T-759-15
André Dionne (demandeur)
c.
Bureau du surintendant des institutions financières (défendeur)
et
Commissariat aux langues officielles (intervenant)
Répertorié : Dionne c. Canada (Bureau du surintendant des institutions financières)
Cour fédérale, juge Annis—Montréal, 20 mars 2018; Ottawa, 3 juillet et 20 septembre 2019.
Langues officielles — Langue de travail — Recours présenté en application de l’art. 77(1) de la Loi sur les langues officielles (LLO), suivant un rapport final de suivi d’enquête émis par le Commissariat aux langues officielles (CLO) — Le demandeur, un employé francophone bilingue, dirigeait une équipe de généralistes à Montréal et travaillait avec des spécialistes unilingues situés à Toronto — Les communications avec les spécialistes se déroulaient en anglais — Les rapports des spécialistes devaient être traduits en français — Le demandeur a allégué que son droit de travailler en français avait été brimé — Le CLO a conclu que la plainte était fondée — Le défendeur n’était pas d’accord avec le commissaire pour dire que les spécialistes fournissaient des services aux généralistes, mais il a procédé à une nouvelle désignation des postes de spécialistes bilingues à Toronto — Le défendeur a fait valoir notamment que les interactions entre le généraliste et le spécialiste ne représentent pas un service au sens de la LLO — Il a fait valoir que les employés reçoivent des services, ils ne les fournissent pas — Il s’est demandé si la formation et le perfectionnement professionnel devraient relever de la partie V de la LLO — Le demandeur s’est appuyé sur l’arrêt Tailleur c. Canada (Procureur général) (Tailleur) — Il a fait valoir que les postes de spécialistes devraient recevoir une désignation de postes bilingues — Il s’agissait principalement de savoir quelle est la nature et l’étendue des obligations des institutions fédérales conformément aux art. 35 et 36 de la LLO — La LLO vise à garantir l’égalité d’usage et de privilèges des deux langues officielles — En favorisant une communauté linguistique au détriment de l’autre, le résultat usurpe la déclaration d’intention de bilinguisme institutionnel du législateur — Il ne faut pas avoir recours au principe d’interprétation téléologique dans la présente affaire — L’art. 36(1)c) décrit deux catégories de services : les services individuels et les services auxiliaires — La catégorie de services individuels s’applique aux services offerts à tous les employés, sans égard à leurs fonctions — La catégorie auxiliaire fait référence aux services fournis aux employés pour les assister ou les appuyer dans l’exercice de leurs fonctions — Le généraliste et le spécialiste travaillent en tant que membres interdépendants d’une équipe — Les spécialistes ne fournissent pas un service aux généralistes au sens de l’art. 36(1)a) — Le terme « à titre central » limite l’étendue des services devant être offerts dans les deux langues officielles aux termes de l’art. 36(1)a) — Le législateur a donné une portée que revêtirait la fourniture de nouveaux services au-delà de ceux qui concernent l’ensemble du personnel — Le groupe de gestion de l’institution est placé dans la position la plus appropriée pour déterminer quel type de nouveau service devrait être désigné conformément à l’art. 36(1)a) — Dans la présente affaire, il n’y avait aucun élément de preuve indiquant qu’une décision a été prise pour que des spécialistes forment des généralistes en tant que service ordonné par le groupe de gestion du défendeur — L’art. 36(2) de la LLO régit les droits résiduels relatifs à la langue de travail des employés des régions désignées aux termes de la partie V de la Loi — La décision Tailleur a conclu que l’institution ne peut pas recourir à la capacité bilingue d’un employé pour se soustraire à ses obligations en matière de droits relatifs à la langue de travail — Cela a eu pour effet de créer la règle d’aucune mesure d’adaptation — Contrairement à la décision Tailleur, les milieux de travail doivent permettre l’utilisation de l’une ou l’autre langue officielle — Les employés bilingues doivent tenir compte des besoins des employés unilingues dans une certaine mesure — La question est résolue en déterminant si le « milieu de travail » est propice à l’usage des deux langues — L’art. 91 de la LLO applique le principe du mérite et interdit la dotation collatérale bilingue[1] — L’art. 36(2) doit prévoir un certain degré de prise en compte par les employés bilingues des besoins des employés unilingues — Le principe du mérite devrait avoir préséance sur les droits linguistiques dans le domaine de la dotation des postes — La jurisprudence rejette la dotation collatérale bilingue — Les postes de fournisseurs de services bilingues sont dotés selon le principe du mérite — Ces procédures de dotation ne contreviennent aucunement à l’art. 91 — L’application des droits linguistiques au détriment du principe du mérite mine la légitimité du régime fédéral canadien de gestion des ressources humaines et la législation sur les droits linguistiques — Les employés bilingues doivent prendre en compte les besoins des employés unilingues pour que les milieux de travail puissent fonctionner — La décision Tailleur est une décision « axée sur le service » — La déclaration dans cette décision selon laquelle la compétence linguistique des individus ne doit pas être un facteur dans la détermination des droits linguistiques est une observation incidente — Les principes de la courtoisie basée sur les précédents n’ont donc aucune application — Les institutions doivent créer des milieux de travail propices à l’usage des deux langues officielles et permettre à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre, conformément à l’objectif de l’art. 36(2) — Le problème préoccupant dans la présente affaire était de savoir si l’art. 36(2) accorde à l’institution un tel degré de flexibilité pour exiger que les employés bilingues tiennent compte des besoins des employés unilingues — L’esprit de l’art. 36(2) permet d’étudier des solutions plus génériques pour répondre de manière satisfaisante au plaignant — La décision Tailleur n’a pas tenu compte du deuxième objectif de l’art. 36(2) — La version anglaise de l’art. 36(2) est la version la plus claire et la moins redondante — L’arrêt R. c. Beaulac n’a pas énoncé un principe d’interprétation refusant l’accommodement — La décision Tailleur part de l’hypothèse que lorsqu’un employé est tenu de travailler dans sa deuxième langue, l’exigence doit être expliquée comme une mesure raisonnable, approche qui a été rejetée — Cette approche ne représente pas l’intention du législateur — Le critère énoncé dans cette décision n’est pas pertinent et ses exigences sont trop strictes — L’art. 36(2) ne doit pas être appliqué afin de créer un milieu de travail entièrement bilingue — Il doit être interprété de manière à permettre aux employés bilingues de tenir compte dans une certaine mesure des besoins des employés unilingues — Le principe du mérite prévaut en matière de dotation — Le milieu de travail du demandeur doit néanmoins répondre aux objectifs de l’art. 36(2) — Il doit être propice à l’usage effectif des deux langues officielles — Les régions unilingues ne doivent pas posséder une capacité bilingue pour pouvoir travailler avec des employés situés dans des régions bilingues — L’art. 91 fait obstacle à l’insistance du demandeur de désigner des postes de spécialiste bilingue à Toronto — Les communications émanant de régions doivent être dans la langue de choix des employés qui les reçoivent dans des régions unilingues — Demande rejetée.
Interprétation des lois — Droits relatifs à la langue de travail — Le demandeur, un employé francophone bilingue du défendeur, dirigeait une équipe de généralistes à Montréal et travaillait avec des spécialistes unilingues situés à Toronto — Les communications avec les spécialistes se déroulaient en anglais — Les rapports des spécialistes devaient être traduits en français — Le demandeur a allégué que son droit de travailler en français avait été brimé — Le commissaire aux langues officielles a conclu que la plainte était fondée — Le défendeur n’était pas d’accord avec le commissaire, mais il a procédé à une nouvelle désignation des postes de spécialistes bilingues à Toronto — Il s’agissait de savoir quelle était est la nature et l’étendue des obligations conformément aux art. 35 et 36 de la LLO — Le demandeur a fait valoir, en se fondant sur l’arrêt Tailleur c. Canada (Procureur général) (Tailleur), que les postes de spécialistes doivent être désignés à nouveau comme bilingues — Le principe d’interprétation téléologique adopté dans Tailleur évite de procéder à une interprétation complète et holistique des art. 36(1)a) et 36(2) — Il omet d’interpréter les éléments essentiels de l’art. 36(2) — L’arrêt Tailleur ne tient pas compte du deuxième objectif de l’art. 36(2), c.‑à‑d. que les milieux de travail doivent permettre l’usage de l’une ou l’autre langue officielle — La méthodologie interprétative qui fait fi d’un objectif qui est clairement décrit est imparfaite — Aucune interprétation téléologique ne devrait s’appliquer aux dispositions relatives au bilinguisme institutionnel, sauf pour atteindre les objectifs que le législateur a expressément décrits dans le Préambule et à l’art. 2 de la LLO — Les mots qui constituent l’art. 36(2) confèrent une souplesse interne dans la méthode d’interprétation.
Il s’agissait d’un recours présenté en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles (LLO), suivant un rapport final de suivi d’enquête émis par le Commissariat aux langues officielles (CLO) en mars 2015. Le demandeur a soulevé des questions épineuses d’interprétation des dispositions relatives à deux langues de travail figurant dans la partie V de la LLO concernant les régions bilingues.
Le demandeur, un employé francophone bilingue du défendeur, est en congé de maladie depuis 2009. À ce moment, il dirigeait une équipe de surveillants (des généralistes) à Montréal, une région bilingue désignée au sens de la LLO. Il travaillait régulièrement avec des employés unilingues (des spécialistes), situés à Toronto, région unilingue au sens de la LLO. Les généralistes et les spécialistes travaillaient régulièrement ensemble pour s’acquitter des fonctions de supervision des institutions financières pour le défendeur. La majeure partie du personnel du bureau de Montréal est francophone et la grande majorité des spécialistes de Toronto qui offrent un soutien aux employés de Montréal occupent des postes « anglais essentiel » ou bien sont unilingues anglophones. L’utilisation des spécialistes de Toronto se faisait en fonction des dossiers. La totalité des communications du demandeur avec le personnel du bureau de Toronto se sont déroulées exclusivement en anglais. Chaque fois qu’une activité de surveillance exigeait la participation d’un spécialiste, une partie importante du travail du demandeur devait se faire en anglais. Si l’institution financière faisant l’objet de la surveillance avait demandé d’être servie en français, ce qui représente une grande partie des clients desservis par le bureau de Montréal, le rapport du spécialiste devait être traduit par le demandeur. Dans une plainte déposée auprès du CLO en novembre 2010, le demandeur a allégué que son droit de travailler en français avait constamment été brimé durant son emploi auprès du défendeur. Dans son rapport d’enquête final (Rapport final ou Rapport d’enquête final) publié en 2014, le CLO a conclu que la plainte était fondée et a formulé sept recommandations au défendeur. Dans un rapport de suivi, il a conclu que le défendeur avait mis en œuvre les recommandations contenues dans son Rapport final de manière satisfaisante. Dans son Rapport d’enquête final, le commissaire a décrit la nature de la relation de travail du généraliste et de sa dépendance à l’égard des spécialistes. Il a formulé un certain nombre de recommandations, invitant le défendeur à procéder à une nouvelle désignation bilingue et à doter des postes de spécialistes à Toronto afin de leur permettre de fournir des services d’apprentissage bilingues aux généralistes. Le défendeur n’était pas d’accord avec le commissaire pour dire que les spécialistes fournissaient des services aux généralistes. Il a néanmoins procédé à une nouvelle désignation de 11 postes de spécialistes bilingues.
Les questions en litige dans l’affaire concernaient l’interprétation et l’application de l’article 36 de la LLO. Le défendeur a fait valoir notamment que les interactions entre le généraliste et le spécialiste ne représentent pas un service au sens de la Loi. Le défendeur a ajouté que les généralistes et les spécialistes, même en tant que groupes distincts, travaillent en étroite collaboration en équipe pour atteindre les objectifs fondamentaux du mandat de l’institution. Il a fait valoir que les employés reçoivent des services, ils ne les fournissent pas. Dans le Rapport d’enquête final, on a dit des prétendus services fournis par le spécialiste aux généralistes qu’ils appartenaient à la catégorie du perfectionnement professionnel. Le défendeur s’est demandé si la formation et le perfectionnement professionnel devraient relever de la partie V de la LLO, ajoutant qu’une interprétation aussi large de l’alinéa 36(1)a) va à l’encontre de l’un des objectifs de la LLO. Le demandeur s’est appuyé sur la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Tailleur c. Canada (Procureur général) (Tailleur) pour étayer son argument selon lequel les postes de spécialistes à Toronto devraient recevoir une désignation de postes bilingues afin de leur permettre d’exercer pleinement leurs droits énoncés au paragraphe 36(2).
Il s’agissait principalement de savoir quelle est la nature et l’étendue des obligations des institutions fédérales conformément aux articles 35 et 36 de la LLO.
Jugement : la demande doit être rejetée.
La LLO vise à garantir l’égalité d’usage et de privilèges des deux langues officielles. En appliquant des déclarations qui favorisent une communauté linguistique au détriment de l’autre, conformément à l’observation du demandeur, entérinée dans la décision Tailleur, le résultat usurpe la déclaration d’intention de bilinguisme institutionnel du législateur énoncée dans le Préambule et l’article relatif à l’objet de la LLO. Cela dérogerait à l’objectif de la promulgation du bilinguisme institutionnel en matière de langues officielles contrairement à l’objectif fondamental de l’interprétation des lois. Il ne faut pas avoir recours au principe d’interprétation téléologique pour éviter de procéder à une interprétation complète et holistique de dispositions comme l’alinéa 36(1)a) et le paragraphe 36(2) de la LLO. La Cour a adopté la méthode d’interprétation adoptée dans la décision Tailleur, qui a empêché de prendre en compte l’interprétation de la plupart des éléments essentiels du paragraphe 36(2). Une interprétation téléologique, qui déplace le débat de ses débuts textuels et contextuels vers ceux des politiques dans la recherche de l’objet de la Loi et de l’intention du législateur, ne devrait être utilisée qu’après avoir étudié la signification des mots en suivant leur sens ordinaire et dans leur contexte ordinaire par rapport à d’autres dispositions de la LLO.
Il n’est fait spécifiquement référence au concept de création d’un milieu de travail propice qu’à l’alinéa 36(1)c) et au paragraphe 36(2) concernant l’obligation pour les gestionnaires d’être bilingues et l’obligation de fournir un milieu de travail approprié pour l’usage des langues officielles. Compte tenu des références spécifiques au milieu de travail dans d’autres dispositions, si le législateur estimait que la fourniture des services dans la langue des employés servis était propice à l’usage efficace des deux langues officielles, il l’aurait également déclaré.
L’alinéa 36(1)a) décrit deux catégories de services : les services individuels et les services auxiliaires. Le législateur souhaitait que la catégorie de services individuels s’applique aux services offerts à tous les employés de l’institution. Comme la catégorie individuelle comprend tous les employés, il n’est pas nécessaire de limiter le nombre de personnes qui doivent recevoir le service ni d’indiquer qu’ils sont fournis à titre de services centraux, car les services fournis à tous les employés doivent l’être à titre de services centraux. Il serait logique que les dispositions de la LLO relatives aux langues de travail ne visent pas à modifier les structures du gouvernement, mais plutôt à s’appliquer aux services déjà identifiés comme tels, tout en offrant la possibilité d’une croissance ou d’un changement au besoin. Le terme « service » dans son sens générique fondamental englobe toute question de services possibles nécessitant que le service soit fourni dans la langue officielle de la personne à laquelle le service est fourni. Les services fournis aux employés à titre personnel semblent avoir vocation à s’appliquer aux services fournis à tous les employés de l’institution, sans égard aux attributs qui pourraient leur être attribués. Le demandeur et le commissaire ont mis l’accent sur le terme « auxiliaires », qui manque de clarté par rapport à la version anglaise qui décrit le service rendu par un employé en assistant l’autre dans l’exercice de ses fonctions. À l’inverse, le défendeur s’est concentré sur l’expression « services auxiliaires » sans tenir aucunement compte de la disposition dans son ensemble. Il manquait à l’interprétation du défendeur le lien pour démontrer que le service est destiné à faciliter l’accomplissement des tâches des autres employés. Le terme « auxiliaire » est utilisé pour distinguer la catégorie auxiliaire de la catégorie individuelle. La catégorie auxiliaire fait référence aux services fournis aux employés pour les assister ou les appuyer dans l’exercice de leurs fonctions. L’alinéa 36(1)a) ne devrait pas être interprété de telle sorte que les services fournis aux employés d’institutions fédérales doivent être « essentiels » à l’exercice de leurs fonctions. Le généraliste et le spécialiste travaillent en tant que membres interdépendants d’une équipe dont les membres partagent les responsabilités et dépendent les uns des autres pour accomplir leurs tâches. Les spécialistes ne fournissent pas un service aux généralistes au sens de l’alinéa 36(1)a). Le terme « à titre central » vise d’une manière quelconque à limiter l’étendue des services devant être offerts dans les deux langues officielles aux termes de l’alinéa 36(1)a). Sur cette base, il n’y a aucune limite quantitative à ce qui pourrait constituer des services fournis à titre de services centraux. Le législateur avait l’intention de donner une portée que revêtira la fourniture de nouveaux services au-delà de ceux qui concernent l’ensemble du personnel ou sont liés à l’exercice de fonctions. Le groupe de gestion de l’institution est idéalement placé dans la position la plus appropriée pour déterminer quel type de nouveau service innovant devrait être désigné, et à quel moment, conformément à l’alinéa 36(1)a). Dans la présente affaire, il n’y avait aucun élément de preuve indiquant qu’une décision positive a été prise pour que des spécialistes forment des généralistes en tant que service ordonné par le groupe de gestion du défendeur. Les deux groupes d’employés ont été conçus pour fonctionner dans un environnement d’équipe plus large qui suppose une hiérarchie de participants, sans aucune ressemblance avec une situation de service.
La demande du demandeur a été rejetée sur la base du paragraphe 36(2). Le paragraphe 36(2) de la LLO régit les droits résiduels relatifs à la langue de travail des employés des régions désignées aux termes de la partie V de la Loi. La Cour dans la décision Tailleur a conclu que l’institution ne peut pas recourir à la capacité bilingue d’un employé pour se soustraire à ses obligations en matière de droits relatifs à la langue de travail des employés. Cela a eu pour effet de créer une règle selon laquelle aucun employé bilingue ne peut être obligé de travailler dans la langue seconde de son choix, à moins que des considérations importantes ne le justifient (la règle d’aucune mesure d’adaptation). Contrairement à la décision Tailleur, la Cour a conclu dans la présente affaire que les milieux de travail doivent permettre l’utilisation de l’une ou l’autre langue officielle. Par conséquent, le législateur voulait que les employés bilingues tiennent compte des besoins des employés unilingues dans une certaine mesure. En conséquence, selon cette interprétation du paragraphe 36(2), la question est résolue en grande partie au niveau institutionnel en déterminant si le « milieu de travail » est conforme en étant suffisamment propice à l’usage effectif des deux langues officielles, tout en permettant d’utiliser l’une ou l’autre langue officielle. L’article 91 de la LLO, en tant qu’application du principe du mérite, interdit la dotation collatérale bilingue de postes aux termes de la partie V de la Loi. À cet égard, l’article 91 est dans une certaine mesure inconciliable avec le paragraphe 36(2), qui vise à exprimer un droit garanti par la Charte. La conciliation de deux principes fondamentaux de la dotation et des droits linguistiques doit faire l’objet d’une médiation. Le paragraphe 36(2) doit prévoir un certain degré de prise en compte par les employés bilingues des besoins des employés unilingues, car il reflète un compromis qui résulterait du droit de faire un usage effectif de sa langue maternelle et du fait que le milieu de travail comprendra à la fois et des employés bilingues et unilingues travaillant ensemble. L’article 91 est très pertinent pour tout examen du paragraphe 36(2). Le principe du mérite devrait avoir préséance sur les droits linguistiques dans le domaine de la dotation des postes. Il ne peut en être autrement, car le principe de dotation fondé sur la méritocratie est le principe fondamental qui sous-tend la légitimité du gouvernement fédéral. La discrimination était un élément du raisonnement sous-jacent à l’article 91. Plus précisément, la population identifiée qui serait victime de cette discrimination était des Canadiens unilingues qui ne pouvaient pas postuler à un poste désigné bilingue. L’article 91 a une dimension individuelle et une dimension plus générale, celle de la promotion du bilinguisme dans tout le pays. Les postes de fournisseurs de services bilingues sont dotés selon le principe du mérite, en raison de la qualification linguistique essentielle pour pouvoir servir les clients dans les deux langues officielles. Ces procédures de dotation ne contreviennent aucunement à l’article 91. Il est hautement improbable qu’un tribunal approuve l’application des droits linguistiques au détriment d’un principe fondamental d’un régime institutionnel fédéral fondé sur le mérite. Agir de la sorte minerait non seulement la légitimité du régime fédéral canadien de gestion des ressources humaines, mais également la législation sur les droits linguistiques que le commissaire est généralement chargé de respecter. Le résultat logique des milieux de travail composés d’employés bilingues et unilingues est qu’ils ne fonctionneront pas si les employés bilingues ne sont pas prêts à travailler dans la langue des employés unilingues. Cette réalité est le point de départ de toute interprétation du paragraphe 36(2).
La décision Tailleur est une décision « axée sur le service » parce que la détermination de la langue de travail appropriée reflète les exigences opérationnelles de la fourniture de services au public. La déclaration catégorique dans la décision Tailleur selon laquelle la compétence linguistique des individus ne doit pas être un facteur dans la détermination des droits linguistiques est une observation incidente. Cela signifie que les principes de la courtoisie basée sur les précédents n’ont aucune application. Pour répondre à une plainte concernant le choix de la langue de travail en application du paragraphe 36(2), il faut commencer par déterminer si l’institution a créé un milieu de travail approprié requis pour l’usage des langues officielles afin d’atteindre ses deux objectifs : ces milieux doivent être propices à l’usage efficace des deux langues, et ils doivent « permettre à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre ». La question de savoir si le milieu de travail satisfait aux exigences des deux objectifs dépendra de la souplesse offerte aux institutions pour obliger les employés bilingues à tenir compte des besoins des employés unilingues. Les institutions peuvent exiger que les employés bilingues travaillent avec des employés unilingues, en se limitant aux circonstances dans lesquelles les milieux de travail ne sont pas propices à l’usage efficace des deux langues officielles tout en permettant l’utilisation de l’une ou l’autre des langues officielles, comme il est décrit dans la version anglaise du paragraphe 36(2). Le problème préoccupant tout au long de l’analyse était de savoir si le paragraphe 36(2) accorde à l’institution un tel degré de flexibilité qui va à l’encontre de la conclusion de la décision Tailleur. La décision Tailleur exige que les institutions appliquent des pratiques de dotation collatérale bilingue partout où des employés bilingues travaillent avec d’autres employés, sauf si cela se justifie sur le plan opérationnel. La terminologie utilisée au paragraphe 36(2) contredit toute intention du législateur d’établir une règle catégorique pour l’exercice des droits linguistiques individuels des plaignants. L’esprit de la disposition permet d’étudier des solutions plus génériques en plus de rechercher diverses méthodes pour répondre de manière satisfaisante au plaignant. Dans la décision Tailleur, la Cour n’a pas tenu compte du deuxième objectif du paragraphe 36(2). Une méthodologie interprétative qui fait fi d’un deuxième objectif qui est clairement décrit comme l’un des deux objectifs nécessaires à la création d’un milieu de travail approprié pour l’usage d’une langue officielle est imparfaite. Rien que pour cette raison, il était impossible de se fier à la décision Tailleur comme un guide pour examiner adéquatement l’intention du législateur lorsqu’il a adopté le paragraphe 36(2). L’exigence décrite dans la phrase anglaise, selon laquelle les milieux de travail doivent permettre l’usage de l’une ou l’autre des langues officielles, est la version la plus claire et la moins redondante, par opposition à la version française qui semble reprendre le même sens que le premier objectif. Dans l’arrêt R. c. Beaulac, la Cour suprême n’a pas énoncé un principe d’interprétation refusant l’accommodement. Dans la présente affaire, la décision Tailleur part de l’hypothèse que lorsqu’un employé est tenu de travailler dans sa deuxième langue officielle, l’exigence doit être expliquée comme une mesure raisonnable pour se conformer au paragraphe 36(2), approche qui a été rejetée, car elle ne représente pas l’intention du législateur. L’expression « mesures raisonnables » est l’instrument utilisé par le législateur pour garantir que les milieux de travail non conformes sont rendus conformes. Le critère à trois facteurs énoncé dans la décision Tailleur n’est pas pertinent et ses exigences trop strictes. Il établit une norme trop élevée qui n’est pas conforme au concept de ce qui constitue en soi une mesure raisonnable, c’est-à-dire que la norme est excessivement stricte par rapport à une mesure raisonnable. Aucune interprétation téléologique ne devrait s’appliquer aux dispositions relatives au bilinguisme institutionnel, sauf pour atteindre les objectifs que le législateur a expressément décrits dans le Préambule et l’Objet à l’article 2 de la LLO. Une attention toute particulière a été apportée au choix des mots qui constituent le paragraphe 36(2). Ils visent à conférer une souplesse interne dans la méthode d’interprétation qui devrait être appliquée au paragraphe 36(2). Les milieux de travail appropriés doivent être raisonnables dans le contexte le plus large possible, lorsque la langue a une incidence sur les institutions fédérales et ses employés. La décision de la Cour dans l’arrêt Schreiber c. Canada a permis de conclure que le paragraphe 36(2) ne devait pas être appliqué afin de créer un milieu de travail entièrement bilingue. Un milieu entièrement bilingue ne serait créé que lorsque le mérite le nécessiterait, par exemple dans des situations impliquant la sécurité des personnes utilisant le service.
En conclusion, le paragraphe 36(2) doit être interprété de manière à permettre aux employés bilingues de tenir compte dans une certaine mesure des besoins des employés unilingues. Les employés bilingues sont tenus de travailler avec des employés unilingues dans leur langue dans une certaine mesure. L’article 91 confirme que, lorsque les exigences linguistiques des parties IV et V ne constituent pas une exigence fonctionnelle pour les postes, ils seront désignés unilingues et dotés en personnel en conséquence. Fondamentalement, le principe du mérite prévaut en matière de dotation. La dotation collatérale bilingue n’est pas acceptable conformément à l’article 91 de la LLO, mais le milieu de travail du demandeur doit néanmoins répondre aux objectifs du paragraphe 36(2). Cette disposition oblige les institutions fédérales à créer un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles et qui permette à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre, notamment en donnant la primauté à l’usage effectif des deux langues officielles, en faisant en sorte que l’équipe de gestion joue un rôle pour s’assurer que le milieu de travail est équilibré et en reconnaissant le lourd fardeau supplémentaire que doivent supporter les employés bilingues pour travailler avec eux.
Le fait que les communications entre employés soient échangées entre les régions bilingues et unilingues a soulevé également la question de savoir si les droits des employés aux termes du paragraphe 36(2) ont préséance sur les droits linguistiques des employés dans les régions unilingues. La question était de savoir comment résoudre un conflit concernant les droits relatifs aux langues officielles des employés dans des régions désignées différemment. Le régime de la loi ne vise pas à permettre aux employés bilingues de déléguer leurs fonctions bilingues, de sorte que les régions unilingues doivent posséder une capacité bilingue pour pouvoir travailler avec des employés situés dans des régions bilingues. L’insistance sur le droit du demandeur de travailler dans la langue de son choix, le français conformément au paragraphe 36(2), aurait exigé la désignation de postes de spécialiste bilingue à Toronto. L’article 91 fait obstacle à cet exercice du droit du demandeur, car la nomination de spécialistes bilingues n’est pas requise pour l’exercice des fonctions du spécialiste à Toronto. Le législateur a accordé à l’article 91 la primauté sur l’application des droits conférés par le paragraphe 36(2) dans le but précis d’empêcher des employés, tels que le demandeur, d’exercer un droit linguistique qui aurait des conséquences indues sur la dotation, à la fois dans les régions bilingues et unilingues. En conséquence, les communications émanant de régions bilingues doivent être dans la langue de choix des employés qui les reçoivent dans des régions unilingues. Cette conclusion a constitué un autre motif de rejet de la prétention du demandeur selon laquelle les postes à Toronto doivent être désignés à nouveau comme bilingues essentiels.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 16(1), 20.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.
Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 18, partie I, art. 4(2)a).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, préambule, art. 2, 21–23, 34–38, 41–45, 75–81, 91.
Loi sur les langues officielles, S.C. 1968-69, ch. 54, art. 40.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 174, 175.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISION NON SUIVIE :
Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230, [2016] 2 R.C.F. 415
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.).
DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :
R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704; Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898, [1999] A.C.F. no 1576 (QL) (1re inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie--Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 R.C.S. 139; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839; Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 C.F. 90 (1re inst.).
DÉCISION CITÉE :
Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340; R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217.
DOCTRINE CITÉE
Business Dictionary, « team », en ligne : http://www.businessdictionary.com/definition/team.html.
Canada. Conseil du Trésor. « Directive sur les langues officielles pour la gestion des personnes », 19 novembre 2019, en ligne : https://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=26168.
Canada. Conseil du Trésor. « Politique en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement » (1er décembre 2017), en ligne : https://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=12405.
Canada. Conseil du Trésor. « Politique sur la langue de travail » (1er avril 2004), en ligne : https://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=12520.
Canada. Conseil du Trésor. « Politique sur les langues officielles » (19 novembre 2012), en ligne : https://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=26160.
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RECOURS présenté en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles (LLO), suivant un rapport final de suivi d’enquête émis par le Commissariat aux langues officielles (CLO) en mars 2015. Demande rejetée.
ONT COMPARU :
Ronald F. Caza, Érik Labelle Easthaugh et Gabriel Poliquin, pour le demandeur.
Nadine Dupuis et Helen Kneale, pour le défendeur.
Isabelle Bousquet et Elie Ducharme, pour l’intervenant.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Caza Saikaley LLP/s.r.l., Ottawa, pour le demandeur.
La sous-procureure générale du Canada pour le défendeur.
Commissariat aux langues officielles, Gatineau (Québec), pour l’intervenant.
Voici le jugement et les motifs modifiés rendus par
Le juge Annis :
TABLE DES MATIÈRES
I. Introduction
II. Conclusions interprétatives abrégées
III. Les faits
A. Les fonctions du demandeur au sein du BSIF
B. Conclusions de fait
C. Historique de la plainte
1) Chronologie
D. Rapport d’enquête final
1) Les services de la formation et le perfectionnement professionnel
2) Outils de travail et systèmes informatiques
IV. Cadre législatif
V. Questions en litige
VI. La Cour a compétence pour examiner si le BSIF s’est conformé aux articles 36(1)c) et 36(2).
VII. Principes d’interprétation des dispositions de la LLO sur la langue officielle des institutions
1) Interprétation téléologique
2) La jurisprudence n’appuie une interprétation téléologique que pour aider les communautés provinciales de langue officielle en situation minoritaire.
3) Le législateur a distingué l’objectif du bilinguisme officiel dans les institutions fédérales, et celui d’appuyer les communautés provinciales de langue officielle en situation minoritaire.
4) La LLO a rééquilibré les désavantages passés de la communauté francophone en situation minoritaire dans les institutions fédérales.
5) La méthode d’application d’une interprétation téléologique 114
6) L’interprétation bilingue des articles 36(1)a) et 36(2)
VIII. Les services fournis au personnel des institutions fédérales conformément à l'article 36(1)a) de la LLO
A. Introduction
1) Politiques et directives du Conseil du Trésor en matière de langues officielles, de formation et de perfectionnement professionnel
a) Politique 2004 sur la langue de travail
b) La Politique de 2012 sur les langues officielles
c) Politique en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement de 2017
2) Les observations des parties sur l’interprétation de la disposition relative aux services
a) Les observations du demandeur
b) Les observations du commissaire
c) Les observations du défendeur
B. L’interprétation de l'article 36(1)a)
1) Introduction
2) Définir et suivre le plan de la disposition
3) Définitions de « services »
4) Voici les services fournis aux employés « à titre individuel »
5) Services fournis au personnel à titre de « services auxiliaires »/« to support employees in the performance of their duties »
a) L’expression verbale en anglais « provided to support employees in the performance of their duties » (destinés au personnel à titre de services auxiliaires) est redondante au sens de « services »
b) L’expression « dans l’exercice de fonctions » peut être déduite contextuellement du terme « auxiliaire »
6) Les services ne doivent pas nécessairement être « essentiels » pour être fournis à titre de services auxiliaires
7) Les services n’incluent pas l’assistance fournie par les « employés de l’équipe » les uns aux autres dans l’exercice de leurs fonctions
8) Services centraux
a) « centrally provided » et « à titre de services centraux »
b) Observations du défendeur et du commissaire
c) Analyse des services fournis à titre de services centraux
C. Conclusion sur l’interprétation des obligations en matière de langues officielles relatives aux services, article 36(1)a)
IX. L’interprétation et l’application de l'article 36(2)
A. Introduction
1) Article 36(2)
2) Article 91
B. Observations des parties
1) Demandeur
2) Défendeur
3) Rapport final du commissaire de 2014
C. L’article 91 et la dotation collatérale bilingue
1) Rien ne prouve que les institutions fédérales ont adopté des pratiques de dotation collatérale bilingue
2) Les observations des parties concernant l’article 91 selon lesquelles la portée de la plainte proscrit son examen
3) L’article 91 vise à assurer que les exigences linguistiques des parties IV et V ne dérogent pas au principe du mérite de la dotation des postes au sein de la fonction publique
a) Preuve extrinsèque concernant l’article 91
b) Le préambule de la LLO
c) Jurisprudence relative à l’objectif de l’article 91 326
(i) Canada (Procureur général) c. Viola
(ii) Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (Via Rail) et d’autres affaires relatives au service
d) Article 16(1) de la Charte
4) Conclusion sur l’article 91
D. Analyse de l'article 36(2)
1) Introduction
2) La décision Tailleur est une décision axée sur le service qui n’a aucune pertinence sur l'article 36(2).
3) L’interprétation terminologique et contextuelle interne de l'article 36(2)
a) Le régime de l'article 36(2)
b) Milieux de travail
c) L’objectif principal des milieux de travail appropriés pour l’usage des langues officielles : être propices à l’usage effectif des deux langues officielles
d) L’objectif secondaire des milieux de travail : permettre au personnel d’utiliser l’une ou l’autre langue officielle
(i) « accommodate/permettre »
(ii) « either/l’une ou l’autre » et « both/deux »
(iii) La critique de l’accommodement linguistique dans la décision Beaulac est spécifique à ses faits particuliers.
1. Paragraphe 24 de la décision Beaulac
2. Paragraphe 82 de la décision Tailleur
e) Le devoir imposé aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises selon la version anglaise « such measures as can be reasonably taken » reflète l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pour atteindre un seuil
(i) Une norme légale basée sur un seuil
(ii) La signification contextuelle de la prise de « such measures as can reasonably be taken » (« toutes autres mesures possibles »)
(iii) « reasonably be taken »/« mesures possibles »
(iv) « such measures »/« toutes autres mesures » 478
(v) Le facteur de difficultés opérationnelles importantes et sérieuses (significantly serious).
(vi) Des mesures raisonnables n’impliquent pas le droit d’un employé de dicter les exigences linguistiques d’un collègue.
4) Interprétation contextuelle de l'article 36(2)
a) L’interprétation contextuelle interne de l'article 36(2)
b) Dispositions d’interprétation contextuelle externes de la LLO : les articles 91 et 36(1)c)
(i) Article 91
(ii) L'article 36(1)c)
5) Jurisprudence concernant les employés unilingues sur le lieu de travail
6) Preuve extrinsèque comme une aide à l’interprétation de l'article 36(2)
E. Conclusion sur l’interprétation de l'article 36(2)
F. Application de l'article 36(2)
1) Primauté à l’usage effectif des deux langues officielles
2) Rôle du gestionnaire
3) Reconnaître la charge de travail supplémentaire du bilinguisme
4) Moyens d’alléger les efforts de travail de l’employé bilingue 584
X. Droits linguistiques dans les régions unilingues
XI. Outils de travail et Systèmes informatiques d’usage courant et généralisé
A. Outils de travail
B. Systèmes informatiques d’usage courant et généralisé
XII. Conclusion
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’un recours présenté par le demandeur en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (LLO [ou Loi]), suivant un rapport final de suivi d’enquête (Rapport de suivi), portant sur le dossier no 2010-0783, émis par le Commissariat aux langues officielles (CLO) en mars 2015.
[2] Le demandeur soulève des questions épineuses d’interprétation des dispositions relatives à deux langues de travail figurant dans la partie V [articles 34–38] de la LLO concernant les régions bilingues. Néanmoins, les deux questions risquent d’entraîner des changements importants dans la dotation en personnel des postes unilingues dans les institutions fédérales en vue d’une désignation bilingue, non seulement dans les régions désignées (régions « désignées » ou « bilingues »), mais également dans les régions non désignées (régions « non désignées » ou « unilingues ») du Canada.
[3] Le demandeur est un employé francophone bilingue du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF). M. Dionne est en congé de maladie depuis 2009. À ce moment, il dirigeait une équipe de surveillants, décrits comme des « généralistes », qui effectuent un contrôle de diverses institutions financières. Il est domicilié à Montréal, une région bilingue désignée au sens de la LLO. Il a travaillé régulièrement avec des employés unilingues, qualifiés de spécialistes, situés à Toronto, région unilingue au sens de la LLO. Les généralistes et les spécialistes travaillaient régulièrement ensemble pour s’acquitter des fonctions de supervision des institutions financières pour le BSIF.
[4] La première question concerne l’interprétation de l’article 36(1)a) de la LLO. Le demandeur affirme que les spécialistes à Toronto lui fournissent des services en application de cette disposition, qui doivent donc lui être fournis dans sa langue maternelle, ce qui lui permet de travailler entièrement dans sa langue maternelle. Par conséquent, les postes de spécialistes unilingues à Toronto doivent obligatoirement être dotés de personnel bilingue. En réglant la plainte, le BSIF a accepté de modifier les exigences linguistiques pour doter 11 postes de spécialistes avec du personnel bilingue. Le demandeur cherche un redressement qui nécessiterait que d’autres postes de spécialistes soient dotés en personnel bilingue.
[5] L’article 36(2) de la LLO est la deuxième disposition d’intérêt. Cette disposition oblige les institutions fédérales à créer un milieu de travail propice à l’usage efficace des deux langues officielles et qui permette à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre dans les régions bilingues. Si elle était appliquée, cela permettrait uniquement au demandeur d’utiliser sa langue maternelle dans ses communications avec les spécialistes à Toronto. Le demandeur soutient que conformément à cette disposition, il est autorisé à communiquer dans sa langue maternelle avec les spécialistes de Toronto, exigeant de la même manière que leurs postes soient occupés par des spécialistes bilingues. J’utilise le terme « dotation bilingue collatérale » pour décrire l’effet de l’argument du demandeur selon lequel les postes de spécialistes de Toronto devraient être dotés en personnel bilingue en raison de l’exercice des droits linguistiques par le demandeur en application de l’article 36(2) dans une région bilingue, bien que cela ne soit pas requis par les fonctions objectives du poste.
[6] En priorité aux exigences découlant des parties IV [articles 21–23] et V, c’est-à-dire de l’article 36(2), l’article 91 interdit la dotation d’un poste, sauf si les exigences relatives aux langues officielles s’imposent objectivement pour l’exercice des fonctions en cause. Selon son libellé, la désignation bilingue des postes de spécialistes à Toronto ne pourrait pas s’imposer objectivement pour l’exercice des fonctions du poste et enfreindrait la disposition. Il s’agit donc d’une disposition contextuelle importante limitant l’application de l’article 36(2).
[7] Je suis en désaccord avec l’interprétation du demandeur de l’article 36(1)a), qui est appuyée et améliorée par le commissaire. J’estime que les généralistes et les spécialistes travaillent en équipe et que les leçons reçues des spécialistes dans l’exercice de leurs fonctions ne pourraient pas être considérées comme des services au sens de l’article 36(1)a). Je conclus également que la relation de spécialistes et de généralistes travaillant ensemble ne constitue pas un service fourni à titre de service central ni des « services […] centraux », comme ces termes sont utilisés dans la disposition.
[8] De même, je suis en désaccord avec les interprétations des parties et du commissaire selon lesquelles de l’article 36(2) peut être interprété comme appliquant le principe de la dotation bilingue collatérale, surtout qu’une telle interprétation n’est pas corroborée par l’article 91 de la LLO. Je conclus que les deux dispositions expriment l’intention du législateur selon laquelle les employés bilingues sont obligés de tenir compte dans une certaine mesure des besoins des employés unilingues dans leur milieu de travail partagé.
II. Conclusions interprétatives abrégées
[9] Je pense qu’il est utile de présenter une forme de résumé décrivant en quelque sorte mes voies d’analyse et d’interprétation qui m’amènent à rejeter les deux questions principales du demandeur sur la base de mon interprétation des articles 36(1)a) et 36(2) de la LLO. Je les présente au stade de l’introduction afin d’appuyer une décision longue et détaillée qui examine deux dispositions très ambiguës. L’intention est que ces commentaires servent de feuille de route de mon analyse à venir. Les dispositions pertinentes sont contenues dans une annexe aux présents motifs. Cependant, je présente les principales dispositions, que je souligne, dans cette introduction afin de faciliter la compréhension de mon analyse et lors de la résolution des problèmes d’interprétation.
[10] L’article 36(1)a) : la réclamation de services :
Obligations minimales dans les régions désignées
36(1) Il incombe aux institutions fédérales, dans la région de la capitale nationale et dans les régions, secteurs ou lieux désignés au titre de l’alinéa 35(1)a) :
a) de fournir à leur personnel, dans les deux langues officielles, tant les services qui lui sont destinés, notamment à titre individuel ou à titre de services auxiliaires centraux, que la documentation et le matériel d’usage courant et généralisé produits par elles-mêmes ou pour leur compte. [Non souligné dans l’original.]
[11] Le commissaire a soutenu le demandeur, mais avec une interprétation beaucoup plus large de ce qui constitue un service au sens de l’article 36(1)a) et avec une interprétation différente de celle décrite à l’origine dans le Rapport d’enquête final. Toutes les parties ont conclu que les versions bilingues étaient inconciliables et que la version anglaise était préférée, car elle était la plus claire des deux, avec une référence à la version française lorsque cela convenait. Cela est peut-être compréhensible étant donné que quatre interprétations différentes au total ont été fournies, de même que deux politiques du Conseil du Trésor qui n’ont guère éclairci le sens de la disposition. J’ai choisi un chemin différent de celui de toutes les observations et j’ai conclu que les versions bilingues sont conciliables.
[12] L’interprétation de l’article 36(1)a) par la Cour n’a pas été élucidée par les directives et les Politiques de 2004 et de 2012 du Secrétariat du Conseil du Trésor sur la langue de travail. Les politiques utilisent le terme quelque peu trompeur « personnel » (« les services personnels ») pour décrire la fourniture de services aux employés « à titre individuel » (« as individuals »). Cela ajoute à la confusion entourant la distinction avec le terme « services auxiliaires » dans la version française, qui est l’expression la plus ambiguë de la disposition. Les politiques exigeaient également que les services fournis au sens de l’article 36(1)a) soient essentiels à l’exécution des tâches, ce qui, j’ai conclu, n’était pas une exigence de la disposition.
[13] Dans le même ordre d’idées, je suis préoccupé par la manière fortuite avec laquelle je suis tombé sur la Politique en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement de 2017 du Secrétariat du Conseil du Trésor (Politique en matière d’apprentissage de 2017). Le document est très pertinent pour la définition et la fourniture d’un service; d’autant plus que les services de formation et de perfectionnement professionnel étaient au centre des observations du demandeur et du commissaire, du moins au début. Je me suis finalement inspiré de la Politique en matière d’apprentissage de 2017 pour illustrer ce que devrait constituer un service fourni à titre de service central aux termes de l’article 36(1)a).
[14] J’ai finalement conclu que les deux versions pouvaient être conciliées à la lumière de l’approche plus déductive utilisée par les rédacteurs de langue française, par exemple, qui n’exprimait pas la définition du terme « services », ce qui était implicite dans la définition du mot tirée du dictionnaire. En tant qu’ancien directeur d’un centre de traduction de langue française, j’ai peut-être une idée des différentes méthodes d’interprétation utilisées par les rédacteurs législatifs canadiens. D’une manière générale, les résultats de l’interprétation déductive de la version française m’ont amené à comprendre que le terme « auxiliaire » n’avait pas pour objet de décrire le caractère sous-jacent d’un service, mais uniquement de distinguer les deux catégories de services. Cela, tout en reconnaissant que la version anglaise était un peu pléonastique, a débloqué dans une certaine mesure mon interprétation du reste de la disposition.
[15] En ce qui concerne la catégorie de services fournis aux employés à titre individuel (individuals), il s’agit de ceux fournis par le simple fait d’être employé par l’institution; en d’autres termes, accessibles à tous les employés de l’institution. Cela inclut, par exemple, les services de soins de santé, les services administratifs, et les services de perfectionnement professionnel, qui ne sont pas liés à l’appui des employés dans l’exécution de leurs tâches.
[16] En ce qui concerne la catégorie de services fournis à titre de services auxiliaires centraux (services centrally provided), j’ai rejeté l’interprétation du demandeur et du commissaire de l’article 36(1)a) selon laquelle les spécialistes fournissaient des services aux généralistes, car ils entretenaient une relation « d’équipe ». Cela décrit un groupe d’employés dotés de compétences complémentaires, fonctionnant avec un degré élevé d’interdépendance, responsables de leur rendement collectif à l’égard d’un objectif commun et des avantages partagés. Une relation d’équipe est mutuellement exclusive à celle d’une relation de service.
[17] J’ai également rejeté l’observation du commissaire en concluant qu’un service fourni « à titre de service central » était celui qui résultait d’une décision formelle de la direction de reconnaître l’activité comme service, par opposition à la nature des relations entre les employés. Cette décision est similaire à la décision prise par le Conseil du Trésor dans la Politique en matière d’apprentissage de 2017. Elle prévoyait la prestation de services de formation et de perfectionnement professionnel dans la fonction publique fédérale. J’ai également conclu que les services individuels sont fournis à titre de services centraux, mais que cette exigence découle implicitement de la définition selon laquelle de tels services s’appliquent à tous les employés de l’institution et ne pourraient donc être fournis qu’à titre de services centraux.
[18] L’article 36(2) : un milieu de travail qui permette (accommodate) à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre langue officielle.
36 […]
Autres obligations
(2) Il leur incombe également de veiller à ce que soient prises, dans les régions, secteurs ou lieux visés au paragraphe (1), toutes autres mesures possibles permettant de créer et de maintenir [1ere catégorie] en leur sein un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles et [2e catégorie] qui permette à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre. [Non souligné dans l’original.]
[19] Article 91 : la dotation doit être en fonction du mérite.
Dotation en personnel
91 Les parties IV et V n’ont pour effet d’autoriser la prise en compte des exigences relatives aux langues officielles, lors d’une dotation en personnel, que si elle s’impose objectivement pour l’exercice des fonctions en cause.
[20] Les parties et le commissaire se sont considérés comme étant liés par la décision antérieure de la Cour dans la décision Tailleur c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1230, [2016] 2 R.C.F. 415 (Tailleur). Par conséquent, le demandeur a fait valoir que l’article 36(2) devait être interprété de manière restrictive pour imposer aux institutions une obligation impérative de justifier toute occasion où les employés bilingues sont tenus d’utiliser la deuxième langue de leur choix (deuxième langue). La justification de l’utilisation de la langue seconde obligeait l’institution à satisfaire à un critère à trois facteurs créé par la Cour, notamment celui du préjudice « suffisamment grave » aux activités de l’institution qui en résulterait autrement. Le demandeur s’est fondé sur ce raisonnement pour solliciter la dotation collatérale bilingue de postes de spécialistes supplémentaires à Toronto.
[21] En tout respect, je suis en désaccord avec de nombreux aspects du raisonnement dans la décision Tailleur. Il semble que la décision ait largement entériné les observations du commissaire, qui sont similaires à celles qui m’ont été présentées. En outre, la Cour n’était pas tenue de prendre en compte l’article 91 de la LLO.
[22] Les parties ne s’entendaient pas sur la question de savoir si la Cour devait tenir compte de l’article 91. J’ai provisoirement conclu que l’observation hautement circonscrite du défendeur selon laquelle l’article 91 devrait empêcher l’obligation de créer des postes de spécialistes bilingues supplémentaires à Toronto s’appliquerait de la même manière à la dotation de tous les postes de spécialistes. En conséquence, j’ai demandé aux parties de donner des orientations qui ont retardé l’achèvement de ces motifs. Les deux parties ont fait valoir que je n’avais pas la compétence pour examiner l’application de l’article 91, puisque ce n’était pas l’objet d’une plainte qui constitue le fondement de ma compétence. Le commissaire n’a pas contesté ma compétence, mais seulement que l’article 91 n’était pas pertinent pour un certain nombre de raisons évoquées, que j’ai toutes rejetées.
[23] J’ai conclu que l’article 91 était très pertinent à l’interprétation de l’article 36(2). J’ai conclu que cette disposition incarnait le principe du mérite. Le législateur a tracé une ligne de démarcation fondée sur le mérite, indiquant que l’application des dispositions des parties IV et V ne devrait avoir aucune incidence sur la dotation en personnel des postes, à moins que cela ne soit nécessaire pour l’exercice de leurs fonctions. Cela signifie que les milieux de travail dans les régions bilingues comprendront dans une certaine mesure un mélange d’employés bilingues et unilingues, ce qui signifie également que les employés bilingues devront appliquer leurs compétences bilingues pour répondre aux besoins de leurs collègues unilingues.
