A-78-17
A-217-16
A-218-16
A-223-16
A-224-16
A-225-16
A-232-16
A-68-17
A-74-17
A-75-17
A-76-17
A-77-17
A-84-17
A-86-17
2018 CAF 153
Tsleil-Waututh Nation, Ville de Vancouver, Ville de Burnaby, Nation Squamish (également appelée Bande indienne Squamish), Xàlek/Sekyú Siýam, Chef Ian Campbell, pour son propre compte et au nom de tous les membres de la Nation Squamish, Bande indienne Coldwater, Chef Lee Spahan, à titre de chef de la Bande Coldwater et au nom de tous les membres de la Bande Coldwater, Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá:y Village, Soowahlie, Première Nation Squiala, Tzeachten, Yakweakwioose, Skwah, Chef David Jimmie, pour son propre compte et au nom de tous les membres de la tribu Ts’elxwéyeqw, Bande Upper Nicola, Chef Ron Ignace et Chef Fred Seymour, pour leur propre compte et au nom de tous les autres membres de Stk’emlupsemc Te Secwepemc de la Nation Secwepemc, Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society (demandeurs)
c.
Procureur général du Canada, Office national de l’énergie et Trans Mountain Pipeline ULC (défendeurs)
et
Procureur général de l’Alberta et Procureur général de la Colombie-Britannique (intervenants)
Répertorié : Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général)
Cour d’appel fédérale, juges Dawson, de Montigny et Woods, J.C.A.—Vancouver, 2 au 5, 10, 12 et 13 octobre 2017; Ottawa, 30 août 2018.
Peuples autochtones — Obligation de consulter — Contrôle judiciaire visant le rapport dans lequel l’Office national de l’énergie a recommandé que le gouverneur en conseil approuve le projet d’agrandissement du réseau pipelinier Trans Mountain, et le décret C.P. 2016-1069, par lequel le gouverneur en conseil a enjoint à l’Office de délivrer un certificat d’utilité publique pour la construction et l’exploitation du projet d’agrandissement — La défenderesse Trans Mountain Pipeline ULC (Trans Mountain) détient le réseau pipelinier actuel — L’Office a évalué le projet en vertu de l’art. 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie — Le gouverneur en conseil était convaincu que le processus de consultation était compatible avec l’honneur de la Couronne et que les préoccupations et intérêts des Autochtones avaient fait l’objet de mesures d’accommodement appropriées — La consultation de la Couronne a comporté quatre étapes, dont l’examen par le gouverneur en conseil après réception du rapport (étape III) — L’Office a rendu plusieurs décisions, dont une ordonnance relative à l’audience et une décision sur la détermination de la portée du projet, dans laquelle l’Office a défini le « projet désigné » et a énuméré les éléments à évaluer — La demanderesse, la Tsleil-Waututh Nation, a contesté l’ordonnance relative à l’audience et la décision relative à la portée — Plusieurs demandeurs ont fait valoir que la conclusion, dans l’arrêt Nation Gitxaala c. Canada (Gitxaala), selon laquelle le rapport de l’Office n’était pas susceptible de contrôle judiciaire, était manifestement erronée — Il s’agissait de savoir si le contrôle judiciaire du rapport de l’Office était permis — Il s’agissait aussi de savoir si le Canada a consulté adéquatement les demandeurs autochtones — Il n’y avait aucune erreur dans l’arrêt Gitxaala justifiant que l’on s’écarte de l’analyse qui y est exposée — Le projet dans la présente affaire a été évalué à juste titre au regard du régime législatif analysé dans l’arrêt Gitxaala — Le cadre de consultation était raisonnable — Le Canada n’a pas manqué à son obligation de consulter en adoptant un processus de consultation en quatre étapes — Toutefois, l’exécution par le Canada de l’étape III était lacunaire au point d’en être inacceptable et insuffisante pour respecter la norme établie — Le Canada n’était pas simplement tenu de recueillir et de comprendre les préoccupations des demandeurs autochtones — Il devait prendre part à un véritable dialogue réfléchi — Les représentants du Canada se sont contentés d’écouter et de consigner les préoccupations des demandeurs autochtones et de les transmettre — Des consultations raisonnables sont subordonnées à la tenue d’un véritable dialogue — L’étape III permettait aux demandeurs autochtones d’établir un dialogue avec le Canada — Le Canada n’était pas lié par les conclusions de l’Office — Le Canada pouvait s’en remettre au processus de l’Office, mais il n’était pas tenu d’adopter d’office les conclusions et conditions recommandées par l’Office — Le Canada était tenu d’engager un véritable dialogue au sujet des préoccupations soulevées — Les lacunes du processus de consultation ont découlé de l’interprétation stricte du mandat de la Couronne — Le Canada était réticent à discuter véritablement et à envisager la possibilité de lacunes dans les conclusions de l’Office — Décret C.P. 2016-1069 annulé — Certificat d’utilité publique annulé — La question de l’approbation du projet est renvoyée au gouverneur en conseil — Demandes de contrôle judiciaire du rapport de l’Office rejetées; demandes de contrôle judiciaire du décret C.P. 2016-1069 accueillies.
Énergie — L’Office national de l’énergie a recommandé dans son rapport que le gouverneur en conseil approuve le projet d’agrandissement du réseau pipelinier Trans Mountain et a été enjoint par le gouverneur en conseil (décret C.P. 2016-1069) de délivrer un certificat d’utilité publique pour la construction et l’exploitation du projet d’agrandissement — L’Office a évalué le projet en vertu de l’art. 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie — Plusieurs demandeurs ont fait valoir notamment que la conclusion, dans l’arrêt Nation Gitxaala c. Canada (Gitxaala), selon laquelle le rapport de l’Office n’était pas susceptible de contrôle judiciaire, était manifestement erronée — L’Office a manqué à l’équité procédurale; il n’a pas tranché certaines questions et il n’a pas envisagé des solutions de rechange au terminal maritime Westridge — Il s’agissait de déterminer si le contrôle judiciaire du rapport de l’Office était permis — Il s’agissait aussi de savoir si la décision du gouverneur en conseil devait être annulée, plus particulièrement, si le gouverneur en conseil a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le rapport de l’Office constituait un rapport en bonne et due forme; si le processus de l’Office était équitable sur le plan de la procédure — Il n’y a aucune erreur dans l’arrêt Gitxaala qui justifie que l’on s’écarte de l’analyse qui y est exposée — La Cour n’y a pas affirmé que seule une « décision sur des intérêts juridiques ou pratiques » est susceptible de contrôle judiciaire — Le projet dans la présente affaire a été évalué à juste titre au regard du régime législatif analysé dans l’arrêt Gitxaala — Il incombait au gouverneur en conseil d’examiner toute lacune dans le rapport — Si la décision du gouverneur en conseil repose sur un rapport qui comporte d’importantes lacunes, elle peut être annulée pour ce motif — Le gouverneur en conseil ne peut agir que s’il dispose d’un « rapport » — Un rapport qui comporte des lacunes importantes ne constitue pas un tel rapport — Le contrôle judiciaire du rapport de l’Office n’était pas permis — Les demandes de contrôle judiciaire contestant le rapport ont été rejetées — Les décisions de l’Office de ne pas permettre de contre-interrogatoires oraux et des audiences complètes n’ont pas violé l’obligation d’équité — L’Office n’est pas tenu de faciliter la tenue d’une évaluation indépendante du projet par une partie intéressée — Le processus d’approbation de l’Office n’était pas contraire au régime législatif — Le processus d’approbation ne reportait pas de façon inacceptable certaines conclusions à une date ultérieure au jugement — Le principe du dessaisissement s’applique dans une moindre mesure à l’Office.
Environnement — L’Office national de l’énergie a recommandé dans son rapport que le gouverneur en conseil approuve le projet d’agrandissement du réseau pipelinier Trans Mountain et a été enjoint par le gouverneur en conseil (décret C.P. 2016-1069) de délivrer un certificat d’utilité publique pour la construction et l’exploitation du projet d’agrandissement — L’Office a effectué une évaluation environnementale en application de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) — Plusieurs demandeurs ont fait valoir notamment que l’Office n’a pas évalué le transport maritime associé au projet sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012); qu’il a mal interprété la Loi sur les espèces en péril — Il s’agissait de savoir si l’Office a commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’art. 79 de la Loi sur les espèces en péril ne s’appliquait pas à son examen des effets du transport maritime associé au projet — Le rapport de l’Office était suffisant pour informer le gouverneur en conseil des effets du transport maritime lié au projet sur les épaulards résidents du sud et l’utilisation de cette ressource par des groupes autochtones — L’Office a commis une erreur en excluant de façon injustifiable le transport maritime lié au projet de la définition de ce dernier — Le défaut d’appliquer l’art. 79 était également injustifié — L’examen par l’Office de l’incidence du projet sur l’épaulard résident du sud n’a pas satisfait à son obligation au titre de l’art. 79 — Son rapport était muet sur le fait qu’il a recommandé l’approbation du projet sans imposer des mesures pour protéger l’épaulard résident du sud — Le gouverneur en conseil ne disposait pas de l’information nécessaire pour prendre une décision — Le rapport de l’Office ne constituait pas un « rapport » qui pouvait fournir au gouverneur en conseil les renseignements dont il avait besoin.
Pratique — Actes de procédure — Requête en radiation — L’Office national de l’énergie a recommandé dans son rapport que le gouverneur en conseil approuve le projet d’agrandissement du réseau pipelinier Trans Mountain et a été enjoint par le gouverneur en conseil (décret C.P. 2016-1069) de délivrer un certificat d’utilité publique pour la construction et l’exploitation du projet d’agrandissement — La défenderesse Trans Mountain Pipeline ULC (Trans Mountain) détient le réseau pipelinier actuel — Les demandeurs ont institué des actions dans lesquelles ils ont contesté le rapport de l’Office — Trans Mountain a sollicité la radiation des avis de demande sur le fondement de l’arrêt Nation Gitxaala c. Canada (Gitxaala), dans lequel la Cour a conclu que les rapports établis conformément à l’art. 52 n’étaient pas susceptibles de contrôle judiciaire — Les demandeurs ont fait valoir que l’arrêt Gitxaala était erroné à cet égard — Il s’agissait de savoir si la requête en radiation de Trans Mountain était fondée — La requête en radiation a été rejetée — Les requêtes en radiation retardent inutilement la détermination rapide d’une demande — L’intérêt de la justice est mieux servi lorsque la Cour est en mesure de traiter ensemble toutes les questions soulevées dans une demande.
Couronne — Pratique — L’Office national de l’énergie a recommandé dans son rapport que le gouverneur en conseil approuve le projet d’agrandissement du réseau pipelinier Trans Mountain et a été enjoint par le gouverneur en conseil (décret C.P. 2016-1069) de délivrer un certificat d’utilité publique pour la construction et l’exploitation du projet d’agrandissement — Le gouverneur en conseil a respecté son obligation légale de fournir des motifs — La Loi sur l’Office national de l’énergie exige uniquement que le décret énonce les motifs de celui-ci — Elle ne dicte pas la forme que devraient revêtir les motifs — Dans la présente affaire, les motifs figuraient dans la note explicative accompagnant le décret — Il serait indûment formaliste d’annuler le décret au motif que les motifs ne se trouvaient pas « à l’intérieur même » du décret.
Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire regroupées visant le rapport dans lequel l’Office national de l’énergie (Office) a recommandé que le gouverneur en conseil approuve le projet d’agrandissement du réseau pipelinier Trans Mountain, et le décret C.P. 2016-1069, par lequel le gouverneur en conseil a enjoint à l’Office de délivrer un certificat d’utilité publique pour la construction et l’exploitation du projet d’agrandissement.
La défenderesse Trans Mountain Pipeline ULC (Trans Mountain) détient les certificats d’exploitation délivrés par l’Office pour le réseau pipelinier Trans Mountain actuel. Le projet d’agrandissement consistait notamment à doubler le réseau pipelinier existant au moyen de nouveaux segments, à construire et à modifier des ouvrages, dont des stations de pompage et des citernes, et à construire et agrandir les quais à Burnaby (Colombie-Britannique). Dans le cadre du projet, la capacité globale du réseau pipelinier de Trans Mountain existant passerait de 300 000 barils à 890 000 barils par jour. Par suite de la demande de certificat d’utilité publique présentée par Trans Mountain en décembre 2013, l’Office était tenu, en vertu de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, d’évaluer le projet. L’Office devait aussi effectuer une évaluation environnementale en application de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). L’Office a recommandé l’approbation du projet sur le fondement de plusieurs conclusions, notamment que les mesures d’atténuation et de protection de l’environnement prévues n’étaient pas susceptibles d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants, qu’un déversement était peu probable et que le projet serait dans l’intérêt public canadien. Le gouverneur en conseil s’est dit convaincu que le processus de consultation était compatible avec l’honneur de la Couronne et que les préoccupations et intérêts des Autochtones avaient fait l’objet de mesures d’accommodement appropriées. Le gouverneur en conseil a aussi accepté la recommandation de l’Office selon laquelle le projet présentait un caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, et qu’il n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants.
La consultation de la Couronne a comporté quatre étapes : la participation initiale (étape I), les audiences de l’Office (étape II), l’examen par le gouverneur en conseil après réception du rapport de l’Office (étape III), et les autorisations règlementaires (étape IV). En avril 2014, l’Office a rendu plusieurs décisions établissant les paramètres de l’évaluation environnementale du projet et la tenue de l’audience relative au projet, dont une ordonnance relative à l’audience qui établissait le calendrier et la procédure applicable, et une décision sur la détermination de la portée du projet, dans laquelle l’Office a défini le « projet désigné » et a énuméré les éléments à évaluer. La demanderesse, la Tsleil-Waututh Nation, a contesté l’ordonnance relative à l’audience et la décision relative à la portée, affirmant notamment que l’Office avait omis de mentionner les activités de transport maritime dans la description du projet et avait ainsi commis une erreur de droit.
Plusieurs demandeurs ont attaqué le rapport de l’Office. Trans Mountain a sollicité la radiation des avis de demande qui attaquaient le rapport de l’Office sur le fondement de l’arrêt Nation Gitxaala c. Canada (Gitxaala), dans lequel la Cour a conclu que les rapports établis conformément à l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, qui présentaient une recommandation quant à l’opportunité d’un certificat d’utilité publique relatif à tout ou partie d’un pipeline, n’étaient pas susceptibles de contrôle judiciaire. Plusieurs demandeurs ont fait valoir que l’arrêt Gitxaala était erroné à cet égard et que les demandes ne devraient pas être radiées à une étape préliminaire. Ils ont fait valoir en outre que la Cour dans l’arrêt Gitxaala a conclu que l’on ne saurait faire abstraction du rapport de l’Office dans l’examen de la décision du gouverneur en conseil, et qu’il appartenait au gouverneur en conseil de décider si le processus suivi par l’Office pour regrouper, analyser, évaluer et étudier la preuve dont il était saisi était lacunaire au point que son rapport ne constituait pas un « rapport » pour l’application de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Les mêmes demandeurs ont fait valoir que la conclusion, dans l’arrêt Gitxaala, selon laquelle le rapport de l’Office n’était pas susceptible de contrôle judiciaire, était manifestement erronée, et qu’on pouvait faire une distinction d’avec l’affaire Gitxaala parce qu’elle portait sur l’article 38 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), disposition qui ne s’appliquait pas au processus en cause en l’espèce.
Les demandeurs ont prétendu que l’Office a manqué à l’équité procédurale; qu’il n’a pas tranché certaines questions avant de recommander l’approbation du projet; qu’il n’a pas envisagé des solutions de rechange au terminal maritime Westridge; qu’il n’a pas évalué le transport maritime associé au projet sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012); et qu’il a mal interprété la Loi sur les espèces en péril. On a fait valoir que chacune de ces erreurs a vicié substantiellement le rapport de l’Office de sorte qu’il ne constituait pas un « rapport » pour les besoins du gouverneur en conseil.
Il s’agissait principalement de déterminer si la requête en radiation de Trans Mountain était fondée, si le contrôle judiciaire du rapport de l’Office était permis, et si la décision du gouverneur en conseil devait être annulée pour des motifs de droit administratif. Pour répondre à cette dernière question, la Cour a dû déterminer notamment si le gouverneur en conseil a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le rapport de l’Office constituait un rapport en bonne et due forme, condition préalable à la décision du gouverneur en conseil; si le processus de l’Office était équitable sur le plan de la procédure; si l’Office a commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril ne s’appliquait pas à son examen des effets du transport maritime associé au projet; et si la décision du gouverneur en conseil devait être annulée au motif que le Canada a omis de consulter adéquatement les demandeurs autochtones.
