A-324-19 (dossier principal)
A-325-19
A-326-19
A-327-19
2020 CAF 34
Bande indienne Coldwater, Nation Squamish, Tsleil-Waututh Nation et Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá :y Village, Soowahlie, Première Nation Squiala, Tzeachten et Yakweakwioose (demanderesses)
c.
Procureur général du Canada, Trans Mountain Pipeline ULC et Trans Mountain Corporation (défendeurs)
et
Procureur général de l’Alberta, procureur général de la Saskatchewan et Régie de l’énergie du Canada (intervenants)
Répertorié : Première Nation Coldwater c. Canada (Procureur général)
Cour d’appel fédérale, juge en chef Noël, juges Pelletier et Laskin, J.C.A.—Vancouver, 16 au 18 décembre 2019; Ottawa, 4 février 2020.
Peuples autochtones — Obligation de consulter — Contrôle judiciaire contestant la seconde approbation du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain (projet) par le gouverneur en conseil — Cette approbation a été contestée pour des raisons environnementales et au motif que la Couronne manquait toujours à son obligation de consulter — Le projet a été approuvé pour la première fois en 2016 — Cette approbation a été contestée avec succès dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général) (TWN 2018) — Pour une seconde fois, le gouverneur en conseil a approuvé le projet (décret C.P. 2019-820) en juin 2019 — Le gouverneur en conseil a jugé que les consultations tenues après l’arrêt TWN 2018 avaient adéquatement pallié les lacunes mises au jour et avaient suffi pour permettre à la Couronne de s’acquitter de son obligation de consulter — Les demanderesses ont fait valoir qu’on ne peut approuver le projet avant que l’on ne résolve toutes leurs préoccupations, à savoir l’incidence du projet sur l’aquifère, le risque de déversement du bitume dilué et le transport maritime — Les demanderesses ont fait valoir également que le Canada était tenu de procéder à une analyse de la justification comme celle énoncée dans l’arrêt R. c. Sparrow au cours des consultations — Il s’agissait de savoir si le gouverneur en conseil avait raisonnablement conclu que les lacunes mises au jour dans l’arrêt TWN 2018 avaient été corrigées de façon adéquate par la nouvelle ronde de consultations — Le gouverneur en conseil pouvait à bon droit donner aux intervenants du gouvernement la latitude voulue pour évaluer si leurs efforts avaient permis d’honorer l’obligation de consulter — Les consultations doivent être « raisonnables » — Le Canada doit prendre en considération les droits revendiqués par les peuples autochtones de façon véritable — L’obligation de consulter de façon véritable découle de l’honneur de la Couronne — Le processus de consultation véritable mène à différentes mesures d’accommodement — Le défaut d’accommoder d’une façon précise (p. ex., en abandonnant le projet) ne signifie pas nécessairement qu’il n’y a pas eu de consultation véritable — La réconciliation n’exige pas qu’on en arrive à une fin particulière — Le processus de consultation ne doit pas servir à opposer un droit de veto à un projet — La consultation postérieure à l’approbation est pertinente et importante — L’importance de l’affaire aux yeux des personnes que le projet touche directement a une incidence lors de l’analyse du caractère raisonnable — La décision du gouverneur en conseil était raisonnable — Il a conclu que l’on avait corrigé convenablement les lacunes limitées et qu’il y avait eu une consultation raisonnable et véritable — Les explications du gouverneur en conseil ne révélaient pas d’erreur semblable à celles qui ont été mentionnées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov — Les conclusions étaient conformes à la loi pertinente — Le gouverneur en conseil a compris ce qu’exigeait l’obligation légale de consulter, le sens de l’arrêt TWN 2018 de la Cour et les lacunes du premier exercice de consultation — Cette décision n’excédait pas la portée de l’art. 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie — Le gouverneur en conseil a tenu compte de façon raisonnable des principales questions que la Cour a soulevées dans l’arrêt TWN 2018 — Il pouvait tenir compte du large consensus des groupes autochtones qui appuyaient le projet ou ne s’y opposaient pas pour conclure que le projet était dans l’intérêt public — Ces constatations étaient suffisantes pour conclure que la décision du gouverneur en conseil était raisonnable — Les observations détaillées des demanderesses ont néanmoins été examinées — Demandes rejetées.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Les demanderesses ont contesté la seconde approbation du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain (projet) par le gouverneur en conseil pour des raisons environnementales et au motif que la Couronne manquait toujours à son obligation de consulter — Le gouverneur en conseil a jugé que les consultations tenues avaient adéquatement pallié les lacunes mises au jour et avaient suffi pour permettre à la Couronne de s’acquitter de son obligation de consulter et que le projet était dans l’intérêt public — Il s’agissait d’une instance en contrôle judiciaire prévue par la loi — Dans les circonstances, il est présumé que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable — Aucune exception quant au contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne s’appliquait dans la présente affaire — Il s’agissait ici d’une obligation constitutionnelle d’une grande importance — Voilà le cadre dans lequel s’inscrivait le contrôle selon la norme de la décision raisonnable — Il ne s’agissait pas de savoir si le gouverneur en conseil aurait dû arriver à une conclusion différente ni si les consultations auraient pu durer plus longtemps ou mieux se dérouler, mais plutôt de savoir si la décision d’approuver le projet et le justificatif offert étaient acceptables et défendables compte tenu de la législation applicable, de la preuve et des circonstances ayant une incidence sur le contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire contestant la seconde approbation du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain (projet) par le gouverneur en conseil. Plusieurs parties ont tenté de contester cette approbation pour des raisons environnementales et au motif que la Couronne manquait toujours à son obligation de consulter.
Le projet a été approuvé pour la première fois en 2016 par décret pris en vertu de l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Cette approbation a été contestée avec succès dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général) (TWN 2018), où la Cour a renvoyé l’affaire au gouverneur en conseil pour corriger le caractère trop limitatif de l’évaluation environnementale sur laquelle reposait l’approbation et le manquement de la Couronne à son obligation de consulter les peuples autochtones. Pour une seconde fois, le gouverneur en conseil a approuvé le projet (décret C.P. 2019-820) le 18 juin 2019. Dans ce décret, le gouverneur en conseil a jugé que les consultations tenues après l’arrêt TWN 2018 avaient adéquatement pallié les lacunes mises au jour, que les efforts déployés avaient suffi pour permettre à la Couronne de s’acquitter de son obligation de consulter, que le projet, compte tenu de ses avantages et de ses inconvénients, était dans l’intérêt public et qu’il était digne d’approbation. Les observations des demanderesses reviennent à dire qu’on ne peut approuver le projet avant que celles-ci ne soient satisfaites des réponses à toutes leurs préoccupations. Certaines de ces préoccupations portaient notamment sur l’incidence que le projet pourrait avoir sur l’aquifère dont les Coldwater tirent leur eau potable, le risque de déversement du bitume dilué qui serait transporté par pipeline et sur les conséquences d’un déversement sur les droits et intérêts des Squamish, et le transport maritime. Enfin, les Ts’elxwéyeqw[1] ont soutenu notamment que la thèse juridique du Canada à propos du droit de pêche protégé par la Constitution était viciée. Selon eux, le Canada était tenu de procéder à une analyse de la justification comme celle énoncée dans l’arrêt R. c. Sparrow et fondée sur l’atteinte contestée à leur droit de pêche établi au cours des consultations.
La principale question à trancher était de savoir si le gouverneur en conseil avait raisonnablement conclu que les lacunes mises au jour dans l’arrêt TWN 2018 avaient été corrigées de façon adéquate par la nouvelle ronde de consultations.
Arrêt : les demandes doivent être rejetées.
Il s’agissait d’une instance en contrôle judiciaire prévue par la loi et non d’un appel prévu par la loi. Dans les circonstances, il est présumé, ainsi que l’a énoncé l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, et aucune des exceptions relevées dans l’arrêt Vavilov ne s’appliquait. Il s’agissait ici d’une obligation constitutionnelle d’une grande importance pour les peuples autochtones et, en fait, pour le pays tout entier. Voilà le cadre dans lequel s’inscrivait le contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La Cour devait concentrer son attention sur la raisonnabilité de la décision du gouverneur en conseil. Il ne s’agissait pas de savoir si le gouverneur en conseil aurait pu ou aurait dû arriver à une conclusion différente ni si les consultations auraient pu durer plus longtemps ou mieux se dérouler. Il s’agissait de répondre à la question de savoir si la décision d’approuver le projet et le justificatif offert étaient acceptables et défendables compte tenu de la législation applicable, de la preuve présentée à la Cour et des circonstances ayant une incidence sur le contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
Le gouverneur en conseil pouvait à bon droit donner aux intervenants du gouvernement la latitude voulue pour évaluer si leurs efforts avaient permis à la Couronne d’honorer son obligation de consulter. Pour respecter cette obligation, les consultations doivent être « raisonnables », c’est-à-dire que le Canada doit montrer qu’il a pris en considération et traité les droits revendiqués par les peuples autochtones de façon véritable. L’obligation de consulter découle de l’honneur de la Couronne. Il ne serait pas honorable que le Canada agisse unilatéralement d’une façon qui pourrait nuire aux droits des peuples autochtones, sans d’abord engager de véritables consultations. L’autre notion de base est la réconciliation. Le processus de consultation véritable peut mener à différentes mesures d’accommodement. Le défaut d’accommoder d’une façon précise, notamment en abandonnant le projet, ne signifie pas nécessairement qu’il n’y a pas eu de consultation véritable. Le fait que la consultation n’ait pas mené les demanderesses à consentir au projet ne voulait pas dire que la réconciliation n’avait pas été mise de l’avant. La consultation fondée sur un rapport de respect réciproque promeut la réconciliation, peu importe son issue. Dit autrement, la réconciliation n’exige pas qu’on en arrive à une fin particulière. Si tel était le cas, les peuples autochtones auraient en fait un droit de veto sur les projets tels que celui-ci. La jurisprudence indique clairement que ce droit de veto n’existe pas. Si on devait appliquer de façon trop stricte le critère de la « perfection », du caractère « raisonnable » ou du caractère « véritable » lorsqu’on examine s’il a été satisfait convenablement à l’exigence de consulter, on créerait en fait un droit de veto. Même si les peuples autochtones peuvent faire valoir leur opposition catégorique à un projet, ils ne peuvent se servir du processus de consultation comme tactique pour tenter d’y opposer un veto. La consultation postérieure à l’approbation est pertinente et importante. Même si on devait conclure que la consultation menée par le Canada jusqu’au 18 juin 2019 ainsi que les mesures d’accommodement proposées jusqu’à cette date étaient insuffisantes, les consultations qui ont eu lieu après que le décret eut été délivré demeureraient pertinentes. Un autre facteur contextuel qui a une incidence lors de l’analyse du caractère raisonnable en l’espèce était l’importance de l’affaire aux yeux des personnes que le projet touche directement.
Les motifs du gouverneur en conseil, tant dans les attendus du décret que dans la note explicative qui y est jointe, justifiaient amplement la décision. La décision du gouverneur en conseil était raisonnable. Il a conclu de façon raisonnable que l’on avait corrigé convenablement les lacunes limitées signalées dans l’arrêt TWN 2018 et qu’il y avait eu une consultation raisonnable et véritable. Les explications du gouverneur en conseil ne révélaient pas d’erreur de raisonnement ou de logique semblable à celles qui ont été mentionnées dans l’arrêt Vavilov. Les explications démontrent un raisonnement qui passe d’une appréciation raisonnable de la preuve à des conclusions justifiables et tout à fait conformes à la loi pertinente. Le gouverneur en conseil a compris ce qu’exigeait l’obligation légale de consulter, le sens de l’arrêt TWN 2018 de la Cour et les lacunes du premier exercice de consultation. On ne peut dire que la décision du gouverneur en conseil excédait la portée de l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, si on l’interprète raisonnablement. On ne peut pas dire non plus que le gouverneur en conseil n’a pas tenu compte, de façon suffisante, véritable et raisonnable, des principales questions que notre Cour a soulevées dans l’arrêt TWN 2018 et que les parties ont soulevées lors du nouvel examen. Il ne s’agissait aucunement d’une simple approbation aveugle. Aux termes de l’article 54, le gouverneur en conseil pouvait tenir compte du large consensus de plus de 120 groupes autochtones qui appuyaient le projet ou ne s’y opposaient pas pour conclure que le projet était dans l’intérêt public. Une décision peut être raisonnable même si des parties touchées par cette décision continuent de s’y opposer fortement quant au fond.
Ces constatations étaient suffisantes pour conclure que la décision du gouverneur en conseil était raisonnable. Les observations détaillées des demanderesses ont néanmoins été examinées. La décision du gouverneur en conseil que les Coldwater ont été adéquatement consultés et que des mesures d’accommodement adéquates ont été prises dans le cadre du nouveau processus de consultation était éminemment raisonnable et, par conséquent, le décret approuvant le projet auquel s’opposent les Coldwater devait demeurer valide. Il est ressorti du dossier également que, dans le cadre du nouveau processus de consultation, le Canada a répondu de façon significative aux préoccupations des Squamish en participant à des discussions avec eux, en procédant à un échange d’opinions d’experts scientifiques ainsi qu’en fournissant de la documentation et d’autres renseignements pertinents. En fin de compte, Squamish n’a pas été convaincue que les connaissances sur le devenir et le comportement du bitume dilué étaient suffisantes pour permettre l’approbation du projet. Cependant, le droit régissant les consultations n’impose pas une obligation de parvenir à une entente, et il n’appartenait pas non plus à la Cour d’agir comme « académie des sciences » en vue de décider quelle opinion est la bonne. À condition que le gouverneur en conseil puisse raisonnablement conclure qu’une véritable consultation a eu lieu, le caractère approprié d’une décision portant sur le projet, compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques, était une question qui appartenait au gouverneur en conseil de trancher. Le dossier a montré que le Canada a engagé avec les Tsleil-Waututh un véritable dialogue au sujet de leurs préoccupations concernant les incidences du transport maritime associé au projet. Qu’il y ait eu désaccord ne signifiait pas qu’il y a eu manquement à l’obligation de consulter. Que certaines opinions scientifiques et techniques bien précises n’aient pas été adoptées ne rend pas la consultation déraisonnable. Le Canada n’a pas manqué à son obligation de consulter les Tsleil-Waututh et de prendre des mesures d’accommodement à leur endroit en décidant d’approuver le projet en définitive. Le gouverneur en conseil pouvait conclure que les nouvelles consultations avec les Tsleil-Waututh tenues dans la foulée de l’arrêt TWN 2018 étaient satisfaisantes et ont débouché sur des mesures d’accommodement qui répondent aux préoccupations des Tsleil-Waututh. La prétention des Ts’elxwéyeqw selon laquelle la thèse juridique du Canada à propos du droit de pêche protégé par la Constitution était viciée n’était pas fondée. Les consultations et la justification se déroulent à des moments différents et ont pour objet des circonstances différentes. Le cadre de consultation vise à empêcher une atteinte à des droits ancestraux, alors que l’analyse de justification intervient lorsqu’une atteinte à première vue a été démontrée. Si l’on concluait que l’obligation de consultation et d’accommodement est subordonnée à la nécessité de justifier l’atteinte à un droit ancestral, on mettrait la charrue devant les bœufs, car la première vise à prévenir la seconde. Si l’on arrivait à une conclusion différente, on obtiendrait un raisonnement circulaire, car le premier volet de l’analyse de justification consiste à décider si la Couronne s’est acquittée de son obligation procédurale de consultation et d’accommodement. Si l’on accepte qu’il faille se prononcer sur les droits issus de traités ou les droits ancestraux revendiqués chaque fois qu’une atteinte à ces droits est soulevée au cours du processus de consultations et d’accommodement, on reviendrait à la jurisprudence qui avait cours avant l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), qui a mené à des litiges complexes et interminables.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Décret C.P. 2016-1069.
Décret C.P. 2018-1177.
Décret C.P. 2019-378.
Décret C.P. 2019-820.
Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37.
Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52, art. 52(4).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.
Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, art. 54, 55.
jurisprudence citéE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770; Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2017] 1 R.C.S. xvi; Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511; Prophet River First Nation v. British Columbia (Environment), 2017 BCCA 58, 408 D.L.R. (4th) 201.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 153, [2019] 2 R.C.F. 3 autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 38379 (2 mai 2019); Raincoast Conservation Foundation c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 224, [2020] 1 R.C.F. 362; Beckman c. Première nation Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103; Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550; Chippewas of the Thames First Nation c. Pipelines Enbridge inc., 2017 CSC 41, [2017] 1 R.C.S. 1099; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388; Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765; Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386; Inverhuron & District Ratepayers Ass. c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CAF 203; Pembina Institute for Appropriate Development c. Canada (Procureur général), 2008 CF 302, [2008] A.C.F. no 324 (QL); Première Nation de Prophet c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 15.
DÉCISIONS CITÉES :
Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395; Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364; Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150, [2015] A.C.F. no 775 (QL); Ignace c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 239; Raincoast Conservation Foundation c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 259; Première Nation des Ahousaht c. Canada (Pêches et Océans), 2008 CAF 212, [2008] A.C.F. no 946 (QL); Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, [2015] A.C.F. no 961 (QL); Première nation Yellowknives Denes c. Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2015 CAF 148, [2015] A.C.F. no 829 (QL); La bande indienne de Squamish c. Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 216; Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069; R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533; Halfway River First Nation v. British Columbia (Ministry of Forests), 1999 BCCA 470, [1999] 4 C.N.L.R. 1; R. v. Douglas et al, 2007 BCCA 265, 278 D.L.R. (4th) 653; Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299; Ignace c. Procureur général, 2019 CAF 266; Bell Canada c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 66; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67; Emera Brunswick Pipeline Company Ltd. (Re), 2008 LNCONE 10 (QL); William v. British Columbia (Attorney General), 2019 BCCA 74, 20 B.C.L.R. (6th) 355; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, 1990 CanLII 104; Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 R.C.S. 257.
DOCTRINE CITÉE
Canada. Commission royale sur les peuples autochtones. Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Ottawa : la Commission, 1996.
Commission de vérité et réconciliation du Canada. Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Winnipeg : Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015.
Gazette du Canada, vol. 153, no 25, 22 juin 2019.
Walters, Mark D. « The Jurisprudence of Reconciliation: Aboriginal Rights in Canada », dans Will Kymlicka et Bashir Bashir, dir., The Politics of Reconciliation in Multicultural Societies, Oxford : Oxford University Press, 2008.
DEMANDES de contrôle judiciaire contestant la seconde approbation du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain par le gouverneur en conseil pour des raisons environnementales et au motif que la Couronne manquait toujours à son obligation de consulter. Demandes rejetées.
ONT COMPARU :
F. Matthew Kirchner, Emma Hume et Cam Brewer, pour la demanderesse, Bande indienne Coldwater.
F. Matthew Kirchner et Michelle Bradley, pour la demanderesse, Nation Squamish.
Scott A. Smith, Paul Seaman et Keith Brown, pour la demanderesse, Tsleil-Waututh Nation.
Joelle Walker, Erin Reimer et Serin Remedios, pour les demanderesses, Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá: y Village, Soowahlie, Première nation Squiala, Tzeachten, Yakweakwioose.
Jan Brongers, Dayna Anderson, Sarah Bird, Sarah-Dawn Norris, Jon Khan, Anita Balakumar, Maria Oswald et Ashley Gardner, pour le défendeur, Procureur général du Canada.
Maureen Killoran, c.r., Olivia Dixon et Sean Sutherland, pour les défenderesses, Trans Mountain Pipeline ULC et Trans Mountain Corporation.
Stephanie Latimer et Krista Epton, pour l’intervenant, Procureur général de l’Alberta.
R. James Fyfe et Jeffrey Crawford, pour l’intervenant, Procureur général de la Saskatchewan.
Keith B. Bergner et Paul Johnston pour l’intervenante, Régie de l’énergie du Canada.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Ratcliff & Company LLP, Vancouver, pour les demanderesses, Bande indienne Coldwater et Nation Squamish.
Gowling WLG (Canada) LLP, Vancouver, pour la demanderesse, Tsleil-Waututh Nation.
Miller Titerle + Company LLP, Vancouver, pour les demanderesses, Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá: y Village, Soowahlie, Première nation Squiala, Tzeachten, Yakweakwioose.
La sous-procureure générale du Canada, pour le défendeur, le procureur général du Canada.
Osler, Hoskin & Harcourt LLP, Calgary, pour les défenderesses, Trans Mountain Pipeline ULC et Trans Mountain Corporation.
Justice and Solicitor General (Alberta), Edmonton, pour l’intervenant, procureur général de l’Alberta.
Sous-ministre de la Justice, Regina, pour le procureur général de la Saskatchewan.
Lawson Lundell LLP, Vancouver, et Régie de l’énergie du Canada, Calgary, pour l’intervenante, Régie de l’énergie du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] La Cour : Le 29 novembre 2016, tenant compte des avantages et inconvénients du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain et reconnaissant l’obligation du Canada de consulter les peuples autochtones, le gouverneur en conseil a décidé d’approuver le projet : décret C.P. 2016-1069 (10 décembre 2016), pris en vertu de l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7 (la Loi sur l’Office).
[2] Plusieurs demandeurs ont contesté cette approbation (Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 153, [2019] 2 R.C.F. 3 (TWN 2018)). Notre Cour a reconnu l’existence de deux vices fondamentaux : le caractère trop limitatif de l’évaluation environnementale sur laquelle reposait l’approbation et le manquement de la Couronne à son obligation de consulter les peuples autochtones. Notre Cour a renvoyé l’affaire au gouverneur en conseil pour corriger ces vices et rendre une nouvelle décision.
[3] Pour cette raison, la tenue d’une audience de réexamen devant l’Office national de l’énergie (l’Office) a été ordonnée, dans le cadre de l’étape II, et l’étape III des consultations a été recommencée. Pour une seconde fois, le gouverneur en conseil a approuvé le projet (voir le décret C.P. 2019-820 (18 juin 2019, suppl., page 2) (le décret) [Gazette du Canada, vol. 153, no 25, 22 juin 2019] (en ligne : http://www.gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2019/2019-06-22/pdf/g1-15325.pdf). Conformément à la Loi sur l’Office, la décision a été rendue avec des motifs, qui ont pris la forme de 37 attendus précédant le dispositif du décret (les attendus). Une note explicative suit la décision et fournit des motifs supplémentaires à la décision (en ligne : http://www.gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2019/2019-06-22/pdf/g1-15325.pdf#page=271) (la note explicative).
[4] Plusieurs parties ont tenté de contester la seconde approbation pour des raisons environnementales et au motif que la Couronne manquait toujours à son obligation de consulter. Néanmoins, seulement six demanderesses ont été autorisées en vertu de l’article 55 de la Loi sur l’Office à demander le contrôle judiciaire du décret. Deux d’entre elles se sont désistées, laissant quatre demanderesses devant la Cour : la bande indienne Coldwater (les Coldwater), la Nation Squamish (les Squamish), la Tsleil-Waututh Nation (les Tsleil-Waututh) et Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá :y Village, Soowahlie, la Première Nation Squiala, Tzeachten et Yakweakwioose (les Ts’elxwéyeqw).
[5] Les Coldwater forment une bande, au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, composée de plus de 850 membres. Ils font partie de la Nation Nlaka’pamux, qui revendique le titre ancestral à l’égard d’un territoire incluant la rivière Thompson Sud, le canyon du Fraser, les vallées de la Nicola et de la Coldwater, la partie canadienne des North Cascades, y compris le secteur de Coquihalla. Les Squamish, qui sont rattachés aux Salish du littoral, se composent de plus de 4 212 membres inscrits. Le territoire traditionnel des Squamish s’étend des basses-terres continentales jusqu’à Whistler, y compris la baie Burrard, la baie English, la baie Howe et la vallée de la Squamish. Les Tsleil-Waututh, également rattachés aux Salish du littoral, et forment une bande au sens de la Loi sur les Indiens. En halkomelem, le dialecte traditionnel, le nom Tsleil-Waututh signifie « peuple de la baie ». Le territoire traditionnel revendiqué par les Tsleil-Waututh s’étend plus ou moins, d’ouest en est, de Gibsons jusqu’au lac Coquitlam, et du nord au sud, des environs du mont Garibaldi jusqu’au-delà du 49e parallèle, et inclut des sections du bas Fraser, de la baie Howe, de la baie Burrard et du bras de mer Indian. Les Ts’elxwéyeqw, qui se composent de sept villages, soit Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá :y Village, Soowahlie, Première Nation Squiala, Tzeachten et Yakweakwioose, sont des Stó:lō. Chacun des villages constitue une bande au sens de la Loi sur les Indiens. La traduction du terme « Stó:lō », en halkomelem, le dialecte traditionnel, peut se rendre par « peuple du fleuve », une allusion au fleuve Fraser. Le territoire traditionnel des Ts’elxwéyeqw comprend le bassin hydrographique du bas Fraser, dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique.
[6] Le contrôle judiciaire de chacune de ces demanderesses a été limité aux questions relevant de l’obligation de consulter, car les arguments d’ordre environnemental avancés n’étaient pas raisonnablement défendables (voir Raincoast Conservation Foundation c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 224, [2020] 1 R.C.F. 362 (Raincoast no 1)). En fait, le libellé de l’ordonnance d’autorisation (l’ordonnance d’autorisation) a limité les demandes aux questions suivantes :
1. [D]u 30 août 2018 (la date du prononcé de l’arrêt (TWN 2018) au 18 juin 2019 (la date de la décision du gouverneur en conseil), les consultations des peuples autochtones et des Premières Nations étaient-elles adéquates en droit de telle sorte qu’elles permettent de pallier les lacunes des consultations initiales qui sont résumées aux paragraphes 557 à 563 des motifs de l’arrêt (TWN 2018)? La réponse à cette question devrait inclure des observations à propos de la norme de contrôle, marge d’appréciation ou latitude qui s’applique en droit.