[24] Outre l’article 91, j’ai également conclu que l’intention du législateur, en adoptant de l’article 36(2), était de permettre aux employés bilingues de tenir compte jusqu’à un certain point des besoins de leurs collègues unilingues dans le milieu de travail. C’est à cet égard que je suis respectueusement en désaccord avec plusieurs des opinions exprimées dans la décision Tailleur, notamment les suivantes :
• Comme je l’ai déjà mentionné, l’adoption d’une interprétation téléologique de l’article 36(2) visant à assurer le maintien et l’épanouissement de la communauté minoritaire canadienne francophone a été appliquée tout au long de la décision. Cela aurait pour effet d’« usurper » et de contredire le texte clair du législateur voulant que l’objectif du bilinguisme institutionnel, tel qu’il est spécifiquement décrit dans le préambule et dans d’autres dispositions de la LLO, soit de maintenir l’égalité de statut des deux langues officielles et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage. Je ne souscris pas à l’argument du demandeur selon lequel cela désavantagerait les francophones marqués par une incidence du bilinguisme plus élevée, car les Canadiens bilingues sont déjà avantagés dans les régions bilingues par l’application du principe du mérite en ce qui concerne les exigences de service et de carrière, entre autres, pour l’emploi dans les institutions fédérales.
• L’interprétation de l’esprit de l’article 36(2) qui ne mettait pas l’accent sur l’obligation pour les institutions de fournir un « milieu de travail » approprié d’un point de vue linguistique comme exigence globale. Cela obligeait les institutions à se conformer aux deux objectifs décrits dans la disposition. Reconnaître que l’esprit de cette disposition vise à créer des milieux de travail appropriés pour l’usage des langues officielles, attire l’attention de la Cour afin de mettre l’accent sur un usage plus collectif des langues officielles dans le milieu de travail d’une institution, plutôt que la seule considération de la plainte individuelle. L’interprétation de l’esprit de l’article 36(2) qui examine la totalité de l’environnement linguistique de travail suit en conséquence une trajectoire de la preuve différente de celle d’une relation de travail unique. Étant donné que les parties et le commissaire n’avaient pas pris en compte les obligations du défendeur en termes plus généraux de création d’un environnement linguistique approprié, la Cour ne disposait pas des éléments de preuve appropriés pour décider si le BSIF avait contrevenu à l’article 36(2) en ne créant pas un milieu de travail conforme.
• Toujours en ce qui concerne l’esprit de l’article 36(2), l’omission de reconnaître que la conformité par l’institution avait pour but de permettre à l’institution d’atteindre un seuil afin de créer un environnement de travail approprié en matière de langues officielles. Il faut d’abord déterminer que l’institution n’a pas créé un environnement de travail approprié en matière de langues officielles. Si ce n’est pas le cas, elle est alors tenue de prendre des mesures pour remédier à la situation.
• L’omission de prendre en compte ou d’interpréter le deuxième objectif dans la version anglaise, à savoir que le « work environments … accommodate the use of either official language » (milieu de travail […] permette au personnel d’utiliser l’une ou l’autre) (l’objectif de permettre). Cela impliquait de prendre en compte la préférence de la version anglaise sur l’équivalent français correspondant « qui permet à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre ». Cela a également conduit à l’omission de tenir compte du terme comme exigeant un compromis sur l’utilisation de libellé contradictoire. Ceci est corroboré par les termes contextuels connexes à l’article 36(2), qui suggèrent également une flexibilité dans l’application des exigences linguistiques.
• L’omission connexe d’interpréter ou de prendre en compte les autres termes significatifs à l’article 36(2) qui soutiennent sur le plan contextuel l’objectif de permettre l’usage, à savoir « milieu de travail/work environments », « propice/conducive » et « l’une ou l’autre/either/both » suggérant une flexibilité dans l’application des exigences linguistiques.
• La méthode d’interprétation et l’interprétation de l’expression « such measures as can reasonably be taken » et son équivalent correspondant « toutes autres mesures possibles ». Cette approche ne reconnaît pas que « such » et « reasonably » décrivent une approche discrétionnaire de la prise en compte d’un milieu de travail conforme, soutenant ainsi davantage le contexte d’une résolution axée sur les solutions des problèmes de langue de travail requise lorsqu’une adaptation linguistique est nécessaire.
• Les différences d’opinions concernant 1) l’effet contextuel de l’article 36(1)c) « appropriate or necessary » (obligation des gestionnaires d’utiliser un choix de langue « là où il est indiqué de le faire » pour communiquer avec leurs subordonnés) pour que le milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles; 2) le soutien précédent de la jurisprudence citée; 3) la preuve extrinsèque tirée des débats parlementaires au moment de l’adoption des dispositions relatives à la langue de travail, que j’ai conclu, corrobore la conclusion selon laquelle le législateur souhaitait des milieux de travail dans lesquels les employés bilingues tiendraient compte, dans une certaine mesure, des besoins des employés unilingues pour leur permettre de travailler ensemble.
[25] J’ai également conclu que la détermination de milieux de travail appropriés en matière de langues officielles nécessiterait l’élaboration d’instruments d’évaluation comprenant des facteurs pouvant être appliqués dans divers milieux de travail afin de déterminer la conformité des milieux de travail à l’article 36(2).
[26] À cet égard, je conclus que le premier objectif du milieu de travail, à savoir, être propice à l’usage effectif des deux langues officielles, devrait bénéficier d’une certaine priorité par rapport à l’objectif de permettre (accommodate) l’usage, lorsque le choix se présente. Cela reflète le besoin essentiel d’un effectif bilingue et l’objectif à long terme de créer des milieux de travail en large mesure bilingues dans les régions bilingues afin que les institutions fédérales puissent fonctionner correctement tant dans les régions bilingues et que dans les régions unilingues. Je recommande également aux institutions d’envisager des mesures technologiques et d’autres mesures pour alléger le fardeau supplémentaire imposé par le travail dans les deux langues, ce qui n’est nullement reflété dans la prime au bilinguisme.
[27] Bien que pertinente pour les employés travaillant dans des régions désignées différemment, la question des communications entre régions bilingues et unilingues n’a pas été traitée de manière significative dans la présente instance. Je conclus que, dans la plupart des cas, les employés des régions bilingues doivent utiliser la langue des employés unilingues dans les régions unilingues. Dans la plupart des cas, il est entendu que les communications ne concernent pas uniquement les individus, mais sont destinées à être partagées dans un milieu de travail avec d’autres employés. Cela rend l’exigence de traduction dans une région unilingue inutile sur le plan opérationnel par rapport à l’utilisation des compétences bilingues de l’employé dans une région bilingue.
[28] On présume également que les régions bilingues et unilingues reflètent les compétences linguistiques des employés de ces régions, de sorte que le législateur souhaitait que les employés bilingues communiquent dans la langue des employés unilingues dans une région unilingue, sans laquelle aucune communication ne pourrait avoir lieu.
[29] En outre, comme le relève le demandeur dans son recours en faveur de la dotation bilingue des postes de collègues spécialistes, il s’agirait d’un exercice de dotation collatérale bilingue non autorisé, non fondé sur le mérite aux termes de l’article 91, qui s’applique à tous les postes dans les institutions fédérales.
III. Les faits
A. Les fonctions du demandeur au sein du BSIF
[30] Le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada (BSIF) a été créé en 1987 en application de la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 18, partie I. Le BSIF est une institution fédérale au sens de la LLO. Elle a l’objectif, selon l’alinéa 4(2)a), de superviser les institutions financières pour s’assurer qu’elles sont en bonne santé financière et qu’elles se conforment aux lois qui les régissent et à ses exigences découlant de l’application de ces lois.
[31] Le BSIF compte environ 700 employés répartis dans quatre bureaux situés à Ottawa, Toronto, Montréal et Vancouver. Les bureaux d’Ottawa et de Montréal sont situés dans des régions désignées bilingues alors que ceux de Toronto et Vancouver sont situés dans des régions unilingues anglaises.
[32] Les activités du BSIF relèvent de deux fonctions générales, soit la surveillance et la réglementation. Au moment de la plainte, le BSIF était structuré en quatre unités, soit le Secteur de la surveillance, le Secteur de la réglementation, le Secteur des services intégrés et le Bureau de l’actuaire en chef. Les employés situés au bureau de Montréal faisaient partie du Secteur de la surveillance.
Le Secteur de la surveillance comprend les divisions suivantes : le Groupe des institutions de dépôts, le Groupe de l’assurance-vie, le Groupe des assurances multirisques, le Groupe de soutien de la surveillance et la Division des pratiques de surveillance.
Bien que l’administration centrale du BSIF se trouve à Ottawa, la majeure partie des employés du Secteur de la surveillance, y compris tous les directeurs principaux, sont situés au bureau de Toronto du BSIF. Les surveillants principaux du bureau régional de Montréal relèvent des gestionnaires et des directeurs du Groupe des institutions de dépôts, du Groupe de l’assurance-vie ou du Groupe des assurances multirisques. [Non souligné dans l’original.]
[33] Les membres du Groupe de soutien de la surveillance à Toronto sont des spécialistes analysant divers types de risque, notamment les risques de crédit ou de capital. Ils aident le personnel de surveillance du Groupe des institutions de dépôts, du Groupe de l’assurance-vie et du Groupe des assurances multirisques de Montréal à évaluer des risques inhérents particuliers, afin que ceux-ci puissent déterminer les risques globaux et formuler des recommandations à l’intention des institutions financières. Ils sont également intégrés à d’autres échelons d’employés et de gestionnaires qui peuvent être appelés à participer à un dossier.
[34] La majeure partie du personnel du bureau de Montréal est francophone et tous les employés, sauf la directrice et son adjointe administrative, sont des généralistes surveillant la situation des institutions financières. La grande majorité des spécialistes de Toronto qui offrent un soutien aux employés de Montréal occupent des postes « anglais essentiel » ou bien sont unilingues anglophones.
[35] Très souvent dans l’exercice des travaux de surveillance, les processus de surveillance internes exigent que les généralistes aient recours à l’expertise des spécialistes en divers domaines du bureau de Toronto du BSIF pour déterminer la conformité d’une situation existant dans une institution financière règlementée, puisqu’ils ne possédaient pas ces connaissances spécialisées. Les généralistes devraient s’appuyer fortement sur l’apport de spécialistes dans l’accomplissement de leurs fonctions.
[36] Le demandeur indique que l’utilisation des spécialistes se fait en fonction des dossiers. Cela peut être moins fréquent qu’on utilise des spécialistes dans certains dossiers et davantage dans d’autres. Le demandeur avait un dossier, en particulier, qui lui était assigné dont il y avait des questions très techniques qui étaient en jeu depuis cinq, six ans. L’accès aux spécialistes, pour ce dossier-là, spécifiquement, pouvait se faire sur une base quotidienne, plusieurs fois par semaine et par mois. Cette situation a duré cinq ans. Le demandeur disait que le dossier « était un peu particulier ». Il témoignait qu’il pouvait arriver que l’apport des spécialistes de Toronto ne soit pas requis pour compléter une surveillance en particulier.
[37] La preuve supplémentaire du demandeur concernant son travail continu avec les spécialistes est telle que ci-dessous reproduite de son affidavit supplémentaire :
12. En vertu des politiques internes du BSIF, le spécialiste devait préparer son propre rapport sur les questions relevant de son expertise. Ce rapport devait poser des constats et formuler des recommandations quant au suivi qui s’imposait de la part du BSIF. En tant que gestionnaire de la surveillance, j’étais lié par le rapport du spécialiste, que je devais en fait intégrer à mon rapport final destiné à l’institution financière.
13. Les gestionnaires de la surveillance travaillent étroitement avec les spécialistes pendant que ces derniers effectuent l’évaluation du dossier et puissent partager les informations requises et ainsi permettre au spécialiste de bien comprendre le contexte global de l’entreprise et du rapport faisant l’objet de l’évaluation. Ces communications se font à l’oral et par écrit.
14. En plus de devoir intégrer le rapport final et les recommandations du spécialiste dans mon propre rapport final, je devais également tenir compte des divers constats posés par ce dernier en formulant mes propres recommandations. Il arrivait parfois que mon évaluation des aspects du dossier relevant directement de mes compétences soit influencée ou même dictée par le rapport du spécialiste.
15. Ainsi, bien que le rapport final émis à l’institution financière portait ma signature, une partie très importante de son contenu m’avait été imposée par un autre employé, conformément aux processus de surveillance internes.
[…]
28. Tout au long de mes 22 ans au BSIF, la totalité de mes communications avec le personnel du bureau de Toronto se sont déroulées exclusivement en anglais, y compris toutes les communications décrites ci-dessus.
29. Ainsi, à chaque fois qu’une activité de surveillance exigeait la participation d’un spécialiste, c’est-à-dire la très grande majorité des cas, une partie importante de mon travail devait se faire en anglais. Toute communication avec le spécialiste avait lieu dans cette langue, y compris son rapport final.
30. Si l’institution financière faisant l’objet de la surveillance avait demandé d’être servie en français, ce qui représente une grande partie des clients desservis par le bureau de Montréal, le rapport du spécialiste devait être traduit avant qu’il puisse être incorporé à mon rapport final. Puisque je ne pouvais pas, en raison des contraintes de l’échéancier, me permettre d’attendre la traduction, laquelle pouvait exiger plusieurs semaines, sinon des mois à compléter, la plupart du temps je devais travailler avec le rapport du spécialiste en anglais en préparant les parties du rapport final d’inspection relevant de ma compétence. En plus de devoir employer cet outil de travail essentiel en anglais, je me retrouvais par surcroit devant l’obligation de m’improviser traducteur, une tâche additionnelle considérable, avant de pouvoir émettre ma communication à l’institution financière. De plus, et de ce fait, il existait un risque d’inexactitude des propos traduits, la traduction n’étant pas mon métier. [Non souligné dans l’original.]
[38] Le demandeur a témoigné qu’environ la moitié de ses institutions ont choisi le français comme langue de correspondance (questions 24 et 25). Sa preuve pertinente continue comme suit :
32. Autre exemple, la « Securities Administration Unit » gère l’admissibilité des actifs en fiducie que doivent déposer les institutions financières. Personne ne parle français dans cette unité, bien qu’elle doive transiger souvent avec les surveillants francophones. De plus, cette unité doit desservir le public, c’est-à-dire nos institutions réglementées, ce qui lui est impossible à effectuer en français. J’ai souvent du faire l’intermédiaire entre cette unité et des institutions francophones.
37. En 2006, la haute direction du BSIF à décider d’organiser une rencontre formelle à Montréal pour discuter sérieusement des problèmes de langue. La rencontre était obligatoire pour tous les membres de la haute direction ainsi que tous les directeurs principaux de Toronto. Le directeur des ressources humaines avait alors donné une présentation, entièrement en anglais, sur l’importance du respect des deux langues officielles au sein du BSIF, et avait distribué les acétates de sa présentation, rédigées uniquement en anglais, à l’ensemble du personnel de Montréal. [Non souligné dans l’original.]
[39] Le défendeur a fourni une preuve plus détaillée qui ne contredit pas, mais complète celle du demandeur. L’explication la plus complète de la manière dont les spécialistes et les généralistes travaillant ensemble dans un environnement de travail plus vaste, comme indiqué au paragraphe 22 de l’affidavit supplémentaire de Natalie Harrington daté du 19 juin 2016, est la suivante :
22. Ainsi, les généralistes chargés de la surveillance ne sont pas appelés à devenir des experts dans toutes les sphères couvertes par les groupes de spécialistes. Ce qui leur est demandé est d’intégrer l’évaluation de risques effectuée par les groupes de spécialistes à leur évaluation de risque consolidée après avoir discuté avec ces spécialistes et au sein de l’équipe de la surveillance, des risques qu’ils ont identifiés et des meilleurs moyens d’intervenir à leur égard. On m’indique que les généralistes chargés de la surveillance ne sont pas liés par le rapport des spécialistes. Les spécialistes fournissent leurs vues et il appartient aux généralistes chargés de la surveillance de décider de la meilleure façon de les intégrer à l’évaluation globale des risques de l’institution. Cette décision se prend au sein de l’équipe de la surveillance après discussion. Suite à ces discussions, les recommandations des spécialistes sont intégrées telles quelles modifiées ou même abandonnées.
[40] De plus, le demandeur n’a pas tenté de décrire ni de préciser pourquoi il considérait que ses communications avec les spécialistes relevaient de la nature des services, alors qu’il comprenait généralement le sens de l’expression, ce terme ayant une large application et utilisation. J’ai conclu que M. Dionne était un témoin juste et honnête, qui n’était nullement évasif ou qui ne répondait pas aux questions posées. Dans sa plainte initiale, il n’a jamais prétendu qu’il recevait des services dans le cadre de son travail avec les spécialistes ou dans ses déclarations sous serment. Il semble que ce ne soit pas nécessairement son opinion que les spécialistes lui fournissaient des services.
[41] L’affiant du défendeur a témoigné que c’est en fait le commissaire qui a interprété que le perfectionnement professionnel comprend toutes les réunions et discussions entre employés (paragraphe 51 de son affidavit), et a rejeté cette conclusion aux paragraphes 53 et 54 :
51 Plus précisément, à cet égard, le CLO concluait que lorsque les employés du bureau de Montréal consultent des spécialistes en surveillance situés au bureau de Toronto pour obtenir leurs conseils ou avis ou que les employés du bureau de Montréal rencontrent ceux de Toronto, il s’agit de perfectionnement professionnel devant être offert dans la langue officielle du choix de l’employé qui reçoit le perfectionnement professionnel.
53 Contrairement à ce que conclut le CLO, le BSIF est d’avis que lorsque les généralistes du bureau de Montréal consultent les spécialistes du Groupe de soutien de la surveillance du bureau de Toronto, ils ne reçoivent pas du perfectionnement professionnel. Ils recueillent plutôt l’opinion de ces derniers quant à certains sujets d’expertise pour l’intégrer à leur évaluation de risques globale….
54 … Lorsqu’ils répondent aux généralistes, les spécialistes de la surveillance ne donnent pas de la formation professionnelle. Ils effectuent simplement une tâche qui est incluse dans leur charge de travail régulière. En somme, les échanges entre généralistes et spécialistes se font dans le cadre de la prestation de travail régulière de chaque groupe.
En décrivant le degré de connaissance requis de la part du demandeur pour travailler avec les spécialistes, le déposant a indiqué qu’ « [i]l faut qu’il comprenne les conseils et le travail qui est fait par le spécialiste. »
B. Conclusions de fait
[42] Dans l’ensemble, je conclus que les généralistes et les spécialistes travaillent en tant que membres interdépendants d’une équipe pouvant parfois impliquer un personnel plus expérimenté dans la hiérarchie. Bien que le spécialiste possède une connaissance supérieure des facteurs impliquant des domaines de risque particuliers, ils dépendent également des généralistes pour obtenir des informations pertinentes et les mettre à jour.
[43] Les spécialistes, lorsqu’ils sont impliqués, fournissent une direction générale, mais pas finale, à l’établissement des rapports et des communications fournies par les institutions clientes. De leur part, les généralistes exercent leur pouvoir décisionnel indépendamment et les deux parties conviennent qu’il peut exister des situations de désaccord de la part du généraliste qui doit signer le rapport, ce qui semble être une attribution de certaines responsabilités déléguées. Cela impliquera la participation de gestionnaires de haut rang afin de finaliser le rapport ou la question litigieuse.
[44] Les généralistes doivent avoir une connaissance suffisante du sujet traité par les spécialistes pour comprendre ce qu’ils recommandent et pourquoi. Mais j’en conclus que cela ne s’étendrait pas à la connaissance du degré de complexité des spécialistes. Il semblerait qu’ils travailleraient à un autre niveau d’analyse.
[45] Il n’y a aucun doute que le spécialiste transmet un certain niveau de connaissances aux généralistes lors de la formulation de leurs rapports et de recommandations, afin que les généralistes qui doivent collaborer avec les institutions clientes et expliquer les rapports et autres communications si appelé à le faire. Cependant, le demandeur manque manifestement d’éléments de preuve décrivant exactement en quoi consiste ce transfert de connaissances. La Cour n’a pas été informée d’exemples ou d’analogies lui permettant de mieux comprendre la prétendue formation professionnelle ou le perfectionnement du requérant résultant de ces échanges, le cas échéant. Dans une certaine mesure, cela mine l’affaire du demandeur, qui lui incombe.
[46] Cependant, étant donné le sens très large que le CLO attribue à la définition de service dans son mémoire initial, il ne semble pas qu’un service exige un aspect « de perfectionnement professionnel » tel que présenté dans le rapport d’enquête final. Au lieu de cela, la définition d’un service est simplement « qui permet d’appuyer ou d’assister les employés, et qui est donc utile dans l’exercice de leurs fonctions ». Ainsi, si le travail d’un groupe d’employés est utile sur une base régulière, mais pas indispensable pour effectuer le travail d’un autre employé, il s’agit d’un « auxiliaire de service » au sens de l’article 36(1)a)(i). Soulignez à ce stade que l’obligation de ne pas rendre le service essentiel constitue un changement supplémentaire dans la position du commissaire par rapport à celle énoncée dans son Rapport d’enquête final.
[47] Deux autres facteurs semblent jouer dans la plainte du demandeur. Premièrement, le généraliste bilingue possède des tâches supplémentaires par rapport aux spécialistes et aux autres généralistes unilingues anglophones. Il est obligé de travailler régulièrement dans les deux langues pour accommoder ses collègues unilingues, ce qui inclut les lourdes tâches de traduction de documents et d’interprétation de conversations afin de faire fonctionner le système de communication client-institution de l’organisation.
[48] Deuxièmement, il semblerait que certains problèmes de service pertinents pourraient justifier la nécessité de disposer de spécialistes bilingues. Bien entendu, les services au public ont priorité en application de la partie IV de la Loi, sur le droit des employés de travailler dans la langue de leur choix en application de la partie V de la LLO. Si un établissement francophone de Montréal devait aller au cœur d’un problème ou d’un problème avec l’un des rapports ou l’évaluation des risques, il est fort possible que ces discussions nécessitent l’implication du spécialiste, compte tenu de sa connaissance approfondie de l’analyse des évaluations sous-jacentes. La dotation des postes en fonction des services est basée sur le mérite, tout en étant catégorique dans la nature de l’obligation qui incombe au public de recevoir des services dans la langue de son choix.
C. Historique de la plainte
1) Chronologie
[49] Dans une plainte déposée auprès du CLO en novembre 2010, le demandeur alléguait que son droit de travailler en français avait constamment été brimé durant ses 22 ans d’emploi au BSIF, mais de façon plus flagrante dans les dernières années. Au soutien de sa plainte, il avait joint six documents.
[50] En juin 2013, le CLO a émis un rapport préliminaire d’enquête (Rapport préliminaire). Par la suite, le 23 juillet 2013, 1e BSIF a acheminé ses commentaires au CLO concernant le Rapport préliminaire.
[51] Le 7 janvier 2014, le CLO a publié son Rapport d’enquête final. Au terme de ce rapport, le CLO a conclu que la plainte était fondée et a formulé sept recommandations au BSIF. Le Rapport final indiquait que le CLO ferait le suivi de ces recommandations en avril 2014.
[52] Le 3 mars 2014, le CLO a fait parvenir au BSIF une lettre l’informant qu’il ferait bientôt le suivi des recommandations contenues dans le Rapport final.
[53] Après divers échanges entre le CLO et le BSIF, le CLO a publié son Rapport de suivi le 11 mars 2015, dans lequel il concluait que le BSIF avait mis en œuvre les recommandations contenues dans son Rapport final de manière satisfaisante.
D. Rapport d’enquête final
1) Les services de la formation et le perfectionnement professionnel
[54] L’enquête du CLO visait à « déterminer dans quelle mesure le BSIF a respecté ses obligations ». Les sujets traités incluaient la formation, le perfectionnement professionnel, les outils de travail et les systèmes informatiques, dont les premiers deux sujets sont les plus pertinents.
[55] Au cours de l’audience, le CLO et les parties ont indiqué que la Cour ne devrait pas s’appuyer sur les définitions et distinctions figurant dans le Rapport d’enquête final concernant les termes « formation » (« training ») et « perfectionnement professionnel » (« professional development »). De même, il a été suggéré que la Cour ne tienne pas compte de la catégorisation de ces services dans les deux catégories de services décrites dans le rapport comme étant « les services personnels et centraux ». Je conviens que les définitions de ces termes et la manière dont le commissaire les appliquerait aux deux catégories de services aux termes de l’article 36(1)a) ne sont pas correctes à maints égards dans le Rapport d’enquête final.
[56] Les prétendus services fournis par le spécialiste aux généralistes appartiendraient à la catégorie du perfectionnement professionnel. Ils auraient dû être décrits comme des services de formation. La distinction entre les deux types de services d’apprentissage repose essentiellement sur le fait que les services de perfectionnement professionnel sont conçus pour aider les employés à faire progresser leur carrière, alors que la formation vise l’exécution avec succès des tâches du poste. Je crois que le commissaire a peut-être été induit en erreur par l’utilisation de l’expression « services personnels » dans les politiques du Secrétariat du Conseil du Trésor.
[57] Indépendamment de cette distinction, le passage pertinent du Rapport d’enquête final qui figure au paragraphe 4.3 du rapport décrit la nature de la relation de travail du généraliste et de sa dépendance à l’égard des spécialistes comme suit (non souligné dans l’original) :
Les employés qui travaillent dans les régions désignées bilingues aux fins de la langue de travail, par exemple les employés francophones du bureau régional de Montréal, ont le droit de recevoir le perfectionnement professionnel dans la langue officielle de leur choix […] Pour exécuter leurs tâches, ils dépendent de leurs collègues de la Division des pratiques de surveillance et du Groupe de soutien de la surveillance de Toronto.
[…] Dans le cadre de leurs fonctions de supervision, les employés de Montréal consultent des spécialistes de Toronto pour des conseils sur leur analyse et supervision des institutions financières. Des spécialistes de la Division des pratiques de surveillance à Toronto élaborent des cadres et des modelés, ils rédigent des guides et des lignes directrices, et ils forment et conseillent les surveillants principaux qui travaillent à Montréal. Les membres du Groupe de soutien de la surveillance à Toronto sont des spécialistes qui analysent divers types de risque, notamment les risques de crédit ou de capital. Ils aident le personnel de surveillance du Groupe des institutions de dépôts, du Groupe de l’assurance-vie et du Groupe des assurances multirisques de Montréal à évaluer des risques inhérents particuliers, afin que ceux-ci puissent déterminer les risques globaux et formuler des recommandations à l’intention des institutions financières. Les spécialistes qui conçoivent des produits, écrivent du matériel et analysent les risques forment leurs collègues [les généralistes] qui supervisent des institutions financières. Ces mêmes les assistent et les supportent dans leur travail une fois qu’ils ont été formés.
[58] À la suite de ces déterminations factuelles, le commissaire a indiqué que le BSIF devrait modifier son environnement linguistique pour les employés de Montréal afin de les encourager à utiliser leur langue maternelle, ce qui, bien que non exprimé de manière transparente, est un aspect de toutes les observations et des décisions à prendre à ce sujet et nécessiterait la nouvelle désignation bilingue des postes de spécialistes et leur dotation en personnel bilingue à Toronto, en indiquant ce qui suit :
À la lumière de ce qui précède, le BSIF doit faire en sorte que l’environnement de travail encourage les employés de Montréal à utiliser la langue officielle de leur choix. Pour ce faire, les exigences linguistiques des postes dont le titulaire a pour tâche d’offrir un perfectionnement professionnel, de la formation ou d’autres services personnels et centraux doivent être établies de façon à refléter véritablement les tâches à exécuter. Le BSIF doit prendre des mesures correctives à cet égard. [Non souligné dans l’original.]
[59] Le commissaire a formulé un certain nombre de recommandations, invitant le BSIF à procéder à une nouvelle désignation bilingue et à doter des postes de spécialistes à Toronto afin de leur permettre de fournir des services d’apprentissage bilingues aux généralistes, les plus pertinentes étant les deux premières recommandations qui sont rédigées comme suit :
1. Entreprendre des démarches pour compléter une détermination objective, d’ici le 31 mars 2014, des exigences linguistiques de tous les postes dont le titulaire offre une formation et un perfectionnement professionnel aux employés du bureau de Montréal, afin que ces services soient offerts dans la langue officielle de préférence des employés de ce bureau;
2. Suspendre toutes les mesures de dotation pour tous les postes dont le titulaire offre une formation et un perfectionnement professionnel aux employés du bureau de Montréal, jusqu’à ce que la recommandation 1 ait été entièrement mise en œuvre.
[60] Le BSIF n’était pas d’accord avec le commissaire pour dire que les spécialistes fournissaient des services aux généralistes. Le BSIF affirme que le commissaire était d’accord avec le BSIF, affirmation qui n’a pas été contredite par le commissaire. Le BSIF a néanmoins procédé à une nouvelle désignation de 11 postes de spécialistes bilingues. Dans son Rapport de suivi de mars 2015, le CLO a conclu que les recommandations 1, 2 et recommandations associées ont été mises en œuvre.
2) Outils de travail et systèmes informatiques
[61] Le CLO a qualifié les outils de travail destinés aux employés pour un usage courant et généralisé comme incluant, mais n’étant pas limités aux manuels d’instruction, aux procédures et directives, aux documents de politiques, à la terminologie et aux documents spécialisés nécessaires aux employés pour effectuer leurs tâches. Le CLO a indiqué que les spécialistes produisaient et échangeaient avec le personnel de Montréal des documents internes disponibles seulement en anglais, notamment des notes de section, des notes d’examen de supervision et des rapports trimestriels de surveillance, dont le personnel de Montréal avait besoin et utilisait régulièrement pour accomplir leurs tâches.
[62] Le commissaire a formulé les recommandations suivantes à l’égard de ces sujets :
Veiller à ce que tous les systèmes informatiques utilisés régulièrement par les employés des régions bilingues soient offerts dans les deux langues officielles;
S’assurer que tous les outils de travail utilisés régulièrement par les employés dans les régions bilingues soient offerts dans les deux langues officielles.
[63] Le BSIF a indiqué dans sa réponse initiale que tous les logiciels, par exemple les logiciels de la suite Microsoft Office et la plateforme Intranet, étaient offerts dans les deux langues officielles. Toutefois, le BSIF a reconnu que certaines applications internes professionnelles n’étaient offertes qu’en anglais, notamment l’application BI Tool dont le personnel de surveillance de Montréal se sert pour les analyses financières.
[64] En décembre 2010, le BSIF a informé le CLO que le Secteur de la technologie de l’informatique (TI) prévoyait remédier à la situation, mais que le projet en question avait été retardé. Le BSIF a précisé que cette application allait être remplacée sous peu et que la nouvelle application serait offerte dans les deux langues officielles.
[65] Finalement, la conclusion du CLO était la suivante :
Malgré la question des systèmes informatiques qui demeure en suspens et la fin imminente du mandat du groupe de travail, on peut dire que, dans l’ensemble, le BSIF a appliqué les mesures recommandées de façon satisfaisante, conformément à ses obligations en matière de langues officielles. Nous procéderons à la fermeture de ce dossier.
IV. Cadre législatif
[66] Les dispositions pertinentes sont reproduites dans l’annexe A.
V. Questions en litige
[67] Les questions suivantes se posent dans cette affaire :
1. Quelle est la juridiction de la Cour d’entendre cette requête?
2. Quels sont les principes de l’interprétation des dispositions de la partie V de la LLO?
3. Quelle est la nature et l’étendue des obligations des institutions fédérales conformément à l’article 36(1)a) de la LLO?
4. Quelle est la nature et l’étendue des obligations des institutions fédérales conformément aux articles 35(1) et 36(2) de la LLO?
5. Quelle est la nature et l’étendue des obligations des institutions fédérales conformément aux articles 36(1)a) et 36(2) de la LLO dans les régions non désignées?
6. Quelle est la nature et l’étendue des obligations des institutions fédérales conformément à l’article 35(1)b)?
7. Quelle est l’interprétation et la portée du droit de recours prévu à la partie X [articles 75–81] de la LLO?
8. La réparation demandée est-elle de nature convenable et juste?
VI. La Cour a compétence pour examiner si le BSIF s’est conformé aux articles 36(1)c) et 36(2)
[68] Le défendeur soutient que le demandeur n’a jamais formulé de plainte spécifique concernant soit l’article 36(1)a) exigeant la fourniture de services par des spécialistes dans la langue maternelle des généralistes, soit l’article 36(2) concernant le droit des généralistes de communiquer dans leur langue maternelle avec les spécialistes.
[69] Ses observations au paragraphe 32 dans son mémoire initial s’appliquent aux deux circonstances, comme suit :
32. Puisque le rôle de la Cour est limité à vérifier le bien-fondé de la plainte au CLO et que cette dernière ne soulevait pas cette question précise, cette Cour ne devrait pas se pencher sur les interactions entre généralistes et spécialistes de manquement à la LLO.
[70] En conséquence, il fait valoir que la Cour n’a pas compétence pour examiner l’une ou l’autre de ces questions, puisqu’aucune d’elles ne constitue une violation d’un droit ou d’une obligation mentionnés dans la plainte pour lesquels un recours pourrait être exercé en application du paragraphe 77(1) de la Loi.
[71] Cette observation soulève deux questions à examiner. Premièrement, quel est le contenu des plaintes du demandeur? Deuxièmement, dans quelle mesure le commissaire peut-il s’appesantir sur les plaintes, en particulier?
[72] Une troisième question aurait pu être soulevée qui est celle de savoir si le demandeur pourrait invoquer un motif supplémentaire dans l’affaire judiciaire qui découle des faits de la plainte, mais que le commissaire n’a pas examiné, c.-à-d. que le non-respect de l’article 36(2) par le BSIF n’a pas été soulevé, et aucun mémoire n’a été présenté à la Cour; je n’en discuterai donc pas.
[73] Je pense que l’on peut répondre aux deux premières questions en faisant une analogie avec les règles de plaidoirie dans une action en justice. Premièrement, en ce qui concerne les exigences d’une déclaration, la règle sous-jacente est que le demandeur n’a qu’à plaider les faits sur lesquels il s’appuie. Il n’est pas nécessaire de plaider la loi qui donnerait lieu au recours. Voir par exemple, les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 aux règles 174 : « Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde » et 175 : « Une partie peut, dans un acte de procédure, soulever des points de droit ».
[74] Comme il est communément admis que les dispositions de la LLO doivent être interprétées de manière large et généreuse afin de donner suite à l’intention du législateur de prévoir un recours large et complet pour remédier aux situations de non-respect de la Loi, l’interprétation des faits peut être faite dans une certaine mesure de la même manière : Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340, au paragraphe 112 et la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (Charte).
[75] Deuxièmement, dans les actes de procédure, il existe une distinction entre fournir des précisions sur une demande à des fins de clarification, par opposition à la modification de la demande en ajoutant une nouvelle revendication basée sur des faits différents. Cette règle s’appliquerait de la même manière aux limites à la capacité de la Commission à interpréter la plainte en ce qui a trait à la portée de son enquête et aux conclusions de fait relatives à la plainte et à l’application de mesures correctives appropriées.
[76] À l’aide de cette analogie, le commissaire peut adapter à ses besoins particuliers la plainte en recherchant d’autres faits connexes dans le cadre d’une enquête pouvant fournir des détails pertinents sur la nature de la plainte. Cela va évidemment entrer en jeu pour déterminer par la suite si et dans quelle mesure l’institution n’a pas respecté la LLO et pour rechercher le recours approprié pour remédier à la situation. Par conséquent, la seule véritable question est celle de savoir si les faits énoncés dans la plainte sont suffisants pour permettre une enquête qui les rend particuliers et applique les mesures correctives appropriées.
[77] Étant donné que le défendeur soutient que le demandeur « ne soulevait pas cette question précise », j’estime que cela n’empêcherait pas le tribunal d’avoir compétence tant que les faits décrits dans la plainte, interprétés de manière libérale et généreuse, tout en étant sujets à d’autres précisions au moyen d’une enquête sur ces faits, n’ont aucun rapport avec les violations de la LLO alléguées par le demandeur.
[78] La Cour convient avec le défendeur que la plainte ne contient pas de référence spécifique aux relations entre spécialistes et généralistes en ce qui a trait aux services qu’ils fournissent, ou à ce sujet, à quelque titre que ce soit, y compris toute référence même aux spécialistes étant des collègues unilingues situés dans la région non désignée de Toronto. La Cour conclut néanmoins que la plainte du demandeur contient suffisamment de renseignements factuels pour soutenir la qualification par le commissaire de la question soulevée comme étant une question relative aux « services » de formation, ainsi que les observations supplémentaires du demandeur alléguant une violation de l’article 36(2) de la Loi.
[79] Il est rappelé que la plainte officielle du demandeur figure dans deux lettres en date des 19 et 24 novembre 2010. La lettre du 19 novembre 2010 décrivait la plainte en termes généraux, en particulier l’affirmation selon laquelle « le non-respect du français est solidement incrusté dans la culture de l’organisation » et que, par ailleurs « mon droit de travailler en français a constamment été brimé durant l’entièreté de ma carrière auprès de cet employeur fédéral, mais de façon plus flagrante durant les dernières années ».
[80] La deuxième lettre contenait des détails sur la plainte dans six documents manuscrits d’accompagnement, dont certains avaient des pièces jointes. Les documents les plus pertinents pour cette question sont les documents n° 1 et n° 2 qui faisaient référence à « un exercice trimestriel appelé “Quarterly Monitoring” » (« surveillance trimestrielle »), décrivant les circonstances dans lesquelles l’anglais est la langue des communications entre travailleurs, comme suit :
Les équipes de surveillance qui travaillent en français n’obtiennent jamais ces analyses en français. De plus, ils ne bénéficient jamais de forum de discussion en français puisque toutes les rencontres associées à ce processus sont toujours et systématiquement tenues exclusivement en anglais. Cela cause un préjudice sérieux aux surveillants qui travaillent en français ayant choisi le français comme langue de choix dans leurs échanges avec le BSIF.
Bien que la documentation est traduite en français, toutes les formations sont données par des employés unilingues anglophones, et sont donc données exclusivement en anglais.
[81] En évaluant le caractère véritable de la plainte du demandeur en tant que profane non informé des subtilités de la LLO, la Cour conclut que, dans la première lettre, l’opposition visait un milieu de travail qui n’est pas propice à l’usage du français (« le non-respect du français est solidement incrusté dans la culture de l’organisation »), tandis que les détails contenus dans les documents no 1 et no 2 expriment la frustration du demandeur de ne pouvoir utiliser la langue de son choix dans ses communications avec ses collègues parce que l’anglais est la langue de travail normale au BSIF et soulève cette question dans le contexte de la formation.
[82] Le demandeur a largement décrit sa plainte en ce qui concerne son milieu de travail, relativement aux communications entre le généraliste et les spécialistes, qui n’est pas propice à l’usage du français, étant donné que la plupart sinon toutes les communications au BSIF se déroulent généralement en anglais, et soulève le problème de formation à titre d’exemple supplémentaire. Compte tenu de ce fondement factuel, la Cour ne voit aucune exagération de la part du commissaire pour conclure que la plainte du demandeur concerne une possible violation de la langue de travail aux termes des articles 35 et 36 de la LLO.
[83] Encore une fois, il ne faut pas oublier que la protection des droits linguistiques constitue un objectif constitutionnel fondamental et exige une vigilance particulière de la part des tribunaux. Cette perspective s’applique non seulement à l’obligation d’interpréter généreusement les dispositions de la loi qui confèrent des droits ainsi que les recours qui peuvent être appliqués, mais devrait également éviter l’adoption d’interprétations techniques et restrictives de ce qui est suffisant lorsqu’il s’agit de décrire l’essence d’une plainte qui doit être traitée par le commissaire et à laquelle ce dernier doit donner suite.
[84] De plus, le commissaire et l’institution en cause n’entretiennent pas de véritables relations conflictuelles, car ils visent tous deux le même objectif, qui est de respecter les exigences de la Loi. Le concept consiste à aller au fond du problème, et une fois le problème cerné, à exposer les circonstances de la plainte et la violation alléguée de tout droit ou devoir énoncé dans la Loi.
[85] En conséquence, la Cour ne considère pas que les questions soulevées dans la présente demande dépassent les limites de la plainte du demandeur.
VII. Principes d’interprétation des dispositions de la LLO sur la langue officielle des institutions
1) Interprétation téléologique
[86] Les dispositions de la partie V de la LLO relatives à la langue de travail ont pour but d’assurer l’égalité de statut des langues officielles et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans toutes les institutions fédérales. Au-delà du principe reconnu selon lequel la LLO, en tant que loi quasi constitutionnelle, doit recevoir une interprétation libérale et généreuse, il n’y a pas d’autre principe d’interprétation qui s’applique sauf le moderne. Il oblige les tribunaux à lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit du texte législatif, l’objet de ce texte et l’intention du législateur : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837, au paragraphe 21.
[87] Le demandeur, appuyé par le commissaire, soutient que toutes les dispositions relatives aux droits linguistiques doivent être interprétées de manière ciblée afin de garantir le maintien et l’épanouissement de ce que l’on appelle les communautés de langue officielle au Canada (par opposition aux communautés minoritaires provinciales). Le demandeur reconnaît que les « communautés de langue officielle en situation minoritaire », qu’elles soient provinciales ou pancanadiennes, désignent les communautés francophones en situation minoritaire, en particulier en milieu institutionnel, en raison de la maîtrise accrue des deux langues officielles par rapport à la communauté anglophone.
[88] L’intention évidente de l’argumentation du demandeur est que le principe doit être appliqué pour étayer ses arguments concernant ses droits linguistiques au sens des articles 35(1)a) et 36(2) de la LLO. Cette opinion a été adoptée et appliquée avec beaucoup de vigueur dans la décision Tailleur, invoquée par le demandeur. Comme il a été indiqué, je conteste respectueusement l’application d’un tel principe d’interprétation aux dispositions de la LLO relatives à la langue officielle des institutions, pour les raisons qui suivent.
2) La jurisprudence n’appuie une interprétation téléologique que pour aider les communautés provinciales de langue officielle en situation minoritaire.
[89] Dans la décision Tailleur, la Cour commence son examen des principes d’interprétation de la LLO en déclarant qu’ils sont « largement acceptés », comme il est décrit au paragraphe 50 de la décision qui est rédigée comme suit (non souligné dans l’original) :
Il est largement accepté que les droits linguistiques au Canada « visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais » et « doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle » […] R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768 (Beaulac) aux paragraphes 25 et 41).
[90] Je suis d’accord avec cette affirmation, mais seulement dans la mesure où elle fait référence au contexte spécifique des communautés provinciales de langue officielle. Naturellement, compte tenu des droits des communautés provinciales de langue officielle en situation minoritaire, il est absolument essentiel d’adopter une approche interprétative téléologique en vue de leur maintien et de leur épanouissement. La politique qui sous-tend cette approche téléologique repose sur le fait que les communautés francophones provinciales en situation minoritaire sont fortement « à risque » en raison des forces d’assimilation qui agissent sur elles. Voir, par exemple Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 R.C.S. 139, au paragraphe 28 : « Laissé à lui-même, le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité risque de disparaître entièrement dans une collectivité donnée. Par conséquent, il est essentiel de veiller à mettre en œuvre avec vigilance les droits reconnus par l’art. 23 et de remédier à temps aux violations. »
[91] Le maintien et la préservation des communautés francophones provinciales fournissent des ponts linguistiques essentiels entre les deux communautés unilingues de langue officielle au Canada et représentent donc d’importants remparts réels et symboliques appuyant l’unité nationale. Les principes applicables au bilinguisme institutionnel des langues officielles sont totalement neutres.
[92] Dans la décision Tailleur, la Cour n’a pas tenté de définir les expressions « minorités de langue officielle » ou « communautés de langue officielle », ni comment cette interprétation téléologique devait précisément être appliquée pour appuyer ses interprétations. Dans les circonstances, cela mérite un examen de la déclaration dans l’arrêt Beaulac [R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768] par rapport au contexte dans lequel la déclaration est faite.
[93] En premier lieu, je suis convaincu que la référence dans la décision Tailleur à l’arrêt de la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac renvoie aux minorités provinciales lorsqu’il s’agit de l’objectif interprétatif du maintien et de l’épanouissement des communautés de langue officielle au Canada. Le court passage de l’arrêt Beaulac, au paragraphe 25 où la déclaration interprétative est rédigée comme suit :
Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada; voir Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), précité, à la p. 850. [Souligné dans l’original.]
[94] La citation à la page 850 de la décision sur le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.) [Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), [1993] 1 R.C.S. 839] est consacrée à la protection des communautés provinciales de langue officielle, même si elle fait parfois référence aux droits des minorités linguistiques sans préciser qu’ils sont liés à ceux des provinces. Le passage pertinent de la décision aux pages 850 et 851 sous l’intitulé « Les principes généraux d’interprétation » est le suivant (non souligné dans l’original) :
L’arrêt Mahe entérine plusieurs principes d’interprétation aux fins de définir les droits garantis par l’art. 23. Premièrement, les tribunaux devraient adopter une analyse fondée sur l’objet lorsqu’ils interprètent les droits. En conséquence, conformément à l’objet du droit défini dans l’arrêt Mahe, les réponses aux questions devraient idéalement être formulées en fonction de ce qui favorisera le mieux l’épanouissement et la préservation de la minorité linguistique francophone dans la province. Deuxièmement, le droit conféré devrait être interprété d’une façon réparatrice, compte tenu des injustices passées qui n’ont pas été redressées et qui ont nécessité l’enchâssement de la protection des droits linguistiques de la minorité. Comme le fait observer M. A. Green, dans « The Continuing Saga of Litigation : Minority Language Instruction » (1990-91), 3 Education & Law Journal 204, aux pp. 211 et 212 :
[traduction] La Cour a admis que l’on ne peut attendre de la majorité qu’elle comprenne et évalue les diverses façons dont les méthodes d’instruction peuvent influer sur la langue et la culture de la minorité, et par conséquent, si l’article 23 doit redresser les injustices du passé et garantir qu’elles ne se répètent pas à l’avenir, il importe que les minorités aient une certaine mesure de contrôle sur les établissements d’enseignement et l’instruction.
Il faut noter en passant, comme l’a indiqué notre Cour dans l’arrêt Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, aux pp. 777 et 778, que l’accent mis sur le contexte historique de la langue et de la culture indique qu’il peut bien être nécessaire d’adopter des méthodes d’interprétation différentes dans divers ressorts qui tiennent compte de la dynamique linguistique particulière à chaque province.
[95] La préservation des communautés provinciales minoritaires était pertinente pour l’arrêt Beaulac, dans la mesure où M. Beaulac était un accusé dans une affaire criminelle devant un tribunal pénal provincial, qui n’est pas une institution fédérale. En tant que membre de la minorité provinciale francophone de la Colombie-Britannique, il a demandé une forme de service judiciaire : être jugé pour meurtre par un juge et un jury de la Cour supérieure de la Colombie-Britannique qui comprennent le français.
[96] En tant que forme de service, s’il avait été demandé à une institution fédérale, telle que la Cour fédérale siégeant en Colombie-Britannique, le droit de recevoir le service en français n’aurait pas été remis en question. Cela serait garanti simplement par le principe d’interprétation de la Charte et de la LLO qui précise que les deux langues officielles doivent jouir de l’égalité de statut et d’usage dans les institutions fédérales.
[97] L’arrêt Beaulac portait sur les droits des minorités de langue officielle où des services judiciaires avaient été refusés dans la province de la Colombie-Britannique. Ces faits définissent la ratio decidendi expliquant pourquoi il a été fait référence au maintien et à l’épanouissement des communautés provinciales de langue officielle en situation minoritaire, ce qui impliquait le refus de fournir des services judiciaires, bien qu’ils ne soient pas fournis par une institution fédérale. L’arrêt n’a rien à voir avec le bilinguisme institutionnel ou le déni des droits d’une minorité francophone pancanadienne, qui n’a jamais été reconnue comme une communauté à laquelle un principe d’interprétation téléologique devrait s’appliquer.
3) Le législateur a distingué l’objectif du bilinguisme officiel dans les institutions fédérales, et celui d’appuyer les communautés provinciales de langue officielle en situation minoritaire.
[98] Il ressort également des dispositions du préambule et de l’objet (article 2) de la LLO que le législateur a défini deux objectifs distincts pour l’interprétation des objectifs distincts de la Loi, dont l’un inclut déjà la protection des minorités de langues officielles de la province.
[99] Les six premiers paragraphes du préambule ont pour objectif de garantir l’égalité de statut des langues officielles et l’égalité de droits et de privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales ― c’est ce que l’on appelle le bilinguisme officiel. Par ailleurs, les deux derniers paragraphes décrivent un objectif totalement différent en ce qui concerne le maintien et l’épanouissement des communautés provinciales de langue officielle en situation minoritaire, sans lien avec les droits linguistiques ou le bilinguisme officiel dans les institutions fédérales.
