IMM-5507-19
2019 CF 1213
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeurs)
Répertorié : Nsungani c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Norris—Ottawa, Toronto et Calgary par téléconférence, 18 septembre; Ottawa, 24 septembre 2019.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de réfugiés — Requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur à l’égard du refus d’une agente d’exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de reporter son renvoi soit tranchée — Le demandeur, un citoyen de la République démocratique du Congo (RDC), a présenté une demande d’asile en 2002 — La demande d’asile a été rejetée au motif qu’elle n’avait aucun fondement crédible — Un sursis au renvoi a été inscrit au dossier — En 2010, le demandeur a fait l’objet d’un rapport au titre de l’art. 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Des dispositions ont finalement été prises pour que le demandeur soit renvoyé en décembre 2017 — Le demandeur a été arrêté et libéré à plusieurs reprises — Il a été mis en état d’arrestation après avoir été avisé que son renvoi aurait lieu à une date rapprochée, une agente de l’ASFC craignant qu’il ne se présente pas pour son renvoi — En 2019, le demandeur a obtenu un résultat positif au test de dépistage du VIH et on lui a prescrit un médicament — Il a présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire — L’agente d’application de la loi a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le demandeur serait exposé à une menace à sa vie, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en RDC — Elle a obtenu un approvisionnement de quatre mois du médicament pour le demandeur pour lui donner le temps de s’adapter en RDC — L’agente a déterminé qu’il n’y avait pas lieu de faire une exception pour le demandeur — Le demandeur a contesté la décision de l’agente pour les motifs qu’elle a commis une erreur dans son évaluation du risque et en refusant de reporter le renvoi du demandeur en attendant que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit tranchée — Il s’agissait de savoir si le demandeur a satisfait au critère justifiant d’accorder un sursis du renvoi — Le demandeur n’a pas réussi à établir de motifs de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de l’agente de refuser de reporter son renvoi — Le demandeur devait démontrer notamment que la demande de contrôle judiciaire soulevait une « question sérieuse à juger » — Il y avait peu de preuve à l’appui de ses craintes pour son bien-être personnel — En ce qui concerne la séropositivité du demandeur, il est clair que l’agente a compris la question dont elle était saisie — Le report vise à éliminer les obstacles temporaires au renvoi — Ni la séropositivité du demandeur ni son besoin de médicaments n’étaient temporaires — La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui est en suspens ne constitue pas un motif pour reporter le renvoi — L’agent peut accorder un report lorsqu’une décision sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est imminente — Le demandeur n’a pas présenté sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en temps opportun — L’agente était confrontée à une demande de report du renvoi qui était à la fois illimitée et qui dépasserait de beaucoup les limites temporelles bien établies pour de telles décisions — Ce n’est pas le rôle des agents d’application de la loi d’évaluer le bien-fondé d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire — Ils doivent néanmoins se demander s’il existe une menace qui justifie le report, mais le demandeur n’a pas établi qu’il réussirait vraisemblablement à démontrer que la conclusion de l’agente était déraisonnable — Le demandeur n’a pas satisfait au premier volet du critère permettant d’obtenir un sursis — Requête rejetée.
Il s’agissait d’une requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur à l’égard du refus d’une agente d’exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de reporter son renvoi soit tranchée.
Le demandeur, un citoyen de la République démocratique du Congo (RDC), a présenté une demande d’asile en 2002 fondée sur l’allégation selon laquelle l’un de ses frères était recherché pour le meurtre du président de la RDC. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile au motif qu’elle n’avait aucun fondement crédible. Un sursis au renvoi a été inscrit au dossier du demandeur. En 2010, le demandeur a fait l’objet d’un rapport au titre de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour grande criminalité. Il a été déclaré interdit de territoire et une mesure d’expulsion a été prise. Des dispositions ont finalement été prises pour que le demandeur soit renvoyé en décembre 2017. Ce dernier ne s’est pas présenté pour son renvoi et il a par la suite été arrêté, libéré, puis arrêté et libéré de nouveau. Après avoir avisé le demandeur que son renvoi aurait lieu à une date rapprochée, une agente de l’ASFC a eu des motifs de croire qu’il ne se présenterait pas pour son renvoi et l’a placé en état d’arrestation. Au début de 2019, le demandeur a obtenu un résultat positif au test de dépistage du VIH et on lui a prescrit un médicament antirétroviral. Il a présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire en mai 2019. L’agente d’application de la loi a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le demandeur serait exposé à une menace à sa vie, au risque d’être soumis à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en RDC. L’agente a reconnu qu’il y aurait une période d’adaptation pour le demandeur, car il aurait à trouver un fournisseur de soins médicaux en RDC, et elle a pris l’initiative d’obtenir un approvisionnement de quatre mois du médicament antirétroviral actuellement prescrit pour le demandeur. Constatant que le demandeur n’avait pas expliqué suffisamment pourquoi il n’avait pas présenté sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire plus tôt, l’agente a déterminé qu’il n’y avait pas lieu de faire une exception pour lui.
Le demandeur a contesté la décision de l’agente pour les motifs que l’agente a commis une erreur : a) dans son évaluation du risque auquel le demandeur serait exposé en RDC en tant que demandeur d’asile débouté et en tant qu’expulsé ayant un casier judiciaire; b) dans son évaluation du risque auquel le demandeur serait exposé en RDC étant donné sa séropositivité; et c) en refusant de reporter le renvoi du demandeur en attendant que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit tranchée.
