IMM-2645-17
2018 CF 1145
Rozas Del Solar, Paola Zevallos Zuniga, Luis Zevallos Rozas, Sofia Zevallos Rozas, Macarena (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
et
L’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, le Conseil canadien pour les réfugiés et l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (intervenants)
Répertorié : Rozas Del Solar c. Canada (Citoyenneté et Immigration)
Cour fédérale, juge Diner—Toronto, 28 mai; 14 novembre et 28 décembre 2018.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Section d’appel des réfugiés — Norme de contrôle — Contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), qui a rejeté la demande d’asile des demandeurs, maintenant le rejet de la demande par la Section de la protection des réfugiés (SPR) — Les demandeurs sont une famille de demandeurs d’asile d’origine chilienne — Leur demande d’asile a été jugée non crédible — Le président de la CISR a ordonné que l’appel des demandeurs soit instruit par un tribunal de trois commissaires en vertu de l’art. 163 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Dans l’arrêt Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), la Cour d’appel fédérale a laissé en suspens la question de savoir si la SAR devrait faire preuve de retenue ou de déférence à l’égard de certaines des conclusions de la SPR concernant la crédibilité dans les situations où cette dernière était dans une meilleure position pour tirer ces conclusions — Il s’agissait principalement de savoir si les conclusions de la SAR quant à la norme de contrôle applicable étaient raisonnables et, plus particulièrement, si la SAR a raisonnablement conclu qu’elle devait appliquer deux normes de contrôle, soit la norme de la décision correcte, à la plupart des conclusions tirées par la SPR, et la norme déférente, à certaines conclusions de la SPR concernant la crédibilité; si la SAR a raisonnablement relevé les conditions d’application de la norme déférente; et si la SAR a raisonnablement défini le contenu de la norme déférente — Il était raisonnable pour la SAR de conclure que, sous le régime de la Loi, elle devrait appliquer deux normes de contrôle aux conclusions tirées par la SPR : la norme de la décision correcte, dans la plupart des cas, et la norme de la déférence, à l’occasion — Compte tenu de l’analyse de la loi effectuée dans l’arrêt Huruglica, il était clairement loisible à la SAR de tirer cette conclusion — Toutefois, les conclusions tirées par la SAR au sujet des conditions déclenchant l’application d’une norme de contrôle déférente étaient déraisonnables — La SAR a commis une erreur en omettant de décrire aux tribunaux qui seront constitués les cas où l’avantage général de la SPR en matière d’établissement des faits devient un avantage à la fois précis et certain, ce qui justifierait alors l’application d’une norme de contrôle déférente — Les conclusions de la SAR quant au contenu de sa norme déférente n’étaient pas compatibles avec les directives de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica selon lesquelles la SAR ne doit pas procéder au contrôle des décisions de la SPR comme s’il s’agissait d’un contrôle judiciaire — Pour être raisonnable, une norme déférente façonnée par la SAR ne peut pas tout simplement reproduire le rôle de surveillance de la Cour fédérale dans le contexte du contrôle judiciaire — La décision de la SAR a donc été renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué — Enfin, trois questions soulevées dans la présente affaire ont été certifiées — Demande accueillie.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Les demandeurs sont une famille de demandeurs d’asile d’origine chilienne. Leur demande d’asile a été jugée non crédible et, par conséquent, elle a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR). Après le rejet de leur demande d’asile par la SPR, les demandeurs ont interjeté appel auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR), qui a elle aussi rejeté la demande d’asile. Toutes les affaires précédentes, ce qui comprend les appels instruits par la SAR, ont été tranchées par un tribunal constitué d’un seul commissaire. Cependant, le 22 juin 2016, le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a ordonné que l’appel des demandeurs soit instruit par un tribunal de trois commissaires en vertu de l’article 163 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ce qui constituait une première depuis la création de la SAR en décembre 2012. La raison pour laquelle le président de la CISR a ordonné la constitution d’un tribunal de trois commissaires est liée à une demande d’asile présentée par une autre famille, qui avait en fin de compte fait l’objet d’un appel et qui s’est soldée par l’arrêt Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration). Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a statué que la SAR doit habituellement appliquer la norme de contrôle de la décision correcte lorsqu’elle examine en appel les conclusions de fait et de droit tirées par la SPR. Cependant, dans l’arrêt Huruglica, la Cour d’appel fédérale avait laissé en suspens la question de savoir si la SAR devrait faire preuve de retenue ou de déférence à l’égard de certaines des conclusions de la SPR concernant la crédibilité dans les situations où cette dernière était dans une meilleure position pour tirer ces conclusions. Par conséquent, le président de la SPR a jugé que le contexte factuel de l’appel interjeté auprès de la SAR se prêtait à une instruction devant un tribunal constitué de trois commissaires. Cela permettrait aussi à la SAR d’élaborer son propre droit lorsqu’elle siège en appel relativement à des conclusions concernant la crédibilité, comme la Cour d’appel fédérale le lui avait demandé avec insistance dans l’arrêt Huruglica.
Le tribunal de la SAR constitué de trois commissaires a tranché cet appel en rendant une décision partagée. Les deux commissaires majoritaires ainsi que la commissaire minoritaire ont confirmé le rejet de la demande d’asile prononcé par la SPR, mais en fonction d’un cadre analytique différent et pour différents motifs. En résumé, les commissaires majoritaires de la SAR ont décidé que : (i) la SAR doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions concernant la crédibilité tirées par la SPR dans certaines situations; (ii) ces situations peuvent survenir dans différents contextes, dans lesquels la SPR a un avantage certain lorsqu’elle tire de telles conclusions concernant la crédibilité; et (iii) la SAR, pour faire montre de déférence dans une telle situation, ne modifiera pas les conclusions si le raisonnement de la SPR est compréhensible et que ses conclusions sont fondées sur la preuve. Les commissaires majoritaires de la SAR, en appliquant leur cadre à la preuve dont ils disposaient, ont rejeté l’appel interjeté par les demandeurs. Cependant, le cadre adopté par les commissaires majoritaires de la SAR posait problème en ce qui a trait aux situations dans lesquelles il y aura un avantage certain et en ce qui concerne le concept de la norme de la décision raisonnable de la SAR. La commissaire minoritaire de la SAR a elle aussi rejeté l’appel, mais elle a adopté une analyse juridique différente de celle des commissaires majoritaires. Elle a conclu qu’une certaine déférence s’imposait à l’égard de la SPR lorsque cette dernière dispose d’un avantage certain pour tirer des conclusions concernant la crédibilité, mais elle a conclu que ni le cadre ni la déférence elle-même ne devraient être définis de manière à limiter le pouvoir de la SAR d’intervenir relativement à la décision de la SPR, comme elle jugeait que la majorité avait fait.
Il s’agissait principalement de savoir si les conclusions de la SAR quant à la norme de contrôle applicable étaient raisonnables et, plus particulièrement, si la SAR a raisonnablement conclu qu’elle devait appliquer deux normes de contrôle, soit la norme de la décision correcte, à la plupart des conclusions tirées par la SPR, et la norme déférente, à certaines conclusions de la SPR concernant la crédibilité; si la SAR a raisonnablement relevé les conditions d’application de la norme déférente; et si la SAR a raisonnablement défini le contenu de la norme déférente.
Jugement : la demande doit être accueillie.
Les commissaires majoritaires de la SAR ont conclu que la SPR est généralement mieux placée pour tirer des conclusions concernant la crédibilité et qu’elle dispose de l’expertise pour le faire, ce qui justifie de faire preuve d’une certaine déférence à l’égard de ce type de conclusions. Le litige entre les parties s’est résumé à leur interprétation des passages de l’arrêt Huruglica se rapportant à la norme de contrôle appliquée par la SAR lorsqu’elle siège en appel de décisions rendues par la SPR. Les arguments des demandeurs selon lesquels la SAR doit appliquer une norme unique de la décision correcte à toutes les conclusions de la SPR, et faire preuve de déférence en faisant montre de retenue avant d’appliquer la norme de la décision correcte, et ce, bien que l’arrêt Huruglica ait fait mention d’une certaine retenue, ont été écartés. Il était raisonnable pour la majorité de conclure que, sous le régime de la Loi, elle devrait appliquer deux normes de contrôle aux conclusions tirées par la SPR : la norme de la décision correcte, dans la plupart des cas, et la norme de la déférence, à l’occasion. Compte tenu de l’analyse de la loi effectuée dans l’arrêt Huruglica, il était clairement loisible à la SAR de tirer cette conclusion.
Dans la décision, les commissaires majoritaires de la SAR ont décidé, en se fondant sur leur interprétation de l’arrêt Huruglica, que le recours à une norme déférente ne convenait que lorsque la SPR avait réellement un avantage certain pour tirer la conclusion en cause. Les conclusions tirées par les commissaires majoritaires de la SAR au sujet des conditions déclenchant l’application d’une norme de contrôle déférente étaient déraisonnables. Cela s’explique par le fait que les commissaires majoritaires de la SAR n’ont pas fait mention d’un cadre fondé sur des principes pour trancher la question de savoir si la SPR avait un avantage certain pour tirer des conclusions concernant la crédibilité dans une affaire donnée. Bien que les commissaires majoritaires de la SAR aient conclu que la SPR peut être mieux placée pour tirer certaines inférences lorsqu’elle a vu, entendu et questionné un témoin, ils n’ont pas formulé de démarche permettant d’établir, au cas par cas, si l’avantage certain existe véritablement. Donc, les commissaires majoritaires de la SAR ont commis une erreur en omettant de décrire aux tribunaux qui seront constitués les cas où l’avantage général de la SPR en matière d’établissement des faits devient un avantage à la fois précis et certain, ce qui justifierait alors l’application d’une norme de contrôle déférente.
En ce qui concerne la déférence, les commissaires majoritaires de la SAR ont conclu que le degré de déférence dont il convenait de faire preuve envers les conclusions concernant la crédibilité tirées par la SPR n’était pas le même que celui dont la Cour doit faire preuve en contrôle judiciaire, parce que, même dans les cas où il est justifié de faire montre de déférence, la SAR doit tout de même procéder à un examen indépendant de la preuve sur laquelle la conclusion était fondée. La SAR doit procéder à un examen de la plupart des conclusions de la SPR selon la norme de la décision correcte et substituer ses propres conclusions lorsqu’elles diffèrent de celles de la SPR. Toutefois, même pour les conclusions qui appellent à l’utilisation d’une norme de contrôle déférente, il est nécessaire de faire un examen indépendant, de quelque nature que ce soit. La déférence n’équivaut jamais à une approbation aveugle. Les conclusions des commissaires majoritaires de la SAR quant au contenu de sa norme déférente n’étaient pas compatibles avec les directives de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica selon lesquelles la SAR ne doit pas procéder au contrôle des décisions de la SPR comme s’il s’agissait d’un contrôle judiciaire. L’examen selon la norme de la décision raisonnable qui a été élaboré pour les besoins du contrôle judiciaire ne s’applique pas dans le contexte de la SAR. Pour être raisonnable, une norme déférente façonnée par la SAR ne peut pas tout simplement reproduire le rôle de surveillance de la Cour fédérale dans le contexte du contrôle judiciaire. La norme de la décision raisonnable appliquée par la SAR présente le risque de limiter la possibilité d’obtenir la correction de conclusions concernant la crédibilité qui sont viciées.
La décision de la SAR a donc été renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué. Enfin, trois questions soulevées dans la présente affaire ont été certifiées.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 72(1), 107(2), 107.1, 110, 111, 162(1), 163, 171c).
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISION APPLIQUÉE :
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157; West Fraser Mills Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 635; Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, [2015] 2 R.C.F. 170; Maritime Broadcasting System Limited c. La guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 234; X (Re), 2017 CanLII 142903 (C.I.S.R.); X (Re), 2017 CanLII 61324 (C.I.S.R.); X (Re), 2017 CanLII 142477 (C.I.S.R.); Odia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 363; Ozdemir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 621; R. c. N.S., 2012 CSC 72, [2012] 3 R.C.S. 726.
