IMM-977-19
2020 CF 97
Marie Luna Celestin (demanderesse)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Celestin c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Pamel—Montréal, 11 septembre et 21 octobre 2019; Ottawa, 22 janvier 2020.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) — Selon la SPR, la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié ni de personne à protéger au Canada en vertu des art. 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention) et 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi), parce qu’elle avait tous les droits et toutes les obligations attachés à la possession de la nationalité brésilienne — Conséquemment, la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger selon les art. 96 et 97 de la Loi — La demanderesse, citoyenne haïtienne, s’était installée au Brésil pour plusieurs années avant de franchir la frontière canadienne — Elle a rempli un formulaire de fondement de demande d’asile indiquant qu’elle craignait subir un préjudice grave en Haïti et qu’elle avait été victime de discrimination au Brésil équivalent à de la persécution — Le défendeur a indiqué que la demanderesse devait être exclue de la protection accordée par le Canada aux réfugiés en raison de son statut de résidente permanente au Brésil — La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, concluant que la demanderesse possédait le statut de résidente permanente du Brésil qui lui conférait essentiellement les mêmes droits que les ressortissants brésiliens — Elle a ensuite analysé la crainte de persécution ou de préjudice dans l’esprit de la demanderesse advenant son renvoi au Brésil, en vue de déterminer si l’art. 97(1) de la Loi trouvait application en l’espèce mais a conclu que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer que les attitudes racistes au Brésil équivalaient à de la persécution — La SAR a confirmé la décision de la SPR et a également conclu que la preuve déposée par la demanderesse ne permettait pas de conclure qu’elle serait victime de persécution personnalisée advenant son renvoi au Brésil — Il s’agissait de déterminer si la SAR a commis une erreur révisable en concluant que la demanderesse était visée par l’art. 1E de la Convention et si la SAR a commis une erreur en procédant à une analyse de la persécution (en vertu de l’art. 96 de la Loi) et du risque de préjudice sérieux (en vertu de l’art. 97(1)b) de la Loi) après avoir conclu que la demanderesse était visée par l’art. 1E de la Convention — Selon l’arrêt Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), il fallait d’abord se demander si le demandeur a dans le tiers pays un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays — Le défendeur s’est acquitté du fardeau de démontrer une preuve prima facie du statut de la demanderesse au Brésil — Le fardeau de la preuve passait alors à la demanderesse — Celle-ci n’a pas réussi à démontrer qu’elle n’était pas résidante permanente au Brésil ou que l’État brésilien ne lui conférait pas tous les droits et obligations attachés à la possession de la nationalité brésilienne — Il n’y avait rien de déraisonnable dans la décision de la SAR sur cette question — L’exclusion codifiée à l’art. 1E de la Convention s’appliquait donc et l’analyse fondée sur l’art. 1E devait s’arrêter là — Par application de l’art. 98 de la Loi, la demanderesse ne bénéficiait pas de la protection de la Loi dans le cadre des décisions de la SPR et de la SAR — Quant à la raisonnabilité de l’analyse de la crainte de persécution et du risque de préjudice sérieux par rapport au pays de résidence, l’analyse effectuée par la SAR était déraisonnable parce qu’elle ne répondait pas adéquatement à tous les éléments de preuve liés à la crainte de persécution — Le défaut de la SAR de s’acquitter de son obligation de tirer des conclusions de fait sur des enjeux importants constituait une erreur susceptible de révision dans l’appréciation des faits — Elle a aussi omis de fournir une explication pour les lacunes de son analyse — À elles seules, ces erreurs étaient susceptibles de contrôle judiciaire — Cependant, l’intervention judiciaire était inappropriée en l’espèce parce que l’analyse portant sur le Brésil était inutile et non déterminante — La SAR s’est penchée sur l’analyse du risque de persécution effectuée par la SPR; elle a fait référence à l’art. 97 de la Loi et a fait allusion au critère du risque de persécution reconnu à l’art. 96 pour encadrer son analyse concernant le pays de résidence de la demanderesse — Il ne faut pas se référer aux art. 96 et 97 lorsqu’il s’agit de déterminer si un demandeur d’asile est visé par le premier volet du critère établi dans l’arrêt Zeng — Une telle analyse n’est pas pertinente puisque les critères des art. 96 et 97 de la Loi font référence uniquement au pays dont une personne a la nationalité et au pays dans lequel elle a sa résidence habituelle, dans le cas de personnes sans nationalité — En supposant qu’une analyse des risques soit même nécessaire, la SAR a effectué l’analyse appropriée — L’art. 1E ne doit pas être interprété de manière à supprimer complètement l’analyse du risque de persécution appliquée en droit canadien — Les exclusions incorporées à l’art. 98 s’appliquent uniquement dans des circonstances particulières — Le défendeur n’a pas convaincu la Cour qu’il existait un fondement juridique pour l’analyse du risque par la SPR et la SAR en ce qui concerne le pays de résidence une fois que ces tribunaux ont déterminé que le demandeur d’asile est visé par l’art. 1E de la Convention — Le bon moment pour effectuer l’analyse du risque est au stade de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) — Les modifications apportées à l’art. 112 de la Loi prouvent que le législateur avait l’intention d’assurer la tenue d’une analyse du risque à l’étape de l’ERAR — En intégrant une analyse du risque basée sur les art. 96 et 97 sous la rubrique de l’analyse effectuée en application de l’art. 1E, la SAR a tenté de modifier l’interprétation du texte des art. 96 et 97 ainsi que le critère établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zeng — Une telle analyse était inutile puisque la SAR n’était même pas tenue de l’effectuer — Cependant, l’intervention de la Cour n’était pas justifiée dans le présent dossier puisque l’analyse effectuée par la SAR était sans importance — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR). Selon la SPR, la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié ni de personne à protéger au Canada en vertu des articles 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention) et 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi), parce qu’elle avait tous les droits et toutes les obligations attachés à la possession de la nationalité brésilienne. Conséquemment, la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi. Les deux parties demandaient des précisions sur les critères applicables à l’analyse de l’article 1E de la Convention et de l’article 98 de la Loi. La demanderesse affirmait avoir fait tout son possible pour remplir les conditions lui permettant de renverser la présomption prima facie de résidence permanente du Brésil et demandait des précisions quant à ces conditions. Elle admettait qu’il existait une preuve prima facie qu’elle avait le statut de résidente permanente au Brésil, mais elle contestait le poids de cette preuve. Pour sa part, le défendeur demandait à cette Cour de mettre fin au débat portant sur la question de savoir si la SPR et la SAR doivent analyser la crainte de persécution de la demanderesse du statut de réfugié ou le risque de préjudice auquel elle est exposée, dans le pays de résidence, avant ou après avoir décidé si la demanderesse est visée par l’article 1E de la Convention à l’étape du premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration).
La demanderesse est une citoyenne haïtienne et la mère d’un jeune garçon. En Haïti, elle travaillait comme commerçante et a vécu beaucoup de problèmes conjugaux. La demanderesse s’est enfuie d’Haïti et s’est installée au Brésil pour plusieurs années. Plus tard, elle est arrivée aux États-Unis et y est restée jusqu’à ce qu’elle franchisse la frontière canadienne. La demanderesse a rempli un formulaire de fondement de demande d’asile (FDA) indiquant qu’elle craignait de subir un préjudice grave en Haïti et y a relaté des événements violents et de nature criminelle concernant son époux. Dans ce même FDA, la demanderesse a indiqué qu’elle aurait vécu une vie de misère et de discrimination au Brésil équivalant à de la persécution. Plus tard, le défendeur est intervenu et a indiqué, dans ses observations, que la demanderesse devait être exclue de la protection accordée par le Canada aux réfugiés en raison de son statut de résidente permanente au Brésil.
Lors d’audiences sur la demande d’asile de la demanderesse, la SPR a questionné la demanderesse sur son statut au Brésil. La demanderesse a répondu qu’elle avait le statut désigné sous le nom de « protocole » qu’elle devait renouveler chaque année. Le tribunal a alors informé la demanderesse qu’il était convaincu qu’une preuve prima facie lui avait été présenté qu’elle avait le statut de résidente permanente au Brésil. Les choses se sont embrouillées quelque peu par la suite. La demanderesse a affirmé qu’elle n’avait pas obtenu la résidence permanente au Brésil. Elle a indiqué en particulier qu’elle avait été victime de harcèlement sexuel et d’extorsion par les policiers brésiliens. La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, concluant que la demanderesse possédait le statut de résidente permanente du Brésil qui lui conférait essentiellement les mêmes droits que les ressortissants brésiliens. La SPR a ensuite analysé la crainte de persécution ou de préjudice dans l’esprit de la demanderesse advenant son renvoi au Brésil, en vue de déterminer si le paragraphe 97(1) de la Loi trouvait application en l’espèce mais a conclu que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer que les attitudes racistes au Brésil équivalaient à de la persécution. La SAR a confirmé la décision de la SPR et a également conclu que la preuve déposée par la demanderesse ne permettait pas de conclure qu’elle serait victime de persécution personnalisée advenant son renvoi au Brésil. Elle a conclu que la demanderesse n’a pas établi l’existence d’un risque sérieux de persécution et n’a pas convaincu la SAR qu’elle était une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi.
Il s’agissait de déterminer si la SAR a commis une erreur révisable en concluant que la demanderesse était visée par l’article 1E de la Convention et si la SAR a commis une erreur en procédant à une analyse de la persécution (en vertu de l’article 96 de la Loi) et du risque de préjudice sérieux (en vertu de l’alinéa 97(1)b) de la Loi) après avoir conclu que la demanderesse était visée par l’article 1E de la Convention.
Jugement : la demande doit être rejetée.
Dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale a établi un critère, qui comprend trois volets, servant de point de départ à toute l’analyse de l’article 1E de la Convention. Il faut d’abord se demander si le demandeur a dans le tiers pays un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays. La demanderesse a admis que les éléments de preuve soumis constituaient une preuve prima facie du statut de résident permanent. Quant à lui, le défendeur s’est acquitté du fardeau de démontrer que la demanderesse avait, à première vue, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants du pays visé par l’article 1E de la Convention. Ces éléments étaient suffisants pour constituer une preuve prima facie du statut de la demanderesse au Brésil et pour déplacer le fardeau de la preuve sur les épaules de la demanderesse. La demanderesse n’est pas parvenue à s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombait de démontrer qu’elle n’était pas résidante permanente au Brésil ou que l’État brésilien ne lui conférait pas tous les droits et obligations attachés à la possession de la nationalité brésilienne. Dans les circonstances, il n’y avait rien de déraisonnable dans la décision de la SAR sur cette question, soit que la demanderesse avait un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants du Brésil. L’exclusion codifiée à l’article 1E de la Convention s’appliquait donc et l’analyse fondée sur l’article 1E devait s’arrêter au premier volet. Par application de l’article 98 de la Loi, la demanderesse ne bénéficiait pas de la protection de la Loi dans le cadre des décisions de la SPR et de la SAR.
Quant à la raisonnabilité de l’analyse de la crainte de persécution et du risque de préjudice sérieux par rapport au pays de résidence, l’analyse effectuée par la SAR était déraisonnable parce qu’elle ne répondait pas adéquatement à tous les éléments de preuve liés à sa crainte de persécution. Le défaut de la SAR de s’acquitter de son obligation de tirer des conclusions de fait sur des enjeux important constituait une erreur susceptible de révision dans l’appréciation des faits. De plus, la SAR a omis de fournir une explication pour les lacunes de son analyse. À elles seules, ces erreurs étaient susceptibles de contrôle judiciaire. Cependant, l’intervention judiciaire était inappropriée en l’espèce parce que l’analyse portant sur le Brésil était inutile et non déterminante.