Arrêt : Les demandes de contrôle judiciaire du rapport de l’Office doivent être rejetées, les demandes de contrôle judiciaire du décret C.P. 2016-1069 doivent être accueillies.
La requête par laquelle Trans Mountain a sollicité la radiation des demandes a été rejetée. On doit recourir avec parcimonie aux requêtes en radiation des demandes de contrôle judiciaire. Les contrôles judiciaires sont conçus pour être tranchés rapidement; une requête en radiation pourrait retarder indûment et inutilement la détermination rapide d’une demande. Par conséquent, l’intérêt de la justice est mieux servi lorsque la Cour est en mesure de traiter ensemble toutes les questions soulevées dans une demande. Ce raisonnement s’appliquait tout particulièrement en l’espèce.
Il ne pouvait y avoir de contrôle judiciaire du rapport de l’Office. Il n’y avait aucune erreur dans l’arrêt Gitxaala qui était susceptible de justifier que l’on s’écarte de l’analyse qui y est exposée. À la lumière de l’analyse entière de l’arrêt Gitxaala, on a constaté que la Cour n’a pas affirmé que seule une « décision sur des intérêts juridiques ou pratiques » est susceptible de contrôle judiciaire et qu’elle n’a pas commis l’erreur reprochée. Dans l’arrêt Gitxaala, la Cour a conclu que le seul acte qui entraîne des conséquences juridiques était la décision du gouverneur en conseil : l’évaluation environnementale effectuée sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) n’a pas eu d’incidence sur des intérêts juridiques et n’entraînait pas de conséquences juridiques. Au contraire, l’évaluation n’a joué « aucun rôle si ce n’est que faciliter l’élaboration des recommandations soumises au gouverneur en conseil ». On pourrait en dire autant du reste du rapport préparé sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Les articles 29 à 31 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) ne s’appliquaient pas au projet Northern Gateway et, dans l’arrêt Gitxaala, la Cour ne devait pas y renvoyer dans son analyse du régime législatif. Il ne fait aucun doute que ces dispositions s’appliquaient au projet en cause dans l’instance. Par conséquent, le projet devait être évalué au regard du régime législatif analysé dans l’arrêt Gitxaala. Il s’ensuivait qu’on ne pouvait établir de distinction utile avec cette affaire. L’analyse dans l’arrêt Gitxaala reposait sur une bonne compréhension du régime législatif, même si la Cour a renvoyé aux articles 29 et 31 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) plutôt qu’aux dispositions applicables. L’erreur n’était aucunement importante pour l’analyse de la Cour quant aux rôles respectifs de la commission d’examen conjoint, qui a établi le rapport et l’a remis au gouverneur en conseil, et du gouverneur en conseil, qui a reçu les recommandations de la commission et a pris les décisions qu’exige le régime législatif. Il incombe au gouverneur en conseil d’examiner toute lacune dans le rapport qui lui est présenté. Si la décision du gouverneur en conseil repose sur un rapport qui comporte d’importantes lacunes, elle peut être annulée pour ce motif. Le gouverneur en conseil ne peut agir que s’il dispose d’un « rapport ». Un rapport qui comporte des lacunes importantes, par exemple s’il ne répond pas aux normes législatives, ne constitue pas un tel rapport. Le rapport de l’Office national de l’énergie n’était pas susceptible de contrôle.
L’Office n’a manqué d’aucune façon que ce soit à son obligation d’équité procédurale. L’obligation d’équité que l’Office avait à l’endroit des parties était substantielle. Les parties avaient droit à une véritable occasion de présenter leur point de vue complètement et équitablement, incluant l’opportunité de contester la preuve qui contredisait leur thèse. Les facteurs contextuels énumérés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (Baker) pour décider si l’absence de contre-interrogatoire contrevenait aux droits de participation qu’assure l’obligation d’équité procédurale ont été appliqués. La décision de l’Office n’est pas de la même nature qu’une décision judiciaire et milite en faveur d’exigences assouplies au titre de l’obligation d’équité procédurale. Il n’y avait rien qui puisse fonder une attente légitime à un contre-interrogatoire oral. Une telle attente serait contraire au droit de l’Office de décider qu’une demande soit entièrement examinée sur dossier. Le choix de procédure de l’Office n’est pas déterminant, mais il appelle un certain respect, surtout lorsque la loi confère à ce dernier une grande latitude quant au choix de sa propre procédure, et qu’il a de l’expérience pour déterminer la procédure qui convient pour l’audience. Dans l’ensemble, bien que l’importance de la décision et l’absence de droit d’appel prévu dans la loi aient milité en faveur d’exigences plus strictes au titre de l’obligation d’équité, les autres facteurs supposaient des exigences assouplies. Après une mise en balance de ces facteurs, l’obligation d’équité était importante. Toutefois, les décisions de l’Office de ne pas permettre de contre-interrogatoires oraux et des audiences complètes n’ont pas violé cette obligation. Le désir de la demanderesse, Burnaby, d’être autorisée à examiner et à évaluer de façon indépendante la validité de l’évaluation des solutions de rechange à l’agrandissement du terminal maritime Westridge ne cadrait pas avec le régime réglementaire adopté par le législateur. L’Office n’est pas tenu de faciliter la tenue d’un examen et d’une évaluation indépendants du projet par une partie intéressée. L’expertise de l’Office s’étend à la panoplie complète de risques inhérents à l’exploitation d’un pipeline, y compris ceux soulevés par Burnaby. Les motifs de l’Office permettaient suffisamment à la Cour de comprendre pourquoi l’Office a rejeté la preuve présentée par Burnaby et imposé de telles conditions. L’on n’a pas démontré que le processus d’approbation de l’Office était contraire au régime législatif ni qu’il reportait de façon inacceptable certaines conclusions à une date ultérieure au jugement. Les cours de justice ne peuvent pas trancher des questions après le prononcé d’un jugement définitif en raison du principe du dessaisissement. Ce principe s’applique dans une certaine mesure aux décideurs administratifs, mais il s’applique dans une moindre mesure à l’Office, dont le mandat permanent est de réglementer les projets tout au long de leur cycle de vie.
Étant donné la méthode que l’Office a retenue pour faire son évaluation du transport maritime associé au projet et ses conclusions, le rapport de l’Office était suffisant pour informer le gouverneur en conseil des effets du transport maritime lié au projet sur les épaulards résidents du sud et l’utilisation de cette ressource par des groupes autochtones. Le décret et la note explicative qui y était jointe ont démontré que le gouverneur en conseil était pleinement conscient de la façon dont l’Office a évalué le transport maritime lié au projet sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie.
L’Office a reconnu ses obligations sous le régime de l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril dans son évaluation environnementale. Toutefois, il a exclu de façon injustifiable le transport maritime connexe au projet de la description du projet. Il s’en est suivi que le défaut d’appliquer l’article 79 à son examen des effets de ce transport sur les épaulards résidents du sud était également injustifié. L’examen par l’Office de l’incidence du projet sur l’épaulard résident du sud n’a pas satisfait essentiellement à son obligation au titre de l’article 79. L’Office était obligé d’envisager les conséquences juridiques de son incapacité à « veiller » à ce que des mesures soient prises pour améliorer les incidences du projet sur l’épaulard résident du sud. Or, son rapport est muet sur le fait qu’il a recommandé l’approbation du projet sans imposer des mesures pour éviter ou amoindrir les effets nocifs importants du projet sur l’épaulard résident du sud. Afin de se conformer pour l’essentiel aux exigences de l’article 79, le gouverneur en conseil nécessitait de se voir communiquer par l’Office toutes les mesures réalisables, sur les plans technique et économique, qui existaient. Sans ces renseignements, le gouverneur en conseil ne disposait pas de l’information nécessaire pour prendre la décision qu’il était tenu de prendre. L’Office a exclu de façon injustifiable le transport maritime lié au projet de la définition de ce dernier. C’est cette exclusion qui a permis à l’Office de conclure que l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril ne s’appliquait pas à son examen des effets du transport maritime associé au projet. Cela a entraîné une série de vices, de sorte que le rapport de l’Office ne constituait pas un « rapport » qui pouvait fournir au gouverneur en conseil les renseignements et les évaluations dont il avait besoin pour déterminer l’intérêt public et prendre une décision sur les effets environnementaux et leur justification.
Le gouverneur en conseil a respecté son obligation légale de fournir des motifs. Le paragraphe 54(2) de la Loi sur l’Office national de l’énergie ne dicte pas la forme que devraient revêtir les motifs du gouverneur en conseil. Il exige uniquement que le gouverneur en conseil « énonce, dans le décret, les motifs de celui-ci ». Les décrets ne permettent pas aisément la présentation de longs motifs. En l’espèce, le décret de deux pages était accompagné d’une note explicative de 20 pages. Vu cette publication conjointe, il serait indûment formaliste d’annuler le décret au motif que les motifs figurant dans la note explicative se trouvaient dans une pièce jointe au décret et non « à l’intérieur même » du décret.
Le cadre de consultation choisi par le Canada était raisonnable. L’obligation de consulter découle du principe de l’honneur de la Couronne et de la protection des « droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones » prévue au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Le Canada n’a pas manqué à son obligation de consulter en adoptant le processus de consultation en quatre étapes visé en l’espèce. Le processus suivi par l’Office permettait de satisfaire à ses obligations en matière de consultations. Le processus de consultation mis en place pour ce projet était généralement bien organisé. Toutefois, l’exécution par le Canada de l’étape III du processus de consultation était lacunaire au point d’en être inacceptable et insuffisante pour respecter la norme issue de la jurisprudence de la Cour suprême. Ainsi, le processus de consultation n’a pas permis de donner lieu à des consultations raisonnables. Le Canada n’était pas simplement tenu de recueillir et de comprendre les préoccupations des demandeurs autochtones; il devait prendre part à un véritable dialogue réfléchi. Il en a été empêché par la manière dont ses représentants, au sein de l’équipe des consultations avec la Couronne, ont exécuté leur mandat. Pour l’essentiel, ses représentants se sont contentés d’écouter et de consigner les préoccupations des demandeurs autochtones et de les transmettre aux décideurs. Le dossier ne révèle pas de véritable dialogue réfléchi en réponse aux préoccupations exprimées par les groupes autochtones. Des consultations raisonnables sont subordonnées à la tenue d’un véritable dialogue. L’étape III constituait une partie cruciale du cadre des consultations pour plusieurs raisons, à savoir notamment qu’elle présentait la première occasion pour les demandeurs autochtones d’établir un dialogue direct avec le Canada sur le fond, et non sur le processus. Un examen de la correspondance échangée lors de l’étape III ne révèle pas de véritable réponse suffisante aux préoccupations soulevées par les demandeurs autochtones ou de dialogue à ce sujet. L’obligation du Canada ne se résumait pas à écouter passivement les réelles préoccupations des demandeurs autochtones. Le Canada avait tort de se croire lié par les conclusions de l’Office. Le Canada peut s’en remettre au processus de l’Office pour s’acquitter en partie ou intégralement de l’obligation de consulter de la Couronne. Toutefois, le Canada n’est pas tenu d’adopter d’office les conclusions et conditions recommandées par l’Office. Si de réelles préoccupations ont été soulevées au sujet du processus d’audience ou des conclusions de l’Office et des conditions qu’il a recommandées, le Canada était tenu d’engager un véritable dialogue à ce sujet. Pour décider si le Canada s’est acquitté de son obligation de consulter, le gouverneur en conseil est nécessairement habilité à assortir de conditions le certificat d’utilité publique qu’il ordonne à l’Office de délivrer. La croyance erronée du Canada, selon laquelle le gouverneur en conseil n’était pas habilité à imposer d’autres conditions à Trans Mountain, a limité de manière grave et inexplicable la faculté pour le Canada de procéder à de véritables consultations sur les mesures d’accommodement. En conclusion, les lacunes du processus de consultation ont découlé de l’interprétation stricte de son mandat par l’équipe des consultations avec la Couronne. Il manquait la présence d’un représentant du Canada habilité à établir un dialogue. Le Canada était aussi réticent à envisager la possibilité de lacunes dans les conclusions et les recommandations de l’Office et à en discuter ainsi que de son avis erroné suivant lequel il n’était pas habilité à imposer d’autres conditions à Trans Mountain. Le Canada ne doit pas être tenu à une norme de perfection pour s’acquitter de son obligation de consulter. Or, les lacunes ont nui à la tenue d’un véritable dialogue. Il en a résulté un processus de consultation déraisonnable et nettement insuffisant.
Il s’ensuit que le décret C.P. 2016-1069 a été annulé, et le certificat d’utilité publique approuvant la construction et l’exploitation du projet a été par le fait même annulé. La question de l’approbation du projet a été renvoyée au gouverneur en conseil pour qu’il prenne rapidement une nouvelle décision. Dans cette nouvelle décision, le gouverneur en conseil doit renvoyer à l’Office ou à son successeur les recommandations et conditions de celui-ci pour nouvel examen. Plus particulièrement, l’Office doit réexaminer, à la lumière des principes, les questions de savoir si le transport maritime associé au projet était accessoire au projet, l’application de l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril au transport maritime associé au projet, l’évaluation environnementale du projet par l’Office à la lumière de la définition du projet, la recommandation faite par l’Office sous le régime du paragraphe 29(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), et toute autre question que le gouverneur en conseil estime indiquée. En outre, le Canada est tenu de recommencer les consultations de l’étape III. Le projet ne pourra être présenté au gouverneur en conseil qu’une fois les consultations terminées et les mesures d’accommodement prises.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Décret C.P. 2016-1069.
Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, art. 37(1),(1.1).
Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52, art. 2 « projet désigné », 4(1), 5(1), 15b), 19, 29, 30, 31, 38, 40, 52, 126(1).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.
Loi de 2001 sur la marine marchande, L.C. 2001, ch. 26.
Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19, art. 104.
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(1), 28.
Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29, art. 6, 77, 79, ann. I.
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2 « bande ».
Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14.
Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, art. 8, 21, 22(1), 30(1), 36(1), 52, 53, 54, 55.
Règlement désignant les activités concrètes, DORS/2012-147, art. 4(3), ann., art. 46.
Règles de pratique et de procédure de l’Office national de l’énergie (1995), DORS/95-208.
Water Sustainability Act, S.B.C. 2014, ch. 15.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Chippewas of the Thames First Nation c. Pipelines Enbridge inc., 2017 CSC 41, [2017] 1 R.C.S. 1099; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Office national de l’énergie – Décision no 14, Avis de requête de Mme Robyn Allan et Elizabeth May visant l’inclusion d’un contre-interrogatoire des témoins, le 7 mai 2014; Office national de l’énergie – Décision no 51, Demandes visant l’établissement d’une nouvelle échéance pour les demandes de renseignements (DR) supplémentaires à addresser à Trans Mountain par des intervenants ayant reçu une décision tardive sur l’aide financière aux participants, le 30 janvier 2015; Forestethics Advocacy c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 71; Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605; Démocratie en surveillance c. Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15; Conseil des Innus de Ekuanitshit c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 189; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [2016] 2 R.C.S. 80; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développment du Nord), 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83, [2018] A.C.S. no 4 (QL); Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160; Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75; Office national de l’énergie – Décision no 33, Requêtes visant l’obligation de fournir une réponse complète et adéquate à la première série de demandes de renseignements (DR), le 26 septembre 2014; Office national de l’énergie – Décision no 63, au sujet des requêtes pour l’obtention de réponses complètes et satisfaisantes à la deuxième série de demandes de renseignements (DR) des intervenants, le 27 avril 2015; Office national de l’énergie – Décision no 96, Avis de requête au sujet de la contre-preuve de Trans Mountain, 8 octobre 2015; Emera Brunswick Pipeline Company Ltd. (Re), 2008 LNCONE 10 (QL).
DÉCISIONS CITÉES :
R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, 1996 CanLII 216; Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Office national de l’énergie), 2016 CAF 219; Odynsky c. Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada, 2009 CAF 82; David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, 1994 CanLII 3529 (C.A.); Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370; Alberta Wilderness Assn. c. Cardinal River Coals Ltd., [1999] 3 C.F. 425, 1999 CanLII 7908 (1re inst.); Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] 2 C.F. 263, 1999 CanLII 9379 (C.A.); Pembina Institute for Appropriate Development c. Canada (Procureur général), 2008 CF 302; Grand Riverkeeper, Labrador Inc. c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1520; Greenpeace Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CF 463, inf. par 2015 CAF 186; Public Mobile Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 194, [2011] 3 R.C.F. 344; Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723; R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013; Unicity Taxi Ltd. v. Manitoba Taxicab Board (1992), 80 Man. R. (2d) 241, [1992] 6 W.W.R. 35 (Q.B.), conf. par (1992), 83 Man. R. (2d) 305, [1992] M.J. no 608 (QL) (C.A.); Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2003 CAF 197, [2003] 4 C.F. 672; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650; Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388; Cold Lake First Nations v. Alberta (Tourism, Parks and Recreation), 2013 ABCA 443 (CanLII), 566 A.R. 259.
