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T-1465-19

2020 CF 725

Médicaments novateurs Canada, Corporation AbbVie, Amgen Canada Inc., Astellas Pharma Canada, Inc., AstraZeneca Canada Inc., Société Bristol-Myers Squibb Canada Co., Eli Lilly Canada Inc., Hoffmann-La Roche Limitée, Ipsen Biopharmaceuticals Canada, Inc., Leo Pharma Canada Inc., Lundbeck Canada Inc., Novartis Pharmaceuticals Canada Inc., Novo Nordisk Canada Inc., Otsuka Canada Pharmaceuticals Inc., Pfizer Canada ULC, Sanofi-Aventis Canada Inc., et Takeda Canada Inc. (demanderesses)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

et

Canadian Organization for Rare Disorders (intervenante)

Répertorié : Médicaments novateurs Canada c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Manson—Vancouver et Toronto par vidéoconférence, 1er et 2 juin; Ottawa, 29 juin 2020.

Brevets — Règlement sur les médicaments brevetés — Contrôle judiciaire de la décision du gouverneur en conseil de promulguer des modifications apportées au Règlement — Les demanderesses ont sollicité une déclaration selon laquelle certaines dispositions du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (facteurs additionnels et exigences supplémentaires relatives à la fourniture de renseignements) (les modifications) sont invalides parce qu’elles outrepassent la Loi sur les brevets — Elles contestent les modifications, soit l’art. 4 (qui introduit de nouveaux facteurs économiques obligatoires), l’art. 6 (qui remplace la liste des pays qui figure à l’annexe du Règlement et qui est utilisée pour comparer les prix des médicaments brevetés), l’art. 3(4) (qui exige que les brevetés modifient la façon dont ils calculent les prix) — Il s’agissait de savoir si les modifications contestées outrepassent la Loi sur les brevets — Les nouveaux facteurs obligatoires et les exigences connexes en matière de rapports relèvent du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil — Les demanderesses ont mal interprété la pertinence de la valeur pharmacoéconomique pour une détermination du caractère excessif des prix — Le Conseil doit tenir compte de la valeur ainsi que de tous les autres facteurs obligatoires — Les nouveaux facteurs obligatoires complètent les facteurs qui étaient déjà prévus — Les titulaires de brevets de médicaments n’ont aucun pouvoir discrétionnaire illimité en matière d’établissement des prix — La prévention de la vente de médicaments brevetés à des prix excessifs se rattache à la compétence fédérale — Le régime des médicaments brevetés autorise le Conseil à surveiller et à contester la capacité d’un breveté à fixer des prix — Le gouverneur en conseil et le Conseil sont des entités différentes ayant des rôles et des pouvoirs distincts aux termes du régime des médicaments breveté — Le libellé de l’art. 101(1)d) de la Loi sur les brevets ne limite pas le type de facteurs que le gouverneur en conseil peut définir par règlement — Le pouvoir de réglementation à cet égard n’est pas limité par les facteurs déjà prévus à l’art. 85(1) — La décision de modifier l’ensemble des pays de comparaison était raisonnable — Elle était compatible avec l’objet de la Loi sur les brevets — La liste de pays ne constitue pas une forme de contrôle des prix — Le régime des médicaments brevetés permet au Conseil de prendre des décisions concernant des prix excessifs — Toutefois, le nouveau calcul des prix a outrepassé la Loi sur les brevets — Il permettait au Conseil de tenir compte des remises offertes à des tiers dans son calcul du prix moyen des transactions pour informer les facteurs existants — Les renseignements que les brevetés fournissent au Conseil suivant l’art. 80(1)b) de la Loi sur les brevets doivent porter sur la vente de médicaments par les brevetés à des clients — La formulation modifiée de l’art. 4(4)a) du Règlement ne se limite pas aux ajustements apportés par le breveté ou le client, mais s’étend à tous les ajustements apportés par une partie — Le nouveau calcul des prix ne se limite donc pas aux ventes conclues par le breveté au prix du fabricant — Une interprétation du terme « vente » qui englobe la relation entre les brevetés et les tiers qui n’achètent pas des médicaments des brevetés irait à l’encontre du sens ordinaire du terme — Le nouveau calcul des prix est incompatible avec l’art. 4(1)f)(i) du Règlement — Les remises et les rabais accordés par les brevetés à de tiers assureurs ne sont pas liés au « prix » auquel les médicaments brevetés sont « vendu[s] » — Le nouveau calcul des prix est incompatible avec la loi habilitante — Le gouverneur en conseil a dépassé la portée de son pouvoir de réglementation sous le régime de la Loi sur les brevets pour tenter de faire avancer cet objectif — Demande accueillie en partie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du gouverneur en conseil de promulguer des modifications apportées au Règlement sur les médicaments brevetés (le Règlement). Les demanderesses ont sollicité une déclaration selon laquelle certaines dispositions du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (facteurs additionnels et exigences supplémentaires relatives à la fourniture de renseignements) (les modifications) sont invalides parce qu’elles outrepassent la Loi sur les brevets.

Les demanderesses, une association nationale de sociétés de recherche pharmaceutique et plusieurs sociétés pharmaceutiques innovatrices du Canada, ont contesté le recours au Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil) comme mécanisme de réduction des prix des médicaments brevetés au Canada, contestant trois aspects des modifications. Les modifications contestées en cause étaient les suivantes : 1) l’article 4 des modifications, qui introduit le nouvel article 4.4 du Règlement et qui exige que le Conseil examine trois nouveaux facteurs économiques obligatoires en vertu de l’alinéa 85(1)e) de la Loi sur les brevets, ainsi que les nouveaux articles 4.1, 4.2 et 4.3 du Règlement, qui exigent que les brevetés déclarent des renseignements connexes (les nouveaux facteurs obligatoires); 2) l’article 6 et l’annexe des modifications, qui remplacent la liste des pays qui figure à l’annexe du Règlement et qui est utilisée pour comparer les prix des médicaments brevetés; et 3) le paragraphe 3(4) des modifications, qui modifie les alinéas 4(4)a) et b) du Règlement, et qui exige que les brevetés modifient la façon dont ils calculent le prix de leurs médicaments brevetés (le nouveau calcul des prix). Les modifications ont mis à jour le cadre réglementaire du Conseil afin d’inclure de nouveaux facteurs de réglementation du prix et des dispositions sur la production de rapports faisant état de renseignements sur les titulaires de brevets pour protéger les consommateurs canadiens contre les prix excessifs. Les nouveaux facteurs obligatoires (la valeur pharmacoéconomique du médicament; la taille du marché de ce médicament au Canada; le produit intérieur brut (PIB) du Canada et le PIB par habitant au Canada) et les dispositions connexes sur la production de rapports visent à permettre au Conseil d’évaluer l’incidence économique du prix d’un médicament breveté sur les assureurs et les consommateurs individuels. L’annexe des pays a été mise à jour afin de mieux l’harmoniser avec le mandat du Conseil relatif à la protection des consommateurs, ainsi qu’avec l’engagement du gouvernement fédéral consistant à améliorer l’abordabilité des médicaments sur ordonnance au Canada. Les demanderesses ont présenté des arguments visant à la fois la portée du mandat du gouverneur en conseil et l’objet de la Loi sur les brevets. Elles ont fait valoir notamment que, dans leur ensemble, les modifications contestées ne sont pas liées à l’objet de la Loi sur les brevets; que les nouveaux facteurs obligatoires sont incompatibles avec l’objet de la Loi sur les brevets et ont été promulgués par le gouverneur en conseil, qui outrepasse ainsi la portée de son mandat en vertu des articles 85 et 101 de la Loi sur les brevets; que le choix de la nouvelle liste des pays visait à introduire des mesures de contrôle des prix dans la Loi sur les brevets; et que le gouverneur en conseil a outrepassé la portée de son pouvoir de réglementation en adoptant le nouveau calcul des prix. Les demanderesses, en appliquant la règle ejusdem generis, ont fait valoir qu’« à l’alinéa 85(1)e), le législateur accorde au gouverneur en conseil une compétence limitée pour ajouter de nouveaux facteurs obligatoires ». En ce qui concerne le nouveau calcul des prix, les demanderesses ont fait valoir notamment que, dans l’affaire Pfizer Canada Inc. c. Canada (Procureur général) (Pfizer), la Cour a conclu que la compétence du Conseil se limite à la « vente » de médicaments par les brevetés, et que le régime des facteurs relatifs aux prix excessifs prévu à l’article 85 établit une distinction entre le prix des médicaments et leurs coûts de fabrication et de commercialisation. Les demanderesses ont soutenu que les paiements d’inscription constituent un coût d’accès au marché et ne devraient pas être considérés comme faisant partie du « prix » auquel un médicament a été vendu, visé au paragraphe 85(1) et à l’alinéa 80(1)b).

Il s’agissait de savoir si les modifications contestées outrepassent le pouvoir de réglementation conféré par la Loi sur les brevets.

Jugement : la demande doit être accueillie en partie.

Les nouveaux facteurs obligatoires et les exigences connexes en matière de rapports relèvent du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil conféré par l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur les brevets. Les demanderesses ont mal interprété la pertinence de la valeur pharmacoéconomique pour une détermination du caractère excessif des prix. L’évaluation de la valeur pharmacoéconomique est un exercice objectif qui utilise une mesure normalisée des effets bénéfiques. Cet exercice pourrait justifier des prix plus élevés pour les médicaments brevetés qui offrent une valeur pharmacoéconomique. Le Conseil doit tenir compte de la valeur pharmacoéconomique, ainsi que de tous les autres facteurs obligatoires; aucun des facteurs n’est pris en compte de façon isolée. Autrement, toutes les décisions du Conseil seraient susceptibles de contrôle au motif qu’elles sont déraisonnables pour omission de tenir compte de tous les facteurs obligatoires. Les trois nouveaux facteurs obligatoires complètent les quatre facteurs que prévoyait déjà le paragraphe 85(1) de la Loi sur les brevets. Le poids accordé à un facteur donné par le Conseil dépendra des faits propres à chaque affaire. Les titulaires de brevets de médicaments n’ont aucun pouvoir discrétionnaire illimité en matière d’établissement des prix. Ils doivent se conformer au régime des prix excessifs du législateur, tel qu’il est prévu dans le régime des médicaments brevetés et mis en œuvre par le Conseil. La prévention de la vente de médicaments brevetés à des prix excessifs se rattache à la compétence fédérale en matière de brevets en vertu du paragraphe 91(22) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le régime des médicaments brevetés, validement adopté en vertu de la compétence fédérale en matière de brevets, conférée par la Constitution, autorise expressément le Conseil à surveiller et, au besoin, à contester la capacité d’un breveté à fixer des prix en fonction de ce que le Conseil estime excessif, et autorise expressément le gouverneur en conseil à prendre des règlements dont le Conseil doit tenir compte pour prendre sa décision. Le libellé et la structure de la Loi sur les brevets ne permettent pas de conclure que le gouverneur en conseil a dépassé la portée de son pouvoir de réglementation en promulguant les nouveaux facteurs obligatoires. La question en litige portait sur la portée du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil, comme prévu à l’article 101 de la Loi sur les brevets. La décision faisant l’objet du présent contrôle est celle du gouverneur en conseil, et non pas celle du Conseil. Il s’agit d’entités différentes ayant des rôles et des pouvoirs distincts aux termes du régime des médicaments brevetés. À première vue, le libellé de l’alinéa 101(1)d) ne limite pas le type de facteurs que le gouverneur en conseil peut définir par règlement, à condition qu’il s’agisse de facteurs « d’application des paragraphes 85(1) ou (2) ». L’alinéa 85(1)e) n’est pas la disposition habilitante en cause. Les demanderesses ont mal interprété le régime législatif en tentant d’utiliser la règle ejusdem generis pour limiter l’ajout de nouveaux facteurs aux facteurs initiaux établis par le législateur à l’époque de la rédaction de la Loi sur les brevets. Le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil de définir les facteurs d’application du paragraphe 85(1) est conféré par l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur les brevets, et n’est pas limité par les facteurs prévus au paragraphe 85(1). L’énoncé « d’application des paragraphes 85(1) ou (2) » figurant à l’alinéa 101(1)d) signifie qu’il faut définir d’autres facteurs obligatoires et facultatifs dont le Conseil doit tenir compte lorsqu’il détermine si un médicament breveté a été vendu à un prix excessif.

La décision du gouverneur en conseil de modifier l’ensemble des pays de comparaison était raisonnable. L’objet de la sélection de la nouvelle liste de pays était compatible avec l’objet de la Loi sur les brevets. La liste de pays ne constitue pas en soi une forme de contrôle des prix. L’annexe exige simplement que les brevetés présentent des renseignements sur les prix dans les 11 pays énumérés, si ceux-ci sont disponibles. Le personnel du Conseil utilise ces renseignements sur les prix pour déterminer les prix qui semblent excessifs selon ses lignes directrices, et le Conseil ne peut ordonner des réductions de prix que si, après la tenue d’audiences, il détermine que le prix d’un médicament breveté est excessif, compte tenu de tous les facteurs prévus au paragraphe 85(1). Le régime des médicaments brevetés permet au Conseil de prendre des décisions concernant des prix excessifs, compte tenu de facteurs particuliers.

Le nouveau calcul des prix a outrepassé le pouvoir de réglementation conféré par la Loi sur les brevets. Le nouveau calcul des prix visait à obliger les brevetés à déclarer des renseignements sur les prix, sans les remises et les rabais offerts aux parties qui figurent en aval de la chaîne d’approvisionnement, comme les assureurs, afin de permettre au Conseil de tenir compte des remises offertes à des tiers dans son calcul du prix moyen des transactions pour informer les facteurs existants. Bien que la décision Pfizer ait porté principalement sur le communiqué du Conseil à l’intention des intervenants, une grande partie de l’analyse du régime législatif réalisée par la Cour demeure pertinente à l’interprétation du pouvoir de réglementation en cause en l’espèce. Tout règlement pris par le gouverneur en conseil et qui définit les renseignements ou les documents que les brevetés sont tenus de fournir au Conseil suivant l’alinéa 80(1)b) de la Loi sur les brevets doit porter sur la vente de médicaments par les brevetés à des clients. La formulation large de l’alinéa 4(4)a) du Règlement, tel que modifié par le paragraphe 3(4) des modifications, ne se limite pas aux ajustements apportés par le breveté ou le client, mais s’étend à tous les ajustements apportés par une partie. Le nouveau calcul des prix ne se limite donc pas aux ventes conclues par le breveté au prix du fabricant. Les arrêts de la Cour suprême dans Celgene Corp. c. Canada (Procureur général) et de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Sandoz Canada Inc. n’obligent pas la Cour à adopter une interprétation large du prix auquel un médicament est vendu. Dans les arrêts Celgene et Sandoz, les tribunaux ont reconnu que la compétence du Conseil est liée aux ventes conclues par les brevetés avec des clients. Étant donné que le nouveau calcul des prix a un lien direct avec l’alinéa 80(1)b) de la Loi sur les brevets, le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil se limite à définir les renseignements sur le prix auquel le breveté vend le médicament. Une interprétation du terme « vente » (ou « vendue ») qui englobe la relation entre les brevetés et les tiers qui n’achètent pas ou n’acquièrent pas le titre des médicaments des brevetés « irait [...] clairement à l’encontre du sens ordinaire du terme ». De plus, le nouveau calcul des prix est incompatible avec le sous-alinéa 4(1)f)(i) du Règlement. Exiger que les brevetés tiennent compte des transactions financières avec des tiers qui ne sont pas des clients dépasse la portée du mandat conféré par la loi au gouverneur en conseil en dissociant le calcul du prix de la vente du médicament breveté. La décision du gouverneur en conseil n’appartenait pas aux issues possibles acceptables se justifiant au regard des contraintes pertinentes et, par conséquent, si elle est raisonnable. Les remises et les rabais accordés par les brevetés à de tiers assureurs ne sont pas liés au « prix » auquel les médicaments brevetés sont « vendu[s] » au sens de l’alinéa 80(1)b) de la Loi sur les brevets. En appliquant une interprétation large et téléologique au paragraphe 3(4) des modifications et aux articles 80 et 101 de la Loi sur les brevets, le nouveau calcul des prix est incompatible avec la loi habilitante. Bien que le nouveau calcul des prix vise apparemment à protéger les consommateurs contre les médicaments brevetés à prix excessifs, le gouverneur en conseil ne peut dépasser la portée de son pouvoir de réglementation sous le régime de la Loi sur les brevets pour tenter de faire avancer cet objectif.

En conclusion, les modifications contestées prévues aux articles 4 et 6, ainsi que l’annexe des modifications, ont été jugées conformes à la Loi sur les brevets. La modification contestée prévue au paragraphe 3(4) des modifications a été jugée outrepasser le pouvoir de réglementation conféré par la Loi sur les brevets.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Décret C.P. 2019-1197.

Décret C.P. 2020-413.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(22).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 42, 65, 66, 79 à 103, 80, 83, 85, 101.

Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (facteurs additionnels et exigences supplémentaires relatives à la fourniture de renseignements), DORS/2019-298, art. 3(4), 4, 6, ann.

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.01.043(1).

Règlement sur les médicaments brevetés, DORS/94-688, art. 4.1, 4.2, 4.3, 4.4.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 317.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2, art. 1709.

Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, Annexe 1C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, signé à Marrakech, Maroc, le 15 avril 1994, 1869 R.T.N.U. 299, arts. 27, 28.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Pfizer Canada Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 719; Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024; Harvard College c. Canada (Commissaire au brevets), 2002 CSC 76, [2002] 4 R.C.S. 45; Genentech Canada Inc. (Re) (1992), 44 C.P.R. (3d) 316, 1992 CarswellNat 1661 (WL Can.) (C.E.P.M.B.); Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3; Syndicat canadien de la fonction publique c. Canada (Procureur général), 2018 CF 518; Airport Taxicab (Pearson Airport) Association v. Toronto (City) (2009), 61 M.P.L.R. (4th) 8, 2009 CanLII 25973 (C.S. Ont.); Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106; Canada (Procureur général) c. Sandoz Canada Inc., 2015 CAF 249; Johnston v. Canadian Credit Men’s Trust Association, [1932] R.C.S. 219; Banque nationale de Grèce (Canada) c. Katsikonouris, [1990] 2 R.C.S. 1029; Newfoundland (Minister of Forest Resources and Agrifoods) v. A.L. Stuckless and Sons Ltd., 2005 NLCA 11, 244 Nfld. & P.E.I.R. 298; Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., 2000 CSC 13, [2000] 1 R.C.S. 342; H.W. Liebig Co. c. Leading Investments Ltd., [1986] 1 R.C.S. 70.

