Aux Sable Liquid Products LP, Aux Sable Liquid Products Inc. et Aux Sable Canada Ltd. (demanderesses)
c.
JL Energy Transportation Inc. (défenderesse)
Répertorié : Aux Sable Liquid Products LP c. JL Energy Transportation Inc.
Cour fédérale, juge Southcott—Toronto, 11 au 22, 28 et 29 mars; Ottawa, 6 mai 2019.
Brevets — Action cherchant à obtenir une ordonnance, en vertu de l’art. 60(1) de la Loi sur les brevets (la Loi), en vue de faire invalider le brevet canadien no 2205670 (le brevet ’670), qui porte sur le transport de gaz naturel par pipeline et qui est détenu par la défenderesse — Le brevet ’670 est un additif (un hydrocarbure composé) conduisant à une diminution de la quantité de puissance nécessaire pour pomper le gaz dans le pipeline — La défenderesse a accordé une licence visant une technologie à la demanderesse Aux Sable Liquid Products LP (Aux Sable LP) — Aux Sable LP a ensuite cédé la licence à Aux Sable Extraction LP — La défenderesse a intenté une poursuite pour rupture de contrat et contrefaçon du brevet ’670 — En réponse, les demanderesses ont intenté la présente action — Elles ont soulevé des arguments quant à l’invalidité des dix revendications du brevet ’670 — La principale question en litige a nécessité l’application du cadre analytique à quatre volets applicable à une allégation d’évidence, décrit dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc. (Sanofi) — Les parties ne s’entendaient pas sur le critère qu’il convenait d’appliquer dans le cadre du troisième volet de l’analyse de l’arrêt Sanofi — Les demanderesses ont fait valoir notamment que l’adoption de l’art. 28.3 a écarté le critère de la recherche raisonnablement diligente de la common law, pour le remplacer par la seule exigence que l’antériorité soit divulguée au public — La défenderesse a fait valoir notamment que l’art. 28.3 n’a pas modifié le critère applicable et que la jurisprudence montre que le critère de la recherche raisonnablement diligente continue de s’appliquer — Elle a renvoyé à l’arrêt E. Mishan & Sons, Inc. c. Supertek Canada Inc. (Mishan) — La question en litige portait principalement sur la juste interprétation de l’art. 28.3 de la Loi — L’arrêt Mishan n’a pas tranché la question de l’interprétation de l’art. 28.3 — Le raisonnement dans la décision Pollard Banknote Limited c. BABN Technologies Corp. (Pollard) appuyait la conclusion selon laquelle l’emploi de termes identiques aux art. 28.2 et 28.3 suppose l’accès aux mêmes documents d’antériorité pour les analyses de l’antériorité et de l’évidence — Un document d’antériorité qui a été communiqué au public avant la date prescrite par l’art. 28.3 fait partie de l’art antérieur pour les besoins de l’analyse relative à l’évidence, peu importe que le document en question ait pu être trouvé au moyen d’une recherche raisonnablement diligente — Tous les documents d’antériorité invoqués en l’espèce étaient des documents opposables pour les besoins de l’analyse de cette allégation — La preuve n’a pas établi que la personne versée dans l’art aurait été consciente des complexités du comportement du gaz modifié sans l’imagination, les inférences et les calculs nécessaires — Les demanderesses n’ont pas établi que les revendications 1 à 8 du brevet ’670 étaient évidentes — En ce qui concerne l’insuffisance, le brevet ’670 fournit les renseignements nécessaires pour réaliser l’invention revendiquée — Il n’était pas invalide simplement parce que la personne versée dans l’art fait appel à des connaissances générales courantes pour réaliser le brevet — Les revendications 9 et 10 du brevet ’670 étaient invalides pour cause de portée excessive, d’inutilité, d’antériorité et d’objet non brevetable — Action accueillie en partie.
Il s’agissait d’une action cherchant à obtenir une ordonnance, en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets (la Loi), en vue de faire invalider le brevet canadien no 2205670 (le brevet ’670), qui porte sur le transport de gaz naturel par pipeline et qui est détenu par la défenderesse.
Le brevet ’670 est un additif (un hydrocarbure composé) qui est ajouté au gaz naturel conduisant à une diminution de la quantité de puissance nécessaire pour pomper le mélange ou le compresser. Un mélange gazeux contenant des quantités plus importantes des hydrocarbures de masse moléculaire plus importante devient plus compressible, une propriété désignée par ce qu’on appelle le « facteur z ». Un facteur z plus petit représente un gaz plus compressible, ce qui peut demander moins d’énergie pour le transport du mélange dans un pipeline. La réduction de l’énergie requise peut être déterminée en calculant le produit de la masse moléculaire (Mm) par la compressibilité du nouveau mélange (z) et en comparant ce produit (zMm) à celui du gaz non traité. Avant le dépôt de la demande relative au brevet ’670, la défenderesse a accordé une licence visant une technologie à l’une des demanderesses, Aux Sable Liquid Products LP (Aux Sable LP). Aux Sable LP a ensuite cédé la licence, avec le consentement de la défenderesse, à Aux Sable Extraction LP. La défenderesse a par la suite intenté une poursuite pour rupture de contrat et contrefaçon du brevet ’670 devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta contre les demanderesses. En réponse, les demanderesses ont intenté la présente action. Les demanderesses ont soulevé des arguments quant à l’invalidité des dix revendications du brevet reposant sur l’évidence, l’insuffisance et l’objet non brevetable. Elles ont soutenu également que les revendications 9 et 10 étaient invalides pour des raisons d’antériorité ou d’absence de nouveauté, de portée excessive et d’absence d’utilité.
La principale question en litige a nécessité l’application du cadre analytique à quatre volets applicable à une allégation d’évidence, tel qu’il a été décrit par la Cour suprême dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc. (Sanofi). Les parties ne s’entendaient pas sur le critère qu’il convenait d’appliquer dans le cadre du troisième volet de l’analyse de l’arrêt Sanofi, c’est-à-dire recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’« état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation. Les demanderesses ont fait valoir que, selon l’article 28.3 de la Loi, qui porte sur l’évidence, elles devaient seulement démontrer que le document de l’art antérieur qu’elles invoquaient a été divulgué avant la date pertinente précisée audit article 28.3, de manière telle qu’il est devenu accessible au public. Il s’agit en fait du même critère que celui applicable dans le cadre de l’analyse relative à l’antériorité fondée sur l’article 28.2 de la Loi. Les demanderesses ont fait valoir en outre que l’adoption de l’article 28.3 a écarté le critère de la recherche raisonnablement diligente de la common law, pour le remplacer par la seule exigence que l’antériorité soit divulguée au public. La défenderesse a fait valoir que le critère permettant de déterminer si un document est opposable pour les besoins de l’analyse relative à l’évidence fondée sur l’article 28.3 de la Loi est différent de celui applicable en matière d’antériorité fondée sur l’article 28.2 de la Loi et qu’il oblige la partie qui souhaite invoquer le document à établir que la personne versée dans l’art aurait pu le trouver en faisant une recherche raisonnablement diligente. La défenderesse a fait valoir en outre que l’article 28.3 n’a pas modifié le critère applicable et que la jurisprudence postérieure à son adoption montre que le critère de la recherche raisonnablement diligente continue de s’appliquer. Trois documents d’antériorité étaient en litige, tous liés au transport du gaz naturel. La défenderesse a renvoyé à l’arrêt E. Mishan & Sons, Inc. c. Supertek Canada Inc. (Mishan), faisant valoir que, dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument selon lequel le critère visant à déterminer quels documents font partie de l’art antérieur n’est pas fondé sur la question de savoir si un document en particulier peut être trouvé.
La question en litige portait principalement sur la juste interprétation de l’article 28.3 de la Loi.
Jugement : l’action doit être accueillie en partie.
L’arrêt Mishan ne saurait être interprété comme ayant tranché la question de l’interprétation de l’article 28.3 qui a été soulevée en l’espèce. L’arrêt Mishan a mis en évidence une question réelle portant sur l’interprétation de l’article 28.3 sur laquelle la Cour d’appel fédérale a refusé de se prononcer. La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited c. SNF Inc. (Ciba) n’étayait pas la position de la défenderesse selon laquelle l’article 28.3 n’a pas modifié le critère de la recherche raisonnablement diligente. Plusieurs décisions de la Cour fédérale, rendues après l’adoption en 1996 de l’article 28.3, traitent du critère de la recherche raisonnablement diligente ou appliquent ce critère, mais il ne semble pas que la question en l’espèce, c.-à-d. celle de savoir si l’article 28.3 a éliminé le critère de la common law qui s’appliquait avant son adoption, ait été soulevée dans l’une de ces affaires. Il était donc difficile de s’appuyer sur ces décisions pour conclure que la Cour a déjà rejeté les arguments d’interprétation législative actuellement avancés par les demanderesses. Il convenait toutefois d’interpréter la décision Pollard Banknote Limited c. BABN Technologies Corp. (Pollard) comme rejetant l’exigence qu’une antériorité doit pouvoir être trouvée par une recherche raisonnablement diligente pour qu’elle puisse être opposable aux fins d’évidence, mais aussi comme reconnaissant que, lors de l’examen subséquent (c.-à-d. le quatrième volet de l’analyse requise par l’arrêt Sanofi) visant à déterminer si, en combinant plusieurs documents d’antériorité, on peut conclure que l’invention contestée est évidente, la possibilité de trouver ces documents peut être pertinente. Cette interprétation est compatible avec la décision Ciba, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a indiqué que la personne versée dans l’art peut avoir recours à ses connaissances générales courantes (CGC) ainsi qu’aux antériorités qui pourraient être découvertes par une recherche raisonnablement diligente. La décision Pollard explique que le monopole conféré par un brevet ne devrait pas découler d’une avancée évidente fondée sur un document de l’art antérieur, peu importe que ce document ait pu être trouvé au moyen d’une recherche diligente. Ce raisonnement appuie la conclusion selon laquelle l’emploi de termes identiques aux articles 28.2 et 28.3 suppose l’accès aux mêmes documents d’antériorité pour les analyses de l’antériorité et de l’évidence. Les demanderesses n’ont pas demandé à la Cour de modifier le droit, elles lui ont plutôt demandé de reconnaître que le législateur l’a modifié, en ce qui concerne le critère de common law autrefois applicable, lorsqu’il a adopté l’article 28.3. Un document d’antériorité qui a été communiqué au public avant la date prescrite par l’article 28.3 fait partie de l’art antérieur pour les besoins de l’analyse relative à l’évidence, peu importe que le document en question ait pu être trouvé au moyen d’une recherche raisonnablement diligente. Il en découle que tous les documents d’antériorité, qu’invoquent actuellement les demanderesses pour étayer leur allégation que les revendications 1 à 8 sont évidentes, étaient des documents opposables pour les besoins de l’analyse de cette allégation. Compte tenu de la preuve et des arguments présentés en l’espèce, il importait peu que, dans le cadre de l’analyse relative à l’évidence, la question du calcul du produit zMm soit examinée à l’étape visant à déterminer s’il y a un écart entre l’art antérieur et les revendications ou à celle visant à déterminer si cet écart peut être comblé grâce aux CGC de la personne versée dans l’art. Le troisième volet du critère de l’arrêt Sanofi exige de recenser les différences entre l’art antérieur et l’idée originale, et non les différences entre les CGC et l’idée originale. Toutefois, en l’espèce, les demanderesses se sont appuyées sur des documents d’antériorité qui sont largement et fréquemment utilisés par la personne versée dans l’art. L’analyse requise en l’espèce consistait à déterminer si le rôle du calcul du produit zMm dans les revendications 1 à 8 du brevet ’670 faisait partie de l’art antérieur ou des CGC de sorte que les revendications 1 à 8 étaient évidentes. Ce sont seulement les revendications telles qu’interprétées, et non les autres idées divulguées par le brevet, qui doivent être prises en compte pour l’examen de l’évidence. La preuve n’a pas établi que la personne versée dans l’art aurait été consciente des complexités du comportement du produit zMm sans l’imagination, les inférences et les calculs nécessaires. Les demanderesses n’ont pas établi, que ce soit par le contenu de l’art antérieur ou le contenu des CGC devant permettre de combler l’écart entre l’état de la technique et les revendications, que les revendications 1 à 8 du brevet ’670 étaient évidentes.
En ce qui concerne l’insuffisance, le fait qu’il existe une gamme de conditions d’exploitation du pipeline et de compositions gazeuses à l’intérieur de laquelle l’invention qui sous-tend les revendications 1 à 8 peut être obtenue n’a pas permis de conclure que la personne versée dans l’art n’a pas suffisamment de renseignements pour réaliser l’invention. Le brevet ’670 fournit les renseignements nécessaires pour réaliser l’invention revendiquée. Il n’était pas invalide simplement parce que la personne versée dans l’art fait appel à ces CGC pour réaliser le brevet.
Enfin, les revendications 9 et 10 du brevet ’670 ont été jugées invalides pour cause de portée excessive, d’inutilité, d’antériorité et d’objet non brevetable. Les revendications 1 à 8 n’ont pas été jugées invalides au regard des allégations soulevées en ce sens par les demanderesses.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi d’actualisation du droit de la propriété intellectuelle, L.C. 1993, ch. 15, art. 33.
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 2 « invention », 27(3),(4), 28.2, 28.3, 60(1).
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 52.2.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067; Eli Lilly Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2016 CAF 119, [2017] 2 R.C.F. 280; Amfac Foods Inc. c. Irving Pulp & Paper, Ltd., [1986] A.C.F. no 659 (QL) (C.A.); AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2017 CSC 36, [2017] 1 R.C.S. 943; Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited c. SNF Inc., 2017 CAF 225; Pollard Banknote Limited c. BABN Technologies Corp., 2016 CF 883; Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625; AbbVie Biotechnology Ltd. c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1251, sub nom. Abbott Laboratories (Bermuda) Ltd., Re, 126 C.P.R. (4th) 51.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Drader v. Abbotsford (City), 2012 BCSC 873, 98 M.P.L.R. (4th) 216; Apotex Inc. c. H. Lundbeck A/S, 2013 CF 192; Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2009 CF 991; B.V.D. Company v. Canadian Celanese Ltd., [1937] R.C.S. 221; Hospira Healthcare Corporation c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2018 CF 259; Bombardier Produits Récréatifs Inc. c. Arctic Cat, Inc., 2018 CAF 172; Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024; Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., 2002 CAF 158, [2003] 1 C.F. 49; Schering-Plough Canada Inc. c. Pharmascience Inc., 2009 CF 1128; Merck & Co., Inc. c. Pharmascience Inc., 2010 CF 510; Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par actions simplifié, 2013 CAF 219; Alcon Canada Inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Company, 2014 CF 462; Procter & Gamble Co. c. Kimberly-Clark of Canada Ltd., [1991] A.C.F. no 1273 (QL) (1er inst.); General Tire & Rubber Company v. Firestone Tyre & Rubber Company, [1972] R.P.C. 457 (Eng. C.A.); Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, [2014] 2 R.C.F. 459, E. Mishan & Sons, Inc. c. Supertek Canada Inc., 2015 CAF 163; Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis, 2011 CF 1486; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971; Takeda Canada Inc. c. Canada (Santé), 2015 CF 570; Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2018 CF 736; Allergan Inc. c. Apotex Inc., 2016 CF 344; Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2015 CF 770; Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie Ltée., 2002 CFPI 829, conf. par 2003 CAF 358; Axcan Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2006 CF 527.
décisions citées :
Lilly Icos LLC v. Pfizer Ltd., [2000] EWHC Patents 49, [2001] F.S.R. 16; Apotex Inc. c. Shire LLC, 2018 CF 637; Bristol-Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc., 2017 CAF 190; Calgon Carbon Corporation c. North Bay (Ville), 2006 CF 1373; Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197; Windsurfing International Inc. v. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.); Pozzoli SPA v. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37, [2007] EWCA Civ. 588 (BAILII) (C.A.); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Lux Traffic Controls Ltd. v. Pike Signals Ltd. and Faronwise Ltd., [1993] R.P.C. 107 (Pat. Ct.); Godbout c. Pagé, 2017 CSC 18, [2017] 1 R.C.S. 283; Uponor AB c. Heatlink Group Inc., 2016 CF 320; Hoffmann-La Roche Limitée c. Apotex Inc., 2011 CF 875; Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY, [1986] A.C.F. no 87 (QL) (C.A.); Teva Canada Limitée c. Janssen Inc., 2018 CF 754; Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504.
DOCTRINE CITÉE
Engineering Data Book, 10e éd. 2 vols. feuilles mobiles. Tulsa, Okla : Gas Processors Suppliers Association, 1987.
Compte rendu de la conférence internationale sur les marges arctiques, Magadan, Russie, Septembre 6-10, 1994.
Katz, Donald L. « Properties of Natural Gases and Volatile Hydrocarbon Liquids » dans Handbook of Natural Gas Engineering, New York : McGraw-Hill, 1959.
Katz, Donald L. « Transmission to Market » dans Handbook of Natural Gas Engineering, New York : McGraw-Hill, 1959.
Kratz, Donald L. et Graeme King. Dense Phase Transmission of Natural Gas, 1973.
MacOdrum, Donald H. Fox on the Canadian Law of Patents, 5e éd. feuilles mobiles. Toronto : Carswell, 2017.
ACTION cherchant à obtenir une ordonnance, en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets, en vue de faire invalider le brevet canadien no 2205670, qui porte sur le transport de gaz naturel par pipeline. Action accueillie en partie.
ONT COMPARU :
Timothy St. J. Ellam, c.r., Steven Tanner et Sanjaya Mendis pour les demanderesses.
Ariel Breitman, Jonathan Bourchier et Scott Davidson pour la défenderesse.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
McCarthy Tetrault LLP, Calgary, pour les demanderesses.
MLT Aikins LLP, Calgary, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Southcott :
Paragraphe
I. Aperçu
II. Faits
III. Questions en litige
IV. Témoins
A. M. Stephen Ramsay 16
B. M. Graeme King
C. M. Mukul Sharma
D. M. Wayne Monnery
E. M. Mark Ryan
F. Témoins des faits
V. La personne versée dans l’art
VI. Interprétation des revendications
VII. Les revendications 9 et 10 du brevet ’670 sont-elles invalides pour les motifs suivants?
A. Portée excessive
B. Inutilité
C. Antériorité
Le document Stinson
Guide
D. Évidence
VIII. Les revendications 1 à 8 du brevet ’670 sont-elles invalides pour cause d’évidence?
A. Cadre analytique
B. Connaissances générales courantes
C. Idée originale
D. Critère permettant de déterminer si une antériorité est opposable
E. Troisième et quatrième volets du critère de l’arrêt Sanofi
IX. Les revendications 1 à 10 du brevet ’670 sont-elles invalides pour les motifs suivants?
A. Insuffisance
B. Objet non brevetable
X. Conclusion et dépens
I. Aperçu
[1] La présente décision concerne une action intentée par les demanderesses, Aux Sable Liquid Products LP, Aux Sable Liquid Products Inc., et Aux Sable Canada Ltd. (collectivement, Aux Sable), en vue de faire invalider le brevet canadien no 2205670 (le brevet ’670), qui porte sur le transport de gaz naturel par pipeline et qui est détenu par la défenderesse, JL Energy Transportation Inc. (JL Energy).
[2] Pour les motifs exposés en détail ci-dessous, je conclus que les revendications 9 et 10 du brevet ’670 sont invalides pour cause de portée excessive, d’inutilité, d’antériorité et d’objet non brevetable. Je conclus que les revendications 1 à 8 ne sont pas invalides au regard des allégations soulevées en ce sens par les demanderesses.
II. Faits
[3] Aux Sable Liquid Products LP est une société en commandite constituée sous le régime des lois du Delaware et enregistrée en tant que société en commandite extraprovinciale en Alberta (Aux Sable LP). Aux Sable Liquid Products Inc., également constituée au Delaware, est l’associée commanditée de la société en commandite (Aux Sable GP). Aux Sable Canada Ltd. est une société de l’Alberta qui exerce ses activités dans la province et ailleurs au Canada (Aux Sable Canada).
[4] JL Energy est une société constituée sous le régime des lois de l’Alberta et elle détient le brevet ’670. En guise d’introduction à la technologie qui fait l’objet du présent litige, voici l’abrégé de l’invention contenu dans le brevet ’670 :
À des pressions supérieures à 1000 lb/po2, il est avantageux d’ajouter au gaz naturel un additif qui est un hydrocarbure composé C2, C3 ou C4, CO, NH3 ou HF ou un mélange de ces additifs. Au-delà d’une limite inférieure (qui varie avec l’additif ajouté et la pression), cela se traduit par un plus petit facteur Z, ou un produit (MwZ), qui représente un entassement accru des molécules, et conduisant donc à une diminution de la quantité de puissance nécessaire pour pomper le mélange ou le compresser.
[5] Voici quelques éléments contextuels supplémentaires concernant la technologie pertinente, lesquels ne semblent pas porter à controverse. Dans sa forme naturelle, le gaz naturel est composé principalement de méthane, une molécule hydrocarbonée à un seul atome de carbone. Toutefois, le gaz naturel peut aussi contenir de petites quantités d’hydrocarbures ayant un nombre plus élevé d’atomes de carbone, comme l’éthane (qui en a deux, désigné par C2), le propane (qui en a trois, désigné par C3), le butane (qui en a quatre, désigné par C4) ou d’autres plus lourds. Tous ces hydrocarbures plus lourds ont une masse moléculaire plus élevée (une propriété désignée par le terme Mm) que celle du méthane, car leurs molécules comportent plus d’atomes. Ainsi, plus la concentration de ces hydrocarbures plus lourds dans un mélange gazeux est importante et plus la masse moléculaire moyenne du mélange sera importante. Toutefois, une des caractéristiques du comportement des gaz est que, à une température et à une pression données, un mélange gazeux contenant des quantités plus importantes des hydrocarbures en C2 et C3 de masse moléculaire plus importante devient plus compressible, une propriété désignée par ce qu’on appelle le « facteur z ». Un facteur z plus petit représente un gaz plus compressible.
[6] Dans le même ordre d’idées, les hydrocarbures de masse moléculaire plus élevée nécessitent plus d’énergie que le méthane, de masse moléculaire moindre, pour être transportés dans un pipeline. Toutefois, en raison de la compressibilité accrue (caractérisée par un facteur z inférieur), un mélange contenant des quantités plus importantes d’hydrocarbures en C2 et C3, qui sont plus lourds, demandera moins d’énergie pour le transport. Au-dessus d’un certain seuil de ces quantités d’hydrocarbures de masse moléculaire plus élevée, et à certaines températures et pressions, cette compressibilité accrue peut « compenser » l’effet dû à la masse moléculaire plus élevée. En conséquence, traiter un mélange de gaz d’origine naturelle (constitué principalement de méthane et de petites quantités d’éthane, de propane, de butane, etc.) en y ajoutant intentionnellement un hydrocarbure en C2 et/ou en C3 peut conduire à une réduction de la quantité d’énergie requise pour le transport du mélange dans un pipeline.
[7] Pour savoir si cette réduction de l’énergie requise pour le transport du mélange dans un pipeline sera réellement obtenue, il suffit de calculer le produit de la masse moléculaire (Mm) par la compressibilité du nouveau mélange (z) et de comparer ce produit (zMm) à celui du gaz non traité. Un produit zMm plus faible indique que l’énergie requise pour le transport du gaz sera plus faible.
[8] En juin 1996, avant le dépôt de la demande relative au brevet ’670, JL Energy (alors appelée 665976 Alberta Ltd.) a accordé une licence visant une technologie, semblable en gros à celle décrite en termes généraux ci-dessus, à l’une des demanderesses, Aux Sable LP (alors appelée Alliance Pipeline NGL LP) (la licence). En janvier 1999, Aux Sable LP a cédé la licence, avec le consentement de JL Energy, à Aux Sable Extraction LP, une autre société en commandite constituée sous le régime des lois du Delaware (Aux Sable Extraction). Aux Sable Extraction n’est pas partie au présent litige.
[9] En mai 2016, JL Energy a intenté une poursuite pour rupture de contrat et contrefaçon du brevet ’670 devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta contre plusieurs défendeurs, y compris Aux Sable LP et Aux Sable GP (la poursuite en Alberta). La poursuite en Alberta n’a pas progressé, les parties attendant l’issue de la présente action, bien qu’une demande visant à constituer certaines personnes comme défendeurs, dont Aux Sable Canada et Aux Sable Extraction, soit pendante dans cette instance.
[10] En réponse à la poursuite en Alberta, les demanderesses ont intenté la présente action en septembre 2016, cherchant à obtenir, en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi), une ordonnance déclarant que le brevet est invalide, nul et sans effet. La défenderesse reconnaît que chacune des demanderesses est un « intéressé » pour l’application du paragraphe 60(1) de la Loi.
[11] Comme il sera expliqué plus en détail ci-dessous, le brevet ’670 comporte dix revendications. Les revendications 1 et 9 sont des revendications indépendantes, les revendications 2 à 8 dépendant de la revendication 1, et la revendication 10 dépendant de la revendication 9. Les arguments soulevés par les demanderesses quant à l’invalidité de l’ensemble des revendications reposent sur l’évidence, l’insuffisance et l’objet non brevetable. Les demanderesses soutiennent également que les revendications 9 et 10 sont invalides pour des raisons d’antériorité ou d’absence de nouveauté, de portée excessive et d’absence d’utilité. La défenderesse nie que les revendications du brevet ’670 sont invalides pour les raisons invoquées par les demanderesses. La défenderesse a également fait valoir qu’en raison de la licence, le principe de l’irrecevabilité pour cause de licence empêchait les demanderesses de contester la validité du brevet, mais elle n’a pas donné suite à cet argument au procès. Les parties ont convenu que, s’agissant des questions en litige, le brevet ’670 a été déposé au Canada le 16 mai 1997 et que la date de revendication concernant le brevet ’670 est le 18 novembre 1996.
[12] Une grande partie de la preuve documentaire produite dans le cadre de la présente instance a été admise avec le consentement des parties. La thèse avancée par chacune d’elles à l’égard des divers motifs d’invalidité repose sur des témoignages d’expert. La défenderesse a également appelé l’inventeur du brevet ’670 et plusieurs autres témoins des faits pour parler de la relation entre le brevet ’670 et ce qu’il est convenu d’appeler le pipeline Alliance, un pipeline reliant le Nord-Ouest de l’Alberta et Chicago, en Illinois, dans la conception duquel la défenderesse a joué un rôle et qui, selon elle, emploie la technologie du brevet. Ces témoins ont aussi parlé du caractère confidentiel contesté de l’une des antériorités que les demanderesses ont invoquées à l’appui de leurs arguments sur l’antériorité et l’évidence. Toutefois, pendant le procès, celles-ci ont retiré leurs arguments au sujet de ce document. Ainsi, il n’est pas nécessaire que nous nous intéressions davantage à la question de la confidentialité et à la preuve afférente à cette question. Les déclarations des témoins qui sont nécessaires pour trancher les autres questions soulevées en l’espèce seront examinées plus loin dans les présents motifs.
III. Questions en litige
[13] Voici les questions que la Cour est appelée à trancher en l’espèce, dans l’ordre dans lequel les demanderesses les ont présentées dans leurs observations finales :
A. Les revendications 9 et 10 du brevet ’670 sont-elles invalides pour les motifs suivants :
B. Les revendications 1 à 8 du brevet ’670 sont-elles invalides pour cause d’évidence?
C. Les revendications 1 à 10 du brevet ’670 sont-elles invalides pour les motifs suivants?
[14] Avant d’examiner les allégations d’invalidité, la Cour doit nécessairement identifier la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet ’670 et interpréter les revendications du brevet ’670. L’allégation d’évidence soulève également une question juridique particulière en l’espèce, à savoir si la modification législative qui a permis l’adoption de l’article 28.3 de la Loi a supprimé l’exigence, établie par la jurisprudence pertinente, selon laquelle les documents d’antériorité proposés par les demanderesses à l’appui de cette allégation doivent pouvoir être découverts au moyen d’une recherche raisonnablement diligente.
IV. Témoins
[15] Chaque partie a présenté une preuve d’expert afin d’étayer sa thèse sur l’interprétation des revendications du brevet ’670 et les divers motifs d’invalidité soulevés en l’espèce. Ces témoins se sont notamment exprimés sur les titres de compétence et les caractéristiques de la personne versée dans l’art, sur les antériorités pertinentes et sur les connaissances générales courantes (CGC) de la personne versée dans l’art. La Cour a conclu que chacun des experts, sans objection de la partie adverse, était qualifié pour donner son opinion sur l’ensemble des questions. Même si leurs témoignages seront examinés plus en détail au moment d’aborder les questions précises sur lesquelles ils portent, voici mes observations générales quant à la fiabilité de chacun d’eux.