Il s’agissait de savoir si le demandeur a satisfait au critère justifiant d’accorder un sursis du renvoi.
Jugement : la requête doit être rejetée.
Le demandeur n’a pas réussi à établir de motifs de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de l’agente de refuser de reporter son renvoi. Le demandeur devait démontrer que la demande de contrôle judiciaire soulevait une « question sérieuse à juger », qu’il subirait un préjudice irréparable si le sursis était refusé, et que la prépondérance des inconvénients favorisait l’octroi du sursis. Il y avait peu de preuve, voire aucune preuve, à l’appui de ses craintes pour son bien-être personnel. En ce qui concerne la séropositivité du demandeur, il est clair que l’agente a compris que la question dont elle était saisie était de savoir si le demandeur avait établi que, de façon réaliste, il ne recevrait pas les médicaments dont il avait besoin. Le report vise à éliminer les obstacles temporaires au renvoi. Ni la séropositivité du demandeur ni son besoin de médicaments n’étaient temporaires. Il ne faisait aucun doute que le diagnostic de séropositivité était une circonstance importante. Toutefois, le demandeur n’a pas réussi à démontrer que l’agente n’a pas considéré de manière raisonnable le fait qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire mettant en jeu notamment cette circonstance. Le simple fait qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit en suspens ne constitue pas un motif pour reporter le renvoi. Toutefois, l’agent peut accorder un report lorsqu’une décision sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire semble imminente. Le report peut être justifié lorsqu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été présentée en temps opportun, mais n’a pas été réglée à cause de l’arriéré du système. Le demandeur a fait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire pendant six ans et demi avant de présenter sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il n’a pas expliqué pourquoi il a finalement présenté sa demande au moment où il l’a fait. Comme le demandeur n’avait pas présenté de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire plus tôt, l’agente était confrontée à une demande de report du renvoi qui était à la fois illimitée et qui dépasserait de beaucoup les limites temporelles bien établies pour de telles décisions. Ce n’est pas le rôle des agents d’application de la loi d’évaluer le bien-fondé d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Néanmoins, ils doivent se demander s’il existe une menace grave à la vie ou à la sécurité d’une personne liée au renvoi de cette personne qui justifie le report, même si ces mêmes facteurs sont également invoqués dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur n’a pas établi qu’il réussirait vraisemblablement à démontrer qu’il était déraisonnable pour l’agente de conclure qu’il n’y avait aucune menace à sa vie ou à sa sécurité personnelle ni aucune autre considération spéciale qui justifiait le report du renvoi en attendant que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit tranchée. Le demandeur n’a pas satisfait au premier volet du critère permettant d’obtenir un sursis. Étant donné qu’il devait être satisfait aux trois volets, il n’était pas nécessaire d’aborder les deux autres.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25, 36(1), 44, 48(2), 112(1).
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 230(3)c).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1988 CanLII 1420 (C.A.F.); R. c. Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 R.C.S. 196; Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; RJR–MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Nsungani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 107; Toney c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1018.
décisions citées :
Nsungani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1172; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682; Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311; Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229; Forde c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1029; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133; Newman c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 888.
REQUÊTE en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur à l’égard du refus d’une agente d’exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada de reporter son renvoi soit tranchée. Requête rejetée.
ONT COMPARU :
Jatin Shory pour le demandeur.
Maria Green pour les défendeurs.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Shory Law, Calgary, pour le demandeur.
La sous-procureure générale du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par
Le juge Norris :
I. APERÇU
[1] Le demandeur est un citoyen de la République démocratique du Congo (RDC). Le 9 septembre 2019, exposé à un renvoi imminent vers ce pays, il a demandé le report de son renvoi (prévu à ce moment-là pour le 14 septembre 2019). Une agente d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a refusé cette demande le 10 septembre 2019. Le demandeur a signifié et déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision le 11 septembre 2019. Le 12 septembre 2019, il a signifié et déposé une requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soit tranchée. Le 13 septembre 2019, j’ai accordé un sursis interlocutoire provisoire à la mesure de renvoi pour donner aux défendeurs une possibilité équitable de répondre à la requête en sursis et pour donner à la Cour le temps de traiter la question correctement (voir [Nsungani c. Canada (Citoyenneté et Immigration)] 2019 CF 1172).
[2] Conformément à cette ordonnance, le dossier des défendeurs a été signifié et déposé le 17 septembre 2019. La requête en sursis a été entendue par téléconférence le 18 septembre 2019. J’ai mis ma décision en délibéré.
[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejette la requête.
II. LE CONTEXTE
[4] Avant d’examiner le bien-fondé de la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant que la demande de contrôle judiciaire soit tranchée, il est nécessaire de décrire le contexte de l’affaire.
[5] Le demandeur est né en RDC en août 1988. Il est arrivé au Canada en août 2002 ou vers cette date, à l’âge de 14 ans, avec son frère cadet. Bien que les circonstances dans lesquelles ils sont venus au Canada ne soient pas claires, il semble qu’un frère aîné qui s’occupait d’eux en RDC ait pris des dispositions pour qu’un tiers les amène ici. La sœur aînée du demandeur et d’autres membres de sa famille se trouvaient déjà au Canada à ce moment-là.
