. Canada, 2015 CAF 73, au paragraphe 16; Hape, au paragraphe 54 et voir en général l’analyse exhaustive dans l’arrêt Entertainment Software Assoc., aux paragraphes 76 à 92).

[58]      L’économie, l’application ou l’effet des dispositions sur la détention ne font aucun doute. Les appelants n’ont pas soulevé d’ambiguïté ou d’interprétations divergentes qui justifieraient le choix d’une interprétation plus conforme au droit international. Essentiellement, les appelants soutiennent simplement que, dans certains pays, la détention aux fins de l’immigration est conçue autrement. Si on fait fi de l’article premier de la Charte, vu le choix législatif clair du législateur quant à l’économie du régime de détention aux fins de l’immigration, les pratiques ou les cadres légaux d’autres pays ne sont pas pertinents.

[59]      Quoi qu’il en soit, comme l’affirme la Cour fédérale, le régime canadien de détention aux fins de l’immigration est semblable à celui du Royaume-Uni. La législation du Royaume-Uni ne prescrit aucun délai maximal de détention, mais, à l’instar de l’article 248 du Règlement, elle précise les considérations dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit de rendre une ordonnance de détention. En ce qui concerne l’Union européenne, même si sa directive sur le retour prévoit effectivement une période maximale de détention de 18 mois, les États membres ne sont pas tenus de s’y conformer lorsque des ressortissants de pays tiers se voient refuser l’entrée à la frontière ou lorsque, comme c’est le cas de M. Brown, ils sont renvoyés à la suite d’une interdiction de territoire prononcée pour criminalité. La Cour d’appel de l’Ontario, quand elle a entendu la demande d’habeas corpus de M. Brown, a conclu que ses arguments fondés sur le droit international n’étaient pas convaincants (Brown v. Canada (Public Safety), 2018 ONCA 14, 420 D.L.R. (4th) 124, aux paragraphes 37 et 38).

c)    Conclusion concernant les articles 7 et 9  [Retour à la table des matières]

[60]      Le régime de détention aux fins de l’immigration est constitutionnel et ne contrevient pas aux articles 7 et 9 de la Charte. Aucun principe d’interprétation des lois n’exige que le législateur, pour garantir la constitutionnalité de sa loi, exprime ce que la loi prévoit déjà. Exiger une déclaration expresse voulant que le pouvoir de détention ne puisse être exercé que lorsqu’il existe une réelle possibilité de renvoi équivaudrait à ajouter, par interprétation, une disposition redondante. Les recueils de lois de notre pays seraient très différents si, pour garantir la constitutionnalité des lois, ils devaient énoncer tous les principes de common law et du droit constitutionnel applicables qui en encadrent l’interprétation.

IV.       Pouvoir discrétionnaire et constitutionnalité  [Retour à la table des matières]

[61]      Les appelants font valoir un autre argument. Ils soutiennent que la question à trancher n’est pas de savoir si la loi peut être appliquée de manière constitutionnelle, mais plutôt de savoir si la SI est habilitée, par la loi, à violer les droits consentis par la Charte aux détenus. Autrement dit, parce que le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 248 n’est pas expressément subordonné à l’obligation de libérer les détenus dans l’éventualité d’une détention d’une durée déraisonnable ou d’un renvoi qui n’est pas prévisible dans un délai raisonnable, le régime est inconstitutionnel. Les appelants invoquent la portée des termes « pris en compte » et le fait que la durée de la détention n’est qu’un des critères énumérés à l’article 248 du Règlement. Ils affirment qu’une loi qui est conforme à la Constitution en est une en vertu de laquelle la détention indûment prolongée et inconstitutionnelle d’un détenu est impossible.

[62]      Cet argument va à l’encontre de la démarche établie d’analyse fondée sur la Charte. Comme je l’explique ci-après, avec leur argument, les appelants invitent notre Cour à faire précisément ce que la Cour suprême nous a demandé de ne pas faire depuis l’adoption de la Charte.

[63]      La première question que doit se poser un tribunal saisi d’une contestation fondée sur la Charte, c’est si l’atteinte découle des dispositions de la loi ou d’un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi.

[64]      Une disposition légale ne saurait donner lieu à une interprétation qui accorde un pouvoir discrétionnaire permettant de porter atteinte à un droit garanti par la Charte, à moins qu’une telle atteinte ne soit exigée par le législateur. Les commentaires du juge Lamer (plus tard juge en chef) dans l’arrêt Slaight sont pertinents (pages 1077 et 1078) :

[…] La Constitution étant la loi suprême du pays et rendant inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit, il est impossible d’interpréter une disposition législative attributrice de discrétion comme conférant le pouvoir de violer la Charte à moins, bien sûr, que ce pouvoir soit expressément conféré ou encore qu’il soit nécessairement implicite. Une telle interprétation nous obligerait en effet, à défaut de pouvoir justifier cette disposition législative aux termes de l’article premier, à la déclarer inopérante. Or, quoique cette Cour ne doive pas ajouter ou retrancher un élément à une disposition législative de façon à la rendre conforme à la Charte, elle ne doit pas par ailleurs interpréter une disposition législative, susceptible de plus d’une interprétation, de façon à la rendre incompatible avec la Charte et, de ce fait, inopérante. Une disposition législative conférant une discrétion imprécise doit donc être interprétée comme ne permettant pas de violer les droits garantis par la Charte. [Non souligné dans l’original.]

[65]      Lorsqu’une partie conteste la validité d’une disposition, la question à se poser est de savoir si la mesure qui est contestée produit un effet inconstitutionnel. La Cour suprême souligne que, lorsque des actes inconstitutionnels sont commis en vertu de lois conformes à la Constitution, « [l]es actes des mandataires du gouvernement qui agissent en vertu de ces régimes ne sont pas le résultat ou l’“effet” obligatoire de la loi, mais plutôt du fait que les mandataires du gouvernement ont exercé d’une manière inconstitutionnelle le pouvoir discrétionnaire que leur conférait la loi. Le paragraphe 52(1) ne s’applique donc pas. Le recours approprié est prévu au par. 24(1) » (R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96 (Ferguson), aux paragraphes 59 et 60; voir également Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, aux pages 719 et 720, 1992 CanLII 74, sous la plume du juge en chef Lamer).

[66]      L’arrêt Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), 2000 CSC 69, [2000] 2 R.C.S. 1120 (Little Sisters), est également instructif. Dans cette affaire, les appelants alléguaient que la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, et le Tarif des douanes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 41, portaient atteinte à leurs droits protégés par l’alinéa 2b) et l’article 15 de la Charte. Leur argument portait en partie sur l’inconstitutionnalité de la prohibition contre l’obscénité, énoncée dans le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, lorsqu’elle est appliquée par les agents des douanes. Selon Little Sisters, un régime administratif donnant lieu à une mauvaise administration est inconstitutionnel, car il ne protège pas suffisamment les droits qui leur sont garantis par la Constitution (au paragraphe 71).

[67]      La Cour suprême conclut qu’aucune règle constitutionnelle n’oblige le législateur à prescrire au moyen d’une loi plutôt que d’un règlement, ou même d’une directive ministérielle ou d’une pratique institutionnelle, la façon dont les Douanes doivent traiter le matériel expressif protégé par la Constitution. Le législateur a le droit d’agir en tenant pour acquis que les textes de loi qu’il adopte « s[eront] appliqué[s] […] d’une manière conforme à la Constitution » par les fonctionnaires (au paragraphe 71).

[68]      La Cour suprême estime que le problème était attribuable aux fonctionnaires des douanes qui avaient agi en dehors du cadre législatif conforme à la Constitution en ciblant en particulier le matériel érotique homosexuel, en violation du paragraphe 15(1) de la Charte. Le juge Binnie, s’exprimant au nom de la majorité, affirme qu’« il n’y a rien dans le texte même de la législation douanière ou dans ses effets nécessaires qui prévoit ou encourage une différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle » (au paragraphe 125).

[69]      Comme dans l’affaire qui nous occupe, la plainte des appelants dans l’arrêt Little Sisters porte sur les mesures que le législateur n’a pas adoptées plutôt que sur celles qu’il a effectivement adoptées. C’est pourquoi le juge Binnie a établi une distinction avec d’autres arrêts comme l’arrêt R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, 1988 CanLII 90, où le régime légal lui-même est jugé impossible à appliquer (Little Sisters, aux paragraphes 72 et 128).

[70]      Les appelants invoquent l’arrêt Appulonappa à l’appui de leur thèse selon laquelle la loi qui est en cause est viciée parce qu’elle n’interdit pas la possibilité d’une détention indûment prolongée et partant inconstitutionnelle.

