T-1315-17
2018 CF 1180
Northern Inter-Tribal Health Authority Inc. et Peter Ballantyne Cree Nation Health Services Incorporated (demandeurs)
c.
Procureur général du Canada, Ministre des Finances (défendeurs)
Répertorié : Northern Inter-Tribal Health Authority Inc. c. Canada (Procureur général)
Cour fédérale, juge Mandamin—Saskatoon, 13 juin; Edmonton, 28 novembre 2018.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Contrôle judiciaire de décisions prises par le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada (le BSIF), selon lesquelles les régimes de retraite des demandeurs n’étaient pas de compétence fédérale et devaient être enregistrés à l’échelle provinciale — Les demandeurs fournissent des services de santé à leurs communautés en vertu d’accords conclus avec le gouvernement fédéral (les accords) — Ils fournissent aussi à leurs employés des régimes de retraite enregistrés auprès du BSIF — Le BSIF a transféré les régimes de retraite à l’organisme de réglementation provincial — Les demandeurs ont fait valoir que leurs régimes de retraite étaient assujettis à la compétence fédérale, car la nature, les activités et l’exploitation quotidienne constituaient une entreprise fédérale — Le BSIF a appliqué le critère fonctionnel énoncé dans l’arrêt NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union (NIL/TU,O) — Il a souligné que la compétence en matière de programmes sociaux et de santé appartient aux provinces et que la composante autochtone de la prestation de services ne changeait pas la nature de l’exploitation et des activités des demandeurs ou de la compétence en matière de relations de travail — Il a affirmé que les accords conclus par les demandeurs avec le gouvernement fédéral ne faisaient que créer des relations de financement — Les demandeurs ont demandé un certiorari et un jugement déclaratoire selon lequel leurs régimes de retraite pour les employés est de compétence fédérale — Il s’agissait de savoir si les décisions du BSIF respectaient la norme de contrôle requise pour l’application du critère énoncé dans l’arrêt NIL/TU,O, et si le bien-fondé d’un jugement déclaratoire (que les régimes de retraite des demandeurs sont une entreprise d’une administration fédérale et sont de compétence fédérale) a été établi — Les décisions du BSIF n’ont pas satisfait à la norme de contrôle requise — Le critère requiert l’examen de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité — Le mot « nature » a son propre sens distinct et significatif — Le BSIF a subordonné la « nature » à des activités normales et habituelles — Il a commis une erreur en écartant le critère fonctionnel — Il n’a pas tenu compte d’une qualité essentielle de l’activité constituant la raison sous-jacente des activités — Le BSIF n’a fait référence qu’à certains « attendus » dans les accords, limitant les considérations prises en compte dans ses décisions — Ce point de vue étroit a eu pour effet de restreindre déraisonnablement l’analyse du critère fonctionnel — Le BSIF a laissé de côté les « attendus » faisant référence aux traités — Les traités et les rapports des commissaires aux traités indiquent clairement que la Couronne fédérale s’est engagée à fournir des services de santé aux Indiens vivant dans les réserves indiennes — Les accords permettaient aux Premières Nations de prendre en charge la prestation des services de santé fédéraux fournis — Les services de santé administrés par les demandeurs ont été déclarés être des entreprises fédérales — La nature des activités des demandeurs est la prestation de services de santé qui correspond à l’engagement pris par le gouvernement fédéral en vertu de l’art. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 — La prestation des services de santé dans les réserves indiennes par le gouvernement fédéral est liée aux droits issus des traités — Le fait que les demandeurs soient des entreprises provinciales sans but lucratif ne modifie pas la nature fondamentale des activités réalisées — Il ne s’agissait pas d’un cas de fédéralisme coopératif — Le gouvernement provincial n’était pas une partie aux accords — Il n’y a pas eu de délégation de pouvoir en matière de santé aux demandeurs — Les décisions ont été annulées, les services de santé maintenant dispensés par les demandeurs ont été déclarés être une entreprise fédérale de compétence fédérale en vertu de l’art. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et relever de l’acception de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension — Demande accueillie.
Droit constitutionnel — Droits ancestraux ou issus de traités — Les demandeurs fournissent des services de santé à leurs communautés en vertu d’accords conclus avec le gouvernement fédéral (les accords) — Ils fournissent aussi à leurs employés des régimes de retraite enregistrés auprès du Bureau du surintendant des institutions financières du Canada (le BSIF) — Ce dernier a transféré ces régimes de retraite à l’organisme de réglementation provincial — Les demandeurs ont fait valoir que leurs régimes de retraite étaient assujettis à la compétence fédérale, car la nature, les activités et l’exploitation quotidienne constituaient une entreprise fédérale — Le BSIF a appliqué le critère fonctionnel énoncé dans l’arrêt NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union (NIL/TU,O) — Il a souligné que la compétence en matière de programmes sociaux et de santé appartient aux provinces et que la composante autochtone de la prestation de services ne changeait pas la nature de l’exploitation et des activités des demandeurs ou de la compétence en matière de relations de travail — Le BSIF n’a fait référence qu’à certains « attendus » dans les accords, limitant les considérations prises en compte dans ses décisions — Ce point de vue étroit a eu pour effet de restreindre déraisonnablement l’analyse du critère fonctionnel — Le BSIF a laissé de côté les « attendus » faisant référence aux traités — Les traités et les rapports des commissaires aux traités indiquent clairement que la Couronne fédérale s’est engagée à fournir des services de santé aux Indiens vivant dans les réserves indiennes — La prestation des services de santé dans les réserves indiennes par le gouvernement fédéral est liée aux droits issus des traités — Changer la compétence à l’égard de cette prestation est un abandon inadmissible des promesses de traités du gouvernement fédéral.
Peuples autochtones — Les demandeurs fournissent des services de santé à leurs communautés en vertu d’accords conclus avec le gouvernement fédéral (les accords) — Ils fournissent aussi à leurs employés des régimes de retraite enregistrés auprès du Bureau du surintendant des institutions financières du Canada (le BSIF) — Ce dernier a transféré ces régimes de retraite à l’organisme de réglementation provincial — Les demandeurs ont fait valoir que leurs régimes de retraite étaient assujettis à la compétence fédérale, car la nature, les activités et l’exploitation quotidienne constituaient une entreprise fédérale — Le BSIF a appliqué le critère fonctionnel énoncé dans l’arrêt NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union (NIL/TU,O) — Il a souligné que la compétence en matière de programmes sociaux et de santé appartient aux provinces et que la composante autochtone de la prestation de services ne changeait pas la nature de l’exploitation et des activités des demandeurs ou de la compétence en matière de relations de travail — Le BSIF n’a fait référence qu’à certains « attendus » dans les accords, limitant les considérations prises en compte dans ses décisions — Ce point de vue étroit a eu pour effet de restreindre déraisonnablement l’analyse du critère fonctionnel — Le BSIF a laissé de côté les « attendus » faisant référence aux traités — Les traités et les rapports des commissaires aux traités indiquent clairement que la Couronne fédérale s’est engagée à fournir des services de santé aux Indiens vivant dans les réserves indiennes — Les accords permettaient aux Premières Nations de prendre en charge la prestation des services de santé fédéraux — Les services de santé administrés par les demandeurs ont été déclarés être des entreprises fédérales — La nature des activités des demandeurs est la prestation de services de santé qui correspond à l’engagement pris par le gouvernement fédéral en vertu de l’art. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 — La prestation des services de santé dans les réserves indiennes par le gouvernement fédéral est liée aux droits issus des traités — Changer la compétence à l’égard de cette prestation est un abandon inadmissible des promesses de traités du gouvernement fédéral.
Pensions — Les demandeurs fournissent des services de santé à leurs communautés en vertu d’accords conclus avec le gouvernement fédéral (les accords) — Ils fournissent aussi à leurs employés des régimes de retraite enregistrés auprès du Bureau du surintendant des institutions financières du Canada (le BSIF) — Ce dernier a transféré ces régimes de retraite à l’organisme de réglementation provincial — Les demandeurs ont fait valoir que leurs régimes de retraite étaient assujettis à la compétence fédérale, car la nature, les activités et l’exploitation quotidienne constituaient une entreprise fédérale — Les traités et les rapports des commissaires aux traités indiquent clairement que la Couronne fédérale s’est engagée à fournir des services de santé aux Indiens vivant dans les réserves indiennes — Les services de santé administrés par les demandeurs ont été déclarés être des entreprises fédérales — Les décisions ont été annulées et les services de santé maintenant dispensés par les demandeurs ont été déclarés être une entreprise fédérale de compétence fédérale en vertu de l’art. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et relever de l’acception de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de deux décisions prises par le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada (le BSIF), selon lesquelles les régimes de retraite des demandeurs n’étaient pas de compétence fédérale et devaient donc être enregistrés à l’échelle provinciale.
Les demandeurs fournissent à la fois des services de santé de premier niveau, de deuxième niveau et de troisième niveau à leurs communautés. Ces services sont fournis en vertu d’accords conclus entre les demandeurs et le gouvernement fédéral (les accords). Les demandeurs fournissent à leurs employés un régime de retraite agréé et un régime de retraite à prestations énumérées qu’ils avaient à l’origine enregistrés auprès du BSIF. Ce dernier a informé les demandeurs que leurs régimes de retraite étaient assujettis à la législation provinciale et, à ce titre, ces régimes ont été transférés à l’organisme de réglementation provincial des régimes de retraite en Saskatchewan. Les demandeurs se sont opposés à cette décision en affirmant que leurs régimes de retraite étaient assujettis à la compétence fédérale, car la nature, les activités et l’exploitation quotidienne des demandeurs constituaient une entreprise fédérale. Le BSIF a déclaré avoir appliqué le critère fonctionnel énoncé dans l’arrêt NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union (NIL/TU,O). Le BSIF en est arrivé à la conclusion que la nature des activités des demandeurs était la fourniture de services de santé et de services sociaux aux résidents vivant dans la réserve et à leurs membres constituants. Il a souligné que la compétence législative générale en matière de programmes sociaux et de santé appartient aux provinces et a précisé que la composante autochtone distincte de la prestation de services ne changeait pas la nature de l’exploitation et des activités des demandeurs ou de la compétence en matière de relations de travail. Le BSIF a affirmé en outre que les accords conclus par les demandeurs avec le gouvernement fédéral ne faisaient que créer des relations de financement avec Santé Canada et ne devaient pas être interprétés comme une tentative de réglementer les services de santé des demandeurs. Les demandeurs ont demandé un certiorari et un jugement déclaratoire selon lequel l’enregistrement de leurs régimes de retraite pour les employés est de compétence fédérale.
Il s’agissait principalement de savoir si les décisions du BSIF respectaient la norme de contrôle requise pour l’application du critère fonctionnel énoncé dans l’arrêt NIL/TU,O, et si le bien-fondé d’un jugement déclaratoire (que les régimes de retraite des demandeurs sont une entreprise d’une administration fédérale et sont de compétence fédérale) a été établi.
Jugement : la demande doit être accueillie.
Les décisions du BSIF n’ont pas satisfait à la norme de contrôle requise. Le choix précis des mots de la Cour suprême pour faire ressortir le critère fonctionnel dans l’arrêt NIL/TU,O est significatif. Le critère « requiert l’examen de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité en question afin de déterminer s’il s’agit d’une entreprise fédérale » (non souligné dans l’original). Le mot « nature » n’est pas synonyme d’« activités habituelles et d’exploitation quotidienne ». Il est présenté en premier et a son propre sens distinct et significatif. « Nature » est définie « comme un ensemble des caractères, des propriétés qui définissent un être, une chose concrète ou abstraite, généralement considérés comme constituant un genre ». Le libellé des décisions du BSIF laisse croire que le décideur a subordonné la « nature » à « des activités normales et habituelles ». Le BSIF a commis une erreur en écartant le critère fonctionnel lorsqu’il n’a pas tenu compte d’une qualité essentielle de l’activité constituant la raison sous-jacente des activités. Les « attendus » énoncent des faits qui doivent être pris en considération dans un document et indiquent souvent le contexte donnant lieu à un accord. Le BSIF n’a fait référence qu’à certains « attendus » au début des accords, limitant les considérations prises en compte dans ses décisions. Ce point de vue étroit a eu pour effet de restreindre déraisonnablement l’analyse du critère fonctionnel menée par le BSIF. Les copies de certains traités et les rapports des commissaires aux traités les accompagnant n’ont pas été inclus dans les documents présentés au BSIF. Cependant, ces traités ont été mentionnés dans les accords et ne pouvaient être laissés de côté en tant que documents historiques importants. Les « attendus » faisant référence aux traités donnent à la nature des accords un contexte et un sens tout autant, voire plus, que les « attendus » que le BSIF a choisi de souligner dans ses décisions. Les traités historiques et les rapports des commissaires aux traités indiquent clairement que la Couronne fédérale s’est engagée à fournir des services de santé aux Indiens vivant dans les réserves indiennes. Les attendus des accords précisent le contexte du transfert convenu aux demandeurs de la prestation de services de santé fédéraux promis lors de la conclusion des traités. Cet engagement fédéral n’est pas simplement le résultat d’une politique récente de dépenses du gouvernement fédéral. Par conséquent, les accords ont été conclus afin de permettre aux Premières Nations de prendre en charge la prestation des services de santé fédéraux fournis par le gouvernement fédéral, conformément aux promesses solennelles faites aux Indiens par la Couronne. Le simple fait que la loi provinciale soit applicable ne suffisait pas à faire en sorte que les demandeurs soient assujettis à la compétence provinciale lorsqu’ils fournissent des services de santé promis par la Couronne fédérale. Le BSIF n’a pas tenu compte de ce facteur essentiel en ce qui concerne la nature des activités des demandeurs dans la prestation des services de santé.
