IMM-3484-18
2019 CF 896
Sandy Shenna Moffat (demanderesse)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Moffat c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Annis—Toronto, 14 février; Ottawa, 5 juillet 2019.
Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Section de la protection des réfugiés — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a conclu que la demanderesse, si elle était renvoyée à Sainte-Lucie, ne serait pas exposée à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie, ou à un risque de peine ou de traitement cruel et inusité — La demanderesse est née à Sainte-Lucie; elle a fui le pays à l’âge de 17 ans, après que l’on eut révélé qu’elle était bisexuelle — La SPR a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau de présenter une preuve crédible à l’appui des allégations qui constituaient le fondement de sa demande selon la prépondérance des probabilités — La SPR a examiné un rapport psychologique (le Rapport) rédigé par un psychologue de renom, diagnostiquant un trouble schizoaffectif chez la demanderesse — Elle a accordé peu de valeur probante au Rapport — La SPR a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger; pour cette raison, elle a rejeté sa demande — Il s’agissait de savoir si la SPR a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas crédible; si la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives)) et; si la SPR a commis une erreur en accordant peu de poids au rapport psychologique atténuant les incohérences de crédibilité de la demanderesse — En ce qui concerne la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible, il n’y a pas eu d’erreur dans le processus d’établissement des faits, tandis que les conclusions défavorables en matière de crédibilité étaient étayées par des preuves, sans qu’aucune erreur ne soit évidente — Rien ne permettait de conclure que les conclusions factuelles de la SPR étaient déraisonnables ou qu’il existait tout autre motif qui permettrait à la Cour de s’opposer à la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible — En ce qui concerne les Directives, rien n’indiquait que la SPR n’avait pas été sensible à la situation personnelle de la demanderesse pendant l’audience ou lors de l’évaluation de la preuve — Les Directives ne sont pas un remède à toutes les lacunes en matière de preuve et il n’est pas nécessaire de les mentionner expressément lorsqu’elles sont prises en compte — Il n’y a donc pas eu d’erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne la question des Directives — En ce qui concerne le poids donné à l’évaluation psychologique de l’expert, le Rapport contenait l’opinion du psychologue sur des questions pertinentes à la demande d’asile sous-jacente — La SPR a conclu à juste titre qu’il fallait accorder peu de poids au Rapport — Les facteurs que la SPR peut appliquer pour évaluer la valeur probante et la fiabilité d’un rapport médical ou psychologique d’expert ont été mentionnés — Il est permis à la SPR de déclarer un rapport d’expert irrecevable dans des circonstances limitées — Bien qu’ils ne lient pas la SPR, les critères énoncés dans les arrêts R. c. Mohan (C.S.C.) et R. c. Abbey (C.A. Ont.) peuvent être utiles pour lui permettre de déterminer si de telles circonstances surviennent — Dans la présente affaire, les déclarations catégoriques selon lesquelles la demanderesse était crédible et toute incohérence ne devrait pas être attribuée à une intention d’induire en erreur, constituaient des témoignages justificatifs et n’étaient pas admissibles — Le Rapport a fourni au commissaire de la SPR une déduction toute faite au sujet d’une personne en particulier, ce qui constituait une opinion inadmissible sur la crédibilité de la demanderesse — Le rapport n’était pas fiable non plus — Le psychologue n’a pas fourni de renseignements significatifs à l’appui de la fiabilité de sa conclusion selon laquelle la demanderesse souffre d’une maladie mentale grave — Les opinions du psychologue étaient fausses en ce qui concerne l’exigence d’indépendance et d’impartialité des experts — Le Rapport a démontré apparemment un parti pris accusatoire et a fait preuve de partialité en défendant apparemment la demande d’asile de la demanderesse et en s’opposant à toute décision qui pourrait entraîner son renvoi du Canada — Les extraits examinés dans la présente affaire représentaient des excès inadmissibles de la part du psychologue et étaient des exemples de défense d’intérêts au nom de la demanderesse — Demande rejetée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui a conclu que la demanderesse, si elle était renvoyée à Sainte-Lucie, ne serait pas exposée à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie, ou à un risque de peine ou de traitement cruel et inusité au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). La demanderesse est née à Sainte-Lucie et, après que l’on eut révélé qu’elle était bisexuelle, elle a fui le pays à l’âge de 17 ans, craignant que sa vie ne soit menacée par son petit ami et la communauté. La demanderesse a eu une relation homosexuelle secrète tout en sortant avec son petit ami. Ses difficultés ont commencé lorsque son petit ami a appris l’existence de sa relation homosexuelle. Ce dernier a agressé la demanderesse à plusieurs reprises, dont une fois où elle a dû être hospitalisée pendant quelques jours. À deux reprises, la demanderesse a signalé les agressions à la police, mais celle-ci n’a rien fait. En raison de la violence dont elle était victime et de la crainte qu’elle avait pour sa vie, elle a quitté Sainte-Lucie. Elle est arrivée au Canada lorsqu’elle était une mineure, mais elle n’a demandé le statut de réfugié que plus de 5 ans plus tard.
La SPR a relevé un certain nombre de questions en litige liées à la crédibilité de la demanderesse et a conclu que celle-ci ne s’était pas acquittée du fardeau de présenter une preuve crédible à l’appui des allégations qui constituaient le fondement de sa demande selon la prépondérance des probabilités. Enfin, la SPR a examiné un rapport psychologique rédigé par un psychologue de renom, diagnostiquant un trouble schizoaffectif chez la demanderesse (le Rapport). La SPR a accordé peu de valeur probante au Rapport, car celui-ci était fondé sur un entretien d’une heure, remontait à cinq ans et n’avait été suivi d’aucun traitement psychiatrique, même s’il contenait une recommandation voulant que la demanderesse suive un traitement. La SPR a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Pour cette raison, elle a rejeté sa demande.
Il s’agissait de savoir si la SPR a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas crédible; si la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives)) et; si la SPR a commis une erreur en accordant peu de poids au rapport psychologique atténuant les incohérences de crédibilité de la demanderesse.
Jugement : la demande doit être rejetée.
En ce qui concerne la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible, cette dernière a avancé un certain nombre d’arguments qui demandaient fondamentalement à la Cour de réexaminer les éléments de preuve. Il n’y a pas eu d’erreur dans le processus d’établissement des faits, tandis que les conclusions défavorables en matière de crédibilité étaient étayées par des preuves, sans qu’aucune erreur ne soit évidente. La Cour ne pouvait pas apprécier à nouveau la preuve. Par conséquent, rien ne permettait de conclure que les conclusions factuelles de la SPR étaient déraisonnables ou qu’il existait tout autre motif qui permettrait à la Cour de s’opposer à la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible.
La demanderesse a soutenu que rien n’indiquait que la SPR avait tenu compte des Directives. Elle a soutenu en outre que la SPR avait fait preuve d’insensibilité à l’égard de sa situation particulière et qu’elle n’avait pas appliqué des connaissances spécialisées pour évaluer sa demande. La demanderesse n’a pas fait référence à des cas précis dans lesquels la SPR a fait preuve d’un manque de sensibilité. Rien n’indiquait donc que la SPR n’avait pas été sensible à la situation personnelle de la demanderesse pendant l’audience ou lors de l’évaluation de la preuve. Les Directives ne sont pas un remède à toutes les lacunes en matière de preuve et il n’est pas nécessaire de les mentionner expressément lorsqu’elles sont prises en compte. Il n’y a donc pas eu d’erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne cette question en litige.
En ce qui concerne le poids donné à l’évaluation psychologique de l’expert, le Rapport a été rédigé par un docteur en psychologie clinique qui est psychologue clinicien agréé. Il convient de souligner que le Rapport contenait l’opinion du psychologue sur trois questions pertinentes à la demande d’asile sous-jacente, à savoir : 1) les troubles psychologiques de la demanderesse et leur incidence sur sa capacité de témoigner; 2) l’idée erronée que l’on pouvait se faire de sa crédibilité lorsqu’elle témoignait en raison de ces troubles; 3) les conséquences prévues de son renvoi à Sainte-Lucie. La SPR a conclu à juste titre qu’il fallait accorder peu de poids au Rapport, pour les raisons qu’elle a décrites. Certains des facteurs que la SPR peut appliquer pour évaluer la valeur probante et la fiabilité d’un rapport médical ou psychologique d’expert ont été mentionnés. En outre, la question de savoir si la SPR peut exercer une fonction de contrôle des coûts et des avantages semblable à celle des juges de première instance a été examinée. Étant donné que la SPR n’a pas l’expertise psychologique nécessaire pour rejeter les opinions de fond contenues dans un rapport d’expert, il pourrait être avantageux pour elle d’appliquer les facteurs d’évaluation régulièrement adoptés par les juges dans les procès pour déterminer si l’expert a convenablement démontré que les opinions contenues dans son rapport sont suffisamment fiables avant d’accepter le Rapport quant au fond. Ces facteurs ont été élaborés par la Cour suprême et la Cour d’appel de l’Ontario dans les efforts qu’elles ont faits afin de veiller à ce que les dangers potentiels de la preuve d’expert soient limités en exigeant que ces rapports soient soumis à un processus de contrôle avant d’être admis en preuve. Les facteurs utilisés dans ce processus peuvent également être appliqués pour évaluer le poids de la fiabilité d’un rapport. La jurisprudence de la Cour fédérale qui a été examinée permettrait à la SPR de déclarer un rapport d’expert irrecevable dans les circonstances limitées dans lesquelles il y a lieu de le faire. Bien qu’ils ne lient pas la SPR, les critères énoncés dans les arrêts R. c. Mohan (C.S.C.) et R. c. Abbey (C.A. Ont.) peuvent être utiles pour lui permettre de déterminer si une telle raison de refuser l’admission d’une preuve d’expert survient. Autrement dit, un tribunal administratif, comme la SPR, n’est pas tenu d’admettre tous les documents présentés par un demandeur. Par conséquent, la SPR peut appliquer les facteurs décrits dans les arrêts Mohan et Abbey du côté des avantages de l’équation de la question des coûts pour aider à l’analyse de la pondération d’un rapport d’expert.
La règle interdisant les témoignages justificatifs interdit l’admission d’éléments de preuve présentés dans le but de prouver qu’un témoin est sincère. Le pronostic du psychologue selon lequel les incohérences, entre autres, qui peuvent survenir dans le témoignage de la demanderesse au cours de l’audience relative à la demande d’asile sont probablement attribuables aux troubles mentaux de celle-ci était clairement pertinent pour la crédibilité de la demanderesse plutôt que pertinent en général pour la question de la crédibilité dans son ensemble. En fin de compte, les déclarations catégoriques du Rapport, selon lesquelles la demanderesse était crédible et toute incohérence ne devrait pas être attribuée à une intention d’induire en erreur, constituaient des témoignages justificatifs et n’étaient pas admissibles. De plus, cette conclusion sous-entendait la partialité en établissant le degré de fiabilité de l’opinion du psychologue au niveau probant d’une probabilité et n’était appuyée par aucun document, preuve scientifique ou référence fiable. Dans ce cas-ci, le Rapport a fourni au commissaire de la SPR une déduction toute faite au sujet d’une personne en particulier, ce qui constituait une opinion inadmissible sur la crédibilité de la demanderesse.
Le contenu du Rapport semblait être entièrement fondé sur l’information obtenue lors de l’entretien avec la demanderesse (qui dure habituellement une heure), mais le Rapport ne faisait état d’aucune durée précise. Pour déterminer si les opinions tirées de l’expérience personnelle sont pertinentes et fiables, l’arrêt Abbey est très instructif sur l’approche qu’un tribunal, ou en l’occurrence la SPR, devrait suivre. Le fait que les affirmations par le psychologue de travaux de recherche pertinents n’ont pas été étayées au-delà d’énoncés généraux a représenté un grand obstacle à la tentative du psychologue de démontrer son expertise en évaluation psychologique et la fiabilité de la méthodologie sur laquelle il s’est appuyé pour préparer le Rapport. Le principal problème qu’a posé la fiabilité du Rapport tenait au fait qu’il était entièrement fondé sur l’évaluation faite par le psychologue des réponses de la demanderesse à ses questions, avec une certaine référence tangible au comportement de celle-ci dans ses réponses. Les affirmations du psychologue quant à la fiabilité qui sous-tendait ses opinions sur la crédibilité de la demanderesse étaient fondées, dans une mesure assez importante, sur des observations faites pendant son entretien avec la demanderesse. Il était difficile de démontrer que l’expertise du psychologue pour déterminer la crédibilité de la demanderesse en fonction de son comportement était supérieure à celle de la SPR. Le psychologue n’a pas non plus fourni de renseignements significatifs à l’appui de la fiabilité de sa conclusion selon laquelle la demanderesse souffre d’une maladie mentale grave, une opinion qui appuyait fortement l’opinion voulant que la crédibilité soit atténuée.
Les opinions du psychologue étaient fausses en ce qui concerne l’exigence d’indépendance et d’impartialité des experts. L’examen du Rapport a fait naître de nombreuses préoccupations. Le Rapport a démontré apparemment un parti pris accusatoire et, dans une certaine mesure, a fait preuve de partialité en défendant apparemment la demande d’asile de la demanderesse et en s’opposant à toute décision qui pourrait entraîner son renvoi du Canada. Le contenu du Rapport le plus troublant reposait sur l’appui indéfectible qu’il fournissait à la demanderesse pour obtenir une issue positive du processus d’octroi de l’asile. Les extraits examinés dans la présente affaire représentaient des excès inadmissibles de la part du psychologue et étaient des exemples de défense d’intérêts au nom de la demanderesse. Il ne s’agissait pas d’opinions visant à aider la SPR, mais plutôt de directives visant à persuader la SPR de mettre en œuvre une stratégie évidente à l’appui de la présentation du cas de la demanderesse par son avocat devant la SPR.
Enfin, des commentaires ont été formulés sur la question de savoir s’il y avait lieu d’adopter une approche plus rigoureuse dans l’examen des rapports médicaux d’expert.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25(1), 72(1), 96, 97, 170g).
Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, règles 20, 29, 44.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, ann.
Securities Act, R.S.A. 2000, ch. S-4, s. 29(f).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 2 R.C.S. 182; R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, 1994 CanLII 80; R. v. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330, autorisation d’appel à la C.S.C. rejetée [2010] 2 R.C.S. v, [2010] 2 C.S.C.R. no 125 (QL).
décisions examinées :
Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, [2013] 3 R.C.S. 1168; Melhi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CanLII 107568 (C.I.S.R.); Trembliuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1264; Atay c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 201; Mowloughi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 270; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909; R. c D.D., 2000 CSC 43, [2000] 2 R.C.S. 275; Alberta (Securities Commission) v. Workum, 2010 ABCA 405, 493 A.R. 1, [2010] A.J. no. 1468 (QL); Deemar v. College of Veterinarians of Ontario, 2008 ONCA 600, 92 O.R. (3d) 97; Drummond c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 477 (QL) (1re inst.); Suchon c. Canada, 2002 CAF 282; R. v. Reid (2003), 65 O.R. (3d) 723, 177 C.C.C. (3d) 260 (C.A.); Regina v. Hawke (1975), 7 O.R. (2d) 145, 22 C.C.C. (2d) 19 (C.A.); R. v. Parks (1993), 15 O.R. (3d) 324, 84 C.C.C. (3d) 353 (C.A.); R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484.
décisions citées :
Jean Pierre c. Canada (Immigration et Statut de réfugié), 2018 CAF 97; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Kallab c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 706, [2019] 3 R.C.F. 408; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Moya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315, [2016] 4 R.C.F. 113 Karanja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574; Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 710, [2018] 2 R.C.F. 453; Sandhu c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CanLII 133401 (C.I.S.R.); Khawaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8521, [1999] A.C.F. no 1213 (QL) (1re inst.); B.C. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 826; Mendez Santos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1326; Olalere c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 385; R. c. Bingley, 2017 CSC 12, [2017] 1 R.C.S. 170; R. c. Sekhon, 2014 CSC 15, [2014] 1 R.C.S. 272; Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2010 CAF 322; Beltran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1143; R. v. Llorenz, 2000 CanLII 5745, [2000] O.J. no 1885 (C.A.); R. c. D.A.I., 2012 CSC 5, [2012] 1 R.C.S. 149; Carmen Alfano Family Trust (Trustee of) v. Piersanti, 2012 ONCA 297, 291 O.A.C. 62; Beazley v. Suzuki Motor Corporation, 2010 BCSC 480.