Après avoir conclu que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir qu’elle n’avait pas le statut de résidente permanente, la SAR s’est penchée sur l’analyse du risque de persécution effectuée par la SPR. La SAR a fait référence à l’article 97 de la Loi et a fait allusion au critère du risque de persécution reconnu à l’article 96 pour encadrer son analyse concernant le pays de résidence de la demanderesse. Dans les motifs de la SAR, cette analyse du risque s’est présentée comme une composante de l’article 1E de la Convention. Il ne faut pas se référer aux articles 96 et 97 lorsqu’il s’agit de déterminer si un demandeur d’asile est visé par le premier volet du critère établi dans l’arrêt Zeng. Une telle analyse n’est pas pertinente puisque les critères des articles 96 et 97 de la Loi font référence uniquement au pays dont une personne a la nationalité et au pays dans lequel elle a sa résidence habituelle, dans le cas de personnes sans nationalité. En supposant qu’une analyse des risques soit même nécessaire, abstraction faite de la référence aux articles 96 et 97, la SAR a effectué l’analyse appropriée, car elle s’est concentrée sur les risques auxquels la demanderesse était exposée au Brésil, et qui étaient de nature similaire à ceux prévus par les articles 96 et 97 de la Loi.
La nature de l’article 1E de la Convention et de l’article 98 de la Loi a été examinée. La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont statué que l’article 98 de la Loi incorpore par renvoi les articles 1E et 1F de la Convention dans le droit canadien. L’article 1E ne doit pas être interprété de manière à supprimer complètement l’analyse du risque de persécution appliquée en droit canadien. Cette dernière interprétation serait contraire à la présomption voulant que le droit intérieur canadien soit conforme au droit international. Puisqu’en suivant le sens ordinaire des articles 1E de la Convention et 98 de la Loi, il n’est pas question dans ces articles d’une analyse du risque, les tribunaux devraient se méfier d’une interprétation qui irait à l’encontre de l’objet de ces dispositions. C’est pour cette raison que les exclusions incorporées à l’article 98 s’appliquent uniquement lorsqu’il existe des « motifs sérieux de croire que la personne en cause a commis un ou plusieurs des actes énumérés aux sections E et F de l’article premier de la Convention ». Par ailleurs, le défendeur n’a pas convaincu la Cour qu’il existe un fondement juridique pour l’analyse du risque par la SPR et la SAR en ce qui concerne le pays de résidence une fois que ces tribunaux ont déterminé que le demandeur d’asile est visé par l’article 1E. Le Parlement ou la Cour d’appel fédérale peuvent régler cette question. Le bon moment pour effectuer l’analyse du risque est au stade de l’examen des risques avant renvoi (ERAR). En effet, en 2012, le Parlement est intervenu pour régler une question qui était précédemment non réglée concernant le processus d’ERAR une fois que la SPR avait refusé l’asile à une personne en vertu de l’article 1E de la Convention. Il a modifié l’article 112 de la Loi. En 2019, d’autres modifications ont été effectuées à ce texte législatif. À la suite de ces modifications, les demandeurs d’asile visés par l’article 1E qui se présentent devant la SPR auront maintenant accès au mécanisme de l’ERAR. L’asile peut être conféré au demandeur d’asile qui a été visé par l’exclusion de l’article 1E devant un tribunal antérieur (alinéa 114(1)a) de la Loi).
En résumé, les modifications apportées à l’article 112 de la Loi prouvent que le législateur avait l’intention d’assurer la tenue d’une analyse du risque à l’étape de l’ERAR. La reconnaissance que cette analyse du risque est nécessaire est conforme aux obligations en droit international du Canada et donne lieu à une analyse plus approfondie du dossier qui est plus adaptée aux véritables risques liés au renvoi. Cette analyse devrait avoir lieu pour les demandeurs d’asile qui sont visés par l’article 1E, mais qui n’ont pas eu le bénéfice d’une analyse du risque devant la SPR et la SAR. En intégrant une analyse du risque basée sur les articles 96 et 97 sous la rubrique de l’analyse effectuée en application de l’article 1E, la SAR a tenté de modifier l’interprétation du texte des articles 96 et 97 ainsi que le critère établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zeng. La SAR n’a pas précisé de bons fondements juridiques pour justifier une telle analyse. Une telle analyse était inutile puisque la SAR n’était même pas tenue de l’effectuer. Cependant, l’intervention de la Cour n’était pas justifiée dans le présent dossier puisque l’analyse effectuée par la SAR était sans importance.
Une question concernant la considération de la crainte ou le risque soulevé par un demandeur d’asile dans son pays de résidence avant son exclusion a été certifiée.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(2), 74d), 96, 97, 98, 99–111.1, 112–116.
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, 189 R.T.N.U. 137, art. 1E, 1F.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 118, [2011] 4 R.C.F. 3; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; Rrotaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 292.
DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :
Kroon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 11 (QL) (1re inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Shamlou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1537 (1re inst.); Mojahed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 690; Romelus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 172; Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, 1998 CanLII 778; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 75, [2010] 3 R.C.F. 347; Constant c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 990; Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 1993 CanLII 105; Omar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 458; Jean c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 242; Parshottam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 355, [2009] 3 R.C.F. 527; Farah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 292, [2018] 1 R.C.F. 473.
DÉCISIONS CITÉES :
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Choovak, 2002 CFPI 573; Vifansi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 284, [2003] A.C.F. no 397 (QL); Mahdi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1691 (QL) (1re inst.); Xu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 639; Molano Fonnoll c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1461; Fleurant c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 754; Mai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 192; Majebi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274; Mikelaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 902; Ramirez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 241; Noel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1062; Shahpari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7678 (C.F. 1re inst.); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tajdini, 2007 CF 227; Hussein Ramadan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1093; Dieng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 450; Milfort-Laguere c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1361; Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 646 1994 CanLII 3486 (C.A.); Simolia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1336; Feboke c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 855; Colmo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 931; Magonza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44; Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281; Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34, [2020] 1 R.C.F. 699; Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 R.C.F. 304; Jung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 464; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704; Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 R.C.F. 164; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 436, [2009] 1 R.C.F. 605, conf. par 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CanLII 699; Ramanathan c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 834; Su c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1052; Desir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1164; Ramirez-Osorio c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 461; Tresalus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 173; Fleurisca c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 810; Tshiendela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 344; Occean c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1234; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385; Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, [2009] 2 R.C.F. 52; Mariyanayagam c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 1281; Raincoast Conservation Foundation c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 259; Griffiths c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 434; Moba c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 662; Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89; Augustin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1232; Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 841; Gao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 202; Eymard Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68; Nguesso c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 145.
DOCTRINE CITÉE
Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La jurisprudence sur la définition de réfugié au sens de la Convention, section 10.1.7. « Crainte d’être persécuté et protection de l’État dans le pays visé à la section E de l’article premier », mise à jour octobre 2019.
Hathaway, James et Michelle Foster. The Law of Refugee Status, 2e éd. Cambridge (R.-U.) : Cambridge University Press, 2014.
Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. « Principes directeurs sur la protection internationale : Application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés », HCR/GIP/03/05, 4 septembre 2003.
Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. UNHCR Note on the Interpretation of Article 1E of the 1951 Convention relating to the Status of Refugees, mars 2009.
Waldman, Lorne. Immigration Law and Practice, 2e éd. feuilles mobiles, Markham, Ont. : LexisNexis Canada, 2005.
Waldman, Lorne. The Definition of Convention Refugee, 2e éd. Toronto : LexisNexis Canada, 2019.
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (X (Re), 2018 CanLII 143844) de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés, selon laquelle la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié ni de personne à protéger au Canada en vertu des articles 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.
ONT COMPARU :
Cristian E. Roa-Riveras pour la demanderesse.
Daniel Latulippe pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Cristian E. Roa-Riveras, Montréal, pour la défenderesse.
La sous-procureure général du Canada pour le défendeur.
Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par
Le juge Pamel :
I. Nature de l’affaire
[1] Dans la présente affaire, les deux parties demandent des précisions sur les critères applicables à l’analyse de l’article 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6,189 R.T.N.U. 137 (Convention) et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).
[2] La demanderesse demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en date du 20 décembre 2018, qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), selon laquelle la demanderesse n’a pas qualité de réfugié ni de personne à protéger au Canada en vertu des articles 1E de la Convention et 98 de la LIPR, parce qu’elle avait tous les droits et toutes les obligations attachés à la possession de la nationalité brésilienne, et n’a donc pas qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la LIPR.
[3] La demanderesse affirme avoir fait tout son possible pour remplir les conditions lui permettant de renverser la présomption prima facie de résidence permanente et demande des précisions quant à ces conditions. Elle admet qu’il existe une preuve prima facie qu’elle avait le statut de résidente permanente au Brésil, mais elle conteste le poids de cette preuve, soit l’importance accordée au fait que son nom figure sur la liste accompagnant l’Arrêté ministériel brésilien. Elle soutient que l’Arrêté ne donne que l’autorisation aux personnes inscrites sur la liste d’obtenir le statut de résident permanent.
[4] Pour sa part, le défendeur demande à cette Cour de mettre fin au débat portant sur la question de savoir si la SPR et la SAR doivent analyser la crainte de persécution de la demanderesse du statut de réfugié ou le risque de préjudice auquel elle est exposée, dans le pays de résidence, avant ou après avoir décidé si la demanderesse est visée par l’article 1E de la Convention à l’étape du premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Zeng (Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 118, [2011] 4 R.C.F. 3 (Zeng)).
[5] Dans l’hypothèse où une telle analyse du risque doit être effectuée avant de prendre une décision portant sur l’application de l’article 1E, le défendeur propose une interprétation large de l’article 98 de la LIPR par la SPR et la SAR permettant ce genre d’analyse.
[6] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les raisons qui suivent.
II. Faits
[7] La demanderesse est une citoyenne haïtienne née en 1986 et la mère d’un jeune garçon. En Haïti, elle travaillait comme commerçante. Elle allègue avoir vu son époux avec une autre femme. Elle allègue aussi qu’il lui a soutiré de l’argent de façon continuelle pendant des mois. Le 12 novembre 2012, la demanderesse aurait confronté son époux quant à son infidélité. L’époux aurait agressé la demanderesse et celle-ci aurait dû se rendre à l’hôpital pour recevoir des soins. Les policiers auraient ensuite demandé à l’époux de quitter la maison.
[8] Le 27 novembre 2012, son époux serait revenu chez elle et lui aurait demandé de l’argent. Après avoir essuyé le refus de la demanderesse, il aurait saccagé la maison. Les policiers auraient ensuite arrêté l’époux. Il aurait alors menacé la demanderesse.
[9] En décembre 2012, la demanderesse s’est enfuie d’Haïti et s’est installée au Brésil jusqu’en juillet 2016. En décembre 2016, elle est arrivée aux États-Unis et y est restée jusqu’à ce qu’elle franchisse la frontière canadienne en juillet 2017. Elle a quitté les États-Unis parce qu’elle avait peur d’être déportée par l’administration Trump.
[10] Le 25 août 2017, la demanderesse a rempli un formulaire de fondement de demande d’asile (FDA). Dans son FDA, elle y a indiqué qu’elle craignait de subir un préjudice grave en Haïti et y a relaté des événements violents et de nature criminelle concernant son époux.
[11] Dans ce même FDA, la demanderesse a indiqué qu’elle aurait vécu une vie de misère et de discrimination au Brésil équivalant à de la persécution. Au Brésil, elle se faisait souvent importuner par des policiers à la recherche d’argent ou de faveurs sexuelles. De plus, elle allègue avoir été victime de vol au Brésil au moment où elle allait envoyer de l’argent à sa fille. Elle était sans emploi au Brésil.
[12] La demanderesse allègue que son époux fait partie d’un groupe se livrant à des activités criminelles telles que l’extorsion et l’exploitation sexuelle en Haïti, et qu’il informe régulièrement sa sœur qu’il lui fera payer pour tout le mal qu’elle lui a fait. De plus, la demanderesse allègue que son époux est considéré comme étant un individu dangereux, et qu’il aurait possiblement obtenu un visa pour le Brésil. La demanderesse affirme être certaine que son époux la tuera.
[13] Le 18 décembre 2017, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté est intervenu et a indiqué, dans ses observations, que la demanderesse doit être exclue de la protection accordée par le Canada aux réfugiés en raison de son statut de résidente permanente au Brésil.