DÉCISIONS CITÉES :
Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077, [2015] 3 R.C.F. 414; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128; R. v. Skinner, 2016 NSCA 54, 374 N.S.R. (2d) 365; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458; Groia c. Barreau du Haut-Canada, 2018 CSC 27, [2018] 1 R.C.S. 772; British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, [2017] 2 R.C.S. 795; Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83; Barreau du Québec c. Québec (Procureure générale), 2017 CSC 56, [2017] 2 R.C.S. 488; McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; Ahi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1028; Moya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315, [2016] 4 R.C.F. 113; Koech c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 752; Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 199, [2008] 1 R.C.F. 155; X (Re), 2017 CanLII 94169 (C.I.S.R.); Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (QL) (C.A.); Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Gebrewold, 2018 CF 374; R. v. Rhayel, 2015 ONCA 377, 324 C.C.C. (3d) 362; L. L. c. R., 2016 QCCA 1367, [2016] R.D.Q. no 3828; R. v. Pelletier, 1995 ABCA 128, 165 A.R. 138; R. v. R.D., 2016 ONCA 574, 342 C.C.C. (3d) 236; Paye c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 685; Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319; Khachatourian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182; Al Moussawi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 441; Sinnaraja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 778; Gabila c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 574; Marin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 847; Taqadees c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1072; Daniel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1049; Kayitankore c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1030; Guo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 317; Jeyaseelan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 278; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Doshi c. Canada (Procureur général), 2018 CF 710, [2019] 1 R.C.F. 157; Workers Comp. of P.E.I. v. Dyment, 2016 PECA 10; Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674; Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229; Rozas del Solar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 156.
DOCTRINE CITÉE
Cameron, Hilary Evans. Refugee Law’s Fact-Finding Crisis : Truth, Risk and the Wrong Mistake, Cambridge, R.-U. : Cambridge University Press, 2018.
Daly, Paul. A Theory of Deference in Administrative Law : Basis, Application and Scope (Cambridge (R.-U.) : Cambridge University Press, 2012.
Daly, Paul. « Effective Administrative Appeals (Again) : Re X, 2017 CanLII 33034 (CA IRB) » Administrative Law Matters (16 juillet 2018), en ligne (blog) : < www.administrativelawmatters.com >.
Daly, Paul. « Les appels administratifs au Canada » (2015), 93 R. du B. can. 71.
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision (X (Re), 2017 CanLII 33034 (C.I.S.R.)) rendue par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a maintenu la décision de la Section de la protection des réfugiés de rejeter les demandes d’asile des demandeurs. Demande accueillie.
ONT COMPARU :
Amedeo Clivio et Cheryl Robinson pour les demandeurs.
James Todd et Amy King pour le défendeur.
Prasanna Balasundaram pour l’intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés.
Anthony Navaneelan pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés.
Stéphanie Valois et Guillaume Cliche-Rivard pour l’intervenante l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Clivio Law Professional Corporation, Toronto, pour les demandeurs.
Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP, Toronto, pour les demandeurs.
La sous-procureure générale du Canada pour le défendeur.
Downtown Legal Services, Toronto, pour l’intervenant le Conseil canadien pour les réfugiés.
Refugee Law Office, Toronto, pour l’intervenante l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés.
Doyon, Nguyen, Tutunjian et Cliche-Rivard, Montréal, et Stéphanie Valois, Montréal, pour l’intervenante l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement modifiés et du jugement modifié rendus par
Le juge Diner :
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande présentée par une famille de demandeurs d’asile d’origine chilienne qui ont été déboutés devant le premier et le deuxième palier de tribunal administratif. Ils s’adressent à la Cour pour lui demander de procéder au contrôle judiciaire de la deuxième décision [X (Re), 2017 CanLII 33034 (C.I.S.R.)] (la décision), soit celle rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR). L’issue du présent contrôle judiciaire est tributaire de questions importantes, mais fortement techniques, liées à la norme de contrôle que la SAR doit appliquer dans le contexte de son examen des conclusions quant à la crédibilité qui ont été tirées par le tribunal inférieur, la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Malgré la nature technique des questions juridiques traitées, je tenterai d’expliquer le droit et les concepts juridiques déterminants de façon claire et simple, notamment les motifs pour lesquels je conclus, en fin de compte, que la décision est irrémédiablement viciée et qu’une nouvelle décision doit être rendue.
II. Le contexte
[2] La famille est composée d’un homme, d’une femme et de leurs deux filles, tous des citoyens du Chili. Ils allèguent qu’un usurier menace de leur causer du tort en raison d’une dette impayée assujettie à un taux d’intérêt élevé. Cette allégation a été jugée non crédible et, par conséquent, elle a été rejetée par la SPR, puis par la SAR en appel. Pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec le processus d’examen des demandes d’asile, la SPR et la SAR sont des sections de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la C.I.S.R.), le plus important tribunal administratif indépendant au Canada, qui se spécialise dans les décisions en matière de protection des réfugiés. La C.I.S.R. tire sa compétence de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).
[3] En première instance, un commissaire de la SPR a mis deux jours, soit le 8 décembre 2015 et le 7 janvier 2016, pour entendre la demande d’asile présentée par les demandeurs. Le tribunal a rejeté la demande d’asile dans des motifs écrits datés du 19 février 2016, dans lesquels il concluait que les récits de l’homme et de la femme n’étaient pas crédibles et que la famille pouvait se réclamer d’une protection de l’État adéquate au Chili.
[4] Les demandeurs ont interjeté appel auprès de la SAR. Toutes les affaires précédentes, ce qui comprend les appels instruits par la SAR et les audiences de la SPR, ont été tranchées par un tribunal constitué d’un seul commissaire. Cependant, le 22 juin 2016, le président de la C.I.S.R. a ordonné, en vertu de l’article 163, que l’appel des demandeurs soit instruit par un tribunal de trois commissaires, ce qui constituait une première depuis la création de la SAR en 2012.
[5] La raison pour laquelle le président de la C.I.S.R. a ordonné la constitution d’un tribunal de trois commissaires est liée à une demande d’asile présentée par une autre famille, qui avait en fin de compte fait l’objet d’un appel et qui s’est soldée par l’arrêt Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, [2016] 4 R.C.F. 157 (Huruglica). Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a statué que la SAR doit habituellement appliquer la norme de contrôle de la décision correcte lorsqu’elle examine en appel les conclusions de fait et de droit tirées par la SPR.
[6] Cependant, dans l’arrêt Huruglica, la Cour d’appel fédérale avait laissé en suspens la question de savoir si la SAR devrait faire preuve de retenue ou de déférence à l’égard de certaines des conclusions de la SPR concernant la crédibilité dans les situations où cette dernière était dans une meilleure position pour tirer ces conclusions. Par conséquent, le président de la SPR a jugé que le contexte factuel de l’appel interjeté auprès de la SAR se prêtait à une instruction devant un tribunal constitué de trois commissaires, conférant ainsi à la décision un caractère contraignant pour les tribunaux de la SAR et de la SPR (LIPR, alinéa 171c)). Cela permettrait à la SAR d’élaborer son propre droit lorsqu’elle siège en appel relativement à des conclusions concernant la crédibilité, comme la Cour d’appel fédérale le lui avait demandé avec insistance dans l’arrêt Huruglica.
[7] Le tribunal de la SAR constitué de trois commissaires a tranché cet appel en rendant, le 17 mai 2017, une décision partagée. Les deux commissaires majoritaires ainsi que la commissaire minoritaire ont confirmé le rejet de la demande d’asile prononcé par la SPR, mais en fonction d’un cadre analytique différent et pour différents motifs. En résumé, les commissaires majoritaires de la SAR ont décidé que :
(i) la SAR doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions concernant la crédibilité tirées par la SPR dans certaines situations;
(ii) ces situations peuvent survenir dans différents contextes, dans lesquels la SPR a un avantage certain lorsqu’elle tire de telles conclusions concernant la crédibilité;
(iii) la SAR, pour faire montre de déférence dans une telle situation, ne modifiera pas les conclusions si le raisonnement de la SPR est compréhensible et que ses conclusions sont fondées sur la preuve.
[8] Les commissaires majoritaires de la SAR, en appliquant leur cadre à la preuve dont ils disposaient, ont rejeté l’appel interjeté par la famille. Cependant, le cadre adopté par les commissaires majoritaires de la SAR pose problème en ce qui a trait au point (ii), à savoir les situations dans lesquelles il y aura un avantage certain, et au point (iii), en ce qui concerne le concept de la norme de la décision raisonnable de la SAR. Les lacunes dans la décision de la SAR seront traitées ci-dessous.
[9] La commissaire minoritaire de la SAR a elle aussi rejeté l’appel, mais elle a adopté une analyse juridique différente de celle des commissaires majoritaires. En résumé, la commissaire minoritaire a conclu qu’une certaine déférence s’impose à l’égard de la SPR lorsque cette dernière dispose d’un avantage certain pour tirer des conclusions concernant la crédibilité, mais elle a conclu que ni le cadre ni la déférence elle-même ne devraient être définis de manière à limiter le pouvoir de la SAR d’intervenir relativement à la décision de la SPR, comme elle jugeait que la majorité avait fait.
[10] Avant d’analyser ces questions en litige, il est important de comprendre l’élément fondamental de tout contrôle judiciaire, soit la norme de contrôle que la Cour applique à la décision du tribunal inférieur, soit, en l’espèce, la SAR.
III. La norme de contrôle applicable
[11] Les demandeurs, en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR, ont demandé à la Cour fédérale de procéder au contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Un contrôle judiciaire n’est ni un appel ni un réexamen du dossier des demandeurs (Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1077, [2015] 3 R.C.F. 414, au paragraphe 9). Lors d’un contrôle judiciaire, la Cour fédérale a un rôle beaucoup plus limité; elle exerce la fonction de surveillance des cours de justice de s’assurer que la décision du tribunal respecte la primauté du droit (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 37).
[12] En d’autres termes, la Cour n’a pas pour tâche, lors d’un contrôle judiciaire, de mener un nouveau procès. En ce qui concerne les demandeurs, cela signifie que mon rôle n’est pas de rendre une décision quant à leur demande d’asile. Mon rôle est plutôt d’examiner si la décision de la SAR contient des erreurs susceptibles de contrôle (Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, aux paragraphes 78, 85). Si la Cour conclut à l’existence de telles erreurs, la réparation appropriée est généralement de renvoyer l’affaire à la SAR pour nouvelle décision.
La différence entre le contrôle selon la norme de la décision correcte et le contrôle selon la norme de la décision raisonnable
[13] Dans tout contrôle judiciaire, la Cour doit d’abord choisir la norme de contrôle qu’elle appliquera aux questions soulevées. Cela s’explique par le fait que la norme de contrôle est le prisme à travers lequel la Cour analyse les conclusions du décideur pour établir si l’intervention judiciaire est justifiée (voir l’arrêt R. v. Skinner, 2016 NSCA 54, 374 N.S.R. (2d) 365 (Skinner), au paragraphe 17).
[14] De nos jours, il n’existe que deux prismes : la décision correcte et la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 34). Je vais expliquer la distinction entre la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable en faisant une analogie avec le jeu de fléchettes. Parfois, le décideur doit répondre à la question de la manière qu’exige la cour siégeant en révision, ou, lancer une fléchette dans le double centre. Rien d’autre ne suffira dans le contexte d’un contrôle effectué selon la norme de la décision correcte, puisqu’il n’existe aucune marge d’erreur (Skinner, au paragraphe 22); dans le contexte d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, les cercles extérieurs suffiront.
[15] Autrement dit, lorsque la Cour examine le dossier dont elle est saisie à travers le prisme de la décision correcte, elle tranche la question exactement comme elle la perçoit. Si sa conclusion est en fin de compte différente de celle du décideur, la Cour substituera sa propre réponse, puisqu’il s’agit de la réponse correcte (Dunsmuir, au paragraphe 50).
[16] Pour les autres types de questions, il n’y a pas qu’une seule réponse correcte. C’est dans ces cas-là que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique et qu’il existe habituellement un éventail de démarches et d’issues acceptables relativement aux questions juridiques soulevées. Le décideur dispose d’une marge de manœuvre, ou de différentes solutions acceptables (Dunsmuir, au paragraphe 47). Le processus adopté par le décideur et l’issue à laquelle il parvient n’a qu’à appartenir à ces issues possibles acceptables; il n’est pas nécessaire que la conclusion soit celle que préfère la cour siégeant en révision. Toutefois, dans certains cas, il n’existe qu’une seule issue possible.
[17] Cette façon de percevoir le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a été constamment renforcée par la Cour suprême du Canada au cours de la décennie ayant suivi l’arrêt Dunsmuir (voir, à titre d’exemple, Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230 (CCDP), au paragraphe 55, et Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, aux paragraphes 21–22).
[18] Revenons à notre jeu de fléchettes. Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, tant et aussi longtemps que le décideur lance sa fléchette dans les limites, la cour siégeant en révision n’interviendra pas : le décideur n’a pas à lancer sa fléchette dans ce que la Cour considère être le double centre (Skinner, au paragraphe 23). La plupart des joueurs de fléchettes ne seront pas capables de lancer la fléchette dans le double centre et, en contrôle judiciaire, les décideurs n’ont habituellement pas à être capables de le faire. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que les décisions des tribunaux administratifs soient parfaites. Lors du contrôle, ces décisions doivent être examinées comme un tout, et la cour siégeant en révision n’a pas à faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, au paragraphe 54).