DÉCISIONS CITÉES :

Sanofi Pasteur Limited c. Canada (Procureur général), 2011 CF 859; Portnov c. Canada (Affaires étrangères), 2018 CF 1248; Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada, 2008 CAF 229, [2009] 3 R.C.F. 136 Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360; West Fraser Mills Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 365; Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625; Canada (Procureur général) c. Galderma Canada Inc., 2019 CAF 196; Manitoba Society of Seniors Inc. v. Canada (Attorney General) (1991), 77 D.L.R. (4th) 485, 1991 CanLII 8289 (B.R. Man.), conf. par (1992), 96 D.L.R. (4th) 606, 1992 CanLII 8541 (C.A. Man.); ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, 1996 CanLII 11903 (C.F. 1re inst.), conf. par [1997] 1 C.F. 32 1996 CanLII 4089 (C.A.); Syncrude Canada Ltd. c. Canada (Procureur général), 2014 CF 776, conf. par 2016 CAF 160; Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533; Teva Neuroscience G.P.-S.E.N.C. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1155; Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 241; Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2019 CF 734, [2019] 4 R.C.F. 418 Leo Pharma Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 306.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-22, 33e lég., 2e sess., fascicule no 1 (11 et 16 décembre 1986).

Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-22, 33e lég., 2e sess., fascicule no 16 (18 et 19 février 1987).

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 33e lég., 2e sess., vol. 1 (le 7 octobre et 20 novembre 1986).

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 34e lég., 3e sess., vol. 10 (le 17 septembre 1992).

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 33e lég., 2e sess., vol. 10 (le 7 octobre et 20 novembre 1986).

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 42e lég., 1re sess., vol. 148, no 433 (le 13 juin 2019).

Canada. Parlement. Sénat. Délibérations du Comité spécial du Sénat sur la Teneur du Projet de loi C-22, 33e lég., 2e sess., fascicule no 19 (le 7 juillet 1987).

Oxford English Dictionary« prix », « vente ».

Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, Gaz. C. 2017.I.4497.

Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/2019-298, Gaz. C. 2019.II.5946.

DEMANDE de contrôle judiciaire des demanderesses, qui ont sollicité une déclaration selon laquelle certaines dispositions du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (facteurs additionnels et exigences supplémentaires relatives à la fourniture de renseignements) sont invalides parce qu’elles outrepassent la Loi sur les brevets. Demande accueillie en partie.

ONT COMPARU :

Orestes Pasparakis et Kristin Wall pour les demanderesses.

Joseph Cheng et James Schneider pour le défendeur.

John Norman pour l’intervenante.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Norton Rose Fulbright Canada LLP, Toronto, pour les demanderesses.

La sous-procureure-générale du Canada pour le défendeur.

Gowling WLG (Canada) LLP, Ottawa, pour l’intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Manson :

I. Introduction

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre des récentes modifications apportées au Règlement sur les médicaments brevetés, DORS/94-688 (le Règlement), en vertu de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4. Les demanderesses sollicitent une déclaration selon laquelle certaines dispositions du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (facteurs additionnels et exigences supplémentaires relatives à la fourniture de renseignements), DORS/2019-298 (les modifications) sont invalides parce qu’elles outrepassent le pouvoir de réglementation conféré par la Loi sur les brevets.

[2]        Les demanderesses contestent essentiellement le recours par le gouvernement fédéral au Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil) comme mécanisme de réduction des prix des médicaments brevetés au Canada. Les demanderesses contestent trois aspects des modifications. Premièrement, les modifications définissent des facteurs additionnels dont le Conseil doit tenir compte lorsqu’il détermine si le prix d’un médicament breveté est excessif. Deuxièmement, les modifications entraînent des changements en ce qui concerne l’« ensemble » des pays de comparaison servant à établir les prix de référence. Troisièmement, les modifications exigent que les brevetés tiennent compte des remises et des rabais accordés à des tiers lorsqu’ils font rapport des prix des médicaments au Conseil (collectivement, les modifications contestées).

[3]        Les modifications devaient entrer en vigueur le 1er juillet 2020. Au début de l’audience, le défendeur a informé la Cour que l’entrée en vigueur des modifications était reportée au 1er janvier 2021 par le décret C.P. 2020-413, daté du 30 mai 2020.

II. Contexte

A.        Les parties

[4]        Les demanderesses sont Médicaments novateurs Canada (MNC), une association nationale de sociétés de recherche pharmaceutique et de sociétés pharmaceutiques innovatrices du Canada. Chaque société pharmaceutique demanderesse est membre de MNC et une brevetée assujettie aux exigences du Règlement qui sera directement touchée par les modifications contestées.

[5]        L’intervenante, la Canadian Organization for Rare Disorders (CORD), est un réseau national d’associations de patients qui représentent les Canadiens atteints de maladies rares. Par définition, les maladies rares touchent une personne sur 2 000, et les maladies ultras rares touchent moins de 20 personnes sur un million. Les patients atteints de maladies rares dépendent de médicaments novateurs pour leur traitement.

[6]        La CORD a été autorisée à intervenir pour parler de la perspective unique des patients atteints de maladies rares. La CORD adopte des positions similaires à celles des demanderesses, mais d’un point de vue différent.

B.        Historique du Conseil

[7]        Établi par le Parlement en 1987, le Conseil est un organisme quasi judiciaire qui réglemente les prix fixés par les brevetés à l’égard des médicaments brevetés au cours de la période de monopole de droit. Le mandat du Conseil comprend un type de protection du consommateur : s’assurer que les brevetés n’abusent pas de leurs droits de brevet en fixant des prix « excessifs » pour les médicaments brevetés. Le rôle du Conseil n’est pas de fixer les prix des médicaments brevetés, mais de veiller à ce que les brevetés ne vendent pas les médicaments brevetés à des prix excessifs (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 719 (Pfizer), au paragraphe 11; Sanofi Pasteur Limited c. Canada (Procureur général), 2011 CF 859 (Sanofi), au paragraphe 17).

[8]        Le Conseil a été établi pour concilier les droits de brevet étendus accordés aux titulaires de brevets visant des médicaments en vertu des modifications apportées à la Loi sur les brevets en 1987 et la nécessité d’empêcher les titulaires de brevets de fixer des prix excessifs pour ces médicaments. Les modifications de 1987 ont considérablement restreint le régime d’octroi de licences obligatoires, ont ouvert la protection par brevet aux produits pharmaceutiques et ont prolongé la durée du brevet à 20 ans à compter de la date de dépôt de la demande de brevet. Le Parlement a cherché à s’assurer que les prix des médicaments brevetés ne deviennent pas excessifs en raison de ces changements.

[9]        Au cours du processus législatif qui a mené aux modifications de 1987, l’honorable Harvie Andre, alors ministre de la Consommation et des Corporations, a déclaré que la mission du Conseil est de « [s’]assurer que les prix des médicaments non encore découverts [...] seront raisonnables » et que les modifications proposées comprenaient un « énorme mécanisme de poids et de contrepoids » pour atteindre cet objectif (Débats de la Chambre des communes, 33e lég., 2e sess., vol. 1 (les 7 octobre et 20 novembre 1986), aux pages 152 et 1373 (l’honorable Harvie Andre)).

[10]      En 1993, le Parlement a modifié davantage le régime des médicaments brevetés en abolissant le régime d’octroi de licences obligatoires afin de mieux harmoniser le régime des brevets du Canada avec les obligations découlant des traités internationaux. Les modifications apportées à la Loi sur les brevets en 1993 ont notamment renforcé les pouvoirs du Conseil de s’attaquer aux prix excessifs des médicaments brevetés vendus au Canada. Le Conseil s’est vu conférer le pouvoir de fixer les prix de lancement des médicaments brevetés, ainsi que des pouvoirs étendus pour rendre de nouveaux types d’ordonnances, y compris des ordonnances visant à rembourser les recettes excédentaires antérieures, et des ordonnances imposant des amendes ou des peines d’emprisonnement aux brevetés.

[11]      Les modifications de 1993 ont désigné le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (maintenant le ministre de la Santé) comme le ministre responsable de l’application des articles 79 à 103 de la Loi sur les brevets (le régime des médicaments brevetés). Avant 1993, ce régime relevait du ministre de la Consommation et des Corporations.

[12]      De plus, ces modifications ont mis à jour les facteurs dont le Conseil tient compte lorsqu’il détermine si un médicament a été vendu à un prix excessif au Canada, et ont conféré au gouverneur en conseil un pouvoir de réglementation explicite pour définir d’autres facteurs dont le Conseil doit tenir compte. Avant l’entrée en vigueur du règlement contesté dans la présente demande, le gouverneur en conseil n’avait jamais exercé ce pouvoir.

[13]      Dans les débats législatifs entourant les modifications de 1993, le gouvernement a de nouveau souligné le rôle du Conseil dans la protection des consommateurs canadiens contre les prix excessifs des médicaments brevetés. L’honorable Pierre Blais, alors ministre de la Consommation et des Corporations, a déclaré que les modifications apportées au régime des médicaments brevetés visaient à « garanti[r] que les Canadiens et les Canadiennes continueront à se procurer des médicaments brevetés à un prix qui soit et qui demeure raisonnable » (Débats de la Chambre des communes, 34e lég., 3e sess., vol. 10 (le 17 septembre 1992), à la page 13258 (l’honorable Pierre Blais)).

C.        Application du régime législatif

[14]      Comme je l’ai déjà mentionné, le régime des médicaments brevetés est énoncé aux articles 79 à 103 de la Loi sur les brevets.

[15]      L’article 83 de la Loi sur les brevets habilite le Conseil à rendre certaines ordonnances visant les brevetés qui vendent ou ont vendu sur un marché canadien des médicaments à un prix qu’il juge être excessif. En conséquence, le Conseil peut notamment ordonner au breveté de réduire le prix à un niveau non excessif et de verser un montant déterminé à Sa Majesté du chef du Canada.

[16]      L’article 83 accorde également aux brevetés le droit d’être entendu avant que le Conseil ne rende une ordonnance.

[17]      En pratique, les réductions de prix et le remboursement des recettes excédentaires par les brevetés résultent d’un engagement de conformité volontaire (ECV), ou d’une ordonnance rendue par le Conseil à la suite d’une audience publique et d’une décision du Conseil selon laquelle le médicament a été vendu à un prix excessif.

[18]      L’ECV est un engagement écrit par lequel le breveté s’engage à ajuster son prix afin de respecter les lignes directrices du Conseil. À la suite d’une conclusion selon laquelle le prix d’un médicament breveté semble avoir été vendu à un prix excessif, le Conseil offre aux brevetés la possibilité de présenter un ECV, conformément à ses lignes directrices.

[19]      L’article 85 de la Loi sur les brevets énonce les facteurs dont le Conseil doit tenir compte lorsqu’il détermine si le prix d’un médicament breveté est excessif conformément à l’article 83. Le paragraphe 85(1) définit les facteurs obligatoires dont le Conseil doit tenir compte, et le paragraphe 85(2) définit les facteurs additionnels dont le Conseil doit tenir compte lorsqu’il n’est pas en mesure de déterminer, en fonction seulement des facteurs obligatoires, si un médicament breveté a été vendu à un prix excessif.

[20]      Les facteurs obligatoires définis au paragraphe 85(1) exigent que le Conseil tienne compte du prix du médicament en cause par rapport au prix d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique et au prix du même médicament et de médicaments similaires à l’étranger. Cette comparaison est appelée « prix de référence ». L’annexe du Règlement dresse une liste de pays de comparaison à utiliser comme points de référence sur le plan international en matière de prix de référence. De 1988 à 2019, les pays de comparaison étaient la France, l’Allemagne, l’Italie, la Suède, la Suisse, le Royaume-Uni et les États-Unis (CEPMB7).

[21]      Le paragraphe 85(1) exige également que le Conseil tienne compte des modifications apportées à l’Indice des prix à la consommation et d’« autres facteurs précisés par les règlements d’application du présent paragraphe ». Avant 2019, aucun règlement d’application du paragraphe 85(1) n’avait été pris.

[22]      L’article 80 de la Loi sur les brevets régit les renseignements que les brevetés doivent fournir au Conseil pour lui permettre de procéder à l’examen des prix excessifs. Les brevetés dont les inventions liées à des médicaments doivent fournir au Conseil des renseignements et des documents réglementaires sur les points suivants :

Renseignements réglementaires à fournir sur les prix

80 (1) […]

a) l’identification du médicament en cause;

b) le prix de vente antérieur ou actuel du médicament sur les marchés canadien et étranger;

c) les coûts de réalisation et de mise en marché du médicament […];

d) les facteurs énumérés à l’article 85;

e) tout autre point afférent précisé par règlement.

[23]      Le paragraphe 101(1) confère au gouverneur en conseil un vaste pouvoir de réglementation. Dans le cadre de la présente instance, le gouverneur en conseil peut adopter un règlement « précis[ant] les renseignements et les documents à fournir au Conseil en application des paragraphes 80(1) ou (2) » (alinéa 101(1)a)) et « défini[ssant] les facteurs d’application des paragraphes 85(1) ou (2) » (alinéa 101(1)d)).

[24]      Le paragraphe 101(2) prévoit que les règlements visés aux alinéas 101(1)d), f), h) et i) sont pris sur recommandation du ministre de la Santé faite après consultation par celui-ci des ministres provinciaux de la Santé et des représentants des groupes de consommateurs et de l’industrie pharmaceutique qu’il juge utile de consulter.

[25]      Il convient de souligner que le Conseil, le ministre de la Santé et le gouverneur en conseil sont des entités distinctes, dont chacune a un mandat, des pouvoirs et des responsabilités différents en vertu du régime des médicaments brevetés.

D.        Événements ayant mené aux modifications

[26]      Les parties décrivent le processus de consultation et de modification différemment. Les demanderesses affirment que, après la tenue d’une réunion en janvier 2016 entre les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Santé pour discuter du financement des soins de santé, le gouvernement fédéral a élaboré un plan en vue d’utiliser le Conseil pour réduire les prix des médicaments brevetés.

[27]      Plus précisément, dans une lettre de mai 2017 adressée au ministre de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario, la ministre fédérale de la Santé a mentionné l’engagement du gouvernement à améliorer l’abordabilité, l’accessibilité et l’utilisation adéquate des médicaments sur ordonnance. Elle a fait remarquer que la réduction des prix élevés des médicaments par la modernisation du cadre réglementaire qui oriente les travaux du Conseil relève de la compétence fédérale.

[28]      Le défendeur fait remarquer que, compte tenu des prix relativement élevés des médicaments brevetés et de la recherche et du développement pharmaceutiques au Canada, qui n’ont jamais connu de résultats aussi faibles, le Conseil avait lui-même déterminé en 2014 qu’une modernisation était nécessaire. La reconnaissance par la ministre de la Santé de cette nécessité au début du processus de consultation signifiait que le gouvernement avait accepté l’appel de modernisation du Conseil.

[29]      Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR) qui accompagnait les modifications décrit comment l’industrie pharmaceutique a sensiblement changé depuis la création du Conseil, ce qui rend plus difficile pour le Conseil de remplir le mandat que lui confère la loi de déterminer et de prévenir l’établissement de prix excessifs pour les médicaments brevetés (Gazette du Canada, partie II, vol. 153, no 17, aux pages 5946 à 5996).

[30]      Plus précisément, il est indiqué dans le REIR que les brevetés se concentrent de plus en plus sur les médicaments brevetés à coût élevé n’ayant peu, voire aucun comparateur direct. Ces types de médicaments présentent un risque accru d’établissement de prix excessifs. De plus, les pays de comparaison du CEPMB7 ont été choisis en tenant compte du fait que les prix et la protection des brevets constituaient des facteurs déterminants clés de l’objectif de l’investissement en recherche et développement pharmaceutique à l’échelle mondiale. Le REIR indique que cette compréhension n’a pas été confirmée en pratique et qu’elle n’est plus considérée comme un critère approprié pour choisir les pays de comparaison. Enfin, au fil du temps, l’écart entre les prix après déduction déclarés par les brevetés au Conseil, et les prix réels et les recettes réalisées par les sociétés pharmaceutiques a augmenté. Le REIR indique que cette augmentation est attribuable à la pratique pour les fabricants de négocier des remises et des rabais confidentiels avec des tiers en échange de l’inscription de leurs produits aux formulaires publics et privés.

[31]      Le Conseil a cerné chacune de ces tendances avant que la ministre de la Santé n’entame le processus de consultation préalable aux modifications. Le Conseil a mené des consultations sur la mise à jour de ses lignes directrices visant à combattre ces tendances, et a terminé la première phase de consultation en octobre 2016. Comme il est expliqué dans le REIR, le simple fait de modifier les lignes directrices du Conseil n’a pas permis d’éliminer les restrictions sous-jacentes du Règlement, et le Conseil a choisi de ne pas apporter les modifications proposées aux lignes directrices.

[32]      Conformément au paragraphe 101(2) de la Loi sur les brevets, la ministre de la Santé a entamé un processus de consultation préalable en mai 2017, en consultant ses homologues provinciaux et territoriaux, et en mobilisant de nombreux autres intervenants, y compris des sociétés pharmaceutiques innovatrices et les sociétés pharmaceutiques fabriquant des produits génériques, des assureurs, des universitaires et des associations de patients.

[33]      La consultation et le raffinement des modifications proposées ont eu lieu de mai 2017 à août 2019. En décembre 2017, les modifications proposées et un REIR connexe ont été publiés dans la partie I de la Gazette du Canada [Gaz. C. 2017.I.4497]; cette publication a été suivie d’une période de consultation de 75 jours. Des tables rondes de consultation entre les représentants de l’industrie pharmaceutique et Santé Canada ont eu lieu en avril 2018, en octobre 2018 et en mai 2019.