[14] La SPR a tenu deux audiences (le 8 janvier 2018 et le 24 janvier 2018) sur la demande d’asile de la demanderesse. Lors de la première audience, la SPR l’a questionné sur son statut au Brésil. La demanderesse a répondu qu’elle avait le statut désigné sous le nom de « protocole » qu’elle devait renouveler chaque année. Le tribunal a alors informé la demanderesse qu’il était convaincu qu’une preuve prima facie lui avait été présenté qu’elle avait le statut de résidente permanente au Brésil.
[15] Les choses se sont embrouillées quelque peu par la suite.
[16] La demanderesse a affirmé qu’elle n’avait pas obtenu la résidence permanente parce que son nom ne figurait pas encore sur la liste des candidats. Après avoir été interrogée à ce sujet, la demanderesse a changé son témoignage et a répondu que son nom était sur la liste, mais qu’elle n’avait pas obtenu la résidence permanente.
[17] Elle a ensuite modifié son témoignage encore une fois en affirmant qu’elle ne savait même pas que son nom figurait sur la liste. Plus tard au cours de la même audience, la demanderesse a admis qu’elle n’avait fait aucun effort afin d’obtenir la résidence permanente puisqu’elle ignorait que son nom figurait sur la liste.
[18] Son conseil a ensuite contredit ce témoignage en affirmant qu’il avait informé la demanderesse de l’existence de la liste soumise par le ministre. Puisqu’une certaine confusion régnait dans la présentation de la preuve, le tribunal a accordé une remise de l’audience afin de permettre à la demanderesse de préciser son statut d’immigration.
[19] Lors de la seconde audience, la demanderesse a déclaré qu’elle n’avait fait aucun effort supplémentaire pour préciser son statut d’immigration. Son conseil a mentionné qu’elle avait obtenu un document du consulat brésilien décrivant la procédure à suivre pour faire une vérification de son statut au Brésil.
[20] Obligée de faire face au fait qu’il existait des façons de vérifier son statut d’immigration, la demanderesse a allégué qu’elle n’avait en sa possession rien d’autre qu’une carte C.P.F. (Cadastro de Pessoas Fisicas – Enregistrement des Personnes Physiques) du Brésil. La carte donne droit aux services de transport en commun et aux soins médicaux. Cette carte n’établit pas le statut d’immigration du titulaire.
[21] Lors de cette même audience, la demanderesse a décrit plus en détail sa crainte de persécution au Brésil. Elle allègue que les Brésiliens sont racistes à l’égard des Afro-Brésiliens (ainsi que des Haïtiens) et qu’elle a été victime de vol lorsqu’elle a essayé d’envoyer des fonds à sa famille en Haïti. La demanderesse a indiqué qu’elle était victime de harcèlement sexuel et d’extorsion par les policiers brésiliens. De plus, elle a peur de retourner au Brésil après avoir appris que son époux avait obtenu un visa pour le Brésil. Cependant, elle a admis qu’elle ignore si son époux s’est même rendu au Brésil.
[22] Le 2 février 2018, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse. La SPR a conclu que la demanderesse n’a pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 98 de la LIPR. La SPR a conclu que la demanderesse possédait le statut de résidente permanente du Brésil qui lui conférait essentiellement les mêmes droits que les ressortissants brésiliens. La SPR a conclu également que la demanderesse n’a pas fait tout son possible pour vérifier son statut d’immigration au Brésil.
[23] La SPR a ensuite analysé la crainte de persécution ou de préjudice dans l’esprit de la demanderesse advenant son renvoi au Brésil, en vue de déterminer si le paragraphe 97(1) de la LIPR trouve application en l’espèce. Selon la SPR, la demanderesse n’a pas réussi à démontrer que les attitudes racistes au Brésil équivalent à de la persécution. La SPR estime que le vol dont elle a été victime est plutôt lié à la criminalité généralisée au Brésil. De plus, la SPR a conclu que les chances de la demanderesse de rencontrer son époux au Brésil sont spéculatives.
III. Décision de la SAR
[24] Devant la SAR, la demanderesse a essentiellement contesté les conclusions de la SPR.
[25] La demanderesse prétend qu’elle s’est acquittée de son fardeau de démontrer qu’elle n’était pas une résidente permanente du Brésil en communiquant avec le consulat du Brésil à Montréal, la Police fédérale du Brésil et une organisation non gouvernementale au Brésil. Dans une décision en date du 20 décembre 2018, la SAR a confirmé la décision de la SPR. Selon la SAR, le témoignage plutôt incohérent de la demanderesse sur ses démarches et une copie de la carte C.P.F. sont insuffisants pour renverser la présomption prima facie qu’elle avait le statut de résidente permanente au Brésil.
[26] Concernant la crainte de persécution au Brésil de la demanderesse, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’a pas établi qu’elle craignait d’être persécutée. La SAR a consacré 13 paragraphes à une analyse de cette crainte, après quoi elle a conclu que la demanderesse avait tous les droits et obligations associés à la nationalité brésilienne. Selon la SAR, la crainte de la demanderesse liée à l’arrivée possible de son époux au Brésil n’était pas étayée par des éléments de preuve suffisants et était donc plutôt spéculative.
[27] La SAR a également conclu que la preuve déposée par la demanderesse ne permet pas de conclure qu’elle sera victime de persécution personnalisée advenant son renvoi au Brésil. De plus, la SAR a conclu que le vol dont la demanderesse a été victime est un incident criminel isolé au Brésil. Pour ces raisons, la SAR a conclu que la demanderesse n’a pas établi l’existence d’un risque sérieux de persécution et n’a pas convaincu la SAR qu’elle est une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.
[28] La SAR n’a pas mentionné l’incident de menace proférée par des policiers brésiliens et n’a pas senti le besoin d’analyser la suffisance de la protection étatique ni la possibilité de refuge intérieur.
[29] La SAR a donc rejeté l’appel.
IV. Questions en litige
[30] Ce litige soulève deux questions :
1) Est-ce que la SAR a commis une erreur révisable en concluant que la demanderesse était visée par l’article 1E de la Convention?
2) Est-ce que la SAR a commis une erreur en procédant à une analyse de la persécution (en vertu de l’article 96 de la LIPR) et du risque de préjudice sérieux (en vertu de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR) après avoir conclu que la demanderesse était visée par l’article 1E de la Convention?
V. Norme de contrôle
[31] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, (Vavilov), la Cour suprême a établi un cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable à l’égard des décisions administratives. Sous ce cadre d’analyse, le point de départ est une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au paragraphe 23). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations : lorsqu’il existe un mécanisme d’appel prévu par la loi ou lorsque la primauté du droit commande un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov, au paragraphe 17).
[32] Cependant, en l’espèce, aucune des situations justifiant de déroger à la forte présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique. Le législateur n’a pas prévu de mécanisme d’appel pour les questions soulevées en l’espèce. La question d’interprétation des articles 1E (de la Convention), 96, 97 et 98 (de la LIPR) relève de la compétence déléguée et de l’expertise de la SAR, et n’a pas d’effets significatifs sur le système juridique dans son ensemble. Dans un tel cas, je crois que cette affaire ne soulève pas les (rares) types de questions juridiques qui justifient une norme de contrôle plus élevée (Vavilov, aux paragraphes 58–62 et 69). Alors, je conclus que la décision de l’agent d’immigration est assujettie au contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, aux paragraphes 73–142).
VI. Analyse
A. Remarques préliminaires sur le critère développé dans l’arrêt Zeng
[33] La présente affaire nous offre l’occasion d’apporter des précisions au sujet du cadre d’analyse de l’article 1E de la Convention. Dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale a établi un critère qui sert de point de départ à toute l’analyse de l’article 1E [au paragraphe 28] :
Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a‑t‑il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.
[34] Ce critère comprend trois volets. Au premier volet, il faut se demander si le demandeur a un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants du pays en question. C’est ici qu’il faut examiner si le demandeur bénéficie essentiellement des mêmes droits qu’un ressortissant du pays visé par l’article 1E de la Convention. Cette analyse concerne les droits et protections fournis par l’État visé par l’article 1E de la Convention.
[35] Dans la décision Shamlou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1537 (1re inst.) (Shamlou), au paragraphe 35), voir aussi Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Choovak, 2002 CFPI 573, aux paragraphes 31–34), notre Cour a reconnu quatre de ces droits :
a) le droit de retourner dans le pays de résidence;
b) le droit de travailler librement sans restrictions ;
c) le droit de poursuivre ses études;
d) le plein accès aux services sociaux dans le pays de résidence.
[36] Le décideur a l’obligation de déterminer si le demandeur a un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays et s’il bénéficie de chacun de ces quatre droits (Vifansi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 284, [2003] A.C.F. no 397 (QL), au paragraphe 27; Mahdi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1691 (QL) (1re inst.)).
[37] Si la réponse est affirmative, l’exclusion codifiée à l’article 1E s’applique (Zeng, au paragraphe 28). L’analyse s’arrête là.
[38] Si la réponse est négative, le décideur doit poursuivre son analyse, sinon il commet une erreur révisable (Xu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 639 (Xu), au paragraphe 44).
[39] Au deuxième volet, le décideur doit se demander si le demandeur avait perdu le statut de résident ou aurait pu l’acquérir en prenant des moyens raisonnables, mais qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, l’analyse se termine là, puisque le demandeur n’est pas exclu en vertu de l’article 1E (Molano Fonnoll c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1461, aux paragraphes 29–31). Le cas du demandeur sera ensuite examiné en se fondant sur les articles 96 et 97 de la LIPR.
[40] Si la réponse à ce deuxième volet est affirmative, le décideur doit « soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents » (Zeng, au paragraphe 28; Mojahed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 690 (Mojahed), aux paragraphes 27–28).
[41] L’évaluation de ces facteurs est effectuée au troisième volet du critère établi dans l’arrêt Zeng et doit être effectuée lorsque le demandeur a perdu son statut ou n’a pas pris les moyens d’acquérir un statut semblable aux ressortissants du pays en question.
[42] Cette analyse est appliquée de manière à remplir les fins de l’article 1E de la Convention et c’est la raison pour laquelle le Parlement a incorporé cette exception en droit canadien par le truchement de l’article 98 de la LIPR (Zeng, au paragraphe 19). Cette disposition décourage la « recherche du meilleur pays d’asile » et empêche une personne qui jouit d’une protection auxiliaire dans un pays où elle a essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants de ce pays d’obtenir le droit d’asile (Zeng, au paragraphe 1; Fleurant c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 754 (Fleurant), au paragraphe 16; Mai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 192 (Mai), au paragraphe 1).
B. Est-ce que la SAR a commis une erreur révisable en concluant, en vertu du premier volet du critère établi dans l’arrêt Zeng, que la demanderesse était une résidente permanente du Brésil?
[43] Le défendeur s’est fié sur quatre éléments comme preuve prima facie du statut de la demanderesse au Brésil. Premièrement, le nom de la demanderesse se trouve sur la liste des 43 781 ressortissants haïtiens qui se sont vus accorder la résidence permanente au Brésil en vertu d’un arrêté ministériel. Deuxièmement, en janvier 2017, environ 71 p. 100 des 43 781 Haïtiens avaient fait les démarches administratives requises pour obtenir la résidence permanente. Troisièmement, la demanderesse a vécu au Brésil pendant plus de trois ans et demi (de décembre 2012 jusqu’en juillet 2016). Quatrièmement, le défendeur affirme que l’État brésilien confère à ses résidents permanents tous les droits et obligations attachés à la possession de la nationalité dans ce pays.
[44] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SAR d’exclure la demanderesse en vertu de l’article 1E de la Convention. Selon le défendeur, la SAR avait raison de conclure qu’il existait une preuve prima facie établissant une présomption que la demanderesse était une résidente permanente du Brésil, surtout compte tenu du fait qu’elle avait résidé dans ce pays pendant plus de deux ans. Le témoignage de la demanderesse et sa carte C.P.F. ne sont pas suffisamment convaincants pour renverser cette présomption. De plus, le défendeur croit que la SAR ne s’est pas trompée en concluant que la demanderesse n’a pas effectué de démarches pour obtenir sa résidence permanente.