Les services de santé fournis auparavant par le gouvernement fédéral et désormais administrés par les demandeurs ont été déclarés être des entreprises fédérales de compétence fédérale. Un historique des services de santé fournis dans les réserves indiennes, les archives documentaires historiques sur les traités et les rapports des commissaires aux traités ont été fournis et ont servi de point de départ à un examen de la demande de jugement déclaratoire. Les promesses de traités de la Couronne fédérale et les assurances de services de santé n’étaient pas simplement des promesses transitoires ou vaines, pas plus qu’elles ne visaient uniquement les bénéficiaires spécifiques de chaque traité. L’engagement pris par le gouvernement fédéral de fournir des services de santé aux Indiens vivant dans les réserves indiennes va au-delà des promesses contenues dans les traités. La fourniture de services de santé aux Indiens est un engagement fédéral, vieux de cent ans, pris en conformité avec la relation fondée sur le traité conclu entre les Premières Nations des demandeurs et le gouvernement fédéral. Si l’on applique le critère fonctionnel, la nature des activités des demandeurs est la prestation de services de santé qui correspondent à l’engagement pris par le gouvernement fédéral de fournir des services de santé aux Premières Nations et à leurs membres dans les réserves indiennes. Cette entreprise relève de la compétence fédérale en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans la présente demande, la prestation des services de santé dans les réserves indiennes par le gouvernement fédéral est étroitement liée aux droits des Indiens dont les Premières Nations ont conclu un traité en s’appuyant sur les promesses des traités et les assurances verbales qui leur ont été faites par la Couronne fédérale. Changer la compétence à l’égard de cette prestation pour en faire une compétence provinciale est un abandon inadmissible des promesses de traités et des assurances du gouvernement fédéral de fournir des services de santé. Le fait que les demandeurs soient des entreprises provinciales sans but lucratif ne modifie pas la nature fondamentale des activités réalisées. Il ne s’agissait pas d’un cas de fédéralisme coopératif. Le gouvernement provincial de la Saskatchewan n’était pas une partie aux accords, et il n’y a pas eu de délégation de pouvoir en matière de santé aux demandeurs. Les décisions ont été annulées. Les services de santé maintenant dispensés par les demandeurs ont été déclarés être une entreprise fédérale de compétence fédérale en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et relever de l’acception de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, appendice II, no 5], art. 91(24).
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 2 « entreprises fédérales », 108.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(24), 92(7),(13),(16).
Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 32, art. 4(1),(2) « régime de pension », (3) « régime complémentaire », (4) « emploi inclus ».
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(2),(3)b).
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Traité no 5 (1875).
Traité no 6 (1876).
Traité no 8 (1899).
Traité no 10 (1906).
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696; Canada (Procureur général) c. Nation Munsee-Delaware, 2015 CF 366; Conseil de la Nation Innu Matimekush-Lac John c. Association des employés du nord québécois (CSQ), 2017 CAF 212; Four B Manufacturing c. Travailleurs unis du vêtement, [1980] 1 R.C.S. 1031; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S 1025; Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Native Child and Family Services of Toronto, 2010 CSC 46, [2010] 2 R.C.S. 737, confirmant 2008 CAF 338; Francis c. Le Conseil canadien des relations du travail, [1981] 1 C.F. 225 (C.A.), inf. par [1982] 2 R.C.S. 72; R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771.
DÉCISIONS CITÉES :
Assiniboine c. Meeches, 2013 CAF 114; Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 355 (P.C.).
DOCTRINE CITÉE
Le Petit Robert : Dictionnaire de la langue française. Paris : Le Robert, 2002, « attendu », « nature ».
DEMANDE de contrôle judiciaire de deux décisions prises par le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada selon lesquelles les régimes de retraite des demandeurs n’étaient pas de compétence fédérale et devaient donc être enregistrés à l’échelle provinciale. Demande accueillie.
ONT COMPARU :
Carl Nahachewsky pour les demandeurs.
Cailen Brust et Marlon Miller pour les défendeurs.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Nahachewsky Law Office, Prince Albert, Saskatchewan, pour les demandeurs.
La sous-procureure générale du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Mandamin : Northern Inter-Tribal Health Authority Inc. (NITHA) et Peter Ballantyne Cree Nation Health Services Incorporated (PBCNHS), les demandeurs, demandent le contrôle judiciaire de deux décisions communiquées par M. James Rogers, gestionnaire des relations au Bureau du surintendant des institutions financières (le BSIF), le 28 février 2017 (les décisions).
[2] M. Rogers est gestionnaire des relations à la Division des régimes de retraite privés du BSIF. M. Rogers a déclaré que le BSIF réaffirmait sa position antérieure, à savoir que les régimes de retraite des demandeurs ne sont pas de compétence fédérale et doivent donc être enregistrés à l’échelle provinciale.
[3] Les demandeurs disent qu’ils se sont acquittés de l’obligation qui incombe depuis longtemps au gouvernement fédéral de fournir des services de santé aux membres des Premières Nations. La prestation de ces services de santé reviendrait au gouvernement fédéral si les demandeurs cessaient de fournir les services. Les demandeurs affirment que leurs régimes de retraite sont de compétence fédérale et doivent être enregistrés au palier fédéral.
[4] Après avoir examiné les observations présentées par les parties (les demandeurs et les défendeurs) et les éléments de preuve soumis au décideur du BSIF, je suis d’accord avec les demandeurs et j’accueille la demande de certiorari. En outre, en me fondant sur ces éléments de preuve et la preuve historique supplémentaire fournie par les parties après l’audience, j’accueille également la demande de jugement déclaratoire portant que les régimes de retraite des demandeurs sont une entreprise d’une administration fédérale et sont de compétence fédérale.
[5] Mes motifs sont exposés ci-après.
I. Contexte
A. Peter Ballantyne Cree Nation Health Services Incorporated (PBCNHS)
[6] PBCNHS est une entreprise sans but lucratif constituée en société pour la prestation de services de santé à la Nation crie Peter Ballantyne. Elle a été enregistrée en Saskatchewan le 10 mars 1995, et son siège social est situé à Prince Albert, en Saskatchewan, dans la réserve Chief Joseph Custer no 201, anciennement connue sous le nom de réserve Opawikoscikan no 201.
[7] Le 17 mars 1995, peu après la constitution de PBCNHS, le gouvernement fédéral, la Nation crie Peter Ballantyne et PBCNHS ont conclu un accord en vertu duquel PBCNHS était chargé de la prestation, de l’administration, de la fourniture et du contrôle de services et programmes de santé fédéraux fournis aux membres de la Nation crie Peter Ballantyne. PBCNHS a depuis lors conclu quatre accords ultérieurs avec ces mêmes parties pour la prestation des services de santé.
[8] La Nation crie Peter Ballantyne compte environ 6 286 membres vivant dans les réserves, auxquels PBCNHS offre des programmes et des services de santé dans les réserves. PBCNHS fournit ces programmes et services par l’intermédiaire de trois centres de soins primaires (situés à Pelican Narrows, Deschambault Lake et Southend) et de deux centres de santé communautaires (situés à Sturgeon Landing et à Kinoosao). Ces cinq centres sont situés dans des réserves du Nord de la Saskatchewan.
[9] Aux termes de l’accord le plus récent, PBCNHS fournit à la fois des services de premier niveau (ceux offerts directement dans la collectivité) et des services de deuxième niveau (administration, coordination, formation et soutien technique, fournis par son bureau central situé dans la réserve à Prince Albert). Les services et les programmes de premier niveau qui sont fournis comprennent : soins de santé primaires — développement des enfants en santé, bien-être mental, vie saine, contrôle et gestion des maladies transmissibles, pratique clinique et soins aux clients, soins à domicile et en milieu communautaire. Les services et programmes de deuxième niveau qui sont fournis comprennent : soutien à l’infrastructure de santé, capacité du système de santé, planification de la santé et gestion de la qualité et établissements de santé.
[10] Il y a 148 postes affectés au PBCNHS, et 137 de ces postes étaient occupés en septembre 2017. Sur ces 137 postes occupés, 115 le sont par des membres de la Nation crie Peter Ballantyne, ce qui représente environ 84 p. 100 des postes occupés.
[11] En tant qu’employeur, PBCNHS fournit un régime de retraite agréé à ses employés. À l’origine, il avait enregistré à cette fin ce régime auprès de l’autorité fédérale, le BSIF (numéro d’enregistrement du BSIF : 56930).
[12] PBCNHS ne possède pas de piste d’atterrissage ni de pharmacie, mais il partage avec la Nation crie Peter Ballantyne la copropriété d’une société d’ambulances fournissant des services aux collectivités isolées de la nation crie. Le déposant pour PBCNHS déclare que la société d’ambulances se conforme à la réglementation provinciale et est entièrement distincte des services de premier et de deuxième niveaux fournis par PBCNHS.
[13] Le déposant pour PBCNHS déclare : [traduction] « Dans les cas où le membre de la Nation crie Peter Ballantyne, résident de la réserve, a besoin de programmes ou de services de santé non fédéraux hors réserve, comme l’hospitalisation, ces programmes et services sont fournis par la province de la Saskatchewan ».
[14] Le déposant de PBCNHS déclare que, s’ils refusaient un financement fédéral, il n’y a pas d’autre source de financement permettant à PBCNHS de continuer d’exister tel quel. Le déposant déclare que les programmes de santé dans les réserves adhèrent à la réglementation provinciale afin de garantir le respect de normes appropriées, car il n’existe pas de lignes directrices ou de législation fédérales directement applicables.
[15] Le déposant de PBCNHS poursuit en déclarant que, si l’accord actuel était résilié ou que PBCNHS n’était pas en mesure de fournir les services de premier et de deuxième niveaux, la responsabilité de fournir ces services de premier et de deuxième niveaux reviendrait au gouvernement fédéral et non à la province de la Saskatchewan. Le déposant déclare en outre que, si le gouvernement fédéral fournissait ces mêmes services (c’est-à-dire si PBCNHS n’existait pas), les employés du gouvernement fédéral respecteraient également les lignes directrices et la législation provinciales en matière de services de santé.
B. Avant la décision faisant l’objet d’un contrôle en ce qui concerne PBCNHS
[16] Dans une lettre datée du 10 mai 2012, M. James Rogers (spécialiste de projet à la Division des régimes de retraite privés du BSIF à l’époque) a informé PBCNHS que le BSIF avait décidé que son régime de retraite était assujetti à la législation provinciale et, à ce titre, il devait être transféré à l’organisme de réglementation provincial des régimes de retraite en Saskatchewan. Dans une lettre en date du 30 mai 2012, le transfert a été confirmé par la Commission des services financiers de la Saskatchewan — Division des pensions (la SFSC).
[17] PBCNHS s’est opposé à cette décision dans une lettre datée du 2 avril 2013 en affirmant que le régime de retraite est assujetti à la compétence fédérale, car la nature, les activités et l’exploitation quotidienne de PBCNHS constituent une entreprise fédérale.
[18] PBCNHS a demandé ce qu’il faudrait faire pour que son régime de retraite revienne à l’enregistrement fédéral auprès du BSIF. Le déposant de PBCNHS a indiqué : [traduction] « Le BSIF ne les avait pas informés en ce qui concerne le réenregistrement du régime de retraite agréé auprès du gouvernement fédéral ».
[19] PBCNHS a envoyé une autre lettre au BSIF en date du 11 février 2014 dans laquelle il réaffirmait que ses régimes de retraite devaient être enregistrés au niveau fédéral. Dans une lettre datée du 10 juin 2014, M. James Rogers (maintenant surveillant au BSIF) a informé PBCNHS que le BSIF avait maintenu sa décision selon laquelle le régime de retraite devait être enregistré au palier provincial.
[20] Cette affaire a été contestée devant les tribunaux. Le 6 décembre 2016, une entente a été conclue afin que l’affaire fasse l’objet d’une nouvelle décision au plus tard le 1er mars 2017, tout contrôle judiciaire de cette nouvelle décision devant être présenté devant la Cour fédérale.