III. Décision faisant l’objet du présent contrôle

[34]      Le présent contrôle porte sur la décision du gouverneur en conseil de promulguer les modifications contestées.

[35]      Sur la recommandation de la ministre de la Santé, le gouverneur en conseil a apporté les modifications par le décret C.P. 2019-1197, daté du 7 août 2019 et publié le 21 août 2019 dans la partie II de la Gazette du Canada. En vertu du décret C.P. 2020–413, daté du 30 mai 2020, les modifications entreront en vigueur le. 1er janvier 2021.

[36]      Les modifications contestées en l’espèce sont les suivantes :

i.    l’article 4 des modifications, qui introduit le nouvel article 4.4 du Règlement et qui exige que le Conseil examine trois nouveaux facteurs économiques obligatoires en vertu de l’alinéa 85(1)e) de la Loi sur les brevets, ainsi que les nouveaux articles 4.1, 4.2 et 4.3 du Règlement, qui exige que les brevetés déclarent des renseignements connexes (les nouveaux facteurs obligatoires);

ii.   l’article 6 et l’annexe des modifications, qui remplacent la liste des pays qui figure à l’annexe du Règlement et qui est utilisée pour comparer les prix des médicaments brevetés;

iii.  le paragraphe 3(4) des modifications, qui modifie les alinéas 4(4)a) et b) du Règlement, et qui exige que les brevetés modifient la façon dont ils calculent le prix de leurs médicaments brevetés (le nouveau calcul des prix).

[37]      Le libellé complet des modifications contestées est reproduit à l’annexe.

[38]      Les demanderesses ont présenté une demande en vertu de la règle 317 des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106] pour obtenir le dossier de la décision du gouverneur en conseil. Elles ont reçu le décret, alors que les autres documents dont disposait le gouverneur en conseil concernant les modifications n’ont pas été transmis, car il s’agissait de renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Cela étant dit, le REIR fournit la justification de la décision.

[39]      Le REIR identifie les éléments qui ont mené aux modifications : (1) le cadre réglementaire du Conseil n’avait pas été mis à jour de façon substantielle depuis son adoption en 1987; (2) depuis, les changements du marché avaient érodé la capacité du Conseil à remplir son mandat, car celui-ci s’appuyait sur des outils de réglementation et des renseignements désuets que les organismes d’établissement des prix d’autres pays avaient mis à jour depuis longtemps; (3) en raison de ce cadre réglementaire désuet, les prix des médicaments brevetés au Canada étaient parmi les plus élevés au monde; et (4) le Conseil avait besoin d’être modernisé.

[40]      Par conséquent, les modifications mettent à jour le cadre réglementaire du Conseil afin d’inclure de nouveaux facteurs de réglementation du prix et des dispositions sur la production de rapports faisant état de renseignements sur les titulaires de brevets pour protéger les consommateurs canadiens contre les prix excessifs.

[41]      L’article 4 des modifications ajoute trois nouveaux facteurs obligatoires dont le Conseil doit tenir compte lorsqu’il détermine si le prix d’un médicament breveté est « excessif » en application du paragraphe 85(1) de la Loi sur les brevets :

i.                         la valeur pharmacoéconomique du médicament;

ii.                       la taille du marché de ce médicament au Canada;

iii.                      le produit intérieur brut (PIB) du Canada et le PIB par habitant au Canada.

[42]      La valeur pharmacoéconomique est la mesure du coût d’un médicament par rapport à son effet bénéfique sur la santé. La valeur pharmacoéconomique d’un médicament donné peut être comparée à d’autres médicaments ou technologies de la santé, comme une chirurgie, en recourant à une mesure normalisée du bienfait. Ce facteur a été choisi pour permettre au Conseil de tenir compte du principe du coût d’option au moment de déterminer si le prix d’un médicament breveté est excessif (REIR, aux pages 5954 et 5955).

[43]      Le REIR indique expressément que l’ajout de la valeur pharmacoéconomique en tant que facteur obligatoire repose sur l’intention stratégique d’exiger que le Conseil adopte le point de vue du système de soins de santé public (REIR, à la page 5955) :

Étant donné que le marché privé des produits pharmaceutiques au Canada est une ramification du système public et qu’il ne peut fonctionner sans ce dernier, selon l’intention stratégique, le CEPMB peut adopter le point de vue du système de soins de santé public et favoriser un seuil du rapport coût-efficacité de l’offre en estimant le coût d’option.

[44]      Le REIR précise également qu’au Canada, la protection des consommateurs contre les prix excessifs de médicaments brevetés comprend nécessairement la protection des acheteurs individuels et institutionnels.

[45]      Les brevetés seront tenus de fournir au Conseil les analyses coût-utilité préparées par une organisation publique canadienne, comme l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (ACMTS) ou l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). L’ACMTS et l’INESSS sont spécialisés dans l’évaluation clinique et économique des médicaments, et leurs analyses coût-utilité contribuent à informer les décisions en matière de couverture et de remboursement des régimes d’assurance-médicaments. Les deux organismes communiquent leurs rapports aux brevetés. Cette exigence en matière de rapports ne s’applique qu’aux médicaments dont le coût annuel dépasse 50 p. 100 du PIB par habitant du Canada, et les brevetés ne sont pas tenus de préparer une analyse coût-utilité si elle n’existe pas (REIR, aux pages 5959 et 5960).

[46]      La taille du marché a été ajoutée pour s’assurer que le Conseil tienne compte des répercussions de payer les médicaments pour toutes les personnes qui en ont besoin, ainsi que pour permettre au Conseil d’évaluer de nouveau les prix des médicaments brevetés au fil du temps, à mesure que la taille de leur marché change (REIR, à la page 5956).

[47]      Les brevetés doivent fournir au Conseil l’utilisation maximale estimative du médicament breveté au Canada, en fonction de la quantité approximative du médicament à être vendue dans sa forme posologique définitive (REIR, à la page 5961).

[48]      Le PIB est considéré comme un indicateur de la richesse globale de la société, tandis que le PIB par habitant est considéré comme un indicateur de la richesse des personnes au sein de la société. Le PIB et le PIB par habitant ont été ajoutés à titre de facteurs obligatoires en vertu du paragraphe 85(1) pour servir d’indicateur approximatif de ce que l’ensemble de la population canadienne et les consommateurs individuels, respectivement, peuvent se permettre de payer pour les nouveaux médicaments brevetés qui entrent sur le marché (REIR, à la page 5956).

[49]      Dans l’ensemble, les nouveaux facteurs obligatoires et les dispositions connexes sur la production de rapports visent à permettre au Conseil d’évaluer l’incidence économique du prix d’un médicament breveté sur les assureurs et les consommateurs individuels. Grâce à ces renseignements, le Conseil sera en mesure d’élaborer des critères de sélection et des tests de la taille du marché des médicaments qui sont susceptibles de présenter des défis relatifs à l’abordabilité pour le système de soins de santé canadien dans son ensemble (REIR, à la page 5957).

[50]      L’article 6 des modifications met à jour l’annexe des pays dont les prix départ usine accessibles au public doivent être déclarés au Conseil par les brevetés. La Suisse et les États-Unis ont été retirés de la liste précédente, et l’Australie, la Belgique, le Japon, les Pays-Bas, la Norvège et l’Espagne ont été ajoutés. La France, l’Allemagne, l’Italie, la Suède et le Royaume-Uni demeurent sur la liste. La nouvelle liste des pays est appelée « CEPMB11 ».

[51]      L’annexe des pays a été mise à jour afin de mieux l’harmoniser avec le mandat du Conseil relatif à la protection des consommateurs, ainsi qu’avec l’engagement du gouvernement fédéral consistant à améliorer l’abordabilité des médicaments sur ordonnance au Canada. Trois critères ont été utilisés pour sélectionner le nouvel ensemble de pays : des mesures stratégiques qui limitent l’établissement libre des prix marchands; une situation économique comparable à celle du Canada; et des caractéristiques semblables sur le marché à celles du Canada, comme la population, la consommation et l’accès aux médicaments contenant de nouvelles substances actives (REIR, à la page 5957).

[52]      Le paragraphe 3(4) des modifications modifie la façon dont les brevetés déclarent leurs prix et leurs recettes au Conseil. Les brevetés seront tenus de déclarer le prix réel obtenu pour le médicament, compte tenu des ajustements apportés par le breveté ou toute partie qui, directement ou indirectement, achète le médicament ou en rembourse l’achat. Le prix réel obtenu doit également tenir compte de toute réduction accordée à toute partie sous forme de biens ou services gratuits, de cadeaux ou d’autres avantages semblables.

[53]      Selon les exigences en matière de rapports existantes, il suffit que les brevetés fournissent des renseignements concernant les ajustements de prix pour le premier point de vente, appelé le prix « départ usine » ou « du fabricant ». Les brevetés ne sont pas tenus de déclarer les rabais et les remises qu’ils consentent peut-être à de tiers assureurs, comme les régimes d’assurance-médicaments publics qui remboursent aux consommateurs le coût d’un médicament. Selon le REIR et le défendeur, la nouvelle exigence en matière de rapports pour déduire les ajustements comme les remises indirectes permettra au Conseil de mieux comprendre les prix réels que les brevetés facturent pour leurs médicaments.

[54]      Les modifications réduisent également les exigences en matière de rapports applicables aux médicaments brevetés à usage vétérinaire, les médicaments en vente libre brevetés et les médicaments génériques brevetés. Les demanderesses ne contestent pas cet aspect des modifications.

IV. Preuve

[55]      Les demanderesses ont déposé des affidavits provenant de quatre témoins experts et de trois témoins de fait. Le défendeur a soumis des affidavits provenant de deux témoins de fait. Aucun des témoins n’a été contre-interrogé, de sorte qu’aucun élément de preuve n’est contesté.

[56]      La preuve de faits du défendeur décrit principalement l’historique législatif du régime des médicaments brevetés et le processus de consultation qui a eu lieu au cours de la période précédant la promulgation des modifications. La preuve de faits des demanderesses décrit une partie du même historique, mais explique également en détail la façon dont les médicaments sont vendus et remboursés au Canada, ainsi que la façon dont les modifications toucheront les titulaires de brevets pharmaceutiques.

[57]      Les demanderesses ont déposé les affidavits des témoins experts suivants :

        Wayne Critchley, directeur exécutif du Conseil de 1990 à 2005 : M. Critchley a témoigné au sujet de l’origine du Conseil, ainsi que de son mandat et de ses activités réglementaires;

        Pierre-Gerlier Forest, directeur de l’École de politique publique de l’Université de Calgary : M. Forest a présenté des éléments de preuve sur le système de soins de santé du Canada, l’origine des modifications et l’incidence des modifications contestées sur le rôle du Conseil;

        Jean Lachaine, professeur à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal : M. Lachaine a fourni des éléments de preuve décrivant la pharmacoéconomie et la façon dont elle est déjà utilisée dans le système de soins de santé du Canada;

        Ian Cockburn, professeur à l’École de commerce de l’Université de Boston : M. Cockburn a exprimé son opinion sur les avantages économiques du monopole conféré par les brevets, le rôle de l’établissement des prix de référence et les conséquences des modifications contestées.

[58]      Le défendeur prétend que la preuve d’opinion d’expert des demanderesses est en grande partie non pertinente puisqu’elle porte sur l’effet présumé des modifications et la sagesse des choix stratégiques sur lesquels elles sont fondées, plutôt que sur la question de savoir si les modifications contestées sont conformes aux objectifs de la loi habilitante.

[59]      De façon générale, je suis d’accord avec le défendeur. Certains des éléments de preuve d’expert permettent de mieux comprendre le marché complexe des médicaments brevetés au Canada, mais une grande partie du contexte pertinent est également inclus dans la preuve de faits des demanderesses. Dans la mesure où la preuve d’experts se rapporte aux considérations stratégiques et aux effets potentiels des modifications sur l’industrie pharmaceutique au Canada, elle dépasse la portée de la présente demande. Comme j’examinerai plus loin, l’analyse d’une contestation de la validité ne comporte pas l’examen du bien-fondé du règlement contesté.

V. Question en litige

[60]      La question est celle de savoir si les modifications contestées outrepassent le pouvoir de réglementation conféré par la Loi sur les brevets.

VI. Norme de contrôle

[61]      Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada (la Cour suprême) étaient d’avis de « mettre fin à la reconnaissance des questions de compétence comme une catégorie distincte devant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte » (au paragraphe 65). Avant l’arrêt Vavilov, la question de savoir si le règlement avait été pris dans les limites de la portée de sa loi habilitante constituait une question de droit, qui était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Portnov c. Canada (Affaires étrangères), 2018 CF 1248, aux paragraphes 25 et 26, citant Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada, 2008 CAF 229, [2009] 3 R.C.F. 136, au paragraphe 57).

[62]      Conformément à l’arrêt Vavilov, le cadre d’analyse de la norme de contrôle repose sur la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est la norme applicable dans tous les cas. Aucune des exceptions à cette présomption ne s’applique en l’espèce et, par conséquent, la norme de contrôle applicable à l’examen de l’exercice du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil est celle de la décision raisonnable (Vavilov, aux paragraphes 23, et 66 à 68).

[63]      Pour les motifs qui suivent, je conclus que :

A.   les modifications contestées prévues aux articles 4 et 6 des modifications, ainsi que l’annexe des modifications, sont conformes à la Loi sur les brevets;

 

B.   la modification contestée prévue au paragraphe 3(4) des modifications outrepasse le pouvoir de réglementation conféré par la Loi sur les brevets.

 

VII. Analyse

[64]      Le contrôle judiciaire fondé sur la norme de la décision raisonnable n’est pas une « “simple formalité” ». Il demeure une forme rigoureuse de contrôle, adaptée au contexte (Vavilov, aux paragraphes 13 et 67). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’autorise pas les décideurs administratifs à élargir la portée de leurs pouvoirs audelà de ce que souhaitait le législateur. Lorsque l’interprétation que le décideur donne de ses pouvoirs fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, un texte législatif formulé en termes précis ou étroits aura forcément pour effet de restreindre les interprétations raisonnables que le décideur peut retenir (Vavilov, au paragraphe 68).

[65]      Dans un cas comme en l’espèce, où aucun motif officiel n’est fourni, la Cour doit examiner le dossier dans son ensemble pour comprendre la décision (Vavilov, au paragraphe 137). L’évaluation du caractère raisonnable en l’espèce doit porter sur les contraintes factuelles et juridiques pertinentes auxquelles l’exercice par le gouverneur en conseil de ses pouvoirs délégués est assujetti (Vavilov, au paragraphe 105). En cas de contestation de la validité d’un règlement, le régime législatif applicable, les principes d’interprétation législative, et d’autres principes législatifs et de common law sont particulièrement pertinents (voir Vavilov, au paragraphe 106, où on énonce une liste non exhaustive d’éléments qui sont généralement pertinents dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable).

[66]      Bien que l’arrêt Vavilov établisse un cadre d’analyse général pour l’examen approfondi des décisions administratives qui s’applique à un large éventail de décideurs, dans le contexte d’une contestation de la validité d’un règlement, d’autres précédents de la Cour suprême où des dispositions législatives conférant des pouvoirs étaient en litige conservent leur pertinence (Katz Group Canada Inc. c. Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64, [2013] 3 R.C.S. 810 (Katz), au paragraphe 24; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Green c. Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, [2017] 1 R.C.S. 360; West Fraser Mills Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 365 (West Fraser Mills)).

[67]      Dans l’arrêt Katz, la Cour suprême a décrit de façon concise l’approche appropriée à adopter pour examiner une contestation de la validité d’un règlement.

[68]      Pour commencer, le règlement bénéficie d’une présomption de validité. Cette présomption impose à celui qui conteste le règlement le fardeau de démontrer que le règlement est invalide. Cela est conforme au principe énoncé dans l’arrêt Vavilov selon lequel il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision de promulguer le règlement était déraisonnable (Vavilov, au paragraphe 100). De plus, la présomption de validité favorise une méthode d’interprétation qui concilie le règlement contesté avec sa loi habilitante (Katz, au paragraphe 25).

[69]      Pour contester avec succès la validité d’un règlement, la partie qui présente la contestation doit démontrer que le règlement est incompatible avec l’objectif de sa loi habilitante ou avec le cadre du mandat prévu par la loi. Le simple fait de démontrer que le décideur a respecté littéralement le libellé de la disposition habilitante n’est pas nécessairement suffisant pour satisfaire au critère de la conformité à la loi habilitante. Le libellé de la disposition habilitante comporte l’exigence primordiale selon laquelle le règlement doit respecter l’intention et l’objet de la loi habilitante prise dans son ensemble (Katz, au paragraphe 24).

[70]      La Cour doit donner au règlement contesté et à sa loi habilitante une interprétation téléologique large compatible avec les directives de la Cour suprême en matière d’interprétation législative (Katz, au paragraphe 26).

[71]      La contestation de la validité d’un règlement ne comporte pas l’examen du bien-fondé du règlement. Les motifs de la promulgation du règlement ne sont pas pertinents, et la Cour n’analyse pas les considérations sous-jacentes d’ordre politique, économique ou social (Katz, aux paragraphes 27 et 28).

[72]      Nonobstant la question de savoir si la Cour croit que le règlement réussira réellement à atteindre les objectifs prévus par la loi, pour que le règlement puisse être déclaré non conforme pour cause d’incompatibilité avec l’objet de la loi, la partie qui conteste celui-ci doit établir qu’il est « “sans importance” », « “non pertinent” » ou « “complètement étranger” » à l’objet de la loi (Katz, au paragraphe 28).

[73]      Compte tenu des contraintes pertinentes à l’égard du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil, les demanderesses ont présenté des arguments visant à la fois la portée du mandat du gouverneur en conseil et l’objet de la Loi sur les brevets. J’estime utile de distinguer les arguments relatifs à la « portée » des arguments relatifs à l’« objet » afin de mettre l’accent sur la nature essentielle des attaques contre chaque modification contestée.