[71]      Dans l’arrêt Appulonappa, la Cour suprême conclut que l’article 117 de la LIPR, qui criminalise l’organisation de l’entrée non autorisée d’étrangers au Canada, a une portée excessive et est inconstitutionnel et contraire à l’article 7 [de la Charte] dans la mesure où il criminalise également les actes d’aide humanitaire, l’assistance mutuelle entre demandeurs d’asile ou l’aide fournie par une personne à des membres de sa famille. Cette Cour est d’avis que le paragraphe 117(4), qui subordonne à l’autorisation du procureur général l’instruction de toute poursuite sous le régime de l’article 117, ne permet pas de préserver la disposition, parce qu’il n’est pas impossible que le procureur général consente à intenter des poursuites dans un cas excédant la portée de la loi (aux paragraphes 74 à 77).

[72]      L’arrêt Appulonappa n’étaye pas la thèse voulant que le respect de la Constitution dépende de « l’impossibilité » de l’exercice inconstitutionnel d’un pouvoir discrétionnaire.

[73]      Dans cette affaire, on faisait valoir le pouvoir discrétionnaire résiduel du procureur général en matière de poursuite pour remédier à la portée excessive et à l’inconstitutionnalité de la disposition du Code criminel. En d’autres termes, on affirmait que la portée excessive de l’article 117 était corrigée par le pouvoir discrétionnaire du procureur général suivant lequel il pouvait décider de ne pas engager de poursuite. La Cour suprême a rejeté cet argument. La norme de « l’impossibilité » est fondée sur la conclusion selon laquelle les dispositions prévoyant le pouvoir de déposer des accusations sont, en soi, inconstitutionnelles.

[74]      Or, en l’espèce le régime est constitutionnel. Dès lors que le contrôle régulier des motifs de détention permet un véritable examen des critères non exhaustifs énumérés à l’article 248, la détention prolongée est constitutionnelle. L’existence d’un pouvoir discrétionnaire, plutôt que d’emporter l’inconstitutionnalité, permet de veiller au respect des droits que la Charte garantit aux détenus compte tenu des circonstances propres à chacun.

[75]      Dans l’arrêt Canadian Civil Liberties Association v. Canada (Attorney General), 2019 ONCA 243, 433 D.L.R. (4th) 157 (Civil Liberties), la Cour d’appel de l’Ontario était saisie d’une contestation constitutionnelle des articles 31 à 37 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20. La Cour conclut que les dispositions, qui confèrent au directeur d’un pénitencier fédéral le pouvoir d’ordonner l’isolement préventif de détenus suivant certains critères, enfreignent l’article 12 de la Charte. Cette Cour, dans son analyse du régime, se demande si le régime lui-même est inconstitutionnel ou s’il permet simplement une mauvaise administration inconstitutionnelle.

[76]      Devant la Cour d’appel [de l’Ontario], le procureur général a soutenu que la Loi, si elle est bien interprétée, comporte des mesures de protection qui la rendent conforme à la Constitution (Civil Liberties, au paragraphe 102). Le juge de première instance [au paragraphe 70] accepte cet argument et conclut que le régime légal, même s’il autorise l’isolement prolongé, [traduction] « n’entraîne pas inévitablement pour le détenu un traitement exagérément disproportionné par rapport au risque à la sécurité qu’il représente » (non souligné dans l’original) (Corporation of the Canadian Civil Liberties Association v. Her Majesty the Queen, 2017 ONSC 7491 (CanLII), 140 O.R. (3d) 342, au paragraphe 269).

[77]      La Cour d’appel de l’Ontario n’est pas de cet avis. Elle conclut, en partie parce que le pouvoir discrétionnaire conféré au directeur par la Loi l’oblige uniquement à [traduction] « prendre en compte » l’état de santé du détenu avant de prendre la décision de le placer en isolement, qu’il n’est [traduction] « pas impossible » que l’application de la loi entraîne un traitement exagérément disproportionné (aux paragraphes 105, 110 et 113). Pour cette raison et sur la foi d’autres critères, cette Cour conclut que la Loi contrevient à l’article 12.

[78]      Pour les motifs énoncés plus haut, je ne suis pas d’accord pour dire que le critère déterminant de la constitutionnalité d’une disposition soit l’impossibilité d’exercer un pouvoir discrétionnaire de manière inconstitutionnelle. La locution [traduction] « prendre en compte », si l’on suit le raisonnement de la Cour d’appel de l’Ontario, ne se prête pas à une interprétation conforme à la Charte. Toutefois, c’est le contraire de ce qu’enseigne la Cour suprême dans les arrêts Slaight, Ferguson, Little Sisters et d’autres arrêts ultérieurs. La disposition qui confère un pouvoir discrétionnaire doit être interprétée de telle sorte que l’exercice de ce pouvoir soit conforme à la Constitution, à moins qu’elle autorise, de manière implicite ou explicite, une violation de la Charte, auquel cas elle pourrait être susceptible d’une contestation fondée sur la Charte (Slaight, à la page 1078). En l’espèce, la disposition attribuant un pouvoir discrétionnaire emploie la locution « pris en compte », ce qui dénote un pouvoir discrétionnaire non limité. La disposition n’empêche pas le décideur de tenir compte des normes fondées sur la Charte lorsqu’il évalue le bien-fondé de la détention, elle l’exige.

[79]      L’enseignement tiré des arrêts Slaight, Ferguson et Little Sisters permet de trancher l’argument des appelants selon lequel la disposition est viciée parce qu’elle n’interdit pas expressément la détention lorsque le renvoi n’est pas prévisible dans un délai raisonnable. Aucune règle de droit ne veut qu’une disposition, pour être constitutionnelle, doive exclure toute possibilité d’exercice inconstitutionnel du pouvoir discrétionnaire. Si tel était le cas, la Cour suprême aurait commis une erreur dans l’arrêt Charkaoui en jugeant que la réparation en cas de détention aux fins de l’immigration dépassant une durée autorisée est celle prévue au paragraphe 24(1) [de la Charte] (au paragraphe 123).

[80]      La Charte n’exige pas que toute possibilité de mauvais exercice d’un pouvoir discrétionnaire conféré par un texte de loi soit écartée. Elle exige plutôt que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire soit fondé sur des critères objectifs susceptibles d’être énoncés, expliqués et contrôlés par les tribunaux. C’est ce que démontrent les trois situations semblables suivantes : celle prévue au paragraphe 24(2) de la Charte, celle qui découle des dispositions sur la détention préalable au procès ou la mise en liberté sous caution et celle qu’emportent les dispositions du Code criminel portant sur la mise en liberté préalable à l’instruction de l’appel d’une déclaration de culpabilité. La comparaison du vaste pouvoir conféré par ces dispositions avec le pouvoir discrétionnaire de détention prévu à l’article 58 de la LIPR et à l’article 248 du Règlement montre que le second est conforme à la Constitution.

[81]      Dans l’arrêt Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, 1986 CanLII 17 (Mills), le juge McIntyre fait un commentaire concernant le paragraphe 24(2) de la Charte et le pouvoir d’un tribunal d’accorder toute réparation qu’il estime « “convenable et juste eu égard aux circonstances” » et conclut qu’il est « difficile de concevoir comment on pourrait donner au tribunal un pouvoir discrétionnaire plus large et plus absolu » (à la page 965). Néanmoins, le paragraphe 24(2) constitue [traduction] « une norme légale acceptable pour surmonter l’imprécision » (R. v. Farinacci (1993), 109 D.L.R. (4th) 97, 86 C.C.C. (3d) 32 (C.A. Ont.) (Farinacci), à la page 115).

[82]      L’exemple de la mise en liberté avant l’appel illustre également la notion voulant qu’une disposition rédigée en termes généraux ne viole pas les normes constitutionnelles si elle est susceptible de définition par les tribunaux. Dans l’arrêt Farinacci, la Cour d’appel de l’Ontario examine la constitutionnalité du paragraphe 679(3) du Code criminel, qui laisse aux cours d’appel le soin de décider si la détention avant l’issue d’un appel est [traduction] « nécessaire dans l’intérêt public ». Renvoyant à l’arrêt Mills, la juge Arbour conclut que le pouvoir habilitant le juge à tenir compte de l’intérêt public et de la sécurité publique n’est pas imprécis ni absolu (aux paragraphes 114 et 115).

[83]      Le pouvoir discrétionnaire conféré par les dispositions du Code criminel sur les audiences initiales de justification et les audiences de mise en liberté sous caution peut servir de point de comparaison avec le pouvoir prévu à l’article 248 du Règlement. Ces dispositions confèrent au juge ou au juge de paix présidant l’audience de justification initiale un pouvoir discrétionnaire plus vaste et plus imprécis que les dispositions relatives à la détention de la LIPR. Elles ont aussi survécu à une contestation constitutionnelle.