[19] Par conséquent, des deux normes appliquées en contrôle judiciaire de nos jours, il n’est pas surprenant que la norme de la décision raisonnable soit bien plus fréquemment employée que la norme de la décision correcte. En fait, la Cour suprême du Canada a récemment mentionné que, « [d]ans la plupart des cas, l’analyse contextuelle mène à la conclusion que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable » (West Fraser Mills Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, [2018] 1 R.C.S. 635 (West Fraser), au paragraphe 8).
[20] La norme de la décision raisonnable ― du moins par son nom ― semble donc être devenue la norme par défaut, non seulement si l’on se fie à l’arrêt West Fraser, mais aussi aux autres récents arrêts de la Cour suprême du Canada, comme, par exemple, Groia c. Barreau du Haut-Canada, 2018 CSC 27, [2018] 1 R.C.S. 772 (aux paragraphes 45–47). Certes, lorsque le décideur interprète la loi ayant créé le tribunal (sa loi habilitante), il existe une forte présomption selon laquelle sa décision est assujettie à la norme de la décision raisonnable (CCDP, au paragraphe 27). En l’espèce, la SAR interprétait divers articles de la LIPR, sa loi habilitante.
[21] En fin de compte, la différence entre la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable tient à la déférence. La déférence est l’attitude qui doit être adoptée dans le contexte d’un contrôle assujetti à la norme de la décision raisonnable. La déférence signifie que, relativement à certaines questions, la cour siégeant en révision doit respecter les conclusions du décideur et les accepter, et ce, même si elle aurait tranché les questions de façon différente si on lui avait soumis les mêmes arguments et la même preuve. Il en est ainsi, parce que certaines questions peuvent être légitimement tranchées de plus d’une façon par un décideur administratif (Dunsmuir, au paragraphe 47).
[22] D’un autre côté, la norme de la décision correcte n’appelle à aucune déférence : la cour siégeant en révision prend la décision et le décideur de l’instance inférieure ne dispose d’aucune marge de manœuvre. La cour siégeant en révision entreprendra sa propre analyse des questions soulevées (Dunsmuir, au paragraphe 50; British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, [2017] 2 R.C.S. 795, au paragraphe 28).
Quelle norme de contrôle s’applique en l’espèce?
[23] J’aborde maintenant la question de savoir s’il convient, en l’espèce, d’appliquer la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable. Dans la présente affaire, les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur dans sa réponse aux deux questions principales dont elle était saisie, soit :
1. La question de savoir si, selon le cadre d’analyse de la majorité, la SAR doit appliquer une norme de contrôle déférente dans une situation où la SPR avait un avantage certain pour tirer une conclusion;
2. La question de savoir si, en appliquant le cadre aux faits, l’appel des demandeurs aurait dû être rejeté.
[24] Il ne fait aucun doute que la première question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, puisqu’elle comporte l’interprétation de la LIPR, soit la loi habilitante de la SAR (Huruglica, au paragraphe 30). Cela soulève une présomption quant à l’applicabilité de la norme de la décision raisonnable, laquelle n’a pas été réfutée en l’espèce (Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83, au paragraphe 138; Barreau du Québec c. Québec (Procureure générale), 2017 CSC 56, [2017] 2 R.C.S. 488, au paragraphe 15).
[25] La deuxième question en litige, qui consiste à savoir si la décision de la SAR était raisonnable compte tenu de la réponse à la première question, est aussi susceptible de contrôle selon la norme de décision raisonnable, puisqu’elle comporte l’examen d’une question mixte de fait et de droit (Huruglica, au paragraphe 35). Les issues possibles raisonnables peuvent néanmoins être peu nombreuses (Huruglica, au paragraphe 44). En fait, certains des outils d’interprétation législative usuels n’ouvriront la porte qu’à une seule réponse raisonnable (McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, au paragraphe 38; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, aux paragraphes 34 et 64).
La conclusion au sujet de la norme de contrôle applicable
[26] Par conséquent, en ce qui concerne les questions en litige soulevées en l’espèce, je dois trancher la question de savoir si les conclusions de la SAR étaient raisonnables, à savoir si elles étaient justifiées, transparentes et intelligibles, et si elles appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Bien que j’applique la norme de contrôle de la décision raisonnable à ces questions en litige, et que l’éventail de réponses raisonnables pour la première question en litige puisse être très restreint, voir même constitué d’une seule et unique réponse, je dois toutefois éviter de procéder à un contrôle selon la norme de la décision correcte de façon déguisée, car cela, selon moi, équivaudrait à déterminer la réponse exacte (soit, le double centre), et à ensuite conclure que toute autre réponse est déraisonnable. Il convient plutôt de juger si la conclusion de la SAR et le processus qu’elle a adopté pour parvenir à cette conclusion est justifié, transparent et intelligible.
IV. Analyse
La première question en litige : Les conclusions de la SAR quant à la norme de contrôle applicable étaient-elles raisonnables?
[27] Pour trancher la première question en litige, je dois d’abord procéder à une analyse à savoir si la SAR a tiré des conclusions raisonnables quant à la norme de contrôle qu’elle devait appliquer relativement aux conclusions concernant la crédibilité tirées par la SPR. Pour entreprendre cette analyse, je vais scinder la première question en litige en trois questions, à savoir :
(i) La SAR a-t-elle raisonnablement conclu qu’elle doit appliquer deux normes de contrôle, soit la norme de la décision correcte, à la plupart des conclusions tirées par la SPR, et la norme déférente, à certaines conclusions de la SPR concernant la crédibilité?
(ii) La SAR a-t-elle raisonnablement relevé les conditions d’application de la norme déférente?
(iii) La SAR a-t-elle raisonnablement défini le contenu de la norme déférente?
[28] Avant d’analyser ces trois questions, j’aimerais faire remarquer que la première question en litige, malgré la richesse des arguments et de l’analyse produite par les parties, est de portée plutôt étroite. Plus précisément, lorsque la SPR tire une conclusion en matière de crédibilité fondée sur des témoignages, et que cette conclusion est par la suite contestée au moyen d’un appel à la SAR, comment la SAR détermine-t-elle si elle doit intervenir? Il s’agit là de l’essence même de la norme de contrôle.
[29] La SAR, lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte, intervient si la conclusion ne correspond pas à sa propre interprétation du dossier. Si elle doit faire preuve de déférence, son examen visant à la présence d’une erreur est orienté par un autre cadre. Ma tâche consiste donc simplement à juger si les conclusions des commissaires majoritaires de la SAR étaient raisonnables.
La question (i) : La SAR a-t-elle raisonnablement conclu qu’elle doit appliquer deux normes de contrôle, soit la norme de la décision correcte, à la plupart des conclusions tirées par la SPR, et la norme déférente, à certaines conclusions de la SPR concernant la crédibilité?
La SAR au sujet de la question (i)
[30] Dans sa décision, la majorité de la SAR a conclu qu’elle devrait faire preuve de déférence à l’égard de certaines des conclusions de la SPR dans des cas bien précis. Les commissaires majoritaires de la SAR ont fondé cette conclusion principalement sur deux observations.
[31] Tout d’abord, la crédibilité est habituellement déterminée en fonction d’un témoignage. La majorité s’est fondée en partie sur ce qu’elle décrivait comme étant « l’arrêt de principe Singh » (Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177), dans lequel il est mentionné ce qui suit au sujet des conclusions concernant la crédibilité tirées uniquement en fonction d’observations écrites [à la page 214 (paragraphe 59)] :
[…] [l]orsqu’une question importante de crédibilité est en cause, la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d’audition. Les cours d’appel sont bien conscientes de la faiblesse inhérente des transcriptions lorsque des questions de crédibilité sont en jeu et elles sont donc très peu disposées à réviser les conclusions des tribunaux qui ont eu l’avantage d’entendre les témoins en personne […]
[32] Deuxièmement, la majorité a fait remarquer que la SPR tient toujours une audience, alors que la SAR ne le fait que rarement. Les commissaires majoritaires de la SAR ont conclu que la SPR est généralement mieux placée pour tirer des conclusions concernant la crédibilité et qu’elle dispose de l’expertise pour le faire, ce qui justifie de faire preuve d’une certaine déférence à l’égard de ce type de conclusions. Les commissaires majoritaires ont aussi renvoyé aux décisions de la Cour fédérale appuyant cette conclusion, notamment Ahi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1028, au paragraphe 13; Moya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315, [2016] 4 R.C.F. 113, aux paragraphes 29 et 42, et Koech c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 752, au paragraphe 32.
[33] Donc, la première question à laquelle il faut répondre dans le contexte du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la majorité de la SAR a raisonnablement conclu qu’elle devait appliquer deux normes de contrôle, soit la norme de contrôle de la décision correcte, à la plupart des conclusions tirées par la SPR, et une norme de contrôle déférente, à titre exceptionnel, à certaines des conclusions de la SPR se rapportant à la crédibilité. Les parties et les intervenants dans la présente instance divergent de façon importante d’opinions quant à cette question. Ils ont aussi formulé des arguments au sujet des différentes démarches que je devrais adopter pour y répondre.
Les positions des parties au sujet de la question (i)
[34] Le ministre maintient que la question a déjà été tranchée dans l’arrêt Huruglica par la Cour d’appel fédérale, laquelle, selon lui, y a répondu en statuant que la SAR doit appliquer une norme de contrôle déférente à certaines inférences en matière de crédibilité tirées par la SPR lorsque cette dernière a un avantage certain (voir l’arrêt Huruglica, au paragraphe 70, reproduit plus loin dans les présents motifs).
[35] Dans la même veine, deux des intervenants, l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés et le Conseil canadien pour les réfugiés (l’ACAADR et le CCR), qui ont présenté des observations conjointes, mettent l’accent sur le libellé clair des dispositions pertinentes de la LIPR et prétendent que ces dispositions n’ouvrent la porte qu’à l’application d’une seule norme de contrôle à toutes les conclusions de fait, soit la norme de la décision correcte. L’ACAADR et le CCR soutiennent que les commentaires au sujet de la déférence qui ont été formulés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica renvoient uniquement au pouvoir de réparation de la SAR qui consiste à renvoyer une affaire à la SPR pour que cette dernière rende une nouvelle décision, et non au prisme à travers lequel elle doit examiner une décision de la SPR sur le fond.
[36] Les demandeurs, tout comme l’ACAADR et le CCR, soutiennent que la SAR doit examiner toutes les conclusions selon la norme de la décision correcte. Cependant, contrairement à ces deux intervenants, ils proposent que la déférence puisse néanmoins jouer un rôle limité dans le contexte d’un examen effectué selon la norme de la décision correcte.
[37] La troisième intervenante, l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (l’AQAADI), est du même avis que les demandeurs au sujet du rôle de la SAR, quoiqu’elle fait remarquer que la déférence est davantage une possibilité théorique que réelle pour la SAR. Il en est ainsi en raison de la loi sous-jacente (soit, la LIPR) et parce que, selon l’AQAADI, il n’existe pratiquement pas de situations dans lesquelles il est justifié de faire preuve de déférence.
[38] Le litige entre les parties se résume à leur interprétation des passages de l’arrêt Huruglica se rapportant à la norme de contrôle appliquée par la SAR lorsqu’elle siège en appel de décisions rendues par la SPR. La Cour d’appel fédérale a reformulé cette question certifiée par la Cour, et y a répondu ainsi au paragraphe 106 de l’arrêt Huruglica :
Était-il raisonnable de la part de la SAR de limiter son rôle à l’examen du caractère raisonnable des conclusions de fait (ou des conclusions mixtes de fait et de droit) de la SPR, lesquelles ne mettent pas en cause la question de la crédibilité?
Réponse : Non. La SAR aurait dû appliquer la norme de la décision correcte dans le cadre de son examen visant à décider si la SPR a commis une erreur.
[39] La Cour d’appel fédérale, pour parvenir à cette réponse, a tenu compte de l’objet de la loi ainsi que du régime législatif applicable à la SAR et à la SPR qui est prévu aux articles 110 et 111 de la LIPR. Elle a renvoyé à l’alinéa 111(2)a) et elle a conclu que la SAR doit intervenir lorsque la SPR commet une erreur de fait ou de droit. La Cour d’appel fédérale a fait remarquer qu’en pratique, cela signifie que la SAR doit appliquer la norme de la décision correcte, comme le confirment l’historique législatif et l’évolution de la LIPR, dont les commissaires majoritaires de la SAR ont fait mention au paragraphe 18 de la décision.
