A-321-18
2020 CAF 79
Loblaw Financial Holdings Inc. (appelante)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
Répertorié : Loblaw Financial Holdings Inc. c. Canada
Cour d’appel fédérale, juges Woods, Laskin et Mactavish, J.C.A.—Toronto, 15 octobre 2019; Ottawa, 23 avril 2020.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Revenu étranger accumulé, tiré de biens — Appel d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a confirmé la conclusion du ministre du Revenu national selon laquelle le revenu de la filiale de l’appelante à la Barbade, Glenhuron Bank Limited, était un revenu étranger accumulé, tiré de biens (REATB), et l’appelante était tenue de payer de l’impôt sur celui-ci — Glenhuron a obtenu une licence en tant que banque extraterritoriale en application de la législation bancaire de la Barbade — Au cours des années d’imposition en cause, le financement de Glenhuron a augmenté principalement grâce à ses propres bénéfices non distribués — Le régime du REATB exige que le revenu passif des Canadiens tiré d’une société étrangère soit inclus dans le revenu de l’actionnaire canadien — La définition d’« entreprise de placement » à l’art. 95(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), qui énonce des exclusions précises, était au cœur du présent appel — L’une des conditions à remplir pour pouvoir bénéficier de l’une des exclusions est l’exigence d’une relation entre personnes sans lien de dépendance — La Cour de l’impôt a conclu entre autres choses que Glenhuron assurait la conduite de son entreprise principalement avec des personnes ayant un lien de dépendance avec elle — Par conséquent, ses revenus provenaient d’une entreprise de placement et devaient être inclus dans le revenu de l’appelante en tant que REATB — La Cour de l’impôt a conclu qu’une interprétation correcte du critère de l’absence d’un lien de dépendance dans un contexte bancaire exige que l’on examine les activités de la banque sous l’angle à la fois de la réception et de l’utilisation de fonds — Elle a également conclu que toutes les personnes avec lesquelles Glenhuron a mené une entreprise devaient être prises en compte — La question à trancher était de savoir si la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que Glenhuron n’a pas mené une entreprise principalement avec des personnes sans lien de dépendance avec elle — La conclusion de la Cour de l’impôt sur la question de l’absence de lien de dépendance contenait des erreurs — La question particulière à trancher était de savoir avec qui Glenhuron menait principalement la conduite de son entreprise — La réception et l’utilisation de fonds ne constituent pas dans tous les cas une exigence nécessaire à l’exploitation d’une entreprise bancaire — L’utilisation du terme « banque » figurant dans le nom de l’entité et le fait qu’elle soit réglementée ou non sont les facteurs à prendre en considération, plutôt que les activités réelles qui sont menées — L’approche de la Cour de l’impôt allait à l’encontre de celle adoptée par la Cour suprême dans l’arrêt Canadian Pioneer Management Ltd. et autres c. Conseil des relations du travail de la Saskatchewan et autres — Le critère de l’absence d’un lien de dépendance ne requérait pas à la fois la réception et l’utilisation de fonds d’une entreprise — La réception de fonds de l’entreprise n’implique pas un élément de concurrence et la nécessité de la réception de fonds d’une entreprise ne signifie pas que l’exclusion ne s’applique pas si une entreprise gère simplement ses propres fonds — La Cour de l’impôt a déduit une interprétation téléologique d’une intention législative non exprimée — L’accent mis sur une intention non explicite de concurrence ne convenait pas en l’espèce, où il était question d’un régime du REATB élaboré minutieusement — La Cour de l’impôt a confondu la justification de la loi aux fins d’une analyse de la règle générale anti-évitement avec l’objectif de la loi dans le contexte d’une analyse de l’interprétation législative — Le législateur n’a pas explicitement exigé que la concurrence soit un élément de l’exclusion en cause accordée aux banques étrangères — La Cour de l’impôt n’a pas respecté le principe selon lequel une société et ses actionnaires sont des entités distinctes — Le REATB de Glenhuron était limité à son revenu lié aux services de gestion des placements fournis à des personnes ayant un lien de dépendance avec elle — Le législateur n’avait pas l’intention de refuser à une filiale l’exclusion accordée aux banques étrangères en raison du soutien et de la surveillance assurés par sa société mère — Le capital investi par le groupe de l’appelante n’occupait pas le temps et l’attention de Glenhuron de manière significative — Cette approche est conforme à une jurisprudence de longue date — Les nouvelles cotisations ont été renvoyées au ministre en vue d’un réexamen — Appel accueilli.
Il s’agissait d’un appel d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt (la Cour de l’impôt) a confirmé la conclusion du ministre du Revenu national selon laquelle le revenu de la filiale de l’appelante à la Barbade, Glenhuron Bank Limited (Glenhuron), était un revenu étranger accumulé, tiré de biens (REATB) et a ordonné que de nouvelles cotisations soient établies pour les années d’imposition en cause, et ce, uniquement en ce qui concerne les opérations de change.
L’appel portait sur la question de savoir si les dispositions relatives au REATB de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) s’appliquaient à l’appelante en ce qui concerne Glenhuron. Le ministre a établi de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2001 à 2005, 2008 et 2010 obligeant l’appelante, une société canadienne, à payer de l’impôt sur le revenu de Glenhuron au motif qu’il s’agissait d’un REATB. À titre d’information, l’appelante a obtenu une licence pour Glenhuron en tant que banque extraterritoriale en application de la législation bancaire de la Barbade sous le régime de la Off-shore Banking Act (OSBA), remplacée ensuite par la International Financial Services Act (IFSA). Lorsque Glenhuron a obtenu sa licence, elle a été autorisée à utiliser le terme « banque » dans sa dénomination. Aux termes de la IFSA (et, de même, de la OSBA), Glenhuron s’est engagée dans plusieurs types d’activités financières tels des swaps de taux d’intérêt et des swaps de devises, l’achat d’un portefeuille de prêts et la gestion de placements pour le compte d’autres sociétés des groupes de l’appelante. Avant les années d’imposition en cause, la principale source de financement de Glenhuron était le capital investi par les sociétés du groupe de l’appelante (sous forme de capital social ou de dette sans intérêt). Au cours des années d’imposition en cause, le financement de Glenhuron a augmenté principalement grâce à ses propres bénéfices non distribués, qui étaient substantiels. Le régime du REATB vise à empêcher les Canadiens d’éviter l’impôt sur le revenu passif en gagnant ce revenu de sociétés étrangères sises dans des pays à faible taux d’imposition. Le régime vise à atteindre ce résultat en exigeant que le revenu passif de la société étrangère soit inclus dans le revenu de l’actionnaire canadien au fur et à mesure qu’il est gagné.
La définition d’« entreprise de placement » au paragraphe 95(1) de la LIR était au cœur du présent appel. Elle énonce des exclusions précises accordées à des types d’entreprises particuliers. L’une des conditions à remplir pour pouvoir bénéficier de l’une des exclusions est l’exigence d’une relation entre personnes sans lien de dépendance énoncée à l’alinéa a) de la définition d’une « entreprise de placement ». La Cour de l’impôt a conclu entre autres choses que Glenhuron assurait la conduite de son entreprise principalement avec des personnes ayant un lien de dépendance avec elle et, par conséquent, les revenus de Glenhuron provenaient d’une entreprise de placement et devaient être inclus dans le revenu de l’appelante en tant que REATB. La Cour de l’impôt a conclu qu’une interprétation correcte du critère de l’absence d’un lien de dépendance dans un contexte bancaire exige que l’on examine les activités de la banque sous l’angle à la fois de la réception et de l’utilisation de fonds. Elle a conclu que la concurrence n’est pas une exigence du critère d’une relation entre personnes sans lien de dépendance, mais qu’elle est pertinente pour l’analyse. Elle a également conclu que toutes les personnes avec lesquelles Glenhuron a mené une entreprise devaient être prises en compte. L’appelante a soutenu notamment qu’une interprétation correcte du critère d’une relation entre personnes sans lien de dépendance permet de déterminer si la banque étrangère a généré des revenus en investissant dans ou avec des personnes sans lien de dépendance avec elle. Cela découle, l’appelante a-t-elle soutenu, de la définition de l’« entreprise de placement » qui se concentre sur les revenus provenant de placements.