C. Northern Inter-Tribal Health Authority Inc. (NITHA)
[21] NITHA est une entreprise sans but lucratif qui a été constituée en société et enregistrée en Saskatchewan le 8 mai 1998. Son siège social est situé à Prince Albert, en Saskatchewan, dans la réserve Chief Joseph Custer no 201, anciennement connue sous le nom de réserve Opawikoscikan no 201.
[22] NITHA fournit des programmes et des services de santé de troisième niveau à quatre groupes (ses membres constituants) : le Grand conseil de Prince Albert, le Conseil tribal de Meadow Lake, la Bande indienne de Lac La Ronge et la Nation crie Peter Ballantyne (par l’intermédiaire de la personne morale dispensant des services de santé de cette dernière Nation, PBCNHS (le codemandeur)).
[23] Ces services de troisième niveau ont été fournis et continuent de l’être en vertu d’accords conclus entre NITHA et le gouvernement fédéral. Le premier de ces accords a débuté en 2000–2001 et a été suivi par les accords, modifications et prolongations ultérieurs.
[24] Les services de santé de troisième niveau sont ceux qui ont un caractère de coordination et de conseils au soutien des services de deuxième niveau dans la collectivité. Ces services et programmes de troisième niveau sont détaillés de la façon suivante :
• médecin hygiéniste et services de contrôle des maladies transmissibles,
• services de soutien et de conseil pour les programmes de soins infirmiers, y compris un consultant en pratique des soins infirmiers;
• services de recrutement et de maintien en poste du personnel infirmier;
• services de dentiste;
• services de soutien et de conseil en matière de santé environnementale;
• services de soutien et de conseil en toxicomanie;
• services de soutien et de conseil liés à d’éducation en matière de santé;
• services de soutien et de conseil en santé mentale;
• services de nutritionniste;
• carrières dans le domaine de la santé et soutien à la formation;
• services en matière de politiques, de planification et de recherche;
• services informatiques;
• gestion et administration.
[25] NITHA offre un régime de retraite à prestations énumérées à ses employés et l’avait initialement enregistré auprès du BSIF.
[26] Le déposant de NITHA déclare qu’il adopte des lignes directrices et des règlements provinciaux afin de garantir le respect de normes appropriées, car il n’existe pas de lignes directrices ou de législation fédérales directement applicables. En outre, le déposant affirme que si le gouvernement fédéral fournissait ces mêmes services (c’est-à-dire si NITHA n’existait pas), les employés du gouvernement fédéral respecteraient également les lignes directrices et la législation provinciales en matière de services de santé.
[27] Le déposant de NITHA mentionne également que, si l’accord actuel était résilié ou que NITHA n’était pas en mesure de fournir les services de troisième niveau, la responsabilité de fournir ces services de troisième niveau reviendrait au gouvernement fédéral et non à la province de la Saskatchewan. Le déposant déclare en outre que, dans l’éventualité où NITHA refuserait un financement fédéral, il n’y a pas d’autre source de financement lui permettant de continuer d’exister.
[28] Les partenaires de NITHA ne reçoivent pas de financement pour les postes de coordonnateur des interventions d’urgence (le déposant affirme qu’il s’agit d’un service de deuxième niveau), et NITHA fournit ce financement dans le cadre du financement de son programme et de ses services.
D. Avant la décision faisant l’objet d’un contrôle en ce qui concerne NITHA
[29] Dans une lettre datée du 30 août 2013, Mme Nancy Desormeaux (une surveillante à la Division des régimes de retraite privés du BSIF) a informé NITHA que le BSIF avait décidé que son régime de retraite était assujetti à la législation provinciale et, à ce titre, il a été transféré à l’organisme de réglementation provincial des régimes de retraite en Saskatchewan le 1er août 2013.
[30] NITHA s’est opposé à cette décision dans une lettre datée du 14 février 2014, affirmant que le régime de retraite est assujetti à la compétence fédérale, car la nature, les activités et l’exploitation quotidienne de NITHA constituent une entreprise fédérale. NITHA a demandé que le BSIF reconnaisse que le régime de retraite est de compétence fédérale et qu’il l’informe des mesures à prendre pour revenir à l’enregistrement auprès du BSIF.
[31] Dans une lettre datée du 10 juin 2014, M. James Rogers (maintenant en tant que surveillant au BSIF) a informé NITHA que le BSIF maintenait sa décision selon laquelle le régime de retraite devait être enregistré au palier provincial.
[32] Cette affaire a été contestée devant les tribunaux. Le 6 décembre 2016, une entente a été conclue afin que l’affaire fasse l’objet d’une nouvelle décision au plus tard le 1er mars 2017, tout contrôle judiciaire de cette nouvelle décision devant être présenté devant la Cour fédérale.
II. Décisions
[33] Les décisions du BSIF, qui étaient un nouvel examen de décisions antérieures, ont été communiquées par M. James Rogers par lettres datées du 28 février 2017.
A. La décision relative à PBCNHS
[34] M. James Rogers déclare que la décision du BSIF a été prise en application du critère énoncé dans le jugement de la Cour suprême du Canada (la C.S.C.) dans l’arrêt NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696 (l’arrêt NIL/TU,O). Il écrit dans la décision que le BSIF doit d’abord examiner le « critère fonctionnel » pour établir si l’entité constitue une entreprise fédérale, et si ce critère n’est pas concluant, il doit ensuite examiner si la réglementation provinciale porterait atteinte au contenu essentiel d’un chef de compétence fédérale.
[35] Le BSIF a déclaré avoir appliqué le critère fonctionnel pour [traduction] « examiner les activités habituelles et normales de PBCNHS en se fondant sur tous les renseignements qui [lui] ont été fournis et en arriver à la conclusion que la nature des activités de PBCNHS est la fourniture de soins de santé et de services sociaux aux résidents vivant dans la réserve à Pelican Narrows, à Deschambault Lake, à Southend et à Sturgeon Landing ». Le BSIF souligne que la compétence législative générale en matière de programmes sociaux et de santé appartient aux provinces et précise que la composante autochtone distincte de la prestation de services ne change pas la nature de l’exploitation et des activités de PBCNHS ou de la compétence en matière de relations de travail.
[36] Le BSIF prend note de l’argument de PBCNHS selon lequel les services qu’il fournit relèvent de la responsabilité du gouvernement fédéral, mais il affirme que les accords et la jurisprudence ne font que créer des relations de financement et ne doivent pas être interprétés comme une tentative de réglementer les services de santé de PBCNHS. À l’appui de cette déclaration, le BSIF énumère les points suivants :
• La jurisprudence a établi que, bien que le gouvernement fédéral ait le pouvoir de dépenser de l’argent et d’imposer les conditions selon lesquelles l’argent est disponible, cela ne doit pas être interprété comme une intention de réglementer l’ensemble du domaine à l’égard duquel l’argent est fourni.
• L’accord le plus récent appuie la position du BSIF dans son opinion :
o le préambule indique qu’il s’agit d’un accord prévoyant des fonds pour la fourniture de certains services et qu’il ne porte pas atteinte aux droits constitutionnels;
o bien que PBCNHS doive soumettre des rapports à Santé Canada et que Santé Canada puisse les vérifier et recouvrer les dépenses non autorisées, ce contrôle permet de s’assurer que PBCNHS reste admissible au financement et que ces fonds sont utilisés de la manière prescrite;
o bien que Santé Canada soit habilité à prendre les mesures nécessaires en cas d’urgence sanitaire, cela ne devrait pas être pris en compte dans le critère fonctionnel, car il s’agit simplement d’un facteur occasionnel;
o PBCNHS pourrait refuser le financement ou résilier l’accord s’il le souhaitait et, à ce titre, pourrait éviter de se conformer aux conditions imposées par le gouvernement fédéral, ce qui signifie qu’il n’est pas réglementé par le gouvernement fédéral;
o l’accord mentionne qu’il ne crée pas d’organisme, de relation employeur-employé, d’association ou de coentreprise entre Santé Canada et PBCNHS, ce qui signifie qu’il n’existe aucun lien entre le gouvernement fédéral et la fourniture de services (il s’agit uniquement d’une relation de financement);
o l’accord ne contient aucune disposition concernant la gestion des relations de travail.
[37] Le BSIF affirme que, bien que PBCNHS ait indiqué dans sa correspondance que la législation provinciale applicable à la fourniture de ses services et programmes de santé fédéraux dans les réserves n’existe pas, ses documents laissent sous-entendre le contraire (PBCNHS a depuis clarifié ce point en précisant que la province n’a jamais délégué la fourniture de ces services à PBCNHS). Le BSIF souligne quelques-uns des points suivants à partir des documents de PBCNHS :
• il a indiqué qu’il était difficile de respecter les exigences provinciales en matière d’utilisation d’un certain véhicule de transport;
• les conditions provinciales pour l’obtention d’un permis d’exercice des ambulanciers paramédicaux doivent être respectées;
• il répertorie le nombre de premiers intervenants inscrits auprès de Saskatchewan Health et le nombre d’intervenants médicaux d’urgence titulaires d’un permis délivré par le Saskatchewan College of Paramedics;
• les membres du personnel infirmier font l’objet d’un examen annuel de renouvellement, à la demande de la Saskatchewan Registered Nurses Association;
• le Mental Health and Addictions Program (programme de santé mentale et de lutte contre les toxicomanies) vise à établir des liens avec des services spécialisés des systèmes privé, provincial et fédéral;
• en ce qui concerne le contrôle des maladies transmissibles (le CDC), il se conforme aux lignes directrices provinciales en matière d’immunisation et de CDC et avait pour objectif de fournir des vaccins conformément aux calendriers établis par la Saskatchewan et la Direction de la santé des Premières Nations et des Inuits en Saskatchewan;
• Northern Medical Services indique qu’il verse des salaires aux médecins par l’entremise d’un paiement de transfert de Saskatchewan Health.
[38] Compte tenu de tout ce qui précède, le BSIF affirme que les documents fournis par PBCNHS n’ont pas modifié son opinion selon laquelle il ne s’agit pas d’une entreprise fédérale. Le BSIF affirme que, étant donné que les activités de PBCNHS relèvent du secteur des soins de santé et des services sociaux et qu’il s’agit uniquement d’une relation de financement avec Santé Canada, la présomption de compétence provinciale sur les questions liées au travail (régimes de retraite) n’a pas été invalidée. C’est pourquoi le BSIF maintient sa position antérieure, à savoir que le régime de retraite de PBCNHS doit être enregistré au palier provincial.
B. La décision relative à NITHA
[39] M. James Rogers déclare que la décision du BSIF a été prise en application du critère énoncé dans le jugement de la C.S.C. dans l’arrêt NIL/TU,O. Il écrit dans la décision que le BSIF doit d’abord examiner le « critère fonctionnel » pour établir si l’entité constitue une entreprise fédérale, et si ce critère n’est pas concluant, il doit ensuite examiner si la réglementation provinciale porterait atteinte au contenu essentiel d’un chef de compétence fédérale.
[40] Le BSIF a déclaré avoir appliqué le critère fonctionnel pour [traduction] « examiner les activités habituelles et normales de NITHA en se fondant sur tous les renseignements qui nous ont été fournis et en arriver à la conclusion que la nature des activités de NITHA est la fourniture de services de santé à ses quatre membres constituants (c.-à-d. le Grand conseil de Prince Albert, le Conseil tribal de Meadow Lake, la Bande indienne de Lac La Ronge et la Nation crie Peter Ballantyne) ». Le BSIF souligne que la compétence législative générale en matière de programmes sociaux et de santé appartient aux provinces et précise que la composante autochtone distincte de la prestation de services ne change pas la nature de l’exploitation et des activités de NITHA ou de la compétence en matière de relations de travail.
[41] Le BSIF prend note de l’argument de NITHA selon lequel les services qu’il fournit relèvent de la responsabilité du gouvernement fédéral, mais il affirme qu’à l’examen des accords et de la jurisprudence, les accords ne font que créer des relations de financement et ne doivent pas être interprétés comme une tentative de réglementer les services de santé de NITHA. À l’appui de cette déclaration, le BSIF énumère les points suivants :
• La jurisprudence a établi que, bien que le gouvernement fédéral ait le pouvoir de dépenser de l’argent et d’imposer les conditions selon lesquelles l’argent est disponible, cela ne doit pas être interprété comme une intention de réglementer l’ensemble du domaine à l’égard duquel l’argent est fourni;
• L’accord le plus récent appuie la position du BSIF dans son opinion :
o le préambule indique qu’il s’agit d’un accord prévoyant des fonds pour la fourniture de certains services;
o bien que NITHA doive soumettre des rapports à Santé Canada et que Santé Canada puisse les vérifier et recouvrer les dépenses non autorisées, ce contrôle permet de s’assurer que NITHA reste admissible au financement et que ces fonds sont utilisés de la manière prescrite;
o bien que Santé Canada soit habilité à prendre les mesures nécessaires en cas d’urgence sanitaire, cela ne devrait pas être pris en compte dans le critère fonctionnel, car il s’agit simplement d’un facteur occasionnel;
o NITHA pourrait refuser le financement ou résilier l’accord s’il le souhaitait et, à ce titre, pourrait éviter de se conformer aux conditions imposées par le gouvernement fédéral, ce qui signifie qu’il n’est pas réglementé par le gouvernement fédéral;
o l’accord mentionne qu’il ne crée pas d’organisme, de relation employeur-employé, d’association ou de coentreprise entre Santé Canada et NITHA, ce qui signifie qu’il n’existe aucun lien entre le gouvernement fédéral et la fourniture de services (il s’agit uniquement d’une relation de financement);
o l’accord ne contient aucune disposition concernant la gestion des relations de travail.