2. [Y] a-t-il des moyens de défense ou des empêchements qui peuvent être opposés aux demandes de contrôle judiciaire?
3. [S]i les questions précédentes appellent des réponses négatives, y a-t-il lieu d’accorder une réparation (laquelle et à quelles conditions)?
[7] Les demandes de contrôle judiciaire ont été réunies aux termes d’une ordonnance rendue le 20 septembre, et modifiée par une seconde ordonnance le 5 novembre 2019. Dans les demandes réunies, les demanderesses soutiennent que les nouvelles consultations auxquelles elles ont chacune participé n’ont pas permis de pallier les lacunes mises au jour dans l’arrêt TWN 2018. Elles demandent donc à la Cour de répondre aux deux premières questions par la négative et de rendre une ordonnance annulant le décret.
[8] Le procureur général du Canada, représentant la Couronne (la Couronne ou le Canada), Trans Mountain Pipeline ULC et Trans Mountain Corporation (collectivement, Trans Mountain) s’opposent aux demandes réunies au motif que l’obligation de consulter a été adéquatement respectée et, pour cette raison, en demande le rejet. Les procureurs généraux intervenants de l’Alberta et de la Saskatchewan appuient la thèse de la Couronne.
[9] La troisième intervenante, la Régie de l’énergie du Canada (la Régie), qui succède à l’Office, ne prend pas position quant au bien-fondé des demandes de contrôle judiciaire et se présente pour aider la Cour quant au rôle de l’Office dans les consultations à ce jour et à son rôle continu dans le suivi et le respect des conditions dont était assorti le décret.
[10] Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut qu’elle n’a aucune raison d’intervenir dans la seconde approbation du projet par le gouverneur en conseil. Les demandes de contrôle judiciaire seront rejetées.
[11] Conformément à l’ordonnance modifiée portant réunion des instances, les présents motifs seront déposés dans le dossier A-324-19 et une copie sera versée dans les dossiers A-325-19, A-326-19 et A-327-19.
I. Observations préliminaires
[12] Les demanderesses ont présenté leur cause comme si c’était la première fois qu’elle était entendue, cependant, de fait, la mission de la Cour est plus limitée.
[13] Dans l’arrêt TWN 2018, la Cour a examiné en détail les consultations qui ont précédé la première approbation du projet et a établi que de nombreux aspects de ces consultations étaient acceptables, mais elle a conclu qu’une partie des consultations, soit l’étape III, était déficiente.
[14] Pour ce qui est de la réparation, notre Cour a conclu, dans l’arrêt TWN 2018, qu’il n’était pas nécessaire de recommencer entièrement le processus de consultation. Elle a plutôt ordonné une ronde de consultations ciblées pour corriger les lacunes mises au jour. Bien que ces lacunes fussent majeures, elles se limitaient à des points précis dans le processus de consultation.
[15] La Cour doit maintenant se concentrer sur la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet une seconde fois. Le gouverneur en conseil a jugé que les consultations tenues après l’arrêt TWN 2018 avaient adéquatement pallié les lacunes mises au jour, que les efforts déployés avaient suffi pour permettre à la Couronne de s’acquitter de son obligation de consulter, que le projet, compte tenu de ses avantages et de ses inconvénients, était dans l’intérêt public et qu’il était digne d’approbation.
[16] L’existence et la portée de l’obligation de consulter ne sont pas en jeu en l’espèce. Toutes les parties conviennent que cette obligation entraînait la tenue de consultations approfondies. La principale question à trancher est de savoir, compte tenu de la portée requise des consultations, si le gouverneur en conseil pouvait raisonnablement conclure que les lacunes mises au jour dans l’arrêt TWN 2018 avaient été corrigées de façon adéquate par la nouvelle ronde de consultations. Cette question est restreinte et dépend avant tout de l’évaluation par le gouverneur en conseil du caractère adéquat des consultations qui ont eu lieu lors de la seconde ronde. Pareille évaluation est largement tributaire des faits et appelle la déférence.
[17] Le gouverneur en conseil pouvait à juste titre évaluer le caractère adéquat de la seconde ronde de consultations vu les possibilités dans les circonstances, et, entre autres circonstances, le fait que les consultations en question ont été tenues à la suite de la décision de la Cour dans l’affaire TWN 2018. Dans cette affaire, la Cour, après avoir décelé les lacunes, était la mieux placée pour déterminer les moyens à prendre pour les corriger valablement. Elle a déterminé que, pour combler les lacunes décelées, il convenait de tenir des consultations « précises et circonscrites » selon un processus « bref et efficace » (TWN 2018, paragraphe 772).
[18] Dans l’affaire TWN 2018, la Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’en faire davantage pour pallier les lacunes mises au jour. Le gouverneur en conseil pouvait raisonnablement faire fond sur l’appréciation de la nature et de la portée des travaux à mener pour déterminer les mesures qui devaient être prises dans le but de tenir une ronde de consultations correctives (note explicative, pages 22 et 27). Faute de nouvelles préoccupations ou difficultés non envisagées dans l’arrêt TWN 2018, les demanderesses ne peuvent prétendre maintenant — comme elles le font toutes en quelque sorte — qu’il aurait fallu faire plus que simplement mettre en branle un processus « bref et efficace » de consultations « précises et circonscrites ».
[19] Par ailleurs, conformément aux conseils de la Cour dans l’arrêt TWN 2018, tous comprenaient, ou auraient dû comprendre, que le temps disponible pour la nouvelle ronde de consultations n’était pas illimité. Le gouverneur en conseil a renvoyé l’affaire à l’Office pour réexamen le 20 septembre 2018 et lui a accordé jusqu’au 22 février 2019 pour rendre son rapport de réexamen (décret C.P. 2018-1177 (20 septembre 2018)). Le Canada a annoncé qu’il reprendrait l’étape III des consultations à compter du 5 octobre 2018. Le 17 avril 2019, le gouverneur en conseil a délivré un autre décret pour repousser de près d’un mois, soit au 18 juin 2019, la date butoir pour rendre sa décision (décret C.P. 2019-378 (17 avril 2019)).
[20] Les demanderesses se plaignent que le temps imparti pour tenir la nouvelle ronde de consultations ne permettait pas au Canada de s’acquitter de son obligation constitutionnelle de consulter. Aucune d’elles n’a contesté la constitutionnalité de l’article 54 de la Loi sur l’Office ou des décrets fixant le calendrier des étapes suivantes au motif qu’ils ne permettaient pas au Canada de s’acquitter de son obligation de consulter. Faute d’une telle contestation et vu le temps disponible, il incombait à toutes les parties de prendre part aux consultations avec diligence et de chercher à mettre en place les accommodements voulus pour combler les lacunes décelées dans l’affaire TWN 2018. Mais tel n’a pas toujours été le cas : beaucoup de temps a été perdu en raison de retards futiles, d’agissements affectés et d’insistance sur la forme plutôt que sur le fond.
[21] Toutes les demanderesses prétendent en outre que le Canada a participé aux consultations avec l’esprit bien fermé. Elles laissent ainsi entendre que le résultat était fixé d’avance parce que le Canada est propriétaire de Trans Mountain.
[22] La Cour a examiné cet argument dans l’affaire Raincoast no 1 et a conclu qu’il ne franchissait pas le seuil de l’argument « “raisonnablement défendable” » pour accorder l’autorisation de demander le contrôle judiciaire pour un certain nombre de raisons (paragraphes 33 à 36) :
Au départ, cet argument est entaché d’un vice fatal. Le gouverneur en conseil n’est pas le gouvernement du Canada. Le gouverneur en conseil, l’organe décisionnel en l’espèce, n’est pas propriétaire du projet.
Il existe une raison encore plus fondamentale : l’article 54 de la Loi [sur l’Office national de l’énergie] oblige le gouverneur en conseil à décider d’approuver ou non un projet, sans égard à l’identité du propriétaire. La Loi ne déshabilite pas le gouverneur en conseil à s’acquitter de cette responsabilité selon l’identité du propriétaire du projet. La Loi l’emporte sur les principes de common law relatifs à la partialité et aux conflits d’intérêts […]
L’affaire serait différente si le gouverneur en conseil avait aveuglément approuvé le projet parce que le gouvernement du Canada en est maintenant propriétaire au lieu d’examiner les critères juridiques pertinents. Toutefois, pour que ce genre d’argument soit « raisonnable[ment] défendable », il doit être un tant soit peu étayé. Dans le dossier dont la Cour est saisie, pareille preuve brille par son absence. Dans ce cas, les arguments portant sur la partialité et les conflits d’intérêts ne sont rien d’autre que des conjectures et de simples prétentions non étayées qui ne sauraient être « raisonnablement défendables » […]
Certains demandeurs avancent comme preuve de partialité fatale des déclarations publiques en faveur du projet prononcées par des politiciens fédéraux. Cette question n’est pas « raisonnablement défendable ». En droit, de telles déclarations ne révèlent pas une partialité fatale […] [Renvois omis.]
[23] La Cour n’a pas eu à se pencher sur l’argument de la partialité, puisqu’il a été exclu à l’étape de l’autorisation, mais elle estime néanmoins utile de confirmer que, selon le dossier devant elle, rien ne permet de croire que la décision du gouverneur en conseil repose sur la participation du Canada au projet et non sur la conviction véritable du gouverneur en conseil que le projet était dans l’intérêt public. Bien que, en fin de compte, l’évaluation qui a été faite ait pu profiter à la Couronne en tant que propriétaire du projet, rien ne permet de croire que le gouverneur en conseil ait perdu l’intérêt public de vue tout au long du processus.
II. Norme de contrôle
A. Considérations d’ordre général
[24] Après avoir entendu l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), la Cour suprême a rendu sa décision au sujet de la norme de contrôle applicable dans les cas tel celui-ci. Notre Cour a invité les parties à lui faire part de leurs observations par écrit sur cet arrêt. Elle a reçu ces observations et en a tenu compte.
[25] Toutes les parties conviennent que l’arrêt Vavilov est d’une incidence limitée sur la norme de contrôle en l’espèce. Quoi qu’il en soit, cet arrêt réunifie et clarifie de façon utile un bon nombre de principes.
[26] La présente instance est un contrôle judiciaire prévu par la loi, et non un appel prévu par la loi. Dans les circonstances, il est présumé que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Vavilov, paragraphes 23 à 32), et aucune des exceptions relevées dans l’arrêt Vavilov ne s’applique.
[27] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a établi que les questions touchant à « la portée des droits ancestraux et droits issus de traités reconnus à l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 […] nécessite[nt] une réponse décisive et définitive des cours de justice », d’où l’application de la norme de la décision correcte (Vavilov, paragraphe 55). Mais, comme il a été mentionné plus tôt, la portée de l’obligation de consulter prévue à l’article 35 n’étant pas en cause en l’espèce, la norme de la décision raisonnable s’applique (voir aussi l’arrêt TWN 2018, paragraphes 225 et 226). Cela dit, il s’agit ici d’une obligation constitutionnelle d’une grande importance pour les peuples autochtones et, en fait, pour le pays tout entier. Voilà le cadre dans lequel s’inscrit le contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
[28] Pour mener à bien le contrôle, il est essentiel de s’abstenir de former sa propre opinion sur le caractère adéquat des consultations et de fonder sur celle-ci sa décision de confirmer ou d’infirmer la décision du gouverneur en conseil. C’est en quelque sorte ce que les demanderesses invitent la Cour à faire. Toutefois, pareil procédé, qui s’apparente à ce qu’il est maintenant convenu d’appeler un contrôle déguisé selon la norme de la décision correcte, n’est pas permis (Vavilov, paragraphe 83) :
Il s’ensuit que le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‑mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, la Cour d’appel fédérale a signalé que « le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » : par. 28; voir aussi Ryan, par. 50‑51. La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif — ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu. [Italiques dans l’original.]
[29] La Cour doit donc concentrer son attention sur la raisonnabilité de la décision du gouverneur en conseil, y compris l’issue et le justificatif. Il ne s’agit pas de savoir si le gouverneur en conseil aurait pu ou aurait dû arriver à une conclusion différente ni si les consultations auraient pu durer plus longtemps ou mieux se dérouler. Il s’agit de répondre à la question de savoir si la décision d’approuver le projet et le justificatif offert sont acceptables et défendables compte tenu de la législation applicable, de la preuve présentée à la Cour et des circonstances ayant une incidence sur le contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
[30] Il existe de nombreuses telles circonstances. La Cour suprême a souligné dans l’arrêt Vavilov que la norme de la décision raisonnable est une norme unique qui tient compte du contexte. Elle s’est exprimée ainsi : « Le contexte particulier d’une décision circonscrit plutôt la latitude du décideur administratif en matière de décision raisonnable dans un cas donné » (Vavilov, paragraphe 89). Ainsi, la raisonnabilité « s’adapte au contexte » et « s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, paragraphe 59; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5 (Catalyst), paragraphe 18; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, paragraphe 22). En d’autres mots, les facteurs, considérations et circonstances dans des cas donnés influent sur la façon dont les cours de justice évaluent le caractère acceptable et justifiable des décisions administratives (Catalyst, paragraphe 18; Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395, paragraphe 54; Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, [2012] 1 R.C.S. 364, paragraphe 44).
[31] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a indiqué clairement que les contrôles selon la norme de la décision raisonnable doivent reposer sur l’appréciation de la décision, les motifs donnés à l’appui et le contexte dans lequel cette dernière a été prise. Notre Cour doit donc tenir compte des motifs donnés à l’appui de la décision à la lumière de la preuve qui lui est présentée.
B. Facteurs ayant une incidence sur la norme de contrôle de la décision raisonnable
[32] L’un des facteurs ayant une incidence sur le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a déjà été examiné ci-dessus : les remarques de la Cour dans l’arrêt TWN 2018 sur les travaux requis pour pallier les lacunes dans le cadre d’un processus de consultation bref et efficace. Le gouverneur en conseil pouvait à bon droit tenir compte de cette évaluation en se prononçant sur la question de savoir si l’obligation de consulter avait été véritablement respectée. Il existe cependant d’autres facteurs qui ont une incidence sur le contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
1) Dispositions habilitantes
[33] Les dispositions habilitantes, en l’occurrence les articles 54 et 55 de la Loi sur l’Office, sont l’un des facteurs d’importance à prendre en considération (Vavilov, paragraphe 108; Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150, [2015] A.C.F. no 775 (QL), paragraphe 36). Elles fixent les balises acceptables de la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet.
[34] Aux termes de l’article 54, le gouverneur en conseil est la seule autorité compétente pour déterminer s’il y a lieu d’approuver ou de rejeter un projet, peu importe la raison, notamment le respect de l’obligation de consulter. Au regard de cette disposition, la Cour ne peut intervenir dans la décision d’approuver ou non un projet et elle ne peut mettre en doute l’issue de l’affaire sur la foi de sa propre opinion.
[35] Selon l’article 55, les approbations peuvent être contestées par voie de contrôle judiciaire (TWN 2018, paragraphes 170 et suiv., autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. refusée, no 38379 (2 mai 2019); Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418 (Nation Gitxaala), paragraphes 92 et suiv., 119 et suiv., autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. refusée, no 37201 (9 février 2017) [[2017] 1 R.C.S. xvi]). Les cours de révision sont limitées à la fonction de contrôle et ne doivent pas se prononcer sur le fond (voir Raincoast no 1, paragraphes 44, 50 et suiv.; Ignace c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 239, paragraphe 36; Raincoast Conservation Foundation c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 259, paragraphes 13 à 15).
[36] Cette limite revêt toute son importance vu la question dont la Cour est saisie. Comme il a été mentionné plus haut, le gouverneur en conseil a conclu que la Couronne s’était acquittée de son obligation de consulter, c’est-à-dire qu’il y a eu un véritable dialogue durant la ronde de consultations correctives. Il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit largement tributaire des faits, qui appelle la déférence. Selon l’article 54, il appartient au gouverneur en conseil d’évaluer les faits pour déterminer si les consultations étaient adéquates. Notre rôle se limite à examiner la raisonnabilité de cette évaluation.
2) Le droit régissant l’obligation de consulter
[37] Le droit régissant l’obligation de consulter confine le gouverneur en conseil à l’article 54 de la Loi sur l’Office et régit le contrôle par la Cour de la décision du gouverneur en conseil (Vavilov, paragraphes 111 à 114).
[38] Les critères pratiques de l’obligation de consulter se comparent aux normes de l’équité procédurale en droit administratif (Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511 (Nation haïda), paragraphe 41; Beckman c. Première nation Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103 (Beckman, paragraphe 46). La jurisprudence sur le sujet indique clairement que les consultations n’ont pas à être parfaites (Nation haïda, paragraphe 62; TWN 2018, paragraphes 226 et 508). Il s’ensuit que le gouverneur en conseil pouvait à bon droit donner aux intervenants du gouvernement la latitude voulue pour évaluer si leurs efforts avaient permis à la Couronne d’honorer son obligation de consulter.
[39] Il est opportun de souligner que, dans l’arrêt Nation Gitxaala, la Cour s’est exprimée ainsi à ce sujet (paragraphe 182) :
[…] En l’espèce, les sujets à l’égard desquels des consultations étaient nécessaires étaient nombreux, complexes, dynamiques et mettaient en cause un bon nombre de parties. Parfois, en tentant de s’acquitter de cette obligation, il peut se produire des omissions, des malentendus, des accidents et des erreurs. En tentant de s’acquitter de cette même obligation, il y aura des questions de jugement difficiles sur lesquelles des personnes raisonnables ne s’entendront pas.
(Voir aussi TWN 2018, paragraphes 509 et 762; Première Nation des Ahousaht c. Canada (Pêches et Océans), 2008 CAF 212, [2008] A.C.F. no 946 (QL) (Première Nation des Ahousaht), paragraphe 54; Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, [2015] A.C.F. no 961 (QL) (Première nation de Long Plain), paragraphe 133; Première nation Yellowknives Denes c. Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2015 CAF 148, [2015] A.C.F. no 829 (QL) (Première nation des Dénés Yellowknives), paragraphe 56.)
[40] Il est reconnu, par exemple, que pour respecter l’obligation, les consultations doivent être « raisonnables » (Nation haïda, paragraphes 62, 63 et 68; Nation Gitxaala, paragraphes 8, 179 et 182 à 185; TWN 2018, paragraphes 226, 508 et 509; La bande indienne de Squamish c. Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 216 (Première Nation Squamish), paragraphe 31). Pour que les consultations soient dites « raisonnables », il faut que le Canada puisse montrer qu’il a pris en considération et traité les droits revendiqués par les peuples autochtones de façon véritable (Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069 (Clyde River), paragraphe 41; Première Nation Squamish, paragraphe 37; Nation haïda, paragraphe 42). Le caractère « véritable » est également mentionné dans la jurisprudence (Nation Gitxaala, paragraphes 179, 181 et 231 à 234; TWN 2018, paragraphes 6, 494 à 501 et 762; Nation haïda, paragraphes 10, 36, 42; Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550 (Taku River), paragraphes 2 et 29; Chippewas of the Thames First Nation c. Pipelines Enbridge inc., 2017 CSC 41, [2017] 1 R.C.S. 1099 (Chippewas of the Thames), paragraphes 32 et 44).
[41] Alors, quel est le sens des mots « raisonnable » et « véritable » dans ce contexte? Les indices abondent dans la jurisprudence sur le sujet. Par exemple, les consultations doivent être plus qu’une simple occasion de « se défouler » (Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388 (Mikisew 2005), paragraphe 54), la Couronne doit faire preuve d’ouverture d’esprit face aux accommodements (Nation Gitxaala, paragraphe 233), la Couronne doit agir de « bonne foi » (Nation haïda, paragraphe 41; Clyde River, paragraphes 23 et 24; Chippewas of the Thames, paragraphe 44), les consultations doivent ouvrir la voie à un véritable dialogue bilatéral (Nation Gitxaala, paragraphe 279), le processus doit être plus qu’« un simple mécanisme permettant aux intéressés d’échanger des renseignements et d’en discuter » (TWN 2018, paragraphes 500 à 502) et être « un dialogue qui mène à une prise en compte sérieuse et manifeste des accommodements » (TWN 2018, paragraphe 501) et la Couronne se doit « de se pencher sur les réelles préoccupations des demandeurs autochtones de manière à être en mesure de rechercher des mesures pour y répondre » (TWN 2018, paragraphe 6). Dans les cas comme celui dont la Cour est saisie, où les consultations approfondies s’imposent, la Cour suprême a proposé les balises facultatives suivantes (Chippewas of the Thames, paragraphe 47; Nation haïda, paragraphe 44; Première Nation Squamish, paragraphe 36; voir aussi Première nation des Dénés Yellowknives, paragraphe 66) :
• la possibilité de présenter des observations;
• la participation officielle à la prise de décisions;
• la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision;
• un mécanisme de résolution des différends tel que la médiation ou autre processus administratif doté de décideurs neutres.
[42] Quoi qu’il en soit, les exemples et les balises que l’on trouve dans la jurisprudence ne sont rien de plus que des indications. La Cour suprême a précisé, en donnant ces balises, que les éléments nécessaires pour s’acquitter de l’obligation de consulter varient d’un cas à l’autre, selon les circonstances (Nation haïda, paragraphe 45). Alors, où trouver les repères?
[43] La Cour suprême a mis en lumière les notions qui sous-tendent l’obligation. Selon elle, la « question décisive » à se poser pour savoir si les consultations ont été « raisonnables » ou « véritables » « consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones » (Nation haïda, paragraphe 45).
[44] L’analyse la plus récente de la Cour suprême sur l’honneur de la Couronne se trouve aux paragraphes 21 et 22 des motifs majoritaires dans l’arrêt Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765 (Mikisew 2018) :
[…] [L’honneur de la Couronne] reconnaît que la tension entre l’affirmation de la souveraineté de la Couronne, d’une part, et la souveraineté, les droits et l’occupation préexistants des peuples autochtones, d’autre part, donne naissance à une relation particulière, qui exige que la Couronne agisse honorablement envers ces derniers : Manitoba Metis, par. 67; B. Slattery, « Aboriginal Rights and the Honour of the Crown » (2005), 29 S.C.L.R. (2d) 433, p. 436.
L’objectif qui sous-tend le principe de l’honneur de la Couronne est celui de faciliter la réconciliation de ces intérêts : Manitoba Metis, par. 66-67. Il contribue à l’atteinte de cet objectif notamment en favorisant la négociation et le règlement juste des revendications autochtones comme solution de rechange aux recours judiciaires et aux résultats imposés par les tribunaux : Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550, par. 24. Cette entreprise de réconciliation est un principe de base du droit des Autochtones.
[45] La teneur précise de l’honneur de la Couronne dépend aussi des circonstances particulières de l’affaire (Mikisew 2018, paragraphe 24) :
[…] [L]a Cour a clairement indiqué que les obligations qui […] découlent [de l’honneur de la Couronne] varient en fonction de la situation : Manitoba Metis, par. 74. La réponse à la question de savoir ce qui constitue un comportement honorable et quelles obligations découlent de l’honneur de la Couronne sont fortement tributaires des circonstances : Nation haïda, par. 38; Taku River, par. 25; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, par. 36-37.
[46] Plus loin, dans l’arrêt Mikisew 2018, la Cour suprême a établi que l’obligation de consulter découle de l’honneur de la Couronne. Il en est ainsi parce qu’il ne serait pas honorable que le Canada agisse unilatéralement d’une façon qui pourrait nuire aux droits des peuples autochtones, sans d’abord engager de véritables consultations (Mikisew 2018, paragraphe 25) :
L’obligation de consulter est une de ces obligations. Dans les cas où la Couronne envisage de prendre une mesure exécutive susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur les droits protégés par l’art. 35, la Cour a jugé que le principe de l’honneur de la Couronne donne lieu à une obligation de consulter justiciable : voir, p. ex., Nation haïda; Taku River; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388; Little Salmon. Cette obligation a aussi été jugée applicable lorsqu’un décideur habilité par la loi — ne faisant pas partie de l’exécutif — agit au nom de la Couronne : Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069, par. 29. Il ressort de ces arrêts que, dans certaines circonstances, la conduite de la Couronne peut ne pas constituer une « atteinte » à des droits visés à l’art. 35 ayant été établis. Toutefois, agir unilatéralement d’une manière susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur ces droits ternit l’honneur de la Couronne et peut de ce fait justifier une intervention à l’issue d’un contrôle judiciaire.
[47] L’autre notion de base est la réconciliation. À ce jour, la meilleure description de ce en quoi consiste la réconciliation se trouve dans le passage suivant, tiré de l’arrêt Beckman (paragraphe 10) :
La réconciliation des Canadiens autochtones et non autochtones dans le cadre d’une relation à long terme empreinte de respect mutuel : voilà le noble objectif de l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les traités récents, y compris ceux en cause en l’espèce, tentent de contribuer à la réalisation de cet objectif de réconciliation, non seulement en répondant aux griefs relatifs aux revendications territoriales, mais en créant le fondement juridique propre à favoriser une relation à long terme harmonieuse entre les collectivités autochtones et non autochtones. Une application judicieuse du traité aidera à aplanir, sans nécessairement les éliminer, certains des malentendus et des doléances qui ont caractérisé le passé. Mais comme le montrent les faits de la présente affaire, l’objectif du traité ne pourra être atteint si les responsables territoriaux l’interprètent de façon mesquine ou comme s’il s’agissait d’un banal contrat commercial. Le traité vise tout autant l’établissement de relations que la résolution des griefs du passé. L’avenir est plus important que le passé. Un canoteur qui souhaite avancer regarde devant lui, non derrière.