A. M. Stephen Ramsay
[16] Le premier expert à témoigner pour le compte d’Aux Sable est M. Stephen Ramsay. M. Ramsay travaille comme ingénieur professionnel et expert-conseil principal pour une société d’experts-conseils en génie. Il possède un doctorat en génie, mathématiques appliquées et physiques théoriques (mécanique des fluides) de l’Université de Cambridge. M. Ramsay était chargé de cours, puis professeur auxiliaire à l’Université Western (Ontario) à la date de la revendication et à la date de publication du brevet ’670. Il compte plus de 35 ans d’expérience en consultation, en enseignement et en recherche dans le domaine des pipelines, du pétrole et du gaz, de l’énergie, du transport et des industries connexes. M. Ramsay a présenté un rapport principal dans lequel il donne son point de vue sur les questions en litige en l’espèce, de même qu’un autre rapport en réponse à ceux déposés par les experts de JL Energy.
[17] JL Energy soutient que, dans les cas où la preuve est contradictoire, le point de vue de M. Ramsay devrait se voir accorder peu de poids. Elle fait valoir qu’en contre-interrogatoire, M. Ramsay a reconnu les nombreuses erreurs qu’il avait faites dans ses rapports d’expert, qu’il est revenu sur plusieurs déclarations et qu’il a présenté une preuve contredisant ses rapports. Au soutien de sa position, JL Energy renvoie également la Cour au commentaire fait par la Cour suprême de la Colombie-Britannique (C.S.C.-B.) dans l’arrêt Drader v. Abbotsford (City), 2012 BCSC 873, 98 M.P.L.R. (4th) 216 (Drader) à propos du rôle de M. Ramsay en tant que témoin expert. La C.S.C.-B. a conclu, aux paragraphes 238 et 241 de cette décision, que M. Ramsay avait adapté ses calculs et analyses pour parvenir à un résultat précis.
[18] Tout en prenant note de ces commentaires de la C.S.C.-B., je suis d’accord avec Aux Sable qui fait observer que, malgré les réserves formulées dans l’arrêt Drader, ce qui importe c’est de savoir si le témoignage de M. Ramsay suscite des réserves semblables en l’espèce. J’estime que non. Au contraire, comme le fait remarquer JL Energy, M. Ramsay a fait en contre-interrogatoire un certain nombre de concessions en ce qui concerne des éléments de ses rapports. Je ne crois pas que son témoignage ait été argumentatif ou que M. Ramsay ait défendu les intérêts des parties qui avaient retenu ses services. Toutefois, je tiendrai compte des concessions faites par M. Ramsay en contre-interrogatoire dans la mesure où elles sont pertinentes pour l’examen des questions particulières auxquelles ces éléments se rattachent.
B. M. Graeme King
[19] Le deuxième expert cité par Aux Sable, M. Graeme King, est un spécialiste du génie pipelinier comptant plus de 45 ans d’expérience en tant qu’ingénieur professionnel. Il a conçu, construit et entretenu des pipelines et des installations destinés au transport de gaz naturel, de gaz en phase dense, de gaz naturel liquéfié, de pétrole, de bitume, de soufre et de vapeur au Canada, aux États-Unis, au Mexique, en Russie, au Kazakhstan, au Moyen-Orient et en Australie. M. King a publié plusieurs écrits dans ce domaine, notamment sur la phase dense (un concept qui sera expliqué plus loin dans les présents motifs) et il a participé à de nombreuses conférences. Comme M. Ramsay, M. King a présenté un rapport principal dans lequel il expose son point de vue sur les questions en litige en l’espèce et un autre rapport en réponse à ceux déposés par les experts de JL Energy.
[20] Même si JL Energy ne conteste pas les compétences de M. King, elle soutient qu’il a agi comme défenseur des intérêts d’Aux Sable. JL Energy fait valoir que tout au long de son contre-interrogatoire, M. King a été difficile, inflexible et intransigeant, qu’il a refusé de répondre à des questions simples et qu’il s’est montré bien décidé à réitérer ses opinions, peu importe qu’il ait répondu ou non aux questions qui lui étaient posées.
[21] J’estime que JL Energy décrit bien le témoignage de M. King. À plusieurs reprises pendant son contre-interrogatoire, M. King n’a pas répondu à des questions relativement simples, du moins pas d’emblée, et il a plutôt semblé vouloir absolument exprimer son opinion. Par exemple, à la question de savoir si le mélange gazeux mentionné dans l’un des articles qu’il a rédigés contenait du butane en concentrations dépassant une concentration précise divulguée par le brevet ’670, plutôt que de répondre à la question, M. King a contesté l’interprétation du brevet faite par l’avocat de JL Energy. Lorsqu’on lui a demandé de confirmer que le même article ne renvoyait pas expressément à l’utilisation du produit zMm en tant que paramètre pour indiquer à quel moment des gains en rendement hydraulique sont obtenus au moyen de l’ajout délibéré de C2 et/ou de C3, M. King n’a pas tout de suite répondu à la question et a plutôt expliqué pourquoi la mesure de la perte de pression dans un pipeline revenait à la même chose.
[22] De même, quand on lui a demandé de confirmer qu’il ne comparait pas dans ses articles le produit zMm du gaz non traité et celui du gaz auquel un hydrocarbure en C2 ou en C3 avait été ajouté, M. King a décrit le rôle de ce produit à l’aide d’une équation de débit, réitérant en fait une des principales opinions exprimées dans son rapport d’expert, plutôt que de répondre à la question posée. Quand on lui a demandé s’il était au courant de la description faite dans le brevet ’670 des caractéristiques de la « colline d’énergie (energy hill) » (qui sera expliquée plus en détail dans les présents motifs) attribuable à la vitesse de décroissance du facteur z compensant la vitesse d’accroissement de la masse moléculaire, M. King a contesté l’explication du brevet plutôt que de répondre à la question.
[23] Le contre-interrogatoire de M. King contient d’autres exemples de ce comportement. Malgré l’expérience et l’expertise incontestables de M. King dans les domaines techniques dont il est question en l’espèce, ce qui précède suscite effectivement des réserves quant à la fiabilité des opinions qu’il exprime sur les questions où les experts respectifs des parties ne s’entendent pas.
C. M. Mukul Sharma
[24] Le troisième expert d’Aux Sable, M. Mukul Sharma, est professeur et a déjà été directeur du département Hildebrand du génie pétrolier et des géosystèmes de l’université du Texas. M. Sharma a enseigné le génie gazier pendant plus de 32 ans. Il a notamment donné des cours sur le transport du gaz naturel par pipeline et les connaissances fondamentales du domaine à des ingénieurs intéressés par ce transport. Il a publié plus de 400 articles et comptes rendus de conférence et il détient plus de 23 brevets. M. Sharma a également reçu des prix techniques prestigieux de la Society of Petroleum Engineers (SPE).
[25] JL Energy soutient que le témoignage de M. Sharma devrait se voir accorder peu de poids, faisant valoir que celui-ci avait préparé son rapport sans vraiment comprendre le concept juridique de personne versée dans l’art. JL Energy est aussi d’avis que M. Sharma n’a pas suffisamment d’expérience en matière de pipeline pour présenter les opinions qu’il voudrait présenter.
[26] J’estime que l’expérience de M. Sharma n’est pas insuffisante au point d’avoir un effet négatif sur le poids à accorder à son témoignage. Selon JL Energy, M. Sharma ne connaît pas bien les pipelines à haute pression qui permettent l’ajout intentionnel de C2 et de C3 de la manière envisagée par le brevet ’670 et son expérience concerne les pipelines du Texas. Je ne crois pas que ces limites nuisent à la capacité de M. Sharma de parler des questions techniques que soulève la présente action. J’estime également que M. Sharma est un témoin compétent et éloquent, qui ne s’est montré aucunement réticent ou partial dans la façon dont il a répondu aux questions posées en contre-interrogatoire.
[27] Toutefois, je conclus que la préoccupation soulevée par JL Energy quant à la façon dont M. Sharma comprend la notion de personne versée dans l’art est fondée. M. Sharma a clairement indiqué dans son témoignage qu’à son avis, la personne versée dans l’art est un ingénieur ayant un niveau moyen d’inventivité, ce qui contredit la description que le juge Rothstein fait de cette personne dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (Sanofi), paragraphe 52, à savoir qu’il s’agit d’un « technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination ». Comme l’a fait remarquer Aux Sable, c’est dans l’analyse de l’évidence que le problème se pose, puisque c’est à partir du point de vue du technicien sans inventivité que la question de l’évidence doit être évaluée, selon le juge Rothstein. Comme nous le verrons plus loin dans les présents motifs, la compréhension erronée que M. Sharma a des caractéristiques de la personne versée dans l’art est pertinente quant au poids qui peut être accordé à certaines de ses opinions sur le caractère évident du brevet ’670. J’estime cependant que cette mauvaise compréhension ne diminue pas le poids qu’il convient d’accorder aux autres aspects de son témoignage.
D. M. Wayne Monnery
[28] JL Energy a fait témoigner deux experts. Le premier, M. Wayne Monnery, est un ingénieur professionnel agréé et il est actuellement le principal ingénieur des procédés pour Chem-Pet Process Technology Ltd., poste qu’il occupe depuis 1996. M. Monnery possède entre autres un doctorat en génie chimique et pétrolier de l’université de Calgary. Il a aussi donné des conférences et des cours dans un certain nombre d’écoles et il a été professeur agrégé adjoint à l’université de Calgary, école de génie Schulich, entre 1999 et 2016. Ses conférences ont notamment porté sur la thermodynamique, la conception de séparateur de phases et le traitement du gaz. M. Monnery a plus de 30 ans d’expérience comme professeur, consultant et chercheur dans le domaine de la thermodynamique et du traitement du pétrole et du gaz.
[29] Je dois expliquer, à ce stade, le différend qui est survenu au procès à propos des connaissances spécialisées. Bien que l’expertise de M. Monnery décrite ci-dessus ait été reconnue et qu’Aux Sable ne se soit pas opposée à ce qu’il soit autorisé à témoigner en tant qu’expert sur les diverses questions soumises à la Cour, JL Energy a demandé que M. Monnery soit reconnu comme expert pour témoigner sur le transport du gaz par pipeline. À cet égard, JL Energy a déposé des éléments de preuve montrant que M. Monnery avait donné des cours du premier cycle universitaire et du second cycle universitaire qui portaient entre autres sur ce domaine. Aux Sable s’est opposée à la qualification de M. Monnery pour ce domaine, non pas parce que celui-ci n’a pas l’expertise requise, mais parce que les cours qu’il a donnés dans ce domaine l’ont tous été après novembre 1996 et donc après la date pertinente pour l’examen de la question de l’antériorité en l’espèce.
[30] J’ai conclu au procès que les compétences de M. Monnery portaient entre autres sur ce domaine et j’ai permis à Aux Sable de le contre-interroger et de présenter par la suite des arguments sur le poids qui devrait être accordé à son témoignage compte tenu du moment où son expertise a été acquise. Même si Aux Sable a par la suite présenté des arguments quant à la fiabilité du témoignage de M. Monnery, elle n’a pas donné suite à son argument concernant le moment où il a acquis son expérience.
[31] Aux Sable soutient que M. Monnery a été un témoin combatif et qu’il a donné des réponses vagues à des questions posées en contre-interrogatoire dans le but de défendre les positions de JL Energy. Je reconnais que des aspects du contre-interrogatoire de M. Monnery soulèvent des préoccupations quant au fait qu’il a quelque peu défendu les intérêts de JL Energy. L’avocat d’Aux Sable a relevé dans le contre-interrogatoire les domaines dans lesquels M. Monnery a témoigné alors qu’il semblait motivé par l’incidence de son témoignage plutôt que par la volonté de répondre aux questions précises qui étaient posées. Par exemple, lorsqu’il a été interrogé sur un chiffre figurant dans l’un des documents d’antériorité invoqués à l’appui des allégations d’antériorité des demanderesses, M. Monnery a exprimé l’opinion selon laquelle ce chiffre ne devait pas être lu conjointement avec un autre chiffre. Il n’a pas répondu à la question posée et a semblé vouloir répondre à ce qu’il croyait être l’un des arguments d’antériorité avancés par les demanderesses.
[32] De même, lorsqu’il a été interrogé au sujet d’un autre document d’antériorité qui concernait la combinaison de deux mélanges de gaz naturel différents, M. Monnery a dit que le terme [traduction] « ajouté », employé par l’avocat d’Aux Sable lorsqu’il a posé la question, était [traduction] « plutôt insidieux ». Au cours du même interrogatoire, l’avocat lui a demandé de confirmer que, lorsqu’on parcourt la liste des mélanges mentionnés dans le document d’antériorité, on constate que les concentrations de liquide de gaz naturel augmentent, M. Monnery a répondu qu’il y avait bien une augmentation, mais qu’elle n’était pas importante. L’avocat a fait remarquer que la question ne portait pas sur l’importance de l’augmentation. M. Monnery a confirmé qu’il n’avait pas déclaré dans son rapport qu’il n’y avait pas d’augmentation importante et qu’il avait entendu le témoignage d’autres experts quant à savoir s’il y avait une augmentation importante.
[33] Je conviens avec Aux Sable que l’on peut voir dans un tel témoignage un effort bien plus grand de défendre une position que ce que la Cour souhaite voir de la part des experts qui comparaissent devant elle. Je ne crois pas que cet effort de M. Monnery ait teinté son témoignage au point d’en compromettre la fiabilité. Toutefois, j’en tiendrai compte au moment d’évaluer le poids qu’il convient de lui accorder dans les domaines où il y aura divergence entre les opinions des experts de chacune des parties.
[34] Aux Sable fait également remarquer que M. Monnery a déclaré en contre-interrogatoire qu’il avait attribué un certain niveau d’inventivité à la personne versée dans l’art, la décrivant comme [traduction] « n’étant pas particulièrement inventive » ou [traduction] « pas très inventive ». Il s’agit d’une erreur semblable à celle de M. Sharma, décrite ci-dessus. La question de la mesure dans laquelle cette erreur influe sur le poids à accorder à l’opinion de M. Monnery, en ce qui concerne l’analyse de l’évidence, sera abordée lorsque cette allégation sera examinée plus loin dans les présents motifs.
[35] Aux Sable soutient également que M. Monnery ne connaissait ni n’a cité aucune des directives juridiques auxquelles il devait se plier, qu’il s’en est remis à tort à des travaux qui n’étaient pas visés par son affidavit, qu’il a mal appliqué les principes juridiques fondamentaux, admettant notamment que, selon sa conception, la personne versée dans l’art n’avait pas lu tous les documents d’art antérieur en l’espèce, et qu’on lui avait demandé de ne pas faire sa propre recherche indépendante dans la littérature. Dans la mesure où ils sont nécessaires pour statuer sur les éléments des allégations d’invalidité visés par ces aspects du témoignage de M. Monnery, ces arguments pourront être examinés lors de l’analyse de ces allégations.
E. M. Mark Ryan
[36] Le deuxième expert de JL Energy, M. Mark Ryan, est un ingénieur professionnel agréé. Il travaille depuis 1993 pour OEL Projects Ltd., où il occupe depuis les 11 dernières années le poste de vice-président du secteur de l’ingénierie de fabrication. Il est titulaire d’un baccalauréat en génie chimique de l’université de Calgary. Depuis qu’il travaille pour OEL Projects Ltd., M. Ryan a réalisé plus de 11 000 projets, dont la plupart ont porté sur la conception de pipelines, que ce soit en tant que projet principal ou dans le cadre de travaux d’installations connexes.
[37] J’ai trouvé que M. Ryan était un témoin franc et direct, qu’il avait témoigné de façon claire et qu’il ne semblait pas être sur la défensive ou défendre les intérêts de la partie qui avait retenu ses services non plus que ses propres opinions. Il a facilement reconnu avoir commis certaines erreurs dans son rapport d’expert. Bien que ces erreurs soient pertinentes dans la mesure où elles concernent des parties de son témoignage qui entrent en jeu dans l’analyse contenue dans les présents motifs, je conclus qu’en général M. Ryan est un témoin fiable, sous réserve de certaines préoccupations précises soulevées par Aux Sable et qui sont décrites ci-dessous.
[38] Contestant le témoignage de M. Ryan, Aux Sable soutient que ce dernier n’a pas correctement exposé, dans son rapport d’expert, les directives juridiques qu’il avait reçues et qu’il avait suivies. Elle a aussi soutenu que M. Ryan avait admis avoir commis des erreurs dans la modélisation informatique qu’il a faite, qu’il avait omis dans son rapport certains résultats qu’il devait inclure selon le Code de déontologie régissant les témoins experts dont il est question à la règle 52.2 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et qu’il n’avait pas mené sa propre recherche sur les antériorités avant de donner son opinion. Dans la mesure nécessaire, ces arguments pourront être abordés lors de l’examen des portions des allégations d’invalidité visées par les aspects pertinents du témoignage de M. Ryan.
[39] Comme pour certains des autres témoins, des préoccupations ont aussi été soulevées quant à l’approche adoptée par M. Ryan à l’égard de la personne versée dans l’art. M. Ryan a déclaré en contre-interrogatoire qu’il estimait pouvoir être assimilé à la personne versée dans l’art, s’agissant de son expérience universitaire et professionnelle à la date pertinente de 1996, et que dans son rapport d’expert il avait exprimé des opinions personnelles qu’il avait prêtées à la personne versée dans l’art. En réinterrogatoire, M. Ryan a aussi confirmé qu’il avait employé la définition de personne versée dans l’art fournie par l’avocat de JL Energy. JL Energy soutient que le témoignage de M. Ryan indique seulement que celui-ci applique sa propre expérience universitaire et professionnelle qui, à la date pertinente, correspondait à celle de la personne versée dans l’art, et non qu’il considère que sa propre expérience correspond entièrement à celle de la personne versée dans l’art.
[40] J’ai examiné l’observation de JL Energy, mais je conviens avec Aux Sable que cet aspect du témoignage de M. Ryan peut soulever des préoccupations. Je ne crois pas que le témoignage que M. Ryan a offert en réinterrogatoire soit particulièrement utile pour trancher cette question. Ce n’est pas parce qu’il a utilisé une définition juridique exacte de la personne versée dans l’art que la question soulevée par son témoignage ― que, du moins dans une certaine mesure, il s’est fondé sur ses opinions personnelles pour accomplir les tâches que le droit des brevets confie à la personne versée dans l’art ― ne se pose pas. Il s’agit de savoir si l’approche adoptée par M. Ryan entache les opinions qu’il a exprimées au sujet de ces tâches. J’examinerai cette question plus loin dans les présents motifs puisqu’elle pourrait avoir une incidence sur des domaines où les opinions des experts des parties divergent.
F. Témoins des faits
[41] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, JL Energy a cité comme témoins des faits l’inventeur du brevet ’670, M. Ian Morris, et plusieurs autres témoins, afin qu’ils parlent de la relation entre le brevet ’670 et Alliance Pipeline. Je n’ai constaté aucun problème quant à la crédibilité de ces témoins. Toutefois, leurs témoignages concernent des facteurs secondaires susceptibles d’être pris en compte dans l’examen du caractère évident du brevet ’670 et, comme je l’expliquerai ci-dessous, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de tenir compte de facteurs secondaires pour statuer sur l’évidence. C’est pourquoi j’estime qu’aucun autre commentaire n’est nécessaire en ce qui concerne les témoins des faits.
V. La personne versée dans l’art
[42] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, certaines des opinions exprimées par les experts des parties soulèvent des préoccupations quant aux caractéristiques particulières de la personne versée dans l’art ou à la façon dont ces caractéristiques ont été présentées. Toutefois, il ne semble y avoir aucun désaccord substantiel entre les parties quant aux caractéristiques attribuées par le droit des brevets à la personne versée dans l’art. Les demanderesses renvoient la Cour à l’extrait suivant, qui décrit le rôle de la personne versée dans l’art dans le contexte particulier de l’analyse de l’évidence, tiré de la décision Apotex Inc. c. H. Lundbeck A/S, 2013 CF 192, paragraphe 83, citant Lilly Icos LLC v. Pfizer Ltd., [2000] EWHC Patents 49 :
[traduction] La question de l’évidence doit s’apprécier du point de vue de la personne versée dans l’art, mais dépourvue d’inventivité. Cette personne n’existe pas, elle est une création juridique servant de critère objectif pour déterminer si une idée particulière peut être protégée par un brevet. Elle est réputée avoir examiné et lu les documents accessibles au public et être au fait des usages notoires dont font état les antériorités. Elle comprend toutes les langues et tous les dialectes, ce qui est évident ne lui échappe jamais, et elle ne cherche pas à être inventive. Elle n’a aucune préférence ni aversion particulière, et manque singulièrement d’imagination. Elle se distingue de toutes les personnes réelles par au moins l’une de ces caractéristiques.
[44] De plus, les experts des parties s’accordent en général, quoique pas complètement, sur les titres de compétence que possède la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet ’670. M. Ramsay a décrit la personne versée dans l’art comme quelqu’un qui détient un diplôme de premier cycle en sciences appliquées, en génie ou dans un domaine connexe et qui a de une à trois années d’expérience de travail pratique en matière de transport de gaz naturel par pipeline. Employant des termes semblables, M. King a décrit la personne versée dans l’art comme quelqu’un qui détient un diplôme de premier cycle en génie ou en sciences appliquées, qui a suivi des cours de premier cycle en thermodynamique et en débit de liquide, et qui a de une à trois années d’expérience de travail pratique liées au transport par pipeline de fluides, y compris le gaz naturel. M. King a déclaré que la personne versée dans l’art peut également avoir travaillé pendant quelques années à la conception et à l’optimisation de pipelines en vue du transport de fluides tels que le gaz naturel ou encore le pétrole.
[45] À l’instar des deux autres experts des demanderesses, M. Shamara a décrit la personne versée dans l’art comme quelqu’un qui détient un diplôme de premier cycle en sciences appliquées, en génie ou dans un domaine connexe, et qui a de une à trois années d’expérience pratique liées au transport par pipeline de gaz naturel. Toutefois, M. Sharma a aussi ajouté un autre élément, déclarant que la personne versée dans l’art pourrait subsidiairement détenir un diplôme d’études supérieures lié au transport du gaz naturel par pipeline et avoir une expérience de travail moindre.
[46] En ce qui concerne les experts de la défenderesse, M. Monnery déclare dans son rapport d’expert que l’avocat de JL Energy lui a demandé d’adopter la description faite par M. King des titres de compétence de la personne versée dans l’art, sous réserve que cette dernière puisse avoir travaillé pendant quelques années à concevoir des pipelines et à en optimiser l’utilisation pour le transport de fluides tels que le gaz naturel ou possiblement le pétrole. Il déclare aussi qu’on lui a demandé de ne pas tenir compte de la description donnée par M. Sharma des titres de compétence de la personne versée dans l’art, notamment que celle-ci puisse posséder un diplôme d’études supérieures lié au transport de gaz naturel par pipeline.
[48] Malgré les quelques divergences mineures que présentent les descriptions qui précèdent des titres de compétence que doit posséder la personne versée dans l’art, je souscris à l’observation d’Aux Sable voulant que JL Energy n’ait fait état d’aucun élément des connaissances pertinentes que doit posséder en l’espèce la personne versée dans l’art qui serait différent selon la description retenue. En effet, je retiens que l’expert de JL Energy, M. Monnery, a déclaré que, même s’il devait adopter les éléments des titres de compétence de la personne versée dans l’art dont il ne devait pas tenir compte à la demande de l’avocat de JL Energy, cela ne changerait pas les opinions qu’il a exprimées dans son rapport. Pour les besoins des présents motifs, et puisqu’aucune partie n’a rien fait valoir d’important sur la question, je retiens la description de la personne versée dans l’art que l’on trouve pour l’essentiel dans les rapports de tous les experts, c’est-à-dire une personne qui détient un diplôme de premier cycle en génie ou en sciences appliquées, qui a suivi des cours de premier cycle en thermodynamique et en débit de liquide et qui a de une à trois années d’expérience de travail pratique en matière de transport de fluides par pipeline, y compris le gaz naturel.
VI. Interprétation des revendications
[49] Après avoir identifié la personne versée dans l’art, je dois maintenant déterminer comment cette dernière interpréterait les revendications du brevet ’670. Il ne semble pas y avoir de désaccord entre les parties en ce qui concerne les principes applicables à l’interprétation d’une revendication. Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, paragraphes 43 et 49, les revendications d’un brevet doivent être interprétées une seule fois et à toutes les fins avant l’examen des questions relatives à la validité. Dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2016 CAF 119, [2017] 2 R.C.F. 280 (Mylan), paragraphe 39, la Cour d’appel fédérale a expliqué comme suit le processus d’interprétation d’une revendication :
[traduction] Les revendications constituent le point de départ dans l’interprétation d’un brevet. Seules les revendications définissent le monopole reconnu par la loi, et le titulaire du brevet est légalement tenu de déclarer, dans les revendications, en quoi consiste l’invention dont il demande la protection. Lors de l’interprétation des revendications, […] le recours au reste du mémoire descriptif : 1) est permis pour éclairer le sens des termes employés dans les revendications; 2) n’est pas nécessaire lorsque le libellé est clair et sans ambiguïté; 3) est abusif si l’on cherche par ce moyen à modifier la portée ou l’étendue des revendications.
[traduction]
1. Une méthode de transport de gaz naturel par pipeline, qui comprend :
a) l’ajout à ce gaz naturel d’une quantité suffisante d’au moins un hydrocarbure en C2 ou C3 ou un mélange d’hydrocarbures en C2 et C3, de manière à ce que ce ou ces hydrocarbures et les hydrocarbures en C2 et C3 (s’il y en avait) présents à l’origine dans le gaz naturel forment un mélange dont la teneur totale en hydrocarbures en C2 ou C3 est suffisante, à la pression et à la température utilisées pour le transport, pour réduire le produit du facteur z et de la masse moléculaire moyenne du mélange à une valeur inférieure à celle du gaz naturel non traité,
b) le transport du mélange ainsi obtenu par pipeline à une température située entre - 40 et + 120° Fahrenheit et à une pression supérieure à 1 000 lb/po2a, ladite pression et ladite température étant choisies de manière à ce que le mélange ainsi obtenu ne comporte pas de phase liquide cohérente à la température et à la pression de transport.
2. Une méthode telle que celle revendiquée à la revendication 1, pour laquelle l’hydrocarbure est ainsi sélectionné
a) entre 26 % et 40 % d’au moins un composé en C2 si la pression est environ 1000 lb/po2a, et la pression dudit composé en C2 diminue graduellement à environ 6 % à 15 % si la pression est environ 2200 lb/po2a, ou
b) entre 12 % et 5 % d’un composé en C3, si la pression est environ 1 000 lb/po2a, la quantité de C3 qui ne provoquera pas la liquéfaction à la pression utilisée diminue régulièrement si la pression est supérieure à 1 000 lb/po2a.
3. Une méthode telle que celle revendiquée à la revendication 1 ou à la revendication 2, pour laquelle le mélange ainsi obtenu ne contient pas plus de 1 % en volume de dioxyde de carbone.
4. Une méthode telle que celle revendiquée à la revendication 1 ou à la revendication 2, pour laquelle le mélange ainsi obtenu ne contient pas plus de 2 % d’azote.
5. Une méthode telle que celle revendiquée dans une quelconque des revendications 1 à 4, pour laquelle la température de transport du mélange ainsi obtenu est située entre - 20 et + 120 °F.
6. Une méthode telle que celle revendiquée dans une quelconque des revendications 1 à 4, pour laquelle la pression de transport du mélange ainsi obtenu est située entre 2160 et 1150 lb/po2a.
7. Une méthode telle que celle revendiquée dans une quelconque des revendications 1 à 6, pour laquelle l’hydrocarbure en C2 ajouté au gaz naturel est l’éthane.
8. Une méthode telle que celle revendiquée dans une quelconque des revendications 1 à 7, pour laquelle l’hydrocarbure en C3 ajouté au gaz naturel est le propane.