La question à trancher était de savoir si la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que Glenhuron n’a pas mené une entreprise principalement avec des personnes sans lien de dépendance avec elle aux fins de la définition d’« entreprise de placement » donnée au paragraphe 95(1) de la LIR.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
La conclusion de la Cour de l’impôt sur la question de l’absence de lien de dépendance était fondée sur une interprétation beaucoup trop large de la loi applicable et contenait des erreurs de droit. L’expression « entreprise de placement » exige que, pour être admissible aux exclusions définies aux alinéas 95(1)a), b) et c), l’entreprise doit être une entreprise autre que « celle menée principalement avec des personnes avec lesquelles la société affiliée a un lien de dépendance ». La question particulière à trancher dans le présent appel était de savoir avec qui Glenhuron menait principalement la conduite de son entreprise. Une erreur concernait la manière dont le critère de l’absence de lien de dépendance doit être interprété dans le contexte précis des banques étrangères. Ce n’est pas parce que les lois de la Barbade définissent les opérations bancaires internationales d’une manière particulière que la réception et l’utilisation de fonds sont toujours une condition nécessaire à l’exercice d’une activité bancaire. L’utilisation du terme « banque » figurant dans le nom de l’entité et le fait qu’elle soit réglementée ou non sont les facteurs à prendre en considération, plutôt que les activités réelles qui sont menées. L’approche de la Cour de l’impôt allait à l’encontre de celle adoptée par la Cour suprême dans l’arrêt Canadian Pioneer Management Ltd. et autres c. Conseil des relations du travail de la Saskatchewan et autres, qui précise qu’une approche formelle et institutionnelle doit être adoptée pour définir une activité bancaire. En utilisant cette approche, il n’y avait pas de base raisonnable pour conclure que le critère de l’absence d’un lien de dépendance requérait à la fois la réception et l’utilisation de fonds d’une entreprise. Étant donné que le terme « banque » dépend de facteurs formels plutôt que de fonctions, la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit en partant du principe que la réception de fonds de l’entreprise implique un élément de concurrence et que la nécessité de la réception de fonds d’une entreprise signifie que l’exclusion ne s’applique pas si une entreprise gère simplement ses propres fonds. En concentrant son analyse sur la concurrence, la Cour de l’impôt a déduit une interprétation téléologique d’une intention législative non exprimée. Il s’agissait également d’une erreur de droit. L’accent mis dans les motifs de la Cour de l’impôt sur une intention non explicite de concurrence ne convenait pas en l’espèce, où il était question d’un régime du REATB élaboré minutieusement. La Cour de l’impôt a également commis une erreur en confondant la justification de la loi aux fins d’une analyse de la règle générale anti-évitement avec l’objectif de la loi dans le contexte d’une analyse de l’interprétation législative. Le législateur n’a pas explicitement exigé que la concurrence soit un élément de l’exclusion en cause accordée aux banques étrangères. La Cour de l’impôt a également commis une erreur en ne respectant pas le principe fondamental selon lequel une société et ses actionnaires sont des entités distinctes. Elle a décidé que Glenhuron avait mené avec l’appelante ses activités d’achat de titres de créance à court terme et ses opérations de swap et que Glenhuron agissait au nom de l’appelante. Or, Glenhuron ne gérait que son propre argent, et non celui de Loblaw.
Le REATB de Glenhuron était limité à son revenu lié aux services de gestion des placements fournis à des personnes ayant un lien de dépendance avec elle. Glenhuron a principalement mené une entreprise avec des personnes avec lesquelles elle a conclu des contrats concernant des titres de créance à court terme et des opérations de swap. Glenhuron n’avait pas de lien de dépendance avec aucune de ces personnes. Le régime du REATB dans son ensemble, et l’exclusion accordée aux banques étrangères en particulier, vise à encourager les Canadiens à mener une entreprise exploitée activement à l’étranger. Il est impossible que le législateur ait eu l’intention de refuser à une filiale l’exclusion accordée aux banques étrangères en raison du soutien et de la surveillance assurés par sa société mère. L’intention législative serait frustrée si l’on accordait un poids significatif à ces interactions avec l’appelante. Aux fins de la LIR, le terme « entreprise » signifie généralement « quelque chose qui occupe le temps, l’attention et le travail d’un homme dans un but de réaliser un profit ». Si l’on applique le sens du terme « entreprise », il n’y a aucune raison de conclure que le capital investi par le groupe de l’appelante aurait occupé le temps et l’attention de Glenhuron de manière significative. Cette approche est conforme à une jurisprudence de longue date qui établit une distinction entre « le capital destiné à permettre aux [personnes] de diriger leurs entreprises » et « les activités par lesquelles elles gagnent leurs revenus ».
Les nouvelles cotisations ont été renvoyées au ministre en vue d’un réexamen et de l’établissement de nouvelles cotisations au motif que le REATB de Glenhuron ne consistait qu’en un revenu provenant de services de gestion des placements fournis à des parties ayant un lien de dépendance avec elle.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 91(1), 95(1) « banque étrangère », « entreprise de placement », (2)b),(2.4),(2.11), 248(1) « entreprise ».
International Financial Services Act, ch. 325, art. 4(2) (Barbade).
Off-shore Banking Act, ch. 325 (Barbade).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Hypothèques Trustco Canada. c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Canadian Pioneer Management Ltd. et al. c. Conseil des relations du travail de la Saskatchewan et autres, [1980] 1 R.C.S. 433; Shell Canada Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; Smith v. Anderson (1880), 15 Ch. D. 247 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE :
Bennett & White Construction Co. v. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 287.
DÉCISIONS CITÉES :
Loblaw Financial Holdings Inc. c. La Reine, 2018 CCI 263; Canada c. Oxford Properties Group Inc., 2018 CAF 30, [2018] 4 R.C.F. 3; Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721; Chevron Corp. c. Yaiguaje, 2015 CSC 42, [2015] 3 R.C.S. 69; Montreal Coke and Mfg. Co. Ltd. v. Minister of National Revenue, [1944] 3 D.L.R. 545, [1944] A.C. 126 (P.C.).
APPEL d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2018 CCI 182), qui a confirmé la conclusion du ministre du Revenu national selon laquelle le revenu de la filiale de l’appelante à la Barbade était un revenu étranger accumulé, tiré de biens et a ordonné que de nouvelles cotisations soient établies pour les années d’imposition en cause, et ce, uniquement en ce qui concerne les opérations de change. Appel accueilli.
ONT COMPARU :
Al Meghji, Mary Paterson, Pooja Mihailovich et Robert Raizenne pour l’appelante.
Elizabeth Chasson, Aleksandrs Zemdegs, Laurent Bartleman, Cherylyn Dickson et Isida Ranxi pour l’intimée.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Osler, Hoskin & Harcourt LLP, Toronto, pour l’appelante.
La sous-procureure générale du Canada pour l’intimée.
|
|
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] La juge Woods, J.C.A. : Le présent appel porte sur la question de savoir si les dispositions relatives au revenu étranger accumulé tiré de biens (REATB) de la Loi sur l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 [LIR] s’appliquent à Loblaw Financial Holdings Inc. en ce qui concerne sa filiale à la Barbade, Glenhuron Bank Limited.
[2] Le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations pour Loblaw Financial qui ont obligé cette dernière à payer de l’impôt sur le revenu de Glenhuron au motif qu’il s’agissait d’un REATB. Ce faisant, le ministre a estimé que le revenu de Glenhuron ne pouvait pas bénéficier d’une exclusion accordée aux banques étrangères. Loblaw Financial a porté ces nouvelles cotisations en appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt.
[3] Dans une décision publiée sous la référence 2018 CCI 182, la Cour canadienne de l’impôt a convenu avec le ministre que l’exclusion accordée aux banques étrangères ne s’appliquait pas. La conclusion de la Cour se fondait sur le fait que Glenhuron avait principalement mené une entreprise avec des sociétés affiliées et qu’elle n’avait donc pas mené une entreprise principalement avec des personnes sans lien de dépendance avec elle, comme l’exige la loi applicable.
[4] Loblaw Financial a introduit un appel devant notre Cour. L’appel porte sur les années d’imposition 2001 à 2005, 2008 et 2010 de Loblaw Financial.
Contexte factuel
[5] Les faits de l’affaire sont utilement exposés en détail dans les motifs de la Cour canadienne de l’impôt. Il suffit, aux fins du présent appel, de donner un aperçu.
[6] Loblaw Financial est une société canadienne et une filiale indirecte en propriété exclusive de Loblaw Companies Limited (Loblaw). Loblaw est une société publique canadienne qui est contrôlée par George Weston Limited (Weston). Par conséquent, Loblaw et Weston, ainsi que leurs filiales, ont un lien de dépendance entre elles.
[7] Au début des années 1990, Loblaw Financial s’est inquiétée de modifications fiscales proposées susceptibles d’avoir une incidence négative sur sa filiale de financement aux Pays-Bas. Elle a décidé de créer une nouvelle filiale à la Barbade.
[8] En 1993, Loblaw Financial s’est adressée à la Banque centrale de la Barbade pour que sa filiale de la Barbade obtienne une licence en tant que banque extraterritoriale en application de la législation bancaire de la Barbade. La Banque centrale a accepté de délivrer la licence, ce qu’elle a fait à la fin de 1993 en application de la Off-shore Banking Act, ch. 325 [Barbade] (OSBA) ([traduction] Loi sur les services bancaires extraterritoriaux). En 2002, la OSBA a été remplacée par la International Financial Services Act, ch. 325 [Barbade] (IFSA) ([traduction] Loi sur les services financiers internationaux) et la filiale est alors devenue assujettie à la IFSA.