[45] La demanderesse allègue que la SAR a commis une erreur grave en concluant qu’elle avait le statut de résidente permanente au Brésil. Bien que la demanderesse ne conteste pas que les quatre éléments susmentionnés constituaient une preuve prima facie de sa résidence permanente, elle prétend que le fait que son nom se trouve sur la liste accompagnant l’arrêté ministériel prouve seulement qu’elle est autorisée à entamer des démarches pour obtenir la résidence permanente au Brésil, et non pas qu’elle a obtenu automatiquement la résidence brésilienne à titre de ressortissante haïtienne. De plus, la demanderesse allègue que la SAR a accordé trop de poids à cette preuve et a minimisé la preuve testimoniale et documentaire démontrant qu’elle n’a jamais eu de statut de résidente permanente au Brésil. Elle est dans le doute en ce qui concerne le fardeau de la preuve dont elle doit s’acquitter afin de réfuter la preuve prima facie présentée contre elle.
[46] Ces arguments portent sur la décision de la SAR quant au premier volet de l’analyse fondée sur le critère établi dans l’arrêt Zeng. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, le premier volet du critère établi dans l’arrêt Zeng porte sur la question de savoir si le demandeur d’asile a un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants du tiers pays. Le statut du demandeur doit être examiné en fonction du dernier jour de l’audience devant la SPR (Majebi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274 (Majebi), au paragraphe 7; Zeng, au paragraphe 16; Lorne Waldman, The Definition of Convention Refugee, 2e éd. (Toronto : LexisNexis Canada, 2019), aux pages 545 et 546) et selon la prépondérance des probabilités (Mikelaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 902 (Mikelaj), aux paragraphes 26–27; Ramirez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 241, aux paragraphes 22–24). Si la réponse à cette question est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, l’analyse se poursuit (Zeng, au paragraphe 28).
[47] Je ne suis pas d’accord avec l’argument de la demanderesse. Bien que je convienne que le fait que son nom figure sur la liste établit simplement qu’elle est autorisée à remplir les formalités administratives afin d’obtenir le statut de résidente permanente, le fait demeure que ces formalités administratives sont simples. La demanderesse admet que les éléments de preuve soumis constituent une preuve prima facie du statut de résident permanent.
[48] Le ministre a le fardeau de démontrer que le demandeur a, à première vue, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants du pays visé par l’article 1E de la Convention. En l’espèce, il s’est acquitté de la preuve qui lui incombait.
[49] Ces éléments sont suffisants pour constituer une preuve prima facie du statut de la demanderesse au Brésil et pour déplacer le fardeau de la preuve sur les épaules de la demanderesse (Noel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1062 (Noel), aux paragraphes 7 et 16–21). La demanderesse ne conteste pas cette conclusion.
[50] Une fois la preuve établie, la demanderesse est présumée détenir un statut de résidente permanente dans ce tiers pays. Il est établi dans la jurisprudence que le fardeau de la preuve passe à la demanderesse une fois que le ministre a fourni une preuve prima facie répondant au premier volet du critère établi dans l’arrêt Zeng (Shahpari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7678 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 12; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tajdini, 2007 CF 227, aux paragraphes 36 et 63; Mai, au paragraphe 34; Hussein Ramadan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1093 (Hussein Ramadan), au paragraphe 18).
[51] Il appartient alors à la demanderesse de démontrer qu’elle n’était pas résidante permanente au Brésil ou que l’État brésilien ne lui conférait pas tous les droits et obligations attachés à la possession de la nationalité brésilienne.
[52] Toutefois, le statut de la demanderesse semble être ambigu. Dans sa demande d’asile, la demanderesse a affirmé qu’elle était une résidente temporaire pendant son séjour au Brésil. Cependant, devant la SPR, la demanderesse a prétendu avoir un statut désigné sous le nom de « protocole ». Elle n’a jamais présenté de pièce d’identité établissant ce statut. Lors de sa première audience devant le tribunal, la demanderesse a admis n’avoir fait aucun effort afin d’obtenir la résidence permanente, puisqu’elle ignorait que son nom était sur la liste. Le tribunal a accordé à la demanderesse une remise de l’audience (de plus de deux semaines) après un embrouillamini au cours duquel le conseil de la demanderesse a contredit le témoignage de celle-ci en affirmant qu’il avait informé la demanderesse de l’existence de la liste soumise par le ministre. Lors de la seconde audience, la demanderesse a déposé en preuve sa carte C.P.F. du Brésil, une carte qui n’indique pas son statut d’immigration. Lors de cette même audience, la demanderesse a indiqué qu’elle avait obtenu un document du consulat brésilien décrivant la procédure à suivre pour faire une vérification de statut. La demanderesse a précisé qu’elle n’a pas effectué de démarches auprès du Brésil après que la SPR a rendu sa décision. Dans son mémoire, la demanderesse affirme qu’elle ne connaît pas son statut au Brésil.
[53] La preuve de la demanderesse vacille entre la certitude (résidence temporaire, statut « protocole ») et l’incertitude. La demanderesse n’a pas allégué que l’État brésilien a refusé de lui accorder des droits et une protection, que ce soit en matière de soins de la santé, d’éducation, de services gouvernementaux ou de prévoyance sociale (les droits et obligations énumérés dans la décision Shamlou) ou elle a été incapable d’en faire la preuve. De plus, la demanderesse n’a fait que de faibles efforts pour obtenir des précisions sur son statut au Brésil, où elle a vécu pendant plus de trois ans.
[54] La demanderesse n’est pas parvenue à s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombait (Dieng c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 450, aux paragraphes 23–34). Dans les circonstances, je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de la SAR sur cette question.
[55] Alors, on doit répondre par l’affirmative à la première question faisant partie du critère établi dans l’arrêt Zeng. Puisque la réponse est affirmative, l’exclusion codifiée à l’article 1E de la Convention s’applique et l’analyse fondée sur l’article 1E doit s’arrêter au premier volet (Zeng, au paragraphe 28). Par application de l’article 98, la demanderesse ne bénéficiait pas de la protection de la LIPR dans le cadre des décisions de la SPR et de la SAR.
C. La raisonnabilité de l’analyse de la crainte de persécution et du risque de préjudice sérieux par rapport au pays de résidence
[56] La demanderesse fait valoir qu’outre les risques inhérents au Brésil, la SAR aurait dû analyser les risques inhérents à Haïti.
[57] Je ne suis pas d’accord. Bien qu’il puisse être utile de procéder à une analyse des risques courus dans le pays dont elle est citoyenne afin d’éviter d’avoir à renvoyer la question à la SAR à un stade ultérieur, cette analyse ne devient nécessaire que lors de la troisième étape du critère établi dans l’arrêt Zeng. En supposant qu’il existe une évaluation des risques à entreprendre dans le contexte d’une exclusion fondée sur l’article 1E, le seul pays pertinent est le pays de résidence (Milfort-Laguere c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1361; Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 646, 1994 CanLII 3486 (C.A.); Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, 2e éd. (feuilles mobiles), au paragraphe 8.518.1).
[58] La demanderesse prétend que l’analyse effectuée par la SAR sur la crainte de persécution au Brésil est trop hâtive et ne tient pas compte de l’ensemble de la preuve au dossier. En appel, la demanderesse a allégué que la SPR ne l’avait pas interrogée sur tous les éléments de preuve liés à sa crainte de persécution au Brésil.
[59] Je suis d’accord avec la demanderesse que l’analyse effectuée par la SAR est déraisonnable parce qu’elle ne répond pas adéquatement à tous les éléments de preuve liés à sa crainte de persécution.
[60] Après avoir conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau d’établir qu’elle n’avait pas le statut de résidente permanente, la SAR s’est penchée sur l’analyse du risque de persécution effectuée par la SPR. La crainte de persécution de la demanderesse semble être l’un des enjeux fondamentaux dans cette affaire. À ce sujet, la demanderesse a évoqué quatre craintes de persécution par rapport à son pays de résidence.
[61] Premièrement, la demanderesse a évoqué une crainte de faire face à son époux qui aurait apparemment reçu un visa pour le Brésil. La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle cette allégation manquait de cohérence et de fondement. Lors de l’audience, la demanderesse avait témoigné que son époux se trouve toujours en Haïti, mais qu’elle craignait qu’il se rende au Brésil et la trouve. Tout comme la SPR, la SAR a conclu que la demanderesse n’a pas démontré que l’époux avait l’intention et les moyens de se rendre au Brésil. Cette conclusion n’est pas déraisonnable.
[62] Deuxièmement, la demanderesse avait allégué qu’elle courrait un risque de persécution en raison du climat généralisé de racisme contre les Afro-Brésiliens au Brésil. Tout comme la SPR, la SAR a conclu que la preuve déposée par la demanderesse n’établit pas qu’il y a une violation systématique des droits de la personne au Brésil. Encore une fois, il n’y a rien de déraisonnable dans cette conclusion (Noel, au paragraphe 30; Simolia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1336, aux paragraphes 26–27).
[63] Cependant, l’analyse des deux craintes suivantes pose problème.
[64] Troisièmement, la demanderesse a indiqué qu’elle était victime de harcèlement sexuel et d’extorsion par les policiers brésiliens. La SAR n’a pas effectué une analyse de la crainte de persécution concernant le harcèlement sexuel et l’extorsion de la part des policiers brésiliens. Dans son FDA, la demanderesse a indiqué qu’elle se faisait « souvent importuner [sic] par les policiers à la demande d’argent ou des faveurs sexuels [sic] quand je disais que je n’avais pas ». Il est évident que la demanderesse percevait certains policiers de l’État brésilien comme étant des agents de persécution et que cela pourrait soulever un doute sur la suffisance de la protection étatique au Brésil. Pourtant, la SAR n’a pas mentionné ce sujet dans sa décision et a même affirmé qu’il n’était pas nécessaire d’aborder les arguments de la demanderesse quant à la suffisance de la protection étatique au Brésil.
[65] Quatrièmement, la demanderesse a évoqué un vol dont elle aurait été victime au Brésil, soit le vol d’une somme qu’elle se préparait à envoyer à sa fille. Dans son FDA, la demanderesse a mentionné un vol qui aurait eu lieu en juillet 2016 au cours duquel « un homme a pointé son arme sur [elle], alors qu’un autre prenait l’argent ».
[66] Cette crainte n’a pas fait, ici non plus, l’objet d’une analyse suffisamment rigoureuse. Lors de l’audience devant la SPR, la demanderesse a témoigné qu’elle ne se sentait pas en sécurité au Brésil, invoquant à l’appui de cette allégation, le vol dont elle a été victime, la destitution de l’ancienne présidente du Brésil et le climat raciste qui régnait au Brésil. Après avoir entendu cette allégation, le membre de la SPR a posé une question à la demanderesse sur la source de ses revenus, mais ne lui a pas posé de questions sur le vol en tant tel.
[67] La SAR, pour sa part, n’a pas analysé cet incident afin de déterminer si les auteurs du vol étaient motivés par des raisons racistes ou sexistes. En revanche, la SAR, tout comme la SPR, a simplement conclu que cet incident était un incident criminel isolé dans le contexte de la criminalité élevée au Brésil. Dans le cas de la SAR, le tribunal s’est fié à la documentation du Cartable national de documentation et a conclu que le vol était un incident criminel isolé.
[68] Bref, la SAR a décidé de ne pas tenir compte de cette crainte de persécution en se fondant sur des raisons générales qui faisaient abstraction des détails du vol dont a été victime la demanderesse. Or, la SAR aurait dû analyser en détail les éléments de preuve liés au vol dont a été victime la demanderesse afin d’évaluer la suffisance de la protection accordée par l’État brésilien à la demanderesse. Compte tenu de l’importance de la décision sur « les droits et intérêts de l’individu visé », les motifs fournis par la SAR auraient dû répondre à ces « préoccupations » qui ont été soulevées par la demanderesse (Vavilov, au paragraphes 127 et 133).
[69] Le défaut de la SAR de s’acquitter de son obligation de tirer des conclusions de fait sur des enjeux important constitue une erreur susceptible de révision dans l’appréciation des faits (Vavilov, aux paragraphes 126–128; Feboke c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 855; Colmo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 931, au paragraphe 7). De plus, la SAR a omis de fournir une explication pour les lacunes de son analyse (Magonza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, au paragraphe 11).
[70] À elles seules, ces erreurs sont susceptibles de contrôle judiciaire.