[40] La Cour d’appel fédérale a aussi formulé certaines observations à propos de l’alinéa 111(2)b) de la LIPR; cette disposition habilite la SAR à renvoyer une affaire à la SPR pour nouvelle décision lorsqu’elle est d’avis qu’elle ne peut pas confirmer ou annuler la décision de la SPR sans réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la SPR. Ces commentaires sont d’une importance capitale, autant pour l’issue de l’arrêt Huruglica que pour celle du litige dont je suis saisi, et je les reproduis dans leur intégralité ci-dessous [aux paragraphes 69 à 74] :
J’examinerai maintenant l’alinéa 111(2)b), disposant que si une erreur a été relevée (alinéa 111(2)a)), la SAR peut renvoyer l’affaire pour réexamen, selon les instructions qu’elle juge appropriées, seulement si elle « estime » qu’elle ne peut confirmer ou casser la décision rendue par la SPR sans réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à celle-ci. Cette possibilité est offerte parce qu’il peut arriver que, dans certaines affaires mettant en cause des témoignages de vive voix cruciaux ou déterminants aux yeux de la SAR, celle-ci ne soit pas en mesure de confirmer une décision de la SPR ou d’y substituer la sienne.
Ce texte reconnaît également l’avantage certain que peut avoir la SPR sur la SAR lorsque les conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit reposent sur l’appréciation de la crédibilité ou de la valeur des témoignages de vive voix. Il indique aussi que, étant entendu que la SAR doive parfois faire preuve d’une certaine retenue avant de rendre sa propre décision, la question de savoir si les circonstances commandent pareille retenue doit être appréciée au cas par cas. Dans chaque cas, la SAR doit rechercher si la SPR a joui d’un véritable avantage et si, le cas échéant, elle peut néanmoins rendre une décision définitive relativement à une demande d’asile.
Il existe plusieurs cas de figure possibles. Ainsi, si la SPR a trouvé un témoin honnête et crédible, la question de la crédibilité ne se pose pas vraiment. Il en est de même si la SAR peut statuer sur la demande en se fiant aux conclusions de fait de la SPR quant à la valeur relative des témoignages et à leur crédibilité.
Les difficultés se produisent lorsque la crédibilité des conclusions elles-mêmes est attaquée en appel et que la SAR ne peut trancher sans accepter ou rejeter ces conclusions. Si la SAR relève une erreur dans un cas où, par exemple, un demandeur n’a pas été jugé crédible parce que son récit n’était pas plausible selon le simple bon sens, il peut s’avérer que la SPR n’ait pas de véritable avantage sur la SAR.
Il peut aussi arriver qu’il ait été conclu que le témoin n’était pas crédible en raison de contradictions qui ne justifient pas cette conclusion ou qui tout simplement n’existent pas. Si la SAR peut facilement relever une erreur dans l’appréciation des témoignages de vive voix, mais qu’il est essentiel de connaître la valeur de ce témoignage pour confirmer ou casser la décision de la SPR, la SAR peut décider de renvoyer l’affaire à la SPR et donner ses instructions concernant l’erreur relevée dans les conclusions concernant la crédibilité.
Cela étant dit, je ne vois pas l’utilité d’en dire plus sur les autres cas de figure possibles puisqu’ils ne jouent pas en l’espèce. La SAR doit avoir la possibilité de développer sa propre jurisprudence à ce sujet; il n’est donc pas nécessaire que je lui donne des précisions sur le degré de déférence commandé par chaque affaire.
[41] Le ministre prétend que, puisqu’en temps normal la même norme s’appliquerait à toutes les conclusions de fait, on peut présumer que la Cour d’appel fédérale a porté son attention sur les conclusions de fait de la SPR ayant trait à la crédibilité. En excluant ces conclusions concernant la crédibilité de sa réponse à la question certifiée, la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle de la décision correcte n’était pas celle qu’il convenait d’appliquer.
[42] Le ministre a prétendu que les conclusions concernant la crédibilité étaient un élément primordial de l’arrêt Huruglica, et ce, en raison des observations formulées par la Cour d’appel fédérale à propos des circonstances dans lesquelles la SPR peut bénéficier d’un avantage en matière d’établissement des faits. Par conséquent, il ne s’agit pas là de remarques incidentes ou superflues, comme d’autres l’ont laissé entendre dans leurs observations.
[43] L’ACAADR et le CCR répliquent en affirmant qu’une telle opinion découle d’une lecture tout à fait erronée de l’arrêt Huruglica. Ils prétendent qu’aux paragraphes 69 à 74 (cités ci-dessus), la Cour d’appel fédérale ne faisait que renvoyer à la déférence dont la SAR peut faire montre dans le choix de sa réparation, et non dans son examen de la décision de la SPR visant à y déceler l’existence d’erreurs.
[44] L’ACAADR et le CCR, pour expliquer leur interprétation de l’arrêt Huruglica, renvoient au processus inquisitoire de la SAR. Dans un tel processus, le décideur joue un rôle plus actif, notamment en interrogeant les témoins. Dans une instance contradictoire, le décideur joue un rôle moins actif, et agit davantage comme un arbitre qui observe, en intervenant seulement au besoin (voir Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 199, [2008] 1 R.C.F. 155, aux paragraphes 15, 18 et 28).
[45] Pour revenir à l’ACAADR et au CCR, ils prétendent que, lorsque la Cour d’appel fédérale a fait mention de l’avantage certain dont jouissait la SPR, elle renvoyait à la capacité de la SPR de façonner le dossier inquisitoire au moyen d’une audience, ce que la SAR ne peut pas faire en temps normal. S’appuyant sur ce raisonnement, l’ACAADR et le CCR font valoir que la SAR a commis une erreur en concluant que la SPR détient quelque avantage que ce soit en ce qui concerne sa capacité d’interpréter le dossier. L’ACAADR et le CCR prétendent que les commentaires formulés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica en ce qui a trait à la déférence n’ont aucunement trait à la norme de contrôle. En fait, ils portent plutôt sur le pouvoir de la SAR de prendre des mesures de réparation en vertu de l’article 111 de la LIPR.
[46] En ce qui a trait à la norme de contrôle que la SAR doit appliquer aux conclusions concernant la crédibilité tirées par la SPR, l’ACAADR et le CCR prétendent que, d’après le sens ordinaire des termes employés dans la LIPR et d’après l’analyse de la loi effectuée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica, il n’y a qu’une seule issue possible : la SAR doit examiner toutes les conclusions de la SPR selon la norme de la décision correcte.
[47] L’ACAADR et le CCR prétendent qu’aucune autre interprétation n’est justifiable, étant donné que :
a) la SAR a la compétence exclusive pour instruire et trancher toutes les questions de fait au titre du paragraphe 162(1) de la LIPR;
b) une personne peut interjeter appel à la SAR à l’égard d’une question de fait, au titre du paragraphe 110(1) de la LIPR;
c) la SAR doit confirmer la décision de la SPR ou y substituer sa propre décision, ou lui renvoyer l’affaire si elle ne peut faire une telle chose sans tenir une nouvelle audience en vertu du réexamen des éléments de preuve (paragraphes 111(1) et (2) de la LIPR);
d) selon leur interprétation de l’arrêt Huruglica, la loi habilite la SAR à contrôler toutes les conclusions de la SPR selon la norme de la décision correcte.
[48] L’ACAADR et le CCR prétendent aussi que le principe voulant que la norme de la décision correcte s’applique à toutes les conclusions de la SPR est confirmé par le mandat que la loi confère à la SAR. Ces intervenants font remarquer qu’avant la création de la SAR, chaque demande d’asile devait être instruite par deux commissaires de la SPR. Le but de la création de la SAR était de rendre plus efficace le processus décisionnel d’octroi de l’asile, sans amoindrir le filet de sécurité procuré par le fait que chaque demande d’asile est jugée de manière indépendante par deux commissaires.
[49] Les demandeurs partagent l’opinion de l’ACAADR et du CCR selon laquelle la LIPR exige expressément que la norme de la décision correcte soit appliquée lorsqu’il est question de conclusions de fait. Ils mettent l’accent sur le fait que, lorsque la Cour d’appel fédérale a assimilé l’emploi du mot « erroné » (LIPR, alinéa 111(2)a)) à l’application de la norme de la décision correcte dans l’arrêt Huruglica, elle a mentionné qu’« il ne serait guère logique de donner au mot “erroné” un sens différent selon qu’il se rapporte aux mots “en droit”, “en fait” ou “en droit et en fait” » (au paragraphe 65). Les demandeurs font valoir qu’il serait insensé d’interpréter différemment le terme « erroné » selon que la conclusion de fait en question concerne la crédibilité ou non.
[50] Toutefois, contrairement à l’ACAADR et au CCR, les demandeurs reconnaissent que, selon l’arrêt Huruglica, la norme de déférence avait un rôle à jouer, mais ils prétendent que la SAR ne devrait faire montre de déférence que relativement à des questions qui ne sont pas visées par la norme de contrôle; ils affirment que la déférence dont la SAR doit faire montre devrait s’exprimer comme un exercice de retenue avant d’appliquer la norme de la décision correcte.
[51] Lors de l’audience, les demandeurs ont laissé entendre que le professeur Daly a donné l’interprétation qui précède à la déférence dans ses théories sur la [traduction] « déférence doctrinale » et la [traduction] « déférence épistémique » (Paul Daly, A Theory of Deference in Administrative Law : Basis, Application and Scope (Cambridge (R.-U.) : Cambridge University Press, 2012, aux pages 7–9). Le professeur Daly a expliqué ces concepts de déférence comme représentant la décision raisonnable et la pondération, respectivement.
[52] Les demandeurs renvoient aussi à l’analyse effectuée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, [2015] 2 R.C.F. 170 (Ré:Sonne), laquelle, selon eux, appuie leur approche relativement à la norme de la décision correcte avec déférence. Pour conclure, les demandeurs prétendent que, selon la démarche retenue à juste titre par la commissaire minoritaire de la SAR, la déférence a un rôle à jouer dans le cadre d’un examen effectué selon la norme de la décision correcte.
L’analyse relative à la question (i)
[53] Bien que l’interprétation de la loi proposée par l’ACAADR et le CCR ne soit pas dénuée de fondement, la Cour est néanmoins contrainte par la jurisprudence à procéder au contrôle de la décision de la SAR selon la norme de la décision raisonnable, surtout eu égard aux observations formulées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica. Selon moi, donner aux commentaires de la Cour d’appel fédérale l’interprétation selon laquelle la déférence s’applique strictement à la question des mesures de réparation, comme le font valoir l’ACCADR et le CCR, aurait pour effet, étant donné la manière avec laquelle le concept de déférence est généralement interprété, d’élargir la portée des termes employés dans ce jugement.
[54] La Cour d’appel fédérale a expressément fait remarquer que des difficultés surviennent lorsque la crédibilité des conclusions elles-mêmes est attaquée devant la SAR (Huruglica, au paragraphe 72, reproduit ci-dessus). En outre, l’analyse générale du texte législatif effectuée dans l’arrêt Huruglica contenait les observations suivantes au sujet de l’alinéa 111(2)b) de la LIPR [au paragraphe 58] :
Les articles 110 et 111, reproduits précédemment, visent les appels interjetés auprès de la SAR à l’égard de décisions de la SPD. Sous réserve de mes observations concernant l’alinéa 111(2)b), je souscris de manière générale à la conclusion de la SAR portant qu’il ne ressort ni des articles 110 et 111, ni de la loi dans son ensemble qu’il faille déférer aux conclusions de fait de la SPR. Comme la SAR l’a reconnu en l’espèce, ces dispositions témoignent de l’intention du législateur d’habiliter la SAR à assurer le règlement définitif des demandes de protection des réfugiés. [Non souligné dans l’original.]
[55] Je ne souscris pas à la position des demandeurs selon laquelle la déférence peut coexister avec l’application de la norme de la décision correcte à toutes les conclusions de fait. La norme de la décision correcte se définit plutôt par l’absence de déférence (Dunsmuir, au paragraphe 34). Dans l’arrêt Maritime Broadcasting System Limited c. La guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit : « Un contrôle selon la norme de la décision correcte a toujours été un contrôle sans aucune retenue. Le “caractère correct avec un certain degré de retenue” est intrinsèquement contradictoire. Ce serait comme décrire une voiture comme étant stationnaire mais en mouvement » (au paragraphe 60).
[56] Gardant cette image à l’esprit, je conclus que les documents dont je dispose ne démontrent pas que la Cour d’appel fédérale estimait que la déférence avait un rôle à jouer, comme l’affirment les demandeurs. Par conséquent, les arguments des demandeurs ne m’ont pas convaincu que la SAR doit appliquer une norme unique de la décision correcte à toutes les conclusions de la SPR, et faire preuve de déférence en faisant montre de retenue avant d’appliquer la norme de la décision correcte, et ce, bien que je reconnaisse que la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 70 de l’arrêt Huruglica (reproduit ci-dessus), fait mention à deux reprises d’une certaine retenue.
[57] En dernier lieu, je ne crois pas que les sources sur lesquelles se fondent les demandeurs, soit la décision Ré:Sonne et l’opinion du professeur Daly au sujet de la déférence doctrinale ou épistémique, soient bien fondées.