[48] La réconciliation débute néanmoins par un regard sur le passé et une profonde compréhension de l’historique de négligence et de manque de respect envers les peuples autochtones comme bon nombre de rapports et études en font état (voir, p. ex., Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (Ottawa : la Commission, 1996); la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (Winnipeg : Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015)). Trop souvent, les décisions touchant les peuples autochtones ont été prises sans égard aux intérêts et à la dignité de ceux-ci, abstraction faite de leur appartenance à part entière à la société canadienne et au mépris des terribles conséquences sur leur vie, leur communauté, leur culture et leur mode de vie. Pis encore, presque aucun effort n’a été déployé pour connaître leur point de vue et tenter de les accommoder, bien au contraire. L’obligation de consulter vise à réparer les torts que les peuples autochtones ont subis au cours des siècles.
[49] La réconciliation porte également sur l’avenir. Elle doit être transformatrice et assurer que les conditions futures empêcheront le retour du préjudice et du dysfonctionnement, mais elle doit également mener à une relation constructive et favoriser un nouveau point de vue afin que les peuples autochtones et tous puissent travailler ensemble pour promouvoir notre bien-être commun, avec respect et compréhension réciproque, en reconnaissant toujours que même si la majorité prévaudra parfois et ne prévaudra pas d’autres fois, il faut toujours tenir compte des préoccupations et les analyser, et ne les rejeter qu’après un examen suffisant, et uniquement pour un motif valable. Il s’agit de reconnaître qu’en fin de compte, nous devons tous cohabiter et nous entendre, dans une société libre et démocratique, où règne le respect réciproque.
[50] Dans ce sens, la réconciliation porte sur les rapports (Mark D. Walters, « The Jurisprudence of Reconciliation : Aboriginal Rights in Canada », dans Will Kymlicka et Bashir Bashir, dir., The Politics of Reconciliation in Multicultural Societies (Oxford : Oxford University Press, 2008), 165, page 168) :
[traduction] La réconciliation en tant que rapport […] est toujours […] réciproque, et […] exige invariablement des gestes honnêtes démontrant un respect réciproque, de la tolérance et de la bonne volonté afin de réparer les ruptures [et inclut] qu’il faut faire face honnêtement aux torts passés, reconnaître leurs conséquences douloureuses et insister sur l’humanité commune de toutes les parties. [Il s’agit de rétablir] la paix entre les communautés divisées par le conflit, mais aussi d’établir un sentiment de valeur propre ou de paix interne au sein de ces communautés.
[51] Le processus de consultation véritable peut mener à différentes mesures d’accommodement. Le défaut d’accommoder d’une façon précise, notamment en abandonnant le projet, ne signifie pas nécessairement qu’il n’y a pas eu de consultation véritable.
[52] De plus, le fait que la consultation n’ait pas mené les quatre demanderesses à consentir au projet ne veut pas dire que la réconciliation n’a pas été mise de l’avant. L’objectif est d’en arriver à une entente globale, objectif qui ne sera pas toujours atteint (Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386 (Ktunaxa Nation), paragraphes 83 et 114). La consultation fondée sur un rapport de respect réciproque promeut la réconciliation, peu importe son issue.
[53] Dit autrement, la réconciliation n’exige pas qu’on en arrive à une fin particulière. Si tel était le cas, les peuples autochtones auraient en fait un droit de veto sur les projets tels que celui-ci. La jurisprudence indique clairement que ce droit de veto n’existe pas (Nation haïda, paragraphes 62 et 63, qui renvoie à R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013, paragraphe 110, Chippewas of the Thames, paragraphe 59, Ktunaxa Nation, paragraphe 83, R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, paragraphe 43, Nation Gitxaala, paragraphe 179, TWN 2018, paragraphe 494, Première nation des Dénés Yellowknives, paragraphe 56). Il faut en fin de compte en arriver à une décision quant au destin du projet et quant au caractère suffisant de la consultation. Le droit n’exige pas qu’en cas de désaccord réel sur la question de savoir si un projet est dans l’intérêt public, les intérêts des peuples autochtones doivent l’emporter.
[54] Il en résulte quelques conséquences importantes. Premièrement, si on devait appliquer de façon trop stricte le critère de la « perfection », du caractère « raisonnable » ou du caractère « véritable » lorsqu’on examine s’il a été satisfait convenablement à l’exigence de consulter, on créerait en fait un droit de veto.
[55] Deuxièmement, la jurisprudence indique clairement que même si les peuples autochtones peuvent faire valoir leur opposition catégorique à un projet, ils ne peuvent se servir du processus de consultation comme tactique pour tenter d’y opposer un veto (Nation haïda, paragraphe 42, Prophet River First Nation c. British Columbia (Environment), 2017 BCCA 58, 408 D.L.R. (4th) 201 (Prophet River (C.A.C.-B.), paragraphe 65, Halfway River First Nation v. British Columbia, 1999 BCCA 470, [1999] 4 C.N.L.R. 1, paragraphe 161, Première Nation des Ahousaht, paragraphes 52 et 53, Première nation de Long Plain, paragraphes 158 à 163, R. v. Douglas, 2007 BCCA 265, 278 D.L.R. (4th) 653, paragraphe 39). Les tactiques visant à ce que la période de consultation arrive à terme sans entente sont incompatibles avec la réconciliation et mèneraient, de fait, à l’utilisation d’un veto si elles étaient tolérées.
[56] On ne peut promouvoir la réconciliation en tant que rapport au moyen de la consultation que si les parties acceptent le processus, évitent les tactiques contre-productives, discutent du fond des questions en litige et font preuve de bonne foi — les peuples autochtones, en expliquant leurs préoccupations aussi clairement que possible, et la Couronne, en écoutant les observations des peuples autochtones et en les examinant avec une préoccupation réelle et avec ouverture d’esprit. Ce n’est qu’ainsi que le processus peut mener à des mesures d’accommodement qui répondent aux préoccupations des peuples autochtones.
[57] Lorsqu’il y a eu une consultation suffisante, mais que les groupes autochtones soutiennent toujours qu’un projet ne devrait pas aller de l’avant, il est nécessaire d’établir un équilibre entre leurs préoccupations et les « intérêts sociétaux opposés ». Tel est le but des mesures d’accommodement (Chippewas of the Thames, paragraphes 59 et 60, Nation haïda, paragraphe 50, TWN 2018, paragraphe 495).
[58] Les mesures d’accommodement, comme la consultation, ne garantissent pas un résultat précis. Il doit y avoir des concessions réciproques. Une mesure d’accommodement possible est d’imposer des conditions au promoteur du projet, par exemple la participation continue des groupes autochtones (voir, par exemple, Chippewas of the Thames, paragraphe 57, TWN 2018, paragraphe 637). Le Canada doit être de bonne foi, mais les groupes autochtones ne peuvent exiger une mesure d’accommodement précise (Chippewas of the Thames, paragraphe 60, Nation haïda, paragraphes 48 et 49, Ktunaxa Nation, paragraphe 114).
[59] Le devoir d’accommoder oblige le Canada à « établir un équilibre raisonnable entre les préoccupations des Autochtones, d’une part, et l’incidence potentielle [...] sur le droit ou titre revendiqué et les autres intérêts sociétaux, d’autre part » (Nation haïda, paragraphe 50). Le Canada peut confier cette tâche à un organisme administratif, comme il l’a fait en partie en l’espèce en le confiant à l’Office. De plus, l’article 54 de la Loi sur l’Office autorise le gouverneur en conseil à pondérer tous les éléments pertinents.
3) La pertinence de la consultation postérieure à l’approbation
[60] Contrairement à ce qu’affirment les demanderesses, la consultation postérieure à l’approbation est pertinente et importante. La Couronne a l’obligation de consulter et l’honneur de la Couronne est toujours en jeu.
[61] Dans sa décision, le gouverneur en conseil aborde longuement le fait que la consultation est un processus continu (voir la note explicative). D’autres consultations auront lieu, par exemple lorsque la Régie établira les tracés et accordera des permis. L’assurance qu’il y aura d’autres consultations et qu’elles seront menées d’une façon donnée est un fait dont le gouverneur en conseil pouvait tenir compte lorsqu’il a rendu sa décision. Même si on devait conclure que la consultation menée par le Canada jusqu’au 18 juin 2019 ainsi que les mesures d’accommodement proposées jusqu’à cette date étaient insuffisantes, les consultations qui ont eu lieu après que le décret ait été délivré demeureraient pertinentes. Il serait inutile de renvoyer de nouveau la décision au gouverneur en conseil pour un nouvel examen si on a depuis remédié aux lacunes (Vavilov, paragraphe 142; Mines Alerte Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6, paragraphes 43 à 52, Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, paragraphe 44).
4) L’importance de l’affaire
[62] Un autre facteur contextuel qui a une incidence lors de l’analyse du caractère raisonnable en l’espèce est l’importance de l’affaire aux yeux des personnes que le projet touche directement (Vavilov, paragraphes 133 à 135). L’obligation de consulter repose sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], et est le fondement juridique de relations à long terme bénéfiques pour tous. Cela a une incidence sur la portée et la qualité des motifs que le gouverneur en conseil doit donner à l’appui de sa décision.
[63] Cela dit, comme nous le verrons, les motifs du gouverneur en conseil, tant dans les attendus du décret que dans la note explicative qui y est jointe, justifient amplement la décision. Cela est encore plus vrai lorsqu’on tient compte du fait qu’on peut aussi examiner le dossier dont était saisi le décideur administratif lorsqu’on examine la justification (Vavilov, paragraphes 91 à 98).
III. La décision du gouverneur en conseil est-elle raisonnable?
[64] À notre avis, la décision du gouverneur en conseil est raisonnable. Elle est acceptable et justifiable à la lumière des conclusions de fait et à la lumière du droit et de la justification donnée.
[65] Comme le gouverneur en conseil l’a expliqué dans les attendus du décret et la note explicative, et comme le démontre le dossier dont nous sommes saisis, le gouverneur en conseil pouvait, de façon raisonnable, conclure qu’on avait corrigé convenablement les lacunes limitées que notre Cour avait signalées dans l’arrêt TWN 2018 et qu’il y avait eu une consultation raisonnable et véritable.
[66] Les explications du gouverneur en conseil ne révèlent pas d’erreur de raisonnement ou de logique semblable à celles que la Cour suprême mentionne dans l’arrêt Vavilov (paragraphes 102 à 104). Globalement, les explications démontrent un raisonnement qui passe d’une appréciation raisonnable de la preuve à des conclusions justifiables et tout à fait conformes à la loi pertinente.
[67] Bien que le gouverneur en conseil ait préalablement approuvé le projet et, ce faisant, croyait avoir satisfait à son obligation de consulter, lorsqu’il a rendu sa nouvelle décision, il ne s’estimait pas, à bon droit, lié par sa décision antérieure. Il a examiné à nouveau la question de savoir si le Canada avait satisfait à son obligation de consulter en tenant compte de ce qu’il croyait être les exigences et en tenant compte des faits dont il était saisi.
[68] Le gouverneur en conseil a démontré qu’il comprenait ce qu’exigeait l’obligation légale de consulter (note explicative, page 43, troisième paragraphe complet). Il a également démontré qu’il avait compris le sens de l’arrêt TWN 2018 de notre Cour et qu’il savait quelles étaient les lacunes du premier exercice de consultation (décret, page 5, quatrième paragraphe, et note explicative, page 45, deuxième paragraphe). Il s’est donné la directive suivante, qui est convenable et raisonnable (décret, page 6, premier paragraphe) :
Attendu que, le 5 octobre 2018, le gouvernement a relancé les consultations de l’Étape III, conformément à la décision et à l’orientation de la Cour et, orienté par ses objectifs de respecter ses obligations de consultation en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et par ses engagements de faire avancer la réconciliation avec les peuples autochtones, il s’est engagé à participer à un véritable dialogue bidirectionnel efficace afin de comprendre entièrement les préoccupations soulevées et la nature et la gravité des effets possibles sur les droits et, le cas échéant, à travailler en collaboration avec les groupes autochtones pour cerner et fournir des accommodements et à répondre aux préoccupations soulevées au cours de ces consultations et lors des consultations précédentes de l’Étape III, d’une manière flexible qui tient compte des effets potentiels et des besoins de chaque groupe autochtone;
[69] Il a également passé en revue une partie du travail qu’il avait fait à cette fin et les mesures d’accommodement prises (décret, page 6) et les a exposées en détail (note explicative, pages 45 à 49).
[70] Le gouverneur en conseil a notamment fait ce qui suit. Il a recommencé les consultations directes avec les groupes autochtones susceptibles d’être touchés, en se concentrant sur les préoccupations soulevées par notre Cour dans l’arrêt TWN 2018 dans le but de les résoudre. Il a retenu les services d’un expert reconnu et chevronné sur les questions autochtones, soit Frank Iacobucci, ancien juge de la Cour suprême, afin qu’il surveille les nouvelles consultations et qu’il donne des conseils à leur sujet. Il a établi des équipes de consultation composées de fonctionnaires de différents ministères et dirigées par des cadres supérieurs, des directeurs généraux, qui relèvent du sous-ministre adjoint du secrétariat des consultations afin d’assurer un dialogue véritable réciproque entre les groupes autochtones et le Canada. Il a donné des directives claires aux équipes de consultation afin qu’elles examinent les mesures d’accommodement et y consentent, s’il y a lieu (affidavit de Jeff Labonté, paragraphes 4 et 51, recueil du Canada, page 2, décret, page 6, note explicative, pages 45 et 46).
[71] Le gouverneur en conseil a expliqué qu’en fin de compte, on a fourni un rapport sur les consultations et les accommodements de la Couronne (RCAC) détaillé à tous les ministres du Cabinet et on l’a rendu disponible au public, notamment aux groupes autochtones (note explicative, page 47). Le RCAC résumait les incidences du projet sur les intérêts et les préoccupations autochtones, les conclusions de l’Office, les perspectives des Autochtones, l’analyse du Canada des répercussions sur les droits et les intérêts autochtones, et les mesures futures qui atténueront les répercussions et répondront aux préoccupations (note explicative, pages 47 et 48).
[72] On a également présenté au gouverneur en conseil un résumé détaillé de nouvelles mesures d’accommodement afin d’éviter ou d’atténuer les répercussions sur les Autochtones, notamment l’initiative de la mer des Salish, le programme d’élaboration conjointe des interventions communautaires, l’initiative de connaissance améliorée de la situation maritime, le programme d’équipement et de formation sur la sécurité maritime, l’initiative de réduction du bruit des navires, le fonds de restauration de l’habitat aquatique, l’initiative d’évaluation des effets cumulatifs terrestres et l’initiative d’études terrestres (note explicative, pages 48 et 49).
[73] Lorsqu’il a rendu sa décision, le gouverneur en conseil a tenu compte des recommandations de l’Office et il les a adoptées, motifs à l’appui (note explicative, pages 53 à 63). Il a également tenu compte du fait qu’il pouvait imposer de nouvelles conditions à l’égard de l’approbation du projet, il a expliqué en détail les facteurs dont il avait tenu compte, et il a décidé d’imposer des modifications aux conditions (note explicative, pages 63 à 65).
[74] Le gouverneur en conseil est arrivé à la conclusion suivante au sujet de l’obligation du Canada de consulter (décret, page 7, dernier paragraphe complet) :
Attendu que la gouverneure en conseil est convaincue, après examen des préoccupations et des intérêts des 129 groupes autochtones cernés dans le Rapport sur les consultations et les accommodements de la Couronne pour réexamen de l’agrandissement du réseau de pipeline de Trans Mountain daté du 13 juin 2019, et après avoir pris en considération la surveillance par le juge Iacobucci, son orientation et son avis que le processus de consultation est compatible avec l’honneur de la Couronne et répond aux directives énoncées dans l’affaire [TWN 2018] pour un dialogue bidirectionnel axé sur les droits, et les impacts potentiels sur les droits et, que les préoccupations, et les impacts potentiels sur les intérêts, y compris les droits ancestraux et issus de traités établis et revendiqués, cernés lors du processus de consultation, ont fait l’objet de mesures d’accommodement appropriées;
[75] On ne peut dire que la décision du gouverneur en conseil excède la portée de l’article 54, si on l’interprète raisonnablement. Aucune des demanderesses ne le prétend. On ne peut également pas dire, en tenant compte de ces motifs et du dossier dont nous disposons, que le gouverneur en conseil n’a pas tenu compte, de façon suffisante, véritable et raisonnable, des principales questions que notre Cour a soulevées dans l’arrêt TWN 2018 et que les parties ont soulevées lors du nouvel examen.
[76] En l’espèce, la preuve au dossier étaye tout à fait les raisons essentielles que le gouverneur en conseil a données pour expliquer sa décision. Le dossier de la preuve démontre qu’on a tenté de bonne foi de comprendre les principales préoccupations des demanderesses, d’en tenir compte et de les examiner, d’avoir une discussion bien nourrie, et d’envisager des mesures d’accommodement et d’y consentir dans certains cas. Cela est tout à fait compatible avec les principes de la réconciliation et de l’honneur de la Couronne.
[77] Contrairement à ce que les demanderesses affirment, il ne s’agissait aucunement d’une simple approbation aveugle. Le résultat n’était pas une ratification de la première approbation, mais plutôt une approbation avec des conditions modifiées qui découlaient directement de la nouvelle consultation. Il est vrai que les demanderesses estiment qu’on n’a pas répondu entièrement à toutes leurs préoccupations, mais le fait d’exiger qu’on le fasse reviendrait à utiliser la norme de la perfection, ce qui n’est pas la norme légale.
[78] Il est important de noter que lors du processus de consultation, le Canada a sollicité la participation de 129 groupes autochtones qui pourraient être touchés par le projet, et qu’en fin de compte, plus de 120 groupes appuyaient le projet ou ne s’y opposaient pas. De plus, le 22 juin 2019, des ententes d’avantages mutuels avaient été conclues avec 43 groupes autochtones (note explicative, page 43, deuxième paragraphe complet). Aux termes de l’article 54, le gouverneur en conseil pouvait tenir compte de ce large consensus pour conclure que le projet était dans l’intérêt public. Cela indique également que le processus qui a eu lieu était compatible avec les objectifs de la réconciliation et de l’honneur de la Couronne (décret, page 7, dernier paragraphe complet).
[79] Comme nous l’avons dit, lors de l’examen du caractère raisonnable, nous devons nous pencher sur le caractère raisonnable de la décision du gouverneur en conseil, notamment la conclusion à laquelle il est arrivé et la justification qu’il a donnée. Bien que les observations des parties soulèvent un certain nombre de préoccupations précises, nous devons nous pencher sur la décision elle-même. Il convient de noter qu’une décision peut être raisonnable même si des parties touchées par cette décision s’y opposent fortement quant au fond.
[80] Dès le début de l’instance, on a demandé deux fois aux demanderesses de se concentrer sur la décision du gouverneur en conseil et sur la norme de contrôle (voir le libellé de l’ordonnance d’autorisation, précitée, et l’examen de ces questions dans l’arrêt de notre Cour Ignace c. Procureur général, 2019 CAF 266, paragraphes 13 à 20). Elles ont plutôt décidé d’insister sur le bien-fondé de la décision.
[81] En conséquence, leurs observations ont une grande portée et renvoient à un dossier de preuve de quelque 60 000 pages. En fait, les quatre demanderesses ont présenté leur demande comme si elles souhaitaient une déclaration indépendante portant qu’on n’avait pas satisfait à l’obligation de consulter.
[82] Selon cette façon de faire, la décision du gouverneur en conseil n’était pas pertinente. En fait, les demanderesses n’ont pas fait d’observations au sujet de la nature et de la qualité de la décision du gouverneur en conseil, des contraintes dont il devait tenir compte, notamment la loi pertinente, ou des motifs donnés à l’appui de la décision, afin de démontrer que la décision était déraisonnable. Les observations que nous avons reçues à la suite du prononcé de l’arrêt Vavilov ne remettent pas en question les remarques que nous avions faites au sujet du caractère raisonnable de la décision du gouverneur en conseil en tenant compte du cadre d’analyse énoncé dans cet arrêt.
[83] En raison de l’analyse qui précède, et puisque les demanderesses ne se sont pas concentrées sur le contrôle de la décision du gouverneur en conseil selon la norme de contrôle pertinente, il est inutile d’en dire davantage pour conclure que la décision du gouverneur en conseil était raisonnable.
[84] Nous avons néanmoins décidé de répondre aux observations détaillées des demanderesses comme elles les ont présentées. Nous reconnaissons que nous ne sommes pas tenus de le faire lors de l’analyse du caractère raisonnable selon l’arrêt Vavilov et selon les deux premières décisions de la Cour suprême rendues après Vavilov, soit Bell Canada c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 66, et Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67. Toutefois, l’ordonnance d’autorisation invitait les demanderesses à faire des observations sur un certain nombre de lacunes détaillées et précises, ce qui a pu les amener à insister davantage sur le fondement de la décision que ce qui est prescrit dans l’arrêt Vavilov. Il est également important de ne pas laisser qui que ce soit ait l’impression que la Cour n’a pas tenu compte des observations des demanderesses.
IV. Réponse aux observations précises des demanderesses
[85] Notre examen des observations précises des demanderesses nous amène à conclure que même si nous examinions la décision du gouverneur en conseil selon une norme plus exigeante, c’est-à-dire celle de la décision correcte, nous ne serions toujours pas convaincus que nous devrions modifier cette décision.
[86] Les observations des demanderesses reviennent à dire qu’on ne peut approuver le projet avant que celles-ci ne soient satisfaites des réponses à toutes leurs préoccupations. Si nous acceptions cette thèse, cela reviendrait à dire que la consultation ne prendrait jamais fin, qu’on n’approuverait jamais le projet, et que les demanderesses auraient en fait un droit de veto.
[87] Les observations précises des demanderesses sont mal fondées pour une ou plusieurs des cinq raisons suivantes :
● Elles soulèvent des questions qu’on aurait pu soulever devant notre Cour dans l’affaire TWN 2018. On ne l’a pas fait, et les demanderesses sont empêchées par préclusion de les soulever maintenant.
● Elles soulèvent des questions qu’on a soulevées devant notre Cour dans l’affaire TWN 2018 et que notre Cour a tranchées dans cet arrêt.
● Elles soulèvent des questions qui excèdent la portée des questions qu’on peut soulever aux termes de l’ordonnance d’autorisation.
● Elles sont manifestement mal fondées : on affirme que le Canada ne s’est pas penché convenablement sur une question, alors qu’il l’a fait.
● Soit seules, soit conjointement avec d’autres questions, elles ne démontrent pas que la décision du gouverneur en conseil voulant qu’on ait satisfait convenablement à l’obligation de consulter et que le projet est globalement dans l’intérêt public n’est pas raisonnable.
[88] L’analyse de chacune des observations précises des demanderesses suit.
A. Les Coldwater
[89] Les préoccupations des Coldwater portaient sur l’incidence que le projet pourrait avoir sur l’aquifère dont ils tirent leur eau potable. Dans l’arrêt TWN 2018, notre Cour a conclu que les consultations entre le Canada et les Coldwater avaient deux lacunes.
1) Les lacunes signalées dans l’arrêt TWN 2018 ont été corrigées
[90] Notre Cour a d’abord conclu que le Canada avait mené les consultations en supposant à tort qu’il ne pouvait imposer au promoteur des conditions en sus de celles que l’Office avait déjà imposées. On a maintenant corrigé cette lacune. Le Canada a reconnu qu’il pouvait imposer d’autres conditions, et il l’a fait en imposant un nouvel engagement contraignant à Trans Mountain au moyen d’une modification de la condition 6 de l’Office.
[91] La deuxième lacune que notre Cour a signalée dans l’arrêt TWN 2018 était que la condition 39 ne donnait aucune certitude quant au tracé de l’oléoduc ou quant à la façon dont l’Office établirait la présence éventuelle de risques pour l’aquifère. Les Coldwater soutiennent qu’il y a maintenant encore plus d’incertitude au sujet du tracé et des risques pour l’aquifère en raison du nouveau processus de consultation et de l’engagement du promoteur. On a communiqué l’engagement du promoteur trop tard au cours du processus, et on a délivré le décret sans attendre l’étude hydrogéologique.
[92] La préoccupation des Coldwater à l’égard de l’étude hydrogéologique est que la date de son dépôt aux termes du nouvel engagement du promoteur, soit le 31 décembre 2019, ne donne pas assez de temps pour établir des données de référence. Ils prétendent qu’il faut des données portant sur au moins une année complète après l’installation des puits de contrôle, et préférablement deux années. Pendant le nouveau processus de consultation, les Coldwater ont également fait valoir leur point de vue selon lequel on ne pouvait satisfaire convenablement à l’obligation de consulter si on approuvait le projet avant que l’étude hydrogéologique soit terminée. Les Coldwater ont fait connaître leur point de vue dans une lettre au Canada (annexe A, premier affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, page 13451) :
[traduction] [...] il faut des données de référence pour comprendre le réseau de plomberie; ensuite on peut évaluer le danger. Ce n’est que lorsqu’on comprend ce qu’on essaie de protéger qu’on peut examiner si des mesures d’atténuation seront efficaces. Plus précisément, on ne peut comparer les dangers des divers tracés sans l’étude de l’aquifère et on ne peut comparer l’efficacité des mesures proposées de protection de l’oléoduc avant que l’étude de l’aquifère soit terminée. [Non souligné dans l’original.]