[71] Cependant, l’intervention judiciaire est inappropriée en l’espèce parce que, comme je l’expliquerai, l’analyse portant sur le Brésil est inutile et non déterminante.
D. Est-ce que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a procédé à une analyse de la crainte de persécution (en vertu de l’article 96 de la LIPR) et du risque de préjudice sérieux (en vertu de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR) après avoir conclu que la demanderesse était visée par l’article 1E de la Convention?
[72] La demanderesse prétend que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a procédé à une analyse de la persécution (en vertu de l’article 96 de la LIPR) et du risque de préjudice sérieux (en vertu de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR) après avoir conclu que la demanderesse était visée par l’article 1E de la Convention. L’argument de la demanderesse est fondé principalement sur son interprétation de la décision Romelus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 172 (Romelus). Selon la demanderesse, la SAR aurait dû analyser la crainte à l’égard du pays de résidence permanente (le Brésil) avant de déclarer qu’elle est visée par l’article 1E de la Convention. Cette crainte de persécution alléguée par la demanderesse est fondée sur le climat de racisme envers les Haïtiens qui régnerait au Brésil, sur un vol et un acte d’agression dont la demanderesse aurait été victime au Brésil et sur la possibilité que son époux se trouve au Brésil.
[73] Le défendeur admet que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a fondé son analyse sur l’article 97 de la LIPR, mais indique que l’analyse était raisonnable parce que les craintes de la demanderesse n’ont pas atteint le seuil de la persécution.
1) L’analyse de la SAR
[74] Après avoir conclu que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir qu’elle n’avait pas le statut de résidente permanente, la SAR s’est penchée sur l’analyse du risque de persécution effectuée par la SPR. Après son analyse (problématique) de la crainte ressentie par la demanderesse au Brésil, la SAR a conclu que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle était exposée à un risque sérieux de persécution ou qu’elle était une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. La SAR a conclu ce qui suit aux paragraphes 41 et 43 :
À la lumière des éléments de preuve dont il vient d’être question au paragraphe 37 à 39 ci-dessus, la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que l’appelante n’a pas établi qu’elle serait exposée à une possibilité sérieuse de persécution en raison de sa race ou de sa nationalité si elle devait retourner au Brésil.
[…]
Par conséquent, je conviens avec la SPR que l’appelante n’a pas établi qu’elle serait exposée à un risque sérieux de persécution fondée sur un des motifs de la Convention ni qu’elle est une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR au Brésil.
[75] Dans ce passage, la SAR fait référence à l’article 97 de la LIPR et fait allusion au critère du risque de persécution reconnu à l’article 96 de la LIPR pour encadrer ou guider son analyse concernant le pays de résidence de la demanderesse. Dans les motifs de la SAR, cette analyse du risque est présentée comme une composante de l’article 1E de la Convention.
[76] Il ne faut pas se référer aux articles 96 et 97 lorsqu’il s’agit de déterminer si un demandeur d’asile est visé par le premier volet du critère établi dans l’arrêt Zeng. Une telle analyse n’est pas pertinente puisque les critères des articles 96 et 97 de la LIPR font référence uniquement au pays dont une personne a la nationalité et au pays dans lequel elle a sa résidence habituelle, dans le cas de personnes sans nationalité :
Définition de réfugié
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
Personne à protéger
97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
Personne à protéger
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.
[77] En supposant qu’une analyse des risques soit même nécessaire, abstraction faite de la référence aux articles 96 et 97, la SAR a effectué l’analyse appropriée, car elle s’est concentrée sur les risques auxquels la demanderesse était exposée au Brésil, et qui étaient de nature similaire à ceux prévus par les articles 96 et 97.
[78] Pour sa part, le défendeur reconnaît que son analyse de la crainte ressentie par la demanderesse au Brésil fondée sur les articles 96 et 97 de la LIPR constitue une erreur de droit étant donné que toute analyse du risque doit porter sur le pays de citoyenneté et non sur le pays de résidence. Le pays de résidence n’est mentionné nulle part dans ces articles. Le défendeur ajoute que l’ordre dans lequel le tribunal examine les droits conférés à la personne et les risques auxquels elle est exposée dans le tiers pays sont sans importance, car toutes les conditions doivent être remplies avant que la clause d’exclusion puisse s’appliquer. En supposant qu’une telle analyse soit nécessaire dans ce contexte, je suis d’accord avec le défendeur.
[79] Cependant, le défendeur souligne néanmoins qu’une telle analyse des risques est nécessaire dans le cadre de l’application de l’article 1E de la Convention et de l’article 98 de la LIPR, au même titre que les articles 96 et 97, mais sans mentionner ces articles. Il affirme que la SPR et la SAR auraient dû examiner la présence d’une crainte de persécution ou d’un risque dans le pays de résidence (le Brésil) lorsqu’elles ont été appelées à décider si un demandeur d’asile devait être exclu dans le cadre de l’application de l’article 1E de la Convention.
[80] Je ne suis pas d’accord avec le défendeur pour les raisons qui suivent.
[81] Comme nous le verrons plus tard, cette interprétation ne tient pas compte du contexte législatif de la LIPR (Vavilov, aux paragraphes 118 et 121–122; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, aux paragraphes 24–25). De plus, une telle analyse équivaut à une modification des critères énoncés dans l’arrêt Zeng (Vavilov, aux paragraphes 111–112).
E. L’interprétation de l’exclusion par application de l’article 1E [de la Convention]
[82] L’analyse inutile effectuée sous la rubrique des articles 96 et 97 de la LIPR nous donne donc l’occasion de réfléchir sur la pertinence de l’analyse du risque par rapport au pays de résidence effectuée par la SPR et la SAR. Ce faisant, ça nous donne la possibilité de nous pencher sur la nature de l’article 1E de la Convention et de l’article 98 de la LIPR.
1) Principes liés à l’interprétation des articles 98 [de la LIPR] et 1E [de la Convention]
[83] La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont statué que l’article 98 de la LIPR incorpore par renvoi les articles 1E et 1F de la Convention dans le droit canadien (Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431 (Febles), au paragraphe 11; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281 (Németh), au paragraphe 117; Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 R.C.S. 678 (Ezokola), au paragraphe 33; Zeng, au paragraphe 10; Tapambwa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 34, [2020] 1 R.C.F. 699 (Tapambwa), au paragraphe 5; Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 R.C.F. 304 (Xie), au paragraphe 35; voir aussi Jung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 464, au paragraphe 26). Cette incorporation signifie que le Parlement accepte les obligations internationales qui découlent des articles 1E et 1F de la Convention.
[84] L’incorporation de ces articles milite en faveur d’une interprétation contextuelle de l’article 98 de la LIPR qui est conforme aux principes d’interprétation modernes (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837, au paragraphe 21; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292 (Hape), aux paragraphes 53–54; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58, [2015] 3 R.C.S. 704 (B010), aux paragraphes 47–49). Ainsi, la Cour suprême a maintes fois statué que des documents d’interprétation internationaux font partie du contexte de l’article 98.
[85] À titre d’exemple, dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, 1998 CanLII 778, la Cour suprême a statué que constituait une erreur de droit le fait de rejeter « les objets et les buts du traité » « en n’accordant presque aucun poids aux indications fournies par les travaux préparatoires » (au paragraphe 55). Dans ce même arrêt, la Cour suprême s’est fiée aux travaux préparatoires, sur le Guide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR), sur des documents du Comité social du Conseil économique et social et sur plusieurs autres traités internationaux afin d’interpréter la disposition d’exclusion prévue à l’alinéa 1F(c) incorporée à l’article 98 de la LIPR (aux paragraphes 55–64).
[86] Pareillement, dans l’arrêt Ezokola, aux paragraphes 31 à 36, la Cour suprême a cité les « Principes directeurs sur la protection internationale : Application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés » HCR/GIP/03/05, 4 septembre 2003] du HCNUR et d’autres documents internationaux à l’appui de son interprétation restreinte de l’alinéa 1Fa).
[87] Conformément à cette approche contextuelle, les documents du HCNUR et la jurisprudence étrangère sont utilisés pour guider l’analyse des obligations internationales incorporées à l’article 98 (p. ex., Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2009] 4 R.C.F. 164, aux paragraphes 38–43; Febles, aux paragraphe 92 à 101 (la juge Abella, dissidente); Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 436, [2009] 1 R.C.F. 605, aux paragraphes 40–44).
[88] Une interprétation guidée par ces principes révèle que l’article 1E ne doit pas être interprété de manière à supprimer complètement l’analyse du risque de persécution appliquée en droit canadien (paragraphe 3(2) de la LIPR). Cette dernière interprétation serait contraire à la présomption voulant que le droit intérieur canadien soit conforme au droit international (Vavilov, au paragraphe 114; B010, aux paragraphes 47 à 49; Hape, aux paragraphes 53–54, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CanLII 699, au paragraphe 70; Ramanathan c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 834, au paragraphe 43).
[89] Puisqu’en suivant le sens ordinaire des articles 1E de la Convention et 98 de la LIPR, il n’est pas question dans ces articles d’une analyse du risque, les tribunaux devraient se méfier d’une interprétation qui irait à l’encontre de l’objet de ces dispositions. C’est pour cette raison que les exclusions incorporées à l’article 98 s’appliquent uniquement lorsqu’il existe des « motifs sérieux de croire que la personne en cause a commis un ou plusieurs des actes énumérés aux sections E et F de l’article premier de la Convention » (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 75, [2010] 3 R.C.F. 347 (Li), aux paragraphes 26 et 27). Sinon, une « interprétation qui souscrit aux principes d’exclusion lorsque des évaluations prospectives fondées sur des preuves prouvent des risques de renvoi, entraîne des conséquences déraisonnables ou absurdes au regard des objectifs de la LIPR » et pourrait constituer un manquement aux obligations internationales du Canada (Constant c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 990 (Constant), aux paragraphes 35 et 37).
[90] Cette interprétation trouve également un appui dans des sources doctrinales internationales. Les auteurs James Hathaway et Michelle Foster, The Law of Refugee Status, 2e éd. Cambridge (R.-U.) : Cambridge University Press, 2014 (Hathaway et Foster), à la page 509, sont d’avis que l’analyse en vertu de l’article 1E de la Convention suppose forcément une analyse de la crainte de persécution dans le pays de résidence, puisque [traduction] « [la] norme volontairement élevée [fixée par l’article 1E] requiert [...] de pouvoir être présumé détenir une nationalité de facto et être protégé contre le risque de persécution dans ce pays ». De plus, j’ajouterai que le HCNUR préconise une analyse du risque préalablement à l’application de l’article 1E (UNHCR Note on the Interpretation of Article 1E of the 1951 Convention relating to the Status of Refugees, au paragraphe 17) :
[traduction] Même si les autorités compétentes d’un pays où la personne réside peuvent considérer qu’elle a les droits et les obligations afférents à la possession de la nationalité de ce pays, ce fait n’exclut pas la possibilité que lorsque cette personne est à l’extérieur de ce pays, elle puisse néanmoins avoir une crainte fondée de persécution si elle y retourne. Le fait d’appliquer l’article 1E à une telle personne, surtout lorsqu’un ressortissant de ce pays qui est dans la même situation ne serait pas exclu de la reconnaissance en tant que réfugié, nuirait à l’objet et au but de la Convention de 1951. En conséquence, avant d’appliquer l’article 1E à une telle personne, si elle soutient une crainte de persécution ou un autre préjudice grave dans le pays de résidence, un tel argument doit être évalué vis-à-vis ce pays.
[91] Au contraire, l’article 1E devrait être interprété de façon à exclure uniquement les demandeurs d’asile qui n’ont pas véritablement besoin de la protection. Il ne faut pas oublier que les buts de l’article 1E sont de prévenir la « recherche du meilleur pays d’asile » et d’empêcher que l’asile soit accordé à une personne qui jouit d’une protection auxiliaire dans un pays où elle a essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants de ce pays (Zeng, au paragraphe 1; Fleurant, au paragraphe 16; Mai, au paragraphe 1). Cette interprétation de l’article 1E va dans le sens de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 726, 1993 CanLII 105, dans lequel la Cour suprême du Canada affirme que « [l]es revendications du statut de réfugié n’ont jamais été destinées à permettre à un demandeur de solliciter une meilleure protection que celle dont il bénéficie déjà ».