[74]      Les demanderesses présentent quatre arguments principaux :

i.    dans leur ensemble, les modifications contestées ne sont pas liées à l’objet de la Loi sur les brevets (un argument relatif à l’objet);

ii.   les nouveaux facteurs obligatoires sont incompatibles avec l’objet de la Loi sur les brevets et ont été promulgués par le gouverneur en conseil, qui outrepasse ainsi la portée de son mandat en vertu des articles 85 et 101 de la Loi sur les brevets (arguments relatifs à l’objet et à la portée);

iii.  le choix du CEPMB11 visait à introduire des mesures de contrôle des prix dans la Loi sur les brevets, et cet objectif est incompatible avec l’objet de cette même loi (un argument relatif à l’objet);

iv.  le gouverneur en conseil a outrepassé la portée de son pouvoir de réglementation en adoptant le nouveau calcul des prix. Dans la décision Pfizer, la Cour a déjà tranché la question de savoir si le Conseil a compétence sur les renseignements de paiements faits à des tiers, et l’analyse réalisée dans cette affaire s’applique aux faits en l’espèce (un argument relatif à la portée).

[75]      Comme je le démontrerai plus loin, il convient de rejeter les arguments relatifs à l’« objet inapproprié » ainsi que l’argument relatif à la portée des nouveaux facteurs obligatoires. Cependant, les demanderesses m’ont convaincu que le nouveau calcul des prix outrepasse la portée du pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil dans le contexte du régime de la Loi sur les brevets, du régime des médicaments brevetés prévu par cette loi, et de l’intention législative qui influe sur l’approche téléologique de la modification contestée.

A.        L’objet de la loi habilitante

[76]      Le raisonnement politique qui sous-tend la Loi sur les brevets est le marché de nature synallagmatique (quid pro quo) inhérent à l’octroi d’un brevet. Ce marché encourage l’innovation en accordant à l’inventeur, pour une période déterminée, un monopole sur une invention nouvelle et utile en contrepartie de la divulgation de l’invention de façon à en faire bénéficier la société (Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625, au paragraphe 32). Deux objets centraux de la Loi sur les brevets dans son ensemble sont de « “favoriser la recherche et le développement et [d’]encourager l’activité économique en général” » (Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 42; Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), 2002 CSC 76, [2002] 4 R.C.S. 45 (Harvard College), au paragraphe 185).

[77]      Comme l’ont reconnu les demanderesses et le défendeur, le monopole accordé par les brevets n’est pas illimité, et le Parlement a parfois concilié la promotion de l’ingéniosité avec d’autres considérations (Harvard College, au paragraphe 185). Le Parlement a mis en œuvre le régime des médicaments brevetés pour s’assurer que les titulaires de brevets de médicaments n’abusent pas du monopole conféré par la Loi sur les brevets en fixant des prix excessifs pour ces médicaments (Canada (Procureur général) c. Galderma Canada Inc., 2019 CAF 196 (Galderma), au paragraphe 10).

[78]      Bien que le défendeur conteste le fait de qualifier les « prix excessifs » d’abus, soutenant que l’abus des droits de brevets est un concept distinct prévu à l’article 65 de la Loi sur les brevets, le Conseil et Santé Canada ont utilisé cette terminologie exacte pour décrire le mandat du Conseil (Genentech Canada Inc. (Re) (1992), 44 C.P.R. (3d) 316, 1992 CarswellNat 1661 (WL Can) (C.E.P.M.B.), aux pages 328 et 329; Gazette du Canada, partie I, vol. 151, no 48, à la page 4500). De plus, les tribunaux ont approuvé cette description du mandat du Conseil (Manitoba Society of Seniors Inc. v. Canada (Attorney-General) (1991), 77 D.L.R. (4th) 485, 1991 CanLII 8289 ((B.R. Man.), conf. par (1992), 96 D.L.R. (4th) 606, 1992 CanLII 8541 ( C.A. Man.); Galderma, au paragraphe 10).

[79]      La Cour suprême a décrit l’objectif du Conseil comme étant celui de protéger les consommateurs, et souligné que, lorsqu’il a créé le Conseil, le législateur avait l’intention de « pallier le “préjudice” » découlant du fait que le monopole accordé au breveté en matière de produits pharmaceutiques durant la période d’exclusivité pouvait entraîner une hausse des prix à des niveaux inacceptables » (Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3 (Celgene), au paragraphe 28, citant favorablement ICN Pharmaceuticals, Inc. c. Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, 1996 CanLII 11903 (C.F. 1re inst.), conf. par [1997] 1 C.F. 32, 1996 CanLII 4089 (C.A.)).

[80]      La Cour suprême a approuvé un exercice du mandat du Conseil qui tient compte de sa « responsabilité qui consiste à veiller à ce que le breveté n’abuse pas financièrement du monopole découlant de la délivrance d’un brevet, au détriment des patients canadiens et de leurs assureurs » (Celgene, au paragraphe 29).

[81]      Cela étant dit, je suis d’accord avec le défendeur que la jurisprudence ne laisse pas entendre que les tribunaux ont assimilé l’« abus » en raison de prix excessifs à un « abus des droits de brevets » aux termes de l’article 65 de la Loi sur les brevets. Les cas d’« abus des droits de brevets » et les pouvoirs du commissaire aux brevets dans ces cas sont décrits en détail aux articles 65 et 66 de la Loi sur les brevets. Le mandat du Conseil se limite aux « abus » spécifiques et distincts en raison de prix excessifs, et les pouvoirs conférés au Conseil se limitent à ceux qui sont prévus aux articles 79 à 103 de la Loi sur les brevets.

[82]      La Cour tient compte de l’objet de chaque section de la loi habilitante au moment de déterminer la validité d’un règlement (Syncrude Canada Ltd. c. Canada (Procureur général), 2014 CF 776, aux paragraphes 131 à 135, conf. par 2016 CAF 160). Bien que la Loi sur les brevets ne soit pas divisée en parties et sections de la même façon que la loi habilitante en cause dans la décision Syncrude, le régime des médicaments brevetés constitue en fait une division distincte de la Loi sur les brevets, avec ses propres définitions, qui s’appliquent uniquement aux médicaments brevetés. De plus, le ministre responsable du régime des médicaments brevetés est le ministre de la Santé, tandis que le ministre de l’Industrie est généralement responsable des autres aspects de la Loi sur les brevets.

[83]      L’accent devrait être mis sur l’objet du régime des médicaments brevetés dans le contexte de l’objet de la Loi sur les brevets dans son ensemble.

[84]      L’historique législatif établit que le régime des médicaments brevetés visait à trouver un juste équilibre entre les objectifs stratégiques concurrents de la Loi sur les brevets. Un équilibre a été établi entre la protection accrue conférée par un brevet aux titulaires de brevets de médicaments en 1987 et en 1993, et la protection accrue des consommateurs, visant à protéger les consommateurs canadiens contre les abus liés aux prix excessifs de médicaments brevetés, de sorte que les prix demeurent raisonnables et abordables pour les Canadiens.

[85]      Or, en établissant cet équilibre, le Parlement n’a jamais eu l’intention de permettre au Conseil de fixer les prix (Pfizer, au paragraphe 11; Sanofi, au paragraphe 17). Le Conseil n’est pas habilité à contrôler ou à réduire les prix en l’absence d’une conclusion fondée sur les facteurs énoncés dans la Loi sur les brevets selon laquelle les prix sont excessifs. À cet égard, l’honorable Harvie Andre a fait les déclarations suivantes lors des réunions du Comité législatif de 1986 qui ont précédé la création du Conseil :

     À l’échelon fédéral au Canada, nous n’avons pas le pouvoir, aux termes de la Constitution, de fixer les prix. Cependant, il est inexact, il convient de répéter, d’affirmer que nous n’avons pas de mécanisme de contrôle ferme sur les prix. Il en existe à l’échelon provincial, entre autres. En effet, les provinces achètent 60 p. 100 des médicaments; il y en a qui ont des formulaires, qui ont des lois pour forcer les pharmaciens à fournir le médicament équivalent à moindre coût. Les provinces ont la possibilité d’acheter en vrac. Il en résulte un contrôle virtuel des prix au Canada. [Non souligné dans l’original.]

(Canada. Parlement. Chambre des communes. Chambre des Communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-22, 33e lég., 2e sess., fascicule no 1 (les 11 et 16 décembre 1986), à la page 41 (l’honorable Harvie Andre).)

[86]      Le ministre Andre a également commenté la façon dont le rôle du Conseil se limite à exercer des pouvoirs à l’égard des brevetés :

     Les conseillers juridiques nous ont assuré qu’il était constitutionnellement valide ce pour les raisons suivantes. Le gouvernement fédéral, en vertu du paragraphe 91.22 de la Loi sur la Constitution, a compétence en matière de brevets, et c’est en vertu de cette compétence que le Conseil exerce ses pouvoirs à l’égard des titulaires de brevets. C’est là ce que fait le Conseil.

     Le Conseil ne fixe pas les prix; il exerce l’autorité du gouvernement fédéral en matière d’exclusivité […][Non souligné dans l’original.]

(Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-22, 33e lég., 2e sess., fascicule no 16 (les 18 et 19 février 1987), à la page 68 (l’honorable Harvie Andre).)

 

[87]      Dans les délibérations du Comité spécial du Sénat sur le projet de loi C-22 par lequel le Conseil a été créé le Conseil, M. George Redling, chef, Analyse légale, Propriété intellectuelle, ministère de la Consommation et des Corporations, a déclaré que le Conseil ne prétend pas fixer les prix et ne les fixe pas :

     […] Le Conseil ne prétend pas fixer les prix, ni les contrôler en déterminant à quel prix un médicament peut être vendu. Il essaie de s’attaquer aux abus. Il vise à contrer l’abus du monopole par le breveté, et non à fixer les prix.

(Canada. Parlement. Sénat. Délibérations du Comité spécial du Sénat sur la Teneur du Projet de loi C-22, 33e lég., 2e sess., fascicule no 19 (le 7 juillet 1987), à la page 20 (George Redling).)

[88]      Ces commentaires, qui ont été faits par des acteurs gouvernementaux avant la création du Conseil, indiquent que le Parlement n’avait pas l’intention d’autoriser le Conseil à fixer les prix des médicaments brevetés, mais plutôt que le Conseil s’attaquerait aux abus liés aux prix excessifs des médicaments brevetés.

[89]      La jurisprudence est conforme à l’historique législatif. Les décisions de la Cour suprême et de la Cour d’appel fédérale sont constantes : le régime des médicaments brevetés vise à garantir que les titulaires de brevets de médicaments n’abusent pas du monopole qui leur est accordé par leurs brevets en imposant aux consommateurs des prix excessifs. Le Conseil, créé par le Parlement dans le cadre de ce régime, a pour mandat de concilier la promotion de l’innovation avec des mesures visant à protéger les consommateurs institutionnels et individuels contre les prix excessifs des médicaments brevetés.

B.        L’objet des modifications

[90]      Bien que les demanderesses contestent trois aspects spécifiques des modifications, la Cour doit tenir compte de l’objet des modifications dans leur ensemble. Pour interpréter les modifications contestées de façon téléologique, il faut les lire dans le contexte de la Loi sur les brevets dans son ensemble afin de fournir un cadre d’analyse approprié pour déterminer leur validité dans l’esprit de la Loi sur les brevets.

[91]      Décider si le règlement contesté résulte d’un exercice raisonnable du pouvoir délégué relève essentiellement de l’interprétation législative. Il faut alors tenir compte non seulement du texte de la loi, mais aussi de son objet et de son contexte (West Fraser Mills, au paragraphe 12). La Cour doit donner au règlement contesté et à sa loi habilitante une interprétation téléologique large compatible avec les directives de la Cour suprême en matière d’interprétation législative (Katz, au paragraphe 26).

[92]      La Cour peut tenir compte du REIR accompagnant le règlement pour déterminer l’objet du règlement et son application envisagée (Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, au paragraphe 157). Le REIR énonce ainsi l’objet des modifications (REIR, à la page 5954) :

Ces modifications ont pour but de doter le CEPMB des outils de réglementation et des pouvoirs d’établir des rapports sur les renseignements dont il a besoin pour protéger de manière efficace les consommateurs canadiens contre des médicaments brevetés à un prix excessif dans le milieu réglementaire actuel.

[93]      Les demanderesses soutiennent que les modifications contestées n’ont aucun lien avec les abus des droits de brevets — l’expression n’est même pas mentionnée dans le REIR — et que, dans leur ensemble, les modifications ont pour objet principal de réaliser des économies en matière de soins de santé et d’ouvrir la voie au régime national d’assurance-médicaments. Comme je l’ai déjà mentionné, l’objet du régime des médicaments brevetés prévu par la Loi sur les brevets n’est pas de prévenir les abus des droits de brevets en général, mais de prévenir les abus liés aux prix excessifs de médicaments brevetés. L’objet des modifications tel qu’énoncé dans le REIR est conforme au mandat de protection des consommateurs du Conseil visant à prévenir les prix excessifs. Cependant, d’autres déclarations révélatrices faites par la ministre fédérale de la Santé et Santé Canada définissent un but différent qui va au-delà du contrôle des prix excessifs.

[94]      Dans une lettre datée de mai 2017 adressée au ministre de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario, la ministre fédérale de la Santé a souligné l’engagement du gouvernement fédéral à utiliser le cadre réglementaire qui oriente les travaux du Conseil en vue de réduire les prix élevés des médicaments :

[traduction] Lors de notre réunion des ministres de la Santé, tenue en janvier 2016, nous nous sommes engagés à prendre des mesures concrètes pour promouvoir notre intérêt partagé à rendre les médicaments sur ordonnance plus abordables et à en accroître l’accessibilité et l’utilisation adéquate. La réduction des prix élevés des médicaments par la modernisation du cadre réglementaire qui oriente les travaux du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB) relève de la compétence fédérale. [Non souligné dans l’original.]

(Pièce K de l’affidavit de Karen Reynolds, daté du 9 janvier 2020.)

[95]      Un libellé similaire a été employé dans le document de consultation de Santé Canada de mai 2017 :

En janvier 2016, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux ont convenu de collaborer pour améliorer l’abordabilité, l’accessibilité et l’utilisation adéquate des médicaments d’ordonnance dans le but de mieux répondre aux besoins du système de soins de santé. Le gouvernement du Canada est fermement résolu à accomplir ce travail et prend des mesures pour réduire le coût des médicaments d’ordonnance de façon importante [...]

[…]

[L]e cadre réglementaire actuel du CEPMB ne lui fournit pas d’outils adéquats pour protéger efficacement les Canadiens contre les prix excessifs ou pour établir des prix optimaux dans le contexte pharmaceutique actuel. Il s’agit de la raison pour laquelle Santé Canada fait la promotion des modifications proposées à des fins de consultation. [Non souligné dans l’original.]

(Pièce E de l’affidavit de M. Forest, daté du 3 octobre 2019.)

[96]      Les demanderesses s’opposent particulièrement à ce que Santé Canada définisse le Conseil comme un outil réglementaire pour « établir des prix optimaux ». Cela étant dit, l’énoncé final de l’intention du gouvernement dans le REIR laisse entendre que le Conseil utilise les outils à sa disposition pour établir un plafond des prix non excessifs applicable à tous les consommateurs canadiens, plutôt que de fixer des prix « idé[aux] » pour différents types de consommateurs (REIR, à la page  5954) :

[…] Étant donné le mandat du CEPMB et son statut d’organisme de réglementation fédéral, l’intention est que le CEPMB utilise ces outils afin de déterminer un prix plafond national, de sorte qu’il serait déraisonnable pour un consommateur au Canada de payer un prix plus élevé, plutôt qu’un prix idéal pour différents types de consommateurs en ce qui a trait à leur capacité individuelle et à leur volonté de payer. [Non souligné dans l’original.]

[97]      Les demanderesses mentionnent également la déclaration suivante faite par la ministre fédérale de la Santé lors des débats de la Chambre des communes en juin 2019 comme preuve des véritables intentions du gouvernement :

     Nous sommes en train de moderniser le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés afin de réduire le prix des médicaments et de mettre ce régime en place.

(Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 42e lég., 1re sess., vol. 148, no 433 (le 13 juin 2019), à la page 29061 (l’honorable Ginette Petitpas Taylor).)

[98]      À cet égard, le défendeur s’appuie sur la décision Syndicat canadien de la fonction publique c. Canada (Procureur général), 2018 CF 518, au paragraphe 146 une affaire portant sur des attentes légitimes pour soutenir que les motifs de la ministre de la Santé ne devraient pas être imputés au gouverneur en conseil. Selon le dossier dont était saisie la Cour, le seul document dont le gouverneur en conseil était véritablement saisi au moment de promulguer les modifications était les documents réglementaires, soit les modifications elles-mêmes et le REIR. À l’inverse, les demanderesses soutiennent que la Cour peut tenir compte des commentaires de la ministre, à condition que ces commentaires soient de [traduction] « nature institutionnelle » (Airport Taxicab (Pearson Airport) Association v. Toronto (City) (2009), 61 M.P.L.R. (4th) 8, 2009 CanLII 25973 (C.S. Ont.)).

[99]      Comme je l’ai déjà mentionné, la ministre et le gouverneur en conseil sont des entités distinctes, et la décision faisant l’objet du présent contrôle est celle du gouverneur en conseil. Cela étant dit, les commentaires de la ministre décrivant la modernisation du Conseil pour « réduire le coût des médicaments » sont compatibles avec l’explication figurant dans le REIR, selon laquelle les modifications « contribuent à l’engagement du gouvernement [d’améliorer l’accessibilité, l’abordabilité et l’utilisation adéquate des médicaments] en baissant les prix des médicaments brevetés au Canada » (REIR, à la page 5949). Par conséquent, ces commentaires ne reflètent pas seulement les préoccupations ou les motivations personnelles de la ministre de la Santé, mais reflètent aussi l’intention institutionnelle plus large du gouverneur en conseil.