[9] Lorsque la filiale a obtenu sa licence, elle a été autorisée à utiliser le terme « banque » dans sa dénomination, qui est devenue la Glenhuron Bank Limited.
[10] Conformément à la législation de la Barbade, Glenhuron était une banque et était soumise à la réglementation bancaire de la Barbade si la Banque centrale de la Barbade lui délivrait une licence en application de la OSBA ou de la IFSA. En conséquence, une fois la licence délivrée, la Banque centrale a commencé à réglementer les activités de Glenhuron.
[11] Au fil du temps, des capitaux ont été investis dans Glenhuron par le groupe Loblaw, y compris par la filiale néerlandaise de Loblaw Financial. La plupart de ces fonds ont été investis avant les années d’imposition en cause.
[12] Aux termes de la IFSA (et, de même, de la OSBA), les activités de Glenhuron étaient limitées à celles exposées dans la définition des [traduction] « activités bancaires internationales ». Cette définition est reproduite ici :
Paragraphe 4(2) de la IFSA
[traduction]
4. (1) […]
(2) Au sens du paragraphe (1), les « activités bancaires internationales » désignent
a) les activités de réception de fonds étrangers par les moyens suivants :
(i) la réception de fonds étrangers versés et remboursables sur demande ou après un délai déterminé ou sur préavis;
(ii) la vente ou le placement d’obligations étrangères, de certificats étrangers, de devises étrangères ou d’autres dettes ou d’autres titres étrangers;
(iii) toute autre activité similaire visant des fonds ou des titres étrangers;
b) les activités d’utilisation des fonds étrangers ainsi obtenus, en tout ou en partie pour
(i) des prêts, des avances et des placements;
(ii) les activités du licencié pour le compte du licencié ou aux risques de celui-ci;
(iii) l’achat ou le placement d’obligations étrangères, de certificats étrangers, de devises ou d’autres titres de dette ou d’autres titres étrangers;
(iv) toute autre activité similaire visant des fonds ou des titres étrangers;
c) les activités de réception en fiducie, provenant de personnes résidant hors de la Barbade ou de personnes désignées,
(i) de montants d’argent en devises étrangères ou en titres étrangers ou les deux;
(ii) de biens personnels étrangers ou de biens meubles étrangers;
(iii) de biens immobiliers étrangers ou de biens immeubles étrangers.
[13] Selon les éléments de preuve d’experts du droit de la Barbade présentés par Loblaw Financial, la législation de la Barbade exigeait que Glenhuron satisfasse à la fois aux exigences de réception et d’utilisation des fonds telles qu’elles sont définies ci-dessus. L’experte a également estimé que Glenhuron satisfaisait à ces exigences. Je note que les hypothèses fournies par Loblaw Financial sur lesquelles l’experte a fondé son opinion ne comprenaient pas l’hypothèse selon laquelle la réception de fonds par Glenhuron faisait partie de son entreprise. En conséquence, cette conclusion faisait partie de l’avis de l’experte.
[14] Glenhuron a continué d’exister jusqu’en 2013, date à laquelle elle a été liquidée pour fournir à Loblaw les fonds nécessaires à une acquisition majeure.
Activités de Glenhuron
[15] Les activités entreprises par Glenhuron, qui sont au cœur du présent appel, ont été présentées en détail dans les motifs de la Cour canadienne de l’impôt. Ainsi, un simple résumé sera suffisant.
[16] Au cours des années en cause, Glenhuron s’est engagée dans plusieurs types d’activités financières :
- elle a acheté des titres de créance à court terme à faible risque libellés en dollars américains;
- elle a conclu des swaps de taux d’intérêt qui étaient généralement destinés à fournir à Glenhuron un taux de rendement équivalant à un taux fixe sur un emprunt à long terme;
- elle a conclu des swaps de devises afin que Glenhuron ne soit pas exposée aux fluctuations des devises par rapport au dollar canadien;
- elle a conclu un accord avec le groupe Weston pour acheter un portefeuille de prêts qui avaient été accordés par des banques sans lien de dépendance avec elle à des conducteurs indépendants distribuant des produits de boulangerie de Weston aux États-Unis. Glenhuron a ensuite accordé des prêts supplémentaires aux conducteurs. Quelques années plus tard, Glenhuron a vendu le portefeuille de prêts à une autre société du groupe Loblaw ou Weston et a géré le portefeuille au nom de ce groupe;
- Elle a géré des placements pour le compte d’autres sociétés des groupes Loblaw et Weston contre rémunération. Elle a également géré des fonds pour le compte d’une société sans lien de dépendance avec elle. La stratégie de placement employée au nom de ces sociétés était très similaire à celle de Glenhuron;
- Elle a accordé deux prêts à court terme à des sociétés ayant un lien de dépendance avec elle;
- Elle a conclu des contrats à livrer sur actions pour acheter des actions de Loblaw. D’après les états financiers consolidés de Loblaw, l’objectif de ces transactions était de [traduction] « gérer l’exposition aux fluctuations des coûts de rémunération à base d’actions de l’entreprise en raison des variations du prix du marché de ses actions ordinaires ».
[17] Devant notre Cour, Loblaw Financial a fourni un résumé de la valeur des actifs et des revenus des activités de Glenhuron. Le résumé, qui est reproduit en annexe des présents motifs, reposait essentiellement sur les états financiers au dossier. Il a été préparé aux fins du présent appel.
[18] La source des fonds pour ces activités est également pertinente dans le présent appel. Il y avait deux sources principales de financement. Avant les années d’imposition en cause, la principale source de financement de Glenhuron était le capital investi par les sociétés du groupe Loblaw (sous forme de capital social ou de dette sans intérêt). Au cours des années d’imposition en cause, le financement de Glenhuron a augmenté principalement grâce à ses propres bénéfices non distribués, qui étaient substantiels.
Dispositions législatives applicables
[19] Le régime du REATB vise à empêcher les Canadiens d’éviter l’impôt sur le revenu passif en gagnant ce revenu de sociétés étrangères sises dans des pays à faible taux d’imposition. Le régime vise à atteindre ce résultat en exigeant que le revenu passif de la société étrangère soit inclus dans le revenu de l’actionnaire canadien au fur et à mesure qu’il est gagné.
[20] Je reproduis ci-dessous [au paragraphe 91(1) de la LIR] la disposition introductive concernant le REATB qui exige que celui-ci soit inclus dans les revenus de l’actionnaire. La brièveté de cette disposition n’est pas représentative de l’ensemble du texte législatif concernant le REATB, qui est connu pour sa complexité :
Sommes à inclure au titre d’une action dans une société étrangère affiliée
91 (1) Dans le calcul du revenu pour une année d’imposition d’un contribuable résidant au Canada, il doit être inclus, relativement à chaque action qui lui appartient dans le capital-actions d’une société étrangère affiliée contrôlée du contribuable, à titre de revenu tiré de l’action, le pourcentage du revenu étranger accumulé, tiré de biens, de toute société étrangère affiliée contrôlée du contribuable, pour chaque année d’imposition de la société affiliée qui se termine au cours de l’année d’imposition du contribuable, égal au pourcentage de participation de cette action, afférent à la société affiliée et déterminé à la fin de chaque telle année d’imposition de cette dernière.
[21] À un niveau très élémentaire, le régime du REATB fonctionne en distinguant le revenu d’une entreprise exploitée activement, qui n’est pas un REATB, et le revenu passif, qui en est un. Comme l’indiquent les motifs de la Cour canadienne de l’impôt, après que le texte législatif concernant le REATB eu été en vigueur pendant plusieurs années, le gouvernement a craint que la loi n’ait pas suffisamment de mordant pour atteindre son objectif. Le problème était qu’il n’existait aucune définition législative du « revenu d’une entreprise exploitée activement » ou du « revenu passif ». Par conséquent, en 1995, la loi a été remaniée pour fournir des définitions détaillées, y compris une définition de l’expression « entreprise de placement » qui désigne, de manière générale, un revenu passif.
[22] La définition d’« entreprise de placement » au paragraphe 95(1) de la LIR est au cœur du présent appel. Il suffit, aux fins de l’espèce, d’examiner la version actuelle de la définition, qui est reproduite en annexe. Le présent appel porte sur la partie de la définition qui énonce des exclusions précises accordées à des types d’entreprises particuliers, comme les entreprises financières qui perçoivent un revenu d’intérêt dans le cadre d’une entreprise exploitée activement (alinéas a), b) et c)).