[84]      À l’instar de la LIPR, le paragraphe 515(1) du Code criminel prévoit par défaut la mise en liberté à l’issue de l’audience initiale sur le cautionnement (R. c. Myers, 2019 CSC 18, [2019] 2 R.C.S. 105, au paragraphe 1). Cette disposition, dont le libellé et la structure sont semblables à l’article 58 de la LIPR et à l’article 248 du Règlement, énonce que le prévenu doit être remis en liberté, à moins que le poursuivant démontre la nécessité de la détention ou de l’imposition de conditions. Certains des motifs de refus de la mise en liberté sous caution sont les mêmes que ceux qui étayent la détention sous le régime de la LIPR. Pour qu’un juge ou un juge de paix ordonne la détention avant le procès, la Couronne doit établir qu’il existe un risque de fuite ou que la détention est nécessaire pour la protection ou la sécurité du public (Code criminel, alinéa 515(10)a) et b)).

[85]      D’autres motifs ne comportent pas de ressemblance. Contrairement au régime de détention aux fins de l’immigration, l’alinéa 515(10)c) du Code criminel habilite le juge à ordonner la détention s’il est d’avis qu’elle « est nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice, compte tenu de toutes les circonstances » entourant l’infraction. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est encadré par des critères prescrits par la loi, mais aucune directive n’est donnée quant à la façon d’apprécier ces critères, ou quant à leur lien avec les motifs de détention (voir, par exemple, R. c. St-Cloud, 2015 CSC 27, [2015] 2 R.C.S. 328 (St-Cloud)). Les appelants soulèvent les mêmes critiques à propos du régime de détention aux fins de l’immigration.

[86]      Pour certaines infractions, il y a inversion du fardeau de la preuve à l’enquête pour cautionnement, et il incombe alors au prévenu de prouver qu’il doit être mis en liberté. L’inversion du fardeau de la preuve est conforme à la Constitution (R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711, 1992 CanLII 53). Par contre, aucune disposition de la LIPR n’emporte une inversion du fardeau de la preuve, et il incombe au ministre, à chaque contrôle des motifs de détention, de justifier la détention.

[87]      Il convient d’établir une distinction entre la présente affaire et la procédure de mise en liberté sous caution prévue aux articles 520 et 521 du Code criminel. Dans la deuxième situation, le tribunal ne tient pas une audience de novo, et une ordonnance de détention ou de mise en liberté ne peut être annulée que si un nouvel élément de preuve admissible montre un changement important ou pertinent dans les circonstances, en cas d’erreur de droit ou si la décision est manifestement inappropriée (St-Cloud, aux paragraphes 6, 94, 110, 120, 121 et 139). Dans ce dernier cas, « il n’est pas question pour le juge réviseur de simplement substituer son appréciation des faits à celle du juge ayant rendu la décision contestée » (St-Cloud, au paragraphe 6). Contrairement à la procédure de mise en liberté sous caution, chaque contrôle des motifs de détention aux fins de l’immigration constitue un nouvel examen visant à déterminer si la détention est justifiée. Nous y revenons ci-après.

[88]      La décision de remettre en liberté ou non un accusé avant son procès constitue un exercice délicat de pondération de l’ensemble des circonstances pertinentes (St-Cloud, au paragraphe 6). Il en va de même de la décision d’ordonner ou non la détention avant le renvoi. Comme le fait remarquer la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Charkaoui, les critères prévus à l’article 248, loin d’être une source d’imprécision, garantissent le respect de la Constitution (aux paragraphes 110 à 117). Les critères prévus à l’article 248 sont des « “critères réglementaires” » qui « doi[vent] » être pris en compte, et qui permettent de veiller à ce que les périodes prolongées de détention ne contreviennent pas à la Charte (aux paragraphes 109 à 123). Le pouvoir discrétionnaire que confèrent ces critères est précisément ce qui garantit que le contexte et les circonstances propres à chaque cas sont pris en compte; une exigence énoncée dans l’arrêt Charkaoui pour qu’une détention prolongée puisse être conforme à la Constitution (au paragraphe 107).

V.        Audience de contrôle des motifs de détention conforme à la Charte et au droit administratif  [Retour à la table des matières]

[89]      Quelles sont les caractéristiques d’un contrôle des motifs de détention qui est conforme à la Charte et au droit administratif? La question fait jouer des questions juridiques fondamentales concernant la nécessité d’un lien avec un objectif d’immigration, le respect des articles 7, 9 et 12 de la Charte, le fardeau de la preuve, la pertinence des décisions antérieures de détention et la teneur de l’équité procédurale.

a)    Lien avec un objectif d’immigration  [Retour à la table des matières]

[90]      Les critères prévus à l’article 248 du Règlement, qui ont force de loi, doivent être respectés. En outre, pour que le maintien en détention demeure légal sous le régime de la LIPR, il doit exister un lien entre la détention et un objectif d’immigration, à défaut de quoi, la détention sous le régime de la LIPR n’est plus possible.

[91]      Une fois de plus, la Cour suprême nous fournit une orientation concernant cette question. La détention dans ce contexte est possible seulement si elle est raisonnablement nécessaire à des fins d’immigration (Charkaoui, au paragraphe 124, citant R. v. Governor of Durham Prison, Ex p. Singh, [1984] 1 All E.R. 983 (Q.B.) [précité] et Zadvydas v. Davis, 533 U.S. 678 (2001)). Si « [l]’expulsion [est] impossible », la détention dans ce contexte n’est plus possible (Charkaoui, aux paragraphes 125 à 127, renvoyant à l’arrêt A. v. Secretary of State for the Home Department, [2004] UKHL 56, [2005] 3 All E.R. 169).

[92]      À l’égard de la présence d’un lien avec l’immigration, l’arrêt Charkaoui nous enseigne que la détention peut être prolongée et peut être d’une durée indéterminée. Selon cette jurisprudence, la durée en soi n’est pas la seule donnée pertinente, pas plus que l’absence de date de renvoi; en fait, si la date du renvoi était connue, il est peu probable que les parties esteraient en justice. Pour déterminer la constitutionnalité d’une détention pour une durée indéterminée, il faut se demander si le renvoi, et non la date précise prévue pour le renvoi, demeure une possibilité (Charkaoui, aux paragraphes 125 à 127, renvoyant à l’arrêt A. c. Secretary of State for the Home Department [précité]).

[93]      Les appelants affirment que, pour vérifier s’il existe un lien avec un objectif d’immigration, il faut demander si le renvoi est raisonnablement prévisible. Je ne suis pas de cet avis, notamment parce que ce n’est pas le critère établi par la Cour suprême du Canada. Selon cette dernière, le critère veut que le renvoi soit possible (Charkaoui, aux paragraphes 125 à 127). Comme je le souligne plus haut, si on interprète correctement l’arrêt Charkaoui, la détention est justifiée si elle est « raisonnablement nécessaire » et si le renvoi demeure « possible ». La Cour ne fait aucunement mention d’un critère de prévisibilité.

[94]      Le critère de la prévisibilité raisonnable n’offre en soi aucune orientation claire quant aux facteurs, considérations et normes de preuve utiles à son application. Il soulève les questions « prévisible par qui? » et « raisonnable selon qui? » et, pour ces raisons peut-être, mène à des résultats contradictoires, comme le montre la jurisprudence portant sur les demandes d’habeas corpus ayant adopté ce critère. Le principe de la primauté du droit exige — et la jurisprudence portant sur la mise en liberté sous caution démontre — que, dans les affaires faisant intervenir le droit à la liberté, tout pouvoir discrétionnaire doive, dans la mesure du possible, être exercé selon des critères clairs et observables, le plus uniformément possible. Le critère de la « prévisibilité raisonnable » ne permet pas un tel résultat. Il emporte également l’évaluation oiseuse de ce qui est « raisonnable » dans d’autres pays dotés de lois, de politiques et de structures administratives qui diffèrent grandement des nôtres et étrangères à nos juges.

[95]      Quant au critère de la « possibilité », il met plutôt l’accent sur l’existence de faits objectifs crédibles. Le décideur doit être convaincu, au vu de la preuve, que le renvoi est possible. Cette possibilité doit être réaliste, et non fantaisiste, et ne saurait être fondée sur des hypothèses ou des conjectures. Elle doit être étayée par la preuve, et non par des suppositions, et la preuve doit être détaillée et suffisamment spécifique pour être crédible. À mon avis, en ce qui concerne le lien avec un objectif d’immigration, il existe une connexité générale entre les critères applicables au contrôle des motifs de la détention et ceux servant à trancher une demande d’habeas corpus, même si les termes employés diffèrent.

[96]      Ce qui précède ne concerne que l’exigence initiale voulant qu’il existe un lien avec un objectif d’immigration. Autrement dit, la question est de savoir si la détention prolongée peut être ordonnée. Or, si c’est le cas, cela ne signifie pas qu’elle devrait l’être. Ce n’est qu’à la seconde étape, lorsqu’il faut se demander si la détention devrait être ordonnée, que la date du renvoi entre en jeu. La durée de la détention à ce jour et les conditions de la détention sont également pertinentes lorsqu’il s’agit pour le juge de décider, à la lumière de la Charte, si la détention doit être prolongée. Il peut exister des circonstances où une détention, en raison de sa durée ou de ses conditions, compromet tellement le droit à la liberté du détenu qu’elle contrevient aux droits qui lui sont garantis par la Charte et que la mise en liberté est justifiée. Nous remettons à une autre occasion l’analyse de cette question, lorsque les faits s’y prêteront.