DOCTRINE CITÉE
Agence canadienne d’évaluation environnementale. Guide de préparation d’une description de projet désigné en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), Mars 2015.
Gazette du Canada, Partie 1, vol. 50, no 50, 10 décembre 2016.
Office national de l’énergie. Rapport de l’Office national de l’énergie. Projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain, mai 2016.
Office national de l’énergie. Exigences de dépôt liées aux éventuels effets environnementaux et répercussions socioéconomiques d’un transport maritime accru, 10 septembre 2013.
Rapport fédéral-provincial sur les consultations et les accommodements pour le projet d’agrandissement de Trans Mountain, novembre 2016.
Transport Canada. TERMPOL Review Process Report on the Trans Mountain Expansion Project, 11 décembre 2014.
DEMANDES de contrôle judiciaire du rapport de l’Office national de l’énergie (Office), dans les dossiers A-232-16, A-225-16, A-224-16, A-217-16, A-223-16 et A-218-16, concernant le projet d’agrandissement du réseau pipelinier, et du décret C.P. 2016-1069 pris par le gouverneur en conseil, dans les dossiers A-78-17, A-75-17, A-77-17, A-76-17, A-86-17, A-74-17, A-68-17 et A-84-17, par lequel le gouverneur en conseil a enjoint à l’Office de délivrer un certificat d’utilité publique pour la construction et l’exploitation du projet d’agrandissement. Demandes de contrôle judiciaire du rapport de l’Office rejetées; demandes de contrôle judiciaire du décret C.P. 2016-1069 accueillies.
ONT COMPARU :
Maxime Faille, Scott A. Smith et Paul Seaman, pour la demanderesse la Tsleil-Waututh Nation.
Susan B. Horne, K. Michael Stephens et Rebecca Robb, pour la demanderesse la Ville de Vancouver.
Gregory J. McDade, c.r., et Michelle Bradley, pour la demanderesse la Ville de Burnaby.
F. Matthew Kirchner, Emma K. Hume et Michelle Bradley, pour les demandeurs la Nation Squamish (également appelée Bande indienne Squamish), Xàlek/Sekyú Siýam, Chef Ian Campbell pour son propre compte et au nom de tous les membres de la Nation Squamish, Bande indienne Coldwater, Chef Lee Spahan, à titre de chef de la Bande Coldwater et au nom de tous les membres de la Bande Coldwater.
Crystal Reeves et Elin Sigurdson, pour la demanderesse la Bande Upper Nicola.
Jana McLean et Joelle Walker, pour les demandeurs Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá:y Village, Soowahlie, Première Nation Squiala, Tzeachten, Yakweakwioose, Skwah, Chef David Jimmie, pour son propre compte et au nom de tous les membres de la tribu Ts’elxwéyeqw Tribe.
Sarah D. Hansen et Megan Young, pour les demandeurs Chef Ron Ignace et Chef Fred Seymour, pour leur propre compte et au nom de tous les membres de Stk’emlupsemc Te Secwepemc de la Nation Secwepemc.
Margot Venton et Dyna Tuytel, pour les demanderesses Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society.
Jan Brongers, Bruce Hughson, Dayna S. Anderson, Liliane Bantourakis, Sarah Bird, Jon Khan et Ashley Caron, pour le défendeur le procureur général du Canada.
Maureen Killoran, c.r., Olivia Dixon et Sean Sutherland, pour la défenderesse la Trans Mountain Pipeline ULC.
Paul Johnston, Keith B. Bergner et Toby Kruger, pour le défendeur l’Office national de l’énergie.
Marta E. Burns et Doreen Mueller, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
Thomas R. Berger, O.C., c.r., et Monique Pongracic-Speier, c.r., pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Gowling WLG (Canada) LLP, Vancouver, pour la demanderesse la Tsleil-Waututh Nation.
Hunter Litigation Chambers, Vancouver, pour la demanderesse la Ville de Vancouver.
Ratcliff & Company LLP, North Vancouver, pour la demanderesse la Ville de Burnaby.
Ratcliff & Company LLP, North Vancouver, pour les demandeurs la Nation Squamish (également appelée Bande indienne Squamish), Xàlek/Sekyú Siýam, Chef Ian Campbell pour son propre compte et au nom de tous les membres de la Nation Squamish, Bande indienne Coldwater, Chef Lee Spahan, à titre de chef de la Bande Coldwater et au nom de tous les membres de la Bande Coldwater.
Mandell Pinder LLP, Vancouver, pour la demanderesse la Bande Upper Nicola.
Miller Titerle + Company LLP, Vancouver, pour les demandeurs Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá:y Village, Soowahlie, Première Nation Squiala, Tzeachten, Yakweakwioose, Skwah, Chef David Jimmie, pour son propre compte et au nom de tous les membres de la tribu Ts’elxwéyeqw Tribe.
Miller Thomson LLP, Vancouver, pour les demandeurs le Chef Ron Ignace et le Chef Fred Seymour, pour leur propre compte et au nom de tous les membres de Stk’emlupsemc Te Secwepemc de la Nation Secwepemc.
Ecojustice, Calgary, pour les demanderesses Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society.
La sous-procureure générale du Canada, pour le défendeur le procureur général du Canada.
Osler, Hoskin & Harcourt LLP, Calgary, pour la défenderesse Trans Mountain Pipeline ULC.
Services juridiques de l’Office national de l’énergie, Calgary, pour le défendeur l’Office national de l’énergie.
Ministère de la Justice et Solliciteur général de l’Alberta, Edmonton, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
Ministère de la Justice, Victoria, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie-Britannique.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
La juge Dawson, J.C.A. :
|
Paragraphe |
I. Introduction |
|
A. Résumé des conclusions |
4 |
II. Le projet |
9 |
III. Les demandeurs |
15 |
A. La Tsleil-Waututh Nation |
16 |
B. La Ville de Vancouver |
21 |
C. La Ville de Burnaby |
23 |
D. La Nation Squamish |
25 |
E. La bande indienne Coldwater |
30 |
F. Le groupe Stó:lō |
35 |
G. La bande Upper Nicola |
41 |
H. Les Stk’emlupsemc te Secwepemc de la Nation Secwepemc |
45 |
I. Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society |
49 |
IV. Les demandes attaquant le rapport de l’Office national de l’énergie et le décret |
50 |
V. Le régime législatif |
53 |
A. Les exigences de la Loi sur l’Office national de l’énergie |
54 |
B. Les exigences de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) |
59 |
C. L’examen par le gouverneur en conseil |
63 |
VI. Le rapport de l’Office national de l’énergie |
68 |
VII. La décision du gouverneur en conseil |
69 |
VIII. Les faits |
72 |
A. Le processus de consultation du Canada |
72 |
B. Les questions préliminaires et la demande visant le projet |
76 |
C. La décision relative à la portée et l’ordonnance relative à l’audience |
81 |
D. Les contestations de l’ordonnance relative à l’audience et de la décision relative à la portée |
85 |
E. Le processus d’examen TERMPOL |
88 |
F. La participation des demandeurs à l’audience devant l’Office |
94 |
G. Le fonds d’aide financière aux participants |
99 |
1. La Tsleil-Waututh Nation |
102 |
2. La Nation Squamish |
103 |
3. La bande indienne Coldwater |
104 |
4. Le groupe Stó:lō |
105 |
5. La bande Upper Nicola |
106 |
6. Les SSN |
107 |
7. Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society |
108 |
H. Efforts de la Couronne en matière de consultation — un bref résumé |
109 |
1. Étape I (2013 – avril 2014) |
109 |
2. Étape II (avril 2014 – février 2016) |
110 |
3. Étape III (février – novembre 2016) |
115 |
I. Initiatives postérieures au rapport de l’Office national de l’énergie |
118 |
1. Mesures provisoires pour les évaluations relatives aux projets de pipelines |
118 |
2. Le comité ministériel |
121 |
3. Évaluation des gaz à effet de serre |
124 |
IX. Les questions à trancher |
125 |
X. Examen des questions |
129 |
A. Les questions préliminaires |
129 |
1. Requête en radiation de Trans Mountain |
133 |
2. La requête demandant à la Cour de radier tout ou partie des deux affidavits de Robert Love ou, subsidiairement, d’y accorder peu de poids |
143 |
a) L’objection fondée sur le ouï-dire |
144 |
b) Pertinence de la preuve relativement aux discussions de Trans Mountain avec les demandeurs autochtones |
153 |
3. Compendium du Canada — Les tableaux présentant la chronologie des consultations |
163 |
B. Le rapport de l’Office national de l’énergie est-il susceptible de contrôle judiciaire? |
170 |
1. L’arrêt Gitxaala de notre Cour |
173 |
2. La conclusion tirée par la Cour à ce sujet dans l’arrêt Gitxaala était-elle erronée? |
175 |
a) La Cour a-t-elle erronément conclu que seule la « décision sur des intérêts juridiques ou pratiques » est susceptible de contrôle judiciaire? |
175 |
b) Forestethics Advocacy c. Canada (Procureur général) |
183 |
c) Les précédents dans lesquels des rapports d’évaluation environnementale sont examinés |
185 |
d) Le renvoi à des dispositions inapplicables de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) |
187 |
e) L’arrêt Gitxaala empêche le contrôle de la décision de l’Office national de l’énergie |
200 |
f) Conclusion : le rapport de l’Office national de l’énergie est-il susceptible de contrôle judiciaire? |
202 |
C. La décision du gouverneur en conseil devrait-elle être annulée pour des motifs de droit administratif? |
204 |
1. La norme de contrôle applicable à la décision du gouverneur en conseil |
204 |
a) Le volet de la décision relevant du droit administratif |
206 |
b) Le volet constitutionnel |
224 |
2. Le gouverneur en conseil a-t-il conclu à tort que le rapport de l’Office constituait un rapport en bonne et due forme, condition préalable à sa décision? |
228 |
a) Le processus suivi par l’Office respectait-il l’équité procédurale? |
230 |
(i) Principes juridiques applicables |
230 |
(ii) Les manquements reprochés à l’équité procédurale |
237 |
(iii) Le défaut de tenir une audience et de permettre le contre-interrogatoire des témoins de Trans Mountain |
242 |
(iv) Les réponses de Trans Mountain aux demandes de renseignements |
260 |
(v) La prétention concernant le report et la délégation de l’évaluation de renseignements importants |
278 |
(vi) Omission de fournir des motifs suffisants |
292 |
(vii) Contre-preuve de Trans Mountain |
316 |
(viii) Conclusion sur l’équité procédurale |
321 |
b) L’Office a-t-il omis de trancher certaines questions avant de recommander l’approbation du projet? |
322 |
(i) L’Office a-t-il omis d’évaluer les risques et les incidences du projet pour Burnaby? |
335 |
(ii) L’Office a-t-il omis d’examiner des solutions de rechange pour la réalisation du projet? |
352 |
(iii) L’Office a-t-il omis d’envisager l’option ouest comme tracé de rechange pour le nouveau pipeline? |
375 |
c) L’Office a-t-il omis d’examiner des solutions de rechange au terminal maritime Westridge? |
387 |
d) L’Office a-t-il erré en n’évaluant pas le transport maritime en lien avec le projet sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)? |
388 |
(i) Les lacunes dont serait entachée l’évaluation faite par l’Office du transport maritime associé au projet sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie |
411 |
(ii) Examen du transport maritime en lien avec le projet et conclusions de l’Office à cet égard |
413 |
(iii) L’évaluation du transport maritime en lien avec le projet par l’Office était-elle essentiellement adéquate? |
431 |
e) L’Office a-t-il commis une erreur au regard de la Loi sur les espèces en péril? |
442 |
(i) L’Office a-t-il conclu à tort que l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril ne s’appliquait pas à son examen des effets du transport maritime lié au projet? |
446 |
(ii) L’Office a-t-il respecté essentiellement ses obligations au titre de l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril? |
451 |
(iii) Le gouverneur en conseil était-il tenu de respecter le paragraphe 77(1) de la Loi sur les espèces en péril? |
459 |
f) Conclusion : le gouverneur en conseil a fait erreur en fondant sa décision sur le rapport de l’Office comme condition préalable adéquate |
465 |
3. La prétention du procureur général de la Colombie-Britannique |
474 |
a) Le gouverneur en conseil a-t-il manqué à son obligation de fournir des motifs? |
477 |
b) Le gouverneur en conseil a-t-il omis de tenir compte des effets que pourraient avoir sur la Colombie-Britannique les risques de déversement posés par le transport maritime associé au projet? |
481 |
D. La décision du gouverneur en conseil devrait-elle être annulée au motif que le Canada a omis de consulter adéquatement les demandeurs autochtones? |
485 |
1. Les principes juridiques applicables |
485 |
2. La norme à laquelle le Canada est tenu pour s’acquitter de l’obligation |
508 |
3. Application des principes juridiques à la preuve |
511 |
a) La consultation était elle lacunaire en raison du processus choisi et suivi par le Canada? |
513 |
(i) Le cadre de consultation a été imposé unilatéralement |
515 |
(ii) Le processus de l’Office ne permettrait pas de satisfaire à l’obligation de consulter |
520 |
(iii) L’aide financière fournie aurait été insuffisante |
533 |
(iv) Le processus a permis l’approbation du projet alors qu’il manquait des renseignements essentiels |
542 |
(v) Conclusion au sujet du caractère adéquat ou non du processus choisi et suivi par le Canada |
548 |
b) Le processus de consultation était-il vicié en raison de la manière dont il a été mené par le Canada? |
550 |
(i) La nécessité d’un véritable dialogue |
564 |
(ii) L’exécution par l’équipe des consultations avec la Couronne de son mandat |
575 |
a. Le rapport sur les consultations de la Couronne |
578 |
b. L’expérience des Tsleil-Waututh |
579 |
c. L’expérience des Squamish |
582 |
d. L’expérience des Coldwater |
585 |
e. L’expérience des Stó:lō |
589 |
f. L’expérience des Upper Nicola |
593 |
g. L’expérience des SSN |
596 |
h. Conclusion sur le mandat de l’équipe des consultations avec la Couronne |
598 |
(iii) La réticence du Canada à s’écarter des conclusions de l’Office et des conditions qu’il recommande pour traiter véritablement des préoccupations des demandeurs autochtones |
602 |
(iv) L’opinion erronée du Canada selon laquelle le gouverneur en conseil ne pouvait pas imposer d’autres conditions au promoteur |
629 |
(v) Communication tardive de l’évaluation de l’effet du projet sur les demandeurs autochtones |
638 |
(vi) Défaut par le Canada d’engager un véritable dialogue |
649 |
a. L’expérience des Tsleil-Waututh |
649 |
b. L’expérience des Squamish |
662 |
c. L’expérience des Coldwater |
669 |
d. L’expérience des Stó:lō |
681 |
e. L’expérience des Upper Nicola |
728 |
f. L’expérience des SSN |
737 |
(vii) Conclusion sur la manière dont le Canada a mené le processus de consultation |
753 |
D. Réparation |
764 |
E. Dispositif proposé |
773 |
[1] Le 19 mai 2016, l’Office national de l’énergie (l’Office) a présenté son rapport [Trans Mountain Expansion Project] sur le projet d’agrandissement du réseau pipelinier de Trans Mountain. Il y recommandait que le gouverneur en conseil approuve l’agrandissement, car il estimait qu’un tel projet était dans l’intérêt public du Canada et n’était pas susceptible d’entraîner d’importantes conséquences environnementales néfastes, moyennant l’adoption de certaines mesures de protection de l’environnement et d’atténuation des risques ainsi que le respect des conditions qu’il recommandait.
[2] Le 29 novembre 2016, le gouverneur en conseil a accepté la recommandation de l’Office et adopté le décret C.P. 2016-1069. Par le décret, le gouverneur en conseil acceptait expressément la recommandation de l’Office et enjoignait à celui-ci de délivrer un certificat d’utilité publique pour la construction et l’exploitation du projet d’agrandissement, sous réserve du respect des conditions recommandées par l’Office.
[3] De nombreuses demandes de contrôle judiciaire visant le rapport de l’Office et le décret ont été déposées devant la Cour. Elles ont par la suite été réunies. Les présents motifs se rapportent à l’instance réunie. Conformément à l’ordonnance portant réunion des demandes, une copie des présents motifs sera versée dans chaque dossier.