[100] On peut constater ces distinctions en comparant les paragraphes du préambule (comme je les ai numérotés) relatifs aux deux objectifs d’interprétation relatifs aux institutions fédérales et au maintien et à l’épanouissement des communautés provinciales de langue officielle en situation minoritaire. Ils sont rédigés ainsi (non souligné dans l’original) :
Préambule
Attendu :
[1.] que la Constitution dispose que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et qu’ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada;
[2.] qu’elle prévoit l’universalité d’accès dans ces deux langues en ce qui a trait au Parlement et à ses lois ainsi qu’aux tribunaux établis par celui-ci;
[3.] qu’elle prévoit en outre des garanties quant au droit du public à l’emploi de l’une ou l’autre de ces langues pour communiquer avec les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services;
[4.] qu’il convient que les agents des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada aient l’égale possibilité d’utiliser la langue officielle de leur choix dans la mise en œuvre commune des objectifs de celles-ci;
[5.] qu’il convient que les Canadiens d’expression française et d’expression anglaise, sans distinction d’origine ethnique ni égard à la première langue apprise, aient des chances égales d’emploi dans les institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada;
[6.] que le gouvernement fédéral s’est engagé à réaliser, dans le strict respect du principe du mérite en matière de sélection, la pleine participation des Canadiens d’expression française et d’expression anglaise à ses institutions;
[7.] qu’il s’est engagé à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones, au titre de leur appartenance aux deux collectivités de langue officielle, et à appuyer leur développement et à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne;
[8.] qu’il s’est engagé à collaborer avec les institutions et gouvernements provinciaux en vue d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones, d’offrir des services en français et en anglais, de respecter les garanties constitutionnelles sur les droits à l’instruction dans la langue de la minorité et de faciliter pour tous l’apprentissage du français et de l’anglais.
[101] Les paragraphes 5 et 6 du préambule présentent un intérêt, car ils semblent spécifiquement contredire tout concept d’interprétation téléologique des dispositions relatives à la langue de travail favorisant une communauté linguistique en ce qui a trait à l’obtention d’avantages liés à l’emploi, ne reposant pas sur le principe du mérite. Le demandeur cherche un redressement qui nécessiterait la reclassification linguistique des postes de spécialistes à Toronto. Une question d’emploi similaire a été soulevée dans la décision Tailleur, bien qu’elle n’ait peut-être pas été reconnue, mais dont je discute. Ces deux paragraphes du préambule rejetteraient ce résultat s’il était obtenu par un principe d’interprétation téléologique tendant à favoriser une communauté linguistique créant une égalité de droits et de privilèges quant à l’usage, en plus de constituer une violation de principe du mérite.
[102] Le septième paragraphe du préambule, par son allusion à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones ne peut faire référence aux communautés provinciales minoritaires que dans le libellé suivant qui les vise « au titre de leur appartenance aux deux collectivités de langue officielle [au Canada] ». Si une communauté fait partie d’une communauté plus grande, il doit s’agir d’une communauté différente et plus petite. Par conséquent, la référence aux communautés minoritaires anglophones et francophones ne peut viser que les communautés minoritaires provinciales qui font partie des grandes communautés pancanadiennes anglophones et francophones de langue officielle.
[103] Le dernier paragraphe du préambule confirme l’intention du législateur de faire référence à l’objectif d’appuyer et de développer les communautés de langue officielle en situation minoritaire dans l’engagement du gouvernement du Canada à collaborer avec les gouvernements provinciaux à cette fin.
[104] Une distinction similaire entre les objectifs concernant uniquement les institutions fédérales et ceux visant à appuyer les communautés provinciales minoritaires de langue officielle se retrouve dans la disposition relative à l’objet, qui constitue l’article 2 de la LLO, se présente comme suit (non souligné dans l’original) :
Objet
2 La présente loi a pour objet :
a) d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en oeuvre des objectifs de ces institutions;
b) d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais.
[105] Les objectifs décrits aux deux derniers paragraphes du préambule et à l’alinéa 2b) de la LLO sont reportés à la partie VII de la Loi sous le titre « Promotion du français et de l’anglais », articles 41 et 43. Ni l’un ni l’autre ne renvoie aux objectifs pertinents des institutions fédérales. L’article 41 reformule l’alinéa 2b) de la LLO qui inclut l’appui au développement des minorités francophones et anglophones. L’article 43 renvoie au mandat spécifique du ministre du Patrimoine canadien. Cela comprend à l’alinéa 43d) le mandat d’encourager et d’aider les gouvernements à favoriser le développement des minorités francophones et anglophones, etc., évidemment dans leurs provinces respectives.
[106] Enfin, le Secrétariat du Conseil du Trésor a aussi clairement indiqué que la référence aux minorités francophones et anglophones faisait référence à la minorité provinciale dans sa Politique sur les langues officielles de 2012, au paragraphe 3.4 en définissant les obligations du ministre du Patrimoine canadien en matière de langues officielles décrites à l’alinéa 43(1)a) de prendre des mesures visant à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, comme suit :
3.4 La LLO définit également les attributions et les obligations du ministre du Patrimoine canadien en matière de langues officielles. Ce rôle a trait à l’obligation des institutions de prendre des mesures positives afin d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et de favoriser la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais au sein de la société canadienne.
[…]
Minorités francophones et anglophones
Population de langue française à l’extérieur du Québec et population de langue anglaise au Québec. [Non souligné dans l’original.]
[107] Il est donc évident que l’argumentation du demandeur tendant à favoriser une communauté linguistique au détriment de l’autre dans l’interprétation des dispositions relatives à la langue de travail est en contradiction flagrante avec l’objectif déclaré du bilinguisme institutionnel. Le législateur a déjà indiqué qu’en ce qui concerne les institutions fédérales, la LLO vise à garantir l’égalité d’usage et de privilèges des deux langues officielles. En appliquant des déclarations qui favorisent une communauté linguistique au détriment de l’autre, le résultat « usurpe » la déclaration d’intention de bilinguisme institutionnel du législateur énoncée dans le préambule et l’article relatif à l’objet de la LLO. Une approche interprétative téléologique, qui n’est qu’une autre manière d’énoncer l’intention du législateur, pourrait avoir un certain impact, si le législateur n’avait pas déjà énoncé explicitement les objectifs des dispositions. Toutefois, l’observation du demandeur, entérinée dans la décision Tailleur, dérogerait à l’objectif de la promulgation du bilinguisme institutionnel en matière de langues officielles expressément décrété par le législateur, contrairement à l’objectif fondamental de l’interprétation des lois.
4) La LLO a rééquilibré les désavantages passés de la communauté francophone en situation minoritaire dans les institutions fédérales.
[108] Une des observations du demandeur à l’appui d’une interprétation large des droits relatifs à la langue de travail dans la LLO, fondée sur une « interprétation téléologique » de ses dispositions, figure au paragraphe 89 de son mémoire initial. La référence particulière est relative à l’application de l’article 36(2) pour appuyer la dotation bilingue contextuelle. Le demandeur et le commissaire ont toutefois avancé le même argument en ce qui concerne l’article 36(1)a). Cette observation est la suivante (non souligné dans l’original) :
89. Cette honorable Cour rappelait par ailleurs le principe énoncé dans l’arrêt Beaulac, à savoir qu’il n’était pas dans l’intention du Parlement de restreindre les droits des Canadiens bilingues, soit de les priver du droit de choisir leur langue officielle de travail au motif qu’ils peuvent tout aussi bien communiquer dans une langue que dans l’autre. Une interprétation contraire aurait pour effet de désavantager les minorités de langue officielle, lesquelles affichent les plus hauts taux de bilinguisme au pays, alors que la législation en matière de droits linguistiques a justement pour but de leur venir en aide.
[109] De toute évidence, la minorité ayant les taux de bilinguisme les plus élevés renvoie à la minorité francophone au Canada. Essentiellement, le demandeur soutient implicitement que la nouvelle désignation des postes unilingues en postes bilingues favorise la minorité francophone canadienne, car elle offre à ses membres une plus grande aisance à travailler dans les deux langues. Je ne suis pas au courant d’un problème d’assimilation ou d’un problème similaire causé par les Canadiens francophones travaillant dans des institutions fédérales dans des régions bilingues.
[110] Un tel argument pose au moins trois problèmes importants, outre le fait qu’il soit totalement contraire à l’objectif exprès du bilinguisme officiel du législateur de favoriser un groupe linguistique par rapport à un autre. Premièrement, la communauté francophone de langue officielle, grâce à sa plus grande maîtrise du bilinguisme reconnue par le demandeur, occupe déjà une position quelque peu avantageuse en raison des effets des parties IV et V de la Loi : l’article 27 exigeant la fourniture de services bilingues aux Canadiens; l’article 36(1)a) qui exige la prestation similaire de services bilingues aux collègues des institutions fédérales; et en particulier l’article 36(1)c) qui exige que les superviseurs et les gestionnaires soient bilingues. D’importantes possibilités d’emploi ont été créées pour les Canadiens bilingues dans les régions bilingues, entraînant un désavantage concurrentiel pour leurs compatriotes unilingues.
[111] Deuxièmement, le principe du mérite est la source d’avantages pour les Canadiens bilingues dans les institutions fédérales. Il ne s’agit pas simplement d’une politique d’interprétation tendancieuse qui favoriserait les possibilités d’emploi pour une communauté linguistique par rapport à une autre dans les régions bilingues. Le seul moyen pour un gouvernement fédéral composé de deux communautés de langue officielle de fonctionner avec plus de 80 p. 100 de la population étant unilingue est le recours aux Canadiens bilingues. Le personnel bilingue est essentiel au bon fonctionnement et à la compétence de la fonction publique fédérale. Bien entendu, les Canadiens bilingues ont l’avantage de ne pas pouvoir rivaliser avec plus de 80 p. 100 de la population pour obtenir des emplois. En effet, ils ne peuvent pas vraiment envisager une carrière dans des institutions fédérales situées dans des régions bilingues nécessitant une aisance dans les deux langues officielles.
[112] Étant donné que les dispositions de la LLO en matière de services et de langue de travail procurent à la communauté francophone un avantage concurrentiel en matière d’emploi dans les régions bilingues, en raison de sa compétence reconnue en matière de bilinguisme, il est totalement incohérent d’écarter le principe du mérite là où les compétences linguistiques ne sont pas un facteur de dotation en personnel en revendiquant un avantage différent sur la base d’une interprétation téléologique alléguée des articles 35(1)a) ou 36(2).
[113] Troisièmement, le demandeur ne parle que pour les Canadiens bilingues. Je suppose que le bien collectif de ses membres bilingues profite à tous les membres d’une communauté. Néanmoins, cela semble très discriminatoire envers les Canadiens unilingues, dont environ 55 p. 100 constituent la population de la province de Québec. C’est justement parce que la langue a toujours été un moyen de discriminer contre différentes communautés linguistiques qu’il semblerait que la discrimination historique opérant sur des distinctions entre les communautés linguistiques devrait maintenant être appliquée sur la base des compétences linguistiques pour déroger au principe du mérite dans les institutions fédérales.
5) La méthode d’application d’une interprétation téléologique
[114] Je suis également préoccupé par la méthode d’application du principe d’interprétation téléologique. Il ne faut pas y avoir recours pour éviter d’abord de procéder à une interprétation complète et holistique de dispositions comme les articles 36(1)a) et 36(2). J’entends par là que les parties et le commissaire dans cette affaire, le défendeur un peu moins, commencent par leur approche téléologique, sans présenter d’observations permettant à la Cour de procéder à une première lecture de tous les termes des dispositions considérées, en suivant leur sens ordinaire et grammatical, dans le contexte de la disposition elle-même, et en harmonie avec l’esprit de la Loi. Je conclus respectueusement que c’est là la méthode d’interprétation adoptée par la Cour dans la décision Tailleur, qui a empêché de prendre en compte l’interprétation de la plupart des éléments essentiels de l’article 36(2).
[115] À mon avis, une interprétation téléologique, qui déplace le débat de ses débuts textuels et contextuels vers ceux des politiques dans la recherche de l’objet de la Loi et de l’intention du législateur, ne devrait être utilisée qu’après avoir étudié la signification des mots en suivant leur sens ordinaire et dans leur contexte ordinaire par rapport à d’autres dispositions de la Loi. En d’autres termes, la Cour est tenue d’entreprendre les étapes initiales décrites dans le principe d’interprétation moderne avant de recourir à des preuves extrinsèques ou d’aborder des considérations d’ordre politique, probablement parce que la disposition reste ambiguë quant à son sens ou à son application.
6) L’interprétation bilingue des articles 36(1)a) et 36(2)
[116] L’interprétation bilingue des articles 36(1)a) et 36(2) ajoute à la difficulté de la tâche de la Cour en raison des méthodes de rédaction différentes utilisées pour les deux versions linguistiques. Par souci de clarté, j’exposerai ce que je comprends comme une approche en trois étapes que je suis tenu de suivre si les dispositions ne sont pas identiques, en fonction de la nature des différences.
[117] La première étape consiste à déterminer si les dispositions, bien que différentes, ne sont pas ambiguës et peuvent avoir un sens commun. Auquel cas le sens commun est adopté, sous réserve de la mise en garde que si le sens paraît contraire à l’intention du législateur, comme l’indiquent les règles d’interprétation ordinaires, le sens dégagé par recours aux règles ordinaires devrait être retenu : R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217 (Daoust), au paragraphe 26, citant le professeur Côté dans son ouvrage Interprétation des lois (3e éd. 1999), à la page 410.
[118] Si toutefois une disposition est ambiguë et que l’autre est claire, le sens le plus clair est le sens commun, auquel on aboutit par recours aux règles ordinaires d’interprétation.
[119] Inversement, si les deux versions ne sont pas ambiguës, mais ne peuvent pas être conciliées par des significations (ou des structures) différentes, il convient de retenir le sens défini par les règles ordinaires : Daoust, précité; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa), au paragraphe 39.
[120] Les parties et le commissaire ont appliqué la seconde méthode dans leur interprétation, concluant que la version anglaise était la plus claire pour exprimer l’élément clé de l’article 36(1)a) « to support them in the performance of their duties ». Cela semblait manquer à la version française plus abrégée, ce qui la rendait incompatible structurellement avec la version anglaise.
[121] J’ai finalement rejeté cette conclusion dans mon interprétation de l’article 36(1)a), en concluant que les approches différentes utilisées dans la rédaction législative en français et en anglais permettaient de concilier les deux versions de l’article 36(1)a). J’entends par là que la méthode de rédaction française a recours à une approche de raisonnement plus déductive que celle utilisée par les rédacteurs de langue anglaise. Cela élimine la nécessité d’exprimer une certaine composante d’un équivalent correspondant anglais, si elle est considérée d’une manière déductive comme étant implicite par le sens d’un autre terme. Ayant concilié les deux dispositions sur le plan de la structure et de l’esprit par cette méthode, j’ai ensuite procédé à leur interprétation, constatant qu’elles exprimaient essentiellement le même sens.
[122] Au sujet de l’article 36(2), dans la décision Tailleur la Cour a appliqué la deuxième approche du sens commun en ce qui concerne les équivalents bilingues correspondants « possibles » et « reasonably », en ce qui concerne les mesures pouvant être adoptées. La Cour a agi de la sorte en affirmant que le terme anglais « measures … reasonably … taken » était le sens commun du terme, car il exprimait une acception plus limitée de « mesures possibles ».
[123] J’ai accepté le choix du terme le plus approprié, mais j’ai rejeté la méthode suivie pour obtenir les résultats. Structurellement, les équivalents correspondants des deux versions concordaient bien et leur signification était claire, mais ils ne pouvaient pas être conciliés sur la base de leur signification.
[124] J’ai conclu que le concept de mesures raisonnablement déterminées et celui de mesures possibles, tous deux destinés à créer un milieu de travail approprié pour les langues officielles, ne pouvaient être conciliés, car ils expriment deux sens tout à fait différents. « Raisonnablement » décrit l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans la détermination de mesures, tandis que « possibles » décrit simplement l’étendue des mesures, sans aucun exercice de pouvoir discrétionnaire. Sur le plan contextuel, il était important de choisir un terme discrétionnaire pour déterminer les mesures requises, car cela était compatible avec une interprétation souple de l’article 36(2) et l’adoption du terme « accommodate » de préférence à « permettre » (permit), ce qui représente l’essentiel de ma décision.
[125] Telle était la méthode appliquée par la Cour suprême dans l’arrêt Khosa au paragraphe 39, où la Cour a conclu que les termes « may » (« peut ») et « is » (« est ») à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales ne pouvaient pas être conciliés, comme suit :
Le texte anglais du par. 18.1(4) confère une faculté (« may grant »); il attribue clairement un pouvoir discrétionnaire à la cour. Par contre, à première vue, les mots « sont prises » employés dans le texte français ne confèrent pas de pouvoir discrétionnaire. Il est donc difficile de dégager le sens commun de ces deux versions. Cependant, cette distinction linguistique doit être résolue, car les juges ne peuvent appliquer différemment le par. 18.1(4) à différents endroits du pays selon la langue dans laquelle ils lisent cette disposition. [Non souligné dans l’original.]
[126] Cette voie n’étant pas disponible parce que les dispositions étaient totalement inconciliables, la méthodologie appropriée exigeait de respecter l’approche adoptée dans l’arrêt Khosa. Elle nécessitait une interprétation holistique des deux termes, en partant de leurs sens ordinaires très différents, pour ensuite les examiner dans le contexte des éléments restants de la disposition, dans le contexte de la loi, et enfin de son objet et de l’intention du législateur.
VIII. Les services fournis au personnel des institutions fédérales conformément à l’article 36(1)a) de la LLO
A. Introduction
[127] Les observations des parties soulèvent au moins trois questions d’interprétation :
• Premièrement, quelle est la base de la distinction entre les catégories de services personnels et de services centraux?
• Deuxièmement, si un employé moins qualifié, simplement en travaillant avec un collègue plus qualifié, acquiert des compétences ou acquiert des connaissances qui l’aident ou sont essentielles pour que l’employé puisse s’acquitter de ses fonctions, s’agit-il d’un « service », au sens de la disposition, fourni par l’employé le plus qualifié (spécialiste) à l’employé le moins qualifié (généraliste)?
• Troisièmement, si l’apprentissage en milieu de travail est provisoirement le résultat d’un service fourni par le spécialiste, s’agit-il également d’un service central?
[128] Avant d’entreprendre une analyse de la disposition relative à la langue de travail, il faut d’abord synchroniser la version anglaise, soit le sous-alinéa 36(1)a)(i), avec l’alinéa 36(1)a) du texte français. La version française combine le libellé du sous-alinéa sur les services et celui du sous-alinéa sur le matériel d’usage en un seul alinéa. En conséquence, les deux versions sont présentées ci-dessous, les parties non pertinentes de la version française étant identifiées par des passages biffés, de même que le sous-alinéa non pertinent de la version anglaise :
Obligations minimales dans les régions désignées |
Minimum duties in relation to prescribed regions |
36 (1) Il incombe aux institutions fédérales, dans la région de la capitale nationale et dans les régions, secteurs ou lieux désignés au titre de l’alinéa 35(1)a) : |
36 (1) Every federal institution has the duty, within the National Capital Region and in any part or region of Canada, or in any place outside Canada, that is prescribed for the purpose of paragraph 35(1)(a), to |
a) de fournir à leur personnel, dans les deux langues officielles, tant les services qui lui sont destinés, notamment à titre individuel ou à titre de services auxiliaires centraux, |
(a) make available in both official languages to officers and employees of the institution (i) services that are provided to officers and employees, including services that are provided to them as individuals and services that are centrally provided by the institution to support them in the performance of their duties, and |
[129] L’absence de l’aménagement coordonné des alinéas de la disposition pose des problèmes pour l’adoption d’une nomenclature commune décrivant les différentes dispositions. Par conséquent, lorsqu’elle se réfère généralement à la disposition, la Cour adopte le sous-alinéa anglais, à savoir l’article 36(1)a)(i), comme élément commun des deux versions. J’utiliserai ce descripteur, ma pratique habituelle consistant à identifier toute disposition uniquement comme « l’article », ou « la disposition » lorsque je m’y réfère d’une manière générale. Dans une certaine mesure, cela concorde également avec la conclusion des parties et du commissaire selon laquelle la version anglaise est plus claire et doit être privilégiée, car il y a plus de références à ses composants que dans la version française.
[130] Les rédacteurs de la loi ont également adopté différents styles de présentation de l’intention du législateur décrite à l’article 36(1)a). Ceci est évident en comparant les deux versions. Cela pose quelques problèmes supplémentaires lors de la description des équivalents correspondants qui font l’objet d’une interprétation. Néanmoins, ils sont présents, ne serait-ce que de manière implicite dans certaines circonstances. Je ferais correspondre les équivalents correspondant comme suit en utilisant l’ordre anglais des composants, en biffant à nouveau les passages pour aider à faire correspondre les versions du même composant :
« services that are provided to them as individuals » et « les services qui lui sont destinés, notamment à titre individuel »
(Services individuels)
« and services that are centrally provided » et « ou à titre de services [auxiliaires] centraux »
« to support them in the performance of their duties » et « ou à titre de services auxiliaires [centraux] »
(ensemble, services auxiliaires)
1) Politiques et directives du Conseil du Trésor en matière de langues officielles, de formation et de perfectionnement professionnel
[131] Avant de se lancer dans l’interprétation de l’article 36(1)a), la Cour examinera d’abord les politiques et les directives du Conseil du Trésor en matière de langues officielles, de formation et de perfectionnement professionnel. Les parties ont fait référence aux politiques du Conseil du Trésor à différents moments, et il convient également de considérer leur impact sur la plainte.
[132] Il existe trois politiques pertinentes, dont deux concernent la langue de travail. La troisième fournit les paramètres pour la formation et le perfectionnement professionnel dans l’ensemble de la fonction publique, dans le but que ses préceptes soient adoptés et adaptés par les institutions fédérales. Je qualifie les deux premières politiques de travail de « Politique de 2004 » et de « Politique de 2012 ». Cette dernière politique a abrogé et remplacé la Politique de 2004. La troisième politique, la Politique en matière d’apprentissage de 2017, a déjà été évoquée.
a) Politique 2004 sur la langue de travail
[133] Il y a six commentaires pertinents à faire sur la Politique de 2004, dont quatre concernent l’interprétation de l’article 36(1)a), les deux autres sont pertinents pour l’interprétation de l’article 36(2).
[134] Premièrement, la politique établit une rupture nette entre les deux catégories de services « individuels » et « auxiliaires » et celle de services « de formation et de perfectionnement professionnel ». Cela est probablement dû au fait que l’on pensait que les services de formation et de perfectionnement professionnel ne faisaient partie d’aucune des deux catégories décrites à l’article 36(1)a). Cela expliquerait aussi dans une certaine mesure pourquoi le défendeur s’est demandé si les activités de formation et de perfectionnement professionnel étaient même un service au sens de la disposition.
[135] Deuxièmement, le Conseil du Trésor n’a pas tenté de distinguer quels services entraient dans la catégorie des services individuels par opposition à ceux qui étaient des services auxiliaires dans la longue liste d’exemples de services fournis, les décrivant simplement comme relevant tous des deux catégories de services, comme suit :
Services de comptabilité, administratifs, financiers et budgétaires, d’informatique, d’évaluation et vérification, juridiques, de bibliothèque et d’archives, et d’information et communications, consultatifs de gestion et les services de consultation, de gestion du matériel, d’achat et d’approvisionnement, de gestion des biens, de sécurité, de dotation et de classification, techniques, de traduction, de la paie et des avantages sociaux, de soins de santé, d’orientation professionnelle, et griefs.
[136] Troisièmement, il ressort de la Politique de 2004 que 16 ans après l’adoption des dispositions relatives à la langue de travail, le Conseil du Trésor ne se sentait pas assez à l’aise dans son interprétation de l’article 36(1)a) pour ne donner que des indications vagues quant à ce qui constituait un service, même au point d’assigner des services bien reconnus aux deux catégories qu’il avait recensées comme étant visées par la disposition.
[137] Quatrièmement, il est toutefois clair que tous les exemples fournis ont été facilement identifiés et reconnus comme des formes d’unités administratives de fournisseurs de services, à l’exception des services de formation et de perfectionnement professionnel. Deux ramifications en découlent. Premièrement, la question qui a ajouté à la complexité de l’interprétation de l’article 36(1)a) est celle de savoir si le terme français « auxiliaires » voulait désigner les services décrits comme des unités administratives, ce qui lui donnerait un sens totalement différent de son équivalent correspondant qui fournit une définition du service.
[138] Deuxièmement, le demandeur et le commissaire semblent avoir l’intention de redessiner de manière significative la carte des services par rapport à ce qui existait au moment où les dispositions relatives à la langue de travail de la LLO ont été adoptées. Comme point de départ de l’interprétation de la disposition, il est donc difficile de concevoir que le législateur ait voulu que la LLO élargisse considérablement la signification des services afin de recenser un plus grand nombre de postes bilingues dans les régions bilingues, sans parler du même résultat se produisant dans des régions unilingues.
[139] Le premier des deux commentaires pertinents pour l’interprétation de l’article 36(2), qui constitue la seconde partie de mon analyse ci-dessous, est ce que je considère être une omission importante de faire référence à ce que je qualifierai de second objectif du « milieu de travail » qui doit « permet[tre] à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre » langue officielle.
b) La Politique de 2012 sur les langues officielles
[140] La Politique de 2004 a été remplacée par la Politique sur les langues officielles à compter de novembre 2012 (la Politique de 2012). Elle n’était pas en vigueur au moment de la plainte, mais est restée en vigueur depuis sa publication.
[141] La Politique de 2012 a quelque peu ajouté à la Politique de 2004. Elle a maintenu la distinction entre les services de formation et de développement professionnel et les deux catégories de services personnels et centraux. Elle a remplacé la liste des services en fournissant des définitions squelettiques et des exemples de catégories de services personnels et centraux, comme suit :
[…] Ces services sont ceux qui touchent l’employé sur le plan personnel (sa santé, son bien-être, son développement personnel, sa carrière) ou qui sont essentiels pour que l’employé puisse s’acquitter de ses fonctions.
Exemples de services personnels :
• services de la paie et des avantages sociaux
• services d’orientation professionnelle
Exemples de services centraux :
• services d’informatique
• services juridiques
[142] L’un des changements importants a été d’ajouter la nécessité de faire des services centraux un élément essentiel à l’exercice des fonctions de l’employé. Le demandeur s’est fondé sur le critère essentiel pour affirmer que les spécialistes fournissaient des services essentiels aux généralistes afin qu’ils puissent accomplir leurs tâches. Le défendeur et le commissaire n’étaient pas d’accord avec cette observation selon laquelle les services centraux devaient être essentiels à l’exercice des fonctions, avec lesquels je suis également d’accord.
c) Politique en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement de 2017
[143] Les extraits pertinents de la Politique en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement du Secrétariat du Conseil du Trésor de 2017 (la Politique en matière d’apprentissage de 2017) sont les suivants (non souligné dans l’original) :
3. Contexte
[…]
3.2 Aux termes de l’alinéa 12.(1)a) de la Loi sur la gestion des finances publiques, les administrateurs généraux ont le pouvoir de « déterminer les besoins en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement des personnes employées dans la fonction publique et fixer les conditions de mise en œuvre de cet apprentissage, de cette formation et de ce perfectionnement. » Le Conseil du Trésor a le pouvoir, aux termes de l’alinéa 11.1(1)f) de la Loi d’« élaborer des lignes directrices ou des directives sur l’exercice des pouvoirs conférés par la présente loi aux administrateurs généraux […] »
[…]
Annexe A – Définitions
[…]
[professional development (perfectionnement professionnel)]
perfectionnement professionnel (professional development)
Activité qui aide les employés à progresser dans leur carrière et qui cadre avec les priorités ministérielles et les objectifs d’amélioration continue du gouvernement. Ces activités comprennent des cours, des programmes ou des activités d’apprentissage parrainées par un éventail de fournisseurs de service (par exemple des fournisseurs internes, l’École de la fonction publique du Canada, des établissements d’enseignement, le secteur privé).
[…]
[training (formation)]
formation (training)
Est une façon organisée et structurée de transférer les connaissances et le savoir-faire nécessaires pour bien exécuter les fonctions d’un emploi ou d’une profession. Il s’agit d’un apprentissage permanent et adaptatif, et non d’un exercice isolé.
[144] Bien que l’application de la présente politique ne touche pas les employeurs distincts comme le BSIF, il est indiqué à la section 2.2 qu’ils « peuvent y avoir recours pour soutenir l’élaboration de leurs propres politiques d’apprentissage, de formation et de perfectionnement ».
[145] D’une manière générale, la Politique d’apprentissage de 2017 semble régler le problème qui préoccupe les parties en ce qui concerne la catégorie de services appropriée pour la formation et le perfectionnement professionnel. Le Secrétariat du Conseil du Trésor répond à cette question en définissant d’abord le « perfectionnement professionnel » d’une manière qui laisserait penser qu’il devrait être considéré comme un service personnel, comme personnel, comme « une activité qui aide les employés à progresser dans leur carrière ». Il ne s’agit pas d’une formation en cours d’emploi, ce qui le place ainsi dans la première catégorie de l’article 36(1)a) « qui leur sont destinés [employés] à titre individuel ».
[146] À l’inverse, le Secrétariat du Conseil du Trésor aligne clairement la « formation » sur la deuxième catégorie de service, fondée sur la version anglaise de l’article 36(1)a), « to support them in the performance of their duties » (« à titre de services auxiliaires »). Elle est définie dans la politique comme étant une expérience d’apprentissage « [requise] pour bien exécuter les fonctions d’un emploi ». De plus, ce qui importe, c’est que la définition de la formation soit dispensée « [d’]une façon organisée et structurée de transférer les connaissances et le savoir-faire » [non souligné dans l’original]. Il ne s’agit donc pas d’une forme d’apprentissage ad hoc réalisée lors des interactions entre les employés sur le lieu de travail, comme le prétendent principalement le défendeur et le commissaire.
[147] Comme on le verra, les observations du commissaire s’éloignent de son concept initial de service, à savoir celui qui est relatif à la formation ou au perfectionnement professionnel décrit dans le Rapport d’enquête final. Au lieu de cela, elle propose maintenant une définition générique beaucoup plus large, qui étend la définition d’un service à celle de toute activité où un groupe d’employés « appuie un autre employé dans l’accomplissement de ses tâches ».
2) Les observations des parties sur l’interprétation de la disposition relative aux services
a) Les observations du demandeur
[148] Dans l’ensemble, le demandeur s’appuie sur les conclusions du commissaire énoncées dans le Rapport d’enquête final, qui sont les suivantes (non souligné dans l’original) :
L’information que les employés du Groupe de soutien de la surveillance fournissent au personnel de surveillance de Montréal est essentielle pour que celui-ci puisse exécuter ses tâches. Cette information améliore leurs compétences pour se conformer au mandat du BSIF. Ces améliorations découlent du perfectionnement professionnel. Ainsi, le Groupe de soutien de la surveillance de Toronto fournit un perfectionnement professionnel, pratiquement chaque jour, au personnel de surveillance de Montréal. Les communications orales et électroniques entre les deux bureaux ne se font qu’en anglais, même si ces contacts sont en fait un perfectionnement professionnel pour les employés de Montréal.
[149] Dans ses observations devant la Cour, le commissaire a abandonné l’exigence que les services sont essentiels et qu’ils relèvent de la catégorie du perfectionnement professionnel, par opposition à la formation.
b) Les observations du commissaire
[150] Après que les parties ont déposé leurs observations, le commissaire a présenté une différente interprétation de l’article 36(1)a) par rapport à celle énoncée dans le Rapport d’enquête final. Elle s’appuie sur une interprétation fondée sur l’objet requérant une interprétation libérale et téléologique des dispositions relatives à la langue de travail qui favorise le maintien et l’épanouissement des communautés de langue officielle. Le commissaire, en référence aux communautés de langue officielle, fait référence à la communauté de langue officielle francophone, bien que cela ne soit pas explicitement énoncé. J’ai donné les raisons pour lesquelles je rejette cette observation.
[151] De même, le commissaire soutient que « l’offre de la formation dans la langue officielle de choix de l’employé est intimement liée à la mise en œuvre de l’objectif de la partie V de la LLO, soit de créer un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles au sein des institutions fédérales ».
[152] Afin de statuer sur cet argument, je présenterai mes commentaires sur cette observation à ce stade de mes motifs. À mon avis, le commissaire exagère en essayant d’étayer son argumentation avec des considérations non pertinentes. Il ressort clairement de l’examen des divers paragraphes et alinéas qui constituent l’article 36 que le législateur ne fait spécifiquement référence au concept de création d’un milieu de travail propice que dans les articles 36(1)c) et 36(2) concernant l’obligation pour les gestionnaires d’être bilingues et l’obligation de fournir un milieu de travail approprié pour l’usage des langues officielles. Compte tenu des références spécifiques au milieu de travail dans d’autres dispositions, si le législateur estimait que la fourniture des services dans la langue des employés servis était propice à l’usage efficace des deux langues officielles, il l’aurait également déclaré. De plus, comme il a été souligné, le fait d’obliger les employés bilingues à utiliser leur deuxième langue en tant que fournisseurs de services va effectivement à l’encontre du droit fondamental des employés d’utiliser leur langue maternelle.
[153] Le commissaire propose une nouvelle définition plus large d’un « service auxiliaire », en le ramenant au libellé anglais pour être « un service qui permet d’appuyer ou d’assister les employés, et qui leur est donc utile dans l’exercice de leurs fonctions ». Ainsi, si le travail d’un groupe d’employés est utile sur une base régulière, mais pas essentiel à l’accomplissement du travail d’un autre employé, il s’agit d’un « service auxiliaire ». Sa position est probablement mieux résumée aux paragraphes 62 à 64 de son mémoire, comme suit :
62. Le Commissaire propose la définition suivante de la notion de formation : « activité organisée visant à transmettre à une personne de l’information ou des instructions lui permettant d’améliorer ou de maintenir son rendement ou d’atteindre un niveau requis de connaissances ou de compétences. »
63. Ainsi, la formation, selon son sens courant, le formateur partage des connaissances, de l’information, des techniques ou des aptitudes aux employés afin que ceux-ci puissent les utiliser par eux-mêmes dans leurs fonctions. En d’autres mots, la formation, par opposition à un simple partage d’information, a pour but premier de permettre aux employés d’acquérir un savoir-faire, tant au niveau personnel que professionnel, qu’ils pourront mettre en application par la suite dans les diverses circonstances de leur travail.
64. La question à savoir si une activité précise constitue une formation aux employés est une question de faits qui doit être analysée en prenant en compte les circonstances précises de chaque cas.
[154] Compte tenu de l’accent mis sur la formation, je réitère mon inquiétude quant au fait que la Politique en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement du Secrétariat du Conseil du Trésor de 2017 n’a pas été incluse dans la preuve présentée à la Cour. Je suis particulièrement préoccupé par le fait que j’aurais pu, sans le savoir, déclarer que la Politique en matière d’apprentissage du Secrétariat du Conseil du Trésor de 2017 ne reflétait pas correctement le contenu de la politique sans être au courant de son existence.
[155] Le commissaire prétend que « le terme “central” réfère à un service qui comporte un caractère névralgique pour l’institution, en ce sens que celle-ci a pris la décision, à un niveau central ou relativement élevé de son administration, d’offrir ce service a ses employés ». Toutefois, le commissaire indique que les éléments de preuve permettant de démontrer qu’une telle décision est prise peuvent être basés sur la manière dont l’institution est organisée selon la structure de ses lieux de travail afin d’assurer le service. Ainsi, il n’existe aucune exigence qu’une décision soit réellement prise ni une déclaration par l’institution qu’elle fournit un service à ses employés. Il suffit que les faits démontrent qu’un service, au moyen duquel des employés aident d’autres employés à s’acquitter de leurs fonctions, a été mis en place par l’institution pour en déduire que le service reflète un caractère central requis par l’article 36(1)a), car c’est de cette façon que l’institution organise la structure de l’emploi.
c) Les observations du défendeur
[156] Le BSIF fait valoir que les spécialistes ne fournissent pas un « service » aux généralistes. On prétend que les interactions entre le généraliste et le spécialiste ne représentent pas un service au sens de la Loi. À mon avis, son argument le plus solide est exprimé de manière très succincte aux paragraphes 43 et 45 de son mémoire, de la manière suivante : le BSIF insiste sur le terme « en équipe » comme suit :
44. Les discussions entre les deux groupes s’inscrivent dans le cadre de leur prestation de travail respective. À l’occasion, les deux groupes doivent combiner leur travail respectif. De fait, les généralistes et spécialistes forment deux groupes de travail distincts appelés à travailler en équipe dans le cadre de leurs fonctions respectives et dans l’atteinte d’un objectif commun.
45. Dans ces circonstances, il n’y a aucun « service » rendu par les spécialistes aux généralistes. Les premiers ne sont pas au service des seconds. [Souligné dans l’original.]
[157] Le défendeur ajoute que les généralistes et les spécialistes, même en tant que groupes distincts, travaillent en étroite collaboration en équipe (souligné par le défendeur) pour atteindre les objectifs fondamentaux du mandat de l’institution. Il fait valoir que, les employés qui exécutent le mandat de base de l’institution reçoivent des services, ils ne les fournissent pas. Je suis d’accord avec l’observation, selon laquelle un environnement d’équipe est incompatible avec le concept de ses membres fournissant des services les uns aux autres. Les employés qui exécutent le mandat de base font simplement partie de cette équipe. Je reviendrai sur les observations présentées dans l’analyse ci-dessous, en particulier sur ce qui constitue la définition d’une équipe d’employés et sur le fait de savoir si elle interdit de manière inhérente aux membres d’être des fournisseurs de services.
[158] Le défendeur avance comme deuxième argument que les spécialistes ne fournissent pas un service « auxiliaire central » aux généralistes. La phrase « service auxiliaire central » s’agit d’un service de soutien interne ou les services corporatifs qui ont pour objet d’appuyer, de façon accessoire ou secondaire, (d’où les termes « service auxiliaire » ou « to support them »), tous les employés de l’institution (ou la quasi-totalité) dans l’accomplissement de leurs fonctions (d’où les termes « centraux » ou « centrally provided »).
[159] Le défendeur ajoute que les généralistes ne peuvent pas constituer un service « central », car ils ne représentent qu’une catégorie restreinte d’employés du BSIF et n’ont pas le degré d’organisation définitionnelle normalement appliqué à un groupe d’employés de service tel qu’il est établi par la direction centrale de l’institution.
[160] Le BSIF soutient que l’acceptation de l’observation du demandeur aboutirait à un résultat totalement absurde, car presque tous les employés seraient considérés comme des fournisseurs de services pour d’autres employés si la définition s’appliquait aux employés travaillant ensemble sur un projet commun pour l’employeur. Cela aurait carrément pour effet soit 1) d’imposer le bilinguisme à tous les employés des institutions fédérales visées par la LLO sans égard à la nature de leurs fonctions, soit 2) d’obliger les institutions fédérales de créer des équipes distinctes de francophones et d’anglophones.
[161] Le défendeur semble soulever la question de savoir si la formation et le perfectionnement professionnel devraient entrer dans le champ d’application de la partie V de la LLO, car elle ne contient pas de libellé traitant spécifiquement de ces catégories de services. En outre, même si la Cour devait accepter la définition du service dans sa forme la plus large, comme le soutient le commissaire, les interactions entre le généraliste et le spécialiste ne le constituent toujours pas dans un exercice de formation, car cela nécessite un certain degré d’organisation et de formalisme qu’on considère généralement comme étant nécessaires.
[162] Le défendeur avance l’observation supplémentaire selon laquelle une interprétation aussi large de l’article 36(1)a) « va également à l’encontre de l’un des objectifs de la LLO que les Canadiens d’expression française et anglaise aient des chances égales d’emploi dans la fonction publique fédérale et que les effectifs des institutions fédérales tendent à refléter la présence au Canada des deux collectivités de langue officielle » compte tenu notamment de l’emplacement de leurs bureaux.
B. L’interprétation de l’article 36(1)a)
1) Introduction
[163] Il n’est pas contesté que l’article 36(1)a) décrit deux catégories de services. La première catégorie, qualifiée de « services personnels » dans les politiques du Conseil du Trésor, décrite de manière trompeuse, mais peut-être plus commode, est celle énoncée dans le premier composant ci-dessus. Je la décris comme celle des « services individuels » afin de refléter fidèlement son sens en utilisant le terme choisi par le législateur et d’éviter l’aspect trompeur du terme « personnels ».
[164] La deuxième catégorie comprend les deuxième et troisième composants, ce qui, encore une fois, est trompeur selon la nomenclature du Conseil du Trésor, qui la décrit comme celle des « services centraux ». Le descripteur le plus approprié est « services auxiliaires » qui est une traduction du terme dans la version française. « Auxiliaire » décrit mieux la distinction entre la catégorie de services individuels, ainsi que sa fonction. En outre, le concept de services fournis « à titre de services centraux » s’applique à la fois à la première catégorie et à deuxième catégorie, même si cela est implicite dans le sens de la catégorie des « services individuels ». C’est là l’essence de ma conclusion sur l’interprétation, certes très abstruse, de la disposition suivante.
[165] En guise d’avertissement, l’aspect interprétatif le plus difficile de cette disposition a trait à l’expression française « services auxiliaires ». Elle est source de confusion parce que le terme auxiliaire, ou ses proches synonymes « secondaire » et « accessoire », représente une caractéristique de définition clé du sens des services. C’est en fait l’un des arguments du défendeur. Pour les raisons que je tenterai d’expliquer, il s’agit d’un pléonasme, c.-à-d. comme « un faux mensonge ». Le fait est que le terme « service » exprime déjà la définition du terme « auxiliaire », ce qui fait de sa répétition un « faux ami », comme le diraient nos collègues francophones.
[166] En arriver à cette conclusion ramène le processus d’interprétation à l’intention des rédacteurs. Le terme doit être utilisé dans le seul but de distinguer la deuxième catégorie de la première catégorie comme suit : « tant [(1)] les services qui lui sont destinés […] à titre individuel ou [(2)] à titre de services auxiliaires centraux » [non souligné dans l’original]. Cela explique pourquoi je qualifie la deuxième catégorie de « services auxiliaires » en raison de sa pertinence pour cette fin. Cela explique également pourquoi j’ai inclus le terme « ou » (or) dans le passage extrait, en tant que lien entre les deux catégories de services. En autre termes, « auxiliaire » ne sert que d’indiquer qu’il existe deux catégories, rien de plus.
[167] Je souligne ici que la distinction fondamentale entre le processus que je suis pour interpréter à la fois les articles 36(1)a) et 36(2) et ceux que j’ai examinés est que je tente de concilier tous les termes dans les deux dispositions. Autant que je sache, ni le Conseil du Trésor, ni le commissaire, ni la Cour dans la décision Tailleur ne se sont engagés dans cette voie et à mon avis, c’est l’objectif primordial de l’interprétation des lois. Il faut cerner la disposition dans son ensemble. Au lieu de cela, les catégories sont mal définies et il est fait référence à des composants individuels de chaque version linguistique. Cela a pour effet de ne pas refléter fidèlement l’intention du législateur et d’ajouter à la difficulté de la Cour, car elle suit ces passages jusqu’à une impasse, et doit recommencer à zéro. De plus, ce processus d’interprétation nécessite une ouverture d’esprit à une révision « aller-retour » de chaque terme de la disposition afin de déterminer s’il peut ou non être concilié avec le reste de la disposition.
2) Définir et suivre le plan de la disposition
[168] Étant donné les difficultés que l’article 36(1)a) présente au chapitre de son interprétation, logiquement, la meilleure approche consiste à suivre le plan apparent de la disposition. L’aspect le plus important de ce plan est l’existence de deux catégories. Sans pouvoir distinguer correctement entre ces deux catégories, aucun sens contextuel ne peut être donné aux différents termes qui constituent la disposition. En conséquence, la première tâche du processus d’interprétation consiste à différencier les deux catégories.
[169] Je conclus que le législateur souhaitait que la catégorie de services individuels s’applique aux services offerts à tous les employés de l’institution. Il utilise les termes « à titre individuel/as individuals ». Comme la catégorie individuelle comprend tous les employés, il n’est pas nécessaire de limiter le nombre de personnes qui doivent recevoir le service ni d’indiquer qu’ils sont fournis à titre de services centraux, car les services fournis à tous les employés doivent l’être à titre de services centraux.
[170] La catégorie individuelle étant définie, la catégorie auxiliaire est ensuite définie par rapport à la catégorie individuelle quelque chose qui est accordé simplement en étant un employé. La catégorie auxiliaire concerne les services qui améliorent l’exécution des tâches des employés pour le compte des institutions. Ce sens est accompli par les équivalents correspondants de services « to support them in the performance of their duties/à titre de services auxiliaires ».
[171] Ensuite, l’esprit de la disposition se concentre sur la catégorie auxiliaire dans le but de limiter quelque peu ce qui devrait être accepté comme une forme de service d’amélioration du rendement. Il le fait d’abord en définissant un service, puis en deuxième par les équivalents correspondants « centraux/centrally ». L’interprétation de la disposition est aussi simple que cela : définir ce que constitue un service en tant que première limitation, distinguer et définir les catégories, puis imposer une limite sur la deuxième forme de service destinée à améliorer le rendement des autres employés en utilisant la « composante centraux/centrally ».
[172] Quant au sens de services fournis à titre de services centraux, bien que cela ne soit pas énoncé clairement, il semble indiquer que le législateur avait l’intention de confier au Conseil du Trésor ou aux cadres supérieurs des institutions fédérales la responsabilité de désigner l’ensemble des activités de service susceptibles d’améliorer le rendement des employés. La Politique en matière d’apprentissage de 2017 est un bon exemple de ce que j’ai conclu en affirmant que le législateur avait l’intention d’éviter précisément ce que j’estime que le demandeur et le commissaire tentent de faire. J’entends par là éviter toute exagération et toute perturbation des activités des institutions fédérales en faisant passer les droits linguistiques avant tout le reste.
3) Définitions de « services »
[173] Il n’est pas possible de définir les deux catégories sans d’abord définir le sens de « services ».
[174] Le terme « service » comprend un large éventail de sens, même certains qui impliqueraient une compréhension différente lorsqu’il est utilisé au pluriel. Voici la liste anglaise de ce que la Cour considère comme les sens pertinents du mot « service » tirés du Merriam-Webster (https ://www.merriam-webster.com/dictionary/service) (Merriam-Webster Dictionary] (non souligné dans l’original). Les sous-définitions pertinentes du même dictionnaire en ligne sont incluses entre crochets.
Definition of service […]
2 a : the work performed by one that serves [3 a : to be of use… b : to be favorable, opportune, or convenient] // good service
[traduction] 2a : le travail effectué par une personne qui sert [3 a : être utile […] b : être favorable, opportun ou pratique] // bon service
2 b : HELP [1 : to give assistance or support to … 3 a : to be of use to: benefit], USE, BENEFIT [1 a : something that produces good or helpful results or effects or that promotes well-being]
[traduction] 2 b : AIDER [1 : donner une assistance ou un soutien à […] 3 a : être utile à : bénéficier], UTILISATION, AVANTAGE [1 a : quelque chose qui produit des résultats bons ou utiles, ou qui favorise le bien-être]
[…]
4 : the act of serving : such as … b : useful labor that does not produce a tangible commodity―usually used in plural // charge for professional services
[traduction] 4 : l’acte de servir : tel que […] b : travail utile qui ne produit pas de bien tangible ― généralement utilisé au pluriel // facturer des services professionnels
[…]
6 a : an administrative division (as of a government or business) // the consular service
[traduction] 6 a : une division administrative (comme celle du gouvernement ou d’une entreprise) // le service consulaire
[…]
11 : a branch of a hospital medical staff devoted to a particular specialty // obstetrical service
[traduction] 11 : une division du personnel médical d’un hôpital consacrée à une spécialité particulière // service d’obstétrique
[175] Les définitions pertinentes de la version française du terme « service » sont tirées du Larousse Dictionnaire de français (http ://www.larousse.fr/dictionnaires/francais) (Larousse Dictionnaire de français) avec une expression apparentée utilisant le terme, encore une fois (non souligné dans l’original) :
service
[…]
Activité professionnelle exercée dans une entreprise, une administration : Avoir quarante ans de service.
[…]
Organisme qui fait partie d’un ensemble administratif ou économique; organe d’une entreprise chargé d’une fonction précise, ensemble de personnes assurant cette fonction : Les services commerciaux d’une entreprise.
[…]
Ce que l’on fait pour quelqu’un, avantage qu’on lui donne spontanément : Il m’est difficile de demander ce service à Paul. [Expression : Rendre service à quelqu’un, lui être utile, l’aider].
[176] Deux commentaires peuvent être faits concernant la définition de « service » et de « services ». Le premier est que la définition la plus générique de service (bien qu’elle ne soit pas énumérée comme son sens premier), et celle qui semble s’appliquer du point de vue du commissaire, est celle des termes « aider », et « donner une assistance ou un soutien à ». La version française, lorsqu’elle est utilisée dans l’expression « Rendre service à quelqu’un » a une définition générique large similaire.
[177] Ceci est pertinent pour l’examen par la Cour du libellé de la catégorie auxiliaire en anglais, qui correspond en grande partie la définition du terme « service ». Cela est également pertinent pour l’examen par la Cour du terme « soutien », en rapport avec les politiques du Secrétariat du Conseil du Trésor adoptées par le demandeur, ainsi que pour les arguments opposés du commissaire selon lesquels les services ne doivent pas être essentiels.
[178] Le deuxième point est que le sens du terme « service » pourrait s’étendre à une division administrative ou à une division spécialisée. Les services définis jusqu’à présent par le Secrétariat du Conseil du Trésor comprennent des divisions administratives séparées et distinctes consacrées à une spécialité particulière et rendant service à d’autres employés des institutions fédérales. La version française de « service » a une définition similaire d’un « organe d’une entreprise chargé d’une fonction précise, ensemble de personnes assurant cette fonction ».