2) La mise en œuvre de l’analyse du risque
[92] Après avoir reconnu la nécessité évidente d’une analyse du risque par rapport au pays de résidence, une autre question qui s’impose est de savoir comment le Canada a décidé de mettre en œuvre une analyse du risque dans le contexte de l’application de l’article 1E. En particulier, il subsiste un certain doute quant au moment où il faut procéder à l’analyse des craintes de risques soulevées par une personne qui est autrement visée par l’article 1E (voir, « 10.1.7. Crainte d’être persécuté et protection de l’État dans le pays visé à la section E de l’article premier » dans Commission de l’immigration et du statut de réfugié, La jurisprudence sur la définition de réfugié au sens de la Convention, mise à jour en octobre 2019).
[93] L’arrêt Zeng a fourni une réponse partielle à cette question.
[94] Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’une analyse du risque (« le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine ») est une composante du troisième volet du critère établi dans l’arrêt Zeng (au paragraphe 28). Cette analyse aurait donc lieu seulement après une réponse négative à la première question. En d’autres termes, le décideur doit effectuer une analyse du risque si le demandeur « avait précédemment » le statut de résident permanent et « l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait » (Zeng, au paragraphe 28; p. ex., Zhong, aux paragraphes 29–31; Su c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1052, aux paragraphes 23 et 30–35; Desir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1164, au paragraphe 19; Noel, aux paragraphes 28–30; Ramirez-Osorio c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 461, aux paragraphes 44–48). Le défaut d’effectuer une telle analyse constitue une erreur révisable (Xu, au paragraphe 44).
[95] Par contre, la Cour d’appel fédérale n’indique pas si une analyse du risque devrait avoir lieu s’il est établi que le demandeur d’asile bénéficie d’un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays (c’est-à-dire une réponse affirmative à la première question du critère établi dans l’arrêt Zeng). Ainsi, notre Cour a soulevé la question du fondement juridique d’une telle analyse du risque (Romelus, au paragraphe 39; Constant, aux paragraphes 31–39).
[96] Dans la présente affaire, le défendeur affirme que la jurisprudence canadienne et la pratique internationale appuient une interprétation large de l’article 1E de la Convention qui inclut cette analyse du risque par la SPR et la SAR. La demanderesse n’a pas fait d’observations sur ce point.
[97] La proposition du défendeur repose essentiellement sur quatre éléments.
[98] Premièrement, le défendeur soutient que la décision Omar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 458 (Omar), fournit une base suffisante pour justifier l’analyse du risque par la SPR et la SAR. Au paragraphe 24 de cette décision, la juge Mactavish a statué que :
[…] la section 1E vise à exclure les personnes qui n’ont pas besoin de protection au titre de la Convention sur les réfugiés. Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés affirme dans sa note d’interprétation de la section 1E de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés qu’une crainte fondée de persécution dans le pays où une personne a obtenu l’asile doit être prise en considération. Cela tombe sous le sens commun. Autrement, les personnes qui sont dans la situation de M. Omar se verraient refuser l’asile au Canada, alors qu’un citoyen de l’Afrique du Sud qui serait exposé au même risque aurait droit à cette protection.
Cependant, comme l’a conclu la juge St-Louis, cette affirmation concernant le « sens commun » ne précise pas son fondement juridique (Romelus, au paragraphe 43).
[99] Deuxièmement, le défendeur affirme que la décision Jean c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 242 (Jean), offre deux moyens d’interprétation afin d’intégrer l’analyse du risque. La première intégrerait une analyse du risque à l’égard du pays de résidence dans le texte de l’article 1E et l’autre limiterait l’application de l’article 98 de la LIPR au pays de citoyenneté (Jean, aux paragraphes 26–30). Cependant, la Cour n’a pas incorporé ces modifications en effectuant une lecture large de ces dispositions et a décidé de ne pas « trancher en faveur de l’une ou l’autre de ces interprétations » (Jean, au paragraphe 31). Sans me prononcer sur leur mérite, je crois que ces modifications proposées relèvent de la compétence législative du Parlement plutôt que du pouvoir d’interprétation reconnu en common law.
[100] Troisièmement, le défendeur cite Kroon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 11 (QL) (1re inst.) (Kroon), à l’appui de la proposition selon laquelle une analyse des risques doit être effectuée par la SPR. Toutefois, la question déterminante dans la décision Kroon était de savoir si le demandeur bénéficiait en Estonie des quatre droits énoncés dans la décision Shamlou. La Cour n’avait pas établi une obligation d’effectuer une analyse du risque.
[101] J’ajouterai qu’après une lecture exhaustive de la jurisprudence de cette Cour, je n’ai pas pu identifier de fondement juridique pour une analyse du risque devant la SPR et la SAR par rapport au pays de résidence (p. ex., Tresalus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 173 (Tresalus), aux paragraphes 4–5; Fleurisca c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 810 (Fleurisca), aux paragraphes 24–26; Mikelaj, aux paragraphes 25–29; Tshiendela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 344 (Tshiendela), aux paragraphes 37–40; Occean c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1234 (Occean), aux paragraphes 38–41).
[102] Quatrièmement, le défendeur invoque la note interprétative du HCNUR et l’ouvrage de James Hathaway et de Michelle Foster pour dire qu’il serait contraire à la Convention d’ordonner le renvoi vers son pays de résidence d’une personne qui craint avec raison d’être persécutée. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, je suis d’accord avec ces sources internationales qui soulignent l’importance d’effectuer une analyse du risque avant d’ordonner le renvoi d’une personne du Canada. Cependant, aucune de ces sources ne précise le processus administratif qui doit être suivi afin de remplir cette obligation en droit international.
[103] En résumé, le défendeur ne m’a pas convaincu qu’il existe un fondement juridique pour l’analyse du risque par la SPR et la SAR en ce qui concerne le pays de résidence une fois que ces tribunaux ont déterminé que le demandeur d’asile est visé par l’article 1E [de la Convention]. Le Parlement ou la Cour d’appel fédérale peuvent régler cette question (p.ex. Li, au paragraphe 27), mais il ne convient pas à notre Cour de s’aventurer sur ce terrain et de modifier l’interprétation du texte des articles 98 [de la LIPR] et 1E [de la Convention].
3) L’analyse du risque dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi
[104] Pour les raisons qui suivent, je crois que le bon moment pour effectuer l’analyse du risque est au stade de l’examen des risques avant renvoi (ERAR). En effet, en 2012, le Parlement est intervenu pour régler une question qui était précédemment non réglée.
[105] Dans ses motifs dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale intitulé Parshottam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 355, [2009] 3 R.C.F. 527, la juge Sharlow avait souligné une question non réglée concernant le processus d’ERAR une fois que la SPR avait refusé l’asile à une personne en vertu de l’article 1E de la Convention. Je cite les passages pertinents [aux paragraphes 35 à 38] :
Selon la section E de l’article premier de la Convention et l’article 98 de la LIPR, les personnes qui y sont visées sont légalement irrecevables à présenter une demande d’asile […]
Il est généralement admis que l’exclusion prévue à la section E de l’article premier s’appliquerait à toute personne ayant le statut de résident permanent aux États-Unis qui demande l’asile au Canada à l’égard du pays de sa nationalité. Or, M. Parshottam était un résident permanent des États-Unis en février 2004 lorsqu’il est arrivé au Canada et qu’il a présenté sa demande d’asile à l’égard de l’Ouganda — il a également présenté une demande d’asile à l’égard des États-Unis, mais il a été débouté de cette demande et il n’y a pas donné suite. Rien ne permet de penser que les autorités américaines de l’immigration ont pris des mesures pour priver M. Parshottam de son statut de résident permanent des États-Unis. Ainsi, si la demande d’asile présentée par M. Parshottam à l’égard de l’Ouganda avait été jugée en février 2004, elle aurait été déclarée irrecevable par application de la section E de l’article premier de la Convention. M. Parshottam craint que, s’il est renvoyé maintenant aux États-Unis, les autorités de ce pays ne concluent qu’il a perdu son statut de résident permanent aux États-Unis et qu’il soit refoulé en Ouganda malgré le fait qu’il craint avec raison d’y être persécuté.
Il ressort du dossier que, même si les autorités américaines décident que M. Parshottam n’a plus droit au statut de résident permanent aux États-Unis, il est peu probable qu’il soit refoulé en Ouganda. Ce facteur ne doit toutefois pas nous amener à minimiser l’importance que revêt le présent appel aux yeux de M. Parshottam. Si la décision qu’a rendue l’agente d’ERAR en l’espèce est erronée en droit ou est déraisonnable, M. Parshottam aurait à tort été privé de son droit de faire valoir, au Canada, une demande d’asile potentiellement valide à l’égard de l’Ouganda. Il est évident que, sans la section E de l’article premier de la Convention, la demande d’asile présentée par M. Parshottam à l’égard de l’Ouganda aurait été accueillie sur le fond (voir les observations écrites formulées par l’agent de protection des réfugiés, dossier d’appel, vol. 2, à la page 241).
Si j’ai bien saisi la question certifiée, on cherche à savoir s’il était loisible à l’agente d’ERAR d’examiner la question de savoir si l’irrecevabilité prévue à la section E de l’article premier de la Convention était toujours en vigueur en décembre 2006 lorsque, à la veille de son renvoi aux États-Unis, M. Parshottam a présenté sa demande d’asile en vertu de l’article 112 de la LIPR. Je suis d’accord avec le juge Evans pour dire que cette question n’a pas été réglée, mais je ne suis pas d’accord pour dire qu’on doit la laisser en suspens, et ce, même si elle ne permet pas de trancher le présent appel. J’arrive à cette conclusion parce que la jurisprudence de la Cour fédérale fait état d’une certaine confusion à cet égard et qu’en certifiant cette question, le juge Mosley s’est dit d’avis qu’il s’agissait d’une question grave de portée générale.
[106] Dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale était consciente de l’incertitude qui régnait en ce qui concerne le moment approprié pour effectuer l’analyse du risque et de son effet sur la capacité du Canada de respecter les obligations que lui impose le droit international [au paragraphe 21] :
Toutefois, compte tenu des propositions qui exigent qu’une protection soit accordée aux personnes qui en ont besoin et que le Canada respecte les obligations que lui impose le droit international, le ministre reconnaît que, dans des circonstances limitées, lorsque la section 1E est appliquée à une personne qui recherche le meilleur pays d’asile et qui ne peut retourner dans le tiers pays, la possibilité existe que cette personne se voie renvoyée du Canada vers son pays d’origine sans avoir bénéficié d’une évaluation des risques. Le Canada pourrait ainsi manquer indirectement à ses obligations internationales.
[107] Dans ce même arrêt, la Cour d’appel fédérale envisage un éventuel examen de la question du risque dans le pays d’origine par un agent d’ERAR, mais conclut que la priorité doit être accordée aux articles 98 et 1E. De plus, la Cour d’appel fédérale note que le demandeur d’asile ne pourrait pas bénéficier d’un sursis de la mesure de renvoi et qu’il n’aurait pas non plus la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve après l’audition devant la SPR et la SAR [au paragraphe 22] :
Le ministre reconnaît que le processus d’ERAR ne règle pas complètement le problème. Si un agent d’ERAR conclut que la section 1E s’applique, même s’il est démontré que des risques existent, l’article 98 de la LIPR empêche que l’asile soit accordé. De plus, le demandeur ne peut bénéficier du sursis de la mesure de renvoi prévu à l’article 114 puisque la section 1E n’est pas visée au paragraphe 112(3). Bien que l’agent d’ERAR ait le pouvoir de décider que la section 1E ne s’applique pas, l’obligation de présenter de nouveaux éléments de preuve (afin qu’on puisse arriver à une telle décision) qu’établit l’alinéa 113a) est un obstacle énorme que le demandeur doit surmonter.