[93] Notre Cour s’est penchée sur cette question précise dans l’arrêt TWN 2018. Les Coldwater affirmaient que l’Office aurait dû tenir compte à l’audience d’un autre tracé possible, soit le tracé ouest. La Cour a rejeté cette prétention ([TWN 2018] paragraphes 375 à 385). Plus précisément, la Cour a conclu que si l’étude hydrogéologique démontrait qu’on devrait choisir un autre tracé, l’Office pourrait ordonner qu’on modifie le tracé lors de l’audience sur le tracé détaillé. En fait, l’Office pouvait approuver un tracé hors du corridor approuvé et pouvait alors choisir le tracé ouest, s’il croyait qu’il était préférable (paragraphes 383 et 384) :
De plus, l’article 21 de la Loi sur l’Office national de l’énergie permet à l’Office de réviser, d’annuler ou de modifier ses ordonnances ou décisions, et l’Office a reconnu dans la décision Emera, à la page 35, que lorsque le tracé proposé est refusé parce que la preuve indique un meilleur tracé hors du corridor de pipeline approuvé, une demande peut être présentée en vertu de l’article 21 pour modifier le corridor à cet endroit.
Il s’ensuit que l’Office serait habilité à modifier le tracé du nouveau pipeline si l’étude hydrogéologique devant être déposée conformément à la condition 39 requérait un autre tracé, comme celui de l’option ouest, pour éviter de mettre en danger l’aquifère de Coldwater. [Non souligné dans l’original.]
[94] Pour cette raison, notre Cour a conclu que l’Office n’avait pas à examiner le tracé ouest parce que, lorsque le projet sera approuvé par le gouverneur en conseil, le tracé ne sera « pas arrêté et dépendra des conclusions du rapport hydrogéologique » (non souligné dans l’original, TWN 2018, paragraphe 385).
[95] En outre, au paragraphe 542 de l’arrêt TWN 2018, la Cour commence son examen de la thèse des Coldwater selon laquelle le processus de consultation était lacunaire parce qu’il « a permis l’approbation du projet alors qu’il manquait des renseignements essentiels ». La Cour a répondu que la préoccupation quant au fait que « le Canada s’en remette à un processus à l’issue duquel bon nombre de questions importantes étaient toujours sans réponse au moment où le gouverneur en conseil a approuvé le projet » trouvait sa réponse dans deux arrêts connexes de la Cour suprême, soit Clyde River, paragraphes 25 à 29, et Chippewas of the Thames, paragraphes 29 à 31. En se fondant sur ces arrêts, notre Cour a conclu que « le processus d’approbation de l’Office peut donner naissance à l’obligation de consulter lorsqu’il est susceptible d’avoir des effets préjudiciables sur les droits ancestraux ou issus de traités » (renvois omis, TWN 2018, paragraphe 546).
[96] La Cour a appliqué ce raisonnement à la situation des Coldwater et a noté que la décision de l’Office au sujet du tracé détaillé donnera naissance à l’obligation de consulter de la Couronne. Bien que la responsabilité de veiller à ce que la décision de l’Office préserve l’honneur de la Couronne continue de reposer sur la Couronne, l’Office devra s’informer des effets du projet sur l’aquifère et devra prendre en compte les droits et les intérêts des Coldwater avant de prendre une décision définitive au sujet du tracé et du respect de la condition 39. C’était là « une réponse complète à la préoccupation selon laquelle le cadre de consultation était lacunaire parce que certaines décisions devaient encore être prises après l’approbation du projet par le gouverneur en conseil » (TWN 2018, paragraphe 547).
[97] Ainsi, dans l’arrêt TWN 2018, notre Cour avait déjà répondu à l’allégation des Coldwater voulant que l’échéance du 31 décembre 2019 ne donnait pas assez de temps pour établir les données de référence nécessaires à l’approbation du projet et que le projet ne pouvait être approuvé avant que le rapport hydrogéologique soit terminé. Comme c’était le cas à l’époque, l’Office (maintenant la Régie) pourra s’informer des effets sur l’aquifère et prendre en compte les droits et les intérêts des Coldwater avant de prendre une décision définitive.
[98] Notre Cour avait également conclu dans l’arrêt TWN 2018 que le Canada, pour deux raisons précises, ne pouvait pas compter sur la condition 39 pour s’acquitter de son obligation de consulter et d’accommoder (paragraphe 679) :
[...] Dans ces circonstances — vu qu’il incombe aux Coldwater de démontrer l’existence d’un tracé supérieur et que, selon l’expert de l’Office, le tracé n’a jamais été déplacé en dehors du couloir approuvé —, le Canada dit avoir confiance à l’égard de la condition 39 et en avise les Coldwater. Or, comme l’admet le Canada, cette condition n’apporte aucune certitude quant au tracé du pipeline ou quant à l’évaluation par l’Office des risques pour l’aquifère.
[99] Ces incertitudes avaient comme origine les renseignements fournis par un entrepreneur mis à disposition pour répondre aux questions relatives à l’Office lors d’une rencontre entre le Canada et les Coldwater voulant que la partie qui demande un changement de tracé (c’est-à-dire les Coldwater) ait le fardeau de démontrer que le corridor approuvé n’est pas le tracé préférable (TWN 2018, paragraphes 671 et 676). De plus, lorsque les Coldwater ont demandé, au cours de la nouvelle consultation, s’il était déjà arrivé qu’un rapport déposé après l’approbation du gouverneur en conseil (en l’espèce, l’étude visée par la condition 39) mène à la modification du corridor approuvé, l’expert a répondu que bien que cela soit possible, il ne connaissait aucun cas où cela s’était effectivement produit. La Couronne a confirmé que les choses s’accéléreraient après l’approbation du gouverneur en conseil et que les Coldwater auraient de la difficulté à s’acquitter de leur fardeau (TWN 2018, paragraphe 676). Les Coldwater avaient soutenu à l’époque que, puisque le fardeau reposerait sur eux, l’audience sur le tracé détaillé ne constituerait pas une option réaliste pour répondre à leurs préoccupations (TWN 2018, paragraphe 673). Ces observations sont à l’origine des incertitudes quant au tracé de l’oléoduc et quant à l’évaluation des dangers à l’aquifère mentionnées dans ce passage.
[100] Comme la Cour l’a dit clairement dans l’arrêt TWN 2018, le processus de consultation n’était pas lacunaire, puisque l’Office devait tenir compte du danger à l’aquifère et devait examiner le tracé ouest lors de l’audience sur le tracé détaillé, si l’étude hydrogéologique l’exigeait. Cependant, puisque la preuve démontrait que cela ne se produirait que si les Coldwater s’acquittaient du fardeau de démontrer que le tracé ouest était préférable, et puisque tous s’entendaient pour dire qu’il était peu probable qu’ils puissent le faire, la Cour a conclu que la protection de l’aquifère des Coldwater était trop incertaine. Plus précisément, l’incertitude quant au tracé découlait de l’éventualité peu probable que les Coldwater puissent s’acquitter de leur fardeau, faute de quoi il n’y aurait aucune certitude quant à la façon dont l’Office évaluerait le danger à l’aquifère.
[101] En l’espèce, on a résolu ces deux incertitudes. La Régie a confirmé que c’est le promoteur, soit Trans Mountain, qui aura le fardeau d’établir le tracé préférable, et non les Coldwater. Plus précisément, la Régie a confirmé que [traduction] « c’est la société qui cherche l’autorisation qui a le fardeau de démontrer que le tracé proposé est le meilleur tracé possible », en renvoyant à Emera Brunswick Pipeline Company Ltd. (Re), 2008 LNCONE 10 (QL), no MH-3-2007 (mai 2008) et MH-1-2008 (août 2008), à la page 32 (mémoire de la Régie, paragraphe 26). De plus, pour dissiper toute ambiguïté, Trans Mountain s’est engagée à ce que les Coldwater [traduction] « n’aient pas à supporter le fardeau de la preuve lors des décisions de l’Office sur le tracé » (pièce EEEE, affidavit de Terrance Lee Spahan, recueil des Coldwater, page 682).
[102] Les Coldwater n’ont pas contesté cette confirmation ni l’effet de l’engagement contraignant de Trans Mountain et ils pouvaient difficilement faire autrement, étant donné que ces mesures réglaient un problème fondamental qu’ils avaient soulevé pendant la première ronde de consultations. Il s’ensuit qu’il incombera à Trans Mountain de démontrer quel est le meilleur tracé lors de l’audience sur le tracé détaillé et, en déterminant si cette preuve a été faite, la Régie devra tenir compte de l’étude hydrogéologique. Ce n’est qu’alors que la Régie sera en mesure de déterminer si la condition no 39 a été respectée.
[103] L’incertitude soulevée dans l’arrêt TWN 2018 s’en trouve dissipée. Toutefois, le Canada ne s’est pas arrêté là. Il a renforcé encore la condition no 39 en imposant une date limite à laquelle Trans Mountain devait déposer le rapport hydrogéologique auprès de la Régie; en obligeant Trans Mountain à déposer une étude de faisabilité de l’option ouest comme tracé de rechange auprès de la Régie, qui doit examiner les géotechniques, les géohasards et évaluer les risques posés aux espèces en péril et les facteurs environnementaux; enfin, en imposant un processus clairement établi que Trans Mountain doit suivre devant la Régie pendant l’audience sur le tracé détaillé. Au-delà de cela, le Canada doit veiller à ce que la décision qui sera rendue à la suite de l’audience sur le tracé détaillé, quelle qu’elle soit, préserve l’honneur de la Couronne.
[104] Les Coldwater soutiennent que cette initiative est arrivée trop tard dans le cadre du nouveau processus de consultations. Nous sommes en désaccord avec ce point de vue. La mesure est conforme à l’approche sanctionnée dans l’arrêt TWN 2018 et les Coldwater conservent le droit de faire valoir leur point de vue. De plus, Les Coldwater se plaignent que le projet a été approuvé sur la base de données et de renseignements insuffisants. Il n’appartient pas à la Cour de donner son avis sur des questions qui relèvent du champ de la science ou de se prononcer sur la suffisance des données puisque la Régie va examiner ces questions au cours de l’audience sur le tracé détaillé (Rapport de réexamen de l’Office, recueil des principaux documents, page 0975, sous la rubrique « Dépôts relatifs aux conditions soumis à une approbation »).
[105] En résumé, la Cour, dans l’arrêt TWN 2018, a déjà répondu de manière complète à la thèse selon laquelle le processus de consultations présentait une lacune parce que l’étude hydrogéologique n’avait pas encore été terminée au moment de l’approbation du projet. Les Coldwater ne peuvent plus remettre en litige cette question. En outre, le gouverneur en conseil avait la possibilité de conclure que les lacunes se rapportant à l’absence d’un véritable dialogue avec les Coldwater avaient été remédiées de façon adéquate. Nous relevons à cet égard la prise en considération continue des tracés de rechange, y compris l’option ouest, ainsi que la compréhension, clairement exprimée par le Canada, qu’il n’était pas restreint par les conclusions de l’Office en ce qui concerne le développement de mesures d’accommodement. Sur ce dernier sujet, notons que le Canada s’est exprimé concrètement par ses gestes en mettant de l’avant l’engagement contraignant du promoteur pour répondre aux préoccupations des Coldwater concernant l’établissement du tracé, ce qui procure aux Coldwater un degré plus raisonnable de certitude que les risques pour l’aquifère seront abordés. Bien que les Coldwater demeurent insatisfaits, la lacune identifiée dans l’arrêt TWN 2018 a été corrigée.
2) L’option ouest ne constitue plus le tracé privilégié
[106] Ceci dit, il nous semble qu’il était peu probable qu’une entente puisse être conclue avec les Coldwater par le biais d’une consultation constructive. Ce qui illustre le mieux cette conclusion est le désenchantement de plus en plus évident des Coldwater pour l’option ouest au fur et à mesure qu’il devenait de plus en plus évident que cette solution de rechange était en train d’être intégrée dans le cadre d’une véritable consultation et d’une façon qui répondait de façon adéquate à leurs préoccupations.
[107] Tout au long des consultations qui ont précédé le prononcé de l’arrêt TWN 2018 et jusqu’au mois de mars 2019, la position des Coldwater était qu’ils avaient une « nette préférence » pour l’option ouest étant donné que celle-ci ne présentait pas de risque pour leur aquifère et leur approvisionnement en eau potable (TWN 2018, paragraphe 586). Cependant, au cours du nouveau processus de consultation, une fois que Trans Mountain s’est dite disposée à examiner l’option ouest, les Coldwater se sont mis à modifier leur position. Vers le 6 mars 2019, les Coldwater ont soulevé pour la première fois des préoccupations portant sur le « risque auquel sont effectivement exposés les franchissements de la rivière associés à l’option ouest » (soulignement ajouté; pièce WW jointe à l’affidavit de Terrance Lee Spahan, recueil des Coldwater, page 499). On savait depuis longtemps que l’option ouest comptait deux franchissements de rivière; il s’agit d’une des raisons pour lesquelles Trans Mountain ne l’avait pas choisie comme son tracé privilégié.
[108] Plus tard, au début de juin 2019, quand les Coldwater ont dû faire face à la possibilité que l’option ouest pourrait constituer une solution réaliste à leurs préoccupations portant sur leur aquifère, ils ont changé de cap et ont fait valoir qu’aucun tracé n’était assez sûr (pièce CCCC jointe à l’affidavit de Terrance Lee Spahan, recueil des Coldwater, page 678) :
[traduction] Nous ne voyons pas comment le projet peut être approuvé à moins qu’il soit déterminé qu’il existe un tracé possible dans la vallée Coldwater qui n’exposerait pas à un risque notre aquifère ou qui ne nuirait pas indûment à nos droits et intérêts autochtones. Si l’étude hydrogéologique et l’évaluation de l’option ouest ou de tracés de rechange devaient rester inachevées, il faudrait envisager la possibilité, dans le cadre de l’approbation du projet, qu’il n’existe aucun tracé sans risque dans notre vallée. À cet égard, aucune condition ne suffira étant donné que nos préoccupations au sujet de notre aquifère et du tracé, qui n’ont pas été abordées et qui n’ont pas fait l’objet de discussions, reposent au cœur même des obligations constitutionnelles de la Couronne à notre égard.
[109] Les Coldwater avaient le droit de défendre cette thèse. Cependant, il aurait été plus utile et productif pour tous si cela avait été clair dès le début.
[110] Comme nous l’avons déclaré initialement dans ces motifs, la question à trancher dans le cadre de ces demandes de contrôle judiciaire se limite au caractère raisonnable de la conclusion du gouverneur général selon laquelle les lacunes identifiées dans l’arrêt TWN 2018 ont été palliées de façon adéquate. Maintenant, les Coldwater voudraient remonter dans le temps et aborder des questions qui n’ont pas été soulevées ou abordées dans l’arrêt TWN 2018. L’ordonnance d’autorisation ne le permet pas.
[111] Par ailleurs, nous croyons que les propos de la Cour d’appel de Colombie-Britannique dans l’arrêt Prophet River (C.A.C.-B.), au paragraphe 65, sont pertinents compte tenu de la thèse revue des Coldwater qu’aucun tracé n’est assez sûr pour que le projet puisse être approuvé :
[traduction] […] En l’espèce, les appelantes n’ont été réceptives à aucune mesure d’accommodement si ce n’est celle qui consiste à opter pour une solution de rechange à ce projet; l’adoption d’une telle position équivaut à demander un droit de « veto ». Elles font valoir à juste titre qu’un véritable processus de consultation implique la nécessité de travailler en collaboration pour trouver un compromis entre des intérêts contradictoires en jeu, d’une façon qui portera atteinte le moins possible à l’exercice de droits protégés par traité. Cependant, ce processus s’avère impraticable lorsque, comme en l’espèce, le seul compromis qui leur semble acceptable est d’abandonner l’ensemble du projet.
[112] La décision du gouverneur en conseil que les Coldwater ont été adéquatement consultés et que des mesures d’accommodement adéquates ont été prises dans le cadre du nouveau processus de consultation est éminemment raisonnable et, par conséquent, le décret approuvant le projet auquel s’opposent les Coldwater demeure valide.
B. Les Squamish
[113] Les préoccupations principales des Squamish au sujet du projet portent sur le risque de déversement du bitume dilué qui serait transporté par pipeline et sur les conséquences d’un déversement sur les droits et intérêts des Squamish.
[114] Dans l’arrêt TWN 2018 (paragraphes 662 à 668), la Cour a identifié trois manquements précis lors des consultations entre le Canada et les Squamish à ce sujet. Le premier manquement concerne le fait que le Canada n’a pas répondu de façon adéquate à la préoccupation que faisaient valoir les Squamish au sujet du fait que les connaissances sur le comportement du bitume dilué lors d’un déversement étaient trop limitées pour permettre l’approbation du projet. Le deuxième manquement concerne le fait qu’il n’y avait rien dans la réponse du Canada qui démontrait que celui-ci avait accordé un poids effectif ou une attention particulière à la préoccupation des Squamish au sujet du bitume dilué. Le troisième manquement concerne le fait qu’aucune attention n’a été donnée à des mesures d’accommodement significatives et concrètes.
[115] La Cour a poursuivi en affirmant qu’à son avis, la consultation du Canada auprès des Squamish était insuffisante. Elle a signalé le fait qu’il n’y a eu qu’une seule réunion de consultation avec les Squamish dans le cadre de l’étape III du processus de consultations. Au cours de la réunion, les Squamish ont déclaré « ne pas disposer de suffisamment de renseignements sur l’effet du projet à leur égard pour prendre une décision ou discuter de mesures d’atténuation » (TWN 2018, paragraphe 662). Ils ont mentionné l’absence de renseignements sur le devenir et le comportement du bitume dilué déversé en milieu marin. Le Canada a répondu qu’il s’agissait là d’un « déficit d’information ». Il a déclaré ne pas savoir quel rôle jouerait cette incertitude lors du processus d’approbation par le gouverneur en conseil et s’il approuverait, malgré tout, le projet. La Cour a constaté que le procès-verbal de la réunion n’indiquait aucune discussion sur le devenir et le comportement du bitume dilué dans l’eau.
[116] La Cour a également fait référence à une lettre conjointe du Canada et du Bureau de l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique adressée aux Squamish, datée de la veille de l’approbation du projet et répondant aux préoccupations soulevées par les Squamish. Selon la lettre, bien que les Squamish ont exprimé des préoccupations quant au devenir et au comportement du bitume dilué et aux risques de déversement, les sociétés de pipelines ne sont assujetties qu’aux exigences réglementaires. La Cour a décrit la lettre comme des « généralités » qui ne constituent pas « une véritable réponse aux préoccupations des Squamish qui craignent que l’on n’en sache pas assez sur le comportement du bitume dilué en cas de déversement » (TWN 2018, paragraphe 666).
[117] Les Squamish soutiennent que ces manquements n’ont pas été abordés lors des nouvelles rondes de consultations qui ont suivi la décision de la Cour : le Canada a, une fois de plus, omis de s’engager concrètement à l’égard des préoccupations des Squamish et s’est fié unilatéralement à des mesures d’accommodement qui n’atténueraient pas les effets des répercussions que pourraient subir les Squamish, ni ne les accommoderaient. Par conséquent, selon les Squamish, il était déraisonnable pour le gouverneur en conseil d’approuver le projet.
[118] Nous ne sommes pas de cet avis. Selon nous, il ressort du dossier que, dans le cadre du nouveau processus de consultation, le Canada a répondu de façon significative aux préoccupations des Squamish, notamment, en participant à des discussions avec eux, en procédant à un échange d’opinions d’experts scientifiques ainsi qu’en fournissant de la documentation et d’autres renseignements pertinents. Le Canada a également proposé des mesures d’accommodement qui aideraient à atténuer les répercussions qui préoccupaient les Squamish, soit, notamment, de se mettre d’accord pour mener une étude expérimentale conjointe avec les Squamish et les Tsleil-Waututh (qui partagent avec les Squamish des préoccupations au sujet du bitume dilué et des déversements) sur le comportement du bitume dilué dans la baie Burrard et dans la région du fleuve Fraser, la région où les Squamish et les Tsleil-Waututh étaient préoccupés qu’un déversement puisse survenir.
[119] En fin de compte, Squamish et ses experts n’ont pas été convaincus que les connaissances sur le devenir et le comportement du bitume dilué étaient suffisantes pour permettre au gouverneur en conseil d’approuver le projet. Pour leur part, le Canada et ses experts n’ont pas été convaincus, compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques, que des renseignements supplémentaires étaient nécessaires avant qu’une décision puisse être rendue. Cependant, le droit régissant les consultations n’impose pas une obligation de parvenir à une entente (Nation haïda, paragraphe 42). Il n’appartient pas non plus à la Cour d’agir comme « académie des sciences » en vue de décider quelle opinion est la bonne (Inverhuron & District Ratepayers Ass. c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CAF 203, paragraphe 40). Au contraire, à condition que le gouverneur en conseil puisse raisonnablement conclure qu’une véritable consultation a eu lieu, le caractère approprié d’une décision portant sur le projet, compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques, était une question qui appartenait au gouverneur en conseil de trancher.
[120] Quels étaient alors les éléments de la nouvelle ronde de consultation avec les Squamish sur les risques de déversements ainsi que le devenir et le comportement du bitume dilué?
[121] Premièrement, des éléments de preuve mis à jour ont été déposés lors de l’audience de réexamen de l’Office à laquelle les Squamish ont participé. Le Canada a fait part de son intention de s’appuyer sur l’audience de réexamen de l’Office, dans la mesure du possible, pour s’acquitter de son obligation de consulter. Les éléments de preuve mis à jour portaient notamment sur le devenir et le comportement du bitume dilué ainsi que sur les technologies de nettoyage en cas de déversement d’hydrocarbures. Ils comprenaient un rapport de 2018 sur une étude menée par des scientifiques du gouvernement fédéral et des experts de l’extérieur qui ont fait une synthèse de la situation sur la connaissance dans ce domaine et a orienté davantage les efforts de recherche futurs. Un expert des Squamish, M. Short, Ph. D., a également déposé un rapport en preuve au sujet de la submersion du bitume dilué à la suite d’un déversement. L’Office a conclu que le poids de la preuve n’appuyait pas la thèse de M. Short que la submersion rapide et étendue du bitume dilué était probable. Il a conclu qu’il y avait suffisamment de preuve au sujet du devenir et du comportement d’un déversement de pétrole, y compris du bitume dilué, pour permettre une évaluation des effets potentiels d’un déversement et l’élaboration d’un plan d’urgence en cas de déversement (Rapport de réexamen de l’Office, pages 0479 à 0503).
[122] Deuxièmement, deux des sept réunions de consultation techniques entre des représentants du Canada et des Squamish, ainsi qu’une partie importante d’une troisième réunion (une réunion téléphonique) ont été consacrées à ces questions ainsi qu’à des questions connexes. Ces réunions ont été organisées en réponse à l’identification par les Squamish de questions qu’ils considéraient comme n’ayant pas été abordées ou comme ayant été laissées en suspens et qui se rapportaient au devenir et au comportement du bitume dilué ainsi qu’aux mesures en cas de déversement à la lumière du rapport de réexamen de l’Office, ou à titre de sujets nécessitant consultation (pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 14474 à 14480 et 14498 à 14502). Les experts du fédéral et de Squamish ont assisté à ces réunions de consultation technique. Les experts fédéraux ont fait des présentations sur les déversements de pétrole, y compris la modélisation des déversements, la biodégradation du bitume dilué, et l’intervention en cas de déversement. Ils ont déclaré que beaucoup de recherche supplémentaire avait été effectuée depuis 2016. Ils ont présenté beaucoup de renseignements sur les capacités et les programmes d’intervention en cas de déversement. Les représentants des Squamish et leurs experts ont fait valoir que, néanmoins, plus de travail portant sur le devenir et le comportement du bitume dilué devait être accompli avant que le gouverneur en conseil puisse prononcer sa décision sur le projet. Les représentants du Canada ont répondu directement que, compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques, ils ne partageaient pas cet avis (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphes 60 et 61, recueil du Canada, page 14254, pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 14729 à 14783 et 15088 à 15103). Au cours de la deuxième réunion, la Western Canada Marine Response Corporation (l’organisation certifiée par Transport Canada pour les services d’intervention en cas de déversement maritime sur la côte ouest du Canada) a donné une présentation sur la capacité d’intervention en cas de déversement. Les discussions ont également porté sur les renseignements concernant la capacité d’intervention en cas de déversement que l’expert des Squamish sur le sujet n’avait apparemment pas examinés (pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 15101 et 15102). Ce fut un dialogue constructif.
[123] Troisièmement, le Canada a fourni aux Squamish et à leurs experts, au cours de la période de consultations, un volume important de résultats de recherche et d’autres documents portant sur ces sujets (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphes 58 et 59, 62 à 64, 71, 74, 80, 82 et 86, recueil du Canada pages 14252 à 14255, 14258, 14259 et 14262 à 14267; pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 14667 à 14669, 14687 à 14693, 14716 à 14728, 14792, 14850, 14931, 14932, 15162 à 15164, 15178 à 15189 et 15240 à 15246). Cet échange a également contribué à un dialogue véritable sur ces questions.