[58] Tout d’abord, la décision rendue dans l’arrêt Ré:Sonne était fondée sur une question d’équité procédurale, et elle n’appuie pas l’application, avec une certaine mesure de déférence, de la norme de la décision correcte.
[59] Deuxièmement, je ne crois pas que la rétrospective faite par le professeur Daly au sujet de la déférence doctrinale et épistémique change quoi que ce soit à l’analyse qui précède quant à la question de savoir si l’analyse effectuée par la SAR relativement à la norme de contrôle applicable aux conclusions en matière de crédibilité était raisonnable.
Conclusion au sujet de la question (i)
[60] Il était donc raisonnable pour la majorité de conclure que, sous le régime de la LIPR, elle devrait appliquer deux normes de contrôle aux conclusions tirées par la SPR : la norme de la décision correcte, dans la plupart des cas, et la norme de la déférence, à l’occasion. Au contraire, compte tenu de l’analyse de la loi effectuée dans l’arrêt Huruglica, il était clairement loisible à la SAR de tirer cette conclusion.
La question (ii) : Dans quels cas la SAR doit-elle faire montre de déférence?
[61] La deuxième question devant être tranchée dans le contexte du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la majorité de la SAR a raisonnablement énoncé les conditions déclenchant l’application d’une norme de contrôle déférente. Autrement dit, pour une conclusion donnée de la SPR, à quel moment la SAR devrait-elle appliquer la norme de la décision correcte et à quel moment devrait-elle appliquer une norme déférente?
[62] À ce stade-ci, il serait utile d’examiner les conditions qui déclenchent l’application d’une norme de contrôle ou de l’autre. Tout d’abord, lors du contrôle judiciaire, la détermination de la norme de contrôle applicable découle de l’analyse contextuelle, à moins que la jurisprudence n’ait déjà énoncé quelle norme de contrôle s’applique à une catégorie donnée de question (Dunsmuir, au paragraphe 62).
[63] Généralement, il convient de faire preuve de déférence quant aux questions de fait (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa), au paragraphe 89, motifs concordants du juge Rothstein). Lorsqu’une cour d’appel procède au contrôle d’erreurs de fait alléguées, c’est la norme déférente de l’« erreur manifeste et dominante » qui s’applique (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 234 (Housen), au paragraphe 10).
[64] De façon générale, l’un des motifs pour lesquels on applique une norme de contrôle déférente aux conclusions de fait est que les décideurs de première instance sont perçus comme étant mieux placés pour évaluer la crédibilité, en raison de leur expertise pour tirer des conclusions de fait et de leur capacité à voir ainsi qu’à entendre les témoins (voir Khosa, au paragraphe 89; Housen, aux paragraphes 12–14 et 18).
[65] Évidemment, la SAR n’est pas une cour d’appel, et, par conséquent, un bon nombre des motifs invoqués pour justifier l’application d’une norme de contrôle déférente qui ont été énoncées dans l’arrêt Housen (notamment le respect de l’intégrité du procès et l’économie judiciaire) ne s’appliquent pas. Dans quel cas, donc, la norme déférente s’applique-t-elle à la SAR? Je me penche maintenant sur la décision rendue par cette dernière afin d’examiner ses conclusions quant à cette question cruciale que je dois trancher.
La décision de la SAR quant à la question (ii)
[66] Dans la décision, les commissaires majoritaires de la SAR ont décidé, en se fondant sur leur interprétation de l’arrêt Huruglica, que le recours à une norme déférente ne convenait que, lorsque la SPR avait réellement un avantage certain pour tirer la conclusion en cause. Les commissaires majoritaires ont conclu que cette question doit être tranchée au cas par cas et que, dans les cas où la SAR conclut à l’existence d’un avantage certain, elle doit expliquer sa conclusion. Cependant, les commissaires majoritaires de la SAR ont ensuite décrit huit catégories de conclusions concernant la crédibilité que la SPR tire. Il s’agit là essentiellement d’un ensemble de directives devant être prises en considération par les tribunaux à l’avenir lorsque ces situations surviennent; je les ai numérotées par souci de commodité :
(i) Incohérences, contradictions et omissions;
(ii) Comportement;
(iii) Connaissances spécialisées;
(iv) Connaissances pertinentes;
(v) Invraisemblances;
(vi) Inférences;
(vii) Documents;
(viii) Audience.
[67] Les commissaires majoritaires de la SAR ont expliqué le contexte dans lequel s’inscrit chacune de ces huit catégories, dont certaines n’étaient pas applicables aux faits en l’espèce. Les commissaires majoritaires de la SAR ont ensuite passé en revue les situations dans lesquelles la SAR pourrait être désavantagée, et donc devoir faire preuve de déférence à l’égard de la SPR pour chacune de ces huit catégories. J’explique le tout ci-dessous.
[68] Tout d’abord, les commissaires majoritaires de la SAR ont relevé que la SPR peut avoir un avantage certain pour apprécier (i) les incohérences, contradictions et omissions dans les témoignages. Il en est ainsi parce que la SPR voit et entend les témoins, qu’elle choisit les questions qu’elle pose et qu’elle écoute les réponses.
[69] Pour les mêmes motifs, la majorité de la SAR a aussi conclu que la SPR dispose d’un avantage certain pour tirer des (ii) conclusions relativement au comportement.
[70] Les commissaires majoritaires de la SAR ont fait remarquer, relativement à la catégorie (iii), à savoir les connaissances spécialisées, que les commissaires de la SPR disposent parfois de connaissances spécialisées auxquelles la SAR n’a pas accès. Dans ce cas-là, la SPR est dans une meilleure position pour tirer certaines conclusions nécessitant des connaissances spécialisées et elle dispose alors d’un avantage certain.
[71] Les commissaires majoritaires de la SAR ont conclu que la catégorie (iv), soit celle des connaissances pertinentes, est l’une des catégories pour lesquelles la SPR dispose parfois d’un avantage certain. Les commissaires majoritaires de la SAR ont expliqué que cette catégorie a trait au niveau de connaissances d’un demandeur d’asile quant à des points de vue religieux ou politiques déterminants pour la demande d’asile. Ils ont statué que la SPR n’aurait aucun avantage certain lorsqu’elle compare le témoignage à la preuve documentaire. D’un autre côté, les commissaires majoritaires de SAR ont fait remarquer que la SPR peut avoir un avantage certain dans les cas où le demandeur d’asile éprouve manifestement de la difficulté à témoigner ou qu’il a été questionné par la SPR au sujet d’incohérence ou d’une méconnaissance de quelque chose qu’il devrait connaître, avantage qui découlerait, une fois de plus, de sa capacité de voir, d’entendre et de questionner le témoin.
[72] En ce qui concerne les invraisemblances (catégorie (v)) et les inférences (catégorie (vi)), les commissaires majoritaires de la SAR ont fait remarquer que, dans la plupart des cas, elle serait sur un pied d’égalité avec la SPR, et que personne n’aurait un avantage certain.
[73] Dans la même veine, en ce qui concerne les conclusions fondées sur la preuve documentaire (catégorie (vii)), dans la plupart des cas, la SAR serait tout aussi experte et capable d’examiner les documents et de tirer des conclusions à leur sujet. Cependant, les commissaires majoritaires de la SAR ont fait remarquer que la SPR peut avoir un avantage certain lorsqu’elle évalue la véracité de documents originaux qui ne sont pas soumis à la SAR, parce qu’elle se fonde sur des connaissances spécialisées en ce qui concerne le document en question, qu’elle questionne un demandeur d’asile à propos d’incohérences ayant trait à un document ou qu’elle entend l’explication donnée par un témoin.
[74] Pour conclure, en ce qui concerne les audiences (catégorie (viii), les commissaires majoritaires de la SAR ont fait remarquer que, lorsqu’elle tient une audience et qu’elle a donc la possibilité de voir et d’entendre les témoins, elle ne serait manifestement pas désavantagée par rapport à la SPR en ce qui concerne l’objet de l’audience. Ils ont cependant relevé que les audiences de la SAR sont normalement circonscrites aux questions soulevées dans l’appel. En ce qui concerne les conclusions qui ne sont pas soulevées dans l’appel à la SAR, la SPR détiendrait un avantage et cet avantage commanderait la déférence.
Les positions des parties au sujet de la question (ii)
[75] Les demandeurs en l’espèce prétendent que les commissaires majoritaires de la SAR ont commis une erreur en établissant, de façon anticipée, des catégories de conclusions en matière de crédibilité qui commandent la déférence, plutôt que de conclure que la question de savoir si SPR avait véritablement un avantage certain devait être tranchée au cas par cas. Ils font valoir que la SAR a créé une approche déraisonnablement rigide qui ne tient pas compte des nombreuses permutations possibles et des situations uniques pouvant survenir dans un dossier donné. Ces permutations et situations uniques signifient que le concept d’avantage certain ne peut être isolé des circonstances de l’audience de laquelle découle la conclusion.
[76] Les demandeurs prétendent aussi que, selon le modèle de la SAR, la question de savoir si un avantage certain existe semble être presque entièrement tributaire de la question de savoir si la conclusion en cause découle des témoignages livrés à l’audience. Selon les demandeurs, cela conduira, concrètement, à l’application d’une norme déférente par la SAR dès que les conclusions de la SPR sont fondées sur des témoignages, ce qui conduira, par conséquent, au recours déraisonnablement large à la déférence, puisque pratiquement toutes les conclusions concernant la crédibilité sont liées aux témoignages et que la crédibilité est un aspect primordial de toutes les demandes d’asile.
[77] L’AQAADI, qui a qualité d’intervenante, souscrit à cette position et fait valoir que la SAR a, dans certaines décisions subséquentes, omis de procéder à une analyse au cas par cas et qu’elle a simplement fait preuve de déférence dès que les conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité étaient fondées sur les témoignages (voir, à titre d’exemple, X (Re), 2017 CanLII 94169 (C.I.S.R.), au paragraphe 9).
[78] Le ministre répond que les commissaires majoritaires de la SAR n’ont pas commis une erreur en établissant ces catégories, puisqu’ils n’ont laissé aucun doute quant au fait que l’analyse relative à l’avantage certain doit être effectuée dans tous les cas. Lors de l’audition de la présente demande, l’avocat du ministre a soutenu que la SAR ne faisait qu’illustrer les situations dans lesquelles la SPR était plus susceptible d’avoir un avantage certain. Selon le ministre, l’avantage certain de la SPR découle généralement du fait qu’elle tient une audience, au cours de laquelle elle peut entendre les témoignages.
[79] Le ministre renchérit en mentionnant que si les tribunaux de la SAR interprètent mal à l’avenir les directives fournies dans ces catégories et que, par conséquent, ils font preuve d’une trop grande déférence dans le cadre de leur examen des décisions de la SPR, cette erreur pourra être corrigée en contrôle judiciaire. La possibilité que la SAR rende des décisions déraisonnables en raison du modèle élaboré par les commissaires majoritaires de la SAR ne signifie pas que ce modèle est vicié.
Analyse concernant la question (ii)
[80] Selon moi, les conclusions tirées par les commissaires majoritaires de la SAR au sujet des conditions déclenchant l’application d’une norme de contrôle déférente sont déraisonnables. Cela s’explique par le fait que les commissaires majoritaires de la SAR n’ont pas fait mention d’un cadre fondé sur des principes pour trancher la question de savoir si la SPR avait un avantage certain pour tirer des conclusions concernant la crédibilité dans une affaire donnée. Bien que les commissaires majoritaires de la SAR aient conclu que la SPR peut être mieux placée pour tirer certaines inférences lorsqu’elle a vu, entendu et questionné un témoin, ils n’ont pas formulé de démarche permettant d’établir, au cas par cas, si l’avantage certain existe véritablement.
[81] L’avocat du ministre, lorsqu’on lui a posé des questions à l’audience au sujet de cette faiblesse apparente du cadre composé de huit catégories et de l’absence de directives bien précises, a affirmé que les théories juridiques ne peuvent pas toutes être [traduction] « réduites à un slogan figurant sur une tasse de café ». C’est peut-être vrai, mais je conclus néanmoins qu’il n’était pas loisible à la majorité du tribunal de trois commissaires de la SAR de conclure que la déférence découle de l’avantage certain dont jouit la SPR.
[82] Cependant, la SAR a fourni ensuite peu de directives pour déterminer quand un tel avantage existe : pour la plupart de ses catégories, la SAR conclut que l’avantage certain, le cas échant, découle du fait que la SPR a vu et entendu le demandeur d’asile et les témoins. Bien que les commissaires majoritaires de la SAR aient jugé que la SPR peut avoir un avantage certain dans les cas où elle a entendu et vu un témoin, dans leur examen subséquent de la décision de la SPR sur le fond, ils ont conclu que la SPR avait bel et bien un avantage certain lorsque la conclusion en cause avait trait aux témoignages des demandeurs.