DOCTRINE CITÉE
Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration : Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Ottawa: C.I.S.R., 1996.
Hill, S. Casey, David M. Tanovich et Louis P. Strezos. McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, feuilles mobiles, 4e ed. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 2003.
Jones, David Phillip et Anne S. de Villars. Principles of Administrative Law, 5e éd. Toronto : Carswell, 2009.
Paciocco, David M. Expert Evidence: Where Are We Now? Where Are We Going? Institute of Continuing Legal Education, Association du Barreau canadien, 31 janvier 1998.
Paciocco, David M. “Unplugging Jukebox Testimony in an Adversarial System : Strategies for Changing the Tune on Partial Experts” (2008-09), 34 Queen’s L.J. 565
Paciocco, David M. et Lee Stuesser. The Law of Evidence, 7e éd. Toronto : Irwin Law, 2010.
« Principles Governing Communications with Testifying Experts », Toronto : The Advocates’ Society, juin 2014.
DEMANDE de contrôle judiciaire présentée à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a conclu que la demanderesse, si elle était renvoyée à Sainte-Lucie, ne serait pas exposée à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie, ou à un risque de peine ou de traitement cruel et inusité au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.
ONT COMPARU :
Dotun Davies pour la demanderesse.
Christopher Crighton pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Topmarké Attorneys LLP., Brampton (Ontario), pour la demanderesse.
La sous-procureure-générale du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
Le juge Annis :
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’égard d’une décision (la décision) de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) datée du 3 juillet 2018. La SPR a conclu que la demanderesse, si elle était renvoyée à Sainte-Lucie, ne serait pas exposée à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie, ou à un risque de peine ou de traitement cruel et inusité au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.
II. Contexte
[2] L’exposé narratif de la demanderesse sera brièvement résumé ci-dessous, bien que je ne me prononce pas sur la véracité de son contenu.
[3] La demanderesse est née à Sainte-Lucie en 1989. Après que l’on eut révélé qu’elle était bisexuelle, la demanderesse a fui le pays à l’âge de 17 ans, craignant que sa vie ne soit menacée par son petit ami Brian et la communauté.
[4] Sa mère l’ayant abandonnée quand elle était toute jeune, la demanderesse a vécu avec sa grand-mère. À l’âge de 14 ans, elle a eu une relation d’un an avec une amie, tout en sortant avec des garçons. La demanderesse a ensuite rencontré Brian, qui était un peu plus âgé et aisé, mais qui avait la mèche courte et avait tendance à être jaloux. En juin 2006, elle a rencontré une nouvelle amie, Erica, avec qui elle a eu une idylle secrète en janvier 2007.
[5] Les difficultés de la demanderesse ont commencé lorsque Brian a appris l’existence de sa relation avec Erica. Il l’a fait par surprise en voyant le couple par une « porte-fenêtre » de l’extérieur de la maison de sa grand-mère, où elle vivait. Brian a alors réagi bruyamment et l’a menacée. Plus tard, Brian a informé le petit ami d’Erica de la relation lesbienne. Celui-ci a à son tour agressé Erica et a répandu des rumeurs selon lesquelles la demanderesse et Erica étaient lesbiennes.
[6] Brian s’est également mis en colère et a agressé la demanderesse à plusieurs reprises, dont une fois si violemment qu’elle a dû être hospitalisée pendant quelques jours. À deux reprises, la demanderesse a signalé les agressions à la police, mais celle-ci n’a rien fait. En raison de la violence dont elle était victime et de la crainte qu’elle avait pour sa vie, elle a quitté Sainte-Lucie.
[7] La SPR a relevé un certain nombre de questions en litige liées à la crédibilité de la demanderesse et a conclu que celle-ci ne s’était pas acquittée du fardeau de présenter une preuve crédible à l’appui des allégations qui constituent le fondement de sa demande selon la prépondérance des probabilités.
[8] La SPR a relevé plusieurs incohérences et improbabilités dans le témoignage de la demanderesse, qui sont résumées ci-dessous :
1. La demanderesse n’a pas expliqué la preuve contradictoire selon laquelle elle avait obtenu un passeport en février 2005, mais a témoigné qu’elle avait obtenu le passeport en raison des menaces proférées contre elle en 2006;
2. Il y avait des preuves contradictoires concernant la découverte par Brian que la demanderesse avait eu des rapports sexuels avec Erica :
i. La question de savoir si Brian s’est faufilé par la « porte-fenêtre » ou si la demanderesse lui a ouvert la porte;
ii. La question de savoir si Erica a pris ses affaires et s’est enfuie pendant que Brian attrapait et giflait la demanderesse, ou si Erica est partie par la porte d’entrée avant que la demanderesse ne laisse entrer Brian dans la maison;
iii. Dans son témoignage, la demanderesse a omis de mentionner que Brian avait menacé de la tuer, comme il est indiqué dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP);
iv. Dans son témoignage, la demanderesse a omis de mentionner qu’elle avait appelé Erica pour lui dire que Brian ne le dirait à personne, mais qu’elles ne pouvaient être ensemble, comme il est indiqué dans le FRP;
v. La demanderesse a témoigné que les voisins ont entendu les cris, sont sortis de leur maison, ont appris ce qui se passait et ont passé le mot. Cependant, le FRP ne fait pas mention des voisins et indique plutôt que c’est le petit ami d’Erica qui a fait passer le mot;
vi. La demanderesse ne couvrait pas la « porte-fenêtre » de sa maison, car il n’y avait pas de maisons à l’arrière, seulement une route. Toutefois, elle a également déclaré que Brian avait l’habitude de se rendre à la maison à pied depuis cette route. La demanderesse n’a pas expliqué pourquoi les personnes qui marchaient le long de la route ne pouvaient pas voir à l’intérieur de la maison.
3. Le témoignage de la demanderesse et le FRP n’étaient pas cohérents en ce qui concerne les agressions signalées à la police par la demanderesse. La demanderesse a témoigné qu’elle s’est adressée à la police à trois reprises : la première fois, les policiers ont refusé de la recevoir; la deuxième fois, ils n’ont pas voulu l’écouter parce qu’ils n’aimaient pas les personnes bisexuelles; et la troisième fois, ils lui ont dit que ce n’était pas important et ne lui ont pas donné la chance de raconter son histoire. Toutefois, dans le FRP, la demanderesse a indiqué qu’elle s’était présentée deux fois à la police, mais qu’à chaque fois, l’agent avait dit que c’était une « question conjugale » et non une affaire relevant de la police;
4. Il y avait des éléments de preuve contradictoires concernant les contacts de la demanderesse avec Erica après qu’elles eurent été surprises en train d’avoir des rapports sexuels;
5. Le FRP et le témoignage oral contenaient des éléments de preuve contradictoires concernant la façon dont Brian s’est adressé à la grand-mère de la demanderesse après que celle-ci fut arrivée au Canada et le moment où il l’a fait, ainsi qu’en ce qui a trait aux menaces de mort qu’il a proférées à l’endroit de la demanderesse;
6. La preuve de la demanderesse concernant la façon dont elle est arrivée au Canada et avec qui elle est restée n’était pas franche;
7. L’addenda au FRP faisait référence à de nouvelles menaces proférées par Brian en octobre 2017 et signalées à la demanderesse par sa sœur. Toutefois, cela n’a pas été étayé par une lettre ou un affidavit.
[9] La SPR a également tenu compte du fait que la demanderesse est arrivée au Canada le 17 juin 2007 à l’âge de 17 ans, mais qu’elle n’a demandé le statut de réfugié que le 26 octobre 2012, plus de 5 ans plus tard. La SPR a reconnu que la demanderesse était mineure lorsqu’elle est arrivée au Canada, mais a également fait remarquer qu’elle avait atteint l’âge de la majorité cinq mois après son arrivée. La mère de la demanderesse avait obtenu le statut de réfugiée au Canada. La demanderesse n’a peut-être pas eu de contact avec sa mère, mais elle avait un ami de la famille au Canada et d’autres amis qui auraient pu lui indiquer la marche à suivre. La demanderesse compte dix années d’études et a été assez débrouillarde pour obtenir son propre passeport à l’âge de 15 ans. La demanderesse aurait pu utiliser Internet pour se renseigner sur le processus de revendication du statut de réfugié et elle aurait pu consulter un avocat en tout temps. La SPR a conclu que ce retard appuyait sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas de crainte subjective et n’avait pas été persécutée à Sainte-Lucie en raison de son orientation sexuelle alléguée.
[10] Enfin, la SPR a examiné un rapport psychologique rédigé par le Dr Gerald M. Devins, daté du 13 juin 2013, diagnostiquant un trouble schizoaffectif chez la demanderesse (le Rapport). La SPR a accordé peu de valeur probante au Rapport, car celui-ci était fondé sur un entretien d’une heure, remontait à cinq ans et n’avait été suivi d’aucun traitement psychiatrique, même s’il contenait une recommandation voulant que la demanderesse suive un traitement.
[11] La SPR a conclu que la demanderesse n’a ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Pour cette raison, elle a rejeté sa demande. La demanderesse demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.
III. Questions en litige
[12] La demanderesse soulève trois questions relativement aux conclusions factuelles de la SPR :
a) La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas crédible?
b) La SPR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?
c) La SPR a-t-elle commis une erreur en accordant peu de poids au rapport psychologique atténuant les incohérences de crédibilité de la demanderesse?
IV. Critère de contrôle
[13] Les première et troisième questions en litige ont trait aux conclusions de fait de l’évaluation relative à la valeur probante, y compris l’attribution d’un poids à la fiabilité des rapports médicaux sur les facteurs pertinents, tandis que la deuxième question en litige porte sur une erreur présumée du processus d’établissement des faits résultant de l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent. Le critère de contrôle pour les trois questions en litige concernant les conclusions de fait est le suivant :
1. En ce qui concerne les conclusions de fait de la SPR, les faits inférés et la composante factuelle des questions mixtes de fait et de droit lorsque la question de droit ne peut être extraite des faits, les erreurs du processus d’établissement des faits sont examinées selon la norme de la décision correcte, tandis que les erreurs liées à la valeur probante dans l’établissement des faits sont examinées selon la norme de la décision raisonnable, mais la plus grande déférence doit leur être accordée. Le fait ne peut être écarté que si l’erreur est évidente, sans recours à une analyse du caractère raisonnable. Le même critère s’applique au contrôle de l’étape de la déduction d’un fait inféré : Jean Pierre c. Canada (Immigration et Statut de réfugié), 2018 CAF 97, aux paragraphes 51–53; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 21–23; Kallab c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 706, [2019] 3 R.C.F. 408.
2. Le résultat du contrôle des questions de fait est ensuite intégré et examiné avec les autres questions en litige afin de déterminer si la décision s’inscrit dans un éventail de résultats possibles et acceptables en ce qui concerne les faits et le droit, et si elle est justifiée par des motifs transparents et intelligibles : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.
V. Analyse
A. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas crédible?
[14] La demanderesse avance un certain nombre d’arguments qui demandent fondamentalement à la Cour de réexaminer les éléments de preuve, en faisant valoir que :
• la SPR a relevé des incohérences mineures d’une valeur limitée dans l’évaluation du risque de persécution lors de son renvoi à Sainte-Lucie;
• la SPR a mal interprété les faits en se concentrant sur certaines parties de son témoignage, et que, pour cette raison, sa décision est déraisonnable;
• la SPR a passé son témoignage à la loupe et s’attendait à une récitation encyclopédique des preuves tirées de l’exposé figurant dans son FRP;
• la SPR a soumis la demanderesse à un test de mémoire et, par conséquent, a mal évalué sa crédibilité;
• la preuve ou le témoignage quant à savoir si un demandeur du statut de réfugié voyage avec de faux documents, détruit des documents de voyage ou ment à leur sujet à son arrivée est périphérique et d’une valeur très limitée pour déterminer sa crédibilité.
[15] Je constate qu’il n’y a pas d’erreur dans le processus d’établissement des faits, tandis que les conclusions défavorables en matière de crédibilité sont étayées par des preuves, sans qu’aucune erreur ne soit évidente. En fait, la demanderesse demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qu’elle ne peut pas faire. Par conséquent, rien ne permet de conclure que les conclusions factuelles de la SPR sont déraisonnables ou qu’il existe tout autre motif qui permettrait à la Cour de s’opposer à la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible.
B. La SPR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe?
[16] La demanderesse soutient que rien n’indique que la SPR a tenu compte des Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives). Elle soutient que la SPR a fait preuve d’insensibilité à l’égard de sa situation particulière, en contravention des Directives, et qu’elle n’a pas appliqué des connaissances spécialisées pour évaluer sa demande, en tant que personne ayant subi de la violence familiale et des mauvais traitements. À ce titre, la demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur dans l’évaluation de sa demande.
[17] La difficulté liée aux observations de la demanderesse tient au fait qu’elle ne fait pas référence à des cas précis dans lesquels la SPR a fait preuve d’un manque de sensibilité. Rien n’indique donc que la SPR n’a pas été sensible à la situation personnelle de la demanderesse pendant l’audience ou lors de l’évaluation de la preuve. De plus, il y avait d’autres problèmes dans le témoignage de la demanderesse, en particulier le délai de cinq ans avant la présentation de sa demande d’asile pendant qu’elle résidait dans le pays sans statut d’immigration approprié, ce qui n’a pas été pris en compte et ne peut être expliqué simplement en se référant aux Directives.
[18] Les Directives ne sont pas un remède à toutes les lacunes en matière de preuve et il n’est pas nécessaire de les mentionner expressément lorsqu’elles sont prises en compte (Moya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315, [2016] 4 R.C.F. 113, aux paragraphes 36–38, Karanja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574, aux paragraphes 5–7). Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il n’y a pas d’erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne cette question en litige.
C. La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en accordant peu de poids à l’évaluation psychologique de l’expert et en omettant ainsi de tenir compte de l’incidence de l’état mental de la demanderesse sur son témoignage?
1) Introduction : la nature et la portée du Rapport
[19] Le Rapport a été rédigé par le Dr Gerald M. Devins, qui détient un doctorat en psychologie clinique et est psychologue clinicien agréé. Le Dr Devins a essentiellement rédigé une évaluation psychologique de la demanderesse quelques jours après avoir mené un entretien avec elle le 27 mai 2013. Ce rapport de cinq pages contient un énoncé des qualifications et de l’expérience du Dr Devins, son approche de l’évaluation et une récitation de l’exposé de la demanderesse, y compris les impressions cliniques du Dr Devins à la suite de leur rencontre et plusieurs recommandations au commissaire de la SPR.
[20] Il convient de souligner que le Rapport contient l’opinion du Dr Devins sur trois questions pertinentes à la demande d’asile sous-jacente, à savoir : 1) les troubles psychologiques de la demanderesse et leur incidence sur sa capacité de témoigner; 2) l’idée erronée que l’on peut se faire de sa crédibilité lorsqu’elle témoigne en raison de ces troubles; 3) les conséquences prévues de son renvoi à Sainte-Lucie.