[100]   Les commentaires formulés par la ministre de la Santé et énoncés dans le REIR au sujet de la réduction des prix des médicaments brevetés au Canada doivent être lus en tenant compte du reste du REIR. Comme je l’ai déjà mentionné, les modifications visent à moderniser le Conseil grâce aux outils de réglementation nécessaires pour protéger de manière efficace les consommateurs canadiens contre des médicaments brevetés à un prix excessif (REIR, à la page 5954).

[101]   Selon l’énoncé des objectifs que renferme le REIR, le Conseil a pour mandat de réduire les prix seulement lorsqu’il estime qu’un breveté a abusé de son monopole et imposé un prix excessif pour un médicament breveté. Les commentaires de la ministre et les énoncés figurant dans le REIR concernant la réduction des prix des médicaments doivent être interprétés dans ce contexte. La réduction des prix des médicaments a peut-être été un facteur ayant motivé la promulgation des modifications, mais il s’agit d’une question « économique et politique » qui dépasse la portée de la présente demande (Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106 (Thorne’s Hardware), à la page 115; Katz, aux paragraphes 27 et 28).

[102]   Les parties ont brouillé la distinction entre l’« objet » des modifications et les « motifs » qui ont mené à leur promulgation. Bien que les motifs de la promulgation des modifications ne soient pas pertinents au présent contrôle judiciaire, un facteur donné pourrait constituer à la fois un motif et un objet. Il n’est toutefois pas toujours possible de distinguer complètement le motif de l’objet. C’est l’objet des modifications et la portée du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil qui sont essentiels pour déterminer si l’une des modifications proposées outrepasse le pouvoir de réglementation conféré par la loi habilitante.

[103]   L’objet de la promulgation d’un règlement peut avoir plusieurs facettes (Thorne’s Hardware, à la page 117). En l’espèce, tout comme dans l’arrêt Thorne’s Hardware, la réduction des prix de médicaments brevetés est clairement un des facteurs qui a motivé la promulgation des modifications. Cela étant dit, même si cela était considéré comme un « objet » des modifications aux fins de l’analyse de leur validité, la réduction des prix n’était pas la seule raison d’être des modifications. Les modifications mettent à jour l’ensemble d’outils de réglementation et des pouvoirs d’établir des rapports sur des renseignements afin de protéger de manière efficace les consommateurs canadiens contre des médicaments brevetés à un prix excessif. Pour reprendre les termes employés par le défendeur, [traduction] « la reconnaissance du fait que les modifications peuvent entraîner des économies de coûts ne signifie pas qu’il s’agit nécessairement de leur objet ».

[104]   Après avoir examiné les modifications, le REIR et les éléments de preuve extrinsèques de la ministre de la Santé et de Santé Canada, je suis d’avis que les modifications visent à moderniser le Conseil grâce à de nouveaux outils de réglementation et à un nouveau pouvoir d’établir des rapports sur des renseignements, ainsi qu’à réduire les prix des médicaments brevetés afin de protéger les consommateurs canadiens contre les abus liés aux prix excessifs.

[105]   Les demanderesses soutiennent également que la Loi sur les brevets devrait être interprétée comme étant conforme aux obligations découlant des traités internationaux du Canada, et que les modifications sont incompatibles avec ces obligations. Plus précisément, le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil est limité par l’interdiction de la discrimination quant au domaine technologique prévue dans l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce [Annexe 1C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, signé à Marrakech, Maroc, le 15 avril 1994, 1869 R.T.N.U. 299] (ADPIC) et l’Accord de libre-échange nord-américain [entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2] (ALENA). Le défendeur soutient que ces accords internationaux prévoient des normes minimales de protection et que le régime des brevets du Canada est entièrement conforme.

[106]   Les traités internationaux, même ceux qui ne sont pas mis en œuvre au niveau national par une loi, peuvent s’avérer utiles pour déterminer si une décision administrative était raisonnable (Vavilov, au paragraphe 114). L’article 27 de l’Accord sur les ADPIC prévoit que « des brevets pourront être obtenus et il sera possible de jouir de droits de brevet sans discrimination quant [...] au domaine technologique ». En vertu de l’article 28, les droits minimaux conférés au breveté sont les droits exclusifs de fabriquer, d’utiliser, d’offrir à la vente, de vendre ou d’importer l’invention brevetée. Ces droits sont consacrés en droit canadien à l’article 42 de la Loi sur les brevets.

[107]   Il convient de noter que l’article 42 de la Loi sur les brevets et l’article 28 de l’Accord sur les ADPIC ne garantissent pas aux brevetés le droit d’imposer le prix de leur choix pour leurs inventions brevetées. Je suis d’accord avec les demanderesses pour dire qu’un avantage généralement conféré par un brevet est la capacité d’imposer un prix de « monopole » plus élevé, mais cet avantage n’est pas un droit illimité.

[108]   Par conséquent, le pouvoir du Conseil de prévenir l’établissement de prix excessifs pour les médicaments brevetés ne contrevient pas à l’article 27 de l’Accord sur les ADPIC, car la discrimination alléguée ne vise pas un droit auquel les titulaires de brevets de médicaments ont droit. L’article 1709 de l’ALENA comporte un libellé presque identique aux articles 27 et 28 de l’Accord sur les ADPIC.

[109]   Les demanderesses ne semblent pas laisser entendre que le pouvoir du Conseil de réglementer l’établissement des prix excessifs de médicaments brevetés, tel qu’il a été exercé jusqu’en 2019, a violé les obligations internationales du Canada. Cette présumée « discrimination » à l’égard des médicaments brevetés par rapport à d’autres domaines technologiques est clairement présente depuis la création du Conseil. Je suis convaincu que les modifications sont conformes aux obligations internationales du Canada aux termes de l’Accord sur les ADPIC et de l’ALENA.

[110]   Les demanderesses présentent d’autres arguments au sujet des limites de la compétence du Conseil en matière de prix des fabricants, et j’aborderai ces arguments ci-dessous par rapport au nouveau calcul des prix.

[111]   J’estime que l’objet des modifications en ce qui concerne les nouveaux facteurs obligatoires prévus à l’article 4 des modifications, ainsi que le CEPMB11 prévu à l’article 6 et à l’annexe des modifications sont suffisamment liés à l’objet du régime des médicaments brevetés dans le contexte de la Loi sur les brevets protéger les consommateurs contre les abus en matière de prix excessifs et compatibles avec cet objet. Chaque modification contestée est examinée plus en détail ci-dessous.

C.        Les modifications contestées

1)         Article 4 des modifications : les nouveaux facteurs obligatoires

[112]   L’article 4 des modifications ajoute de nouveaux facteurs obligatoires dont le Conseil doit tenir compte lorsqu’il détermine si le prix d’un médicament breveté est « excessif » en application du paragraphe 85(1) de la Loi sur les brevets :

i.    la valeur pharmacoéconomique du médicament;

ii.   la taille du marché de ce médicament au Canada;

iii.  le PIB au Canada et le PIB par habitant au Canada.

[113]   Les demanderesses soutiennent que l’ajout des nouveaux facteurs obligatoires constitue un exercice déraisonnable du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil en vertu des alinéas 85(1)e) et 101(1)d) de la Loi sur les brevets. Selon leurs deux principales observations, les nouveaux facteurs obligatoires minent les objets de la Loi sur les brevets et les limites de la compétence du Conseil, et sont incompatibles avec le régime législatif applicable, en particulier l’article 85 de la Loi sur les brevets.

a)         Le facteur de la valeur pharmacoéconomique : compatibilité avec l’objet de la Loi sur les brevets

[114]   Comme je l’ai déjà mentionné, la valeur pharmacoéconomique est la mesure du coût d’un médicament par rapport à son effet bénéfique sur la santé, qui peut être comparé à d’autres médicaments ou technologies de la santé. La valeur pharmacoéconomique fournit des renseignements sur la valeur relative d’un médicament par rapport à d’autres possibilités de traitement. Une unité normalisée couramment utilisée pour qualifier la valeur pharmacoéconomique est l’« année de vie pondérée par la qualité », ou « QALY ». Comme l’explique M. Lachaine, le « coût par QALY », qui est le coût d’une année de vie supplémentaire en parfaite santé, peut être utilisé pour estimer la rentabilité d’un médicament. Les assureurs publics et privés utiliseront souvent un seuil de coût par QALY pour fixer la limite de l’assurance-médicaments, refusant de couvrir les médicaments qui dépassent ce seuil. Les éléments de M. Lachaine indiquent que, si le Conseil doit utiliser la valeur pharmacoéconomique pour rendre des décisions concernant les prix, il doit utiliser un seuil de coût par QALY.

[115]   Les demanderesses soutiennent que le nouveau facteur obligatoire de la valeur pharmacoéconomique exige que le Conseil rende des jugements systémiques sur la valeur pour tous les Canadiens; ce rôle n’a rien à voir avec le mandat qui lui est confié par la loi de réglementer les abus des droits de brevets en raison des prix excessifs des médicaments brevetés. Selon les demanderesses, les intrants relatifs à la valeur pharmacoéconomique ont trait à des décisions de politique générale qui n’ont rien à voir avec l’octroi du brevet ou avec toute action du breveté qui pourrait être considérée comme abusive, et ce facteur n’est donc pas pertinent au rôle conféré au Conseil par la loi. Je fais de nouveau remarquer que les demanderesses mentionnent souvent l’abus des droits de brevets en général, ce qui dissimule le mandat réel du Conseil de prévenir et de réglementer les abus particuliers en raison de prix excessifs.

[116]   La CORD fait une observation similaire à cet égard, soutenant que l’ajout des facteurs économiques vise à entraîner des réductions importantes des prix des médicaments brevetés, que les prix soient excessifs ou non. La CORD laisse entendre que cette approche aura pour effet de limiter les possibilités offertes par le marché inhérent à l’octroi d’un brevet en vue de réduire en général les prix des médicaments brevetés.

[117]   Les demanderesses laissent entendre que le REIR appuie leur position selon laquelle le facteur de la valeur pharmacoéconomique a été choisi pour [traduction] « introduire un régime national d’assurance-médicaments au Canada » (REIR, à la page 5955) :

Il est souvent indiqué que le Canada est le seul pays ayant un système de soins de santé financé par l’État qui ne comprend pas une assurance-médicaments universelle. Le résultat est une mosaïque de payeurs publics et privés qui n’ont pas le pouvoir d’achat national pour contrer la position de monopole des titulaires de brevets. Cette position de monopole est renforcée par des dépenses publiques et privées croissantes qui sont consacrées aux médicaments à coût élevé avec peu ou pas de solutions de rechange thérapeutiques. Le fait d’exiger que le CEPMB tienne compte de la valeur pharmacoéconomique de ces médicaments permettra de veiller à ce que le principe du coût d’option soit pris en considération au moment de déterminer si leur prix est excessif.

[118]   À mon avis, les demanderesses interprètent mal ce passage du REIR, ainsi que la pertinence de la valeur pharmacoéconomique pour une détermination du caractère excessif des prix. Comme le soutient le défendeur, l’évaluation de la valeur pharmacoéconomique est un exercice objectif qui utilise une mesure normalisée des effets bénéfiques. Cet exercice pourrait justifier des prix plus élevés pour les médicaments brevetés qui offrent une valeur pharmacoéconomique. Comme il est mentionné dans le REIR, ce facteur devient plus pertinent pour les médicaments à coût élevé avec peu ou pas de solutions de rechange thérapeutiques. Lorsque le Conseil dispose de peu de renseignements sur les prix de référence, il a peu de moyens de déterminer si les prix sont excessifs. Reconnaissant cette limite, le gouverneur en conseil a introduit ce nouveau facteur et l’exigence connexe en matière de rapports.

[119]   De plus, les demanderesses et la CORD insistent sur la valeur pharmacoéconomique comme s’il s’agissait d’un facteur autonome. La CORD soutient que le Conseil devancerait le rôle de l’ACMTS et de l’INESSS s’il utilisait des seuils fixes de coût par QALY et finissait par choisir « les gagnants et les perdants » indépendamment de la question de savoir si le prix d’un médicament était excessif. Cette position ne tient pas compte du fait que le Conseil doit tenir compte de la valeur pharmacoéconomique, ainsi que de tous les autres facteurs obligatoires; aucun des facteurs n’est pris en compte de façon isolée. Autrement, toutes les décisions du Conseil seraient susceptibles de contrôle au motif qu’elles sont déraisonnables pour omission de tenir compte de tous les facteurs obligatoires.

[120]   Le Conseil doit tenir compte de chaque facteur prévu au paragraphe 85(1), et ne peut pas ignorer un facteur ou accorder à l’un d’entre eux une importance qui a pour effet d’éclipser tous les autres (Teva Neuroscience G.P.-S.E.N.C. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1155, au paragraphe 47). Les trois nouveaux facteurs obligatoires complètent les quatre facteurs que prévoyait déjà le paragraphe 85(1). Le poids accordé à un facteur donné par le Conseil dépendra des faits propres à chaque affaire.

[121]   Les autres observations de la CORD portent en fin de compte sur le facteur de la valeur pharmacoéconomique. La CORD laisse entendre que, en tenant compte de ce facteur, le Conseil prendra des décisions de politique générale en appliquant des plafonds de prix fondés sur cette valeur aux médicaments brevetés, et que ces décisions auront une incidence négative disproportionnée sur les patients atteints de maladies rares en raison de la difficulté à déterminer la rentabilité des traitements de maladies rares.

[122]   M. Lachaine est d’avis que certains médicaments peuvent ne traiter qu’un petit bassin de patients et n’améliorer que de façon limitée leur santé, mais ils sont néanmoins considérés comme très utiles dans le cas de cette catégorie particulière de maladies. La préoccupation de la CORD est que, pour des groupes restreints de patients visés — inhérents aux maladies rares —, les plafonds de prix seront fondés sur des estimations inexactes de la valeur en raison de données rares, et que les brevetés pourraient ne pas être disposés à commercialiser des médicaments pour ces maladies au Canada en raison des plafonds de prix très bas.

[123]   De plus, la CORD soutient que les modifications entraîneront inévitablement une réduction de l’accès aux médicaments pour le traitement des maladies rares et une réduction du nombre d’essais cliniques effectués au Canada; ces conséquences sont incompatibles avec l’objet de la Loi sur les brevets et des modifications.

[124]   Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que chacune de ces observations est hypothétique et ne relève pas de la portée d’une contestation de la validité. L’avis de la Cour à l’égard de la question de savoir si les modifications réussiront à atteindre les objectifs prévus par la loi n’est pas pertinent (Katz, au paragraphe 28). Une grande partie des observations de la CORD reflètent la position qu’elle a adoptée lors de la consultation des intervenants avec la ministre de la Santé, et le REIR explique que les éléments de preuve internationaux n’appuient pas la suggestion selon laquelle les brevetés retarderont l’entrée sur le marché au Canada en raison des modifications. Une contestation de la validité n’est pas une occasion de plaider les questions de principe examinées avec les intervenants dans le cadre du processus de consultation.

b)         Le facteur de la taille du marché et du PIB : compatibilité avec l’objet de la Loi sur les brevets

[125]   En ce qui concerne la taille du marché et le PIB, les demanderesses soutiennent que ces facteurs portent sur l’abordabilité, ce qui oblige le Conseil à tenir compte de l’incidence du coût du médicament sur tous les patients et de la capacité du Canadien moyen à payer. Selon les demanderesses, ces questions ne sont pas liées au régime d’établissement des prix de référence prévu dans la Loi sur les brevets et ne sont pas compatibles avec le marché inhérent à l’octroi d’un brevet. Jusqu’à maintenant, M. Cockburn, professeur en administration des affaires, estime que le monopole conféré par un brevet permet au breveté de prendre ses propres décisions en matière de prix, et que ces décisions peuvent influer sur la capacité de certains à acheter le produit.

[126]   J’estime que les arguments des demanderesses ne sont pas convaincants, et que l’opinion de M. Cockburn ne tient pas.

[127]   Bien que le monopole conféré par les brevets permette aux brevetés de fixer le prix de leurs produits dans un environnement sans concurrence, les titulaires de brevets de médicaments n’ont aucun pouvoir discrétionnaire illimité en matière d’établissement des prix. Ils doivent se conformer au régime des prix excessifs du législateur, tel qu’il est prévu dans le régime des médicaments brevetés et mis en œuvre par le Conseil. La prévention de la vente de médicaments brevetés à des prix excessifs se rattache à la compétence fédérale en matière de brevets en vertu du paragraphe 91(22) de la Loi constitutionnelle de 1867 (Canada (Procureur général) c. Sandoz Canada Inc., 2015 CAF 249 (Sandoz), au paragraphe 116; Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 241 (Alexion CAF), au paragraphe 61).

[128]   Dans l’arrêt Katz, la Cour suprême a conclu qu’il était « quelque peu immatériel de parler d’un “droit” commercial de faire des échanges dans un marché aussi réglementé que le marché pharmaceutique ontarien », faisant remarquer que les lois pertinentes autorisaient expressément à restreindre la possibilité pour un fabricant d’entrer sur le marché et d’y demeurer (Katz, au paragraphe 44). De même, les titulaires de brevets de médicaments n’ont pas le « droit » général de prendre leurs propres décisions en matière de prix au Canada. Le régime des médicaments brevetés, validement adopté en vertu de la compétence fédérale en matière de brevets, conférée par la Constitution, autorise expressément le Conseil à surveiller et, au besoin, à contester la capacité d’un breveté à fixer des prix en fonction de ce que le Conseil estime excessif, et autorise expressément le gouverneur en conseil à prendre des règlements dont le Conseil doit tenir compte pour prendre sa décision.

[129]   Le mandat du Conseil en matière de protection des consommateurs vise à garantir que les monopoles conférés par des brevets ne sont pas exploités au détriment financier des Canadiens (Celgene, aux paragraphes 28 et 29). Ce mandat met l’accent sur le consommateur et est directement lié à l’abordabilité. Ce point a été reconnu par l’honorable Harvie Andre dans les débats de la Chambre des communes qui ont mené à la création du Conseil :

     Il y a la question de la protection des consommateurs. A quoi cela nous servirait-il d’avoir toutes sortes de nouveaux médicaments si personne n’avait les moyens de se les payer? Si les gens malades et les personnes âgées ne pouvaient pas se payer ces médicaments, à quoi serviraient-ils?