[179] Dans la mesure où il est possible de distinguer les définitions de soutien basées sur des relations individuelles par opposition à des relations administratives, la définition alternative en tant que composante administrative spécialisée est pertinente. La Cour est de cet avis, car on suppose que les rédacteurs se seraient penchés sur ce que signifiaient les services dans les institutions fédérales au moment de la rédaction de l’article 36(1)a).
[180] Le fait est que la plupart des composants de service sont des divisions administratives spécialisées. Il serait logique que les dispositions de la LLO relatives aux langues de travail ne visent pas à modifier les structures du gouvernement, mais plutôt à s’appliquer aux services déjà identifiés comme tels, tout en offrant la possibilité d’une croissance ou d’un changement au besoin. Cela expliquerait également pourquoi le Conseil du Trésor a différencié les services de formation et de perfectionnement professionnel parce qu’ils ne sont pas considérés comme des unités administratives de services dans les institutions fédérales.
[181] Ce que je tire toutefois de cette discussion, c’est que le terme « service » doit revenir à son sens générique fondamental pour englober toute question de services possibles nécessitant que le service soit fourni dans la langue officielle de la personne à laquelle le service est fourni. En d’autres termes, la définition de base du service reste « donner une assistance ou un soutien à » d’autres employés dans le contexte de l’article 36(1)a). Ce qui doit être présenté comme élément supplémentaire est le premier facteur limitant, notamment que les services sont destinés aux employés « à titre de services auxiliaires », suivi du deuxième facteur limitant, à savoir qu’ils doivent être fournis à titre de services centraux.
4) Voici les services fournis aux employés « à titre individuel »
[182] Tel que mentionné, aucune des parties ni l’intervenant n’ont sérieusement envisagé le sens de la catégorie de services individuels. Au lieu de cela, ils ont concentré leur attention sur la catégorie de services auxiliaires. Le fait de ne pas tenir compte de la catégorie de services individuels pose un problème, car cela empêche de donner une vision globale de la finalité des deux services et de la manière dont ils sont censés être distingués ou se compléter, le cas échéant.
[183] Interpréter le sens de services fournis aux employés « à titre individuel » ou « as individuals », lorsqu’un seul mot est utilisé dans un syntagme prépositionnel, pose des problèmes d’interprétation. Mais la brièveté imprègne tout l’article 36(1)a). Cela ajoute au défi de « jauger » sa signification. Il est important de noter que cela aboutit à un processus d’interprétation qui dépend d’une analyse contextuelle qui interprète la disposition dans son ensemble.
[184] La Cour commence par analyser en limitant dans une certaine mesure le choix du terme « personnel » pour désigner la catégorie de services individuels, tel qu’il a été adopté dans les politiques du Conseil du Trésor. « Individuel » et « individual » sont les termes utilisés dans l’article 36(1)a) pour démarquer la catégorie individuelle, mais ils ont un sens différent utilisé comme adjectif, c.-à-d. « services individuels » par opposition à « services personnels ». La Cour admet que le terme « personnel » est l’étiquette pratique à appliquer à la catégorie de services individuels. Néanmoins, de l’avis de la Cour, le terme est quelque peu trompeur quant à l’intention du législateur de décrire la catégorie de services individuels, ce qui résonne par la suite lorsqu’on interprète la catégorie de services auxiliaires. Je continuerai à appliquer l’étiquette réglementaire dans cette affaire.
[185] Tous les services sont personnels dans le sens où ils sont toujours fournis à des personnes. Ceci s’applique certainement aux services relatifs à la langue, qui ne peuvent être fournis qu’à des personnes. Comme le terme « personnel » s’applique à tous les services, il ajoute un peu de confusion à la distinction entre les catégories. Cela ne donne pas non plus exactement le même sens de « à titre individuel » appliqué aux services.
[186] Les définitions anglaise et française de « individual » et « individuel », également tirées du dictionnaire Merriam-Webster et du Larousse Dictionnaire de français donnent les sens suivants aux mots respectifs (non souligné dans l’original).
Merriam-Webster
individual […]
1 a : of, relating to, or distinctively associated with an individual // an individual effort ([traduction] 1 a : de, relatif à, ou associé distinctement à un individu // un effort individuel)
b : intended for one person // an individual serving ([traduction] b : destiné à une seule personne // service individuel)
c : being an individual or existing as an indivisible whole ([traduction] c : être un individu ou exister comme un tout indivisible)
2 : having marked individuality // an individual style ([traduction] 2 : avoir une individualité marquée // un style individuel)
3 :existing as a distinct entity : separate ([traduction] 3 : exister en tant qu’entité distincte : SÉPARÉE)
Larousse
Individuel […]
[…]
Qui est conçu pour une seule personne ou qui concerne une seule personne : Convocation individuelle.
[187] La distinction entre individu et personnel s’explique peut-être mieux dans un court article d’Internet (https://www.differencebetween.com/difference-between-person-and-vs-individual/ [« Difference Between Person and Individual »]), qui rend compte de la distinction comme suit [non souligné dans l’original] :
[traduction] […] Dans une société pleine de personnes, nous avons des individus qui présentent des caractéristiques différentes. Une foule est composée d’individus, mais chaque individu est aussi une personne. Le mot individu est utilisé dans le sens de présenter des propriétés ou des caractéristiques uniques d’une personne. Les personnes qui connaissent une célébrité de près utilisent souvent le mot individu pour la décrire en tant que personne.
[188] En conséquence, les définitions du dictionnaire suggèrent que la signification de la catégorie individuelle ferait référence aux services destinés aux employés qui visent à répondre à leurs besoins individuels en reflétant leur individualité. En d’autres termes, les services sont destinés à servir chaque personne en fonction de sa caractéristique première d’individualité, par opposition à tout attribut secondaire ou supplémentaire dérivant de son individualité.
[189] Si nous discutons des concepts d’avantages ou d’assistance conformément à la définition d’un service, ils doivent logiquement s’appliquer à tous les employés, c’est-à-dire toutes les personnes de l’institution, en vue de répondre à leur individualité première et aux besoins individuels de chaque personne. Ils ne sont pas essentiels ni liés à l’exercice de leurs fonctions, mais sont fournis par le simple fait d’être membre de la famille des employés de l’institution. Ils sont fournis pour qui vous êtes et non pour ce que vous faites.
[190] Dans la mesure où les politiques du Secrétariat du Conseil du Trésor décrivent correctement les exemples de services classés dans chaque catégorie, elles incluraient notamment ceux liés aux services administratifs assurant la paie, les avantages sociaux, la santé, la sécurité, le bien-être, le développement personnel ou le perfectionnement professionnel de l’employé qui sont ouverts à tous les employés sans relation avec le rendement spécifique du poste qu’ils occupent ou avec un attribut secondaire qui les définit, comme ce pour quoi ils sont formés pour un poste.
[191] Abordant cette question sur une base plus pratique et de sens commun, si le législateur décidait de ne désigner que deux catégories manifestement importantes de droits des employés de recevoir des services (c’est-à-dire une assistance) dans la langue de leur choix, le système commencerait sûrement par un service dans l’institution qui était offert à tous les employés. Cela serait indépendant de tout attribut personnel ou toute contribution de l’employé à l’institution qui pourrait se refléter à un poste spécifique de l’employé auprès de l’employeur. Si le service s’applique à tous les employés, il n’y a aucune base permettant de faire la distinction entre fournir le service à certains employés et pas à d’autres. En d’autres termes, logiquement, la catégorie individuelle la plus évidente d’un service disponible dans l’une ou l’autre des langues officielles serait un service qui s’appliquerait à tous les membres de l’institution, sans se soucier de ce qu’ils font pour contribuer à l’institution, ou plus précisément au poste pour lequel ils ont peut-être été formés. C’est une forme d’avantage qui découle du fait d’être un employé d’une institution fédérale.
[192] En conséquence, la Cour est convaincue à ce stade de son analyse que les services fournis aux employés à titre personnel semblent avoir vocation à s’appliquer aux services fournis à tous les employés de l’institution, sans égard aux attributs qui pourraient leur être attribués par leurs fonctions à un poste. La conclusion est provisoire, dans la mesure où la définition de la portée de la catégorie individuelle devrait être cohérente et en harmonie avec celle de la catégorie auxiliaire, comme il est indiqué ci-dessous.
5) Services fournis au personnel à titre de « services auxiliaires »/« to support employees in the performance of their duties »
a) L’expression verbale en anglais « provided to support employees in the performance of their duties » [destinés au personnel à titre de services auxiliaires] est redondante au sens de « services »
[193] La Cour a à l’esprit la conciliation des versions bilingues de la catégorie de « services auxiliaires ». Le concept de service « à titre central » ne suscite aucune inquiétude à ce stade. Il est expressément mentionné dans les deux versions, sans aucune suggestion que les termes soient interprétés différemment dans chaque langue. Il peut être mis de côté pour examen à ce stade, au moins jusqu’à la fin de l’analyse qui suit.
[194] À ce stade-ci, le problème est plutôt le sens à attribuer au terme « services auxiliaires » utilisé dans la version française, dans la mesure où il se rapporte à son équivalent correspondant en anglais« support them in the performance of their duties ». Comment la Cour peut-elle concilier le terme unique « auxiliaire[s] » en lien avec les services, de manière à exprimer le même concept de la phrase « fournis […] destinés [au personnel] à titre de services auxiliaires », et opérer la distinction entre les deux catégories de services, comme le prévoit la disposition anglaise?
[195] En essayant de réconcilier les deux versions, la Cour rend hommage à ce qu’elle a décrit comme l’approche cartésienne des rédacteurs francophones. Cette approche repose souvent sur une analyse déductive et conceptuelle pour compléter les concepts apparemment manquants trouvés dans la version anglaise, tout en évitant la répétition de concepts inutiles. Cela permet au langage précis de souligner ses éléments les plus significatifs. Contrairement à l’idée fausse selon laquelle il faut plus de mots en français pour exprimer le même sens en anglais, cela est souvent dû à la traduction, par opposition à la corédaction. L’article 36(1)a) est un exemple de la brièveté d’une version corédigée par rapport à la version en anglais. La question est la suivante, a-t-elle obtenu un sens similaire? À mon avis, c’est le cas.
[196] Le demandeur et le commissaire ont fait fi du terme « services auxiliaires » à l’exception d’une fonction de dénomination pour la catégorie auxiliaire sans le définir. L’approche interprétative était que le terme « auxiliaires » manque de clarté par rapport à la version anglaise qui décrit le service rendu par un employé en assistant l’autre dans l’exercice de ses fonctions. Je suis d’accord avec cette affirmation selon laquelle la version anglaise exprime la définition appropriée de la deuxième catégorie sur la base de son libellé clair. Mon objectif ici est toutefois de confirmer que la version anglaise ne peut pas être réconciliée avec son partenaire français ou d’assurer que le terme « auxiliaires » ne revêt pas un autre sens. Cela va de pair avec ma quête de concilier tout le contenu de l’article 36(1)a) qui s’est soustrait à une interprétation complète à ce jour.
[197] À l’inverse, le défendeur s’est concentré sur l’expression « services auxiliaires » sans tenir aucunement compte de la disposition dans son ensemble. Le terme a été utilisé par le défendeur pour définir la fonction d’un service, sa nature secondaire étant d’appuyer la tâche principale : le terme « auxiliaire » semble être exprimé dans la version anglaise par l’expression « to support them in the performance of their duties ». Je souscris à cette observation jusqu’à un certain point. Mais, ce qu’il faut comprendre, c’est la composante relative à « l’exécution de leurs tâches » reste encore à déduire du contexte. Cette composante de la catégorie auxiliaire n’est pas traduite dans le terme « auxiliaire », seul le concept de soutien est exprimé.
[198] L’adjectif français « auxiliaire » est défini dans Larousse, Le Petit Robert et dans un dictionnaire Internet intitulé « Linternaute », avec les mots apparentés entre crochets :
Larousse
auxiliaire adjectif : Qui s’ajoute à quelque chose d’autre, momentanément ou accessoirement : Service auxiliaire.
accessoire adjectif : Qui accompagne une chose principale, qui s’ajoute à titre secondaire : Ne pas s’arrêter aux détails accessoires.
Le Petit Robert
« auxiliaire » : « Qui agit, est utilisé en second lieu, à titre de secours » « Personne qui aide en apportant son concours »
Linternaute
auxiliaire, adjectif : Qui aide, accessoirement ou temporairement.
accessoire : Qui est secondaire par rapport à un phénomène qu’il accompagne.
(www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/auxiliaire/)
[199] Les définitions de « auxiliaire », de « qui aide en apportant son concours » et de « qui aide, accessoirement » sont redondants au sens de « service », « apporter assistance ou soutien à ». En effet, c’est un pléonasme de répéter la définition d’un « service » dans l’expression « services auxiliaires ». Cela signifie que sa référence par le défendeur n’ajoute rien à son sens. Il manque toujours le lien pour démontrer que le service est destiné à faciliter l’accomplissement des tâches des autres employés.
b) L’expression « dans l’exercice de fonctions » peut être déduite contextuellement du terme « auxiliaire »
[200] Étant donné que le terme « auxiliaire » semble redondant par rapport à celui de « service », je conclus que son but n’est pas de reprendre à moitié le sens de la version anglaise, sans saisir l’objet du service qui est d’assister « dans l’exercice des fonctions ». Je conclus plutôt que le terme est utilisé pour distinguer la catégorie auxiliaire de la catégorie individuelle.
[201] Ce qu’il faut, c’est définir la catégorie auxiliaire afin de la distinguer de la catégorie individuelle. Cela, le terme « auxiliaire » le fait très bien, surtout quand les termes sont placés côte à côte, exactement comme ils sont dans l’article 36(1)a) : « tant les services qui lui sont destinés, notamment à titre individuel ou à titre de services auxiliaires » [soulignement ajouté]. Cette construction des deux catégories étant liée logiquement par le terme auxiliaire ayant un sens opposé au terme individuel, son sens est confirmé par le parallélisme de la structure du libellé utilisé dans la version française. Ce qu’il faut maintenant, c’est une analyse déductive pour que les versions anglaise et française aient un sens parallèle similaire.
[202] La première étape déductive consiste à reconnaître que la catégorie individuelle est définie comme des services fournis sans tenir compte des attributs du poste de l’employé, c’est-à-dire fournis à tous les employés de l’institution à titre personnel. Étant donné que le législateur n’a ordonné que deux catégories de services à l’article 36(1)a), il s’ensuit que la catégorie auxiliaire doit être un attribut unique de l’individualité de l’employé, qui est la première catégorie.
[203] Cela fait avancer la deuxième étape déductive. Dans un contexte de langue de travail, cet attribut secondaire ou « auxiliaire » ne peut qu’être en lien avec le poste des employés dans l’institution. Cela ne peut à son tour qu’être en lien avec les fonctions que comporte le poste de l’employé. Cela suit parce que les postes sont définis par leurs fonctions.
[204] Enfin, une fois que le terme « auxiliaire » a un rôle légitime dans la distinction de la catégorie auxiliaire de la catégorie individuelle à l’égard des fonctions du poste occupé par l’employé, il doit en résulter que le service visé à l’article 36(1)a) rattachant au poste de l’employé ne peut être offert qu’en vue d’atteindre l’objectif principal de l’institution pour lequel elle rémunère l’employé. Le service doit être fourni au personnel afin d’aider les employés à s’acquitter de leurs obligations vis-à-vis de l’employeur, qui consiste à s’acquitter de leurs fonctions. Aucune autre explication n’est plausible.
[205] Autrement dit, la Cour est convaincue à première vue que, par le processus de déduction appliqué aux définitions et au contexte des termes appliqués à la deuxième des deux seules catégories, la deuxième catégorie, que je qualifie de catégorie auxiliaire, doit faire référence aux services fournis aux employés pour les assister ou les appuyer dans l’exercice de leurs fonctions (à titre de « services auxiliaires »). Ceci à son tour confirme le libellé clair de la version anglaise, et est confirmé par celui-ci.
6) Les services ne doivent pas nécessairement être « essentiels » pour être fournis à titre de services auxiliaires
[206] La Cour doit encore examiner une autre question à régler avant de passer à l’interprétation du terme « central », à savoir si le service doit être « essentiel » pour être fourni à titre de service auxiliaire. Cette exigence se trouve dans la Politique de 2012 du Conseil du Trésor, qui reste en vigueur à l’heure actuelle. Le demandeur s’est appuyé sur la politique pour décrire le caractère essentiel comme une qualité qui définit le service, dans la mesure où il affirmait que les services du spécialiste étaient essentiels pour qu’il puisse s’acquitter de ses fonctions. Le commissaire, du moins dans ses observations à la Cour, qui diffèrent de la conclusion du Rapport d’enquête final, et le défendeur rejettent l’exigence supplémentaire selon laquelle les services doivent être essentiels à l’exercice des fonctions. Je suis d’accord avec le défendeur.
[207] D’abord, je dis une question à régler pour un certain nombre de raisons, en plus du fait que le terme « essentiel » ne figure pas à l’article 36(1)a). La Cour aurait une préoccupation supplémentaire si les services sont jugés essentiels, car cela aurait une incidence sur la conclusion selon laquelle le terme « auxiliaires » a le même sens que son équivalent anglais. Un tel sens ne pourrait résulter que du terme « support » (« soutien ») dans la version anglaise. Si tel est le cas, cela ajouterait à la version anglaise un élément qui ne figurait pas dans la version française de l’article 36(1)a). Deuxièmement, si le caractère essentiel est un facteur limitatif d’un service, il faudrait repenser la fonction de « centrally/centraux » en tant que facteur limitatif de la catégorie auxiliaire que je lui attribue, compte tenu de la définition large du terme « services ».
[208] La définition de « support » (« soutien ») dans le dictionnaire évoque toute une gamme de sens en fonction des circonstances. Globalement, j’estime que le terme est synonyme d’assistance ou d’aide dans le contexte de l’article 36(1)a). Les services limités à ceux qui sont essentiels élimineraient de nombreux services reconnus. Cette conclusion peut être tirée de la définition de « support » (« soutien ») des dictionnaires en ligne Merriam-Webster et Oxford. Le dictionnaire Oxford semblerait décrire plus clairement les deux sens en conflit. Les deux sont présentés ici (non souligné dans l’original) :
Merriam-Webster
2 a […] (2) : to uphold or defend as valid or right : ADVOCATE // supports fair play ([traduction] (2 a […] (2) : soutenir ou défendre comme étant comme valide ou juste : DÉFENDRE // soutient l’esprit sportif)
[…]
2 b (1) : ASSIST, HELP // bombers supported the ground troops ([traduction] 2 b (1) : ASSISTER, AIDER // les bombardiers ont soutenu les troupes au sol)
2 (2) : to act with (a star actor) ([traduction] 2 (2) : agir avec (un acteur vedette))
[…]
3 a : to pay the costs of : MAINTAIN // support a family ([traduction] 3 a : payer les coûts de : ENTRETENIR // soutenir une famille)
3 b : to provide a basis for the existence or subsistence of… ([traduction] 3 b : fournir une base pour l’existence ou la subsistance de […])
4 a : to hold up or serve as a foundation or prop for ([traduction] 4 a : tenir ou servir de base ou d’appui pour)
4 b : to maintain (a price) at a desired level by purchases or loans; also : to maintain the price of by purchases or loans ([traduction] 4 b : maintenir (un prix) à un niveau souhaité par des achats ou des prêts; aussi : maintenir le prix des achats ou des prêts)
5 : to keep from fainting, yielding, or losing courage : COMFORT ([traduction] 5 : empêcher de s’évanouir, de céder ou de perdre courage : RÉCONFORTER)
6 : to keep (something) going ([traduction] 6 : continuer (quelque chose))
Oxford
[verb with object] : ([traduction] [verbe avec objet] :)
2 Give assistance to, especially financially. ([traduction] 2 Donner de l’aide, surtout financièrement.)
Synonyms : help, aid, assist ([traduction] Synonymes : aide, assistance, secours).
[as adjective] ( [traduction][comme adjectif])
2.5 supporting (of an actor or a role) of secondary importance to the leading roles in a film. ([traduction] 2.5 soutien (d’un acteur ou d’un rôle) d’importance secondaire par rapport aux rôles principaux dans un film.)
[209] Le terme a un large éventail de sens de soutien allant de « aide » ou « assistance » à fournir un fondement essentiel sur lequel la chose ou la personne servie se base. Mais cette dernière définition ne s’applique pas à un large éventail de services s’appliquant à l’exercice de fonctions dont beaucoup ne font qu’assister, les dictionnaires en ligne fournissent les définitions pertinentes suivantes du terme « aider », là encore (non souligné dans l’original) :
Merriam-Webster
: to give usually supplementary support or aid to // She assisted the boy with his lessons. ([traduction] donner habituellement un soutien supplémentaire ou une aide à // Elle a aidé le garçon avec ses leçons.)
Oxford
1 Help (someone), typically by doing a share of the work. ‘a senior academic would assist him in his work’ ([traduction] 1 Aider (quelqu’un), généralement en faisant une part du travail. « un universitaire expérimenté l’aiderait dans son travail »).
[210] Ainsi, le concept d’assistance consiste à aider les personnes à faire quelque chose qu’elles pourraient faire elles-mêmes, mais avec une assistance, elles sont en mesure de fonctionner de manière plus efficiente, plus rentable, plus efficace, etc. Cela ne suggère aucun sens d’être essentiel ou nécessaire à la personne servie. Le terme « support » pourrait donc restreindre le sens des services, s’il est interprété comme un élément essentiel et nécessaire pour permettre à une personne d’accomplir sa tâche. Donc, il s’agit vraiment de savoir quel sens attribuer au terme soutien. Ironiquement, il a vocation à mieux s’appliquer à un environnement d’équipe, où, comme dans le cas des relations spécialistes/généralistes qui sont essentiels l’un à l’autre. Au fond, le caractère essentiel est la marque d’une relation d’équipe, pas d’une relation de service.
[211] Étant donné que de nombreux services aident uniquement les autres à faire leur travail mieux, plus efficacement, pas dans le sens d’être essentiel, j’en conclus que le caractère essentiel décrit un seuil trop élevé pour la définition d’un service dans un environnement de travail et qu’il est probablement peu pratique de mettre en œuvre. Par exemple, on ne peut pas dire que la formation et le perfectionnement professionnel sont essentiels à l’exécution des tâches. De la liste des services de 2004 dont on pourrait dire sont essentiels pour l’accomplissement des tâches ou auxiliaires, cela exclurait les services bibliothécaires par exemple. Voire, qu’il y a peu de situations où les fournisseurs de services, par opposition aux membres de l’équipe comme les généralistes et les spécialistes qui travaillent ensemble, peuvent véritablement être considérés comme étant essentiels ou indispensables à l’accomplissement de leurs tâches. Cela ne me semble pas être un ajout pratique ou réalisable à la définition de ce qui constitue un service.
[212] À mon avis, le législateur a utilisé le terme « support » dans la version anglaise plutôt que celui d’« assistance », car il offre un éventail plus large du degré d’aide que les services peuvent fournir aux employés, qui consiste en des services qui sont à la fois utiles et essentiels, indispensables à l’exécution des tâches.
[213] Une définition selon laquelle soutien signifie à la fois « assister » et être un « soutien essentiel » dans l’exercice des fonctions représente également le large éventail de services indirects définis dans la Politique de 2004 du Secrétariat du Conseil du Trésor, qui n’auraient autrement leur place dans aucune des deux catégories. Une analogie qui distingue les deux termes pourrait être un pylône qui soutient la structure du pont, de sorte que les feux de circulation puissent aider à diriger les véhicules sur celui-ci. Sans le concept de soutien essentiel dans la catégorie des services auxiliaires, il n’existe pas de prise en compte de tous les services indirects essentiels requis pour assurer le fonctionnement continu de l’institution, c.-à-d. la comptabilité et les achats administratifs, etc., et ainsi appuyer les employés dans l’exercice de leurs fonctions. En revanche, l’utilisation du terme « essentiel » tel qu’il est appliqué au soutien, aurait l’effet similaire contraire à celui recherché par le législateur.
[214] Il y a aussi l’argument selon lequel, si le législateur pensait que les droits relatifs aux langues officielles ne devraient s’appliquer qu’aux services essentiels ou nécessaires, il l’aurait clairement indiqué, compte tenu du large éventail de sens pouvant s’appliquer au terme soutien. Sur le plan contextuel, la Cour a à l’esprit à cet égard la disposition relative à la langue de travail des gestionnaires de l’article 36(1)c). Il requiert des superviseurs bilingues, là où « il est indiqué de le faire » (non souligné dans l’original) pour créer un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues. Comme on le verra dans l’interprétation de l’article 36(2), j’attribue la distinction entre nécessaire et approprié à la détermination si les personnes supervisées sont bilingues ou unilingues. Le fait est que « nécessaire » a une qualité indispensable obligatoire similaire à celle conférée par le terme « essentiel ». Ainsi, lorsque le législateur souhaitait indiquer que les droits linguistiques devaient être appliqués de manière obligatoire à un comportement quelconque sur le lieu de travail, il a clairement précisé l’exigence.
[215] Enfin, comme il est indiqué ci-dessus, la Cour attribue l’intention du législateur de limiter la portée des services liés à l’emploi par le recours aux équivalents correspondants « centrally/centraux ». Par conséquent, si le terme « soutien » est interprété de manière à limiter les services à ceux qui sont essentiels à l’exécution du travail, cela entraverait inutilement le pouvoir discrétionnaire que pourrait posséder la direction centrale de l’institution dans l’application de la disposition.
[216] Par conséquent, je suis convaincu que l’article 36(1)a) ne devrait pas être interprété de telle sorte que les services fournis aux employés d’institutions fédérales doivent être « essentiels » à l’exercice de leurs fonctions. Compte tenu de cette interprétation du terme « soutien », il n’y aurait aucune distinction entre les versions anglaise et française en ce qui concerne l’article 36(1)a).
7) Les services n’incluent pas l’assistance fournie par les « employés de l’équipe » les uns aux autres dans l’exercice de leurs fonctions
[217] Lors de l’examen des éléments de preuve et des conclusions factuelles mentionnées précédemment dans mes motifs, je conclus que le généraliste et le spécialiste travaillent en tant que membres interdépendants d’une équipe dont les membres partagent les responsabilités et dépendent les uns des autres pour accomplir leurs tâches. Bien que le spécialiste possède une connaissance supérieure des facteurs impliquant des domaines de risque particuliers, ils dépendent également des généralistes pour obtenir des informations pertinentes et les mettre à jour et avoir de rétroaction sur leur propre travail, car le service doit être appliqué au client.
[218] Pour préciser ce point, la Cour cite la définition suivante du terme « équipe » dans le contexte de l’emploi défini dans le Business Dictionary en ligne (http ://www.businessdictionary.com/definition/team.html) comme suit :
team
A group of people with a full set of complementary skills required to complete a task, job, or project.
Team members (1) operate with a high degree of interdependence, (2) share authority and responsibility for self-management, (3) are accountable for the collective performance, and (4) work toward a common goal and shared rewards(s). A team becomes more than just a collection of people when a strong sense of mutual commitment creates synergy, thus generating performance greater than the sum of the performance of its individual members.
[traduction]
équipe
Un groupe de personnes possédant un ensemble complet de compétences complémentaires nécessaires à la réalisation d’une tâche, d’un travail ou d’un projet.
Les membres de l’équipe (1) fonctionnent avec un degré élevé d’interdépendance, (2) partagent l’autorité et la responsabilité de l’autogestion, (3) sont responsables du rendement collectif et (4) travaillent à la réalisation d’un objectif commun et à un partage des avantages. Une équipe devient plus qu’un simple regroupement de personnes lorsqu’un fort sentiment d’engagement mutuel crée une synergie, générant ainsi un rendement supérieur à la somme du rendement de ses membres individuels. [Souligné dans l’original.]
[219] La Cour estime que la définition qui précède s’applique entièrement aux relations de travail entre les généralistes et les spécialistes du BSIF. Ce qu’il importe de noter dans cette définition du concept d’équipe, c’est que lorsque les employés travaillent ensemble, ils s’aident et se soutiennent régulièrement dans l’exercice de leurs fonctions, car c’est essentiel à la relation. C’est donc une autre distinction entre un employé de service et un employé d’équipe.
[220] Le concept d’équipe comprend donc le même libellé pour définir un service, la distinction étant donc la nature de la relation globale. En fin de compte, cela dépend des différences dans la nature des relations sur tous les points décrits ci-dessus. Mais une chose est certaine, le concept de fournir un service et celui d’être membre de l’équipe s’excluent mutuellement.
[221] Il est juste de dire qu’il n’y a aucun exemple où que ce soit dont la Cour a connaissance, ou qui a été porté à son attention, d’une conception aussi large d’un « service », bien qu’il s’agisse d’un terme largement utilisé à la fois dans les institutions gouvernementales et dans le monde.
[222] La distinction existe entre les services fournis de l’extérieur pour appuyer une équipe et ses tâches, et ceux des membres qui s’aident et s’assistent mutuellement au sein de l’équipe. Lorsque les employés travaillent ensemble pour mener à bien une tâche ou une mission, ils coordonnent et complètent leurs efforts pour atteindre l’objectif fixé par leur employeur. On ne comprend pas qu’un employé fournit un service à un collègue en aidant son collègue. Il n’y a pas de relation principale par rapport à auxiliaire dans un environnement d’équipe. En outre, la plupart des environnements de travail sont hiérarchisés, classés en fonction des compétences et des connaissances. Chaque fois qu’un nouvel employé commence à travailler en équipe, il entame le processus de formation en milieu de travail destiné à transmettre les compétences et les connaissances d’un employé ayant de l’ancienneté et étant plus expérimenté et plus qualifié. Le travail est normalement un processus d’apprentissage continu.
[223] De plus, l’idée de devoir examiner chaque relation de travail pour déterminer si un collègue fournit ou non un service, et la perturbation que cela causerait sur les lieux de travail des institutions fédérales, rend simplement la définition adoptée par le commissaire peu pratique et irréalisable pour ce qui est de la mise en œuvre.
[224] Il y a aussi la question d’imposer aux membres de l’équipe l’obligation de travailler dans la langue de choix d’un autre collègue de travail de l’équipe. La définition des services donnée par le commissaire s’appliquera dans toutes les régions bilingues. Le résultat sera que les employés bilingues possédant plus de compétences, d’expérience ou de connaissances seront identifiés comme fournisseurs de services et devront utiliser la langue de choix de leurs collègues bilingues censés recevoir des services de leur part sous la forme d’une formation en milieu de travail. Cela semblerait rendre le milieu de travail moins propice à l’usage des deux langues, chaque travailleur bilingue devant pouvoir communiquer dans sa langue maternelle, sapant ainsi l’intention du législateur de maximiser l’utilisation des deux langues officielles dans le lieu de travail puisque l’employé le plus expérimenté utilisera toujours la langue de l’employé le moins expérimenté et le moins qualifié. L’affirmation de ce droit pourrait également perturber les relations et l’efficacité de l’équipe de travail, ce qui ne favoriserait pas le soutien de ses membres dans l’exercice de leurs fonctions.
[225] En dernière analyse, le défendeur a raison de souligner que les services sont secondaires à l’activité principale de la personne à laquelle ils sont fournis, bien que le fait de faire cette seule déclaration ne soit pas très utile à la Cour. Ainsi, les professeurs de piano assistent les étudiants, les avions bombardiers soutiennent les soldats de l’armée sur le terrain, les techniciens réparent les articles achetés par les consommateurs ou les font fonctionner. En ce qui concerne l’environnement de travail en équipe, il est évident que le fournisseur de services doit être employé à l’extérieur de l’environnement de travail en équipe et sert de manière auxiliaire supplémentaire pour aider l’équipe à accomplir ses tâches en fournissant des services à ses membres.
[226] La nature tautologique secondaire/primaire du fournisseur de services assistant la personne qui reçoit le service signifie qu’il est unidirectionnel. La Cour n’est pas au courant de situations dans lesquelles les fournisseurs de services, par opposition aux membres de l’équipe, se fourniraient régulièrement des services mutuellement, ou bidirectionnellement ou multidirectionnellement les uns aux autres. Les fournisseurs de services ont pour seule fonction de soutenir les autres employés, et non l’inverse, car ils deviennent alors des membres de l’équipe partageant directement la responsabilité première de la réalisation du mandat de l’employeur.
[227] Ces conclusions s’appliquent également à tout apprentissage de connaissances ou de compétences susceptible de se produire lorsque les membres de l’équipe travaillent ensemble. Bien que l’apprentissage en milieu de travail soit évidemment une forme de formation, il n’acquiert pas cette définition d’un service au moyen des échanges internes entre membres de l’équipe, c’est-à-dire un apprentissage en milieu de travail.
[228] À ce stade, il convient de noter la distinction concernant les catégories dans lesquelles se rangent les services de formation (training) et de perfectionnement professionnel (professional development). Comme il a été indiqué, la formation est spécifiquement liée au travail et relève donc de la catégorie des services qui améliorent le rendement. D’autre part, le perfectionnement professionnel est censé aider les employés dans leur carrière, sans avoir pour objectif particulier d’améliorer l’exercice des fonctions spécifiques d’un employé. L’idée est que l’avancement professionnel est à plus long terme pour aider les employés individuels dans leur profession. Le terme français « perfectionnement professionnel » revêt le même sens. C’est donc un service lié à l’individualité de la personne et qui devrait être ouvert sous une forme ou une autre à tous les employés d’une institution.
[229] De plus, je conviens avec le défendeur que pour que le développement professionnel ou la formation soit un service, il doit être exécuté à l’extérieur des employés qui s’acquittent de leurs fonctions de travail habituelles, ce qui est exceptionnel par rapport aux échanges réguliers de renseignements qui nécessiteraient un certain degré d’organisation. Un exemple serait un séminaire organisé avec une structure spécialement pour former les employés.
[230] Le commissaire a reconnu l’exigence d’organiser la formation dans ses observations en faisant référence à la définition française de « formation » comme suit :
62. Le Commissaire propose la définition suivante de la notion de formation : « activité organisée visant à transmettre à une personne de l’information ou des instructions lui permettant d’améliorer ou de maintenir son rendement ou d’atteindre un niveau requis de connaissances ou de compétences. [Termium Plus, « formation », en ligne.]
[231] La définition de « organized » [traduction] (organisé) dans le dictionnaire Merriam-Webster est “having a formal organization to coordinate and carry out activities” ([traduction] « avoir une organisation formelle pour coordonner et réaliser des activités »). Cette définition de la formation correspondrait à la définition d’un service organisé dans la catégorie auxiliaire de l’article 36(1)a), car la formation est organisée et ne relève pas des tâches habituelles des employés.
[232] Je me réfère également ici à mes commentaires ci-dessus concernant la Politique en matière d’apprentissage du Secrétariat du Conseil du Trésor de 2017 et la définition qu’elle prescrit pour le sens de « formation/training ». Comme il a été indiqué, j’estime que le commissaire a implicitement adopté cette définition en s’appuyant sur la définition de Termium Plus. Ce faisant, le commissaire a sapé son argument selon lequel les collègues de travail dans une relation d’équipe par le transfert quotidien de renseignements entre les travailleurs les plus informés ou expérimentés et les travailleurs moins expérimentés comme une forme de formation en milieu de travail, cela pourrait correspondre à la définition de formation normalement appelée service décrite dans la définition de Termium Plus. L’équipe est officiellement organisée pour s’acquitter de son mandat et non pour fournir des services de formation mutuels. Si une formation a lieu, ce n’est pas le but de l’organisation, mais simplement un effet. Pour être un service organisé, il doit être organisé à cette fin et non à une autre fin.
[233] En conséquence, je rejette les observations de demandeur et du commissaire selon lesquelles les spécialistes fournissent un service aux généralistes au sens de l’article 36(1)a). La relation n’est pas celle des spécialistes fournissant des services aux généralistes, mais plutôt en tant que membres d’une équipe de travail. Ce sont des relations mutuellement exclusives.
[234] En outre, j’estime également qu’une telle formation en milieu de travail ne serait pas fournie à titre de service central, comme l’a soutenu le commissaire. Je termine mon analyse de l’article 36(1)a) par mon interprétation du terme « services centraux » et de son équivalent correspondant identique des services fournis « à titre de services centraux ».
a) « centrally provided » et « à titre de services centraux »
[235] Je trouve que les termes « centrally provided » et « à titre de services centraux » sont des équivalents correspondants identiques. Aux fins de cette discussion, j’utiliserai le terme « services centraux » pour limiter les services fournis pour soutenir les employés ne travaillant pas en équipe au sens large ci-dessus, afin de les aider dans l’exercice de leurs fonctions.
[236] Ma conclusion selon laquelle les deux termes sont des correspondants équivalents identiques est basée sur une conclusion implicite selon laquelle « centraux » fait référence de manière analogue à des services fournis à titre de services centraux par une décision du groupe de la direction de l’institution, ou par un niveau de direction délégué qui exerce ces pouvoirs. Cela n’est pas contesté. En outre, il n’est pas contesté que l’expression « services fournis à titre de services centraux » vise à limiter dans une certaine mesure la catégorie des services destinés à améliorer le rendement. Tel est l’esprit de la disposition selon laquelle la définition des services est très large dans le sens traditionnel du terme, mais cela signifie que leur portée doit être délimitée, objectif pour lequel le législateur nous a doté des termes « à titre central » ou « centraux ».
b) Observations du défendeur et du commissaire
[237] Ni le Rapport d’enquête final du commissaire ni le demandeur n’ont tenté de définir avec précision ce que sont les services fournis à titre de services centraux.
[238] Le BSIF exigerait que les « services centraux » soient ceux fournis à « tous les employés de l’institution (ou la quasi-totalité) ». Cela éliminerait les services fournis par les spécialistes, car « il s’agirait encore moins d’un service “central” puisque seule une catégorie restreinte d’employés du BSIF, les généralistes chargés de la surveillance des institutions financières, en bénéficierait ». Ainsi, l’argument du défendeur concernant les services centraux est quelque peu similaire à celui implicite pour la première catégorie comme étant celui fourni à tous les employés le qualificatif étant toutefois que le terme « central » pourrait également s’appliquer à la quasi-totalité des employés institution.
[239] De son côté, le commissaire n’est pas d’accord avec l’application des facteurs quantitatifs et la nécessité de mesurer la question des services sur la base qualitative de la nature du service lui-même et non du nombre de personnes servies. Plus important encore, le commissaire soutient que chaque fois que la structure de la relation de travail a été « organisée » par l’institution pour permettre à un groupe d’employés d’assister régulièrement un autre groupe, cela devrait être considéré comme la preuve d’une relation de service centralisée fournie par la direction.
[240] Pour arriver à cette conclusion, le commissaire va à mi-chemin en reconnaissant que le terme « central » signifie que la direction doit décider de créer des services en décrivant la signification du terme comme suit : « un caractère névralgique pour l’institution, en ce sens que celle-ci a pris la décision, à un niveau central ou relativement élevé de son administration, d’offrir ce service à ses employés ».
[241] Le commissaire nie toute exigence selon laquelle la décision doit être prise officiellement. Il s’agit plutôt de faits probatoires fondés sur la démonstration qu’une décision a été prise implicitement pour créer un service par le fait qu’il existe. Son observation sur ce point est le suivant (non souligné dans l’original) :
Il s’agit plutôt de vérifier, comme mentionné plus haut, si l’institution a pris la décision d’organiser sa structure institutionnelle de façon à mettre un service à la disposition de ses employés afin que ceux-ci puissent accomplir leurs tâches efficacement. Le fait qu’un groupe ou une catégorie d’employés a parmi ses fonctions centrales ou principales d’appuyer d’autres employés dans l’exercice de leurs fonctions, ou à l’inverse le fait qu’il est requis pour un groupe d’employés de solliciter les conseils et l’appui d’un autre groupe d’employés dans l’accomplissement de leurs tâches, sont des indices importants à cet égard. »
c) Analyse des services fournis à titre de services centraux
[242] L’interprétation que donne la Cour de l’article 36 (1)a) fournit deux catégories et services clairement définis, mais largement exprimés. Cela renforce logiquement la nécessité de les distinguer. Les parties et le commissaire conviennent que le terme « à titre central » vise d’une manière quelconque à limiter l’étendue des services devant être offerts dans les deux langues officielles aux termes de l’article 36(1)a). Sur cette base, je ne vois aucune limite quantitative à ce qui pourrait constituer des services fournis à titre de services centraux.
[243] De telles exigences quantitatives requérant un grand nombre de personnes recevant des services sembleraient éliminer les services bilingues dans de nombreuses régions où les services sont reconnus. Tels seraient les services de formation des employés. Par l’exigence que la formation doit être relative aux fonctions de l’employé, l’aspect quantitatif de la formation s’autolimite. Cela éliminerait également les fournisseurs de services spécialisés qui ne fourniraient pas de services à tous les employés, ni même à des groupes importants.
[244] En outre, il est également problématique de tenter de définir le seuil de l’étendue d’une quasi-totalité d’un service qui devrait être reconnu aux termes de l’article 36(1)a). Il n’y aurait aucune ligne de démarcation pour aider, par exemple si la question devient une question de pouvoir discrétionnaire nécessitant l’établissement de facteurs et le moyen de déterminer de manière raisonnable où la ligne doit être tracée dans chaque institution.
[245] De même, la Cour n’est pas d’accord avec le commissaire sur le fait que les considérations qualitatives devraient en quelque sorte définir les services fournis à titre de services centraux, pas plus d’ailleurs que le terme devrait être défini par une mesure quantitative, comme le prétend le défendeur. Cependant, je reconnais également que la proposition est simplement celle dans laquelle, lorsqu’une personne fournit un service, son essence ou sa nature qualitative doit être reconnue en priorité de sa nature quantitative. Je pense qu’il aurait suffi de contester la mesure quantitative du défendeur comme étant déraisonnable.
[246] D’autre part, la Cour n’est pas d’accord avec le commissaire sur la nature des éléments de preuve requis pour démontrer que la direction a pris la décision de créer un service central. À mon avis, le législateur souhaitait que la décision soit fondée sur la preuve d’une décision formelle prise par la direction de créer un service destiné à aider les employés dans l’exercice de leurs fonctions.
[247] Le dictionnaire en ligne Merriam Webster définit « formal » [traduction] (formel) comme “relating to or involving the outward form, structure, relationships, or arrangement of elements rather than content” ([traduction] « se rapportant à ou concernant la forme extérieure, la structure, les relations ou l’agencement des éléments plutôt que le contenu »).
[248] En d’autres termes, s’agissant de la preuve d’un service fourni à titre de service central, nous cherchons la norme de prise de décision dans les institutions fédérales. Dans ce cas, la décision repose sur la preuve que la direction centrale a mis en place un processus décisionnel approprié en vue de reconnaître et d’établir une composante « travail » des fournisseurs de services. L’exemple de la Politique en matière d’apprentissage de 2017 correspond parfaitement à mon opinion sur ce que le législateur voulait entendre par services qui sont fournis « à titre de services centraux par l’institution ».
[249] Le fait que la formation puisse varier considérablement quant à la façon dont elle est dispensée, au nombre d’employés participant à une séance de formation ou à la nature de l’activité de formation et des formateurs, ne permet pas de déterminer si la formation est un service fourni à titre de service central. La question est plutôt de savoir si l’administration centrale a expressément adopté des mesures positives et visibles pour reconnaître une forme de formation en tant que service. La formation peut être dispensée à titre individuel ou en groupe, ou dans n’importe quelle circonstance que la direction considère l’environnement d’apprentissage le plus approprié pour améliorer le rendement des employés. Il appartient à la direction de déterminer la formation.
[250] Par exemple, la Politique en matière d’apprentissage de 2017 décrit l’objectif et la mise en œuvre de la fourniture de services d’apprentissage dans la fonction publique fédérale aux paragraphes 3.1 et suivants, comme suit :
3.1 L’apprentissage, la formation, le perfectionnement en leadership et le perfectionnement professionnel constituent des éléments clés pour répondre aux défis du XXIe siècle. L’acquisition de connaissances et d’habiletés ainsi que le développement du savoir-faire en matière de gestion et de leadership sont essentiels à une gestion efficace de la fonction publique — il s’agit de l’assise d’un gouvernement attentif à ses citoyens, responsable et novateur.
3.2 Aux termes de l’alinéa 12.(1)a) de la Loi sur la gestion des finances publiques, les administrateurs généraux ont le pouvoir de « déterminer les besoins en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement des personnes employées dans la fonction publique et fixer les conditions de mise en œuvre de cet apprentissage, de cette formation et de ce perfectionnement. » Le Conseil du Trésor a le pouvoir, aux termes de l’alinéa 11.1(1)f) de la Loi d’« élaborer des lignes directrices ou des directives sur l’exercice des pouvoirs conférés par la présente loi aux administrateurs généraux […] ».
3.3 La présente politique vise à appuyer les administrateurs généraux dans l’exercice de leurs responsabilités en répondant aux besoins particuliers en formation de quatre groupes d’employés : les employés nommés pour la première fois, les gestionnaires à tous les niveaux, les spécialistes fonctionnels dans les domaines définis par l’employeur et tous les employés pour lesquels le Conseil du Trésor a décidé qu’une formation obligatoire était dans les meilleurs intérêts de la fonction publique. En outre, elle prévoit des mesures pour renforcer le leadership organisationnel et favoriser l’innovation. La mise en œuvre de la présente politique contribue à mettre en place une culture d’apprentissage dans la fonction publique du Canada qui en stimulera, guidera et favorisera la croissance en tant qu’organisation apprenante.
[251] Je conclus que le législateur souhaitait que la haute direction ait la responsabilité de déterminer ce qui constitue des services au sens de l’article 36(1)a) pour plusieurs raisons.
[252] Premièrement, la désignation de ce qui constitue un complément de service des employés devrait être une décision de la direction. Les gestionnaires des institutions ont la responsabilité ultime de veiller à ce que le mandat et les objectifs de l’organisme soient atteints. Les droits relatifs aux langues officielles dans ce domaine sont censés être un cadre de communications qui, pour ainsi dire, devrait être décliné sur les services une fois désignés par la direction comme nécessaires pour aider à atteindre ces objectifs. La direction est au meilleur endroit pour décider où cela conviendrait le mieux.
[253] Deuxièmement, la dernière chose que souhaiterait le législateur est une définition des services qui ouvre chaque bureau à un certain degré de spéculation sur le point de savoir si la relation entre les employés est basée sur le fait que les connaissances et les compétences sont transmises par des employés normalement organisés de manière hiérarchique pour maximiser les « produits livrables » des environnements d’équipe. Comme je l’ai indiqué plus tôt, j’estime respectueusement que l’interprétation que fait le commissaire de ce qui constitue un service serait hautement perturbatrice en premier lieu et continuerait de semer une incertitude dans les milieux de travail quant à l’application des exigences en matière de langues officielles.
[254] Troisièmement, il est un fait que les services ne peuvent être fournis dans bien des cas que si le destinataire du service peut comprendre ce qui lui est fourni. Ce n’est pas comme si la direction permettait que prévale une situation qui nuit à l’efficacité opérationnelle de son milieu de travail.
[255] Quatrièmement, les institutions fédérales doivent respecter une norme de processus décisionnel rationnel et transparent. Ce processus détermine le besoin d’une forme d’intervention ou de modification des procédures, représentant généralement le choix des options, accompagné d’une analyse du choix approprié et d’une orientation sur la meilleure façon de mettre en œuvre la décision. Cela ne signifie pas que les plaintes ne peuvent pas être déposées à propos de services, en effet elles sont portées tout le temps. Cela n’empêche pas non plus au commissaire d’intervenir ou de donner suite aux plaintes dans diverses affaires, y compris de contester l’institution en invoquant de mauvaises décisions dans la fourniture des services dans les deux langues officielles.
[256] La Cour souscrit également à sa conclusion selon laquelle les services fournis à titre de services centraux, parce que les décisions de la direction expressément examinées et mises en œuvre sembleraient constituer le moyen le plus approprié, voire le seul, de fournir de nouveaux services au-delà du minimum que le législateur semble avoir visé par les termes « notamment […] à titre de services »/« tant […] que ». La Cour conclut que le législateur avait l’intention de donner une portée que revêtira la fourniture de nouveaux services au-delà de ceux qui concernent l’ensemble du personnel ou sont liés à l’exercice de fonctions. Le groupe de gestion de l’institution est idéalement placé dans la position la plus appropriée pour déterminer quel type de nouveau service innovant devrait être désigné, et à quel moment, conformément à l’article 36(1)a).
[257] Dans cette affaire, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant qu’une décision positive a été prise pour que des spécialistes forment des généralistes en tant que service ordonné par le groupe de gestion du BSIF. Une preuve de cette nature, si elle existait, aurait été disponible dans la documentation interne, notamment en ce qui concerne les descriptions de poste des spécialistes et la documentation historique décrivant comment la structure de travail comprenant des généralistes et des spécialistes a été créée et mise en œuvre dans le but de former les généralistes. Une telle preuve ne m’a pas été présentée. Je doute également qu’une telle preuve existe, car il semble évident que les deux groupes d’employés ont été conçus pour fonctionner dans un environnement d’équipe plus large qui suppose une hiérarchie de participants, sans aucune ressemblance avec une situation de service.
[258] Si la formation a lieu dans une institution selon les politiques adoptées conformément aux directives ci-dessus, elle sera dispensée à titre de services centraux aux fins de l’article 36(1)a). La Politique en matière d’apprentissage de 2017 semble destinée à être adoptée dans une certaine mesure par toutes les institutions fédérales afin que, espérons-le, de tels problèmes ne se posent plus à l’avenir.
C. Conclusion sur l’interprétation des obligations en matière de langues officielles relatives aux services, article 36(1)a)
1. La définition des services fournis aux employés ou aux dirigeants est une fonction utile et organisée d’assistance ou de soutien essentiel fourni par les employés à d’autres employés qui ne travaillent pas en équipe. Les spécialistes travaillent en équipe avec les généralistes et ne leur fournissent pas de service.