[42] Le BSIF affirme que, bien que NITHA ait indiqué dans sa correspondance que la législation provinciale applicable à la fourniture de ses services et programmes de santé fédéraux de troisième niveau dans les réserves n’existait pas, ses documents laissent sous-entendre le contraire (NITHA a depuis clarifié ce point en précisant que la province n’a jamais délégué la fourniture de ces services à NITHA). Le BSIF affirme que ces documents démontrent que certains services de NITHA sont exclus du financement fédéral et, de plus, qu’ils respectent les exigences, normes et lignes directrices provinciales en matière d’octroi de permis. Le BSIF souligne ensuite quelques-uns des points ci-dessous à partir des documents de NITHA :
• « le partenariat NITHA est représenté aux paliers fédéral et provincial »;
• NITHA a pour objectif de mettre en œuvre le plan d’action décennal sur la santé mentale et la toxicomanie de la province et a participé à des initiatives provinciales comprenant quatre groupes de travail (santé, éducation, justice et services sociaux);
• NITHA octroie des fonds à ses partenaires pour les « coordonnateurs des interventions d’urgence de deuxième niveau », car le financement de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits ne couvre pas ce service;
o NITHA a depuis précisé que le gouvernement fédéral lui verse ce financement, et non ses membres, et que NITHA verse ensuite le financement à ses membres;
• le coordonnateur des interventions d’urgence s’est associé à la direction provinciale Gestion des urgences et sécurité-incendie;
• il continue de participer à la Saskatchewan Oral Health Coalition;
• Saskatchewan Health a lancé un système Panorama qui est maintenant utilisé par 15 collectivités au sein de NITHA. La Saskatchewan et NITHA mènent actuellement des consultations juridiques concernant la logistique de ce système;
o NITHA a maintenant précisé qu’il s’agissait d’un système de suivi de la vaccination en Saskatchewan et qu’il était donc logique de disposer d’un système des dossiers de vaccination fiable et transférable afin que les professionnels de la santé de toute la province y aient accès;
• l’infirmière de la santé publique a fourni un soutien à NITHA en formant le personnel infirmier de NITHA concernant les Child Health Clinic Guidelines (lignes directrices de pratique clinique en matière de santé de l’enfant) de Saskatchewan Health;
• le conseiller en santé environnementale s’est efforcé de respecter les exigences provinciales en matière de rapport;
• la gestion des cas incombe au personnel infirmier responsable de la santé communautaire ainsi qu’au programme de prévention et de contrôle de la tuberculose de la Saskatchewan.
[43] Compte tenu de tout ce qui précède, le BSIF affirme que les documents fournis par NITHA n’ont pas modifié son opinion selon laquelle NITHA n’est pas une entreprise fédérale. Le BSIF affirme que, étant donné que les activités de NITHA relèvent du secteur des services de santé et qu’il s’agit uniquement d’une relation de financement avec Santé Canada, la présomption de compétence provinciale sur les questions liées au travail (régimes de retraite) n’a pas été invalidée. C’est pourquoi le BSIF maintient sa position antérieure, à savoir que le régime de retraite de NITHA doit être enregistré au palier provincial.
III. Loi
[44] La Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 32 (la LNPP) est ainsi rédigée :
Application de la loi
4 (1) La présente loi s’applique relativement aux régimes de pension.
Définition de régime de pension
(2) Pour l’application de la présente loi, régime de pension s’entend d’un régime de retraite ou autre institué et géré en vue d’assurer des prestations de pension aux salariés occupant un emploi inclus ainsi qu’aux anciens salariés, que le régime prévoie ou non d’autres prestations ou le paiement de prestations à d’autres personnes, et au titre duquel et conformément auquel l’employeur est tenu d’y verser des cotisations; est assimilé à un régime de pension tout régime complémentaire, au titre duquel ou conformément auquel l’employeur est tenu d’y verser des cotisations, mais non :
a) les régimes de participation des employés aux bénéfices et les régimes de participation différée aux bénéfices au sens des articles 144 et 147 de la Loi de l’impôt sur le revenu;
b) les ententes en vue du versement d’une allocation de retraite au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu;
b.1) les régimes de pension agréés collectifs au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les régimes de pension agréés collectifs;
c) les autres ententes prévues par les règlements.
Définition de régime complémentaire
(3) Au paragraphe (2), régime complémentaire s’entend d’un régime de pension auquel les salariés ne peuvent adhérer que s’ils participent à un autre régime de pension, et qui fait partie intégrante de celui-ci.
Définition de emploi inclus
(4) Pour l’application de la présente loi, emploi inclus s’entend de tout emploi, autre qu’un emploi exclu, lié ou rattaché à la mise en service d’un ouvrage, d’une entreprise ou d’une activité de compétence fédérale et lié notamment à :
a) un ouvrage, une entreprise ou une activité exploitée relativement à la navigation et les expéditions par eau, intérieures ou maritimes, y compris la mise en service d’un navire et le transport par navire au Canada;
b) un chemin de fer, canal, télégraphe ou autre ouvrage ou entreprise reliant une ou plusieurs provinces ou s’étendant à l’extérieur d’une province;
c) une ligne de navires à vapeur ou autres reliant une ou plusieurs provinces ou s’étendant au-delà des limites d’une province;
d) un traversier exploité entre une ou plusieurs provinces ou une province et un pays étranger;
e) un aérodrome, un aéronef ou une ligne aérienne;
f) une station de radiodiffusion;
g) une banque ou une banque étrangère autorisée, au sens de l’article 2 de la Loi sur les banques;
h) un ouvrage, une entreprise ou une activité que le Parlement déclare être à l’avantage général du Canada ou de plusieurs provinces même si l’ouvrage ou l’entreprise sont situés, ou l’activité est exercée, entièrement à l’intérieur d’une province;
i) un ouvrage, une entreprise ou autre activité qui ne relèvent pas de la compétence législative exclusive des provinces ou qui sont de nature locale ou privée au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest ou au Nunavut. [Non souligné dans l’original.]
[45] Cette définition de l’emploi inclus dans la LNPP correspond à la définition générale et non exhaustive d’« entreprises fédérales » utilisée à l’article 2 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le CCT). Pour cette raison, la jurisprudence afférente au CCT sur ce qui constitue une entreprise fédérale est applicable à ce qui constitue une entreprise de compétence fédérale en vertu de la LNPP.
[46] Le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, est ainsi rédigé :
Définitions
2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
entreprises fédérales Les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement, notamment :
a) ceux qui se rapportent à la navigation et aux transports par eau, entre autres à ce qui touche l’exploitation de navires et le transport par navire partout au Canada;
b) les installations ou ouvrages, entre autres, chemins de fer, canaux ou liaisons télégraphiques, reliant une province à une ou plusieurs autres, ou débordant les limites d’une province, et les entreprises correspondantes;
c) les lignes de transport par bateaux à vapeur ou autres navires, reliant une province à une ou plusieurs autres, ou débordant les limites d’une province;
d) les passages par eaux entre deux provinces ou entre une province et un pays étranger;
e) les aéroports, aéronefs ou lignes de transport aérien;
f) les stations de radiodiffusion;
g) les banques et les banques étrangères autorisées, au sens de l’article 2 de la Loi sur les banques;
h) les ouvrages ou entreprises qui, bien qu’entièrement situés dans une province, sont, avant ou après leur réalisation, déclarés par le Parlement être à l’avantage général du Canada ou de plusieurs provinces;
i) les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales;
j) les entreprises auxquelles les lois fédérales, au sens de l’article 2 de la Loi sur les océans, s’appliquent en vertu de l’article 20 de cette loi et des règlements d’application de l’alinéa 26(1)k) de la même loi. (federal work, undertaking or business) [Non souligné dans l’original.]
IV. Questions en litige
[47] Les demandeurs font valoir que le BSIF a commis une erreur de droit en rendant les décisions car, selon le critère applicable, les activités des demandeurs menées aux termes de leurs accords respectifs (les accords) sont des entreprises dûment fédérales et, par conséquent, leurs régimes de retraite devraient être enregistrés au fédéral.
[48] Les défendeurs affirment que les décisions du BSIF étaient raisonnables dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Ils déclarent que le BSIF a appliqué le critère fonctionnel applicable et a raisonnablement conclu que les demandeurs n’étaient pas une entreprise fédérale.
[49] Dans l’argument des demandeurs selon lequel les activités de PBCNHS et de NITHA sont des ouvrages et des entreprises de caractère fédéral, il est sous-entendu que l’affaire concerne une question constitutionnelle relative au partage des pouvoirs. Les défendeurs soulignent que le règlement de cette question repose sur le caractère raisonnable de la décision. En d’autres termes, les demandeurs sont d’avis que la norme de contrôle est la norme de la décision correcte, tandis que la position des défendeurs est que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.
[50] Néanmoins, les deux parties fondent leurs arguments sur la bonne application du critère énoncé par la C.S.C. dans l’arrêt NIL/TU,O.
[51] Je reformulerais les questions en litige de la manière suivante :
1) Quelle est la norme de contrôle applicable?
2) Les décisions respectent-elles la norme de contrôle requise pour l’application du critère fonctionnel énoncé dans l’arrêt NIL/TU,O?
3) Le bien-fondé d’un jugement déclaratoire a-t-il été établi?
V. Observations des parties
A. Observations des demandeurs
[52] Les demandeurs déclarent qu’ils ne contestent pas le fait que la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1)] [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], confère aux provinces le pouvoir de légiférer en matière de santé ou de relations de travail. Les demandeurs affirment plutôt que, selon le critère fonctionnel énoncé dans l’arrêt NIL/TU,O, leurs activités seraient considérées comme des entreprises fédérales. Ils soutiennent cette position en déclarant que les activités habituelles et normales des demandeurs consistent à fournir des programmes et des services de santé dans les réserves (services de premier et de deuxième niveaux de PBCNHS et services de troisième niveau de NITHA) que le gouvernement fédéral serait autrement responsable de fournir, comme il l’a fait par le passé. Les demandeurs déclarent que, en se fondant sur une analyse par activités, ils ont réfuté la présomption de compétence provinciale.
[53] Les demandeurs déclarent que le gouvernement fédéral, par l’intermédiaire de Santé Canada – Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, fournirait normalement de tels programmes et services de santé dans les réserves. Ils font observer que, en vertu des accords, les demandeurs fournissent maintenant de tels programmes et services. En conséquence, les demandeurs reçoivent des fonds du gouvernement fédéral. Les demandeurs soulignent également que le gouvernement fédéral surveille toujours leurs activités en imposant des exigences en matière de reddition de comptes et de rapport et un retour de ces services au gouvernement fédéral en cas de résiliation ou dans les cas où les services convenus ne sont pas fournis.
[54] Contrairement à l’arrêt NIL/TU,O, où le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique avait délégué certains pouvoirs en matière de protection de l’enfance à l’entité en question, les demandeurs ont déclaré qu’il n’y avait eu aucune délégation de la part du gouvernement provincial de la Saskatchewan. Leur pouvoir de fournir les services de santé dans les réserves découle plutôt des politiques mises en œuvre par le gouvernement fédéral en matière de santé des Indiens dans le cadre de la compétence constitutionnelle du gouvernement fédéral en ce qui concerne « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » (paragraphe 91(24), Loi constitutionnelle de 1867).
[55] Les demandeurs conviennent que le financement fédéral, en soi, ne fait pas d’eux une entreprise fédérale. Ils affirment cependant que c’est le financement combiné à la surveillance et à la reddition de comptes rattachées aux fonds et le fait que les services seraient fournis par le gouvernement fédéral qui font d’eux une entreprise fédérale.
[56] En ce qui concerne NITHA, les demandeurs soulignent que, sur ses 30 employés, seuls les membres du personnel infirmier du programme de lutte contre la tuberculose et le médecin hygiéniste de NITHA doivent obtenir un permis d’exercer provincial, contrairement aux employés restants. Les demandeurs soulignent également que les médecins relèvent de la compétence des provinces et que, par conséquent, ils sont payés par le gouvernement provincial, bien que le gouvernement fédéral rembourse une partie des frais de déplacement. Même si certaines lois et certains règlements provinciaux s’appliquent, les demandeurs mentionnent que ceux-ci sont respectés, car il n’y a pas de lois et de règlements provinciaux concurrents et que le respect du régime réglementaire provincial maintient des normes de sécurité adéquates.