[108] Deux ans après l’arrêt Zeng, en 2012, le Parlement est intervenu pour régler ces lacunes dans le cadre de l’ERAR et a modifié l’article 112 de la LIPR. Parmi les modifications apportées à cet article, le Parlement a introduit le sous-alinéa 112(2)b.1)(i), qui prévoit expressément que l’interdiction de présenter une demande d’ERAR ne s’applique pas lorsque la demande de protection en tant que réfugié a été refusée par application des articles 1E et 1F de la Convention.
[109] À l’époque de la décision de la SAR, l’article 112 [mod. par L.C. 2012, ch. 17, art. 38] de la LIPR lisait comme suit :
Demande de protection
112 (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).
Exception
(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :
a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;
b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);
b.1) sous réserve du paragraphe (2.1), moins de douze mois ou, dans le cas d’un ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1), moins de trente-six mois se sont écoulés depuis le dernier rejet de sa demande d’asile — sauf s’il s’agit d’un rejet prévu au paragraphe 109(3) ou d’un rejet pour un motif prévu à la section E ou F de l’article premier de la Convention — ou le dernier prononcé du désistement ou du retrait de la demande par la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel des réfugiés;
c) sous réserve du paragraphe (2.1), moins de douze mois ou, dans le cas d’un ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1), moins de 36 mois se sont écoulés depuis, selon le cas :
(i) le rejet de sa demande de protection ou le prononcé du désistement ou du retrait de celle-ci par le ministre, en l’absence de demande d’autorisation de contrôle judiciaire,
(ii) dans tout autre cas, la dernière des éventualités ci-après à survenir :
(A) le rejet de la demande de protection ou le prononcé de son désistement ou de son retrait par le ministre ou, en cas de pluralité de rejets ou de prononcés, le plus récent à survenir,
(B) le refus de l’autorisation de contrôle judiciaire ou le rejet de la demande de contrôle judiciaire par la Cour fédérale à l’égard de la demande de protection.
d) [Abrogé, 2012, ch. 17, art. 38]
[…]
Application
(2.2) Toutefois, l’exemption ne s’applique pas aux personnes dont la demande d’asile a fait l’objet d’une décision par la Section de la protection des réfugiées ou, en cas d’appel, par la Section d’appel des réfugiés après l’entrée en vigueur de l’exemption.
Règlements
(2.3) Les règlements régissent l’application des paragraphes (2.1) et (2.2) et prévoient notamment les critères à prendre en compte en vue de l’exemption.
Restriction
(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :
a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;
b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada pour une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;
c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;
d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1). [Je souligne.]
[110] Après le 20 juin 2019, l’article 112 [mod. par L.C. 2019, ch. 29, art. 308] de la LIPR lit maintenant comme suit :
Demande de protection
112 (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).
Exception
(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :
a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;
b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);
b.1) sous réserve du paragraphe (2.1), moins de douze mois ou, dans le cas d’un ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1), moins de trente-six mois se sont écoulés depuis, selon le cas :
(i) le rejet de sa demande d’asile — sauf s’il s’agit d’un rejet prévu au paragraphe 109(3) ou d’un rejet pour un motif prévu aux sections E ou F de l’article premier de la Convention — ou le prononcé de son désistement ou de son retrait par la Section de la protection des réfugiés, en l’absence d’appel et de demande d’autorisation de contrôle judiciaire,
(ii) dans tout autre cas, la dernière des éventualités ci-après à survenir :
(A) le rejet de la demande d’asile — sauf s’il s’agit d’un rejet prévu au paragraphe 109(3) ou d’un rejet pour un motif prévu aux sections E ou F de l’article premier de la Convention — ou le prononcé de son désistement ou de son retrait par la Section de la protection des réfugiés ou, en cas de pluralité de rejets ou de prononcés, le plus récent à survenir,
B) son rejet — sauf s’il s’agit d’un rejet pour un motif prévu aux sections E ou F de l’article premier de la Convention — ou le prononcé de son désistement ou de son retrait par la Section d’appel des réfugiés ou, en cas de pluralité de rejets ou de prononcés, le plus récent à survenir,
(C) le refus de l’autorisation de contrôle judiciaire ou le rejet de la demande de contrôle judiciaire par la Cour fédérale à l’égard de la demande d’asile — sauf s’il s’agit d’un rejet de cette demande prévu au paragraphe 109(3) ou d’un rejet de celle-ci pour un motif prévu aux sections E ou F de l’article premier de la Convention;
c) sous réserve du paragraphe (2.1), moins de douze mois ou, dans le cas d’un ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109.1(1), moins de 36 mois se sont écoulés depuis, selon le cas :
(i) le rejet de sa demande de protection ou le prononcé du désistement ou du retrait de celle-ci par le ministre, en l’absence de demande d’autorisation de contrôle judiciaire,
(ii) dans tout autre cas, la dernière des éventualités ci-après à survenir :
(A) le rejet de la demande de protection ou le prononcé de son désistement ou de son retrait par le ministre ou, en cas de pluralité de rejets ou de prononcés, le plus récent à survenir,
(B) le refus de l’autorisation de contrôle judiciaire ou le rejet de la demande de contrôle judiciaire par la Cour fédérale à l’égard de la demande de protection.
d) [Abrogé, 2012, ch. 17, art. 38]
[…]
Application
(2.2) Toutefois, l’exemption ne s’applique pas aux personnes dont la demande d’asile a fait l’objet d’une décision par la Section de la protection des réfugiées ou, en cas d’appel, par la Section d’appel des réfugiés après l’entrée en vigueur de l’exemption.
Règlements
(2.3) Les règlements régissent l’application des paragraphes (2.1) et (2.2) et prévoient notamment les critères à prendre en compte en vue de l’exemption.
Restriction
(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :
a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;
b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada pour une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;
c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;
d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1). [Je souligne.]
[111] Par ces amendements, le Parlement a réglé des lacunes identifiées dans l’ancien texte législatif. À la suite de la modification, les demandeurs d’asile visés par l’article 1E qui se présentent devant la SPR auront maintenant accès au mécanisme de l’ERAR. Alors, contrairement à l’exclusion de l’article 1F (prévu à l’alinéa 112(3)c) de la LIPR; Tapambwa, aux paragraphes 34–62), l’asile peut être conféré au demandeur d’asile qui a été visé par l’exclusion de l’article 1E devant un tribunal antérieur (alinéa 114(1)a) de la LIPR). Ceci répond à l’une des lacunes identifiées dans l’arrêt Zeng.
[112] Le régime d’ERAR prévu à la section 3 de la partie 2 de la LIPR (articles 112 à 116), prévoit qu’un demandeur peut demander la protection contre le renvoi vers le pays de résidence ou le pays de citoyenneté. Ce régime est distinct du régime prévu à la section 2 de la LIPR (articles 99 à 111.1) dans lequel le demandeur présente une demande d’asile pour obtenir le statut de réfugié ou le statut de personne à protéger, qui sera évaluée par la SPR.
[113] En outre, l’alinéa b.1) du paragraphe (2) de l’article 112 prévoit expressément que l’interdiction de présenter une demande d’ERAR ne s’applique pas lorsque la demande d’asile a été rejetée en vertu de l’article 1E.
[114] Je comprends que l’alinéa 113c) dispose que l’examen d’une demande de protection en vertu du régime d’ERAR doit se fonder sur les articles 96 à 98, mais l’alinéa 112(2)b.1) serait vidé de son sens si, d’une part, il ouvrait la voie à un recours immédiat à une évaluation d’ERAR pour une demande qui était refusée en vertu de l’article 1E et que le refus deviendrait le fondement du rejet de l’examen avant renvoi.
[115] Trois autres éléments appuient l’interprétation selon laquelle l’analyse du risque devrait avoir lieu à l’étape de l’ERAR.
[116] Premièrement, les agents de l’ERAR sont les personnes les mieux placées pour effectuer l’analyse du risque. Lorsqu’un demandeur allègue une crainte de persécution ou un risque lié à son pays de résidence, l’agent de l’ERAR peut réexaminer la question de l’exclusion (Li, aux paragraphes 46–56) à la lumière des plus récents faits et inquiétudes soulevés au plus tard lors de la présentation de la demande d’ERAR. Comme l’a souligné le juge de Montigny, « [à l’étape de l’ERAR,] le choix du pays de renvoi sera plus clair et l’examen quant au risque sera effectué par des personnes ayant des connaissances spécialisées, sur la base des renseignements les plus récents » (Mojahed, au paragraphe 24).
[117] En effet, une analyse du risque à cette étape permet à l’agent de l’ERAR d’effectuer une analyse plus approfondie des risques. Contrairement à la SPR et à la SAR, l’agent de l’ERAR peut évaluer les craintes compte tenu des faits soulevés après le dernier jour de l’audience devant la SPR (Majebi, au paragraphe 7; Zeng, au paragraphe 16). Dans ce même contexte, l’agent de l’ERAR peut pondérer les risques associés au renvoi (et leur impact sur les droits reconnus par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés]) et le devoir de respecter les exigences associées au système canadien de protection des réfugiés (Xie, au paragraphe 39; Febles, aux paragraphes 67–68; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh), au paragraphe 58).
[118] Deuxièmement, la tenue d’une analyse du risque à l’étape de l’ERAR peut contraindre le Canada à se conformer à ses obligations internationales. Cette interprétation a pour effet de promouvoir les buts humanitaires de la Convention (que j’ai abordés précédemment) et assure une interprétation restreinte de l’article 1E (paragraphe 3(2) de la LIPR; Febles, au paragraphe 30; Li, aux paragraphes 26–27; Hathaway et Foster, à la page 509; [Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés] UNHCR Note on the Interpretation of Article 1E of the 1951 Convention relating to the Status of Refugees).
[119] De plus, le contexte de l’ERAR est un contexte plus approprié pour envisager les obligations internationales du Canada concernant le principe de non-refoulement (article 115 de la LIPR; Németh, au paragraphe 1; Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 10; Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, [2009] 2 R.C.F. 52, au paragraphe 37). En effectuant cette analyse, l’agent de l’ERAR s’assure qu’une personne ne sera pas renvoyée dans son pays de résidence si sa sécurité y est menacée.
[120] Troisièmement, cette interprétation est plus conforme à l’intention du législateur de rationaliser le système canadien de protection des réfugiés pour améliorer son efficacité. Le fait d’accorder aux agents de l’ERAR la capacité exclusive d’effectuer une analyse des risques permet d’éviter le dédoublement de procédures inefficaces et coûteuses. En effet, la prévention de la multiplicité de procédures était l’un des objectifs principaux des modifications en 2012, y compris l’ajout de l’alinéa 112(2)b.1) (Mariyanayagam c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 1281, aux paragraphes 3 et 8). Il n’appartient pas à cette Cour de remettre en question l’intention clairement exprimée par le législateur (Raincoast Conservation Foundation c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 259, aux paragraphes 11 et 12).
[121] Le fait que l’analyse des risques à la suite de l’exclusion du demandeur d’asile par application de l’article 1E soit effectuée au stade de l’ERAR est conforme au processus d’examen dans le contexte d’une exclusion en vertu de l’alinéa 101(1)d) de la LIPR. Dans la décision Farah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 292, [2018] 1 R.C.F. 473, le juge Southcott a déclaré ce qui suit aux paragraphes 30 à 32 :
Je souligne qu’à l’audience de la présente demande, le demandeur a fourni à la Cour une copie d’une publication du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), intitulée UNHCR Note on the Interpretation of Article 1E of the 1951 Convention relating to the Status of Refugees, daté de mars 2009 (note du HCR). L’article 1E dispose :
E Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.
Dans la copie de la note du HCR fournie à la Cour, le demandeur a mis en évidence la paragraphe 17 suivant :
[traduction]
C. CONSIDÉRATIONS EN MATIÈRE DE NON-REFOULEMENT DÉCOULANT DE L’EXCLUSION D’UNE PERSONNE FONDÉE SUR L’ARTICLE 1E DANS UN PAYS TIERS
17. Même si les autorités compétentes d’un pays où la personne réside peuvent considérer qu’elle a les droits et les obligations afférents à la possession de la nationalité de ce pays, ce fait n’exclut pas la possibilité que lorsque cette personne est à l’extérieur de ce pays, elle puisse néanmoins avoir une crainte fondée de persécution si elle y retourne. Le fait d’appliquer l’article 1E à une telle personne, surtout lorsqu’un ressortissant de ce pays qui est dans la même situation, ne serait pas exclu de la reconnaissance en tant que réfugié, minerait à l’objet et au but de la Convention de 1951. En conséquence, avant d’appliquer l’article 1E à une telle personne, si elle soutient une crainte de persécution ou un autre préjudice grave dans le pays de résidence, un tel argument doit être évalué vis-à-vis ce pays. [Note en bas de page omise.]