[6] En septembre 2002, le demandeur a présenté une demande d’asile avec sa sœur et d’autres membres de sa famille. Il semble que la demande d’asile était fondée sur l’allégation selon laquelle l’un des frères du demandeur était recherché pour le meurtre du président de la RDC, Laurent Désiré Kabila, survenu en janvier 2001. Le 5 janvier 2004, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (C.I.S.R.) a rejeté la demande d’asile au motif qu’elle n’avait aucun fondement crédible. Le même jour, un sursis au renvoi a été inscrit au dossier du demandeur, parce qu’une suspension temporaire des renvois vers la RDC était en vigueur.
[7] Le demandeur affirme avoir fréquenté une école secondaire à Toronto, mais avoir fini par abandonner ses études en 2006 ou vers cette date. Il a travaillé dans un entrepôt pendant quelques mois. Il a également trouvé du travail par l’entremise d’une agence de placement temporaire.
[8] Le 28 novembre 2007, le demandeur a plaidé coupable à une accusation de vol qualifié. Il s’est vu imposer une peine d’emprisonnement de 30 jours et une période de probation d’un an. Il avait 19 ans à l’époque. À un certain moment après sa sortie de prison, le demandeur a déménagé de Toronto à Calgary, où vivaient sa sœur aînée et son frère cadet. Il a occupé divers emplois dans cette ville.
[9] Le 4 août 2010, le demandeur a fait l’objet d’un rapport au titre de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), pour grande criminalité aux termes du paragraphe 36(1) de la LIPR, en raison de la condamnation pour vol qualifié. Le 8 février 2011, il a été déclaré interdit de territoire et une mesure d’expulsion a été prise. Le demandeur avait le droit d’interjeter appel de cette décision devant la Section d’appel de l’immigration de la C.I.S.R. (la peine qu’il avait reçue se situait bien en deçà du seuil prévu par la loi à l’époque), mais rien n’indique qu’il l’ait fait.
[10] Étant interdit de territoire pour grande criminalité, le demandeur ne bénéficiait plus de la suspension temporaire des renvois vers la RDC (voir le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, alinéa 230(3)c)). Il pouvait toutefois présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR. Le demandeur a présenté une demande d’ERAR, mais celle-ci a été refusée le 4 décembre 2012. (Les motifs de cette décision ne sont pas consignés au dossier de la requête.) Le demandeur n’a toutefois pas été renvoyé, parce que l’ASFC n’a pas été en mesure d’obtenir un titre de voyage pour lui auprès de la RDC.
[11] Des dispositions ont finalement été prises pour que le demandeur soit renvoyé le 6 décembre 2017. Le demandeur a présenté une demande de report de ce renvoi, mais celle-ci a été refusée le 1er décembre 2017. Le demandeur avait pris part à plusieurs entrevues avec l’ASFC avant le renvoi, mais il ne s’est pas présenté le 6 décembre 2017. Il a plutôt quitté Calgary pour se rendre à Toronto. Un mandat a été délivré par les autorités de l’immigration en vue de son arrestation.
[12] Bien que les détails soient sommaires, il semble que d’autres accusations criminelles portées contre le demandeur (deux chefs de voies de fait et un chef de défaut de se présenter) ont été suspendues par la Couronne vers la fin de 2017, apparemment en prévision du renvoi du demandeur du Canada.
[13] À la fin de novembre ou au début de décembre 2017, le demandeur a présenté une deuxième demande d’ERAR avec l’aide d’un avocat de Calgary. (Il semble que cette demande ait été préparée avant le départ du demandeur pour Toronto.) Il a soutenu qu’il était exposé à un risque en RDC à cause des accusations portées contre son frère, du fait qu’il avait quitté la RDC avec un faux passeport et qu’il était maintenant un demandeur d’asile débouté. La demande a été refusée en avril 2018. L’agent a conclu que les arguments avancés par le demandeur étaient largement les mêmes que ceux qui avaient été rejetés par la SPR. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait exposé à un risque s’il retournait en RDC.
[14] Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de cette décision pour plusieurs motifs. Sa demande a été rejetée par le juge Southcott le 25 janvier 2019 (Nsungani c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 107). Le juge Southcott a conclu que l’agent d’ERAR n’a pas manqué à l’équité procédurale en se fondant sur une preuve extrinsèque concernant les conditions en RDC, qu’il n’a pas commis d’erreur dans son analyse des documents sur les conditions dans le pays et qu’il n’a pas commis d’erreur en omettant d’analyser le profil de risque du demandeur en tant qu’expulsé ayant un casier judiciaire au Canada. En ce qui concerne ce dernier point, le juge Southcott a conclu que, même si l’agent n’a pas traité, dans ses motifs, de ce profil comme une composante du risque que le demandeur faisait valoir et ne l’a pas analysé expressément, rien ne lui permettait de conclure que la décision était déraisonnable. En effet, le demandeur lui-même n’avait pas présenté sa demande d’ERAR en fonction du risque découlant de sa criminalité au Canada; il s’était plutôt concentré sur ses antécédents criminels en RDC. Le juge Southcott a fait remarquer que l’agent disposait d’éléments de preuve indiquant que les rapatriés en RDC risquaient d’être persécutés en raison d’activités criminelles passées dans ce pays. L’agent s’est attardé sur la seule allégation d’activité criminelle en RDC avancée par le demandeur, à savoir qu’il avait utilisé un passeport frauduleux pour quitter le pays en 2002. De l’avis du juge Southcott, le demandeur n’avait pas réussi à démontrer que la décision de l’agent était déraisonnable. Quant à la préoccupation plus générale soulevée par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire, les éléments de preuve dont disposait l’agent indiquaient également que les rapatriés en RDC ne risquent pas réellement d’être persécutés pour cause de criminalité sauf si les actes criminels en question ont été commis en RDC.