[23] L’une des conditions à remplir pour pouvoir bénéficier de l’une des exclusions est l’exigence d’une relation entre personnes sans lien de dépendance énoncée à l’alinéa a) de la définition d’une « entreprise de placement ». Cette condition est rédigée comme une exclusion aux exclusions : « sauf celle menée principalement avec des personnes avec lesquelles la société affiliée a un lien de dépendance ».
[24] Loblaw Financial soutient que Glenhuron remplit les conditions d’exclusion en tant que banque étrangère. Le terme « banque étrangère » est également défini au paragraphe 95(1).
Décision de la Cour canadienne de l’impôt
[25] La Cour canadienne de l’impôt a été saisie de nombreuses questions, et ses principales conclusions ont été utilement résumées dans le jugement formel. Il y a trois conclusions en ce qui concerne le REATB :
- Glenhuron était une banque étrangère réglementée qui employait l’équivalent de plus de cinq employés à temps plein au cours des années d’imposition en cause. Toutefois, elle assurait la conduite de son entreprise principalement avec des personnes ayant un lien de dépendance avec elle et, par conséquent, les revenus de Glenhuron provenaient d’une entreprise de placement et devaient être inclus dans le revenu de Loblaw Financial en tant que REATB;
- en application de l’alinéa 95(2)b) de la LIR, le revenu tiré des honoraires de Glenhuron provenant de la gestion des placements pour des personnes ayant un lien de dépendance avec elle était un REATB étant donné que le revenu était réputé être un revenu provenant d’une entreprise distincte autre qu’une entreprise exploitée activement. Certains honoraires versés par les filiales de Weston étaient également un REATB même s’ils n’étaient pas assujettis à l’alinéa 95(2)b), car cette activité ferait autrement partie de l’« entreprise de placement » de Glenhuron;
- dans le calcul du REATB, les gains et les pertes sur change en ce qui a trait au placement de Glenhuron dans des titres de créance à court terme étaient imputés à son compte de revenu.
[26] À la suite de ces conclusions, la Cour canadienne de l’impôt a ordonné que de nouvelles cotisations soient établies pour les années d’imposition en cause, et ce, uniquement en ce qui concerne les opérations de change. Par ailleurs, la conclusion du ministre selon laquelle le revenu de Glenhuron était un REATB a été confirmée.
[27] En concluant que Glenhuron n’avait pas mené une entreprise principalement avec des personnes sans lien de dépendance avec elle, ce qui est la seule question en litige en l’espèce, la Cour a rejeté les arguments des deux parties. En ce qui concerne les observations de la Couronne, la Cour n’était pas d’accord avec elle sur le fait que le critère d’une relation entre personnes sans lien de dépendance exigeait que Glenhuron livre concurrence pour mener une entreprise. Quant aux observations de Loblaw Financial, la Cour a rejeté son affirmation selon laquelle le critère d’une relation entre personnes sans lien de dépendance ne s’applique qu’aux personnes avec lesquelles Glenhuron a conclu des accords générateurs de revenus.
[28] La Cour a plutôt conclu que la concurrence n’est pas une exigence du critère d’une relation entre personnes sans lien de dépendance, mais qu’elle est pertinente pour l’analyse. La Cour a également conclu que toutes les personnes avec lesquelles Glenhuron a mené une entreprise devaient être prises en compte.
[29] Les conclusions de la Cour concernant le critère d’une relation entre personnes sans lien de dépendance comprennent également les éléments suivants :
- le critère d’une relation entre personnes sans lien de dépendance tel qu’il est appliqué aux banques étrangères exige un examen de la réception et de l’utilisation des fonds d’une banque;
- le terme « principalement » signifie plus de 50 p. 100, et cela doit être défini en fonction de toutes les circonstances pertinentes. Toutefois, dans le contexte de l’exclusion accordée aux banques étrangères, il faudrait donner un poids relatif plus important à l’élément de réception de fonds de l’entreprise, car c’est là où on s’attendrait à ce qu’il y ait de la concurrence;
- en ce qui concerne la réception de fonds, « tout provenait de parties avec lesquelles l’appelante avait un lien de dépendance » (au paragraphe 239);
- en ce qui concerne l’utilisation des fonds, la Cour a utilisé la formulation maladroite du critère d’une relation entre personnes sans lien de dépendance et a déclaré « [l]’appelante n’a pas réussi à me convaincre que même [...] l’utilisation de fonds n’était pas une entreprise menée principalement avec des personnes ayant un lien de dépendance avec elle » (au paragraphe 248).
[30] Dans une décision distincte publiée sous la référence 2018 CCI 263, la Cour canadienne de l’impôt a ordonné que chaque partie s’acquitte de ses dépens.
Thèse de Loblaw Financial
[31] Dans cette section, je donne un aperçu des arguments de Loblaw Financial concernant l’exigence d’une relation entre personnes sans lien de dépendance, qui est la seule question en litige dans l’appel.
[32] Je n’ai pas fourni de résumé des observations de la Couronne ici, car celle-ci souscrit généralement aux motifs de la Cour canadienne de l’impôt. Je reviendrai plus loin dans les présents motifs sur les observations de la Couronne.
[33] Loblaw Financial soutient que la Cour canadienne de l’impôt a commis quatre erreurs de droit :
- en donnant à la loi une interprétation large, elle y a ajouté une exigence de concurrence;
- elle s’est concentrée sur la capitalisation plutôt que sur les sources de revenu;
- elle a qualifié l’entreprise menée comme comprenant les recettes en capital;
- elle n’a pas traité Glenhuron comme une entité séparée et distincte de Loblaw.
[34] Loblaw Financial soutient qu’une interprétation correcte du critère d’une relation entre personnes sans lien de dépendance permet de déterminer si la banque étrangère a généré des revenus en investissant dans ou avec des personnes sans lien de dépendance avec elle. Cela découle, soutient-on, de la définition de l’« entreprise de placement » qui se concentre sur les revenus provenant de placements.
[35] Les principaux facteurs à prendre en compte pour déterminer avec qui Glenhuron menait une entreprise, selon Loblaw Financial, sont 1) la valeur des actifs générateurs de revenu de Glenhuron, 2) le montant du revenu tiré de ces actifs et 3) le temps, l’attention et les efforts consacrés à ses activités rémunératrices.
[36] En appliquant ces principes, Loblaw Financial soutient que l’entreprise de Glenhuron est menée principalement avec des personnes sans lien de dépendance avec elle prenant part à ses trois activités principales : 1) les personnes auprès desquelles Glenhuron a acheté des titres de créance à court terme, 2) les contreparties aux swaps de Glenhuron, et 3) les banques auprès desquelles Glenhuron a acquis un portefeuille de prêts émis aux conducteurs indépendants distribuant des produits de boulangerie de Weston aux États-Unis, et les conducteurs auxquels Glenhuron a émis de nouveaux prêts.
[37] Loblaw Financial affirme que les seules transactions entre personnes ayant un lien de dépendance que Glenhuron a eues en ce qui concerne ces activités principales sont des transactions avec le groupe de boulangeries de Weston concernant les prêts aux conducteurs. Loblaw Financial a renvoyé aux paragraphes 56, 60 et 243 des motifs de la Cour canadienne de l’impôt.
Analyse
Introduction
[38] La question à trancher est de savoir si la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en concluant que Glenhuron n’a pas mené une entreprise principalement avec des personnes sans lien de dépendance avec elle aux fins de la définition d’« entreprise de placement » donnée au paragraphe 95(1) de la LIR. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour canadienne de l’impôt a effectivement commis des erreurs susceptibles de révision, qui sont des erreurs de droit, et que la décision de la Cour canadienne de l’impôt devrait être annulée. Par conséquent, il est également nécessaire d’envisager le redressement approprié.
[39] L’analyse ci-dessous est organisée en plusieurs parties :
- Quelle est la norme de contrôle applicable?
- Quelle est l’interprétation juste de la Loi?
- La Cour canadienne de l’impôt a-t-elle commis une erreur?
- Quel est le recours approprié?
- Glenhuron a-t-elle mené une entreprise principalement avec des personnes sans lien de dépendance avec elle?
- Quelle somme convient-il de fixer pour l’adjudication des dépens?
Quelle est la norme de contrôle applicable?
[40] S’agissant d’un appel d’une décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt, notre Cour doit appliquer les normes de contrôle définies dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Les questions de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. Les questions de fait et les questions de droit et de fait (autres que les questions de droit isolables) doivent quant à elles être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante.
Quelle est l’interprétation juste de la Loi?
[41] L’approche bien établie pour l’interprétation des lois au Canada, y compris la LIR, consiste à examiner le texte, le contexte et l’objet de la Loi d’une manière qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 11).
[42] L’expression « entreprise de placement » exige que, pour être admissible aux exclusions définies aux alinéas a), b) et c), l’entreprise doit être une entreprise autre que « celle menée principalement avec des personnes avec lesquelles la société affiliée a un lien de dépendance ».