[57] Les demandeurs demandent deux réparations à la Cour. Premièrement, ils demandent l’annulation de la décision du 28 février 2017 au moyen du pouvoir dont dispose la Cour en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7]. Deuxièmement, ils demandent un jugement déclaratoire selon lequel les régimes de retraite des demandeurs relèvent de la compétence fédérale. À l’appui de la capacité de la Cour de rendre un jugement déclaratoire contraignant, les demandeurs citent un jugement dans lequel la Cour d’appel fédérale a sursis à un jugement déclaratoire de la Cour fédérale, estimant que celui-ci avait un effet contraignant et juridique pour les parties et justifiait donc que l’on puisse solliciter un sursis à l’exécution du jugement : Assiniboine c. Meeches, 2013 CAF 114 (l’arrêt Assiniboine), aux paragraphes 11 à 15 et paragraphe 32.
B. Observations des défendeurs
[58] Les défendeurs soutiennent que la présomption générale est que les relations de travail sont de nature provinciale et, comme les régimes de retraite ont une incidence sur les contrats de travail, ils sont également présumés de nature provinciale. Ils font référence à une affaire du Conseil privé datant de 1937 dans laquelle il avait été établi que les lois en matière d’assurance-chômage, lorsque qu’il est question des contrats de travail, relevait prima facie de la compétence provinciale : Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 355 (P.C.).
[59] Les défendeurs soulignent que, conformément aux paragraphes de l’article 92, soit « 7. L’établissement, l’entretien et l’administration des hôpitaux, asiles, institutions et hospices de charité dans la province, autres que les hôpitaux de marine », « 13. La propriété et les droits civils dans la province » et « 16. Généralement toutes les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province », de la Loi constitutionnelle de 1867, les provinces ont une « vaste » compétence en matière de santé : Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, 2011 CSC 44, [2011] 3 R.C.S. 134, au paragraphe 68.
[60] Les défendeurs attirent également l’attention sur le fait que le financement d’une activité par le gouvernement fédéral ne transforme pas une entité provinciale en une entité fédérale (arrêt NIL/TU,O, au paragraphe 40). À l’appui de ce point, ils précisent qu’il s’agit du modèle actuel dans le cadre duquel le gouvernement fédéral, sans outrepasser de manière inconstitutionnelle ses compétences, finance les provinces en matière de soins de santé et est en mesure de stipuler les conditions qui doivent être remplies pour que la totalité des fonds soit versée.
[61] Les défendeurs soutiennent que PBCNHS et NITHA sont des entreprises sans but lucratif enregistrées en Saskatchewan et que les accords qu’elles ont conclus avec le gouvernement fédéral ne sont que des ententes de financement. Ils déclarent qu’aucune loi fédérale n’oblige le gouvernement fédéral à fournir un tel financement.
[62] Les défendeurs font valoir que les accords prévoient qu’ils ne doivent pas porter atteinte aux droits ancestraux ou issus de traités, ce qui signifie qu’ils ne sont pas une mise en œuvre des traités, de sorte qu’il n’y a pas d’obligation de fournir le financement du point de vue du droit des traités.
[63] Les défendeurs soulignent également que les demandeurs sont en mesure de fournir leurs services et leurs programmes, qu’ils ont eux-mêmes conçus, et que les accords stipulent que les demandeurs agissent pour leur propre compte et qu’il n’existe aucune relation entre les parties, comme [traduction] « mandant-mandataire, employeur-employé, [ou] partenariat de coentreprise ». Les défendeurs soutiennent que cela clarifie encore le fait qu’il s’agit uniquement d’une relation de contribution financière et de surveillance dans la mesure nécessaire pour garantir le respect des accords.
[64] En ce qui concerne PBCNHS, les défendeurs énoncent un certain nombre de postes les plus courants dans le secteur de la santé et fait remarquer que bon nombre d’entre eux sont soumis à la réglementation provinciale, notamment les infirmiers autorisés, les infirmiers praticiens, les infirmiers auxiliaires autorisés, les conducteurs — transport pour raison médicale et les auxiliaires familiaux (fournisseurs de soins à domicile).
[65] En ce qui concerne NITHA, les défendeurs ont souligné qu’une grande partie de l’organisation ne fournissait pas de services directement; son travail consistait principalement à faire le suivi des maladies transmissibles, à produire des rapports sur celles-ci et à sensibiliser à ces maladies ainsi qu’à fournir des conseils sur d’autres problèmes de santé. Ils affirment que la législation provinciale s’applique à la déclaration des maladies transmissibles.
[66] Les défendeurs font également valoir que dans l’arrêt NIL/TU,O, au paragraphe 45, la majorité des juges de la C.S.C. ont déclaré : « La présence de financement fédéral et le fait que les services de NIL/TU,O visent à répondre à des besoins précis sur le plan culturel ne changent pas, à mon avis, la nature manifestement provinciale de cette entité. »
[67] Les défendeurs concluent en déclarant que la nature essentielle de PBCNHS [traduction] « est de fournir des services de santé et que NITHA consiste essentiellement à surveiller la santé publique et à assurer la coordination et les conseils concernant les programmes liés à la santé ». La compétence des régimes de retraite des demandeurs est provinciale, et l’existence d’un financement fédéral et de la fourniture de services dans un domaine sensible aux réalités culturelles ne change en rien cette conclusion. Enfin, les défendeurs soutiennent également que, même si le critère fonctionnel n’était pas concluant, les lois provinciales sur les pensions en Saskatchewan ne porteraient pas atteinte au contenu essentiel de la compétence fédérale prévue au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 en ce qui concerne les « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ».
VI. Analyse
A. Norme de contrôle applicable
[68] Les demandeurs déclarent que la question fondamentale à résoudre en est une de droit, que leur travail est une entreprise fédérale assujettie à la réglementation fédérale sur les pensions plutôt que de relever de la compétence provinciale. La question étant une question de droit, les demandeurs affirment donc qu’elle doit être réglée selon la norme de la décision correcte.
[69] Les défendeurs affirment qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, car il faut trancher si le contexte factuel de l’activité des demandeurs, appliqué au droit, fait qu’elle relève de la compétence fédérale. Ils soulignent que l’interprétation ou l’application de la propre loi du décideur ou d’une loi étroitement liée à son mandat est assujettie à la norme de la décision raisonnable.
[70] Bien qu’il existe une présomption générale que la norme de la décision raisonnable soit applicable lorsqu’un décideur interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat, il existe des exceptions à cette présomption. Ces exceptions, énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphes 58 à 61, comprennent les « questions touchant au partage des compétences ».
[71] Dans l’arrêt NIL/TU,O, et sa décision complémentaire rendue dans l’arrêt Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier c. Native Child and Family Services of Toronto, 2010 CSC 46, [2010] 2 R.C.S. 737 (l’arrêt Native Child), la C.S.C. ne dit pas quelle est la norme de contrôle applicable, bien que l’affaire Native Child ait clairement été soumise à la C.S.C. par le truchement du processus de contrôle judiciaire de la Cour d’appel fédérale (la C.A.F.), celle-ci ayant déclaré que la norme de la décision correcte était applicable, car il s’agissait d’une question constitutionnelle (2008 CAF 338, paragraphe 18).
[72] À la suite des arrêts NIL/TU,O et Native Child, la Cour fédérale, en examinant la question de savoir si l’activité était une entreprise fédérale dans la décision Canada (Procureur général) c. Nation Munsee-Delaware, 2015 CF 366 (la décision Nation Munsee-Delaware), au paragraphe 16, a appliqué la norme de la décision correcte (qualifiant la question en litige de question constitutionnelle concernant le partage des pouvoirs) tout en précisant que les constatations du décideur quant aux faits et les conclusions portant sur la manière de qualifier l’emploi appellent la retenue judiciaire et doivent donc être revues selon la norme de la décision raisonnable.
[73] Plus récemment, la C.A.F. a procédé au contrôle judiciaire d’une décision visant à statuer si une entité relevait de la compétence fédérale ou provinciale aux fins des relations de travail (Conseil de la Nation Innu Matimekush-Lac John c. Association des employés du nord québécois (CSQ), 2017 CAF 212 (l’arrêt Nation Innu Matimekush-Lac John)).
[74] Dans l’arrêt Nation Innu Matimekush-Lac John, la C.A.F. était d’accord pour dire que la norme applicable aux questions constitutionnelles est celle de la décision correcte (au paragraphe 14). La C.A.F. a ajouté qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’une véritable question constitutionnelle, car la question en litige n’était pas celle de savoir si une loi en particulier excédait les limites du pouvoir constitutionnel du gouvernement qui l’a adoptée (analyse du partage des compétences) (au paragraphe 15 citant l’arrêt NIL/TU,O, au paragraphe 12). La C.A.F. a plutôt déclaré que la question en litige était précise et qu’il s’agissait de savoir si la présomption de compétence provinciale en matière de relations de travail avait été réfutée (au paragraphe 16).
[75] La C.A.F. a ensuite affirmé que l’analyse du décideur en l’espèce reposait sur ses conclusions de fait, lesquelles sont dissociables de la question constitutionnelle portant sur la compétence fédérale par rapport à la compétence provinciale. La C.A.F. a fait preuve de retenue judiciaire à l’égard des conclusions de fait du décideur portant sur les activités et la structure organisationnelle de l’entité qu’elle examinait. La C.A.F. a ensuite procédé à l’analyse des faits et de la jurisprudence pertinente et a statué que l’entité en question était une entreprise fédérale.
[76] La décision de la C.A.F. dans l’arrêt Nation Innu Matimekush-Lac John confirme l’approche adoptée dans la décision Nation Munsee-Delaware.
[77] En conséquence, j’adopte la norme de contrôle de la décision correcte, considérant la question en litige comme une question constitutionnelle de partage des pouvoirs, tout en admettant que les constatations du décideur quant aux faits et les conclusions portant sur la manière de qualifier l’emploi appellent la retenue judiciaire et sont revues selon la norme de la décision raisonnable.
B. Dossier du tribunal
[78] Après avoir entendu les arguments formulés de vive voix, j’ai demandé aux parties de me fournir des renseignements sur l’historique des services de santé fédéraux fournis dans les réserves indiennes.
[79] Les demandeurs ont déposé le document intitulé « Supplementary Information on the Provision of Medical Services by the Federal Crown to the Applicants » (renseignements supplémentaires sur la fourniture de services médicaux par la Couronne fédérale aux demandeurs). Les défendeurs ne contestent pas le contenu des documents fournis; toutefois, les défendeurs soutiennent que le dossier de preuve soumis à la Cour lors d’un contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve qui a été présenté au décideur.
[80] Je suis d’accord sur ce point avec les défendeurs en ce qui concerne la demande de certiorari. Je ne fais aucunement référence aux renseignements supplémentaires lors de l’examen de cette demande. Cependant, j’estime pouvoir faire référence aux renseignements supplémentaires fournis dans la demande de jugement déclaratoire, ce qui est une question différente.
C. Critère applicable
[81] Le critère applicable pour déterminer si une activité constitue une entreprise fédérale est défini par la C.S.C. dans l’arrêt NIL/TU,O. La juge Abella, pour la majorité, a déclaré que la première étape est un « “critère fonctionnel” » permettant de déterminer si l’entité est une entreprise fédérale, ce qui requiert « l’examen de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité en question » (au paragraphe 3, arrêt NIL/TU,O).
[82] La juge Abella a poursuivi en affirmant que c’est uniquement si le résultat de l’application de ce critère fonctionnel n’est pas concluant que la Cour se tourne vers le deuxième élément, qui consiste en une analyse visant à déterminer si la réglementation provinciale des relations de travail de l’entité porterait atteinte au contenu essentiel du chef de compétence fédéral qui, dans ce cas-ci serait le paragraphe 91(24), « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » (Loi constitutionnelle de 1867).
[83] Je prends note qu’une conclusion de fait cruciale tirée dans l’arrêt NIL/TU,O était la détermination de la source du pouvoir de cette organisation d’agir en matière de protection de l’enfance. La juge Abella, au nom de la majorité des juges de la C.S.C., a écrit [au paragraphe 24] :
La province de la Colombie-Britannique (représentée par un directeur nommé sous le régime de la Loi), le gouvernement fédéral (représenté par le ministre des Affaires indiennes) et NIL/TU,O (représentant le regroupement des premières nations) ont signé une entente de délégation tripartite, laquelle a été initialement signée en 1999 et ensuite confirmée en 2004 [« l’entente de 2004 »]. En vertu de cette entente, le gouvernement provincial, chargé par la Constitution d’assurer les services d’aide à l’enfance, a délégué à NIL/TU,O certains de ses pouvoirs et responsabilités conférés par la Loi en vue de la prestation, au regroupement des premières nations, de services d’aide à l’enfance […] La participation du gouvernement fédéral aux termes de cette entente se limite à financer la prestation, par NIL/TU,O, de certains services à certains enfants. [Non souligné dans l’original.]