[4] Bon nombre de demandeurs contestent le rapport de l’Office national de l’énergie, mais, comme je l’explique ci-après, le décret est, sur le plan juridique, la seule décision faisant l’objet d’un contrôle. Sa validité est contestée pour deux motifs principaux : premièrement, le processus et les conclusions de l’Office étaient à ce point viciés qu’il n’était pas raisonnable que le gouverneur en conseil se fonde sur le rapport de cet organisme; deuxièmement, le Canada n’a pas respecté son obligation de consulter les peuples autochtones.
[5] Appliquant les principes juridiques, établis par la Cour suprême du Canada et non contestés pour l’essentiel, au dossier factuel, également non contesté pour l’essentiel, je conclus que la plupart des allégations de vice visant le processus et les conclusions de l’Office sont dénuées de fondement. L’Office a toutefois commis une erreur cruciale : il a de façon injustifiable défini la portée du projet de manière à ne pas inclure la circulation de navires-citernes connexe au projet. L’exclusion injustifiée du transport maritime de la portée du projet a mené à une succession de vices inacceptables entachant le rapport et les recommandations de l’Office. Par conséquent, le gouverneur en conseil ne pouvait pas se fonder sur le rapport et les recommandations de l’Office pour évaluer les effets environnementaux du projet et l’intérêt public en général.
[6] Appliquant ensuite les principes juridiques, non contestés pour l’essentiel, qui sous-tendent l’obligation de consulter les peuples autochtones et les Premières Nations énoncés par la Cour suprême, je conclus en outre que le Canada a agi de bonne foi et a choisi un régime de consultation approprié. Toutefois, à la dernière étape du processus de consultation avant la décision du gouverneur en conseil — l’étape III —, les efforts déployés par le Canada étaient loin de répondre aux exigences fixées par la Cour suprême du Canada. Le Canada en effet a omis à l’étape III d’engager un véritable dialogue et de se pencher sur les réelles préoccupations des demandeurs autochtones de manière à être en mesure de rechercher des mesures pour y répondre. Il ne s’est pas adéquatement acquitté de son obligation de consulter.
[7] Par conséquent, pour les motifs suivants, j’annulerais le décret et je renverrais l’affaire au gouverneur en conseil pour qu’il prenne les mesures qui s’imposent, s’il le juge à propos, pour corriger ces vices et rendre par la suite une nouvelle décision en bonne et due forme.
[8] Dans un premier temps, les présents motifs décriront i) le projet d’agrandissement; ii) les demandeurs qui contestent le rapport de l’Office et le décret; iii) les demandes de contrôle judiciaire en instance; iv) le régime législatif; v) le rapport de l’Office; vi) la décision du gouverneur en conseil. Nous énoncerons ensuite les faits pertinents quant aux contestations dont est saisie la Cour puis examinerons les questions soulevées dans ces demandes.
[9] Aucune compagnie ne peut exploiter un pipeline interprovincial ou international au Canada à moins que l’Office national de l’énergie n’ait préalablement délivré un certificat d’utilité publique et ne l’ait autorisée à mettre le pipeline en service (paragraphe 30(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7).
[10] Trans Mountain Pipeline ULC est l’associée commanditée de Trans Mountain Pipeline L.P. (appelées collectivement Trans Mountain). Trans Mountain détient les certificats d’exploitation délivrés par l’Office pour le réseau pipelinier Trans Mountain actuel. Ce réseau comprend un oléoduc d’une longueur d’environ 1 147 kilomètres qui sert à acheminer du pétrole brut ainsi que des produits pétroliers raffinés ou semi-raffinés d’Edmonton, en Alberta, vers des terminaux de mise en marché et des raffineries situées dans les régions du Centre et des basses-terres continentales de la Colombie-Britannique ainsi que dans la région du détroit de Puget, dans l’État de Washington.
[11] Le 16 décembre 2013, Trans Mountain a présenté une demande à l’Office national de l’énergie en vue d’obtenir un certificat d’utilité publique (et certains certificats modifiés) pour le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain (le projet).
[12] La demande décrivait le projet en plusieurs volets : i) l’agrandissement du réseau pipelinier visant à le doubler par la construction d’environ 987 kilomètres de nouveaux segments, dont des couloirs et des emprises supplémentaires, pour transporter du bitume dilué entre Edmonton, en Alberta, et Burnaby, en Colombie-Britannique; ii) la construction et la modification des ouvrages, dont des stations de pompage et des citernes (notamment l’agrandissement du parc de citernes pour hydrocarbures de Burnaby, qui compte actuellement 13 citernes et en compterait alors 26); iii) la construction et l’agrandissement de quais, dont trois nouveaux postes d’amarrage, au terminal maritime Westridge de Burnaby; iv) la construction de deux nouveaux oléoducs entre le site de stockage de Burnaby et le terminal maritime Westridge.
[13] Dans le cadre du projet, le nombre de pétroliers remplis au terminal maritime Westridge passerait d’environ cinq navires de taille Panamax et Aframax à environ 34 Aframax par mois. Les Aframax sont plus gros que les Panamax, et leur capacité est supérieure. Au terme du projet, la capacité globale du réseau pipelinier de Trans Mountain passerait de 300 000 barils à 890 000 barils par jour.
[14] Dans sa demande, Trans Mountain indique que l’objectif premier du projet est d’augmenter la capacité de transport du pétrole brut de l’Alberta vers les marchés de la région du Pacifique, notamment l’Asie. Si le nouveau pipeline est construit, le réseau continuera à transporter du pétrole brut, principalement du bitume dilué.
[15] Certaines Premières Nations ainsi que deux grandes villes sont très préoccupées par le projet et ses répercussions sur elles et contestent son approbation. Deux organisations non gouvernementales contestent aussi le projet. Suit une description des demandeurs.
[16] La Tsleil-Waututh Nation, l’une des demanderesses, est une nation salish du littoral. Il s’agit d’une bande au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, et ses membres appartiennent aux peuples autochtones au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’alinéa 5(1)c) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52.
[17] En halkomelem, un dialecte traditionnel, le nom Tsleil-Waututh signifie « peuple de la baie ». Le territoire traditionnel revendiqué par les Tsleil-Waututh s’étend approximativement, du nord au sud, des environs du mont Garibaldi jusqu’au-delà du 49e parallèle et, d’ouest en est, de Gibson jusqu’au lac Coquitlam. Il englobe une partie des basses-terres continentales de la Colombie-Britannique, y compris des sections du bas Fraser, de la baie Howe, de la baie Burrard et du bras de mer Indian.
[18] Le territoire traditionnel des Tsleil-Waututh comprend notamment le lieu choisi pour l’agrandissement proposé du terminal maritime Westridge et du parc de citernes ainsi qu’environ 18 kilomètres d’emprise réservée au pipeline. La voie maritime traversera le territoire traditionnel revendiqué par les Tsleil-Waututh sur environ 45 kilomètres.
[19] Une grande partie de la population de la Tsleil-Waututh Nation, qui compte 500 âmes, habite dans la localité principale de Tsleil-Waututh, située sur la rive nord de la baie Burrard, à environ trois kilomètres du terminal maritime Westridge de l’autre côté de la baie.
[20] Les Tsleil-Waututh revendiquent le titre ancestral à l’égard des terres, des eaux, de l’air, de la zone médiolittorale et des ressources dans l’est de la baie Burrard ainsi que des droits de gérance autonome et de récolte et des droits culturels dans cette région. Selon la Couronne, son obligation de consulter les Tsleil-Waututh se situe à l’extrémité supérieure du continuum applicable en la matière.
[21] Vancouver arrive au troisième rang des villes les plus densément peuplées d’Amérique du Nord, après New York et San Francisco. Son littoral s’étend sur 69,8 kilomètres le long de la baie Burrard, de la baie English, du ruisseau False et du fleuve Fraser et il compte 18 kilomètres de plages ainsi qu’une digue d’une longueur de 22 kilomètres.
[22] Environ 25 000 Vancouverois vivent à moins de 300 mètres du littoral de la baie Burrard et de la baie English.
[23] Forte de 223 000 habitants, Burnaby est la troisième plus grande ville de la Colombie-Britannique.
[24] Certains ouvrages du projet seront situés à Burnaby : i) le nouveau terminal maritime Westridge; ii) le terminal de Burnaby, y compris 13 nouvelles citernes et une citerne de remplacement; iii) deux nouvelles canalisations de livraison le long d’un nouveau tracé reliant le terminal de Burnaby au terminal maritime Westridge qui seront creusées sous l’aire de conservation du mont Burnaby; iv) une portion du pipeline principal qui suivra un nouveau tracé menant au terminal de Burnaby.
[25] La Nation Squamish, l’une des demanderesses, est rattachée aux Salishes du littoral. Il s’agit d’une bande au sens de la Loi sur les Indiens, et ses membres appartiennent aux peuples autochtones visés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et l’alinéa 5(1)c) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). La Nation Squamish compte actuellement un peu plus de 4 000 membres inscrits.
[26] Les Squamish affirment qu’ils utilisent et occupent les terres et eaux de la côte sud-ouest de ce qui correspond de nos jours à la Colombie-Britannique, à savoir des basses-terres continentales jusqu’à Whistler au nord, depuis une date qui précède l’arrivée des Européens. Ce territoire comprend la baie Burrard, la baie English, la baie Howe et la vallée de la Squamish. À l’intérieur des frontières du territoire revendiqué par les Squamish se trouvent donc toute la baie Burrard, la baie English et la baie Howe, ainsi que les rivières et ruisseaux qu’elles drainent.
[27] Les Squamish ont trois réserves dans la baie Burrard ou à l’embouchure de celle-ci :
i. La réserve de Seymour Creek no 2 (ch’ích’elxwi7kw) sur la rive nord, près du terminal maritime Westridge;
ii. La réserve de Mission no 1 (eslhá7an);
iii. La réserve de Capilano no 5 (xwmelchstn).
On trouve aussi dans les environs la réserve de Kitsilano no 6 (senákw), près de l’entrée du ruisseau False, et trois autres réserves littorales dans la baie Howe.
[28] L’infrastructure du projet, y compris des tronçons du pipeline principal, le terminal maritime Westridge, le terminal de Burnaby, les deux nouvelles canalisations de livraison reliant les terminaux, ainsi que des sections du trajet des navires-citernes, seront situés dans le territoire traditionnel revendiqué par les Squamish et près de ses réserves situées de l’autre côté de la baie Burrard. La voie maritime que prévoit le projet longera aussi trois réserves Squamish avant d’aboutir dans la mer des Salish.
[29] Les Squamish revendiquent des droits ancestraux, notamment le titre ancestral et l’autonomie gouvernementale, dans leur territoire traditionnel. Ils revendiquent aussi des droits de pêche ancestraux dans le fleuve Fraser et ses affluents. Selon la Couronne, son obligation de consulter les Squamish se situe à l’extrémité supérieure du continuum applicable en la matière.
E. La bande indienne Coldwater
[30] La Bande indienne Coldwater, demanderesse en l’espèce, est une bande au sens de l’article 2 de la Loi sur les Indiens, et ses membres appartiennent aux peuples autochtones visés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et l’alinéa 5(1)c) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Les Coldwater ainsi que 14 autres bandes constituent la Nation Nlaka’pamux.
[31] Le territoire traditionnel revendiqué par la Nation Nlaka’pamux comprend une partie du centre-sud de la Colombie-Britannique et va du Nord des États-Unis au nord de Kamloops. Ce territoire comprend la région de la rivière Thompson sud, le canyon du Fraser, les vallées Nicola et Coldwater, ainsi que le secteur de Coquihalla.
[32] Les Coldwater comptent approximativement 850 membres inscrits, dont environ 330 vivent dans les terres de réserve de la bande. Les Coldwater possèdent trois réserves : i) la réserve indienne no 1 de Coldwater (la réserve de Coldwater), située à environ 10 kilomètres au sud-ouest de Merritt en Colombie-Britannique; ii) la réserve indienne no 2 de Paul’s Basin, située au sud-ouest de la réserve de Coldwater, en amont, et baignée par la rivière Coldwater; et iii) la réserve indienne no 3 de Gwen Lake, située en bordure du lac Gwen.
[33] Les quatre ouvrages connexes (le terminal de Kamloops, la station de Stump, la station de Kingsvale et la station de Hope) ainsi que l’emprise proposée pour l’oléoduc, sur une distance d’environ 226 kilomètres, seront situés sur le territoire traditionnel revendiqué par la Nation Nlaka’pamux. La station de Kingsvale se trouve dans la vallée Coldwater. L’emprise approuvée pour le pipeline longe la frontière est de la réserve de Coldwater. L’actuel pipeline de Trans Mountain traverse la réserve de Coldwater ainsi que la vallée du même nom.
[34] Les Coldwater revendiquent des droits ancestraux et le titre ancestral à l’égard des vallées Coldwater et Nicola et, de façon générale, du territoire des Nlaka’pamux, et le droit de continuer à utiliser ces terres. Selon la Couronne, son obligation de consulter les Coldwater se situe à l’extrémité supérieure du continuum applicable en la matière.
[35] L’une des traductions que l’on peut donner du terme « Stó:lō » est « peuple du fleuve », une allusion au fleuve Fraser. Les Stó:lō, un peuple salish du littoral, s’expriment en halkomelem. Ils sont traditionnellement organisés en tribus.
[36] Le « groupe Stó:lō » a été constitué dans le seul objectif de coordonner et défendre les intérêts de ses membres devant l’Office national de l’énergie et lors des consultations de la Couronne sur le projet. Il représente les demandeurs suivants :
a) Aitchelitz, Skowkale, Tzeachten, Première Nation Squiala, Yakweakwioose, Shxwa:y Village et Soowahlie, qui sont des villages, mais aussi des bandes au sens de l’article 2 de la Loi sur les Indiens (les villages Ts’elxweyeqw). Les villages Ts’elxweyeqw forment collectivement la tribu Ts’elxweyeqw. Les membres des villages Ts’elxweyeqw sont des Stó:lō et appartiennent aux peuples autochtones visés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’alinéa 5(1)c) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012);
b) Skwah et Kwaw-Kwaw-Apilt, qui sont des villages, mais aussi des bandes au sens de l’article 2 de la Loi sur les Indiens (les villages Pil’Alt). Les membres des villages Pil’Alt appartiennent à la tribu Pil’Alt. Ils sont des Stó:lō et appartiennent aux peuples autochtones visés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’alinéa 5(1)c) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Les villages Pil’Alt sont représentés par la tribu Ts’elxweyeqw pour les questions touchant le projet. (Les Kwaw-Kwaw-Apilt ont déposé un avis de désistement le 6 mars 2018.)
[37] Le territoire traditionnel revendiqué par les Stó:lō, connu sous le nom de S’olh Temexw, comprend le bassin hydrographique du bas Fraser.
[38] Les Stó:lō vivent dans de nombreux villages, tous situés dans le bassin hydrographique du bas Fraser.
[39] Le tracé de l’actuel pipeline de Trans Mountain et celui proposé pour le nouveau pipeline traversent sur environ 170 kilomètres le territoire traditionnel revendiqué par le groupe Stó:lō, qui s’étend d’un point à proximité de la route de Coquihalla, à l’est, jusqu’à la baie Burrard.
[40] Les Stó:lō possèdent des droits de pêche ancestraux établis dans le fleuve Fraser (R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, 1996 CanLII 216). Selon la Couronne, son obligation de consulter les Stó:lō se situe à l’extrémité supérieure du continuum applicable en la matière.
[41] La bande Upper Nicola, l’une des demanderesses, fait partie de la Nation Syilx (Okanagan) et est une bande au sens de l’article 2 de la Loi sur les Indiens. Les Upper Nicola et les Syilx appartiennent aux peuples autochtones au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’alinéa 5(1)c) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).
[42] Le territoire traditionnel revendiqué par la Nation Syilx s’étend, du nord au sud, d’un point situé près de Kinbasket, passé Revelstoke, jusqu’aux environs de Wilbur, dans l’État de Washington et, d’est en ouest, des environs du lac Kootenay à la vallée Nicola. Présentement, la bande Upper Nicola compte huit réserves indiennes dans le territoire revendiqué par les Upper Nicola/Syilx. Les localités principales sont Spaxomin, située dans la réserve indienne no 3 d’Upper Nicola sur la rive ouest du lac Douglas, et Quilchena, située dans la réserve indienne Upper Nicola no 1 sur la rive est du lac Nicola.
[43] Le pipeline proposé traversera, sur environ 130 kilomètres, le territoire des Syilx dont la bande Upper Nicola a la charge. La station Stump et la station Kingsvale se trouvent aussi sur le territoire revendiqué par les Syilx et Upper Nicola.