[21] Même si la demanderesse n’a pas soulevé les opinions exprimées dans le Rapport au sujet des risques liés au renvoi à Sainte-Lucie ou de la question de la nomination d’un représentant désigné devant la SPR, j’aborderai néanmoins ces remarques, en plus des autres opinions et recommandations contenues dans le Rapport dans l’analyse qui suit.
[22] Les trois opinions du Rapport, ainsi que les références spécifiques de symptomatologie d’une pertinence particulière sont les suivantes (non souligné dans l’original) :
a) Représentant désigné – compétence à témoigner
[traduction]
« Mme Moffat a fait état de symptômes indiquant une maladie mentale grave [décrite plus tard comme un trouble schizoaffectif de type dépressif (295.70) dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4e édition (DSM-IV) de l’American Psychiatric Association]
[...] Elle s’attend à ce que ces symptômes nuisent considérablement à sa capacité de témoigner à l’audience relative à la demande d’asile. J’ai discuté des notions d’un représentant désigné avec Mme Moffat et elle m’a fait part de sa réceptivité. Cette possibilité devrait être envisagée. »
b) Prédiction d’éléments de preuve peu clairs et incohérents – évaluation trompeuse de la crédibilité
[traduction]
« Mme Moffat sera nerveuse et réservée lors de l’audience relative au statut de réfugié. Elle sera intimidée par les personnes en position d’autorité. Il sera important de faire preuve de sensibilité pendant l’interrogatoire pour éviter de la traumatiser à nouveau. [...] Les symptômes peuvent survenir lors de l’audience sous la forme d’une difficulté à saisir les questions posées, de demandes de répétition ou de reformulation de questions, d’une incapacité à se souvenir de détails précis du passé ou d’une incapacité apparente à formuler une réponse cohérente. La personne souffrant de ce genre de problèmes cognitifs liés au stress peut avoir de la difficulté à livrer un témoignage clair et cohérent. Si de tels problèmes deviennent évidents, il est important de comprendre qu’ils reflètent probablement les effets perturbateurs d’une maladie mentale importante ou d’un stress traumatique plutôt qu’un effort d’évitement ou de dissimulation. »
c) Interruption du traitement et rechute – risque en cas de renvoi dans le pays d’origine
[traduction]
« Elle a tenté de s’enlever la vie en ingérant du liquide inflammable. Une autre fois, elle a tenté de se suicider en sautant d’un arbre. » [À Sainte-Lucie, la preuve n’a pas été trouvée dans le dossier.]
[...] L’incertitude quant à son statut d’immigrante pose des risques énormes.
Mme Moffat a reconnu avoir eu des pensées suicidaires pendant qu’elle vivait à Sainte-Lucie, mais a nié en avoir actuellement.
[...] Elle est convaincue qu’elle sera prise pour cible à Sainte-Lucie. La perspective d’un renvoi est trop grave pour être imaginée. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’elle prévoyait faire si elle ne pouvait pas rester au Canada, Mme Moffat a détourné son regard lentement et a répondu, impuissante : « S’ils refusent ma demande, je vais pleurer. Je ne sais pas ce que je vais faire. »
IMPRESSION CLINIQUE
[traduction]
Mme Moffat satisfait aux critères diagnostiques du trouble schizoaffectif de type dépressif (295.70) dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4e édition (DSM-IV) de l’American Psychiatric Association. Elle présente d’importants symptômes de réaction au stress et des problèmes d’adaptation liés au stress. Elle a besoin d’une évaluation et d’un traitement psychiatriques. Avec sa permission, je demande à l’avocat de Mme Moffat de l’aider à trouver un médecin qui peut l’aiguiller vers un psychiatre pour une évaluation et un traitement. Un tel traitement ne doit pas être interrompu. L’état de Mme Moffat pourra s’améliorer si elle reçoit des soins adéquats et si on lui garantit que la menace de renvoi qui plane sur elle sera écartée. Si on ne lui permet pas de demeurer au Canada, son état se détériorera (p. ex. possibilité de décompensation). Comme il a été mentionné, il sera impossible pour Mme Moffat de se sentir en sécurité où qu’elle soit à Sainte-Lucie.
La nomination d’un représentant désigné devrait être envisagée.
J’espère que ce rapport vous aidera, vous et les tribunaux, à déterminer le meilleur résultat possible pour Mme Moffat.
[23] Au début du Rapport, le Dr Devins déclare que, depuis 1966, il a effectué des évaluations psychologiques pour plus de 4 300 demandeurs du statut de réfugié et autres personnes demandant un permis de séjour au Canada. Rappelons que le Rapport est daté du 1er juin 2013. D’autres décisions plus récentes dans lesquelles ses rapports ont été examinés, je crois savoir que le Dr Devins continue de fournir régulièrement des évaluations psychologiques au nom des demandeurs d’asile; le nombre de ces évaluations s’élevait à 5 200 en 2017 (Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 710, [2018] 2 R.C.F. 453, au paragraphe 80).
[24] Au paragraphe 13 de la décision, la SPR explique pourquoi elle a accordé peu de valeur probante au Rapport :
J’ai examiné le rapport psychologique du Dr Devins daté du 13 juin 2013, dans lequel est posé un diagnostic de trouble schizoaffectif. J’accorde peu de valeur probante à ce rapport, étant donné qu’il se fondait sur un unique entretien d’une heure, qu’il datait de cinq ans et qu’aucun traitement psychiatrique n’a été amorcé suivant sa recommandation. En outre, j’ai pris en considération les observations faites par le juge Annis dans la décision Czesak c Canada [2013 CF 1149], dans laquelle il a affirmé que « […] les décideurs ne devraient se fier qu’avec prudence aux éléments de preuve des experts judiciaires obtenus aux fins du litige, sauf s’ils font l’objet d’une certaine forme de validation ». La demandeure d’asile n’a pas semblé avoir de difficulté à témoigner. [Passage en italique dans la décision de la SPR.]
[25] Je souscris à la conclusion de la SPR selon laquelle il faut accorder peu de poids au Rapport, pour les raisons décrites ci-dessus, parmi les autres raisons exposées plus en détail ci-dessous. Je compléterai davantage ma référence aux problèmes de fiabilité auxquels font face les rapports d’expert non contestés, tout en décrivant les difficultés particulières que les rapports d’expert posent aux commissaires de la SPR, en fournissant ici une analyse plus approfondie du Rapport. Ce faisant, je ferai référence à certains des facteurs que la SPR peut appliquer pour évaluer la valeur probante et la fiabilité d’un rapport médical ou psychologique d’expert. Ces remarques s’étendent à la question de savoir si la SPR peut déclarer les rapports d’expert irrecevables plutôt que d’examiner uniquement leur valeur, en plus de se demander si la SPR peut exercer une fonction de contrôle des coûts et des avantages semblable à celle des juges de première instance.
2) Les risques éventuels associés à la preuve d’expert.
[26] Dans le récent arrêt White Burgess Langille Inman c. Abbott and Haliburton Co., 2015 CSC 23, [2015] 3 R.C.S. 182 (l’arrêt White Burgess), la Cour suprême du Canada a réitéré ses préoccupations au sujet des dangers susceptibles de découler de l’utilisation abusive de la preuve d’expert, qu’elle avait déjà soulevées dans l’arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, 1994 CanLII 80, (l’arrêt Mohan) et plusieurs autres décisions. Ces commentaires faisaient référence aux jurys en tant que juges des faits, mais ils s’appliquent également à d’autres juges des faits, à savoir les juges siégeant sans jury et les décideurs des tribunaux administratifs (voir par exemple Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, [2013] 3 R.C.S. 1168, au paragraphe 49 concernant une action civile sans jury); voir aussi Melhi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CanLII 107568 (C.I.S.R.), dans laquelle la Section de l’immigration (SI) a appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Mohan (aux paragraphes 20 à 33, au témoignage d’expert tout en reconnaissant ce qui suit au paragraphe 25 : « La question de savoir si les critères énoncés dans l’arrêt Mohan s’appliquent dans le contexte du droit administratif n’est pas totalement réglée, mais même une application stricte de ces critères, la SI jouit du pouvoir discrétionnaire d’admettre des éléments de preuve ou d’entendre le témoignage d’un témoin. » Voir aussi Sandhu c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CanLII 133401 (C.I.S.R.), aux paragraphes 28 et 29).
[27] Les préoccupations de la Cour suprême se trouvent aux paragraphes 17 et 18 de l’arrêt White Burgess (non souligné dans l’original) :
Nous pouvons prendre comme point de départ de cette nouvelle tendance la décision de la Cour dans l’affaire R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9. Cet arrêt a mis en lumière les dangers du témoignage d’expert et établi un critère à quatre volets pour en évaluer l’admissibilité. Ces dangers sont bien connus. Il y a notamment le risque que le juge des faits s’en remette inconsidérément à l’opinion de l’expert au lieu de l’évaluer avec circonspection. Comme le souligne le juge Sopinka dans l’arrêt Mohan :
La preuve d’expert risque d’être utilisée à mauvais escient et de fausser le processus de recherche des faits. Exprimée en des termes scientifiques que le jury ne comprend pas bien et présentée par un témoin aux qualifications impressionnantes, cette preuve est susceptible d’être considérée par le jury comme étant pratiquement infaillible et comme ayant plus de poids qu’elle ne le mérite. [p. 21]
(Voir également D.D., par. 53; R. c. J.-L.J., 2000 CSC 51, [2000] 2 R.C.S. 600, par. 25 et 26; R. c Sekhon, 2014 CSC 15, [2014] 1 R.C.S. 272, par. 46.)
Il s’agit de préserver le procès devant juge et jury, et non pas d’y substituer le procès instruit par des experts. Il y a un risque que le jury [traduction] « soit incapable de faire un examen critique et efficace de la preuve » (R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330, par. 90, autorisation d’appel refusée, [2010] 2 R.C.S. v. Le juge des faits doit faire appel à son « jugement éclairé » plutôt que simplement trancher la question sur le fondement d’un « acte de confiance » à l’égard de l’opinion de l’expert (J.-L.J., par. 56). Le danger de « s’en remettre à l’opinion de l’expert » est également exacerbé par le fait que la preuve d’expert est imperméable au contre-interrogatoire efficace par des avocats qui ne sont pas des experts dans ce domaine (D.D., par. 54). La jurisprudence aborde un certain nombre d’autres problèmes connexes : le préjudice qui pourrait éventuellement découler d’une opinion d’expert fondée sur des informations qui ne sont pas attestées sous serment et qui ne peuvent pas faire l’objet d’un contre-interrogatoire (D.D., par. 55); le danger d’admettre en preuve de la « science de pacotille » (J.-L.J., par. 25); le risque qu’un « concours d’experts » ne distraie le juge des faits au lieu de l’aider (Mohan, p. 24). Un autre danger bien connu associé à l’admission de la preuve d’expert est le fait qu’elle peut exiger un délai et des frais démesurés (Mohan, p. 21; D.D., par. 56; Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387, par. 76).
[28] Les dangers possibles des rapports d’expert sont exacerbés dans la plupart des demandes d’asile en raison de leur nature quasi-accusatoire et unilatérale. Dans de tels cas, seul le demandeur d’asile est en mode accusatoire complet, et le ministre comparaît rarement à l’audience. Il s’agit là d’un avantage distinct dans le cadre de ces procédures, particulièrement en ce qui a trait à l’utilisation des rapports d’expert par le demandeur d’asile. Le ministre intimé participe rarement à ces procédures (même s’il en a le pouvoir en vertu de la règle 29 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les RSPR)) en raison de nombreux facteurs. La plupart de ces obstacles sont liés au coût et à la rareté de précieuses ressources juridiques et d’experts connexes pour répondre à la charge de travail et aux défis juridiques sans cesse croissants en ce qui concerne les réfugiés et les immigrants. Le ministre doit répondre aux cas qui se présentent dans une pléiade d’instances très judiciarisées par le grand nombre de décisions sujettes au contrôle judiciaire et la variabilité de leur contexte, sans compter que ces décisions sont souvent à la fois très complexes et controversées. Il est peu probable que cela change.
[29] Si le ministre voulait contester ces rapports, il lui faudrait vraisemblablement retenir les services d’experts dans le domaine en question, qui auraient peut-être l’occasion d’interroger et d’évaluer les demandeurs d’une manière quelque peu semblable à celle utilisée par les experts des demandeurs eux-mêmes. Il s’ensuivrait la rédaction d’un rapport contradictoire. Cela impliquerait également des procédures pour obtenir des renseignements corroborants, ou même des renseignements pertinents, qui ne sont pas fournis à la SPR comme c’est le cas en l’espèce. Bien que les témoins experts soient autorisés à témoigner devant la SPR (voir la règle 44 des RSPR), je ne suis pas au courant de circonstances dans lesquelles des médecins ou d’autres experts ont été appelés à témoigner devant la SPR et ont été soumis à un contre-interrogatoire par des avocats, comme c’est la norme dans les cours de première instance et certains tribunaux administratifs. Si les rapports d’expert des parties sont très divergents, il est généralement reconnu que seul le contre-interrogatoire devant le décideur peut permettre de les pondérer adéquatement.
[30] Toutefois, comme il ne s’agit pas de la procédure ordinaire suivie devant la SPR, il appartient donc au commissaire d’évaluer et de justifier la valeur accordée à un rapport d’expert. Le commissaire doit cependant le faire, sans jamais pouvoir répondre à la nature réelle des opinions contenues dans le rapport d’expert. Sans la participation du ministre, appuyée par un rapport d’expert contradictoire contenant des opinions contestant celles de l’expert du demandeur d’asile, la SPR n’est pas en mesure de remettre en question la substance des opinions fournies. En effet, la Cour a statué que la SPR n’a pas l’expertise psychologique nécessaire pour rejeter les opinions de fond contenues dans un rapport d’expert, comme un diagnostic, voir Trembliuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1264, aux paragraphes 11 et 12 (non souligné dans l’original) :
Dans ses motifs, la SPR a écrit :
[...] Je n’accepte pas ce diagnostic, car je conclus que le témoin n’est ni crédible ni digne de foi.
S’il était loisible à la SPR de décider de la valeur, s’il y en avait une, à donner à l’évaluation faite par la psychologue, il ne lui était pas loisible de rejeter le diagnostic de la psychologue. Si la SPR est sans aucun doute un tribunal spécialisé, comme l’a fait remarquer le juge Décary dans les extraits de l’arrêt Aguebor, précédemment cités dans les présents motifs, elle n’est certainement pas un tribunal spécialisé dans le domaine de l’évaluation psychologique.
[31] La dernière phrase de cet extrait confirme que la SPR ne possède pas non plus l’expertise nécessaire pour réduire le poids de l’avis quant au fond. Elle ne peut plutôt réduire le poids d’une opinion d’expert médicale ou psychologique de fond qu’en s’appuyant sur des considérations accessoires, comme celles sur lesquelles s’est appuyé le commissaire de la SPR dans le cas présent pour accorder peu de poids au rapport du Dr Devins. Si le commissaire omet de tenir compte d’une opinion d’expert pertinente ou de fournir des raisons appropriées ou suffisantes pour accorder peu de poids au rapport d’expert, la décision sera annulée et renvoyée pour être entendue par un autre commissaire, qui sera confronté aux mêmes difficultés.