[15] Après avoir quitté Calgary pour Toronto au lieu de se présenter en vue de son renvoi, le demandeur a réussi à vivre sans être détecté jusqu’au 5 mai 2018, date à laquelle il a attiré l’attention de la police dans le contexte d’une autre affaire. Il a été arrêté sur la base du mandat délivré par les autorités de l’immigration et est demeuré en détention jusqu’au 20 septembre 2018. Il n’a pas été renvoyé entre-temps, parce que l’ASFC n’a pas pu obtenir de visa pour les agents d’escorte.
[16] Lorsque le demandeur a été libéré, le 20 septembre 2018, il devait vivre au domicile de sa sœur et de son beau-frère à Strathmore, en Alberta. Toutefois, le 23 novembre 2018, le beau-frère du demandeur a communiqué avec l’ASFC pour l’informer que le demandeur avait quitté la résidence et qu’il n’y vivait plus depuis un certain temps. Ce jour-là, un autre mandat d’arrestation a été lancé contre le demandeur. Il a été arrêté quelques jours plus tard, le 26 novembre 2018.
[17] Le demandeur est demeuré en détention jusqu’au 30 janvier 2019, date à laquelle il a été libéré sous conditions. Mis à part le fait qu’il a omis de se présenter à une occasion, il semble que la libération du demandeur se soit déroulée sans incident. Toutefois, le 6 septembre 2019, après avoir avisé le demandeur que son renvoi aurait lieu le 14 septembre 2019, un agent de l’ASFC a eu des motifs de croire qu’il ne se présenterait pas pour son renvoi et l’a placé en état d’arrestation. La détention du demandeur a été maintenue à la suite des examens effectués par la Section de l’immigration de la C.I.S.R. Il est toujours en détention à l’heure actuelle.
[18] Au début d’avril 2019, le demandeur a obtenu un résultat positif au test de dépistage du VIH. Depuis lors, il a consulté un médecin au sujet de ce diagnostic et on lui a prescrit un médicament antirétroviral. Au début d’août 2019, le plan de traitement consistait à poursuivre le traitement antirétroviral pendant encore quatre mois, puis à réévaluer le demandeur par la suite. On s’attend à ce que le demandeur continue de prendre des médicaments antirétroviraux pour le reste de sa vie. Outre le diagnostic de séropositivité, le demandeur semble généralement en bonne santé.
[19] Le 30 mai 2019 ou vers cette date, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la LIPR. Une première décision sur l’admissibilité n’est pas attendue avant le milieu de l’année 2021 au plus tôt.
[20] Comme il a été indiqué précédemment, le 9 septembre 2019, l’avocat du demandeur a présenté une demande de report du renvoi du demandeur en RDC. La demande était étayée entre autres par des observations écrites détaillées, un affidavit du demandeur et une documentation complète sur les conditions dans le pays. Ramenée à l’essentielle, la demande de report était fondée sur deux motifs : la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en instance du demandeur et la menace à la vie et au bien-être du demandeur en RDC.
[21] Le 10 septembre 2019, une agente d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’ASFC a refusé la demande. Les motifs de la décision de l’agente sont exceptionnellement complets et détaillés.
[22] Comme je l’ai déjà indiqué, le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agente. Il demande maintenant qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant qu’une décision définitive soit rendue à l’égard de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.
III. ANALYSE
A. Le critère applicable à l’octroi d’un sursis en attendant l’issue d’une demande de contrôle judiciaire relative au refus de reporter le renvoi
[23] Une ordonnance de la Cour accordant le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi du Canada constitue une réparation extraordinaire en equity. Le critère permettant de déterminer s’il convient de rendre une telle ordonnance est bien connu. Le demandeur doit démontrer trois choses : 1) que la demande de contrôle judiciaire soulève une « question sérieuse à juger »; 2) que le demandeur subira un préjudice irréparable si le sursis est refusé; 3) que la prépondérance des inconvénients (c.-à-d. l’évaluation visant à établir quelle partie subirait le plus grand préjudice selon que le sursis est accordé ou refusé en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond) favorise l’octroi du sursis. Voir Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1988 CanLII 1420 (C.A.F.); R. c. Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 R.C.S. 196, au paragraphe 12; Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; RJR–MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 (RJR–MacDonald), à la page 334. Les trois volets du critère doivent être satisfaits pour qu’un sursis soit justifié.
[24] En ce qui concerne le premier volet du critère — la « question sérieuse à juger » — les exigences minimales ne sont pas élevées. En règle générale, il faut simplement démontrer que les questions soulevées dans la demande sous-jacente ne sont ni frivoles ni vexatoires (RJR–MacDonald, aux pages 335 et 337). Toutefois, lorsque la décision sous-jacente est la décision d’un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de refuser de reporter le renvoi, des exigences élevées s’appliquent et un examen plus approfondi du bien-fondé de l’affaire doit être entrepris. La raison en est que le sursis, s’il est accordé, a pour résultat d’accorder le redressement sollicité dans la demande sous-jacente, à savoir l’annulation du refus de reporter le renvoi. Bien que cette exigence élevée ait été exprimée de différentes façons, l’idée fondamentale est que la Cour doit être convaincue, après avoir examiné attentivement les motifs invoqués, que la demande de contrôle judiciaire sera vraisemblablement accueillie : voir Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682, au paragraphe 10; Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311 (Baron), aux paragraphes 66 et 67 (le juge Nadon, la juge Desjardins souscrivant à ses motifs) et au paragraphe 74 (le juge Blais); RJR–MacDonald, aux pages 338 et 339.