[97]      J’offre quelques remarques supplémentaires pour encadrer cette analyse.

[98]      Si la durée de la détention est importante, cet élément seul ne nous apprend rien. Comme le démontrent plusieurs affaires portant sur des demandes d’habeas corpus et postérieures à l’arrêt Chaudhary v. Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2015 ONCA 700, 127 O.R. (3d) 401 (Chaudhary), accorder un poids indu à cet élément mène à des décisions subjectives et contradictoires (voir, par exemple, Ogiamien v. Ontario (Community Safety and Correctional Services), 2017 ONCA 839, 55 Imm. L.R. (4th) 220; Canada v. Dadzie, 2016 ONSC 6045 (CanLII), [2016] O.J. no 5185 (QL); Scotland v. Canada (Attorney General), 2017 ONSC 4850 (CanLII), 52 Imm. L.R. (4th) 188; Ali v. Canada (Attorney General), 2017 ONSC 2660 (CanLII), 26 Admin. L.R. (6th) 78).

[99]      La détention ne saurait être ordonnée en raison uniquement de l’absence de collaboration. Une telle issue serait contraire aux articles 7 et 9. Or, lorsqu’un doute quant à l’identité fait obstacle au renvoi et que le détenu refuse d’aider à confirmer son identité, les longueurs dans la procédure de renvoi ne peuvent être imputées au ministre. La mise en liberté dans de telles circonstances encouragerait les personnes détenues à ne pas faire preuve de franchise. La détention d’un détenu qui ne collabore pas ne saurait être qualifiée de détention à durée indéterminée, parce que le détenu a le pouvoir de modifier son destin. Cela dit, il y aura des cas où c’est le pays d’accueil qui conteste l’identité de la personne. Il faut prendre soin de ne pas attribuer le problème au détenu, qui ne doit pas écoper en raison des réticences de ce pays à confirmer son identité.

[100]   Il faut faire preuve de bonne foi. Lorsque l’on évalue les efforts consentis par les ministres pour exécuter les mesures de renvoi, il convient de tenir compte de toutes les mesures prises, ou qui pourraient raisonnablement l’être, pour obtenir les titres de voyage nécessaires, et de se demander si l’ASFC a utilisé judicieusement le temps entre les périodes de détention et la mise en liberté pour concrétiser le renvoi du détenu.

[101]   Comme le montrent amplement les faits de l’espèce, les efforts du Canada à l’égard du renvoi peuvent être contrariés par le pays d’accueil. Même si un détenu consent à son renvoi, ce renvoi dépend de la volonté du pays d’accueil de fournir les titres de voyage nécessaires.

[102]   La conduite du pays d’accueil peut expliquer le retard. Le Canada dispose des outils nécessaires pour obtenir la collaboration, que ce soit en augmentant les pressions diplomatiques et politiques, en négociant des ententes de renvoi bilatérales, ou en exigeant un visa ou d’autres formalités d’entrée des ressortissants du pays en défaut. La question, lorsqu’il y a impasse, est de savoir s’il existe une démarche ou une étape susceptible d’accélérer la filière. Autrement dit, le ministre a-t-il un plan pour contourner l’impasse et existe-t-il une réelle possibilité que ce plan mène au renvoi?

b)    Article 12  [Retour à la table des matières]

[103]   Les conditions de détention, qui sont susceptibles de varier (selon qu’elle est effectuée dans un établissement à sécurité maximale ou un centre de détention pour immigrants) ne jouent pas lorsqu’il s’agit de déterminer si la détention est nécessaire pour l’exécution de la mesure de renvoi. Les conditions de détention sont pertinentes lorsque la légalité de la détention et la proportionnalité sont en cause, dans une contestation fondée sur l’article 12 de la Charte ou dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[104]   Les appelants affirment que, parce que la SI n’a pas compétence pour contrôler les conditions de détention lorsque les détenus sont placés dans des établissements provinciaux, elle ne peut assurer la proportionnalité de la détention et des motifs de détention. La détention est par conséquent arbitraire et constitue une peine cruelle et inusitée. Dans la même veine, les appelants soutiennent que la SI n’est investie d’aucun pouvoir exprès lui permettant de contrôler les conditions de détention [traduction] « difficiles ou illégales », ce qui mine la constitutionnalité du régime.

[105]   Cet argument ne peut être retenu, compte tenu à la fois du droit et de la preuve.

[106]   Les commissaires de la SI ont l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui leur est conféré conformément à la Charte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572 (Thanabalasingham), au paragraphe 14; Sahin, aux pages 228 et 229). Comme le souligne la juge Abella dans l’arrêt Chhina, « [l]a Charte à la fois encadre la façon dont sont rendues les décisions administratives discrétionnaires sous le régime de la LIPR et propose des balises sur l’interprétation du régime luimême » (au paragraphe 128).

[107]   Il n’est pas nécessaire que la SI soit investie du pouvoir exprès d’examiner la nature ou les conditions de la détention (R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765, au paragraphe 78). La faculté, en fait l’obligation, de tenir compte des articles 7, 9 et 12 est inhérente à l’exercice du pouvoir discrétionnaire visant à déterminer si la détention est justifiée ou non. À titre de tribunal administratif compétent habilité à accorder des réparations fondées sur la Charte, la SI peut ordonner la mise en liberté d’un détenu au motif que les conditions de détention, à elles seules ou combinées à d’autres facteurs, sont disproportionnées (Stables c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1319, [2013] 3 R.C.F. 240, au paragraphe 29; Chaudhary, au paragraphe 77).

[108]   Comme l’explique la Cour suprême, la question de la peine « cruelle et inusitée » pour l’application de l’article 12 est étroitement liée aux considérations relatives à l’article 7, puisque la durée indéterminée de la détention ainsi que le stress psychologique qui en découle sont liés aux mécanismes offerts au détenu pour recouvrer sa liberté (Charkaoui, au paragraphe 96). Or, comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui, ce n’est pas la détention en soi, ni même sa durée, qui est condamnable; la détention n’est cruelle et inusitée au sens juridique que si elle déroge aux « normes de traitement reconnues » (au paragraphe 96). Ainsi, priver l’intéressé des moyens requis par les principes de justice fondamentale pour contester une détention peut rendre cette dernière arbitraire et servir à étayer l’argument selon lequel elle est cruelle ou inusitée. Cependant, l’existence d’un régime permettant à un détenu de contester sa détention et d’être libéré s’il y a lieu peut amener le décideur à conclure que la détention n’est ni cruelle ni inusitée (Charkaoui, au paragraphe 96).

[109]   Contrairement à ce qu’affirment les appelants, l’arrêt Charkaoui ne valide pas l’hypothèse voulant que l’organisme procédant au contrôle des motifs de détention doive aussi avoir droit de regard sur le lieu et les conditions de la détention. Ce que dit la Cour suprême, c’est que, pour être conforme aux articles 7 et 12 de la Charte, un régime de détention aux fins de l’immigration doit prévoir un processus de contrôle des motifs de détention qui permette à l’organisme procédant au contrôle de fixer des conditions pour neutraliser le risque associé à la mise en liberté, et les conditions de mise en liberté doivent être révisées régulièrement (Charkaoui, aux paragraphes 107, 117 et 121). Dans l’arrêt Charkaoui, la Cour suprême met l’accent sur la compétence pour imposer des conditions de mise en liberté et sur la possibilité pour le détenu de contester ces conditions, et non sur le lieu ou les conditions de la détention.

[110]   Dans l’arrêt R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599 (Boudreault), la Cour suprême répète que la barre est haute lorsqu’il s’agit de démontrer l’existence d’une violation de l’article 12 de la Charte : le traitement ou la peine contestée ne peut être simplement disproportionné ou excessive — elle doit l’être au point de « ne pas être compatible avec la dignité humaine » en plus d’être « “odieuse ou intolérable” » pour la société (au paragraphe 45; voir également R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, [2016] 1 R.C.S. 130, au paragraphe 24). Il ne sera décidé que très rarement, et dans des circonstances particulières, qu’une peine contrevient à l’article 12, puisque le critère permettant d’en juger « “est à bon droit strict et exigeant” » (Boudreault, au paragraphe 45; voir également R. c. Morrisey, 2000 CSC 39, [2000] 2 R.C.S. 90, au paragraphe 26; Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385, à la page 1417, 1990 CanLII 50).