[32] La décision rendue dans la décision Atay c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 201 (la décision Atay), sur laquelle se fonde la demanderesse, est un exemple type de ce résultat. M. Atay a fait référence à des rapports d’expert similaires rédigés par le Dr Devins et un autre médecin. Le Rapport du Dr Devins contenait une opinion semblable, liée à la crédibilité, selon laquelle si des problèmes surviennent dans le témoignage du demandeur, « il sera important de comprendre qu’ils reflètent probablement les effets désorganisants du stress traumatique plutôt qu’un effort pour éviter ou dissimuler » (au paragraphe 15). Dans la décision Atay, la Cour a conclu ce qui suit : « Étant donné que le contenu du rapport psychologique était pertinent à l’égard des conclusions de la Commission quant à la crédibilité, la Commission aurait dû prendre le temps de considérer en quoi l’état de santé du demandeur affectait son comportement avant de tirer sa conclusion en matière de crédibilité » (au paragraphe 32).
[33] Dans la décision Atay, le demandeur a donné un aperçu de la jurisprudence pertinente à l’époque citée et invoquée par la Cour. La description de cette jurisprudence, qui est encore généralement invoquée par la Cour, se trouve au paragraphe 16 de la décision Atay (non souligné dans l’original) :
D’après le demandeur, comme la Commission a admis qu’il souffrait du syndrome de stress post-traumatique chronique, celle-ci était tenue de considérer l’effet de ce trouble sur la qualité de sa preuve. Il a invoqué un certain nombre de décisions, dont Min c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1676, au soutien de la thèse selon laquelle, lorsque la Commission est saisie d’une preuve médicale susceptible d’expliquer les lacunes que comporte le témoignage du demandeur, il lui incombe de prendre cette preuve en considération et de lui accorder le poids qu’il convient. La Commission commet une erreur si elle fonde une décision sur une différence entre les renseignements fournis au point d’entrée et les renseignements fournis plus tard dans le processus sans prendre en compte la preuve concernant l’état psychologique du demandeur : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 963. Il ne suffit pas de faire simplement référence dans les motifs à un rapport psychologique portant sur le syndrome de stress post-traumatique; la Commission doit examiner si les circonstances psychologiques pourraient aider à expliquer une omission, un manque de détails ou une confusion concernant les événements survenus, s’il s’agit des erreurs cognitives exactes qui sont mentionnées dans le rapport du psychologue : Rudaragi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 911). La Commission ne peut pas déclarer seulement qu’elle a examiné le rapport; elle doit indiquer de façon valable en quoi l’état médical a une incidence sur sa décision avant de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité : Fidan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003 CF 1190] [2003] A.C.F. no 1606. Selon le demandeur, il est nécessaire de tenir compte des problèmes psychologiques, même quand la principale question en litige est la vraisemblance du témoignage : Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1070.
[34] Dans la décision Atay, la Cour a accepté ces arguments, aux paragraphes 29 à 32. Dans la présente affaire, la demanderesse a cité plusieurs autres décisions de la Cour qui sont essentiellement en faveur de la même proposition (Khawaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8521, [1999] A.C.F. no 1213 (QL) (1re inst.), au paragraphe 8; B.C. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 826, aux paragraphes 15 à 20; Mendez Santos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1326, aux paragraphes 16 à 19; Olalere c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 385, aux paragraphes 50 à 60).
[35] Tout récemment, la Cour a rendu une conclusion semblable au sujet d’un rapport psychiatrique dans la décision Mowloughi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 270 (la décision Mowloughi), aux paragraphes 67 à 70 (non souligné dans l’original) :
L’agent accorde peu de poids à la preuve psychiatrique concernant l’état de santé mentale du demandeur et de son épouse, au motif que cette preuve repose sur les déclarations du demandeur et que les médecins n’ont aucune connaissance directe des événements qui se seraient produits en Iran selon le demandeur.
Encore une fois, l’agent ne comprend pas l’importance de cette preuve. En effet, cette dernière corrobore la version du demandeur parce que les symptômes correspondent à ceux de personnes qui ont subi les mêmes épreuves que son épouse et lui-même ont subies. Par exemple, la Dre Lisa Andermann constate que le demandeur souffre de symptômes de l’état de stress post-traumatique qui sont [traduction] « typiques d’une personne qui a été battue et torturée ». La médecin iranienne a indiqué que l’épouse du demandeur souffre d’anxiété et de dépression, ce qui corroborerait l’allégation selon laquelle elle aurait été victime de harcèlement de la part des autorités.
L’agent accorde peu de poids à cette preuve parce que les médecins n’ont aucune connaissance directe de ce que les autorités iraniennes ont fait au demandeur et à son épouse. Pourtant, les éléments de preuve n’ont pas été fournis dans le but de prouver que les médecins avaient une connaissance directe des événements. Les avis médicaux de ces médecins constituent une preuve circonstancielle valide, qui corrobore le récit du demandeur. L’agent semble indiquer qu’il n’acceptera et n’évaluera que la preuve directe, ce qui est déraisonnable, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, par. 44 (Kanthasamy).
[36] La Cour ne peut commenter avec certitude l’influence que ces rapports d’experts ont eue sur les résultats des demandes d’asile. Cela dit, les demandeurs d’asile comptent régulièrement sur eux. Cela peut être particulièrement vrai depuis que la Cour suprême, dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909 (l’arrêt Kanthasamy), a rejeté l’attribution par un agent d’immigration d’un faible poids à un rapport médical dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire comme il est indiqué dans la décision Mowloughi ci-dessus. Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour a commenté l’erreur de l’agent dans une affaire fondée sur des motifs humanitaires comme suit au paragraphe 47 :
[…] Une fois reconnu qu’il souffre d’un trouble de stress post-traumatique, d’un trouble d’adaptation et de dépression en raison de ce qu’il a vécu au Sri Lanka, exiger en sus la preuve de l’existence de soins au Canada ou au Sri Lanka met à mal le diagnostic et a l’effet discutable d’en faire un facteur conditionnel plutôt qu’important.
[37] De ce passage, il n’est pas clair si la Cour suprême a reconnu que l’agent n’avait d’autre choix que d’accepter le rapport aux fins d’admissibilité. L’agent n’aurait pas pu contester sur le fond les opinions exprimées dans le rapport, faute à la fois de preuve d’un rapport d’expert contradictoire, que l’on trouve normalement dans les procès, et de l’expertise nécessaire pour contester ces opinions. Il n’est pas non plus facile de savoir si le point de vue de l’agent était que l’expert ne peut fournir une preuve qui, si elle n’est pas versée au dossier par le demandeur, entache l’opinion sur laquelle elle est fondée. Il va sans dire que le manque d’expertise du décideur est la raison tautologique pour laquelle les parties ont d’abord recours à des experts en procédure contradictoire.
[38] C’est précisément ce désavantage flagrant auquel sont confrontés la plupart des décideurs dans les procédures en matière de statut de réfugié et d’immigration : ils n’ont d’autre choix que d’accepter les avis de fond des experts médicaux, ce qui les oblige à se concentrer sur les questions collatérales ayant une incidence sur le poids ou la portée de ces avis.
[39] Il s’agit précisément du point que j’aborde ici. Avant que la SPR n’accepte le Rapport quant au fond, il pourrait être avantageux pour elle d’appliquer les facteurs d’évaluation régulièrement adoptés par les juges dans les procès pour déterminer si l’expert a convenablement démontré que les opinions contenues dans son rapport sont suffisamment fiables.
[40] Ces facteurs ont été élaborés par la Cour suprême et la Cour d’appel de l’Ontario dans les efforts qu’elles ont faits afin de veiller à ce que les dangers potentiels de la preuve d’expert sont limités en exigeant que ces rapports soient soumis à un processus de contrôle avant d’être admis en preuve. Les facteurs utilisés dans ce processus peuvent également être appliqués pour évaluer le poids de la fiabilité d’un rapport. Les exigences de fiabilité ne sont pas réputées être des règles de preuve techniques. Elles sont la substance de ce que font les décideurs pour donner du poids aux données probantes. Comme on le verra, dans l’arrêt R v. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330 (demande d’autorisation d’appel rejetée [2010] 2 R.C.S. v, [2010] C.S.C.R. no 125 (QL)) (l’arrêt Abbey), la Cour d’appel de l’Ontario a dressé une liste de questions particulièrement pertinentes et utiles visant à démontrer la fiabilité. Ces questions sont particulièrement utiles lorsqu’il s’agit d’évaluer la fiabilité des opinions fondées principalement sur l’expérience de l’expert (par opposition aux tests statistiques élaborés scientifiquement), comme c’est souvent le cas dans les rapports examinés par la SPR. Un avantage évident de l’évaluation de la fiabilité d’un rapport est que de telles conclusions sont hautement factuelles et ne peuvent donc généralement pas être examinées par les tribunaux tant qu’il existe des preuves à l’appui des conclusions. L’analyse qui suit décrit ces outils d’évaluation de la fiabilité et les applique au Rapport du Dr Devins.
3) Le critère d’admissibilité des rapports d’expert
[41] La décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mohan, telle qu’interprétée et reformulée par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Abbey, décrit les principes sur lesquels repose l’admissibilité des rapports d’expert.
[42] Contrairement aux témoins non professionnels, les témoignages d’experts sont présumés irrecevables. La preuve d’expert fait l’objet de ce traitement distinct parce qu’elle présente au juge des faits une opinion toute faite quant à une inférence factuelle qui devrait être tirée de l’information que l’expert a accumulée grâce à son travail et à son expérience et qu’il a combinée à d’autres preuves. Pour cette raison, [traduction] « [l]es éléments de preuve d’expert ont le potentiel réel d’avaler toute la fonction d’établissement des faits du tribunal » (Abbey, au paragraphe 71).
[43] Ainsi, devant les tribunaux de première instance, la preuve d’opinion d’expert ne peut être admise que si la partie qui l’appelle répond aux quatre conditions préalables aux fins d’admissibilité, selon la prépondérance des probabilités, et si elle franchit en outre l’étape du contrôle discrétionnaire qui équilibre les coûts et les bénéfices possibles de l’admission de la preuve afin de décider si ces bénéfices possibles justifient les coûts. À cet égard, le terme « bénéfices » renvoie à la valeur probante de la preuve, tandis que le terme « coûts » renvoie au fait que « le témoignage d’expert peut détourner l’attention et prendre énormément de temps » (R. c. D.D., 2000 CSC 43, [2000] 2 R.C.S. 275 (D.D.), au paragraphe 57).
[44] La Cour suprême a récemment résumé la loi concernant l’admissibilité des témoignages d’expert dans l’arrêt White Burgess, au paragraphes 22 à 24, qui se lisent comme suit :
L’arrêt Abbey (ONCA) a apporté des précisions utiles en scindant la démarche en deux temps. Je suis d’avis de l’adopter, à peu de choses près.
Dans un premier temps, celui qui veut présenter le témoignage doit démontrer qu’il satisfait aux critères d’admissibilité, soit les quatre critères énoncés dans l’arrêt Mohan, à savoir la pertinence, la nécessité, l’absence de toute règle d’exclusion et la qualification suffisante de l’expert. De plus, dans le cas d’une opinion fondée sur une science nouvelle ou contestée ou sur une science utilisée à des fins nouvelles, la fiabilité des principes scientifiques étayant la preuve doit être démontrée (J.-L.J., par. 33, 35-36 et 47; Trochym, par. 27; Lederman, Bryant et Fuerst, p. 788-789 et 800-801). Le critère de la pertinence, à ce stade, s’entend de la pertinence logique (Abbey (ONCA), par. 82; J.-L.J., par. 47). Tout témoignage qui ne satisfait pas à ces critères devrait être exclu. Il est à noter qu’à mon avis, la nécessité demeure un critère (D.D., par. 57; voir D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (7e éd. 2015), p. 209-210; R. c. Boswell, 2011 ONCA 283, 85 C.R. (6th) 290, par. 13; R. c. C. (M.), 2014 ONCA 611, 13 C.R. (7th) 396, par. 72).
Dans un deuxième temps, le juge-gardien exerce son pouvoir discrétionnaire en soupesant les risques et les bénéfices éventuels que présente l’admission du témoignage, afin de décider si les premiers sont justifiés par les seconds. Cet exercice nécessaire de pondération a été décrit de plusieurs façons. Dans l’arrêt Mohan, le juge Sopinka parle du « facteur fiabilité-effet » (p. 21), tandis que, dans l’arrêt J.-L.J., le juge Binnie renvoie à « la pertinence, la fiabilité et la nécessité par rapport au délai, au préjudice, à la confusion qui peuvent résulter » (par. 47). Le juge Doherty résume bien la question dans l’arrêt Abbey, lorsqu’il explique que [traduction] « le juge du procès doit décider si le témoignage d’expert qui satisfait aux conditions préalables à l’admissibilité est assez avantageux pour le procès pour justifier son admission malgré le préjudice potentiel, pour le procès, qui peut découler de son admission » (par. 76).
(Voir aussi : R. c. Bingley, 2017 CSC 12, [2017] 1 R.C.S. 170, aux paragraphes 15 à 17).
[45] En gardant ces principes à l’esprit, le critère actuel de la common law pour l’admissibilité de la preuve d’expert peut être résumé comme suit :
1) La preuve d’expert doit répondre aux quatre critères d’admissibilité (les facteurs Mohan), c’est-à-dire :
a) La preuve doit être logiquement pertinente, c’est-à-dire qu’elle doit avoir tendance, d’après l’expérience et la logique humaines, à rendre l’existence d’un fait en cause plus ou moins probable qu’elle ne le serait sans cette preuve (à ne pas confondre avec la pertinence juridique) (Abbey, aux paragraphes 82 à 85);
b) La preuve doit être nécessaire pour aider le juge des faits, c’est-à-dire qu’il ne peut tirer ses propres conclusions sans aide (R. c. Sekhon, 2014 CSC 15, [2014] 1 R.C.S. 272, aux paragraphes 43 à 48);
c) L’absence d’une règle d’exclusion;
d) L’expert doit être dûment qualifié, c’est-à-dire qu’il doit posséder des connaissances et une expérience spéciales allant au-delà de celles du juge des faits. Après l’arrêt White Burgess, cette étape concerne également les questions en litige relatives à l’indépendance et à l’impartialité de l’expert et à sa volonté et sa capacité de s’acquitter de ses obligations envers le tribunal (au paragraphe 53 de l’arrêt White Burgess).
2) Fonction de contrôle : Étape de l’évaluation coûts-avantages (y compris l’évaluation de la fiabilité);
3) En supposant que la preuve soit admise, le juge des faits peut l’évaluer parmi les autres éléments de preuve.
[46] Après avoir énoncé le critère de la common law pour l’admissibilité de la preuve d’expert, j’en viens maintenant à l’application de ces principes dans le contexte du droit administratif.
4) Les principes de l’arrêt Mohan s’appliquent-ils dans les procédures devant les tribunaux administratifs?
[47] Reste la question de savoir si le critère susmentionné peut être appliqué par les tribunaux administratifs traitant de la preuve d’expert. En particulier, on se demande si les tribunaux administratifs doivent limiter leurs commentaires au poids accordé à ces opinions d’experts, ou s’il faut plutôt leur permettre de déclarer un rapport donné, ou des parties de celui-ci, irrecevables.
[48] Dans l’arrêt Alberta (Securities Commission) v. Workum, 2010 ABCA 405, 493 A.R. 1, [2010] A.J. no 1468 (QL) (l’arrêt Workum), la Cour d’appel de l’Alberta a conclu que les critères énoncés dans l’arrêt Mohan en matière d’admissibilité ne s’appliquent pas aux audiences devant la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta (au paragraphe 82 : citant l’alinéa 29(f) de la Securities Act, R.S.A. 2000, ch. S-4, qui prévoit que : [traduction] « [a]ux fins d’une audience devant la Commission [...] ce qui suit s’applique : [...] (f) le droit de la preuve applicable aux procédures judiciaires ne s’applique pas »). Toutefois, la Cour a également jugé que l’examen des critères énoncés dans l’arrêt Mohan peut amener un tribunal à accorder plus ou moins de poids à la preuve (aux paragraphes 82 à 84, citant le texte de David Jones et Anne de Villars, Principles of Administrative Law, 5e édition (Toronto : Carswell, 2009), à la page 306). Toutefois, étant donné que la norme de contrôle prévue par la loi albertaine ne permettait pas à cette cour d’intervenir sur les questions de poids, la Cour a rejeté ce motif d’appel (au paragraphe 84). La question a plutôt été tranchée en fonction des principes d’équité, à savoir s’il y avait ou non une crainte raisonnable que le décideur soit partial.