[25] Cela dit, la Cour doit être consciente que cette décision est prise dans le contexte d’une procédure interlocutoire (RJR–MacDonald, à la page 337). Bien que le demandeur doive toujours présenter ses meilleurs arguments, l’évaluation du bien-fondé de la demande sous-jacente peut être fondée sur un dossier et des observations qui ont été préparés dans des délais très serrés; l’exposé des motifs du contrôle judiciaire peut nécessairement n’être que préliminaire, et la Cour peut ne pas avoir beaucoup de temps pour réfléchir.
[26] Si le demandeur respecte les exigences élevées au premier volet du critère, il faut tenir compte des résultats prévus quant au fond lors de l’application des deuxième et troisième volets du critère (RJR–MacDonald, à la page 339). Si le demandeur ne respecte pas ces exigences, la demande de sursis peut être refusée pour ce seul motif.
[27] Lorsque la décision en litige est la décision d’un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de refuser de reporter le renvoi, la solidité des motifs de contrôle judiciaire doit être évaluée à la lumière du fait que la norme de contrôle judiciaire de la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable (Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229 (Lewis), au paragraphe 43; Forde c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1029 (Forde), au paragraphe 28). Le rôle de la cour de révision consiste à évaluer si la décision est justifiée, transparente et intelligible, et si le rejet de la demande de report du renvoi par l’agent appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits propres à la cause du demandeur et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47). La cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’agent. Il ne lui revient pas de soupeser à nouveau la preuve ou de substituer à la décision l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59 et 61).
[28] La solidité des motifs de contrôle judiciaire doit également être évaluée à la lumière du paragraphe 48(2) de la LIPR — qui prévoit qu’une mesure de renvoi exécutoire doit être « exécutée dès que possible » — et du pouvoir discrétionnaire très limité dont dispose un agent pour reporter l’exécution (Lewis, au paragraphe 54). Dans l’affaire Toney c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1018 (Toney), la juge Walker a résumé utilement la jurisprudence concernant la nature et la portée de ce pouvoir discrétionnaire (au paragraphe 50) :
1. Le pouvoir discrétionnaire que peut exercer un agent d’exécution de la loi pour reporter un renvoi est très limité et, en dernier ressort, l’agent est tenu d’exécuter la mesure de renvoi conformément au paragraphe 48(2) de la LIPR (Baron, par. 51 et 80; Lewis, par. 54; Forde, par. 36);
2. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, un agent ne peut pas reporter un renvoi à une date indéterminée (Baron, par. 80; Forde, par. 36, 37 et 43);
3. Le pouvoir discrétionnaire d’un agent n’est pas seulement limité dans le temps, mais il est également axé sur des difficultés graves à court terme liées à la sécurité d’un demandeur, à sa capacité de voyager, à des problèmes de santé réels, à une naissance ou un décès imminent et, dans le cas des enfants, d’autres facteurs comme la possibilité de terminer l’année scolaire, les dispositions qui ont été prises pour leurs soins s’ils demeurent au Canada ou le besoin de soins médicaux spéciaux au Canada (Baron, par. 51; Lewis, par. 55 et 83; Forde, par. 36). Selon le libellé souvent cité de la décision Baron (par. 50), qui régit le ton de l’examen, le report du renvoi devrait être réservé aux cas où le défaut de le faire exposerait le demandeur à « un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain »;
4. L’existence d’une demande [fondée sur des motifs d’ordre humanitaire] ou d’une demande de conjoint au Canada n’empêche pas le renvoi, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales. Le moment du dépôt et l’imminence de toute décision sur la demande sont des facteurs importants pour un agent (Baron, par. 51 et 80; Lewis, par. 55 à 58 et 80; Forde, par. 35 à 40). Comme il a été établi dans la décision Forde (par. 36), même « dans de telles “situations spéciales”, comme le montre l’analyse ci-après, il y a des limites temporelles importantes quant au pouvoir discrétionnaire de l’agent de renvoi de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi ».
[29] En outre, puisque les reports sont censés être temporaires, les considérations qui peuvent justifier un report doivent l’être également (Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133 (Shpati), au paragraphe 45; Newman c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 888 (Newman), au paragraphe 33; Forde, au paragraphe 40).
B. Application du critère
[30] L’avis de demande du demandeur jette peu de lumière sur les motifs qu’il entend invoquer dans sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agente. Ses observations écrites et orales à l’appui de la requête en sursis interlocutoire de la mesure de renvoi sont beaucoup plus utiles. Si je comprends bien sa position, le demandeur a l’intention de contester la décision de l’agente pour les trois motifs suivants :
a) l’agente a commis une erreur dans son évaluation du risque auquel le demandeur serait exposé en RDC en tant que demandeur d’asile débouté et en tant qu’expulsé ayant un casier judiciaire;
b) l’agente a commis une erreur dans son évaluation du risque auquel le demandeur serait exposé en RDC étant donné sa séropositivité;
c) l’agente a commis une erreur en refusant de reporter le renvoi du demandeur en attendant que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit tranchée.
[31] À mon avis, le demandeur n’a pas réussi à établir que l’un ou l’autre de ces motifs est susceptible d’être retenu.