9. Un mélange gazeux, à utiliser dans un pipeline à une pression supérieure à 1 000 lb/po2a et une température située entre - 40 et + 120 degrés F, qui comprend :
a) de 68 % à 92 % en volume de méthane;
b) de 6 % à 35 % en volume d’éthane;
c) de 0 % à 9 % en volume de propane;
d) de 0 % en volume d’hydrocarbures en C4 à un pourcentage d’hydrocarbures en C4 qui n’entraîne pas de liquéfaction à la pression utilisée;
e) au plus 1 % de dioxyde de carbone;
f) au plus 2 % d’azote, le total étant 100 %, et ce mélange étant complètement gazeux sans phase liquide à la température et à la pression d’exploitation prévues.
10. Un mélange gazeux tel que celui revendiqué à la revendication 9, ledit mélange gazeux étant à une pression située entre 1 000 et 2 200 lb/po2a et à une température entre - 20 et + 120 degrés F.
[51] Les parties et leurs experts respectifs semblent maintenant s’accorder pour l’essentiel sur l’interprétation des revendications. Encore plus important pour les questions en litige en l’espèce, les deux parties conviennent que la revendication indépendante 1 et les revendications 2 à 8, qui dépendent de la revendication 1, comprennent les éléments suivants :
A. L’ajout intentionnel d’un hydrocarbure en C2 et/ou d’un hydrocarbure en C3 au gaz naturel;
B. L’assurance que le produit de la masse moléculaire (Mm) et du facteur z du mélange gazeux ainsi obtenu est inférieur à celui avant cet ajout.
[52] En conséquence, j’adopte l’interprétation ci-dessus dont les parties ont convenu quant aux revendications 1 à 8. Avant le procès, les parties semblaient être en désaccord sur l’interprétation des revendications 9 et 10. JL Energy estimait que ces revendications comprenaient les mêmes deux éléments décrits au paragraphe précédent, à savoir l’ajout intentionnel d’un C2 et/ou d’un C3 et l’évaluation de l’incidence de cet ajout sur le produit zMm. Les experts d’Aux Sable étaient d’avis que les revendications 9 et 10 portent sur des mélanges gazeux destinés au transport par pipeline, de composition variable et à une pression et une température situées dans une plage donnée, exempts de toute phase liquide, mais ne comprennent pas l’ajout d’un C2 et/ou d’un C3 ni le calcul du produit zMm. Toutefois, ce désaccord a été résolu avant la fin du procès. En contre-interrogatoire, les experts de JL Energy n’ont fait état d’aucun désaccord en ce qui a trait à cet aspect de l’interprétation des revendications faite par les experts d’Aux Sable, et les conclusions finales de JL Energy ont confirmé qu’il n’existait aucun tel désaccord.
[53] J’ajouterai que je reconnais qu’il serait incorrect d’intégrer dans l’interprétation des revendications 9 et 10 les exigences de la revendication 1 liées à l’ajout de C2 et/ou C3 et à l’évaluation de l’incidence de cet ajout sur le produit zMm. Comme l’explique la juge Gauthier dans la décision Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2009 CF 991 (Eli Lilly), paragraphe 123 :
VII. Les revendications 9 et 10 du brevet ’670 sont-elles invalides pour les motifs suivants?
A. Portée excessive
[56] Le paragraphe 27(4) de la Loi dispose que le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif. Aux Sable renvoie la Cour à l’explication donnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt B.V.D. Company v. Canadian Celanese Ltd., [1937] R.C.S. 221, page 237, au sujet de l’invalidité d’un brevet fondée sur la portée excessive de ses revendications :
[traduction] Dans le brevet canadien mis en cause dans le présent appel, l’inventeur a omis d’énoncer dans les revendications la caractéristique essentielle de ce qui constitue vraiment l’objet de son invention, alors que, d’autre part, cette caractéristique est énoncée dans les revendications des brevets britannique et américain. Aucune explication n’est donnée de cet état de choses. On nous demande de dégager de l’ensemble de ce long mémoire descriptif l’objet véritable de l’invention, et de le retrouver dans le texte très général des revendications. Mais il se trouve que les revendications semblent claires et complètes. Il n’est pas nécessaire de se reporter au contexte et il n’y a pas lieu d’interpréter les revendications à la lumière du contexte. Il est possible de prétendre que, même si la caractéristique essentielle de l’invention n’est pas énoncée dans les revendications, le procédé qu’on y décrit comporte nécessairement cette caractéristique essentielle. La Cour ne peut restreindre la portée des revendications en décidant simplement que l’inventeur a dû vouloir viser ce qu’il venait de décrire. Les revendications vont en fait beaucoup plus loin que l’invention. Pour ce motif, le brevet est invalide.
[…] Le point faible de la revendication en cause ici est qu’elle ne comporte pas la mention d’éléments essentiels divulgués comme partie de l’invention. Selon moi, par conséquent, l’arrêt Consolboard ne peut être utile à la position prise par les procureurs des appelantes. Bien qu’il n’y ait aucun doute qu’un brevet doive être interprété équitablement, quand cette interprétation équitable montre qu’un élément essentiel (dans ce cas, une limite) n’a pas été revendiqué, cette omission est fatale pour la validité de la revendication.
[58] S’agissant des revendications 9 et 10 du brevet ’670, Aux Sable soutient qu’elles sont de portée plus large que l’invention divulguée dans le brevet puisqu’elles portent sur des mélanges de gaz naturel, peu importe que de l’éthane ou du propane ait été ajouté au mélange et peu importe que le produit zMm ait diminué après cet ajout. Aux Sable affirme que les éléments nécessaires pour limiter les revendications 9 et 10 de l’invention du brevet ’670 sont absents.
[59] À l’appui de cette position, Aux Sable renvoie la Cour à l’« abrégé de l’invention » se trouvant dans le mémoire descriptif du brevet ’670, que voici :
[traduction]
Abrégé de l’invention
Il est maintenant établi que, à des pressions supérieures à 1 000 lb/po2a, il est avantageux d’ajouter au gaz naturel un additif qui est un hydrocarbure en C2 ou C3 ou un mélange de ces additifs. Au-delà d’une limite inférieure (qui varie avec l’additif ajouté et la pression), il s’ensuit un produit plus petit du facteur z par la masse moléculaire moyenne du gaz (appelé ci-après le produit zMm) que celui du méthane seul et, par conséquent, qui se traduit par une diminution de la quantité de puissance nécessaire pour pomper le mélange ou le compresser.
[60] Aux Sable s’appuie aussi sur les témoignages de ses experts. M. Sharma indique dans son rapport que la personne versée dans l’art qui lirait le brevet ’670 dans son ensemble comprendrait que l’invention divulguée porte en général sur l’ajout d’un hydrocarbure en C2 et/ou en C3 à du gaz naturel, de sorte que le produit de la masse moléculaire moyenne par le facteur z du mélange ainsi obtenu est inférieur et que le transport du mélange à la pression et à la température revendiquées est plus efficace. M. Sharma est d’avis que les revendications 9 et 10 du brevet ’670 ont une portée plus large que celle de l’invention décrite dans le brevet, car ces revendications ne requièrent pas l’ajout d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3, ne requièrent pas une comparaison du mélange gazeux avant et après l’ajout et ne requièrent pas que le produit zMm du mélange ait diminué par suite d’un tel ajout.
[61] M. Ramsay formule des conclusions semblables dans son rapport. Je ne vois rien dans les contre-interrogatoires des experts d’Aux Sable ou dans les rapports en réponse préparés par les experts de JL Energy qui contredit de manière significative l’analyse et les conclusions de M. Sharma ou de M. Ramsay sur la portée excessive des revendications 9 et 10.
[62] JL Energy soulève deux arguments principaux en réponse à cette allégation d’invalidité. Tout d’abord, elle doute que l’arrêt Amfac Foods soit toujours valable, faisant valoir que, par son allégation de portée excessive, Aux Sable tente d’appliquer une version de la doctrine de la promesse au sujet de laquelle la Cour suprême du Canada a dit, dans l’arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2017 CSC 36, [2017] 1 R.C.S. 943 (AstraZeneca), qu’il ne s’agissait pas d’une règle de droit valide. Ensuite, JL Energy soutient qu’Aux Sable n’a pas étayé son argument, ses experts n’ayant pas effectué l’analyse des éléments essentiels qui était nécessaire pour appuyer son allégation de portée excessive.
[63] En ce qui concerne l’incidence de l’arrêt AstraZeneca sur l’arrêt Amfac Foods, JL Energy rappelle l’avertissement formulé par le juge Phelan dans la décision Hospira Healthcare Corporation c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2018 CF 259 (Hospira Healthcare), à savoir que l’idée de faire revivre la doctrine de la promesse en l’intégrant dans l’analyse de la portée excessive est incompatible avec l’arrêt AstraZeneca. J’accepte ce point de vue, mais j’estime qu’il ne permet pas de conclure que l’arrêt AstraZeneca a modifié le droit relatif à la portée excessive établi dans l’arrêt Amfac Foods. Au contraire, l’arrêt AstraZeneca précise au paragraphe 46 qu’une revendication excessive peut être déclarée invalide. La jurisprudence montre également que les tribunaux se sont penchés sur des allégations de portée excessive après que l’arrêt AstraZeneca a été rendu (voir Apotex Inc. c. Shire LLC, 2018 CF 637, paragraphes 146 à 148).
[64] JL Energy fait valoir que les arguments soulevés par Aux Sable au soutien de son allégation de portée excessive sont semblables à ceux qu’elle a invoqués pour étayer son allégation d’inutilité et qu’il serait plus approprié de s’y intéresser dans le cadre d’une analyse de l’inutilité. Je reconnais que ces arguments présentent des similitudes. Toutefois, dans l’arrêt Bombardier Produits Récréatifs Inc. c. Arctic Cat, Inc., 2018 CAF 172, paragraphe 64, la Cour d’appel fédérale a fait une mise en garde contre le danger de confondre les différentes allégations d’invalidité. J’examinerai l’allégation d’inutilité dans la prochaine section des présents motifs, tout en examinant de façon distincte les arguments d’Aux Sable sur la portée excessive.
[65] L’essentiel de l’observation de JL Energy ― qu’Aux Sable tente indûment d’intégrer la doctrine de la promesse à l’examen d’une allégation d’invalidité ― est qu’Aux Sable demande à la Cour de conclure que les revendications 9 et 10 sont invalides parce qu’elles ne respectent pas la promesse d’une diminution du produit zMm découlant de l’ajout d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3. JL Energy soutient qu’indépendamment de la méthode divulguée par le brevet ’670 pour parvenir à un transport efficace du gaz naturel, le brevet divulgue, dans un tableau du mémoire descriptif, une série de plages applicables à certains constituants du gaz naturel, ainsi que des plages de température et de pression, le tout décrit comme étant [traduction] « la composition privilégiée du gaz obtenu ». JL Energy affirme que, comme les revendications 9 et 10 n’ont pas une portée plus large que celle de cette composition privilégiée, elles n’ont pas une portée plus large que l’invention divulguée par le brevet.
[66] À cela Aux Sable répond que cette affirmation de JL Energy n’est pas fondée sur les témoignages de ses experts. Je suis d’accord. Les experts de JL Energy ne croient pas que l’invention divulguée par le brevet ’670 s’entende des plages de compositions, de températures et de pressions figurant au tableau du mémoire descriptif invoqué par JL Energy. En fait, la preuve non contestée présentée à la Cour quant à la nature de l’invention divulguée est plutôt celle qui est décrite ci-dessus et qui consiste en l’ajout d’un hydrocarbure en C2 et/ou en C3 et en l’assurance que le produit zMm est inférieur pour le mélange obtenu. Je conclus également que l’observation de JL Energy voulant qu’Aux Sable tente à tort d’intégrer la doctrine de la promesse à l’examen de l’allégation de portée excessive n’est pas fondée. Aux Sable ne soutient pas que l’invention ne respecte pas la promesse faite dans le mémoire descriptif, mais plutôt que les revendications ont une portée plus large que l’invention divulguée dans ce mémoire descriptif, selon l’interprétation qu’en ont faite les experts par l’entremise de la personne versée dans l’art.
[67] Je souligne également l’observation de JL Energy, qui affirme qu’Aux Sable n’a pas présenté d’arguments ou d’éléments de preuve tendant à démontrer que les inventeurs du brevet ’670 n’ont pas utilisé le paramètre zMm pour sélectionner les plages indiquées dans les revendications 9 et 10. Cette observation s’applique peut-être davantage à l’allégation d’inutilité et elle sera examinée en même temps que celle-ci. Toutefois, j’en ai tenu compte dans l’examen des arguments de JL Energy sur la portée excessive parce qu’elle pourrait étayer la conclusion que l’utilisation du paramètre zMm, bien qu’elle ne soit pas expressément mentionnée dans les revendications 9 et 10, a été déterminante dans le choix des plages indiquées dans ces revendications.
[69] Je suis conscient qu’il appartient aux demanderesses de prouver leurs allégations concernant la portée excessive. Je reconnais en outre que M. Sharma n’a inclus dans son rapport aucun calcul à l’appui de sa conclusion que les plages mentionnées dans les revendications 9 et 10 comprennent des sélections inefficaces. Toutefois, cette conclusion ne semble pas être contestée par les experts de JL Energy. En effet, dans sa réponse au paragraphe pertinent du rapport de M. Sharma, M. Monnery parle de l’avantage d’utiliser le produit zMm en tant que critère pour déterminer quelles conditions et compositions seraient efficaces. M. Monnery parle des inventeurs qui ont fait état et discuté des sélections inefficaces par rapport aux sélections efficaces dans le mémoire descriptif et il se dit d’avis que la personne versée dans l’art aurait compris que l’idée d’utiliser le produit zMm en tant que critère s’appliquait aussi aux revendications 9 et 10. À mon avis, cette preuve ne réfute pas la conclusion de M. Sharma, mais elle explique que le paramètre zMm doit être utilisé pour éviter les sélections inefficaces dans les plages établies dans les revendications 9 et 10. Je conclus donc que les inventeurs du brevet ’670 n’ont pas utilisé le paramètre zMm pour sélectionner les plages indiquées dans les revendications 9 et 10 et que les préoccupations relatives à la portée excessive de ces revendications ne peuvent pas être éliminées sur ce fondement.
[70] Je passe maintenant au deuxième argument de JL Energy, à savoir qu’Aux Sable n’a pas étayé comme elle était tenue de le faire son allégation de portée excessive, ses experts n’ayant pas effectué l’analyse des éléments essentiels nécessaire à cet égard. JL Energy s’appuie sur l’extrait précité de l’arrêt Amfac Foods [au paragraphe 32], que je répète par souci de commodité :
[…] Le point faible de la revendication en cause ici est qu’elle ne comporte pas la mention d’éléments essentiels divulgués comme partie de l’invention. Selon moi, par conséquent, l’arrêt Consolboard ne peut être utile à la position prise par les procureurs des appelantes. Bien qu’il n’y ait aucun doute qu’un brevet doive être interprété équitablement, quand cette interprétation équitable montre qu’un élément essentiel (dans ce cas, une limite) n’a pas été revendiqué, cette omission est fatale pour la validité de la revendication. [Non souligné dans l’original.]
[71] JL Energy soutient que les experts d’Aux Sable se sont livré à l’exercice d’interprétation des revendications qui doit précéder l’examen des allégations d’invalidité et qu’ils n’ont pas jugé que les éléments sur lesquels l’allégation de portée excessive reposait (c.-à-d. l’ajout de C2 et/ou de C3 et le calcul du produit zMm) étaient des éléments essentiels. À mon avis, cet argument témoigne d’une mauvaise compréhension du terme « élément essentiel » utilisé par la Cour d’appel fédérale dans l’extrait précité de la décision Amfac Foods.
[72] Je suis conscient que, comme l’explique l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024 (Free World Trust), paragraphes 20 à 23, il peut être nécessaire, pour l’examen des allégations de validité et de contrefaçon, de déterminer les éléments essentiels et non essentiels des revendications d’un brevet dans le cadre de l’exercice d’interprétation des revendications qui doit précéder cet examen. Or, il ne s’agit manifestement pas de la même analyse que celle envisagée au paragraphe 32 de la décision Amfac Foods, dans lequel il est question des éléments essentiels divulgués comme partie de l’invention et de la nécessité de déterminer si ces éléments sont mentionnés dans les revendications du brevet. Cette analyse ne vise pas à savoir si un élément est un élément essentiel ou non des revendications (le processus envisagé dans l’arrêt Free World Trust), mais plutôt si cet élément est mentionné dans les revendications.
[73] Je reconnais néanmoins que l’analyse envisagée dans l’arrêt Amfac Foods exige que l’élément de l’invention divulguée, qui serait absent des revendications, soit un élément essentiel de cette invention. Toutefois, à cet égard, j’estime que les rapports d’expert sur lesquels s’appuie Aux Sable ne contiennent aucune lacune. Bien que M. Sharma n’ait pas précisé que les éléments de l’invention non mentionnés dans les revendications 9 et 10 sont des « éléments essentiels », c’est manifestement le message qu’il a transmis dans son témoignage. En effet, en présentant son opinion sur la portée excessive, M. Sharma renvoie dans son rapport au conseil qu’il a reçu, vraisemblablement de l’avocat d’Aux Sable, à savoir que les revendications sont de portée excessive si un élément essentiel de l’invention n’y figure pas. En outre, M. Ramsay précise que l’ajout de C2 et/ou de C3 et la limite que constitue le produit zMm sont une [traduction] « limite essentielle » dont il n’est pas fait état dans les revendications 9 et 10.
[74] Pour terminer avec ce motif d’invalidité, je conclus qu’Aux Sable s’est acquittée de son fardeau d’établir que les revendications 9 et 10 du brevet ’670 sont invalides pour cause de portée excessive. Étant donné cette conclusion, il n’est pas absolument nécessaire que j’examine les autres motifs d’invalidité soulevés par les demanderesses relativement à ces revendications. Toutefois, dans la mesure où il est logique et utile de le faire, j’analyserai ces autres motifs pour le cas où j’aurais commis une erreur dans mon raisonnement.
B. Inutilité
[75] Conformément à la définition d’« invention » contenue dans la Loi [à l’article 2], une invention doit présenter le caractère de l’« utilité ». Aux Sable soutient que les revendications 9 et 10 du brevet ’670 sont invalides pour absence d’utilité, parce que la limite, figurant dans les revendications 1 à 8 et consistant en l’ajout d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3 et en l’assurance d’une réduction du produit zMm dans le mélange de gaz obtenu, n’y est pas mentionnée. Aux Sable fait valoir que les revendications 9 et 10 portent donc sur des compositions gazeuses générales ne permettant pas un transport efficace et qu’elles sont donc inutiles et invalides.
[76] Le droit actuellement applicable aux allégations d’inutilité est expliqué comme suit dans l’arrêt AstraZeneca [aux paragraphes 52 à 55] :
Le libellé de l’art. 2 de la Loi donne le fondement au type d’utilité qui est pertinent en exigeant que ce soit l’objet de l’invention ou de son amélioration qui soit utile. Pour que l’objet fonctionne en tant que solution ingénieuse à un problème concret, l’invention doit avoir une utilisation pertinente réelle et ne pas être dénuée d’utilité. Comme l’a conclu le juge Binnie dans <I>AZT</I>, un brevet « est un moyen d’encourager les gens à rendre publiques les solutions ingénieuses apportées à des problèmes concrets, en promettant de leur accorder un monopole limité d’une durée limitée » : par. 37, (je souligne).
Ce qui constitue une utilité acceptable variera en fonction de l’objet de l’invention cerné à la suite de l’interprétation des revendications. Ainsi, la portée des utilisations potentielles acceptables pour qu’il soit satisfait à la condition énoncée à l’art. 2 est limitée ― ce n’est pas n’importe quelle utilisation qui suffira. Puisqu’il est exigé que l’utilité de l’invention proposée soit liée à la nature de l’objet, une invention proposée ne peut être sauvée par une utilité qui n’a aucun lien avec lui. Il ne suffit pas que l’inventeur voulant faire breveter une machine fasse valoir qu’elle est utile en tant que presse‑papier.
Pour déterminer si un brevet divulgue une invention dont l’utilité est suffisante au sens de l’art. 2, les tribunaux doivent procéder à l’analyse suivante. Ils doivent d’abord cerner l’objet de l’invention suivant le libellé du brevet. Puis, ils doivent se demander si cet objet est utile ― c’est‑à‑dire, se demander s’il peut donner un résultat concret.
La Loi ne prescrit pas le degré d’utilité requis. Elle ne prévoit pas non plus que chaque utilisation potentielle doit être réalisée ― une parcelle d’utilité suffit. Une seule utilisation liée à la nature de l’objet est suffisante, et l’utilité doit être établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable à la date de dépôt : <I>AZT</I>, par. 56.
[78] Comme je l’ai mentionné, les arguments d’Aux Sable sur l’inutilité présentent des similitudes avec ses arguments sur la portée excessive, tout comme le témoignage d’expert sur lequel Aux Sable s’appuie. M. Ramsay dit dans son rapport que la personne versée dans l’art comprendrait que l’objet de l’invention revendiquée dans le brevet ’670 réside dans le transport plus efficace d’un mélange de gaz naturel ou, autrement dit, dans une diminution de la puissance nécessaire pour pomper le mélange ou le compresser. M. Ramsay dit aussi que l’objet des revendications 9 et 10 n’est pas utile parce que ces revendications ne se limitent pas aux mélanges gazeux qui atteignent un certain niveau d’efficacité et que de par leur portée très large, elles englobent des mélanges gazeux très inefficaces pour le transport par pipeline.
[79] Dans le même sens, M. Sharma déclare dans son rapport que l’invention décrite dans le brevet ’670 concerne des méthodes visant à transporter plus efficacement le gaz naturel dans les paramètres précisés dans les revendications. Toutefois, il est d’avis que, parce qu’elles ne précisent pas que le produit zMm doit diminuer, les revendications 9 et 10 ne contiennent aucune limite qui permettrait un transport plus efficace. Au contraire, en raison de la très vaste gamme de températures, de pressions et de concentrations, ces revendications englobent des sélections très inefficaces, et ne comportent aucune exigence voulant que de telles sélections inefficaces soient évitées. M. Sharma conclut donc que les revendications 9 et 10 sont dépourvues d’utilité.
[80] Aux Sable soutient, et je suis d’accord avec elle, que ces conclusions concernant les mélanges ou les sélections inefficaces ne sont pas contredites par les témoignages présentés par les experts de JL Energy. Comme je l’ai expliqué dans mon analyse sur la portée excessive, je suis d’avis que le rapport de M. Monnery explique que le paramètre zMm doit être utilisé pour éviter les sélections inefficaces dans les plages prescrites par les revendications 9 et 10. Comme le recours à ce paramètre n’est pas prévu dans les revendications 9 et 10, le témoignage de M. Monnery tend à confirmer que celles-ci englobent des compositions, des températures et des pressions inefficaces, et qu’elles sont donc dépourvues d’utilité. À mon avis, le rapport de M. Ryan va dans le même sens et tend donc vers la même conclusion.
[81] Je conviens que le brevet ’670 est présumé valide et qu’il appartient donc aux demanderesses de démontrer, relativement à ce motif particulier d’invalidité, que les revendications 9 et 10 n’ont même pas une parcelle d’utilité. Toutefois, JL Energy reconnaît que si une combinaison de composition, de pression et de température, sélectionnée dans les plages prescrites par l’une ou l’autre de ces revendications, n’a pas cette parcelle d’utilité, alors la revendication est invalide. JL Energy fait valoir qu’il y a utilité si le rendement hydraulique est accru ou si le mélange peut simplement être transporté par pipeline.
[82] En ce qui concerne la première forme d’utilité soulevée par JL Energy, le rendement hydraulique accru, je conclus que la preuve ci-dessus décrite permet à Aux Sable de s’acquitter du fardeau d’établir que les plages prescrites par les revendications 9 et 10 permettent des combinaisons inefficaces de composition gazeuse, de pression et de température. Comme je l’ai mentionné dans mon analyse sur la portée excessive, je reconnais que les experts d’Aux Sable n’ont inclus dans leurs rapports aucun calcul démontrant l’inefficacité d’une combinaison précise sélectionnée dans les plages prescrites par les revendications 9 et 10. Toutefois, leurs opinions sur ce point sont claires, elles n’ont pas été contestées en contre-interrogatoire et ne sont pas contredites par celles exprimées par les experts de JL Energy. Si l’utilité passe par une efficacité accrue, Aux Sable a établi que les revendications 9 et 10 du brevet ’670 en sont dépourvues.
[83] La deuxième forme d’utilité soumise à notre attention par JL Energy réside dans le transport par pipeline d’un mélange gazeux selon la composition et aux conditions précisées par les revendications 9 et 10. À cet égard, JL Energy soutient qu’il existe une distinction entre les revendications 1 à 8, qui portent sur des méthodes, et les revendications 9 et 10, qui portent sur un mélange de gaz destiné à un usage particulier, c.-à-d. à être utilisé dans un pipeline. Or, j’ai du mal à conclure que le simple fait qu’un tel mélange gazeux puisse être transporté dans un pipeline représente la parcelle d’utilité envisagée dans l’analyse de l’arrêt AstraZeneca.
[84] Il convient de rappeler que l’utilité requise doit être appréciée au regard de l’objet de l’invention revendiquée. Parmi les experts, c’est M. Ramsay qui traite le plus directement de l’objet revendiqué. Dans la section de son rapport consacré à cette question, il fait remarquer que, bien que les revendications 9 et 10 n’exigent pas une diminution du produit zMm, elles exigent une concentration minimale de 6 p. 100 d’éthane et une pression minimale de 1 000 lb/po2. Sur ce fondement, M. Ramsay conclut que malgré l’absence d’une limite s’appliquant au produit zMm, l’efficacité demeure une préoccupation pour les inventeurs en ce qui concerne les revendications 9 et 10.
[85] Le rapport de M. Ryan répond à cette conclusion de M. Ramsay. M. Ryan est d’avis que celle-ci est contredite par une autre conclusion de M. Ramsay, selon laquelle les revendications 9 et 10 ne comprennent pas la limite relative au produit zMm qui, selon la personne versée dans l’art, permettrait un transport plus efficace du gaz naturel et qu’elles ne sont donc pas utiles. Je ne considère pas que ces conclusions sont contradictoires. Je comprends plutôt que M. Ramsay est d’avis que les valeurs minimales que semblent prescrire les revendications 9 et 10, et qui concordent avec les valeurs minimales qui figurent dans certaines des revendications 1 à 8, montrent que l’objet de l’invention est le même dans toutes les revendications et qu’il consiste dans le transport efficace du gaz naturel, même si les moyens d’atteindre cette efficacité, dont le calcul du produit zMm, ne font pas partie des revendications 9 et 10.
[86] Je reviens à l’arrêt AstraZeneca dans lequel la Cour suprême explique, au paragraphe 53, que ce qui constitue une utilité acceptable variera en fonction de l’objet de l’invention « cerné à la suite de l’interprétation des revendications ». Comme je l’ai dit précédemment, je suis conscient que les revendications doivent être interprétées une seule fois et à toutes les fins, avant l’examen des allégations d’invalidité. Par conséquent, si les conclusions de M. Ramsay au sujet de l’objet de l’invention visaient à compléter l’interprétation des revendications 9 et 10, elles ne sauraient servir à l’examen de l’allégation d’inutilité. Toutefois, je ne crois pas que ce soit là la nature de son analyse. La Cour suprême explique également, au paragraphe 49 de l’arrêt AstraZeneca, qu’en définitive, chaque invention ne se rapporte qu’à un seul objet :
L’objet de l’invention peut comporter de multiples facettes, de sorte qu’un même objet peut être décrit de plusieurs façons. Comme l’a expliqué David Vaver :
[traduction] Par souci de simplicité, la règle est la suivante : « une invention, une demande, un brevet ». Mais les inventions sont comme des prismes à multiples facettes : de multiples revendications (parfois même des centaines) portant sur toutes les facettes sont permises pour un même brevet si un « seul concept inventif général » les relie.
(D. Vaver, Intellectual Property Law (2e éd. 2011, p. 275)
Pourtant, en définitive, chaque invention ne se rapporte qu’à un seul objet, et il suffit d’une utilisation de cet objet, démontrée ou valablement prédite à la date de dépôt, pour que l’invention soit utile au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’art. 2. [Non souligné dans l’original.]