[83] Les demandeurs font ressortir plusieurs passages de la décision dans lesquels les commissaires majoritaires de la SAR ont conclu que la SPR avait un avantage certain justifiant ainsi qu’ils devaient faire montre de déférence. Dans chaque cas, la justification était simplement que la SPR avait décidé quelles questions elle allait poser, qu’elle avait vu les témoins et qu’elle avait entendu leurs réponses. Les commissaires majoritaires de la SAR n’ont pas expliqué si le fait de voir et d’entendre les témoins déclenchait toujours l’application d’une norme déférente, ni pourquoi cette norme avait été appliquée dans le cas précis des demandeurs. Comme l’ont fait remarquer les demandeurs, cette condition d’application de la norme déférente sera toujours déclenchée, car la SPR verra et entendra toujours les personnes qui témoignent lors de ses audiences.
[84] Une façon concrète d’établir si la SPR était véritablement mieux placée, et donc qu’elle avait un avantage certain pour rendre une conclusion donnée serait d’examiner si le fondement de la conclusion contestée figure dans le dossier soumis à la SAR. Il s’agissait du thème général qui est à la base d’une grande partie des arguments dont je disposais lors de l’audience de la présente demande. Par exemple, l’avocat du ministre a déclaré, lors des plaidoiries, que le concept de l’avantage certain dont dispose la SPR repose sur le fait que la SPR dispose de renseignements auxquels la SAR n’a pas accès.
[85] Dans la même veine, les demandeurs font remarquer dans leur documentation écrite que la SPR peut tirer une conclusion concernant la crédibilité en se fondant sur des situations ou des incidents qui se sont produits dans la salle d’audience et qui ne figurent pas dans l’enregistrement ou la transcription de l’audience. Dans de tels cas, on peut affirmer que la SPR dispose d’un avantage certain, en ce sens que la SAR ne disposerait pas des motifs pour lesquels la SPR a conclu comme elle l’a fait et qu’elle ne pourra pas les examiner de façon indépendante.
[86] Lors de l’instruction de la présente demande, les demandeurs ont renvoyé la Cour à un certain nombre de précédents dans lesquels l’approche qu’ils privilégient a été adoptée par la SAR dans des décisions postérieures à celles visées par le présent contrôle judiciaire. Je passerai brièvement en revue trois de ces précédents.
[87] Tout d’abord, dans la décision X (Re), 2017 CanLII 142903 (C.I.S.R.), la SAR a conclu que la SPR n’avait pas un avantage certain, parce que les erreurs soulevées dans l’appel concernent des incohérences et divergences « évidentes » (au paragraphe 17). Le commissaire de la SAR, renvoyant à l’arrêt Huruglica et à la décision des commissaires majoritaires de la SAR en l’espèce, a tiré la conclusion suivante [au paragraphe 17] :
[…] mon approche du présent appel consiste à analyser le dossier et à relever toute erreur pouvant avoir été commise par la SPR d’après les questions soulevées dans le mémoire d’appel. Ensuite, je rendrai une décision à la lumière des éléments de preuve qui constituent le dossier. Je souligne que les erreurs relevées dans le présent appel concernent des incohérences et des divergences dans la preuve qui sont évidentes à première vue dans le dossier. Ayant examiné l’intégralité du dossier et écouté l’enregistrement audio de l’audience de la SPR, je conclus que la SPR n’avait pas un avantage certain sur la SAR pour évaluer ces divergences. Je n’ai donc pas fait preuve de déférence à l’égard de la SPR quant à ces conclusions. [Note omise.]
[88] Deuxièmement, la SAR a adopté une démarche similaire dans la décision X (Re), 2017 CanLII 61324 (C.I.S.R.). Dans cette affaire, le commissaire de la SAR a statué que la SPR n’avait pas un avantage certain, parce que les questions en litige portaient sur « le contenu du témoignage et non sur des éléments comportementaux ou autres que la SPR pourrait observer, mais que la SAR ne pourrait pas » (au paragraphe 8).
[89] La troisième, soit la décision X (Re), 2017 CanLII 142477 (C.I.S.R.), était un cas où le tribunal de la SAR a conclu, après avoir écouté l’enregistrement de l’audience et lu les conclusions de la SPR, qu’aucun avantage certain n’existait [au paragraphe 8] :
[…] Dans la présente affaire, même si certaines des questions concernaient des évaluations de la crédibilité fondées sur les témoignages de vive voix, j’estime que la SPR n’a pas joui d’un avantage, car j’ai pu entendre et comprendre l’enregistrement de l’audience et examiner les conclusions de la SPR dans ses motifs, et je n’examine donc pas ses conclusions en appliquant la norme de la décision raisonnable.
[90] Je remarque que la justification donnée par la SAR sur ces points a été jugée raisonnable par la Cour en contrôle judiciaire : voir, à titre d’exemple, la décision Odia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 363 (Odia) [au paragraphe 5] :
Après examen de la décision de la SAR, je ne vois aucun fondement justifiant l’intervention de la Cour. En l’espèce, la SAR a précisé et établi de façon appropriée son rôle eu égard à Huruglica (au paragraphe 103) d’examiner la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte, y compris la question de crédibilité, et d’effectuer sa propre analyse du dossier pour déterminer si la SPR avait commis une erreur. La SAR a raisonnablement décidé que la SPR n’était pas dans une position avantageuse pour évaluer et déterminer la crédibilité de la demanderesse puisque la SAR a été en mesure d’écouter et de comprendre l’enregistrement de l’audience menée par la SPR, et d’examiner les conclusions de la SPR dans ses motifs (voir Huruglica, au paragraphe 70).
[91] Selon l’approche adoptée dans ces trois décisions de la SAR ainsi que dans la décision Odia, on applique une norme de contrôle déférente uniquement lorsqu’il ne serait pas possible de faire un examen selon la norme de la décision. Cette approche est compatible avec la décision Ozdemir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 621, dans laquelle le juge Zinn a jugé qu’il était déraisonnable de la part de la SAR d’examiner les conclusions concernant la crédibilité tirées par la SPR en fonction d’une norme déférente dans une situation où la SAR était aussi bien placée que la SPR pour apprécier la preuve :
[…] Tout au long de la partie sur la crédibilité, la SAR affirme que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont « raisonnables » et n’effectue jamais sa propre analyse quant à savoir si elle en serait arrivée à une conclusion semblable au vu de la preuve. J’ajoute que rien dans l’analyse de la crédibilité de la SPR ne reposait sur le comportement du demandeur à la barre des témoins. L’évaluation de la crédibilité était plutôt fondée sur les omissions et les divergences entre son Fondement de la demande d’asile et son témoignage oral. Par conséquent, la SAR était tout aussi habilitée que la SPR à tirer sa propre conclusion quant à la crédibilité du demandeur au vu de l’enregistrement de l’audience, des documents et de l’explication offerte à la SPR.
[92] Si la SPR n’a un avantage certain que dans les situations où sa décision s’appuie sur un certain facteur qui ne peut pas être reproduit dans le dossier, les situations dans lesquelles la SPR a vraiment un avantage certain seraient relativement rares (voir aussi l’arrêt R. c. N.S., 2012 CSC 72, [2012] 3 R.C.S. 726 (R. c. N.S.), aux paragraphes 98 à 102 (la juge Abella, dissidente)).
[93] Je conviens avec les intervenants que le dossier dont dispose la SAR devrait, dans la plupart des cas, divulguer tous les renseignements sur lesquels la SPR s’est fondée pour tirer ses conclusions et permettre à la SAR de les examiner selon la norme de la décision correcte. Selon moi, toute autre solution serait incompatible avec l’obligation de la SPR de tirer ses conclusions concernant la crédibilité en termes clairs et explicites (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (QL) (C.A.), au paragraphe 6). En outre, en raison de cette obligation, la SPR finit par élaborer un dossier qui est à la hauteur du rôle solide de tribunal d’appel joué par la SAR.
[94] Évidemment, cette affirmation tient pour acquis que la SPR peut, à l’occasion, raisonnablement tirer une conclusion concernant la crédibilité en se fondant sur des renseignements sur lesquels la SAR n’aura pas accès en appel. L’ACAADR et le CCR contestent cette affirmation et ils prétendent que la SAR est toujours dans une aussi bonne position que la SPR pour tirer des conclusions de fait.
[95] À cet égard, l’ACAADR et le CCR prétendent que les renseignements qu’un témoin a l’intention de transmettre doivent toujours être versés au dossier par la SPR. Par exemple, les intervenants citent la possibilité d’avoir recours à une vidéo d’un témoin qui se livre à une activité religieuse, ou de faire une description précise d’une conduite qui soulève des préoccupations, comme lorsqu’un témoin regarde en direction du conseil pour obtenir des réponses lorsqu’on lui pose une question.
[96] En résumé, l’ACAADR et le CCR soutiennent que, dans la mesure où le dossier comporte des lacunes, que ce soit en raison de l’absence d’indices non verbaux ou physiques qui soulèvent des doutes et mènent à des conclusions défavorables concernant la crédibilité, ces lacunes devraient être expliquées clairement et explicitement par le décideur, qui doit s’assurer que le dossier ne laisse pas place à interprétation.
[97] Quoi qu’il en soit, l’ACAADR et le CCR prétendent que le comportement ne peut jamais raisonnablement constituer le fondement d’une conclusion concernant la crédibilité. Ces intervenants affirment que le comportement est uniquement pertinent dans le contexte du processus d’établissement des faits, dans la mesure où celui-ci facilite la fonction inquisitoriale de la SPR en mettant cette dernière sur la piste de questions utiles à poser et en lui permettant de faire ressortir du contenu que la SAR peut lire dans le dossier et examiner.
[98] L’ACAADR et le CCR prétendent aussi que, selon le régime prévu par la LIPR, la SAR joue le rôle de second évaluateur des risques quant au fondement de chaque demande d’asile, et que la SAR doit s’acquitter de cette tâche, même si la preuve dont elle dispose n’est pas parfaite. Les intervenants font remarquer que la SPR tire ses conclusions en se fondant sur une preuve imparfaite, laquelle peut comprendre du ouï-dire ou des affidavits de personnes n’ayant pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire.
[99] Je ne juge pas cette comparaison utile. La SAR ne procède pas à un examen de novo; elle est limitée par le dossier dont elle dispose et par ses fonctions de tribunal d’appel (Huruglica, aux paragraphes 79 et 103). En fait, je conviens avec les demandeurs qu’étant donné que la SAR n’a pas pour rôle de procéder à un examen de novo de la demande d’asile, elle doit s’en tenir à la décision de la SPR (voir, à titre d’exemple, la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Gebrewold, 2018 CF 374, au paragraphe 25).
[100] Comme l’ACAADR et le CCR, l’AQAADI s’oppose fortement à la pertinence de la preuve du comportement, en renvoyant la Cour à des précédents dans lesquels de sérieuses réserves avaient été exprimées relativement à son utilisation (notamment, les décisions R. c. Rhayel, 2015 ONCA 377, 324 C.C.C. (3d), aux paragraphes 85 à 89; L.L. c. R., 2016 QCCA 1367, [2016] R.D.Q. no 3828, aux paragraphes 88 à 90; R. v. Pelletier, 1995 ABCA 128, 165 A.R. 138, au paragraphe 18). En fait, l’AQAADI énonce dans sa recherche qu’elle ne pouvait déceler un précédent de la SAR dans lequel le comportement fut un élément déterminant des réserves concernant la crédibilité.
[101] Cependant, l’AQAADI ne fermerait pas la porte à la possibilité que la SPR puisse, dans certains cas, avoir un avantage certain. Il s’ensuit qu’elle met l’accent sur le fait que l’analyse relative à l’avantage certain doit être réalisée de façon adéquate dans tous les cas.