2. Pour ce qui est des services fournis à titre individuel ou « as individuals », il s’agit de services pouvant être fournis à tous les employés à un moment donné, sous une forme ou une capacité simplement du fait qu’ils sont employés de l’institution, ce qui implique qu’ils sont fournis à titre de services centraux.
3. Quant aux services fournis « centrally provided »/« à titre […] centraux », ils comprennent les services fournis dans le but d’aider ou de soutenir essentiellement l’exécution des fonctions de l’employé qui ont été fournis par une désignation officielle de la direction de l’institution.
IX. L’interprétation et l’application de l’article 36(2)
A. Introduction
[259] Cette division est principalement liée à l’interprétation de l’article 36(2) de la LLO. Elle régit les droits résiduels relatifs à la langue de travail des employés des régions désignées aux termes de la partie V de la Loi. On examine aussi l’application secondaire des droits aux termes de l’article 36(2) aux droits linguistiques des collègues dans les régions non désignées où travaillent les spécialistes de Toronto. Enfin, l’article 91 est pertinent quant à l’interprétation de l’article 36(2). Il semblerait limiter les conséquences en matière de dotation qui, selon le demandeur, résulteraient autrement de l’application de l’article 36(2) afin d’exiger que les postes de spécialistes à Toronto soient désignés et dotés en personnel bilingue.
[260] L’article 36(2) est reproduit ici pour faciliter cette introduction et l’analyse qui suit :
36 […]
Autres obligations
(2) Il leur incombe également de veiller à ce que soient prises, dans les régions, secteurs ou lieux visés au paragraphe (1), toutes autres mesures possibles permettant de créer et de maintenir en leur sein un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles et qui permette à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre.
[261] L’article 36(2) oblige les institutions fédérales à créer et à maintenir des milieux de travail qui répondent à deux objectifs linguistiques. Le premier objectif est qu’ils soient propices à l’usage effectif des deux langues officielles. Le deuxième objectif est qu’ils permettent à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre langue officielle.
[262] L’interprétation de l’article 36(2) dans la décision Tailleur s’appuie en premier lieu sur le premier objectif qui impose aux institutions l’obligation de fournir un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles. En conséquence, la Cour dans la décision Tailleur conclut que l’institution ne peut pas recourir à la capacité bilingue d’un employé pour se soustraire à ses obligations en matière de droits relatifs à la langue de travail des employés. Cela a pour effet de créer une règle selon laquelle aucun employé bilingue ne peut être obligé de travailler dans la langue seconde de son choix, à moins que des considérations importantes ne le justifient (la règle d’aucune mesure d’adaptation).
[263] Le demandeur s’appuie sur la règle d’aucune mesure d’adaptation, qui a un effet secondaire qui donne aux employés bilingues le droit de travailler avec d’autres employés bilingues afin de leur permettre de faire un usage effectif de leur langue maternelle. Dans le cas des spécialistes à Toronto avec lesquels les généralistes travaillent régulièrement, le demandeur cherche à exercer son prétendu droit, et ce, au nom de ses collègues généralistes, en demandant au BSIF de mettre en œuvre des mesures visant à permettre au généraliste bilingue francophone de travailler avec des spécialistes bilingues à Toronto.
[264] L’exercice du droit du demandeur prévu à l’article 36(2) nécessitera donc la nouvelle désignation et la dotation d’un certain nombre de postes de spécialistes bilingues. Je décris ce principe de dotation comme un principe ou une exigence de « dotation collatérale bilingue ». La dotation est une dotation collatérale en ce sens qu’il s’agit de l’exercice du droit du demandeur en application de l’article 36(2) qui détermine les qualifications linguistiques liées au poste et sa dotation éventuelle, par opposition à ses fonctions.
[265] Contrairement à la décision Tailleur, je conclus selon mon interprétation de l’article 36(2), et en particulier du deuxième objectif, que les milieux de travail doivent permettre l’utilisation de l’une ou l’autre langue officielle. Par conséquent, le législateur voulait que les employés bilingues tiennent compte des besoins des employés unilingues dans une certaine mesure. En conséquence, selon mon interprétation de l’article 36(2), la question est résolue en grande partie au niveau institutionnel en déterminant si le « milieu de travail » est conforme en étant suffisamment propice à l’usage effectif des deux langues officielles, tout en permettant d’utiliser l’une ou l’autre langue officielle.
[266] L’article 91 prévoit ce qui suit :
Dotation en personnel
91 Les parties IV et V n’ont pour effet d’autoriser la prise en compte des exigences relatives aux langues officielles, lors d’une dotation en personnel, que si elle s’impose objectivement pour l’exercice des fonctions en cause.
[267] Je conclus que l’article 91 de la LLO, en tant qu’application du principe du mérite, interdit la dotation collatérale bilingue de postes aux termes de la partie V de la Loi.
[268] À cet égard, l’article 91 est dans une certaine mesure inconciliable avec l’article 36(2), qui vise à exprimer un droit garanti par la Charte. Je conclus donc que la conciliation de deux principes fondamentaux de la dotation et des droits linguistiques doit faire l’objet d’une médiation. Cela confirme en outre mon interprétation selon laquelle l’article 36(2) doit prévoir un certain degré de prise en compte par les employés bilingues des besoins des employés unilingues, car il reflète un compromis qui résulterait du droit de faire un usage effectif de sa langue maternelle et du fait que le milieu de travail comprendra à la fois et des employés bilingues et unilingues travaillant ensemble.
B. Observations des parties
1) Demandeur
[269] Le demandeur s’appuie presque entièrement sur la décision Tailleur pour étayer son argument selon lequel les postes de spécialistes à Toronto devraient recevoir une désignation de postes bilingues afin de leur permettre d’exercer pleinement leurs droits énoncés à l’article 36(2). Étant donné que j’analyse très minutieusement la décision Tailleur, il n’est guère utile de revoir ici les observations du demandeur.
[270] Le demandeur avance également ce qui pourrait être décrit comme un argument du milieu de travail généralisé basé sur les parties de la structure organisationnelle qui sont les suivantes :
78. […] L’aménagement institutionnel du BSIF le place nettement en porte—a-faux avec le principe de l’égalité réelle des langues officielles. Cette situation exigerait des mesures proactives de sa part pour contrecarrer les effets négatifs de son organisation interne. Or, le BSIF refuse de reconnaitre l’existence même d’un problème.
79. La preuve en l’espèce démontre clairement que le bureau de Toronto est désormais le co-siège de facto du BSIF. Il s’agit du bureau le plus important en termes d’effectifs (soit 345, contre 320 au bureau d’Ottawa, 20 à Montreal (sic) et 12 à Vancouver), le surintendant y possède un bureau, et l’on y retrouve plusieurs activités névralgiques, notamment la quasi-totalité du Groupe de soutien à la surveillance, lequel comprend les spécialistes qui appuient les surveillants dans leurs taches. Ce groupe compte environ 120 personnes.
80. […] Il en va de même pour les 225 autres postes du bureau de Toronto. Le fait d’avoir situé autant d’activités dans une région unilingue anglophone, surtout des activités centrales et névralgiques comme le soutien à la surveillance et la planification de la surveillance, fait en sorte que tout le BSIF — y compris les employés œuvrant dans des secteurs bilingues—se voit contraint de communiquer constamment en anglais et de prendre connaissance de documents rédigés dans cette langue.
[271] La preuve ci-dessus, qui n’est pas contredite, aurait bien pu figurer dans les discussions entre le BSIF et le commissaire qui ont abouti à la désignation de 11 postes de spécialistes à Toronto comme des postes bilingues. Toutefois, je n’attache pas beaucoup d’importance à la structure organisationnelle dans cette affaire, dans la mesure où j’ai bien compris que l’article 36(2) vise le milieu de travail du demandeur à Montréal. La question spécifique est de savoir s’il est conforme aux objectifs de la disposition et, si non, quelles mesures doivent être prises pour s’y conformer.
[272] Les éléments de preuve relatifs au milieu de travail linguistique et à la nature des communications entre les spécialistes de Toronto et les généralistes de Montréal sont décrits au paragraphe 83 du mémoire du demandeur de la manière suivante :
[…] Tel que mentionné, la vaste majorité des employés du BSIF situés à Toronto sont unilingues anglophones; les communications entre ces derniers et les employés de Montréal étaient extrêmement fréquents et en tous genres : conseils, encadrement, réunions, etc. Ces communications se faisaient uniquement en anglais, privant par-là les employés bilingues de Montréal de leur droit de travailler dans la langue de leur choix […]
[273] Afin de remédier à la situation au bureau de Montréal, le demandeur demande une mesure corrective qui ferait en sorte que tous les postes de spécialistes travaillant régulièrement avec les généralistes soient des postes désignés bilingues, comme il est indiqué au paragraphe 97 de son mémoire :
M. Dionne soumet qu’il aurait été raisonnable de rehausser les désignations linguistiques de tous les postes dont les titulaires doivent interagir sur une base régulière avec le personnel de la surveillance situé en région désignée bilingue, et ce, tous secteurs du BSIF confondus. Tel que le souligne M. Dionne dans sa preuve, les pratiques en matière de dotation du BSIF ont toujours été un facteur déterminant dans le maintien d’une culture foncièrement anglophone et un élément clé de son incapacité de desservir ses employés dans les deux langues officielles. Le rehaussement des désignations linguistiques de tous les postes pertinents permettrait de remédier à ce problème fondamental.
[274] Je tire les trois conclusions suivantes de ces observations : premièrement, le demandeur ne fait aucune distinction fondée sur le fait qu’il travaille dans une région bilingue alors que les spécialistes travaillent dans une région unilingue. Il est difficile de ne pas considérer cette relation de travail birégionale comme un paramètre factuel pertinent du cas à examiner.
[275] En ignorant la question, le demandeur conclut implicitement que la règle de dotation collatérale bilingue s’applique aux régions bilingues. Si j’acceptais son application au niveau birégional, je reconnaîtrais implicitement ce principe comme une proposition de dotation valable dans toutes les institutions fédérales. Dans les circonstances, je dois d’abord déterminer si l’article 36(2) s’applique dans les régions bilingues. Ce n’est que lorsqu’il sera déterminé que la règle de la dotation collatérale bilingue s’applique dans les régions bilingues que je serai en mesure de décider si elle devrait s’appliquer également aux postes situés dans des régions unilingues.
[276] Deuxièmement, la décision Tailleur énonçait, au paragraphe 82, la déclaration de principe suivante :
[…] l’institution fédérale ne peut pas contourner ses obligations en matière de langue de travail prévues par la partie V de la LLO simplement en recourant à des employés bilingues. La compétence linguistique des individus ne doit pas être un facteur dans la détermination des droits linguistiques.
[277] Ce commentaire fournit le fondement jurisprudentiel à l’argument du demandeur. Cela explique pourquoi la décision Tailleur doit être au centre d’une grande partie de mon analyse. Ceci en dépit du fait que les faits dans cette affaire sont totalement différents de ceux présentés en l’espèce, n’ayant aucune incidence directe sur la dotation ni sur l’application de l’article 36(2) à une région unilingue.
[278] Troisièmement, il s’agit en définitive d’une décision concernant les besoins en matière de dotation. Cela conduit à l’examen de l’article 91 de la LLO. Il indique qu’il a la priorité sur les parties IV et V pour empêcher que des droits linguistiques en découlent et influent sur la dotation d’un poste, à moins que les compétences linguistiques ne soient une fonction objectivement requise pour exécuter les tâches du poste. Une fois que le défendeur a soulevé la question de l’article 91 étant en opposition avec l’article 36(2) en tant que facteur que je dois prendre en compte, il n’y a pas lieu d’éviter d’examiner de plus près ce que cette disposition implique.
[279] Les observations du défendeur concernant l’application de l’article 36(2) montrent que le BSIF a déjà désigné 11 postes de spécialistes bilingues à Toronto dans le cadre de son règlement avec le commissaire. Par conséquent, le principal objectif du BSIF est de s’assurer qu’aucun autre poste ne doit être désigné bilingue. Dans cette mesure, j’estime que le défendeur a grandement sous-estimé le rôle de l’article 91 dans la limitation de l’application de la dotation collatérale bilingue.
[280] Cela est problématique pour la Cour. Cela signifie que, pour un motif quelconque inavoué, le BSIF a accepté qu’un certain nombre de ses postes de spécialistes soient désignés bilingues en réponse à la plainte du demandeur. Par son opposition aux arguments du demandeur selon lesquels les spécialistes fournissaient des services, l’article 36(1)a) n’était clairement pas à la base de ce résultat. Dans de telles circonstances, on pourrait croire que le BSIF a accepté le principe de la dotation collatérale bilingue comme une exigence établie découlant de l’article 36(2) et ne cherche à limiter son application catégorique qu’à tous les postes où les spécialistes travaillent avec les généralistes à Montréal.
[281] Le défendeur se réfère à l’article 91 de la LLO pour appuyer une observation assez limitée, en faisant valoir que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer pourquoi la désignation de 11 postes est insuffisante. La réponse du demandeur à cette observation est que la Cour devrait dire le droit concernant les obligations de l’institution en application de l’article 36, puis rester saisie de la question pour s’assurer que les obligations du BSIF sont remplies.
[282] La conséquence la plus importante du fait que le défendeur ait soulevé l’application de l’article 91, ne fût-ce que pour prévenir d’autres conséquences de la dotation des postes de spécialistes à Toronto, est que la Cour a été contrainte à se demander pourquoi la disposition ne devrait pas s’appliquer pour limiter la dotation collatérale bilingue en toutes circonstances. Ayant conclu que cela semblait être l’effet de la disposition, j’ai donné aux parties une directive leur demandant de présenter leurs observations sur la pertinence de l’article 91. J’aborde les observations en réponse à la directive ci-dessous.
[283] Le défendeur a également avancé une deuxième possibilité en brandissant le spectre d’un résultat inacceptable si le principe de la dotation collatérale bilingue était appliqué dans l’ensemble du BSIF. Le défendeur a fait valoir que le résultat serait difficilement réalisable et contraire aux objectifs de la LLO, car il exigerait que tous les employés du BSIF soient bilingues, quels que soient les besoins opérationnels de l’institution.
[284] La Cour admet que l’argument du demandeur, s’il était appliqué à d’autres employés dans une région bilingue, augmenterait considérablement le nombre de postes désignés bilingues dans les régions bilingues. Cela résulterait de ce que je décris comme le phénomène de « concaténation » de la dotation collatérale bilingue qui aurait tendance à se développer de façon exponentielle à mesure que davantage de postes sont désignés bilingues. Cela aurait aussi quelque peu tendance à toucher d’autres postes unilingues dans les régions unilingues qui travaillent régulièrement avec des employés bilingues dans les régions bilingues. Cela suppose bien entendu que l’article 36(2) a un effet de dotation collatérale dans les régions unilingues, ce que j’estime ne pas être le cas.
[285] S’agissant des résultats, il y a eu une discussion au sujet de la possibilité de séparer les employés unilingues de manière à ce qu’ils travaillent dans des « silos linguistiques » en tant qu’aménagement du milieu de travail afin d’éviter une dotation collatérale bilingue basée sur l’article 36(2). À mon avis, une telle pratique serait incompatible avec l’esprit de la LLO et, en particulier, avec l’article 36(2). Son objectif est de créer et de maintenir des milieux de travail propices à l’usage effectif des deux langues officielles et qui permettent aux employés d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles.
[286] Le demandeur a présenté une troisième série d’observations, quoique soutenue par peu d’analyses. Il a été dit que les observations allaient de soi en ce sens que l’argumentation du demandeur fait fi de : 1) l’existence de régions unilingues au Canada; 2) la nécessité pour la fonction publique fédérale d’avoir des bureaux et des employés dans ces régions; 3) la portée limitée des obligations des articles 36(1)a) et 36(2) qui ne s’appliquent qu’aux régions bilingues de la LLO; et 4) seulement dans la mesure où l’obligation se limite à s’assurer que le lieu de travail est propice à l’usage des deux langues officielles, et non à s’assurer que les employés peuvent interagir exclusivement dans la langue de leur choix.
[287] Je suis d’accord avec la quatrième observation selon laquelle l’article 36(2) met l’accent sur les milieux de travail et non sur les interactions entre employés. Cette observation, telle que développée, constitue la base de mes conclusions. De toute évidence, cette observation dépend de l’interprétation et de l’application de l’article 36(2), qui constitue la totalité de mon analyse, à l’exception de mon analyse de l’article 91.
3) Rapport final du commissaire de 2014
[288] Le commissaire a limité ses observations à l’interprétation de l’article 36(1)a), que j’ai déjà examinée. Néanmoins, le rapport final d’enquête du commissaire de 2014 souscrit à la position du demandeur. Dans la section du rapport intitulée « Fondement juridique », il est formulé les commentaires suivants :
Les employés de ces régions (bilingues) ont le droit de travailler en français ou en anglais, sous réserve des obligations touchant les services offerts au public et aux autres employés.
[289] Il s’agit en l’occurrence de l’observation du demandeur, bien que confirmée par le raisonnement dans la décision Tailleur, qui a été rendue après ce rapport. Je note que la déclaration fait référence à « travailler » dans la langue. Le commissaire aurait voulu parler du droit des employés de communiquer dans leur propre langue, car ils ne pouvaient évidemment pas demander à leurs collègues de communiquer avec eux dans leur propre langue, à moins qu’ils ne soient des fournisseurs de services.
[290] Également en ce qui concerne les services fournis entre différentes régions linguistiques, le commissaire a déclaré que, lorsqu’ils sont fournis de n’importe où au Canada à des employés se trouvant n’importe où ailleurs au pays, ils doivent être dans la langue de la personne qui reçoit le service. La Cour convient qu’il s’agit d’une règle raisonnable, voire nécessaire. Étant donné qu’un service ne peut être utile que s’il est compris par la personne qui le reçoit, la langue de communication doit être celle de cette personne.
C. L’article 91 et la dotation collatérale bilingue
1) Rien ne prouve que les institutions fédérales ont adopté des pratiques de dotation collatérale bilingue.
[291] La directive donnée aux parties et au commissaire par la Cour incluait une demande visant à obtenir tout élément de preuve accessible au public, sous forme de politiques et de directives, indiquant que les institutions fédérales ont adopté des pratiques de dotation collatérale bilingue, de manière à indiquer que l’article 36(2) était interprété comme ayant une incidence sur les pratiques de dotation en la matière. Je n’ai pas présumé qu’il était de mon pouvoir, dans un processus accusatoire, d’exiger des parties qu’elles fournissent des éléments de preuve, au-delà de ce que je pourrais trouver de nature publique qui pouvait servir de connaissance d’office sur cette question.
[292] La seule information pertinente fournie par les parties sur la désignation des postes bilingues semble être celle qui figure dans la Directive sur les langues officielles pour la gestion des personnes datée du 15 octobre 2012, dont les dispositions pertinentes sont les suivantes :
6.2 Identification linguistique des postes
Les gestionnaires sont responsables de :
6.2.1 (Identification linguistique) Déterminer l’identification linguistique des postes en s’assurant qu’elle reflète les fonctions et les tâches reliées au poste. Ce faisant, les gestionnaires doivent :
6.2.1.1 déterminer objectivement si le poste requiert l’utilisation d’une seule ou des deux langues officielles;
6.2.1.2 si le poste exige l’utilisation des deux langues officielles, établir objectivement le niveau de compétence linguistique requis dans la seconde langue officielle.
[293] La directive est assez ambiguë, bien qu’il semble que le paragraphe 6.2.1 reflète l’article 91 dans sa référence à l’exigence initiale d’une détermination objective des fonctions et tâches liées au poste afin de déterminer sa désignation linguistique. Bien que le paragraphe 6.2.1.1 n’indique pas comment les agents de dotation devraient déterminer si un poste requiert l’utilisation d’une seule ou des deux langues officielles, le terme « objectivement », tendrait à suggérer qu’il renvoie au paragraphe 6.2.1 lorsqu’il associe l’identification linguistique aux fonctions et tâches reliées au poste.
[294] En conséquence des observations du défendeur, bien que cela n’ait pas été avancé par le défendeur, il me semble que l’article 91 est très pertinent pour tout examen de l’article 36(2). En particulier, le libellé semble empêcher l’exercice d’une dotation collatérale bilingue, en particulier parce qu’il a la priorité sur « la prise en compte des exigences relatives aux langues officielles, lors d’une dotation en personnel » découlant de la partie V de la Loi, comme l’article 36(2).
[295] Étant donné que la Cour est l’ultime arbitre de l’interprétation de la LLO, je conclus que j’ai pour seul objectif d’examiner la pertinence de l’article 91 relativement à l’interprétation de l’article 36(2) et des mesures correctives relatives à la dotation demandées par le demandeur, même si le défendeur n’a pas avancé un argument aussi complet qu’on aurait pu s’y attendre de la part du BSIF.
[296] Mes directives aux parties et au commissaire leur demandaient leur avis sur la pertinence et l’application de l’article 91 à la présente affaire.
[297] Le demandeur et le défendeur, d’autre part, avancent des observations similaires en contestant la compétence de la Cour pour examiner l’article 91. Elles prétendent que comme il n’y a aucune plainte fondée sur l’article 91 concernant la légitimité d’une procédure de dotation, il ne s’agit pas d’une affaire sur laquelle le commissaire a enquêté et cela ne peut donc pas être du ressort de ma compétence pour examen. Cette observation semble confondre la pertinence de l’article 91 en tant que disposition contextuelle permettant d’interpréter le champ d’application de l’article 36(2), par opposition à une plainte fondée sur cette disposition en tant qu’une question présageant un examen.
[298] Le commissaire par intérim ne laisse pas entendre que la Cour est incompétente pour examiner l’article 91. Cela n’est pas surprenant compte tenu de ses observations précédentes selon lesquelles la Cour devrait se prononcer sur la question de l’article 36(2) lui-même, bien que cela n’ait pas été soulevé par le demandeur et que le commissaire ait entrepris d’enquêter sur les faits de sa plainte. Ses arguments appuient davantage le point selon lequel la disposition n’a qu’une application limitée et n’est pas pertinente pour le débat sur l’interprétation et l’exercice des droits énoncés à l’article 36(2).
[299] L’observation du demandeur selon laquelle je n’ai pas compétence est fondée sur la conception selon laquelle cela dépend des dispositions de la Loi qui définissent les obligations linguistiques des institutions fédérales. Cet argument se trouve au paragraphe 30 du mémoire supplémentaire du demandeur, qui est rédigé comme suit (non souligné dans l’original) :
Le principe énoncé à l’article 91, lorsqu’il s’applique, est forcément tributaire des dispositions de la loi qui définissent les obligations des institutions fédérales en matière linguistique. S’il est statué par le tribunal saisi d’un recours en vertu de la Partie X que la prestation de travail relevant d’un certain type de poste doit, en vertu d’une disposition des Parties IV ou V, être offerte dans les deux langues officielles, i1 en découlera nécessairement certaines conséquences au niveau des profils linguistiques. Si les profils actuels ne tiennent pas compte des obligations de l’institution telles qu’elles ont été définies par la cour, ils devront forcément être modifiés. Nul besoin d’intenter un recours évoquant directement l’article 91 pour en arriver à ce résultat.
[300] Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation de l’article 91. Son libellé ne suggère pas qu’il dépend de dispositions comme l’article 36(2), mais plutôt qu’il a préséance sur celui-ci et sur d’autres dispositions qui imposeraient des exigences linguistiques qui ne sont pas nécessaires pour l’exercice des fonctions du poste. Le demandeur reconnaît implicitement la raison pour laquelle l’article 91 doit être examiné dans cette affaire : c’est-à-dire qu’il existe un lien direct entre l’exercice des droits linguistiques et les résultats en matière de dotation. De même, le législateur, par son article 91, reconnaît clairement le lien direct entre les droits linguistiques et les obligations en matière de dotation. C’était avec cette compréhension très claire du lien que le législateur a indiqué que les exigences fonctionnelles du poste devraient prévaloir sur les droits linguistiques dans le domaine de la dotation conséquente afin de respecter le principe du mérite.
[301] Ce qui est donc surprenant, c’est l’incapacité du demandeur, du défendeur et du commissaire à comprendre que l’article 91 est une déclaration du législateur selon laquelle le principe du mérite devrait avoir préséance sur les droits linguistiques dans le domaine de la dotation des postes. Il ne peut en être autrement, car le principe de dotation fondé sur la méritocratie est le principe fondamental qui sous-tend la légitimité du gouvernement fédéral aux yeux de tous les Canadiens raisonnables.
[302] Par conséquent, il y a plusieurs difficultés liées aux observations qui suggèrent que je n’ai pas compétence pour examiner l’article 91. Premièrement, l’article 91 est pertinent sur le plan contextuel pour l’interprétation de l’article 36(2). L’article 91 va à l’encontre de l’interprétation catégorique de l’article 36(2) en ce qu’il exige que les postes de spécialistes soient désignés à nouveau comme bilingues. Cela corrobore mon interprétation de l’article 36(2) selon laquelle le législateur voulait que le deuxième objectif exige la prise en compte des besoins des employés unilingues par leurs collègues bilingues. Un principe consacrant la dotation en personnel bilingue conséquente va à l’encontre de l’intention du législateur.
[303] Deuxièmement, la Cour doit tenir compte des issues probables qui résultent de son interprétation de la disposition. En effet, c’est le point de départ de toute interprétation d’une disposition législative. Le demandeur plaide pour une interprétation de l’article 36(2), qu’il reconnaît cherche un recours demandant à la Cour d’ordonner au défendeur de modifier les qualifications linguistiques des postes à Toronto à la suite de l’exercice des droits que lui confère l’article 36(2). Si l’interprétation de la partie V de la Loi a pour résultat de déterminer les exigences linguistiques en matière de dotation, il est évident qu’une disposition limitant l’application de ces exigences aux termes de la partie V est pertinente sur le plan contextuel pour son interprétation et le redressement que le demandeur cherche à obtenir de la Cour.
[304] Troisièmement, le défendeur a avancé des arguments selon lesquels la Cour devrait appliquer l’article 91 pour restreindre l’étendue des redressements du demandeur exigeant que des postes de spécialistes supplémentaires soient désignés à nouveau. Cela m’oblige à examiner l’application de la disposition. De plus, le défendeur indique une liste d’issues problématiques, l’article 36(2) devrait-il être appliqué de sa manière la plus catégorique, comme le soutient le demandeur? Le défendeur plaide que l’application de l’interprétation de l’article 36(2) par le demandeur aurait pour effet d’éliminer les possibilités pour les Canadiens unilingues de trouver des postes tant dans les régions bilingues que dans les régions unilingues.
[305] Compte tenu de ces arguments, la Cour ne comprend pas pourquoi le défendeur n’a pas avancé l’article 91 en tant que disposition pertinente sur le plan contextuel pour l’interprétation de l’article 36(2). La Cour, ayant soulevé la question de la pertinence de l’article 91, est donc d’autant plus étonnée que le défendeur n’ait pas soutenu que l’article 91 allait à l’encontre de l’obligation de doter tous les postes de spécialistes à Toronto de la même manière qu’il soutient fermement que les spécialistes ne fournissent pas de services aux généralistes au sens de l’article 36(1)a). Je ne vois aucune différence de fond dans l’application de l’article 91, comme l’a prétendu le défendeur que la disposition est pertinente parce que le demandeur n’a pas fourni de preuve à l’appui de la dotation supplémentaire, une telle preuve étant également requise pour la désignation bilingue de tous les postes à Toronto. De plus, une fois que le défendeur soulève l’entrée en jeu de l’article 91 aux fins d’examen de la Cour, la disposition devient une question sérieuse que je suis obligé de suivre jusqu’à la fin pour déterminer sa pertinence par rapport aux questions en litige.
[306] Quatrièmement, on ne voit pas comment la Cour pourrait éventuellement examiner l’article 91 si ce n’était dans le cadre d’une affaire visant à obtenir un redressement en application de l’article 36(2) qui conclut dans une déclaration de la Cour que le BSIF est tenu de désigner des postes de spécialistes supplémentaires à Toronto comme étant bilingues essentiels. Ayant rendu cette décision, une plainte déposée par un candidat potentiel à l’un des postes de Toronto le ferait entrer dans les procédures de règlement de traitement des plaintes labyrinthiques du commissaire, qui ne pourraient prendre fin que longtemps après que les postes auront été pourvus à Toronto. Nul doute que l’argument serait également présenté soutenant que la question est une chose jugée par ma décision. Le commissaire pourrait alors trouver un arrangement avec le BSIF pour que le demandeur obtienne un poste de spécialiste unilingue, ce qui ferait disparaître la plainte. Dans une certaine mesure, telle était l’intention de la Cour d’appel fédérale dans la décision Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (Viola) laquelle sera examinée ci-dessous.
[307] Enfin, pour reprendre les observations du demandeur, il affirme qu’il cherche à obtenir un résultat uniquement fondé sur une interprétation juridique de l’article 36(2) qui n’a aucun rapport avec les faits, sauf qu’il occupe un poste bilingue et travaille régulièrement avec un collègue occupant un poste unilingue (tout en faisant fi du fait que le collègue se trouve dans une région unilingue).
[308] Je conviens que la totalité des arguments relatifs à cette question repose sur une interprétation juridique de l’article 36(2). Mais c’est là une raison de plus pour la Cour d’examiner l’article 36(2) en lisant « les termes d’une Loi » « […] dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. »
[309] Le défendeur a souligné que cet argument aurait de vastes répercussions sur la dotation en personnel des postes au sein du BSIF et des institutions fédérales en général. Ceci n’est pas une mince affaire. À mon avis, je suis tenu d’examiner toute autre disposition contextuelle de la LLO qui influe sur une interprétation juridique de la disposition visée par le demandeur, à plus forte raison lorsqu’il est démontré que l’article 91 est extrêmement pertinent.
[310] Je rejette par conséquent toute suggestion selon laquelle la Cour ne devrait pas considérer l’article 91 comme étant pertinent sur le plan contextuel pour l’interprétation de l’article 36 (2), et je vais par conséquent le faire.
[311] Je conclus que l’article 91 vise à garantir que le principe du mérite n’est pas primé par des exigences linguistiques qui ne s’imposent pas pour l’exercice des fonctions d’un poste. Aucune des parties ni le commissaire n’ont semblé avoir reconnu cet important élément de politique énoncé à l’article 91 qui ferait contrepoids à une possible dérogation à l’application de l’article 36(2). À mon avis, l’article 91 vise à protéger la primauté du principe du mérite étayé par l’effet grammatical et ordinaire de son libellé dans son contexte, en plus de la jurisprudence qui a examiné la disposition, ainsi que de la preuve extrinsèque concernant l’intention du législateur lors de l’adoption de la disposition.
a) Preuve extrinsèque concernant l’article 91
[312] Comme il est indiqué, le commissaire semble reconnaître que l’article 91 est pertinent sur le plan contextuel. En conséquence, ses arguments sont de nature substantielle; toutefois, je les rejette tous.
[313] Le commissaire a d’abord fait référence aux débats parlementaires dans le but de démontrer que le Parlement a dévolu un rôle relativement mineur à l’article 91. Le commissaire a soutenu que la disposition visait uniquement à avoir une valeur symbolique en vue de protéger les fonctionnaires de la discrimination. C’est du moins ce que j’ai conclu en examinant ses observations en réponse à ma directive au paragraphe 4 rédigé ainsi (non souligné dans l’original) :
4. Le ministre entendait plusieurs choses par l’ajout de cet article. Tout d’abord, il considérait que c’était un ajout symbolique puisque que (sic) la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique prévoyait déjà des mécanismes Visant à protéger les fonctionnaires de toute discrimination. Ensuite, il entendait confier un rôle précis au commissaire afin de in the (sic) s’assurer que les fonctionnaires soient traites (sic) de manière équitable. Enfin, il voulait que les justiciables puissent avoir recours aux tribunaux en cas de traitement non équitable. Le ministre déclarait la chose suivante :
Pendant les auditions, des témoins ont suggéré’(sic) des mesures pour empêcher que les exigences linguistiques dans la dotation en personnel n’entrainent des abus.
Permettez—moi (sic) de répéter, monsieur le président, que la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique prévoit des recours contre toutes les exigences, notamment linguistiques, qui pourraient être contraires au principe du mérite.
Nous reconnaissons cependant qu’il est symboliquement et fondamentalement souhaitable de clarifier cette question. Nous pensons aussi qu’il est important de donner un rôle précis au Commissaire aux langues officielles et aux tribunaux afin qu’ils puissent prendre en considération les exigences inéquitables ou inopportunes qui seraient imposées aux fonctionnaires ou aux personnes postulant un emploi dans la Fonction publique fédérale.
[314] Le passage des débats parlementaires au moment de l’adoption de l’article 91 décrit son intention d’empêcher l’application d’une disposition telle que l’article 36(2) afin de créer une base pour la dotation des postes non fondée sur le mérite. La première expression de l’intention du législateur en rationalisant l’article 91 consiste à éviter les abus en recourant à des exigences linguistiques qui seraient contraires au principe du mérite, c’est-à-dire « qui pourraient être contraires au principe du mérite ».
[315] L’accent mis sur le principe du mérite a été renforcé par les phrases suivantes, dans lesquelles le ministre déclarait « qu’il est symboliquement et fondamentalement souhaitable de clarifier cette question ». Le symbolisme fondamental se référait à la clarification de « cette question » qui ne peut que renvoyer à la question initiale de veiller à ce que les exigences linguistiques ne prévalent pas sur les principes de dotation méritoires. La déclaration du ministre était clairement à l’effet que la priorité du principe du mérite devait être clarifiée, à la fois symboliquement et fondamentalement, pour éviter tout malentendu concernant l’imposition d’exigences linguistiques censées découler des parties IV et V de la Loi, où la langue ne joue aucun rôle dans les fonctions requises pour le poste.
[316] En examinant le libellé du législateur et de l’article 91, en supposant qu’il était censé respecter le principe du mérite dans les processus de dotation, le fait que cette disposition a été expressément déclarée prioritaire par rapport aux obligations linguistiques que les parties IV et V pourraient créer est hautement significatif. C’est une affirmation qu’en matière de dotation des postes dans les institutions fédérales, le principe du mérite devrait primer toute obligation de dotation censée avoir été imposée par les exigences des parties IV et V de la Loi qui saperait le principe du mérite en n’étant pas liée aux fonctions des postes à pourvoir.
[317] En rejetant les observations du commissaire, je ne conteste pas que la discrimination était un élément du raisonnement sous-jacent à l’article 91. Plus précisément, la population identifiée qui serait victime de cette discrimination était des Canadiens unilingues qui ne pouvaient pas postuler à un poste désigné bilingue.
[318] Outre les préoccupations liées au fait que des exigences linguistiques inutiles seraient discriminatoires à l’encontre des candidats unilingues, la préoccupation sous-jacente concernant la dérogation au principe du mérite par la perspective d’un principe de la dotation collatérale bilingue découle du fait que le nombre de candidats disponibles pour pourvoir des postes bilingues est considérablement inférieur à celui des candidats disponibles pour des postes unilingues.
[319] Bien que cela ne s’applique pas spécifiquement au bassin de candidats à un poste particulier, les statistiques globales décrivent néanmoins les possibilités limitées pour les Canadiens unilingues d’occuper des postes bilingues à plus grande échelle. Ces statistiques indiquent qu’en 2011, environ 17,5 p. 100 des Canadiens se sont identifiés comme étant bilingues, (Lepage et Corbeil, L’évolution du bilinguisme français-anglais au Canada de 1961 à 2011, Statistique Canada, mai 2013 (Lepage et Corbeil) : https://publications.gc.ca/collections/collection_2013/statcan/75-006-x/75-006-2013001-4-fra.pdf.).
[320] De plus, environ 55 p. 100 des francophones s’identifient comme unilingues. Si son objectif est de prévenir la discrimination, cela doit être fondé sur le fait que cela limite les possibilités d’emploi des Canadiens unilingues dans les deux langues officielles, tout en réduisant le bassin de candidats disponibles pour combler un poste lorsque les exigences linguistiques ne jouent aucun rôle fonctionnel dans l’exercice des fonctions du poste.
[321] Le commissaire a également renvoyé la Cour à d’autres éléments de preuve extrinsèques tirés des débats, selon lesquels l’article 91 (appelé à l’époque l’article 85) ne visait pas à atténuer les obligations des institutions fédérales pour s’acquitter de leurs obligations en application des parties IV et V de la Loi, dans le passage suivant (non souligné dans l’original) :
Pour reprendre des préoccupations exprimées devant votre Comité, l’article 85 n’entravera pas la dotation impérative des postes et ne réduira certainement pas les obligations des institutions fédérales en matière de services an public et de langue de travail. En fait, ces obligations, y compris celle d’offrir activement les services, seront définies par la loi et ses règlements d’application, et toutes les institutions fédérales sont tenues de les respecter.
[322] La Cour est d’accord avec cette déclaration. Cependant, on peut se poser la question de savoir quelles sont les obligations des institutions fédérales lorsque les principes du mérite sont contestés. Il semble que ce soit le premier cas où l’article 91 a été pris en compte dans l’interprétation des dispositions de la partie V relatives à la langue de travail.
b) Le préambule de la LLO
[323] Le sixième paragraphe du préambule, qui était une modification ajoutée à la LLO en 1988, semble être pertinent pour cette discussion. La version française est la suivante (non souligné dans l’original) :
Attendu :
[…]
que le gouvernement fédéral s’est engagé à réaliser, dans le strict respect du principe du mérite en matière de sélection, la pleine participation des Canadiens d’expression française et d’expression anglaise à ses institutions.
[324] À mon avis, ce paragraphe concerne directement l’article 91. Il indique explicitement que le législateur était soucieux de maintenir le principe de la sélection du personnel en fonction du mérite. La disposition a été ajoutée lors des débats des parlementaires. Par conséquent, dans une certaine mesure, cela doit être vu comme quelque chose que les premiers rédacteurs de la loi croyaient être si évidente qu’ils ne pensaient pas qu’il était nécessaire de protéger explicitement les principes fondamentaux de la dotation en personnel du gouvernement fédéral.
[325] Il s’agit donc d’une disposition contextuelle importante en raison de la preuve extrinsèque liée à son introduction au Parlement et son préambule, elle s’oppose à la dotation collatérale bilingue dans l’application de l’article 36(2).
c) Jurisprudence relative à l’objectif de l’article 91
(i) Canada (Procureur général) c. Viola
[326] Je suis, de plus, convaincu de ma conclusion selon laquelle l’article 91 vise à refléter le principe du mérite en matière de dotation, dans la mesure où la Cour d’appel fédérale l’a dit dans la décision Viola aux paragraphes 19 et 20 [pages 388 et 389], rédigés ainsi [non souligné dans l’original] :
Je ne puis retenir cette prétention. Ces dispositions ne sont, au fond, que l’expression remaniée de l’obligation déjà imposée à l’article 40 de la Loi sur les langues officielles de 1969 de maintenir le principe de la sélection fondée sur le mérite. L’article 91, en précisant que les exigences linguistiques doivent s’imposer « objectivement », confirme expressément ce qui a toujours été sous-entendu, soit que les exigences linguistiques ne peuvent être posées de manière capricieuse ou arbitraire. Cet article se veut réconfort et assurance plutôt que droit nouveau, et il serait vain d’y chercher quelque compétence nouvelle que ce soit pour le comité d’appel, d’autant plus que le paragraphe 77(1) permet expressément de saisir le commissaire, et non le comité d’appel, d’une plainte fondée sur l’article 91, et qu’il appert de l’article 35 et du paragraphe 39(2) qu’il incombe au ministère concerné, et non à la Commission de la fonction publique, de veiller, dans l’établissement des langues de travail, au respect de la Loi sur les langues officielles de 1988.
Il y a davantage. Les dispositions précitées font voir que le Parlement a porté son attention sur la question de la sélection fondée sur le mérite. S’il avait voulu profiter de l’occasion pour conférer une compétence nouvelle au comité d’appel, il l’aurait très certainement fait, en même temps qu’il s’affairait à établir le nouveau recours judiciaire établi dans la partie X. Il ne faut pas oublier que si la Loi sur les langues officielles de 1988 consacre également le droit du public d’être servi, conformément aux dispositions de la partie IV, dans l’une ou l’autre langue (article 21). Il est permis de penser que le législateur n’a pas jugé opportun de faire du comité d’appel l’instrument décisionnel approprié pour jauger les droits respectifs des agents de l’État et du public dans le domaine particulièrement sensible de la langue de travail et de la langue de service au sein de l’appareil gouvernemental fédéral. Le Parlement pouvait très certainement préférer confier cette tâche délicate au commissaire et à des juges. Il serait imprudent de remettre cette préférence en question.
[327] Dans l’arrêt Viola, la Cour [d’appel fédérale] a indiqué que l’objet de cette disposition était de reformuler l’ancien article 40 de la LLO de 1969 [Loi sur les langues officielles, S.C. 1968-69, ch. 54], à savoir [traduction] « de maintenir le principe de la sélection fondée sur le mérite ». Bien que libellé différemment, voici comment je qualifierais de la même manière l’objet de l’article 91.
[328] Je note que le commissaire a mis en exergue l’extrait du paragraphe 19 [page 388], à savoir que cet article « se veut réconfort et assurance plutôt que droit nouveau » en vue de rejeter l’argument qu’il avait fourni à la commission d’appel de la Commission d’emploi dans la fonction publique, où un appel en matière de dotation aux termes de l’article 91 avait été introduit, avec une nouvelle compétence pour entendre les plaintes relatives aux questions de dotation linguistique, qui n’existait pas auparavant. Il ne s’agissait donc pas d’une loi nouvelle par rapport à l’affirmation précédente de la primauté du mérite en matière de dotation prévue à l’article 40 de la LLO de 1969, qui était une loi nouvelle à cette époque.
[329] Le langage clair de l’article 91 réaffirme la priorité du mérite en tant que principe fondamental de la dotation s’appliquant aux institutions fédérales, notamment lorsque les exigences linguistiques censées découler de la partie IV ou de la partie V de la Loi ne s’imposent pas objectivement pour l’exercice des fonctions du poste. Les débats parlementaires confirment mon rejet des observations des parties et du commissaire qui m’auraient effectivement amené à oublier de déterminer si l’article 91 est pertinent pour interpréter la portée de l’article 36(2).
(ii) Norton c. Via Rail Canada, 2009 CF 704 (Via Rail) et d’autres affaires relatives au service
[330] Dans ses observations, le commissaire a tenté de s’appuyer sur d’autres décisions jurisprudentielles en matière de dotation en personnel, mais j’estime qu’aucune d’elles ne pourrait être considérée comme ayant violé le principe du mérite dans la désignation de postes bilingues. En effet, elles ont tendance à rejeter toute notion de dotation collatérale bilingue. Par exemple, dans la décision Via Rail, la question était liée à la dotation de postes à bord des trains parcourant le Canada. La nécessité de dotation en personnel bilingue découle du fait que Via Rail fournit des services au public voyageur et est tenue de le faire dans les deux langues officielles. Le juge Luc Martineau a décrit l’application de l’article 91 des décisions au paragraphe 79 comme suit (non souligné dans l’original) :
À mon avis, selon l’article 91, une institution fédérale ne peut pas, en prétextant vouloir exécuter ses obligations prévues à la partie IV ou à la partie V de la LLO, fixer des exigences linguistiques qui ne sont pas objectivement liées à la prestation de services bilingues dans le contexte dans lequel ces fonctions sont exécutées par le fonctionnaire. Par exemple, dans les trains de VIA, cela peut comprendre l’imposition d’exigences de bilinguisme quant aux postes de cuisinier et de chef cuisinier, qui ne sont pas des postes de première ligne [en d’autres mots, des postes fournissant des services].
[331] La Cour a rejeté la demande au motif que la preuve était suffisante pour appuyer la dotation bilingue. Étant donné que l’affaire implique la contestation d’une décision prise par la direction pour doter un poste, il incombe au demandeur d’établir l’absence d’objectivité fonctionnelle dans la dotation du poste. Comme l’a noté le commissaire lorsqu’il a abordé la question du fardeau de la preuve, le juge qui évalue l’affaire doit « établir que la preuve n’étayait pas la désignation, ou que cette dernière était manifestement déraisonnable, ou qu’une erreur de droit a été commise » : Institut professionnel de la fonction publique c. Canada, [1993] 2 C.F. 90 (1re inst.), à la page 106. Le fardeau n’est pas un problème si le résultat est d’exiger que les postes à Toronto soient pourvus en personnel bilingue sur la base collatérale de l’application de l’article 36(2). Il s’agit soit d’une application permise de l’article 36(2), soit celle qui ne dépend pas de l’interprétation de la disposition.
[332] Dans la décision Via Rail, la Cour a conclu qu’il n’existait aucune preuve d’un argument convaincant pour appuyer la position du demandeur visant à infirmer la décision en matière de dotation, en faisant expressément référence au libellé de l’article 91 au paragraphe 90 (non souligné dans l’original) :
Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve et n’a présenté aucun argument convaincant selon lequel la désignation, en 1986, du premier poste de CAS comme étant bilingue ou du deuxième poste, en 1998, ne s’imposait pas objectivement pour accomplir les fonctions pour lesquelles les mesures de dotation étaient prises.
[333] Le demandeur en l’espèce ne prétend pas que les postes de spécialistes devraient être dotés en personnel sur la base de la preuve. Il s’agit d’un argument purement juridique. Je cite une partie de l’observation du paragraphe 30 de son mémoire supplémentaire pour faire cette remarque de la façon suivante (non souligné dans l’original) :
S’il est statué par le tribunal saisi d’un recours en vertu de la Partie X que la prestation de travail relevant d’un certain type de poste doit, en vertu d’une disposition des Parties IV ou V, être offerte dans les deux langues officielles, i[l] en découlera nécessairement certaines conséquences au niveau des profils linguistiques.
[334] À l’inverse, on peut soutenir que la décision dans l’affaire Via Rail permet d’affirmer que la dotation collatérale bilingue n’est pas une exigence simplement du fait que des employés bilingues travaillent régulièrement ensemble, que ce soit dans les régions bilingues ou unilingues dans lesquelles Via Rail exploite ses trains. La Cour a cité l’exemple de la désignation bilingue des postes d’un chef ou d’un cuisinier avec lesquels les conducteurs de train travailleraient régulièrement comme représentant une violation probable de l’article 91.
[335] Le commissaire s’est également appuyé sur la décision Via Rail pour étayer son argument selon lequel les exigences relatives à « l’offre active » devraient être considérées comme un facteur déterminant dans la désignation des postes de spécialistes. Ainsi, elle soutient ce qui suit au paragraphe 11 de son mémoire supplémentaire [non souligné dans l’original] :
Ainsi, une institution fédérale peut créer des postes bilingues au-delà de ses obligations minimales en vertu de la partie IV dans la mesure où cette dotation peut se justifier objectivement. La Cour a défini le critère d’objectivité de l’article 91 comme ayant une double dimension : une dimension individuelle et une dimension plus générale, celle de promouvoir le bilinguisme à travers le pays.
[336] Ainsi, une institution fédérale peut créer des postes bilingues allant au-delà de ses obligations minimales en vertu de la partie IV dans la mesure où cette dotation peut être objectivement justifiée. La Cour a défini les critères d’objectivité de l’article 91 comme ayant une double dimension : une dimension individuelle et une dimension plus générale, celle de la promotion du bilinguisme dans tout le pays. Je ne suis pas en désaccord avec la déclaration qui précède en ce qui concerne les milieux de travail où des services offerts au public sont fournis. Toutefois, comme il est indiqué ci-dessus, les postes de fournisseurs de services bilingues sont dotés selon le principe du mérite, en raison de la qualification linguistique essentielle pour pouvoir servir les clients dans les deux langues officielles. Ces procédures de dotation ne contreviennent aucunement à l’article 91.
[337] La même remarque formulée autrement indique que la question en litige est celle de la dotation collatérale bilingue fondée sur les exigences de l’article 36(2), et non sur l’offre active, découlant des dispositions de la partie IV de la LLO. J’ai déjà indiqué qu’il semble y avoir une preuve de l’exigence d’une dotation bilingue des postes de spécialistes en fonction des besoins en services fournis aux institutions financières francophones. Je suis également sensible à l’observation du demandeur selon laquelle une institution fédérale devrait s’efforcer de projeter une image bilingue dans tout le pays, ce qui pourrait constituer une forme d’application du principe de « l’offre active ». Ce n’est pas une question soulevée par le demandeur. Ses arguments sont fondés spécifiquement sur l’article 36(2), qui ne contient aucun aspect de la fourniture de services qui nécessiterait une forme d’offre active auprès d’institutions financières désignées, par opposition aux membres du grand public.
[338] Le commissaire a également renvoyé la Cour à la décision Schreiber c. Canada, 1999 CanLII 8898, [1999] A.C.F. no 1576 (QL) (1re inst.) (Schreiber) ainsi qu’à la décision Via Rail, au paragraphe 106, relativement aux questions de sécurité justifiant une dotation bilingue. Dans la décision Schreiber, tous les postes étaient désignés bilingues dans un milieu de travail composé de contrôleurs de la circulation aérienne.