[124] À notre avis, ces trois éléments, pris ensemble, remédient raisonnablement aux deux premiers des trois manquements se rapportant à la consultation antérieure sur le bitume dilué et la modélisation des déversements que la Cour a expressément identifié dans l’arrêt TWN 2018. Alors que nous avons porté notre attention sur les consultations concernant ces sujets à cause de l’importance que leur accordaient les Squamish et des manquements relevés dans l’arrêt TWN 2018, il ressort également du dossier que des échanges importants ont eu lieu sur d’autres sujets de préoccupation signalés par les Squamish. Par exemple, parmi les sujets de préoccupation ayant fait l’objet de discussions au cours de la réunion de consultation qui a eu lieu le 23 mai 2019, il y avait les protocoles de navigation lorsque les épaulards occupent les eaux portuaires, les menaces auxquelles fait face la population de baleines et les initiatives prises par le Canada pour les contrer, les mesures prises pour atténuer les effets néfastes sur les saumons Chinook et un certain nombre de mesures d’accommodement proposées (que nous abordons ci-dessous) (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphe 75, recueil du Canada, pages 14259 à 14260; pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 16431 à 16439). Comme autre exemple, dans une lettre datée du 28 mai 2019, le Canada a répondu à plusieurs préoccupations des Squamish, outre le bitume dilué et les capacités d’intervention en cas de déversement, soit, notamment, les effets cumulatifs, les efforts de restauration déployés par les Squamish, la santé et la viabilité des épaulards et les mesures à prendre pour éviter toute dégradation éventuelle identifiée les Squamish ainsi que la possibilité d’exercer des pratiques culturelles et spirituelles dans des milieux marins (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphe 80; recueil du Canada, pages 14262 à 14264; pièce A de l’affidavit de Mitchell Taylor et recueil du Canada, pages 15156 à 15167).
[125] Il reste donc un troisième manquement, le défaut, lors de la ronde de consultations précédente, de prendre en considération des mesures d’accommodement significatives et concrètes ainsi que d’autres fautes qui, d’après les Squamish, auraient grevé le nouveau processus de consultation : la dissimulation de certains [traduction] « examens scientifiques » par le Canada, la transmission tardive par le Canada de renseignements pertinents supplémentaires et la finalisation [traduction] « à la hâte » du processus de consultation pour aboutir à un [traduction] « résultat prédéterminé ».
[126] Nous aborderons ces points un à la fois.
1) Les mesures d’accommodement étaient significatives et concrètes
[127] Dans le cadre du nouveau processus de consultation avec les Squamish, le Canada a proposé une série de huit mesures d’accommodement qui, selon lui, avaient été élaborées pour répondre aux préoccupations des Squamish et d’autres groupes autochtones au sujet de la répercussion potentielle du projet sur les droits des Autochtones. Le Canada a également proposé ces mesures aux autres demanderesses. Le Canada avait envisagé dès le départ d’entamer des discussions avec des groupes d’autochtones intéressés dans le but de développer ces mesures et d’en perfectionner l’application pour répondre aux préoccupations particulières de chaque groupe.
[128] Ces mesures comprennent l’Initiative de la mer des Salish (IMS), décrite comme [traduction] « une structure de gouvernance conjointe autochtone et gouvernementale, devant être co-développée et financée pour permettre aux Autochtones de mieux comprendre les effets cumulatifs dans la mer des Salish et de mettre en place des mécanismes de surveillance et de gestion de ces effets »; l’élaboration conjointe de l’intervention communautaire, qui est décrite comme [traduction] « une mesure dans le cadre de laquelle de la formation et de l’équipement seraient fournis aux groupes autochtones qui seraient amenés à participer à l’élaboration de plans d’intervention d’urgence en milieu marin »; l’Initiative de sensibilisation accrue aux activités maritimes, une initiative visant à fournir de l’information en temps réel sur les navires, conçue pour répondre aux préoccupations exprimées par les groupes autochtones en matière de sécurité; l’Initiative relative à l’équipement et à la formation en matière de sécurité maritime, qui prévoit l’octroi d’un financement pour de l’équipement en matière de sécurité maritime; l’Initiative pour des navires silencieux, [traduction] « pour mettre à l’essai des technologies et des pratiques opérationnelles efficaces visant à réduire à sa source le bruit sous-marin des navires et à les rendre plus sécuritaires en complément de nombreuses autres mesures présentement mises en œuvre pour appuyer le rétablissement des [épaulards] »; le Fonds de restauration de l’habitat aquatique, qui est consacré à la collaboration avec les collectivités autochtones dans le but de protéger et de restaurer les habitats aquatiques touchés par le projet (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphe 41, recueil du Canada, pages 14245 à 14247; pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 14524 à 14544). Une invitation a été lancée aux Squamish pour participer à une séance d’information tenue par des fonctionnaires qui étaient responsables au premier chef de ces mesures, mais ils ne se sont pas présentés (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphe 75, recueil du Canada, page 14247). Cependant, un certain nombre de ces mesures ont ensuite fait l’objet de discussions au cours de réunions de consultation qui ont eu lieu entre des représentants du Canada et des Squamish (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphe 75, recueil du Canada, pages 14259 et 14260; pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 16431 à 16439).
[129] En plus de proposer ces mesures, le Canada a accepté de collaborer avec les Squamish, les Tsleil-Waututh et leur expert, sur l’étude conjointe sur le bitume dilué susmentionnée.
[130] Les Squamish soutiennent que le Canada a élaboré unilatéralement ces mesures proposées sans chercher à obtenir la collaboration des Squamish de façon à permettre que ces mesures répondent à leurs préoccupations. Les Squamish affirment qu’ils ont fourni des commentaires au Canada au sujet de leur caractère inadéquat, y compris le fait qu’elles ne répondaient pas aux préoccupations des Squamish, qu’elles avaient pour effet de reporter la collecte de renseignements essentiels jusqu’après l’approbation du projet, qu’elles ne pouvaient pas, à ce moment, être considérées comme des accommodements parce qu’elles ne réduisent ou n’éliminent pas les incidences sur les droits des Squamish, et qu’elles ne portent que sur la collecte de données de base (mémoire des Squamish, paragraphes 121 et 122). Les Squamish ont en outre fait valoir que d’autres initiatives — ils citent l’Initiative pour des navires silencieux comme exemple — [traduction] « n’en sont seulement qu’à un stade préliminaire, n’ont pas été mises à l’essai et n’ont pas fait leur preuve en termes d’atténuation des effets du projet » (mémoire des Squamish, paragraphe 123).
[131] Cependant, comme le fait valoir le Canada, les Squamish ont, au cours du nouveau processus de consultations, exprimé le point de vue que [traduction] « [c]omprendre les charges de répercussions cumulatives actuelles dans la baie Burrard et dans la mer de Salish et comment le projet intensifiera ces répercussions est indispensable en vue de comprendre les répercussions du projet sur la Nation et d’établir des mesures d’atténuation » (pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, page 14476). Les Squamish ont également soulevé, entre autres choses, la répercussion possible du projet sur leurs travaux de restauration en cours sur leur territoire (pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, page 14580). Le Canada a fourni de l’information indiquant comment les mesures d’atténuation déjà en place pourraient régler ce problème. Le Canada a également proposé le recours aux huit mesures d’accommodement proposées, en les adaptant si nécessaire, pour répondre aux préoccupations précises des Squamish. Par exemple, il a identifié l’Initiative pour des navires silencieux comme une réponse aux préoccupations précises des Squamish au sujet du bruit des navires et de sa répercussion sur les épaulards (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphes 58(a), 70, 75, 80 et 81, recueil du Canada, pages 14252, 14257 à 14260 et 14262 à 14265; pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, dossier du Canada, pages 14543, 14544, 14674, 14675, 14684, 14685, 14720, 14721, 15075 à 15078, 15156, 15167, 15250, 15251 et 16431 à 16439).
[132] Comme réponse additionnelle aux préoccupations des Squamish au sujet des répercussions du projet sur les épaulards, le Canada a fourni aux Squamish des détails à propos des initiatives et des programmes mis en œuvre depuis la première audience de l’Office pour favoriser le rétablissement de l’espèce. Le Canada a expliqué qu’en 2016 il avait lancé le Plan de protection des océans, dont le financement s’élève à 1,5 milliard de dollars et dont le principal élément consiste à protéger les espèces de baleines en péril. Dans le cadre de cette initiative, le Canada s’est engagé à ce que le trafic maritime associé au projet n’augmente pas le niveau net de bruit. Au mois de mai 2018, après avoir conclu que la survie et le rétablissement des épaulards étaient menacés, le Canada a lancé l’Initiative de protection des baleines, qui prévoyait, entre autres, des mesures d’urgence visant spécifiquement la protection des espèces. Ces mesures comprennent des initiatives visant à améliorer la disponibilité des proies pour les épaulards, à réduire le bruit des navires et à réduire les contaminants (affidavit de Jeff Labonté, paragraphes 120 et 121, recueil du Canada, page 00035; RCAC, recueil des principaux documents, pages 0237 à 0246; pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 14674, 14675, 14695 à 14704, 15108 à 15111 et 15164).
[133] Alors que, dans l’arrêt TWN 2018 (paragraphes 471, 661 et 667), la Cour a décrit le Plan de protection des océans et une initiative connexe comme étant « louables », mais « naissantes » et a affirmé que le dossier dont elle était saisie « ne [permettait] pas de décider si ces initiatives [avaient] évolué de telle sorte qu’elles pouvaient répondre véritablement aux préoccupations réelles », le dossier dans la présente instance est différent. Comme le fait valoir le Canada (mémoire du Canada, paragraphe 49), il ressort du dossier que ces initiatives ont connu d’importants changements et mises en œuvre. Le Canada a décrit, dans les éléments de preuve soumis lors de l’audience de réexamen de l’Office, comment le Plan de protection des océans, l’Initiative de protection des baleines, et d’autres initiatives fédérales, ont répondu aux préoccupations des communautés autochtones en ce qui concerne le trafic maritime (affidavit de Jeff Labonté, paragraphe 18, recueil du Canada, page 00007). Il était raisonnable pour le gouverneur en conseil d’examiner les éléments de preuve présentés devant l’Office en vue de décider si le Canada avait proposé des mesures d’accommodement appropriées.
[134] La suggestion des Squamish que certaines des mesures proposées par le Canada ne constituent pas des mesures d’accommodement parce qu’à ce stade-ci elles sont axées principalement sur la collecte de renseignements, notamment de données de base, et n’atténuent pas elles-mêmes les répercussions négatives, ne reflète pas le droit en vigueur (voir l’arrêt Taku River, paragraphes 43 et 44, qui reconnaît que le fait « qu’il soit ordonné […] d’établir des données de base » constitue une mesure d’accommodement appropriée). Dans la mesure où les Squamish font valoir qu’il faut prouver qu’une mesure d’accommodement proposée réussira nécessairement à atténuer les répercussions, il s’agit ici également d’une position insoutenable (voir l’arrêt Ktunaxa Nation, paragraphe 79).
[135] À notre avis, le Canada a adopté des mesures pour combler la lacune liée aux mesures d’accommodement répondant aux préoccupations des Squamish que la Cour a identifiées dans l’arrêt TWN 2018. Les mesures d’accommodement que le Canada a proposées dans le cadre du nouveau processus de consultations ne peuvent pas être rejetées au motif qu’elles ne sont pas significatives ou concrètes. Le gouverneur en conseil a spécifiquement tenu compte des mesures d’accommodement proposées lorsqu’il a rendu sa décision sur l’approbation du projet (note explicative, pages 48 et 49). À notre avis, il a agi ainsi de façon raisonnable.
2) Le Canada n’a pas retenu des renseignements indispensables
[136] Les Squamish soutiennent que le Canada a également manqué à son obligation de consulter en retenant des [traduction] « renseignements très pertinents » ou en retardant la production de ceux-ci (mémoire des Squamish, paragraphe 55(a)). (Les Tsleil-Waututh font une affirmation similaire, voir la discussion aux paragraphes 190 et 191 des présents motifs.) Les observations des Squamish portent principalement sur les documents qu’ils décrivent comme étant des « examens scientifiques » formulés par les experts à l’interne du Canada au sujet des rapports d’experts déposés par les Squamish, les Tsleil-Waututh et d’autres auprès de l’Office. Ces rapports d’experts portaient sur le devenir et le comportement du bitume dilué en cas de déversement, et sur les capacités d’intervention en cas de déversement. Les documents ont été divulgués aux Squamish pour la première fois le 10 juin 2019, après la période de consultations. Ils ont été divulgués aux Tsleil-Waututh dix jours plus tôt, le 31 mai 2019.
[137] Comme indiqué ci-dessus, les Squamish ont décrit ces documents comme des « examens scientifiques » de ses rapports d’experts. Ils affirment qu’une personne à Environnement et Changement climatique Canada semble avoir apporté des changements aux « examens scientifiques » originaux, des changements qui, de l’avis des Squamish, comprennent, entre autres choses, la suppression de propos qui appuient les opinions des experts des Squamish et l’insertion de propos qui appuient l’opinion du Canada que le gouverneur en conseil pourrait rendre une décision sur le projet en s’appuyant sur l’état actuel des connaissances scientifiques. Le Canada fait valoir que les documents sont des [traduction] « rapports sommaires internes » préparés par des scientifiques au sein d’Environnement et Changement climatique Canada comme outils d’information devant être utilisés par le Canada dans le cadre des discussions sur les consultations et que leur contenu est conforme aux positions défendues par le Canada lors des consultations qui ont été lancées de nouveau.
[138] Les Squamish contestent cette affirmation. Ils soulèvent aussi la possibilité que les modifications aient été apportées aux documents à l’insu et sans le consentement de leurs auteurs. Ils laissent entendre que la non-divulgation et la modification de documents [traduction] « soulèvent des questions sérieuses au sujet de la détermination du Canada à répondre en toute franchise aux préoccupations des Squamish », et [traduction] « une question sérieuse au sujet de l’honneur de la Couronne » (mémoire des Squamish, paragraphes 69 et 70).
[139] Malgré ces très graves allégations, les Squamish n’ont présenté aucun élément de preuve qui étaye l’allégation que des changements ont été apportés aux documents à l’insu de leurs auteurs et aucune preuve d’une inconduite de la part du Canada. Les Squamish n’ont pas non plus pu expliquer pourquoi, si le Canada était décidé à ne pas leur divulguer de renseignements, le Canada avait précédemment divulgué les documents aux Tsleil-Waututh, alors que les Squamish et les Tsleil-Waututh étaient clairement alignés sur la question du bitume dilué et de l’intervention en cas de déversement.
[140] Le Canada a fourni sur demande aux Squamish et aux Tsleil-Waututh les « examens scientifiques » et il a fourni une explication au sujet des changements qu’il y a apportés. Les Squamish ont le droit de douter de l’explication du Canada, mais faute de preuve que l’explication du Canada est fausse, ils ne sont pas fondés à demander à la Cour de conclure que le comportement du Canada est incompatible avec l’honneur de la Couronne.
[141] Les Squamish font également valoir que le Canada a manqué à son obligation de consulter en divulguant de façon tardive aux Squamish trois documents ou types d’information supplémentaires, une mise à jour d’une ébauche du RCAC, la nouvelle évaluation du Canada des répercussions sur les Squamish et la nouvelle évaluation de la solidité de la revendication des Squamish.
[142] Le 24 avril 2019, le Canada a fourni aux Squamish une ébauche de son annexe du RCAC. Il a invité les Squamish à faire part de leurs commentaires avant le 29 mai, et l’échéance a été reportée au 31 mai. Les Squamish ont saisi cette occasion. Ils ont également été invités à fournir leurs observations indépendantes sur l’ébauche de l’annexe du RCAC et l’échéance qui avait été établie a été reportée au 6 juin. Ils ont également saisi cette occasion et leurs observations indépendantes ont été ajoutées aux documents fournis au gouverneur en conseil (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphes 56, 79, 83, 88 et 93, recueil du Canada, pages 14251, 14252, 14261, 14265, 14267 et 14268; pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 14613, 15150, 15151, 15190 à 15196, 15278, 15279 et 16320 à 16323).
[143] Les Squamish se plaignent du fait que le Canada ne leur a fourni qu’une seule ébauche du RCAC pour commentaires et que cette ébauche leur a été fournie assez tôt dans le processus. Les Squamish font valoir qu’en conséquence ils n’ont pas eu l’occasion de fournir des commentaires sur l’ébauche postérieure bien plus volumineuse qui tenait compte des réunions portant sur des questions précises qui ont été tenues après la rédaction de la première ébauche. Les Squamish ont qualifié le RCAC de [traduction] « document essentiel au processus décisionnel du gouverneur en conseil », et ils ont déclaré que, bien qu’ils aient déposé leurs propres observations indépendantes, ils n’ont pas eu la possibilité de fournir une réponse à la position mise à jour subséquente du Canada (mémoire des Squamish, paragraphes 76 et 77).
[144] Nous convenons qu’il aurait été souhaitable que les Squamish aient eu la possibilité de fournir des commentaires sur l’ébauche révisée et mise à jour du RCAC. Toutefois, les Squamish sont en partie responsables de la production tardive du rapport : ainsi, les Squamish ont pris de la fin janvier à la fin mars 2019 avant de confirmer leur disponibilité à une réunion de consultation qui a finalement eu lieu au début du mois d’avril (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphes 24 à 39, recueil du Canada, pages 14242 à 14245). Nous ne pouvons que spéculer sur l’incidence qu’a eue ce retard sur la date de production de l’ébauche du RCAC. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, la perfection dans le cadre du processus de consultations n’est ni obligatoire ni réaliste. Compte tenu de la possibilité donnée aux Squamish et saisie par eux de s’exprimer à titre individuel auprès du gouverneur en conseil au sujet du processus de consultations et d’accommodements, nous ne voyons pas le manque d’occasion de pouvoir fournir des commentaires sur l’ébauche mise à jour du RCAC comme étant suffisamment grave pour constituer un manquement à l’obligation de consulter ou pour rendre la décision du gouverneur en conseil déraisonnable.
[145] Les Squamish soutiennent en outre que le Canada a tardé à leur communiquer son évaluation révisée des répercussions jusqu’au 29 mai 2019, soit une semaine avant la fin des consultations, et qu’ainsi les Squamish n’ont pas eu la possibilité de rencontrer des représentants pour discuter du fondement de l’évaluation. Et encore, ils déplorent que le Canada ne leur ait transmis que les conclusions de l’évaluation, voulant que le projet n’ait qu’une répercussion tout au plus modérée sur les Squamish, et qu’il ne leur ait pas fourni le fondement de cette évaluation dans une ébauche révisée du RCAC. Ils ont signalé que, dans l’arrêt TWN 2018 (paragraphes 640, 646 et 647) la Cour a statué que le retard que le Canada a accusé à divulguer son évaluation des répercussions du projet, soit jusqu’à deux semaines avant la clôture des consultations, a [traduction] « contribué à rendre le processus de consultations déraisonnable » (mémoire des Squamish, paragraphes 71 à 73).
[146] Les Squamish avaient depuis la première réunion des nouvelles consultations tenue le 31 janvier 2019 également estimé que le Canada devait réévaluer la solidité de leurs revendications avant que des consultations concrètes puissent avoir lieu (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphe 21, recueil du Canada, page 14241; pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 14395 et 14472). Il en était ainsi malgré l’avis du Canada que, nonobstant la solidité de leurs revendications, il consultait les Squamish à l’extrémité supérieure du continuum des consultations. Le Canada en a convenu et s’est engagé à examiner les renseignements fournis par les Squamish qui étaient pertinents à la solidité de leurs revendications. Les Squamish ont fourni un volume important de renseignements supplémentaires (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphes 31 et 52, recueil du Canada, pages 14243, 14250 et 14251; pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 14485 à 14488, 14604 et 14605).
[147] Le 15 mai 2019, le Canada a envoyé aux Squamish une ébauche de nouvelle évaluation de la solidité de leurs revendications fondées sur une variété de sources, notamment documentaires, comprenant des documents et des éléments de preuve qui reposent sur les traditions orales, soumis par les Squamish à l’Office, des documents fournis par les Squamish au Canada et d’autres documents recueillis par le Canada. Selon les conclusions de l’ébauche, la solidité des revendications des Squamish variait selon les parties du territoire traditionnel des Squamish et leur intersection avec le tracé du projet. Le Canada a invité les Squamish à fournir des commentaires sur l’ébauche de la nouvelle évaluation de la solidité des revendications et l’ébauche, ainsi que le fondement de ses conclusions, ont fait l’objet de discussions lors de trois réunions de consultation qui ont eu lieu les 16, 23 et 30 mai 2019 (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphes 69 et 70 et sous-paragraphes 75(a) et 81(f), recueil du Canada, pages 14257 à 14259 et 14265; pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, dossier du Canada, pages 14905 à 14913, 15131, 15132, 15247 à 15251, 16431 à 16433 et 16445). Les Squamish ont demandé au Canada de réexaminer certaines de ses conclusions et d’ajouter des détails dans le cas des revendications particulièrement solides. Le Canada a refusé d’obtempérer au motif que l’évaluation se voulait une évaluation de haut niveau et non une analyse détaillée de tous les emplacements à travers le territoire de toutes les Nations (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, sous paragraphe 75(a) et paragraphe 77, recueil du Canada, pages 14259 et 14261; pièce A jointe au deuxième affidavit de Mitchell Taylor, recueil du Canada, pages 15132, 16432 et 16433).
[148] Le Canada a répété qu’il a consulté les Squamish d’une manière se situant à l’extrémité supérieure du continuum applicable en la matière, indépendamment de l’issue de l’évaluation sur la solidité de leurs revendications. Au bout du compte, il a fourni aux Squamish une évaluation révisée sur la solidité de leurs revendications le 15 mai 2019 (deuxième affidavit de Mitchell Taylor, paragraphe 69, dossier du Canada, page 14257; pièce A du deuxième affidavit de Mitchell Taylor, dossier du Canada, pages 14905 et 14909 à 14912). Les observations indépendantes que les Squamish ont présentées au gouverneur en conseil sur l’ébauche du RCAC portaient notamment sur l’importance du projet pour les Squamish et ses incidences potentielles sur eux et leurs droits et intérêts (pièce WWW de l’affidavit de Christopher Lewis, dossier des Squamish, pages 1703 à 1774).
[149] Après examen du dossier, nous ne souscrivons pas à l’observation des Squamish selon laquelle ils n’ont pas eu la possibilité de discuter de l’évaluation des incidences que le projet aurait sur eux. À notre avis, les Squamish ont eu cette possibilité et ils l’ont mise à profit. L’observation des Squamish n’est par conséquent pas un fondement nous permettant de conclure que le gouverneur en conseil a agi déraisonnablement.
3) La Cour n’est pas dûment saisie de l’allégation de partialité
[150] Enfin, les Squamish soutiennent que le Canada a finalisé le processus de consultations « à la hâte » pour qu’il débouche sur « un résultat prédéterminé », c’est-à-dire [traduction] « que le projet soit construit comme le plan le prévoyait, sans égard à ce que le Canada, le nouveau propriétaire du projet, apprendrait au cours de l’audience devant l’Office ou du processus de consultation » (mémoire des Squamish, paragraphe 55(d)). En d’autres mots, ils soutiennent qu’il y a partialité ou conflit d’intérêts.
[151] Comme nous l’avons dit plus haut, à notre avis, l’ordonnance d’autorisation interdit aux Squamish de faire valoir cet argument à l’appui de leur demande. Notre Cour, lorsqu’elle s’est prononcée sur les demandes d’autorisation de contrôle judiciaire, a conclu qu’il n’était pas « “raisonnablement défendable” » et ne pouvait donc satisfaire au critère applicable à l’autorisation (Raincoast no 1, paragraphes 31 à 36). Il s’ensuit que notre Cour n’est pas saisie de cette question et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle l’examine davantage qu’elle ne l’a déjà fait (voir le paragraphe 23 des présents motifs).
C. Les Tsleil-Waututh
[152] Dans l’arrêt TWN 2018, notre Cour a conclu que les consultations initiales de la Couronne avec les Tsleil-Waututh étaient insatisfaisantes. Les principales préoccupations des Tsleil-Waututh concernaient le transport maritime. Notre Cour a jugé la réponse du Canada à cette préoccupation « générale et vague » et dépourvue de « mesures concrètes » (TWN 2018, paragraphe 653). Plus précisément, elle a qualifié de manquements l’omission du Canada de consulter les Tsleil-Waututh ou de prendre des mesures d’accommodement à l’égard de leurs préoccupations concernant : 1) l’exclusion par l’Office du transport maritime associé au projet de la définition du projet; 2) le caractère inadéquat des conditions imposées par l’Office en vue de répondre aux préoccupations des Tsleil-Waututh au sujet du transport maritime; 3) la possibilité de déversements d’hydrocarbures dans la baie Burrard; 4) la capacité d’intervention en cas de déversement; 5) la capacité de récupérer les hydrocarbures déversés; 6) l’incidence du transport maritime sur les titres, droits et intérêts des Tsleil-Waututh (TWN 2018, paragraphes 649 et 650).