[87] Je ne crois pas que l’analyse de M. Ramsay dont il est question ci-dessus ajoute quelque chose à l’interprétation des revendications à laquelle tous les experts ont pour l’essentiel souscrit. M. Ramsay s’appuie plutôt sur cette interprétation (c.-à-d. que les revendications 9 et 10 portent sur des mélanges gazeux de composition variable, destinés au transport par pipeline, à une pression et une température situées dans une plage donnée, exempts de toute phase liquide), et en particulier sur certaines valeurs minimales employées pour définir les plages dont il est question dans cette interprétation, pour justifier sa conclusion que l’invention a pour seul objet le transport efficace du gaz naturel. Je souscris à cette conclusion et je rejette donc l’argument de JL Energy qui prétend que le simple fait que les mélanges gazeux envisagés dans les revendications 9 et 10 puissent être transportés par pipeline, aux pressions et aux températures mentionnées dans ces revendications, satisfait à la condition d’utilité. Cet argument ne va pas aussi loin que celui selon lequel une machine par ailleurs inutile puisse être utile en tant que presse‑papier (AstraZeneca, paragraphe 53). J’estime toutefois qu’il va dans le même sens.
[88] Enfin, je précise que je ne pense pas que l’examen relatif à l’utilité des revendications 9 et 10, qui repose sur la question de savoir si celles-ci comprennent des sélections inutiles, soit une application de la doctrine de la promesse. Ces revendications sont dénuées d’utilité, non pas parce que le brevet ’670 promet un transport efficace du gaz naturel, mais parce que c’est le transport efficace du gaz naturel qui est l’objet de l’invention.
C. Antériorité
[89] Les allégations d’invalidité pour cause d’antériorité ou d’absence de nouveauté sont régies par l’article 28.2 de la Loi, qui prévoit ce qui suit :
28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :
a) plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;
b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;
c) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a);
d) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt correspond ou est postérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a) si :
(i) cette personne, son agent, son représentant légal ou son prédécesseur en droit, selon le cas :
(B) a antérieurement déposé de façon régulière, dans un autre pays ou pour un autre pays, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a), dans le cas où ce pays protège les droits de cette personne par traité ou convention, relatif aux brevets, auquel le Canada est partie, et accorde par traité, convention ou loi une protection similaire aux citoyens du Canada,
(ii) la date de dépôt de la demande déposée antérieurement est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa a),
(iii) à la date de dépôt de la demande, il s’est écoulé, depuis la date de dépôt de la demande déposée antérieurement, au plus douze mois,
(iv) cette personne a présenté, à l’égard de sa demande, une demande de priorité fondée sur la demande déposée antérieurement.
Retrait de la demande
(2) Si la demande de brevet visée à l’alinéa (1)c) ou celle visée à l’alinéa (1)d) a été retirée avant d’être devenue accessible au public, elle est réputée, pour l’application des paragraphes (1) ou (2), n’avoir jamais été déposée.
[90] Comme l’explique la Cour suprême du Canada au paragraphe 28 de l’arrêt Sanofi, pour déterminer s’il y a antériorité, il faut se demander si un même document de l’art antérieur divulgue les éléments qui permettent à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention. La Cour suprême explique également, au paragraphe 25, que la divulgation antérieure s’entend de la divulgation de ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet. Aux Sable soutient aussi, et je suis d’accord, que la jurisprudence de la Cour fédérale montre que la divulgation antérieure d’un élément se situant dans une plage prescrite par un brevet a un caractère d’antériorité (voir, par exemple, Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., 2002 CAF 158, [2003] 1 C.F. 49 (Baker Petrolite), paragraphe 42; Calgon Carbon Corporation c. North Bay (Ville), 2006 CF 1373 (Calgon Carbon), paragraphes 8, 153 et 163. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur l’importance, pour les besoins de l’analyse de l’antériorité, d’un document d’antériorité qui divulgue un élément se situant dans les plages prescrites par le brevet et qui pourtant écarte l’utilisation de cet élément. Cette question sera abordée ci-dessous.
[93] À titre d’introduction, le résumé du document Stinson est ainsi rédigé :
[traduction] Le transport de grands volumes de gaz naturel au travers de zones comportant du pergélisol présente des problèmes inhabituels. La pratique actuelle en Sibérie comprend déjà l’utilisation de pipelines de grand diamètre sous haute pression. Dans les pipelines de grand diamètre enfouis, on n’arrive pas à atteindre un état d’équilibre avec les températures du sol et un espacement normal des stations de compression. Des études précédentes laissent croire que l’utilisation de gaz réfrigéré, de pipelines enfouis et d’alliages basse température réduira l’impact sur l’environnement, la corrosion des pipelines et le coût associé au transport de grands volumes de gaz naturel. L’abaissement de la température d’écoulement du gaz naturel augmentera la capacité du pipeline en réduisant le débit volumétrique non seulement par contraction thermique du gaz, mais aussi par amélioration de l’efficacité associée à une augmentation de pression. Ce comportement non idéal du gaz se traduit par de faibles valeurs du facteur de compressibilité.
[94] Lorsqu’il a effectué l’étude décrite dans l’abrégé, M. Stinson a tenu compte d’un mélange particulier de gaz naturel, à trois températures différentes et à plusieurs pressions différentes, et il a calculé le facteur de compressibilité pour chaque combinaison, le tout tel qu’il est indiqué dans le tableau et le graphique figurant dans le document. Aux Sable fait remarquer que la composition du mélange de gaz naturel ainsi que plusieurs combinaisons de pression et de température se situent dans les plages prescrites dans les revendications 9 et 10 du brevet ’670. Cette observation est corroborée par le témoignage de M. Sharma, et je ne comprends pas pourquoi JL Energy ou ses experts la contestent. En ce qui concerne le caractère réalisable, M. Sharma affirme aussi dans son rapport que la personne versée dans l’art serait en mesure de lire et de comprendre le document Stinson et d’utiliser les renseignements divulgués pour créer un mélange gazeux destiné au transport, aux pressions et aux températures revendiquées par le brevet. Les arguments de JL Energy ne portent pas particulièrement sur le volet « caractère réalisable » de l’analyse relative à l’antériorité.
[95] JL Energy soutient plutôt que la personne versée dans l’art n’aurait pas conclu que la composition gazeuse mentionnée dans le document Stinson, aux températures et pressions précisées dans ce document sur lequel Aux Sable s’appuie, devait être utilisée dans un pipeline comme l’exigent les revendications 9 et 10. JL Energy fait valoir que le document Stinson écarte l’utilisation de cette composition gazeuse aux températures et aux pressions situées dans les plages établies dans les revendications 9 et 10.
[96] L’avocat de JL Energy a présenté des arguments détaillés expliquant comment M. Stinson arrive à la conclusion que [traduction] « [le] recours à de faibles températures et pressions de transport plus élevées que la normale semble attrayant au niveau économique dans des conditions permanentes ». M. Stinson calcule le débit et les exigences en puissance pour le transport par pipeline du mélange gazeux mentionné à diverses températures et pressions. Les observations de JL Energy avaient pour but de démontrer que, bien que le tableau du document Stinson sur lequel s’appuie Aux Sable divulgue et calcule le facteur de compressibilité du mélange gazeux mentionné en fonction d’une combinaison de température et de pression sélectionnée dans les plages, la conclusion de M. Stinson quant aux températures et aux pressions optimales du point de vue économique pour le transport par pipeline du mélange gaz concernait une combinaison de conditions qui ne relevaient pas des revendications 9 et 10 du brevet ’670.
[97] Bien que l’observation de l’avocat quant à cette interprétation du document Stinson ne soit pas pour l’essentiel corroborée par la preuve d’expert, j’accepte la description faite par JL Energy des conclusions tirées par M. Stinson, sans comprendre vraiment pourquoi Aux Sable la conteste. Aux Sable soutient plutôt que la question de savoir si le document Stinson écarte une combinaison de températures et de pressions relevant des revendications 9 et 10, bien qu’elle puisse être utile pour l’analyse relative à l’évidence, n’a juridiquement aucune importance pour l’analyse de l’antériorité.
[98] Au soutien de cet argument, Aux Sable invoque d’abord l’explication donnée par la juge Snider dans la décision Schering-Plough Canada Inc. c. Pharmascience Inc., 2009 CF 1128 (Schering-Plough), paragraphe 97, à savoir que le fait qu’un document d’antériorité enseigne des formulations qui ne contrefont pas un brevet, ainsi que des formulations qui le contrefont, n’est pas un facteur pertinent pour l’examen de l’antériorité. En réponse à l’argument selon lequel le document Stinson recommande une température inférieure à celles se situant dans les plages établies dans les revendications 9 et 10, Aux Sable renvoie la Cour à la décision Merck & Co., Inc. c. Pharmascience Inc., 2010 CF 510, dans laquelle le juge Hughes s’est demandé (entre autres choses) si un brevet antérieur, qui divulguait l’utilisation d’un médicament donné (et établissait une gamme de doses privilégiée) antériorisait l’utilisation du médicament à faible dose. Le juge Hughes a conclu, aux paragraphes 166 à 168, que le brevet antérieur divulguait ce qui faisait l’objet de la revendication du brevet en litige, y compris le dosage, et en permettait la réalisation. Je reconnais que ces décisions appuient la position d’Aux Sable. Ce n’est pas parce que le document Stinson recommande un ensemble particulier de conditions pour le transport par pipeline de la composition gazeuse qui y est mentionnée que l’on peut conclure que les autres ensembles de conditions divulguées dans ce document qui, tout comme la composition, se situent dans les plages établies dans les revendications 9 et 10, n’antériorisent pas ces revendications.
[100] Enfin, JL Energy soulève un problème au sujet des CGC de la personne versée dans l’art qui, d’après lui, influencerait la manière dont celle-ci interpréterait le document Stinson. Les CGC de la personne versée dans l’art seront examinées plus en profondeur dans le cadre de l’analyse de l’évidence que je ferai plus loin dans les présents motifs, mais le problème que soulève JL Energy est que la pratique courante que la personne versée dans l’art aurait connue au milieu des années 1990 était celle du transport de gaz dit « pauvre » avec des concentrations d’éthane relativement faibles n’excédant pas 6 p. 100.
[101] JL Energy renvoie au témoignage de M. Ramsay au sujet de la pratique courante, connue de la personne versée dans l’art, qui consiste à éliminer les hydrocarbures en C2 et/ou en C3 du gaz naturel, comme moyen de produire un gaz pauvre (pour le transport par pipeline) et de récupérer les hydrocarbures en C2 et/ou en C3 pour traitement ultérieur, ces composés étant des produits de valeur. M. Ramsay a convenu que le recours à des concentrations plus élevées d’hydrocarbures plus lourds dans le pipeline (que l’avocat de JL Energy a décrites par renvoi à la limite de 6 p. 100 établie dans le brevet ’670) pourrait entraîner des problèmes d’ordre pratique et de sécurité à cause de la liquéfaction et que, pour les pipelines classiques qui étaient exploités au milieu des années 1990, des considérations pratiques et réglementaires restreignaient donc les concentrations de C2 et/ou C3.
[102] Avec ce témoignage comme toile de fond, JL Energy soutient que la personne versée dans l’art qui aurait lu le document Stinson aurait remarqué que la concentration d’éthane (C2) dans la composition gazeuse mentionnée s’élevait à plus de 9 p. 100, et qu’elle aurait conclu que l’analyse contenue dans ce document était théorique et qu’une telle composition n’était pas destinée à être utilisée dans un pipeline.
[103] J’accepte la description que JL Energy fait de la preuve liée à cet aspect des CGC de la personne versée dans l’art. Néanmoins, je ne saurais conclure que la personne versée dans l’art ne considérerait pas que le document Stinson divulgue un mélange gazeux (dans les plages de composition, de température et de pression des revendications 9 et 10) destiné à être utilisé dans un pipeline. M. Monnery a confirmé en contre-interrogatoire que le document Stinson décrit le transport de gaz naturel par pipeline dans des conditions de pergélisol. Il est difficile de ne pas conclure que le mélange gazeux divulgué dans le document Stinson est destiné à être utilisé dans un pipeline, puisque le document porte entièrement sur le transport par pipeline de gaz naturel. Ce n’est pas parce que le document Stinson divulgue une composition gazeuse qui ne fait pas partie de l’expérience courante que devrait avoir la personne versée dans l’art dans les pipelines classiques que cet expert en ferait une interprétation différente.
[104] En conclusion, j’aimerais faire remarquer que, étant donné la nature des revendications 9 et 10 telles que précédemment interprétées (c.-à-d. que l’on y revendique simplement un mélange gazeux ayant certains paramètres de composition pour une utilisation dans un pipeline dans certaines plages de pression et de température, sans tenir compte du calcul du produit zMm avant et après l’ajout d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3), l’examen que j’ai fait précédemment des autres allégations d’invalidité offre peut-être un cadre analytique plus approprié pour apprécier la validité de ces revendications. Néanmoins, compte tenu de l’analyse qui précède, je conclus que les revendications 9 et 10 sont également invalides en raison de l’antériorité du document Stinson.
[105] M. Sharma décrit le Guide comme étant l’une des sources les souvent citées et les plus connues de la personne versée dans l’art. On le trouve habituellement sur les étagères de ceux qui travaillent dans le domaine du transport de gaz naturel par pipeline. Les parties s’entendent pour dire que le Guide est une source largement utilisée dans cette industrie.
[106] À l’instar du document Stinson, M. Sharma est d’avis que la personne versée dans l’art interpréterait le chapitre 4 du Guide (intitulé « Propriétés des gaz naturels et des liquides hydrocarbonés volatils » [« Properties of Natural Gases and Volatile Hydrocarbon Liquids » dans Handbook of Natural Gas Engineering, New York : McGraw-Hill, 1959]) comme divulguant un mélange gazeux (appelé le « gaz 1 » dans le tableau 4-10 du Guide) avec tous les éléments des revendications 9 et 10 du brevet ‘670, ainsi que des pressions et températures pour ce mélange (figurant au tableau 4-11 du Guide) dans les plages de ces revendications. Quant au caractère réalisable, M. Sharma est d’avis que le Guide fournit des détails importants qui permettent à la personne versée dans l’art de comprendre l’objet des revendications 9 et 10 et le transport du gaz naturel (gaz 1) dans les conditions de ces revendications.
[107] Je ne comprends pas que JL Energy puisse contester que la combinaison des tableaux 4-10 et 4-11 du Guide divulgue une composition gazeuse (gaz 1) ainsi que des pressions et des températures se situant dans les plages établies par les revendications 9 et 10. JL Energy attire mon attention sur une déclaration faite par M. Ramsay en contre-interrogatoire, qui a reconnu que, bien que la divulgation du gaz 1 puisse comporter certains des éléments des revendications 9 et 10, elle ne les comporte pas tous. Or, cette déclaration doit être interprétée à la lumière du contexte dans lequel la question a été posée. L’avocat de JL Energy avait souligné à M. Ramsay qu’il avait réalisé des simulations confirmant que le gaz 1 restait complètement à l’état gazeux à une température située entre 32 F et 100°F (les deux températures divulguées dans le tableau 4-11), mais qu’il n’avait pas fait de telles simulations aux températures minimales limites de - 40 et - 20 ° F des revendications 9 et 10, respectivement. M. Ramsay avait également déjà confirmé que la divulgation du gaz 1 ne comprenait pas les autres limites prescrites par les plages établies dans les revendications 9 et 10. C’est dans ce contexte que M. Ramsay a confirmé que la divulgation du gaz 1 ne comportait pas chacun des éléments des revendications 9 et 10 intégralement.
[108] À mon sens, cette déclaration ne change rien à l’opinion de M. Ramsay qui, tout comme M. Sharma, est d’avis que certaines combinaisons de température et de pression divulguées pour le gaz 1 se situent dans les plages établies par les revendications 9 et 10. Comme je l’ai mentionné précédemment, la divulgation antérieure d’un élément faisant partie de la plage prescrite par un brevet est destructive de nouveauté (voir Baker Petrolite; Calgon Carbon), et le fait qu’un document de l’art antérieur enseigne des formulations qui ne contrefont pas un brevet, ainsi que des formulations qui le contrefont, est sans pertinence pour l’examen relatif à l’antériorité (voir Schering-Plough).
[109] Dans les observations finales qu’elle a présentées de vive voix, JL Energy soutient principalement que la personne versée dans l’art ne lirait pas conjointement les tableaux 4-10 et 4-11, que ces tableaux ne divulguent pas une composition de gaz, des pressions et des températures visant une utilisation dans un pipeline et qu’ils n’établissent pas que le gaz doit rester à l’état gazeux, sans phase liquide à la température et à la pression d’exploitation prévue.
[110] J’accorde peu de crédit à l’argument selon lequel la personne versée dans l’art n’aurait pas lu les tableaux 4-10 et 4-11 conjointement ou de façon combinée. Dans son rapport, M. Sharma avance que les auteurs du Guide indiquent clairement que les tableaux doivent être lus en tant qu’ensemble, le tableau 4-11 donnant les valeurs modélisées et expérimentales du facteur de compressibilité des gaz du tableau 4-10. À vrai dire, dans ses conclusions, l’avocat de JL Energy a expliqué à la Cour que les deux tableaux se rapportent à l’effet de différentes concentrations d’azote sur le facteur z d’un mélange de gaz naturel pour une gamme de pressions et températures. Je souligne également que M. Ramsay a confirmé en contre-interrogatoire que ces tableaux proviennent d’une section du Guide qui porte essentiellement sur le comportement de gaz contenant de l’azote, et qu’ils illustrent le facteur de compressibilité. Il semble clair que la personne versée dans l’art aurait compris que les tableaux 4-10 et 4-11 étaient liés.
[111] Quant à l’observation de JL Energy suivant laquelle ces tableaux ne divulguent pas une composition de gaz, des pressions et des températures visant une utilisation dans un pipeline, je relève qu’elle est corroborée par M. Ryan qui déclare dans son rapport que le Guide ne précise pas que le gaz 1 est destiné à être utilisé dans un pipeline. Je souligne également que M. Ryan a déclaré en contre-interrogatoire que le Guide enseigne comment transporter du gaz naturel par pipeline dans un autre chapitre, le chapitre 17, qui est intitulé [traduction] « Transport vers le marché » [“Transmission to Market” dans Handbook of Natural Gas Engineering, New York : McGraw-Hill, 1959], ce que ne font pas les tableaux 4-10 et 4-11, qui font partie du chapitre 4 intitulé [traduction] « Propriétés des gaz naturels et des liquides hydrocarbonés volatils ».
[112] JL Energy s’appuie aussi sur le fait que M. Ramsay a confirmé en contre-interrogatoire que les tableaux 4-10 et 4-11 ne précisent pas, n’expliquent pas ou ne divulguent pas que le gaz 1 est analysé dans le contexte de son transport ou de son utilisation dans un pipeline. Comme je l’ai mentionné précédemment, il a plutôt expliqué que ces tableaux proviennent d’une section du Guide qui porte sur le comportement des gaz contenant de l’azote et que l’analyse faite dans ces tableaux porte sur le facteur de compressibilité. Il a aussi reconnu qu’il n’est pas précisé que les tableaux font référence à des conditions dans un pipeline. Quant à l’opinion qu’il exprime dans son rapport, à savoir que les tableaux divulguent à la personne versée dans l’art que le gaz 1 était destiné à être utilisé dans un pipeline, M. Ramsay a plutôt indiqué qu’il pensait que la personne versée dans l’art pourrait faire cette inférence.
[113] Pour ce qui est des rapports d’expert d’Aux Sable, MM. Ramsay et Sharma sont tous deux d’avis que le Guide divulgue à la personne versée dans l’art que le gaz 1 est destiné à être utilisé dans un pipeline. Ils semblent tous deux être arrivés à cette conclusion en se basant sur le fait que, dans le tableau 4-11, des facteurs z sont rapportés pour le gaz 1, M. Ramsay expliquant que le facteur z était un élément courant dont il fallait tenir compte pour le transport du gaz naturel et qu’il faisait partie des CGC. Je ne pense pas que le contre-interrogatoire de M. Ramsay vienne ébranler cette conclusion. Les réponses que ce dernier a données en contre-interrogatoire confirment simplement que les tableaux 4-10 et 4-11 n’indiquent pas expressément que le gaz 1 est destiné à être utilisé dans un pipeline, et que sa conclusion en ce sens était fondée sur une inférence. Cela concorde avec son rapport, dans lequel cette conclusion repose sur la divulgation du facteur z apparaissant au tableau 4-11 (M. Ramsay a répété en contre-interrogatoire que c’était ce paramètre qui était analysé dans le tableau 4-11) et l’importance de ce facteur pour le transport du gaz naturel.
[114] JL Energy soutient que l’on ne saurait recourir à une inférence dans le cadre d’une analyse en matière d’antériorité. Je ne suis pas d’accord avec elle, dans un cas où l’inférence en question n’illustre que le processus par lequel la personne versée dans l’art fait appel aux CGC pour interpréter l’art antérieur. L’antériorité est appréciée au regard de l’art antérieur tel que le comprendrait la personne versée dans l’art, et la personne versée dans l’art peut utiliser ses CGC dans le cadre de cette analyse (voir p. ex. Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197, paragraphes 44 et 45).
[115] J’accepte également que la connaissance du facteur z et de son rôle dans le transport du gaz naturel par pipeline fait partie des CGC de la personne versée dans l’art. M. Sharma a indiqué dans son rapport que le facteur z était connu de la personne versée dans l’art, en ce qu’il s’agit d’une variable modifiant l’« équation des gaz parfaits » pour donner l’équation PV = znRT (P étant la pression absolue, V le volume, z le facteur z, n le nombre de moles de gaz, R la constante universelle des gaz et T la température absolue), que cette équation est bien connue de la personne versée dans l’art et qu’elle est essentielle au transport du gaz naturel par pipeline.
[116] Aucun des experts de JL Energy n’a contesté ces opinions. À vrai dire, M. Ryan parle de la connaissance du facteur z comme étant une connaissance de base que doit avoir la personne versée dans l’art, et M. Monnery dit que la personne versée dans l’art peut avoir compris qu’un facteur z plus faible se traduirait par une baisse de pression plus faible et des exigences moindres en puissance pour un même débit massique de gaz. En ce qui concerne les CGC sur le facteur z, JL Energy fait remarquer que M. Monnery est d’avis que la personne versée dans l’art n’aurait pas compris que le concept fondamental sur lequel repose le transport du gaz naturel à haute pression ou en phase dite « dense » est un effet de la masse volumique ou du facteur z. Toutefois, bien que ce commentaire au sujet du niveau de compréhension du facteur z de la personne versée dans l’art et de l’interaction de ce facteur avec d’autres paramètres puisse être pertinent pour l’analyse de l’évidence relative aux revendications 1 à 8, j’estime qu’il ne change en rien la conclusion voulant que les CGC de la personne versée dans l’art incluent la connaissance du facteur z et de son rôle central pour le transport du gaz naturel par pipeline.
[117] J’estime également que le témoignage de M. Ryan (décrit plus haut) contient peu d’arguments susceptibles d’affaiblir les opinions des experts d’Aux Sable à ce sujet. Bien que M. Ryan conclue que le Guide ne précise pas que le gaz 1 est destiné à être utilisé dans un pipeline, cette observation ne contredit pas les conclusions des experts d’Aux Sable, lesquelles reposent non pas sur des énoncés exprès formulés au chapitre 4 du Guide, mais plutôt sur le rôle du facteur de compressibilité dans le transport par pipeline.
[118] JL Energy fait également valoir que la conclusion des experts d’Aux Sable ― que le Guide divulgue l’utilisation du gaz 1 dans un pipeline ― n’est pas confirmée par un examen attentif de l’objet de l’analyse illustrée par les tableaux 4-10 et 4-11, ni par certaines des concentrations et pressions utilisées dans ces tableaux. Pour ce qui est de l’objet des tableaux 4-10 et 4-11, JL Energy soutient qu’il consiste à évaluer l’effet de concentrations variables d’azote dans le gaz naturel, à différentes températures et pressions, sur le facteur z. Je souscris à cette interprétation, qui s’accorde avec le contre-interrogatoire de M. Ramsay ci-dessus décrit. J’estime cependant que cet objet ne contredit pas le raisonnement des experts d’Aux Sables qui sont d’avis que la personne versée dans l’art interpréterait les données des tableaux comme étant relatives à un gaz destiné à une utilisation dans un pipeline.
[119] JL Energy fait aussi remarquer : a) que les concentrations d’azote des deux autres mélanges gazeux mentionnés dans les tableaux (gaz 2 et gaz 3) sont plus élevées que les concentrations qui seraient raisonnables pour un mélange gazeux transporté par pipeline; b) que certaines des pressions examinées dans les tableaux (mais pas celles sur lesquelles repose l’argumentation d’Aux Sable en matière d’antériorité) excèdent ce qui, selon l’expérience de la personne versée dans l’art, serait utilisé pour le transport par pipeline. Je conviens que la preuve présentée au procès appuie ces observations. Toutefois, JL Energy soutient, pour cette raison, que la personne versée dans l’art aurait donc conclu qu’aucun des mélanges gazeux ni aucune des conditions de pression et de température divulguées dans les tableaux 4-10 et 4-11 n’étaient destinés à une utilisation dans un pipeline. Ça n’est pas la conclusion que les experts de JL Energy tirent sur le fondement de cette analyse. Même si certaines des combinaisons analysées dans les tableaux 4-10 et 4-11 étaient considérées comme étant théoriques et sans application pratique dans un pipeline, je ne crois pas qu’il serait possible de conclure que la personne versée dans l’art ne tiendrait pas compte de celles qui ont une application pratique pour une utilisation dans un pipeline. Je ne tirerais certainement pas cette conclusion sans une opinion d’expert en ce sens.
[120] Enfin, JL Energy soutient que les tableaux 4-10 et 4-11 n’indiquent pas, tel que le requièrent les revendications 9 et 10, que le gaz doit rester en phase gazeuse sans phase liquide à la température et à la pression d’exploitation prévue. Tel que mentionné précédemment, M. Ramsay a reconnu en contre-interrogatoire qu’il avait réalisé des simulations confirmant que le gaz 1 restait entièrement sous forme gazeuse aux températures de 32 et 100 °F (les deux températures divulguées dans le tableau 4-11), mais qu’il n’avait pas fait de telles simulations pour les limites minimales respectives de température de - 40 et - 20 °F des revendications 9 et 10. Il a aussi confirmé que les tableaux 4-10 et 4-11 n’indiquent pas expressément que les compositions gazeuses mentionnées dans ces tableaux doivent rester en phase gazeuse pendant leur transport par pipeline.
[121] Toutefois, l’opinion de M. Ramsay ― que le gaz 1 resterait entièrement à l’état gazeux aux températures et pressions des simulations qu’il a réalisées (qui représentent certains éléments faisant partie des plages établies dans les revendications 9–10) ― n’a pas été contestée. À vrai dire, M. Ryan a dit partager cette opinion pour ce qui concerne la simulation réalisée à 32 °F. Je conviens avec Aux Sable que ce n’est pas parce qu’il ne précise pas que le gaz 1 doit rester à l’état gazeux que le Guide n’est pas destructif de nouveauté, s’il est évident que le gaz sera dans cet état aux températures et pressions sur lesquelles Aux Sable s’appuie.
[122] En conclusion, après avoir examiné les témoignages des experts et les arguments respectifs des parties, je conclus que, eu égard au Guide, les revendications 9 et 10 sont invalides pour cause d’antériorité.
D. Évidence
[123] L’allégation soulevée par les demanderesses quant à l’évidence des revendications 9 et 10 est en effet un moyen subsidiaire de faire valoir que, s’il est statué que les revendications ne sont pas antériorisées par l’art antérieur, alors les différences entre l’art antérieur et l’idée originale qui sous-tend les revendications sont des différences qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art. Aux Sable invoque les mêmes antériorités au soutien de son allégation d’évidence que celles qu’elle a invoquées pour étayer son allégation d’antériorité. Ayant conclu que les revendications 9 et 10 étaient antériorisées par ces documents de l’art antérieur, j’estime qu’il n’existe aucune différence à analyser et donc aucun avantage à m’intéresser à l’évidence de ces revendications.
VIII. Les revendications 1 à 8 du brevet ’670 sont-elles invalides pour cause d’évidence?
A. Cadre analytique
[124] Voici la disposition de la Loi qui régit l’évidence comme motif d’invalidité du brevet :
Objet non évident
28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :
a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;
b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.
Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :
(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».
b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;
(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;
(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;
(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité? [Je souligne.]