[49] Dans Paciocco & Stuesser, The Law of Evidence, 7e édition, Toronto : Irwin Law, 2015 (texte de Paciocco), les auteurs ne citent pas l’arrêt Workum. Cependant, ils semblent être d’accord avec moi pour dire que [traduction] « les critères énoncés dans l’arrêt Mohan s’appliquent aux litiges civils, aux affaires administratives où les règles de la preuve sont appliquées et aux affaires pénales » (non souligné dans l’original). À l’appui de cette affirmation, les auteurs se reportent à l’arrêt Deemar v. College of Veterinarians of Ontario, 2008 ONCA 600, 92 O.R. (3d) 97 (l’arrêt Deemar), au paragraphe 20, qui renvoie elle-même à la décision Drummond c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 477 (QL) (1re inst.) (la décision Drummond), au paragraphe 9.
[50] Ni l’une ni l’autre de ces affaires ne fait explicitement référence à l’arrêt Mohan, bien que les deux décisions aient confirmé les décisions d’un tribunal administratif qui a jugé les rapports d’expert irrecevables.
[51] Dans l’arrêt Deemar, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé une décision du comité de discipline de l’Ordre des vétérinaires de l’Ontario. Essentiellement, la Cour a statué que le droit du vétérinaire intimé de déposer une preuve d’expert est limité par la compétence du comité pour statuer sur l’admissibilité de la preuve (au paragraphe 18). En fin de compte, la Cour a confirmé la décision de la Commission de refuser d’admettre un rapport d’expert parce que l’auteur manquait d’indépendance, parce qu’il s’agissait essentiellement d’une action de plaidoyer et parce que l’auteur avait récemment eu des relations avec l’Ordre des vétérinaires (aux paragraphes 19 à 23). La Cour a en outre confirmé la décision de la Commission de refuser d’admettre un deuxième rapport d’expert parce qu’il manquait de pertinence logique (au paragraphe 29).
[52] Fait particulièrement intéressant, dans l’arrêt Deemar, la Cour s’est référée à la décision Drummond, aux paragraphes 27 et 28. Dans la décision Drummond, le juge Rothstein a examiné une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) rejetant une demande de réouverture d’un appel de la mesure d’expulsion de la demanderesse. Tout en accueillant le contrôle judiciaire sur le fond de la question de la réouverture, le juge Rothstein a confirmé la décision de la SAI d’exclure un affidavit présenté comme preuve d’expert concernant l’incompétence de l’avocat de la demanderesse lors d’une audience devant la SAI, car la déposante avait agi comme membre de la SAI trois mois avant l’audience sur la réouverture et l’expert ne semblait donc pas être indépendant. À cet égard, le juge Rothstein a statué que [traduction] « même si, en règle générale, un tribunal ne doit pas rejeter d’éléments de preuve, en l’espèce, je crois qu’il avait raison de le faire » (par. 9).
[53] Par conséquent, je conclus que la jurisprudence de la Cour permettrait à la SPR de déclarer un rapport d’expert irrecevable dans les circonstances limitées dans lesquelles il y a lieu de le faire.
[54] Toutefois, il n’existe aucune jurisprudence apparente permettant aux tribunaux administratifs d’appliquer les règles de contrôle coût-avantages pour refuser l’admission d’un rapport d’expert, en l’absence d’un langage législatif permissif. Néanmoins, en ce qui concerne la SPR, la question de savoir si, comme le donne à penser le texte de Paciocco, la compétence d’un tribunal pour statuer sur l’admissibilité dépend de sa compétence pour appliquer ou non les règles de la preuve, demeure une question brûlante. Cette question serait tranchée en interprétant la loi applicable de la SPR. Par ailleurs, la LIPR stipule à l’alinéa 170g) que la SPR « n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve ».
[55] À mon avis, cette disposition doit être interprétée comme signifiant que la SPR n’est pas tenue de suivre des règles techniques de présentation de la preuve, comme le critère énoncé dans les arrêts Mohan et Abbey pour déterminer l’admissibilité de la preuve d’expert. Autrement dit, les tribunaux administratifs comme la SPR, qui ne sont pas « liés par des règles techniques ou légales de présentation de la preuve », sont autorisés à admettre des éléments de preuve qui seraient normalement irrecevables devant un tribunal civil (voir la discussion dans l’arrêt Association de l’industrie canadienne de l’enregistrement c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2010 CAF 322 (l’arrêt AICE), au paragraphe 13–22, citant l’arrêt Suchon c. Canada, 2002 CAF 282 (l’arrêt Suchon), aux paragraphes 31 et 32). À cet égard, la discussion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Suchon, dont il est question dans l’arrêt AICE (au paragraphe 18), est intéressante et se lit comme suit (non souligné dans l’original) :
Enfin, contrairement à l’opinion exprimée par le juge de la Cour de l’impôt, le paragraphe 18.15(4) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt peut[[1]] imposer au juge de la Cour de l’impôt, sous la procédure informelle, de faire fi des règles de preuve, y compris des dispositions de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, si cela peut permettre le déroulement expéditif et équitable de l’audition sur le fond de l’appel. La preuve présentée sous le régime de la procédure informelle ne peut être exclue du simple fait qu’elle serait inadmissible dans une procédure ordinaire.
Cela ne veut pas dire qu’un juge de la Cour de l’impôt, procédant suivant la procédure informelle, soit tenu d’accepter toute la preuve qui est présentée. Rien de tel n’est exigé. Cependant, ce serait une erreur de la part d’un juge de la Cour de l’impôt, dans le cadre de cette procédure, de rejeter un élément de preuve pour des motifs techniques sans examiner si, malgré les règles de preuve ordinaires ou les dispositions de la Loi sur la preuve au Canada, cet élément est suffisamment fiable et probant pour justifier son admission. En examinant cette question, le juge de la Cour de l’impôt devrait tenir compte d’un certain nombre de facteurs, y compris la somme en jeu dans l’affaire et le coût probable pour les parties de l’obtention d’une preuve plus formelle des faits.
[56] Encore une fois, j’en déduis que la SPR peut refuser d’admettre la preuve d’expert [traduction] « lorsqu’elle a des raisons de le faire » (décision Drummond, au paragraphe 9). Bien qu’ils ne lient pas la SPR, les critères énoncés dans les arrêts Mohan et Abbey peuvent être utiles pour lui permettre de déterminer si une telle raison de refuser l’admission d’une preuve d’expert survient. Autrement dit, un tribunal administratif, comme la SPR, n’est pas tenu d’admettre tous les documents présentés par un demandeur (arrêt Suchon, au paragraphes 31 et 32; arrêt AICE, au paragraphe 18; Beltran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1143, aux paragraphes 10 à 20). Dans ces cas, la « raison de le faire » semble se rapporter à une preuve d’expert qui manque de pertinence logique (étape 1a) ci-dessus), ou donne à penser que l’expert n’est pas qualifié en ce sens qu’il ou elle manque d’indépendance ou d’impartialité (étape 1d) ci-dessus). Cela dit, selon le principe évoqué dans les arrêts Suchon et AICE, la « nécessité » et l’étape du contrôle d’accès, normalement examinées au stade de l’admissibilité par les juges de première instance, semblent être mieux réservées à l’étape de l’évaluation du poids pour les tribunaux administratifs.
[57] Comme je conclus que la SPR peut appliquer les facteurs décrits dans les arrêts Mohan et Abbey du côté des avantages de l’équation de la question des coûts pour aider à l’analyse de la pondération d’un rapport d’expert, je vais achever cette analyse et examiner brièvement si la SPR a compétence pour appliquer les principes de contrôle des coûts et des avantages et comment la fiabilité de ses décisions pourrait être améliorée en exerçant cette compétence.
5) Facteurs de fiabilité
[58] La décision dans l’affaire Abbey, qui a suivi la substance de l’approche de l’arrêt Mohan tout en la reformulant, décrit comme suit les facteurs de fiabilité qu’un juge des faits, comme la SPR, pourrait utiliser pour évaluer le poids d’un rapport d’expert : [traduction] 1) la nécessité; 2) l’objet de la preuve en fonction de l’importance de la question en litige visée; 3) la méthodologie utilisée par l’expert proposé pour en arriver à son opinion; 4) l’expertise de l’expert; (5) la mesure dans laquelle l’expert est impartial et objectif (Abbey, au paragraphe 87).
[59] Dans l’arrêt D.D., la Cour suprême du Canada a adopté les principes du facteur de nécessité décrits dans l’ouvrage de D. Paciocco intitulé Expert Evidence : Where Are We Now? Where Are We Going? (1998), aux pages 16 et 17, sous le titre « Résumé de l’analyse générale de l’exigence de nécessité »; je cite l’extrait qui distille la conclusion (au paragraphe 57) comme suit (non souligné dans l’original) :
[traduction] [...] Quand devons-nous faire courir un tel risque au système juridique et à la vérité en permettant la preuve d’expert? Seulement quand les profanes sont susceptibles d’en venir à une conclusion erronée sans l’aide d’experts ou qu’ils seront privés de renseignements importants s’ils ne peuvent recourir aux connaissances d’experts. Comme l’arrêt Mohan nous l’indique, il ne suffit pas que la preuve d’expert soit utile pour que nous soyons prêts à courir ces risques. C’est un critère trop faible. Elle doit être nécessaire.
[60] La deuxième des trois opinions d’expert contenues dans le Rapport concernant 1) la compétence de la demanderesse et le besoin d’un représentant désigné, 2) la crédibilité de son témoignage devant la SPR, 3) le risque de préjudice lors de son renvoi à Sainte-Lucie en raison de ses troubles mentaux, peut être jugée prima facie nécessaire, en ce sens que sans considération de ces facteurs, la SPR pourrait arriver à la mauvaise conclusion. Pour la même raison, le premier facteur décrit ci-dessus concernant l’importance de l’objet du litige pour le résultat serait également respecté si la demanderesse avait demandé un représentant désigné. La troisième opinion pourrait être pertinente pour l’évaluation des difficultés effectuée par un agent en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, mais elle ne serait probablement pas pertinente pour déterminer si la demanderesse répond aux critères des articles 96 et 97 de la LIPR.
[61] Toutefois, il reste un domaine d’analyse que le texte de Paciocco traite comme une question autonome pour établir l’inadmissibilité, mais dans le cadre d’une détermination de la pondération, je conclus que cette question porte sur la nécessité. Je fais référence au pronostic du Dr Devins selon lequel les problèmes apparents de crédibilité dans le témoignage de la demanderesse seront « probablement » causés par les [traduction] « effets perturbateurs de la maladie mentale grave ou du stress traumatique ». J’estime que cette opinion constitue une forme de « témoignage-justificatif » inadmissible. Même si la SPR n’est pas autorisée à se prononcer sur l’admissibilité des éléments de preuve sur cette seule base, de telles conclusions dans un rapport devraient néanmoins influencer l’évaluation du poids de l’opinion. Cette question sera examinée ci-dessous, en plus des autres questions pertinentes décrites ci-dessus (examen de la méthodologie du Dr Devins, de son expertise et de la mesure dans laquelle il s’est montré impartial et objectif dans les circonstances).
[62] En exprimant les opinions qui suivent, je suis critique à l’égard du Rapport. Toutefois, il ne faut pas se méprendre sur le fait que j’attribue la responsabilité première aux avocats qui ont conseillé le Dr Devins sur ce qu’il convenait d’inclure dans un rapport d’expert. Dans la mesure où ont été élaborées des pratiques dont je suis critique et qui sont reflétées dans le Rapport, elles auraient dû être relevées et signalées comme inappropriées par les avocats retenus, même si je soupçonne plutôt qu’elles aient été encouragées au fil des ans.
[63] De plus, tant de rapports semblent avoir échappé à des contestations que certains peuvent supposer à tort qu’en droit des réfugiés, les principes normaux qui soutiennent la fiabilité de la preuve dans l’évaluation du poids, et les causes dans lesquelles ces principes sont énoncés, ne s’appliquent pas d’une certaine façon. À tout le moins, cette décision sert à désavantager, espérons-le, les hypothèses futures selon lesquelles les rapports d’expert ne sont pas tenus de respecter les règles de droit fondamentales qui s’appliquent à toutes les procédures judiciaires et quasi judiciaires au Canada, même celles dans lesquelles le décideur n’est pas tenu de respecter les règles « légales ou techniques » de présentation de la preuve.
6) La règle interdisant les témoignages justificatifs
[64] Dans le texte de Paciocco, sous le titre [traduction] « La règle de l’ultime question », les auteurs se penchent sur la règle interdisant les témoignages justificatifs. Dans cette section, les auteurs affirment que la question ultime de l’exactitude du témoignage des témoins est un domaine dans lequel les décideurs n’ont pas besoin d’aide. Un extrait à cet effet se lit comme suit (à la page 202, point 3.3) :
[traduction] […] Les juges des faits peuvent s’acquitter de leur fonction centrale qui consiste à déterminer en définitive si les témoins fournissent des témoignages exacts sans avoir besoin de l’opinion d’autres personnes sur la véracité des témoignages en question. Ce n’est pas seulement que de tels avis sont superflus ou inutiles. Même si les profanes sont capables d’évaluer la crédibilité, il est incontestable que cela est difficile. On craint que si des experts, ou même des profanes qui connaissent bien les témoins, sont autorisés à exprimer leur opinion sur la véracité ou l’exactitude des renseignements fournis par les témoins, les juges des faits ne s’en remettent simplement à ces opinions plutôt que d’évaluer eux-mêmes la crédibilité et la fiabilité de l’information.
[65] La règle interdisant les témoignages justificatifs interdit l’admission d’éléments de preuve présentés dans le but de prouver qu’un témoin est sincère. Comme il est décrit dans le passage ci-dessus, la bonne question consiste à savoir si « [l]es juges des faits peuvent s’acquitter de leur fonction centrale qui consiste à déterminer en définitive si les témoins fournissent des témoignages exacts sans avoir besoin de l’opinion d’autres personnes sur la véracité des témoignages en question ».
[66] Le témoignage justificatif admissible est une preuve qui s’avère nécessaire pour aider le juge des faits à évaluer correctement la crédibilité des témoins. Comme l’indique le texte de Paciocco, [traduction] « la loi établit donc une distinction entre les témoignages d’opinion “sur la crédibilité” (ce qui est inadmissible en raison de la règle interdisant les témoignages justificatifs) et les témoignages d’opinion “pertinents pour la crédibilité” (à la page 204 [italiques dans l’original]) ». Par souci de clarté, dans le passage cité ci-dessus, « sur la crédibilité » fait référence à la crédibilité du témoin qui témoigne, c.-à-d. l’opinion porte-t-elle sur la crédibilité du témoin? Si c’est le cas, c’est inadmissible.