[43] La question particulière à trancher dans le présent appel est la suivante : Avec qui Glenhuron menait-elle principalement la conduite de son entreprise? L’expression clé est ici « entreprise […] menée [...] avec ».
[44] L’expression « entreprise […] menée [...] avec », selon son sens ordinaire, indique qu’elle s’applique à toute personne avec laquelle Glenhuron a une relation d’affaires. Elle n’est pas limitée aux personnes avec lesquelles Glenhuron avait conclu des transactions rémunératrices. D’autre part, le sens ordinaire ne s’étend pas aux personnes avec lesquelles Glenhuron a interagi si l’interaction n’était pas du type [traduction] « Glenhuron fait des affaires ». C’est ce qu’indique le mot « avec ».
[45] Après avoir déterminé avec qui Glenhuron menait une entreprise, les relations d’affaires doivent être soupesées pour déterminer avec qui la société a principalement mené une entreprise. L’utilisation du terme général « principalement » indique que les relations seront soupesées en s’appuyant sur les faits d’une façon appropriée dans les circonstances précises.
[46] Pour ce qui est du contexte, de façon générale, le régime du REATB distingue le revenu passif du revenu provenant d’une entreprise exploitée activement. Comme l’a expliqué en détail la Cour canadienne de l’impôt, des modifications législatives ont été apportées au régime en 1995 en réponse aux préoccupations selon lesquelles la loi existante n’avait pas suffisamment de mordant pour englober correctement le revenu passif. L’une des façons d’atteindre cet objectif a été d’ajouter la définition d’« entreprise de placement ».
[47] La définition d’« entreprise de placement » fait une distinction très approximative entre le revenu provenant d’une entreprise exploitée activement et le revenu passif. Pour ce faire, elle englobe un large éventail d’entreprises et prévoit un nombre limité d’exclusions précises.
[48] En ce qui concerne l’objet de la disposition en cause, le critère de l’absence de lien de dépendance est l’une des nombreuses conditions à remplir pour bénéficier de l’une des exclusions. Ces exclusions vont généralement dans le sens de l’objectif fondamental du régime du REATB, qui est de ne s’appliquer qu’au revenu passif. Les conditions d’exclusion concernant les banques étrangères répondent à cet objectif de plusieurs manières, y compris l’exigence d’absence de lien de dépendance :
- l’entreprise doit être soumise à des lois bancaires étrangères et être réglementée;
- la société doit exploiter l’entreprise;
- l’entreprise doit avoir l’équivalent de plus de cinq employés à temps plein; et
- l’entreprise ne doit pas être menée principalement avec des personnes ayant un lien de dépendance avec la société.
[49] Il convient de mentionner ici que les conditions susmentionnées démontrent que l’exclusion accordée aux banques étrangères dépend généralement du fait que la société soit ou non agréée et réglementée, et non pas directement du fait qu’elle exerce ou non des types d’activités particuliers.
La Cour canadienne de l’impôt a-t-elle commis une erreur?
[50] La Cour canadienne de l’impôt a été confrontée à la tâche ardue d’avoir à traiter une myriade de questions dans un long procès. Une seule de ces questions a été portée en appel devant notre Cour.
[51] À mon humble avis, la conclusion de la Cour canadienne de l’impôt sur la question de l’absence de lien de dépendance est fondée sur une interprétation beaucoup trop large de la loi applicable et contient des erreurs de droit. Ces erreurs de droit doivent être examinées selon la norme de la décision correcte, qui n’appelle aucune retenue. Comme on le verra plus loin, je suis dans une large mesure d’accord avec les observations de Loblaw Financial sur cette question, mais mon analyse diffère quelque peu.
[52] Une erreur concerne la manière dont le critère de l’absence de lien de dépendance doit être interprété dans le contexte précis des banques étrangères.
[53] La Cour canadienne de l’impôt a conclu qu’une interprétation correcte du critère de l’absence d’un lien de dépendance dans un contexte bancaire exige que l’on examine les activités de la banque sous l’angle à la fois de la réception et de l’utilisation de fonds (au paragraphe 209). Cette conclusion repose sur l’opinion de la Cour selon laquelle l’activité d’une banque comporte nécessairement deux volets : la réception et l’utilisation de fonds. La Cour semble s’être entièrement appuyée, pour formuler cette conclusion, sur la définition de l’expression [traduction] « activités bancaires internationales » dans les lois de la Barbade.
[54] Elle a commis une erreur de droit en tirant cette conclusion. Ce n’est pas parce que les lois de la Barbade définissent les opérations bancaires internationales d’une manière particulière que la réception et l’utilisation de fonds sont toujours une condition nécessaire à l’exercice d’une activité bancaire — à la Barbade ou ailleurs.
[55] Les tribunaux canadiens éprouvent des difficultés à définir le terme « banque ». La Cour suprême a examiné cette difficulté dans le contexte d’une question constitutionnelle dans l’arrêt Canadian Pioneer Management Ltd. et autres c. Conseil des relations du travail de la Saskatchewan et autres, [1980] 1 R.C.S. 433. Dans cet arrêt, la majorité de la Cour suprême a conclu que le terme « banque » est un concept abstrait et difficile à définir, et que sa signification devrait être abordée de façon formelle et sous un angle institutionnel plutôt qu’en s’appuyant sur des facteurs de fond, au sens des fonctions des banques. Il s’ensuit que l’utilisation du terme « banque » figurant dans le nom de l’entité et le fait qu’elle soit réglementée ou non sont les facteurs à prendre en considération, plutôt que les activités réelles qui sont menées.
[56] L’approche de la Cour canadienne de l’impôt va à l’encontre de celle adoptée dans l’arrêt Canadian Pioneer qui précise qu’une approche formelle et institutionnelle doit être adoptée pour définir une activité bancaire. En utilisant cette approche, il n’y a pas de base raisonnable pour conclure que le critère de l’absence d’un lien de dépendance requiert à la fois la réception et l’utilisation de fonds d’une entreprise.
[57] L’erreur qu’a commise la Cour canadienne de l’impôt en partant du principe que la réception et l’utilisation de fonds d’une entreprise sont nécessaires pour respecter le critère de l’absence d’un lien de dépendance a donné lieu à deux conclusions erronées : 1) la réception de fonds de l’entreprise implique un élément de concurrence (au paragraphe 210) et 2) la nécessité de la réception de fonds d’une entreprise signifie que l’exclusion ne s’applique pas si une entreprise gère simplement ses propres fonds (au paragraphe 325). Étant donné que le terme « banque » dépend de facteurs formels plutôt que de fonctions, la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur de droit en tirant ces conclusions.
[58] En outre, en concentrant longuement son analyse sur la concurrence, la Cour canadienne de l’impôt a déduit une interprétation téléologique d’une intention législative non exprimée. Il s’agit également d’une erreur de droit. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada : « La jurisprudence de notre Cour est constante : les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’attribuer au législateur, à l’égard d’une disposition claire de la [LIR], une intention non explicite [...] En concluant à l’existence d’une intention non exprimée par le législateur sous couvert d’une interprétation fondée sur l’objet, l’on risque de rompre l’équilibre que le législateur a tenté d’établir dans la [LIR]. » (Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, au paragraphe 43). L’accent mis dans les motifs de la Cour canadienne de l’impôt sur une intention non explicite de concurrence ne convient pas en l’espèce, où il est question d’un régime du REATB élaboré minutieusement.
[59] La Cour canadienne de l’impôt a également commis une erreur en confondant la justification de la loi aux fins d’une analyse de la RGAÉ [règle générale anti-évitement] avec l’objectif de la loi dans le contexte d’une analyse de l’interprétation législative. Il s’agit d’exercices nettement différents (Canada c. Oxford Properties Group Inc., 2018 CAF 30, [2018] 4 R.C.F. 3, aux paragraphes 40 à 42, citant l’arrêt Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721, aux paragraphes 66 et 70). Il semble que la Cour canadienne de l’impôt ait balayé cette distinction, la qualifiant de « subtil[e] et formaliste » (au paragraphe 218).
[60] Comme l’indiquent les motifs de la Cour canadienne de l’impôt, la concurrence est reconnue comme une considération de principe pour la limitation du REATB au revenu passif et, à ce titre, elle serait pertinente dans une analyse de la RGAÉ. Cependant, le législateur n’a pas explicitement exigé que la concurrence soit un élément de l’exclusion en cause accordée aux banques étrangères. Cette disposition peut être mise en contraste avec d’autres dispositions concernant le REATB dans lesquelles l’exigence de concurrence est explicite (voir, par exemple, le paragraphe 95(2.4) de la LIR).
[61] La Cour a également commis une erreur en ne respectant pas le principe fondamental selon lequel une société et ses actionnaires sont des entités distinctes (Chevron Corp. c. Yaiguaje, 2015 CSC 42, [2015] 3 R.C.S. 69, au paragraphe 95).