B. Connaissances générales courantes
[126] L’application de ce cadre m’impose, après avoir établi les titres de compétence et les caractéristiques de la personne versée dans l’art (comme cela a été fait précédemment dans les présents motifs), de déterminer les CGC de la personne versée dans l’art. Les CGC s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré (voir Sanofi, paragraphe 37) et il s’agit des connaissances auxquelles la personne versée dans l’art fait appel pour exécuter les différentes tâches qui lui incombent en vertu du droit des brevets, comme l’analyse relative à l’évidence. Dans l’arrêt Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219, paragraphes 64 et 65, les CGC sont décrites comme suit :
Les connaissances générales courantes n’englobent pas la totalité de l’information relevant du domaine public. Bien que les connaissances générales courantes d’une personne versée dans l’art comprennent à coup sûr des connaissances en matière de brevets, elles ne comprennent pas la connaissance de la totalité des brevets : General Tire, aux p. 481 à 484. Pas plus d’ailleurs qu’elles ne comprennent la connaissance de la totalité des articles de journaux ou des autres renseignements de nature technique : British Acoustic Films Ltd. c. Nettleford Productions (1935), 53 R.P.C. 221, à la p. 250, citée avec approbation dans General Tire, aux p. 482-483.
Au contraire, il est maintenant reconnu que les connaissances générales courantes se limitent aux connaissances que possède généralement au moment considéré la personne versée dans l’art dans le domaine de la technique ou de la science dont relève l’invention : Sanofi, au par. 37; Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024 (Free World Trust), au par. 31. Par conséquent, les connaissances générales courantes ne concernent qu’un sous-ensemble de brevets, d’articles de journaux et de renseignements techniques qui sont généralement reconnus par les personnes versées dans l’art comme faisant partie des connaissances générales courantes dans le domaine dont relève l’invention [...] [Souligné dans l’original.]
[127] Le paragraphe 24 de l’arrêt Mylan va dans le même sens :
Les connaissances générales courantes, quant à elles, s’entendent des « connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré » : voir Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265, au paragraphe 37. Contrairement aux antériorités, qui sont une catégorie générale regroupant tous les renseignements précédemment divulgués dans le domaine, un élément d’information ne fait partie des connaissances générales courantes que si une personne versée dans l’art en serait informée et reconnaîtrait cette information comme constituant [traduction] « un bon fondement pour les actions à venir » : voir General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A.), à la page 483.
A. Les propriétés du gaz naturel, telles que la compressibilité, la masse volumique et l’effet de la température et de la pression exercée sur ce gaz, seraient bien comprises par la personne versée dans l’art étant donné qu’elles sont essentielles pour l’exploitation de pipelines de gaz naturel.
B. Des pipelines de gaz naturel ont été exploités à une pression supérieure à 1 150 lb/po2a et à des températures entre - 20 et + 120 °F.
C. Le facteur z varie selon la composition gazeuse, la température et la pression. Les graphiques du facteur de compressibilité (facteur z) sont bien connus de la personne versée dans l’art, car ils montrent comment le facteur z d’un gaz varie pour une gamme de pressions donnée.
[129] Je conviens avec Aux Sable que les experts de JL Energy n’ont fait état d’aucun désaccord important quant à ces aspects des CGC décrits par M. Sharma.
[130] Toutefois, Aux Sable a aussi fait valoir que les CGC s’entendent notamment de la compréhension des diverses équations de débit qui régissent la puissance requise pour le transport du gaz naturel dans un pipeline, et que la personne versée dans l’art aurait compris, à partir de ces équations, la relation entre le facteur z et la masse moléculaire (Mm) et l’utilisation du produit zMm pour faire des calculs liés au débit du gaz naturel. Bien qu’elle ne conteste pas que la connaissance de ces équations de débit fait partie des CGC, JL Energy estime que ce n’est pas le cas de la compréhension de la manière dont le produit zMm réagirait aux variations de composition du gaz, de température et de pression, ni de l’utilisation de ce produit pour déterminer dans quelles circonstances un changement dans la composition d’un gaz donné aurait permis de réduire la quantité d’énergie requise pour transporter ce gaz.
[131] Il s’agit d’un des principaux points de désaccord entre les experts des parties et il concerne un élément important de l’analyse relative à l’évidence. Comme je l’expliquerai plus en détail plus loin dans les présents motifs, Aux Sable soutient que la compréhension du produit zMm qu’elle prête à la personne versée dans l’art peut provenir de l’art antérieur ou des CGC. Ainsi, et à cause de son importance pour l’analyse relative à l’évidence, je reviendrai sur ce point plus tard dans l’analyse, lorsque son rôle aura été mieux défini dans le cadre de l’examen des antériorités invoquées par Aux Sable au soutien de son allégation d’évidence.
C. Idée originale
[132] Le deuxième volet du critère de l’arrêt Sanofi exige que l’on définisse l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation. La Cour d’appel fédérale a récemment donné, dans l’arrêt Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited c. SNF Inc., 2017 CAF 225 (Ciba), paragraphes 72 à 77, les indications suivantes au sujet de ce volet du critère :
La prochaine question en litige porte sur la détermination de l’idée originale. L’arrêt Pozzoli offre des conseils quant à la façon d’aborder l’idée originale. Au paragraphe 17 des motifs de la Cour d’appel, le lord juge Jacob a cité ses motifs dans la décision de la Cour d’appel dans Unilever v. Chefaro, [1994] R.P.C. 67 (Unilever), à la page 580 :
C’est l’idée originale de la revendication en question qu’il faut prendre en considération, et non une idée générale tirée de l’ensemble du mémoire descriptif. Chaque revendication peut correspondre, et correspond en général, à une idée originale distincte. La première étape de la définition de cette idée sera selon toute vraisemblance une question d’interprétation : que signifie la revendication? On pourrait penser qu’il n’y a pas de deuxième étape, que l’idée coïncide avec le contenu de la revendication, un point c’est tout. Mais ce serait manquer de la souplesse nécessaire et ce n’est pas là ce que font les tribunaux qui appliquent la première étape du critère Windsurfing. Ce serait manquer de souplesse parce que si l’on se contente d’interpréter la revendication, on néglige d’établir la distinction nécessaire entre ses éléments importants et ceux qui, quoiqu’ils limitent la portée de la revendication, ne le sont pas. L’opération consiste à définir l’essence de la revendication.
Ce passage précède les enseignements de la Cour suprême relativement à l’interprétation des brevets dans Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 45 :
La décision Unilever vient rappeler, de façon très pertinente, que c’est l’idée originale qui est en cause, [traduction] « et non une idée générale tirée de l’ensemble du mémoire descriptif » : Unilever, à la page 569. La recherche de l’idée originale est compliquée, en partie, par l’utilisation faite ou devant être faite de la partie du mémoire descriptif sur la divulgation. Dans Connor Medsystems Inc. v. Angiotech Pharmaceuticals Inc., [2008] UKHL 49, [2008] R.P.C. 28 (Connor), lord Hoffman a écrit au paragraphe 19 que [traduction] « le titulaire du brevet est en droit d’exiger que la question de l’évidence soit déterminée par rapport à sa revendication et non à quelque paraphrase vague fondée sur la portée de la divulgation figurant dans le mémoire descriptif ».
Lord Jacob était conscient que les possibles difficultés entourant la définition de l’idée originale pourraient se transformer [traduction] « en débat périphérique superflu ». Il a donc conseillé : [traduction] « si un désaccord sur l’idée originale d’une revendication devient trop complexe, la façon raisonnable de procéder consiste à l’oublier et à se concentrer simplement sur les caractéristiques de la revendication » (Pozzoli, au paragraphe 19). Lord Hoffman a écrit, encore une fois dans Connor, au paragraphe 20, que l’idée originale [traduction] « devient une perte de temps presque dès l’apparition d’un désaccord à son sujet ».
Il peut y avoir des cas où l’idée originale peut être comprise sans difficulté, mais il me semble que puisque l’expression « idée originale » n’est toujours pas définie, la recherche de l’idée originale a entraîné une confusion considérable dans la règle de l’évidence. Cette confusion peut être réduite en évitant tout simplement l’idée originale et en interprétant plutôt la revendication. Jusqu’à ce que la Cour suprême soit en mesure d’élaborer une définition pratique de l’« idée originale », cela me semble être une utilisation plus judicieuse du temps des parties et de la Cour fédérale que de perdre son temps et s’engager dans un débat périphérique superflu. [Non souligné dans l’original.]
[133] Aux Sable propose de se fonder sur l’arrêt Ciba et de se servir du libellé de la revendication, correctement interprété, pour ce volet du critère de l’arrêt Sanofi. Je ne comprends pas pourquoi JL Energy s’oppose à ce que l’on procède de cette façon, bien qu’elle ait suggéré, se fondant sur la preuve d’expert qu’elle a présentée, que l’idée originale consistait à parvenir au [traduction] « rendement hydraulique » en ajoutant suffisamment de C2 et/ou de C3 pour obtenir une réduction du produit zMm.
[134] Compte tenu de l’arrêt Ciba, je vois peu d’avantages à tenter de dégager des revendications une idée originale qui soit le moindrement différente de l’interprétation qui leur a été donnée. D’ailleurs, je ne vois guère de différence entre l’interprétation déjà donnée aux revendications 1 à 8, et l’idée originale qui consiste dans le rendement hydraulique. Dans les deux cas, l’accent est mis sur l’ajout suffisant de C2 et/ou de C3 pour obtenir une réduction du produit zMm. Pour les besoins de l’analyse de l’évidence, je me fonderai sur l’interprétation des revendications 1 à 8 effectuée précédemment dans les présents motifs, dont les éléments principaux sont :
A. l’ajout intentionnel d’un hydrocarbure en C2 et/ou d’un hydrocarbure en C3 au gaz naturel;
D. Critère permettant de déterminer si une antériorité est opposable
[135] Le volet suivant de l’analyse de l’arrêt Sanofi consiste à recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’« état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation. Il faut d’abord déterminer quels éléments font partie de l’art antérieur. À cet égard, les parties ne s’entendent pas sur le critère qu’il convient d’appliquer.
[136] Aux Sable est d’avis que, selon l’article 28.3 de la Loi, qui porte sur l’évidence, elle doit seulement démontrer que le document de l’art antérieur qu’elle invoque a été divulgué avant la date pertinente précisée audit article 28.3, de manière telle qu’il est devenu accessible au public. Il s’agit en fait du même critère que celui applicable dans le cadre de l’analyse relative à l’antériorité fondée sur l’article 28.2 de la Loi. Je précise que, en l’espèce, les dates de divulgation des antériorités invoquées par Aux Sable ne sont pas contestées.
[138] D’entrée de jeu, il convient de mentionner que, contrairement à ce qui s’est passé dans certaines des affaires que les parties ont porté à l’attention de la Cour dans le cadre de leur plaidoirie, la question doit être examinée en l’espèce. Si JL Energy reconnaît que les documents d’antériorité sur lesquels Aux Sable s’appuie ont été divulgués, elle estime en revanche que certains d’entre eux ne pourraient être trouvés au moyen d’une recherche raisonnablement diligente. Je dois régler la question du critère juridique parce que si je devais appliquer le critère de la recherche raisonnablement diligente, j’arriverais à la conclusion qu’au moins un des documents d’antériorité invoqués par Aux Sable n’est pas opposable pour les besoins de l’allégation d’évidence qui touche les revendications 1 à 8. Trois documents d’antériorité sont en litige. Il s’agit du document Stinson (l’un des documents examinés ci-dessus dans le cadre de l’analyse relative à l’antériorité concernant les revendications 9 et 10) et de deux versions d’une publication de 1973 de Donald L. Katz et de Graeme King (l’expert d’Aux Sable, M. King) intitulée « Dense Phase Transmission of Natural Gas ». Comme il n’y a aucune différence importante entre le contenu des deux versions de la publication de 1973 (l’une étant une version présentée lors d’une conférence), je les désignerai collectivement comme le « document sur la phase dense ». Pour les raisons expliquées ci-dessous, je conclus que, dans la mesure où le critère de la recherche raisonnablement diligente s’applique, Aux Sable ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir que le document Stinson pourrait ainsi être trouvé.
[139] Il convient de souligner que, s’agissant de l’allégation d’évidence visant les revendications 1 à 8, je crois comprendre qu’Aux Sable invoque le document Stinson essentiellement pour la même raison qu’elle l’a invoqué dans le cas de l’allégation d’antériorité concernant les revendications 9 et 10, c’est-à-dire pour établir que le transport d’un mélange de gaz naturel par pipeline dans les plages de pression et de température envisagées par les revendications a été divulgué. Étant donné l’analyse relative à l’antériorité effectuée plus tôt dans les présents motifs, il n’est pas nécessaire de revenir sur les mêmes questions dans l’analyse relative à l’évidence des revendications 1 à 8, puisque les questions soulevées à cet égard par les parties portent sur l’évidence de l’ajout de C2 et/ou de C3 et le calcul du produit zMm avant et après cet ajout. Par conséquent, le document Stinson ne jouera pas un rôle important dans les questions en litige qui seront examinées plus tard dans les présents motifs lorsqu’il sera question des différences entre l’art antérieur et les revendications 1 à 8. Il joue néanmoins un rôle dans l’allégation d’évidence, et j’en ai particulièrement tenu compte parce qu’il s’agit du document à l’égard duquel Aux Sable a les arguments les plus faibles pour démontrer qu’il est possible de le trouver.
[140] Pour étayer sa position selon laquelle le document Stinson peut être trouvé, Aux Sable se fonde sur deux admissions faites par JL Energy : a) que le document Stinson a été présenté par M. Stinson à la conférence internationale sur les marges arctiques qui a eu lieu en Russie en septembre 1994;et b) qu’une copie du document Stinson figure dans le document [traduction] « Compte rendu de la conférence internationale sur les marges arctiques 1994 », dont la date de publication originale est 1995. Aux Sable fait également remarquer que le document Stinson cite le document sur la phase dense. Comme je l’ai mentionné, le document sur la phase dense est une autre des antériorités sur lesquelles se fonde Aux Sable pour étayer l’allégation d’évidence qu’elle a soulevée à l’égard des revendications 1 à 8. Ce document sera examiné de façon plus détaillée ci-après. Toutefois, en l’espèce, Aux Sable soutient que le document Stinson fait partie du même corpus d’écrits scientifiques que le document sur la phase dense et qu’il est donc plus susceptible d’être trouvé que s’il avait été rédigé ou publié dans un domaine non lié.
[141] La difficulté que me pose la position d’Aux Sable est qu’elle n’est corroborée par aucun élément de preuve portant expressément sur la possibilité de trouver le document. Comme le document Stinson a été présenté à la conférence qui s’est tenue en 1994 en Russie et qu’il a ensuite été publié dans le compte rendu de la conférence, JL Energy a reconnu qu’il avait été divulgué pour l’application de l’article 28.3 de la Loi. Toutefois, je conviens avec JL Energy que cette présentation et cette publication témoignent de la divulgation, mais, sans plus de renseignements, il n’est pas possible de déterminer si le document pourrait être trouvé au moyen d’une recherche raisonnablement diligente. Rien ne permet de savoir dans quelle mesure le document Stinson a été diffusé par suite de sa présentation en 1994 et de sa publication subséquente. Aux Sable n’a présenté aucun élément de preuve, par l’entremise de ses experts ou autrement, qui concerne la nature de la recherche que la personne versée dans l’art aurait dû faire pour que cette recherche soit considérée comme étant raisonnablement diligente à la date pertinente de 1996, ou encore la façon dont la recherche aurait permis de trouver le document Stinson.
[142] Aux Sable cite une décision à l’appui de sa prétention que le document Stinson pourrait constituer une antériorité opposable, malgré l’application du critère de la recherche raisonnablement diligente. Dans le jugement Alcon Canada Inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Company, 2014 CF 462 (Alcon), paragraphe 165, le juge Phelan a conclu que, pour les besoins de l’analyse relative à l’évidence, l’art antérieur comprenait les résumés et les affiches présentés lors des conférences de l’industrie. Aux Sable soutient que les faits de la présente affaire penchent davantage en faveur de la possibilité de trouver le document que dans l’affaire Alcon, à cause de la publication subséquente du document Stinson dans le compte rendu de la conférence. L’avocat d’Aux Sable reconnaît cependant à juste titre que l’on ne sait pas vraiment si, dans l’affaire Alcon, la question de la possibilité de trouver les résumés et les affiches ou encore celle de savoir si ces documents faisaient partie de l’art antérieur étaient en litige entre les parties. À mon avis, cette décision n’appuie guère la position d’Aux Sable.
[143] J’estime que, si le critère de la recherche raisonnablement diligente s’applique, la preuve ne me permet pas de conclure que le document Stinson est une antériorité opposable pour les besoins de l’allégation d’évidence. Vu cette conclusion, je dois trancher le différend qui oppose les parties en ce qui concerne le critère applicable après l’adoption de l’article 28.3 de la Loi. La décision à cet égard s’appliquera aussi, bien sûr, au document sur la phase dense, sur lequel Aux Sable s’appuie largement en ce qui concerne les questions en litige dans l’analyse de l’évidence.
[144] Avant de passer à l’analyse du critère applicable, je précise que l’article 28.3 a été adopté par l’article 33 de la Loi d’actualisation du droit de la propriété intellectuelle, L.C. 1993, ch. 15 (la Loi modificatrice), qui est entré en vigueur le 1er octobre 1996. Il est admis qu’avant cette modification, le droit canadien exigeait de la partie qui alléguait l’évidence qu’elle satisfasse au critère de la recherche raisonnablement diligente. Aux Sable renvoie à cet égard au paragraphe 125 de la décision de la Cour fédérale, Section de première instance, Procter & Gamble Co. c Kimberly-Clark of Canada Ltd., [1991] A.C.F. no 1273 (QL) (1re inst.) (Procter & Gamble) :
[traduction] En ce qui concerne l’expression recherche diligente qui, à ce qu’on nous a donné à entendre, a été employée pour la première fois par lord Reid dans Technograph (précité), nous la considérons propre à décrire ce que doivent savoir des groupes de recherche travaillant pour de grandes entreprises comme celles dont il est question dans l’arrêt Technograph et dans la présente espèce. De pareilles recherches peuvent toutefois entraîner de grosses dépenses et soulever des questions de priorités au sujet de l’utilisation de la main-d’œuvre disponible. La mesure dans laquelle une recherche est appropriée dans un cas donné et les résultats probables de cette recherche sont des questions de fait (pages 499 et 500).
[145] L’arrêt auquel fait référence Procter & Gamble est l’arrêt General Tire & Rubber Company v. Firestone Tyre & Rubber Company, [1972] R.P.C. 457 (Eng. C.A.) (General Tire), à la page 463, qui a été rendu en 1971 par la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles et qui, selon les parties, reflétait le droit applicable au Royaume-Uni à l’époque. Or, Aux Sable fait valoir que le droit canadien a changé avec l’adoption, en 1996, de l’article 28.3 de la Loi (cité ci-dessus), qui exige que l’analyse relative à l’évidence soit effectuée « eu égard à toute communication qui a été faite [...] de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs ». Aux Sable soutient que cette modification législative a écarté le critère de la recherche raisonnablement diligente de la common law, pour le remplacer par la seule exigence que l’antériorité soit divulguée au public. JL Energy n’est pas d’accord, faisant valoir que l’article 28.3 n’a pas modifié le critère applicable.
[146] Au soutien de sa position, Aux Sable cite le principe d’interprétation législative voulant qu’une loi soit interprétée à la lumière de son libellé, de son contexte et de son objet (voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, paragraphe 21). JL Energy ne conteste pas l’argument d’Aux Sable au sujet des principes généraux d’interprétation législative, mais elle soutient que la jurisprudence postérieure à la modification de 1996 montre que le critère de la recherche raisonnablement diligente continue de s’appliquer.
[147] Commençant par le libellé de l’article 28.3, Aux Sable soutient que, interprété selon son sens ordinaire, il englobe toute communication devenue accessible au public, sans égard au critère de la recherche raisonnablement diligente. S’agissant du contexte, Aux Sable renvoie à l’article 28.2 (cité au début de l’analyse relative à l’antériorité ci-dessus), qui définit l’art antérieur susceptible d’étayer une allégation d’antériorité en des termes semblables à ceux employés à l’article 28.3. Les parties s’entendent pour dire que l’article 28.2 n’exige pas qu’un document d’antériorité puisse être trouvé au moyen d’une recherche raisonnablement diligente afin de pouvoir être invoqué à l’appui d’une allégation d’antériorité. Aux Sable renvoie la Cour au paragraphe 42 de l’arrêt Baker Petrolite (et en particulier à l’extrait tiré de la page 133 de l’arrêt Lux Traffic Controls Ltd. v. Pike Signals Ltd. and Faronwise Ltd., [1993] R.P.C. 107 (Pat. Ct.)) :
[…]
6 Il n’est pas nécessaire de démontrer qu’un membre du public a effectivement analysé le produit qui a été vendu. Dans l’arrêt Lux, le juge Aldous a dit ce qui suit à la page 133 :
[traduction] De plus, il est bien reconnu en droit qu’il n’est pas nécessaire de prouver qu’une personne a effectivement pris connaissance de la divulgation, pourvu que celle-ci ait été rendue publique. Ainsi, une description antérieure contenue dans un ouvrage aura pour effet d’invalider un brevet si l’ouvrage en question se trouve sur une étagère d’une bibliothèque ouverte au public, indépendamment du fait que personne ne l’a lu et que celui-ci se trouve dans un coin sombre et poussiéreux de la bibliothèque. Si l’ouvrage était accessible au public, celui-ci aura le droit d’utiliser les renseignements qu’il contient pour réaliser l’invention sans devoir faire face à un obstacle découlant d’un monopole accordé par l’État. [Souligné dans l’original.]
[148] Dans le même sens, JL Energy cite l’arrêt Wenzel Downhole Tools Ltd. c National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, [2014] 2 R.C.F. 459 (Wenzel), paragraphes 68 à 70 :
Me fondant sur la jurisprudence pertinente, il me semble que le fait de devenir accessible veut dire que le public, défini précédemment, a eu la possibilité d’obtenir l’information relative à l’invention. Comme je l’ai déjà signalé, il n’est pas exigé que quelqu’un se soit effectivement prévalu de cette possibilité. Lorsque la possibilité d’obtenir l’information est établie (ici, par exemple, en montrant que : i) Dreco avait un accès illimité aux outils de forage, les renseignements découlant de cet accès n’étaient pas de nature confidentielle; et ii) la méthode à utiliser pour ouvrir ces outils et examiner leurs structures internes était connue), la Cour applique le critère juridique d’antériorité consacré par la jurisprudence Sanofi (divulgation intégrale de tous les éléments essentiels de l’invention et capacité de la réaliser) à l’information que la personne fictive moyennement versée dans l’art obtiendrait à la suite d’un examen fictif.
Les appelants rejettent les analogies auxquelles a eu recours la juge, à savoir : i) le livre se trouvant dans une bibliothèque publique (paragraphe 118 des motifs); et ii) le fait de « soulever le capot » (paragraphe 123 des motifs). Ils soutiennent que les outils de forage en question en l’espèce ne sont pas comparables à un livre se trouvant dans une bibliothèque, et que le démontage d’un outil ne peut se comparer au fait de soulever le capot d’une voiture. Encore une fois, je ne puis retenir cet argument. Dans l’affaire Lux, le juge Aldous, cité par la suite par le juge Rothstein dans l’arrêt Baker Petrolite, a fait référence à un livre d’une bibliothèque publique même s’il examinait une affaire d’utilisation antérieure d’un produit, et non pas d’antériorité par publication. Le livre de la bibliothèque publique pourrait être en japonais, même si la bibliothèque se trouve dans un village isolé où personne ne parle japonais. Il y aurait quand même divulgation ayant pour effet de rendre accessible l’information contenue dans ce livre, même si l’accès à l’information disponible exigeait l’utilisation d’un dictionnaire ou même d’un interprète que l’on ne pourrait trouver dans ce village. Quant au fait de soulever le capot d’une voiture, il est vrai que l’ouverture de joints scellés pour examiner la structure interne est peut-être une opération un peu plus complexe que le fait de soulever un capot, mais cela ne change rien à la validité de l’analogie. Comme cela a été signalé, la complexité de l’opération n’est pas pertinente; pour être accessible, il n’est pas nécessaire que l’accès à l’information soit facile; il suffit qu’il soit possible en utilisant des méthodes ou des instruments connus.
Encore une fois, je répète que, selon le droit en vigueur à l’heure actuelle, même si la bibliothèque inscrivait dans un registre toutes les personnes qui sont entrées dans la bibliothèque et consignait tous les livres examinés par elles et qu’un défendeur soit ainsi en mesure d’établir que personne n’a véritablement eu accès au livre se trouvant dans la bibliothèque, ma conclusion ne changerait pas. La présence du livre dans la bibliothèque suffit à rendre l’information qu’il contient disponible et, par conséquent, répond aux conditions en matière d’antériorité prévues à l’article 28.2.
[149] Bien que les arrêts Baker Petrolite et Wenzel concernent l’antériorité découlant de la divulgation d’un produit, les analyses qu’ils contiennent reposent sur les principes de l’antériorité découlant de la publication et appuient l’interprétation de l’article 28.2 sur laquelle les parties s’entendent. Comme l’a dit JL Energy dans sa plaidoirie écrite finale :
[traduction] Dans le cas d’une antériorité découlant d’une publication antérieure, le document peut dater d’il y a longtemps et même nécessiter un dictionnaire ou un interprète. Comme il est, au sens littéral, « accessible au public », il sera considéré comme ayant été divulgué au sens du paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets.
[150] Aux Sable soutient par conséquent que, parce que le législateur a utilisé des termes identiques à l’article 28.2 et à l’article 28.3, il faut donner aux termes de ces deux dispositions une interprétation cohérente. Interpréter ces dispositions comme si elles permettaient l’adoption de critères différents contreviendrait à la présomption selon laquelle l’uniformité d’expression s’entend de l’uniformité de sens (voir Godbout c. Pagé, 2017 CSC 18, [2017] 1 R.C.S. 283, paragraphe 115).
[151] Enfin, Aux Sable soutient que l’article 28.3 vise à fournir un fondement législatif plus solide au critère de l’évidence, puisqu’il était anormal que ce critère fondamental du droit des brevets n’ait pas d’assise législative expresse. Aux Sable fait donc valoir que, si le législateur a refusé d’employer un libellé qui aurait permis de conserver le critère de la recherche raisonnablement diligente de la common law, c’est parce qu’il voulait que l’analyse relative à l’évidence repose sur un critère clair qui s’accorde avec celui employé en matière d’antériorité.
[152] Comme je l’ai mentionné, la réponse de JL Energy repose sur la jurisprudence postérieure à l’adoption de l’article 28.2, qui, selon elle, démontre que ces arguments ont déjà été soumis à l’examen de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, qui les ont rejetés. S’intéressant d’abord aux décisions d’appel, JL Energy renvoie la Cour à l’arrêt E. Mishan & Sons, Inc. c. Supertek Canada Inc., 2015 CAF 163 (Mishan), faisant valoir que, dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument avancé par les appelantes, à savoir que le critère visant à déterminer quels documents font partie de l’art antérieur n’est pas fondé sur la question de savoir si un document en particulier peut être trouvé. L’analyse pertinente se trouve aux paragraphes 18 à 23 de la décision :
Les appelantes soutiennent que le brevet de M. McDonald ne faisait pas partie de l’art antérieur représentant l’état de la technique. Dans leur mémoire, elles indiquent que le juge de la Cour fédérale a affirmé ce qui suit au paragraphe 91 de ses motifs :
91 En bref, le brevet McDonald était non seulement trouvable, mais il a également été trouvé par des personnes qui s’intéressaient aux boyaux extensibles. Aucune preuve contraire n’a été présentée.
603 [...] l’état antérieur de la science doit avoir été publiquement disponible à la date [pertinente] [...] – et il doit aussi pouvoir être localisé au moyen de recherches raisonnablement diligentes. C’est à la partie qui invoque l’état antérieur de la science, en l’occurrence à Apotex, qu’il appartient d’établir que l’état antérieur de la science pouvait être trouvé au moyen de recherches raisonnablement diligentes (Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1234, 57 C.P.R. (4th) 6). [Souligné dans l’original.]