[…]

     À mon humble avis, si l’on examine objectivement notre proposition, on verra que nous avons mis sur pied un énorme mécanisme de poids et contrepoids pour nous assurer que le prix à la consommation des médicaments demeurera raisonnable.

(Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 33e lég., 2e sess., vol. 1 (le 20 novembre 1986), aux pages 1371 et 1373 (l’honorable Harvie Andre).)

[130]   De plus, la position des demanderesses est axée sur les facteurs d’établissement des prix de référence précisés aux alinéas 85(1)a) à d). Dans le cadre des modifications apportées à la Loi sur les brevets en 1993, le Parlement a envisagé que d’autres facteurs pourraient être nécessaires au fil du temps pour permettre au Conseil de remplir de son mandat, et il a donc accordé au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre de nouveaux règlements définissant les facteurs aux fins d’application du paragraphe 85(1), sur recommandation du ministre de la Santé. En vertu de l’alinéa 85(1)e), le Conseil doit tenir compte de ces facteurs lorsqu’il détermine si un breveté a vendu un médicament à un prix excessif. Ainsi, les lacunes dans la capacité du Conseil à remplir son mandat peuvent être comblées de façon efficace par des règlements (West Fraser Mills, au paragraphe 20).

c)         Incompatibilité des nouveaux facteurs obligatoires avec le régime législatif

[131]   Enfin, les demanderesses soutiennent que le libellé et la structure de la Loi sur les brevets permettent de conclure que le gouverneur en conseil a dépassé la portée de son pouvoir de réglementation en promulguant les nouveaux facteurs obligatoires. À l’appui de cette position, elles affirment que l’article 85 de la Loi sur les brevets a été rédigé avec l’intention claire d’obliger le Conseil à effectuer des évaluations en tenant compte de facteurs relatifs au prix et au prix seulement. Les demanderesses invoquent des principes d’interprétation législative, plus précisément la règle ejusdem generis, pour soutenir que le législateur avait l’intention de limiter la portée du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil de définir les facteurs d’application du paragraphe 85. Plus précisément, les demanderesses soutiennent qu’il doit exister un lien rationnel entre le nouveau facteur énoncé au paragraphe 85(1) et le régime d’établissement des prix de référence prévu au paragraphe 85(1).

[132]   Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord avec les demanderesses.

[133]   Le régime législatif applicable est probablement « l’aspect le plus important du contexte juridique » des décisions administratives (Vavilov, au paragraphe 108). La question de savoir si l’interprétation qu’a donnée le décideur administratif de ses dispositions habilitantes est justifiée dépendra du contexte, notamment des mots choisis par le législateur pour décrire la portée du pouvoir du décideur (Vavilov, au paragraphe 110).

[134]   La question en litige porte sur la portée du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil, comme prévu à l’article 101 de la Loi sur les brevets. La décision faisant l’objet du présent contrôle est celle du gouverneur en conseil, et non pas celle du Conseil. Comme je l’ai déjà mentionné, il s’agit d’entités différentes ayant des rôles et des pouvoirs distincts aux termes du régime des médicaments brevetés.

[135]   Bien que, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême ordonne aux cours de révision d’examiner la question de savoir si le décideur a dûment justifié son interprétation de ses dispositions habilitantes en tenant compte de leur contexte, en l’espèce, la Cour n’est saisie d’aucun motif à examiner. Le mieux que la Cour puisse déduire du décret est que le gouverneur en conseil croyait très clairement qu’il avait le pouvoir d’apporter les modifications en vertu du paragraphe 101(1) de la Loi sur les brevets. La Cour doit donc déterminer si cette interprétation était raisonnable, compte tenu du libellé, du contexte et de l’objet de la disposition en cause.

[136]   Le pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 101(1) de la Loi sur les brevets est vaste. Le libellé de l’alinéa 101(1)d) est pertinent quant aux nouveaux facteurs obligatoires :

Règlements

101 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le gouverneur en conseil peut, par règlement : 

[…]

d) définir les facteurs d’application des paragraphes 85(1) ou (2), y compris les facteurs relatifs au prix de lancement d’un médicament;   

[137]   Le paragraphe 101(2) comprend une condition préalable qui s’applique à l’alinéa 101(1)d), laquelle exige une recommandation du ministre de la Santé faite après consultation par celui-ci des intervenants qu’il juge utile de consulter. La ministre de la Santé a consulté les parties concernées sur tous les aspects des modifications contestées avant de recommander que le gouverneur en conseil apporte les modifications. La condition préalable a donc été remplie, et les demanderesses ne prétendent pas le contraire.

[138]   À première vue, le libellé de l’alinéa 101(1)d) ne limite pas le type de facteurs que le gouverneur en conseil peut définir par règlement, à condition qu’il s’agisse de facteurs « d’application des paragraphes 85(1) ou (2) ».

[139]   Le paragraphe 85(1) de la Loi sur les brevets, décrit ci-dessus dans la section « Contexte », est ainsi libellé :

Facteurs de fixation du prix

85 (1) Pour décider si le prix d’un médicament vendu sur un marché canadien est excessif, le Conseil tient compte des facteurs suivants, dans la mesure où des renseignements sur ces facteurs lui sont disponibles :         

a) le prix de vente du médicament sur un tel marché;  

b) le prix de vente de médicaments de la même catégorie thérapeutique sur un tel marché;   

c) le prix de vente du médicament et d’autres médicaments de la même catégorie thérapeutique à l’étranger;       

d) les variations de l’indice des prix à la consommation;          

e) tous les autres facteurs précisés par les règlements d’application du présent paragraphe. 

[140]   Les demanderesses commencent leur argument contextuel en soumettant que, [traduction] « à l’alinéa 85(1)e), le législateur accorde au gouverneur en conseil une compétence limitée pour ajouter de nouveaux facteurs obligatoires ». Leur principal argument contextuel est le suivant : les alinéas 85(1)a) à d) énumèrent tous des facteurs relatifs au prix dont le Conseil doit tenir compte, de sorte que la caractéristique commune de la liste est le « prix » auquel un médicament a été « vendu ». Par conséquent, en appliquant la règle ejusdem generis, l’alinéa 85(1)e) n’autorise que le gouverneur en conseil à ajouter de nouveaux facteurs obligatoires liés au « prix » auquel le médicament est « vendu ». Selon le libellé de l’alinéa 85(1)e), les facteurs doivent être précisés par les règlements d’« application du présent paragraphe ».

[141]   La règle ejusdem generis, ou la règle relative aux [traduction] « choses du même ordre », est [traduction] « une règle fonctionnelle d’interprétation qui, appliquée comme il se doit, aide à déceler l’intention du législateur » (Johnston v. Canadian Credit Men’s Trust Association, [1932] R.C.S. 219, à la page 220). Lorsqu’on interprète une disposition d’une loi qui énumère une liste de termes précis suivie d’un terme général, la règle exige que le terme général soit limité au « genre de l’énumération restreinte qui le précède » (Banque nationale de Grèce (Canada) c. Katsikonouris, [1990] 2 R.C.S. 1029, à la page 1040).

[142]   La faille de cet argument des demanderesses est que l’alinéa 85(1)e) n’est pas la disposition habilitante en cause. Les demanderesses ont mal interprété le régime législatif en tentant d’utiliser la règle ejusdem generis pour limiter l’ajout de nouveaux facteurs aux facteurs initiaux établis par le législateur à l’époque de la rédaction de la Loi sur les brevets.

[143]   Le paragraphe 85(1) prévoit les facteurs dont le Conseil doit tenir compte lorsqu’il détermine si le prix d’un médicament breveté est excessif conformément à l’article 83. Cette disposition vise le Conseil et oriente celui-ci dans son mandat de prévenir l’établissement de prix excessifs. L’alinéa 85(1)e) exige que le Conseil tienne compte des facteurs précisés par les règlements « d’application du présent paragraphe ».

[144]   Le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil de définir les facteurs d’application du paragraphe 85(1) est conféré par l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur les brevets, et n’est pas limité par les facteurs prévus au paragraphe 85(1). À mon avis, l’énoncé « d’application des paragraphes 85(1) ou (2) » figurant à l’alinéa 101(1)d) signifie qu’il faut définir d’autres facteurs obligatoires et facultatifs dont le Conseil doit tenir compte lorsqu’il détermine si un médicament breveté a été vendu à un prix excessif.

[145]   À cet égard, le défendeur soutient que l’application de la règle ejusdem generis, comme le demandent les demanderesses, entraînerait un résultat insensé selon lequel de nouveaux facteurs ne pourraient être que des facteurs que les législateurs pensaient adopter au moment de la rédaction de la Loi sur les brevets. Il s’agirait d’une restriction drastique et sans fondement touchant la capacité du Parlement à déléguer le pouvoir de réglementation, qui irait à l’encontre de l’objet énoncé à l’alinéa 101(1)d).

[146]   Les affaires sur lesquelles se fondent les demanderesses concernent des scénarios où la disposition habilitante comprenait une liste de termes ou de phrases précis suivie d’un terme général (Newfoundland (Minister of Forest Resources and Agrifoods) v. A.L. Stuckless and Sons Ltd., 2005 NLCA 11, 244 Nfld. & P.E.I.R. 298, aux paragraphes 22, 83 et 84; Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., 2000 CSC 13, [2000] 1 R.C.S. 342, aux paragraphes 9, 21 et 22). Dans ces affaires, après avoir appliqué la règle ejusdem generis, les cours ont conclu que la disposition habilitante générale était limitée par les termes plus précis qui la précédaient.

[147]   Aucune des affaires invoquées n’appuie la position des demanderesses selon laquelle le vaste pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur les brevets est en quelque sorte limité par les facteurs obligatoires existants qui sont énoncés au paragraphe 85(1) et dont le Conseil doit tenir compte. Les demanderesses demandent à tort à la Cour d’incorporer par interprétation à la disposition habilitante les facteurs existants.

[148]   L’argument final des demanderesses quant à l’interprétation contextuelle est que la compétence étroite conférée au gouverneur en conseil par l’alinéa 85(1)e) est renforcée par le libellé plus général de l’alinéa 85(2)b). Cette disposition permet au Conseil de tenir compte des facteurs « qu’il estime pertinents » lorsqu’il n’est pas en mesure de se prononcer sur une question eu égard aux facteurs énoncés au paragraphe 85(1). Les demanderesses affirment que le choix du législateur d’employer des termes généraux à ce paragraphe indique son intention que l’alinéa 85(1)e) ne porte que sur des éléments déjà énoncés dans ce paragraphe.

[149]   Encore une fois, l’alinéa 85(1)e) n’est pas la disposition habilitante en cause. L’article 85 vise le Conseil, le paragraphe 85(1) définit les facteurs obligatoires dont le Conseil doit tenir compte, et le paragraphe 85(2) définit les facteurs facultatifs dont le Conseil peut tenir compte dans certaines circonstances. Les [traduction] « limites textuelles » de cette disposition ne servent pas à limiter le pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par l’alinéa 101(1)d).

d)         Conclusion relative à l’article 4 des modifications

[150]   Pour conclure, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les nouveaux facteurs obligatoires et les exigences connexes en matière de rapports qui sont énoncés à l’article 4 des modifications relèvent du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil conféré par l’alinéa 101(1)d) de la Loi sur les brevets. De plus, les demanderesses n’ont pas établi que l’article 4 des modifications est « sans importance », « non pertinent » ou « complètement étranger » à l’objet du régime des médicaments brevetés dans le contexte de la Loi sur les brevets dans son ensemble.

[151]   J’estime que la position des demanderesses n’est pas appuyée par le libellé de l’article 101 et le régime de la Loi sur les brevets, et qu’elle restreindrait de façon déraisonnable le pouvoir conféré au gouverneur en conseil par l’alinéa 101(1)d).

[152]   Les nouveaux facteurs obligatoires inclus à l’article 4 des modifications relèvent de la portée du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil de « définir les facteurs d’application d[u] paragraph[e] 85(1) », qui est conféré par l’alinéa 101(1)d).

[153]   La décision du gouverneur en conseil de promulguer le Règlement est donc raisonnable.

2)         Article 6 et annexe des modifications : le CEPMB11

[154]   Les demanderesses reconnaissent que le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire de choisir l’ensemble de pays de comparaison, mais ils soutiennent que le fondement sur lequel le gouverneur en conseil s’est appuyé pour choisir le CEPMB11 est incompatible avec l’objet du paragraphe 85(1) et de la Loi sur les brevets en général, et qu’il est donc déraisonnable. Bien que, comme en l’espèce, un décideur administratif dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de prendre une décision en particulier, cette décision doit en fin de compte être conforme à la raison d’être et à la portée du régime législatif sous lequel elle a été adoptée (Vavilov, au paragraphe 108; Katz, au paragraphe 24).

[155]   Dans le cadre de ses décisions concernant des prix excessifs, le Conseil est tenu, conformément à l’alinéa 85(1)c), d’examiner les prix des médicaments à l’étranger. La liste des pays de comparaison est énoncée à l’annexe du Règlement et peut être modifiée par le gouverneur en conseil en exerçant son pouvoir de réglementation pour préciser les renseignements que les brevetés doivent présenter au Conseil. L’article 6 des modifications remplace la liste existante des pays — le CEPMB7 — par la liste des pays figurant à l’annexe des modifications : le CEPMB11. La décision de moderniser l’annexe a été prise en partie parce que les critères initiaux utilisés pour sélectionner les pays de comparaison ont été jugés incomplets et erronés (REIR, à la page 5953).

[156]   Les pays du CEPMB11 ont été sélectionnés en fonction de trois exigences : des mesures stratégiques qui limitent l’établissement libre des prix marchands; une situation économique comparable à celle du Canada; et des caractéristiques semblables sur le marché à celles du Canada.

[157]   Les demanderesses présentent deux principales observations sur le CEPMB11. Premièrement, l’exclusion des pays où on établit librement les prix marchands est directement incompatible avec le marché inhérent à l’octroi d’un brevet, puisque le monopole accordé par ce dernier confère au breveté un pouvoir discrétionnaire à l’égard de ses prix. Deuxièmement, le gouverneur en conseil a mal utilisé la sélection du CEPMB11 comme forme de contrôle des prix. À cet égard, M. Cockburn estime que la façon dont le nouvel ensemble de pays de comparaison a été choisi écarte le Canada d’un système de détection des abus des droits dérivant de brevets et importe efficacement un système de contrôle des prix qui reflète les efforts du gouvernement fédéral visant à réduire les prix des médicaments.

[158]   Selon les demanderesses, l’objet de la sélection du CEPMB11 est incompatible avec l’objet de la Loi sur les brevets. Je ne suis pas d’accord.

[159]   Comme je l’ai déjà mentionné, les titulaires de brevets de médicaments n’ont aucun pouvoir discrétionnaire illimité à l’égard de la prise de décisions en matière de prix au Canada. Les prix des médicaments brevetés sont réglementés dans le contexte du régime des médicaments brevetés.

[160]   De plus, le CEPMB11 ne constitue pas en soi une forme de contrôle des prix. L’annexe exige simplement que les brevetés présentent des renseignements sur les prix dans les 11 pays énumérés, si ceux-ci sont disponibles. La liste actualisée des pays ne constitue pas un contrôle des prix, pas plus que la liste précédente. Le personnel du Conseil utilise ces renseignements sur les prix pour déterminer les prix qui semblent excessifs selon ses lignes directrices, et le Conseil ne peut ordonner des réductions de prix que si, après la tenue d’audiences, il détermine que le prix d’un médicament breveté est excessif, compte tenu de tous les facteurs prévus au paragraphe 85(1). Même si une comparaison de prix a été effectuée, il n’est pas obligatoire d’en adopter les conclusions (Alexion Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Procureur général), 2019 CF 734, [2019] 4 R.C.F. 418 (Alexion 2019), au paragraphe 59, citant favorablement LEO Pharma Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 306, au paragraphe 18).

[161]   Je fais également remarquer que la Cour d’appel fédérale a conclu que le régime des médicaments brevetés — articles 79 à 103 de la Loi sur les brevets — constitue un régime de contrôle des prix valide sur le plan constitutionnel qui a été adopté par le Parlement pour prévenir les abus liés aux prix excessifs (Alexion CAF, aux paragraphes 60 à 63; Sandoz, au paragraphe 116). Le régime des médicaments brevetés permet au Conseil de prendre des décisions concernant des prix excessifs, compte tenu de facteurs particuliers.

[162]   Les demanderesses n’ont pas établi que la sélection du CEPMB11 est incompatible avec l’objet du régime des médicaments brevetés dans le contexte de la Loi sur les brevets, ou qu’elle n’est pas pertinente à cet objet. La décision du gouverneur en conseil de modifier l’ensemble des pays de comparaison est donc raisonnable.

3)         Paragraphe 3(4) des modifications : le nouveau calcul des prix

[163]   Le nouveau calcul des prix élargit la portée des renseignements dont les brevetés doivent tenir compte lorsqu’ils déclarent « le prix de vente antérieur ou actuel du médicament sur les marchés canadien et étranger », en vertu de l’alinéa 80(1)b). En vertu du paragraphe 3(4) des modifications, le calcul des « prix » pour l’application de cet alinéa comprend maintenant les transactions financières avec des tiers. Les brevetés doivent tenir compte « des ajustements apportés par le breveté ou toute partie qui, directement ou indirectement, achète le médicament ou en rembourse l’achat et de toute déduction accordée à toute partie sous forme de biens ou services gratuits, cadeaux ou autres avantages semblables » (paragraphe 3(4) des modifications).

[164]   Le Règlement exige actuellement que les brevetés ne déclarent que les ajustements de prix au premier point de vente (généralement appelé ventes aux prix « départ usine » ou « du fabricant »).Tel qu’il est indiqué dans le REIR, le nouveau calcul des prix vise à tenir compte des paiements d’inscription souvent versés par les fabricants de médicaments aux assureurs, y compris les régimes publics d’assurance-médicaments, pour que leurs produits soient inscrits sur les formulaires des assureurs (REIR, à la page 5961).