[62] Elle a commis cette erreur en décidant que Glenhuron avait mené avec Loblaw ses activités d’achat de titres de créance à court terme et ses opérations de swap. Dans chaque cas, la Cour a déclaré que Glenhuron agissait au nom de Loblaw dont elle investissait l’argent (aux paragraphes 242 et 247). À l’exception des services de gestion des placements, qui ne sont pas pertinents dans cette partie de l’analyse, Glenhuron ne gérait que son propre argent, et non celui de Loblaw. La Cour a commis une erreur de droit en considérant que l’argent de Glenhuron appartenait à Loblaw.
Quel est le recours approprié?
[63] Les erreurs commises par la Cour canadienne de l’impôt lui ont permis de conclure que le revenu de Glenhuron était un REATB. La décision qu’elle a rendue doit donc être annulée, sauf en ce qui concerne les services de gestion des placements puisque cette question n’a pas été portée en appel.
[64] Compte tenu de ces erreurs, notre Cour peut soit renvoyer l’affaire devant la Cour canadienne de l’impôt pour qu’elle statue à nouveau sur l’affaire, soit rendre la décision que la Cour canadienne de l’impôt aurait dû rendre.
[65] Dans ce cas particulier, le dossier était très complet et comprenait un dossier d’appel en 36 volumes. Au départ, je doutais qu’il soit possible de tirer les conclusions de fait nécessaires dans le présent appel pour rendre le jugement que la Cour canadienne de l’impôt aurait dû rendre.
[66] En fin de compte, j’ai conclu qu’il est possible de tirer les conclusions de fait nécessaires. Je m’appuie pour cela sur trois facteurs : 1) les motifs de la Cour canadienne de l’impôt sont très détaillés, 2) Loblaw Financial a fourni des résumés des renseignements tirés des états financiers que le dossier permettait de confirmer, et 3) la Couronne ne conteste pas les conclusions factuelles de la Cour canadienne de l’impôt concernant les activités menées par Glenhuron.
[67] Je me pencherai maintenant sur la décision que la Cour canadienne de l’impôt aurait dû rendre.
Glenhuron a-t-elle mené une entreprise principalement avec des personnes sans lien de dépendance avec elle?
[68] Dans cette section, j’examine avec qui Glenhuron a mené une entreprise. Pour les motifs qui suivent, je conclus que Glenhuron a principalement mené une entreprise avec des personnes sans lien de dépendance avec elle. Cette conclusion ne dépend pas de la question de savoir si l’activité de gestion des placements est considérée ou non comme une activité distincte.
[69] L’expression « entreprise de placement » exige explicitement que Loblaw Financial ou Glenhuron établissent que l’exigence d’absence d’un lien de dépendance a été satisfaite. À mon avis, c’est ce qu’a fait Loblaw Financial. Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que Glenhuron a principalement mené une entreprise avec des personnes avec lesquelles elle a conclu des contrats concernant des titres de créance à court terme et des opérations de swap. Glenhuron n’avait pas de lien de dépendance avec aucune de ces personnes.
[70] L’essentiel de l’activité commerciale de Glenhuron consistait à décider des secteurs d’activité à poursuivre et des contrats rémunérateurs à conclure, puis à mettre en œuvre ces transactions. Ces activités comprenaient généralement des interactions entre Glenhuron et les personnes avec lesquelles Glenhuron effectuait des transactions rémunératrices. Elles comprenaient également des interactions entre Glenhuron et Loblaw Financial, à l’occasion desquelles la société mère a fourni des directives et un soutien et a exercé une surveillance.
[71] Lorsque l’on applique le critère de l’absence d’un lien de dépendance à ces interactions, il faut examiner l’incidence de l’interaction avec Loblaw Financial sur l’analyse, cerner les transactions rémunératrices prédominantes et décider si ces transactions ont été effectuées avec des personnes avec lesquelles Glenhuron avait ou non un lien de dépendance.
[72] En ce qui concerne l’interaction entre Glenhuron et Loblaw Financial, l’ampleur et la nature de cette interaction n’ont pas été exposées aussi clairement qu’elles auraient pu l’être dans les éléments de preuve. Loblaw Financial soutient que ces interactions étaient [traduction] « commercialement normales et légalement requises ». Cela indique un simple rôle de surveillance qui n’équivaudrait pas à mener une entreprise avec Glenhuron. À mon avis, les éléments de preuve n’étaient pas suffisamment détaillés pour établir que le rôle était ainsi limité. Il se peut fort bien que Loblaw Financial ait fourni des services de soutien à Glenhuron, faisant en sorte que Glenhuron mène une entreprise avec sa société mère.
[73] Toutefois, à mon avis, cela n’a aucune incidence sur la question fondamentale qui est de savoir si Glenhuron a principalement mené une entreprise avec des personnes sans lien de dépendance avec elle. Le régime du REATB dans son ensemble, et l’exclusion accordée aux banques étrangères en particulier, vise à encourager les Canadiens à mener une entreprise exploitée activement à l’étranger. Il est impossible que le législateur ait eu l’intention de refuser à une filiale l’exclusion accordée aux banques étrangères en raison du soutien et de la surveillance assurés par sa société mère. L’intention législative serait frustrée si l’on accordait un poids significatif à ces interactions avec Loblaw Financial.
[74] Pour ce qui est de soupeser les interactions de Glenhuron dans ses transactions rémunératrices, il convient d’accorder un poids prédominant aux personnes avec lesquelles Glenhuron a traité lors de l’acquisition de titres de créance à court terme et de swaps. Comme le montrent clairement les tableaux en annexe, la grande majorité des actifs de Glenhuron étaient investis dans des titres de créance à court terme libellés en dollars américains, des swaps de devises et des swaps de taux d’intérêt. Ces activités sont également celles qui, de loin, ont généré le plus de revenus. À l’exception du rôle de soutien de Loblaw évoqué plus haut, cette activité commerciale a été menée entièrement avec des personnes avec lesquelles Glenhuron n’avait pas de lien de dépendance.
[75] Loblaw Financial a fait valoir un autre aspect de l’activité principale de Glenhuron, à savoir les prêts aux conducteurs de produits de boulangerie de Weston. Bien que les prêts aient été détenus par des conducteurs sans lien de dépendance avec Glenhuron, l’arrangement a bénéficié de la participation significative du groupe de boulangerie Weston et a fait l’objet d’un accord formel avec ce groupe. J’en conclus que cette partie de l’activité a été essentiellement menée avec Weston ainsi qu’avec les conducteurs avec lesquels Glenhuron n’avait pas de lien de dépendance.
[76] Toutefois, il n’est pas nécessaire de tenir compte des prêts aux conducteurs pour satisfaire au critère d’absence de lien de dépendance. Comme le montrent les tableaux, les prêts aux conducteurs ont utilisé une part relativement faible des fonds de Glenhuron et ont généré un revenu relativement faible. Mon impression générale est que cette activité a occupé les salariés de Glenhuron plus que d’autres entreprises, par rapport à ses rendements, mais que, malgré tout, le nombre de salariés ayant pris part à cette activité était faible par rapport à l’activité commerciale principale qui nécessitait la participation active d’une équipe de placement pour acheter des titres de créance à court terme et conclure des opérations de swap.
[77] Je précise que les tableaux fournis par Loblaw Financial ne contiennent pas de renseignements financiers quant aux contrats à terme de capitaux propres. Loblaw Financial a justifié l’exclusion par le fait que les nouvelles cotisations établies par le ministre n’incluaient pas les gains ou pertes non réalisés de cette activité qui étaient déclarés dans les états financiers. Je ne suis pas convaincue que ce soit une raison suffisante pour exclure des tableaux les renseignements relatifs aux contrats à terme de capitaux propres. Cependant, de l’argent a été perdu sur une base cumulative avec ces contrats et la Couronne n’a pas fait valoir qu’il s’agissait d’une activité commerciale importante. Tout bien pesé, j’ai conclu que cette activité n’était pas significative par rapport aux activités principales de Glenhuron.
[78] Je vais maintenant examiner certaines des observations de la Couronne.
[79] Tout d’abord, la Couronne soutient que le critère de l’absence d’un lien de dépendance exige que le tribunal examine à la fois l’utilisation et la réception des fonds par Glenhuron. La Couronne affirme que Loblaw Financial a elle-même admis tout au long de l’instance que la réception et l’utilisation des fonds étaient des éléments des activités de Glenhuron en reconnaissant que Glenhuron exerçait des « activités bancaires internationales ».