[111]   C’est en tenant compte de ce contexte jurisprudentiel, y compris l’arrêt Charkaoui, que la Cour fédérale a rejeté bon nombre des arguments des appelants concernant les conditions de détention. Aucune erreur susceptible de révision dans cette conclusion n’a été démontrée. Les éléments de preuve portant sur les conditions de détention sont loin de satisfaire au critère fixé par la Cour suprême pour qu’une peine soit jugée cruelle et inusitée et n’appuient pas la déclaration générale que sollicitent les appelants.

[112]   Les appelants invoquent l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire P.S. v. Ontario, 2014 ONCA 900, 379 D.L.R. (4th) 191 (P.S.). Cette Cour conclut que l’incarcération non punitive prévue à la Loi sur la santé mentale de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. M.7, contrevient à l’article 7 de la Charte, parce que les pouvoirs consentis à la Commission du consentement et de la capacité ne sont pas adéquats. Elle n’a pas compétence pour contrôler le niveau de sécurité et le traitement des personnes détenues à long terme et concevoir des ordonnances qui permettraient de concilier la protection du public et la protection du droit à la liberté des détenus (P.S., au paragraphe 115). L’impossibilité pour la Commission d’ordonner que soient offerts aux patients certains types de traitement ou de thérapie nuisait à l’objectif de réintégration dans la collectivité. L’objectif de la détention était de faciliter la réintégration et, sans ces outils, la détention n’avait plus de lien avec l’objectif de la loi.

[113]   Aux termes de la LIPR, les étrangers interdits de territoire sont placés en détention afin d’empêcher qu’ils s’enfuient ou nuisent au public avant leur renvoi. L’objectif de la détention est d’assurer la sécurité publique et de faciliter le renvoi. Contrairement à la Commission du consentement et de la capacité, la SI dispose de tous les outils nécessaires pour réaliser cet objectif et, plus important encore, de la compétence lui permettant d’imposer des conditions de mise en liberté représentant un juste équilibre entre les objectifs de la Loi et le droit à la liberté des détenus. Le problème soulevé dans l’affaire P.S., c’est que les outils légaux conférés à la Commission ne suffisaient pas pour lui permettre d’atteindre ses objectifs. En revanche, on prétend en l’espèce que les pouvoirs de la SI excèdent ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif. Cet arrêt n’est d’aucune utilité.

[114]   L’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario Toure v. Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2018 ONCA 681, 40 Admin. L.R. (6th) 261 (Toure) est plus pertinent.

[115]   Dans l’arrêt Toure, la Cour d’appel de l’Ontario ne contredit pas les critères de l’ASFC régissant le lieu de détention et conclut qu’il était possible pour les personnes détenues aux fins de l’immigration de soulever la question du lieu de détention auprès de l’ASFC (au paragraphe 72). Si le lieu de la détention ne respecte pas les critères établis par l’ASFC elle-même, la décision est susceptible de contrôle judiciaire par la Cour fédérale (au paragraphe 72). Je souscris à ces observations.

[116]   La décision de l’ASFC de placer un détenu dans un établissement provincial plutôt que dans un centre de détention pour immigrants est une décision ou une ordonnance susceptible de contrôle pour l’application de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. De même, une ordonnance de détention qui ne tient pas compte de la proportionnalité du risque et des conditions de détention peut être contrôlée par la Cour fédérale, sur le fondement de la Charte et des principes du droit administratif. La décision qui néglige la proportionnalité entre le risque et les mesures pour atténuer ce risque sera annulée, tout comme celle qui présente une conclusion déraisonnable à cet égard.

[117]   Quoi qu’il en soit, comme le souligne la Cour fédérale, les lois fédérales et celles de l’Ontario qui encadrent la détention dans les établissements correctionnels prévoient que toute désignation d’un établissement particulier dans un mandat de dépôt est sans effet (Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, article 11; Loi sur le ministère des Services correctionnels, L.R.O. 1990, ch. M.22, article 17; voir les motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 136). Ni les appelants ni les intervenants ne font état d’une jurisprudence voulant que ces dispositions soient inconstitutionnelles.

c)    Fardeau juridique  [Retour à la table des matières]

[118]   Selon le régime de contrôle des motifs de détention établi par le législateur, le fardeau juridique global d’établir que la détention est justifiée au titre de l’article 58 de la LIPR, de l’article 248 du Règlement et de la Charte, incombe au ministre. En droit, le ministre a le fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe des motifs de détention. Si le ministre y parvient, il lui incombe encore d’établir, compte tenu des critères énoncés à l’article 248, que la détention est justifiée. C’est au ministre qu’incombe ce fardeau dès le premier contrôle des motifs de détention et à chacun des contrôles subséquents, effectués tous les 30 jours.

[119]   Le droit canadien ne reconnaît que deux fardeaux : le fardeau juridique, ou fardeau de persuasion, aussi parfois appelé le fardeau de la preuve, et la charge de présentation.

[120]   Même si les termes « fardeau juridique » et « fardeau de persuasion » sont interchangeables, « fardeau juridique » convient mieux, parce qu’il met l’accent sur l’obligation pour la partie qui formule l’assertion, à savoir le demandeur ou la Couronne, d’établir en droit les éléments factuels d’une cause d’action ou d’une infraction (R. c. Fontaine, 2004 CSC 27, [2004] 1 R.C.S. 702, aux paragraphes 10 à 12). Ces faits doivent être établis selon la prépondérance des probabilités dans une affaire au civil, et hors de tout doute raisonnable dans une affaire pénale (F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41, aux paragraphes 40 et 41; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, au paragraphe 94). Fait important, à moins d’indication contraire d’une loi ou d’une règle de common law, le fardeau juridique imposé à une partie n’est jamais inversé (Sidney N. Lederman, Alan W. Bryant et Michelle K. Fuerst, Sopinka, Lederman, & Bryant’s : The Law of Evidence in Canada, 5e éd., Toronto : Lexis Nexis, 2018, au paragraphe 3.46 (The Law of Evidence in Canada)).

[121]   Si la preuve établit un motif de détention sous le régime de la Loi et semble indiquer que la détention est justifiée pour l’application de l’article 248 du Règlement, il peut être dans l’intérêt d’un détenu de présenter des éléments de preuve en faveur de sa mise en liberté. Il ne s’agit pas ici d’une inversion du fardeau juridique. Il s’agit plutôt d’une stratégie consistant à produire une preuve afin d’empêcher une issue potentiellement défavorable (Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, 1999 CanLII 694, au paragraphe 53; The Law of Evidence in Canada, à la page 116, paragraphe 3.56; Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, aux pages 329 et 330, 1990 CanLII 70; voir également R c. Darrach, 2000 CSC 46, [2000] 2 R.C.S. 443, au paragraphe 50). Les appelants soulignent à bon droit certains passages des contrôles des motifs de détention effectués par la Cour fédérale qui ne respectent pas la différence. La distinction est importante, tout comme les termes utilisés. Il ne faut pas les confondre.

[122]   Le fardeau juridique n’est ni inversé ni modifié lorsque le ministre établit prima facie l’existence de motifs de détention. Le détenu n’est pas tenu en droit de faire quoi que ce soit. L’établissement de motifs de détention n’emporte pas le prononcé d’une ordonnance de détention; il signifie simplement qu’il existe des raisons d’envisager une ordonnance de détention. Même si le détenu n’oppose aucun élément de preuve, il revient au ministre d’établir le bien-fondé de la détention, selon la prépondérance des probabilités, sur le fondement de chacun des critères énoncés à l’article 248. Le choix d’un détenu de présenter des éléments de preuve ou non est une décision purement stratégique.

[123]   De plus, le fardeau juridique qui incombe au ministre ne change pas au fil des contrôles successifs des motifs de détention. Qu’il s’agisse du premier ou du dixième contrôle, le ministre doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a un motif de détention, qu’il existe un lien avec un objectif d’immigration et que la détention est fondée. Ce qui est susceptible de changer au fil du temps, c’est la quantité ou la qualité des éléments de preuve nécessaires pour justifier la détention. Plus la période de détention est longue, plus l’administration a eu le temps et l’occasion de prendre les arrangements nécessaires avec le pays d’accueil afin de pouvoir exécuter la mesure de renvoi. Plus le temps passe, plus l’assertion selon laquelle le renvoi demeure possible sera scrutée de près. À cet égard, la Cour suprême affirme, dans l’arrêt Charkaoui, que le fardeau qui incombe au ministre peut devenir plus lourd avec le temps (au paragraphe 113). Je suppose que la Cour suprême traite dans ce cas de la charge de présentation ou d’un fardeau stratégique, et non d’un fardeau de persuasion.

[124]   La Cour suprême souligne dans l’arrêt Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502 (Khela), au paragraphe 40, que le déplacement du fardeau du prisonnier aux autorités carcérales est propre au bref d’habeas corpus. Or, rien n’empêche un régime de détention prévu par la loi d’emporter le même effet qu’une demande d’habeas corpus. Le législateur a conçu un tel régime en l’espèce.