[165]   Les paiements d’inscription sont généralement versés dans le contexte de négociations en vue d’inscrire des produits pharmaceutiques sur des formulaires. Les régimes publics d’assurance-médicaments et les assureurs privés exigeront des fabricants de médicaments des concessions financières ou d’autres concessions en échange de leur consentement à inscrire un médicament sur leurs formulaires.

[166]   La chaîne d’approvisionnement pour la vente et le remboursement de médicaments peut généralement être décrite ainsi :

i.    La majeure partie des ventes aux prix du fabricant d’un breveté sont conclues avec des grossistes. Le breveté reçoit un paiement directement du grossiste et le titre du médicament est transféré au grossiste.

ii.   Les grossistes distribuent ensuite les médicaments aux pharmacies de détail et aux hôpitaux.

iii.  Les pharmacies de détail et les hôpitaux stockent les médicaments et les distribuent aux patients.

iv.  Les patients peuvent se faire rembourser en tout ou en partie les coûts des médicaments par les régimes publics d’assurance-médicaments financés par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, ou par les régimes d’assurance privés. Les assureurs publics et privés ne rembourseront généralement les patients que pour les médicaments inscrits dans leur programme.

[167]   Les fabricants de médicaments concluent également d’autres ventes à la sortie de l’usine avec, par exemple, certains hôpitaux et programmes gouvernementaux. Il faut noter que les brevetés ne vendent généralement pas de médicaments aux régimes publics d’assurance-médicaments ou aux assureurs privés, et ces entités n’achètent pas et n’acquièrent pas le titre des médicaments des brevetés.

[168]   Avant qu’un produit pharmaceutique soit inscrit sur le formulaire des médicaments remboursables, des organismes comme l’ACMTS et l’INESSS effectuent des évaluations approfondies afin d’établir la rentabilité du médicament. Les fabricants négocieront ensuite avec un organisme centralisé, l’Alliance pancanadienne pharmaceutique. Des négociations fructueuses mènent à des ententes contractuelles confidentielles entre le fabricant de médicaments et le régime public d’assurance-médicaments ou l’assureur privé, appelées ententes relatives à l’inscription d’un produit (EIP).

[169]   Les régimes publics d’assurance-médicaments représentent environ 40 p. 100 des dépenses totales en médicaments, et les fabricants de médicaments sont donc motivés à conclure des EIP afin d’accéder à ces marchés de médicaments, qui autrement ne leur seraient pas accessibles.

[170]   Les modalités des EIP varient et peuvent comprendre des conditions monétaires, des conditions non monétaires comme des programmes de soutien aux patients ou des biens gratuits, et des paiements versés à des tiers autres que l’assureur inscrit. Selon la structure de l’entente, les paiements versés pour l’inscription de médicaments en vertu d’une EIP peuvent survenir des années après que le fabricant du médicament conclut sa première vente avec le grossiste.

[171]   Le nouveau calcul des prix, tel qu’énoncé dans le REIR, vise à obliger les brevetés à déclarer des renseignements sur les prix, sans les remises et les rabais offerts aux parties qui figurent en aval de la chaîne d’approvisionnement, comme les assureurs, afin de permettre au Conseil de tenir compte des remises offertes à des tiers dans son calcul du prix moyen des transactions pour informer les facteurs existants (REIR, à la page 5961). De plus, le nouveau calcul des prix facilitera la conformité aux plafonds de prix moins élevés qui devraient découler de l’application par le Conseil des nouveaux facteurs prévus au paragraphe 85(1). Ces renseignements seront considérés comme privilégiés conformément à l’article 87 de la Loi sur les brevets (REIR, aux pages 5961 et 5962).

[172]   Les brevetés ne seront pas tenus de déclarer des renseignements précis sur la taille ou l’existence des remises accordées à de tierces parties. Ils seront plutôt tenus de déclarer le total des recettes nettes tirées des médicaments, le nombre d’unités de médicaments vendues et le prix moyen des transactions de tout marché au Canada, sans les ajustements de prix, que ce soit convenus ou non avec des tiers (REIR, à la page 5988).

[173]   Les demanderesses soutiennent qu’en promulguant le nouveau calcul des prix, le gouverneur en conseil a excédé sa compétence en matière de réglementation, et que le Règlement outrepasse le pouvoir conféré par la loi habilitante.

[174]   Les demanderesses présentent deux principaux arguments sur cette modification. Tout d’abord, le nouveau calcul des prix dépasse la compétence du Conseil en matière d’établissement des prix du fabricant en vertu de la Loi sur les brevets. Dans la décision Pfizer, la Cour a conclu que la compétence du Conseil se limite à la « vente » de médicaments par les brevetés, et cette décision a été citée dans des décisions subséquentes, y compris une décision rendue par la Cour l’année dernière (Alexion 2019, au paragraphe 94). Deuxièmement, le régime des facteurs relatifs aux prix excessifs prévu à l’article 85 établit une distinction entre le prix des médicaments et leurs coûts de fabrication et de commercialisation. Les demanderesses soutiennent que les paiements d’inscription constituent un coût d’accès au marché et ne devraient pas être considérés comme faisant partie du « prix » auquel un médicament a été vendu, visé au paragraphe 85(1) et à l’alinéa 80(1)b).

[175]   Dans la décision Pfizer, la question en litige concernait un communiqué du Conseil à l’intention des intervenants. La juge Anne Mactavish a conclu que le communiqué n’était pas conforme au Règlement (Pfizer, au paragraphe 90). Le communiqué à l’intention des intervenants exigeait que les brevetés incluent les paiements versés à des tiers, y compris aux provinces, dans le calcul du prix moyen des ventes de médicaments brevetés. La Loi sur les brevets et le Règlement prévoient une « vente » à un « client », et le Règlement exige que les brevetés déclarent les réductions de prix offertes sous forme de remises et de rabais. La juge Mactavish a conclu que les provinces n’étaient pas des « clients » des brevetés, et que l’exigence de déclarer ces réductions de prix ne pouvait pas être étendue aux parties étrangères à la transaction de vente initiale (Pfizer, aux paragraphes 80, et 87 à 89).

[176]   La juge Mactavish a ensuite fait remarquer que son interprétation de la Loi sur les brevets et du Règlement était conforme aux limites constitutionnelles du Conseil :

     Je ferais remarquer que l’interprétation que je donne à la Loi sur les brevets et au Règlement sur les médicaments brevetés est compatible avec la limite constitutionnelle qui impose au Conseil de n’examiner que les prix départ usine des médicaments brevetés et ne lui permet pas d’examiner les ententes contractuelles conclues entre les brevetés et d’autres entités qui figurent en aval de la chaîne de distribution.

(Pfizer, au paragraphe 83.)

[177]   Les demanderesses soutiennent que le raisonnement de la juge Mactavish est valable et que les faits n’ont pas changé : les brevetés ne vendent toujours pas de médicaments aux assureurs. Par conséquent, les remises et les rabais offerts aux assureurs ne peuvent pas être inclus dans le calcul du prix, car ces transactions ne relèvent pas de la compétence du Conseil en matière de contrôle du fabricant. Étant donné que la décision de la juge Mactavish est fondée sur la Loi sur les brevets et les limites constitutionnelles des pouvoirs conférés au Conseil, le raisonnement suivi dans la décision Pfizer s’applique également à la présente demande, et ce, même en tenant compte des modifications au Règlement.

[178]   À l’inverse, le défendeur soutient que la décision dans Pfizer se limite au communiqué à l’intention des intervenants et au Règlement, dans sa version en vigueur à l’époque. La juge Mactavish n’a pas abordé le pouvoir du gouverneur en conseil de modifier les exigences en matière de rapports.

[179]   Bien que la décision Pfizer porte principalement sur le communiqué du Conseil à l’intention des intervenants, je suis d’accord avec les demanderesses pour dire qu’une grande partie de l’analyse du régime législatif réalisée par la juge Mactavish demeure pertinente à l’interprétation du pouvoir de réglementation en cause en l’espèce.

[180]   Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour doit donner au règlement contesté et à sa loi habilitante une interprétation téléologique large compatible avec les directives de la Cour suprême en matière d’interprétation législative (Katz, au paragraphe 26). « [I]l faut lire les termes [de la Loi sur les brevets] dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10).

[181]   De plus, tout « texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » (article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21).

[182]   Le libellé du paragraphe 101(1) confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements définissant les renseignements que les brevetés doivent fournir au Conseil en vertu du paragraphe 80(1) :

Règlements

101 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le gouverneur en conseil peut, par règlement : 

a) préciser les renseignements et les documents à fournir au Conseil en application des paragraphes 80(1) ou (2) ou 88(1);

[183]   Les objets du régime des médicaments brevetés dans le contexte de la Loi sur les brevets dans son ensemble ont déjà été examinés et il n’est pas nécessaire de reprendre cette analyse en l’espèce. Le pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par l’alinéa 101(1)a) doit être interprété dans son contexte global, conformément à l’esprit et aux objets de la Loi sur les brevets.

[184]   L’alinéa 80(1)b) exige que brevetés fournissent au Conseil des renseignements sur « le prix de vente antérieur ou actuel  — du médicament sur les marchés canadien et étranger », conformément aux règlements.

[185]   Le paragraphe 4(1) du Règlement renvoie directement à l’alinéa 80(1)b) de la Loi sur les brevets, et précise les renseignements identifiant le médicament et ceux sur son prix de vente que les brevetés doivent fournir au Conseil. Conformément au sous-alinéa 4(1)f)(i) du Règlement, les brevetés doivent fournir au Conseil des renseignements sur le prix indiquant « soit [le] prix moyen par emballage, soit les recettes nettes dérivées des ventes de chaque forme posologique, de chaque concentration et de chaque format d’emballage dans lesquels le médicament a été vendu par le breveté [...] à chaque catégorie de clients dans chaque province et territoire » (italique ajouté).

[186]   Comme le définit l’Oxford English Dictionary, le [traduction] « prix » s’entend du [traduction] « montant d’argent (ou un équivalent matériel) prévu, requis ou versé à titre de paiement pour un produit ou un service ». En outre, la [traduction] « vente » est définie comme étant [traduction] « l’échange d’une marchandise contre de l’argent ou une autre considération valable » (H.W. Liebig Co. c. Leading Investments Ltd., [1986] 1 R.C.S. 70, à la page 83). Selon l’alinéa 80(1)b) de la Loi sur les brevets et le Règlement connexe, les brevetés sont tenus de fournir au Conseil des renseignements sur le montant d’argent reçu en échange d’un médicament breveté.

[187]   Le régime législatif demeure le même qu’à l’époque où la juge Mactavish a rendu sa décision dans Pfizer. Alors, tout comme maintenant, « la vente par le breveté à un client [était] clairement visée par la Loi et le Règlement » (Pfizer, au paragraphe 67; souligné dans l’original). Tout règlement pris par le gouverneur en conseil et qui définit les renseignements ou les documents que les brevetés sont tenus de fournir au Conseil suivant l’alinéa 80(1)b) doit porter sur la vente de médicaments par les brevetés à des clients.

[188]   Ce qui changera à l’entrée en vigueur des modifications, c’est la façon dont les brevetés doivent calculer le « prix » et les « recettes », conformément aux alinéas 4(4)a) et b) du Règlement. Le libellé du paragraphe 4(4) s’amorce sur les mots « [p]our l’application du sous-alinéa 1f)(i) », établissant un lien direct entre le paragraphe 4(4) et le paragraphe 4(1) du Règlement, qui, à son tour, établit un lien avec l’alinéa 80(1)b) de la Loi sur les brevets. Par conséquent, le calcul des prix est lié à l’exigence prévue à l’alinéa 80(1)b), selon laquelle les brevetés doivent fournir au Conseil des renseignements sur le prix auquel un médicament a été vendu.

[189]   Une comparaison à l’aide de parties raturées entre le libellé actuel de l’alinéa 4(4)a) du Règlement et le libellé modifié par le paragraphe 3(4) des modifications souligne les différences entre les deux versions de l’alinéa, ainsi que le nouveau calcul des prix :

Libellé actuel de l’alinéa 4(4)a)

4 (1) […]

(4) […]

a) le prix après déduction des réductions accordées à titre de promotion ou sous forme de rabais, escomptes, remboursements, biens ou services gratuits, cadeaux ou autres avantages semblables et après déduction de la taxe de vente fédérale doit être utilisé pour le calcul du prix moyen par emballage dans lequel le médicament était vendu;

Alinéa 4(4)a), tel que modifié par le paragraphe 3(4) des modifications

3 (1) […]

(4) […]

a) le prix obtenu par le breveté, compte tenu des ajustements apportés par le breveté ou toute partie qui, directement ou indirectement, achète le médicament ou en rembourse l’achat et de toute déduction accordée à toute partie sous forme de biens ou services gratuits, cadeaux ou autres avantages semblables, doit être utilisé pour le calcul du prix moyen du médicament par emballage; [Non souligné dans l’original.]

[190]   Comme l’indique le texte souligné ci-dessus, pour calculer les prix, le breveté sera tenu de tenir compte de tout ajustement apporté par « toute partie qui, directement ou indirectement, achète le médicament ou en rembourse l’achat et de toute réduction accordée à toute partie ». Cette formulation large ne se limite pas aux ajustements apportés par le breveté ou le client, mais s’étend à tous les ajustements apportés par une partie. Le nouveau calcul des prix ne se limite donc pas aux ventes conclues par le breveté au prix du fabricant.

[191]   Le défendeur reconnaît que le nouveau calcul des prix permettra au Conseil de tenir compte des ventes qui ont été conclues à un prix supérieur à celui du fabricant, mais il soutient que le lien entre ces renseignements et le régime législatif est que ces ventes doivent être utilisées pour calculer le prix que le breveté obtient réellement pour un médicament. Le nouveau calcul des prix permettra au Conseil d’aller plus en aval de la chaîne de transactions, mais il devra toujours exister un lien avec le breveté, et par conséquent, le Règlement relève de la compétence du gouvernement fédéral. En d’autres termes, le gouverneur en conseil a utilisé son pouvoir de réglementation pour imposer une interprétation large et holistique du « prix » auquel le médicament breveté en question est « vendu » par le breveté.

[192]   Le défendeur soutient également que le mandat du Conseil en matière de protection des consommateurs favorise une interprétation large du « prix » auquel un breveté « vend » un médicament. La Cour suprême a adopté cette approche en rejetant une interprétation étroite de l’expression « vente [...] sur l[e] march[é] canadien » qui aurait exclu les médicaments vendus aux consommateurs canadiens à partir des États-Unis de la compétence du Conseil (Celgene, aux paragraphes 22 et 25). De plus, dans l’arrêt Sandoz, la Cour d’appel fédérale s’est concentrée sur la question de savoir si la transaction en cause concernait un breveté, plutôt que sur la question de savoir si la vente a été conclue au prix du fabricant (Sandoz, aux paragraphes 73 à 76). Selon le défendeur, ces décisions ont préséance sur la décision de la Cour dans Pfizer.

[193]   Comme je l’ai déjà mentionné, dans la décision Pfizer, la Cour n’a pas abordé la question précise du pouvoir du gouverneur en conseil de modifier les exigences en matière de rapports. Cependant, les arrêts Celgene et Sandoz ont une valeur limitée dans l’interprétation des dispositions particulières de la Loi sur les brevets en cause en l’espèce.

[194]   Dans l’arrêt Celgene, la Cour suprême a rejeté une interprétation stricte, fondée sur le droit commercial, du mot « vente » figurant à l’alinéa 80(1)b), qui aurait empêché le Conseil de réglementer les ventes de médicaments effectuées dans d’autres pays et destinés au Canada, mais paradoxalement, qui aurait conféré au Conseil un pouvoir sur les ventes de médicaments au Canada destinées à d’autres pays. Ce résultat aurait été incompatible avec l’objet législatif de protéger les consommateurs canadiens. Bien que la Cour suprême ait approuvé une interprétation large du mot « vente » dans ces circonstances, elle n’a examiné ni la question du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil ni celle des prix après déduction des transactions effectuées avec des tiers, que les brevetés déclarent.

[195]   Dans l’arrêt Sandoz, la Cour d’appel fédérale a conclu que les parties qui figurent en aval de la chaîne d’approvisionnement du fabricant du breveté peuvent relever de la définition générale du terme « breveté » se trouvant à l’article 79 au moyen d’une licence implicite. La principale question était la définition du terme « breveté » au sens du régime des médicaments brevetés, et la Cour n’a pas tenu compte du calcul des « prix » dans le contexte du régime.

[196]   Je ne peux accepter l’argument du défendeur selon lequel les arrêts Celgene et Sandoz obligent généralement la Cour à adopter une interprétation large du prix auquel un médicament est vendu. Contrairement à la suggestion du défendeur selon laquelle, dans l’arrêt Sandoz, la Cour d’appel fédérale s’est concentrée sur le prix obtenu par le breveté, l’analyse portait en fait sur la définition du terme « breveté » et de l’expression « prix demandé par le breveté » (Sandoz, au paragraphe 76; italique ajouté). Dans les arrêts Celgene et Sandoz, les tribunaux ont reconnu que la compétence du Conseil est liée aux ventes conclues par les brevetés avec des clients.

[197]   Étant donné que le nouveau calcul des prix a un lien direct avec l’alinéa 80(1)b) de la Loi sur les brevets, le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil se limite à définir les renseignements sur le prix auquel le breveté vend le médicament. J’adopte les mots de la juge Mactavish selon lesquels une interprétation du terme « vente » (ou « vendue ») qui englobe la relation entre les brevetés et les tiers qui n’achètent pas ou n’acquièrent pas le titre des médicaments des brevetés « irait [...] clairement à l’encontre du sens ordinaire du terme » (Pfizer, au paragraphe 78).

[198]   De plus, le nouveau calcul des prix est incompatible avec le sous-alinéa 4(1)f)(i) du Règlement, qui exige que les brevetés indiquent le prix auquel un médicament a été « vendu par le breveté [...] à chaque catégorie de clients ». Exiger que les brevetés tiennent compte des transactions financières avec des tiers qui ne sont pas des clients — et qui ne sont pas étrangers à la transaction de vente initiale — dépasse la portée du mandat conféré par la loi au gouverneur en conseil en dissociant le calcul du prix de la vente du médicament breveté.