Bien que notre Cour n’ait pas adhéré à la conclusion tirée par le juge Boivin sur la question de l’évidence, elle n’était pas en désaccord avec la formulation du critère servant à déterminer les documents à inclure parmi les antériorités (2013 CAF 186, [2015] 2 R.C.F. 644 paragraphe 77). En l’espèce, les parties n’ont pas présenté d’observations sur la question de savoir si l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, avait modifié ce critère. Tout argument fondé sur cet article consisterait vraisemblablement à dire que l’éventail des documents à inclure a été élargi, qu’il ne se limite plus aux documents qui auraient pu être trouvés au moyen de recherches raisonnablement diligentes, mais qu’il comprend désormais tout renseignement qui est devenu accessible au public. En l’espèce, puisque j’ai conclu qu’au regard du critère énoncé plus haut, le juge de la Cour fédérale n’a pas commis une erreur en incluant le brevet de M. McDonald au nombre des réalisations représentant l’état de la technique, je n’ai pas à me pencher sur la question de savoir si l’article 28.3 de la Loi sur les brevets a modifié ce critère.
Par conséquent, suivant le critère énoncé précédemment, les réalisations antérieures pertinentes comprendront tout document que la personne versée dans l’art serait à même de trouver en procédant à des recherches raisonnablement diligentes. Dans le cas qui nous occupe, la personne versée dans l’art est « [u]ne personne telle qu’un ingénieur ou un technicien ayant une expérience de la fabrication, de la fourniture ou de l’utilisation de boyaux destinés à divers types de fluides ». La personne versée dans l’art ne correspond pas uniquement à la personne qui ne connaît que des boyaux d’arrosage pour le jardin ni à la personne qui ne connaît que des boyaux servant au transport de l’eau. [Italiques dans l’original.]
La conclusion du juge de la Cour fédérale selon laquelle la personne versée dans l’art aurait trouvé le brevet de M. McDonald si elle avait fait des recherches raisonnablement diligentes est une conclusion de fait ou une conclusion mixte de fait et de droit qui sera confirmée en l’absence d’une erreur manifeste et dominante. Les appelantes soutiennent qu’il était possible d’arriver à la conclusion inverse en se fondant sur certains faits liés à l’incapacité de M. Berardi et des autres à trouver le brevet de M. McDonald, mais cette conclusion obligerait la Cour à soupeser la preuve à nouveau, car certains éléments de cette preuve démontraient que le brevet de M. McDonald aurait pu être trouvé par la personne versée dans l’art, laquelle, comme on l’a vu, a une expérience en matière de boyaux et de fluides, et non uniquement en matière de boyaux d’arrosage pour le jardin. La question pertinente dont était saisi le juge de la Cour fédérale était de savoir si, compte tenu de la preuve présentée, la personne versée dans l’art aurait trouvé le brevet de M. McDonald à l’issue de recherches raisonnablement diligentes. [Non souligné dans l’original.]
[153] À mon avis, l’arrêt Mishan ne peut pas être interprété comme JL Energy l’interprète. Il est précisé au paragraphe 19 que les appelantes soutenaient que le critère à appliquer pour déterminer quels documents sont à inclure parmi les antériorités ne repose pas sur le caractère « trouvable » (le terme employé par le juge de première instance dans cette affaire) d’un document donné. Toutefois, il ressort clairement de la décision que, de façon générale, les appelantes faisaient valoir que le juge de première instance avait commis une erreur en incluant ce document parmi les antériorités. Tout argument, selon lequel il n’était pas nécessaire que le document puisse être trouvé au moyen d’une recherche raisonnablement diligente pour pouvoir faire partie de l’art antérieur, n’aurait pas renforcé la position des appelantes. En fait, si je comprends bien la décision, les appelantes contestaient l’utilisation par le juge de première instance du terme « trouvable » et, plus particulièrement, la preuve sur laquelle le juge s’est fondé pour conclure que le document pertinent faisait partie de l’art antérieur.
[154] Ainsi, l’arrêt Mishan ne saurait être interprété comme ayant tranché la question de l’interprétation de l’article 28.3 qui est soulevée en l’espèce. C’est ce qui ressort clairement de la partie soulignée du paragraphe 21 cité ci-dessus, où le juge Webb, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale siégeant au complet, a dit que les parties n’avaient pas présenté d’observations sur la question de savoir si l’article 28.3 avait modifié le critère visant à déterminer quels documents sont à inclure parmi les antériorités. Le juge Webb a dit clairement qu’il serait possible de soutenir que l’article 28.3 avait supprimé l’exigence de la recherche raisonnablement raisonnable. Or, il n’était pas nécessaire que la Cour examine cette question, surtout en l’absence d’argument, puisqu’elle était d’avis que le juge de première instance n’avait commis aucune erreur en concluant que la personne versée dans l’art aurait trouvé le document d’antériorité contesté. Pour cette raison, une analyse visant à déterminer si le critère de la recherche raisonnablement diligente s’appliquait toujours après l’adoption de l’article 28.3 n’aurait pas changé la décision de la Cour d’appel [fédérale].
[155] Par conséquent, les autres paragraphes de l’arrêt Mishan qui sont cités ci-dessus, où il est question du critère de la recherche raisonnablement diligente pour les besoins de l’analyse de l’évidence, ne sauraient être interprétés comme si la Cour d’appel fédérale avait conclu que l’article 28.3 n’a pas modifié le critère. Au contraire, je conviens avec Aux Sable que cette affaire met en évidence une question réelle sur laquelle la Cour a refusé de se prononcer pour les raisons expliquées ci-dessus.
J’ai lu les motifs des juges majoritaires, bien rédigés par le juge Pelletier, et je partage l’avis de mes collègues quant au rejet de l’appel. Je souscris aussi aux motifs, exception faite que je refuserais de me prononcer sur la question abordée aux paragraphes 51 à 63 qui précèdent. Cette partie de l’analyse porte sur l’effet de l’article 28.3 de la Loi sur la détermination de l’évidence.
À mon sens, il est préférable de remettre cette analyse à plus tard, comme ce fut le cas dans E. Mishan & Sons, Inc. c. Supertek Canada Inc., 2015 CAF 163, au paragraphe 21. Cette question serait mieux traitée lorsqu’elle sera déterminante d’un appel et lorsque la Cour bénéficiera des observations complètes des avocats à ce sujet, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[157] Bien entendu, la réserve exprimée par la juge Wood soulève la question de savoir ce que la majorité, dans l’arrêt Ciba, a décidé sur cette question. Bien que JL Energy ne se soit pas particulièrement fondée sur cette affaire pour étayer sa position, Aux Sable reconnaît que la conclusion de la majorité sur la question relevée par la juge Wood peut se prêter à différentes interprétations. Il me semble que les paragraphes les plus pertinents de la décision de la majorité, rédigée par le juge Pelletier, sont les suivants [paragraphes 60 à 62] :
Pour conclure, je vais dire un mot au sujet de « ce qui ferait partie de “l’état de la technique” », l’expression utilisée dans Pozzoli et Plavix. Ce qui fait partie de l’état de la technique est simplement l’art antérieur qu’invoque la partie qui prétend qu’il y avait évidence. L’évidence n’est pas déterminée par rapport à l’état de la technique en général. La personne invoquant l’évidence doit renvoyer à un ou plusieurs éléments de l’art antérieur qui rend l’invention contestée évidente. Le choix des éléments de l’état de la technique relève entièrement de la partie invoquant l’évidence, sous réserve de l’article 28.3 de la Loi, qui établit la date limite pour l’état de la technique. En fait, la partie contestant le brevet peut se fonder sur plusieurs éléments de l’état de la technique selon la théorie de la « mosaïque » quant à l’évidence : Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, [2014] 2 R.C.F. 459 au paragraphe 87.
La Cour fédérale, en paraphrasant l’étape 4 du critère Windsurfing/Pozzoli, a introduit, si ce n’est une erreur, du moins une simplification excessive du libellé initial de cette étape. Le lord juge Jacob, à l’étape 4, s’est demandé si les différences recensées à l’étape 3 sont des étapes [traduction] « qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elles dénotent quelque inventivité » : Pozzoli, au paragraphe 23. L’expression utilisée par la Cour fédérale vient demander si ces différences exigent un degré d’inventivité ou si elles sont plus ou moins évidentes en soi. Cette erreur ou ambiguïté provient de l’expression « évidentes en soi ».
Comme je l’ai déjà signalé, si l’écart entre l’idée originale (ou la revendication telle qu’interprétée) et l’état de la technique peut être franchi par une personne versée dans l’art à l’aide de ses seules connaissances générales courantes, « l’invention » est évidente : Société Bristol-Myers Squibb Canada c. Teva Canada limitée, 2017 CAF 76, au paragraphe 65. C’est à ce moment que les connaissances générales courantes sont pertinentes. La personne versée dans l’art peut avoir recours à ses connaissances générales courantes ainsi qu’à l’art antérieur qui peut être repéré lors d’une recherche raisonnablement diligente; voir, par exemple, Uponor AB c. Heatlink Group Inc., 2016 CF 320, au paragraphe 46, Hoffmann-La Roche ltée c. Apotex Inc., 2011 CF 875, au paragraphe 55. À mon sens, cette démarche va au-delà de chercher à savoir si les différences visées sont évidentes en soi ou non. [Non souligné dans l’original.]
[158] Le passage souligné du paragraphe 60 peut être interprété comme si la Cour concluait de façon implicite que la seule limite imposée par l’article 28.3, s’agissant des antériorités à considérer dans l’analyse relative à l’évidence, est la date limite qui y est prescrite, c.-à-d. qu’il n’y a aucun critère de recherche raisonnablement diligente. Toutefois, comme le reconnaît Aux Sable, il n’est pas évident que ce soit là l’intention exprimée dans cet extrait, surtout que la question du « caractère trouvable » d’un document d’antériorité au moyen d’une recherche raisonnablement diligente ne semble pas avoir été au cœur de l’analyse de la majorité.
[159] Le passage souligné du paragraphe 62 pourrait peut-être être interprété comme si la Cour tirait la conclusion contraire, puisqu’il y est question de documents d’antériorité susceptibles d’être découverts par une recherche raisonnablement diligente. Je souligne néanmoins que dans l’ouvrage de Donald H. MacOdrum, Fox on the Canadian Law of Patents, 5e éd. feuilles mobiles, Toronto : Carswell, 2017, ch. 4 :11(i), il est indiqué que cet extrait peut renvoyer au type d’antériorité susceptible de compléter les CGC. Cette interprétation semble s’accorder avec les décisions citées au paragraphe 62 de l’arrêt Ciba (c.-à-d. Uponor AB c. Heatlink Group Inc., 2016 CF 320, paragraphe 46; Hoffmann-La Roche Limitée c. Apotex Inc., 2011 CF 875, paragraphe 55) qui portent sur les antériorités qui font partie des CGC.
[160] Je ne dirais donc pas que l’arrêt Ciba étaye la position de JL Energy selon laquelle l’article 28.3 n’a pas modifié le critère de la recherche raisonnablement diligente. À vrai dire, il étaye plutôt la position d’Aux Sable. Toutefois, comme l’a fait remarquer la juge Wood, cette question n’était pas au cœur de la décision de la majorité et n’a pas fait l’objet d’une argumentation complète de la part des avocats. Je passe donc aux décisions de la Cour fédérale portant sur la question.
[161] Plusieurs décisions de la Cour fédérale, rendues longtemps après l’adoption en 1996 de l’article 28.3, traitent du critère de la recherche raisonnablement diligente ou appliquent ce critère. Comme le souligne l’arrêt Mishan, le juge Boivin a déclaré dans la décision Apotex Inc. c. Sanofi‑Aventis, 2011 CF 1486, au paragraphe 603, que l’état antérieur de la science doit pouvoir être trouvé au moyen de recherches raisonnablement diligentes. Au paragraphe 104 de la décision antérieure, Eli Lilly, la juge Gauthier a dit que, pour les besoins de l’examen relatif à l’antériorité et à l’évidence, la distinction entre les CGC et l’état de la technique tendait à diminuer de nos jours en raison de la complexité des moteurs de recherche et de l’accessibilité aux publications et aux bases de données électroniques, tout en soulignant que l’arrêt General Tire demeurait pertinent pour l’analyse relative à l’évidence.
[162] Dans la décision Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 113 (Eurocopter), paragraphe 80, le juge Martineau s’est fondé sur le paragraphe 108 de l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971 (Pfizer), pour déclarer que la Cour a le droit d’examiner tous les brevets et toutes les autres publications que le technicien compétent trouverait par une recherche raisonnable et diligente pour décider si la combinaison qui en résulte mène directement à l’invention. Dans la décision Takeda Canada Inc. c. Canada (Santé), 2015 CF 570, paragraphes 59 et 60, le juge O’Reilly a approuvé l’approche adoptée par les experts, qui ont confirmé qu’un document de l’art antérieur cité à l’appui de l’allégation d’évidence aurait pu être trouvé après une recherche raisonnablement diligente.
[163] Plus récemment, dans la décision Hospira Healthcare, au paragraphe 213, le juge Phelan (citant l’arrêt Mishan) a dit que l’état de la technique englobait ce qu’aurait pu découvrir la personne versée dans l’art en menant une recherche raisonnablement diligente. Dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2018 CF 736, paragraphes 99 et 100, le juge Manson a souscrit aux commentaires formulés par la Cour dans la décision Allergan Inc. c. Apotex Inc., 2016 CF 344, paragraphes 20 et 21, selon lesquels le fait que les documents d’antériorité aient été recueillis par la partie alléguant l’évidence n’était pas pertinent étant donné la preuve présentée à la Cour, notamment les raisons fournies par les experts quant à savoir pourquoi ces documents auraient pu facilement être trouvés au cours d’une recherche d’antériorités.
[164] Ces décisions ont toutes été rendues après, et dans certains cas longtemps après, les modifications apportées à la Loi en 1996 et toutes renvoient à l’application du critère de la recherche raisonnablement diligente ou l’ont appliqué. Toutefois, je conviens avec Aux Sable qu’il ne semble pas que la question dont est actuellement saisie la Cour, c.-à-d. celle de savoir si l’article 28.3 a éliminé le critère de la common law qui s’appliquait avant son adoption, ait été soulevée dans l’une de ces affaires. Il est donc difficile de s’appuyer sur ces décisions pour conclure que la Cour fédérale a déjà rejeté les arguments d’interprétation législative actuellement avancés par les demanderesses.
[165] Aux Sable a fait observer que certaines décisions (divergentes) montrent que la question a été expressément soulevée par des parties. Dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2015 CF 770 (Novartis), paragraphe 53, le juge O’Reilly a conclu ce qui suit :
Teva soutient que la Loi sur les brevets (article 28.3; voir le libellé des dispositions citées à l’annexe I) n’exige plus que les antériorités soient trouvables à l’issue d’une recherche raisonnable et diligente – il suffit qu’elles soient publiques. Teva cite l’ouvrage collectif de Barrigar et autres, Canadian Patent Act Annotated, 2e éd., feuillets mobiles (consulté le 1er avril 2015) (Aurora (Ontario) : Canada Law Book, 1994), à la page PA-341), où les auteurs se demandent si l’article 28.3 annule la jurisprudence antérieure concernant l’accessibilité des antériorités. Teva se fonde également sur l’analyse ayant trait à l’anticipation effectuée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wenzel Downhole Tools Ltd c National-Oilwell Canada Ltd, 2012 CAF 333, aux paragraphes 68 à 70, et fait valoir qu’elle devrait s’appliquer au droit relatif à l’évidence. Cependant, des précédents ont continué d’appliquer le critère habituel de la « recherche raisonnable et diligente », même après l’adoption de l’article 28.3 (Dow Chemical Company c NOVA Chemicals Corporation, 2014 CF 844, aux paragraphes 232 à 236; Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 113, au paragraphe 80, conf. par 2013 CAF 219; Eli Lilly and Company c Apotex Inc., 2009 CF 991, au paragraphe 532; Takeda Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2015 CF 570, aux paragraphes 59 et 60). Je ne vois aucune raison d’adopter une approche différente en l’espèce.
[166] La décision Novartis étaye clairement la position de JL Energy. Toutefois, comme le fait remarquer Aux Sable, il ne semble pas que dans cette affaire la Cour ait pu entendre des arguments au sujet de l’application des principes d’interprétation législative à l’article 28.3. La Cour a plutôt fondé sa conclusion sur la jurisprudence dans laquelle le critère de la recherche raisonnablement diligente a été appliqué même après l’adoption de l’article 28.3. Ainsi que je l’ai expliqué, il ne semble pas que la question dont est actuellement saisie la Cour, à savoir si l’article 28.3 a éliminé le critère de la common law qui s’appliquait avant son adoption, ait été soulevée dans ces affaires.
[167] Aux Sable soutient par ailleurs qu’au moins une partie de la jurisprudence sur laquelle la Cour s’est fondée dans la décision Novartis repose sur des décisions qui portaient elles-mêmes sur des faits antérieurs à l’application de l’article 28.3. La décision Eurocopter, citée par la Cour dans la décision Novartis lorsqu’elle a déterminé s’il existait des décisions où le critère de la recherche raisonnablement diligente a été appliqué après l’adoption de l’article 28.3, s’appuie sur la décision Pfizer, rendue en 2007 par la Cour fédérale. Cette dernière décision repose elle-même sur la décision Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie Ltée, 2002 CFPI 829 (Illinois Tool), paragraphe 100, qui s’appuie sur l’arrêt General Tire. Dans la décision Pfizer, la Cour fait remarquer que la décision Illinois Tool a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Anchors Co., 2003 CAF 358, qui a modifié la décision de la Cour fédérale uniquement en ce qui concerne les dépens.
[168] La décision Illinois Tool a été rendue en 2002 et, soutient Aux Sable, l’article 28.3 ne s’appliquait pas parce que la Cour examinait un brevet antérieur à son adoption. Bien que je n’aie aucune raison de douter de l’exactitude de cette observation, je ne peux la confirmer, puisque les dispositions transitoires adoptées par la loi modificative portent essentiellement sur les dates de dépôt et de délivrance du brevet pertinent et que ces dates ne sont pas mentionnées dans la décision Illinois Tool. Toutefois, JL Energy ne m’a présenté aucun argument permettant de conclure qu’en raison de la date du brevet, l’article 28.3 s’appliquait à l’affaire Illinois Tool.
En plus des connaissances générales courantes que la personne versée dans l’art devrait posséder, l’article 28.3 de la Loi sur les brevets énonce qu’il est également pertinent d’examiner toute communication « qui a été faite [...] avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public ». Cela dépasse les connaissances générales courantes.
La jurisprudence indique que l’art antérieur ayant une pertinence aux fins d’évaluation de l’évidence se limite à ce qu’une personne versée dans l’art aurait trouvé par suite d’une recherche diligente : voir la décision Eurocopter c. Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 113, au paragraphe 80; la décision Pfizer, au paragraphe 108; la décision Illinois Tool Works Inc c. Cobra Fixations Cie Ltée, 2002 CFPI 829, au paragraphe 100, décision modifiée quant à l’attribution des dépens, 2003 CAF 358. Certains doutes ont été exprimés concernant la convenance de limiter la portée de l’art antérieur à une recherche diligente, car le texte de l’article 28.3 n’est pas si restrictif : voir MacOdrum, section 4 :11(i); R.H. Barrigar, Canadian Patent Law Annotated, 2e éd. (Aurora : Canada Law Book, 1994), 28.3 :640. Cependant, ce point a été rejeté dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Teva Canada Limitée, 2015 CF 770, au paragraphe 53. De plus, la Cour d’appel fédérale a récemment refusé une occasion de réexaminer la question : voir l’arrêt E. Mishan & Sons, Inc. c. Supertek Canada Inc., 2015 CAF 163, au paragraphe 21.
Il s’ajoute ici d’autres considérations; dans l’esprit des gens, monopole rime avec hausse des prix et le monopole conféré par un brevet ne devrait s’acquérir qu’au prix de divulgations nouvelles, ingénieuses, utiles et non évidentes : voir l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, au paragraphe 37. Par conséquent, il ne suffit pas à la personne versée dans l’art qui veut obtenir un brevet valide d’apporter un changement évident à ce qui est connu dans son domaine. Ce principe doit s’appliquer à toute communication rendue accessible au public, même à celles qui ne résulteraient pas d’une recherche diligente. Par exemple, pour acquérir un brevet valide, suffirait-il à la personne versée dans l’art de trouver un document dans un coin reculé d’une bibliothèque municipale pour y découvrir une invention oubliée et d’apporter à cette invention un changement évident? Le fait que la référence à l’art antérieur ne soit pas révélée par une recherche diligente peut avoir plus de pertinence lorsque l’allégation d’évidence s’appuie sur deux références dont aucune ne fait partie des connaissances générales courantes. Dans un tel cas, il serait nécessaire à la partie alléguant l’évidence d’expliquer de quelle façon la personne versée dans l’art qui a obtenu une de ces références pourrait trouver directement et sans difficulté l’autre référence pour en arriver à l’invention en question.
En l’espèce, le seul art antérieur ne faisant pas partie des connaissances générales courantes sur lequel Pollard s’appuie toujours pour soutenir son allégation d’évidence est la demande Camarato. Étant donné qu’il n’y a qu’une seule référence en cause qui ne fasse pas partie des connaissances générales courantes, la question de savoir si une recherche diligente aurait pu permettre de trouver cette référence ne doit pas constituer un obstacle à l’allégation d’évidence de Pollard.
Même si j’étais d’avis que la possibilité de trouver cette référence par une recherche diligente constituait une question pertinente, j’aurais néanmoins conclu à son admissibilité relativement à la question de l’évidence. Premièrement, la demande Camarato porte sur les billets de loterie instantanée et est répertoriée dans la classe A63F 3/06 selon la classification internationale des brevets. Or, c’est précisément la même classe sous laquelle se place le brevet 551. Cela indique que la demande Camarato aurait pu être trouvée par une recherche diligente.
De plus, le seul témoignage d’expert selon lequel une recherche diligente n’aurait pas permis de trouver la demande Camarato a été celui de M. Finnerty. Cependant, j’accorde moins d’importance à ses opinions parce qu’il a admis avoir mal compris la demande Camarato et aussi en raison d’un certain manque de rigueur dans son analyse.
SG souligne le fait que les experts de Pollard qui ont exprimé une opinion sur la demande Camarato et la pertinence en matière d’évidence n’ont pas trouvé la demande eux-mêmes. En fait, cette référence, comme celle de tous les autres arts antérieurs qu’ils devaient examiner, leur a été fournie par l’avocat de Pollard. SG cite la jurisprudence de notre Cour qui traite du risque qu’un expert offre une opinion formée a posteriori lorsque l’art antérieur est choisi par les avocats : voir la décision Uponor AB v. Heatlink Group Inc., 2016 FC 320, aux paragraphes 203 et 204; la décision Astrazeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2015 CF 322, au paragraphe 231. Ces décisions soulignent également qu’un examen convenable de la question de l’évidence nécessite un art antérieur pouvant infirmer la solution brevetée. Il aurait, bien sûr, été préférable que l’opinion des experts de Pollard sur l’évidence ait été fondée sur un art antérieur qu’ils auraient trouvé eux-mêmes. À tout le moins, une telle démarche, si elle avait permis de découvrir la demande Camarato, aurait appuyé l’argument de Pollard selon lequel il était possible de trouver la demande par une recherche diligente. Cependant, j’ai déjà expliqué que la possibilité de trouver une référence ne devrait pas être une considération en l’espèce. J’ai également conclu que la demande Camarato aurait été repérée.
[170] Il convient de souligner que JL Energy soutient que la décision Pollard étaye sa position et non celle d’Aux Sable. JL Energy cite le paragraphe 193 de la décision Pollard, où le juge Locke parle de l’argument voulant que l’article 28.3 de la Loi ait supprimé le critère de la recherche raisonnablement diligente. La Cour précise que cet argument a été rejeté dans la décision Novartis et que, dans l’arrêt Mishan, la Cour d’appel fédérale a refusé de réexaminer la question. Je ne suis pas d’accord avec JL Energy selon qui ce paragraphe serait un rejet de l’argument qu’Aux Sable avance maintenant. À mon avis, le juge Locke s’est seulement intéressé aux développements jurisprudentiels avant d’examiner la question.
[171] Cette interprétation ressort des paragraphes qui suivent le paragraphe 193 de la décision Pollard, dans lesquels la Cour souligne qu’il importe que le monopole conféré par un brevet ne s’acquière que par des divulgations nouvelles et non évidentes. Après avoir fait observer qu’un brevet exige plus qu’un changement évident à l’art antérieur, le juge Locke précise, au paragraphe 194, que ce principe s’applique à toutes les communications rendues accessibles au public, même à celles qu’une recherche diligente ne permettrait pas de découvrir. Cette interprétation est confirmée par les paragraphes 196 et 198 qui réitèrent la conclusion de la Cour que la « possibilité de trouver » par une recherche raisonnablement diligente n’est pas une considération pertinente.
[172] JL Energy souligne également le commentaire de la Cour, au paragraphe 194 de la décision Pollard, selon lequel le fait qu’une antériorité n’ait pu être découverte par une recherche diligente est peut-être plus pertinent lorsque l’allégation d’évidence repose sur deux antériorités et qu’aucune d’elles ne fait partie des CGC. La partie alléguant l’évidence devrait alors expliquer comment la personne versée dans l’art, connaissant l’existence de l’une de ces antériorités, en est venue, directement et sans difficulté, à la combiner à l’autre antériorité pour parvenir à l’invention. JL Energy soutient que ce raisonnement s’écarte de l’interprétation de l’article 28.3 préconisée par Aux Sable, parce que, ou bien l’article 28.3 supprime le critère de la recherche diligente ou bien il ne le supprime pas. L’argument d’Aux Sable repose sur une interprétation cohérente des articles 28.2 et 28.3. C’est pourquoi, affirme JL Energy, la question de savoir si l’article 28.3 a supprimé le critère de la recherche diligente ne peut dépendre du nombre d’antériorités citées en vertu de l’article 28.3.
[173] La réponse d’Aux Sable à cette observation est qu’il convient d’interpréter la décision Pollard comme rejetant l’exigence qu’une antériorité doit pouvoir être trouvée par une recherche raisonnablement diligente pour qu’elle puisse être opposable aux fins d’évidence, mais aussi comme reconnaissant que, lors de l’examen subséquent (c.-à-d. le quatrième volet de l’analyse requise par l’arrêt Sanofi) visant à déterminer si, en combinant plusieurs documents d’antériorité, on peut conclure que l’invention contestée est évidente, la possibilité de trouver ces documents peut être pertinente. Je conclus qu’il s’agit là d’une interprétation convaincante du raisonnement suivi dans la décision Pollard, et que cette interprétation est également compatible avec le commentaire formulé par le juge Pelletier au paragraphe 62 de la décision Ciba, qui, je le répète, est pertinent pour le quatrième volet de l’analyse de l’arrêt Sanofi, à savoir que la personne versée dans l’art peut avoir recours à ses CGC ainsi qu’aux antériorités qui pourraient être découvertes par une recherche raisonnablement diligente.
[174] J’estime donc que la décision Pollard étaye la position d’Aux Sable sur la question du critère visant à déterminer si une antériorité est opposable pour l’application de l’article 28.3. Je reconnais que, à l’instar de la décision Novartis, la décision Pollard ne renferme aucune analyse relative à des arguments d’interprétation législative tels que ceux présentés par Aux Sable en l’espèce. Toutefois, au paragraphe 194 des motifs de la décision Pollard, la Cour explique que le monopole conféré par un brevet ne devrait pas découler d’une avancée évidente fondée sur un document de l’art antérieur, peu importe que ce document ait pu être trouvé au moyen d’une recherche diligente. À mon avis, ce raisonnement appuie la conclusion avancée par Aux Sable, soit que l’emploi de termes identiques aux articles 28.2 et 28.3 suppose l’accès aux mêmes documents d’antériorité pour les analyses de l’antériorité et de l’évidence. JL Energy n’a présenté aucun argument de principe expliquant pourquoi la possibilité de trouver un document d’antériorité devrait être importante pour ce qui est de l’évidence si elle ne l’est pas lorsqu’il est question d’antériorité. À l’instar de la Cour dans la décision Pollard, j’ai du mal à comprendre pourquoi l’analyse de la question de savoir si l’obtention d’un brevet s’est faite « au prix de divulgations nouvelles, ingénieuses, utiles et non évidentes » devrait porter sur un document d’antériorité décrivant une invention oubliée trouvé dans un coin reculé d’une bibliothèque, lorsqu’il est question d’antériorité, mais qu’elle ne le devrait pas lorsqu’il est question d’évidence.