[153] Dans leurs observations à l’appui de leur demande de contrôle judiciaire, les Tsleil-Waututh soutiennent que, lors de la nouvelle ronde de consultations, le Canada n’a pas corrigé ces manquements et a une fois de plus failli à son obligation de consulter. Ils soutiennent que le Canada a commis des [traduction] « erreurs de consultation » à l’égard de leurs préoccupations concernant : 1) la possibilité de déversements d’hydrocarbures; 2) la capacité de récupérer les hydrocarbures déversés; 3) le devenir et le comportement du bitume dilué; 4) les répercussions sur la relation culturelle des Tsleil-Waututh avec les épaulards; 5) les répercussions sur les tunnels sacrés des Tsleil-Waututh; 6) la nécessité du projet (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphes 34 à 61 et 70 à 89).
[154] Les Tsleil-Waututh soutiennent en outre que le Canada a envisagé d’une façon erronée et déraisonnable les mesures d’accommodement (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphes 90 à 107). Ils font aussi valoir que le Canada a supprimé et modifié ses examens des rapports d’experts des Tsleil-Waututh (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphes 31 à 33 et 62 à 69). Ils affirment que le Canada n’a pas abordé les nouvelles consultations dans un esprit d’ouverture et que le mandat des représentants du Canada a été déraisonnablement limité en vue d’empêcher la tenue de véritables consultations (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphes 108 à 116).
[155] Nous ne souscrivons pas à ces observations. D’abord, l’ordonnance d’autorisation empêche les Tsleil-Waututh de faire valoir trois de ces arguments. En ce qui concerne l’observation des Tsleil-Waututh selon laquelle le Canada ne les aurait pas consultés et n’aurait pas pris de mesures d’accommodement à l’égard des répercussions du projet sur leurs tunnels sacrés, il s’agit d’une nouvelle répercussion, qui a été invoquée pour la première fois lors de la nouvelle ronde de consultations, alors que les Tsleil-Waututh auraient pu soulever la question dans l’arrêt TWN 2018 (Raincoast no 1, paragraphe 25). De plus, l’ordonnance d’autorisation interdit expressément que soient examinées tant la question de la nécessité du projet, parce que cette question a été soulevée et tranchée dans l’arrêt TWN 2018 (Raincoast no 1, paragraphe 40), que l’allégation selon laquelle le Canada n’aurait pas abordé les consultations dans un esprit d’ouverture, parce que, notamment, « des déclarations publiques […] par des politiciens fédéraux […] ne révèlent pas une partialité fatale » (Raincoast no 1, paragraphe 36, et la jurisprudence qui y est citée).
[156] Par conséquent, notre Cour n’est pas dûment saisie de ces questions en l’espèce.
[157] Il s’ensuit que notre analyse des observations des Tsleil-Waututh se limitera aux assertions suivantes : 1) le Canada a commis des « erreurs de consultation » à l’égard des préoccupations des Tsleil-Waututh concernant les incidences du transport maritime associé au projet; 2) le Canada a envisagé d’une façon erronée et déraisonnable les mesures d’accommodement; 3) le Canada n’a divulgué des renseignements essentiels qu’à la fin du processus de consultation; 4) le mandat du Canada était déraisonnablement limité.
[158] Comme le montre l’analyse ci-dessous, le dossier n’étaye pas le point de vue des Tsleil-Waututh sur la nouvelle ronde de consultations. Au contraire, le dossier montre que le Canada a suffisamment consulté les Tsleil-Waututh à l’égard de leurs préoccupations concernant les incidences du transport maritime associé au projet et a envisagé de façon raisonnable les mesures d’accommodement. Comme nous l’avons affirmé plus haut au sujet d’observations semblables formulées par les Squamish, rien dans la preuve ne donne à penser que le Canada a omis de divulguer des renseignements essentiels aux Tsleil-Waututh. De plus, rien dans le dossier ne vient fonder l’allégation selon laquelle le mandat du Canada a été limité de façon indue. Bien que le dossier révèle que la conduite des Tsleil-Waututh durant les nouvelles consultations a nui aux efforts de consultation du Canada, il demeure que le Canada a réussi à remédier aux manquements que notre Cour avait relevés dans l’arrêt TWN 2018. Par conséquent, les Tsleil-Waututh n’ont pas démontré que l’évaluation qu’a faite le gouverneur en conseil des consultations avec eux et des mesures d’accommodement prises à leur endroit était déraisonnable.
[159] Nous examinerons maintenant plus en détail les « erreurs de consultation » soulevées par les Tsleil-Waututh.
1) Le Canada a suffisamment consulté les Tsleil-Waututh à l’égard de leurs préoccupations concernant les incidences du transport maritime associé au projet
[160] Les Tsleil-Waututh soutiennent que, pendant les nouvelles consultations, ils ont soulevé ces [traduction] « préoccupations spécifiques et précises, étayées par des éléments de preuve et des observations » : 1) le projet entraînera inévitablement des déversements d’hydrocarbures; 2) il est impossible de nettoyer de grandes quantités d’hydrocarbures déversés dans la baie Burrard; 3) un déversement de bitume dilué dans la baie Burrard ou dans l’estuaire du fleuve Fraser aurait des effets catastrophiques sur l’environnement et, conséquemment, sur les titres et droits des Tsleil-Waututh; 4) le projet portera atteinte à la relation culturelle des Tsleil-Waututh avec les épaulards (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphe 16). Les Tsleil-Waututh soutiennent que le Canada n’a pas consulté suffisamment les Tsleil-Waututh à l’égard de ces préoccupations.
[161] Contrairement à ce que soutiennent les Tsleil-Waututh, le dossier montre que le Canada a engagé avec eux un véritable dialogue au sujet de leurs préoccupations concernant les incidences du transport maritime associé au projet. Bien que le Canada ne se soit pas rangé à l’avis des experts des Tsleil-Waututh sur certaines questions, un tel désaccord ne constitue pas un motif justifiant l’invalidation des consultations. Comme nous l’avons rappelé précédemment, l’obligation de parvenir à une entente n’existe pas, et l’obligation de consulter ne commande pas que l’on en arrive à un résultat donné. En l’espèce, les nouvelles consultations se sont déroulées dans le respect du principe de l’honneur de la Couronne et ont débouché sur l’élaboration de mesures d’accommodement adaptées.
[162] Comme nous l’avons mentionné précédemment, le Canada a informé les Tsleil-Waututh qu’il avait l’intention de s’appuyer sur l’audience de réexamen de l’Office, dans la mesure du possible, pour satisfaire à son obligation de consulter. Il est reconnu que, « [v]u l’expertise [que l’Office] possède en ce qui concerne la surveillance et l’approbation de projets de pipeline réglementés par le fédéral », il est « particulièrement bien placé pour évaluer les risques que posent des projets de cette nature pour les groupes autochtones » (Chippewas of the Thames, paragraphe 48; voir aussi Clyde River, au paragraphe 33).
[163] Les Tsleil-Waututh ont commandé et déposé auprès de l’Office des rapports d’experts qui, selon les Tsleil-Waututh, étayent leur observation selon laquelle les déversements d’hydrocarbures causés par le transport maritime associé au projet sont [traduction] « quasiment inévitables » (affidavit d’Ernie George, paragraphe 131, dossier des Tsleil-Waututh, page 77). Les Tsleil-Waututh ont également présenté à l’Office des rapports d’experts sur la capacité d’intervention en cas de déversement ainsi que sur le devenir et le comportement du bitume dilué (affidavit d’Ernie George, paragraphes 157(c) et 193(c), dossier des Tsleil-Waututh, pages 90 et 102).
[164] Toutefois, l’Office n’a pas souscrit à l’avis des experts des Tsleil-Waututh. Il a conclu qu’un déversement représentant le pire scénario crédible causé par le projet aurait des effets environnementaux importants, mais qu’un tel déversement était « peu probable » et que les risques étaient « justifiés dans les circonstances » (Rapport de réexamen de l’Office, pages 0312, 0344, 0803, 0804, 0807 et 0824 à 0829). Au bout du compte, l’Office n’a pas non plus souscrit aux conclusions des experts des Tsleil-Waututh sur la capacité d’intervention en cas de déversement et sur la capacité de récupérer le bitume dilué (affidavit d’Ernie George, paragraphes 169 à 172, 213 et 214, dossier des Tsleil-Waututh, pages 94 à 96 et 109 à 111; Rapport de réexamen de l’Office, pages 0492 à 0503 et 0844 à 0848).
[165] Les Tsleil-Waututh se sont également dits particulièrement préoccupés des effets du transport maritime sur les épaulards et ont produit des éléments de preuve à ce sujet auprès de l’Office (affidavit d’Ernie George, paragraphes 285 à 295, dossier des Tsleil-Waututh, pages 136 à 139). L’Office a conclu que des activités liées au projet « sont susceptibles d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants sur » les épaulards (Rapport de réexamen de l’Office, page 0671), et il « a imposé (dans les conditions) et recommandé (au gouverneur en conseil) des mesures pour les éviter ou les amoindrir, et les surveiller » (Rapport de réexamen de l’Office, page 0312).
[166] Les Tsleil-Waututh se sont toutefois inscrits en faux contre les conclusions de l’Office et ont soulevé ces questions à nouveau lors des nouvelles consultations (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphes 34 à 37, 44, 45 et 48). Le 29 avril 2019, les parties ainsi que leurs experts et représentants respectifs se sont rencontrés pour discuter des préoccupations des Tsleil-Waututh concernant la probabilité de déversements d’hydrocarbures, la capacité d’intervention, et le devenir et le comportement du bitume dilué (affidavit de Shawn Tupper, paragraphes 78 à 84 et 86, dossier du Canada, pages 16482 à 16485; affidavit d’Ernie George, paragraphes 144, 145, 147 à 153, 155, 156, 173 à 191, 215 et 216, dossier des Tsleil-Waututh, pages 84 à 89, 96 à 101, 112 et 113).
[167] Le dossier révèle que les parties ont eu un véritable dialogue sur ces questions (affidavit d’Ernie George, paragraphes 144 à 153, 155, 173 à 190 et 215 à 223, dossier des Tsleil-Waututh, pages 84 à 89, 96 à 101, 112 à 116). Par exemple, d’après les propres éléments de preuve des Tsleil-Waututh, [traduction] « une discussion très technique et scientifique […] s’en est suivie » entre les experts respectifs des parties au sujet du devenir et du comportement du bitume dilué, et les parties en sont parvenues à une entente sur la conduite de futurs travaux de recherche sur la question (affidavit d’Ernie George, paragraphes 219 et 220, dossier des Tsleil-Waututh, page 114; pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 18129 à 18134). En réponse aux préoccupations des Tsleil-Waututh sur la capacité d’intervention en cas de déversement, la Garde côtière canadienne a prévu [traduction] « des projets de collaboration avec [les Tsleil-Waututh] et d’autres communautés autochtones, le plan d’intervention intégré du Grand Vancouver (qui a été créé avec la participation du gouvernement fédéral, de la province, de la ville et des Autochtones) et un investissement de dix millions de dollars dans la modernisation de l’équipement d’intervention d’urgence » (pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, page 18133). Le Canada a également informé les Tsleil-Waututh que, depuis décembre 2018, il n’y a plus de plafond aux indemnités offertes par la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires en cas de déversement causé par un navire-citerne (affidavit de Shawn Tupper, paragraphe 81, dossier du Canada, page 16483; pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, page 18133).
[168] Lors de la réunion de consultation du 16 avril 2019, les parties ont discuté des effets potentiels du projet sur les épaulards (affidavit de Shawn Tupper, paragraphes 61 à 64, dossier du Canada, pages 16477 et 16478; pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 17266 à 17271; affidavit d’Ernie George, paragraphes 322 à 336, dossier des Tsleil-Waututh, pages 148 à 152). En réponse au [traduction] « souhait que soient établis des seuils de bruit » exprimé par les Tsleil-Waututh, Transports Canada a fait part de son intérêt pour l’élaboration d’une politique sur les plans de gestion du bruit sous-marin et a présenté son Initiative pour des navires silencieux, qui [traduction] « examinera la façon dont on peut rendre les navires plus silencieux » (pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 17268 et 17269). Le Canada et les Tsleil-Waututh se sont en fin de compte entendus pour mener conjointement des études sur les effets du projet sur les épaulards (pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, page 17267; affidavit d’Ernie George, paragraphe 335, dossier des Tsleil-Waututh, page 152).
[169] Les parties ont également poursuivi le dialogue sur les incidences du transport maritime associé au projet, y compris les effets sur les épaulards, après les premières réunions de consultation (voir, notamment, pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 18292 à 18295, 18437 à 18446 et 18486 à 18493; affidavit de Shawn Tupper, paragraphes 66, 67, 86 et 87, dossier du Canada, pages 16478, 16479, 16484 et 16485; affidavit d’Ernie George, paragraphes 225 à 230 et 340 à 344, dossier des Tsleil-Waututh, pages 116 à 118 et 153 à 155; pièce 48 de l’affidavit d’Ernie George, dossier des Tsleil-Waututh, pages 1537 à 1544; pièce 49 de l’affidavit d’Ernie George, dossier des Tsleil-Waututh, pages 1545 à 1547; pièce 50 de l’affidavit d’Ernie George, dossier des Tsleil-Waututh, pages 1548 à 1555; pièce 77 de l’affidavit d’Ernie George, dossier des Tsleil-Waututh, pages 2228 à 2232).
[170] Durant la nouvelle ronde de consultations, le Canada a exprimé un point de vue conforme aux conclusions de l’Office, aux opinions des experts fédéraux, à l’évaluation du comité du processus d’examen technique des systèmes de terminaux maritimes et des sites de transbordement ou aux points de vue du conseiller technique maritime (affidavit de Shawn Tupper, paragraphes 79 à 81, 84, 86 et 87, dossier du Canada, p. 16482 à 16485; voir aussi la pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 18444 à 18446 et 18492). Les experts des Tsleil-Waututh ont défendu un point de vue différent (affidavit de Shawn Tupper, paragraphes 78 à 81, 84, 86 et 87, dossier du Canada, pages 16482 à 16485).
[171] Comme la Cour l’a fait remarquer, elle n’a pas à jouer le rôle d’une « académie des sciences » pour décider qui a raison. En l’espèce, l’Office, le Canada et le gouverneur en conseil ont tous examiné les opinions des experts des Tsleil-Waututh et ils n’ont pas souscrit à ces opinions, sur le fondement d’autres éléments de preuve et opinions. Qu’il y ait désaccord ne signifie pas qu’il y a eu manquement à l’obligation de consulter. Que certaines opinions scientifiques et techniques bien précises n’aient pas été adoptées ne rend pas la consultation déraisonnable.
[172] Il n’y a pas non plus de fondement à l’observation des Tsleil-Waututh selon laquelle le Canada n’a pas invité les bons experts à la table pour répondre à leurs préoccupations concernant les incidences du transport maritime associé au projet (affidavit d’Ernie George, paragraphe 146, dossier des Tsleil-Waututh, page 84). Le procès-verbal de la réunion de consultation du 29 avril 2019 montre que de nombreux experts et représentants ont assisté à la réunion, y compris des représentants de Ressources naturelles Canada, du ministère des Pêches et des Océans, d’Environnement et Changement climatique Canada, de Transports Canada, de la Garde côtière canadienne et du ministère de la Justice (affidavit de Shawn Tupper, paragraphe 78, dossier du Canada, page 16482; pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 18129 à 18134).
2) Le Canada a envisagé les mesures d’accommodement d’une façon raisonnable
[173] Nous concluons également que la façon dont le Canada a envisagé les mesures d’accommodement était raisonnable. Il a proposé des mesures d’accommodement en fonction de ce qu’il a compris des incidences potentielles sur les droits et intérêts des Tsleil-Waututh et ces mesures répondaient aux préoccupations des Tsleil-Waututh concernant les incidences du transport maritime associé au projet. Les avocats du Canada ont préparé un tableau utile qui présente les mesures prises pour répondre aux préoccupations des Tsleil-Waututh, soit les conditions imposées par l’Office, les engagements pris par le promoteur, les initiatives prises par le gouvernement fédéral ainsi que les mesures d’accommodement supplémentaires offertes par le gouvernement fédéral (mémoire du Canada, paragraphes 176, 178, 180 et 184). La liste de ces mesures est longue.
[174] Bien que les Tsleil-Waututh contestent certains aspects du processus d’accommodement, les lacunes qu’ils allèguent n’ont pas pour effet de rendre déraisonnable la façon dont le Canada a abordé ce processus. Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’obligation de consulter « garantit un processus, et non un résultat précis […] Rien ne garantit qu’en fin de compte il sera justifié ou possible d’obtenir l’accommodement précis demandé » (Ktunaxa Nation, paragraphe 79). Et rien ne garantit non plus que les mesures d’accommodement proposées donneront lieu à une entente entre les parties (Mikisew 2015, paragraphe 66).
[175] Le 1er avril 2019, le Canada a communiqué des renseignements aux Tsleil-Waututh et aux autres demanderesses concernant huit nouvelles mesures d’accommodement (RCAC, pages 0260 et 0261; affidavit de Jeff Labonté, paragraphe 87, dossier du Canada, page 00026; pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 16976 à 16996). Les Tsleil-Waututh soutiennent qu’il était déraisonnable pour le Canada de proposer ces mesures d’accommodement avant la tenue de réunions de consultation avec les Tsleil-Waututh. Ils soutiennent que [traduction] « l’obligation de prendre des mesures d’accommodement est le résultat potentiel de consultations, découlant nécessairement d’une compréhension mutuelle des répercussions potentielles sur les droits autochtones » (souligné dans l’original; mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphe 91).
[176] Cependant, les nouvelles consultations ne sont pas un processus isolé de tout contexte. Dans l’arrêt TWN 2018, « [l]a Cour n’a pas exigé que tous les travaux et les consultations ayant mené à la décision du gouverneur en conseil soient repris à neuf […] Elle exigeait seulement, pour pallier les lacunes précises qui avaient mené à l’annulation de la décision initiale, la reprise de certains travaux et la tenue de véritables consultations supplémentaires » (Raincoast no 1, paragraphe 25). Il était raisonnable pour le Canada de proposer des mesures d’accommodement [traduction] « ayant pour but de répondre aux préoccupations » que les groupes autochtones avaient exprimées plus tôt (pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, page 16995).
[177] Quoi qu’il en soit, le Canada a bel et bien répondu directement à la position des Tsleil-Waututh selon laquelle les mesures d’accommodement n’étaient pas suffisamment adaptées aux préoccupations des Tsleil-Waututh. Le Canada a informé ces derniers que, [traduction] « la lettre du 1er avril 2019 avait pour but de fournir à toutes les communautés autochtones travaillant avec le Canada les mêmes renseignements concernant les mesures d’accommodement proposées par le Canada, tout en prévoyant la tenue de conversations individualisées sur la façon dont les mesures d’accommodement pourraient être adaptées aux préoccupations spécifiques des Tsleil-Waututh » (affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, page 16479; voir aussi la pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 17263 et 17264).
[178] Les Tsleil-Waututh eux-mêmes reconnaissent que les réunions de consultation ont comporté [traduction] « d’amples discussions sur les mesures [d’accommodement proposées] » (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphe 102). Le 28 mai 2019, le Canada a expliqué comment il pourrait adapter les mesures d’accommodement générales énoncées dans la lettre du 1er avril 2019 pour répondre aux préoccupations précises des Tsleil-Waututh (affidavit de Shawn Tupper, paragraphe 107, dossier du Canada, page 16491; pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 18343 à 18348). Malgré tous les efforts du Canada lors de la réunion de consultation du 29 mai 2019, les Tsleil-Waututh n’ont pas dialogué et ont maintenu leur point de vue selon lequel les mesures ne répondaient pas à leurs préoccupations (affidavit de Shawn Tupper, paragraphes 109 à 111, dossier du Canada, pages 16491 et 16492; pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 18465 à 18472). En d’autres mots, le Canada et les Tsleil-Waututh avaient des opinions divergentes sur l’efficacité des mesures d’accommodement proposées par le Canada : le Canada estimait que ces mesures répondaient aux préoccupations, les Tsleil-Waututh étaient d’avis contraire.
[179] Les Tsleil-Waututh se fondent maintenant sur ce désaccord pour soutenir que le Canada a envisagé les mesures d’accommodement de façon déraisonnable. Comme nous l’avons affirmé précédemment, l’obligation de consulter ne garantit pas que la mesure d’accommodement spécifiquement demandée sera justifiée ou possible ni que les mesures d’accommodement donneront lieu à une entente entre les parties. Comme la Cour d’appel de la Colombie-Britannique l’a affirmé, [traduction] « le fait qu’on ne se range pas à l’avis [du groupe autochtone] ne signifie pas que le processus de consultation auquel [le groupe] a pleinement participé était déficient » (Prophet River (C.A.C.-B.), paragraphe 67). En l’espèce, comme dans l’affaire Prophet River (C.A.C.-B.), le dossier [traduction] « révèle les consultations et les efforts exhaustifs en vue de la prise de mesures d’accommodement » qui ont été faits (paragraphe 67).
[180] Contrairement à ce que soutiennent les Tsleil-Waututh lorsqu’ils affirment que le Canada n’a pas proposé de nouvelles mesures pour éviter ou atténuer les répercussions sur les droits des Tsleil-Waututh (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphe 106), le Canada et les Tsleil-Waututh se sont entendus sur des mesures d’accommodement visant précisément les préoccupations des Tsleil-Waututh concernant les incidences du transport maritime associé au projet. Comme il en a été précédemment question, le Canada s’est engagé à mener des recherches conjointement avec les Tsleil-Waututh sur le devenir et le comportement du bitume dilué dans la baie Burrard et l’estuaire du fleuve Fraser. Le Canada a également accepté de mener d’autres recherches sur les répercussions du projet sur les épaulards. En ce qui concerne les possibilités de déversements d’hydrocarbures, le Canada a proposé d’effectuer d’autres modélisations conjointes de déversement, y compris sur le site demandé par un des experts des Tsleil-Waututh, mais les Tsleil-Waututh ont décliné cette offre (affidavit de Shawn Tupper, paragraphe 87, dossier du Canada, page 16485; pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, page 18492).
[181] Les Tsleil-Waututh s’inscrivent en faux contre l’opinion du Canada selon laquelle il n’est pas nécessaire de mener ces recherches supplémentaires avant que le gouverneur en conseil prenne une décision sur le projet (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphe 104). Le Canada maintient sa position selon laquelle, bien que [traduction] « les travaux supplémentaires dont ont convenu les parties puissent être très utiles », étant donné l’état actuel des connaissances scientifiques, il [traduction] « n’était pas nécessaire [de les effectuer] avant la décision [du gouverneur en conseil] sur le projet » (affidavit de Shawn Tupper, paragraphe 144, dossier du Canada, page 16501; voir aussi la pièce C de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, page 18906). Les scientifiques du Canada ont soutenu cette position (affidavit de Shawn Tupper, paragraphe 146, dossier du Canada, page 16502). Les parties ont donc des points de vue divergents. Toutefois, compte tenu du dossier dont disposait le gouverneur en conseil, il était raisonnable pour lui de conclure qu’il n’était pas nécessaire de procéder à des recherches scientifiques supplémentaires avant d’approuver le projet.
[182] Les Tsleil-Waututh invoquent la décision Pembina Institute for Appropriate Development c. Canada (Procureur général), 2008 CF 302, [2008] A.C.F. no 324 (QL), au paragraphe 25, pour affirmer que « les possibilités de recherche et développement futurs ne constituent pas des mesures d’atténuation ». La Cour fédérale a fait cette affirmation dans le contexte d’une évaluation environnementale effectuée sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 [abrogé par L.C. 2012, ch. 19, art. 66]. Toutefois, dans le contexte de l’obligation de consulter, la Cour suprême a clairement établi que des directives au sujet de l’établissement de données de base constituaient des mesures d’accommodement en bonne et due forme (Taku River, paragraphes 43 et 44).
[183] Les Tsleil-Waututh soutiennent en outre que le Canada a envisagé les mesures d’accommodement de façon déraisonnable parce que celui-ci n’a pas retenu les mesures d’accommodement qu’ils avaient proposées (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphe 106). Toutefois, bon nombre des mesures d’accommodement proposées par les Tsleil-Waututh concernaient des questions auxquelles il avait déjà été répondu ou outrepassaient la portée des nouvelles consultations « précises et circonscrites » (TWN 2018, paragraphe 772; voir aussi la pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 18491 et 18492).
[184] Par exemple, les Tsleil-Waututh ont proposé qu’on examine d’autres configurations de l’oléoduc, y compris d’autres lieux pour le terminal. Le Canada a répondu que d’autres configurations avaient déjà été examinées, tant dans le processus de l’Office que dans celui visé par l’arrêt TWN 2018. Le Canada n’était pas disposé à examiner des solutions de rechange qu’il avait déjà jugées peu pratiques ou non viables (affidavit de Shawn Tupper, paragraphe 184, dossier du Canada, pages 16513 et 16514; pièce A de l’affidavit de Shawn Tupper, dossier du Canada, pages 18443, 18444 et 18492). C’était une position tout à fait raisonnable. En outre, dans l’arrêt TWN 2018, la Cour a rejeté la contestation du projet fondée sur le motif des configurations de rechange. Par conséquent, le Canada pouvait tout à fait répondre que la question ne pouvait être débattue de nouveau. Comme la Cour l’explique dans ses motifs justifiant l’ordonnance d’autorisation (Raincoast no 1, paragraphe 24), les notions de droit interdisant la remise en cause s’appliquent tant aux questions qui ont déjà été soulevées et tranchées qu’à celles qui auraient pu être soulevées dans une instance antérieure. Il est donc sans importance que la question ait été soulevée par la ville de Burnaby plutôt que par les Tsleil-Waututh ou une autre des demanderesses en l’espèce.