[125]   En fait, le régime prévu par la LIPR offre des avantages procéduraux et de fond étrangers à la demande d’habeas corpus. Interprétée correctement, la LIPR exige que le ministre établisse de nouveau l’existence des motifs justifiant la détention tous les 30 jours. Le contrôle des motifs de détention est effectué sans aucun acte de la part du détenu, et il incombe au ministre à chaque fois de justifier la détention. Le détenu n’a pas à faire quoi que ce soit, sur le plan de la procédure ou du fond. En revanche, s’il présente une demande d’habeas corpus, le demandeur doit déposer la demande, établir qu’il a été privé de liberté et qu’il est légitime de remettre en question sa détention avant que le fardeau ne se déplace vers les autorités défenderesses, à qui il incombe de démontrer la légalité de cette privation de la liberté (Khela, au paragraphe 30).

[126]   Il reste les remarques de la Cour suprême dans l’arrêt Chhina, selon lesquelles le fardeau qui incombe au ministre décroît avec le temps et l’obligation de ne pas s’écarter des décisions antérieures sans des motifs clairs et convaincants mène à un raisonnement autoréférentiel. Dans les faits, de l’avis de la Cour, le fardeau est ainsi déplacé vers le détenu.

[127]   L’arrêt Chhina doit être interprété à la lumière des principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609 (Henry). L’arrêt Henry nous enseigne que les motifs d’une décision peuvent varier, de la ratio decidendi, qui a force contraignante, à la formulation de balises qui, même si elles ne sont pas strictement contraignantes, devraient être acceptées comme faisant autorité, en passant par les simples commentaires (au paragraphe 57). Les commentaires de la Cour dans l’arrêt Chhina portant sur l’arrêt Thanabalasingham appartiennent à cette dernière catégorie.

[128]   L’arrêt Thanabalasingham n’appuie pas la thèse voulant que le fardeau soit transféré au détenu. Notre Cour y affirme le contraire : « [i]l incombe toujours au ministre de démontrer qu’il existe des motifs qui justifient la détention ou le maintien de la détention » (au paragraphe 16). De même, contrairement à ce qu’elle affirme dans l’arrêt Chhina, la Cour suprême soutient, dans l’arrêt Charkaoui, que le fardeau qui incombe au ministre et les difficultés liées à la preuve augmentent avec le temps.

[129]   Dans l’arrêt Chhina, la Cour suprême ne procède pas à l’interprétation des dispositions de la LIPR relatives à la détention, ni à une analyse de l’arrêt Thanabalasingham en profondeur et ne remet pas en question l’arrêt Charkaoui. Compte tenu de ce qui précède, ces remarques de la Cour suprême dans l’arrêt Chhina ne sauraient lier notre Cour.

d)    Pertinence des décisions antérieures portant sur la détention  [Retour à la table des matières]

[130]   Les appelants soutiennent que le régime est inconstitutionnel parce que le poids collectif accordé aux décisions antérieures ordonnant la détention fait pencher la balance en faveur du maintien en détention. Détenu un jour, détenu toujours. Les appelants affirment que cette situation découle de la jurisprudence, suivant laquelle le commissaire de la SI doit fournir « des motifs clairs et convaincants » s’il décide d’aller à l’encontre des décisions antérieures ordonnant la détention (Thanabalasingham, au paragraphe 10), ainsi que de récentes observations des juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt Chhina, selon lesquelles les contrôles périodiques de la SI sont susceptibles de mener à un raisonnement « autoréférentiel » (voir aussi l’arrêt Chaudhary, aux paragraphes 85 à 88).

[131]   Si c’était là une conséquence du régime légal ou de l’arrêt Thanabalasingham, ces arguments seraient fondés. Mais ils n’ont aucun fondement, ni dans le régime légal, ni dans la jurisprudence. J’explique plus haut que rien dans la LIPR ou le Règlement n’oblige la personne détenue à produire des nouveaux éléments de preuve à chaque nouveau contrôle des motifs de détention pour obtenir de la SI une issue différente. Rien dans la LIPR, ni dans la jurisprudence, n’oblige la personne détenue à prouver que les circonstances ont changé.

[132]   Dans l’arrêt Thanabalasingham, le juge Rothstein rejette explicitement et sans équivoque l’argument selon lequel les conclusions des commissaires précédents « devaient être maintenues en l’absence de nouvelle preuve » et conclut que, « lors de chaque audience, le commissaire doit décider à nouveau si le maintien de la détention est justifié » (aux paragraphes 7 et 8). Les directives données le 1er avril 2019 par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en application de l’alinéa 159(1)h) de la LIPR, étayent cette notion et sont conformes aux lignes directrices de la Cour fédérale à l’intention de la SI, données dans la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Hamdan, 2019 CF 1129 (Hamdan) (voir Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Directives numéro 2 du président : Détention (Ottawa : Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, 1er avril 2019)).

[133]   Les commissaires de la SI sont contraints par la Loi et leur serment de tenir compte des circonstances propres à chaque personne dont la détention ou la liberté est en jeu, de façon impartiale et avec ouverture d’esprit. Chaque commissaire est tenu d’entreprendre sa propre évaluation indépendante des éléments qui militent pour et contre la détention. La juge Abella revient sur ce point dans l’arrêt Chhina, soulignant que « [l]’intégrité du processus prévu par la LIPR dépend de la tenue d’un examen complet de la légalité de la détention, y compris de sa conformité avec la Charte, lors de chaque contrôle des motifs de la détention » (au paragraphe 127). La jurisprudence de la Cour fédérale a auguré les motifs de la juge Abella, dissidente, que les juges majoritaires n’ont pas contredits à cet égard (voir, par exemple, Sahin, aux pages 228 à 230; Thanabalasingham, au paragraphe 14).

[134]   L’arrêt Thanabalasingham ne crée aucune règle spéciale concernant les contrôles menés par la SI. L’obligation de fournir des motifs lorsqu’un commissaire va à l’encontre d’une décision antérieure est motivée par l’exigence bien comprise, essentielle à l’intégrité du processus décisionnel administratif et judiciaire, selon laquelle la SI est tenue d’expliquer, en cas de changement important des circonstances ou d’une réévaluation de la crédibilité, ce qui a changé et pour quelle raison la décision antérieure n’est plus pertinente. Cette obligation favorise les valeurs que sont la transparence, la justification et l’uniformité. Comme la Cour suprême l’explique dans l’arrêt Vavilov, le but premier des motifs est d’établir la justification de la décision et la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel (au paragraphe 81). Afin d’encourager « l’uniformité générale » des décisions, lorsqu’un décideur s’écarte de ses propres décisions antérieures, « c’est sur ses épaules que repose le fardeau d’expliquer cet écart dans ses motifs » (aux paragraphes 129 à 131). Qui plus est, les motifs constituent le principal mécanisme permettant aux parties touchées et aux cours de révision de comprendre le fondement d’une décision (au paragraphe 81; voir également Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Berisha, 2012 CF 1100, [2014] 1 R.C.F. 574, au paragraphe 52).

[135]   Signalons, entre parenthèses, que le rôle des motifs lorsqu’un décideur choisit de s’écarter d’une décision antérieure n’est pas différent dans le cas d’une demande d’habeas corpus. L’obligation de fournir des motifs clairs et convaincants ne change pas selon la tribune. Comme le fait observer le professeur Paul Daly dans ses commentaires à propos de l’arrêt Chhina, si sa demande d’habeas corpus est rejetée, un détenu peut présenter une nouvelle demande, puis une autre par la suite. La cour supérieure provinciale qui entend la demande d’habeas corpus sera aux prises avec les mêmes difficultés que la SI pour justifier sa décision; le même risque de raisonnement autoréférentiel demeure, dans un cas comme dans l’autre. C’est en partie pour cette raison que la solution au problème avancée dans l’arrêt Chhina a été critiquée (voir, par exemple, Paul Daly, « To Have the Point : Canada (Public Safety and Emergency Preparedness) v. Chhina, 2019 SCC 29 » (5 juin 2019), en ligne (blogue), Administrative Law Matters <http ://www.administrativelawmatters.com/blog/2019/06/05/to-have-the-point-canada-public-safety-and-emergency-preparedness-v-chhina-2019-scc-29>). Comme le dit le professeur Daly, la solution au raisonnement autoréférentiel est, non pas d’offrir aux détenus une procédure différente pour le contrôle de la légalité de la détention, mais plutôt, comme le souligne la juge Abella dans ses motifs dissidents dans l’arrêt Chhina, de veiller à ce que, à chaque contrôle des motifs de détention, les droits des détenus demeurent à l’avant-plan.

e)    Équité procédurale  [Retour à la table des matières]

[136]   La décision qui touche les droits, les privilèges ou les intérêts d’une personne suffit pour entraîner l’application de l’obligation d’équité (voir, par exemple, Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653, 1985 CanLII 23; Baker, au paragraphe 20). Plus l’incidence de la décision sur la vie de l’intéressé est grande, plus les garanties procédurales doivent être importantes afin que soient respectées l’obligation d’équité en common law et les exigences de la justice fondamentale consacrées par l’article 7 de la Charte (Charkaoui, au paragraphe 25, citant Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 118). À tout le moins, l’obligation d’équité exige que l’intéressé connaisse la preuve produite contre lui et puisse avoir l’occasion d’y répondre. Les droits procéduraux conférés au titre de l’article 7 de la Charte offrent aux détenus la même protection (Charkaoui, aux paragraphes 28, 29 et 53).