[67] Dans l’arrêt R. v. Reid (2003), 65 O.R. (3d) 723, 177 C.C.C. (3d) 260, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré que le but de la preuve était de renseigner le juge des faits sur une question (en l’occurrence la nature du syndrome de la femme battue) et ses effets possibles sur les modèles de divulgation (preuve généralement pertinente pour la crédibilité), au lieu de formuler une opinion avec un degré prudent de possibilité que les contradictions dans un témoignage donné puissent être (« effets possibles ») écartées en se fondant là-dessus [au paragraphe 46] :
[traduction] À mon avis, la preuve du Dr Jaffe était admissible, mais seulement dans un but limité. Il aurait dû se limiter à une brève description de la nature et des causes profondes des problèmes appelés « syndrome de la femme battue » et « trouble de stress post-traumatique » et de leurs effets possibles sur les modèles de divulgation de la preuve. Si la preuve avait été limitée de cette façon, elle aurait pu être donnée en résumé. [Non souligné dans l’original.]
[68] Le témoignage de l’expert sera rejeté s’il est présenté d’une manière qui a plus d’impact en révélant que l’expert croit en la crédibilité du plaignant, ou d’un témoin en particulier, qu’en renseignant le juge des faits sur les comportements et les caractéristiques associés au type de conduite en cause (R. v. Llorenz, 2000 CanLII 5745, [2000] O.J. no 1885 (QL) (C.A.); D.D., aux paragraphes 19 et 20).
[69] En outre, sur le plan de la fiabilité, le texte de Paciocco indique que les cas admissibles de témoignage justificatifs tendent à être des exemples reconnus de problèmes de témoignage qui surviennent régulièrement, tels que le syndrome de la femme battue ou les rétractations d’allégations d’abus sexuels par des enfants (à la page 204). Autrement dit, la situation psychologique de la demanderesse peut être validée dans la profession par d’autres sujets en situation semblable. Il ne semble pas y avoir de cas où le stress du témoignage, même démontré objectivement par des tests (ce qui n’est pas le cas en l’espèce) ou un entretien, a été suffisant pour influer sur la conclusion du décideur concernant la crédibilité. Certes, rien n’appuie la notion selon laquelle un tel pronostic pourrait être plus grand qu’une possibilité modérée, au mieux.
[70] En appliquant ces préceptes au Rapport, je conclus que le pronostic du Dr Devins selon lequel les incohérences, entre autres, qui peuvent survenir dans le témoignage de la demanderesse au cours de l’audience relative à la demande d’asile sont probablement attribuables aux troubles mentaux de celle-ci plutôt qu’à des tentatives d’éviter ou de dissimuler, est clairement pertinent pour la crédibilité de la demanderesse plutôt que pertinent en général pour la question de la crédibilité dans son ensemble.
[71] En fin de compte, les déclarations catégoriques du Rapport, selon lesquelles la demanderesse est crédible et toute incohérence ne devrait pas être attribuée à une intention d’induire en erreur, constituent des témoignages justificatifs et ne sont pas admissibles. De plus, comme nous le verrons plus loin, cette conclusion sous-entend la partialité en établissant le degré de fiabilité de l’opinion du Dr Devins au niveau probant d’une probabilité et n’est appuyée par aucune preuve scientifique, référence ou document fiable. Ces opinions sont très éloignées du témoignage justificatif admissible, où un expert fournirait des renseignements pertinents pour la crédibilité grâce à une méthodologie scientifique bien expliquée. Dans ce cas-ci, toutefois, le Rapport fournit au commissaire de la SPR une déduction toute faite au sujet d’une personne en particulier, ce qui constitue une opinion inadmissible sur la crédibilité de la demanderesse.
7) Évaluation de la fiabilité de l’expertise et de la méthodologie pour fournir des avis
[72] Les facteurs liés aux avantages décrits dans l’arrêt Abbey, en tant que composante de l’analyse coûts-avantages effectuée dans le cadre de l’exercice de contrôle de l’admissibilité, peuvent servir à évaluer la fiabilité et la force probante des rapports d’expert déposés dans les procédures de la SPR.
[73] Dans l’arrêt Abbey (au paragraphe 120), la Cour a souligné l’importance de mettre à l’épreuve les méthodes de l’expert par rapport à celles qui sont acceptées dans le domaine (non souligné dans l’original) :
[traduction] L’importance de mettre à l’épreuve les méthodes de l’expert par rapport à celles qui sont acceptées dans le domaine a été soulignée dans Kumho Tire Co. [v. Carmichael, 526 U.S. 137, 119 S. Ct. 1167, 143 L. Ed. 2d 238 (1999)], p. 152 U.S.
[74] L’objectif de la fonction de contrôle est d’assurer la fiabilité et la pertinence juridique des témoignages d’expert. Elle vise aussi à veiller à ce que, dans la salle d’audience, qu’il s’agisse de témoignages fondés sur des études professionnelles ou sur son expérience personnelle, un expert fasse preuve de la même rigueur intellectuelle qui caractérise la pratique des experts dans leur domaine.
[75] Il est donc possible de s’assurer que le témoignage d’un expert est fiable et pertinent sur le plan juridique en se référant à des études professionnelles scientifiques dans le domaine en question, ou encore à l’expérience personnelle de l’expert. Toutefois, on ne devrait pas tenir un expert à un niveau inférieur de rigueur intellectuelle requise dans les procédures de la SPR si l’on veut que ses opinions aient une valeur probante significative.
[76] D’après ma lecture du Rapport, le Dr Devins ne semble pas se fier beaucoup aux tests scientifiques professionnels, comme on pourrait s’attendre à ce qu’un expert en psychologie le fasse. Sous le titre [traduction] « Approche de l’évaluation psychologique », il déclare plutôt que [traduction] « les données recueillies lors de l’entretien sont complétées par des tests psychologiques standard ». Selon le Rapport, il a utilisé l’échelle Fptsd de l’Inventaire multiphasique de personnalité du Minnesota – M.M.P.I. pour évaluer le trouble de stress post-traumatique de la demanderesse. Cependant, le Dr Devins n’a fourni aucune indication de ce que l’échelle M.M.P.I. est censée établir, ni les résultats obtenus après l’avoir administrée à la demanderesse. Par conséquent, le contenu du Rapport semble être entièrement fondé sur l’information obtenue lors de l’entretien avec la demanderesse; on dit habituellement que cet entretien dure une heure, mais dans ce cas-ci, le Rapport ne fait état d’aucune durée précise et ne renferme aucune conclusion ou résultat obtenu suite à l’administration de l’échelle.
[77] Pour déterminer si les opinions tirées de l’expérience personnelle sont pertinentes et fiables, l’arrêt Abbey est encore une fois très instructif sur l’approche qu’un tribunal, ou en l’occurrence la SPR, devrait suivre. La méthodologie évaluée dans l’arrêt Abbey était celle employée par un sociologue expert. Ses opinions ont été décrites comme étant [traduction] « fondées sur les connaissances qu’il a acquises au sujet d’une culture particulière grâce à des années d’études universitaires, à diverses formes d’interaction avec les membres de cette culture et à un examen de la documentation pertinente » (au paragraphe 116). La Cour d’appel de l’Ontario a fait remarquer que le témoignage de l’expert ne pouvait pas être jugé comme une « théorie scientifique »; c’était plutôt la compréhension de l’expert, d’après ses connaissances et ses recherches, de la signification de certains symboles dans la culture des gangs.
[78] La Cour a décrit une série de questions qui peuvent être pertinentes lorsqu’il s’agit de déterminer la fiabilité d’une opinion fondée sur la recherche et l’expérience de l’expert alléguant des connaissances spécialisées. Les voici (au paragraphe 119) :
[traduction]
– Dans quelle mesure le domaine dans lequel l’opinion est offerte est-il une discipline, une profession ou un domaine de formation spécialisée reconnu?
– Dans quelle mesure les travaux dans ce domaine sont-ils soumis à des mesures d’assurance qualité et à un examen indépendant approprié par d’autres intervenants du domaine?
– Quelles sont les qualifications particulières de l’expert dans cette discipline, cette profession ou ce domaine de formation spécialisée?
– Dans la mesure où l’opinion repose sur des données recueillies par divers moyens comme des entretiens, les données sont-elles enregistrées avec exactitude, stockées et disponibles?
– Dans quelle mesure les processus de raisonnement qui sous-tendent l’opinion et les méthodes utilisées pour recueillir l’information pertinente sont-ils clairement expliqués par le témoin et se prêtent-ils à un examen critique par un jury?
– Dans quelle mesure l’expert est-il arrivé à son opinion en utilisant des méthodologies acceptées par ceux qui travaillent dans le domaine particulier dans lequel l’opinion est avancée?
– Dans quelle mesure les méthodes acceptées favorisent-elles et améliorent-elles la fiabilité de l’information recueillie et utilisée par l’expert?
– Dans quelle mesure le témoin, en avançant son opinion, a-t-il respecté les frontières et les limites de la discipline d’où provient son expertise?
– Dans quelle mesure l’opinion offerte est-elle fondée sur des données et d’autres renseignements recueillis indépendamment du cas particulier ou, de façon plus générale, du processus judiciaire?
[79] La Cour a ensuite brièvement décrit la preuve présentée par le sociologue, qu’elle a jugée conforme aux exigences de fiabilité comme suit [au paragraphe 122] (non souligné dans l’original) :
[traduction] Le Dr Totten a longuement témoigné sur les techniques et les méthodes qu’il a utilisées dans sa recherche pour rassembler et vérifier l’information qu’il a finalement utilisée pour faire avancer son opinion. Tout en reconnaissant qu’il ne pouvait pas s’assurer que tous les renseignements qu’il recevait des membres de gangs étaient exacts, il a expliqué les diverses méthodes utilisées pour tenter de maximiser la véracité des renseignements reçus. Le Dr Totten a témoigné que la méthodologie qu’il a suivie était bien établie dans son domaine d’étude et qu’elle était entièrement conforme aux méthodes utilisées par d’autres experts menant le même genre de recherches. À titre d’exemple, le Dr Totten a expliqué plusieurs façons d’utiliser le concept de l’examen par les pairs dans son domaine. Ses études ont toutes été évaluées par des pairs à l’aide de ces techniques.
[80] Cette liste de questions pertinentes pour prouver la fiabilité, en plus de l’exemple de la façon dont elles ont été appliquées par l’expert dans l’arrêt Abbey, montre à quel point le Dr Devins a fourni peu de preuves convaincantes pour prouver ses qualifications spécifiques ou pour valider les méthodes qui sous-tendent ses opinions.
[81] À première vue, ses titres de compétence semblent très pertinents par rapport aux questions en litige. Il pratique la psychologie clinique en Ontario depuis 1966. Il a effectué d’innombrables évaluations psychologiques de demandeurs d’asile et d’autres personnes cherchant à obtenir un permis de séjour au Canada. En plus de ses qualifications de psychologue, il est professeur de psychiatrie à l’Université de Toronto et directeur du Psychosocial Oncology and Palliative Care Research Institute (Institut de recherche en oncologie psychosociale et en soins palliatifs) du Réseau universitaire de santé. Il occupe également des postes de direction au sein d’un certain nombre d’organismes scientifiques et de santé. Il a aussi reçu un certain nombre de prix en reconnaissance de sa contribution importante à la recherche en psychologie et en médecine, ainsi que de ses autres travaux.
[82] Ses titres de compétences en tant que rédacteur en chef adjoint d’Assessment, une revue savante consacrée à la mesure et à l’évaluation psychologiques, et ses nominations à d’autres comités de rédaction sont plus particulièrement pertinents quant à son expertise dans la présente affaire. Le Dr Devins mentionne que ses travaux de recherche portent principalement sur le stress, les mécanismes d’adaptation et les facteurs culturels qui façonnent l’impact psychologique de la maladie.
[83] Cependant, les problèmes commencent par le fait que ces affirmations de travaux de recherche pertinents ne sont pas étayées au-delà des énoncés généraux qui viennent d’être décrits. Il s’agit d’un grand obstacle à la tentative du Dr Devins de démontrer son expertise en évaluation psychologique et la fiabilité de la méthodologie sur laquelle il s’est appuyé pour préparer le Rapport.
[84] La déclaration initiale du Dr Devins, qui est censée appuyer la fiabilité de ses évaluations psychologiques, se trouve sous le titre [traduction] « Approche de l’évaluation psychologique ». Il déclare ce qui suit :
[traduction] La fiabilité et la validité des données recueillies lors des entretiens sont évaluées par un certain nombre de moyens, dont : la cohérence interne; les comportements non verbaux et leur congruence avec l’autodéclaration; le nombre de symptômes extrêmement peu fréquents signalés; et la congruence entre les symptômes signalés et les tendances connues de la détresse.
[85] Ce bref énoncé est manifestement insuffisant pour informer de façon significative la SPR ou pour étayer la fiabilité de ses opinions, qui semblent fondées uniquement sur les renseignements fournis par la demanderesse. Le langage relativement ésotérique et inhabituel qu’il utilise rappelle quelque peu la mise en garde du juge Sopinka dans l’arrêt Mohan au sujet des opinions « [e]xprimées en des termes scientifiques que le jury ne comprend pas bien et présentée par un témoin aux qualifications impressionnantes » (à la page 21). Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas d’un exercice d’interprétation compliqué de déduire que ces termes expriment les mêmes facteurs que ceux dont la SPR tiendrait compte si la demanderesse fournissait une preuve pour confirmer les preuves sur lesquelles le Dr Devins a fondé son témoignage, ce qu’elle doit faire sous une certaine forme sans quoi l’avis d’expert perd beaucoup de sa valeur probante.
[86] Sous le même titre, le Dr Devins déclare en outre ce qui suit au sujet de la fiabilité de sa méthodologie (non souligné dans l’original) :
[traduction] Cette approche de l’évaluation est bien établie et ancrée dans la philosophie selon laquelle un format standard fournit une délimitation valide, fiable et complète des forces et faiblesses psychologiques.
[87] L’affirmation est semblable dans une certaine mesure à celle citée dans l’arrêt Abbey, au paragraphe 122 (ci-dessus), à savoir que la méthodologie suivie par le sociologue était [traduction] « bien établie dans son domaine d’étude et entièrement conforme aux méthodes utilisées par d’autres experts menant le même genre de recherches ». La différence est que, dans l’arrêt Abbey, la Cour a souligné que l’expert [traduction] « a expliqué plusieurs façons dont le concept d’examen par les pairs était utilisé dans son domaine et indiqué que les études étaient toutes examinées par les pairs en utilisant ces techniques ». Il n’y a pas d’information à l’appui pour démontrer que l’approche du Dr Devins est bien établie et fondée sur une certaine forme de philosophie, quelle qu’elle soit, ou que le Dr Devins suit un format standard qui a été validé par sa recherche et examiné par des pairs. Il ne suffit pas qu’un expert fasse simplement des déclarations de cette nature. Ses déclarations doivent être étayées par des éléments probants.
[88] À mon avis, le principal problème que pose la fiabilité du Rapport est qu’il est entièrement fondé sur l’évaluation faite par le Dr Devins des réponses de la demanderesse à ses questions, avec une certaine référence tangible au comportement de celle-ci dans ses réponses. Bien que je trouve que cette observation s’applique à l’ensemble du Rapport, elle est probablement mieux mise en évidence dans la section consacrée à démontrer la fiabilité de ses opinions, telle que décrite sous le titre [traduction] « Comportement lors des tests et fiabilité des données recueillies lors de l’entretien ». Le court passage se lit comme suit (non souligné dans l’original) :
[traduction]
Comportement lors des tests et fiabilité des données recueillies lors de l’entretien
Mme Moffat a coopéré sans réserve. Elle a établi un contact visuel et a répondu directement aux questions. Des poches sont apparues sous ses yeux. L’entretien a été stressant pour Mme Moffat. Presque immédiatement, elle a jeté son regard vers le bas, indiquant la honte. Elle s’est tordu les mains. Elle a éprouvé des flashbacks et de la détresse (p. ex. « je ressens de la douleur; j’ai envie de pleurer »). Elle a connu la dépersonnalisation (c’est-à-dire une défense psychologique inconsciente dans laquelle les émotions sont « séparées » des pensées, souvenirs ou autres expériences associées à la menace, ce qui donne un sentiment d’irréalité, comme si l’on était dans un rêve ou un film). Ses problèmes de concentration l’empêchaient de fixer son attention. Ses réponses étaient crédibles et cohérentes les unes avec les autres. Son comportement non verbal et les émotions qu’elle manifestait concordaient avec les thèmes présentés en réponse aux questions. Un test psychologique a révélé un biais de désirabilité sociale, mais je ne crois pas que cela menace la validité de l’auto-évaluation. Je crois que Mme Moffat a fait de son mieux pour présenter des renseignements valides et fiables. Elle a vécu des événements traumatisants à Sainte-Lucie. Des séquelles psychologiques néfastes persistent. Sa détresse a commencé à s’atténuer parce que Mme Moffat se sent en sécurité au Canada.