[80] Les observations de Loblaw Financial devant la Cour canadienne de l’impôt n’ont pas été communiquées à notre Cour. Toutefois, sur la base des renseignements dont elle dispose, notre Cour constate que la Couronne présente de manière inexacte la thèse de Loblaw Financial. Loblaw Financial n’a pas déclaré que la réception des fonds faisait partie de l’entreprise de Glenhuron, car le terme « entreprise » est compris aux fins de la définition d’« entreprise de placement » donnée dans la LIR. Au lieu de cela, Loblaw Financial a déclaré que la réception des fonds faisait partie de ses activités bancaires internationales aux fins des lois bancaires de la Barbade. Les deux concepts sont très différents.
[81] La question que soulèvent les observations de la Couronne est de savoir si les fonds qu’a reçus Glenhuron aux fins d’utilisation dans son entreprise faisaient partie de la conduite de l’entreprise de Glenhuron aux fins de la définition d’« entreprise de placement » donnée dans la LIR. À cette fin, le terme « entreprise » doit être défini conformément au droit canadien, et non au droit de la Barbade.
[82] Aux fins de la LIR, le terme « entreprise » signifie généralement [traduction] « quelque chose qui occupe le temps, l’attention et le travail d’un homme dans un but de réaliser un profit » (voir l’arrêt Smith v. Anderson (1880), 15 Ch. D. 247 (C.A.), à la page 258, et la définition du terme « entreprise » au paragraphe 248(1) de la LIR).
[83] Cette question est pertinente pour décider si le capital investi par le groupe Loblaw faisait partie de la conduite de l’entreprise de Glenhuron. Compte tenu de la signification générale du terme « entreprise », il s’agit d’une question de fait. À mon avis, les placements en capital du groupe Loblaw ne faisaient pas partie de la conduite de l’entreprise de Glenhuron.
[84] Si l’on applique le sens du terme « entreprise », il n’y a aucune raison de conclure que le capital investi par le groupe Loblaw aurait occupé le temps et l’attention de Glenhuron de manière significative. Ces placements s’inscrivaient plutôt dans la stratégie globale de Loblaw visant à transférer des fonds d’autres filiales vers Glenhuron dans la mesure où ces fonds dépassaient les besoins de l’entreprise. Il s’agissait d’une décision de l’actionnaire et il n’y a aucune raison de conclure qu’elle concernait l’entreprise menée par Glenhuron.
[85] J’ajouterai également que cette approche est conforme à une jurisprudence de longue date qui établit une distinction entre [traduction] « le capital destiné à permettre aux [personnes] de diriger leurs entreprises » et [traduction] « les activités par lesquelles elles gagnent leurs revenus » (Bennett & White Construction Co. v. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 287, à la page 298, citant Montreal Coke and Mfg. Co. Ltd. v. Minister of National Revenue, [1944] 3 D.L.R. 545, [1944] A.C. 126 (P.C.)).
[86] Enfin, la Couronne soutient que, si la thèse de Loblaw Financial est acceptée, la cible même de la loi concernant le REATB, qui est un portefeuille d’investissements détenus à l’étranger, serait exemptée. Cette préoccupation est valable, mais elle ne permet pas à un tribunal de donner à la loi une interprétation plus large que celle qu’elle peut raisonnablement recevoir. Il appartient au législateur de combler une lacune dans la loi. Il semble que le législateur l’ait maintenant fait avec l’ajout du paragraphe 95(2.11) de la LIR, mais cela n’est pas pertinent aux fins du présent appel.
[87] Pour ces motifs, je conclus que le REATB de Glenhuron est limité à son revenu lié aux services de gestion des placements fournis à des personnes ayant un lien de dépendance avec elle. Je renverrais les nouvelles cotisations au ministre pour l’établissement d’une nouvelle cotisation sur ce fondement.
Quelle somme convient-il de fixer pour l’adjudication des dépens?
[88] Il est nécessaire de prendre en considération les dépens devant notre Cour et la Cour canadienne de l’impôt.
[89] En ce qui concerne l’appel devant notre Cour, les dépens seront attribués à Loblaw Financial sur la base du tarif.
[90] En ce qui concerne l’instance devant la Cour canadienne de l’impôt, je rendrais l’ordonnance relative aux dépens que la Cour canadienne de l’impôt aurait dû rendre. La question est de savoir si Loblaw Financial doit se voir accorder des dépens supérieurs au tarif; dans l’affirmative, il faut en fixer le montant.
[91] Le procès a été long et complexe et a soulevé une question importante. Il est clair que des dépens nettement supérieurs au tarif devraient être attribués. La Couronne a convenu dans ses observations que cela serait approprié si Loblaw Financial obtenait gain de cause.
[92] Les parties sont toutefois en désaccord quant au montant qui devrait être accordé. Loblaw Financial soutient qu’il serait approprié d’accorder 3,1 millions de dollars pour les honoraires d’avocat, ce qui représente 50 p. 100 des honoraires d’avocat qu’elle a réclamés jusqu’à la date de sa première offre de règlement et 80 p. 100 par la suite, soit, en tout, 60 p. 100 du total des honoraires. La Couronne soutient que le montant des honoraires ne devrait pas être fixe, mais devrait correspondre à un pourcentage des honoraires raisonnables facturés et payés. Elle avance le chiffre de 35 p. 100.
[93] L’adjudication des dépens n’est pas une science exacte et, en l’espèce, il convient que notre Cour en fixe le montant. À mon avis, il conviendrait d’accorder 1,8 million de dollars, plus des débours raisonnables. Ce résultat est plus proche de la position de la Couronne (35 p. 100) que de celle de Loblaw Financial (60 p. 100).
[94] Pour arriver à cette conclusion, j’ai rejeté l’argument de Loblaw Financial selon lequel les dépens adjugés devraient être sensiblement augmentés en raison des offres de règlement qu’elle a faites et compte tenu de certains agissements de la Couronne.
[95] Il y a eu deux offres de règlement. La première offre de Loblaw Financial n’était pas un compromis raisonnable et ne justifie pas une augmentation des dépens adjugés. La deuxième offre reposait sur un compromis, mais elle a été faite assez tard dans le processus. Elle ne justifierait pas non plus une augmentation significative des dépens.
[96] L’adjudication des dépens tient compte, dans une certaine mesure, du fait que la conduite de la Couronne a rendu le procès plus long et plus difficile. Toutefois, je ne suis pas d’avis que les dépens adjugés devraient être considérablement augmentés. Je n’ai aucune raison de croire que la Couronne a pris des positions qui n’étaient pas justifiées dans les circonstances. La Cour canadienne de l’impôt a eu un avis différent à ce sujet, mais le juge a eu l’avantage d’observer le déroulement du procès et les commentaires de la Cour se sont inscrits dans le contexte où elle avait donné gain de cause à la Couronne.
Conclusion
[97] J’accueillerais l’appel et j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt. Pour rendre la décision que la Cour canadienne de l’impôt aurait dû rendre, j’accueillerais l’appel interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt et je renverrais les nouvelles cotisations au ministre en vue d’un réexamen et de l’établissement de nouvelles cotisations au motif que le REATB de Glenhuron ne consiste qu’en un revenu provenant de services de gestion des placements fournis à des parties ayant un lien de dépendance avec elle.
[98] J’accorderais les dépens à Loblaw Financial relativement au présent appel. En ce qui concerne les dépens devant la Cour canadienne de l’impôt, j’annulerais l’adjudication des dépens fixée par la Cour canadienne de l’impôt. Pour rendre la décision que la Cour canadienne de l’impôt aurait dû rendre, j’accorderais à Loblaw Financial des dépens d’un montant fixe de 1,8 million de dollars, plus les débours raisonnables.
Le juge Laskin, J.C.A. : Je suis d’accord.
La juge Mactavish, J.C.A. : Je suis d’accord.