[185] De même, le Canada a refusé d’examiner des propositions pour la tenue d’études conjointes sur l’économie du projet, des solutions de rechange au projet, le transport des hydrocarbures en galets, la valorisation du bitume dilué en Alberta avant son transport et la réduction du transport maritime dans la baie Burrard (affidavit de Shawn Tupper, par. 54, 167, 183 et 184, dossier du Canada, p. 16474, 16475, 16508 et 16512 à 16514). Aucune de ces mesures d’accommodement n’avait à faire l’objet d’une discussion lors des nouvelles consultations. Le fait que le Canada n’ait pas examiné ces possibilités ne justifie pas que l’on conclue que le Canada a agi déraisonnablement.
[186] Enfin, les Tsleil-Waututh soutiennent que la décision de ne pas donner suite au projet doit être une possibilité réelle pour qu’il y ait de véritables consultations et mesures d’accommodement (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphes 96 et 97). Le 17 avril et le 3 mai 2019, les Tsleil-Waututh ont fait part de leur préoccupation selon laquelle [traduction] « aucune des mesures “d’accommodement” ne répond à la préoccupation très sérieuse que [les Tsleil-Waututh] expriment depuis au moins 2013 : que le projet est trop risqué parce que les déversements sont inévitables, qu’ils ne peuvent être nettoyés et que, le cas échéant, ils auront des effets catastrophiques » (affidavit de George, paragraphe 367, dossier des Tsleil-Waututh, page 161; pièce 84 de l’affidavit de George, dossier des Tsleil-Waututh, page 2330).
[187] Rien dans le dossier ne donne à penser que le Canada ou le gouverneur en conseil ignoraient la position des Tsleil-Waututh. La question devient donc celle de savoir si, étant donné ce point de vue concurrent, selon lequel il ne faudrait pas donner suite au projet, le Canada a manqué à son obligation de consulter les Tsleil-Waututh et de prendre des mesures d’accommodement à leur endroit en décidant d’approuver le projet en définitive (William v. British Columbia (Attorney General), 2019 BCCA 74, 20 B.C.L.R. (6th) 355, paragraphe 41). À notre avis, le Canada n’a pas manqué à son obligation. Tout au long des nouvelles consultations, le Canada a dialogué avec les Tsleil-Waututh au sujet de la nécessité du projet, mais, à la fin, les parties avaient des points de vue opposés sur la question de la nécessité du projet (voir entre autres l’affidavit de Shawn Tupper, paragraphes 164 à 171, dossier du Canada, pages 16507 à 16510). Le Canada a fourni aux Tsleil-Waututh des explications justifiant la nécessité du projet lors des réunions de consultation, dans des documents qu’ont pu consulter les Tsleil-Waututh lors des nouvelles consultations ainsi que dans le décret et la note explicative.
[188] La tenue de véritables consultations [traduction] « devient irréalisable lorsque, comme en l’espèce, le seul compromis acceptable pour [le groupe autochtone] est l’abandon du projet en entier » (Prophet River (C.A.C.-B.), paragraphe 65). Insister sur le fait que la seule mesure d’accommodement acceptable consiste à choisir une solution de rechange au projet équivaut à demander un droit de veto sur le projet, ce qui ne fait pas du tout partie de l’obligation de consulter (Prophet River (C.A.C.-B.), paragraphe 65; Nation haïda, paragraphe 48). Le dossier [traduction] « révèle les consultations et les efforts exhaustifs en vue de la prise de mesures d’accommodement, hormis l’abandon du projet », qui ont été faits lors des nouvelles consultations (Prophet River (C.A.C.-B.), paragraphe 67).
[189] La norme applicable aux consultations et aux mesures d’accommodement n’est pas la perfection; le processus, considéré dans son ensemble, doit donner lieu à des consultations satisfaisantes ainsi qu’à des mesures d’accommodement pour le groupe autochtone (Nation haïda, paragraphe 62). Nous sommes convaincus que le gouverneur en conseil pouvait, compte tenu du dossier dont il disposait, conclure que les nouvelles consultations avec les Tsleil-Waututh tenues dans la foulée de l’arrêt TWN 2018 étaient satisfaisantes et ont débouché sur des mesures d’accommodement qui répondent aux préoccupations des Tsleil-Waututh.
3) Le Canada n’a pas retenu ses « examens scientifiques » des rapports d’experts des Tsleil-Waututh
[190] Comme les Squamish, les Tsleil-Waututh soutiennent que le Canada a intentionnellement retenu ses « examens scientifiques » des rapports d’experts des Tsleil-Waututh, dont le contenu, selon les Tsleil-Waututh, [traduction] « se rapporte directement à [leurs] préoccupations spécifiques et précises concernant le projet » (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphe 31). Les Tsleil-Waututh vont jusqu’à soutenir que le Canada a modifié le contenu de ces examens pour étayer sa position, a omis d’informer les Tsleil-Waututh que ses experts étaient d’accord avec ceux des Tsleil-Waututh sur de nombreuses questions et a adopté une position contraire aux conclusions scientifiques tirées dans les rapports répondant à ceux des Tsleil-Waututh (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphes 31, 33 et 62 à 69).
[191] Comme les Squamish, les Tsleil-Waututh, en dépit d’allégations graves, n’ont produit aucun élément de preuve montrant qu’il y a eu inconduite de la part du Canada. Le contenu de ces « examens scientifiques » est conforme à la position que le Canada a défendue durant les nouvelles consultations et les Tsleil-Waututh n’ont fourni aucun élément de preuve établissant que des modifications avaient été apportées aux documents à l’insu de leurs auteurs. Pour les mêmes motifs que ceux exposés en réponse à l’observation semblable formulée par les Squamish, nous ne souscrivons pas à l’observation des Tsleil-Waututh selon laquelle les documents ont été indûment modifiés ou retenus.
4) Le mandat du Canada a été correctement défini
[192] Les Tsleil-Waututh soutiennent que le Canada n’a pas remédié au manquement relevé dans l’arrêt TWN 2018 voulant que la capacité du Canada à mettre en œuvre son cadre de consultation ait été déraisonnablement limitée par la façon dont ses représentants ont exécuté leur mandat, lesquels [traduction] « se sont contentés de consigner les préoccupations des Autochtones et de les transmettre aux décideurs » (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphe 116). Les Tsleil-Waututh soutiennent avoir fait part de préoccupations semblables concernant le mandat du Canada lors des nouvelles consultations, mais que le Canada n’a pas reconnu qu’il y avait un problème (mémoire des Tsleil-Waututh, paragraphe 116).
[193] Pour la nouvelle ronde de consultations, le Canada s’est doté d’un mandat dont l’objectif était de [traduction] « travailler avec les groupes autochtones pour comprendre les répercussions et tenter de trouver les mesures d’accommodement potentielles pour le projet, lorsqu’il y avait lieu » (pièce 43 de l’affidavit d’Ernie George, dossier des Tsleil-Waututh, page 935). Comme il en a été question plus haut, les équipes de consultation du Canada ayant participé à la nouvelle ronde étaient composées de hauts fonctionnaires ayant pour tâche de nouer le dialogue avec les groupes autochtones, et non uniquement de prendre des notes. Le mandat qui leur avait été confié avait été correctement défini, d’une manière qui remédiait aux manquements relevés par notre Cour dans l’arrêt TWN 2018. Le dossier regorge d’exemples de discussions et d’échanges de renseignements et de points de vue qui s’inscrivent dans la logique de ce mandat.
[194] Cependant, les Tsleil-Waututh soutiennent que le mandat du Canada aurait dû comprendre la tâche de demander le consentement des Tsleil-Waututh ou de l’obtenir (affidavit d’Ernie George, paragraphes 95 à 97 et 119(b), dossier des Tsleil-Waututh, p. 65, 66 et 71). Le Canada a exprimé au début de la nouvelle ronde de consultations le désir de [traduction] « viser à obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause », des Tsleil-Waututh à l’égard du projet (pièce 38 de l’affidavit d’Ernie George, dossier des Tsleil-Waututh, page 916). Cela dit, le Canada n’avait aucunement l’obligation d’obtenir leur consentement avant d’approuver le projet. Encore une fois, cela équivaudrait à donner aux groupes autochtones un droit de veto.
5) La conduite des Tsleil-Waututh durant la nouvelle ronde de consultations a nui aux efforts de consultation du Canada
[195] Le Canada soutient, et nous sommes d’accord, que la conduite des Tsleil-Waututh durant la nouvelle ronde de consultations a nui aux efforts de consultation du Canada. Bien que l’obligation de consulter impose au Canada des obligations, elle a aussi pour effet d’imposer des obligations aux groupes autochtones. Ceux-ci « ne doivent pas contrecarrer les efforts déployés de bonne foi par la Couronne et ne devraient pas non plus défendre des positions déraisonnables pour empêcher le gouvernement de prendre des décisions ou d’agir dans les cas où, malgré une véritable consultation, on ne parvient pas à s’entendre » (Nation haïda, paragraphe 42; voir aussi Ktunaxa Nation, paragraphe 80).
[196] Bien que les groupes autochtones puissent choisir de négocier de façon serrée, la conduite des Tsleil-Waututh durant la nouvelle ronde de consultations était plus que de la négociation serrée; elle a contrecarré les efforts du Canada en matière de consultations et de mesures d’accommodement. Les efforts du Canada ont néanmoins débouché sur des consultations satisfaisantes et des mesures d’accommodement adaptées.
D. Les Ts’elxwéyeqw
[197] Dans l’arrêt TWN 2018 (paragraphes 681 à 727), six lacunes ont été soulignées au soutien de la conclusion selon laquelle les premières consultations du Canada avec les Stó:lō (y compris les Ts’elxwéyeqw) étaient dépourvues d’un caractère véritable. Premièrement, le Canada n’a pas dûment pris en considération les 89 recommandations énoncées dans le document intitulé « [traduction] “Évaluation culturelle intégrée relative au projet d’agrandissement du réseau Trans Mountain” » (l’ECI), un document d’observations techniques détaillées préparé par les Stó:lō au sujet des répercussions du projet (TW 2018, paragraphe. 712). Deuxièmement, le Canada ne s’est pas penché sur l’observation des Stó:lō voulant que Lightning Rock soit une zone « interdite » (TWN 2018, paragraphes 716 et 717). Troisièmement, le Canada ne s’est pas assuré que les sites culturels des Stó:lō soient inscrits sur les cartes-tracés du projet (c’est-à-dire les documents montrant le tracé exact proposé pour l’oléoduc) (TWN 2018, paragraphes 697 et 718). Quatrièmement, le Canada n’a pas pris de mesures d’accommodement quant à la demande des groupes autochtones de sélectionner des surveillants autochtones (TWN 2018, paragraphes 700 et 701). Cinquièmement, le Canada n’a pas garanti que Trans Mountain serait tenue de respecter ses engagements (TWN 2018, paragraphe 715). Enfin, le Canada n’a pas réussi à expliquer en quoi le droit de pêche, constitutionnellement garanti, des Stó:lō avait été pris en considération durant les consultations (TWN 2018, paragraphe 727).
[198] Le Canada soutient que, en réaction à ces lacunes relevées dans l’ordre énoncé ci-dessus, il a remédié à chacune d’elle en mettant en œuvre les mesures présentées qui suivent lors de la nouvelle ronde de consultations.
[199] Premièrement, il a dûment pris en considération les 89 recommandations énoncées dans l’ECI (affidavit de Corey Dekker, paragraphes 7 à 9, dossier du Canada, pages 09571 et 09572).
[200] Deuxièmement, Trans Mountain a ajusté l’empreinte du projet à Lightning Rock, elle procédera à l’évaluation du patrimoine archéologique et culturel exigé à la condition 77 de l’Office préalablement à la construction, et elle collaborera avec le groupe Stó:lō pour l’établissement de mesures visant à éviter les incidences sur le site (Rapport de réexamen de l’Office, pages 0630 et 0888).
[201] Troisièmement, Trans Mountain a inclus dans ses cartes-tracés environnementales du savoir ancestral, notamment les sites culturels Stó:lō se trouvant dans le corridor du projet relevés par les Ts’elxwéyeqw dans l’ECI (deuxième affidavit d’Ian Anderson, paragraphes 86(m) à (q), (t) à (x), et (dd), dossier de Trans Mountain, pages 18153 à 18156 et 18159) et elle s’est engagée à mettre à jour ses tableaux de mesures d’atténuation propres aux ressources et à travailler sur une base continue avec les Ts’elxwéyeqw afin d’établir des mesures propres aux sites pour la gestion des incidences du projet (affidavit de Corey Dekker, paragraphe 84, dossier du Canada, pages 09604 et 09605).
[202] Quatrièmement, Trans Mountain s’est engagée à embaucher un surveillant ts’elxwéyeqw sélectionné par les Ts’elxwéyeqw, qui fera partie de l’équipe d’inspection de Trans Mountain (affidavit de Corey Dekker, paragraphe 74(l), dossier du Canada, page 09600). Cinquièmement, le gouverneur en conseil a modifié la condition no 6 de l’Office pour exiger de Trans Mountain qu’elle ajoute tous les engagements qu’elle a pris lors des consultations à son tableau de suivi des engagements, ce qui les rend obligatoires en vertu de la condition no 2 de l’Office (Rapport de réexamen de l’Office, page 0861; décret, pages 10 et 11).
[203] Enfin, le Canada reconnaît le droit de pêche ancestral, constitutionnellement garanti, des Ts’elxwéyeqw et a pris ce droit en considération dans son évaluation des incidences du projet (affidavit de Corey Dekker, paragraphes 31(c), 58(f), dossier du Canada, pages 09578 et 09593).
[204] Les Ts’elxwéyeqw choisissent de ne pas contester ces mesures et de ne pas tenter de prouver qu’elles ne remédient pas aux lacunes relevées dans l’arrêt TWN 2018. Ils commencent plutôt leurs observations en présentant leur version du déroulement de l’audience de réexamen devant l’Office et de la nouvelle ronde de consultations ainsi que l’évaluation qu’ils en font. Essentiellement, ils soutiennent que cette audience et les consultations n’ont servi à rien. Ils n’y voient absolument rien de bon (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphes 13 à 72).
[205] Les Ts’elxwéyeqw font ensuite valoir les quatre assertions suivantes : 1) le Canada n’a pas dûment pris en considération l’ECI ni les 89 recommandations; 2) les mesures d’accommodement proposées par le Canada sont génériques, abstraites et vagues et elles reposent beaucoup sur des engagements à venir; 3) le Canada n’a pas entamé la nouvelle ronde de consultations dans un délai raisonnable et par la suite y a coupé court; 4) le Canada n’a pas pris en considération l’empiétement sur les droits de pêche reconnus (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphes 86 et 87).
[206] Un examen des observations présentées à l’appui de ces assertions montre que les Ts’elxwéyeqw semblent avoir perdu de vue que la présente instance est une demande de contrôle judiciaire (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphes 95 à 110). Ils nous invitent essentiellement à examiner l’ensemble des conclusions tirées par le gouverneur en conseil voulant qu’il ait satisfait à son obligation de consultation, à examiner les éléments de preuve à cet égard et à tirer une conclusion différente. Il convient de noter que les Ts’elxwéyeqw ne font aucune mention des motifs présentés à l’appui du décret ou de la note explicative l’accompagnant.
[207] La note explicative décrit entre autres la nouvelle ronde de consultations et les nouvelles « mesures d’accommodement précises et ciblées […] élaborées et proposées lors des consultations […] [,] conçues précisément pour répondre aux préoccupations exprimées par les groupes autochtones lors des consultations, et afin de se pencher sur les domaines où les consultations ont montré un potentiel d’amélioration des efforts actuellement déployés ou pour consolider le programme dans un secteur en particulier » (note explicative, page 48). Au nombre de ces mesures, on compte des fonds servant à financer des études menées par les Autochtones en vue d’améliorer leurs connaissances sur les effets potentiels du projet sur les terres, notamment celles utilisées à des fins traditionnelles. Dans le cadre de cette initiative, le Canada a offert un financement à hauteur de 250 000 $ pour la protection des sites culturels des Stó:lō (affidavit de Corey Dekker, paragraphe 87, dossier du Canada, pages 09605 à 09606). Elle mentionne aussi la condition 6 modifiée, qui rend impératifs les engagements que Trans Mountain a pris à l’égard des Ts’elxwéyeqw, ainsi que la condition 100 modifiée, qui oblige Trans Mountain à prendre les mesures nécessaires au cours des travaux pour préserver et protéger les sites culturels, dont 400 appartenant aux Stó:lō. Elle mentionne également la condition 98 modifiée, suivant laquelle Trans Mountain doit justifier de la manière dont elle a incorporé les résultats de sa consultation, y compris toutes les recommandations des personnes consultées, dans le plan qui décrit la participation des groupes autochtones à la surveillance des travaux (note explicative, page 64).
[208] Les modifications ordonnées par le gouverneur en conseil par suite de la nouvelle ronde de consultations sont énoncées à l’annexe A du décret, à compter de la page 10. Elles étayent entre autres sa conclusion selon laquelle la nouvelle ronde de consultations était adéquate à l’égard de toutes les demanderesses, y compris les Ts’elxwéyeqw.
[209] Si l’on examine les raisons qui étayent la conclusion du gouverneur en conseil et la partie du dossier qui concerne les quatre prétentions des Ts’elxwéyeqw, il ressort clairement que ces dernières ne sont pas fondées. Pour chacune, à l’exception de la question juridique qui sous-tend la quatrième prétention, on nous demande essentiellement de privilégier le récit et l’évaluation des consultations des Ts’elxwéyeqw à ceux du Canada, et ce sans nous expliquer pourquoi (comparer les paragraphes 95 à 110 du mémoire des Ts’elxwéyeqw aux paragraphes 215 à 233 du mémoire du Canada). En effet, lorsqu’on examine le dossier pour confronter les quatre prétentions des Ts’elxwéyeqw aux réponses du Canada, le récit des consultations présenté par le Canada doit être privilégié. Il s’agit du sujet que nous abordons dans les paragraphes qui suivent.
1) Le Canada a adéquatement tenu compte de l’ECI et des 89 recommandations
[210] Dans l’arrêt TWN 2018, la Cour estimait que le Canada avait fait complètement fi de l’ECI et des 89 recommandations (paragraphe 712) :
[…] rien ne révèle que le Canada a sérieusement envisagé de mettre en œuvre l’une ou l’autre de ces mesures recommandées ni n’explique pourquoi il n’en a retenu aucune comme mesure d’accommodement ou d’atténuation.
[211] Au cours de la nouvelle ronde de consultations, le Canada et Trans Mountain ont tous deux produit un rapport répondant à chacune des 89 recommandations soulevées dans l’ECI. Le rapport de Trans Mountain explique comment les renseignements provenant de l’ECI et de l’évaluation d’ensemble du patrimoine culturel ont été intégrés aux plans environnementaux de Trans Mountain (affidavit de Keri Ardell, paragraphe 86, dossier des Ts’elxwéyeqw, page 603). Le rapport du Canada indique les conditions, engagements et mesures d’accommodement précises qui répondent à chacune des 89 recommandations. C’est ce que montre le tableau sur lequel sont inscrites les mesures prises par le Canada pour examiner les incidences potentielles du projet (mémoire du Canada, paragraphe 224). Les chiffres en caractères gras dans le tableau indiquent les actions, mesures et engagements supplémentaires pris par suite de la nouvelle ronde de consultations. Au vu des changements soulignés dans le tableau, on ne saurait dire que le Canada n’a pas tenu compte des 89 recommandations (affidavit de Corey Dekker, paragraphes 8 et 9, dossier du Canada, page 09572; pièce A de l’affidavit de Corey Dekker, dossier du Canada, pages 13092 à 13099).
[212] Les Ts’elxwéyeqw affirment également qu’ils ont reçu les deux rapports présentés en réponse à l’ECI trop tard pour leur permettre d’y opposer une véritable réponse, vu leurs moyens limités (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphe 102(e)). Le rapport de la Couronne sur l’ECI, toutefois, a été reçu le 6 mars 2019, tandis que celui de Trans Mountain, le 30 avril 2019. Les Ts’elxwéyeqw soutiennent que des [traduction] « [a]teliers étaient nécessaires pour l’étude des 89 recommandations et donneraient l’occasion de prendre connaissance des stratégies d’atténuation et de gestion des risques que proposaient le Canada et [Trans Mountain] pour répondre à [leurs] préoccupations » (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphe 101). Cependant, les Ts’elxwéyeqw ont refusé de participer à des ateliers pour discuter de l’analyse réalisée par le Canada tant qu’ils ne disposeraient pas des réponses mises à jour de Trans Mountain à l’ECI. Conscient que la nouvelle ronde de consultations n’était pas indéfinie, le Canada était plutôt d’avis que le rapport de la Couronne sur l’ECI constituait un bon point de départ susceptible d’orienter les discussions communes qui s’ensuivraient (affidavit de Corey Dekker, paragraphe 57, dossier du Canada, page 09592). Même si les Ts’elxwéyeqw ne souscrivent pas à la démarche proposée par le Canada, ils n’ont pas démontré qu’elle était inadéquate ou déraisonnable de quelque manière que ce soit.
[213] Vu le refus des Ts’elxwéyeqw de participer aux ateliers au début de mars, le Canada a attendu les réponses de Trans Mountain à l’ECI avant d’en organiser la tenue. Ils se sont tous déroulés en mai 2019. Selon le Canada, les ateliers ont donné lieu à une rétroaction et à des discussions considérables (mémoire du Canada, paragraphe 219). Les Ts’elxwéyeqw avaient établi l’ordre du jour, qui énumérait une variété de questions issues de l’ECI. Même si les Ts’elxwéyeqw avaient retardé la tenue des ateliers, ils ont tout de même eu l’occasion de présenter leurs commentaires sur l’ébauche de rapport et d’échanger sur l’analyse réalisée par le Canada, quand les ateliers se sont finalement déroulés.
[214] En outre, le Canada entendait présenter un rapport conjoint sur les 89 recommandations au gouverneur en conseil. Suivant le dossier, beaucoup d’efforts tendaient vers ce but. Le 7 mai 2019, le Canada a fourni aux Ts’elxwéyeqw l’ébauche de la table des matières et a proposé la tenue d’une conférence téléphonique visant à tâter le pouls des intéressés sur la possibilité d’une entente quant au contenu. Les Ts’elxwéyeqw ont répondu qu’ils allaient faire des commentaires, mais n’en ont rien fait (affidavit de Corey Dekker, paragraphes 70 et 76, dossier du Canada, pages 09597 et 09600). Le 28 mai 2019, le Canada a tenté en vain d’ouvrir à nouveau la discussion sur la présentation de remarques conjointes sur les travaux réalisés par le Canada, Trans Mountain et les Ts’elxwéyeqw à l’égard des 89 recommandations (affidavit de Corey Dekker, paragraphe 85, dossier du Canada, page 09605). Finalement, le Canada a néanmoins veillé à ce que le rapport final de la Couronne sur l’ECI et le RCAC, qui ont été présentés au gouverneur en conseil et servaient à éclairer sa décision, traduisaient les commentaires reçus, y compris ceux issus des ateliers et les réponses écrites fournies par les Ts’elxwéyeqw.
[215] Enfin, rien n’étaye la prétention des Ts’elxwéyeqw suivant laquelle le Canada n’a pas adéquatement tenu compte de l’ECI et des 89 recommandations.
2) On ne saurait dire des mesures d’accommodement proposées par le Canada qu’elles sont générales, conceptuelles et non adaptées ni qu’elles sont en grande partie subordonnées à des engagements futurs
[216] A priori, les six mesures proposées au cours de la nouvelle ronde de consultations (voir les paragraphes 198 à 203 des présents motifs) sont détaillées et propres aux Ts’elxwéyeqw ou aux Stó:lō.
[217] Pour illustrer sa thèse suivant laquelle les mesures prises par le Canada pour répondre à leurs préoccupations sont [traduction] « générales, conceptuelles et non adaptées », les Ts’elxwéyeqw renvoient à l’arrêt TWN 2018, au paragraphe 653, où la Cour commente les mesures mises en œuvre au cours du processus de consultation initial. Ils oublient de mentionner que ces mesures visaient à répondre aux préoccupations des Tsleil-Waututh. Les Ts’elxwéyeqw renvoient également aux paragraphes 660, 661, 668 et 735 du même arrêt. Dans ce cas également, ces passages concernaient des mesures visant l’expérience des Tsleil-Waututh, des Squamish et des Upper Nicola. Le paragraphe 703 de la décision est le seul qui s’applique aux Stó:lō parmi ceux qu’ils invoquent. Dans ce passage, la Cour estime que le Canada n’a pas ajouté de condition qui assurerait la présence de surveillants autochtones choisis localement. Comme nous l’expliquons plus haut, cette lacune a été corrigée dans le cas des Ts’elxwéyeqw : l’engagement a été pris d’embaucher un surveillant issu des Ts’elxwéyeqw, choisi par ces derniers.