[175] Enfin, je souligne l’observation de JL Energy qu’il n’appartient pas à la Cour en l’espèce de modifier le droit régissant l’opposabilité des antériorités pour l’application de l’article 28.3 de la Loi. À mon avis, Aux Sable ne demande pas à la Cour de modifier le droit. Elle lui demande plutôt de reconnaître que le législateur l’a modifié, en ce qui concerne le critère de common law autrefois applicable, lorsqu’il a adopté l’article 28.3. Il semble que si la jurisprudence n’a pas encore complètement tenu compte de ce changement législatif, c’est parce que, comme l’ont fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mishan et la juge Wood dans l’arrêt Ciba, ni la Cour fédérale ni la Cour d’appel fédérale n’ont eu l’occasion d’entendre des arguments de fond pertinents comme ceux présentés par les parties en l’espèce.
[176] Je conclus donc que les arguments d’interprétation législative présentés par Aux Sable sont convaincants et je rejette la réponse de JL Energy, à savoir que la jurisprudence a réglé la question en sa faveur. Pour les motifs exposés en détail ci-dessus, je suis d’accord avec Aux Sable quant à l’effet de l’article 28.3 de la Loi, c’est-à-dire qu’un document d’antériorité qui a été communiqué au public avant la date prescrite fait partie de l’art antérieur pour les besoins de l’analyse relative l’évidence, peu importe que le document en question ait pu être trouvé au moyen d’une recherche raisonnablement diligente.
E. Troisième et quatrième volets du critère de l’arrêt Sanofi
[177] Il découle de la conclusion qui précède que tous les documents d’antériorité, qu’invoque actuellement Aux Sable pour étayer son allégation que les revendications 1 à 8 sont évidentes, sont des documents opposables pour les besoins de l’analyse de cette allégation. Comme je l’ai déjà mentionné, JL Energy reconnaît que ces documents ont été divulgués pour l’application de l’article 28.3. Par conséquent, comme le critère visant à déterminer si un document peut être trouvé ne s’applique pas, ils sont également opposables. Bien qu’Aux Sable ait officiellement dressé une longue liste de documents d’antériorité sur lesquels elle entend s’appuyer (par souci d’exhaustivité, cette liste figure à l’annexe A des présents motifs), et que certains de ces documents sont également invoqués étant donné qu’ils contribuent aux CGC de la personne versée dans l’art, ses arguments principaux sur ce qui a été divulgué dans l’art antérieur concernent les trois documents suivants :
A. le brevet américain 3 407 613 [le brevet 613];
B. le document sur la phase dense;
C. un article intitulé « Ultra-high gas pressure pipelines offer advantages for arctic service », rédigé par G. King et publié dans l’Oil and Gas Journal en 1992 [l’article sur la libération ultrarapide]. Comme le document sur la phase dense, l’article sur la libération ultrarapide a été rédigé par l’expert d’Aux Sable, M. King.
[179] Pour ce qui est du premier de ces éléments, Aux Sable soutient en premier lieu que le brevet ’613 [brevet américain no 3407613] divulgue l’ajout d’un hydrocarbure en C2 et/ou en C3. Dans le brevet ’613, il est indiqué que l’objet premier de l’invention ici divulguée est [traduction] « […] de fournir un procédé économique et hautement efficace pour le transfert d’hydrocarbures en C2+ provenant d’un ou plusieurs circuits de gaz naturel vers un autre circuit de gaz naturel ». Je comprends d’après la preuve avancée au procès que le terme « C2+ » fait référence à des hydrocarbures comportant au moins deux atomes de carbone. M. Sharma indique dans son rapport que la personne versée dans l’art aurait compris que le brevet ’613 décrit une méthode pour transférer sélectivement des hydrocarbures comme l’éthane ou le propane d’un circuit de gaz naturel vers un autre circuit afin d’accroître la concentration de ces hydrocarbures dans ce dernier. M. Ramsay fait état d’un effet similaire dans son rapport.
[180] Je conviens avec Aux Sable que les témoignages de ses experts sur cet élément n’ont pas été mis à mal en contre-interrogatoire. JL Energy prétend plutôt que le brevet ’613 n’enseigne pas que l’ajout intentionnel de C2 et/ou de C3 à un gaz naturel contribue à accroître l’efficacité hydraulique. Bien que je convienne, eu égard aux témoignages des experts de JL Energy, que le brevet ’613 n’enseigne pas l’ajout d’hydrocarbures plus lourds à cette fin, je ne comprends pas qu’Aux Sable conteste cette prétention. Elle fait plutôt valoir que, contrairement à ce qui se passe dans le cas d’une allégation d’antériorité, un document d’antériorité invoqué à des fins d’évidence n’a pas besoin de divulguer tous les aspects du concept de l’invention ou des revendications du brevet contesté. En d’autres termes, il n’est pas nécessaire que le brevet ’613 divulgue l’ajout intentionnel de C2 et/ou de C3 et la réduction consécutive du produit zMm pour établir que cet ajout d’hydrocarbures plus lourds était connu dans l’art antérieur. Je souscris à cette position.
[181] Aux Sable fait valoir que, dans les articles sur la phase dense et sur la libération ultrarapide, cet élément est également divulgué. Ces articles seront expliqués plus en détail très bientôt, lorsque j’examinerai la mesure dans laquelle ils représentent l’art antérieur pertinent pour l’évaluation du produit zMm. Pour les besoins des présentes, il suffit de mentionner que M. King, l’auteur de ces deux articles, a déclaré que la personne versée dans l’art aurait compris que le document sur la phase dense fait référence à l’ajout d’hydrocarbures comme l’éthane et le propane au gaz naturel qui était transporté, et que l’article sur la libération ultrarapide est axé sur l’ajout d’un mélange de liquides de gaz naturel (c.-à-d. un fluide avec des concentrations plus élevées d’hydrocarbures plus lourds) à un mélange de gaz naturel ayant des concentrations plus typiques de méthane, d’éthane et de propane.
[182] En revanche, M. Monnery indique dans son rapport que le document sur la phase dense ne donne aucun détail sur la source des hydrocarbures plus lourds à ajouter au gaz, de sorte que lorsque l’on parle d’ajout d’hydrocarbures plus lourds, ce n’est pas de l’injection intentionnelle d’hydrocarbures dont il est question, mais plutôt de la variation des hydrocarbures présents naturellement dans le gaz. Pour ce qui est de l’article sur la libération ultrarapide, M. Monnery conteste aussi dans son rapport que cet article porte sur l’injection intentionnelle d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3, plutôt que sur le transport de gaz naturels plus riches.
[183] Il n’y a aucune raison évidente permettant de choisir entre les interprétations contradictoires données à ces deux articles par les experts, surtout que ces opinions contradictoires sont celles des deux experts qui se sont montrés les plus enclins à défendre leurs positions ou celles des parties qui les ont engagés. Que M. King soit l’auteur des articles en question est peu pertinent étant donné que la question n’est pas de savoir quelle intention il avait en écrivant ces articles, mais plutôt quelle lecture en ferait la personne versée dans l’art. Néanmoins, je souligne que, dans l’article sur la libération ultrarapide, il est indiqué que les deux compositions gazeuses sur lesquelles il est basé représentent des circuits qui seraient installés dans l’Arctique et que, plus loin dans cet article, il est question de gaz pauvre mélangé avec des liquides de gaz (que je comprends comme une référence aux deux mêmes compositions). Tout compte fait, j’estime que cela va dans le sens de l’interprétation avancée par M. King plutôt que dans le sens de celle de M. Monnery. Toutefois, au final, la question importe peu étant donné qu’il ressort clairement du brevet ’613, comme je l’ai déjà expliqué, que l’ajout intentionnel d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3 fait partie de l’art antérieur. Pour ce qui de cet élément seul, je ne vois pas d’écart entre l’art antérieur et les revendications 1 à 8.
[184] Je passe maintenant à l’exigence, dans les revendications 1 à 8 du brevet ’670, que le produit de la masse moléculaire (Mm) et du facteur z du mélange gazeux ainsi obtenu par suite de l’ajout de C2 et/ou de C3 soit inférieur à celui du gaz avant cet ajout.
[185] S’intéressant d’abord au document sur la phase dense, M. King explique dans son rapport que cet article a pour contexte la découverte de grandes quantités de gaz naturel dans l’Arctique, ce qui a incité à trouver le moyen le plus efficace de transporter ce gaz vers le marché. Le document porte sur l’exploitation de gaz présentant une région à phase unique, appelée « phase dense », qui va de la phase liquide, au-dessus de la région à deux phases, à la phase gazeuse, transporté par pipeline. La figure 5 de ce document, reproduite ci-après, donne au moins qualitativement l’emplacement de la phase dense (sur un graphique de la température en fonction de la pression), laquelle est située au-dessus de la courbe qui délimite sous elle la région à deux phases (c.-à-d. la région des combinaisons de température et de pression où un fluide existe en phase gazeuse et en phase liquide).
[186] M. King explique dans son rapport que la personne versée dans l’art aurait compris qu’il est nécessaire d’éviter un système à deux phases lorsque des hydrocarbures plus lourds sont ajoutés au gaz naturel avant son transport par pipeline. (Tel que mentionné précédemment, plusieurs experts ont déclaré, sans que cela soit contesté, que la formation de liquides dans un circuit de pipelines de gaz, c.-à-d. l’existence de deux phases, pose des problèmes d’exploitation et de sécurité.) Toutefois, la phase dense représente une solution à ce problème, les hydrocarbures plus lourds pouvant être transportés dans cette phase dense, qui reste une phase unique. M. King a aussi expliqué que l’ajout d’hydrocarbures comme l’éthane ou le propane ferait déplacer la région à deux phases de la figure 5 vers la droite (c.-à-d. la température du côté gauche de la limite de phase serait accrue), de manière à ce que le mélange pourrait ensuite être transporté plus efficacement à une température plus élevée. L’article fait référence à cet effet sur la région à deux phases comme permettant des températures d’exploitation plus élevées et des pressions d‘exploitation plus basses, ce qui ensemble a pour effet de réduire le coût du transport.
[187] Il n’est pas contesté que le document sur la phase dense n’enseigne pas expressément le calcul du produit zMm par suite de l’ajout d’hydrocarbures plus lourds. Toutefois, Aux Sable avance que cet article va dans le sens des revendications 1 à 8 du brevet ’670, puisqu’un des effets de l’ajout d’hydrocarbures comme l’éthane ou le propane, soit la réduction du coût du transport, y est discuté.
[188] En réponse, JL Energy soutient que le phénomène conduisant à la réduction du coût auquel il est fait référence dans le document sur la phase dense n’est pas le même que celui faisant l’objet du brevet ’670. À titre informatif, JL Energy fait remarquer que le document sur la phase dense établit une comparaison entre deux systèmes de pipeline, un système exploité à des températures et à des pressions classiques et un système exploité à des températures et à des pressions qui permettraient de transporter le gaz naturel en phase dense. On y explique que ce dernier système présente les avantages suivants : a) la masse volumique plus grande du gaz de la phase dense à faible pression permet d’utiliser une canalisation plus petite à parois plus minces; b) la relative incompressibilité et la plus grande masse volumique du gaz de la phase dense impliquent que le gaz requiert une compression ou une énergie de pompage moindre; c) le transport d’hydrocarbures plus lourds est possible en phase dense sans créer le problème d’un système à deux phases.
[189] JL Energy s’appuie ensuite plus particulièrement sur le paragraphe suivant du document :
[traduction] Un avantage du système à phase dense est que les constituants intermédiaires entre le pétrole brut et le méthane peuvent faire partie intégrante de ce système, et y apporter des effets bénéfiques, soit le déplacement de la courbe du point de bulle vers la droite (voir la figure 5). Cela permet des températures d’exploitation plus élevées et des pressions d’exploitation plus basses, ce qui ensemble a pour effet de réduire le coût d’exploitation. La masse volumique et la viscosité sont accrues nominalement par l’ajout de ces constituants, et la quantité de propane, de butane ou même de pentane pouvant être transportée n’est pas restreinte.
[190] Se basant sur ce qui précède, JL Energy soutient que, bien que le document sur la phase dense souligne que des hydrocarbures plus lourds peuvent être transportés en phase dense, ce qui permet de réaliser des économies, celles-ci ne sont pas liées à la compressibilité accrue (c.-à-d. un facteur z plus faible) du gaz, qui est l’objet du brevet ’670. Si l’un des avantages de la phase dense est qu’elle requiert moins d’énergie de pompage en raison de la masse volumique et de l’incompressibilité relative du gaz, il reste que l’ajout d’hydrocarbures plus lourds a peu d’incidence sur cet avantage car, en raison de l’incompressibilité du gaz, cet ajout ne fait qu’augmenter la masse volumique nominalement. Les économies réalisées grâce à l’ajout des hydrocarbures plus lourds sont plutôt attribuables au déplacement de la courbe du point de bulle (c.-à-d. la limite de température à gauche de la région à deux phases de la figure 5) vers la droite, de manière que le gaz puisse être transporté en phase dense à des températures plus élevées et à des pressions plus basses. Les coûts s’en trouvent ainsi réduits, car il faut moins de refroidissement et moins d’énergie pour la compression.
[191] En plus du document sur la phase dense, JL Energy s’appuie sur le témoignage de M. Ramsay en contre-interrogatoire pour étayer l’interprétation qu’elle fait de l’article. Je reconnais que cette interprétation est renforcée par le témoignage de M. Ramsay et, à vrai dire, par l’explication de l’article donnée par M. King lui-même. Je conclus donc que, outre l’enseignement de l’ajout d’hydrocarbures plus lourds déjà discuté dans les présents motifs, le document sur la phase dense n’enseigne rien dans le sens des revendications 1 à 8 du brevet ’670, comme le soutient Aux Sable.
[192] Pour ce qui est de l’article sur la libération ultrarapide, M. King explique dans son rapport qu’il y proposait d’utiliser des pipelines à gaz naturel sous ultra-haute pression pour transporter du gaz naturel riche de l’Arctique, qui contient des quantités plus élevées d’hydrocarbures en C2, C3 et C4. Il a réalisé des modélisations comparant le comportement de divers mélanges de gaz naturel (c.-à-d. avec diverses concentrations d’hydrocarbures en C2, C3 et C4) dans un pipeline exploité à une pression classique (1 450 lb/po2a) et dans un pipeline exploité à ultra-haute pression (2 900 lb/po2a).
[193] M. King explique dans son rapport principal que les données de l’article sur la libération ultrarapide montrent que, à des pressions ultra-hautes et à de faibles températures, il est plus économique de transporter les gaz riches contenant des quantités plus élevées d’hydrocarbures en C2, C3 et C4 en raison de l’[traduction] « effet de retrait volumétrique », c.-à-d. que les gaz riches sont plus compressibles que les gaz pauvres. Dans les données de cet article, on le montre en calculant le diamètre du pipeline requis pour le transport du gaz dans des conditions particulières de température et de pression et en obtenant un résultat indiquant une diminution du diamètre en fonction d’une augmentation de la quantité d’hydrocarbures plus lourds. M. King explique que cela représente une augmentation de l’efficacité d’écoulement du même ordre que celle qu’on aurait pour un diamètre de pipeline constant couplé à une énergie de compression à la baisse. Aux Sable affirme donc que les enseignements de l’article sur la libération ultrarapide vont dans le sens des revendications 1 à 8 du brevet ’670.
[194] En réponse, JL Energy fait valoir qu’il y a de nombreuses différences entre les compositions gazeuses étudiées dans l’article sur la libération ultrarapide et les plages pertinentes du brevet ’670 et, en particulier, que la ultra-haute pression de 2 900 lb/po2a étudiée dans l’article excède considérablement la pression maximale des revendications du brevet. Or, en ce qui concerne la pression, M. King souligne dans sa réponse que la diminution de la masse d’acier du pipeline requis pour le transport d’un mélange gazeux résultant de l’ajout de liquides de gaz naturel (c.-à-d. d’hydrocarbures plus lourds) dans des conditions données de température et de pression, se manifeste pour les deux systèmes, c’est-à-dire à ultra-haute pression et à pression classique. Compte tenu de ce qui précède, j’estime que, en ce sens, la démonstration de la réduction de diamètre requis faite dans l’article sur la libération ultrarapide, qui résulte de l’ajout d’hydrocarbures plus lourds et du fait qu’un gaz riche est plus compressible qu’un gaz pauvre, notamment à des fins de transport aux pressions envisagées dans le brevet ’670, va effectivement dans le sens des revendications 1 à 8 du brevet. Je conclus que cet effet a été divulgué à la personne versée dans l’art par l’antériorité.
[195] Toutefois, comme dans le cas du document sur la phase dense, il n’est pas contesté que l’article sur la libération ultrarapide ne fait pas expressément référence au calcul du produit zMm par suite de l’ajout d’hydrocarbures plus lourds. Aux Sable soutient que le calcul de ce produit a été enseigné dans d’autres documents d’art antérieur ou fait partie des CGC, de manière que, soit il n’existe pas de différence entre l’art antérieur et les revendications 1 à 8, soit il existe une différence qui constitue une étape qui serait évidente pour la personne versée dans l’art et ne nécessiterait aucune part d’inventivité.
[196] Je précise que, dans la mesure où Aux Sable s’appuie sur les CGC pour étayer ce qui précède, JL Energy fait valoir que celles-ci ne peuvent pas, au troisième volet du critère de Sanofi, servir à déterminer s’il existe des différences entre l’art antérieur et les revendications telles qu’elles sont interprétées. JL Energy soutient plutôt que c’est au quatrième volet du critère que les CGC sont pertinentes alors qu’il faut se demander si, grâce à ses CGC, la personne versée dans l’art peut combler ces différences. Aux Sable soutient que le droit n’exige pas que le cadre d’analyse de l’arrêt Sanofi soit appliqué de façon aussi rigoureuse que celle proposée par JL Energy. Toutefois, Aux Sable est d’accord avec JL Energy quant à la place qu’occupent les CGC dans le cadre d’analyse de l’arrêt Sanofi et affirme que, s’agissant de l’argument des demanderesses, il importe peu, au vu des faits particuliers de la présente affaire, que les CGC soient prises en compte au troisième ou au quatrième volet du critère. Je suis d’accord avec Aux Sable que, compte tenu de la preuve et des arguments présentés en l’espèce, il importe peu que, dans le cadre de l’analyse relative à l’évidence, la question du calcul du produit zMm soit examinée à l’étape visant à déterminer s’il y a un écart entre l’art antérieur et les revendications ou à celle visant à déterminer si cet écart peut être comblé grâce aux CGC.
[197] Cela dit, je suis conscient de l’observation formulée par la Cour d’appel fédérale, aux paragraphes 43 à 59 de l’arrêt Ciba, à savoir que le troisième volet du critère de l’arrêt Sanofi exige de recenser les différences entre l’art antérieur et l’idée originale, et non les différences entre les CGC et l’idée originale. Toutefois, en l’espèce, Aux Sable s’appuie sur des documents d’antériorité tels que le Guide et l’« Engineering Data Book » [10e éd. 2 vols. feuilles mobiles] publié par l’Association des transformateurs de gaz [Gas Processors Suppliers Association, 1987] (le Livre des données), des sources qui, sans conteste, sont largement et fréquemment utilisées par la personne versée dans l’art, et le témoignage d’expert lié à ces documents, pour étayer sa position qu’une certaine connaissance et une certaine compréhension du produit zMm font partie de l’art antérieur et des CGC. Les arguments des deux parties reposent sur les mêmes éléments de preuve, peu importe que la question soit considérée sous l’angle de l’art antérieur ou des CGC, et je ne comprends pas que ces arguments puissent différer d’une manière quelconque selon l’angle adopté.
[198] C’est pourquoi j’estime que l’analyse que je dois faire des arguments des parties consiste à déterminer si le rôle du calcul du produit zMm dans les revendications 1 à 8 du brevet ’670 fait partie de l’art antérieur ou des CGC de sorte que les revendications 1 à 8 sont évidentes.
[199] M. Ramsay déclare dans son rapport principal, à propos du Guide, que la compréhension et l’utilisation du facteur z, ainsi que la connaissance que le facteur z pourrait être obtenu au moyen de calculs et d’expériences font partie des CGC de la personne versée dans l’art. M. Ramsay relève aussi, faisant référence au Livre des données, des équations de débit telles que l’« équation Panhandle A » et l’« équation Weymouth » qui régissent la puissance requise pour le transport de gaz naturel dans un pipeline et qui sont enseignées aux étudiants de premier cycle en génie. Par exemple, l’équation Panhandle A est la suivante :
Équation Panhandle A |
|
[200] M. Ramsay mentionne en particulier les trois variables suivantes utilisées dans cette équation :
A. « Q » représente le débit de gaz;
B. « S » représente la masse volumique du gaz, qui est calculée en divisant la masse moléculaire (Mm) du gaz par celle de l’air;
C. « Zavg » représente le facteur de compressibilité moyen du gaz.
[201] M. Ramsay fait remarquer que le débit Q, partie gauche de chaque équation, est lié directement à la puissance requise pour le transport du gaz naturel et que, au fur et à mesure que le produit de Zavg et S (qui apparaissent tous deux au dénominateur de la partie droite de l’équation) diminue, le débit aura tendance à augmenter. Étant donné que le produit zMm est proportionnel au produit de Zavg et S, la personne versée dans l’art aurait compris à partir de cette équation de débit que, au fur et à mesure que le produit zMm diminue, l’efficacité du transport du gaz augmente.
[202] Dans le même sens, M. King explique que déterminer la masse moléculaire (Mm) d’un mélange de gaz naturel est un exercice simple qui relève des CGC de la personne versée dans l’art et qui est réalisé à partir de calculs basés sur les renseignements disponibles dans le tableau périodique. Il déclare que la personne versée dans l’art aurait compris que le produit zMm peut être déterminé en calculant la masse moléculaire du mélange et en la multipliant par le facteur z. Il se dit ensuite d’avis que la personne versée dans l’art aurait compris que le produit zMm du mélange de gaz naturel pourrait être comparé à celui du méthane et, s’il s’avérait plus petit, cet expert aurait compris qu’un volume de ce mélange pourrait être transporté dans un pipeline avec une perte de pression moindre que celle d’un même volume de méthane. M. King explique dans son rapport que la perte de pression s’entend de la perte de pression le long du pipeline (ou plus précisément entre les stations de pompage) et qu’une réduction de la perte de pression représente une réduction de l’énergie de compression requise pour le transport du gaz.
[203] Aux Sable s’appuie également, toujours dans le même sens, sur le témoignage oral de M. Sharma. Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire de confirmer que, dans aucun document faisant partie de l’art antérieur, il n’est indiqué de multiplier le facteur z par Mm et d’utiliser ce produit comme guide ou paramètre pour déterminer l’effet sur la puissance, M. Sharma a répondu, faisant référence à l’équation Weymouth, [traduction] « C’est juste là ». Il a expliqué que Mm peut être remplacé par S dans l’équation et que l’équation indique alors très explicitement que le produit zMm régule la perte de pression dans le pipeline.
[204] M. Sharma a aussi expliqué dans son témoignage que l’équation Weymouth comprend trois groupes de paramètres différents : le premier groupe concerne concrètement le pipeline (c.-à-d. sa longueur et son diamètre), le second les conditions d’exploitation du pipeline (c.-à-d. la température et la pression) et le troisième le gaz lui-même (c.-à-d. sa masse moléculaire et sa compressibilité). En conséquence, si les paramètres du premier groupe sont sensiblement constants, le seul moyen d’accroître le débit (Q) est d’accroître la masse moléculaire du mélange (c.-à-d. en ajoutant des hydrocarbures plus lourds comme des C2 ou C3) et de voir si le produit de la masse moléculaire par le facteur de compressibilité au dénominateur de l’équation est plus petit. Je conviens avec Aux Sable que le témoignage de M. Sharma n’a pas été mis à mal en contre-interrogatoire.
[205] Je ne comprends pas pourquoi JL Energy conteste en particulier l’interprétation que donne Aux Sable de la manière dont les équations de débit fonctionnent ou du rôle que joue le produit zMm dans ces équations. En fait, JL Energy fait valoir que ces équations n’enseignent pas directement à la personne versée dans l’art le comportement de ce produit en fonction de diverses compositions gazeuses, températures et pressions, et qu’il faudrait que la personne versée dans l’art ait cette compréhension pour qu’elle puisse utiliser le produit zMm de la manière revendiquée dans le brevet ’670.
[206] Sur ce point, M. Monnery explique dans son rapport que le produit zMm est fonction non seulement de la composition, mais aussi de la pression et de la température, car le facteur z lui-même varie en fonction de la composition, de la température et de la pression du gaz. Cela rend le comportement du produit zMm complexe, de sorte que celui-ci ne diminue pas toujours avec l’ajout de C2 et/ou de C3. En fait, une augmentation de la Mm grâce à un tel ajout se traduit souvent par une augmentation du produit zMm avant qu’il ne commence à diminuer. M. Monnery appelle ce comportement la « colline d’énergie » qui est décrite par le brevet ’670, selon laquelle (du moins pour certaines combinaisons de température et de pression) une quantité suffisante d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3 doit être ajoutée au gaz non traité pour produire la réduction du produit zMm revendiquée dans le brevet.
[207] Ce concept de « colline d’énergie » est décrit dans la partie divulgation du brevet ’670 de la manière suivante, et l’on y renvoie à la figure 4 du brevet, aussi reproduite ci-après :
[traduction] La figure 4 représente l’effet de différentes concentrations d’éthane ajouté dans un gaz, à 35 °F, sur les exigences de puissance par million de pieds cubes de gaz pompés dans un pipeline identique à celui utilisé dans la figure 3.
La figure 4 montre aussi l’effet négatif de l’ajout d’éthane dans un pipeline classique exploité à une pression d’environ 800 lb/po2a et à une température de 35 °F. La puissance requise pour le pompage s’accroît jusqu’à ce que le mélange contienne 26 % d’éthane, puis diminue pour les concentrations plus élevées approchant la limite de phase liquide. Toutefois, cette diminution n’est pas suffisante, car à la concentration à laquelle la liquéfaction se produit (environ 40 %), il n’y a plus d’économie d’énergie par rapport au pompage d’un gaz naturel ordinaire. Cette colline d’énergie atteint un pic toutefois pour des concentrations décroissantes d’éthane à mesure que la pression d’exploitation augmente, p. ex. 14 % à 1 150 lb/po2a, 8 % à 1 350 lb/po2a, 6 % à 1 475 lb/po2a. Cela s’explique par la vitesse avec laquelle la valeur du facteur z diminue surpassant celle avec laquelle la masse volumique augmente.
[208] Le rapport de M. Ryan décrit aussi cette colline d’énergie comme étant un élément important qui distingue l’état de la technique des revendications du brevet ’670. Je comprends que l’essentiel de son opinion et de celle de M. Monnery sur ce point est que, en raison des interactions complexes entre la pression, la température, la composition gazeuse et le facteur z, l’effet de ces interactions étant décrit dans le brevet comme étant la colline d’énergie, le comportement précis du produit zMm en fonction d’une variation de ces paramètres n’aurait pas été connu de la personne versée dans l’art, que ce soit par le truchement de l’art antérieur ou des CGC, et aurait nécessité des calculs, des inférences et de l’imagination pour être déterminé. MM. Ryan et Monnery sont d’avis que, sans de telles connaissances, la personne versée dans l’art n’aurait eu aucune raison de s’intéresser à ce produit pour évaluer l’effet de l’ajout d’hydrocarbures plus lourds à un mélange gazeux.
[209] Pour ce qui est de la colline d’énergie, je constate que ce terme n’apparaît pas dans les revendications du brevet ’670 et qu’Aux Sable estime qu’elle n’est donc pas pertinente pour l’analyse de l’évidence. Sur le plan juridique, je souscris au principe sur lequel Aux Sable s’appuie, à savoir que ce sont seulement les revendications telles qu’interprétées, et non les autres idées divulguées par le brevet, qui doivent être prises en compte pour l’examen de l’évidence. J’estime toutefois que cela ne compromet pas l’analyse sur laquelle repose l’opinion des experts de JL Energy, selon qui le comportement du produit zMm ne fait pas partie de l’art antérieur ou des CGC de la personne versée dans l’art de manière à constituer une étape évidente au regard de l’art antérieur.