[339] À cet égard, ni la décision Schreiber ni la décision Via Rail ne sont pertinentes pour l’application de l’article 91. Les deux affaires sont des causes relatives au service, la décision Schreiber étant l’un des contrôleurs aériens fournissant des services aux aéronefs atterrissant aux aéroports. Les faits relatés dans la décision Schreiber étaient également uniques en ce sens que les questions de sécurité et de sûreté nécessitaient un personnel entièrement bilingue pour garantir que tous les employés pouvaient comprendre les conversations qui se tenaient autour d’eux dans leur milieu de travail unique. Cela a été souligné au paragraphe 132, rédigé ainsi, (non souligné dans l’original) :
[…] En fait, compte tenu de la nature unique des opérations de contrôle de la circulation aérienne, seul un milieu de travail entièrement bilingue pouvait être « […] propice à l’usage effectif des deux langues officielles tout en permettant [au] personnel d’utiliser l’une ou l’autre », comme l’exige l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur les langues officielles. Enfin, un milieu de travail entièrement bilingue était aussi conforme, à long terme, avec les exigences très élevées en matière de sécurité que le ministère applique à la prestation des services de contrôle de la circulation aérienne.
d) Paragraphe 16(1) de la Charte
[340] Enfin, le commissaire a avancé l’argument constitutionnel fondé sur l’article 20 et le paragraphe 16(1) de la Charte, affirmant seulement qu’il devait être pris en compte lors de l’interprétation des langues de service et de travail, en soutenant ce qui suit au paragraphe 18 de son mémoire supplémentaire (non souligné dans l’original) :
L’article 20 de la Charte pour la langue de service et le paragraphe 16(1) de la Charte pour la langue de travail forment l’ancrage constitutionnel pour les parties IV et V. Ces deux parties ont primauté sur toute autre disposition incompatible de toute autre loi. La source constitutionnelle des parties IV et V et leur primauté sur toute autre loi sont des indices importants de leur valeur particulière au sein de la LLO. Ainsi, ces parties de la LLO doivent toujours être interprétées de façon large et libérale, de façon mettre en œuvre leur objet.
[341] La Cour souscrit certainement à cette proposition dans la mesure où le paragraphe 16(1) de la Charte a clairement pour objectif de garantir que « les langues officielles du Canada; […] ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans [toutes] les institutions [fédérales] ».
[342] Mais ces droits sont toujours soumis à un certain degré d’atténuation en fonction du contexte. À mon avis, il est hautement improbable qu’un tribunal approuve l’application des droits linguistiques au détriment d’un principe fondamental d’un régime institutionnel fédéral fondé sur le mérite. Agir de la sorte minerait non seulement la légitimité du régime fédéral canadien de gestion des ressources humaines, mais également la législation sur les droits linguistiques que le commissaire est généralement chargé de respecter.
[343] Si le commissaire avait reconnu que l’article 91 consacrait le principe du mérite relativement à la dotation en personnel ou aux droits linguistiques, je ne peux pas imaginer qu’il aurait avancé cet argument.
[344] Quoi qu’il en soit, les questions constitutionnelles ne sont pas soulevées dans cette affaire. En outre, nous n’avons qu’une interprétation de l’article 36(2); celle donnée dans la décision Tailleur. L’article 91 n’était pas un facteur atténuant dans cette décision, car la dotation en personnel n’a pas été reconnue comme étant en cause. En fait, le demandeur a proposé une autre mesure raisonnable dans cette affaire qui aurait pu avoir des répercussions sur le personnel. C’est l’un des éléments que j’examinerai dans mon analyse de la décision Tailleur.
4) Conclusion sur l’article 91
[345] Le législateur a tracé une ligne de démarcation nette pour distinguer les limites des droits relatifs à la langue de travail en ce qui concerne la dotation des postes. En effet, il a affirmé haut et fort que le mérite devait constituer le fondement de chaque nomination dans une institution fédérale.
[346] La nomination d’employés et de dirigeants pour fournir des services au public canadien ou à leurs collègues exige très souvent que les personnes qui occupent ces postes soient bilingues. Il s’agit d’une nomination purement méritocratique. Il en va de même pour l’exigence voulant que les gestionnaires soient bilingues, d’autant plus qu’ils doivent non seulement gérer les opérations et l’administration ordinaires, mais ils sont aussi chargés de la tâche peu enviable de gérer les milieux délicats et souvent difficiles des employés composés de langues différentes et de capacités linguistiques mixtes.
[347] Il existe sans aucun doute d’autres cas où l’occupation d’un poste par du personnel bilingue est entièrement fondée sur le mérite. Mais il est évident que la pratique de la dotation collatérale bilingue, de par sa définition même, ne l’est pas. C’est la ligne de démarcation qu’il ne faut pas franchir lorsqu’il s’agit de doter des postes dans des institutions fédérales.
[348] Évidemment, cela signifie que de nombreux postes dans les régions bilingues ne seront pas dotés en personnel bilingue. Si celui qui occupe le poste est bilingue, c’est parce qu’il s’est révélé être le candidat le plus méritoire, ou si les candidats sont à égalité de mérite, le candidat bilingue est manifestement préféré. Le résultat logique des milieux de travail composés d’employés bilingues et unilingues est qu’ils ne fonctionneront pas si les employés bilingues ne sont pas prêts à travailler dans la langue des employés unilingues.
[349] Il semblerait donc que cette réalité soit le point de départ de toute interprétation de l’article 36(2) et comme on peut le voir, qu’il est fait référence ci-dessous dans la preuve extrinsèque lorsque le législateur a traité de l’article 36(2).
[350] Quoi qu’il en soit, j’en viens à la même conclusion en interprétant de manière indépendante l’article 36(2) sans tirer avantage du paragraphe 91. En conséquence, je me lance à présent dans une analyse indépendante de l’article 36(2), en ne mentionnant que très brièvement l’article 91 en tant que disposition contextuelle qui appuie ma conclusion selon laquelle, en adoptant l’article 36(2), le législateur envisageait que les employés bilingues tiennent compte dans une certaine mesure des besoins de leurs collègues unilingues.
D. Analyse de l’article 36(2)
1) Introduction
[351] Le demandeur, bien que bilingue, soutient que l’interprétation appropriée de l’article 36(2) exige que les collègues spécialistes à Toronto soient bilingues afin de lui permettre d’utiliser la langue de travail de son choix. Pour résoudre ce problème, la Cour doit d’abord déterminer si l’argument du demandeur s’applique aux communications entre collègues dans des régions bilingues. Ensuite, elle pourra examiner si le même argument s’applique aux communications entre collègues situés dans des régions bilingues et unilingues.
[352] En examinant l’argument du demandeur, j’en conclus que l’article 36(2) devait être interprété comme obligeant les employés bilingues des régions bilingues à tenir compte des besoins des employés unilingues, en communiquant et en travaillant avec eux dans la seule langue de leur choix. Il s’agit d’un exercice d’interprétation de l’article 36(2) appliqué aux régions bilingues.
[353] Le demandeur soutient que le point de départ est qu’aucune mesure d’adaptation n’est requise, aucune ne s’appliquant en l’espèce. C’était également l’argument du commissaire dans la décision Tailleur. Par conséquent, il soutient que l’article 36(2) impose à l’institution défenderesse de reclassifier les postes de spécialistes à Toronto en postes bilingues essentiels. Le fait d’avoir des spécialistes bilingues à Toronto permettrait aux généralistes bilingues de Montréal d’exercer leur droit de communiquer avec eux en français comme langue de travail de leur choix.
[354] À cet égard, le demandeur et le commissaire exhortent la Cour à adopter le raisonnement de la décision Tailleur pour interpréter l’article 36(2). Je refuse respectueusement d’accepter cette observation pour les motifs qui suivent.
[355] Je qualifie la décision Tailleur comme une décision « axée sur le service » parce que la détermination de la langue de travail appropriée reflète les exigences opérationnelles de la fourniture de services au public. À mon avis, le procureur général avait raison lorsqu’il a soutenu que la décision n’exigeait pas une déclaration de principes généraux concernant les relations de travail linguistiques conformément à l’article 36(2). Les services au public ont pleinement déterminé les obligations relatives à la langue de travail de M. Tailleur.
[356] M. Tailleur fournissait des services à une Canadienne anglophone (la cliente) qui avait demandé de l’aide concernant ses impôts sur le revenu. M. Tailleur est un francophone bilingue travaillant dans un bureau entièrement composé de collègues bilingues. Il a insisté sur l’exercice de son droit de choisir sa langue de travail en transcrivant ses notes de l’appel de service dans le système automatisé de tenue des dossiers en français. À l’avenir, d’autres employés pourraient avoir accès au système de tenue des dossiers et continuer à fournir des conseils de suivi du premier appel. Son superviseur lui a ordonné d’inscrire ses notes au dossier en anglais. Il l’a fait, mais a par la suite déposé une plainte en alléguant qu’il n’était pas autorisé à exercer son choix de langue officielle dans le milieu de travail. Aucune conséquence apparente sur la dotation ne pourrait résulter de cette plainte. Toutefois, l’argument subsidiaire du demandeur selon lequel le traitement des dossiers de demandes d’assistance de la clientèle anglophone devrait être limité aux employés bilingues, une fois que les notes ont été consignées en français, aurait eu des conséquences sur la dotation, ce qui n’a pas été pris en compte.
[357] La Cour a déclaré que les questions à résoudre portaient sur le champ d’application de l’article 36(2) et sur les obligations de l’Agence du revenu du Canada [l’Agence] en matière de langue de travail. Cette question a ensuite été reformulée pour déterminer si l’institution avait pris toutes les mesures raisonnables pour permettre au demandeur d’utiliser la langue de travail de son choix. Le critère énoncé de cette manière reflétait un débat entre les parties sur l’interprétation appropriée de la nature des mesures requises pour créer un milieu de travail linguistique approprié. Cela a ensuite propagé un critère à trois facteurs comprenant : (i) les difficultés opérationnelles importantes et sérieuses pouvant être créées par les mesures; (ii) le conflit démontré avec la partie IV de la LLO et les obligations de l’institution fédérale face au public; et (iii) le fait que la mise en œuvre ne doit pas avoir pour effet de créer un conflit avec le mandat de l’institution.
[358] La décision a finalement été prise sur la base du fait que les notes étaient essentielles et nécessaires à la fourniture du service. L’impact de l’exercice par M. Tailleur de ses droits relatifs au choix de la langue officielle est résumé comme suit dans la dernière phrase du paragraphe 102 : « Ce faisant, le service reçu par ce contribuable serait plus long, et d’une qualité moindre. »
[359] Le procureur général a fait valoir que l’affaire pourrait être tranchée en appliquant l’article 31 et la partie IV de la LLO. Cet article est rédigé ainsi :
Incompatibilité
31 Les dispositions de la présente partie l’emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V.
[360] La Cour a rejeté cet argument au motif que si la partie IV a préséance sur la partie V, il le fait non pas dans l’absolu, mais bien dans la mesure où les dispositions de la partie V sont incompatibles avec celles de la partie IV. Cependant, avec respect, cela ne semble pas répondre à l’observation du défendeur.
[361] La Cour a conclu au paragraphe 94 que « dans le but d’assurer un service égal, immédiat et sans délai à tous les contribuables, il est objectivement nécessaire que les notes soient inscrites aux dossiers des contribuables dans la langue officielle de leur choix ». Ces conclusions démontrent clairement que les droits revendiqués par M. Tailleur sous le régime de la partie V sont incompatibles avec les exigences de service aux termes de la partie IV de la Loi. En conséquence, Tailleur n’était pas une affaire relevant de la partie V, mais une décision qui a été prise sur la base de la priorité des exigences de service par rapport au droit d’utiliser la langue de son choix.
[362] Je ne vois pas non plus une suggestion que le raisonnement dans la décision Tailleur concernant l’article 36(2) tient compte de l’argument du défendeur selon lequel, pour déterminer le caractère raisonnable des mesures requises, il faudrait tenir compte du caractère bilingue du poste et de l’employé dont les fonctions et les tâches nécessitent l’utilisation du français et de l’anglais lors de la fourniture des services. Cette communication constituait un argument secondaire subsidiaire du procureur général une fois qu’il avait été conclu que l’article 36(2) devrait être examiné sur la base de l’application du critère des « mesures raisonnables » créé par la Cour.
[363] Par le même raisonnement, le fait que la Cour ait créé un critère à trois facteurs pour déterminer le caractère raisonnable des mesures à prendre, dont l’un comprenait le deuxième facteur « un conflit démontré avec la partie IV » [Tailleur, au paragraphe 75], ne peut en aucune manière changer l’essence de la décision comme étant déterminée uniquement par les exigences de service de la partie IV. À mon avis respectueux, le défendeur avait raison de dire que l’affaire aurait dû être résolue uniquement par une décision axée sur le service.
[364] La ratio decidendi de la décision Tailleur est essentiellement la même que les ratios des décisions relatives aux services qu’on trouve dans la plupart des affaires concernant la langue officielle dans les institutions. Cela inclut les décisions Via Rail (conducteurs), Schreiber (contrôleurs du trafic aérien) même la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac. Dans cette dernière affaire, la nature du droit linguistique était décrite au paragraphe 45 de la manière suivante : «le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle. »
[365] Sur cette base, je conclus que la déclaration catégorique dans la décision Tailleur selon laquelle la compétence linguistique des individus ne doit pas être un facteur dans la détermination des droits linguistiques est une observation incidente. Cela signifie que les principes de la courtoisie basée sur les précédents n’ont aucune application, en ce sens que je suis tenu de motiver mon refus d’accepter les principes énoncés dans la décision Tailleur concernant son interprétation et l’application de l’article 36(2).
[366] Néanmoins, la décision Tailleur est utile en ce sens qu’elle fournit un critère étayé par un raisonnement que la Cour a appliqué à l’article 36(2) et qui m’est utile, même s’il n’y a aucune ressemblance entre les situations factuelles des deux affaires.
3) L’interprétation terminologique et contextuelle interne de l’article 36(2)
[367] Dans cette partie de mes motifs, je discute du sens grammatical et ordinaire des termes de l’article 36(2) et de leur signification contextuelle lorsqu’ils sont considérés ensemble.
a) Le régime de l’article 36(2)
[368] Le régime de l’article 36(2) quant à ses objectifs et la façon de les atteindre est clair. L’objectif général est de s’assurer que les institutions créent et maintiennent des milieux de travail appropriés pour l’usage des langues officielles. Ces milieux sont nécessaires pour atteindre deux objectifs : premièrement, ils doivent être 1) propices à l’usage efficace des deux langues; et 2) ils doivent « permettre à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre », ou dans la version anglaise « accommodate the use of either language » (« permit employees to use one or the other »).
[369] À mon avis, pour répondre à une plainte concernant le choix de la langue de travail en application de l’article 36(2), il faut commencer par déterminer si l’institution a créé un milieu de travail approprié requis pour l’usage des langues officielles afin d’atteindre ses deux objectifs.
[370] Par conséquent, dans un premier temps, il s’agit d’une tâche d’interprétation afin de déterminer ce que les mots de l’article 36(2) signifient selon les principes modernes d’interprétation. Par la suite, la Cour examinerait normalement les éléments de preuve dont elle dispose pour déterminer si l’institution s’était acquittée de son obligation de fournir un milieu de travail approprié pour l’usage des langues officielles conformément à l’article 36(2). Dans le cas contraire, il serait nécessaire de déterminer quelles mesures raisonnables sont nécessaires pour garantir que les milieux de travail appropriés sont fournis.
[371] Étant donné que les parties et le commissaire ont supposé que les institutions disposaient d’une marge de manœuvre limitée pour obliger les employés bilingues à utiliser la langue de leurs collègues unilingues, aucune analyse n’a été fournie à la Cour en termes de signification à attribuer au « milieu de travail » ou aux deux objectifs, ou à l’ensemble de ces termes, considérés contextuellement ensemble ou avec d’autres dispositions de la Loi. En raison de l’appui sur la décision Tailleur, aucun élément de preuve ne m’a été fourni pour déterminer si les milieux de travail du demandeur sont appropriés en fonction de la définition des termes donnée à l’article 36(2).
[372] Dans les circonstances, la question de savoir si le milieu de travail satisfait aux exigences des deux objectifs dépendra de la souplesse offerte aux institutions pour obliger les employés bilingues à tenir compte des besoins des employés unilingues lorsqu’ils travaillent ensemble. Cette question ne concerne pas les obligations des fournisseurs de services ou des gestionnaires.
[373] La décision Tailleur énonce une règle très catégorique permettant des circonstances démontrables et limitées d’exigences opérationnelles sérieuses et importantes qui doivent être satisfaites avant qu’une institution puisse obliger un employé bilingue à travailler dans sa deuxième langue avec un employé unilingue en raison de droits prétendument accordés aux termes de l’article 36(2).
[374] Je désapprouve respectueusement cette interprétation sur la base de mon interprétation bilingue appliquée à tous les termes de l’article 36(2) conformément au principe d’interprétation moderne. À mon avis, les institutions peuvent exiger que les employés bilingues travaillent avec des employés unilingues, en se limitant aux circonstances dans lesquelles les milieux de travail ne sont pas propices à l’usage efficace des deux langues officielles tout en permettant l’utilisation de l’une ou l’autre des langues officielles, comme il est décrit dans la version anglaise de la disposition.
[375] Étant donné que les parties ont suivi la décision Tailleur, tant en droit que dans la présentation des éléments de preuve, je me contenterai d’expliquer ici pourquoi je considère que la position de départ quant aux milieux de travail appropriés pour l’usage des langues officielles offre à l’institution une certaine flexibilité pour exiger des employés bilingues de tenir compte des besoins des employés unilingues lorsqu’ils travaillent ensemble. C’est tout ce que je peux faire parce que la preuve appropriée n’a pas été présentée pour permettre de prendre une décision sur la base de mon interprétation de l’article 36(2).
[376] Par conséquent, il faut comprendre que le problème qui me préoccupe tout au long de mon analyse, en dehors des limites imposées aux fournisseurs de services ou aux gestionnaires quant à l’utilisation de la langue de leur choix, est de savoir si l’article 36(2) accorde à l’institution un degré de flexibilité lui permettant d’exiger des employés bilingues de tenir compte des besoins des employés unilingues avec lesquels ils travaillent régulièrement. Cela va à l’encontre de la conclusion de la décision Tailleur qui limiterait la capacité de l’institution à obliger les employés bilingues à tenir compte des besoins des employés unilingues sur une justification démontrable uniquement dans le cas où des problèmes opérationnels sérieux et importants se poseraient (les deux autres facteurs du « test de Tailleur » n’étant pas pertinents).
[377] Malgré les arguments des parties et du commissaire, il s’agit en définitive d’une question d’exigences linguistiques en matière de dotation que l’article 36(2) imposerait aux institutions. Le principe énoncé ci-dessus dans la décision Tailleur amène à la conclusion que les institutions sont tenues d’appliquer des pratiques de dotation collatérale bilingue partout où des employés bilingues travaillent avec d’autres employés, sauf si cela se justifie sur le plan opérationnel.
[378] Je dis « partout où » car il ne peut y avoir de règle de dotation permettant aux employés bilingues d’exercer leur pouvoir discrétionnaire en décidant des exigences en matière de dotation des personnes avec lesquelles ils travaillent. Si le principe de la dotation collatérale bilingue s’applique aux collègues de M. Dionne, il s’applique également aux collègues de tous les employés bilingues des régions bilingues, à moins que cela ne soit justifié par l’institution sur des bases opérationnelles. Bien entendu, si l’article 91 exige que les postes soient dotés en personnel unilingue lorsque les fonctions l’exigent, les exigences opérationnelles sont satisfaites. Mon interprétation qui suit exclut tout effet de l’article 91.
[379] Cette question tranchée, il resterait à décider seulement si les mêmes principes et l’exigence de dotation collatérale bilingue doivent également s’appliquer aux collègues des régions unilingues.
[380] Mon analyse commencera par l’interprétation de la signification attribuée aux mots « milieux de travail », suivi de mon interprétation des deux objectifs de 1) milieu de travail approprié pour permettre l’usage effectif des deux langues; et pour 2) permettre d’utiliser l’une ou l’autre. Cela sera suivi de mon analyse des mesures raisonnables, point sur lequel je vais croiser l’analyse de la Cour dans la décision Tailleur, où naissent de nouvelles divergences de vues respectueuses sur les termes. Par la suite, j’examinerai la disposition dans son contexte global de la LLO, en harmonie avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur fondée sur des preuves extrinsèques.
b) Milieux de travail
[381] La première tâche, au niveau textuel, consiste à déterminer le sens ordinaire et à concilier l’expression anglaise « work environment » avec l’expression française « milieu de travail ». Comme je l’ai indiqué, je le fais sans l’aide des observations des parties ou du commissaire.
[382] Les termes « work environment » et « milieu de travail » à l’article 36(2) semblent être des équivalents correspondants presque identiques, comme le sont les termes « conducive » dans la version anglaise et « propice » en français. Les deux termes sont décrits dans les dictionnaires comme signifiant « favorables ».
[383] Je conclus que la définition du mot « milieu » qui correspond le mieux à l’objectif de l’article 36(2), se trouve dans le dictionnaire en ligne Merriam-Webster : « the circumstances, objects, or conditions by which one is surrounded » [traduction] « les circonstances, les objets ou les conditions qui entourent une personne ». Je note également que sa définition secondaire est « the aggregate of social and cultural conditions that influence the life of an individual or community » [traduction] « l’ensemble des conditions sociales et culturelles qui influencent la vie d’un individu ou d’une communauté » (https://www.merriam-webster.com/dictionary/environment).
[384] Le terme français « milieu » existe aussi en anglais. Il est défini dans le dictionnaire en ligne Merriam-Webster comme « the physical or social setting in which something occurs or develops » [traduction] « le cadre physique ou social dans lequel quelque chose se passe ou se développe ». Le terme anglais « environment » [traduction] « environnement » est un synonyme.
[385] L’étymologie du terme anglais « milieu » proviendrait du même terme en français. Je cite à nouveau le dictionnaire en ligne Merriam-Webster, car il soulève certaines similitudes contextuelles avec le terme « accommodate » [traduction] « permettre », seulement pour montrer qu’il a le sens de se rencontrer au milieu :
Milieu Entered English in the 1800s
The etymology of milieu comes down to “mi” and “lieu.” English speakers learned the word (and borrowed both its spelling and meaning) from French. The modern French term comes from two much older French forms, mi, meaning “middle,” and lieu, meaning “place.”
[Milieu/Definition of Milieu by Merriam-Webster, https ://www.merriam-webster.com/dictionary/milieu]
[traduction] Milieu Entré dans la langue anglaise dans les années 1800.
L’étymologie de milieu vient de « mi » et « lieu ». Les anglophones ont appris le mot (et emprunté à la fois l’orthographe et le sens) au français. Le terme français moderne vient de deux formes françaises beaucoup plus anciennes, mi, qui signifie « milieu » et lieu, qui signifie « place ».
[Milieu/Définition de Milieu par Merriam-Webster, https://www.merriam-webster.com/dictionary/milieu]
[386] Le dictionnaire en ligne Larousse fournit les définitions suivantes du terme français « milieu » avec des exemples d’utilisation :
Cadre, environnement dans lequel vit quelqu’un, considéré comme conditionnant son comportement : Savoir s’adapter selon le milieu.
Groupe de personnes parmi lesquelles quelqu’un vit habituellement, son entourage, la société dont il est issu : Il est né dans un milieu très modeste.
Groupe de personnes liées par leurs intérêts communs, leurs types d’activités identiques : Les milieux des affaires.
[https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/milieu/51429?q=milieu#51311]
[387] Comme indiqué, je trouve que les termes français et anglais sont des équivalents correspondants identiques ou des équivalents correspondants proches.
[388] En appliquant ces définitions de manière contextuelle au reste de l’article 36(2) l’attention devrait être portée sur l’utilisation de la langue et des communications dans les divers « work environments » ou « milieu de travail », particulièrement en relation avec les tâches des employés dans leur milieu de travail.
[389] Tout comme les devoirs ou les obligations découlant de la LLO sont imposés à l’institution au niveau institutionnel, la Cour doit également porter son attention sur le respect de l’article 36(2).
[390] Les institutions ont l’obligation de créer et de maintenir des milieux de travail appropriés pour l’usage des langues officielles dans lesquels les employés communiquent. Par conséquent, dans une certaine mesure, cette obligation n’exige pas que les institutions tiennent compte du choix de la langue d’usage des employés tels que M. Tailleur ou M. Dionne, dans tous les cas.
[391] Il semblerait que la référence aux milieux de travail offre une flexibilité considérable à l’institution. Tant que sont maintenus des milieux de travail qui sont propices à l’usage efficace de la langue des employés et « permettent l’utilisation de l’une ou de l’autre », certains membres de ce milieu de travail peuvent être amenés à utiliser leurs compétences bilingues avec leurs collègues, si c’est nécessaire pour atteindre les objectifs de l’institution.
[392] De plus, on pourrait dire que le terme milieu est volontairement amorphe, dans la mesure où il permet une série de facteurs susceptibles de contribuer à un milieu favorable ou défavorable. L’utilisation du terme par le législateur semblerait indiquer l’intention d’exprimer un certain degré de flexibilité pour ne pas lier les mains de l’institution en permettant diverses solutions aux problèmes linguistiques pouvant survenir dans tout milieu de travail.
[393] Je conclus également que le législateur était réticent à autoriser des particuliers à utiliser des plaintes linguistiques pour nuire indûment au fonctionnement du travail d’une institution, à moins que, collectivement, les milieux de travail ne soient pas appropriés du point de vue linguistique. Cette approche est similaire à celle évoquée dans la décision Viola, dans laquelle il décrivait l’intention du législateur de retirer aux plaignantes les plaintes relatives au lieu de travail afin de les empêcher de prendre la mesure assez agressive consistant à déposer une plainte en matière de dotation qui serait résolue dans un contexte quelque peu contradictoire. Au lieu de cela, le législateur a préféré adresser la plainte au Commissariat pour qu’il soit guidé par sa fonction d’ombudsman afin de trouver des solutions.
[394] Par conséquent, comme point de départ, j’estime que la terminologie utilisée à l’article 36(2), selon laquelle la mesure globale de conformité se concentre sur les milieux de travail supérieurs et collectifs, contredit toute intention du législateur d’établir une règle catégorique pour l’exercice des droits linguistiques individuels des plaignants. L’esprit de la disposition permet d’étudier des solutions plus génériques en plus de rechercher diverses méthodes pour répondre de manière satisfaisante au plaignant. La plainte dans cette affaire soulève la question du milieu linguistique du plaignant, qui prend en compte tous les aspects des communications avec le plaignant afin de déterminer si le milieu est propice à l’usage de la langue de choix par le plaignant, tout en lui permettant d’utiliser les deux langues officielles. De telles plaintes soulèvent des problèmes complexes qui peuvent nécessiter des réponses complexes au niveau des milieux de travail.
[395] Par exemple, une évaluation de la pertinence linguistique d’un lieu de travail porterait initialement sur le milieu linguistique de travail des généralistes à Montréal. Cela comprendrait des communications avec des collègues, des supérieurs, des employés de soutien et tout autre employé communiquant régulièrement avec le plaignant.
[396] Le milieu de travail s’étendrait également à d’autres « milieux de communication de travail » en dehors du milieu de travail physique ordinaire du plaignant. Tant que ces communications contribuent utilement et régulièrement aux fonctions du milieu de travail des employés et se rapportent à leurs tâches et à la réalisation des objectifs du BSIF, elles seront considérées comme faisant partie des milieux de travail linguistiques du plaignant. Selon une définition de communication du milieu de travail, le milieu de travail du demandeur a été étendu pour englober ses communications régulières avec les spécialistes à Toronto, quoique dans un milieu de travail physique différent.
c) L’objectif principal des milieux de travail appropriés pour l’usage des langues officielles : être propices à l’usage effectif des deux langues officielles
[397] Je qualifie le fait d’assurer que les milieux de travail sont « propices à l’usage effectif des deux langues officielles » comme constituant l’objectif principal de l’article 36(2). Cet objectif saisit mieux la signification de ce que comporte la réalisation de l’égalité réelle de statut et de l’égalité de droits et de privilèges quant à leur usage dans un milieu de travail d’une institution fédérale.
[398] Les adjectifs « effective » en anglais, et « effectif » en français, semblent être des équivalents correspondants identiques. Les définitions les plus pertinentes dans les deux cas décrivent leur sens comme « produisant l’effet décidé, décisif ou souhaité », ou un effet qui se produit réellement. Les définitions pertinentes du dictionnaire en ligne Merriam-Webster avec des exemples d’expressions sont les suivantes :
1 a : producing a decided, decisive, or desired effect // an effective policy
3 : ACTUAL // the need to increase effective demand for goods
[traduction]
1 a : produisant un effet décidé, décisif ou souhaité // une politique efficace
3 : RÉEL // la nécessité d’augmenter la demande effective de biens
[399] Le dictionnaire Merriam-Webster comprend également une définition juridique de l’adjectif « effectif », comme suit :
1 : producing a desired effect // an effective revocation of the contract
2 : capable of bringing about an effect // effective assistance of counsel
[traduction]
1 : produisant un effet souhaité // une révocation effective du contrat
2 : capable de produire un effet // assistance efficace d’un avocat
[400] En outre, le dictionnaire en ligne fournit une liste de synonymes ainsi qu’un court passage distinguant des mots similaires à « effective » en anglais ou « effectif » en français, et une conclusion générale. Les parties pertinentes de ces commentaires additionnels sont rédigées ainsi :
Synonyms : effectual, efficacious, efficient, fruitful, operative, potent, productive
EFFECTIVE, EFFECTUAL, EFFICIENT, EFFICACIOUS means producing or capable of producing a result. EFFECTIVE stresses the actual production of or the power to produce an effect. // an effective rebuttal // EFFECTUAL suggests the accomplishment of a desired result especially as viewed after the fact. // the measures to stop the pilfering proved effectual […]
[traduction]
Synonymes : efficace, efficient, fructueux, opérant, puissant, productif
EFFECTIF, EFFICACE, EFFICIENT signifie qui produit ou est capable de produire un résultat. EFFECTIF met l’accent sur la production réelle d’un effet ou sur le pouvoir de produire un effet. // une réfutation effective // EFFICACE suggère la réalisation d’un résultat souhaité, en particulier après coup. // les mesures prises pour arrêter le chapardage se sont avérées efficaces […]
[401] Efficace décrit généralement des choses ― comme des stratégies, des traitements, des arguments et des techniques ― qui font ce qu’ils sont censés faire. Les gens peuvent aussi être décrits comme étant efficaces lorsqu’ils accomplissent ce qu’ils se proposaient d’accomplir, mais le mot est beaucoup plus souvent appliqué aux choses.
[402] Le dictionnaire en ligne Larousse définit le terme « effectif », et fournit en outre une liste de synonymes, comme suit :
Dont la réalité est incontestable, qui produit un effet réel, tangible : Participation effective.
Qui est une réalité : L’armistice sera effectif à onze heures.
[…]
SYNONYMES :
authentique - concret - objectif - positif - tangible
[403] Étant donné que la discussion porte sur l’utilisation des langues de travail, j’imaginerais que le sens fondamental d’un usage effectif ou important d’une langue est celui qui contribue de manière significative à l’accomplissement des tâches du poste. Les employés doivent pouvoir conclure que l’utilisation de leur langue a un effet réel et tangible et contribue à la « production réelle d’un effet, ou au pouvoir de produire un effet », c’est-à-dire à la réalisation des tâches et des responsabilités assignées de l’employé.
[404] Cette définition s’étend aux communications avec les supérieurs, les collègues et les employés de soutien qui se rapportent aux tâches principales. En fin de compte, un milieu propice à l’usage effectif de sa langue est celui dans lequel le choix de la langue est utilisé de manière régulière et fluide au bureau de sorte qu’il est suggéré que les employés peuvent généralement s’exprimer régulièrement dans la langue de leur choix à un niveau d’aisance acceptable dans l’accomplissement des tâches.
[405] Il s’agit d’une question de degré. Mais dans l’ensemble, en ce qui concerne les pondérations en fonction du degré, l’article 36(2) exige que la balance pèse davantage sur le droit des employés d’utiliser la langue de leur choix, la possibilité de l’utiliser étant un effet secondaire. Cela permet aux gestionnaires de travailler avec des situations individuelles appropriées afin d’optimiser les possibilités pour les employés d’utiliser la langue de leur choix.
[406] Le fait est que l’évaluation des milieux de travail appropriés pour l’usage des langues officielles exige un exercice contextuel très vaste qui requiert un équilibre entre les exigences à satisfaire et l’objectif de permettre aux employés de se sentir à l’aise dans l’utilisation de la langue de leur choix pour la réalisation de leurs tâches et les échanges avec des collègues. Cela concorde tout à fait avec la preuve extrinsèque qui explique l’intention du législateur lorsqu’il a adopté l’article 36(2).
d) L’objectif secondaire des milieux de travail : permettre au personnel d’utiliser l’une ou l’autre langue officielle
[407] Mon désaccord général avec le processus d’interprétation suivi par la Cour dans la décision Tailleur, est qu’elle n’a pas tenu compte du deuxième objectif de l’article 36(2).
[408] Au paragraphe 44 de la décision, le raisonnement dans la décision Tailleur décrit l’obligation imposée par l’article 36(2) aux institutions comme suit :
Le paragraphe 36(2) crée donc une obligation positive pour les institutions fédérales de prendre des mesures permettant de créer et de maintenir un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles.
[409] La Cour a ensuite qualifié la question à trancher de la façon suivante :
L’ARC a-t-elle pris, dans les circonstances, toutes les mesures raisonnables possibles pour permettre à M. Tailleur d’utiliser la langue de travail de son choix?
[410] Enfin, conformément à la méthodologie adoptée en centrant l’obligation de l’institution sur la définition et l’étendue des mesures à prendre pour se conformer aux exigences de l’article 36(2), la Cour a défini cette obligation au paragraphe 73 comme suit (non souligné dans l’original) :
Aussi, ce qu’il suffit à une institution fédérale de démontrer pour se conformer aux exigences du paragraphe 36(2), c’est d’avoir considéré toutes les mesures raisonnables pour permettre à ses employés de travailler dans la langue officielle de leur choix.
[411] L’exigence de prendre toutes les mesures raisonnables pour permettre à un employé d’utiliser la langue officielle de son choix se rapporte entièrement au premier objectif. Avec égards, une méthodologie interprétative qui fait fi d’un deuxième objectif qui est clairement décrit comme l’un des deux objectifs nécessaires à la création d’un milieu de travail approprié pour l’usage d’une langue officielle est imparfaite.
[412] Rien que pour cette raison, je ne peux pas me fier à la décision Tailleur comme un guide pour examiner adéquatement l’intention du législateur lorsqu’il a adopté l’article 36(2), alors qu’elle omet de prendre en considération un élément important de la disposition.
[413] Dans la décision Tailleur la Cour n’a pas tenté d’interpréter et de concilier le terme « accommodate » dans la version anglaise avec son équivalent français correspondant « permettre » qui se trouve dans le deuxième objectif d’un milieu de travail approprié pour l’usage de la langue officielle qui permet l’utilisation de l’une ou l’autre langue officielle. La Cour n’a pas non plus tenté d’interpréter et de réconcilier les mots « both » (les deux) et « either » (l’une ou l’autre) figurant dans la version anglaise avec leurs équivalents français correspondants trouvés dans le premier objectif et le deuxième objectif, respectivement.
[414] La première étape de mon analyse consiste à déterminer le sens grammatical et ordinaire de ces termes dans leur expression bilingue qui suit.
[415] L’expression anglaise du deuxième objectif exige que le milieu de travail « accommodate the use of either official language ». Son équivalent en langue française décrit le même objectif comme celui d’un milieu « qui permet à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre ».
[416] Les définitions pertinentes des termes « accommodate » et « permit » (que j’ajoute comme point de comparaison avec le terme français « permettre »), également tirées du dictionnaire en ligne Merriam-Webster, sont les suivantes :
ACCOMMODATE (transitive verb)
1 : to provide with something desired, needed, or suited // I needed money, and they accommodated me with a loan.
4 : to give consideration to : to allow for // trying to accommodate the special interests of various groups
5 : to make fit, suitable, or congruous
Synonyms: ADAPT, ADJUST, ACCOMMODATE, CONFORM, RECONCILE mean to bring one thing into correspondence with another. ADAPT implies a modification according to changing circumstances. // adapted themselves to the warmer climate ADJUST suggests bringing into a close and exact correspondence or harmony such as exists between parts of a mechanism. // adjusted the budget to allow for inflation // ACCOMMODATE may suggest yielding or compromising to effect a correspondence. // accommodated his political beliefs in order to win // CONFORM applies to bringing into accordance with a pattern, example, or principle. // refused to conform to society’s values // RECONCILE implies the demonstration of the underlying compatibility of things that seem to be incompatible. // tried to reconcile what he said with what I knew //
[https://www.merriam-webster.com/dictionary/accommodate#synonyms]
PERMIT
Definition of permit (transitive verb)
1 : to consent to expressly or formally // permit access to records
2 : to give leave : AUTHORIZE
3 : to make possible // the design permits easy access
Synonyms : Verb: allow, green-light, have, suffer
Examples of permit in a Sentence
The judge permitted the release of the prisoner.
Smoking is not permitted in the building.
[https://www.merriam-webster.com/dictionary/permit#synonyms]
[traduction]
ACCOMODER (verbe transitif)
1 : fournir quelque chose de désiré, nécessaire ou adapté // J’avais besoin d’argent et ils m’ont accordé un prêt.
4 : prendre en considération : pour autoriser // essayer de tenir compte des intérêts particuliers de divers groupes
5 : rendre adéquat, convenable, ou congruent
Synonymes : ADAPTER, AJUSTER, AMÉNAGER, CONFORMER, RECONCILER signifie mettre une chose en correspondance avec une autre. ADAPTER implique une modification en fonction des circonstances changeantes. // Ils se sont adaptés au climat plus chaud // AJUSTER suggère de mettre en place une correspondance ou une harmonie étroite et exacte, telle qu’elle existe entre les parties d’un mécanisme. // le budget a été ajusté pour tenir compte de l’inflation // ACCOMODER peut suggérer de céder ou faire un compromis pour effectuer une correspondance. // il a concilié des convictions politiques afin de gagner // CONFORMER s’applique à la mise en conformité avec un modèle, un exemple ou un principe. // A refusé de se conformer aux valeurs de la société // RECONCILE implique la démonstration de la compatibilité sous-jacente de choses qui semblent incompatibles. // A essayé de concilier ce qu’il a dit avec ce que je savais //
[https://www.merriam-webster.com/dictionary/accommodate#synonyms]
PERMETTRE
Définition de permettre (verbe transitif)
1 : consentir à permettre expressément ou formellement // permettre l’accès aux documents
2 : donner la permission : AUTORISER
3 : rendre possible // la conception permet un accès facile
Synonymes : Verbe : accorder, donner le feu vert, avoir, souffrir
Exemples de permettre dans une phrase
Le juge a permis la libération du prisonnier.
Il n’est pas permis de fumer dans le bâtiment.
[https://www.merriam-webster.com/dictionary/permit#synonyms]
[417] Les définitions pertinentes de « permettre » et « accommoder » (que j’ajoute de la même manière comme point de comparaison avec le terme anglais « accommodate »), également tirées du dictionnaire en ligne Larousse, sont les suivantes, (non souligné dans l’original) :
permettre
Donner à quelqu’un le pouvoir, le droit de faire quelque chose, d’agir de telle ou telle manière : La loi ne (vous) permet pas de construire à cet endroit.
Donner la possibilité, l’occasion, le moyen de faire quelque chose : Le bus nous permet de venir en dix minutes.
Faire que quelque chose soit possible, puisse exister : Son attitude nous permet tous les soupçons.
[…]
Synonymes :
autoriser – consentir – tolérer
[https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/permettre/59689?q=permettre#59327]
accommoder
Littéraire. Adapter quelque chose, l’approprier à une situation : Accommoder son discours aux circonstances.
[…]
Synonymes :
agencer – ajuster – aménager – installer
[https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/accommoder/465?q=accommoder#458]
[418] L’aspect commun le plus pertinent du sens du mot « accommoder », et qui est considéré comme l’élément commun de tous les termes étroitement liés est « mettre une chose en correspondance avec une autre » (non souligné dans l’original). La définition appropriée de la correspondance dans le dictionnaire Merriam-Webster est « the agreement of things with one another » (la compatibilité de choses les uns avec les autres).
[419] Je suis d’avis que la définition du terme « accommoder » qui exprime le mieux l’accord entre les choses à l’article 36(2) est celle de « faire un compromis pour effectuer une correspondance ». Dans ce cas, le compromis envisagé est qu’il est demandé aux employés bilingues de faire la correspondance avec le collègue unilingue afin de permettre à l’institution de s’acquitter de son mandat.
[420] Parmi les définitions de l’équivalent français de « permettre », aucune n’a le sens de la correspondance, avec l’idée de parvenir à la compatibilité de choses les uns avec les autres. Le terme a plus le sens d’exercer ou de conférer un pouvoir pour permettre que quelque chose se produise, à l’instar d’une règle ou de l’exercice d’un pouvoir par une autorité. Le terme « permettre » à l’article 36(2) a le sens d’accorder ou d’autoriser l’utilisation de l’une ou l’autre langue officielle. Le terme ne dénote pas un compromis entre deux éléments opposés aboutissant à la correspondance ou à la conciliation de l’un ou des deux.
[421] Par conséquent, à mon avis, le terme « accommodate » ne peut être concilié avec le terme « permettre ». Comme il n’existe pas de sens commun à dégager, il n’existe pas non plus de possibilité de faire interpréter une version avec l’aide de l’autre. Comme il a été mentionné, dans de telles circonstances, « la question linguistique doit être située dans le cadre des règles modernes d’interprétation législative selon lesquelles il faut respecter non seulement le texte, mais aussi le contexte et l’objet de la loi » (décision Khosa, aux paragraphes 39 et 40).
[422] La Cour est tenue de choisir un terme plutôt qu’un autre, qui, selon elle, devrait être celui de « accommodate » pour les raisons qui suivent.
[423] Le terme « accommodate » est avant tout le terme généralement utilisé pour concilier les situations des employés bilingues travaillant avec des employés unilingues. Cela est en effet le terme technique et il décrit le sujet central de la controverse en l’espèce. Il est bien connu que les francophones considèrent que l’obligation faite par le passé de tenir compte des besoins des anglophones unilingues est un facteur important de leur assimilation.
[424] Par exemple, l’accommodement est un sujet mentionné dans la décision Beaulac dans les régions de langue minoritaire de la province où l’assimilation reste un facteur important. Le demandeur accorde également aux employés bilingues le droit de ne pas tenir compte des besoins des employés unilingues, ce qui est au centre de son observation au paragraphe 89 de son mémoire initial. Cela demeure un peu un problème, mais ce n’est pas un argument que j’ai entendu avancer à propos des institutions fédérales, en raison de la dotation en personnel et des avantages économiques que le bilinguisme procure aux institutions fédérales, ce qui est un facteur important pour la protection d’une langue.
[425] Deuxièmement, il y a un certain degré de redondance avec l’adoption de « permettre » dans le deuxième objectif. Son participe présent « permettant » est également utilisé pour décrire « toutes autres mesures possibles permettant de créer et de maintenir en leur sein un milieu de travail ». L’utilisation des termes « permettant » et « permettre » a tendance à rendre redondants les premier et deuxième objectifs. Permettre des milieux de travail qui s’étendent à ceux qui sont propices à l’usage des deux langues officielles dans la première catégorie semble redondant à permettant l’utilisation de l’une ou l’autre langue officielle dans le deuxième objectif.
[426] En outre, dans le contexte des dispositions relatives aux langues de travail, l’obligation de s’adapter à (accommodate) l’utilisation d’une langue renvoie au concept d’exiger l’adaptation à l’utilisateur d’une langue différente de celle qui est simplement permise à être utilisée (qui permette à leur personnel d’utiliser) dans le premier objectif.
[427] Je préfère également le terme « accommodate » comme terme d’interprétation pertinent, car il présage la réalité d’une relation sophistiquée et compliquée concernant l’utilisation de deux langues dans le milieu de travail. Il est implicitement reconnu comme la question centrale dans cette affaire, étant imprégnée d’implications historiques quant à son acceptation dans les discussions sur le bilinguisme. Avec ces antécédents, le législateur voulait que l’expression en anglais « and accommodate the use of either » soit considérée comme un élément important à considérer comme l’un des deux objectifs prescrits à l’article 36(2) requis pour la création des milieux de travail appropriés pour l’usage des langues officielles. C’est d’autant plus le cas lorsque l’analyse contextuelle indique clairement que le terme est préféré à son équivalent correspondant « permettre » dans la version française de la disposition.
(ii) « either/l’une ou l’autre » et « both/deux »
[428] Le terme « accommodate » dans la version anglaise est également appuyé de manière contextuelle par le terme « either » dans l’utilisation des langues officielles. Pour parvenir à cette conclusion, il est nécessaire de comparer dans la version anglaise le terme « either » avec celui de « both » figurant dans le premier objectif.
[429] À première vue, la tâche semble compliquée par le fait qu’elle implique la comparaison de quatre termes bilingues dans deux versions bilingues du deuxième objectif. Ce processus est en réalité plus simple qu’il n’y paraît, car je conclus que les équivalents correspondants des termes anglais et français utilisés dans les deux objectifs sont identiques ou très proches l’un de l’autre. J’entends par là que je conclus dans le premier objectif que les équivalents bilingues correspondants des termes « both/deux » ont le même sens par rapport aux expressions similaires « effective use » et « usage effectif ». De même, je conclus dans le deuxième objectif que les équivalents correspondants « either/l’une ou l’autre » sont identiques par rapport aux termes « accommodate » et « permettre ».
[430] Cela simplifie la tâche de la Cour, qui consiste à déterminer si le terme « both » utilisé dans la version anglaise du premier objectif peut servir d’aide contextuelle à l’interprétation du terme « either » utilisé dans le deuxième objectif et servir ainsi de distinction contextuelle supplémentaire à l’appui du terme « accommodate » de préférence à celui de « permettre » dans le deuxième objectif.
[431] Je trouve que c’est le cas. En ce qui concerne l’usage effectif des deux langues officielles, cela signifie que les milieux de travail doivent être propices à l’usage de l’anglais et du français en même temps. Cependant, lorsque l’on parle de l’obligation de permettre l’utilisation de l’une des deux, ou l’une ou l’autre dans la version française, on a le sentiment que la permission d’utiliser ces deux langues différentes ne se produira pas nécessairement ou ne sera pas nécessaire en même temps, ni même dans des circonstances différentes.
[432] S’il est fait référence aux employés bilingues tenant compte des besoins des employés unilingues, comme je crois que l’intention du législateur était, une forme de permission sera accordée par les bilingues francophones tenant compte des besoins leurs collègues anglophones. L’autre forme de permission, ou l’une ou l’autre, impliquera des bilingues anglophones tenant compte des besoins leurs collègues francophones. Ce sera soit l’une, soit l’une ou l’autre des situations, aucune ne se produisant simultanément.
[433] Contrairement à cette interprétation, permettre simplement l’une ou l’autre langue traduit le même sens de permettre l’utilisation des deux langues officielles dans la première catégorie, sans le terme verbal distinctif ou distinct pour le cas où les employés permettent l’utilisation de la langue de chacun, ou de l’autre.
[434] La permission ne donne pas une idée des mesures d’adaptation séparées et distinctes en fonction de la langue de l’employé unilingue qui bénéficie de mesures d’adaptation en anglais ou en français, de telle sorte que l’une ou l’autre se produira dans différentes circonstances intervenant dans le premier objectif.
[435] Je suis donc convaincu que l’exigence décrite dans la phrase anglaise, selon laquelle les milieux de travail doivent permettre l’usage de l’une ou l’autre des langues officielles, est la version la plus claire et la moins redondante, par opposition à la version française qui semble reprendre le même sens que le premier objectif et fournit une signification additionnelle minimale au terme « l’une ou l’autre » (one or the other).
[436] Ceci s’ajoute à ma conclusion selon laquelle le terme « permettre » décrit une approche souple dépendant de circonstances, laquelle est appuyée de manière contextuelle par le terme « milieu de travail » qui laisse également présager une application factuelle souple et contextuelle des droits linguistiques.
[437] Le troisième élément d’interprétation contextuel interne est celui de « such … reasonable measures » (« toutes […] mesures possibles»), que j’aborderais ci-dessous. J’estime que la version anglaise appuie également l’application flexible de l’article 36(2) aux autres milieux de travail qui permettent des relations linguistiques complexes, par opposition aux relations linguistiques non accommodantes entre des employés ayant des capacités linguistiques différentes.
[438] Avant de passer à ce troisième élément d’interprétation important de l’article 36(2), j’examinerai l’invocation par le demandeur de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac comme précédent pour rejeter toute obligation de tenir compte des besoins des employés unilingues.
[439] En abordant la question de la prise en compte par les employés bilingues des besoins des employés unilingues dans des conditions de langue de travail, la Cour dans la décision Tailleur s’est appuyée sur deux autres paragraphes de l’arrêt Beaulac, à savoir les paragraphes 24 et 45, cités aux paragraphes 53 et 82 respectivement.
[440] La référence à ces paragraphes pose des questions de fond à examiner par la Cour. J’entends par là que les paragraphes ne contiennent pas de déclarations susceptibles d’appuyer une interprétation téléologique des droits linguistiques. C’est sur cette base que j’ai présenté mes précédents commentaires sur la décision Beaulac.