[84] La juge Abella enchaîne avec une analyse approfondie sur la supervision de la province, puis déclare [aux paragraphes 36 et 39] :
Que nous dit donc tout cela au sujet de la nature de l’entreprise de NIL/TU,O? Il est clair que NIL/TU,O est exclusivement réglementée par la province et que ses employés exercent des pouvoirs délégués de compétence exclusivement provinciale […]
[…]
Rien de tout cela ne change le caractère distinct de NIL/TU,O à titre d’organisation d’aide à l’enfance pour les communautés autochtones. Mais le fait qu’elle serve ces communautés ne peut lui faire perdre sa nature essentielle d’agence d’aide à l’enfance qui est réglementée à tous égards par la province […] [Non souligné dans l’original.]
[85] Je reviendrai plus tard sur la question relative à la nature des activités d’une organisation.
[86] La juge Abella poursuit en déclarant que, du simple fait de bénéficier de fonds fédéraux, l’exploitation n’est pas réputée être une activité fédérale, citant l’arrêt Four B Manufacturing c. Travailleurs unis du vêtement, [1980] 1 R.C.S. 1031 (arrêt Four B).
[87] La C.A.F. a pris en compte l’arrêt Four B dans l’arrêt Francis c. Le Conseil canadien des relations du travail, [1981] 1 C.F. 225 (C.A.) (l’arrêt Francis). Après avoir abondamment cité l’arrêt Four B, le juge Heald a déclaré [à la page 237] :
Il ressort des motifs précités du juge Beetz que la « compétence fédérale exclusive » en matière de relations de travail vise principalement « les relations de travail relatives aux entreprises, services et affaires qui, compte tenu du critère fonctionnel de la nature de leur exploitation et de leur activité normale, peuvent être qualifiés d’entreprises, de services ou d’affaires de compétence fédérale […] ». Il est donc nécessaire, d’après moi, aux fins de l’application du critère fonctionnel adopté par le juge Beetz, de déterminer la nature du travail exécuté par l’unité d’employés en question. [Non souligné dans l’original.]
[88] Le juge Heald a poursuivi [aux pages 240 et 241] :
D’après les pouvoirs que confère à la bande et à son conseil la Loi sur les Indiens, tel que nous venons de le voir, et d’après la preuve qui a été faite de l’exercice de ces pouvoirs par la bande et son conseil, je suis convaincu que l’unité d’employés en question participe directement à des activités étroitement reliées au statut d’Indien […] Dans son ensemble, l’administration de la bande se rapporte continuellement au statut et aux droits et privilèges des Indiens de la bande. Je suis donc fermement convaincu que les relations de travail en l’espèce font « partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens ou les terres réservées aux Indiens », établissant ainsi la compétence législative fédérale en vertu des dispositions du paragraphe 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867. [Renvoi omis; note en bas de page omise; non souligné dans l’original.]
[89] Le juge Heald a terminé la partie de son analyse en concluant [à la page 243] que le Parlement occupait le champ de compétence se rapportant aux relations de travail en vertu des dispositions du Code canadien du travail et que « l’ouvrage, l’entreprise ou l’affaire » était un ouvrage, une entreprise ou une affaire « “fédéral” », puisque « les activités sont exercées en vertu de la Loi sur les Indiens ».
[90] Le juge Le Dain, dissident en partie, a convenu que les activités exercées étaient des activités qui relèvent de la compétence législative du fédéral en ce qui concerne « Les Indiens et les terres réservées aux Indiens » aux termes du paragraphe 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 et constituent un ouvrage, une entreprise ou une affaire de compétence fédérale au sens des articles 2 et 108 du Code canadien du travail.
[91] Les juges majoritaires de la C.A.F., le juge en chef Thurlow et le juge d’appel Heald, ont rendu une décision sur l’arrêt Francis au motif qu’un conseil de bande d’une Première Nation n’était pas une entité pouvant être reconnue comme un « employeur ». En appel, cette conclusion a été infirmée par la C.S.C. dans l’arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis et autres, [1982] 2 R.C.S. 72, qui a statué qu’un conseil de bande de Première Nation pouvait être reconnu comme employeur. La C.S.C. n’a pas statué sur la conclusion de la C.A.F., tirée séparément par les juges d’appel Heald et Le Dain, selon laquelle l’administration du Conseil et de la Première Nation « se rapporte continuellement au statut et aux droits et privilèges des Indiens de la bande » [à la page 241] et relevait de la compétence fédérale en ce qui concerne « Les Indiens et les terres réservées aux Indiens ».
[92] En appliquant le critère fonctionnel, la C.S.C. dans l’arrêt NIL/TU,O a regardé au-delà des activités habituelles de l’entité pour examiner la raison sous-jacente à la réalisation des activités liées à la protection de l’enfance. Elle décrivait la nature des activités comme étant réglementées par l’exercice des pouvoirs délégués de compétence exclusivement provinciale. Dans l’arrêt Francis, la C.A.F. est également allée au-delà des descriptions des activités pour décider si celles-ci étaient de nature gouvernementale et découlaient de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5].
[93] Dans la décision Nation Munsee-Delaware, le juge LeBlanc de la Cour fédérale a établi qu’un arbitre fédéral avait compétence pour examiner le congédiement injuste d’une employée embauchée pour occuper un poste à l’administration dans les locaux de cette Première Nation. La Cour [au paragraphe 29] s’est appuyée sur la conclusion factuelle tirée par la C.A.F. dans l’arrêt Francis, où le juge Heald, avec l’appui du juge Le Dain, a décrit la fonction des employés de la Première Nation dans cette affaire comme « se rapportant presque exclusivement à l’administration de la bande d’Indiens de Saint-Regis ». L’administration des affaires d’une Première Nation est une activité de gouvernance relevant de la compétence fédérale en ce qui concerne les « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ».
[94] La Cour fédérale a poursuivi en citant la décision Nation Munsee-Delaware, paragraphes 44 et 45 :
Comme c’est le cas en l’espèce, la bande de Saint-Régis s’occupait d’administration scolaire, d’administration de programmes d’aide sociale et de distribution de services de soins de santé, plus précisément de l’administration d’un foyer pour personnes âgées. L’arbitre a estimé que ces activités étaient régies par les lois provinciales et que le travail accompli par Mme Flewelling ne renfermait donc aucun élément susceptible de relever en principe des lois fédérales. La nature fondamentale des « affaires » ou de l’exploitation d’une bande indienne et d’un conseil de bande, auxquelles s’applique la Loi sur les Indiens, comme les dépeignait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Francis, est complètement occultée dans cette analyse.
Je ne suis pas disposé à dire que l’arrêt Francis a été renversé par l’arrêt NIL/TU,O. L’absence de tout examen de ce facteur capital justifie à mon avis l’annulation de la décision de l’arbitre. Autrement dit, compte tenu de l’arrêt Francis, le critère fonctionnel permet d’affirmer que l’administration de la bande de la Nation est une entreprise fédérale au sens du Code. [Non souligné dans l’original.]
[95] Revenons à l’arrêt NIL/TU,O. La juge en chef McLachlin et le juge Fish, concourant quant au résultat, ont émis des opinions divergentes quant au critère à appliquer et ont fait une mise en garde [au paragraphe 59] :
[…] Le critère en deux étapes que propose notre collègue signifierait que la compétence en matière de relations de travail serait dans bien des cas déterminée avant que l’on ait examiné la compétence en vertu du par. 91(24). Avec égards, cette solution anéantit le critère fonctionnel tel que le conçoit la jurisprudence puisque la compétence en matière de relations de travail est tranchée sans que soit examinée la compétence fédérale. Une fois le tribunal convaincu qu’à première vue, les activités normales d’une entreprise semblent de nature provinciale, il n’aurait pas à pousser plus loin l’analyse. [Non souligné dans l’original; italiques dans l’original.]
[96] À mon avis, il convient d’appliquer avec soin le critère fonctionnel énoncé dans l’arrêt Four B pour éviter de confondre simplement la nature des activités en question avec les activités habituelles et l’exploitation quotidienne nécessaires à leur réalisation.
D. Application du critère fonctionnel
[97] Le choix précis des mots de la juge Abella pour faire ressortir le critère fonctionnel dans l’arrêt NIL/TU,O est significatif. Au paragraphe 3, elle a déclaré : « Ce critère requiert l’examen de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité en question afin de déterminer s’il s’agit d’une entreprise fédérale » (non souligné dans l’original). Le mot « nature » n’est pas synonyme d’« activités habituelles et d’exploitation quotidienne ». Il est présenté en premier et a son propre sens distinct et significatif.
[98] « Nature » est définie « comme un ensemble des caractères, des propriétés qui définissent un être, une chose concrète ou abstraite, généralement considérés comme constituant un genre ». Le Petit Robert : Dictionnaire de la langue française, Paris : Le Robert, 2002.
[99] Lorsqu’il est arrivé aux décisions du BSIF, M. James Rogers écrit dans ses lettres du 28 février 2017 adressées à PBCNHS et à NITHA :
[traduction] En appliquant le critère fonctionnel, nous avons examiné les activités habituelles et normales de PBCNHS en nous fondant sur tous les renseignements qui nous ont été fournis et sommes arrivés à la conclusion que la nature des activités de PBCNHS est la fourniture de soins de santé et de services sociaux aux résidents vivant dans la réserve […]
En outre :
[traduction] En appliquant le critère fonctionnel, nous avons examiné les activités habituelles et normales de NITHA en nous fondant sur tous les renseignements qui nous ont été fournis et sommes arrivés à la conclusion que la nature des activités de NITHA est la fourniture de services de santé à ses quatre membres constituants […]
[100] Le libellé de ces lettres laisse croire que le décideur du BSIF a subordonné la « nature » à « des activités normales et habituelles ». Le BSIF commet une erreur en écartant le critère fonctionnel lorsqu’il ne tient pas compte d’une qualité essentielle de l’activité constituant la raison sous-jacente des activités.
[101] Dans la définition de « attendu », le dictionnaire Le Petit Robert indique : « 2. Attendu que : étant donné que ». Le dictionnaire Oxford précise que c’est le cas en particulier dans les préambules juridiques. Ces attendus énoncent des faits qui doivent être pris en considération dans le document et indiquent souvent le contexte donnant lieu à l’accord.
[102] Un examen des annexes jointes aux décisions du BSIF énumérant les dispositions pertinentes des Accords de contribution unifiés visant le financement en matière de santé, conclus respectivement entre le Canada et PBCNHS et NITHA, confirme la limitation des considérations prises en compte dans les décisions du BSIF. Dans les deux cas, M. Rogers ne fait référence qu’à certains « attendus » au début des accords :
[traduction]
A. Eu égard à PBCNHS :
Attendu que le ministre désire fournir du financement à [PBCNHS] conformément aux modalités et conditions du présent accord pour l’exécution de programmes et services de santé […]
Attendu que […] les parties conviennent que le présent accord ne doit pas être constitué de manière à établir ou toucher des droits ancestraux, issus de traités, constitutionnels ou autres ou à déroger ou porter atteinte à de tels droits […] [Soulignement du BSIF.]
B. Eu égard à NITHA :
Attendu que le ministre désire fournir du financement à NITHA bénéficiaire conformément aux modalités et conditions du présent accord pour l’exécution de programmes et services de santé […]
Attendu que le ministre et NITHA conviennent que le présent accord n’a pas pour effet de limiter ou d’élargir les rapports fiduciaires entre Sa Majesté la Reine du chef du Canada et les Premières nations […] [Soulignement du BSIF.]
J’estime que ce point de vue étroit a pour effet de restreindre déraisonnablement l’analyse du critère fonctionnel menée par le BSIF.
[103] Le BSIF ne tient pas compte des dispositions « attendu » suivantes de chacun des accords qui sont importantes pour établir la nature des activités couvertes par les accords. Ces attendus sont les suivants :
[traduction]
A. Eu égard à PBCNHS :
ATTENDU QUE la Couronne a conclu le Traité No 6 avec certaines Premières Nations dans la province de la Saskatchewan.
[…]
ATTENDU QUE, en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, le Canada dispose de pouvoirs législatifs à l’égard des Indiens et des terres réservées aux Indiens.
ATTENDU QU’il existe une relation spéciale entre Sa Majesté, la Couronne et les Premières Nations du Canada.
ATTENDU QUE, dans le cadre de cette relation, le ministre subvient aux besoins des membres des Premières Nations en matière de santé et de sécurité, conformément à la Politique sur la santé des Indiens.
[…]
ATTENDU QUE la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada a été créée avec le mandat d’assurer la santé et la sécurité des membres des Premières Nations.
ATTENDU QUE le ministre a rendu accessible l’initiative axée sur le transfert des services de santé aux Premières Nations et aux Inuits afin qu’ils puissent exercer un contrôle sur les services de santé.