[44] La bande Upper Nicola assume la responsabilité de protéger et de préserver le titre ancestral revendiqué ainsi que les droits, notamment de cueillette, que détiennent collectivement les Syilx, particulièrement dans le secteur dont elle a la charge sur le territoire revendiqué par les Syilx. Selon la Couronne, son obligation de consulter les Upper Nicola se situe à l’extrémité supérieure du continuum applicable en la matière.
H. Les Stk’emlupsemc te Secwepemc de la Nation Secwepemc
[45] Peuple autochtone, les Secwepemc habitent au confluent du fleuve Fraser et de la rivière Thompson. La Nation Secwepemc comprend sept grands regroupements territoriaux appelés « divisions ». La division Stk’emlupsemc te Secwepemc (les SSN) comprend la bande indienne Skeetchestn et la bande indienne Kamloops (ou Tk’emlups), qui sont toutes deux des bandes au sens de l’article 2 de la Loi sur les Indiens. Les SSN appartiennent aussi aux peuples autochtones au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l’alinéa 5(1)c) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).
[46] La bande indienne Skeetchestn occupe des terres situées sur la rive nord de la rivière Thompson, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Kamloops. Ses quatre réserves comptent, selon les inscriptions, une population totale de 533 habitants. La bande indienne Tk’emlups, située dans la région de Kamloops, est répartie dans six réserves. Sa population inscrite s’élève à 1 322 âmes. Le territoire revendiqué par les Secwepemc, une masse terrestre considérable, englobe notamment la région du lac Kamloops.
[47] L’emprise du pipeline actuel et de celui qui est proposé traverse le territoire traditionnel revendiqué par les SSN sur environ 350 kilomètres. L’emprise du pipeline proposé traversera, sur environ quatre-vingts kilomètres, le territoire traditionnel revendiqué par les SSN, et deux ouvrages connexes, soit la station de Black Pines et le terminal de Kamloops, y seront situés.
[48] Les SSN revendiquent un titre ancestral sur leur territoire traditionnel. Selon la Couronne, son obligation de consulter les SSN se situe à l’extrémité supérieure du continuum applicable en la matière.
I. Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society
[49] Ces demanderesses sont des organismes sans but lucratif. Leur intervention dans le processus d’examen de l’Office national de l’énergie concernait principalement les répercussions du transport maritime découlant du projet.
IV. Les demandes attaquant le rapport de l’Office national de l’énergie et le décret
[50] Comme nous le verrons plus en détail, les présentes demandes réunies portent sur deux faits : premièrement, le rapport de l’Office national de l’énergie, qui recommandait au gouverneur en conseil d’approuver le projet et d’enjoindre à l’Office de délivrer les certificats d’utilité publique requis; deuxièmement, la décision du gouverneur en conseil d’accepter la recommandation de l’Office et de prendre le décret enjoignant à l’Office de délivrer le certificat.
[51] Les demandeurs suivants ont sollicité le contrôle judiciaire du rapport de l’Office national de l’énergie :
• La Tsleil-Waututh Nation (dossier A-232-16)
• La Ville de Vancouver (dossier A-225-16)
• La Ville de Burnaby (dossier A-224-16)
• La Nation Squamish, Xálek/Sekyú Siýam et le chef Ian Campbell, pour son propre compte et au nom de tous les membres des Squamish (dossier A-217-16)
• Bande indienne Coldwater et le chef Lee Spahan, en sa qualité de chef des Coldwater agissant au nom de tous les membres des Coldwater (dossier A-223-16)
• Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society (dossier A-218-16).
[52] Les demandeurs suivants ont été autorisés à présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision du gouverneur en conseil :
• La Tsleil-Waututh Nation (dossier A-78-17)
• La Ville de Burnaby (dossier A-75-17)
• La Nation Squamish, Xálek/Sekyú Siýam et le chef Ian Campbell, pour son propre compte et au nom de tous les membres des Squamish (dossier A-77-17)
• La bande indienne Coldwater et le chef Lee Spahan, en sa qualité de chef des Coldwater agissant au nom de tous les membres des Coldwater (dossier A-76-17)
• Les demandeurs formant le groupe Stó:lō (dossier A-86-17)
• La bande Upper Nicola (dossier A-74-17)
• Les chefs Ron Ignace et Fred Seymour, pour leur propre compte et au nom de tous les membres des Stk’emlupsemc te Secwepemc de la Nation Secwepemc (dossier A-68-17)
• Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society (dossier A-84-17).
[53] Par souci de commodité, les dispositions mentionnées sous le présent titre sont reproduites à l’annexe des présents motifs.
A. Les exigences de la Loi sur l’Office national de l’énergie
[54] Comme nous l’avons déjà expliqué, pour exploiter un pipeline interprovincial ou international au Canada, une compagnie doit avoir obtenu un certificat d’utilité publique de l’Office national de l’énergie qui, après la construction du pipeline, doit avoir autorisé sa mise en service.
[55] Dès lors que la demande de certificat d’utilité publique présentée par Trans Mountain était complète, l’Office national de l’énergie était tenu, en vertu de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, d’évaluer le projet. Le paragraphe 52(1) exige que l’Office établisse et présente au ministre des Ressources naturelles, pour transmission au gouverneur en conseil, un rapport dans lequel figure la recommandation de l’Office quant à l’opportunité de délivrer le certificat ainsi que les conditions dont ce dernier, s’il est délivré, devrait être assorti. L’Office doit assortir sa recommandation de motifs. Dans cette analyse, l’Office doit tenir compte « du caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, du pipeline » [alinéa 52(1)a)].
[56] Aux termes du paragraphe 52(2) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, la recommandation de l’Office doit tenir compte de « tous les facteurs qu’il estime directement liés au pipeline et pertinents » et de cinq facteurs exprès, dont « les conséquences sur l’intérêt public que peut, à son avis, avoir la délivrance du certificat ou le rejet de la demande » [alinéa 52(2)e)].
[57] Si une demande vise un « projet désigné » au sens de l’article 2 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), le rapport de l’Office doit aussi contenir l’évaluation environnementale du projet, établie sous le régime de cette loi (paragraphe 52(3) de la Loi sur l’Office national de l’énergie). Le terme « projet désigné » est défini à l’article 2 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) en ces termes :
Définitions
2 (1) […]
projet désigné Une ou plusieurs activités concrètes :
a) exercées au Canada ou sur un territoire domanial;
b) désignées soit par règlement pris en vertu de l’alinéa 84a), soit par arrêté pris par le ministre en vertu du paragraphe 14(2);
c) liées à la même autorité fédérale selon ce qui est précisé dans ce règlement ou cet arrêté.
Sont comprises les activités concrètes qui leur sont accessoires. (designated project)
[58] Les autres paragraphes de l’article 52 prévoient le délai d’établissement du rapport. De façon générale, le rapport doit être présenté au ministre dans le délai fixé par le président de l’Office. Ce délai ne peut excéder 15 mois suivant la date où la demande complète a été présentée à l’Office.
B. Les exigences de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)
[59] Par le jeu du paragraphe 4(3) du Règlement désignant les activités concrètes, DORS/2012-147, et de l’article 46 de l’annexe de ce règlement, le projet, comme il vise un nouveau pipeline terrestre d’une longueur supérieure à 40 kilomètres, constitue un projet désigné au sens de l’alinéa b) de la définition de ce terme reproduite au paragraphe 57 des présents motifs. Par conséquent, l’Office devait effectuer une évaluation environnementale en application de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), dont l’alinéa 15b) le désigne comme seule autorité responsable à cet égard.
[60] À titre d’autorité responsable, l’Office devait tenir compte des effets environnementaux énumérés au paragraphe 5(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), dont les changements causés aux terres, à l’eau et à l’air ainsi qu’aux organismes vivants qui s’y trouvent. L’Office doit examiner, s’agissant des peuples autochtones, les répercussions en matière sanitaire et socio-économique, sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel, sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles, et sur toute construction, emplacement ou chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural.
[61] Sous le régime du paragraphe 19(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), l’Office, au moment de procéder à l’évaluation environnementale, devait prendre en compte certains éléments énumérés, notamment :
• les effets environnementaux du projet désigné, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à celle d’autres activités concrètes, passées ou futures, est susceptible de causer à l’environnement;
• les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux négatifs importants du projet désigné;
• les solutions de rechange réalisables, sur les plans technique et économique, et leurs effets environnementaux;
• tout autre élément utile à l’évaluation environnementale dont l’autorité responsable—en l’occurrence l’Office—exige la prise en compte.
[62] L’Office devait aussi, en application du paragraphe 29(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), faire une recommandation au gouverneur en conseil quant à la décision que celui-ci doit prendre aux termes de l’alinéa 31(1)a) de cette loi—à savoir si le projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants et, auquel cas, s’ils sont justifiables dans les circonstances.
C. L’examen par le gouverneur en conseil
[63] Après réception du rapport préparé conformément à la Loi sur l’Office national de l’énergie et à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), le gouverneur en conseil décide s’il y a lieu de délivrer le certificat au promoteur.
[64] Le gouverneur en conseil peut prendre l’une de trois décisions, à savoir, dans l’ordre :
i. « donner à l’Office instruction de délivrer un certificat à l’égard du pipeline ou d’une partie de celui-ci et de l’assortir des conditions figurant dans le rapport » (alinéa 54(1)a) de la Loi sur l’Office national de l’énergie);
ii. « donner à l’Office instruction de rejeter la demande de certificat » (alinéa 54(1)b) de la Loi sur l’Office national de l’énergie);
iii. « renvoyer la recommandation ou toute condition figurant au rapport à l’Office pour réexamen » et préciser un délai pour le réexamen (paragraphes 53(1) et (2) de la Loi sur l’Office national de l’énergie).
[65] Le paragraphe 54(2) de la Loi sur l’Office national de l’énergie prévoit que le gouverneur en conseil « énonce, dans le décret, les motifs de celui-ci ».
[66] Le paragraphe 54(3) de la Loi sur l’Office national de l’énergie prévoit que le gouverneur en conseil prend le décret dans les trois mois suivant la remise du rapport de l’Office au ministre. Le gouverneur en conseil peut, sur la recommandation du ministre, proroger ce délai.
[67] De plus, une fois que l’Office national de l’énergie, en sa qualité d’autorité responsable à l’égard du projet désigné, a présenté son rapport d’évaluation environnementale, le gouverneur en conseil peut, en application du paragraphe 31(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), par décret pris en vertu du paragraphe 54(1) of the Loi sur l’Office national de l’énergie, « décider, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation précisées dans le rapport d’évaluation environnementale […], que la réalisation du projet, selon le cas » :
Décisions du gouverneur en conseil
31 (1) […]
a) […]
(i) n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants,
(ii) est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants qui sont justifiables dans les circonstances,
(iii) est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants qui ne sont pas justifiables dans les circonstances;
VI. Le rapport de l’Office national de l’énergie
[68] Le 19 mai 2016, l’Office a rendu son rapport recommandant l’approbation du projet. Cette recommandation reposait sur plusieurs conclusions, dont les suivantes :
• Pourvu que les mesures d’atténuation et de protection de l’environnement prévues par Trans Mountain soient prises et que les conditions recommandées par l’Office soient respectées, le projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants.
• Toutefois, le passage des navires associés au projet contribuerait aux effets cumulatifs sur les épaulards résidents du sud et ralentirait d’autant le rétablissement de cette population. Ces épaulards sont une espèce en voie de disparition vivant dans la mer des Salish. Le transport maritime qu’entraînera le projet empruntera la mer des Salish pour atteindre l’océan. Ce trajet traverse un habitat essentiel visé par le Programme de rétablissement des épaulards résidents du nord et du sud. L’Office a conclu [à la page xii] que « le passage des navires associés au projet entraînerait des effets négatifs importants sur les épaulards résidents du sud, ce qui pourrait fort bien se répercuter en des effets négatifs importants sur les usages culturels autochtones en rapport avec ces mammifères marins ».
• En raison des mesures d’atténuation et de sécurité prévues, il est peu probable que le projet ou un pétrolier qui y est associé entraîne un déversement. Toutefois, un déversement majeur pourrait avoir de lourdes conséquences.
• La recommandation et les décisions de l’Office quant au projet respectaient le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
• Le projet serait dans l’intérêt public canadien et d’utilité publique tant pour le présent que pour le futur.
• Si le projet est approuvé, l’Office assortirait le certificat d’utilité publique de 157 conditions portant sur une grande variété de sujets, dont la sécurité et l’intégrité du pipeline, la préparation et l’intervention d’urgence ainsi que la consultation continue avec les entités touchées, notamment les communautés autochtones.
VII. La décision du gouverneur en conseil
[69] Le 29 novembre 2016, le gouverneur en conseil a promulgué le décret, par lequel il acceptait la recommandation de l’Office d’approuver le projet et enjoignait à l’Office de délivrer un certificat d’utilité publique à Trans Mountain.
[70] Le décret contient des attendus, dont deux sont pertinents pour les besoins des présentes demandes. Premièrement, le gouverneur en conseil déclare être convaincu « que le processus de consultation est compatible avec l’honneur de la Couronne et que les préoccupations et intérêts [des Autochtones] ont fait l’objet de mesures d’accommodement appropriées ». Deuxièmement, le gouverneur en conseil accepte la recommandation de l’Office selon laquelle le projet présentera un caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, et qu’il n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants.
[71] Le décret est suivi d’une note explicative de 20 pages précisant qu’elle ne fait pas partie du décret. Cette note explicative décrit le projet, ses objectifs et la procédure d’examen devant l’Office national de l’énergie, et résume les questions soulevées devant l’Office. La note explicative traite aussi de questions soulevées après la publication du rapport de l’Office et énonce la « Réponse du gouvernement aux commentaires exprimés aux audiences » [à la page 18 de la note explicative].
A. Le processus de consultation du Canada
[72] La première étape du processus de consultation consistait à déterminer quels groupes autochtones pourraient voir leurs droits et intérêts être touchés par le projet. Pour ce faire, plusieurs ministères fédéraux et l’Office national de l’énergie ont entrepris de concert des recherches et des analyses sur la proximité, par rapport aux territoires traditionnels de groupes autochtones, des éléments du projet, notamment l’emprise du pipeline proposé, l’agrandissement du terminal maritime et les voies maritimes désignées. Environ 130 groupes autochtones ont été recensés, dont l’ensemble des demandeurs autochtones en l’espèce.
[73] Le 12 août 2013, l’Office national de l’énergie a écrit aux groupes autochtones recensés pour les aviser que Trans Mountain avait déposé le 23 mai 2013 une description du projet et pour leur fournir des renseignements préliminaires concernant le processus d’examen à venir. Était également jointe à cet envoi une lettre du Bureau de gestion des grands projets de Ressources naturelles Canada. Dans cette lettre, le Bureau indiquait que le Canada s’en remettrait, [traduction] « dans la mesure du possible », au processus d’audience publique de l’Office national de l’énergie :
[traduction] pour s’acquitter de l’obligation de la Couronne de consulter les groupes autochtones à l’égard du projet proposé. Dans le cadre [de son] processus, [l’Office national de l’énergie] examinera les questions et préoccupations soulevées par les groupes autochtones. La Couronne aura recours au processus [de l’Office national de l’énergie] pour cerner, examiner et évaluer les effets négatifs possibles du projet proposé sur des droits ancestraux ou issus de traités, établis ou non.
[74] Dans des lettres ultérieures envoyées aux groupes autochtones entre août 2013 et le 19 février 2016, le Bureau de gestion des grands projets a demandé aux groupes autochtones susceptibles d’être touchés par le projet de participer aux audiences publiques de l’Office national de l’énergie pour y faire connaître leurs préoccupations. Les groupes autochtones ont en outre été avisés que le Canada envisageait le processus de consultation comme suit :
i. Le Canada s’en remettrait, dans la mesure du possible, au processus de l’Office pour s’acquitter de son obligation de consulter les peuples autochtones au sujet du projet;
ii. La consultation de la Couronne comporterait quatre étapes :
a. « étape I » : la participation initiale, de la présentation de la description du projet jusqu’avant la tenue des audiences de l’Office;
b. « étape II » : les audiences de l’Office national de l’énergie, du début jusqu’à la fermeture du dossier de l’audience;
c. « étape III » : l’examen par le gouverneur en conseil, de la fermeture du dossier de l’audience jusqu’à la décision du gouverneur en conseil sur le projet;
d. « étape IV » : autorisations règlementaires advenant l’approbation du projet, de la décision du gouverneur en conseil jusqu’à la délivrance des approbations ministérielles prescrites par le régime législatif, au besoin.
iii. Le Bureau de gestion des grands projets de Ressources naturelles Canada agirait comme coordonnateur des consultations de la Couronne pour le projet.
iv. Après les consultations de l’étape III, la Couronne évaluerait les consultations pour décider si elles étaient suffisantes, selon la portée de son obligation à l’égard de chaque groupe autochtone. La portée des consultations nécessaires dépendrait des répercussions possibles du projet sur chaque groupe et de la solidité de la revendication du groupe à l’égard des droits ancestraux ou issus de traités, établis ou non.