[89] Ce paragraphe porte quelque peu à confusion. Les trois dernières phrases n’ont rien à voir avec la question de la fiabilité des données recueillies lors de l’entretien. À l’instar du reste du Rapport, qui décrit principalement l’information obtenue de la demanderesse, ce paragraphe mélange les renseignements fournis par celle-ci avec les observations du Dr Devins (entretien stressant, dépersonnalisation, problèmes de concentration). Le Dr Devins donne ensuite deux opinions destinées à étayer la fiabilité des déclarations de la demanderesse : [traduction] « Les réponses étaient crédibles et cohérentes les unes avec les autres. Son comportement non verbal et les émotions qu’elle manifestait concordaient avec les thèmes présentés en réponse aux questions. » Le langage est inutilement ésotérique pour aider la SPR, soit en ce qui a trait à ce à quoi ces déclarations font référence, soit en ce qui a trait aux observations censées appuyer la fiabilité des données recueillies lors de l’entretien. Avec tout le respect que je dois au Dr Devins, je me demande comment les prémisses ou la logique de cette méthodologie, fondée sur le fait de trouver la demanderesse crédible en réponse à ses questions, appuient la fiabilité de ses opinions. La fiabilité de ses opinions repose sur la fiabilité des réponses de la demanderesse, mais elle n’est pas en bonne santé mentale et ses réponses à l’audience peuvent sembler peu crédibles. Quoi qu’il en soit, l’exercice qui consiste à faire des commentaires sur la crédibilité du demandeur (la demanderesse dans ce cas-ci) constitue un témoignage justificatif inadmissible.
[90] Le Dr Devins fait également référence à un [traduction] « test psychologique » qui a indiqué un [traduction] « biais de désirabilité sociale ». Lorsqu’il parle de ce test, il ne peut faire référence qu’à l’échelle M.M.P.I. Encore une fois, le Rapport n’indique ni ce que le test a été conçu pour établir, ni les résultats de l’évaluation de la demanderesse par rapport à l’échelle M.M.P.I., ni ce qu’est un « biais de désirabilité sociale » ou la raison pour laquelle cela pourrait être pertinent. Vraisemblablement, le test est pertinent en ce qui a trait à la question du trouble de stress post-traumatique. Il est difficile de déterminer si le test a même confirmé la conclusion ultérieure du Dr Devins, selon laquelle la demanderesse souffre de [traduction] « troubles cognitifs liés au stress ». Au début du Rapport, il a déclaré que si le test pouvait appuyer ses conclusions, il utiliserait les résultats pour compléter ses constatations à la suite de l’entretien. Autant que je sache, cela n’a pas été fait.
[91] Bref, les affirmations du Dr Devins quant à la fiabilité qui sous-tend ses opinions sur la crédibilité de la demanderesse sont fondées, dans une mesure assez importante, sur des références à son comportement à partir d’observations faites pendant l’entretien. Le Dr Devins a du mal à démontrer que son expertise pour déterminer la crédibilité de la demanderesse dans ce qu’il décrit comme une situation stressante, en fonction de son comportement, est supérieure à celle de la SPR.
[92] Le Dr Devins n’a pas non plus fourni de renseignements significatifs à l’appui de la fiabilité de sa conclusion selon laquelle la demanderesse souffre d’une maladie mentale grave. Bien que la demanderesse ne s’y soit pas spécifiquement référée, cette opinion appuie fortement l’opinion voulant que la crédibilité soit atténuée. Si un demandeur adulte est atteint d’une déficience mentale telle qu’il a besoin d’un représentant désigné, on ne peut pas se fier à ce qu’il dit.
[93] Le rapport du Dr Devins est fondé sur les déclarations que la demanderesse lui a faites selon lesquelles elle présente des symptômes de ce qui pourrait être une maladie mentale grave (hallucinations, voix conseillant l’automutilation, sensations d’insectes rampant sur sa peau, pensées rapides (tachypsychie) et illusions que quelqu’un a le contrôle de son esprit). Cependant, l’entretien lui-même ne renferme aucun exemple de conduite représentant une maladie mentale grave. De plus, rien n’indique que les déclarations sont fiables, si ce n’est l’opinion du Dr Devins selon laquelle la demanderesse est crédible, malgré sa maladie mentale grave. Il n’existe aucune preuve historique antérieure corroborant la maladie mentale. Les symptômes auto-déclarés d’une maladie mentale aussi grave, favorables pour le demandeur dans le cadre de procédures judiciaires survenant par coïncidence au dernier moment, doivent être corroborés pour avoir une quelconque valeur probante.
[94] Dans le dernier paragraphe du Rapport, dans lequel le Dr Devins exprime ses impressions cliniques, il déclare que [traduction] « Mme Moffat satisfait aux critères diagnostiques du trouble schizoaffectif de type dépressif (295.70) dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4e édition (DSM-IV) de l’American Psychiatric Association ». Cela est insuffisant pour fournir des enseignements scientifiques ou d’autres enseignements psychologiques bien établis qui démontrent une méthodologie d’entrevue fiable fournissant un lien entre les déclarations de la demanderesse et l’opinion du Dr Devins selon laquelle celle-ci est atteinte d’une maladie mentale grave. Encore une fois, il ne s’agit que d’une déclaration, sans aucune explication sur la façon dont la preuve de la demanderesse est suffisamment fiable pour établir la nature de son trouble schizo-affectif, par rapport à un manuel statistique, lorsque le trouble n’est pas expliqué et qu’il n’y a pas de preuves de « statistiques » qui jouent un rôle dans les opinions de l’expert ou les facteurs utilisés pour prendre cette décision.
[95] L’opinion selon laquelle la demanderesse souffre d’une maladie mentale grave sert à appuyer l’opinion voulant que la SPR devrait envisager de nommer un représentant désigné pour agir au nom de celle-ci pendant l’audience. En fait, le Dr Devins semble indiquer qu’elle n’est pas compétente pour témoigner en raison de son trouble mental.
[96] Toutefois, dans l’arrêt R. c. Parrott, 2001 CSC 3, [2001] 1 R.C.S. 178, la Cour suprême du Canada a statué que la compétence n’est pas un sujet qui dépasse l’expérience et la connaissance d’un juge, mais plutôt qu’il s’agit d’une « tâche essentielle du tribunal de première instance » (au paragraphe 57). Il en va de même pour le commissaire de la SPR, dont les fonctions quotidiennes consistent notamment à évaluer la capacité et la compétence des témoins à témoigner dans le cadre des demandes d’asile. De plus, la SPR a expressément exprimé son désaccord avec l’opinion du Dr Devins en concluant que « [l]a demandeure d’asile n’a pas semblé avoir de difficulté à témoigner ». Certes, la SPR a fait cette constatation cinq ans après la rédaction du Rapport; cependant, cela règle la question comme une conclusion de fait qui ne peut être renversée que si l’erreur est évidente ou si elle n’était pas appuyée par des éléments de preuve, ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce.
[97] La preuve de l’incompétence est également un seuil élevé (R. c. D.A.I., 2012 CSC 5, [2012] 1 R.C.S. 149). On en trouve un exemple dans l’arrêt Regina c Hawke, (1975), 7 O.R. (2d) 145 (C.A.), dans lequel la preuve a révélé de longs antécédents de maladie mentale grave, y compris des traitements dans des établissements psychiatriques, et a indiqué que la maladie a entraîné une mauvaise perception de la réalité, une diminution du jugement et de la capacité de raconter, et une hallucination active en situation de stress. Quoi qu’il en soit, l’avis prévu à la règle 20 des Règles de la SPR n’a pas été donné à la SPR et la question de savoir si un représentant désigné devrait être nommé n’a donc pas été soumise à la SPR.
[98] En dernier lieu, lorsque l’on examine la fiabilité de l’opinion du Dr Devins, il est utile de comparer les éléments de preuve à l’appui de son expertise et de sa méthodologie avec les neuf considérations pertinentes pour établir la fiabilité de l’opinion d’un expert proposées au paragraphe 119 de l’arrêt Abbey.
[99] À mon avis, seule la première question permettrait de tirer une conclusion positive : Dans quelle mesure le domaine dans lequel l’opinion est offerte est-il une discipline, une profession ou un domaine de formation spécialisée reconnu?
[100] La deuxième question (« Dans quelle mesure les travaux dans ce domaine sont-ils soumis à des mesures d’assurance de la qualité et à un examen indépendant approprié par d’autres acteurs du domaine? ») semble positive. Cependant, cela devient un facteur négatif lorsque l’on constate que le Dr Devins n’a pas fait référence à des mesures d’assurance de la qualité appliquées à sa recherche ou à sa méthodologie qui appuieraient des opinions, lesquelles semblent uniquement fondées sur les réponses du sujet à ses questions.
[101] La réponse aux autres questions visant à déterminer la mesure dans laquelle la preuve de fiabilité est fournie est faible ou inexistante, c.-à-d. :
3. Quelles sont les qualifications particulières de l’expert dans cette discipline, cette profession ou ce domaine de formation spécialisée?
4. Dans la mesure où l’opinion repose sur des données accumulées par divers moyens comme les entretiens, les données sont-elles enregistrées, stockées et disponibles avec précision?
5. Dans quelle mesure les processus de raisonnement qui sous-tendent l’opinion et les méthodes utilisées pour recueillir les renseignements pertinents sont-ils clairement expliqués par le témoin et peuvent-ils faire l’objet d’un examen critique par la SPR?
6. Dans quelle mesure l’expert est-il parvenu à son opinion à l’aide de méthodologies acceptées par les intervenants du domaine particulier sur lequel porte l’opinion avancée?
7. Dans quelle mesure les méthodologies acceptées favorisent-elles et améliorent-elles la fiabilité de l’information recueillie et sur laquelle l’expert s’est fondé?
8. Dans quelle mesure le témoin, en avançant son opinion, a-t-il respecté les frontières et les limites de la discipline d’où provient son expertise?
9. Dans quelle mesure l’opinion exprimée est-elle fondée sur des données et d’autres renseignements recueillis indépendamment de l’affaire en question ou, de façon plus générale, du processus de litige?
[102] L’information appuyant la fiabilité des opinions du Dr Devins à partir des réponses à ces questions n’est pas apparente, de sorte que ces questions demeurent sans réponse et que le Rapport n’est donc pas fiable.
[103] J’attire particulièrement l’attention sur les deux dernières questions. En ce qui concerne le respect des frontières et des limites de sa discipline, il n’y a aucune mention dans le Rapport de facteurs dissidents ou de préoccupations quant à la possibilité que la demanderesse exagère ou même fausse ses symptômes. Les opinions du Dr Devins sont entièrement favorables.
[104] En ce qui concerne la dernière question, le Rapport dépend entièrement du cas particulier, et est axé sur le processus de détermination du statut de réfugié et sur le résultat d’un éventuel renvoi de la demanderesse vers son pays d’origine. Ces questions ont pour but de déterminer si l’expert a un intérêt personnel ou fait preuve de partialité. Sur ces deux points, je conclus que les opinions du Dr Devins sont fausses, comme nous le verrons dans la section suivante concernant l’indépendance et l’impartialité de l’expert.
(8) L’exigence d’indépendance et d’impartialité des experts
[105] Comme l’indique le texte de Paciocco, [traduction] « [l]es experts constituent une catégorie particulière de témoins. Étant donné qu’ils sont appelés à donner des directives au juge des faits, leur principal devoir est envers le tribunal et non envers la partie qui les a appelés » (à la page 223). Comme nous l’avons vu plus haut, des éléments de preuve peuvent donc être exclus sur la condition préalable d’inadmissibilité selon laquelle l’expert n’est pas dûment qualifié en raison de son manque d’indépendance et/ou d’impartialité. Toutefois, dans la plupart des cas, ces questions sont liées au poids de la preuve (Carmen Alfano Family Trust (Trustee of) v. Piersanti, 2012 ONCA 297, 291 O.A.C. 62; White Burgess).
[106] L’« indépendance » se rapporte au lien entre l’expert et l’affaire, habituellement en relation avec la partie, l’affaire ou son issue, par opposition aux liens institutionnels (Beazley v. Suzuki Motor Corporation, 2010 BCSC 480, au paragraphe 21). L’« impartialité » se rapporte à l’état d’esprit de l’expert et à la question qui consiste à savoir si celui-ci a un parti pris et favorise la partie qui l’appelle (texte de Paciocco, à la page 224).
[107] Les termes « parti pris » et « partialité » sont parfois employés de façon interchangeable. Cependant, il y a une différence dans leur signification. « Parti pris », habituellement utilisé en ce qui concerne les apparences et l’indépendance, renvoie à des attitudes apparentes qui émanent des associations, tandis que le terme « partialité » désigne la conduite, habituellement en relation avec le fait d’agir avec un parti pris apparent. La distinction a été soulignée par le juge Doherty, dans l’arrêt R. v. Parks (1993), 15 O.R. (3d) 324, 84 C.C.C. (3d) 353 (C.A.), et citée avec l’approbation du juge Cory dans l’arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, comme suit (au paragraphe 107) :
[107] [ …]
[traduction] La partialité se dégage à la fois de l’état d’esprit et du comportement. Elle évoque la personne qui a certaines idées préconçues et qui, malgré les mesures de protection destinées à contrer leur présence au procès, laissera ces préjugés influencer son verdict.
Pour établir la partialité, il ne suffit donc pas de démontrer qu’un juré en particulier a certaines croyances, certaines opinions, voire même certains préjugés. Il faut établir que ces croyances, opinions ou préjugés empêchent le juré (ou, ajouterais-je, tout autre décideur) de mettre de côté toute idée préconçue et de parvenir à une décision fondée sur la preuve : Parks, précité, aux pp. 336 et 337.
[108] On trouve des descriptions de différentes formes de partis pris dans l’ouvrage intitulé McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (4e éd. à feuilles mobiles (Aurora (Ont.) : Canada Law Book, 2010, au paragraphe 12:30.20.50, notes de bas de page 398b–398g). Une description complète de ces différents partis pris est également présentée dans l’ouvrage de Paciocco intitulé « Unplugging Jukebox Testimony in an Adversarial System : Strategies for Changing the Tune on Partial Experts » (2008-2009), 34 Queen’s L.J. 565). Ces partis pris sont les suivants (non souligné dans l’original) :
[traduction]
Le parti pris ou la partialité s’entend d’une approche ou d’une attitude qui va à l’encontre de l’objectivité, de la neutralité et de la recherche sans influence de la vérité, et peut aller des circonstances inconscientes aux rares cas de partisanerie ou de corruption manifeste.
Le parti pris accusatoire comprend « toutes les pressions inhérentes au modèle accusatoire », y compris le parti pris de sélection et d’association.