[32] Tout d’abord, en ce qui concerne la question des risques auxquels le demandeur prétend qu’il serait exposé en RDC en tant que demandeur d’asile débouté et en tant qu’expulsé ayant un casier judiciaire, comme l’agente l’a constaté, ces risques sont largement les mêmes que ceux sur lesquels il s’est fondé dans la deuxième demande d’ERAR. Cette demande a été rejetée et la décision de l’agent d’ERAR a été confirmée à la suite d’un contrôle judiciaire. Bien que l’observation relative au statut d’expulsé ayant un casier judiciaire ait été formulée plus clairement ici que dans la demande d’ERAR antérieure, il n’en demeure pas moins qu’il y a peu de preuve, voire aucune preuve, à l’appui de ses craintes pour son bien-être personnel à cet égard.
[33] L’agente a fait remarquer que le demandeur avait fourni plusieurs documents démontrant que la RDC est actuellement agitée par des troubles. L’agente n’a douté de la véracité d’aucun des éléments de preuve sur les conditions dans le pays. Elle a toutefois conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que le demandeur lui-même serait exposé à une menace à sa vie, au risque d’être soumis à la torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en RDC. Elle a estimé que les préoccupations du demandeur étaient [traduction] « spéculatives et hypothétiques ». Le demandeur n’a pas établi qu’il réussira vraisemblablement à démontrer que cette conclusion est déraisonnable.
[34] Le demandeur s’est également appuyé sur une bande vidéo d’une manifestation contre le gouvernement de la RDC en 2011 à laquelle il a participé. Le demandeur n’a pas établi qu’il réussira vraisemblablement à démontrer qu’il était déraisonnable pour l’agente de conclure que rien dans le dossier public ne lie le demandeur à cette vidéo.
[35] En examinant les motifs invoqués par le demandeur dans sa demande de report, l’agente a pris l’initiative de communiquer avec une conseillère principale en matière de programmes, Opérations liées aux renvois, de la Direction générale du renseignement et de l’exécution de la loi de l’ASFC. L’agente a posé la question suivante à la conseillère principale en matière de programmes :
[traduction] J’ai une question au sujet des personnes que nous avons renvoyées en RDC. Avez-vous des commentaires à faire sur les actes de persécution ou les mauvais traitements subis une fois arrivés à Kinshasa? J’ai reçu une demande de report et l’avocat du demandeur affirme que les expulsés ayant un casier judiciaire et les demandeurs d’asile déboutés sont traités de manière inhumaine à leur arrivée en RDC, et qu’ils sont parfois détenus pendant des semaines ou des mois jusqu’à ce qu’un pot-de-vin soit versé. La demande présente des conditions dans le pays qui semblent plus appropriées pour une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais j’aimerais répondre intelligiblement à la prétention selon laquelle M. NSUNGANI sera détenu à son arrivée et ne sera libéré que si un pot-de-vin est versé par un membre de sa famille.
[36] La conseillère principale en matière de programmes a répondu que son bureau n’avait pas été informé que les personnes expulsées en RDC éprouvaient des problèmes à leur arrivée au pays. Elle a ajouté que la mission canadienne à Kinshasa et Affaires mondiales Canada n’avaient signalé aucun problème.
[37] Je m’arrête pour souligner que, dans la présente requête, les défendeurs ont déposé un affidavit de la conseillère principale en matière de programmes, qui confirmait les renseignements qu’elle avait fournis à l’agente. L’affidavit ajoute également d’autres détails sur le nombre de citoyens de la RDC renvoyés du Canada depuis 2014. Étant donné que ces détails supplémentaires vont au-delà des renseignements dont l’agente disposait lorsqu’elle a pris sa décision, je n’en ai pas tenu compte dans l’évaluation du bien-fondé des motifs proposés pour le contrôle judiciaire. Par contre, ces nouveaux renseignements auraient pu prouver l’existence d’un préjudice irréparable, puisque mon examen de cette question n’est pas limité aux renseignements dont l’agente était saisie. Toutefois, compte tenu de ma conclusion concernant le premier volet du critère, il n’est pas nécessaire d’aborder la question du préjudice irréparable.
[38] Le demandeur soutient qu’il n’y a aucune preuve que l’ASFC, la mission canadienne à Kinshasa ou Affaires mondiales Canada se sont renseignés sur les personnes expulsées ou ont suivi leur dossier après leur retour en RDC. C’est vrai, mais tout au plus, cela concerne l’importance que l’agente aurait dû accorder aux renseignements fournis par la conseillère principale en matière de programmes. Il en va de même pour un rapport publié en mai 2019 par le Migration Policy Institute, qui examine des cas de rapatriés congolais qui ont détenus et extorqués, dont une personne ayant été expulsée du Canada en 2015. Cette personne semble avoir eu un profil politique beaucoup plus important que celui du demandeur. Dans le cadre de la présente requête, le demandeur n’a pas établi qu’il réussira vraisemblablement à démontrer qu’il était déraisonnable de la part de l’agente d’apprécier la preuve comme elle l’a fait, ou de se fier aux renseignements fournis par la conseillère principale en matière de programmes, pour conclure que le risque auquel le demandeur prétendait être exposé en tant que demandeur d’asile débouté et en tant qu’expulsé ayant un casier judiciaire ne justifiait pas le report de son renvoi.