[441] Je comprends qu’il est soutenu que les passages de la décision Beaulac corroborent de façon substantielle la conclusion de la décision Tailleur selon laquelle les employés bilingues ne devraient pas être obligés de tenir compte des besoins de leurs collègues unilingues, c’est-à-dire que « [L]a compétence linguistique des individus ne doit pas être un facteur dans la détermination des droits linguistiques. »
1. Paragraphe 24 de la décision Beaulac
[442] Le paragraphe 53 de la décision Tailleur termine son analyse des principes d’interprétation en faisant référence au paragraphe 24 de la décision Beaulac concernant les implications de l’égalité réelle des langues. Le passage de la décision Tailleur est le suivant, l’accent étant mis sur le terme réel dans la décision Tailleur, le reste est non souligné dans l’original :
Dans l’arrêt Beaulac, au paragraphe 24, la Cour suprême du Canada expliquait que l’article 2 de la LLO confirme que la LLO protège et vise une égalité réelle au niveau des droits linguistiques au Canada :
Ce principe d’égalité réelle a une signification. Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État […] Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement. Cela dit, il faut noter que la présente affaire ne porte pas sur la possibilité que des droits linguistiques d’origine constitutionnelle soient en conflit avec des droits particuliers prévus par la loi.
[443] Respectueusement, je ne vois pas le passage du paragraphe 24 ci-dessus de l’arrêt Beaulac comme énonçant un principe d’interprétation refusant l’accommodement, sauf dans les circonstances particulières de cette affaire.
[444] Pour commencer, l’arrêt Beaulac était une autre décision axée sur le service qui n’avait rien à voir avec les questions liées à la langue de travail. Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour a décrit la question au paragraphe 45 comme visant à « permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle ». J’ai indiqué que toute adaptation des services dans une langue autre que celle du client, ainsi que des communications de gestionnaires qui ne sont pas dans la langue du subordonné n’est pas acceptable, sauf circonstances exceptionnelles. Ces règles sont enchâssées dans la loi et il n’y a vraiment pas de débat sur la question.
[445] Deuxièmement, le commentaire porte en particulier sur le fait que, lorsque le droit linguistique exige de fournir des services dans la langue de choix de la personne à laquelle le service est fourni, « l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement ». Comme il a déjà été dit, il est bien établi que le droit linguistique de recevoir des services dans la langue du client de la part de l’institution est un droit catégorique. En d’autres termes, ce n’est pas une déclaration qui appuierait la déclaration dans la décision Tailleur selon laquelle « [l]a compétence linguistique des individus ne doit pas être un facteur dans la détermination des droits linguistiques.». En toute justice, les motifs de la décision Tailleur ne comportaient aucun commentaire sur ce passage, bien que le demandeur l’ait adopté pour appuyer l’argument selon lequel les employés bilingues ne devraient pas être obligés de tenir compte des lacunes linguistiques des employés unilingues.
[446] Troisièmement, les remarques de la Cour suprême se référaient spécifiquement au fait que l’appelant était tenu de revendiquer le droit à un procès dans la langue de son choix. La demande de l’accusé d’être entendu par un juge et un jury parlant sa propre langue, présentée par voie de requête préliminaire devant un autre juge, a été rejetée. La référence à l’article 2 de la LLO visait à établir une analogie avec le sens de l’égalité « réelle ». Le problème était qu’il incombait à l’institution de fournir les moyens d’exercer le droit de choisir sa langue lors de la réception du service. Il n’appartient pas à l’accusé d’aller plaider pour demander une sorte d’accommodement à l’institution afin d’utiliser la langue de son choix.
[447] En ce qui concerne le dernier commentaire énigmatique selon lequel « la présente affaire ne porte pas sur la possibilité que des droits linguistiques d’origine constitutionnelle soient en conflit avec des droits particuliers prévus par la loi », il s’agirait très probablement d’une référence au fait que par le régime législatif établi dans le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C46 (Code criminel), l’appelant était tenu de demander un procès dans sa propre langue, ce qui en faisait une forme de procédure exceptionnelle ou une demande d’accommodement de la part de l’institution. Au lieu de cela, l’institution doit prendre des mesures pour faire une offre active du droit d’être jugé par un juge ou un juré qui maîtrisant la langue de l’accusé.
2. Paragraphe 82 de la décision Tailleur
[448] La deuxième référence concernant l’accommodement dans la décision Tailleur au paragraphe 82 fait référence au paragraphe 45 de la décision Beaulac. On y fait référence afin de soutenir le principe selon lequel l’institution fédérale ne peut pas contourner ses obligations en matière de langue de travail en recourant à des employés bilingues. Le demandeur soutient ensuite que les employés bilingues ne sont pas tenus de tenir compte des besoins de leurs collègues unilingues aux termes de l’article 36(2). L’extrait pertinent du paragraphe 82 citant le paragraphe 45 de la décision Beaulac est le suivant (non souligné dans l’original) :
[…] Ensuite, l’institution fédérale ne peut pas contourner ses obligations en matière de langue de travail prévues par la partie V de la LLO simplement en recourant à des employés bilingues. La compétence linguistique des individus ne doit pas être un facteur dans la détermination des droits linguistiques. D’ailleurs, la Cour rappelle à cet égard les propos de la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac, au paragraphe 45 :
On a beaucoup discuté, en l’espèce, de l’aptitude de l’accusé à s’exprimer en anglais. Cette aptitude n’est pas pertinente parce que le choix de la langue n’a pas pour but d’étayer la garantie juridique d’un procès équitable, mais de permettre à l’accusé d’obtenir un accès égal à un service public qui répond à son identité linguistique et culturelle. En fait, il serait surprenant que l’intention du Parlement ait été de restreindre le droit des Canadiens bilingues quand, dans la réalité, les minorités de langue officielle, qui ont le taux le plus élevé de bilinguisme (84 p. 100 des francophones vivant à l’extérieur du Québec comparativement à 7 p. 100 des anglophones, selon le recensement de 1996 de Statistique Canada), sont les personnes auxquelles l’article devait avant tout venir en aide.
[449] Encore une fois, le commentaire surligné dans la décision Beaulac est hautement contextuel et n’a aucun rapport avec les circonstances relatives à la langue de travail. Les faits sont relatifs au droit d’un accusé d’être jugé par un juge et un jury devant la Cour supérieure de la Colombie-Britannique pouvant comprendre le français lorsque ce droit était énoncé dans le Code criminel.
[450] Le juge des requêtes dans la décision Beaulac n’a pas compris que le fait d’être parfaitement bilingue ne signifiait pas que l’accusé francophone ne devrait pas être autorisé à utiliser la langue de son choix parce que c’était la langue dans laquelle il avait demandé à être servi par le système judiciaire public en Colombie-Britannique. Autrement, si les francophones possédant un niveau aussi élevé de bilinguisme accommodaient le service en le recevant en anglais, il n’y aurait aucune nécessité pour le service lui-même.
[451] C’est le point que soulève la Cour dans la décision Beaulac. Cela soulignait l’ironie du fait que la Cour supérieure refuserait un droit linguistique parce que l’accusé était un francophone bilingue dans la province de la Colombie-Britannique. C’est précisément pour cette raison que le législateur a créé ce droit au départ. Comme la Cour l’a souligné, il visait à permettre à M. Beaulac et à d’autres personnes se trouvant dans des circonstances similaires de revendiquer leur identité linguistique et culturelle en exigeant la reconnaissance de leur droit de participer au procès en tant que membre de la communauté minoritaire francophone. Le droit au service était un autre aspect des politiques adoptées par le législateur dans le but d’aider les communautés minoritaires à résister à l’assimilation.
[452] Ce ne sont pas les faits dans cette affaire qui porte sur des questions relatives à l’égalité de statut et de privilèges des langues officielles de travail dans les institutions fédérales dans les régions bilingues.
e) Le devoir imposé aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises selon la version anglaise « such measures as can be reasonably taken » reflète l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pour atteindre un seuil
(i) Une norme légale basée sur un seuil
[453] La discussion sous ce titre examine le libellé de l’article 36(2) qui impose aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises « such measures are taken […] as can reasonably be taken to establish and maintain work environments » (« toutes autres mesures possibles permettant de créer et de maintenir en leur sein un milieu de travail »).
[454] C’est à ce stade de mon analyse qu’il apparaît clairement que la Cour dans la décision Tailleur et moi avons des approches tout à fait différentes à l’égard de l’interprétation et de l’application de l’article 36(2). La décision Tailleur indique au paragraphe 72 que « la Cour est d’avis que c’est le volet “raisonnable” qu’il importe d’accentuer, car c’est ce qui constitue l’essence et le fondement de l’obligation contenue au paragraphe 36(2) » (non souligné dans l’original). En faisant allusion au volet « raisonnable » dans la décision Tailleur, la Cour se réfère à la même analyse des « mesures raisonnables » que celle que je suis en train d’entreprendre ici, relativement aux « mesures possibles » décrites dans le passage ci-dessus de l’article 36(2).
[455] Dans la décision Tailleur, la Cour décrit de quelle manière le « volet raisonnable » est au centre de son raisonnement au paragraphe 73, comme suit :
Aussi, ce qu’il suffit à une institution fédérale de démontrer pour se conformer aux exigences du paragraphe 36(2), c’est d’avoir considéré toutes les mesures raisonnables pour permettre à ses employés de travailler dans la langue officielle de leur choix. [Non souligné dans l’original.]
[456] Conformément au thème de « mesures raisonnables » constituant l’essence et le fondement de l’obligation contenue à l’article 36(2), la Cour élabore un critère consistant en une liste de trois facteurs énoncés au paragraphe 75 « qui peuvent être pris en considération afin de déterminer si la prise d’une mesure par une institution fédérale […] est raisonnable ou non ». Cela semble être une affirmation différente du critère décrit ci-dessus, à savoir que l’institution fédérale doit démontrer qu’elle a considéré toutes les mesures raisonnables pour permettre aux employés de travailler dans la langue officielle de leur choix.
[457] Quoi qu’il en soit, le critère, dans la pratique, du moins tel qu’il a été appliqué dans la décision Tailleur, est une liste de trois facteurs, dont n’importe lequel, s’il était satisfait par l’institution, donnerait à celle-ci le droit exiger des employés qu’ils utilisent leur deuxième langue officielle dans l’exercice de leurs fonctions en son nom.
[458] La principale différence entre nos deux approches réside dans l’hypothèse initiale relative à l’obligation pour les institutions de démontrer qu’elles se conforment à l’article 36(2). Dans la décision Tailleur, la Cour interprète l’article 36(2) comme considérant que l’institution ne se conforme pas prima facie au maintien d’un milieu de travail approprié chaque fois qu’un employé est tenu de travailler dans sa deuxième langue officielle. La Cour est parvenue à cette conclusion en se basant uniquement sur la prise en compte du premier objectif qui concerne l’usage effectif des deux langues officielles. Après avoir conclu qu’une preuve prima facie de non-conformité découle des situations où un employé est incapable d’utiliser sa première langue officielle, le recours est ensuite dirigé vers l’analyse des trois facteurs pour déterminer s’il existe une explication raisonnable (comment je formulerais le critère comme il a été appliqué) par l’institution quant aux raisons pour lesquelles les employés devraient être tenus de travailler dans leur seconde langue officielle.
[459] À mon avis respectueux, ce n’est pas le régime décrit à l’article 36(2). De plus, l’analyse dans la décision Tailleur ne tient pas compte de l’article 91. Cette disposition fait obstacle à la dotation collatérale bilingue. Exprimée de manière transparente, la dotation collatérale bilingue est le résultat effectif d’une règle « aucune mesure d’adaptation », car son application part du principe que les employés bilingues ont le droit de travailler avec d’autres employés bilingues. En opposition à ce résultat et en application du principe du mérite, l’article 91 garantit que les employés unilingues continueront de constituer une composante des milieux de travail dans les régions bilingues qui le méritent. Cela nécessitera à son tour une certaine forme d’adaptation par les employés bilingues afin que de tels environnements de travail puissent fonctionner.
[460] L’article 36(2) ressemble à la plupart des dispositions législatives en ce qu’il énonce des obligations ou des exigences en décrivant une norme juridique que l’institution doit respecter pour se conformer à ce que le législateur impose. En ce qui concerne l’article 36(2), la norme juridique exige que l’institution fédérale démontre que son milieu de travail remplit les deux objectifs énoncés, à savoir être propice à l’usage effectif des deux langues officielles et permettre leur utilisation de l’une ou l’autre. L’application de cette disposition exige d’abord de déterminer ce qui constitue un « milieu de travail » et quelle est l’intention du législateur en prévoyant les deux objectifs, en particulier le deuxième, qui est de permettre l’utilisation d’une des deux langues officielles. L’atteinte d’un seuil réglementaire de conformité pour ce qui est des milieux de travail décrit ma méthodologie d’analyse suivie ci-dessus.
[461] J’en viens à la conclusion de mon analyse interprétative et je conclus finalement que par le deuxième objectif, l’intention du législateur était de créer des milieux de travail dans les régions bilingues composés d’employés bilingues et unilingues. Cette conclusion est tirée en raison du fait que le deuxième objectif permet la prise en compte des besoins des employés unilingues par leurs collègues bilingues et d’autres indicateurs d’interprétation qui appuient cela.
[462] Cette conclusion signifie en outre qu’il n’y a aucun critère à trois facteurs appliqué aux mesures raisonnables. Les « mesures raisonnables » doivent plutôt être analysées dans le contexte de celles requises pour amener les milieux de travail défectueux à se conformer à la création des milieux de travaillent qui répondent aux deux objectifs décrits à l’article 36(2). Il s’agira donc d’une analyse contextuelle relative au milieu de travail spécifique à l’étude afin de déterminer quelles mesures correctives raisonnables sont nécessaires pour rendre ce milieu de travail spécifique conforme à l’article 36(2).
[463] En d’autres termes, il y a deux visions distinctes de l’objectif du législateur par l’adoption de l’article 36(2) en ce qui concerne son intention relativement au terme « mesures possibles ». La décision Tailleur part de l’hypothèse que lorsqu’un employé est tenu de travailler dans sa deuxième langue officielle, l’exigence doit être expliquée comme une mesure raisonnable pour se conformer à l’article 36(2), c’est-à-dire que l’employé qui ne prend pas de mesures d’adaptation cause des difficultés opérationnelles sérieuses et importantes. Je rejette respectueusement cette approche comme représentant l’intention du législateur. Selon mon analyse, l’expression « mesures raisonnables » est l’instrument utilisé par le législateur pour garantir que les milieux de travail non conformes, révélés par une plainte fondée, ou de préférence par les vérifications d’autodéclaration des milieux de travail effectuées par des institutions, sont rendus conformes.
[464] Dans cette partie de mon analyse d’interprétation terminologique de l’article 36(2), l’objectif principal est de démontrer, tout d’abord, que la version anglaise de « such measures as can be reasonably taken » est fondée sur la nature discrétionnaire du terme « reasonably », comme version préférée à adopter à la place de son expression équivalente correspondante inconciliable « toutes autres mesures possibles » (all other possible measures).
[465] Cette interprétation de la nature discrétionnaire du « raisonnable » est un facteur contextuel important, ainsi que l’interprétation des équivalents correspondants « environments/milieu de travail » et « conducive/propice » pour corroborer la conclusion selon laquelle le terme anglais « accommodate » est terme le terme préféré et qu’il intègre la notion de milieu de travail qui prévoit la prise de mesures d’adaptation à l’égard des employés unilingues.
(iii) « reasonably be taken »/« mesures possibles »
[466] Dans la décision Tailleur, la Cour a limité son interprétation de l’article 36(2) à la question de savoir si les mesures que l’institution doit prendre pour créer un milieu de travail approprié devraient être celles qui sont exprimées en anglais par « such measures as can reasonably be taken » ou en français par « toutes autres mesures possibles » (all other possible measures).
[467] Les parties et la Cour dans la décision Tailleur ont convenu que les mesures à prendre devraient être celles qui sont « raisonnablement » requises par opposition aux mesures possibles. Cela a abouti à un débat axé principalement sur la conciliation des équivalents correspondants de « such measures » en anglais, de celui de « toutes autres mesures » en français.
[468] La Cour a réconcilié ces équivalents correspondant en déterminant ce qu’elle considérait comme le sens commun des deux versions de l’article 36(2). Ce raisonnement est le suivant [au paragraphe 64] :
En l’espèce, le sens commun des deux versions linguistiques du paragraphe 36(2) de la LLO est celui qui réfère à la prise de toutes autres mesures qu’il est raisonnable de prendre, puisque toutes les mesures qu’il est raisonnable de prendre sont des mesures possibles, mais toutes les mesures possibles ne sont pas nécessairement des mesures qu’il est raisonnable de prendre. [Souligné dans l’original.]
[469] Je conviens que l’interprétation correcte des mesures à prendre correspond à celles qui sont « raisonnablement » requises. Cependant, je ne suis respectueusement pas d’accord avec le raisonnement suivi pour arriver à cette conclusion. Cela revêt une importance contextuelle, car l’attribution définitionnelle appropriée du terme « reasonably » décrit l’exercice objectif du pouvoir discrétionnaire. Sa fonction est de résoudre les situations de choix. C’est un terme d’évaluation qui nécessite l’exercice d’un jugement et d’un pouvoir discrétionnaire, en l’occurrence dans son application à des termes tels que « milieu » et « accommodate » (autre que « permettre »).
[470] Je suis en désaccord avec la méthode d’interprétation appliquée par la Cour dans la décision Tailleur parce que le terme « reasonably » ne partage pas un sens commun conciliable avec le terme français « possibles ». J’arrive à cette conclusion en me basant sur le sens ordinaire et grammatical de ces mots dans leur sens ordinaire et juridique. De plus, j’estime que l’interprétation contextuelle de la disposition dans son ensemble corrobore la conclusion selon laquelle le législateur voulait que « toutes autres mesures » ne soient prises que pour créer de manière raisonnable un milieu de travail approprié pour l’usage des langues officielles.
[471] Le sens ordinaire du mot « reasonable » suggère un certain nombre de synonymes qui y sont attachés, comme il est indiqué dans le online legal-free dictionary (dictionnaire juridique gratuit en ligne), comme suit (termes latins supprimés) (non souligné dans l’original) :
Reasonable : Suitable; just; proper; ordinary; fair; usual.
The term reasonable is a generic and relative one and applies to that which is appropriate for a particular situation.
… amenable to reason, broad-minded, capable of reason, clearheaded, cognitive, credible, discerning, fit, intelligent, judicious, justifiable, logical, lucid, perceiving, percipient, persuable, plausible, probable, proper, ratiocinative, rational, realistic, right, sagacious, sapient, sensible, sound, tenable, understandable, unjaundiced, valid, warrantable, well-advised, well-founded, wise
[https://legal-dictionary.thefreedictionary.com/reasonable]
[traduction]
Raisonnable : convenable, juste, approprié; ordinaire, équitable, habituel.
Le terme raisonnable est générique et relatif et s’applique à ce appropriée pour une situation particulière.
[…] disposé à entendre la raison, large d’esprit, capable de raisonner, réfléchi, cognitif, crédible, éclairé, apte, intelligent, judicieux, justifiable, logique, lucide, capable de percevoir, perspicace, persuasif, plausible, probable, approprié, intelligent, rationnel, réaliste, droit, sagace, sage, sensé, solide, défendable, compréhensible, neutre (avec neutralité), valide, justifiable, bien avisé, bien fondé, averti
[https://legal-dictionary.thefreedictionary.com/reasonable]
[472] La raisonnabilité est un concept juridique bien défini. Je dis concept parce que cela vise à assurer une perspective objective, relativement bien informée et contextuelle, souvent associée à la personne raisonnable fictive. C’est un concept fondamental utilisé conjointement avec l’équité, c’est-à-dire une décision juste et raisonnable, un système juridique, etc. d’un point de vue objectif. Il est universellement reconnu comme la construction juridique la plus appropriée pour aider les décideurs à rendre des décisions supérieures sur des questions complexes impliquant une multiplicité de facteurs, dans une perspective objective. Le rôle de la Cour est d’adopter les procédures intrinsèques à une décision fondée sur le caractère raisonnable afin de guider une décision juste et raisonnable.
[473] « Possible » et « possibilités » ne sont pas vraiment des concepts juridiques. Seuls, ils ne sont que des descripteurs d’un éventail indéterminé d’adjectifs ou de noms auquel on les applique. Dans la décision Tailleur, la Cour est parvenue à la même conclusion au paragraphe 71 en ces termes :
[…] l’obligation contenue au paragraphe 36(2) ne peut raisonnablement signifier que l’institution fédérale doive faire le tour entier du jardin et regarder tout ce qui pourrait être imaginable en termes de mesures.
[474] Comme l’a indiqué la Cour dans la décision Tailleur, les possibilités soulèvent des complications parce qu’elles englobent toute une gamme de résultats. Les mots associés au terme racine « possible » sont normalement rejetés comme toute forme de norme juridique, simplement parce qu’ils impliquent des fourchettes difficiles à définir en termes de début et de fin, par rapport à une autre ou à une norme minimale de la prépondérance des probabilités. Les termes ou normes de possibles et possibilités sont tellement problématiques qu’il est surprenant de les voir utilisés dans la législation moderne, ou en tant que norme reconnue par les tribunaux, à moins qu’aucune autre option n’existe, c’est-à-dire de quantifier les dommages futurs causés aux dommages corporels sur la base d’estimations d’éventuelles interventions médicales, ou lorsqu’il est impossible de mesurer de manière comparative l’utilité d’une invention (un scintilla d’utilité) en raison de la nature infinie de l’inventivité
[475] Comme les termes « reasonable » et « possible » ne sont pas conciliables, il n’existe pas de fondement commun pour qu’un sens commun puisse se dégager des deux. À mon avis, l’absence de similitude entre ces deux équivalents correspondants ressemble à une conclusion similaire dans la décision Khosa, au paragraphe 39. Je voudrais reformuler légèrement le point, la Cour suprême a distingué la version anglaise du paragraphe 18.1(4) [de la Loi sur les Cours fédérales] qui confère une faculté en attribuant un pouvoir discrétionnaire à la Cour, par opposition aux mots « sont prises », employés dans le texte français ne confèrent pas de pouvoir discrétionnaire. La Cour a déclaré ce qui suit : « Il est donc difficile de dégager le sens commun de ces deux versions ».
[476] Le « caractère raisonnable » décrit un pouvoir discrétionnaire appliqué aux mesures, tandis que le terme « mesures possibles » décrit un éventail infini de mesures. J’ai conclu que le même raisonnement a été appliqué lorsqu’il s’agissait de tenter de concilier les termes « accommodate » et « permettre ». Si je comprends bien la règle énoncée au paragraphe 40 de la décision Khosa, si aucun des deux termes n’est ambigu et s’ils ne partagent pas un sens commun, la Cour doit situer la question linguistique « dans le cadre des règles modernes d’interprétation législative selon lesquelles il faut respecter non seulement le texte, mais aussi le contexte et l’objet de la loi ».
[477] En conséquence, je désapprouve respectueusement la conclusion selon laquelle « mesures raisonnablement prises » (« measures reasonably be taken ») et « mesures possibles » (« possible measures ») sont des termes conciliables partageant un sens commun, mais ne différant que par le moins grand nombre de mesures pouvant être raisonnablement prises, par opposition au large éventail de mesures qui sont possibles. Les termes sont inconciliables sur la base de leurs significations substantielles très différentes et des procédures proposées par chacune d’elles pour déterminer les mesures propres à fournir des milieux de travail appropriés. Le terme « reasonably » (« raisonnablement ») est le terme le plus approprié conçu pour l’objet de déterminations discrétionnaires de mesures appropriées pour créer des milieux de travail, par opposition au terme « possible ». Le mot ne comporte aucun élément discrétionnaire et décrit un nombre incalculable de mesures, qui ne peuvent être converties en un nombre utile de mesures que sur la base d’une certaine forme de norme du caractère raisonnable.
(iv) « such measures »/« toutes autres mesures »
[478] La deuxième question d’interprétation bilingue concernant les mesures raisonnables consiste à déterminer quel équivalent correspondant est approprié pour décrire l’étendue des mesures raisonnables à prendre pour créer un milieu de travail approprié sur le plan linguistique. La version anglaise décrit les mesures requises en utilisant le terme « such measures », tandis que l’équivalent correspondant de la version française est « toutes autres » (all other) mesures.
[479] Dans la décision Tailleur, la Cour a adopté la version française « toutes autres » qui comprend une norme composite composée de termes anglais et français décrite comme « toutes autres mesures qu’il est raisonnable de prendre ».
[480] Avec égards, j’estime qu’il n’y a pas de signification commune dans les expressions « such » et « toutes autres » mesures. Mon problème avec l’expression « toutes autres mesures » est que cette interprétation exigerait de l’institution qu’elle prenne plus que de telles mesures légalement requises pour fournir un milieu de travail approprié pour l’usage des langues officielles selon les termes de l’article 36(2).
[481] En supposant, dès lors, qu’il existe une exigence normale en tant que probabilité ou norme de probabilité à laquelle l’institution doit satisfaire pour fournir un milieu approprié pour l’usage de la langue officielle, seules seraient requises « de telles » mesures permettant à l’institution d’atteindre ce seuil.
[482] La norme de « toutes autres mesures » impose un éventail de toutes les mesures raisonnables possibles, élevant ainsi le seuil légal de mesures nécessaires pour créer un milieu de travail approprié pour l’usage des langues officielles au-delà des mesures nécessaires à l’institution pour se conformer à l’obligation qui lui est imposée par l’article 36(2). Le résultat est vraiment non quantifiable et amorphe par rapport aux autres mesures, ce qui explique pourquoi le droit a tendance à ne fonctionner qu’avec des seuils.
[483] Par conséquent, à mon avis respectueux, sur la base d’une comparaison textuelle des termes « reasonably » et « possibles » et d’une interprétation contextuelle des termes « such » et « toutes autres », il convient d’adopter la version anglaise de sorte que les institutions ne soient dans l’obligation de prendre seulement des mesures raisonnables qui peuvent être prises pour créer et maintenir des milieux de travail appropriés sur le plan linguistique. Encore une fois, cette version offre plus de flexibilité à l’institution pour adopter des mesures visant à fournir un milieu de travail approprié qui permettrait aux employés bilingues de procéder à un certain degré d’adaptation pour établir diverses relations de travail avec des employés unilingues, tout en étant propice à l’usage effectif des deux langues.
(v) Le facteur de difficultés opérationnelles importantes et sérieuses (significantly serious)
[484] Bien que le critère à trois facteurs énoncé dans la décision Tailleur ne soit pas pertinent à mon avis respectueux, je suis néanmoins également fortement en désaccord avec ses exigences trop strictes. Par ce facteur, les institutions pourraient seulement justifier l’obligation imposée aux employés bilingues de travailler dans la deuxième langue de leur choix si elles pouvaient démontrer que l’omission de le faire causerait des « difficultés opérationnelles importantes et sérieuses ». À mon avis, cela établit une norme trop élevée qui n’est pas conforme au concept de ce qui constitue en soi une mesure raisonnable, c’est-à-dire que la norme est excessivement stricte par rapport à une mesure raisonnable.
[485] La nature stricte du facteur serait soutenue par « [u]ne interprétation libérale et téléologique, compatible avec le maintien et l’épanouissement des langues officielles au Canada ». Quoi qu’il en soit, j’ai déjà indiqué qu’à mon avis, aucune interprétation téléologique ne devrait s’appliquer aux dispositions relatives au bilinguisme institutionnel, sauf pour atteindre les objectifs que le législateur a expressément décrits dans le Préambule et l’Objet à l’article 2 de la LLO.
[486] Le facteur opère également au niveau institutionnel, ce qui permet un large éventail de solutions de rechange pour permettre l’utilisation de la première langue avant que les difficultés ne soient importantes et sérieuses pour les opérations. J’estime que le facteur de difficultés opérationnelles « importantes et sérieuses » impose aux institutions une exigence stricte en matière de mesures d’adaptation afin de donner aux employés le droit de ne pas permettre l’utilisation de leur deuxième langue. À mon avis, cela habiliterait excessivement les employés à refuser de travailler dans leur deuxième langue, ce qui créerait toutes sortes de difficultés pour les institutions. Encore une fois, à mon avis respectueux, ce n’est pas ce que le législateur visait en adoptant l’article 36(2) de quelque manière que ce soit en axant la disposition sur les milieux de travail, pas nécessairement sur des situations opérationnelles individuelles spécifiques.
[487] Il y a un autre aspect de la décision Tailleur avec lequel je suis en désaccord respectueux. En toute justice, il s’agit davantage d’une préoccupation relative à une décision non prise qui laisse une question en suspens. Elle se rapporte au droit naissant des employés bilingues de dicter comment, ou si, les employés unilingues doivent effectuer leur travail ou être employés. La question présente certaines similitudes avec celle évoquée dans cette affaire lorsque dans la décision Tailleur, il a été suggéré qu’une exception au principe de la dotation collatérale bilingue soit faite en permettant à un employé bilingue de décider quand il est nécessaire que le poste d’un collègue reçoive une nouvelle désignation, en fonction de la langue de l’employé unilingue.
[488] Cette question quelque peu analogue s’est posée dans la décision Tailleur, dans la mesure où il a été proposé que les droits linguistiques puissent être utilisés pour modifier les activités de l’Agence et pour détourner la fourniture de services des employés unilingues vers des employés bilingues. M. Tailleur a prétendu que cette mesure était une « mesure alternative raisonnable ».
[489] M. Tailleur a prétendu que l’Agence n’avait pas considéré toutes les alternatives raisonnables possibles afin de s’acquitter de sa tâche et de lui permettre de travailler dans la langue de son choix. La Cour a décrit l’argument du demandeur au paragraphe 98 des motifs de la manière suivante (non souligné dans l’original) :
M. Tailleur suggère qu’il serait possible d’établir un système où le dossier d’un contribuable indiquerait qu’il est devenu « bilingue » lorsque c’est le cas, et que les appels pourraient être redirigés vers un employé bilingue lorsque cela serait nécessaire et lorsqu’un agent unilingue anglophone ne comprendrait pas les notes au dossier rédigées en français. M. Tailleur soumet que le transfert d’appels à un autre agent bilingue capable de comprendre les notes au dossier, qu’elles soient en anglais ou en français, ne créerait pas d’inégalité de service pour les contribuables anglophones et qu’un tel mécanisme de transfert d’appels ne serait pas compliqué à instaurer.
[490] Dans la décision Tailleur, la Cour a consacré plusieurs paragraphes au rejet de la proposition relativement à son impact négatif sur la fourniture de services; elle a conclu au paragraphe 108 de la manière suivante :
[…] une mesure ne sera pas raisonnable si sa mise en œuvre entre en conflit avec les obligations de l’institution fédérale prévues à la partie IV de la LLO. Ce facteur est déterminant en l’espèce. L’obligation qui repose sur l’ARC est d’offrir un service égal (signifiant l’égalité réelle) aux contribuables canadiens […]
[491] Cette déclaration confirme mon point de vue selon lequel l’affaire Tailleur est une décision entièrement axée sur le service. Cependant, ma principale préoccupation est que l’autre mesure raisonnable aurait dû être rejetée d’emblée en raison de l’affirmation selon laquelle le refus d’un employé de travailler dans la langue du client, sur la base de ses droits linguistiques, pourrait être rectifié par des mesures qui empiéteraient sur les droits des employés unilingues de travailler sur le dossier de service.
[492] Les implications du transfert des appels de service anglophones aux fournisseurs de services bilingues réduiraient l’exigence pour les employés unilingues de travailler sur ces dossiers. Le résultat, s’il était appliqué dans l’ensemble de l’Agence, réduirait le besoin d’employés unilingues, dont le travail selon la suggestion de M. Tailleur serait nécessairement assumé par des employés bilingues.
[493] À mon avis, une telle suggestion créerait des difficultés opérationnelles sérieuses et importantes, à la fois par l’ingérence grave que cette pratique aurait dans la façon dont l’Agence mène ses activités et par la mesure alternative qui réduirait le travail des employés unilingues. En ne la rejetant pas cette suggestion sur cette base, je crains que la Cour ait implicitement conclu que cette solution de rechange ne poserait pas de problème opérationnel sérieux à l’Agence. Je note également que si la Cour avait rejeté la suggestion subsidiaire en raison de difficultés opérationnelles, il y aurait alors eu une question relative à la langue de travail et certaines indications auraient été fournies concernant la façon dont le facteur devrait être appliqué.
[494] J’ai des préoccupations similaires dans cette affaire liées à la suggestion que tous les collègues ne seraient pas obligés d’être bilingues, si l’employé bilingue n’en avait pas besoin, c’est-à-dire qu’il ne serait pas nécessaire de désigner à nouveau les postes des francophones unilingues travaillant régulièrement avec M. Dionne.
[495] Je crois comprendre que si la dotation collatérale bilingue était approuvée et devenait une pratique de dotation, elle serait appliquée dans toutes les circonstances. Cela signifierait que les postes bilingues seraient normalement désignés les uns par rapport aux autres pour éviter que les employés bilingues ne soient obligés de travailler avec des employés unilingues.
[496] Il serait contraire au principe du mérite, au principe de l’égalité de traitement des langues et aux principes généraux de la dotation que les employés soient en mesure de déterminer les personnes qui devraient être leurs collègues de travail relativement à leurs compétences linguistiques. Les pratiques de dotation et les pratiques opérationnelles de l’Agence relatives aux droits linguistiques doivent être appliquées de la même manière à différents endroits du pays, ou pas du tout. L’égalité n’est pas une voie à sens unique.
[497] De la même manière, mais pour des raisons différentes, j’estime également que les employés qui occupent des postes fournissant des services bilingues ont des options limitées pour refuser de travailler dans la langue du dossier du client à tout moment. Autrement dit, je ne crois respectueusement pas qu’il était nécessaire que l’Agence démontre des difficultés opérationnelles dans les circonstances de M. Tailleur.
[498] La nomination des employés bilingues pour fournir des services bilingues est basée sur le mérite lié à leur facilité à travailler dans les deux langues officielles. Elle n’est pas acquise sur aucun des droits linguistiques qu’ils possèdent, mais plutôt grâce à leurs compétences linguistiques à l’exclusion d’une très grande majorité de canadiens unilingues.
[499] Dans la situation des fournisseurs de services, ils devraient clairement s’attendre à ce que le même principe du mérite, qui leur confère un avantage décisif dans l’obtention de leurs postes en premier lieu, les oblige à utiliser l’une ou l’autre des langues officielles selon la directive de la direction en matière de services qu’elle considère avoir un impact sur la qualité du service. Il devrait y avoir aucun problème de fournisseurs de services bilingues refusant de travailler avec des collègues unilingues alors qu’ils servent le même client, pas plus qu’ils n’ont le droit de refuser de fournir des services au client dans la langue de son choix.
[500] Les droits linguistiques des fournisseurs de services ne sont pas similaires à ceux des collègues bilingues travaillant ensemble comme dans cette affaire, où la situation est considérablement plus complexe. Les fournisseurs de services bilingues sont tenus d’utiliser la langue de choix du client, car c’est pour cela qu’ils ont été embauchés. C’est aussi la raison pour laquelle M. Dionne a voulu faire déclarer les spécialistes comme des fournisseurs de services afin de pouvoir travailler entièrement en français. Contrairement à ce résultat souhaité, conformément à l’article 36(2), son droit est limité à la communication en français avec les spécialistes à Toronto. Les spécialistes bilingues à Toronto ont toujours le droit de communiquer avec lui en anglais, si tel est leur choix.
[501] Lorsque des besoins opérationnels en matière de services surviennent, les fournisseurs de services sont tenus de recevoir et de communiquer dans la langue de choix du client, comme l’a fait M. Tailleur. Tout aspect du lieu de travail qui est pertinent pour la fourniture du service doit également être dans la langue du client, sauf si la direction conclut que des exceptions peuvent être autorisées sans nuire au service. Il s’agit de la décision de l’institution, pas celle de l’employé.
[502] Ainsi, si les fournisseurs de services bilingues se retrouvent avec une large majorité de clients servis dans une langue qui n’est pas celle de leur choix, c’est ce que leur travail exige. Ce n’est pas comme si le fournisseur de services bilingue pouvait demander à l’institution de cesser d’affecter des clients de l’autre langue officielle, ou exiger qu’elle prenne des mesures, comme le demandait M. Tailleur, pour modifier les modalités de travail en éliminant ainsi les employés unilingues qui pouvaient aussi travailler sur le dossier. De telles demandes ne peuvent pas être utilisées pour augmenter le besoin d’employés bilingues ou pour réduire le travail des autres lorsque le mérite ne le requiert pas.
[503] Selon l’interprétation que je donne à l’article 36(2), la direction devra se préoccuper du caractère approprié du milieu de travail relativement à l’usage effectif des langues de choix. Cependant, si les droits linguistiques en matière de service sont en conflit avec les droits relatifs à la langue de travail quant au milieu de travail, c’est également un facteur qui doit être pris en compte lors de l’évaluation du degré d’utilisation de la langue par un employé du service bilingue, car c’est ce qu’il a choisi quand il a été engagé.
[504] Je note sur ce point que dans la décision Tailleur la Cour a indiqué au paragraphe 100 que « l’ARC a effectivement déjà adopté plusieurs mesures qu’il était raisonnable de prendre pour respecter les droits de ses agents d’appel de travailler dans la langue de leur choix. » À mon avis, si l’Agence acceptait ces arrangements, il s’agirait d’une mesure d’accommodement, sans doute judicieuse, mais qui soulèverait la question de savoir pourquoi ces postes sont dotés en personnel bilingue si les personnes qui occupent lesdits postes ne servent les clients que dans la langue de choix de l’employé, et, le cas échéant, si cela enfreint le principe du mérite des nominations en premier lieu.
[505] Néanmoins, de tels arrangements ne constituent pas un droit de l’employé fournissant le service. Il s’agit de décisions que la direction juge appropriées pour aider l’institution à atteindre ses objectifs de la manière la plus efficace et efficiente qui peuvent raisonnablement tenir compte des demandes des employés. Traiter vos employés comme vos meilleurs clients est une pratique d’excellence en gestion, qui donne généralement des résultats d’excellence.
[506] Par conséquent, j’estime que la mesure alternative de M. Tailleur aurait dû être rejetée d’emblée, car elle excédait les conditions d’engagement des employés fournissant des services bilingues et constituait une atteinte discriminatoire aux droits des employés unilingues de travailler sur les appels de service dans la langue du client.
4) Interprétation contextuelle de l’article 36(2)
[507] Dans cette partie de mes motifs, je conclus mon analyse terminologique de l’ensemble du libellé bilingue de l’article 36(2). J’examine d’abord l’incidence contextuelle interne des termes et expressions analysés ci-dessus, afin de déterminer leur effet composite sur l’interprétation de la disposition dans son ensemble. Par la suite, j’examine d’autres dispositions de la LLO, mais extérieures à l’article 36(2), qui peuvent aider à l’interprétation de la disposition.
a) L’interprétation contextuelle interne de l’article 36(2)
[508] Nous verrons ci-dessous que les porte-parole décrivant l’article 36(2) lors de l’adoption de la disposition par le législateur en 1988 ont indiqué qu’une attention toute particulière a été apportée au choix des mots qui constituent la disposition. Après avoir examiné le sens grammatical et ordinaire des termes significatifs de la disposition, je prends maintenant du recul pour tenter de déterminer s’il existe un thème ou un ton contextuel interne général dans les termes significatifs de la disposition qui sous-tend une interprétation du terme « accommodate » (« permettre ») comme indication de l’exigence imposée aux employés bilingues de travailler et de communiquer avec les employés unilingues. Si tel est le cas, la question qui se pose alors est celle de savoir comment concilier cette exigence et celle de maximiser le droit de chaque employé de travailler dans la langue de son choix.
[509] À cet égard, j’estime que les mots soigneusement choisis visent généralement à conférer une souplesse interne dans la méthode d’interprétation qui devrait être appliquée à l’article 36(2). Ce thème se retrouve dans les deux versions, mais en particulier dans la version anglaise, qui s’oppose plus clairement à une approche catégorique de l’interprétation du droit des employés de communiquer dans la langue de travail de leur choix.
[510] Il existe une cohérence dans les expressions de flexibilité, par exemple, dans l’utilisation de termes tels que « work environments » et « milieu de travail » en français. Ce sont des termes clés, car ils décrivent l’objectif général de la disposition qui fonctionne au niveau institutionnel pour fournir des milieux de travail appropriés, et sont donc au centre de la disposition. Les termes « work environments » et « milieu de travail » ont tous deux pour but d’individualiser et de particulariser des éléments de communication spécifiques dans les institutions où s’appliquent les obligations linguistiques de l’article 36(2). Ils fournissent également des connotations de flexibilité dans l’application des obligations. Les termes traitent généralement de la mise en œuvre de solutions pratiques qui conviennent aux employés du point de vue linguistique, dans les différents milieux de travail des institutions, quelque peu éloignées de la situation particulière de chaque employé. À mon avis, c’est le sens voulu attribué à la disposition par le législateur.
[511] Même en ce qui concerne l’objectif principal relatif à « l’usage effectif des deux langues officielles », son caractère catégorique est fortement tempéré par la nécessité que l’environnement de travail soit uniquement « conducive » en anglais, ou selon son équivalent correspondant identique « propice » en français. Les deux termes ont un sens similaire, c’est-à-dire que l’institution fournit des milieux linguistiques « favorables », un terme aux multiples facettes comportant de nombreuses couleurs différentes et des degrés différents qui appellent une flexibilité.
[512] Le terme le plus catégorique figurant dans les deux versions concerne les mesures (un terme tout aussi large et flexible) qui, dans la version française de l’article 36(2), aurait imposé toutes les mesures possibles à prendre par l’institution pour garantir des milieux de travail appropriés. Aucun terme n’aurait pu être plus catégorique et moins pratique en impliquant que les institutions devraient envisager l’univers des possibilités pour améliorer les milieux de travail linguistiques. Dans la décision Tailleur, il n’y avait aucun désaccord sur le fait que « reasonably » (raisonnablement) était le terme le plus approprié.
[513] Le terme « reasonably » (raisonnablement) implique un pouvoir discrétionnaire quant à ce qui constitue la mesure raisonnable devant être prise par l’institution pour créer un milieu de travail approprié pour l’usage des langues officielles, offrant un éventail de facteurs à prendre en compte. Ceux-ci incluent l’impact de la mesure sur la capacité de l’institution à remplir son mandat, mesuré par rapport au degré l’utilisation de sa langue, sachant qu’une certaine forme d’adaptation sera nécessaire, tout en permettant néanmoins une utilisation efficace de la langue choisie. Le caractère raisonnable implique une décision équitable et raisonnable.
[514] Si je m’attarde sur ce point, c’est parce que le lien direct et incontesté entre les termes « work environments » (milieu de travail) et « reasonably » (raisonnablement) affecte à mon avis de manière écrasante la totalité de l’article 36(2) avec l’exigence que les interprétations des dispositions concernant l’utilisation de la langue soient raisonnables, ce qui signifie non catégoriques, si jamais il y a eu un doute quelconque à ce sujet. Cette relation résume essentiellement l’idée selon laquelle les milieux de travail appropriés doivent être raisonnables dans le contexte le plus large possible, lorsque la langue a une incidence sur les institutions fédérales et ses employés.
[515] Cela met la Cour face à l’approche que le législateur a semblé projeter sur les exigences des institutions fédérales de concilier la question qui est de loin la plus épineuse et la plus controversée dans la législation sur les langues officielles. Je me réfère ici à la réglementation de la langue dans les milieux de travail comprenant deux langues de compétences linguistiques différentes de ses employés, qui influe sur la dotation linguistique des postes et les possibilités d’emploi pour les Canadiens en concurrence pour ces postes.
[516] Cela me ramène à la question primordiale que j’essaie de trancher, à savoir le but du terme « accommodate » (permettre) qui n’a pas été examiné dans la décision Tailleur. À ce stade de l’analyse, je suis convaincu que le terme « accommodate » est très important pour clarifier l’intention du législateur quant à la manière de mettre en œuvre la disposition.
[517] L’essence de l’adaptation est de « mettre une chose en correspondance avec une autre ». Sa définition d’un certain degré de compromis semble être le seul moyen disponible pour concilier les deux circonstances irréconciliables d’un environnement de travail bilingue. D’une part, l’argument selon lequel un effectif doit être entièrement composé d’employés bilingues de manière à maximiser le droit d’utiliser une langue de choix, mais au détriment de l’inclusion d’employés unilingues. D’autre part se trouve le principe du mérite, également inconciliable, qui empêche un effectif composé entièrement d’employés bilingues de travailler si la langue ne joue aucun rôle dans l’exercice des fonctions de nombreux postes. L’adaptation semble être l’élément salvateur qui permet d’utiliser les « both (deux) » et « either (l’une ou l’autre) » langue(s) officielle(s), sans limiter indûment le droit général, par opposition au droit inconditionnel, de travailler dans la langue de choix de l’employé.
[518] Des compromis, des solutions de rechange et des solutions mutuellement acceptables, qui ne donnent entière satisfaction à personne, mais qui répondent néanmoins aux intérêts essentiels de toutes les personnes concernées, sont les caractéristiques d’une mesure raisonnable. C’est d’autant plus vrai quand on l’applique à un milieu où règne facilement la dissension, qui soulève des questions difficiles, mais qui nécessite des solutions contextuelles et temporelles, et non des réponses théoriques, strictes et figées. Des solutions accommodantes raisonnables sont essentielles à la bonne gouvernance des institutions d’un pays.
b) Dispositions d’interprétation contextuelle externes de la LLO : les articles 91 et 36(1)c)
[519] Dans cette partie de mes motifs, j’examine l’effet contextuel d’autres dispositions de la LLO sur l’interprétation de l’article 36(2). Ce faisant, je continue de me concentrer sur la principale question qui me préoccupe, à savoir l’article 36(2), notamment sur la question de savoir si cette disposition reconnaît le droit des employés bilingues dans les régions bilingues d’utiliser la langue de leur choix afin de ne pas être obligés de tenir compte des besoins de leurs collègues unilingues. Comme l’a soutenu le demandeur, un tel principe appuierait l’exigence de la dotation collatérale bilingue de ses collègues spécialistes unilingues en reconnaissance de ce droit.
[520] J’ai déjà indiqué que l’article 91 reflétait l’application du principe du mérite appliqué à la dotation en personnel qui exclut, ou du moins modère les revendications de droits linguistiques qui résulteraient de la pratique de la dotation collatérale bilingue des postes. En conséquence, l’article 91 est, à tout le moins, une disposition contextuelle qui doit être prise en compte lors de l’interprétation de l’article 36(2). Je discute de la conciliation des deux dispositions en tant qu’un aspect de la recherche d’une interprétation qui équilibre les objectifs du choix de la langue de travail d’un employé avec la nécessité de tenir compte des besoins des collègues unilingues.
[521] Mis à part l’effet contextuel de l’article 91, le chemin que je suis dans mon analyse interprétative de l’article 36(2) conduit à une conclusion similaire qui réduirait considérablement toute prétention selon laquelle les employés bilingues dans les régions bilingues ne sont pas obligés de tenir compte des besoins des collègues unilingues.
[522] L’article 36(1)c) est une autre disposition contextuelle qui mérite d’être examinée. C’est la disposition peu reconnue, mais très importante, qui impose aux gestionnaires de communiquer dans les deux langues officielles avec les subordonnés qu’ils supervisent. Je dis non reconnue, car il est rare qu’on ait un changement aussi fondamental au tissu économique et culturel du Canada dans une seule disposition d’une même loi du législateur. Une disposition qui reflète toutefois le principe du mérite en reconnaissant enfin l’exigence essentielle de personnel bilingue pour permettre aux institutions fédérales de s’acquitter de leurs mandats nationaux.
[523] Plus précisément, j’en conclus que l’article 36(1)c) constitue un autre indicateur contextuel de l’intention du législateur selon laquelle les gestionnaires superviseraient des milieux de travail composés de collègues bilingues et unilingues travaillant ensemble.
[524] Les deux versions de l’article 36(1)c) sont reproduites ci-dessous avec mes soulignements :
Obligations minimales dans les régions désignées
36 (1) Il incombe aux institutions fédérales, […] :
[…]
c) de veiller à ce que, là où il est indiqué de le faire pour que le milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles, les supérieurs soient aptes à communiquer avec leurs subordonnés dans celles-ci et à ce que la haute direction soit en mesure de fonctionner dans ces deux langues.
[525] La disposition a été implicitement mentionnée dans la décision Tailleur au paragraphe 65. Je dis implicitement, car il a été fait référence à l’article 36, sans préciser l’alinéa à l’esprit. Néanmoins, en se référant à la phrase « là où il est indiqué de le faire » en français et « where it is appropriate or necessary » en anglais, il est clair que l’article 36(1)c) était au centre des commentaires de la Cour.
[526] L’extrait pertinent de la décision Tailleur au paragraphe 65 est le suivant, avec mon insertion entre crochets de ce à quoi la Cour faisait référence par « le sens commun » :
L’interprétation bilingue exige ensuite de vérifier si ce sens commun [l’interprétation dans la décision Tailleur de l’exigence imposée sur les institutions de prendre toutes autres mesures qu’il est raisonnable de prendre] est conforme à l’intention législative suivant les règles ordinaires d’interprétation (arrêt Daoust, au paragraphe 30). Est aussi pertinent le fait que le sens commun dégagé soit compatible avec la logique interne de l’article 36 de la LLO, qui utilise l’expression « là où il est indiqué de le faire » en français et « where it is appropriate or necessary » en anglais. À cet égard, la Commissaire cite en preuve l’historique législatif de la partie V de la LLO qui confirme le sens commun dégagé par l’interprétation bilingue précédente et le fait que les mesures considérées par les institutions fédérales doivent être raisonnables dans leur mise en œuvre concrète et effective […] [Souligné dans l’original.]