« Parti pris de sélection » est le terme utilisé pour décrire le processus dans lequel les parties sélectionnent des témoins experts qui devraient, estiment-elles, être favorables à leur position.
Le parti pris d’association, qui est lié également à des considérations d’indépendance, constitue une posture d’alignement motivée par le désir de l’expert de plaire à l’employeur qui le retient ou exerce de la pression sur lui, l’existence d’une relation personnelle, des objectifs idéologiques partagés ou l’influence de communications et de renseignements sur l’analyse et les conclusions de l’expert.
Cette dernière circonstance, souvent décrite comme un « parti pris de confirmation », implique une tendance à recueillir, interpréter, analyser et former des opinions d’une manière qui appuie la croyance ou les attentes de la partie qui retient les services tout en diminuant l’importance des faits contradictoires qui vont dans une autre direction, voire en les ignorant ou en les interprétant de façon contraire.
[109] L’examen du Rapport a fait naître chez moi de nombreuses préoccupations. Le Rapport démontre apparemment un parti pris accusatoire, qui comprend les trois sous-catégories de partis pris, c’est-à-dire les partis pris de sélection, d’association et de confirmation. Dans une certaine mesure, je trouve également que le Rapport fait preuve de partialité en défendant apparemment la demande d’asile de la demanderesse et en s’opposant à toute décision qui pourrait entraîner son renvoi du Canada.
[110] Bien que j’aie déjà indiqué que les questions relatives à l’indépendance ou à l’impartialité d’un expert peuvent constituer un fondement approprié pour déclarer son témoignage inadmissible devant un tribunal administratif (comme la SPR) dans des cas exceptionnels (jugements Drummond, Deemar et White Burgess), les commentaires qui suivent portent sur des considérations susceptibles de modifier le poids que la SPR accorde à ce témoignage.
[111] Les préoccupations au sujet du parti pris accusatoire (comprenant les trois sous-catégories) du Dr Devins sont fondées sur le simple fait qu’il a fourni un nombre inouï de rapports d’expert à l’appui des demandeurs d’asile. Le rapport très favorable sur le plan de l’impact de la preuve est alimenté par une crainte de parti pris attribuable à sa longue association avec les avocats spécialistes de l’immigration qui retiennent très fréquemment ses services, ce qui indique le parti pris de sélection le plus important qui soit. Cette situation est aggravée par ce que je qualifierais de parti pris de rémunération en raison des revenus importants que ces rapports auraient générés au fil des ans, de sorte qu’ils semblent constituer une source importante de revenu continu pour le Dr Devins (voir aussi la question 9 des facteurs de fiabilité énoncés dans l’arrêt Abbey, au paragraphe 119). Cela appuie un fort parti pris d’association, car il semble vouloir plaire aux avocats qui retiennent ses services en leur fournissant des rapports très favorables qui les aident à obtenir des résultats favorables pour leurs clients, dans le but d’inciter ces avocats à continuer à faire appel à lui.
[112] Le contenu du Rapport que je trouve le plus troublant repose sur l’appui indéfectible qu’il fournit à la demanderesse pour obtenir une issue positive du processus d’octroi de l’asile. La meilleure façon de le démontrer consiste à répéter certaines de ses opinions. Il s’agit avant tout d’orientations à l’intention de la SPR, dont le ton est surtout impératif et qui sont fondées sur des conclusions catégoriques, comme le démontrent les exemples suivants (non souligné dans l’original) :
[traduction]
Mme Moffat sera nerveuse et réservée lors de l’audience relative au statut de réfugié. Elle sera intimidée par les personnes en position d’autorité. Il sera important de faire preuve de sensibilité pendant l’interrogatoire pour éviter de la traumatiser à nouveau.
J’ai discuté des notions d’un représentant désigné avec Mme Moffat et elle m’a fait part de sa réceptivité. Cette possibilité devrait être envisagée.
Les symptômes peuvent survenir lors de l’audience... Si de tels problèmes deviennent évidents, il est important de comprendre qu’ils reflètent probablement les effets désorganisant d’une maladie mentale importante ou d’un stress traumatique plutôt qu’un effort d’évitement ou de dissimulation.
Un tel traitement ne doit pas être interrompu. L’état de Mme Moffat pourra s’améliorer si elle reçoit des soins adéquats et si on lui garantit que la menace de renvoi qui plane sur elle sera écartée. Si on ne lui permet pas de demeurer au Canada, son état se détériorera (p. ex. possibilité de décompensation [une pensée suicidaire]). Comme il a été mentionné, il sera impossible pour Mme Moffat de se sentir en sécurité où qu’elle soit à Sainte-Lucie.
La nomination d’un représentant désigné devrait être envisagée.
J’espère que ce rapport vous aidera, vous et les tribunaux, à déterminer le meilleur résultat possible pour Mme Moffat.
[113] Tous les extraits qui précèdent représentent des excès inadmissibles de la part du Dr Devins et sont des exemples de défense d’intérêts au nom de la demanderesse. Il ne s’agit pas d’opinions visant à aider la SPR à mieux comprendre l’influence des troubles mentaux sous une forme ou une autre qui sont pertinents relativement aux questions dont la SPR est saisie. Il s’agit plutôt de directives, souvent catégoriques, visant à persuader la SPR de mettre en œuvre une stratégie évidente à l’appui de la présentation du cas de la demanderesse par son avocat devant la SPR.
[114] En ce qui concerne l’opinion selon laquelle la nomination d’un représentant désigné devrait être envisagée, cela dispenserait probablement la demanderesse d’avoir à témoigner devant la SPR; de plus, l’opinion est directive quant à la façon dont la SPR devrait se comporter à cet égard à deux reprises, la seconde étant une répétition de l’opinion de départ d’une « impression clinique ». Il s’agit de directives en ce sens que le Dr Devins conseille à la SPR d’envisager la nomination d’un représentant. Il ne faut pas oublier que cette opinion est fondée uniquement sur les déclarations et les renseignements fournis par la demanderesse et qu’elle n’est par ailleurs étayée par aucun document ou déclaration décrivant les méthodes psychologiques objectives utilisées.
[115] J’ai déjà décrit la nature manifeste des directives du Dr Devins qui constituent un témoignage justificatif. L’aspect de la défense des intérêts incite catégoriquement la SPR à faire preuve de sensibilité, entre autres (« il est important de comprendre »). Il s’agit là d’une limite secondaire à la capacité de la SPR d’évaluer la crédibilité. Premièrement, la demanderesse ne devrait pas être forcée de témoigner, on devrait plutôt permettre que sa cause soit entendue par l’entremise d’un représentant désigné. Mais si elle doit témoigner, il faut s’attendre à des problèmes de crédibilité et il est important de comprendre qu’ils seront probablement causés par sa maladie mentale ou par des troubles liés au stress. De plus, les conseils à la SPR sont formulés de façon légaliste afin de favoriser un dénouement favorable; le Dr Devins utilise le terme « probable », soit le seuil légal pour une conclusion de fait, en l’espèce la demanderesse étant un témoin crédible, comme il l’a estimée pendant l’entrevue.
[116] Lorsque l’on veut établir un pronostic à ce degré de probabilité, il faut une solide corroboration scientifique ou une justification examinée par des pairs en ce qui concerne toutes les variables qui pourraient influer sur une telle prévision; dans ce cas-ci, le Dr Devins a pris l’initiative de déterminer le résultat de la décision au nom de la SPR.
[117] Troisièmement, la partialité du Rapport et sa défense des droits de la demanderesse sont évidentes lorsque le Dr Devins affirme catégoriquement que celle-ci ne devrait pas être renvoyée à Sainte-Lucie et qu’il lui sera « impossible » de se sentir en sécurité là-bas, ce qui est le résultat final qu’elle cherche à obtenir de toute demande d’asile ou processus connexe. Même s’il n’était pas nécessaire de mentionner les événements traumatisants que la demanderesse aurait subis, le Dr Devins a exprimé la crainte ressentie par celle-ci quant à sa sécurité lors de son renvoi dans son pays d’origine pour des motifs prétendument scientifiques. Immédiatement après s’être prononcé sur la nécessité pour la demanderesse de continuer à recevoir un traitement pour sa sécurité, il se dit préoccupé par la crainte de cette dernière à l’idée de revenir n’importe où à Sainte-Lucie. Sans aucun fondement lié à son expertise, cette opinion décrit le critère juridique d’une « crainte fondée » nécessaire pour établir la persécution au sens de l’article 96 de la LIPR.
[118] En résumé, le Dr Devins n’aurait pas pu fournir un rapport plus avantageux à l’appui des instructions implicites de son avocat concernant [traduction] « une évaluation psychologique pour accompagner sa demande de séjour au Canada ».
[119] Ce n’est pas mon intention de cibler un psychologue qui semble avoir contribué de façon significative à sa profession pendant de nombreuses années. En effet, il se peut qu’il ait développé une certaine forme de capacité personnelle validée de prédire avec un certain degré de fiabilité pour faire ses pronostics, mais cela est toutefois peu probable et ce n’est pas expliqué dans son rapport. Il vaut mieux, dans de tels cas, s’inspirer de la jurisprudence abondante qui met en garde contre les dangers causés par des experts qui commettent des excès en prétendant, sans fondement, posséder des capacités fiables pour établir des diagnostics et des pronostics. Je ne pense pas non plus qu’il soit plausible que des preuves soient fournies pour démontrer que la science de la psychologie ou de la psychiatrie a progressé au point de supplanter les décideurs chevronnés dans l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des personnes qui témoignent devant eux lorsque des questions de compétence mentale sont censées survenir, à moins que ces données soient corroborées par un dossier médical fiable et indépendant.
[120] Quoi qu’il en soit, les problèmes de crédibilité décrits par la SPR dans cette affaire tendent à démentir les conclusions du Dr Devins. Il semble que la demanderesse se soit portée très bien au cours des cinq années suivant la réception d’un avis selon lequel elle souffrait d’une maladie mentale grave et d’un trouble de stress important, sans aucune forme de traitement psychiatrique ou psychologique. La confiance que les avocats attachent au caractère inattaquable des rapports médicaux d’expert est telle que, même dans des circonstances aussi difficiles, ils soutiennent qu’il n’était pas raisonnable d’accorder peu de poids au Rapport.
(9) Une approche plus rigoureuse dans l’examen des rapports médicaux d’expert
[121] Il est juste de conclure que les experts médicaux retenus par les avocats ont fait leur travail avec peu de contraintes quant au contenu et quant à la nature des rapports médicaux et psychologiques déposés dans les affaires touchant les réfugiés. Le temps est peut-être venu de se demander si des règles ou des pratiques pourraient être adoptées pour les avocats et leurs experts.
[122] Tout d’abord, on pourrait consulter le Code de déontologie régissant les témoins experts, qui est une annexe aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Il fournit une déclaration sur le « Devoir général envers la Cour » et un format standard à suivre pour la présentation des rapports d’expert. Une copie des dispositions applicables du Code est jointe à la présente décision (annexe 1). L’affirmation du devoir de l’expert envers le décideur et l’adoption de la structure du rapport décrite dans le Code ont pour but d’améliorer la valeur probante du rapport.
[123] En outre, certains aspects du contenu d’un rapport d’expert au paragraphe 3 du Code sont pertinents pour décrire la structure privilégiée qui transmet le mieux l’information nécessaire pour étayer la fiabilité du rapport.
[124] Dans le cas contraire, ces règles ou directives de pratique pourraient exiger des représentants qu’ils fournissent des documents justificatifs disponibles avec un rapport d’expert ou une explication motivant l’absence de tels documents. Il peut s’agir de dossiers médicaux pertinents à l’appui, y compris ceux du pays d’origine, de renseignements sur les antécédents médicaux du client fournis par les régimes d’assurance provinciaux (c.-à-d. en Ontario, l’Assurance-santé de l’Ontario), de listes des médicaments achetés par le demandeur dans les pharmacies, des notes de l’expert (qu’il s’agisse des notes prises lors de l’entretien ou d’une vidéo de celui-ci), des documents des examens et des résultats des examens. Par ailleurs, la SPR pourrait juger que l’absence de pièces justificatives normales et de renseignements corroborant le rapport de l’expert a une incidence sur le poids à accorder à celui-ci.
[125] Dans le même ordre d’idées, les règles et les directives de pratique pourraient englober des stipulations sur la conduite appropriée des avocats. Il pourrait s’agir notamment d’avertir les parties de ne pas utiliser la demande d’expertise comme une « recherche à l’aveuglette » dans l’espoir de trouver et de fournir des preuves psychologiques à l’appui du cas du client, comme cela semble être le cas en l’espèce. Les avocats doivent comprendre qu’ils ne doivent pas communiquer avec un témoin expert d’une manière susceptible de porter atteinte aux devoirs d’indépendance et d’objectivité de l’expert, comme il est énoncé dans l’ouvrage intitulé « Principles Governing Communications with Testifying Experts » (Toronto : The Advocates’ Society, June 2014). Le fait de « faire répéter » le client pour le préparer à un entretien avec l’expert relèverait de cette catégorie d’ingérence inadmissible de l’avocat dans les fonctions de l’expert.
[126] Mais même en l’absence de ces règles ou pratiques, les facteurs susmentionnés devraient aider les décideurs et les avocats dans les dossiers en matière d’asile et d’immigration à examiner de façon plus approfondie la fiabilité des rapports d’expert afin de leur attribuer la valeur probante qu’ils méritent. Ils peuvent également être interprétés de la même manière que des lignes directrices que les experts médicaux devraient s’efforcer de respecter pour veiller à ce que leurs rapports se voient accorder une valeur probante significative de la part des décideurs en matière d’asile et d’immigration.
VI. Conclusion
[127] La demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.
JUGEMENT dans le dossier IMM-3483-18
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.
ANNEXE 1
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106
annexe
(règle 52.2)
Code de déontologie régissant les témoins experts
Devoir général envers la Cour
1 Le témoin expert désigné pour produire un rapport qui sera présenté en preuve ou pour témoigner dans une instance a l’obligation primordiale d’aider la Cour avec impartialité quant aux questions qui relèvent de son domaine de compétence.
2 Cette obligation l’emporte sur toute autre qu’il a envers une partie à l’instance notamment envers la personne qui retient ses services. Le témoin expert se doit d’être indépendant et objectif. Il ne doit pas plaider le point vue d’une partie.
Les rapports d’expert
3 Le rapport d’expert, déposé sous forme d’un affidavit ou d’une déclaration visé à la règle 52.2 des Règles des Cours fédérales, comprend :
a) un énoncé des questions traitées;
b) une description des compétences de l’expert quant aux questions traitées;
c) un curriculum vitae récent du témoin expert en annexe;
d) les faits et les hypothèses sur lesquels les opinions sont fondées, et à cet égard, une lettre d’instruction peut être annexée;
e) un résumé des opinions exprimées;
f) dans le cas du rapport qui est produit en réponse au rapport d’un autre expert, une mention des points sur lesquels les deux experts sont en accord et en désaccord;
g) les motifs de chacune des opinions exprimées;
h) les ouvrages ou les documents expressément invoqués à l’appui des opinions;
i) un résumé de la méthode utilisée, notamment des examens, des vérifications ou autres enquêtes sur lesquels l’expert se fonde, des détails sur les qualifications de la personne qui les a effectués et une mention quant à savoir si un représentant des autres parties était présent;
j) les mises en garde ou réserves nécessaires pour rendre le rapport complet et précis, notamment celles qui ont trait à une insuffisance de données ou de recherches et la mention des questions qui ne relèvent pas du domaine de compétence de l’expert;
k) tout élément portant sur la relation de l’expert avec les parties à l’instance ou le domaine de son expertise qui pourrait influencer sur son devoir envers la Cour.