[75] Le 25 mai 2015, vers la fin de l’étape II, le Bureau de gestion des grands projets a écrit aux groupes autochtones, y compris aux demandeurs, pour leur donner des renseignements additionnels sur l’étendue des consultations de la Couronne ainsi que le calendrier. Les groupes autochtones ont été avisés de ce qui suit :
i. Le Canada avait l’intention de résumer les préoccupations et les questions qui avaient été soulevées par les groupes autochtones et de solliciter les commentaires de ces derniers sur l’exhaustivité et l’exactitude de ces résumés. Pour ce faire, il procéderait par demande de renseignements, un processus qui ressortit à l’étape de l’audience devant l’Office et expliqué ci-après. Le Canada solliciterait aussi l’opinion des groupes autochtones sur les effets négatifs non visés par les mesures d’atténuation proposées par Trans Mountain. Les renseignements fournis par les groupes autochtones serviraient à [traduction] « améliorer la compréhension des répercussions éventuelles sur des droits ancestraux ou issus de traités revendiqués ou établis ».
ii. Les consultations de l’étape III porteraient sur deux questions :
a. Demeure-t-il des préoccupations quant aux effets du projet sur des droits ancestraux ou issus de traités, établis ou non?
b. La Couronne devrait-elle envisager certaines mesures d’accommodement supplémentaires pour y répondre?
iii. Les renseignements recueillis par la Couronne à chaque étape du processus de consultations seraient réunis dans un rapport des consultations de la Couronne. [traduction] « Ce rapport résumera les aspects procéduraux des consultations menées et les questions de fond soulevées par les groupes autochtones ainsi que la façon dont ces questions peuvent être traitées dans le processus ». Chaque groupe autochtone recevrait la section du rapport des consultations de la Couronne le concernant pour examen et commentaires avant la présentation du rapport au gouverneur en conseil.
iv. Si des groupes autochtones avaient indiqué que des préoccupations demeuraient, plusieurs options pourraient [traduction] « être examinées et éventuellement retenues ». Les options ont été décrites en ces termes :
[traduction] Le gouverneur en conseil a l’option de demander [à l’Office national de l’énergie] d’examiner sa recommandation et ses conditions. Les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient mener des consultations additionnelles avant de délivrer de nouveaux permis ou autorisations. Enfin, les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent aussi recourir aux politiques existantes ou nouvelles ainsi qu’aux programmes pour répondre aux préoccupations qui subsistent. [Non souligné dans l’original.]
B. Les questions préliminaires et la demande visant le projet
[76] L’Office national de l’énergie a un programme d’aide financière pour faciliter la participation à ses audiences. Le 22 juillet 2013, l’Office a annoncé que, dans le cadre de ce programme, il mettait des fonds à la disposition des propriétaires fonciers, des groupes autochtones et des autres parties intéressées souhaitant participer à l’examen du projet. Les demandes de financement étaient réservées à ceux ayant obtenu la qualité d’intervenants devant l’Office.
[77] Le 29 juillet 2013, l’Office a publié sa « liste des questions » qui énumérait les sujets sur lesquels porterait l’examen du projet, dont les suivants, qui concernent les présentes demandes :
• la nécessité du projet proposé;
• les effets environnementaux et socio-économiques éventuels du projet proposé, y compris les effets environnementaux cumulatifs susceptibles de découler du projet, notamment ceux dont le Guide de dépôt de l’Office exige l’examen;
• les effets environnementaux et socio-économiques éventuels des activités de transport maritime découlant du projet proposé, notamment les conséquences d’accidents ou de défaillances qui pourraient survenir;
• les conditions dont devrait être assortie toute recommandation par l’Office visant l’approbation du projet, le cas échéant;
• les effets possibles du projet sur des intérêts autochtones;
• les plans d’urgence en cas de déversement, d’accident ou de défaillance au cours de la construction ou de l’exploitation du projet.
[78] Le 10 septembre 2013, l’Office a publié un document d’orientation intitulé « Exigences de dépôt liées aux éventuels effets environnementaux et répercussions socioéconomiques d’un transport maritime accru » en vue d’aider le promoteur. Ce document énonce les exigences complémentaires à celles mentionnées dans le Guide de dépôt de l’Office.
[79] Plus précisément, ce document d’orientation exige que Trans Mountain, dans son évaluation des risques d’accident et de défaillance, aborde divers sujets, dont les mesures d’atténuation des risques d’accident et de défaillance, des scénarios plausibles des pires cas de déversement, des scénarios de déversement de moindre envergure et le mouvement et le comportement d’hydrocarbures déversés. Pour toutes les mesures d’atténuation proposées, Trans Mountain doit décrire les rôles, responsabilités et capacité de chaque organisme concerné relatifs à la mise en œuvre des mesures d’atténuation, et les précautions et le contrôle dont Trans Mountain doit faire preuve en matière de surveillance et de mise en œuvre des mesures.
[80] Le 16 décembre 2013, Trans Mountain a déposé, en bonne et due forme, sa demande d’approbation de la construction et de l’exploitation du projet.
C. La décision relative à la portée et l’ordonnance relative à l’audience
[81] Le 2 avril 2014, l’Office a rendu plusieurs décisions permettant l’établissement des paramètres de l’évaluation environnementale du projet et la tenue de l’audience relative au projet. Trois d’entre elles sont particulièrement pertinentes en l’espèce.
[82] Premièrement, l’Office a rendu une ordonnance relative à l’audience qui établissait le calendrier et la procédure applicable. Cette ordonnance n’accordait aucun droit de mener des contre-interrogatoires de vive voix. Elle prévoyait plutôt un mécanisme permettant aux intervenants et à l’Office de présenter des questions par écrit — les demandes de renseignements — à Trans Mountain. Cette ordonnance prévoyait également un moyen pour les intervenants et l’Office de s’assurer d’obtenir des réponses adéquates aux demandes de renseignements et pour les groupes autochtones de fournir une preuve orale sur leurs traditions. Elle autorisait de plus la présentation d’observations écrites à l’interrogatoire principal et d’un résumé oral.
[83] Ensuite, dans la décision sur la détermination de la portée du projet, l’Office a défini le « projet désigné » et a énuméré les éléments à évaluer sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) (et la portée de chaque élément). Dans sa définition du « projet désigné », l’Office n’a pas mentionné les activités de navigation maritime. Il a déclaré qu’il examinerait plutôt les effets de l’intensification des activités de navigation maritime sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Au cas où les effets environnementaux éventuels du projet désigné et ceux de la navigation maritime étaient susceptibles de se recouper, l’Office les examinerait sous le volet des effets cumulatifs de l’évaluation environnementale effectuée en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).
[84] Enfin, l’Office a tranché la question des droits de participation à l’audience. Il a accordé le droit de participer à 400 intervenants et à 1 250 personnes souhaitant formuler des commentaires. Tous les demandeurs en l’espèce avaient obtenu l’autorisation d’intervenir. Par ailleurs, plusieurs ministères ont aussi été autorisés à intervenir, et Santé Canada et l’Administration de pilotage du Pacifique ont obtenu l’autorisation de présenter des commentaires.
D. Les contestations de l’ordonnance relative à l’audience et de la décision relative à la portée
[85] Les contestations de l’ordonnance relative à l’audience et de la décision relative à la portée sont pertinentes quant aux questions soulevées dans les présentes demandes.
[86] Dans la première contestation, on demandait que toute la preuve présentée à l’audience puisse faire l’objet d’un contre-interrogatoire de vive voix. L’Office a rejeté cette demande dans la décision no 14 [Avis de requête de Mme Robyn Allan et Elizabeth May visant l’inclusion d’un contre-interrogatoire des témoins, le 7 mai 2014]. Dans la décision no 51 [Demandes visant l’établissement d’une nouvelle échéance pour les demandes de renseignements (DR) supplémentaires à addresser à Trans Mountain par des intervenants ayant reçu une décision tardive sur l’aide financière aux participants, le 30 janvier 2015], l’Office a rejeté les requêtes en réexamen de la décision no 14.
[87] La deuxième contestation, présentée par les Tsleil-Waututh, visait certains aspects de l’ordonnance relative à l’audience et de la décision relative à la portée. Les Tsleil-Waututh affirmaient notamment que l’Office avait omis de mentionner les activités de transport maritime dans la description du projet et avait ainsi commis une erreur de droit. Notre Cour a accordé aux Tsleil-Waututh l’autorisation de former un appel fondé en partie sur ce moyen. Le 6 septembre 2016, notre Cour a rejeté l’appel (2016 FCA 219). Au paragraphe 21 de ses motifs, elle a expressément déclaré que l’appel était rejeté sans préjudice du droit des Tsleil-Waututh de soulever la question de la portée du projet dans une autre instance.
E. Le processus d’examen TERMPOL
[88] Étant donné les répercussions du projet sur le transport maritime, il est utile de décrire ce processus.
[89] Trans Mountain a demandé que les volets de transport maritime du projet soient évalués selon le processus volontaire d’examen technique des terminaux maritimes et des sites de transbordement (processus d’examen TERMPOL). Transports Canada présidait ce processus d’examen; le comité était composé de représentants d’autres organismes fédéraux et du port de Vancouver.
[90] Le processus d’examen visait à évaluer de manière objective la sécurité opérationnelle des bâtiments, la sécurité de l’itinéraire et les opérations de transbordement des cargaisons associées au projet dans l’optique d’améliorer si possible des éléments du projet.
[91] Le comité d’examen n’a noté aucune préoccupation de nature administrative en ce qui concerne les pétroliers, leurs opérations, l’itinéraire proposé, la navigabilité, les autres utilisateurs de la voie maritime ou les activités du terminal maritime en rapport avec les pétroliers associés au projet. Le comité a conclu que les engagements pris par Trans Mountain pour respecter le régime de sécurité maritime amélioreraient la sécurité des opérations des pétroliers en phase avec la hausse du transport.
[92] Le comité d’examen a également proposé des mesures afin d’assurer un degré de sécurité élevé pour les opérations des pétroliers, comme une utilisation accrue de remorqueurs amarrés ou non amarrés et l’agrandissement de la zone de débarquement des pilotes. Trans Mountain a accepté toutes les mesures recommandées.
[93] Le rapport TERMPOL faisait partie de la preuve écrite produite par Transports Canada devant l’Office national de l’énergie.
F. La participation des demandeurs à l’audience devant l’Office
[94] En qualité d’intervenants devant l’Office, les demandeurs avaient le droit :
• de présenter des demandes de renseignements à Trans Mountain et à d’autres;
• de déposer des requêtes, y compris des requêtes visant à forcer les destinataires des demandes de renseignements à fournir des réponses adéquates;
• de déposer des preuves écrites;
• de formuler des commentaires au sujet des conditions provisoires;
• de présenter un résumé des observations écrites et orales.
[95] Tous les demandeurs ont présenté des demandes de renseignements, déposé ou appuyé des requêtes et déposé une preuve écrite. Les intervenants qui ont déposé une preuve étaient tenus de répondre par écrit aux questions écrites formulées par l’Office, Trans Mountain ou d’autres intervenants au sujet de leur preuve.
[96] À l’exception de Vancouver et des SSN, tous les demandeurs ont déposé des observations écrites sur les conditions provisoires.
[97] Tous les demandeurs ont déposé des observations écrites et, à l’exception des SSN, ils ont tous présenté un résumé oral de leurs observations.
[98] Les intervenants autochtones pouvaient présenter une preuve de vive voix ou écrite sur leurs traditions. Les autres intervenants, Trans Mountain et l’Office pouvaient les interroger de vive voix au sujet de ces témoignages oraux. Les Tsleil-Waututh, Squamish, Coldwater, SSN et Upper Nicola ont présenté une preuve traditionnelle orale. Le groupe Stó:lō s’est formellement opposé à la procédure de l’Office relativement à la production par les Autochtones d’une preuve orale sur leurs traditions et n’a pas présenté une telle preuve.
G. Le fonds d’aide financière aux participants
[99] Comme nous le mentionnons plus haut, l’Office a un programme d’aide financière à l’intention des participants. Ceux-ci pouvaient aussi obtenir un financement supplémentaire auprès du Bureau de gestion des grands projets et de Trans Mountain.
[100] Il n’est pas exagéré de dire que l’aide financière fournie aux demandeurs par l’Office et le Bureau de gestion des grands projets était généralement considérée par les bénéficiaires comme étant inadéquate (voir, par exemple, l’affidavit du chef Ian Campbell de la Nation Squamish). Certains se sont aussi plaints du temps qu’il fallait pour obtenir le financement. Les fonds fournis par l’Office n’étaient applicables qu’aux travaux effectués après l’approbation du financement et la signature de l’entente de financement.
[101] Les fonds suivants ont été versés ou offerts.
[102] Les Tsleil-Waututh ont demandé une aide financière de 766 047 $ pour leur participation. On a accordé 40 000 $ et acquitté les frais de déplacement de deux membres pour qu’ils puissent assister à l’audience. De plus, le Bureau de gestion des grands projets a offert de leur verser 14 000 $ pour les consultations ultérieures à la fermeture du dossier de l’audience et 12 000 $ après la publication du rapport de l’Office. Ces offres n’ont pas été acceptées.
[103] Les Squamish ont demandé une aide financière de 293 350 $ pour leur participation. On a accordé 44 720 $ et acquitté les frais de déplacement d’une personne pour qu’elle puisse assister à l’audience. Le Bureau de gestion des grands projets a offert de leur verser 12 000 $ pour les consultations ultérieures à la fermeture du dossier de l’audience et 14 000 $ pour faciliter leur participation aux consultations postérieures à la publication du rapport de l’Office. Ces fonds ont été versés.
3. La bande indienne Coldwater
[104] L’Office a versé aux Coldwater une aide financière de 48 490 $ pour leur participation. Le Bureau de gestion des grands projets leur a offert une aide financière additionnelle de 52 000 $ pour leur participation.
[105] Le groupe Stó:lō a reçu de l’Office 42 307 $ pour chaque bande le constituant pour sa participation. Le Bureau de gestion des grands projets a par ailleurs offert 4 615,38 $ à chaque bande le constituant pour les consultations postérieures à la fermeture du dossier de l’audience et 5 384,61 $ à chaque bande après la publication du rapport de l’Office.
[106] L’Office, par l’entremise de son Programme d’aide financière aux participants, a accordé 40 000 $ aux Upper Nicola et a acquitté les frais de déplacement pour que deux membres puissent participer à l’audience ainsi que 10 000 $ supplémentaires comme financement spécial. De plus, le Bureau de gestion des grands projets a offert à la bande Upper Nicola et à l’Alliance de la Nation okanagane 11 977 $ et 24 000 $ respectivement pour leur participation aux consultations postérieures à la fermeture du dossier d’audience de l’Office. L’Alliance de la Nation okanagane s’est vu offrir 26 000 $ de plus après la publication du rapport de l’Office.
[107] Les SSN ont demandé une aide financière de plus de 300 000 $ pour participer à l’audience de l’Office. On a accordé 36 920 $ et acquitté les frais de déplacement pour que deux membres assistent à l’audience. De plus, le Bureau de gestion des grands projets leur a offert un financement de 18 000 $ pour leur participation aux consultations postérieures à la fermeture du dossier de l’audience de l’Office et 21 000 $ pour les consultations ultérieures à la publication du rapport de l’Office.
7. Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society
[108] L’Office, par l’entremise du programme d’aide financière aux participants, a accordé 111 100 $ à Raincoast et acquitté les frais de déplacement pour que deux personnes assistent à l’audience. Dans le cadre du même programme, Living Oceans a reçu 89 100 $ et les frais de déplacement de deux personnes, pour permettre à ces dernières d’assister à l’audience.
H. Efforts de la Couronne en matière de consultation — un bref résumé
1. Étape I (2013 – avril 2014)
[109] À cette étape initiale de la consultation, la Couronne et certains demandeurs autochtones ont établi une correspondance. Le Canada ne laisse pas entendre que cette correspondance portait sur des questions de fond.
2. Étape II (avril 2014 – février 2016)
[110] Pendant toute la durée de l’audience devant l’Office et jusqu’à la fermeture du dossier de l’audience, le Canada a continué de correspondre avec certains demandeurs autochtones. Quelques réunions informelles ont également été organisées. Toutefois, lors de ces rencontres, aucune discussion au fond ne pouvait concerner le titre, les droits ou les intérêts d’un groupe donné ni les incidences du projet sur ces éléments.
[111] Par exemple, des représentants de la Couronne ont rencontré des représentants des Squamish les 11 septembre et 27 novembre 2015. Les Squamish ont alors soulevé des préoccupations, notamment concernant la non-participation des Squamish à la définition du processus de consultation, l’inefficacité de ce processus pour l’évaluation des conséquences du projet sur les droits et le titre des Squamish et l’insuffisance des fonds fournis pour la participation à l’audience de l’Office. Les Squamish ont également exprimé leur confusion quant aux rôles respectifs de l’Office et de Trans Mountain lors des consultations menées auprès d’eux.
[112] De même, des réunions informelles ont été tenues avec le groupe Stó:lō les 18 juillet 2014 et 3 décembre 2015. Aucune discussion de fond n’a eu lieu non plus au sujet du titre, des droits et des intérêts des Stó:lō ou des répercussions du projet sur eux. Les Stó:lō ont aussi exprimé des craintes à l’égard du processus de consultation, notamment de la possibilité que l’Office n’ait pas réussi à contraindre Trans Mountain à répondre adéquatement aux demandes de renseignement et de l’imprécision de l’ébauche des conditions de l’Office.
[113] Des séances d’information de cette nature ont aussi été tenues en 2014 avec les Upper Nicola et les SSN.
[114] J’estime qu’il est raisonnable de dire que le Canada a continué, à l’étape II, de s’en remettre au processus de l’Office national de l’énergie pour s’acquitter de l’obligation de consultation qui incombe à la Couronne. Les efforts déployés par le Canada lors de cette étape visaient principalement à s’enquérir, au moyen du processus de demande de renseignements, des préoccupations des Premières Nations et des mesures d’atténuation possibles. Il a préparé des tableaux dans lesquels il a consigné les éventuels effets du projet et les préoccupations exprimées ainsi que les engagements pris par Trans Mountain, l’ébauche des conditions de l’Office ou d’autres mesures d’atténuation pour vérifier si ceux-ci répondaient aux préoccupations.
3. Étape III (février – novembre 2016)
[115] Les représentants de la Couronne ont rencontré tous les demandeurs autochtones à l’étape III. De façon générale, ces derniers ont exprimé leur mécontentement à l’égard du processus de l’Office national de l’énergie et de la décision de la Couronne de s’en remettre à ce dernier. J’aborderai les préoccupations particulières soulevées par les demandeurs autochtones au moment de juger de la qualité des efforts déployés par le Canada en matière de consultation.
[116] Le 16 août 2016, soit vers la fin de l’étape III, le Bureau de gestion des grands projets et le Bureau de l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique ont écrit ensemble à des groupes autochtones pour les aviser qu’ils étaient responsables de la tenue des consultations sur le projet et que leur action était coordonnée grâce à leur participation conjointe à des réunions de consultation, à des échanges de renseignements et à la rédaction de l’ébauche du Rapport fédéral-provincial sur les consultations et les accommodements pour le projet d’agrandissement de Trans Mountain (le rapport sur les consultations de la Couronne).
[117] Le Canada a résumé les efforts qu’il a déployés en matière de consultation dans ce rapport, assorti d’une annexe consacrée à chaque groupe autochtone. En règle générale, les groupes autochtones ont reçu en août 2016 la première ébauche de ce rapport ainsi que l’annexe concernant leur groupe. Ils devaient faire part de leurs commentaires et corrections en septembre 2016. Une deuxième ébauche du rapport ainsi que les annexes pertinentes ont été fournies aux groupes autochtones en novembre 2016, et ces derniers devaient remettre leurs commentaires à la mi-novembre.
I. Initiatives postérieures au rapport de l’Office national de l’énergie
1. Mesures provisoires pour les évaluations relatives aux projets de pipelines
[118] Le 27 janvier 2016, le Canada a présenté cette initiative dans le cadre de sa stratégie visant à examiner ses processus d’évaluation environnementale. Les mesures provisoires comptent ces cinq principes directeurs pour la conduite du processus d’approbation des grands projets de pipelines :
i. Aucun promoteur n’aura à retourner à la case de départ, c’est-à-dire à recommencer le processus d’approbation depuis le début.
ii. Les décisions au sujet de l’approbation du pipeline seront fondées sur des données scientifiques, les connaissances traditionnelles des peuples autochtones et d’autres données pertinentes.
iii. Les points de vue du public et des collectivités concernées seront sollicités et examinés.
iv. Un véritable processus de consultation des peuples autochtones sera tenu et, au besoin, des mesures d’accommodement seront prises.
v. Les émissions de gaz à effet de serre directes et en amont attribuables à un projet seront évaluées.
[119] Le Canada a indiqué qu’il comptait mettre en œuvre les mesures provisoires relatives au projet. Pour ce faire, il mènerait des consultations plus approfondies avec les peuples autochtones et fournirait des fonds pour faciliter la participation à ces dernières, évaluerait les émissions de gaz à effet de serre en amont imputables au projet et publierait cette information. Enfin, il nommerait un porte-parole ministériel qui, après avoir discuté avec les populations locales et les groupes autochtones pour connaître leur opinion, rendrait compte au ministre.
[120] Le ministre des Ressources naturelles a obtenu une prorogation de quatre mois pour mettre en œuvre les mesures provisoires. Le gouverneur en conseil avait donc jusqu’au 19 décembre 2016 pour approuver ou non le projet.
[121] Le 17 mai 2016, le ministre a annoncé qu’il établirait un comité ministériel indépendant de trois membres chargé de consulter les localités et les groupes autochtones, conformément au plan du Canada pour la mise en œuvre des mesures provisoires.
[122] Le comité ministériel a tenu de nombreuses assemblées publiques en Alberta et en Colombie-Britannique, a reçu des courriels et a obtenu des réponses à un questionnaire en ligne. Dans son rapport présenté au ministre le 1er novembre 2016, il a relevé six questions de grande importance restées sans réponse et recommandait au Canada de les examiner sérieusement.
[123] Le rapport du comité ministériel mentionnait expressément que le travail du comité [traduction] « n’[avait] pas pour but de s’inscrire dans le cadre des consultations directes que le fédéral s’est parallèlement engagé à mener auprès des Premières Nations » et que le comité n’avait jamais eu l’intention de mener des [traduction] « consultations à grande échelle », « particulièrement auprès des Premières Nations puisque la responsabilité de les consulter incombait à autrui ». Par conséquent, point n’est besoin d’examiner davantage les travaux du comité ministériel pour évaluer la qualité des consultations par le Canada.
3. Évaluation des gaz à effet de serre
[124] Par souci d’exhaustivité, notons qu’en novembre 2016, Environnement Canada a publié une évaluation qui donnait une estimation des émissions de gaz à effet de serre en amont associées au projet.
[125] De façon générale, les demandeurs exhortent la Cour à répondre aux questions suivantes.
[126] D’abord, les questions préliminaires soulevées par les parties sont-elles fondées?
[127] Ensuite, le régime législatif applicable permet-il le contrôle judiciaire du rapport de l’Office national de l’énergie?
[128] Enfin, la décision du gouverneur en conseil devrait-elle être annulée? Pour y répondre, la Cour doit se pencher sur ces autres questions :
i. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du gouverneur en conseil?
ii. Le gouverneur en conseil a-t-il commis une erreur en se prononçant sur la question de savoir si le processus employé par l’Office pour regrouper, analyser, évaluer et étudier la preuve dont il était saisi était lacunaire au point que le rapport qu’il lui avait présenté ne constituait pas un « rapport » pour l’application de la Loi sur l’Office national de l’énergie? Pour y répondre, la Cour doit se pencher sur les questions suivantes :
a. le processus retenu par l’Office était-il équitable sur le plan procédural?
b. l’Office a-t-il commis une erreur en n’évaluant pas le transport maritime associé au projet sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)?
c. l’Office a-t-il erré dans son application de la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29?
d. l’Office a-t-il erronément omis de trancher certaines questions avant de recommander l’approbation du projet?
e. l’Office a-t-il erronément omis d’examiner des options autres que le terminal maritime de Westridge?
iii. Le gouverneur en conseil a-t-il omis de respecter l’exigence législative de motiver sa décision?
iv. Le gouverneur en conseil a-t-il conclu à tort qu’il y avait eu des consultations adéquates auprès des demandeurs autochtones et que des mesures d’accommodement avaient été prises, au besoin?
A. Les questions préliminaires
[129] Avant d’examiner les questions de fond soulevées dans la présente demande, il faut traiter trois questions préliminaires soulevées par les parties. Elles peuvent être résumées de la manière suivante.
[130] Premièrement, comme on l’a vu, plusieurs demandeurs ont attaqué le rapport de l’Office national de l’énergie. Trans Mountain présente une requête préliminaire en radiation des six demandes de contrôle judiciaire visant le rapport de l’Office national de l’énergie au motif que ce document n’est pas susceptible de contrôle.
[131] Deuxièmement, les demandeurs sollicitent la radiation—complète ou partielle—des deux affidavits souscrits par Robert Love pour le compte de Trans Mountain ou demandent qu’on accorde peu de poids à ceux-ci. À l’appui de leurs demandes, ils font notamment valoir que M. Love n’avait pas une connaissance personnelle de la plupart des renseignements figurant dans ses affidavits.
[132] Enfin, les demandeurs s’opposent au tableau consignant la chronologie des consultations figurant dans le compendium du Canada.
1. Requête en radiation de Trans Mountain
[133] Dans l’arrêt Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418, au paragraphe 125, notre Cour conclut que les rapports établis conformément à l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, qui présentent une recommandation quant à l’opportunité d’un certificat d’utilité publique relatif à tout ou partie d’un pipeline, ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire. Par conséquent, Trans Mountain sollicite la radiation des six avis de demande (énumérés au paragraphe 51 des présents motifs) qui attaquent le rapport de l’Office.
[134] Il ressort de la comparaison entre les parties énumérées au paragraphe 51 et au paragraphe 52 (celles qui attaquent la décision du gouverneur en conseil) que tous les demandeurs qui contestent le rapport de l’Office national de l’énergie, sauf un, contestent aussi la décision du gouverneur en conseil. Pour des raisons qui ne sont pas manifestes au vu du dossier, Vancouver a choisi de n’attaquer que le rapport de l’Office.
[135] Vancouver, appuyée par Burnaby, les Tsleil-Waututh, Raincoast et Living Oceans, répond à Trans Mountain que l’arrêt Gitxaala est erroné à cet égard et que, quoi qu’il en soit, les demandes ne devraient pas être radiées à une étape préliminaire.
[136] Selon les demandeurs qui attaquent les deux décisions, notre Cour conclut dans l’arrêt Gitxaala que l’on ne saurait faire abstraction du rapport de l’Office dans l’examen de la décision du gouverneur en conseil. Il appartient au gouverneur en conseil de décider si le processus suivi par l’Office pour regrouper, analyser, évaluer et étudier la preuve dont il était saisi était lacunaire au point que son rapport ne constitue pas un « rapport » pour l’application de la Loi sur l’Office national de l’énergie.
[137] Autrement dit, la prise d’un décret valide est subordonnée à la présentation par l’Office d’un rapport conforme aux exigences législatives. Le gouverneur en conseil doit par conséquent être convaincu que le rapport a été préparé conformément à la législation applicable, ce qui est logique étant donné que le rapport de l’Office constitue le fondement factuel de sa décision.
[138] C’est à la lumière de ces arguments que j’aborde la radiation des demandes au stade préliminaire.
[139] Selon la jurisprudence constante de notre Cour, on doit recourir avec parcimonie aux requêtes en radiation des demandes de contrôle judiciaire (voir, par exemple, Odynsky c. Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada, 2009 CAF 82, au paragraphe 5, citant David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, 1994 CanLII 3529 (C.A.)).
[140] Les contrôles judiciaires sont conçus pour être tranchés rapidement. Or, une requête en radiation pourrait retarder indûment une décision au fond de la Cour à l’égard d’une demande. Par conséquent, l’intérêt de la justice est mieux servi lorsque la Cour est en mesure de traiter ensemble toutes les questions soulevées dans une demande.
[141] Ce raisonnement s’applique tout particulièrement en l’espèce étant donné que, même si les demandes étaient radiées, tous les demandeurs—à une exception près—pourraient invoquer devant la Cour les lacunes du rapport de l’Office dans le cadre du contrôle de la décision du gouverneur en conseil. Il n’est guère utile de trancher les requêtes puisque les arguments qui les étayent se trouvent de toute façon devant la Cour, qui doit les examiner pour statuer au fond sur les demandes dont elle est saisie.
[142] Pour cette raison, j’exercerais le pouvoir discrétionnaire qui me permet de rejeter la requête par laquelle Trans Mountain sollicite la radiation des demandes attaquant le rapport de l’Office national de l’énergie. J’examine plus loin, à partir du paragraphe 170, le bien-fondé de la prétention selon laquelle le rapport n’est pas susceptible de contrôle judiciaire.
2. La requête demandant à la Cour de radier tout ou partie des deux affidavits de Robert Love ou, subsidiairement, d’y accorder peu de poids
[143] Les demandeurs invoquent trois motifs pour lesquels la Cour devrait radier tout ou partie des affidavits de M. Love ou y accorder peu de poids. En premier lieu, ils font valoir que M. Love n’avait pas une connaissance personnelle de la majorité des faits relatés dans ses affidavits de sorte que cette preuve—du ouï-dire inadmissible—devrait être écartée. En deuxième lieu, ils soutiennent que ses affidavits renferment des éléments de preuve non pertinents et inadmissibles au sujet des discussions que Trans Mountain a eues avec les demandeurs autochtones et des consultations qu’elle a menées auprès d’eux. Enfin, selon ces demandeurs, le deuxième affidavit présente de façon inadmissible des éléments de preuve supplémentaires dont ne disposaient pas l’Office et le gouverneur en conseil.
a) L’objection fondée sur le ouï-dire
[144] Dans ses deux affidavits, M. Love a déclaré sous serment ceci : [traduction] « J’ai une connaissance personnelle des sujets abordés dans le présent affidavit, sauf lorsque je précise que les déclarations sont faites sur la foi de renseignements et croyances, auquel cas je les tiens pour véridiques ». Malgré cette déclaration, M. Love a admis en contre-interrogatoire que son premier affidavit reposait presque entièrement sur des faits dont il n’avait pas une connaissance personnelle et qu’il n’y était pas mentionné que les faits provenaient de renseignements et croyances. Il s’en est remis en grande partie aux avocats de Trans Mountain pour rédiger les paragraphes de son affidavit où figuraient des renseignements dont il n’avait pas une connaissance directe. Il croyait que son affidavit était véridique et exact en raison de sa [traduction] « confiance en d’autres personnes ». À plusieurs reprises, il a admis que d’autres employés de Trans Mountain avaient une connaissance directe des questions dont il traite dans son affidavit (contre-interrogatoire de Robert Love mené le 19 juin 2017 par l’avocat de Burnaby, de la page 14, ligne 17 à la page 50, ligne 8).
[145] De même, en contre-interrogatoire, M. Love a admis qu’il n’avait pas une connaissance personnelle des faits relatés dans son deuxième affidavit, qui portait sur les consultations menées par Trans Mountain auprès des Squamish (contre-interrogatoire de Robert Love mené le 22 juin 2017 par l’avocat des Squamish, de la page 2, ligne 7 à la page 11, ligne 4). Contre-interrogé par l’avocat des Coldwater, M. Love a admis n’avoir [traduction] « généralement » pas participé aux discussions de Trans Mountain avec les Coldwater. En effet, [traduction] « [c’]était l’équipe responsable des discussions avec les Autochtones qui était chargée des communications » (contre-interrogatoire de Robert Love mené le 22 juin 2017 par l’avocat des Coldwater, à la page 2, de la ligne 9 à la ligne 21).
[146] M. Love dirige la division des terres et servitudes de Kinder Morgan Canada Inc., société liée à Trans Mountain. Contre-interrogé par un des avocats représentant les Squamish, il a expliqué qu’il était chargé de l’acquisition [traduction] « de tous les droits fonciers privés nécessaires pour le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain ainsi que de tous les droits relatifs aux croisements des installations des services publics ». Il était aussi responsable [traduction] « de l’obtention des droits fonciers nécessaires à l’empiétement sur une dizaine de réserves avec lesquelles [la société] a des ententes ». Plus tard lors de son contre-interrogatoire, il a expliqué qu’avant de signer son affidavit, il [traduction] « a passé en revue avec Regan Schlecker la plupart des discussions qui ont eu lieu avec les Premières Nations et les hautes instances [de l’Administration] » parce qu’il n’y avait pas directement participé. Regan Schlecker était le directeur de Trans Mountain responsable des questions touchant les Autochtones.