ATTENDU QUE le présent accord n’a pas pour but, et ne doit pas avoir pour effet, de modifier le Traité No 6, et qu’il ne vise pas non plus à créer un nouveau traité au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
B. Eu égard à NITHA :
ATTENDU QUE Sa Majesté la Reine du chef du Canada a conclu les traités nos 5, 6, 8 et 10 avec certaines Premières Nations dans l’actuelle province de la Saskatchewan.
ATTENDU QUE les parties reconnaissent l’importance historique et contemporaine des traités dans les relations entre Sa Majesté la Reine du chef du Canada et la ou les Premières Nations de NITHA.
[104] Les copies des traités nos 5, 6, 8 et 10 et les rapports des commissaires aux traités qui les accompagnent n’ont pas été inclus dans les documents présentés au BSIF. Cependant, ces traités sont mentionnés dans les accords et ne peuvent être laissés de côté en tant que documents historiques importants. Les « attendus » faisant référence aux traités donnent à la nature des accords un contexte et un sens tout autant, voire plus, que les « attendus » que le BSIF a choisi de souligner dans ses décisions.
[105] Je suis fondé à examiner ces traités et les rapports des commissaires aux traités compte tenu d’un précédent de longue date résumé par le juge Lamer de la C.S.C. dans l’arrêt R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S 1025 (l’arrêt Sioui), à la page 1050 qui a écrit :
[…] Je considère que tous les documents auxquels je ferai référence, que mon attention y ait été attirée par l’intervenante ou à la suite de mes recherches personnelles, sont des documents de nature historique sur lesquels je suis autorisé à me fonder en vertu de la notion de connaissance judiciaire. Comme le disait le juge Norris dans White and Bob (à la p. 629) :
[traduction] La cour a le droit « de prendre connaissance d’office des faits historiques passés ou contemporains » comme l’a dit lord du Parcq dans l’arrêt Monarch Steamship Co., Ld. v. Karlshamns Oljefabriker (A/B), [1949] A.C. 196, à la p. 234, [1949] 1 All E.R. 1 à la p. 20, et a le droit de se fonder sur sa propre connaissance de l’histoire et sur ses recherches, Read v. Bishop of Lincoln, [1892] A.C. 644, le lord chancelier Halsbury, aux pp. 652 à 654.
Les documents que je cite nous permettent tous, à mon avis, d’identifier avec plus de précision la réalité historique essentielle à la résolution du présent litige.
[106] En ce qui concerne les traités en question, les traités nos 6, 8 et 10 incluent des promesses de la Couronne en matière de soins de santé.
[107] Le Traité no 6 contient des promesses écrites expresses, y compris ce qui peut être appelé la disposition relative au « buffet à médicaments » :
Traité No 6 – 1876
Que dans le cas où par la suite les Indiens compris dans ce traité seraient visités par la peste ou par une disette générale, la Reine, lorsqu’elle aura reçu un certificat en bonne et due forme de Son agent ou de Ses agents pour les Affaires indiennes accordera tous et tels secours que Son surintendant en chef des Affaires indiennes croira nécessaires et suffisants pour les soulager du fléau qui aura fendu sur eux;
[…]
Qu’il sera tenu un buffet à médicaments au domicile de tout agent des Indiens pour l’usage et l’avantage des Indiens, à la discrétion de tel agent; [Non souligné dans l’original.]
[108] Dans le Traité no 8, les commissaires aux traités ont fait des promesses verbales selon lesquelles la Couronne fédérale fournirait des services de santé :
Rapport des commissaires sur le traité No 8 – 1899
[…] Ils voulaient tous des conditions aussi libérales, sinon plus libérales, que celles accordées aux indiens des plaines. […] Ils demandèrent qu’on leur fournît des médicaments. À Vermillon, Chipewyan et au Débarcadère de Smith, ils demandèrent avec instances les services d’un médecin […]
[…]
Nous fîmes la promesse que des médicaments seraient déposés chez des personnes choisis par le gouvernement à différents endroits, et qu’ils seraient distribués gratuitement aux indiens qui pourraient en avoir besoin. Nous expliquâmes qu’il serait pratiquement impossible pour le gouvernement de fournir des soins de médecins réguliers aux indiens si dispersés sur une si vaste étendue de territoire. Nous leur assurâmes, cependant, que le gouvernement serait toujours prêt à saisir toute occasion de fournir des soins de médecins, juste comme il stipulait que le médecin attaché à la Commission soignerait gratuitement tous les indiens qui auraient besoin de ses services, lorsqu’il passerait à travers le pays. [Non souligné dans l’original.]
[109] Dans le Traité no 10, les commissaires aux traités ont également fait des promesses verbales relativement à des services de santé assurés par la Couronne fédérale :
Rapport du Premier commissaire pour le Traité no 10 – 1907
Ils ont de plus demandé que des médicaments leur fussent fournis, et ils ont fait une demande sérieuse pour avoir un médecin résident.
[…]
Je leur ai promis que des médicaments seraient déposés à divers endroits sous les soins de personnes choisies par le gouvernement, et seraient à ceux des indiens qui pourraient en avoir besoin. Je leur ai démontré qu’il serait pratiquement impossible pour le gouvernement de pourvoir à ce qu’il y eût un médecin résident pour le motif que les indiens sont si largement disséminés sur un aussi vaste territoire; mais je leur ai assuré que le gouvernement serait toujours prêt à profiter de toute occasion qui pourrait se présenter de rendre les services médicaux de même qu’il s’engageait à ce que le médecin attaché à la commission devrait donner gratis ses soins à tous les indiens qui pourraient en avoir besoin. [Non souligné dans l’original.]
[110] Les services de santé ne sont pas mentionnés dans le Traité no 5 ni dans le rapport du commissaire aux traités, bien qu’il soit à souligner que des officiers de santé étaient présents et ont été témoins du traité et de ses adhésions ultérieures.
[111] En passant, je souligne que les commissaires aux traités ont évoqué les difficultés liées à la fourniture d’une aide médicale aux endroits du pays où se trouvaient les Indiens. En conséquence, sur un point connexe et certainement incontesté, je souligne que les traités ci-dessus prévoient tous des réserves indiennes dans lesquelles les Indiens signataires des traités devaient résider.
[112] Je suis convaincu que les traités historiques et les rapports des commissaires aux traités indiquent clairement que la Couronne fédérale s’est engagée à fournir des services de santé aux Indiens vivant dans les réserves indiennes. L’engagement pris par le gouvernement fédéral de fournir des services de santé aux Indiens repose sur les promesses susmentionnées, contenues dans les traités de la Couronne conclus par le gouvernement fédéral, et sur l’assurance de soins médicaux, ainsi que sur la compétence fédérale à l’égard des Indiens vivant dans les réserves indiennes, qui étaient prévues dans les traités.
[113] Les attendus des accords précisent le contexte du transfert convenu aux demandeurs de la prestation de services de santé fédéraux promis lors de la conclusion des traités. Cet engagement fédéral n’est pas simplement le résultat d’une politique récente de dépenses du gouvernement fédéral.
[114] Par conséquent, les accords en matière de santé de PBCNHS et de NITHA ont été conclus afin de permettre aux Premières Nations de prendre en charge la prestation des services de santé fédéraux fournis par le gouvernement fédéral, conformément aux promesses solennelles faites aux Indiens par la Couronne.
[115] Bien que la réglementation provinciale d’application générale s’applique à certains des services de santé dans les réserves, le simple fait que cette loi provinciale soit applicable ne suffit pas à faire en sorte que les demandeurs soient assujettis à la compétence provinciale lorsqu’ils fournissent des services de santé promis par la Couronne fédérale.
[116] À mon avis, le BSIF n’a pas tenu compte de ce facteur essentiel en ce qui concerne la nature des activités des demandeurs dans la prestation des services de santé.
[117] Partant, je suis convaincu que le décideur du BSIF, en appliquant le critère fonctionnel, n’a pas tenu compte, de manière raisonnable, de faits importants afférents à la nature de l’entreprise, à savoir la relation fondée sur les traités entre les Premières Nations et le gouvernement fédéral et, en particulier, la nature fédérale de la prestation de services de santé aux Premières Nations visées par un traité au moment de décider si la prestation de ces services de santé fédéraux par PBCNHS et NITHA constituait ou non une entreprise fédérale.
[118] Je vais accepter la demande de certiorari et annuler les décisions du BSIF du 28 février 2017 relatives aux régimes de retraite de PBCNHS et de NITHA.
E. Demande de jugement déclaratoire
[119] Outre leur demande relative à une ordonnance de certiorari, les demandeurs ont sollicité un redressement supplémentaire, soit une demande, comme ils l’ont mentionné, visant l’obtention :
[traduction] D’un jugement déclaratoire en vertu de l’al. 18(1)a) et/ou de l’al. 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, 2002, c 8, art. 14, selon lequel l’enregistrement de leurs régimes de retraite pour les employés est de compétence fédérale.
[120] Un jugement déclaratoire diffère d’autres ordonnances judiciaires en ce sens qu’il énonce ce qu’est la loi sans ordonner aucune action particulière de la part d’une partie. Les questions qui sont tranchées au moyen d’un jugement déclaratoire ont force de chose jugée entre les parties, et on s’attend à ce que les parties s’y conforment : Assiniboine c. Meeches, 2013 CAF 114 (Assiniboine).
[121] En l’espèce, l’examen de la demande de jugement déclaratoire est approprié étant donné que la question à l’étude a déjà fait l’objet d’un long litige et de nombreuses décisions. Les parties ont engagé des dépenses importantes et ordonner une nouvelle décision pourrait soulever des doutes quant à savoir si la nouvelle décision est prise à nouveau ou si elle constitue simplement une défense à l’égard de décisions précédentes répétées trois fois.
[122] J’avais demandé aux parties de me présenter un historique des services de santé fournis dans les réserves indiennes. Ces renseignements, ainsi que les archives documentaires historiques sur les traités et les rapports des commissaires aux traités examinés ci-dessus, servent de point de départ à un examen de la demande de jugement déclaratoire.
[123] Le gouvernement fédéral est responsable des Indiens et des terres réservées pour les Indiens (paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867). Conformément à cette compétence, la Couronne fédérale est responsable de la conclusion des traités avec les Indiens. Sa Majesté la Reine du chef du Canada est signataire des traités nos 5, 6, 8 et 10 conclus avec les Premières Nations dont les sociétés de prestation de services de santé sont les demandeurs dans la présente instance.
[124] La promesse de services de santé est énoncée expressément dans le Traité no 6. La disposition relative au buffet à médicaments était une promesse de la part de la Couronne fédérale de fournir des services de santé aux Premières Nations parties à un traité. Ainsi, les Premières Nations du Traité no 6 et leurs membres sont en droit d’attendre des services de santé du gouvernement fédéral. À ce stade, il n’est pas nécessaire d’envisager l’étendue ou le mode de prestation de ces services de santé. Il suffit d’observer que les Premières Nations peuvent compter sur le gouvernement fédéral pour que soit tenue la promesse contenue dans le Traité no 6.
[125] Dans les traités no 8 et no 10, les commissaires aux traités ont mentionné que les Indiens avaient demandé à plusieurs reprises des services médicaux. Les commissaires aux traités ont écrit qu’ils avaient promis que les services médicaux seraient fournis par la Couronne fédérale. En effet, les commissaires ont précisé que les officiers de santé qui accompagnaient la partie au traité fournissaient une aide médicale aux Indiens participant aux négociations.
[126] Le Traité no 5 et les rapports des commissaires aux traités correspondants ne contiennent aucune mention des services médicaux, bien qu’il soit à souligner que des médecins militaires étaient présents et ont assisté à la signature du Traité no 5 et aux adhésions ultérieures. Les officiers de santé présents dans les traités nos 6, 8 et 10 ultérieurs ont fourni une aide médicale aux Indiens participant aux pourparlers sur les traités, et il est raisonnable de supposer que les médecins militaires présents au Traité no 5 ont agi de la même manière.
[127] Il convient de comprendre les traités conclus avec les Indiens comme les Indiens les comprendraient. Dans l’arrêt R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, la C.S.C. a déclaré [au paragraphe 55] :
Comme les Indiens concluaient leurs ententes verbalement et transmettaient leur histoire oralement, les promesses verbales faites pour le compte du gouvernement fédéral au moment de la conclusion des traités revêtent une importance considérable pour l’interprétation de ceux-ci. Le Traité no 8 a été conclu en premier avec les Indiens de la région du Petit lac des Esclaves. Les commissaires se déplacèrent ensuite pour aller rencontrer de nombreuses autres bandes de la région en vue d’obtenir leur adhésion au Traité. Certaines promesses verbales ont été faites à la bande du Petit lac des Esclaves et aux autres signataires du Traité, et ces promesses ont été consignées dans les rapports des commissaires, dans des affidavits faits à la même époque et dans des journaux tenus par des interprètes et autres représentants du gouvernement ayant participé aux négociations. [Non souligné dans l’original.]
[128] Je m’interromps ici pour souligner que je ne vais pas trancher la question de savoir si les services de santé sont un droit issu de traités, car je n’ai pas besoin d’aller aussi loin. Je dois plutôt évaluer si la fourniture de services de santé aux Indiens vivant dans les réserves peut être considérée comme une entreprise fédérale, et plus précisément si le gouvernement fédéral s’est engagé à fournir des services de santé aux membres des Premières Nations des demandeurs, conformément aux promesses de la Couronne fédérale au moment de la conclusion du traité.
[129] Les promesses de traités de la Couronne fédérale et les assurances de services de santé n’étaient pas simplement des promesses transitoires ou vaines, pas plus qu’elles ne visaient uniquement les bénéficiaires spécifiques de chaque traité. Les éléments de preuve fournis dans le document intitulé « Supplementary Historical Information on the Provision of Medical Services by the Federal Crown to the Applicants » (renseignements historiques supplémentaires sur la fourniture de services médicaux par la Couronne fédérale aux demandeurs) sont résumés :
[traduction] Le rapport suivant utilise et reproduit des extraits des pages des Dominion of Canada Annual Reports of the Department of Indian Affairs [rapports annuels du département des Affaires des Sauvages, Dominion du Canada] datant de 1891 à 1918, qui documentent les services de santé effectivement fournis par des médecins ou des officiers de santé aux 11 Premières Nations du Grand conseil de Prince Albert, à la Bande indienne de Lac La Ronge, à la Nation crie Peter Ballantyne; ainsi qu’aux neuf Premières Nations du Conseil tribal de Meadow Lake, dans le nord de la Saskatchewan.
Ces rapports ont été rédigés à l’origine par des commissaires aux traités, des inspecteurs des traités, des inspecteurs des agences indiennes ou des agents des Indiens du département des Affaires des Sauvages [à l’époque], qui étaient présents avec des médecins et des officiers de santé lors de visites chez les Premières Nations ou qui ont documenté les services médicaux fédéraux fournis par les divers médecins ou officiers médicaux de l’époque ou l’état de santé de chaque Première nation de l’époque et les services médicaux fournis pour soulager la maladie parmi les Premières Nations.
En outre, le rapport se termine par cinq rapports généraux résumant des rapports documentés sur les services de santé pour les Indiens au Canada et en Saskatchewan, tirés des documents suivants : Dominion of Canada Annual Reports of the Department of Indian Affairs 1922 [rapport annuel du département des Affaires des Sauvages, Dominion du Canada, 1922]; Report of the Superintendent General 1923 [rapport du surintendant général, 1923]; Canada Department of Mines and Resources-Indian Affairs Branch 1940, 1947 [ministère des Mines et des Ressources du Canada, Direction des affaires indiennes, 1940, 1947]; et Canada-Department of Citizenship and Immigration-Indian Affairs Branch 1954 [ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada, Direction des affaires indiennes, 1954].
[130] Je n’ai pas besoin d’entrer dans les détails des renseignements supplémentaires, sauf pour souligner que la fourniture de services de santé par le gouvernement fédéral aux membres des Premières Nations des demandeurs est établie de longue date, remontant à l’époque de l’élaboration des traités nos 5, 6, 8 et 10, et est conforme aux promesses verbales et aux traités de la Couronne fédérale visant à fournir des services de santé aux membres des Premières Nations des demandeurs.
[131] J’estime que l’engagement pris par le gouvernement fédéral de fournir des services de santé aux Indiens vivant dans les réserves indiennes va au-delà des promesses contenues dans les traités. Le relevé historique montre que le gouvernement fédéral a fourni des services de santé aux Premières Nations du Traité no 5 et à leurs membres, même si aucune promesse de ce genre n’a été consignée dans le Traité no 5.
[132] De plus, les renseignements historiques montrent que le gouvernement fédéral fournit des services de santé à toutes les Premières Nations et à leurs membres depuis longtemps. Les demandeurs ont fait valoir que l’engagement fédéral consiste à assumer la responsabilité fédérale de fournir des services de santé à toutes les Premières Nations. Le rapport du département des Affaires des Sauvages de 1923 en témoigne :
[traduction]
SURVEILLANCE DE LA SANTÉ
La santé des Indiens a été normale dans le passé. Le département fournit des soins médicaux aux bandes indiennes dans toutes les régions du Dominion, et tout est mis en œuvre pour préserver et améliorer le bien-être physique des races autochtones. [Non souligné dans l’original.]
[133] Je conclus, à partir du document de traité historique et des éléments de preuve supplémentaires, que la fourniture de services de santé aux Indiens est un engagement fédéral, vieux de cent ans, pris en partie, à tout le moins, en conformité avec la relation fondée sur le traité conclu entre les Premières Nations des demandeurs et le gouvernement fédéral.
[134] En ce qui concerne les accords entre les demandeurs et le gouvernement fédéral, les « attendus » indiquent clairement que les services de santé faisant l’objet des accords sont des services de santé que le gouvernement fédéral s’était engagé à fournir aux Premières Nations. Les services de santé doivent maintenant être fournis par les demandeurs en tant que société de prestation choisie par les Premières Nations.
[135] Si l’on applique le critère fonctionnel, la nature des activités des demandeurs est la prestation de services de santé qui correspondent à l’engagement pris par le gouvernement fédéral de fournir des services de santé aux Premières Nations et à leurs membres dans les réserves indiennes. Cette entreprise relève de la compétence fédérale en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui comprend la conduite des affaires connexes dans les réserves indiennes qui concernent les Indiens et leurs droits en tant qu’Indiens, ainsi que la conclusion de traités.
[136] Dans l’arrêt NIL/TU,O, la juge en chef McLachlin et le juge Fish ont fait référence à l’arrêt Four B au paragraphe 64, où il a été conclu que « le caractère indien d’une entreprise et son impact économique sur la collectivité étaient insuffisants pour que cette entreprise soit considérée comme une entreprise fédérale et pour qu’elle relève du contenu essentiel que protège le par. 91(24) ». La juge en chef a ensuite fait remarquer [au paragraphe 65] :
Dans cet extrait, le renvoi à l’arrêt Four B est simplement une déclaration factuelle quant à la conclusion tirée dans cet arrêt. Cela ne signifie pas que les entreprises ou les affaires des Indiens ne peuvent jamais relever du gouvernement fédéral et être régies par les lois ouvrières fédérales. [Non souligné dans l’original.]
Contrairement à la majorité, après avoir analysé l’arrêt Four B et d’autres cas, ils ont ensuite abordé le revers de la médaille en déclarant [au paragraphe 70] :
Nous pouvons donc conclure que le contenu essentiel, ou le « contenu minimum élémentaire et irréductible » de la compétence fédérale sur les « Indiens » au par. 91(24) est défini comme les matières qui sont liées au statut et aux droits des Indiens. Lorsque leur statut ou leurs droits sont concernés, les Indiens sont des « personnes » fédérales, réglementées par les lois fédérales : (renvoi omis). [Italiques dans l’original.]
[137] Le contenu essentiel du paragraphe 91(24) comprend les droits des Indiens découlant de l’exercice de la compétence fédérale. Dans la présente demande, la prestation des services de santé dans les réserves indiennes par le gouvernement fédéral est étroitement liée aux droits des Indiens dont les Premières Nations ont conclu un traité en s’appuyant sur les promesses des traités et les assurances verbales qui leur ont été faites par la Couronne fédérale.
[138] Les Premières Nations des demandeurs et leurs membres ont le droit de s’attendre à ce que le gouvernement fédéral respecte ses promesses de traités et ses assurances verbales de fournir des services de santé. Changer la compétence à l’égard de cette prestation pour en faire une compétence provinciale est un abandon inadmissible des promesses de traités et des assurances du gouvernement fédéral de fournir des services de santé. Les accords maintiennent la relation fondée sur le traité qui est explicitement énoncée dans les attendus qui déclarent que les accords ne modifient ni le traité ni les droits fiduciaires des Premières Nations. Ces droits perdurent nonobstant le changement de mode de prestation des services de santé.
[139] À mon avis, la nature des services de santé actuellement fournis par les demandeurs correspond aux services de santé promis dans un traité et concrétisés dans le cadre de l’engagement pris par le gouvernement fédéral, depuis un siècle, de fournir des services de santé dans le respect de sa relation fondée sur le traité avec les Premières Nations des demandeurs.
[140] Comme l’a souligné la C.S.C. dans l’arrêt NIL/TU,O, l’entité qui exerce l’activité ne change pas la nature de l’activité qui demeure l’élément central du critère fonctionnel à appliquer. Ici, le fait que PBCNHS et NITHA soient des entreprises provinciales sans but lucratif ne modifie pas la nature fondamentale des activités réalisées. L’activité reste une entreprise fédérale visant à fournir des services de santé aux Premières Nations visées par un traité, conformément aux promesses faites au moment de la conclusion du traité par le gouvernement fédéral, et que celui-ci a honorablement respectées depuis plus d’un siècle.
[141] Je ne vois pas cela comme un cas de fédéralisme coopératif au sens de l’arrêt NIL/TU,O bien que cela corresponde à la même approche consistant à offrir des services de santé plus avantageux en assurant la prestation de ces services par les entreprises des Premières Nations des demandeurs. Contrairement à l’arrêt NIL/TU,O, le gouvernement provincial de la Saskatchewan n’est pas partie aux accords, et il n’y a pas de délégation de pouvoir en matière de santé aux demandeurs. La prestation de services de santé est une entreprise fédérale dont la nature ne change pas, car le gouvernement fédéral a adopté une prestation plus avantageuse de ces services, en accord avec les Premières Nations et leurs personnes morales dispensant des services de santé.
[142] J’estime que le processus d’administration, de fourniture et de prestation de services de santé pour membres indiens des Premières Nations des demandeurs vivant dans les réserves en vertu des accords conclus entre le gouvernement fédéral et les demandeurs, PBCNHS et NITHA, constitue une entreprise fédérale relevant de la définition donnée à l’alinéa 4(4)(i) de la LNPP.
[143] Je ne vois aucun avantage à renvoyer l’affaire au décideur pour les motifs déjà exposés. Je vais accorder le jugement déclaratoire sollicité.
F. Prolongation du délai
[144] L’avis relatif à une demande a été déposé cinq mois après que les décisions ont été prises et vraisemblablement communiquées. En vertu de la Loi sur les Cours fédérales, un avis relatif à une demande doit être présenté dans les 30 jours qui suivent la première communication de la décision ou autrement dans un délai fixé par un juge de la Cour fédérale (paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales). J’ai soulevé cette question lors de l’audition de la demande, et on m’a dit qu’il y avait une ordonnance sur consentement prolongeant le délai; cependant, pour lever tout doute, je vais aborder la question.
[145] Le critère à utiliser pour accorder une prolongation consiste à déterminer s’il existait une intention constante de poursuivre la demande, si la demande avait un fondement, si le défendeur a subi un préjudice en raison du retard et si une explication raisonnable justifie le retard (arrêt Canada (Procureur général) c. Larkman, 2012 CAF 204, aux paragraphes 61 et 62).
[146] Cette question revêt manifestement une importance pour les parties, et la demande de contrôle judiciaire faisait partie d’un accord visant à soumettre à nouveau la demande au BSIF afin qu’une décision puisse être suivie d’une demande de contrôle judiciaire si les nouvelles décisions étaient contestées.
[147] Je suis convaincu que la Cour devrait confirmer une prorogation de délai jusqu’à la date de dépôt en ce qui concerne l’avis relatif à une demande.
VII. Conclusion
[148] J’estime que les décisions du BSIF ne satisfont pas à la norme de contrôle requise. J’estime qu’il est approprié d’accéder à la demande de certiorari des demandeurs et d’ordonner l’annulation des décisions du BSIF du 28 février 2017 concernant PBCNHS et NITHA.
[149] Je suis convaincu que les services de santé fournis auparavant par le gouvernement fédéral et désormais administrés par les demandeurs sont des entreprises fédérales de compétence fédérale et je ferai droit à la demande de jugement déclaratoire à cet effet.
[150] J’ordonne que le délai de dépôt de l’avis relatif à une demande soit prolongé jusqu’à la date de dépôt.
[151] Les dépens sont adjugés aux demandeurs.
Jugement dans le dossier T-1315-17
LA COUR STATUE que :
1. Il est fait droit à la demande de certiorari des demandeurs, et les décisions du BSIF relatives au PBCNHS et au NITHA sont annulées.
2. Je déclare que les services de santé dispensés antérieurement par le gouvernement fédéral et maintenant dispensés par les demandeurs sont une entreprise fédérale de compétence fédérale en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et relèvent de l’acception de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.
3. Le délai de dépôt de l’avis relatif à une demande est prolongé jusqu’à la date de dépôt.
4. Les dépens sont adjugés aux demandeurs.