[199]   Il convient de réitérer que le mandat conféré au Conseil par la Loi sur les brevets ne consiste pas à fixer les prix des médicaments brevetés, et que celui-ci ne réglemente pas les recettes réalisées par les brevetés. Le Conseil n’exerce son mandat en matière de contrôle des prix que lorsqu’il estime que le breveté a abusé de son monopole et imposé des prix excessifs. Le rôle du Conseil est de « surveiller les prix fixés par les brevetés relativement aux médicaments brevetés, ce qui lui permet de s’assurer que ces prix ne sont pas excessifs » (Pfizer, au paragraphe 70; italique ajouté). Cette interprétation du rôle du Conseil est compatible aux éléments de preuve extrinsèques concernant l’intention législative qui sont cités ci-dessus, aux paragraphes 85 à 87.

[200]   Le défendeur soutient que les demanderesses ont tenté de présenter un argument constitutionnel de façon [traduction] « furtive » sans soulever directement une question de partage constitutionnel des pouvoirs. Bien que les demanderesses nient soulever cet argument constitutionnel, le défendeur affirme que les demanderesses demandent en effet à la Cour de conclure que le Règlement dépasse la limite de la compétence constitutionnelle.

[201]   Les avocats des demanderesses ont clairement indiqué dans leurs plaidoiries que les demanderesses ne contestent pas la constitutionnalité des modifications. Les demanderesses n’ont déposé aucun avis de question constitutionnelle en l’espèce. De plus, une instance distincte contestant la constitutionnalité des modifications est en cours devant la Cour supérieure du Québec. Cependant, les demanderesses soutiennent que les limites constitutionnelles restreignent le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil dans le contexte d’une contestation de la validité d’une loi.

[202]   La validité constitutionnelle n’est pas en litige en l’espèce. De plus, j’accepte la position du défendeur selon laquelle le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’exige pas que la Cour statue sur la question de savoir si l’interprétation du décideur administratif pourrait être inconstitutionnelle; la Cour ne doit pas prioriser toutes les réponses possibles à une question et déterminer quelle est la meilleure (Sandoz, aux paragraphes 68 à 70).

[203]   Cela étant dit, la question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si la décision du gouverneur en conseil appartient aux issues possibles acceptables se justifiant au regard des contraintes pertinentes et, par conséquent, si elle est raisonnable. Après avoir examiné le régime législatif et la jurisprudence pertinente, je conclus que ce n’est pas le cas.

[204]   Je n’ai pas à examiner les limites du partage constitutionnel des pouvoirs, car le nouveau calcul des prix est incompatible avec le régime législatif en vigueur. La Cour n’accepte pas le fait que les demanderesses ont présenté des arguments constitutionnels sous la forme d’une contestation de la validité de dispositions législatives. Le présent contrôle judiciaire ne porte que sur la validité de dispositions et sur la question de savoir si le mandat conféré au gouverneur en conseil par la Loi sur les brevets est suffisamment vaste pour permettre la promulgation du nouveau règlement sur le calcul des prix. Encore une fois, j’estime que ce n’est pas le cas.

[205]   La preuve dont la Cour dispose dans la présente demande indique en majeure partie que des brevetés ont conclu des ventes avec des grossistes. Les brevetés ne vendent généralement pas de médicaments aux régimes publics d’assurance-médicaments ou aux assureurs privés, et ces entités n’achètent pas ou n’acquièrent pas le titre des médicaments des brevetés. Les remises et les rabais accordés par les brevetés à de tiers assureurs ne sont pas liés au « prix » auquel les médicaments brevetés sont « vendu[s] » au sens de l’alinéa 80(1)b) de la Loi sur les brevets.

[206]   Pour en arriver à cette conclusion, je reconnais que les modifications bénéficient d’une présomption de validité favorisant une méthode d’interprétation qui concilie le nouveau calcul des prix avec la Loi sur les brevets (Katz, au paragraphe 25). En appliquant une interprétation large et téléologique au paragraphe 3(4) des modifications et aux articles 80 et 101 de la Loi sur les brevets, je conclus que le nouveau calcul des prix est incompatible avec la loi habilitante.

[207]   Le défendeur soutient en outre que la question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si l’objectif du régime des médicaments brevetés — protéger les consommateurs contre les médicaments brevetés à prix excessifs — est compatible avec l’application prévue du règlement sur le nouveau calcul des prix. Selon le défendeur, la réponse est « oui », car l’application prévue n’est pas différente de celle du calcul des prix avant les modifications.

[208]   Bien que le nouveau calcul des prix vise apparemment à protéger les consommateurs contre les médicaments brevetés à prix excessifs, le gouverneur en conseil ne peut dépasser la portée de son pouvoir de réglementation sous le régime de la Loi sur les brevets pour tenter de faire avancer cet objectif. C’est précisément ce que fait le nouveau calcul des prix qui, par conséquent, outrepasse le pouvoir de réglementation conféré par la Loi sur les brevets. Une interprétation qui peut être compatible avec un objectif du régime des médicaments brevetés, mais qui est incompatible avec le mandat du Conseil dans le cadre du régime de la Loi sur les brevets et qui va à l’encontre du sens ordinaire du « prix » auquel un médicament est « vendu » n’est pas raisonnable.

[209]   Enfin, le défendeur soutient que la limite quant aux prix du fabricant imposée au pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil n’est pas étayée par la Loi sur les brevets, et qu’une conclusion à l’effet contraire minerait l’objet du régime des médicaments brevetés en permettant aux brevetés de recourir à des mécanismes créatifs d’établissement indirect des prix, ce qui est le problème que le gouverneur en conseil cherche à résoudre.

[210]   Cet argument surestime la liberté des brevetés d’élaborer leurs propres mécanismes d’établissement des prix. Comme l’a reconnu la juge Mactavish dans la décision Pfizer, dans certaines circonstances, la loi en fait interdit aux brevetés de vendre des médicaments brevetés aux provinces (Pfizer, au paragraphe 73; paragraphe C.01.043(1) du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870). Cette disposition demeure essentiellement la même aujourd’hui, et les brevetés ne vendent toujours pas de médicaments sur ordonnance aux provinces.

[211]   Au moins en ce qui concerne les médicaments sur ordonnance, les brevetés vendent leurs médicaments à des grossistes conformément à un cadre réglementaire imposé par le gouvernement et négocient des EIP en dehors de ce cadre de vente. Contrairement à l’affirmation du défendeur selon laquelle la conclusion portant que le nouveau calcul des prix outrepasse le pouvoir de réglementation de la loi habilitante permettra aux brevetés de recourir à des mécanismes créatifs d’établissement indirect des prix pour miner l’objectif du régime des médicaments brevetés, les brevetés continueront à réaliser leurs activités conformément à ce cadre réglementaire complémentaire établi par le gouvernement fédéral. Comme l’ont fait valoir les demanderesses, les brevetés sont motivés à conclure des EIP afin d’avoir accès aux formulaires des assureurs.

[212]   Le deuxième argument principal des demanderesses concernant le nouveau calcul des prix porte sur l’application des articles 80 et 85 de la Loi sur les brevets. Les demanderesses soutiennent que l’article 85 établit une distinction entre les facteurs relatifs au prix, qui doivent être pris en compte en application du paragraphe 85(1), et les facteurs relatifs au coût, qui ne peuvent être pris en compte en application du paragraphe 85(2) que lorsque les facteurs obligatoires ne sont pas déterminants. De même, les alinéas 80(1)b) et c) font la distinction entre les renseignements sur le prix et ceux sur le coût que les brevetés doivent fournir au Conseil.

[213]   Les demanderesses soutiennent que les paiements d’inscription correspondent à un « coût » d’accès au marché, à la lumière de la preuve décrivant le processus de négociation des prix et de conclusion d’EIP entre les fabricants de médicaments et les assureurs, comme il est indiqué ci-dessus. Selon les demanderesses, le nouveau calcul des prix exige que les brevetés tiennent compte des coûts d’inscription dans le prix auquel le médicament a été vendu, ce qui introduit de façon inadmissible des facteurs relatifs au coût dans le calcul des prix.

[214]   Cet argument est un corollaire du premier argument des demanderesses, et étant donné que le nouveau calcul des prix constitue un exercice déraisonnable du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil compte tenu des contraintes pertinentes, je n’ai pas à examiner cet argument en détail. Comme je l’ai déjà mentionné, les paiements versés à des tiers, qui peuvent être interprétés comme des coûts d’un breveté, ne font pas partie du prix auquel un breveté vend un médicament.

[215]   En conclusion, l’obligation pour les brevetés de déclarer des renseignements sur le prix après déduction des transactions concernant des tiers n’ayant aucun rapport avec la vente au prix du fabricant de médicaments brevetés est incompatible avec le sous-alinéa 4(1)f)(i) du Règlement et l’alinéa 80(1)b) de la Loi sur les brevets. En modifiant ainsi le paragraphe 4(4) du Règlement, le gouverneur en conseil a dépassé la portée de son mandat de réglementation figurant à l’alinéa 101(1)a) de la Loi sur les brevets.

[216]   Il importe de préciser que cette conclusion ne doit pas être interprétée de façon stricte comme portant que le mandat du Conseil ne se limite qu’à un régime d’établissement des prix de référence, ou que le pouvoir du gouverneur en conseil est circonscrit à ce régime. Comme je l’ai déjà mentionné, en vertu de l’alinéa 101(1)d), le gouverneur en conseil jouit du vaste pouvoir de définir les facteurs additionnels dont le Conseil doit tenir compte conformément au paragraphe 85(1). En vertu de l’alinéa 101(1)a), le gouverneur en conseil a également le vaste pouvoir de définir les renseignements et les documents que les brevetés doivent fournir au Conseil conformément au paragraphe 80(1).

[217]   Cependant, il est déraisonnable de modifier le paragraphe 4(4) du Règlement — qui est lié à l’alinéa 80(1)b) de la Loi sur les brevets en particulier — de façon à inclure, dans le calcul du prix auquel un médicament a été vendu, les paiements ou les ajustements offerts à des tiers. Après avoir mis en œuvre le nouveau calcul des prix en modifiant le paragraphe 4(4) du Règlement, le gouverneur en conseil était limité par le libellé, le contexte et l’objet des dispositions connexes de la Loi sur les brevets et du Règlement.

[218]   Après avoir examiné les contraintes pertinentes imposées au gouverneur en conseil, en particulier le régime de la Loi sur les brevets et la jurisprudence applicable, je conclus que les demanderesses ont établi que le nouveau calcul des prix outrepasse le pouvoir de réglementation conféré par la loi habilitante.

VIII. Conclusion

[219]   Par conséquent, les modifications contestées prévues aux articles 4 et 6, ainsi que l’annexe des modifications, sont conformes à la Loi sur les brevets. La modification contestée prévue au paragraphe 3(4) des modifications outrepasse le pouvoir de réglementation conféré par la Loi sur les brevets.

[220]   Les demanderesses ont droit à un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 3(4) des modifications est invalide, nul et sans effet, car il outrepasse le pouvoir de réglementation conféré par la Loi sur les brevets. Compte tenu de cette conclusion, le paragraphe 4(4) du Règlement continue de s’appliquer dans sa version actuelle.

IX. Dépens

[221]   Les demanderesses et le défendeur ont convenu de ne pas réclamer les dépens de la présente demande, quelle qu’en soit l’issue. Par l’ordonnance de la Cour datée du 30 mars 2020, aucuns dépens ne seront adjugés contre la CORD ou en faveur de celle-ci en ce qui a trait à son intervention.

[222]   Par conséquent, aucuns dépens ne sont adjugés.



Annexe

Dispositions pertinentes du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (facteurs additionnels et exigences supplémentaires relatives à la fourniture de renseignements), DORS/2019-298

3 (1) […]

(4) Les alinéas 4(4)a) et b) du même règlement sont remplacés par ce qui suit : 

a) le prix obtenu par le breveté, compte tenu des ajustements apportés par le breveté ou toute partie qui, directement ou indirectement, achète le médicament ou en rembourse l’achat et de toute déduction accordée à toute partie sous forme de biens ou services gratuits, cadeaux ou autres avantages semblables, doit être utilisé pour le calcul du prix moyen du médicament par emballage;     

b) le montant des recettes obtenues par le breveté, compte tenu des ajustements apportés par le breveté ou toute partie qui, directement ou indirectement, achète le médicament ou en rembourse l’achat et de toute déduction accordée à toute partie sous forme de biens ou services gratuits, cadeaux ou autres avantages semblables, doit être utilisé pour le calcul des recettes nettes pour chaque forme posologique, chaque concentration et chaque format d’emballage dans lesquels

le médicament a été vendu sous sa forme posologique finale.

4 Le même règlement est modifié par adjonction, après l’article 4, de ce qui suit :  

4.1 (1) Pour l’application des alinéas 80(1)d) et (2)d) de la Loi, le breveté fourni au Conseil, à l’égard du facteur prévu à l’alinéa 4.4a), toute analyse coût-utilité préparée par un organisme canadien financé par l’État qui a été publiée et qui lui a été communiquée et dont les résultats sont exprimés en fonction du coût par année de vie pondéré par la qualité, pour chaque indication faisant l’objet de l’analyse.            

(2) Le breveté fourni au Conseil tout renseignement visant le médicament qui a été caviardé dans l’analyse publiée.  

(3) L’analyse doit être fournie :    

a) si elle est publiée avant le jour où le médicament est offert en vente au Canada pour la première fois, dans les trente jours suivant ce jour;     

b) sinon, dans les trente jours suivant sa publication.  

(4) Malgré le paragraphe (3), s’agissant d’un médicament offert en vente au Canada avant le 1er juillet 2020, l’analyse doit être fournie :          

a) si elle est publiée avant le 1er juillet 2020, au plus tard le 30 juillet 2020;    

b) sinon, dans les trente jours suivant sa publication.  

(5) L’analyse est fournie au Conseil uniquement si un coût établi dans celle-ci pour le médicament est ou serait, lorsqu’il est calculé sur la base d’une utilisation du médicament répartie sur une période de douze mois, égal ou supérieur à 50 pour cent du produit intérieur brut par habitant au Canada au moment de la publication de l’analyse.  

4.2 (1) Pour l’application des alinéas 80(1)d) et (2)d) de la Loi, le breveté fourni au Conseil, à l’égard du facteur prévu à l’alinéa 4.4b), l’utilisation maximale estimative du médicament au Canada, en fonction de la quantité totale des prévisions de ventes du médicament sous sa forme posologique finale.    

(2) Le breveté fourni au Conseil la période sur laquelle est fondée l’estimation de l’utilisation maximale du médicament.      

(3) Le breveté fourni au Conseil l’utilisation maximale estimative du médicament dans les trente jours suivant la date où le médicament est offert en vente au Canada pour la première fois.       

(4) Malgré le paragraphe (3), s’agissant d’un médicament offert en vente au Canada avant le 1er juillet 2020, la version la plus récente de l’utilisation maximale estimative du médicament doit être fournie :     

a) si le médicament est offert en vente au Canada pour la première fois pendant la période commençant le 1er juillet 2017 et se terminant le 30 juin 2020, au plus tard le 30 juillet 2020;  

b) si le médicament est offert en vente au Canada pour la première fois avant le 1er juillet 2017, mais que le ministre de la Santé lui attribue une identification numérique conformément au Règlement sur les aliments et drogues :

(i) pendant la période commençant le jour où le Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (facteurs additionnels et exigences supplémentaires relatives à la fourniture de renseignements) est publié dans la partie II de la Gazette du Canada et se terminant le 30 juin 2020, au plus tard le 30 juillet 2020,

(ii) après le 30 juin 2020, dans les trente jours suivant la date d’attribution de l’identification numérique.          

(5) Le breveté met à jour l’utilisation maximale estimative du médicament dans les trente jours suivant la date de la délivrance par le ministre de la Santé de tout avis de conformité approuvant une utilisation thérapeutique nouvelle ou modifiée du médicament.        

4.3 (1) Malgré les paragraphes 4.1(3) et (4) et 4.2(3) et (4), s’agissant des médicaments ci-après, les renseignements visés aux paragraphes 4.1(1) et (2) et 4.2(1) et (2) doivent être fournis au Conseil dans les trente jours suivant l’envoi, par ce dernier, d’une demande au breveté visant à ce que celui-ci fournisse ces renseignements :      

a) le médicament qui n’est pas une drogue sur ordonnance, au sens de l’article A.01.010 du Règlement sur les aliments et drogues, ni une drogue mentionnée à l’annexe D de la Loi sur les aliments et drogues;          

b) le médicament qui contient une substance désignée, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, dont la vente ou la fourniture ne nécessite pas d’ordonnance aux termes de cette loi;       

c) le médicament à l’égard duquel un avis de conformité a été délivré d’après les renseignements et le matériel contenus dans la présentation déposée en vertu de l’article C.08.002.1 du Règlement sur les aliments et drogues;

d) le médicament qui est destiné à l’usage vétérinaire.

(2) Les exigences du paragraphe 4.2(5) s’appliquent à l’égard des renseignements fournis en application du paragraphe (1). 

[…]

4.4 Pour l’application de l’alinéa 85(1)e) de la Loi, les autres facteurs dont le Conseil doit tenir compte pour décider si le prix d’un médicament vendu après le 30 juin 2020 sur un marché canadien est excessif sont les suivants :  

a) la valeur pharmacoéconomique du médicament au Canada;           

b) la taille du marché de ce médicament au Canada;  

c) le produit intérieur brut du Canada et le produit intérieur brut par habitant au Canada.          

[…]

6 L’annexe du même règlement est remplacée par l’annexe figurant à l’annexe du présent règlement.         

[…]

ANNEXE

(article 6)

ANNEXE              

(sous-alinéa 4(1)f)(iii))     

Allemagne

Germany        

Australie

Australia

Belgique

Belgium          

Espagne

Spain  

France

France

Italie

Italy     

Japon

Japan 

Norvège

Norway

Pays-Bas

Netherlands

Royaume-Uni

United Kingdom

Suède

Sweden

 

 

 

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