[218] En outre, les Ts’elxwéyeqw soulèvent des prétentions exagérées, soit que le Canada ne se préoccupait pas de savoir si les mesures d’accommodement allaient bel et bien se matérialiser, si elles répondaient aux préoccupations propres aux Ts’elxwéyeqw ou si les mesures futures étaient susceptibles d’exécution de sorte qu’elles puissent atténuer véritablement les incidences du projet (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphe 110). Ces prétentions sont difficiles, voire impossibles, à évaluer, car les Ts’elxwéyeqw ne renvoient pas au dossier et ne précisent pas les mesures qu’ils visent dans leurs prétentions. Ils affirment en outre [traduction] « que s’engager à présenter des rapports […] n’équivaut pas non plus à s’engager à véritablement mettre en œuvre des mesures d’atténuation adéquates » (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphe 110). Cette prétention ne renvoie pas non plus au dossier; nous ne savons donc pas exactement ce qu’ils font valoir. Leur plaidoirie ne nous a pas permis d’y voir plus clair. Ces prétentions non étayées ne permettent aucunement de démontrer que l’approbation du projet par le gouverneur en conseil était déraisonnable.
[219] De même, les Ts’elxwéyeqw affirment que certaines des mesures d’accommodement qui leur avaient été proposées avaient également été offertes à d’autres demanderesses, ce qui laisse entendre qu’elles n’étaient pas adaptées à leurs préoccupations propres (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphe 109). Or, on ne peut reprocher au Canada d’avoir tenté de répondre à des préoccupations que partagent plus d’un groupe autochtone par le truchement d’une même mesure (pièce A de l’affidavit de Corey Dekker, dossier du Canada, pages 10585 à 10604). Tout particulièrement compte tenu du processus bref et efficace envisagé dans l’arrêt TWN 2018.
[220] Soulignons à cet égard que presque toutes les mesures mentionnées par les Ts’elxwéyeqw constituent soit des initiatives de collaboration entre le Canada et les groupes autochtones, soit du financement offert aux groupes autochtones pour entreprendre des études visant à comprendre davantage les incidences possibles du projet (pièce A de l’affidavit de Corey Dekker, dossier du Canada, pages 10603 à 10604). Les mesures d’accommodement qui seront élaborées en collaboration avec les Ts’elxwéyeqw ne sauraient être qualifiées de « vagues » et « non adaptées ».
3) Les mesures d’accommodement mises en œuvre par le Canada pallient les lacunes relevées dans l’arrêt TWN 2018
[221] Si l’on examine la première des six mesures proposées par le Canada pour pallier les lacunes relevées dans l’arrêt TWN 2018, soit un examen en bonne et due forme de l’ECI, il ressort de l’analyse précédente que les mesures d’accommodement prises par le Canada pour répondre à l’ECI et aux 89 recommandations étaient tout sauf « générales, conceptuelles [et] non adaptées ». Quant à la sixième mesure, la question de savoir si le Canada a véritablement tenu compte du droit de pêche établi des Ts’elxwéyeqw est examinée et tranchée aux paragraphes 245 à 253 des présents motifs.
[222] La cinquième mesure, celle qui concerne la modification de la condition 6 établie par l’Office, bien qu’elle ne soit exclusive aux Ts’elxwéyeqw ou aux Stó:lō, joue tout de même en faveur de ces derniers. Cette mesure rend exécutoires les engagements pris par Trans Mountain. Elle a été mise de l’avant en réponse à la préoccupation énoncée par la Cour dans l’arrêt TWN 2018 voulant que Trans Mountain était réputée ne pas respecter ses engagements (TWN 2018, paragraphe 715). Si la condition 6 modifiée permet d’assurer le respect de tout engagement susceptible de répondre aux besoins des Ts’elxwéyeqw, on ne peut raisonnablement affirmer que pareille mesure d’accommodement est « vague » ou « conceptuelle ».
[223] De même, le fait que certains des engagements n’auront effet qu’après l’approbation ne saurait justifier un mécontentement. Ce qui importe, c’est que la Régie est investie de la responsabilité de vérifier que Trans Mountain respecte ses engagements.
[224] De plus, les Ts’elxwéyeqw ne présentent aucun argument reprochant directement le manque d’adéquation des deuxième, troisième et quatrième mesures d’accommodement proposées au cours de la nouvelle ronde de consultations. Nous offrons néanmoins quelques remarques.
[225] A priori, les deuxième et quatrième mesures d’accommodement sont précises et répondent aux lacunes relevées dans l’arrêt TWN 2018, c’est-à-dire que le Canada n’a pas tenu compte de l’argument des Stó:lō selon lequel Lightning Rock devait être une zone interdite et n’a pas donné suite au désir exprimé quant au choix de surveillants autochtones. Point n’est besoin d’en dire davantage à ce sujet. La troisième mesure d’accommodement, à savoir l’inclusion des sites culturels des Stó:lō dans la conception du projet, nécessite qu’on s’y attarde.
[226] Cette mesure a été adoptée parce que le Canada n’avait pas veillé à ce que les sites culturels des Stó:lō soient inclus dans la conception du projet, ce que la Cour avait remarqué dans l’affaire TWN 2018. Plus particulièrement, le Canada n’avait pas véritablement tenu compte des connaissances traditionnelles des Stó:lō, y compris l’emplacement de leurs sites culturels (TWN 2018, paragraphes 712 et 715). En revanche, cette mesure d’accommodement résulte manifestement d’un véritable dialogue sur la protection des sites culturels des Stó:lō le long du couloir qu’empruntera le projet.
[227] En effet, les cartes-tracés environnementales dont se servira Trans Mountain pendant les travaux ont été modifiées de sorte qu’y figurent dorénavant les sites culturels des Stó:lō indiqués par les Ts’elxwéyeqw. Nous signalons également que Trans Mountain a pris des engagements en vue de collaborer avec les Ts’elxwéyeqw pour veiller à la protection adéquate de chaque site.
[228] Au nombre de ces engagements, signalons notamment qu’on veillera à ce que les sites des Stó:lō figurent sur les cartes-tracés finales qui serviront à Trans Mountain pendant les travaux; on mettra à jour les tableaux de mesures d’atténuation propres aux ressources de Trans Mountain pour faire en sorte que les mesures d’accommodement soient adaptées aux divers types de sites culturels; on donnera aux représentants des Stó:lō l’occasion de présenter des séances de formation sur la sensibilisation culturelle au personnel de Trans Mountain et à ses sous-traitants; on tiendra compte des renseignements sur les bornes des sites culturels fournis par les Stó:lō quand il est question d’envisager les mesures d’atténuation qui conviennent; on discutera avec les Stó:lō des délais des travaux qui respectent leurs coutumes et activités culturelles (pièce A de l’affidavit de Corey Dekker, dossier du Canada, pages 12779 à 12780). Outre ces engagements, la condition 100 modifiée oblige Trans Mountain à prendre des mesures d’atténuation pour réduire dans la mesure du possible, voire éviter complètement, les effets du projet sur les sites culturels pendant les travaux. En outre, comme nous le mentionnons plus haut, le Canada a offert 250 000 $ de plus pour améliorer la protection des sites culturels, grâce à l’initiative relative aux études terrestres.
[229] Il ressort de l’analyse qui précède que les mesures proposées par le Canada pour pallier les lacunes précises relevées par la Cour dans l’arrêt TWN 2018 n’étaient ni générales ni vagues. Étant donné que les Ts’elxwéyeqw n’ont pas soulevé de mesure précise proposée durant la nouvelle ronde de consultations, hormis celles qui concernaient plus d’un groupe et dont nous discutons plus haut, qui ne répond pas à leurs préoccupations, rien ne nous permet de conclure que la décision du gouverneur en conseil était déraisonnable (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphes 107 à 109).
[230] Nous sommes convaincus qu’il était loisible au gouverneur en conseil de conclure que les consultations menées par suite de l’arrêt TWN 2018 étaient adéquates et ont abouti à des mesures qui répondent véritablement aux préoccupations des Ts’elxwéyeqw.
4) Le Canada n’a pas tardé à reprendre les consultations et n’en a pas écourté la réalisation
[231] Les Ts’elxwéyeqw soutiennent d’abord que le Canada a mis des mois à établir les paramètres de la nouvelle ronde de consultations pour ensuite en [traduction] « hâter l’exécution », ce qui les a privés de la tenue d’un véritable dialogue (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphe 95). Ils affirment également qu’en leur imposant ces délais, le Canada a négligé le fait qu’ils disposent de ressources limitées, contrairement au Canada et à Trans Mountain, en fait de personnel, de détenteurs du savoir traditionnel ou de dirigeants, et que toutes ces personnes devaient vaquer à d’autres obligations (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphe 97).
[232] Tout d’abord, les Ts’elxwéyeqw accusent le Canada de s’être [traduction] « tourné les pouces » de septembre 2018, quand le décret renvoyant l’affaire à l’Office pour réexamen a été délivré, à janvier 2019, quand la première réunion avec les représentants du Canada a eu lieu (pièce A de l’affidavit de Corey Dekker, dossier du Canada, page 12445; mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphes 29 à 38). En réponse, le Canada reconnaît qu’au cours des premiers mois, il s’affairait à assembler une équipe formée de représentants de divers secteurs de l’administration fédérale et à mener d’importants travaux préparatoires. Il souligne également la tenue de réunions avant janvier, dont une au début du mois d’octobre 2018 avec le ministre Sohi ainsi qu’une table ronde présidée par l’ancien juge Frank Iacobucci, qui s’est déroulée le 11 décembre 2018.
[233] En outre, il est utile de rappeler que le gouverneur en conseil a également renvoyé l’affaire à l’Office pour réexamen à la lumière des répercussions du transport maritime découlant du projet (décret, page 3, quatrième paragraphe entier). Les Ts’elxwéyeqw ont participé activement à l’audience de réexamen à titre d’intervenants et ont rappelé à maintes reprises, à l’Office lors de l’audience de réexamen et au Canada directement, qu’ils n’avaient pas les ressources suffisantes pour mener à bien de multiples tâches en même temps (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphes 27 et 56, affidavit de Keri Ardell, paragraphes 23 à 25 et 31; dossier des Ts’elxwéyeqw, pages 582 à 584). Mis à part l’impossibilité de reprendre sur-le-champ les consultations (mémoire du Canada, paragraphes 21 à 22), il n’aurait pas été judicieux que le Canada exige la participation des Ts’elxwéyeqw à de plus amples discussions avant la fin du processus de l’Office. Qui plus est, la Cour explique dans l’arrêt TWN 2018 que l’étape III des consultations a été conçue pour répondre aux préoccupations qui demeurent après la procédure d’audience de l’Office (étape II) et donne au Canada l’occasion de proposer des mesures d’accommodement convenables pour y remédier (TWN 2018, paragraphe 530). On ne peut reprocher au Canada d’avoir accru sa collaboration avec les Ts’elxwéyeqw après le processus devant l’Office.
[234] Les Ts’elxwéyeqw soutiennent également qu’une fois que l’étape III a été enclenchée à nouveau, le Canada en a écourté la réalisation. À leur première réunion de consultation, le 17 janvier 2019, les Ts’elxwéyeqw et le Canada ont convenu que l’ECI jouerait un rôle essentiel dans la nouvelle série de consultations et que les ateliers techniques allaient donner l’occasion de prendre connaissance des mesures d’atténuation des risques proposées par le Canada et Trans Mountain. En outre, les réponses de la Couronne à l’ECI étaient essentielles à la mise en œuvre des 89 recommandations. Comme nous le mentionnons plus haut, les Ts’elxwéyeqw ont refusé de tenir les ateliers sur l’ECI avant de disposer des réponses mises à jour de Trans Mountain à l’ECI, et ce même s’ils avaient, depuis le début du mois de mars 2019, l’analyse de l’ECI réalisée par le Canada. Selon les Ts’elxwéyeqw, il [traduction] « ne faisait aucun doute que ce ne serait qu’après avoir reçu les renseignements comme la réponse de la Couronne à l’ECI [et] la réponse à l’ECI [de Trans Mountain] […], et avoir eu suffisamment de temps pour en prendre connaissance que [d]es ateliers pourraient être tenus » (mémoire des Ts’elxwéyeqw, paragraphe 101). Or, il ressort du dossier qu’il s’agissait de manœuvres dilatoires de la part des Ts’elxwéyeqw.
[235] En effet, le Canada était disposé à tenir le premier atelier le 20 février 2019, mais les Ts’elxwéyeqw ont refusé d’y assister, (pièce M de l’affidavit de Keri Ardell, dossier des Ts’elxwéyeqw, page 1307) :
[traduction] Pour que la tribu nomme les bonnes personnes à son groupe de travail, nous souhaiterions prendre connaissance des réponses des divers ministères fédéraux à l’égard de l’ECI et des 89 recommandations. Nous avons été informés qu’elles ne nous seraient pas transmises avant le 15 février. Nous ne disposons pas de suffisamment de temps pour les lire et faire en sorte que toutes les bonnes personnes soient présentes le 20. [Non souligné dans l’original.]
[236] Le Canada a accepté par courriel le même jour et a précisé la possibilité de tenir le premier atelier entre le 25 et le 28 février (pièce M de l’affidavit de Keri Ardell, dossier des Ts’elxwéyeqw, page 1306).
[237] Le 14 février 2019, le Canada a transmis les ordres du jour provisoires des ateliers aux Ts’elxwéyeqw pour solliciter leurs commentaires. Il demandait également aux Ts’elxwéyeqw de confirmer leurs disponibilités pour les deux premiers ateliers techniques prévus pour la semaine du 4 au 8 mars 2019 et celle du 25 mars au 1er avril (pièce M de l’affidavit de Keri Ardell, dossier des Ts’elxwéyeqw, page 1318). Le 22 février 2019, les Ts’elxwéyeqw ont répondu qu’ils allaient d’abord prendre connaissance des ordres du jour et des dates proposées (pièce A de l’affidavit de Corey Dekker, dossier du Canada, page 10290).
[238] Les Ts’elxwéyeqw ont informé le Canada par courriel trois jours plus tard qu’ils ne pouvaient toujours pas assister à une rencontre (pièce R de l’affidavit de Keri Ardell, dossier des Ts’elxwéyeqw, pages 1341 à 1342) :
[traduction] La tribu a commencé à trouver et à coordonner les personnes qui composeront le groupe de travail technique; cependant, nous n’avons pas reçu les commentaires du Canada sur l’ECI et les 89 recommandations, qui sont essentiels à la bonne marche des activités du groupe de travail. Si vous pouvez nous informer de la date à laquelle vous envisagez de nous les transmettre, nous serions en mesure de planifier la première réunion du groupe de travail et de veiller à ce que les bonnes personnes y soient conviées. [Non souligné dans l’original.]
[239] Le Canada a répondu que la première ébauche leur serait transmise avant la tenue du premier atelier et, au cours d’une conférence téléphonique qui s’est tenue le 1er mars 2019, il s’est engagé à la leur fournir au plus tard le 6 mars 2019, ce qu’il a fait (affidavit de Corey Dekker, paragraphes 42, 44(c) et 45, dossier du Canada, pages 9584 et 9586).
[240] Le 18 mars 2019, les Ts’elxwéyeqw ont écrit au premier ministre Trudeau (lettre en date du 14 mars 2019) pour résumer leurs préoccupations continues à propos de la nouvelle série de consultations. Au sujet des ateliers techniques, ils reprochaient au Canada de n’avoir fourni ses réponses à l’ECI qu’en mars, alors qu’il disposait du document depuis cinq ans (pièce P de l’affidavit de David Jimmie, dossier des Ts’elxwéyeqw, page 90). Au cours d’une conférence téléphonique qui s’est tenue le jour même, le Canada a demandé à nouveau aux Ts’elxwéyeqw de confirmer les dates possibles pour la tenue des ateliers, mais les Ts’elxwéyeqw ont répondu qu’ils avaient [traduction] « l’intention de consulter leurs membres […] et ne p[o]uv[ai]ent s’engager pour l’instant » (pièce A de l’affidavit de Corey Dekker, dossier du Canada, page 12447).
[241] Le 21 mars 2019, le Canada a tenté de nouveau de prévoir les dates des ateliers techniques, mais les Ts’elxwéyeqw n’ont pas répondu (affidavit de Corey Dekker, paragraphe 51, dossier du Canada, page 9589). Le 2 avril 2019, le Canada a proposé des dates pour la tenue de deux ateliers techniques, entre le 15 et le 26 avril 2019 (pièce A de l’affidavit de Corey Dekker, dossier du Canada, page 10605). Les Ts’elxwéyeqw ont informé le Canada par courriel deux jours plus tard qu’il leur fallait recevoir les réponses mises à jour de Trans Mountain aux 89 recommandations pour être en mesure de répondre à l’analyse du Canada et de participer aux ateliers (pièce A de l’affidavit de Corey Dekker, dossier du Canada, page 10652) :
[traduction] La tribu a également très hâte de fixer le calendrier des groupes de travail techniques. Toutefois, sa principale préoccupation consiste à veiller à ce que les travaux soient bien faits. […] [N]ous avons demandé à Trans Mountain de nous dire quand les cartes-tracés seraient mises à jour en fonction des sites culturels des Stó:lō […]. […] [Trans Mountain] est en voie de mettre à jour sa réponse aux 89 recommandations. La tribu a besoin de ce document pour fournir sa réponse à l’analyse du Canada. Il n’est pas efficace pour la tribu de répondre au Canada pour être ensuite contrainte à préparer une autre réponse une fois qu’elle aura reçu l’analyse de [Trans Mountain]. De l’avis de la tribu, ces étapes doivent absolument précéder les activités des groupes de travail techniques, car elles éclaireront l’analyse qui permettra de déterminer les éléments manquants de l’ECI, des cartes-tracés et des PPE. […] [L]a tribu pourrait être disponible pour une réunion au cours de la semaine du 22 avril ou celle du 6 mai […]. [Non souligné dans l’original.]
[242] S’il n’était pas déraisonnable pour les Ts’elxwéyeqw de chercher à optimiser leurs efforts, il leur fallait tenir compte des délais. Faire en sorte d’avoir en place tous les éléments nécessaires à des consultations efficaces sans prévoir une période suffisante au déroulement de celles-ci ne constitue pas une ligne de conduite appropriée en l’espèce.
[243] Il convient de souligner que, si la planification des ateliers a fait l’objet d’échanges à plusieurs reprises depuis janvier 2019, ce n’est qu’en avril de la même année que la réponse de Trans Mountain à l’ECI est mentionnée pour la première fois comme condition préalable à la tenue des ateliers.
[244] À la lumière de ce qui précède, on ne peut sérieusement prétendre que le Canada a tardé à reprendre les consultations pour en écourter par la suite la réalisation. Le Canada a fait tout ce qui était en son pouvoir pour fixer la date des ateliers et pour avoir avec les Ts’elxwéyeqw des discussions approfondies sur l’ECI et les 89 recommandations, mais n’a essuyé que des refus à cet égard. En outre, les Ts’elxwéyeqw n’ont répondu à l’analyse que le Canada leur avait fournie des 89 recommandations le 6 mars 2019 que le 3 mai 2019 (pièce A de l’affidavit de Corey Dekker, dossier du Canada, pages 11489 à 11490).
5) Le Canada n’était pas tenu de procéder à l’analyse de l’atteinte au droit établi de pêche des Ts’elxwéyeqw et de sa justification
[245] La dernière lacune recensée dans l’arrêt TWN 2018 concernait le silence du Canada à propos du droit de pêche que la Constitution accorde aux Stó:lō et du poids qu’il allait accorder à ce droit (TWN 2018, paragraphe 727). La Cour a également signalé l’absence d’explication sur le rôle des consultations dans l’évaluation ultime de l’incidence du projet sur les Stó:lō. Et d’ajouter « [d]e véritables consultations ne se résumaient pas à réitérer les conclusions de l’Office et ses conditions, sans examiner les préoccupations particulières soulevées par les Stó:lō sur ces conclusions » (TWN 2018, paragraphe 727).
[246] Il ressort indubitablement du dossier qu’au cours de la nouvelle ronde de consultations, le Canada a reconnu le droit de pêche ancestral établi des Ts’elxwéyeqw et qu’il en a tenu compte dans son évaluation des incidences du projet (pièce A de l’affidavit de Corey Dekker, dossier du Canada, pages10186 à 10188; pièce R de l’affidavit de David Jimmie, dossier des Ts’elxwéyeqw, page 116). Selon la thèse du Canada, les conditions imposées par l’Office, les engagements initiaux et ultérieurs pris par Trans Mountain et les initiatives fédérales d’accommodement ont permis d’atténuer adéquatement les risques pour l’eau et la faune aquatique (mémoire du Canada, paragraphe 226).
[247] Les nouveaux engagements pris par Trans Mountain comptaient notamment celui de mettre à profit les connaissances traditionnelles et techniques des Ts’elxwéyeqw (Stó:lō) ainsi que leurs données pour établir l’inventaire des franchissements de cours d’eau et les plans à cet égard. En outre, Trans Mountain s’est engagée à traiter comme des plans d’eau potentiellement poissonneux ceux qui n’ont pas été classés ainsi, mais qui sont reliés, sur le plan hydrologique, à ceux qui le sont et à aviser les Stó:lō si un ouvrage de franchissement à ciel ouvert (c.-à-d. sans isolement du cours d’eau) se révélait nécessaire.
[248] Les Ts’elxwéyeqw n’ont pas démontré que le gouverneur en conseil avait approuvé le projet de manière déraisonnable par leur argument voulant que le Canada, au cours de la nouvelle ronde de consultations, n’eût pas tenu compte du droit de pêche que la Constitution reconnaît aux Ts’elxwéyeqw.
[249] Enfin, les Ts’elxwéyeqw soutiennent que la thèse juridique du Canada à propos du droit de pêche protégé par la Constitution était viciée. Selon eux, le Canada était tenu de procéder à une analyse de la justification comme celle énoncée dans l’arrêt Sparrow et fondée sur l’atteinte contestée à leur droit de pêche établi (R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, pages 1113 à 1119, 1990 CanLII 104) au cours des consultations, car selon eux, l’analyse de la justification fait partie de l’obligation de consultation et d’accommodement.
[250] Si l’argument relatif à la teneur de l’obligation de consultation était devant la Cour dans l’affaire TWN 2018, il n’a pas été tranché, la Cour ayant conclu à l’absence de consultations au sujet du droit de pêche établi des Stó:lō (mémoire des Stó:lō dans le dossier A-78-17, paragraphes 62 à 78). Par conséquent, cet argument est visé par l’ordonnance d’autorisation. Nous en sommes donc saisis à bon droit.
[251] À notre avis, la prétention des Ts’elxwéyeqw n’est pas fondée. Les consultations et la justification se déroulent à des moments différents et ont pour objet des circonstances différentes. Le cadre de consultation vise à empêcher une atteinte à des droits ancestraux, alors que l’analyse de justification intervient lorsqu’une atteinte à première vue a été démontrée. Si l’on concluait que l’obligation de consultation et d’accommodement est subordonnée à la nécessité de justifier l’atteinte à un droit ancestral, on mettrait la charrue devant les bœufs, car la première vise à prévenir la seconde. Dans l’arrêt Beckman, la Cour suprême décrit le processus de consultation comme une tentative « de prévenir de tels affrontements [si une atteinte est invoquée] en imposant aux parties une obligation de consulter et (au besoin) d’accommoder, dans des circonstances où le développement est susceptible d’avoir des conséquences importantes sur les droits ancestraux lorsque ceux-ci ont été établis » (paragraphe 53). En outre, si l’on arrivait à une conclusion différente, on obtiendrait un raisonnement circulaire, car le premier volet de l’analyse de justification consiste à décider si la Couronne s’est acquittée de son obligation procédurale de consultation et d’accommodement (Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 R.C.S. 257, paragraphe 77).
[252] Qui plus est, la Cour, dans l’arrêt Première Nation de Prophet c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 15 (Prophet River (CAF)), arrive à la conclusion que le gouverneur en conseil, lorsqu’il prend une décision en vertu du paragraphe 52(4) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52 [abrogé par L.C. 2019, ch. 28, art. 9] n’est pas investi du pouvoir de décider si les atteintes aux droits issus de traités sont justifiées. Il en est ainsi, car il « n’a pas les attributs nécessaires des organismes juridictionnels : audiences publiques, capacité d’assigner des témoins et de contraindre à la production de documents et réception des écritures de chacune des parties » (paragraphe 70).
[253] Selon les Ts’elxwéyeqw, l’arrêt Prophet River (CAF) ne répond pas à la question qui est soulevée en l’espèce, soit celle de savoir si l’analyse de justification fait partie de l’obligation de consultation et d’accommodement, et donc de savoir si le défaut de la Couronne en la matière constitue un manquement à cette obligation. Nous sommes du même avis. Cependant, le raisonnement énoncé dans l’arrêt Prophet River (CAF) étaye la conclusion précédente. Si l’on accepte qu’il faille se prononcer sur les droits issus de traités (ou les droits ancestraux établis, assimilés aux droits issus de traités à cet égard) ou les droits ancestraux revendiqués chaque fois qu’une atteinte à ces droits est soulevée au cours du processus de consultations et d’accommodement, on reviendrait à la jurisprudence qui avait cours avant l’arrêt Nation haïda, qui a mené à des litiges complexes et interminables (Prophet River (CAF), paragraphes 36 et 57). C’était précisément le problème auquel l’arrêt Nation haïda était censé remédier en indiquant expressément que les négociations — avant l’atteinte — sont le meilleur moyen de concilier les intérêts des groupes autochtones et de la Couronne (Prophet River (CAF), paragraphe 57).
[254] En fin de compte, les Ts’elxwéyeqw n’ont pas démontré que le Canada avait manqué à son obligation de consultation et d’accommodement au cours de la nouvelle série de consultations.
V. Dispositif
[255] Pour les motifs qui précèdent, les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées avec dépens en faveur des défendeurs.
[1] Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá:y Village, Soowahlie, Première nation Squiala, Tzeachten et Yakweakwioose.