[527] De la manière décrite, la référence dans la décision Tailleur selon laquelle l’article 36(1)c) appuie de manière contextuelle l’interprétation de l’article 36(2) n’est pas évidente. C’est peut-être l’obligation imposée aux gestionnaires de permettre les choix linguistiques de leur personnel qui constitue une mesure raisonnable imposée par la loi en tant qu’exigence démontrant une signification de ce qui constitue un usage raisonnable et effectif de la langue de choix d’une personne.
[528] En outre, en ce qui concerne l’historique de la législation auquel il est fait référence dans le même paragraphe, je l’interprète respectueusement d’une manière différente de celle de la Cour dans la décision Tailleur, comme on le verra plus loin.
[529] La première question qui se pose avant d’examiner les implications de l’article 36(1)c) est de savoir comment concilier les équivalents correspondants de la disposition sur laquelle la Cour dans la décision Tailleur nous nous appuyons, à savoir ceux de « where it is appropriate or necessary » en anglais et « là où il est indiqué de le faire » en français.
[530] Je conclus qu’ils ont un sens commun, mais que la version anglaise « where it is appropriate or necessary » est un énoncé plus clair et plus précis de l’équivalent français « là où il est indiqué de le faire » (where it is indicated to do so).
[531] De plus, la version française peut être conciliée de la version anglaise sur la base de différentes approches de rédaction, la méthodologie française étant plus déductive que la rédaction anglaise. Par déduction, la communication dans la langue de choix des subordonnés « là où il est indiqué de le faire » (where it is indicated to do so) peut raisonnablement signifier « lorsque cela est approprié ou nécessaire » (where it is appropriate or necessary) de le faire pour les responsables supervisant un effectif d’employés de différentes langues et capacités linguistiques. Cela devient évident par son lien contextuel avec l’article 36(2).
[532] L’article 36(1)c) démontre que le législateur envisageait une composition linguistique des employés bilingues et unilingues dans les milieux de travail qui pourraient faire un usage effectif des deux langues officielles dans leurs communications avec leur supérieur. Dans cette mesure, je suis d’accord avec la décision Tailleur. Le superviseur serait tenu de répondre de la même façon si la langue de choix du subordonné était « indiquée » (appropriée ou nécessaire).
[533] Toutefois, il ne peut s’agir en premier lieu que des communications avec les subordonnés bilingues, dans lesquelles le superviseur doit utiliser la langue appropriée de son choix. Contrairement à ce scénario, il serait nécessaire pour le superviseur de communiquer avec ses subordonnés unilingues dans leur seule et unique langue officielle. Ainsi, la distinction dans l’obligation pour les gestionnaires de communiquer avec leurs subordonnés montre que le législateur envisageait que les milieux de travail dans les régions bilingues comprennent des employés bilingues et unilingues travaillant ensemble.
[534] Le deuxième appui contextuel que je tire de l’article 36(1)c) est plus subtil. La disposition ne mentionne que le premier objectif de l’article 36(2) qui consiste à favoriser un milieu de travail « propice à l’usage effectif des deux langues officielles ». L’expression anglaise du deuxième objectif exige que le milieu de travail « accommodate the use of either official language » (permette d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles). La discrétion et la flexibilité étant inhérentes au processus de recherche d’une mesure d’adaptation, elles constitueraient un facteur inadmissible et iraient à l’encontre du caractère impératif de l’obligation du responsable de superviser les employés subordonnés dans la langue de leur choix.
[535] En d’autres termes, l’article 36(1)c) correspond mieux à l’existence d’une exigence de mesures d’adaptation différenciée de la part des gestionnaires, qui dépend de la gamme complète des capacités linguistiques et du choix de la langue des subordonnés qu’ils supervisent. Ce faisant, cela renforce l’interprétation selon laquelle le législateur voulait que les gestionnaires supervisent l’ensemble des choix de communication préférés de leurs subordonnés.
[536] Cette exigence confirme mon interprétation d’un milieu de travail conçu par le législateur qui est propice à l’usage effectif des deux langues, mais aussi celui qui permet l’utilisation de l’une ou l’autre dans la mesure du possible. Les gestionnaires se situent au sommet du triangle linguistique d’un lieu de travail composé d’employés aux compétences linguistiques différentes. Ils ont également pour fonction supplémentaire de garantir que les deux objectifs sont atteints du mieux possible dans un milieu de travail linguistique donné comprenant des employés unilingues et bilingues.
5) Jurisprudence concernant les employés unilingues sur le lieu de travail
[537] Au paragraphe 46, dans la décision Tailleur, la Cour s’est référée à la décision Schreiber au paragraphe 129, comme suit (soulignements rajoutés dans la décision Tailleur, à l’exception du premier passage souligné par notre Cour qui fait référence au premier objectif des milieux de travail) :
Dans la décision Schreiber au paragraphe 129, cette cour résumait ainsi l’objectif des dispositions pertinentes contenues dans les parties IV et V de la LLO qui sont en jeu dans le présent dossier :
Comme je l’ai déjà mentionné, les articles 21 et 34 de la Loi sur les langues officielles reconnaissent, respectivement, le droit du public de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services et le droit d’un fonctionnaire d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles pour effectuer son travail, le français et l’anglais étant les langues de travail des institutions fédérales. Les obligations légales correspondantes imposées par l’article 22 et par les articles 35 et 36 exigent respectivement que les institutions fédérales veillent à ce que le public puisse communiquer avec elles et en recevoir les services dans les deux langues officielles dans la région de la capitale nationale et dans les autres régions désignées, et à ce que leur milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles. Ces obligations, qui incombent aux institutions fédérales en vertu de la Loi sur les langues officielles, sont conformes au principe de l’égalité réelle qui exige que le gouvernement prenne des mesures positives pour mettre en œuvre les droits linguistiques reconnus. En d’autres termes, l’objet des obligations légales imposées aux institutions fédérales par les articles 22, 35 et 36 consiste à mettre en œuvre les droits reconnus par les articles 21 et 34 et à leur donner un effet et une signification réels. De plus, les articles 35 et 36 reconnaissent par voie législative le fait que le droit de travailler dans l’une ou l’autre des langues officielles dans une institution fédérale est illusoire en l’absence d’un milieu qui respecte l’emploi des deux langues officielles et en favorise l’épanouissement. L’objet des articles 35 et 36 est donc de garantir la promotion et le développement de milieux de travail bilingues dans les institutions fédérales.
[538] Comme je l’ai déjà mentionné, l’arrêt Schreiber est une autre décision axée sur le service (« mettre en œuvre les droits reconnus par les articles 21 et 34 »). À mon avis, la Cour aurait pu s’appuyer sur les dispositions relatives au service, car différentes compagnies aériennes auraient besoin d’une assistance dans différentes langues, de sorte que le principe du mérite justifierait l’exigence selon laquelle tous les fournisseurs de services doivent être bilingues, un peu comme les conducteurs de train à bord des trains traversant le Canada dans la décision Via Rail. En d’autres termes, l’institution détermine d’abord si, dans la prestation des services, tous les postes nécessitent des compétences bilingues pour pouvoir effectuer le travail. Cette question est examinée par rapport aux exigences du poste dans l’exercice des fonctions assignées au poste par l’employeur. Ces exigences n’ont rien à voir avec les milieux de travail. Elles sont définies par la loi et doivent être appliquées de cette manière.
[539] La Cour a néanmoins justifié le besoin d’un milieu de travail entièrement composé de contrôleurs aériens bilingues sur la base de préoccupations de sécurité. Sur cette base, ce qui a été décrit comme le milieu de travail « unique » présageait l’usage effectif des deux langues. Ceci est simplement un exemple du principe du mérite qui requiert des employés bilingues pour s’acquitter des fonctions du poste. Le bilinguisme était essentiel pour que tous les membres dans le milieu de travail puissent utiliser la langue de leur choix et comprendre celle des autres afin de répondre aux préoccupations de sécurité requises par leurs fonctions pour guider le décollage et l’atterrissage des avions. Il n’y avait pas de place pour les employés unilingues dans un tel milieu.
[540] Je reconnais l’observation incidente de la Cour citée par le demandeur dans le passage cité ci-dessus à propos des dispositions relatives à la langue de travail qui seraient illusoires sans un milieu de travail qui respecte l’utilisation des deux langues et favorise le développement de tels milieux. Mais, comme il a été indiqué, il n’est pas évident que la Cour ait abordé les critères fondés sur le mérite pour la nomination d’employés bilingues. Quoi qu’il en soit, la Cour n’a clairement pas affirmé que le droit de choisir sa langue exigeait un milieu entièrement composé d’employés bilingues au sens de l’article 36(2).
[541] Cela ressort clairement des commentaires de la Cour au paragraphe 132 de la décision Schreiber, dans lesquels elle reconnaissait que l’environnement unique impliquait un effectif d’employés entièrement bilingues, comme suit (non souligné dans l’original) :
[…] De plus, l’Association canadienne du contrôle du trafic aérien s’est toujours opposée à la mise en œuvre de services bilingues de contrôle de la circulation aérienne à la Tour de contrôle d’Ottawa, à moins qu’ils puissent être [traduction] « mis en oeuvre de façon sécuritaire, à l’aide d’un personnel complet de contrôleurs bilingues compétents et entièrement qualifiés. » Même M. Schreiber, au cours de son contre-interrogatoire, a reconnu qu’il était [traduction] « préférable » que tous les contrôleurs de la circulation aérienne soient bilingues. Le ministère a donc tenté de créer un milieu de travail entièrement bilingue pour faciliter l’exercice par le public de son droit de communiquer et de recevoir des services dans l’une ou l’autre langue officielle et pour respecter le droit conféré aux employés par l’article 34 d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles. En fait, compte tenu de la nature unique des opérations de contrôle de la circulation aérienne, seul un milieu de travail entièrement bilingue pouvait être « ... propice à l’usage effectif des deux langues officielles tout en permettant [au] personnel d’utiliser l’une ou l’autre », comme l’exige l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur les langues officielles. Enfin, un milieu de travail entièrement bilingue était aussi conforme, à long terme, avec les exigences très élevées en matière de sécurité que le ministère applique à la prestation des services de contrôle de la circulation aérienne.
[542] En fait, l’arrêt Schreiber est un précédent pour la conclusion selon laquelle l’article 36(2) ne devait pas être appliqué afin de créer un milieu de travail entièrement bilingue. Un milieu entièrement bilingue ne serait créé que lorsque le mérite le nécessiterait, par exemple dans des situations impliquant la sécurité des personnes utilisant le service.
6) Preuve extrinsèque comme une aide à l’interprétation de l’article 36(2)
[543] Dans la décision Tailleur, la Cour s’est référée à des éléments de preuve extrinsèques tirés des débats parlementaires qui ont permis de mieux comprendre son intention lors de l’adoption de l’article 36(2). Cependant, je ne les interprète pas de la même manière que la Cour l’a fait dans la décision Tailleur.
[544] On mentionne d’abord le témoignage de l’honorable Ramon Hnatyshyn. Il répondait à ce qu’il a décrit comme « certains malentendus, mais il est clair que l’institution fédérale a la responsabilité de permettre à ses employés de travailler dans la langue de leur choix, la langue du lieu de travail ». Ses commentaires sont contenus dans les Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif sur le projet de loi C-72, 33e lég., 2e sess., fascicule no 1 (17 et 22 mars 1988), à la page 1:34 (non souligné dans l’original) :
La question de la langue de travail a fait l’objet de certains malentendus, mais il est clair que l’institution fédérale a la responsabilité de permettre à ses employés de travailler dans la langue de leur choix, la langue du lieu de travail. Il faut toutefois tenir compte de la réalité, c’est-à-dire des langues dans lesquelles doivent être offerts les services au public, de la région dans laquelle l’employé travaille, de la réalité du milieu de travail, etc.
[545] Le ministre a indiqué que les questions relatives à la langue de travail étaient controversées concernant « la responsabilité qui incombe à l’institution fédérale de permettre à ses employés de travailler dans la langue de leur choix », c’est-à-dire l’application de l’article 36(2). Cependant, le ministre a indiqué que cela était « contrebalancé » par d’autres facteurs. Je comprendrais que cela signifie que le droit controversé d’utiliser la langue de son choix serait tempéré par d’autres facteurs. Le ministre a cité des exemples de cela survenant dans le cadre de la prestation des services, les régions unilingues, et plus particulièrement pour ces discussions, la prise en compte de « la réalité du milieu de travail ».
[546] Je pense que cette dernière référence renvoie au fait que les milieux de travail sont composés et continueront d’être composés d’employés bilingues et unilingues. Cela ne pourrait être une « réalité » que si les employés bilingues étaient obligés d’utiliser la langue des employés unilingues, sans quoi le lieu de travail ne pourrait pas fonctionner, p. ex., des difficultés opérationnelles fâcheuses.
[547] Dans la décision Tailleur, la Cour s’est référée à un deuxième passage citant à nouveau le témoignage de l’honorable Ramon Hnatyshyn, mais cette fois lors des Délibérations du Comité spécial du Sénat sur le projet de loi C-72, 33e lég., 2e sess., fascicule no 1 (19 et 20 juillet 1988), à la page 1:44 : La partie pertinente de ce passage est la suivante, soulignée dans la décision Tailleur [au paragraphe 66] :
Ces amples droits constitutionnels comprennent, à mon avis, l’égalité d’usage de ces langues dans les milieux de travail des institutions fédérales. Comme les droits découlant de l’article 16 ne sont pas infirmés par des critères comme celui de « la demande importante » ou de la « vocation du bureau », le gouvernement a dû élaborer un système législatif respectant le principe de l’égalité des deux langues dans les institutions, de manière à refléter la réalité du pays et à être applicable sans grande difficulté administrative.
[548] D’après ces deux passages, la Cour dans la décision Tailleur a conclu [au paragraphe 67] que l’intention législative concernant l’interprétation correcte de l’article 36(2) est celle voulant que « les institutions fédérales doivent prendre toutes autres mesures qu’il est raisonnable de prendre » [souligné dans l’original] Encore avec respect, je ne vois pas comment cette conclusion découle des deux passages cités.
[549] Par la référence du ministre au fait que le gouvernement devait élaborer un système législatif respectant le principe de l’égalité des deux langues « de manière à refléter la réalité du pays », que je pense est une référence similaire à la « réalité du milieu de travail » décrite ci-dessus, le ministre reconnaissait en fait que les Canadiens bilingues et unilingues continueraient de travailler ensemble dans les institutions fédérales, comme c’était le cas dans la fonction publique de 1988. Si tel est le cas, le législateur comptait évidemment sur des employés bilingues pour faire en sorte que le lieu de travail fonctionne correctement.
[550] Un troisième passage, beaucoup plus significatif, évoqué par le demandeur, le commissaire et la Cour dans la décision Tailleur est également tiré de la session du Sénat qui vient juste d’être mentionnée, avec les commentaires présentés à la page 1:51. Ces commentaires ont été prononcés par M. Martin Low au nom du ministère de la Justice du Canada en abordant expressément l’intention du législateur lors de l’adoption de l’article 36(2).
[551] La Cour dans la décision Tailleur s’est fondée sur les déclarations de M. Low pour étayer le seuil élevé de difficultés opérationnelles sérieuses et importantes rencontrées par l’institution, afin de justifier l’obligation d’imposer aux employés bilingues l’utilisation de la deuxième langue de leur choix. Encore une fois, je serais respectueusement en désaccord avec cette interprétation.
[552] Les extraits pertinents sont tirés des Délibérations du Comité spécial du Sénat sur le projet de loi C-72, 33e lég., 2e sess., fascicule no 1 (19 et 20 juillet 1988), à la page 1:51 (ci-dessous soulignés dans la décision Tailleur [au paragraph 76], sauf dans le cas où j’ai indiqué mes soulignements) :
[…] Il est important que nous commencions avec une compréhension claire des droits que confère cette disposition. Le droit donné aux employés est celui d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles, conformément à la partie V de la loi, qui énonce plusieurs obligations institutionnelles, lesquelles établissent la norme commune la plus élevée dans une institution donnée, afin de maximiser la possibilité d’un employé d’utiliser la langue de son choix.
Tout cela se regroupe dans cette notion, qui impose aux institutions fédérales l’obligation d’assurer que leur milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles et permette à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre. C’est ce qu’énonce l’article 35(1)a).
Évidemment, ces termes ont été soigneusement choisis. Ce sont aussi des mots qui visent à rendre ce droit applicable, en ce sens qu’ils empêcheront un individu de prendre une position si rigoureuse et si inflexible à propos de son droit qu’il pourrait paralyser le fonctionnement d’une institution s’efforçant d’une façon pragmatique de faire de son milieu de travail un lieu où les employés des deux groupes linguistiques se sentent à l’aise.
Il est impossible d’énoncer cela au moyen d’une règle précise applicable à tous les milieux de travail de chaque institution fédérale. [Soulignement ajouté.] Les institutions gouvernementales sont diverses, de même que leur personnel.
Ces dispositions exigent essentiellement que les institutions fédérales aient comme ligne de pensée de maximiser les possibilités offertes aux individus de travailler dans la langue de leur choix, sans imposer à ces institutions des exigences si rigoureuse et inflexible que l’administration de cette institution en subirait un effet nocif.
[553] Les passages soulignés dans la décision Tailleur, ainsi que par le demandeur et le commissaire, font état de cas où une personne adopte une position rigoureuse et inflexible à propos de son droit en imposant à ces institutions des exigences si rigoureuses et inflexibles que l’administration de l’institution en subirait un effet nocif.
[554] Il semblerait que dans l’affaire Tailleur, la Cour s’appuie sur la traduction française des commentaires de M. Low, qui ont été formulés en anglais. Certains termes suggèrent un niveau plus élevé de difficultés opérationnelles décrites en anglais pour rendre les environnements linguistiques « workable », « pragmatic » et « comfortable ». Cela inclurait les traductions suivants : « workable », par « applicable »; « adversely impacted », par « subirait un effet nocif »; et en particulier, « tie up work » par « paralyser le fonctionnement ». Néanmoins, à mon avis humble la version française de la déclaration de M. Low ne suggère pas que l’utilisation de sa première langue puisse être restreinte uniquement si cela provoque « des difficultés opérationnelles importantes et sérieuses ».
[555] Les remarques de M. Low étaient clairement axées sur les situations dans les milieux de travail. Il a souligné qu’il est impossible d’énoncer une règle précise applicable à tous les milieux de travail de chaque institution fédérale. Dans cette optique, il a également décrit ce qui constituerait un milieu de travail approprié au sens de l’article 36(2).
[556] Au premier paragraphe, il est fait référence au droit de l’employé d’utiliser sa langue et cela n’est pertinent que pour montrer que ce droit était circonscrit à l’article 36(2). M. Low a indiqué que « [l]e droit donné aux employés est celui d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles, conformément à la partie V de la loi, qui énonce plusieurs obligations institutionnelles ». Cela signifiait que les droits de l’employé étaient ceux définis par l’article 36(2), qui est similaire à l’article 35(1)a).
[557] M. Low a déclaré que ces droits visaient à « établi[r] la norme commune la plus élevée dans une institution donnée, afin de maximiser la possibilité d’un employé d’utiliser la langue de son choix. » Il ne dit pas quel est le contenu de ces normes dans ce paragraphe. C’est peut-être la norme commune la plus élevée, mais c’est aussi la seule norme commune, ou ce que je qualifierais simplement de seuil, qui est imposée à une institution afin de maximiser la possibilité d’un employé d’utiliser la langue de son choix.
[558] Dans le paragraphe suivant, M. Low fait référence à l’article 35(1)a) dans les termes précis du milieu de travail avec les deux objectifs, y compris celui de permettre l’utilisation, dans des termes identiques à ceux de l’article 36(2). Le fait que M. Low ait fait expressément référence à la version anglaise du deuxième objectif signifierait, à mon avis respectueux, que cette formulation méritait d’être prise en compte dans la décision Tailleur si elle s’appuyait sur ses commentaires comme preuve extrinsèque.
[559] Tous les intéressés sont d’accord pour dire que le troisième paragraphe entièrement souligné est très important. M. Low aborde ce que je considérerais comme étant l’objectif général de l’article 36(2). Il s’agit « d’une façon pragmatique de faire de son milieu de travail un lieu où les employés des deux groupes linguistiques se sentent à l’aise » [soulignement ajouté]. Le concept consiste à rendre le droit « workable » (applicable) et les milieux de travail « pragmatic » (pragmatiques) et « comfortable » (convenables) en permettant l’utilisation de la langue de choix des employés. Encore une fois, j’insiste sur le fait que l’objectif est principalement axé sur le « milieu de travail ».
[560] Ainsi, il est donc clair à ce stade que l’intention du législateur est de « maximiser les possibilités offertes aux individus de travailler dans la langue de leur choix » dans des milieux de travail réalistes, pragmatiques et convenables sur le plan linguistique. À mon avis, il s’agit d’une déclaration selon laquelle les employés bilingues devraient s’attendre à ce qu’ils soient obligés de travailler dans la langue des employés unilingues, sans laquelle les institutions ne peuvent fonctionner de manière raisonnable. De même, l’institution est tenue de créer un milieu de travail qui maximise la survenance des possibilités d’utilisation du choix de la langue de l’employé, dans la réalité des milieux de travail linguistiques des institutions fédérales, d’une manière pratique qui vise à rendre l’utilisation de langue de choix aisée dans ce cadre.
[561] Je conclus que la preuve extrinsèque relative à l’intention du législateur susmentionnée corrobore de manière générale mon interprétation de l’article 36(2). Mon analyse de la disposition en suivant son sens ordinaire et grammatical, dans son contexte de la Loi dans son ensemble, compte tenu de son objet et de ses objectifs, confirme la conclusion selon laquelle elle devrait être interprétée de manière à permettre aux employés bilingues de tenir compte dans une certaine mesure des besoins des employés unilingues. Dans ce contexte, les demandes inflexibles sont celles qui ne rendent pas le droit « workable » (applicable) et qui ne s’alignent pas sur les milieux de travail linguistiques pragmatiques et confortables déjà en place.
E. Conclusion sur l’interprétation de l’article 36(2)
[562] Pour les raisons qui précèdent, je conclus que l’article 36(2) devrait être interprété de manière à ce que les employés bilingues soient tenus de travailler avec des employés unilingues dans leur langue dans une certaine mesure. L’article 91 confirme que, lorsque les exigences linguistiques des parties IV et V ne constituent pas une exigence fonctionnelle pour les postes, ils seront désignés unilingues et dotés en personnel en conséquence. Fondamentalement, le principe du mérite prévaut en matière de dotation.
[563] Comme M. Low l’a indiqué, en raison de milieux de travail qui varient dans les institutions et entre les institutions, il n’y a pas de règles précises décrivant comment l’article 36(2) devrait être appliqué. Malheureusement dans cette affaire, les parties sont parties du postulat qu’une restriction à l’égard de la langue de choix de l’employé était une exception, par opposition à une réalité dans un milieu de travail composé d’employés unilingues et bilingues. En conséquence, elles n’ont jamais abordé le véritable régime de la disposition, qui met l’accent sur des milieux pragmatiques et fonctionnels, nécessitant une certaine prise en compte des besoins des employés unilingues dans le milieu de travail. Dans les circonstances, je n’ai pas d’autre choix que de rejeter la demande du demandeur sur la base de l’article 36(2).
F. Application de l’article 36(2)
[564] J’ai conclu que la dotation collatérale bilingue n’était pas acceptable conformément à l’article 91. Le milieu de travail du demandeur doit néanmoins répondre aux objectifs de l’article 36(2). Cette disposition oblige les institutions fédérales à créer un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles et qui permette à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre dans les régions bilingues.
[565] De toute évidence, la tâche difficile est de savoir comment satisfaire aux exigences de l’article 36(2) et de l’article 91. Les milieux uniques tels que celui de Schreiber, où les besoins opérationnels exigent la dotation en personnel bilingue de l’ensemble des effectifs, seront rares.
1) Primauté à l’usage effectif des deux langues officielles
[566] J’ai déjà indiqué que parmi les deux objectifs requis du milieu de travail à l’article 36(2), le premier, à savoir qu’il soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles, devrait avoir la primauté sur le deuxième objectif voulant que le milieu de travail doive permettre l’utilisation de l’une ou l’autre quand le choix est disponible.
[567] On admet généralement la prémisse selon laquelle dans les régions bilingues, la majorité des employés doivent être bilingues. Cela devrait être dû en grande partie au besoin essentiel des employés bilingues afin d’accorder une flexibilité dans la fourniture de services au public et aux autres employés, de communiquer avec les employés des régions unilingues et de permettre au personnel unilingue des régions bilingues de travailler dans des régions bilingues. De plus, tout le personnel de gestion est bilingue.
[568] En outre, le droit de l’employé de communiquer dans la langue de son choix est un droit protégé par la Charte. Il est également soutenu par le besoin essentiel et concret d’un noyau hautement bilingue au cœur des institutions fédérales pour l’efficacité opérationnelle dans toutes les régions du pays. Avec plus de 80 p. 100 de la population canadienne qui est unilingue, la majorité des deux groupes de langue officielle étant unilingues, seuls les employés bilingues peuvent fournir les passerelles de communication permettant aux Canadiens de vivre et de travailler dans la même société, de telle sorte que le Canada puisse se décrire comme un pays.
[569] Par conséquent, les milieux de travail devraient être pondérés en faveur de l’effectif bilingue, qui variera en fonction des circonstances. Cela reflète également le fait que si les employés unilingues sont inclus dans le milieu de travail, le noyau bilingue est essentiel pour que l’effectif d’employés puisse fonctionner dans les deux langues.
[570] Par conséquent, le bilinguisme est une exigence essentielle pour la majorité des employés des institutions fédérales dans les régions bilingues pour assurer un milieu de travail linguistique « convenable » qui répond aux objectifs de l’article 36(2). De plus, la compétence fonctionnelle objective des candidats à un poste étant égale, l’employé bilingue devrait être retenu.
[571] La création d’un milieu de travail aussi bilingue et convenable impose une responsabilité considérable à l’équipe de gestion. Dans une certaine mesure, une vérification continue de leur part est nécessaire pour s’assurer que le milieu de travail est équilibré, de sorte que les employés bilingues puissent faire un usage effectif de leur choix de langue et limiter la nécessité de s’adapter à l’autre langue.
[572] Cela dépendra de nombreux facteurs, y compris la réponse aux arrangements linguistiques en milieu de travail que les employés souhaitent; mais sans aucun effet obligatoire. C’est le milieu linguistique de travail approprié dans son ensemble qui doit être créé conformément à l’article 36(2), avec pour résultat que les employés bilingues devront exercer leurs compétences linguistiques essentielles dans une certaine mesure en travaillant avec des collègues unilingues pour répondre aux besoins opérationnels.
[573] Évidemment, les situations telles que celle décrite par M. Dionne, qui a apparemment soulevé la question linguistique auprès de ses supérieurs à plusieurs reprises, devraient être évitées. Les employés devraient en effet être encouragés à soulever ces problèmes auprès de leurs gestionnaires et à faire des suggestions pour régler les problèmes linguistiques en milieu de travail.
[574] Les gestionnaires doivent baser leurs réponses sur les besoins opérationnels, tout en recherchant différents scénarios d’adaptation, par exemple en répartissant les tâches entre des collègues et d’autres personnes dans la mesure du possible et du raisonnable et en faisant travailler des employés unilingues ensemble pour limiter le besoin de communications supplémentaires dans leur langue.
[575] Le fait de prévenir les problèmes avant qu’ils ne surviennent ne devrait toutefois pas être considéré principalement comme un moyen d’éviter une plainte auprès du commissaire. La direction doit examiner ces questions de manière approfondie, au lieu de les éviter simplement.
3) Reconnaître la charge de travail supplémentaire du bilinguisme
[576] Les plaintes formulées au sujet de l’incapacité à utiliser la langue de son choix dans les institutions fédérales peuvent souvent être liées aux efforts supplémentaires et à l’énergie mentale non appréciés que suppose le fait de travailler dans les deux langues, en particulier dans l’exercice de fonctions bilingues par écrit. Malheureusement, les employés unilingues ne semblent pas toujours reconnaître le lourd fardeau supplémentaire que doivent supporter les employés bilingues pour travailler avec eux.
[577] À moins de grandir dans un environnement totalement bilingue, le fait de travailler dans une deuxième langue peut devenir énervant. Le stress peut alourdir ce fardeau. Je ne connais pas la nature des tâches du demandeur, mais j’ai le sentiment que les équipes de généralistes et de spécialistes traitent de questions extrêmement complexes relatives à la surveillance des institutions financières. Il est à noter que les problèmes de M. Dionne ont semblé se manifester lorsque les institutions financières faisaient face à leurs risques les plus périlleux depuis près d’un siècle. Je pense que plus la tâche est complexe et ardue, plus il est difficile de travailler dans la deuxième langue.
[578] En ayant à travailler dans les deux langues, la complexité comparable de la nature du travail et le volume supplémentaire requis de la part des employés, tels que des généralistes bilingues, pourraient être considérables. C’est particulièrement le cas s’il est de plus en plus requis de communiquer régulièrement dans une deuxième langue au sein d’une institution fédérale telle que le BSIF, ce qui apparaît comme une nécessité d’avoir un milieu environnement de travail où l’anglais prédomine pour superviser et servir sa clientèle.
[579] Lorsque l’on travaille dans sa deuxième langue, il y a aussi l’inconvénient de ne pas avoir le rendement optimal. Ces circonstances peuvent soulever des problèmes d’injustice qui, s’ils sont accompagnés d’une utilisation inégale des langues, peuvent éventuellement peser sur les relations entre les employés bilingues et unilingues, en particulier dans des circonstances stressantes, ou celles qui nécessitent des communications écrites approfondies.
[580] La réalité dans de nombreux milieux dits bilingues est que la langue de travail est l’anglais même avec des collègues bilingues, tout simplement parce que les francophones bilingues ont généralement une plus grande facilité en anglais que les anglophones en français. Le francophone bilingue tient constamment compte des besoins des anglophones, ce qui est un facteur que la direction doit prendre en compte pour maintenir des milieux de travail appropriés pour l’usage des langues officielles.
[581] Ces circonstances deviennent d’autant plus désagréables que les collègues unilingues et la direction n’apprécient pas l’effort supplémentaire que doivent fournir les employés bilingues pour travailler dans leur deuxième langue, pour une multitude de raisons.
[582] Cela devrait dans une certaine mesure être reconnu dans le milieu de travail, en prenant en compte le fardeau supplémentaire de travailler dans les deux langues. Je pense que cela contribuerait grandement à créer un milieu de travail harmonieux, composé d’employés bilingues et unilingues et, espérons-le, à mettre fin à la critique injustifiée de la prime au bilinguisme de 800 $.
[583] Ce sont ces disparités concrètes dans les circonstances fonctionnelles qui peuvent être accompagnées d’un sentiment d’injustice dans l’utilisation inégale de la langue des employés qui travaillent ensemble qui obligent les institutions fédérales à s’efforcer de permettre aux employés d’utiliser la langue de leur choix.
4) Moyens d’alléger les efforts de travail de l’employé bilingue.
[584] Il est également bon de considérer la recommandation de M. Low d’avoir « comme ligne de pensée de maximiser les possibilités offertes aux individus de travailler dans la langue de leur choix », sans que cela ait une incidence négative sur les activités de l’institution.
[585] À cet égard, les institutions fédérales devraient étudier et chercher les moyens d’adopter les nouvelles technologies susceptibles de faciliter considérablement les tâches de l’employé bilingue. Le potentiel de nombreuses avancées technologiques soulève des préoccupations légitimes quant à l’élimination du travail des humains qui pourrait les accompagner. Néanmoins, en ce qui concerne l’aide d’employés bilingues tels que M. Tailleur et M. Dionne, ils ont le potentiel de réduire considérablement le fardeau de leurs communications écrites en anglais.
[586] Dans l’état actuel des technologies, un employé peut taper, ou mieux encore, dicter sa voix avec un degré de précision assez élevé dans Google Translate et, en fonction de la structure et de la longueur de la phrase, obtenir une traduction immédiate d’une qualité brouillon suffisamment acceptable : voir, en général, « The Great A.I. Awakening : How Google used artificial intelligence to transform Google Translate, one of its more popular services ― and how machine learning is poised to reinvent computing itself » [The New York Times, 14 décembre 2016], en ligne : https://www.nytimes.com/2016/12/14/magazine/the-great-ai-awakening.html.
[587] Toutes les modifications requises sont évidentes pour les personnes bilingues ayant des compétences en lecture, particulièrement s’il s’agit d’un sujet avec lequel les employés travaillent régulièrement et sur lequel ils échangent des communications. Dans un monde qui évolue vers le courrier électronique et les communications écrites associées pour de nombreuses raisons, les institutions fédérales devraient étudier comment utiliser ces technologies pour aider les employés bilingues et rééquilibrer la tendance pratique à surutiliser l’anglais dans des milieux de travail bilingues.
[588] Cette recommandation est avancée avec la mise en garde selon laquelle de telles technologies ne devraient pas s’appliquer aux questions de dotation en personnel. Les compétences linguistiques en langue maternelle devraient toujours être la considération primordiale pour la dotation de postes bilingues dans toutes les régions. La technologie ne peut servir le même objectif de créer des milieux de travail respectueux, tolérants et accommodants qui exigent la diversité linguistique dans le milieu de travail pour créer les attitudes appropriées nécessaires au succès des institutions fédérales bilingues.
X. Droits linguistiques dans les régions unilingues
[589] Jusqu’ici, les commentaires relatifs à l’article 36(2) ont seulement été traités relativement aux communications entre employés dans des régions bilingues. Toutefois, le demandeur bilingue d’une région bilingue demande que la règle de la dotation collatérale bilingue soit appliquée pour attribuer une nouvelle désignation aux postes de ses collègues spécialistes unilingues à Toronto, dans une région unilingue.
[590] Le fait que les communications entre employés soient échangées entre les régions bilingues et unilingues soulève une autre question : les droits des employés aux termes de l’article 36(2) ont-ils préséance sur les droits linguistiques des employés dans les régions unilingues?
[591] Les observations des parties sur la question étaient très limitées. Aucune n’a été fournie par le demandeur. Il a simplement supposé que le BSIF avait des bureaux dans les régions désignées et non désignées et ne pouvait se soustraire à son obligation de fournir des milieux de travail appropriés pour l’usage des langues officielles dans les régions bilingues simplement parce que les communications provenaient des employés des régions unilingues.
[592] Bien que je convienne que les milieux de travail appropriés pour l’usage des langues officielles devraient être définis par les voies de communication entre les employés, où qu’ils soient situés, cela ne résout pas le fait que l’exercice des droits par le demandeur a une incidence sur les droits des employés dans les régions unilingues, dans leur cas, d’utiliser la langue de leur choix et, en outre, de continuer à occuper des postes spécialisés contrairement aux exigences du demandeur. La question est de savoir comment résoudre un conflit concernant les droits relatifs aux langues officielles des employés dans des régions désignées différemment.
[593] Le défendeur, dans l’un de ses arguments subsidiaires, a inclus un court paragraphe soulignant que la LLO distinguait les régions bilingues des régions unilingues et que ce n’était que dans les régions bilingues qu’il y avait une obligation de créer un milieu propice à l’usage des deux langues officielles.
[594] Le commissaire n’a pas pris position concernant la question en litige. Toutefois, son Rapport d’enquête final indiquait que la Politique de 2004 du Secrétariat du Conseil du Trésor précisait que les employés bilingues dans les régions bilingues devaient utiliser la langue des employés unilingues dans les régions unilingues, celle-ci étant la seule langue dans laquelle ils pouvaient travailler. Cette directive politique a été radiée de la politique de 2012 publiée par le Secrétariat du Conseil du Trésor, en laissant la question sans réponse. Mon hypothèse est que, comme le commissaire préconisait que les employés bilingues aient le droit de travailler dans leur langue maternelle, il a été décidé qu’aucune position ne devrait être prise sur la question tant que les tribunaux n’auront pas clarifié les choses.
[595] À mon avis, le Secrétariat du Conseil du Trésor aurait dû laisser la situation telle quelle jusqu’à ce qu’elle soit résolue par une décision définitive indiquant le contraire. Le concept d’extension de la règle de dotation collatérale bilingue aux régions unilingues crée des changements importants dans la dotation, alors qu’il n’y avait aucune raison de penser que le législateur voulait que les employés bilingues soient en mesure d’insister pour qu’ils travaillent uniquement avec d’autres employés bilingues, même dans les régions unilingues semble à première vue saper le concept d’avoir des régions désignées et non désignées.
[596] La seule disposition pertinente concernant les droits linguistiques dans les régions unilingues est l’article 35(1)b) de la LLO, qui est rédigé ainsi :
Obligations des institutions fédérales
35 (1) […]
b) ailleurs au Canada, la situation des deux langues officielles en milieu de travail soit comparable entre les régions ou secteurs où l’une ou l’autre prédomine.
[597] Dans les régions non désignées, le concept d’égalité de statut, d’usage et de privilèges des deux langues est remplacé par celui de langue prédominante. Cela semblerait être un indicateur très pertinent de la manière dont cette question devrait être réglée.
[598] Comme on le voit, la seule directive légale sur les milieux de travail concerne les milieux de travail d’une institution. Si une institution a des bureaux dans les deux régions unilingues dominantes, ses milieux de travail devraient être comparables. Étant donné que la question des milieux de travail dans les régions non désignées n’a pas été abordée par les parties, que ni la Cour n’a reçu aucun élément de preuve pertinent ni aucune observation significative sur la question, cette question importante est laissée à la Cour pour qu’elle la traite au mieux.
[599] La présomption de compétences linguistiques d’un employé, s’il est situé dans une région unilingue par la fonction de sa non-désignation, est que l’employé est présumé être unilingue. De ce fait, et que la langue de l’employé est la langue dominante dans cette région, le sens commun suggère que les communications avec cet employé devraient être assimilées à la fourniture de services dans le cadre desquels l’employé dans la région unilingue est considéré comme le client aux fins de la fourniture de services. En ce qui concerne la fourniture de services, la communication ne sert à rien si elle n’est pas dans la langue du participant unilingue.
[600] En deuxième lieu, il est important de garder à l’esprit que les dispositions pertinentes en matière de langue de travail sont appliquées pour créer des milieux de travail appropriés sur le plan linguistique. Le concept consiste donc à comprendre que l’information est transmise d’un milieu de travail bilingue à un milieu de travail unilingue (le droit ne s’applique qu’aux communications sortantes) et non pas seulement d’une personne à l’autre. On s’attend à ce que les renseignements reçus par un employé soient partagés dans les limites de son milieu de travail, en l’occurrence le milieu de travail unilingue à Toronto.
[601] Si un employé bilingue d’une région bilingue tente d’exercer son choix de langue, l’employé bilingue d’une région unilingue devra assumer les fonctions d’interprétation et de traduction de sorte que les renseignements puissent être partagés dans le milieu de travail de la région unilingue.
[602] Ainsi, nous avons une communication d’une région bilingue avec une capacité de communication dans l’une ou l’autre langue qui doit être interprétée ou traduite pour être utile à un groupe d’employés dans leur milieu de travail unilingue, même si le collègue qui reçoit la communication est bilingue. Dans de telles circonstances, la question qui se pose est celle de savoir où il est préférable que cette fonction soit exercée.
[603] Il semblerait évident que, pour minimiser les retards et les coûts, la communication émane dans la langue de la région unilingue grâce à l’exercice des compétences bilingues des employés. Il est présumé que le législateur a conçu des régions bilingues et unilingues basées sur la capacité des employés des régions bilingues de communiquer dans la langue de la région unilingue.
[604] Le concept de régions bilingues et unilingues est que la région bilingue est responsable des communications de travail bilingues pour que les régions unilingues puissent travailler dans leur langue dominante. Le régime de la loi ne vise pas à permettre aux employés bilingues de déléguer leurs fonctions bilingues, de sorte que les régions unilingues doivent posséder une capacité bilingue pour pouvoir travailler avec des employés situés dans des régions bilingues.
[605] Troisièmement, l’insistance sur le droit du demandeur de travailler dans la langue de son choix, le français conformément à l’article 36(2), exigerait, à titre de redressement, la désignation de postes de spécialiste bilingue à Toronto. L’article 91 fait obstacle à cet exercice du droit du demandeur, car la nomination de spécialistes bilingues n’est pas requise pour l’exercice des fonctions du spécialiste à Toronto, mais découle de l’exercice d’un droit sous le régime de la partie V.
[606] Dans la mesure où le défendeur, même s’il le voulait, n’aurait pas été en mesure de doter les postes de spécialistes bilingues à Toronto afin de permettre au demandeur d’exercer son droit de travailler dans la langue de son choix, il ne lui est pas possible d’exercer son droit allégué conformément à l’article 36(2). Cela est en reconnaissance de la primauté accordée par le législateur à l’article 91 sur l’application des droits conférés par l’article 36(2) dans le but précis d’empêcher des employés, tels que le demandeur, d’exercer un droit linguistique qui aurait des conséquences indues sur la dotation, à la fois dans les régions bilingues et unilingues.
[607] En conséquence, les communications émanant de régions bilingues doivent être dans la langue de choix des employés qui les reçoivent dans des régions unilingues.
[608] Cette conclusion constituerait un autre motif de rejet de la prétention du demandeur selon laquelle les postes à Toronto doivent être désignés à nouveau comme bilingues essentiels conformément à l’article 36(2).
XI. Outils de travail et Systèmes informatiques d’usage courant et généralisé
A. Outils de travail
[609] Le commissaire recommandait que le BSIF s’assure que tous les outils de travail utilisés régulièrement par les employés dans les régions bilingues soient offerts dans les deux langues officielles. Il s’agit de l’application de l’article 36(l)a) ce qui prévoit l’obligation des institutions fédérales de fournir à leur personnel situé en région bilingue la documentation et le matériel d’usage courant et généralisé dans deux langues officielles (Outils de travail d’usage courant et généralisé).
[610] Les termes « d’usage généralisé » de la version française et « widely used » de la version anglaise dénotent l’intention du législateur de n’assujettir à l’obligation de l’article 36(1)a) qu’une certaine catégorie de matériel et de documentation utilisés par la majorité des employés d’une institution fédérale. Je suis d’avis que le législateur n’a donc pas voulu imposer, à l’article 36(1)a), l’obligation de traduire l’ensemble de la documentation et du matériel utilisé, même couramment, par une fraction seulement des employés d’une institution.
[611] Le demandeur s’est plaint du partage aux employés du bureau de Montréal de certains documents produits par les spécialistes du bureau de Toronto, soit précisément des documents d’analyse produits trimestriellement à l’attention de la haute direction. Le défendeur soutient que ces documents servent de support à la rencontre trimestrielle de la haute direction du BSIF et y sont strictement destinés. Donc, il ne s’agit pas de matériel ou de documentation d’usage courant et généralisé. Je suis d’accord.
[612] Le demandeur s’est aussi plaint du fait qu’une allocution prononcée par le surintendant auxiliaire devant le Conference Board figurait en anglais seulement sur le site Intranet du BSIF. Cette allocution a été prononcée uniquement en anglais et avait été placée sur le site Intranet à titre informatif seulement. Le défendeur prétend qu’il ne s’agissait donc clairement pas d’un outil de travail ou de matériel ou documentation « d’usage courant et généralisé » comme le prétend le demandeur. De toute manière, tous les documents contenus sur le portail Intranet sont maintenant toujours disponibles dans les deux langues officielles.
[613] Le commissaire a constaté dans son dernier rapport que tous les documents de politiques du BSIF sont bilingues. Un groupe de travail constitue de représentants clés de chaque secteur du BSIF a été mis sur pied en mai 2014 de faire en sorte que tout autre outil de travail d’usage courant et généralisé soit offert dans les deux langues officielles. Le commissaire a indiqué que la mise en œuvre de la recommandation 7 de son rapport était presque terminée.
[614] Je conclus que toute omission de la part du BSIF de fournir des documents ou des outils de travail relevant de l’article 36(1)a) a un caractère de minimis insuffisant pour exiger une quelconque réparation, notamment dans la mesure où le défendeur a pris des mesures dans un délai raisonnable à corriger toute lacune qui aurait pu constituer une violation de la LLO.
[615] Ainsi, la conclusion recherchée par le demandeur de « déclarer qu’en vertu de l’article 36(1)a) de la LLO, tout document diffusé par la haute direction du BSIF à l’endroit des surveillants et gestionnaires de la surveillance, notamment les documents d’analyse produits trimestriellement pour la haute direction doit être disponible dans les deux langues officielles » n’est pas fondée en droit. Il en est de même de l’autre conclusion voulant que le BSIF a contrevenu de façon répétée à cette obligation. Cette dernière conclusion manque un fondement au regard de la preuve au dossier.
B. Systèmes informatiques d’usage courant et généralisé
[616] Le commissaire recommandait que le BSIF s’assure que tous les systèmes informatiques utilisés régulièrement par les employés des régions bilingues soient offerts dans les deux langues officielles. Il s’agit de l’application de l’article 36(l)b) ce qui prévoit l’obligation des institutions fédérales à veiller à ce que les systèmes informatiques d’usage courant et généralisé puissent être utilisés dans l’une ou l’autre des langues officielles.
[617] Les deux seuls systèmes informatiques n’étant pas disponibles dans les deux langues officielles au BSIF sont le SPA et le SRA, soit des systèmes qui ne sont utilisés que par les employés affectés à la surveillance des institutions financières. Le défendeur prétend que pour les mêmes raisons, ces systèmes ne peuvent être considérés comme étant d’usage « généralisé », soit d’usage par la grande majorité des employés. D’ailleurs, le BSIF note que la Politique sur la langue de travail du Secrétariat du Conseil du Trésor (en vigueur au moment de la plainte du demandeur) prévoit qu’en général, l’exigence « exclut des logiciels spécialises ».
[618] Ceci dit, la preuve a démontré que le BSIF travaillait à la mise à jour de sa technologie de surveillance, ce qui inclut l’acquisition d’un nouveau système bilingue en remplacement des systèmes actuels.
[619] Par ailleurs, les conclusions recherchées par le demandeur à ce chapitre, dont notamment celle d’ordonner le déploiement des systèmes SPA et SRA dans les douze mois sont totalement nouvelles et n’étaient pas incluses dans l’avis de demande du demandeur. Le BSIF n’a donc pas eu l’occasion de produire quelque preuve quant au délai nécessaire au remplacement de ces systèmes.
[620] Le commissaire a constaté dans son dernier rapport que tous les systèmes informatiques qui relèvent directement de l’autorité du BSIF, sauf un, sont dorénavant offerts en français et en anglais. La seule exception est un logiciel hautement spécialisé utilisé en gestion des services de technologie de l’information. À l’exercice financier 2015–2016, une étude devant permettre de trouver des remplacements convenables sera entreprise. Compte tenu de ce qui précède, le CLO a conclu que la recommandation 6 a été partiellement mise en œuvre, exprimant sa satisfaction de l’engagement qu’avait pris le BSIF d’entreprendre l’ et de mettre en place un nouveau système.
[621] En conséquence, la conclusion du demandeur concernant des systèmes informatiques couramment utilisés et généralisés n’est appuyée ni par la preuve ni par la loi.
XII. Conclusion
[622] Pour les motifs évoqués, la demande sera rejetée. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les questions relatives au redressement demandé par le demandeur. Il ne s’agit pas d’un cas où il est approprié d’accorder des dépens, et aucuns dépens ne sont adjugés.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-759-15
LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire et aucuns dépens ne sont adjugés.
ANNEXE A
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, article 2 :
Objet
2 La présente loi a pour objet :
a) d’assurer e respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en oeuvre des objectifs de ces institutions;
b) d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais;
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, article 31 :
Incompatibilité
31 Les dispositions de la présente pa tie l’emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, article 35(1)b) :
Obligations des institutions fédérales
35 (1) […]
b) a lleurs au Canada, la situation des deux langues officielles en milieu de travail soit comparable entre les régions ou secteurs où l’une ou l’autre prédomine.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, articles 36(1)a),c) et 36(2) :
Obligations minimales dans les régions désignées
36(1) Il incombe aux institutions fédérales, dans la région de la capitale nationale et dans les régions, secteurs ou lieux désignés au titre de l’alinéa 35(1)a) :
a) de fournir à leur personnel, dans les deux langues officielles, tant les services qui lui sont destinés, notamment à titre individuel ou à titre de services auxiliaires centraux, que la documentation et le matériel d’usage courant et généralisé produits par elles-mêmes ou pour leur compte;
[…]
c) de veiller à ce que, là où il est indiqué de le faire pour que le milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles, les supérieurs soient aptes à communiquer avec leurs subordonnés dans celles-ci et à ce que la haute direction soit en mesure de fonctionner dans ces deux langues.
[…]
Autres obligations
(2) Il leur incombe également de veiller à ce que soient prises, dans les régions, secteurs ou lieux visés au paragraphe (1), toutes autres mesures possibles permettant de créer et de maintenir [1ere catégorie] en leur sein un milieu de travail propice à l’usage effectif des deux langues officielles et [2e catégorie] qui permette à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, article 91 :
Dotation en personnel
91 Les parties IV et V n’ont pour effet d’autoriser la prise en compte des exigences relatives aux langues officielles, lors d’une dotation en personnel, que si elle s’impose objectivement pour l’exercice des fonctions en cause.
[1] Le terme « dotation collatérale bilingue » sert à décrire l’effet de l’argument du demandeur selon lequel les postes de spécialistes de Toronto devraient être dotés en personnel bilingue en raison de l’exercice des droits linguistiques par le demandeur en application de l’art. 36(2) dans une région bilingue, bien que cela ne soit pas requis par les fonctions objectives du poste.