[102] Le ministre réplique en affirmant que, bien que la preuve relative au comportement comporte des faiblesses, son utilisation reste permise en droit au Canada (voir la décision R. v. R.D., 2016 ONCA 574, 342 C.C.C. (3d) 236, au paragraphe 25). Le ministre prétend, en renvoyant au passage suivant de l’arrêt R. c. N.S., que l’établissement des faits n’est pas une science, mais plutôt un processus complexe et ardu dans lequel le comportement est d’une certaine pertinence [aux paragraphes 26 et 27] :
Les changements dans le comportement du témoin peuvent s’avérer fort révélateurs; dans Police c. Razamjoo, [2005] D.C.R. 408, un juge de la Nouvelle-Zélande appelé à décider si les témoins pouvaient déposer en portant des burkas a fait remarquer ce qui suit :
[traduction] … il existe des cas […] où le comportement du témoin change radicalement au cours de sa déposition. Le regard qui dit « j’espérais ne pas avoir à répondre à cette question », parfois même un regard de pure haine porté sur l’avocat par un témoin qui a manifestement l’impression d’être pris au piège, peuvent être expressifs. Cela vaut également pour les changements brusques dans l’élocution, l’expression du visage ou le langage corporel. Le témoin qui passe d’une élocution calme au bafouillage nerveux; le témoin qui, au départ, parlait clairement et regardait son interlocuteur droit dans les yeux et qui commence à hésiter et à regarder ses pieds; le témoin qui, à un moment donné, devient nerveux et commence à transpirer, voilà autant d’exemples de situations où, malgré les obstacles culturels et linguistiques, le témoin transmet, du moins en partie par l’expression de son visage, un message concernant sa crédibilité. [par. 78]
Au vu du dossier qui nous est présenté, je conclus qu’il existe un lien étroit entre la possibilité de voir le visage du témoin et la tenue d’un procès équitable. La possibilité de voir le visage du témoin n’est pas le seul — et probablement pas le plus important — facteur à prendre en considération dans le contexte du contre-interrogatoire ou de l’appréciation exacte de la crédibilité. Toutefois, son importance est trop enracinée dans notre système de justice pénale pour qu’on l’écarte en l’absence d’une preuve convaincante.
[103] Les intervenants m’ont imploré de m’écarter de ces précédents, en raison du contexte propre aux décisions en matière de droit des réfugiés. Je garde bel et bien à l’esprit les études et la doctrine, notamment les travaux de la professeure Hilary Evans Cameron dans son ouvrage récemment publié Refugee Law’s Fact-Finding Crisis : Truth, Risk and Wrong Mistake, (Cambridge (R.-U.) : Cambridge University Press, 2018), qui donnent à réfléchir et amènent à repenser au fondement des conclusions concernant la crédibilité.
[104] Cependant, je n’ai pas été convaincu de m’écarter de l’opinion exprimée par les tribunaux supérieurs et dans la jurisprudence bien établie par mes collègues de la Cour fédérale selon laquelle le fait de voir et d’entendre un témoin peut conférer un avantage à la SPR en matière d’établissement des faits (voir, à titre d’exemple, la décision Paye c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 685, au paragraphe 14, relativement à la SAR, et la décision Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 41 à 45). Ce type de réflexion est raisonnable et constitue le fondement de la déférence dont on doit faire preuve relativement aux conclusions de fait dans les autres domaines de droit.
[105] Les commissaires majoritaires de la SAR avaient clairement des préoccupations à propos de l’incapacité de la SAR de véritablement examiner, selon la norme de la décision correcte, les conclusions fondées sur la proximité de la SPR avec un témoin ou avec des éléments ne pouvant pas figurer au dossier. Cependant, il n’était pas raisonnable de la part des commissaires majoritaires de la SAR de ne donner aucune directive quant à la manière avec laquelle ce facteur devrait être pris en considération dans leur analyse relative aux catégories de conclusions. Les questions se rapportant simplement aux témoignages livrés à l’audience ne peuvent pas constituer un motif justifiant de faire preuve de déférence. En fait, les facteurs pertinents doivent se rapporter aux témoignages et ne pas pouvoir être inclus dans le dossier dont dispose la SAR. Ce n’est qu’à ce moment-là que la SPR dispose d’un avantage certain sur la SAR.
[106] Plutôt que d’expliquer cette différence et d’analyser les situations où le fait d’entendre les témoignages confère un avantage certain à la SPR, les commissaires majoritaires de la SAR semblent adopter le raisonnement selon lequel le fait d’entendre les témoignages confère en soi à la SPR cet avantage. En fin de compte, cela soulève la question de savoir quand la SPR dispose d’un avantage certain, parce que ce tribunal entend toujours les témoignages. En d’autres termes, la SPR dispose, en tout temps, d’un avantage général. La question clé est donc de savoir dans quels cas cet avantage s’applique de manière précise aux témoignages. Ce n’est que dans ces cas que cet avantage devient un avantage certain et que la SAR doit faire preuve de déférence envers la SPR.
La conclusion quant à la question (ii)
[107] Les commissaires majoritaires de la SAR ont commis une erreur en omettant de décrire aux tribunaux qui seront constitués les cas où l’avantage général de la SPR en matière d’établissement des faits devient un avantage à la fois précis et certain, ce qui justifierait alors l’application d’une norme de contrôle déférente. Selon moi, la divergence dans les décisions subséquentes rendues par la SAR quant à cette question, comme je l’ai fait ressortir ci-dessus, reflète les lacunes dans le modèle élaboré par les commissaires majoritaires de la SAR qui font que sa décision est déraisonnable.
Question (iii) : Le contenu de la déférence
[108] Dans l’arrêt Khosa, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que, bien que la plupart des lois énoncent les motifs de contrôle judiciaire, seules certaines lois précisent la norme de contrôle applicable et un nombre encore moins élevé de lois définissent le contenu de la norme en question (au paragraphe 50). C’est le cas en l’espèce. La SAR a raisonnablement conclu que, bien que la LIPR ouvre la porte à deux normes de contrôle, la teneur de la norme déférente n’est précisée ni dans la loi ni par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica. En fait, la Cour d’appel fédérale a plutôt laissé à la SAR la responsabilité d’interpréter le concept de déférence. Donc, la dernière question dont je suis saisi est de savoir si la SAR a tiré des conclusions raisonnables quant au contenu de la norme déférente qu’elle doit appliquer.
[109] Les parties à la présente demande ont toutes présenté des arguments à propos des diverses manières par lesquelles la déférence envers la SAR et la SPR trouve son expression dans le régime législatif. Par exemple, les demandeurs ont prétendu que la LIPR intègre le concept de déférence institutionnelle, parce qu’un demandeur d’asile ne peut interjeter un appel auprès de la SAR si la SPR conclut que leur demande d’asile est manifestement infondée (LIPR, à l’article 107.1) ou qu’elle fait état dans sa décision de l’absence d’un minimum de fondement de la demande (LIPR, au paragraphe 107(2)). D’un autre côté, l’ACAADR et le CCR ont mis l’accent sur le concept de déférence quant à la réparation. Ces cas de déférence ont lieu lorsque la SAR renvoie une affaire à la SPR plutôt que de substituer sa propre décision quant à l’issue d’une demande d’asile.
[110] Bien que je convienne qu’il s’agit là, au sens large, de deux formes de déférence, celles-ci ne nous aident pas pour trancher la véritable question qui était soumise à la SAR, à savoir, comment cette dernière est-elle censée juger qu’une conclusion bien précise concernant la crédibilité tirée par la SPR peut être confirmée?
La décision rendue par la SAR quant à la question (iii)
[111] Dans le cadre de son analyse, la SAR était saisie de précédents dans lesquels différents points de vue étaient adoptés quant à cette question. À titre d’exemple, les commissaires majoritaires de la SAR ont renvoyé à des précédents antérieurs à l’arrêt Huruglica, dans lesquels la Cour fédérale a conclu que l’utilisation par la SAR de la norme de la décision raisonnable pour procéder à l’examen de conclusions concernant la crédibilité tirées par la SPR constituait une erreur (voir, à titre d’exemple, Khachatourian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182, aux paragraphes 30 et 31). Mais la SAR a aussi renvoyé à des décisions rendues par la Cour après l’arrêt Huruglica dans lesquelles elle a conclu que la SAR devait appliquer la norme de la décision raisonnable dans de telles circonstances (Al Moussawi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 441, au paragraphe 16; Sinnaraja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 778, au paragraphe 23).
[112] Les commissaires majoritaires de la SAR ont conclu que le degré de déférence dont il convenait de faire preuve envers les conclusions concernant la crédibilité tirées par la SPR n’était pas le même que celui dont la Cour doit faire preuve en contrôle judiciaire, parce que, même dans les cas où il est justifié de faire montre de déférence, la SAR doit tout de même procéder à un examen indépendant de la preuve sur laquelle la conclusion était fondée. En d’autres termes, les commissaires majoritaires de la SAR ont conclu qu’il convenait d’appliquer une norme de contrôle pouvant être assimilée à la décision raisonnable, dans la mesure où la SAR s’est également livrée à une analyse indépendante de la preuve.
[113] Plus précisément, les commissaires majoritaires de la SAR ont conclu que la norme de la décision raisonnable appliquée par la SAR trouve application dans les situations où la SPR a un avantage certain pour tirer une conclusion concernant la crédibilité. Les commissaires majoritaires de la SAR ont affirmé que, bien que la norme de la décision raisonnable appliquée par la SAR ne soit pas identique à la norme de la décision raisonnable applicable en contrôle judiciaire, la SAR continuerait à se fonder sur la jurisprudence expliquant et définissant la décision raisonnable dans le contexte du contrôle judiciaire.
[114] Les commissaires majoritaires de la SAR se sont ensuite penchés sur l’arrêt Dunsmuir et ont conclu que la SAR devrait analyser à la fois le processus et le résultat. C’est-à-dire que la conclusion de la SPR serait maintenue si elle a été le résultat d’un processus de raisonnement compréhensible, en ce sens que la SAR pouvait lire la conclusion de la SPR et comprendre comment cette dernière a pu être tirée, et que l’issue était étayée par la preuve.
[115] L’opinion des commissaires majoritaires de la SAR rend implicite le fait qu’une norme de contrôle pouvant être assimilée à la décision raisonnable peut être employée si la SAR a également effectué un examen indépendant de l’affaire dont elle est saisie.
Les positions des parties au sujet de la question (iii)
[116] Les demandeurs prétendent que la norme raisonnable appliquée par la SAR, soit le concept de déférence appliqué par la SAR, est déraisonnable, parce cette norme entraîne comme résultat un dédoublement, au palier administratif, du cadre élaboré dans l’arrêt Dunsmuir. Ils affirment que cela va à l’encontre de l’arrêt Huruglica, dans lequel la Cour d’appel fédérale a jugé que le rôle de la SAR « ne consiste pas à examiner les décisions de la SPR selon la procédure de contrôle judiciaire » (au paragraphe 37).
[117] Les demandeurs prétendent que l’approche adoptée par les commissaires majoritaires de la SAR entraîne une situation que le professeur Daly a qualifiée de « double déférence » dans l’article « Les appels administratifs au Canada » (2015), 93 R. Du B. can. 71 (Les appels), à la page 84. La double déférence renvoie à la situation où la Cour fédérale a pour tâche d’examiner le caractère raisonnable de l’analyse faite par la SAR quant au caractère raisonnable de la décision de la SPR dont elle est saisie.
[118] Par conséquent, les demandeurs prétendent que toute expression de déférence de la part de la SAR devrait être d’un degré moindre que celle prévue par la norme de la décision raisonnable et que la SAR ne devrait pas employer le langage du contrôle judiciaire. Ils soutiennent qu’aucun autre résultat ne prend appui dans le régime créé par la LIPR.
[119] Les demandeurs se fondent aussi sur l’analyse du professeur Daly pour affirmer que la SAR n’est pas un tribunal d’appel généraliste typique qui ne possède pas l’expertise spécialisée du tribunal inférieur, mais est plutôt un tribunal d’appel hautement spécialisé (Les appels, aux pages 75–76).
[120] Le ministre prétend que la norme de la décision raisonnable appliquée par SAR est suffisamment distincte de la norme appliquée en contrôle judiciaire, parce que la SAR doit commencer son processus en examinant, de façon générale et indépendante, l’affaire dont elle est saisie, alors qu’en contrôle judiciaire, la Cour met l’accent sur les motifs du décideur. Le ministre affirme que la « décision raisonnable » n’est qu’un terme que la SAR utilise tout simplement, et que ce concept est intrinsèquement souple en ce sens qu’il convient au degré de déférence dont la SAR doit faire preuve à l’égard de la SPR, et qu’il s’agit donc d’une norme raisonnable.
[121] L’ACAADR et le CCR prétendent que la SAR ne peut effectuer un examen indépendant du fondement d’une conclusion donnée, tout en l’examinant selon une norme déférente. À leur avis, cela fait ressortir une contradiction fondamentale et irréconciliable entre l’idée d’une norme de contrôle déférente et l’obligation imposée à la SAR de procéder à un examen indépendant. L’ACAADR et le CCR affirment que cette contradiction est aussi apparente dans le raisonnement de la commissaire minoritaire de la SAR, dans lequel elle a livré l’avertissement suivant [au paragraphe 156] :
Déterminer le degré de déférence est un sujet hasardeux. Si je devais qualifier la norme de révision de la SAR lorsqu’elle examine des conclusions de crédibilité de la SPR, elle ne doit pas être une norme qui limite son pouvoir d’intervention. Malgré la position privilégiée dont bénéficie la SPR dans certains cas, la démarche de la SAR consiste à prendre un recul pour mieux procéder à un examen indépendant et attentif de la preuve dont elle dispose dans le but de déterminer si la SPR a commis une erreur justifiant son intervention.