Ce type de publications du HCR peuvent constituer une ligne directrice utile pour interpréter les dispositions de la Convention, mais elles n’ont pas force de loi et elles ne sont pas déterminantes d’une telle interprétation (voir Fernandopulle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91, au paragraphe 17; Hernandez Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324, [2014] 2 R.C.F. 224, au paragraphe 50). Par ailleurs, autre la mise en évidence du paragraphe 17 ci-dessus par le demandeur, ni l’une ni l’autre des parties n’ont présenté des observations sur la note du HCR. Même si ce paragraphe peut appuyer l’interprétation invoquée par M. Farah de l’alinéa 101(1)d), il peut également être conforme aux considérations présentées dans ce paragraphe que le Canada pourrait tenir compte lorsqu’il évalue le risque associé au renvoi d’une personne vers son pays d’asile dans le cadre du processus de l’examen des risques avant renvoi en vertu de la LIPR. Par conséquent, surtout en l’absence d’observations particulières sur la note du HCR, je n’estime pas qu’elle constitue un fondement pour adopter l’interprétation proposée par M. Farah de l’alinéa 101(1)d).
4) Inquiétudes liées à cette interprétation du régime réglementaire de l’article 1E
[122] Selon le défendeur, il existe deux problèmes avec cette approche.
[123] Premièrement, le défendeur croit que les articles 112 et 113 de la LIPR empêchent l’agent de l’ERAR d’effectuer une analyse complète de la crainte par rapport au pays de résidence. Cependant, cette croyance n’est pas fondée. L’alinéa 113a) de la LIPR dispose qu’un demandeur d’asile peut présenter des « éléments de preuve » « qui n’étaient alors pas normalement accessibles », mais « qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet ».
[124] En d’autres termes, cette disposition permet à un demandeur d’asile de présenter toute la preuve liée à sa crainte par rapport au pays de résidence (peu importe le moment où elle a été présentée) et même de demander la tenue d’une nouvelle audience. Toute preuve de crainte de persécution dans le pays de citoyenneté ne serait pas pertinente et n’aurait pas été prise en compte dans le contexte d’une exclusion par application de l’article 1E. La preuve qui n’aurait pas pu être présentée à l’audience devant la SPR ou la SAR pourrait être présentée à un agent de l’ERAR. En effet, les demandeurs d’asile n’ont pas le fardeau de la preuve quant à une telle crainte une fois qu’ils sont exclus par application de l’article 1E devant ces tribunaux (Zeng, au paragraphe 28). Il serait déraisonnable pour un agent de l’ERAR de ne pas effectuer une analyse du risque en vertu des articles 112 et 113. Une telle analyse serait conforme à l’esprit de la règle d’exclusion prévue à l’alinéa 113a).
[125] Deuxièmement, le défendeur prétend que les articles 1E et 98 pourraient exclure la possibilité d’une analyse du risque à l’étape de l’ERAR. Une telle application de ces articles constituerait une raison de procéder à une intervention judiciaire.
[126] Selon moi, il est insensé d’interpréter les dispositions de la LIPR, d’une part, en supprimant la période de gel pour les personnes exclues en vertu de l’article 1E et, d’autre part, en empêchant l’agent de l’ERAR de tenir compte de leur exposition au risque parce qu’elles sont exclues en vertu de l’article 1E.
[127] Il serait déraisonnable qu’un agent de l’ERAR interprète les articles 1E et 98 de façon à exposer une personne à un risque (Vavilov, au paragraphe 114; Griffiths c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 434, au paragraphe 15; voir aussi dans le contexte de l’exclusion par application de l’article 1F, Moba c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 662, aux paragraphes 17 et 18). Dans une telle situation, le Canada enfreindrait ses obligations internationales en matière de non-refoulement.
[128] De plus, le renvoi d’un demandeur d’asile sans aucune analyse du risque serait possiblement contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44 (Charte)] (Suresh, aux paragraphes 113 à 128; Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, 2e éd. (feuilles mobiles), volume 1 (Toronto : LexisNexis Canada, 2019), au paragraphe 8.529.8). Il est donc évident que l’agent de l’ERAR est tenu d’analyser les craintes et les risques par rapport au pays de résidence soulevé par le demandeur d’asile. Sinon, l’agent de l’ERAR commet une erreur révisable (Vavilov, aux paragraphes 108 et 114).
F. La nécessité de l’intervention judiciaire
[129] En résumé, les modifications apportées à l’article 112 prouvent que le législateur avait l’intention d’assurer la tenue d’une analyse du risque à l’étape de l’ERAR. La reconnaissance que cette analyse du risque est nécessaire est conforme aux obligations en droit international du Canada et donne lieu à une analyse plus approfondie du dossier qui est plus adaptée aux véritables risques liés au renvoi. Cette analyse devrait avoir lieu pour les demandeurs d’asile qui sont visés par l’article 1E, mais qui n’ont pas eu le bénéfice d’une analyse du risque devant la SPR et la SAR (c’est-à-dire, les demandeurs d’asile visés par l’article 1E en raison d’une réponse affirmative au premier volet du critère établi dans l’arrêt Zeng).
[130] En intégrant une analyse du risque basée sur les articles 96 et 97 sous la rubrique de l’analyse effectuée en application de l’article 1E, la SAR a tenté de modifier l’interprétation du texte des articles 96 et 97 ainsi que le critère établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zeng (Vavilov, aux paragraphes 111–112, 114 et 122). La SAR n’a pas précisé de bons fondements juridiques pour justifier une telle analyse (Vavilov, au paragraphe 109). Une telle analyse est inutile puisque la SAR n’était même pas tenue de l’effectuer. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zeng, une réponse affirmative au premier volet entraîne l’application de l’exclusion codifiée à l’article 1E. L’analyse doit s’arrêter là (Zeng, au paragraphe 28).
[131] Cependant, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée dans le présent dossier puisque l’analyse effectuée par la SAR est sans importance. Pour des raisons d’efficacité administrative, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’ordonner le réexamen d’une décision en raison d’une erreur de droit liée à une décision qui est sans importance (Vavilov, au paragraphe 142; Maple Lodge Farms Ltd c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45, aux paragraphes 51–52). Ceci présuppose que mon interprétation du régime législatif quant à l’exclusion des demandeurs d’asile en application de l’article 1E est juste.
G. Une question à certifier
[132] Dans ce dossier, le défendeur a proposé une question pour certification :
Un décideur doit-il considérer la crainte ou le risque soulevés par un demandeur d’asile dans son pays de résidence avant de l’exclure en vertu de la Section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?
[133] À mon avis, une partie de cette question a déjà été réglée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zeng, ce qui fait qu’il ne convient pas de certifier cette question (Rrotaj c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 292 (Rrotaj), au paragraphe 6). Depuis l’arrêt Zeng, il est évident qu’une analyse de la crainte ou du risque doit être effectuée si le demandeur d’asile « avait précédemment » le statut de résident permanent et « l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait » (Zeng, au paragraphe 28).
[134] Considérant ce précédent, je reformulerai alors la question à certifier comme suit :
Si le décideur a déjà conclu que le demandeur d’asile a un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de son pays de résidence (une réponse affirmative au premier volet du critère établi dans l’arrêt Zeng), doit-il prendre en considération la crainte ou le risque soulevé par le demandeur d’asile dans son pays de résidence avant de l’exclure par l’effet combiné des articles 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?
[135] Comme la Cour d’appel fédérale l’a indiqué, une question certifiée doit avoir une « portée générale qui transcende les intérêts des parties au litige » et « elle doit avoir une incidence sur l’issue de l’appel » (alinéa 74d) de la LIPR; Rrotaj, au paragraphe 4; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28–29; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11).
[136] Concernant la première condition, je conclus que cette question a une portée générale (Constant, au paragraphe 40). Contrairement à la question soulevée dans l’arrêt Rrotaj, cette question n’a pas été réglée dans l’arrêt Zeng. De plus, dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale n’a pas abordé la question concernant la pertinence de l’ERAR dans le contexte de l’interprétation des articles 1E et 98, surtout après les amendements à la LIPR en 2012.
[137] Le fait que cette question n’a jamais été tranchée a provoqué une disparité des jugements à la Cour fédérale. Dans certaines décisions, notre Cour a accepté la raisonnabilité de l’analyse du risque après une réponse affirmative au premier volet du critère établi dans l’arrêt Zeng (p. ex., Omar, aux paragraphes 19–22, 27 et 28; Tresalus, aux paragraphes 4–6; Mikelaj, aux paragraphes 21–27; Noel, aux paragraphes 28–30; Augustin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1232, aux paragraphes 32–33; Jean, aux paragraphes 15–32; Fleurisca, aux paragraphes 23–26; Occean, aux paragraphes 37–41; Tshiendela, aux paragraphes 37–40; Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 841, aux paragraphes 21–27; Gao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 202, aux paragraphes 35–37).
[138] Dans certaines autres décisions, notre Cour s’est interrogée sur la pertinence d’une telle analyse (Romelus, aux paragraphes 36–45; Constant, aux paragraphes 31–39). Cette disparité jette le système canadien de protection de réfugiés dans un tourbillon d’incertitude quant à la démarche à suivre dans l’application de l’article 1E (e.g., « 10.1.7. Crainte d’être persécuté et protection de l’État dans le pays visé à la section E de l’article premier »).
[139] La question reformulée à certifier est donc d’une importance générale pour le système canadien de protection des réfugiés (Eymard Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68, au paragraphe 10).
[140] Je suis également convaincu que la question à certifier est déterminante en l’espèce. Pour les raisons abordées ci-dessus, j’ai conclu que l’analyse de la crainte de la demanderesse concernant le Brésil effectuée par la SAR était déraisonnable, ce qui aurait entraîné l’intervention judiciaire. Cependant, compte tenu de l’inutilité de l’analyse, l’intervention judiciaire n’est pas nécessaire. En d’autres termes, si mon interprétation du régime réglementaire lié à l’exclusion en application de l’article 1E est bonne, l’intervention judiciaire est injustifiée. Par contre, si mon interprétation est erronée en droit, l’intervention judiciaire est justifiée, puisque l’analyse effectuée par la SAR sur ce point était déraisonnable. En effet, la SAR n’a pas abordé, dans son analyse, tous les éléments de la crainte de la demanderesse concernant le Brésil.
[141] J’ajouterai que la question à certifier était une issue fondamentale à ce litige. Les deux tribunaux (SPR et SAR) ont consacré une analyse de plusieurs paragraphes à la crainte de la demanderesse concernant le Brésil et se sont fondés sur les critères établis aux articles 96 et 97 de la LIPR. Dans la présente instance, la plaidoirie des deux parties a porté sur cette question. L’intelligibilité de l’analyse de la SAR quant au risque de persécution était l’un des principaux arguments soulevés par la demanderesse. Quant à lui, le défendeur a fait deux observations écrites détaillées et a consacré la partie la plus importante de sa plaidoirie à cette question. J’ai même émis une directive pour obtenir plus de renseignements sur cette question. Je dois donc conclure que les parties ont privilégié cette question et l’ont débattue suffisamment (Nguesso c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 145, au paragraphe 21).
VII. Conclusion
[142] Pour ces motifs, l’intervention de cette Cour n’est pas nécessaire.
JUGEMENT au dossier IMM-977-19
LA COUR STATUE que :
1. La présente demande en contrôle judiciaire est rejetée.
2. La Cour certifie la question suivante :
Si le décideur a déjà conclu que le demandeur d’asile a un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de son pays de résidence (une réponse affirmative au premier volet du critère établi dans l’arrêt Zeng), doit-il prendre en considération la crainte ou le risque soulevé par le demandeur d’asile dans son pays de résidence avant de l’exclure par l’effet combiné des articles 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?