ANNEXE A
Actifs de Glenhuron
[EN BLANC] |
Titres de créance à court terme |
Swaps de devises (valeur nominale) |
Swaps de taux d’intérêt (valeur nominale) |
Prêts |
Référence du dossier d’appel |
|||
Année |
$ US (en millions) |
Nbre |
$ US (en millions) |
Nbre |
$ canadiens (en millions) |
$ US (en millions) |
[EN BLANC] |
|
2000 |
709 |
53 |
661 |
31 |
833 |
- |
Onglet 16.A, p. 399 et 404; onglet 81.A, p. 4528; onglet 81.L, p. 4541 |
|
2001 |
653 |
56 |
726 |
42 |
1 353 |
91 |
Onglet 16.B, p. 411, 416 à 417; onglet 81.B, p. 4529; onglet 81.M, p. 4542 |
|
2002 |
707 |
59 |
787 |
41 |
1 347 |
91 |
Onglet 16.C, p. 423 et 428 à 430; onglet 81.C, p. 4530 à 4531; onglet 81.N, p. 4543 |
|
2003 |
765 |
63 |
861 |
32 |
1 160 |
96 |
Onglet 16.D, p. 435, 440 à 442; onglet 81.D, p. 4532 à 4533; onglet 81.O, p. 4544 |
|
2004 |
681 |
57 |
796 |
21 |
988 |
106 |
Onglet 16.E, p. 447 et 452 à 454; onglet 81.E, p. 4534; onglet 81.P, p. 4545 à 4546 |
|
2005 |
724 |
54 |
746 |
13 |
723 |
- |
Onglet 16.F, p. 459, 465 et 466; onglet 81.F, p. 4535; onglet 81.Q, p. 4547 à 4548 |
|
2007 |
823 |
53 |
847 |
10 |
630 |
- |
Onglet 16.H, p. 483 et 490; onglet 81.H, p. 4537; onglet 81.S, p. 4550 à 4551 |
|
2008 |
913 |
53 |
950 |
6 |
390 |
- |
Onglet 16.I, p. 496 et 503; onglet 81.I, p. 4538; onglet 81.T, p. 4552 |
|
2010 |
977 |
55 |
1 028 |
3 |
200 |
- |
Onglet 16.K, p. 535 et 543; onglet 81.K, p. 4540; onglet 81.V, p. 4554 |
|
Activités commerciales de base : Revenu brut d’exploitation
En millions de $ US
Année |
Total pour GBL |
Swaps |
Titres de créance à court terme |
Intérêt de prêts |
Référence du dossier d’appel |
|||
2000 |
49,4 |
14,3 |
29 % |
34,1 |
69 % |
- |
- |
Onglet 16.A, p. 400 |
2001 |
44,6 |
9,3 |
21 % |
32,2 |
72 % |
2,6 |
6 % |
Onglet 16.B, p. 412 |
2002 |
55,8 |
30,3 |
54 % |
18 |
32 % |
7,7 |
14 % |
Onglet 16.C, p. 424 |
2003 |
65,1 |
47,6 |
73 % |
9,5 |
15 % |
7,8 |
12 % |
Onglet 16.D, p. 436 |
2004 |
59,5 |
41,4 |
70 % |
9,7 |
16 % |
8,1 |
14 % |
Onglet 16.E, p. 448 |
2005 |
56,9 |
31,6 |
55 % |
21,9 |
38 % |
3,2 |
6 % |
Onglet 16.F, p. 460 |
2007 |
88,6 |
47,6 |
54 % |
38,2 |
43 % |
- |
- |
Onglet 16.H, p. 484 |
2008 |
72,7 |
48,2 |
66 % |
19,7 |
27 % |
- |
- |
Onglet 16.I, p. 497 |
2010 |
60,5 |
55,5 |
92 % |
1,9 |
3 % |
- |
- |
Onglet 16.K, p. 536 |
Activités commerciales non essentielles : Revenu brut d’exploitation
En millions de $ US
Année |
Total pour GBL |
Frais de gestion des placements |
Prêts aux parties liées |
Frais de gestion des prêts |
Référence du dossier d’appel |
|||
2000 |
49,4 |
0,7 |
1,4 % |
- |
- |
- |
- |
Onglet 16.A, p. 400 |
2001 |
44,6 |
0,4 |
0,9 % |
- |
- |
- |
- |
Onglet 16.B, p. 412 |
2002 |
55,8 |
0,5 |
0,9 % |
3,2 |
5,7 % |
- |
- |
Onglet 16.C, p. 424; onglet 83.A, p. 4676 à 4679 |
2003 |
65,1 |
0,6 |
0,9 % |
- |
- |
- |
- |
Onglet 16.D, p. 436 |
2004 |
59,5 |
0,6 |
1,0 % |
- |
- |
- |
- |
Onglet 16.E, p. 448 |
2005 |
56,9 |
0,9 |
1,6 % |
- |
- |
0,3 |
0,5 % |
Onglet 16.F, p. 460 |
2007 |
88,6 |
1,2 |
1,4 % |
1,0 |
1,1 % |
0,6 |
0,7 % |
Onglet 16.H, p. 484 |
2008 |
72,7 |
1,4 |
1,9 % |
2,9 |
4,0 % |
0,6 |
0,8 % |
Onglet 16.I, p. 497 |
2010 |
60,5 |
1,7 |
2,8 % |
1,5 |
2,5 % |
- |
- |
Onglet 16.K, p. 536 |
ANNEXE B
Définitions applicables à la présente sous-section
95 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente sous-section.
[…]
entreprise de placement Entreprise exploitée par une société étrangère affiliée d’un contribuable au cours d’une année d’imposition (à l’exception d’une entreprise qui est réputée par le paragraphe (2) être une entreprise autre qu’une entreprise exploitée activement de la société affiliée et autre qu’une entreprise non admissible de cette société) dont le principal objet consiste à tirer un revenu de biens (y compris des intérêts, dividendes, loyers, redevances et rendements semblables et tous montants de remplacement de tels intérêts, dividendes, loyers, redevances ou rendements), un revenu de l’assurance ou de la réassurance de risques, un revenu provenant de l’affacturage de comptes clients ou des bénéfices provenant de la disposition de biens de placement, sauf si le contribuable ou la société affiliée établissent que les conditions ci-après étaient réunies tout au long de la période de l’année pendant laquelle la société affiliée a exploité l’entreprise :
a) l’entreprise, sauf celle menée principalement avec des personnes avec lesquelles la société affiliée a un lien de dépendance, présente l’une des caractéristiques suivantes :
(i) il s’agit d’une entreprise que la société affiliée exploite à titre de banque étrangère, de société de fiducie, de caisse de crédit, de compagnie d’assurance ou de négociateur ou courtier en valeurs mobilières ou en marchandises et dont les activités sont réglementées par les lois des pays suivants, selon le cas :
(A) chaque pays où l’entreprise est exploitée par l’intermédiaire d’un établissement stable situé dans ce pays, et le pays sous le régime des lois duquel la société affiliée est régie et, selon le cas, existe, a été constituée ou organisée (sauf si elle a été prorogée dans un territoire quelconque) ou a été prorogée la dernière fois,
(B) le pays où l’entreprise est principalement exploitée,
(C) si la société affiliée est liée à une société non-résidente, le pays sous le régime des lois duquel cette dernière est régie et, selon le cas, existe, a été constituée ou organisée (sauf si elle a été prorogée dans un territoire quelconque) ou a été prorogée la dernière fois, si ces lois sont reconnues par les lois du pays où l’entreprise est principalement exploitée et si ces pays sont tous membres de l’Union européenne,
(ii) elle consiste à mettre en valeur des immeubles ou des biens réels en vue de leur vente, à prêter de l’argent, à louer des biens, à concéder des licences sur des biens ou à assurer ou à réassurer des risques;
b) selon le cas :
(i) la société affiliée exploite l’entreprise autrement qu’à titre d’associé d’une société de personnes (la société affiliée étant appelée « exploitant » à l’alinéa c) pour ce qui est des moments, compris dans la période en cause, où elle exploite ainsi l’entreprise),
(ii) la société affiliée exploite l’entreprise à titre d’associé admissible d’une société de personnes (cette dernière étant appelée « exploitant » à l’alinéa c) pour ce qui est des moments, compris dans la période en cause, où la société affiliée exploite ainsi l’entreprise;
c) l’exploitant emploie, selon le cas :
(i) plus de cinq personnes à plein temps pour assurer la conduite active de l’entreprise,
(ii) l’équivalent de plus de cinq personnes à plein temps pour assurer la conduite active de l’entreprise, compte tenu uniquement des services suivants :
(A) les services fournis par ses employés,
(B) les services que lui fournissent à l’étranger une ou plusieurs personnes dont chacune est, pendant la période où elle a exécuté les services, l’employé d’une des entités suivantes :
(I) une société liée à la société affiliée autrement qu’à cause d’un droit visé à l’alinéa 251(5)b),
(II) dans le cas où l’exploitant est la société affiliée :
1 une société (appelée « actionnaire fournisseur » au présent sous-alinéa) qui est un actionnaire admissible de la société affiliée,
2 une société désignée relativement à la société affiliée,
3 une société de personnes désignée relativement à la société affiliée,
(III) dans le cas où l’exploitant est la société de personnes visée au sous-alinéa b)(ii) :
1 une personne (appelée « associé fournisseur » au présent sous-alinéa) qui est un associé admissible de la société de personnes,
2 une société désignée relativement à la société affiliée,
3 une société de personnes désignée relativement à la société affiliée,
à condition que les sociétés visées à la subdivision (B)(I) et les sociétés désignées, sociétés de personnes désignées, actionnaires fournisseurs ou associés fournisseurs visés aux subdivisions (B)(II) et (III) reçoivent de l’exploitant, en règlement des services qui lui sont fournis par ces employés, une rétribution d’une valeur au moins égale au coût, pour ces sociétés, sociétés de personnes, actionnaires ou associés, de la rétribution payée aux employés ayant exécuté les services, ou constituée pour leur compte, pendant l’exécution de ces services. (investment business)