[39] En ce qui concerne la séropositivité du demandeur, celle-ci soulève des questions très difficiles, surtout dans le contexte d’une décision de report. Toutefois, après mûre réflexion, j’ai conclu que le demandeur n’a pas établi qu’il réussira vraisemblablement à démontrer que l’agente a traité ces questions de manière déraisonnable.
[40] La preuve dont était saisie l’agente démontrait clairement que les soins offerts aux personnes atteintes du VIH/sida en RDC sont de bien moins bonne qualité que ceux offerts au Canada. L’agente a convenu que tel était le cas. Toutefois, elle a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il ne serait pas en mesure d’obtenir des médicaments antirétroviraux en RDC. Pour le moment, c’est le seul traitement qui a été recommandé pour le demandeur. L’agente a reconnu qu’il y aurait une période d’adaptation pour le demandeur, car il aurait à trouver un fournisseur de soins médicaux en RDC. Pour assurer une transition adéquate entre le traitement que le demandeur reçoit au Canada et celui qu’il obtiendrait en RDC, l’agente a pris l’initiative d’obtenir un approvisionnement de quatre mois de Genvoya, le médicament antirétroviral actuellement prescrit pour le demandeur. Comme l’agente l’a indiqué dans ses motifs, cela [traduction] « permettra [au demandeur] d’avoir l’esprit tranquille à son arrivée en RDC et lui donnera le temps de trouver un médecin capable de lui établir un plan de traitement ». L’agente a également souligné que la famille du demandeur au Canada avait offert de continuer à le soutenir après son retour en RDC.
[41] À un endroit dans ses motifs, l’agente déclare que [traduction] « bien qu’il ne soit peut-être pas aussi facile de demander et de recevoir un traitement en RDC qu’au Canada, ce n’est pas impossible ». Ce commentaire est inquiétant, car il pourrait laisser entendre que l’agente a imposé un fardeau déraisonnablement lourd au demandeur. Toutefois, dans le contexte de l’ensemble des motifs, il est clair, à mon avis, que l’agente a compris que la question dont elle était saisie était de savoir si le demandeur avait établi que, de façon réaliste, il ne recevrait pas les médicaments dont il a besoin. L’agente a reconnu qu’en RDC, il sera plus difficile qu’au Canada pour le demandeur d’obtenir les soins et les traitements dont il a besoin, mais elle a conclu qu’il n’avait pas établi qu’il ne serait pas en mesure de les obtenir. Compte tenu de la preuve dont l’agente était saisie et de ses motifs détaillés, le demandeur n’a pas établi, dans la présente requête, qu’il réussira vraisemblablement à démontrer que cette conclusion est déraisonnable.
[42] En outre, comme l’agente l’explique dans ses motifs, le report vise à éliminer les obstacles temporaires au renvoi. Ni la séropositivité du demandeur ni son besoin de médicaments ne sont temporaires.
[43] Cela m’amène à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire du demandeur.
[44] Cette demande a été déposée le 30 mai 2019. Je ne suis pas saisi des observations présentées à l’appui de la demande. Toutefois, puisqu’elle est postérieure au diagnostic de séropositivité du demandeur, je suis prêt à supposer qu’il s’agit là d’un des motifs invoqués pour demander la prise de mesures fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Il ne fait aucun doute que ce diagnostic est une circonstance importante. Toutefois, le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il réussira vraisemblablement à démontrer que l’agente n’a pas considéré de manière raisonnable le fait qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire mettant en jeu notamment cette circonstance est en suspens.
[45] Comme l’indique le résumé tiré de la décision Toney, cité au paragraphe 28 ci-dessus, un agent d’exécution de la loi n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’accorder ce qui serait en fait un report d’une durée indéterminée. En règle générale, le simple fait qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit en suspens ne constitue pas un motif pour reporter le renvoi. Toutefois, l’agent peut accorder un report lorsqu’une décision sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire semble imminente. En outre, même si une décision n’est pas imminente, le report peut être justifié lorsqu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été présentée en temps opportun, mais n’a pas été réglée à cause de l’arriéré du système (Baron, au paragraphe 49; Lewis, au paragraphe 81). Lorsque, au contraire, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a pas été présentée en temps opportun, l’agent chargé du report peut commettre une erreur susceptible de révision s’il omet de tenir compte de la raison de ce retard avant de tirer une conclusion défavorable (voir Newman, au paragraphe 32).
[46] Le demandeur faisait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire depuis décembre 2012 — c’est-à-dire depuis environ six ans et demi — avant de présenter sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le diagnostic de séropositivité est sans doute un fait nouveau important pour cette demande, mais le demandeur en a peu parlé dans les documents qui m’ont été présentés. Fait important, il n’a pas laissé entendre que c’est la raison pour laquelle il a finalement présenté sa demande au moment où il l’a fait. Le demandeur a plutôt expliqué à l’agente d’exécution de la loi que, pendant plusieurs de ces années, il ne savait tout simplement pas qu’il pouvait présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La raison pour laquelle il a finalement présenté une demande au moment où il l’a fait est autrement inexpliquée.
[47] En examinant l’explication du demandeur (telle qu’elle est) pour le dépôt tardif de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agente a fait remarquer que le demandeur [traduction] « aurait pu présenter cette demande au cours de n’importe quelle année depuis que la mesure de renvoi a été prise contre lui ». L’agente a également constaté que deux des frères du demandeur avaient présenté des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire en 2012. L’un de ces frères a obtenu le statut de résident permanent en 2014 et l’autre en 2016. L’un des deux, Ngandu, est le frère cadet avec lequel le demandeur est arrivé au Canada en 2002. La preuve donne à penser qu’ils sont restés proches depuis leur arrivée au Canada. De plus, l’agente a également constaté que l’agent d’ERAR qui a rejeté la deuxième demande d’ERAR avait observé dans sa décision qu’au moins certains des motifs sur lesquels le demandeur s’appuyait s’apparentaient [traduction] « davantage à des motifs d’ordre humanitaire ».