[137]   Bien que la teneur de l’obligation d’équité varie selon le contexte dans lequel elle est appliquée, « les tribunaux devront être plus vigilants » en ce qui concerne les instances dont les enjeux sont analogues à ceux des instances criminelles (Charkaoui, au paragraphe 25, citant Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, à la page 1077, 1993 CanLII 128). C’est le cas en l’espèce, parce que la liberté de l’intéressé est en jeu.

[138]   Les organismes administratifs sont maîtres de leur propre procédure, mais ils doivent néanmoins respecter l’équité procédurale. L’obligation d’équité procédurale ne peut être écartée que par les termes exprès de la loi ou par déduction nécessaire (Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781, au paragraphe 22; Kane c. Cons. d’administration de l’U.C.B., [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1113, 1980 CanLII 10). Rien dans le libellé du régime de détention aux fins de l’immigration de la LIPR n’écarte l’obligation d’équité procédurale. L’obligation d’équité procédurale imposée en common law vient suppléer aux règles concernant la communication de la preuve pour le contrôle des motifs de détention.

[139]   Les Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002-229 prévoient à l’article 26 que les documents que les parties entendent invoquer doivent être déposés à l’avance :

Communication de documents par une partie

26 Pour utiliser un document à l’audience, la partie en transmet une copie à l’autre partie et à la Section. Les copies doivent être reçues :

a) dans le cas du contrôle des quarante-huit heures ou du contrôle des sept jours, ou d’une enquête tenue au moment d’un tel contrôle, le plus tôt possible;

b) dans les autres cas, au moins cinq jours avant l’audience.

[140]   Les intervenants affirment que la communication des documents aux détenus n’est pas suffisante et opportune, de sorte qu’ils ne sont pas en mesure de connaître la preuve produite contre eux et d’y répondre. Ils soutiennent que les Règles de la Section de l’immigration ne satisfont pas aux normes d’équité, parce qu’elles exigent uniquement la communication des documents sur lesquels le ministre entend s’appuyer, à l’instar des directives stratégiques pertinentes. Ils mentionnent également des éléments démontrant que la communication est souvent faite tardivement et ne permet pas à l’avocat de bien représenter les intérêts du détenu.

[141]   L’existence d’une exigence légale en matière de communication ne permet pas de déterminer si l’équité procédurale a été respectée. La Cour doit vérifier. La Cour fédérale fait remarquer que M. Brown a soulevé « des préoccupations légitimes au sujet de la qualité et des délais relatifs à la communication avant audience » (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 127). Je conviens que ces préoccupations sont étayées par la preuve. M. Singh, un agent d’audience de l’ASFC, reconnaît que, malgré l’obligation à cet égard « [traduction] […] il arrive parfois qu[e la communication] ne soit pas faite à l’avance » (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 110).

[142]   La nécessité pour les détenus de connaître la preuve produite contre eux crée une obligation de communication. Pour être significative, l’obligation de communication ne peut se limiter aux renseignements sur lesquels le ministre entend s’appuyer. Tous les renseignements pertinents doivent être communiqués, y compris ceux qui ne favorisent que le détenu, dont les renseignements concernant les motifs de détention, les renseignements concernant les critères énoncés à l’article 248, l’existence d’un lien avec un objectif d’immigration ainsi que les critères qui permettent de déterminer si la détention est justifiée et conforme à la Charte et aux principes du droit administratif. Même si l’obligation de communication vise nécessairement les renseignements qui sont utiles au détenu, elle n’est pas illimitée; elle est toujours nuancée par la nécessité que les renseignements aient un lien avec les circonstances propres au détenu.

[143]   L’article 26 des Règles de la Section de l’immigration, même s’il est respecté, ne répond pas entièrement aux exigences minimales de l’obligation d’équité prévue en common law. L’obligation de déposer les éléments de preuve ne s’applique que lorsque les renseignements fournis sont contestés par l’autre partie (Canada, Citoyenneté et Immigration Canada, Guide opérationnel : Exécution de la loi (ENF), chapitre ENF 3 « Enquêtes et contrôle de la détention » (ENF 3), Ottawa, 29 avril 2015, à la page 35).

[144]   Le guide ENF 3 indique que, « [s]i l’agent d’audience recommande le maintien en détention, il doit produire tous les éléments de preuve à la Section de l’immigration qui pourront être utiles à l’appui de sa recommandation » (à la page 40). L’équité procédurale exige plus que cela; elle exige que tous les éléments de preuve concernant les critères énoncés à l’article 248 soient communiqués à l’avance au détenu, que le ministre entende ou non s’appuyer sur ces éléments pour justifier le maintien en détention.

[145]   La légalité d’une ordonnance de détention préalable au renvoi est subordonnée à la conclusion, tirée à la lumière des éléments de preuve, que le renvoi demeure possible. Pour cette raison, la communication des éléments de preuve sur la probabilité du renvoi est également essentielle à la légalité d’une ordonnance de détention. La SI doit donc évaluer les efforts du ministre en vue du renvoi et les raisons du retard à chacune des audiences de contrôle. Les détenus ont le droit de connaître la preuve que le ministre entend invoquer au soutien de son argument selon lequel le renvoi demeure possible. Sous réserve de la preuve visée par des privilèges d’intérêt public reconnus à l’article 38.01 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, les éléments de preuve pertinents concernant les communications avec le pays d’accueil doivent être communiqués avant l’audience. Compte tenu de l’obligation imposée par l’article 248 du Règlement, il serait exceptionnel qu’un commissaire exerce à bon droit le pouvoir discrétionnaire lui permettant d’ordonner le maintien en détention sans ces éléments de preuve.

[146]   L’obligation qu’a le ministre, sous le régime de la common law, de communiquer — sous réserve de privilèges d’intérêt public — tous les documents pertinents est également conforme aux obligations du Canada en droit international. Le guide sur la détention du HautCommissariat des Nations Unies pour les réfugiés souligne que les détenus ont droit à des « garanties procédurales minimales », lesquelles prévoient entre autres que le conseil juridique des personnes détenues à des fins d’immigration doit « avoir accès […] aux dossiers les concernant » (HautCommissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Principes directeurs relatifs aux critères et aux normes applicables à la détention des demandeurs d’asile et alternatives à la détention, 2012, alinéa 47(ii)). Les principes de base et lignes directrices des Nations Unies sur le droit de quiconque est privé de liberté d’ester en justice (Nations Unies, Principes de base et lignes directrices des Nations Unies sur les voies et procédures permettant aux personnes privées de liberté d’introduire un recours devant un tribunal, 4 Mai 2015, WGAD/CRP.1/2015 (Principes de base et lignes directrices de l’ONU)), exigent que la personne détenue soit informée des renseignements qui pourraient l’aider, et que ces derniers soient communiqués à cette dernière « sans délai […] de façon à pouvoir disposer de suffisamment de temps pour préparer le recours » (Principes de base et lignes directrices de l’ONU, Ligne directrice 5, page 16, et Ligne directrice 13, page 20). La common law exige les mêmes protections.

[147]   Les intervenants soutiennent que la récente décision de la Cour fédérale, Allen c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 486 (Allen), démontre la pénurie de protections procédurales. La Cour fédérale arrive à la conclusion que l’obligation d’équité n’exige pas la communication de la correspondance de l’ASFC avec les autorités jamaïcaines, et ce même si le détenu en avait expressément fait la demande. La décision de la Cour fédérale est fondée en partie sur le manque de coopération de la part du détenu (Allen, au paragraphe 62).

[148]   La coopération d’un détenu constitue un facteur important lorsqu’il s’agit pour la SI de déterminer les solutions de rechange à la détention ainsi que la cause du retard dans l’exécution de la mesure de renvoi et de décider si les efforts du ministre à cet égard sont raisonnables. Toutefois, le manque de coopération ne joue pas lorsqu’il faut déterminer la teneur des protections procédurales que l’obligation d’équité accorde au détenu. Dans la mesure où la décision Allen veut que le manque de coopération atténue les obligations du ministre en matière de communication, il faudrait s’en écarter.

[149]   L’exercice légitime du pouvoir d’ordonner la détention nécessite un fondement de preuve suffisant, y compris tous les éléments de preuve pertinents concernant les critères énoncés à l’article 248. En cas de communication inadéquate, le contrôle judiciaire peut être demandé, par voie d’instruction accélérée, et des mesures provisoires peuvent être prises pour ordonner la communication (voir l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales). Fait important, une décision de détention peut être invalidée s’il est établi que des documents importants n’ont pas été communiqués en temps opportun, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale.

VI.       Encadrement judiciaire  [Retour à la table des matières]

[150]   Comme je le signale, la conclusion des juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt Chhina, selon laquelle le recours à l’habeas corpus devrait être autorisé, ne découle pas d’une conclusion concernant la validité constitutionnelle de la LIPR. La Cour suprême était appelée à déterminer si l’habeas corpus constituait une solution de rechange aux contrôles des motifs de détention et au contrôle judiciaire. Par contre, la présente affaire porte sur la constitutionnalité du régime qui encadre la détention et le contrôle des motifs de détention par la SI. Néanmoins, compte tenu de l’importance de l’encadrement judiciaire dans l’intégrité juridique des décisions de la SI, et compte tenu des observations reçues des parties à la suite de l’arrêt Chhina quand la présente décision était en délibéré, certaines observations sont de mise.

[151]   Premièrement, sur le plan de la procédure ou du fond, le contrôle judiciaire offre un recours qui tient entièrement compte de la gravité des questions à trancher. Abordons d’abord les considérations de fond.

[152]   Dans l’arrêt Chhina, les juges majoritaires de la Cour suprême concluent que la SI « ne procède pas à neuf chaque fois qu’elle fait un examen périodique des motifs de la détention » et qu’« ainsi, la portée du contrôle devant les Cours fédérales est comparativement plus étroite que celle du contrôle par voie d’habeas corpus » (au paragraphe 64).

[153]   Au contraire, la SI doit examiner l’ensemble de l’historique de détention du détenu. Le Règlement lui-même n’exige rien de moins. Trois des cinq critères énoncés à l’article 248 exigent que la SI tienne compte de la durée de la détention, ce qui l’oblige à examiner l’ensemble de l’historique. Ce dernier élément fait nécessairement partie des éléments de preuve dont dispose la SI, et dont disposera la Cour fédérale.

[154]   La SI et la Cour fédérale ne sauraient examiner la légitimité de la détention sans tenir compte de l’ensemble de l’historique de détention. Chaque contrôle des motifs de détention, effectué tous les 30 jours, exige un examen de la détention dans son ensemble. En fait, un examen sommaire des décisions de la SI et de la Cour fédérale montre que c’est le cas (voir, par exemple, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Li, 2009 CAF 85, [2010] 2 R.C.F. 433, aux paragraphes 66 et 67; Hamdan, aux paragraphes 29 et 30; Canada (Sécurité Publique et Protection Civile) c. Arook, 2019 CF 1130; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Taino, 2020 CF 427; et les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 306 à 309 et 317).

[155]   Lorsque la loi prescrit une série de facteurs à considérer et prévoit la mise en liberté d’office, s’écarter des décisions antérieures équivaut à une décision illégale (Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203). Le choix des décisions légales que peut prendre le commissaire de la SI qui procède au contrôle des motifs de détention est restreint par l’article 58 de la LIPR et l’article 248 du Règlement. Si une ordonnance de détention ne respecte pas la législation, elle sera annulée. Par exemple, si le commissaire de la SI fait fi de la probabilité du renvoi, des critères pertinents énoncés notamment à l’article 248 ou des solutions de rechange à la détention, la décision sera annulée. La mise en liberté est prononcée, à moins qu’il ne soit sursis à l’ordonnance de la Cour fédérale.

[156]   Deuxièmement, l’assertion présentée à notre Cour, et à la Cour suprême dans l’affaire Chhina, selon laquelle les contrôles judiciaires sont invariablement théoriques, n’est pas étayée par la preuve.

[157]   Les éléments de preuve montrent une image différente. Comme le souligne la juge Abella dans l’arrêt Chhina, il a fallu une semaine de moins à la Cour fédérale pour instruire et trancher la demande de contrôle judiciaire de M. Chhina que l’instruction de sa demande d’habeas corpus (au paragraphe 119). Comme nous le mentionnons plus haut, un examen sommaire de la jurisprudence de la Cour fédérale portant sur les contrôles des motifs de détention révèle que les demandes de contrôle judiciaire sont souvent traitées par la Cour fédérale par voie d’instruction accélérée (voir, par exemple, Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shen, 2020 CF 405; Hamdan; Arook et Taino).

[158]   Je suis d’accord avec mon collègue, le juge Stratas, qui souligne récemment que les « conjectures sur la souplesse procédurale des Cours fédérales, leur capacité d’innovation et l’efficacité des réparations qu’elles sont habilitées à rendre » constatées dans les arrêts Chhina et R. c. Bird, 2019 CSC 7, [2019] 1 R.C.S. 409, aux paragraphes 57 à 61, sont « erronées ou non étayées » (Teksavvy Solutions Inc. c. Bell Média Inc., 2020 CAF 108, au paragraphe 22).

[159]   Pour les demandes urgentes, la Cour fédérale est accessible 24 heures par jour, 365 jours par année, d’un océan à l’autre, et ce dans les deux langues officielles. Des ordonnances de sursis provisoires sont fréquemment rendues (Loi sur les Cours fédérales, article 18.2). Les délais sont régulièrement abrégés (voir, par exemple, MPSEP v. Mustafa Abdi Faarah ((IMM-1347-19 [le juge Boswell, ordonnance en date du 26 février 2019 (C.F.)]); MPSEP v. Martin Sevic (IMM-1375-20 [le juge Fothergill, ordonnance en date du 26 février 2020 (C.F.)]); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Ahmed, 2019 CF 1006; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Baniashkar, 2019 CF 729; Hamdan et Arook). Les dates d’audience sont régulièrement devancées. Les audiences peuvent être tenues par téléconférence, ou en personne, dans les locaux des Cours fédérales partout au Canada. Les affaires sont entendues et tranchées aussi rapidement que l’exigent les parties ou les circonstances (voir, par exemple, MPSEP v. Afshin Ighani Maleki, IMM-2466-20 [le juge Zinn, ordonnance en date du 2 juin 2020 (C.F.)]; MPSEP v. Dawei Shen, IMM-1626-20 [la juge Elliott, ordonnance en date du 19 mars 2020 (C.F.)]). Les juges de la Cour fédérale saisis du contrôle judiciaire de décisions ordonnant le maintien en détention comprennent que le droit à la liberté est en jeu. Les mesures de réparation peuvent être novatrices et créatives (voir, par exemple, Première Nation Denesuline de Fond du Lac c. Mercredi, 2020 CAF 59, au paragraphe 5; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. LeBon, 2013 CAF 55; D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95). En outre, il existe un comité de liaison permanent formé de représentants de la Cour fédérale et des avocats spécialisés en immigration, ce qui n’est pas le cas de nombreuses cours supérieures. Ce comité, tout comme le sous-comité sur la détention aux fins de l’immigration, sert de mécanisme pour traiter toute préoccupation liée au règlement efficace et rapide des instances en immigration.

[160]   Quoi qu’il en soit, la possibilité qu’une décision de la SI soit théorique importe peu. Dans les faits, une décision théorique peut être soumise au contrôle lorsqu’elle échapperait autrement au contrôle judiciaire (Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 195, au paragraphe 14).

[161]   En conclusion, le contrôle judiciaire, comme la demande d’habeas corpus, permet de vérifier la légalité d’une décision de maintien en détention à la lumière de la Charte et des principes de la common law. Or, il présente beaucoup d’autres utilités. Il permet de vérifier le raisonnement, sa transparence et son intégrité. Il permet d’examiner le traitement des facteurs discrétionnaires et de veiller à ce qu’ils aient bien été pris en compte. Il soumet les motifs de décision à un examen indépendant, afin de déterminer s’ils résistent à l’analyse, autant du point de vue de la Charte que du point de vue du droit administratif. Pour citer la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui, le contrôle judiciaire offre un recours « vigoureux » (au paragraphe 123).

VII.      Conclusion  [Retour à la table des matières]

[162]   La Cour fédérale a certifié la question suivante :

La Charte [… ] impose-t-elle une obligation selon laquelle une détention dans le contexte de l’immigration ne doit pas dépasser une période de temps prescrite , sans quoi la détention est présumée inconstitutionnelle, ou une période de temps maximale , sans quoi la mise en liberté est obligatoire?

[163]   Je répondrais à la question par la négative et je rejetterais l’appel. Conformément aux demandes des parties, je ne rendrais pas d’ordonnance quant aux dépens.

La Juge Gauthier, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le Juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.

 



[1]Aux termes de l’article 26, pour utiliser un document à l’audience, la partie en transmet une copie à l’autre partie et à la SI.

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