L’analyse concernant la question (iii)
[122] Il convient de formuler des commentaires supplémentaires au sujet de l’obligation de la SAR de faire un examen indépendant. Dans l’arrêt Huruglica, la Cour d’appel fédérale n’a pas expressément utilisé le terme « examen indépendant ». Néanmoins, il a été conclu, dans des décisions postérieures à l’arrêt Huruglica, que cet arrêt appuyait la proposition selon laquelle la SAR doit faire examen approfondi, complet et indépendant (voir, à titre d’exemple, la décision Gabila c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 574, au paragraphe 20; Marin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 847, aux paragraphes 32–33).
[123] Il semblerait alors que faire un examen indépendant pourrait être perçu comme étant en contradiction avec faire un examen selon la norme de la décision raisonnable, et donc synonyme avec faire un examen selon la norme de la décision correcte (voir les décisions Taqadees c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1072, au paragraphe 10; Daniel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1049, aux paragraphes 11 et 12; Kayitankore c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1030, au paragraphe 23).
[124] Je conviens avec l’ACAADR et le CCR que, si l’examen indépendant est interprété comme étant équivalent à la norme de la décision correcte, les commissaires majoritaires de la SAR ne pouvaient pas raisonnablement conjuguer ce concept avec celui de la déférence. Toutefois, la Cour a aussi statué que, même dans un cas où la SAR a recours à une norme de contrôle déférente, elle doit faire un examen indépendant de la preuve (voir les décisions Guo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 317, aux paragraphes 15 à 19; Jeyaseelan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 278, aux paragraphes 19 à 21).
[125] Je retiens des précédents mentionnés ci-dessus que la SAR doit procéder à un examen de la plupart des conclusions de la SPR selon la norme de la décision correcte et substituer ses propres conclusions lorsqu’elles diffèrent de celles de la SPR. Toutefois, même pour les conclusions qui appellent à l’utilisation d’une norme de contrôle déférente, il est nécessaire de faire un examen indépendant, de quelque nature que ce soit. La déférence n’équivaut jamais à une approbation aveugle (voir Dunsmuir, au paragraphe 48).
[126] En résumé, après avoir examiné la justification donnée par les commissaires majoritaires de la SAR, je conclus que la norme de la décision raisonnable appliquée par la SAR ne s’écarte pas de la norme de la décision raisonnable qui est appliquée lors du contrôle judiciaire du simple fait qu’elle emporte un examen indépendant.
[127] Je m’attarde maintenant aux autres arguments du ministre. Il est d’avis que l’emploi, par les commissaires majoritaires de la SAR, du terme « décision raisonnable » ne constitue pas une erreur, puisqu’il ne s’agit là que d’une étiquette qui décrit un degré de déférence et que ce terme peut être employé dans un cadre autre que celui du contrôle judiciaire. Le ministre prétend aussi que les commissaires majoritaires de la SAR ont employé ce terme de façon souple, de façon à ce qu’il cadre avec la réalité particulière de la SAR.
[128] Je crois qu’il est évident en l’espèce que, sans égard à l’étiquette utilisée, le contenu de la norme déférente adoptée par les commissaires majoritaires de la SAR constitue une reproduction du cadre qui doit être appliqué lors du contrôle judiciaire. En fait, le professeur Daly a formulé une telle observation dans un récent article portant sur la décision des commissaires majoritaires de la SAR, en écrivant que le critère applicable à la norme de la décision raisonnable appliquée par la SAR qui est élaborée dans la décision des commissaires majoritaires est difficile à distinguer du critère élaboré par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, et Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 708; (voir Paul Daly, « Effective Administrative Appeals (Again) : Re X, 2017 CanLII 33034 (CA IRB) » (16 juillet 2018), en ligne (blogue) : Administrative Law Matters, www.administrativelawmatters.com).
[129] En outre, les commissaires majoritaires de la SAR ont reconnu que la SAR adoptait une norme de contrôle judiciaire pour ses propres besoins lorsqu’elle a écrit qu’elle « évaluera le caractère raisonnable dans le contexte du rôle qui lui est propre en s’efforçant d’éviter de fragmenter plus avant cette norme en degrés divers » (décision de la SAR, au paragraphe 70).
[130] Selon moi, les conclusions des commissaires majoritaires de la SAR quant au contenu de sa norme déférente ne sont pas compatibles avec les directives de la Cour d’appel fédérale selon lesquelles la SAR ne doit pas procéder au contrôle des décisions de la SPR comme s’il s’agissait d’un contrôle judiciaire (Huruglica, aux paragraphes 37 et 47–48).
[131] Je reconnais qu’il est extrêmement ardu pour la SAR d’élaborer le contenu du concept de déférence en termes pratiques pour ses propres besoins. En fait, cela n’a pas été une tâche facile pour les cours de justice de le faire dans le contexte du contrôle judiciaire. Néanmoins, je conclus que l’explication donnée par les commissaires majoritaires de la SAR au sujet de la norme de la décision raisonnable appliquée par la SAR ne fait que décrire les tâches d’un tribunal dans le contexte d’un contrôle judiciaire et que, par conséquent, cette explication n’appartient pas aux issues possibles acceptables auxquelles elle pouvait raisonnablement parvenir.
[132] Ce n’est pas à moi qu’il revient d’énoncer le contenu de la norme déférente appliquée par la SAR. Cependant, je fais remarquer qu’il serait plus facile pour la SAR de façonner une norme de contrôle déférente qui lui est propre si elle relevait tout d’abord clairement les conditions déclenchant l’application de la déférence : soit, ce que signifie, concrètement, pour la SPR de disposer d’un avantage certain lorsqu’elle tire une conclusion donnée concernant la crédibilité. Cela se rapporte directement aux commentaires que j’ai formulés concernant la question (ii) ci-dessus.
[133] Plus important encore, le contenu de la norme déférente appliquée par la SAR doit être compatible avec l’objet de sa loi habilitante et animé par celui-ci (voir Doshi c. Canada (Procureur général), 2018 CF 710, [2019] 1 R.C.F. 157, aux paragraphes 75 et 80; voir aussi Workers Comp. of P.E.I. v. Dyment, 2016 PECA 10, au paragraphe 48). Le ministre a prétendu que les commissaires majoritaires de la SAR n’avaient pas l’obligation de choisir d’appliquer une norme moins déférente que celle élaborée dans l’arrêt Dunsmuir. Je m’inscris en faux relativement à cet argument. La Cour d’appel fédérale, après examen de l’objet de la loi habilitante, a statué au paragraphe 66 de l’arrêt Huruglica que la SAR était un organisme sui generis créée par la loi dont le rôle est d’agir à titre de filet de sécurité.
[134] La commissaire minoritaire de la SAR a démontré dans son analyse qu’elle a tenu compte de cette réalité. Elle a hésité à adopter une norme de contrôle ayant pour effet de limiter les fonctions de la SAR en ce qui a trait à la correction d’erreurs. Elle a écrit ce qui suit dans la décision de la SAR [au paragraphe 159] :
Les décisions actuelles de la Cour fédérale ou de la Cour d’appel fédérale ont fait ressortir des types de cas où la SPR se trouverait dans une position avantageuse vis-à-vis de la SAR et vice versa. À titre d’exemple, la Cour fédérale a déclaré que pour des conclusions d’invraisemblances la SAR est aussi bien placée que la SPR. La Cour fédérale a également jugé que dans les cas où la SAR ne dispose pas des originaux des documents, il est approprié pour la SAR de faire preuve de déférence envers la SPR en ce qui concerne l’authenticité d’un document. Ceci étant, j’estime moi aussi qu’il n’y a pas lieu que j’élabore davantage sur les situations possibles de se présenter devant la SAR car je crains que de faire des généralités ou d’établir des catégories n’amène la SAR vers une forme de rigidité. Comme l’a déclaré la juge Gauthier, le degré de déférence dû à la SPR « doit être apprécié au cas par cas. Dans chaque cas, la SAR doit rechercher si la SPR a joui d’un véritable avantage et si, le cas échéant, elle peut néanmoins rendre une décision définitive relativement à une demande d’asile ». [Renvois omis.]
[135] Je conviens avec les demandeurs que, peu importe le nom qu’on lui donne, l’examen selon la norme de la décision raisonnable qui a été élaboré pour les besoins du contrôle judiciaire ne s’applique pas dans le contexte de la SAR. Dans l’arrêt Huruglica, la Cour d’appel fédérale a fait référence à la promesse du ministre Kenney d’un « appel fondé sur les faits » (Huruglica, au paragraphe 94). Le concept de la norme de la décision raisonnable appliquée par la SAR, tel qu’élaboré par les commissaires majoritaires de la SAR, n’est pas différent de celui élaboré dans l’arrêt Dunsmuir pour les besoins du contrôle judiciaire, et n’est donc pas compatible avec un appel fondé sur les faits.
Conclusion au sujet de la question (iii)
[136] Je fais remarquer que la Cour d’appel fédérale a écrit qu’« il faut toujours garder à l’esprit que le tout premier objet de la LIPR (alinéa 3(2)a)) est de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution » (Huruglica, au paragraphe 53). La présente affaire, comme toutes les affaires en matière de droit des réfugiés, a une incidence sur des vies. Selon moi, pour être raisonnable, une norme déférente façonnée par la SAR ne peut pas tout simplement reproduire le rôle de surveillance de la Cour dans le contexte du contrôle judiciaire. La norme de la décision raisonnable appliquée par la SAR présente le risque de limiter la possibilité d’obtenir la correction de conclusions concernant la crédibilité qui sont viciées.
La deuxième question en litige : Les conclusions tirées par la SAR quant à l’appel sur le fond étaient-elles raisonnables?
[137] Étant donné mes conclusions quant à la première question en litige, il n’est ni approprié ni nécessaire que je me prononce sur la décision de la SAR en ce qui concerne le bien-fondé de l’appel interjeté par les demandeurs. Je renverrai ce dossier à la SAR pour qu’il fasse l’objet d’une nouvelle décision qui sera rendue par un tribunal différemment constitué.
V. Les questions certifiées
[138] Compte tenu du critère applicable à la certification qui a récemment été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674, je certifie les trois questions suivantes :
1) Était-il raisonnable de la part de la SAR de conclure que, sous le régime de la LIPR, certaines des conclusions de la SPR sont susceptibles de contrôle selon une norme déférente (c’est-à-dire, une norme différente de la norme de la décision correcte)?
2) Était-il raisonnable de la part de la SAR de conclure que la norme déférente s’applique dans une situation où la SPR a un avantage certain pour tirer la conclusion visée par le contrôle et, le cas échéant, la SAR a-t-elle élaboré un cadre raisonnable permettant de cerner un tel avantage?
3) Était-il raisonnable de la part de la SAR d’adopter la norme de contrôle de la décision raisonnable de la SAR, une norme déférente, au titre de laquelle elle fera preuve de déférence envers les conclusions de la SPR dans les cas où elle peut comprendre comment ces conclusions ont été tirées et lorsque ces conclusions sont fondées sur la preuve figurant au dossier?
[139] Ces trois questions reprennent les questions de droit qui ont été soulevées et sont déterminantes quant aux présents motifs, en ce sens qu’elles découlent de l’affaire elle-même plutôt que de la manière dont j’ai tranché la demande. Les trois questions soulèvent aussi des questions graves de portée générale qui transcendent les intérêts des parties (Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229, au paragraphe 36).
[140] Je fais remarquer que les intervenants avaient initialement demandé le droit d’interjeter appel du présent jugement (voir Rozas del Solar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 156, au paragraphe 31), mais qu’ils se sont désistés lors de l’instruction de la présente demande.
VI. Conclusion
[141] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Trois questions sont certifiées, conformément aux présents motifs. Je souhaite remercier tous les avocats pour leurs excellentes observations, lesquelles ont grandement aidé la Cour.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2645-17
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.
2. Les questions suivantes sont certifiées :
i. Était-il raisonnable de la part de la SAR de conclure que, sous le régime de la LIPR, certaines des conclusions de la SPR sont susceptibles de contrôle selon une norme déférente (c’est-à-dire, une norme différente de la norme de la décision correcte)?
ii. Était-il raisonnable de la part de la SAR de conclure que la norme déférente s’applique dans une situation où la SPR a un avantage certain pour tirer la conclusion visée par le contrôle et, le cas échéant, la SAR a-t-elle élaboré un cadre raisonnable permettant de cerner un tel avantage?
iii. Était-il raisonnable de la part de la SAR d’adopter la norme de contrôle de la décision raisonnable de la SAR, une norme déférente, au titre de laquelle elle fera preuve de déférence envers les conclusions de la SPR dans les cas où elle peut comprendre comment ces conclusions ont été tirées et lorsque ces conclusions sont fondées sur la preuve figurant au dossier?
3. Aucuns dépens ne sont accordés.