[210] Rappelons que, telles qu’interprétées, les revendications 1 à 8 exigent que l’on évalue le produit zMm par suite de l’ajout d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3, pour s’assurer que ce produit a diminué en conséquence de cet ajout. Rappelons aussi que l’art antérieur enseigne l’avantage d’une réduction de la puissance requise pour obtenir un certain débit avec un gaz plus riche et plus compressible résultant de l’ajout d’hydrocarbures plus lourds. Pourquoi alors est-il nécessaire de mesurer le produit zMm avant et après un tel ajout? C’est en raison des interactions entre la pression, la température, la composition gazeuse et le facteur z, et de la complexité du comportement du produit zMm qui en découle, que les bénéfices enseignés par l’art antérieur ne sont pas nécessairement obtenus en enrichissant le gaz. Les revendications 1 à 8 requièrent le calcul du produit zMm avant et après l’ajout de C2 et/ou de C3, afin de s’assurer que l’on a ajouté suffisamment de C2 et/ou de C3 pour obtenir ces bénéfices. En d’autres termes, la diminution requise du produit zMm est prévue dans les revendications 1 à 8 en raison précisément de ce comportement complexe que l’on appelle aussi la colline d’énergie. Par conséquent, à mon sens, l’interprétation des revendications appuie l’opinion des experts de JL Energy sur la connaissance de ce comportement par la personne versée dans l’art.
[211] J’estime également fondée l’opinion des experts de JL Energy selon laquelle le comportement complexe du produit zMm ne fait pas partie de l’art antérieur ni des CGC et qu’il n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art. Les aspects objectifs de l’opinion des experts d’Aux Sable sur le produit zMm sont solides et conformes aux lois de la physique illustrées dans les équations de débit et de la manière avec laquelle elles peuvent être réorganisées pour isoler le rôle de zMm. C’est-à-dire que le produit zMm peut être isolé dans ces équations, et il est montré qu’il est proportionnel au débit de gaz. Toutefois, comme les experts de JL Energy le pensent, ces analyses n’expliquent pas ce qui aurait motivé la personne versée dans l’art à calculer ce produit en rapport avec l’ajout de C2 et/ou de C3 au gaz naturel. Je souscris à l’opinion des experts de JL Energy selon qui les analyses faites par les experts d’Aux Sable ― qui étayent l’argument de cette dernière voulant que cette utilisation du produit zMm pour mesurer le débit dans un pipeline après l’ajout de C2 et/ou de C3 fasse partie soit de l’art antérieur soit des CGC ― reposent dans une certaine mesure sur une appréciation a posteriori inacceptable (voir p. ex. Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY, [1986] A.C.F. no 87 (QL) (C.A.), paragraphes 20 et 21). Leurs analyses expliquent pourquoi ce paramètre fonctionne pour assurer un débit de gaz accru ou des exigences en puissance moindres, mais elles n’expliquent pas, si le comportement de ce paramètre n’est pas compris, ce qui aurait motivé la personne versée dans l’art à l’utiliser en premier dans le contexte de l’enrichissement d’un mélange de gaz.
[212] J’ai examiné les rapports produits en réponse par M. Ramsay et M. Sharma qui, encore une fois, renvoient aux renseignements accessibles à la personne versée dans l’art, à partir des équations de débit et d’autres références courantes comme le Guide, au sujet du comportement du produit zMm. Toutefois, à mon avis, cette contre-preuve n’établit pas que la personne versée dans l’art aurait été consciente des complexités du comportement du produit zMm sans l’imagination, les inférences et les calculs nécessaires.
[213] Enfin, pour revenir à mes observations concernant les éléments susceptibles d’influer sur le poids à accorder aux opinions des divers experts, j’hésiterais à adhérer à l’aspect plus subjectif de l’opinion de M. Sharma dans cette partie de l’analyse de l’évidence. M. Sharma est d’avis qu’il n’y a aucune différence entre l’état de la technique et les revendications 1 à 8, puisque les améliorations de l’efficacité résultant d’un produit zMm moindre sont une conséquence directe des équations de débit montrant que le produit zMm est proportionnel à la chute de pression nécessaire pour faire circuler le gaz dans un pipeline. C’est à cette étape de l’analyse relative à l’évidence que la préoccupation soulevée plus tôt dans les présents motifs ― celle de la conception erronée de M. Sharma pour qui la personne versée dans l’art est un ingénieur doté d’un niveau d’inventivité moyen ― devient potentiellement pertinente.
[214] Je reconnais que l’opinion de M. Sharma est formulée de façon à décrire l’état de la technique (troisième volet du critère de l’arrêt Sanofi), plutôt qu’à déterminer si les différences entre l’état de la technique et les revendications sont évidentes (quatrième volet). Or, j’ai déjà expliqué le rapport qu’il y a entre ces volets de l’analyse relative à l’évidence lorsque j’ai examiné les arguments avancés par Aux Sable à propos du rôle du produit zMm. À ce titre, je crains que la conception erronée de M. Sharma quant au niveau d’inventivité de la personne versée dans l’art ait pu influencer son opinion. Ma décision de privilégier le point de vue des experts de JL Energy sur cette question précise repose principalement sur l’analyse exposée ci-dessus. Toutefois, cette préoccupation quant à la mauvaise compréhension par M. Sharma du niveau d’inventivité de la personne versée dans l’art étaye également cette décision.
[215] Je suis également conscient des préoccupations qui ont été soulevées au sujet de la façon dont les experts de JL Energy conçoivent la personne versée dans l’art, et que j’ai déjà expliquées dans les présents motifs. Un peu comme M. Sharma, M. Monnery a commis une erreur en attribuant un certain niveau d’inventivité à la personne versée dans l’art, la décrivant comme [traduction] « n’étant pas particulièrement inventive » ou [traduction] « pas très inventive ». Pour ce qui est de M. Ryan, je craignais qu’il se soit fondé sur ses opinions personnelles au moment d’accomplir les tâches imposées par le droit des brevets à la personne versée dans l’art. Ces préoccupations influent négativement sur le poids à accorder aux dépositions des deux témoins, puisque la Cour fera davantage confiance à l’opinion d’un témoin expert s’il est évident que celui-ci a bien compris les paramètres juridiques de la tâche qui lui incombe. Toutefois, j’estime que ces préoccupations ne minent pas ma confiance au point d’influer sur ma décision de retenir l’opinion des experts de JL Energy plutôt que celle des experts d’Aux Sable en ce qui concerne cet élément de l’analyse de l’évidence.
[216] Je tire cette conclusion en partie parce qu’il est logiquement moins préoccupant qu’un expert attribue un certain degré d’inventivité à la personne versée dans l’art ou s’appuie sur ses propres opinions (et est donc susceptible de concevoir la personne versée dans l’art comme étant une personne dotée d’un certain degré d’inventivité) si cet expert est d’avis que l’invention ne serait pas évidente pour la personne versée dans l’art. Toutefois, cette conclusion tient aussi au fait que ma décision de privilégier le point de vue des experts de JL Energy sur cette question repose principalement sur l’analyse effectuée précédemment sur le bien-fondé de ce point de vue, plutôt que sur la mesure dans laquelle les experts semblent être des témoins fiables. Pour cette raison, les autres préoccupations soulevées par Aux Sable en ce qui concerne la fiabilité des experts de JL Energy, notamment que, selon moi, M. Monnery agissait dans une certaine mesure en tant que défenseur des droits de cette dernière, ne modifient pas non plus ma décision de retenir leurs témoignages dans cette partie de l’analyse relative à l’évidence.
[217] Enfin, il convient de noter que chaque partie a également fait état de considérations secondaires susceptibles d’influer sur l’analyse relative à l’évidence, notamment le temps qu’il a fallu à l’inventeur pour parvenir au concept sous-tendant le brevet, la rémunération qu’il a reçue pour son travail, les droits de licence et la reconnaissance que JL Energy prétend avoir obtenue pour la technologie sous-tendant le brevet. Toutefois, les deux parties conviennent que ces considérations secondaires ne sont pertinentes que dans les cas limites, lorsque le résultat de l’analyse de l’évidence n’est pas clair (voir Teva Canada Limitée c. Janssen Inc., 2018 CF 754, paragraphe 91). Puisqu’à mon avis, la présente espèce n’est pas un cas limite, je n’examinerai pas ces facteurs secondaires.
IX. Les revendications 1 à 10 du brevet ’670 sont-elles invalides pour les motifs suivants?
A. Insuffisance
[219] S’agissant de la validité d’un brevet, l’examen du caractère suffisant du mémoire descriptif est fondé sur le paragraphe 27(3) de la Loi, qui dispose :
27 (1) […]
Mémoire descriptif
(3) Le mémoire descriptif doit :
a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;
b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;
c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;
d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.
[220] Aux paragraphes 49 à 52 de l’arrêt Teva Canada Ltée c. Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 R.C.S. 625, la Cour suprême du Canada, citant un extrait de l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, examine la jurisprudence relative au caractère suffisant (souligné dans l’original) :
Dans l’arrêt Consolboard, notre Cour examine les exigences légales de divulgation qui, au moment des faits considérés, figuraient à l’art. 36. Malgré des différences de formulation entre cette disposition et l’actuel par. 27(3), l’obligation de divulgation demeure substantiellement la même.
Le juge Dickson se penche sur le contenu du mémoire descriptif qui satisfait aux exigences de divulgation. Il affirme clairement que la nature de l’invention doit y être exposée et qu’il faut examiner le mémoire en entier, revendications comprises, pour établir la nature de l’invention et déterminer si la divulgation est suffisante :
Essentiellement, ce qui doit figurer dans le mémoire descriptif (qui comprend à la fois la divulgation, c.-à-d., la partie descriptive de la demande de brevet, et les revendications) c’est une description de l’invention et de la façon de la produire ou de la construire, à laquelle s’ajoutent une ou plusieurs revendications qui exposent les aspects nouveaux pour lesquels le demandeur demande un droit exclusif. Le mémoire descriptif doit définir la portée exacte et précise de la propriété et du privilège exclusifs revendiqués.
Le paragraphe 36(1) cherche à répondre aux questions suivantes : « En quoi consiste votre invention? Comment fonctionne-t-elle? » Quant à chacune de ces questions, la description doit être exacte et complète de sorte que, comme l’exprime le président Thorson dans Minerals Separation North American Corporation c. Noranda Mines, Limited [[1947] R.C. de l’É. 306] :
[traduction] … une fois la période de monopole terminée, le public puisse, en n’ayant que le mémoire descriptif, utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur, à l’époque de la demande. [à la p. 316]
Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement [...], sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada [1934] R.C.S. 570], à la p. 574 : [traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ». Sir George Jessel a dit à peu près la même chose il y a beaucoup plus longtemps dans l’arrêt Hinks & Son v. Safety Lighting Company [(1876), 4 Ch. D. 607]. Il a dit que l’on devait aborder le brevet « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile ».
[…]
À mon avis, c’est un principe fermement établi que le mémoire descriptif d’un brevet ne s’adresse pas au public, mais à une personne versée dans l’art en cause. De plus je suis convaincu que le par. 36(1) n’impose pas au breveté l’obligation de prouver l’utilité de son invention. [Je souligne; référence omise; p. 520-521.]
Depuis cet arrêt, notre Cour continue d’appliquer les principes énoncés par le juge Dickson, ce qui témoigne de la justesse de son analyse : voir, p. ex., Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, par. 18; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, par. 52; Pioneer Hi-Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623 (« Pioneer Hi-Bred »), p. 1636.
Dans Pioneer Hi-Bred, notre Cour renvoie à Consolboard à l’occasion d’un nouvel examen des exigences de la Loi en matière de divulgation. Le juge Lamer (plus tard Juge en chef) les définit comme suit au nom de la Cour :
En résumé, la Loi sur les brevets exige du demandeur qu’il présente un mémoire descriptif comprenant la divulgation et les revendications (Consolboard Inc., précité, à la p. 520). Les tribunaux canadiens ont eu l’occasion d’énoncer au cours des années le test qu’il faut appliquer pour savoir si la divulgation est complète. Le demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention. Afin d’être complète, celle-ci doit remplir deux conditions : l’invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie [...]. Le demandeur doit définir la nature de l’invention et décrire la façon de la mettre en opération. Un manquement à la première condition invaliderait la demande parce qu’ambiguë alors qu’un manquement à la seconde l’invaliderait parce que non suffisamment décrite. Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation [...], et d’utiliser l’invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l’inventeur, au moment de sa demande (Minerals Separation, précité, à la p. 316). [Je souligne; références omises; p. 1637-1638.] 1637-38.]
Dans les arrêts Consolboard et Pioneer Hi-Bred, la Cour analyse correctement les exigences de divulgation énoncées au par. 27(3) de la Loi. Il convient de confirmer le raisonnement qu’elle tient dans ces arrêts et de l’appliquer en l’espèce.
[221] Il n’y a pas de désaccord entre les parties quant au critère applicable. Dans sa plaidoirie finale, l’avocat des demanderesses a convenu avec la défenderesse que, pour que le mémoire descriptif d’un brevet soit suffisant, il doit permettre à la personne versée dans l’art ou le domaine dont relève l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation.
[222] Aux Sable explique qu’il y a un lien entre ses allégations d’évidence et d’insuffisance. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, elle soutient que le brevet ’670 est évident parce qu’il n’enseigne à la personne versée dans l’art rien qui ne fait pas déjà partie des CGC ou de l’art antérieur. Aux Sable allègue qu’il y a évidence parce que l’art antérieur et les CGC permettent à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention revendiquée dans le brevet. Subsidiairement, elle fait valoir que, si les revendications 1 à 10 sont considérées comme n’étant pas évidentes (ou, dans le cas des revendications 9 et 10, comme étant antériorisées), le brevet est invalide pour cause d’insuffisance parce que, hormis ce qui fait partie des CGC et de l’art antérieur, il ne donne aucun nouveau renseignement qui permettrait à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention. Comme j’ai conclu que les revendications 9 et 10 sont antériorisées, j’examinerai l’argument subsidiaire d’Aux Sable, qui porte sur l’insuffisance, mais seulement en ce qui concerne les revendications 1 à 8.
[223] L’essentiel de l’argument des demanderesses est que le brevet ’670 n’enseigne pas à la personne versée dans l’art comment sélectionner chacun des paramètres (c.-à-d. la composition gazeuse, la température et la pression) dans les plages prescrites par les revendications. Il n’enseigne pas non plus comment procéder mécaniquement à l’ajout d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3 ou comment éviter la phase liquide dans le mélange de gaz. Ainsi, même en ayant en mains le brevet ’670, la personne versée dans l’art devra travailler autant que si elle ne l’avait pas pour trouver la façon la plus efficace de transporter du gaz naturel par pipeline.
[224] Aux Sable soutient que sa position sur l’insuffisance est étayée par les témoignages de ses propres experts MM. Ramsay et Sharma, et par celui de l’expert de JL Energy, M. Monnery. Dans son rapport, M. Ramsay conclut que le fonctionnement de l’invention n’est pas suffisamment décrit dans le brevet ’670, ajoutant que le brevet n’explique pas comment sélectionner les concentrations précises des constituants du mélange gazeux ou comment obtenir ces concentrations (y compris l’hydrocarbure en C2 et/ou en C3 précis à ajouter et en quelle quantité), la pression particulière, la température particulière ou quelle quantité précise ajouter pour diminuer le produit zMm par l’ajout de C2 et/ou de C3. M. Sharma fait des observations semblables et souligne que le brevet ’670 ne donne aucune indication sur la façon d’éviter la phase liquide dans le mélange de gaz.
[226] Je reconnais que la preuve sur laquelle Aux Sable s’appuie montre exactement ce que le brevet ’670 enseigne et n’enseigne pas. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec Aux Sable, ou avec ses experts dans la mesure où ils sont de cet avis, que cette preuve permet de conclure que le brevet est invalide pour cause d’insuffisance. Si je reviens au critère applicable, à savoir si la description du brevet permet à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention à partir des seules instructions contenues dans la divulgation, je conclus qu’il est respecté. Rappelons que l’invention qui sous-tend les revendications 1 à 8 est l’ajout d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3 de façon à réduire le produit zMm à un niveau inférieur à celui du gaz non traité. Le brevet ’670 enseigne clairement à la personne versée dans l’art comment obtenir ce résultat, puisque le calcul du produit zMm, avant et après l’ajout d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3, est un élément déterminant de l’atteinte de ce résultat. À mon avis, le fait qu’il existe une gamme de conditions d’exploitation du pipeline, et en fait de compositions gazeuses, à l’intérieur de laquelle ce résultat peut être obtenu, ne permet pas de conclure que la personne versée dans l’art n’a pas suffisamment de renseignements pour réaliser l’invention.
[227] L’avocat d’Aux Sable a reconnu au cours de sa plaidoirie qu’un brevet peut revendiquer des plages comme le fait le brevet ’670. Aux Sable fait valoir non pas que le brevet est insuffisant parce qu’il revendique des plages, mais plutôt qu’il est insuffisant parce qu’il ne fournit pas à la personne versée dans l’art des instructions sur la façon de faire des sélections dans ces plages. Les demanderesses renvoient au témoignage de M. Monnery dans lequel celui-ci aurait mentionné que la personne versée dans l’art sait comment faire ces sélections, eu égard à l’art antérieur ou aux CGC, mais elles réitèrent que cela signifie que le brevet ’670 est évident (parce que la personne versée dans l’art possède déjà les renseignements pertinents) ou qu’il est insuffisant (parce que le brevet ne fournit pas lui-même ces renseignements).
[228] Encore là, je crois que cet argument fait abstraction de ce qu’est réellement l’invention. Le brevet ’670 fournit les renseignements nécessaires pour réaliser l’invention revendiquée (qui consiste, je le répète, en l’ajout d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3 de façon à réduire le produit zMm). Les sélections de conception, qui supposent de choisir une composition et une température, le procédé mécanique permettant d’ajouter des hydrocarbures en C2 et/ou en C3 et le moyen d’éviter la phase liquide, font toutes partie de ce qui, selon Aux Sable, relève des CGC de la personne versée dans l’art. J’ai conclu plus haut que cette invention n’était pas évidente pour la personne versée dans l’art, malgré les CGC et l’art antérieur pris en compte dans cette analyse. Toutefois, cela ne veut pas dire que le brevet est insuffisant simplement parce que la personne versée dans l’art fait appel à ces CGC pour réaliser le brevet.
B. Objet non brevetable
[230] Ce motif d’invalidité soulève la question de savoir si une invention revendiquée peut à juste titre faire l’objet d’un brevet, c.-à-d. s’il s’agit d’une « invention » au sens de l’article 2 de la Loi :
2 […]
[…]
invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité. (invention)
Aux Sable renvoie la Cour au paragraphe 56 de la décision AbbVie Biotechnology Ltd. c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1251, sub nom. Abbott Laboratories (Bermuda) Ltd., Re, 126 C.P.R. (4th) 51 (Abbott), où il est déclaré que les revendications portant sur l’exercice de la compétence professionnelle ne constituent pas une invention et qu’elles ne peuvent faire l’objet d’un brevet ou d’un monopole. Bien que l’invalidité d’un brevet pour cause d’objet non brevetable soit normalement invoquée dans le contexte de revendications relatives à un traitement médical prévoyant une plage de doses, la décision Abbott précise que le principe applicable ne se limite pas aux utilisations thérapeutiques, et je ne comprends pas pourquoi JL Energy conteste ce principe. En effet, je ne comprends pas pourquoi les parties ne s’entendent pas sur le droit applicable à cette question. Dans sa plaidoirie, l’avocat d’Aux Sable a souscrit au critère énoncé par JL Energy (fondé sur la décision Abbott) dans ses observations finales écrites :
[traduction] Les revendications portant sur l’« exercice d’une compétence professionnelle » ne sont pas brevetables. Toute revendication qui porte de façon générale sur une compétence professionnelle n’est pas non brevetable. L’interdiction s’applique plutôt à une définition précise du terme « compétence professionnelle », soit celle du praticien visé par la revendication qui doit exercer une forme de jugement qui aura une incidence sur la réalisation de l’invention. L’expression courante employée pour parler de l’« exercice d’une compétence professionnelle » est « compétence et jugement professionnels ».
[231] En toute justice, ce à quoi l’avocat d’Aux Sable a plus particulièrement souscrit, c’est au fait que ce principe s’applique à la « compétence et au jugement », c.-à-d. que l’exercice professionnel d’une compétence doit comporter un élément de jugement pour qu’une revendication portant sur l’exercice de cette compétence soit invalide. L’avocat d’Aux Sable n’a pas expressément convenu que le critère tel que formulé par JL Energy ne s’applique qu’à l’exercice d’une certaine forme de jugement qui aura une incidence sur la réalisation de l’invention. Toutefois, Aux Sable ne s’est pas opposée au critère ainsi formulé et, bien que JL Energy n’ait pas cité de décisions dans lesquelles le critère est formulé expressément de cette façon, je reconnais que cette formulation est logique et simple et qu’elle semble étayée par le raisonnement suivi dans la jurisprudence applicable.
[232] Par exemple, dans la décision Axcan Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2006 CF 527 (Axcan), l’une des affaires de posologie invoquées par Aux Sable, la Cour a conclu qu’une revendication portant sur une composition pharmaceutique pour le traitement d’une maladie, fondée sur une gamme posologique prescrite (de 13 à 15 mg/kg/jour selon le poids du patient), était invalide parce qu’elle portait sur une méthode de traitement médical. En tirant cette conclusion, le juge Harrington a expliqué, au paragraphe 46, que c’était au médecin qu’il appartenait, d’après sa connaissance de la vitesse du métabolisme de son patient et d’autres facteurs, de fixer la dose quotidienne qui convenait à ce dernier. Si je comprends bien le raisonnement suivi par le juge, c’est parce que la revendication du brevet était liée à un domaine dans lequel le médecin doit faire preuve de jugement professionnel au moment de choisir la posologie qui convient pour traiter la maladie, qu’elle a été jugée invalide. Ce qui appuie l’observation de JL Energy que le principe expliqué dans la décision Abbott s’applique dans des circonstances où l’exercice du jugement professionnel, c.-à-d. d’un bon jugement plutôt que d’un mauvais jugement, aura une incidence sur la réalisation de l’invention.
[233] Pour revenir à l’affaire qui nous occupe, Aux Sable soutient que le brevet ’670 revendique une gamme de possibilités parmi lesquelles la personne versée dans l’art peut choisir, de sorte qu’elle doit exercer ses compétences et son jugement professionnels pour appliquer les enseignements du brevet. Autrement dit, puisque les revendications du brevet ’670 ne prescrivent pas une composition du gaz ou des conditions de transport déterminées (c.-à-d. une température et une pression), le brevet exige de la personne versée dans l’art qu’elle exerce sa compétence et son jugement professionnels pour sélectionner la bonne combinaison de composition et de conditions.
[234] Comme dans le cas de l’allégation d’insuffisance, Aux Sable appuie sa position sur le témoignage de ses propres experts, MM. Ramsay et Sharma, et sur celui de l’expert de JL Energy, M. Monnery. M. Ramsay est d’avis que les revendications du brevet ’670 touchent le domaine des compétences professionnelles de la personne versée dans l’art. Pour étayer cette conclusion, il parle des combinaisons d’hydrocarbures, des plages de concentrations d’hydrocarbures, de pressions et de températures revendiquées par le brevet, et il dit que le brevet n’est pas utile pour faire des sélections dans ces plages, mais qu’il revendique plutôt le fruit des efforts de la personne versée dans l’art qui exerce ses compétences professionnelles pour procéder à ces sélections. M. Sharma se dit du même avis et répète que les revendications 9 et 10 ne concernent pas le calcul du produit zMm.
[235] Quant à M. Monnery, Aux Sable répète que son rapport et le témoignage qu’il a donné en contre-interrogatoire confirment que le processus optimal de conception d’un pipeline était déjà connu de la personne versée dans l’art et que la seule nouvelle variable introduite par le brevet ’670 était l’ajout d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3 afin de réduire le produit zMm. Aux Sable s’appuie également sur le témoignage obtenu en contre-interrogatoire dans lequel M. Monnery déclare que la personne versée dans l’art utilisera ses compétences et son jugement pour régler les températures et les pressions et modifier la composition du gaz brut extrait du sol avant son transport.
[236] L’analyse que je fais de cette allégation d’invalidité ressemble à celle que j’ai faite à l’égard des arguments soulevés par les demanderesses sur la question de l’insuffisance. Je reconnais que les témoignages sur lesquels Aux Sable s’appuie illustrent avec précision les aspects à l’égard desquels la personne versée dans l’art fera appel à ses compétences professionnelles plutôt qu’aux enseignements du brevet pour réaliser ce dernier. Or, s’agissant d’abord des revendications 1 à 8, je ne suis pas d’accord avec Aux Sable, ou avec ses experts qui ont exprimé cette opinion, pour dire que ces témoignages permettent de conclure que le brevet est invalide parce qu’il revendique un objet non brevetable. La personne versée dans l’art a à sa disposition des compositions variables, des plages de pressions et de températures avec lesquelles elle peut travailler, et je reconnais qu’elle devra faire appel à ses compétences professionnelles, ainsi qu’à ses CGC, pour prendre des décisions sur la conception du pipeline qui respectent ces paramètres. Toutefois, la personne versée dans l’art qui met en pratique ces revendications n’est pas tenue d’exercer son jugement pour réaliser l’invention. Elle réalise l’invention en suivant les instructions du brevet et en ajoutant suffisamment d’hydrocarbures en C2 et/ou en C3 afin de réduire le produit zMm à un niveau inférieur à celui du gaz non traité. Aucun jugement n’est requis pour parvenir à ce résultat.
[237] Je reconnais que M. Monnery a déclaré en contre-interrogatoire que, pour ce qui concerne les plages prescrites par le brevet, la personne versée dans l’art utilisera ses compétences et son jugement. Toutefois, les questions auxquelles M. Monnery répondait ne définissaient pas les termes « compétence » et « jugement », ou n’expliquaient pas la différence de sens entre ces termes, laquelle est importante pour les besoins de la présente analyse, de sorte que la Cour ne peut considérer l’emploi du terme « jugement » dans son contre-interrogatoire comme étant particulièrement probant quant à l’issue de la présente analyse.
[238] En ce qui concerne les revendications 9 et 10, le résultat de la présente analyse importe peu, puisque j’ai déjà conclu qu’elles étaient invalides au regard des allégations examinées précédemment dans les présents motifs. La distinction entre ces revendications et les revendications 1 à 8, laquelle est importante pour statuer sur les autres allégations d’invalidité, est bien entendu l’absence du calcul du produit zMm avant et après l’ajout des hydrocarbures en C2 et/ou en C3. À mon avis, l’examen des autres allégations fait précédemment dans les présents motifs offre peut-être un cadre analytique plus approprié pour apprécier la validité des revendications 9 et 10 en l’absence de ce paramètre. Toutefois, M. Sharma souligne l’absence de ce paramètre lorsqu’il s’exprime sur la question de l’objet non brevetable, et je conviens que les revendications 9 et 10 présentent donc des similitudes avec les gammes posologiques qui ont été jugées invalides dans des décisions telles que la décision Axcan. Sans détermination du produit zMm pour la guider, la personne versée dans l’art qui met en pratique les revendications 9 et 10 en vue d’obtenir le résultat prévu, dans les plages de compositions prescrites, doit exercer son jugement professionnel. J’estime donc que, pour ce motif, les revendications 9 et 10 sont invalides.
X. Conclusion et dépens
[239] En résumé, je conclus que les revendications 1 à 8 sont valides, que les revendications 9 et 10 sont invalides et que les demanderesses ont droit à un jugement déclarant que les revendications 9 et 10 sont invalides, comme le prévoit le paragraphe 60(1) de la Loi. Mon jugement en tiendra compte.
[240] Lors de l’audition de la présente action, les parties ont proposé que la question des dépens soit réglée après le prononcé de la décision sur le fond, et que les parties disposent d’un délai de dix jours pour parvenir à un accord et en aviser la Cour, ou pour déposer leurs observations écrites respectives à ce sujet, d’un maximum de cinq pages chacune. Mon jugement tiendra compte de cette approche.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1612-16
LA COUR ORDONNE :
1. En vertu du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, dans sa version modifiée, les revendications 9 et 10 du brevet canadien 2205670 sont déclarées invalides et nulles.
2. L’action des demanderesses est à tous autres égards rejetée.