[48] Dans son affidavit présenté à l’appui de la demande de report, le demandeur déclare que ce n’est que lorsqu’il a retenu les services du Bureau du droit des réfugiés à Hamilton, en Ontario, qu’il a appris qu’il pouvait présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur ne précise pas à quel moment il a retenu ces services, mais il semble que ce soit quelque temps après son arrestation en mai 2018 en vertu du mandat délivré par les autorités de l’immigration. Le demandeur affirme que, même après avoir été informé de la possibilité de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il croyait que seul le processus d’ERAR lui permettait d’éviter le renvoi du Canada. Compte tenu de la preuve qui lui a été présentée, l’agente a accordé peu de poids à la prétention du demandeur selon laquelle, pendant de nombreuses années, il ne savait pas qu’il pouvait présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Quoi qu’il en soit, même si on prend la prétention du demandeur au pied de la lettre, elle n’explique toujours pas pourquoi il a attendu un an après avoir été informé du rejet de la deuxième demande d’ERAR pour présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[49] Comme le demandeur n’avait pas présenté de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire plus tôt, l’agente d’exécution de la loi était confrontée à une demande de report du renvoi qui était à la fois illimitée et qui dépasserait de beaucoup les limites temporelles bien établies pour de telles décisions. Constatant que le demandeur n’avait pas fourni une explication suffisante pour expliquer pourquoi il n’avait pas présenté sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire plus tôt, l’agente a déterminé qu’il n’y avait pas lieu de faire une exception pour lui. Dans le cadre de la présente requête, le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il réussira vraisemblablement à démontrer que la décision de l’agente à cet égard est déraisonnable.
[50] Le demandeur n’a établi aucun autre motif de contrôle suffisamment solide en ce qui concerne la façon dont l’agente a traité la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les agents d’exécution de la loi qui tranchent les demandes de report ne sont pas des agents chargés de l’examen des motifs d’ordre humanitaire et ce n’est pas leur rôle d’évaluer le bien-fondé d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Shpati, au paragraphe 45). Néanmoins, ils doivent se demander s’il existe une menace grave immédiate ou à court terme à la vie ou à la sécurité d’une personne, ou toute autre considération spéciale liée au renvoi de cette personne qui justifie le report, même si ces mêmes facteurs sont également invoqués dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Baron, au paragraphe 51; Shpati, au paragraphe 43; Newman, aux paragraphes 28 à 37). À mon avis, compte tenu des conclusions de l’agente dont il a été question ci-dessus relativement aux deux autres motifs de contrôle judiciaire proposés, le demandeur n’a pas établi qu’il réussira vraisemblablement à démontrer qu’il était déraisonnable pour l’agente de conclure qu’il n’y avait aucune menace à sa vie ou à sa sécurité personnelle ni aucune autre considération spéciale qui justifiait le report du renvoi en attendant que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit tranchée.
[51] Il ne serait pas approprié pour moi de commenter, à cette étape, le bien-fondé de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire du demandeur, même si la demande avait figuré dans les documents qui m’ont été présentés. Toutefois, il convient de souligner qu’elle suivra son cours même si le demandeur est renvoyé. Comme l’agente l’indique dans sa décision, si sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est accueillie, le demandeur [traduction] « pourra obtenir réparation par sa réadmission au Canada ».
[52] En résumé, en ce qui concerne le refus de l’agente de reporter son renvoi, le demandeur n’a pas réussi à établir de motifs de contrôle judiciaire susceptibles d’être retenus. Il ne satisfait donc pas au premier volet du critère permettant d’obtenir un sursis. Étant donné que les trois volets doivent être satisfaits, il n’est pas nécessaire d’aborder les deux autres.
[53] Ce résultat peut sembler dur à certains. Le demandeur est arrivé au Canada il y a 17 ans, à l’âge de 14 ans. Il a peu de soutien familial ou autre, voire aucun, en RDC. Les conditions y sont difficiles, c’est le moins qu’on puisse dire. Toutefois, le demandeur sait depuis 2011 qu’il est visé par une mesure d’expulsion pour grande criminalité et qu’il ne bénéficie plus de la suspension temporaire des renvois. La mesure d’expulsion est exécutoire depuis décembre 2012, date à laquelle la première demande d’ERAR a été rejetée. Malheureusement pour le demandeur, il n’a pas pris les mesures efficaces en temps opportun qui auraient pu lui permettre d’obtenir son statut au Canada (comme l’ont fait d’autres membres de sa famille). Au lieu de cela, il a laissé le temps s’écouler jusqu’à ce que son dernier espoir consiste à demander le report de son renvoi, qui lui a été refusé. Les motifs invoqués par le demandeur pour contester cette décision ne sont pas suffisamment solides pour satisfaire au volet du critère applicable à l’octroi d’un sursis. Par conséquent, il n’existe aucune assise juridique permettant à la Cour de faire obstacle à l’exécution de la mesure de renvoi.
ORDONNANCE DANS LE DOSSIER IMM-5507-19
LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée.