A-245-16
2017 CAF 207
Univar Holdco Canada ULC (appelante)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
Répertorié : Univar Holdco Canada ULC c. Canada
Cour d’appel fédérale, juges Pelletier, Webb et Near, J.C.A.—Toronto, 10 mai; Ottawa, 13 octobre 2017.
Impôt sur le revenu — Évitement fiscal — Appel d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel formé par l’appelante à l’égard de la nouvelle cotisation fondée sur l’application de la règle générale anti-évitement (RGAE) prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) à certaines opérations effectuées en 2007 — L’appelante a acquis une société (y compris Univar Canada Ltée) dans le cadre de nombreuses opérations — La somme du capital versé (CV) des actions et d’un billet (souscrit par l’appelante et détenu par la société mère américaine de cette dernière) équivalait à la juste valeur marchande des actions d’Univar Canada — Les parties aux opérations se sont fondées sur l’article XIII de la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune pour justifier l’exemption de taxation au Canada des gains en capital provenant des opérations et sur l’exception prévue à l’art. 212.1(4) de la LIR pour éviter le dividende qui aurait autrement été réputé avoir été versé, par application de l’art. 212.1(1) de la LIR — La Cour de l’impôt a examiné les modifications proposées en 2016 (qui ont modifié le libellé de l’art. 212.1(4)) et conclu que l’opération d’évitement constituait une application abusive de la LIR — Elle a rejeté l’argument de l’appelante qui soutenait que, même si les opérations avaient été structurées différemment (les autres opérations possibles), l’appelante aurait pu atteindre les mêmes résultats n’eût été l’application de la RGAE — Il s’agissait de savoir si l’opération d’évitement effectuée par l’appelante était abusive — Les autres opérations possibles constituaient un élément pertinent pour décider s’il y a eu abus dans l’application des dispositions de la LIR — L’art. 212.1 de la LIR n’avait pas pour objet d’empêcher la partie sans lien de dépendance qui fait l’acquisition d’une société canadienne de retirer du Canada le surplus que celle-ci avait accumulé avant l’acquisition du contrôle — En l’espèce, les opérations effectuées ont permis à l’acheteur de retirer du Canada le surplus accumulé par Univar Canada avant d’acquérir le contrôle de cette société — L’opération d’évitement devait faire partie d’une série d’opérations grâce à laquelle le contrôle d’Univar Canada aurait été acquis indirectement dans le cadre d’une opération entre parties sans lien de dépendance — Que le surplus de la société canadienne ait été retiré au moyen des autres opérations possibles ou au moyen des opérations qui ont été effectuées en l’espèce, le surplus retiré du Canada aurait été le même — Ces opérations ne sont pas allées à l’encontre de l’objet de l’art. 212.1 de la LIR tel qu’il était libellé en 2007 — Les modifications de 2016 ne pouvaient pas servir de fondement pour conclure que l’opération d’évitement était abusive — L’affaire a été renvoyée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la RGAE ne s’appliquait pas — Appel accueilli.
Il s’agissait d’un appel d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel formé par l’appelante à l’égard de la nouvelle cotisation fondée sur l’application de la règle générale anti-évitement (RGAE) prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) à certaines opérations effectuées en 2007.
Univar NV, une société ouverte des Pays-Bas, a été acquise par CVC Capital Properties (CVC) en 2007. Univar Canada Ltée (Univar Canada) était l’une des sociétés qui faisaient partie du groupe de sociétés Univar NV. Univar Canada revêtait un intérêt particulier pour l’acheteur en raison du surplus important qu’elle avait accumulé. De nombreuses opérations ont été effectuées et ont résulté en l’acquisition d’Univar Canada par l’appelante. La somme du capital versé (CV) des actions et d’un billet (souscrit par l’appelante et détenu par la société mère américaine de cette dernière) équivalait à la juste valeur marchande des actions d’Univar Canada. Les parties aux opérations se sont fondées sur l’article XIII de la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune pour justifier l’exemption de taxation au Canada des gains en capital provenant des opérations et sur l’exception prévue au paragraphe 212.1(4) de la LIR pour éviter le dividende qui aurait autrement été réputé avoir été versé, par application du paragraphe 212.1(1) de la LIR, au moment où les actions d’Univar Canada ont été transférées par son actionnaire américain à l’appelante. Dans le cadre des opérations, le groupe de sociétés a été réorganisé afin que les conditions figurant à l’article 212.1(4) de la LIR soient réunies. Cette réorganisation a fait en sorte que l’actionnaire américain d’Univar Canada était dorénavant la propriété de l’appelante immédiatement avant que les actions d’Univar Canada soient transférées à l’appelante. La Cour de l’impôt a examiné les modifications proposées en 2016 (qui ont depuis été mises en œuvre) et conclu que l’opération d’évitement constituait une application abusive de la LIR. Les modifications apportées en 2016 ont changé le libellé du paragraphe 212.1(4) applicable aux dispositions effectuées après le 21 mars 2016. En raison de ces modifications, l’exception prévue au paragraphe 212.1(4) de la LIR n’était plus envisageable dans les circonstances de l’espèce. La Cour de l’impôt a aussi rejeté l’argument de l’appelante qui soutenait que, même si les opérations avaient été structurées différemment (les autres opérations possibles), l’appelante aurait pu atteindre les mêmes résultats n’eût été l’application de la RGAE.
Il s’agissait de savoir si l’opération d’évitement effectuée par l’appelante était abusive.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
Les opérations ne sont pas allées à l’encontre de l’objet de l’article 212.1 de la LIR. L’article 212.1 de la LIR a été adopté pour éviter qu’une personne non résidente puisse indirectement retirer hors du Canada le surplus d’une société canadienne lors d’une opération entre parties ayant un lien de dépendance. Toutefois, l’article 212.1 de la LIR ne s’applique pas à toutes les opérations. Il n’est notamment pas applicable si les actions d’une société canadienne sont vendues à un acheteur avec lequel cette société n’a pas de lien de dépendance. Par conséquent, une personne non résidente qui possède des actions d’une société canadienne qui dispose d’un surplus accumulé peut vendre ces actions à toute société canadienne avec laquelle le vendeur n’a pas de lien de dépendance et réaliser un gain en capital. La Cour de l’impôt n’a pas tenu compte des autres opérations possibles de l’appelante parce qu’il ne s’agissait pas des opérations qui avaient été exécutées. Elle a appuyé son jugement sur l’arrêt Friedberg c. Canada. Cette affaire ne se rapportait toutefois pas à la RGAE. Les autres opérations possibles dans la présente affaire constituaient un élément pertinent pour décider s’il y a eu abus dans l’application des dispositions de la LIR. La capacité du contribuable de démontrer qu’ils auraient pu accomplir le même résultat sans assujettissement à l’impôt en effectuant d’autres opérations constitue un élément qui permet de décider si l’opération d’évitement était abusive. La première étape qui permet de savoir si l’opération d’évitement était abusive consiste à déterminer l’objet et l’esprit des dispositions générant un avantage fiscal. Le libellé de l’article 212.1 et les autres opérations possibles démontrent qu’il existe clairement une distinction entre une vente d’actions entre parties sans lien de dépendance et une vente d’actions entre parties qui ont un tel lien. L’article 212.1 de la LIR n’avait pas pour objet d’empêcher la partie sans lien de dépendance qui fait l’acquisition d’une société canadienne de retirer du Canada le surplus que celle-ci avait accumulé avant l’acquisition du contrôle. En l’espèce, les opérations effectuées ont permis à l’acheteur d’Univar NV de retirer du Canada le surplus accumulé par Univar Canada avant d’acquérir le contrôle de cette société. Les actions d’Univar NV ont été acquises lors d’une opération entre parties sans lien de dépendance et, au moment où elles l’ont été, l’opération d’évitement a été envisagée. Par conséquent, l’opération d’évitement devait faire partie d’une série d’opérations grâce à laquelle le contrôle d’Univar Canada aurait été acquis indirectement dans le cadre d’une opération entre parties sans lien de dépendance. Que le surplus de la société canadienne ait été retiré au moyen des autres opérations possibles ou au moyen des opérations qui ont été effectuées en l’espèce, le surplus retiré du Canada aurait été le même. Par conséquent, ces opérations ne sont pas allées à l’encontre de l’objet de l’article 212.1 de la LIR tel qu’il était libellé en 2007. Les modifications de 2016 ont été apportées environ neuf ans après que les opérations ont été effectuées. Elles ne pouvaient pas servir de fondement pour conclure que l’opération d’évitement était abusive. L’affaire a été renvoyée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la RGAE ne s’appliquait pas aux opérations effectuées en l’espèce.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 82, 84(4), 84.1, 87, 88, 112, 212–218.1, 245(3),(4).
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, [1984] R.T. Can. no 15, art. XIII.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISION APPLIQUÉE :
Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721.
DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :
Friedberg c. Canada, [1991] A.C.F. no 1255 (QL) (C.A.); Water’s Edge Village Estates (Phase II) Ltd. c. Canada, 2002 CAF 291, [2003] 2 C.F. 25.
DÉCISION CITÉE :
Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601.
APPEL d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt (2016 CCI 159) a rejeté l’appel formé par l’appelante à l’égard de l’application de la règle générale anti-évitement prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu à certaines opérations effectuées en 2007. Appel accueilli.
ONT COMPARU :
Matthew G. Williams et Michael W. Colborne pour l’appelante.
Ronald MacPhee et Vincent Bourgeois pour l’intimée.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Thorsteinssons LLP, Toronto, pour l’appelante.
La sous-procureure générale du Canada pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Webb, J.C.A. : Le présent appel découle de l’application de la règle générale anti-évitement (RGAE) prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (LIR), à certaines opérations effectuées en 2007. N’eût été cette disposition, une personne non résidente aurait pu, immédiatement après avoir acquis le contrôle d’une société canadienne en l’absence d’un lien de dépendance, extraire les surplus de cette société (qui s’étaient accumulés avant l’acquisition du contrôle) sans créer de dividende en application de l’article 212.1 de la LIR. La juge de la Cour de l’impôt a rejeté l’appel formé par Univar Holdco Canada ULC à l’égard de la nouvelle cotisation fondée sur l’application de la RGAE (2016 CCI 159).
[2] Pour les motifs exposés ci-après, j’accueillerais l’appel.
I. Contexte
[3] En 2007, Univar NV était une société ouverte des Pays-Bas qui exploitait une entreprise mondiale se spécialisant dans l’acquisition de produits chimiques en gros ou en vrac et de leur traitement, mélange et conditionnement en vue de leur vente. Elle exploitait cette entreprise dans plusieurs pays, dont le Canada. CVC Capital Properties (CVC) a fait une offre en vue d’acquérir les actions d’Univar NV. L’offre de CVC était conditionnelle à son acquisition d’au moins 95 p. 100 des actions en circulation d’Univar NV et à son obtention des approbations réglementaires nécessaires. CVC a reçu les approbations et, en fin de compte, a acquis 99,4 p. 100 des actions d’Univar NV.
[4] Univar Canada Ltée (Univar Canada) était l’une des sociétés qui faisaient partie du groupe de sociétés Univar NV. Univar Canada revêtait un intérêt particulier pour l’acheteur en raison du surplus important qu’elle avait accumulé. Au moment où CVC a fait l’acquisition d’Univar NV, toutes les actions d’Univar Canada étaient détenues par Univar North American Corporation, une société américaine (UNAC (U.S.)). Le prix de base rajusté (PBR) des actions d’Univar Canada était de 10 000 $, leur capital versé (CV) était d’environ 911 729 $ et leur juste valeur marchande (JVM) était d’environ 889 000 000 $.
[5] Lorsque CVC a acquis les actions d’Univar NV, le PBR et le CV sont demeurés inchangés. Aux paragraphes 27 à 41 de ses motifs, la juge de la Cour de l’impôt relate les nombreuses opérations qui ont été effectuées et qui ont résulté en l’acquisition d’Univar Canada par Univar Holdco Canada ULC. Cette dernière a été constituée en société dans le cadre de ces opérations. La société mère américaine d’Univar Holdco Canada ULC possédait un billet à ordre de 589 262 400 $ souscrit par l’appelante, et le CV des actions d’Univar Holdco Canada ULC s’élevait à 302 436 000 $. Par conséquent, la somme du CV des actions et du billet détenu par la société mère américaine équivalait à la JVM des actions d’Univar Canada.
[6] Le montant du billet souscrit par la société canadienne à l’ordre de sa société mère américaine et le CV des actions de la société canadienne que possédait la société mère américaine avant et après les opérations étaient les suivants :
En blanc |
Avant |
Après |
Billet : |
0 $ |
589 262 400 $ |
CV : |
911 729 $ |
302 436 000 $ |
Total : |
911 729 $ |
891 698 400 $ |
[7] Avant les opérations, le montant qui pouvait être retiré par la société mère américaine sans payer l’impôt de la partie XIII au Canada s’élevait à 911 729 $. Après les opérations, ce montant avait substantiellement augmenté pour atteindre 891 698 400 $.
[8] Les parties aux opérations se fondaient sur l’article XIII de la Convention fiscale de 1980 entre le Canada et les États-Unis d’Amérique [Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, [1984] R.T. Can. no 15] pour justifier l’exemption de taxation au Canada des gains en capital provenant des opérations. Elles se fondaient aussi sur l’exception prévue au paragraphe 212.1(4) de la LIR pour éviter le dividende qui aurait autrement été réputé avoir été versé, par application du paragraphe 212.1(1) de la LIR, au moment où les actions d’Univar Canada ont été transférées par son actionnaire américain à Univar Holdco Canada ULC. Dans le cadre des opérations, le groupe de sociétés a été réorganisé afin que les conditions figurant à l’article 212.1(4) de la LIR soient réunies. Cette réorganisation a fait en sorte que l’actionnaire américain d’Univar Canada était dorénavant la propriété d’Univar Holdco Canada ULC, et ce, immédiatement avant que les actions d’Univar Canada soient transférées à Univar Canada Holdco ULC. Le problème lié à la RGAE concernait la structuration des opérations permettant de satisfaire aux conditions du paragraphe 212.1(4) de la LIR.
[9] Le contribuable a reconnu qu’il y avait un avantage fiscal à éviter l’impôt prévu à la partie XIII qui aurait dû être payé n’eût été l’exception prévue au paragraphe 212.1(4) et qu’il y avait eu opération d’évitement au sens du paragraphe 245(3) de la LIR. La seule question qui se posait était celle de savoir si l’opération d’évitement était abusive (paragraphe 245(4) de la LIR : Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721 (Copthorne), au paragraphe 33).
[10] Pour cerner le contexte et l’objet de l’article 212.1 de la LIR, la juge de la Cour de l’impôt a comparé les articles 212.1 et 84.1 et a passé en revue les notes publiées par le ministère des Finances. Elle a en outre examiné les modifications proposées dans le budget de 2016 (qui a depuis été mis en œuvre) et conclu que l’opération d’évitement constituait à son avis une application abusive de la LIR. Les modifications apportées en 2016 ont changé le libellé du paragraphe 212.1(4) de la LIR applicable aux dispositions effectuées après le 21 mars 2016. En raison de ces modifications, l’exception prévue au paragraphe 212.1(4) de la LIR n’était plus envisageable dans les circonstances de l’espèce.
[11] La juge de la Cour de l’impôt a aussi rejeté l’argument du contribuable qui soutenait que, même si les opérations avaient été structurées différemment, il aurait pu atteindre les mêmes résultats. En réponse à cet argument, la juge a simplement fait remarquer au paragraphe 106 de ses motifs que le contribuable « n’a[vait] pas mis en œuvre cette autre structure possible et, en droit fiscal, la forme a de l’importance » (citant Friedberg c. Canada, [1991] A.C.F. no 1255 (QL) (C.A.) (Friedberg), au paragraphe 5).
II. Question en litige
[12] La question en litige dans le présent appel consiste à décider si l’opération d’évitement était abusive.
III. Dispositions pertinentes de la LIR
[13] Comme le fait remarquer la juge de la Cour de l’impôt au paragraphe 56 de ses motifs, c’est l’article 212.1 de la LIR qui aurait fait l’objet d’une application abusive. Les parties pertinentes de l’article 212.1 sont les paragraphes (1) et (4), qui, en 2007, étaient rédigées ainsi :
212.1 (1) Si une personne non-résidente, une société de personnes désignée ou une société de placement appartenant à des non-résidents (appelées « non-résident » au présent article) dispose d’actions (appelées « actions en cause » au présent article) d’une catégorie du capital-actions d’une société résidant au Canada (appelée « société en cause » au présent article) en faveur d’une autre société résidant au Canada (appelée « acheteur » au présent article) avec laquelle le non-résident a un lien de dépendance — autrement qu’en vertu d’un droit visé à l’alinéa 251(5)b) — et si, immédiatement après la disposition, la société en cause est rattachée (au sens du paragraphe 186(4), à supposer que les termes « société payante » et « société donnée » y soient remplacés respectivement par « société en cause » et « acheteur ») à l’acheteur, les règles suivantes s’appliquent :
a) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande de la contrepartie — sauf la contrepartie qui consiste en actions du capital-actions de l’acheteur — que le non-résident reçoit de l’acheteur pour les actions en cause sur le capital versé au titre des actions en cause immédiatement avant la disposition, est réputé être, pour l’application de la présente loi, un dividende versé au moment de la disposition par l’acheteur au non-résident et reçu, à ce moment, par le non-résident de l’acheteur;
b) dans le calcul du capital versé, à un moment donné après le 31 mars 1977, d’une catégorie donnée d’actions du capital-actions de l’acheteur, il faut déduire le produit de la multiplication de l’excédent éventuel du montant de l’augmentation, à la suite de la disposition, dans le capital versé, calculé compte non tenu du présent article tel qu’il s’applique à la disposition, à l’égard de toutes les actions du capital-actions de l’acheteur sur l’excédent du montant visé au sous-alinéa (i) sur le montant visé au sous-alinéa (ii) :
(i) le capital versé à l’égard des actions en cause immédiatement avant la disposition,
(ii) la juste valeur marchande de la contrepartie visée à l’alinéa a),
par le rapport entre l’augmentation, à la suite de la disposition, dans le capital versé, calculé compte non tenu du présent article tel qu’il s’applique à la disposition, à l’égard de la catégorie donnée d’actions, et l’augmentation, à la suite de la disposition, dans le capital versé, calculé compte non tenu du présent article tel qu’il s’applique à la disposition, à l’égard de toutes les actions émises du capital-actions de l’acheteur.
[…]
(4) Malgré le paragraphe (1), le présent article ne s’applique pas aux dispositions, faites par une société non-résidente, d’actions de la société en cause en faveur de l’acheteur qui, immédiatement avant la disposition, contrôlait la société non-résidente. [Non souligné dans l’original.]
IV. Analyse
[14] La partie XIII de la LIR (articles 212 à 218.1) prévoit un impôt sur certains types de revenus versés à une personne non résidente, ou portés à son crédit, par une personne qui réside au Canada. En particulier, le paragraphe 212(2) prévoit que toute personne non résidente paie un impôt sur tout dividende qu’une société résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit (ou est réputée lui payer ou porter à son crédit). Les gains en capital réalisés par une personne non résidente lors de la disposition d’actions d’une société canadienne pourraient être exonérés d’impôt en raison d’une convention fiscale entre le Canada et le pays où la personne non résidente habite. Par exemple, l’article XIII de la Convention fiscale de 1980 entre le Canada et les États-Unis d’Amérique prévoit une exonération d’impôt au Canada sur tout gain en capital réalisé par un résident des États-Unis lors de la disposition d’actions d’une société canadienne, à condition que la valeur des actions ne soit pas principalement tirée de biens immeubles situés au Canada.
[15] Les résidents d’un pays avec lequel le Canada a conclu une convention fiscale qui prévoit une exonération de l’impôt canadien sur les gains en capital préféreraient, afin d’éviter la retenue d’impôt sur les dividendes prévue par la LIR, réaliser des gains en capital plutôt que de recevoir un dividende. L’article 212.1 de la LIR a été adopté pour éviter qu’une personne non résidente puisse indirectement retirer hors du Canada le surplus d’une société canadienne (la société cible) lors d’une opération entre parties ayant un lien de dépendance. Dans une telle situation, le surplus accumulé consisterait en l’actif net (l’actif moins le passif) en excédent du CV des actions. En l’absence de l’article 212.1 de la LIR, une personne non résidente pourrait vendre les actions de la société cible à une autre société canadienne (avec laquelle le vendeur a un lien de dépendance) en échange d’une contrepartie autre qu’en actions et réaliser un gain en capital qui ne serait pas assujetti à l’impôt au Canada en raison d’une convention fiscale applicable. L’article 212.1 de la LIR transformerait toutefois ce qui aurait autrement été un gain en capital en dividende réputé, dans la mesure où le montant versé dépasse le CV des actions qui sont transférées.
[16] L’article 212.1 de la LIR ne s’applique pas à toutes les opérations. Il n’est notamment pas applicable si les actions d’une société canadienne sont vendues à un acheteur avec lequel cette société n’a pas de lien de dépendance. Par conséquent, une personne non résidente qui possède des actions d’une société canadienne qui dispose d’un surplus accumulé peut vendre ces actions à toute société canadienne avec laquelle le vendeur n’a pas de lien de dépendance et réaliser un gain en capital. Si une convention fiscale applicable prévoit une exemption à l’égard du gain en capital lors de la vente des actions, le vendeur ne serait pas tenu de payer l’impôt au Canada relativement à cette opération. Par conséquent, le vendeur pourrait retirer indirectement le surplus accumulé d’une société canadienne en vendant ses actions à un acheteur avec lequel il n’aurait pas de lien de dépendance.
[17] Le contribuable soutient que, dans le contexte d’une vente d’actions entre parties sans lien de dépendance, n’eût été l’application de la RGAE, les opérations suivantes auraient pu être effectuées pour parvenir au même résultat que celui qui a été obtenu en l’espèce. Une société américaine appartenant à l’acheteur (qui n’aurait pas de lien de dépendance avec Univar NV et ses filiales) aurait pu créer une société canadienne (AcquisitionCo) et lui avancer un montant équivalant au billet en cause dans la présente affaire (589 262 400 $) et lui fournir un apport en capital d’un montant équivalant au CV des actions en cause en l’espèce (302 436 000 $). AcquisitionCo aurait ensuite pu utiliser les fonds ainsi obtenus pour acheter les actions d’Univar Canada auprès d’UNAC (U.S.). Le vendeur aurait ainsi réalisé un gain en capital, parce que les actions auraient été vendues à un acheteur avec lequel il n’avait aucun lien de dépendance.
[18] AcquisitionCo aurait ensuite pu rembourser à la société mère américaine le montant que celle-ci lui avait avancé et réduire le CV de ses actions en payant à la société mère un montant équivalant au CV de ces actions sans créer de dividende en application de la LIR (paragraphe 84(4) de la LIR). Le surplus d’Univar Canada aurait pu être utilisé pour rembourser le montant avancé. Le CV réduit à titre de dividende pourrait être transféré d’une société canadienne imposable à une autre société résidant au Canada sans être assujetti à l’impôt prévu à la partie I de la LIR (articles 82 et 112 de la LIR). Subsidiairement, Univar Canada aurait pu être fusionnée avec AcquisitionCo ou être liquidée à son profit (articles 87 et 88 de la LIR).
[19] La juge de la Cour de l’impôt n’a pas tenu compte de ces opérations parce qu’il ne s’agissait pas des opérations qui avaient été exécutées. Elle a appuyé son jugement sur l’arrêt Friedberg. Cette affaire ne se rapportait toutefois pas à la RGAE. Dans les affaires mettant en cause la RGAE, la Cour doit examiner s’il y a eu abus dans l’application des dispositions de la LIR de la part du contribuable. À mon avis, les autres opérations possibles décrites par le contribuable constituent un élément pertinent pour décider s’il y a eu abus dans l’application des dispositions de la LIR. La capacité du contribuable de démontrer qu’ils auraient pu accomplir le même résultat sans assujettissement à l’impôt en effectuant d’autres opérations constitue, à mon avis, un élément qui permet de décider si l’opération d’évitement était abusive.
[20] La réponse de la Couronne à ces autres opérations possibles ne consiste pas à affirmer qu’une disposition s’appliquait pour les assujettir à l’impôt. La Couronne soutient plutôt que l’Agence du revenu du Canada aurait examiné la question de l’application de la RGAE si ces autres opérations avaient été exécutées. Il est toutefois difficile de dire comment la RGAE aurait été appliquée aux opérations révisées. Comme UNAC (U.S.) aurait vendu les actions d’Univar Canada à une partie avec laquelle elle n’avait pas de lien de dépendance, il semble clair que cette opération n’aurait pas entraîné l’application de l’article 212.1 de la LIR. Comme AcquisitionCo aurait été entièrement financée par une société non résidente, le montant du billet à ordre impayé et du CV des actions détenues par la société mère non résidente correspondrait simplement aux montants versés à AcquisitionCo par la société mère américaine sous forme de contributions. Le paiement du billet ou la réduction du CV des actions d’AcquisitionCo signifie simplement que la société mère est remboursée du montant qu’elle avait investi dans AcquisitionCo. À mon avis, l’autre moyen d’obtenir le même résultat est un élément important qui permet de décider si l’opération d’évitement était abusive.
[21] La première étape qui permet de savoir si l’opération d’évitement était abusive consiste à déterminer l’objet et l’esprit des dispositions générant un avantage fiscal (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 44; Copthorne, au paragraphe 69). Le libellé de l’article 212.1 et les autres opérations possibles décrites plus haut démontrent qu’il existe clairement une distinction entre une vente d’actions entre parties sans lien de dépendance et une vente d’actions entre parties qui ont un tel lien. Si les actions d’une société canadienne qui dispose d’un surplus accumulé sont vendues par un vendeur non résident à une autre société canadienne avec laquelle le vendeur n’a pas de lien de dépendance, l’article 212.1 de la LIR ne s’applique pas. Une personne non résidente pourrait fournir des fonds à un acheteur canadien afin de financer l’achat des actions et ce dernier pourrait ensuite, après la conclusion du marché, utiliser le surplus de la société canadienne ainsi acquise pour rembourser la personne non résidente qui lui avait avancé les fonds. Par conséquent, j’estime que l’article 212.1 de la LIR n’avait pas pour objet d’empêcher la partie sans lien de dépendance qui fait l’acquisition d’une société canadienne de retirer du Canada le surplus que celle-ci avait accumulé avant l’acquisition du contrôle.
[22] En l’espèce, les opérations effectuées ont permis à l’acheteur d’Univar NV de retirer du Canada le surplus accumulé par Univar Canada avant d’acquérir le contrôle de cette société. Les opérations ont été effectuées peu de temps après la clôture de l’achat des actions d’Univar NV (la société mère originaire d’Univar Canada). Les actions d’Univar NV ont été acquises lors d’une opération entre parties sans lien de dépendance et, au moment où elles l’ont été, l’opération d’évitement a été envisagée. Par conséquent, l’opération d’évitement devait faire partie d’une série d’opérations grâce à laquelle le contrôle d’Univar Canada aurait été acquis indirectement dans le cadre d’une opération entre parties sans lien de dépendance. Que le surplus de la société canadienne ait été retiré au moyen des autres opérations possibles décrites au paragraphe 17 ci-avant ou au moyen des opérations qui ont été effectuées en l’espèce, le surplus retiré du Canada aurait été le même. Par conséquent, j’estime que ces opérations ne vont pas à l’encontre de l’objet de l’article 212.1 de la LIR.
[23] Les Notes techniques et les Renseignements supplémentaires sur le budget sur lesquels s’est fondée la juge de la Cour de l’impôt traitent seulement de vente d’actions en cas de lien de dépendance. Ils ne soulèvent aucune préoccupation liée au retrait de surplus dans le cas où les actions d’une société canadienne sont vendues à un acheteur sans lien de dépendance.
[24] Dans ses motifs, la juge de la Cour de l’impôt a conclu que la modification projetée du paragraphe 212.1(4) de la LIR constitue un élément qui permet de déterminer l’objet de l’article 212.1. Elle s’est fondée sur l’arrêt Water’s Edge Village Estates (Phase II) Ltd. c. Canada, 2002 CAF 291, [2003] 2 C.F. 25 (Water’s Edge), pour affirmer que la modification proposée par le budget publié en 2016 est un élément qui permet d’évaluer s’il y a eu abus dans l’application des dispositions de la LIR. Dans l’arrêt Water’s Edge, une société en nom collectif américaine avait acquis un ordinateur pour 3,7 millions de dollars américains en 1982. En 1991, l’ordinateur avait été entièrement amorti aux fins de l’impôt américain. Cette même année, les appelants ainsi que trois autres personnes ont acquis environ 93,5 p. 100 de la société en nom collectif américaine pour la somme de 320 000 $. La société en nom collectif a transféré l’ordinateur à une société en commandite pour la somme de 50 000 $, déclarant une perte finale aux fins de la LIR de l’ordre de 4 486 940 $, laquelle a été réduite à 4 441 390 $ en raison du revenu gagné par la société en nom collectif. Les appelants ont déduit leur quote-part respective de la perte nette.
[25] Aux paragraphes 37 à 45 de l’arrêt Water’s Edge, le juge Noël (maintenant juge en chef), s’exprimant au nom de la Cour, a décrit le système de déduction pour amortissement prévu par la LIR. Au paragraphe 42, après avoir souligné que le libellé des dispositions de la LIR appuyait la déduction de la perte finale, il a fait la remarque suivante :
[…] Bien que ce résultat découle du texte non équivoque de l’alinéa 13(21)f) et du paragraphe 20(16), il va à l’encontre de l’économie des dispositions relatives à la déduction pour amortissement, qui limitent la déduction des dépenses en immobilisations à celles qui sont engagées en vue de gagner un revenu au sens de la Loi.
[26] Au paragraphe 44, il a formulé les observations suivantes :
[…] Il n’y a aucun doute que l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes sont de tenir compte de l’argent qui a été dépensé pour acquérir des biens admissibles dans la mesure où ils sont utilisés en vue de gagner un revenu au sens de la Loi.
[27] Le juge Noël a conclu que le résultat allait à l’encontre de l’esprit de la LIR et que « l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes sont de tenir compte de l’argent qui a été dépensé pour acquérir des biens admissibles dans la mesure où ils sont utilisés en vue de gagner un revenu au sens de la Loi » avant d’analyser les modifications apportées à la LIR. Il a examiné les modifications aux paragraphes 46 et 47 :
L’avocat des appelants invoque le paragraphe 96(8) qui a par la suite été inséré dans la Loi […] pour soutenir que les opérations en cause ne contreviennent à aucune règle ou politique non écrite. Le paragraphe 96(8) a été ajouté à la Loi par L.C. 1994, ch. 21 […] avec effet rétroactif au 21 décembre 1992. L’alinéa 96(8)a) s’applique directement au cas qui nous occupe. Il fait explicitement échec au résultat que les appelants ont obtenu en l’espèce en déclarant que le coût d’acquisition des biens amortissables détenus par une société de personnes étrangère pour le résident canadien qui devient l’associé de cette société correspond au moins élevé de sa juste valeur marchande ou de son coût en capital calculé selon les règles habituelles.
L’avocat de l’appelant affirme que l’insertion après coup du paragraphe 96(8) démontre de façon non équivoque que les opérations en litige n’allaient pas à l’encontre de l’objet et de l’esprit de la Loi au moment où elles ont été effectuées. Je crois plutôt que ces modifications démontrent que le législateur fédéral est intervenu aussi rapidement que possible pour supprimer l’échappatoire que les appelants avaient exploitée précisément en raison du fait que le résultat obtenu constituait une anomalie, compte tenu de l’objet et de l’esprit des dispositions applicables de la Loi.
[28] Les modifications apportées à la LIR n’ont pas été soulevées pour appuyer la conclusion que la RGAE était applicable. Elles ont plutôt été avancées pour appuyer l’argument de l’appelant, selon lequel la RGAE ne devrait pas s’appliquer puisque la LIR a été modifiée par la suite afin de supprimer l’échappatoire. Cette affaire ne permet pas d’affirmer que les modifications subséquentes apportées à la LIR renforcent l’idée ou confirment que les opérations visées par les modifications doivent être jugées abusives avant la date de promulgation des modifications.
[29] En l’espèce, les modifications ont été apportées environ neuf ans après que les opérations ont été effectuées. À mon avis, les opérations n’allaient pas clairement à l’encontre de l’objet et de l’esprit de l’article 212.1 de la LIR, puisque son texte initial date de 2007. Par conséquent, les modifications qui y ont été apportées en 2016 ne peuvent pas servir de fondement pour conclure que l’opération d’évitement était abusive.
[30] La comparaison entre l’article 84.1 et l’article 212.1 de la LIR est aussi peu utile en l’espèce. Les deux dispositions ne s’appliquent que si la vente des actions est réalisée entre parties ayant un lien de dépendance. Par conséquent, ni l’un ni l’autre ne s’applique aux opérations où les actions sont vendues à un acheteur sans lien de dépendance. De plus, l’article 84.1 ne s’applique qu’aux vendeurs qui ne sont pas des sociétés.
[31] Au paragraphe 72 de l’arrêt Copthorne, la Cour suprême du Canada souligne que « le ministre doit montrer clairement que l’opération a un caractère abusif, et le contribuable a le bénéfice du doute ». En l’espèce, le ministre n’a pas montré clairement que l’opération d’évitement qui a été effectuée était abusive. Les opérations ont été effectuées par des parties sans lien de dépendance dans le cadre de l’achat d’Univar NV. L’opération d’évitement visait en réalité à permettre à l’acheteur sans lien de dépendance avec le vendeur de retirer le surplus accumulé par la société canadienne avant d’acquérir le contrôle de celle-ci sans avoir à payer l’impôt prévu par la partie XIII. Il existait une autre façon d’atteindre le même résultat sans que les parties soient assujetties à l’impôt de la partie XIII : les actions d’Univar Canada auraient pu être vendues à un acheteur sans lien de dépendance. Le ministre n’a pas montré clairement que le retrait d’un surplus dans le cadre d’une opération sans lien de dépendance serait abusif.
[32] Par conséquent, j’accueillerais l’appel avec dépens devant notre Cour et devant la juridiction inférieure. J’annulerais le jugement de la Cour de l’impôt et, rendant le jugement que celle-ci aurait dû rendre, j’accueillerais l’appel que le contribuable a interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation et je renverrais l’affaire au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la RGAE ne s’applique pas aux opérations effectuées en l’espèce.
Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.