[147] Les demandeurs soutiennent, sur le fondement des nombreuses admissions de M. Love, que la Cour devrait radier la preuve présentée par ce dernier ou n’y accorder guère de poids.
[148] Trans Mountain répond que Burnaby ne s’est pas opposée à temps aux affidavits de M. Love. Elle ajoute que les parties peuvent, dans le cadre du contrôle judiciaire, fournir des explications générales et des résumés concernant le déroulement de l’instance devant le décideur administratif et qu’aucun demandeur n’a démontré qu’une déclaration importante dans les affidavits était fondée sur du ouï-dire.
[149] Je commence par rejeter la prétention de Trans Mountain selon laquelle les arguments avancés par Burnaby l’ont été trop tard et ne devraient donc pas être examinés. Certes, Burnaby n’a pas soulevé à temps son objection fondée sur le ouï-dire (voir l’ordonnance du juge responsable de la gestion de l’instance rendue le 25 juillet 2017), mais Vancouver et les Squamish l’ont fait. Les Squamish souscrivent aux objections de Burnaby (mémoire des faits et du droit des Squamish, paragraphe 133), et Vancouver invoque le contre-interrogatoire de M. Love mené par l’un des avocats de Burnaby (mémoire des faits et du droit de Vancouver, paragraphe 109). Par conséquent, j’estime que la Cour est dûment saisie des arguments de Burnaby.
[150] En ce qui concerne les observations de Trans Mountain sur le fond, je note d’emblée que, si les explications générales et les résumés sont recevables dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, leur admissibilité a pour seul objectif—limité—d’orienter la cour de révision. Quoi qu’il en soit et plus important encore, les déclarants doivent de toute façon toujours indiquer de façon complète et franche si leur affidavit est fondé sur des renseignements et croyances qu’ils tiennent pour véridiques et, auquel cas, la partie de leur affidavit qui repose sur de tels renseignements et croyances. Le déclarant doit alors mentionner les sources des renseignements et expliquer les raisons qui l’amènent à croire à la véracité des renseignements donnés sous serment, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.
[151] En dépit de cette lacune, je ne vois pas la nécessité de radier certaines parties des affidavits de M. Love. Les affidavits servent à orienter la Cour. Toutefois, il ne serait pas prudent de croire qu’ils font foi de la véracité de leur contenu, sauf si M. Love a une connaissance personnelle d’un fait ou d’une question en particulier. Comme M. Love n’a pas démontré qu’il avait une connaissance personnelle et pertinente des discussions que Trans Mountain a eues avec les demandeurs autochtones, et qu’on n’a pas expliqué pourquoi la preuve à cet égard n’a pas été présentée par une personne ayant directement participé aux discussions, cette preuve doit provenir d’autres sources, comme les registres des consultations que Trans Mountain a produits devant l’Office.
[152] Comme je juge qu’il est, sauf certaines circonstances biens précises, imprudent de croire que les affidavits de M. Love font foi de la véracité de leur contenu, il n’est pas nécessaire que j’examine l’objection des demandeurs à l’égard du deuxième affidavit au motif qu’il contient des renseignements qui complètent de façon inadmissible ceux qui se trouvent dans les registres des consultations produits devant l’Office.
b) Pertinence de la preuve relativement aux discussions de Trans Mountain avec les demandeurs autochtones
[153] Le Canada a répondu en ces termes à une demande de renseignements des Squamish visant à savoir si le Canada avait délégué à Trans Mountain certains aspects procéduraux de la consultation :
[traduction] La Couronne n’a pas délégué à Trans Mountain les aspects procéduraux des consultations auxquelles elle est tenue. Pour s’acquitter de cette obligation, la Couronne s’en remet, dans la mesure du possible, au processus d’examen [de l’Office national de l’énergie], lequel nécessite que le promoteur collabore avec les groupes autochtones touchés par le projet et éventuellement qu’il les accommode. Le guide de dépôt [de l’Office national de l’énergie] informe le promoteur de l’exigence de discuter avec les groupes autochtones susceptibles d’être touchés. Il ne s’agit pas d’une délégation de l’obligation de consulter. [Non souligné dans l’original.]
[154] À la lumière de cette réponse, les demandeurs autochtones font valoir que la preuve relative aux discussions qu’ils ont eues avec Trans Mountain est dénuée de pertinence. Il est nécessaire d’examiner cette prétention, car il s’agit d’une question qui va au-delà des affidavits de M. Love; il existe d’autres preuves concernant les discussions avec Trans Mountain.
[155] J’accepte la prétention de Trans Mountain qu’une preuve adéquate de ses discussions avec les demandeurs autochtones est pertinente, et ce, pour les motifs suivants.
[156] Premièrement, les demandeurs autochtones ont appris par lettre du Bureau de gestion des grands projets datée du 12 août 2013 que le Canada s’en remettrait « dans la mesure du possible » au processus d’audience publique de l’Office pour s’acquitter de l’obligation de consulter de la Couronne. Comme l’indique le Canada dans sa réponse à la demande de renseignements, Trans Mountain était tenue, aux termes de la procédure d’audience devant l’Office, de collaborer avec les groupes autochtones touchés par le projet et éventuellement de les accommoder. Ainsi, dans sa lettre du 12 août, le Bureau de gestion des grands projets encourageait les groupes autochtones ayant des préoccupations en lien avec le projet d’en discuter directement avec Trans Mountain. Les préoccupations auxquelles Trans Mountain ne pouvait pas répondre seraient communiquées à l’Office national de l’énergie. Par conséquent, les demandeurs autochtones ont été avisés avant le début des audiences que l’Office—et par la suite le Canada—tiendrait compte en partie des discussions que Trans Mountain aurait avec eux.
[157] Par la suite, l’Office a exigé que Trans Mountain « déploi[e] tout effort raisonnable pour consulter les groupes autochtones susceptibles d’être touchés et [qu’il lui] […] communiqu[e] […] l’information voulue sur ces consultations ». L’Office a expressément exigé que cette information comprenne « des éléments de preuve sur la nature des intérêts susceptibles d’être touchés, les préoccupations soulevées ainsi que la façon dont ces préoccupations ont été réglées, et la mesure dans laquelle elles ont été réglées. Trans Mountain devait présenter à l’Office toutes les préoccupations dont ont fait état les Autochtones, même si elle était incapable d’y donner suite ou n’était pas disposée à le faire » (Rapport de l’Office national de l’énergie, page 46).
[158] Pour mener ses consultations, Trans Mountain a suivi les exigences du Guide de dépôt de l’Office ainsi que les instructions données par ce dernier à l’étape de la description du projet.
[159] Ce qui précède démontre l’importance des consultations de Trans Mountain pour la décision de l’Office. Par conséquent, la preuve des efforts déployés par Trans Mountain à cet égard est pertinente.
[160] La deuxième raison pour laquelle j’ai conclu qu’une preuve adéquate des discussions menées par Trans Mountain était pertinente est que, selon la réponse du Canada à la demande de renseignements des Squamish, il ressort de l’examen du Rapport sur les consultations de la Couronne que le Canada a résumé, à la section 3, [traduction] « les éléments procéduraux et la chronologie des consultations ainsi que les discussions que le promoteur, [l’Office] et la Couronne ont eues avec les Autochtones ». Des éléments des discussions menées par Trans Mountain ont été résumés dans ce rapport, et donc présentés au gouverneur en conseil pour qu’il puisse évaluer la qualité des consultations. Ont ainsi été résumés notamment le programme de Trans Mountain en vue de la participation des Autochtones et les ententes d’intérêt commun que Trans Mountain a conclues avec certains groupes autochtones. Le Rapport sur les consultations de la Couronne indique que ce programme a fourni environ 12 millions de dollars pour augmenter la capacité des groupes susceptibles d’être touchés par le projet. Trans Mountain a également fourni un financement pour la réalisation d’études sur l’utilisation des terres et des ressources maritimes à des fins traditionnelles. Quant aux ententes d’intérêt commun, le Canada avait eu vent de 33 groupes susceptibles d’être touchés par le projet ayant signé de telles ententes avec Trans Mountain en date de novembre 2016. Ces ententes comprenaient une lettre d’appui au projet.
[161] Comme le Canada a tenu compte des discussions engagées par Trans Mountain, la preuve relative à ces discussions est aussi pertinente.
[162] Finalement, selon certains demandeurs autochtones, les efforts déployés par Trans Mountain pour engager les discussions étaient insatisfaisants. La preuve à cet égard, notamment le financement par Trans Mountain, est pertinente lorsqu’il s’agit d’évaluer cette prétention et la question du financement offert.
3. Compendium du Canada — Les tableaux présentant la chronologie des consultations
[163] Dans son compendium, le Canada a joint des annexes présentées sous forme de tableaux (que j’appellerai les tableaux de la chronologie des consultations) qui décrivent les faits qui se seraient produits. Les demandeurs autochtones affirment que les annexes sont sujettes à interprétation en plus d’être inexactes et incomplètes et que la Cour ne devrait pas les admettre pour deux raisons.
[164] En premier lieu, les demandeurs autochtones font valoir que les tableaux de la chronologie des consultations résument les faits du point de vue de la Couronne. Par conséquent, cette information aurait dû se trouver dans l’affidavit et le mémoire des faits et du droit du Canada. Ils soutiennent que ce dernier ne devrait pas être autorisé à contourner les restrictions liées au nombre de pages du mémoire en ajoutant des ressources à son compendium.
[165] En deuxième lieu, les demandeurs autochtones font valoir que les tableaux de la chronologie des consultations ne font pas partie de la preuve. Au contraire, les résumés sont des documents créés récemment dont ne disposaient ni l’Office ni le gouverneur en conseil. Aussi, selon les demandeurs autochtones, leur admission leur porterait préjudice.
[166] Le gouvernement du Canada répond que, comme l’a indiqué le juge responsable de la gestion de l’instance dans sa directive du 7 septembre 2017, [traduction] « les parties incluent souvent des documents dans leur compendium, en vue de leur plaidoirie. Dans la mesure où ces documents sont brefs et utiles, ne peuvent être assimilés à un mémoire des faits et du droit et renvoient à des faits et données déposés en preuve sans y suppléer, la formation de la Cour qui préside l’audience les autorisera habituellement. Il existe toutefois bien sûr des restrictions ».
[167] Comme les demandeurs autochtones, j’estime que la prudence est de mise à l’égard des tableaux de la chronologie des consultations. Par exemple, en ce qui concerne la bande indienne Coldwater, ces tableaux indiquent que, le 3 mai 2016, le Canada a envoyé par courriel une lettre datée du 3 novembre 2015 en réponse à la lettre des Coldwater en date du 20 août 2015. Selon les tableaux, on offrait dans la lettre de rencontrer les Coldwater pour discuter du processus de consultation et de questions liées au projet. Or, les Coldwater renvoient à la déposition sous serment du conseiller en chef, selon laquelle la lettre du 3 novembre 2015 ne répondait pas aux préoccupations mentionnées dans la lettre du 20 août 2015, et la réunion n’avait jamais été fixée parce que la lettre du 3 novembre 2015 n’a été transmise aux Coldwater que le 3 mai 2016.
[168] Je comprends donc bien la préoccupation des demandeurs autochtones. Cela dit, l’appréciation de la preuve ne repose pas sur un résumé succinct du processus de consultation présenté sous forme de tableaux. La Cour fondera sa décision sur la preuve qui lui aura été dûment présentée, qui inclut le dossier dont disposaient l’Office et le gouverneur en conseil, les affidavits souscrits dans le cadre de l’instance, les contre-interrogatoires sur ces affidavits, l’exposé conjoint des faits et le recueil de documents conjoint. Les tableaux de la chronologie des consultations ne sont autorisés qu’à servir de table des matières ou d’outil de recherche qui renvoie le lecteur à un document particulier du dossier. Vu cette clarification sur l’utilisation limitée autorisée des tableaux en question, point n’est besoin de les radier, ce qu’ont concédé les avocats des Coldwater et des Squamish dans leur plaidoirie.
[169] Par souci d’exhaustivité, je fais remarquer que les Upper Nicola ont présenté une requête préliminaire en radiation de parties du deuxième affidavit de M. Love au motif qu’il mentionnait irrégulièrement des renseignements confidentiels. Cette requête fait l’objet de brefs motifs confidentiels qui sont rendus en même temps que les présents motifs. Une version publique de ces motifs sera rendue lorsque toutes les parties à la requête auront eu l’occasion de présenter des observations.
B. Le rapport de l’Office national de l’énergie est-il susceptible de contrôle judiciaire?
[170] Je rejetterais la requête préliminaire de Trans Mountain en radiation de la demande, mais, comme certains demandeurs attaquent le rapport de l’Office national de l’énergie, il est nécessaire de décider si ce document est susceptible de contrôle judiciaire, malgré la conclusion contraire à laquelle est parvenue notre Cour dans l’arrêt Gitxaala.
[171] Les demandeurs qui soutiennent que le rapport de l’Office est susceptible de contrôle judiciaire, contrairement à l’enseignement tiré de l’arrêt Gitxaala, reconnaissent que, suivant la jurisprudence de notre Cour, pour infirmer la décision d’une autre formation de notre Cour, il faut que la décision précédente soit « manifestement erronée ». Elle l’est, au sens strict, si la Cour n’a pas tenu compte de la législation applicable ou d’un précédent qui aurait dû être respecté (voir, par exemple, Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, paragraphe 10). Les demandeurs font valoir que la conclusion, dans l’arrêt Gitxaala, selon laquelle le rapport de la Commission n’était pas susceptible de contrôle judiciaire était manifestement erronée. Les erreurs précises invoquées sont les suivantes :
a. Dans l’arrêt Gitxaala [au paragraphe 125], la Cour a manifestement erré en concluant que seule une « décision sur des intérêts juridiques ou pratiques » était susceptible de contrôle judiciaire. La Cour n’a pas discuté d’arrêts ayant donné au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, une interprétation plus large.
b. La Cour n’a pas examiné un arrêt précédemment rendu par notre Cour, Forestethics Advocacy c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 71.
c. La Cour n’a pas tenu compte de précédents de la Cour fédérale et de notre Cour portant sur des rapports d’évaluation environnementale préparés par une commission d’examen conjoint.
d. La Cour a renvoyé à des dispositions inapplicables de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).
e. L’arrêt Gitxaala brime de façon inacceptable le droit de solliciter le contrôle judiciaire de la décision de l’Office national de l’énergie.
[172] Je traite de chaque prétention à tour de rôle après mon examen de l’analyse de notre Cour sur cette question dans l’arrêt Gitxaala.
1. L’arrêt Gitxaala de notre Cour
[173] Pour décider si le rapport de la commission d’examen conjoint pouvait être attaqué devant les tribunaux, la Cour commence par une analyse détaillée du régime législatif (motifs, [Gitxaala] paragraphes 99 à 118). Elle le décrit [au paragraphe 119] comme un « code complet en matière décisionnelle en ce qui concerne les demandes de délivrance de certificat ». La Cour enchaîne avec le raisonnement suivant [aux paragraphes 120 à 126] :
Le régime législatif révèle que, en matière d’examen, c’est le gouverneur en conseil qui est le seul véritable décideur.
Avant que le gouverneur en conseil décide, d’autres personnes regroupent les renseignements, les analysent, les évaluent, les étudient et préparent un rapport qui énonce des recommandations que le gouverneur en conseil examine, puis décide ou non de les appliquer. Dans ce régime, seul le gouverneur en conseil décide.
Précisons que l’évaluation environnementale visée par la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) ne joue aucun rôle si ce n’est que faciliter l’élaboration des recommandations soumises au gouverneur en conseil afin qu’il prenne en considération le contenu de toute déclaration et s’il doit donner instruction qu’un certificat approuvant le projet soit délivré.
Il s’agit d’un rôle très mince, différent du rôle joué par les évaluations environnementales prévues dans d’autres régimes décisionnels fédéraux. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur le bien-fondé de la politique formulée et mise en œuvre dans ce régime législatif. Nous devons plutôt interpréter la loi telle qu’elle est rédigée.
En vertu de ce régime législatif, le gouverneur en conseil seul peut déterminer si le processus de regroupement, d’analyse, d’évaluation et d’étude est lacunaire au point que le rapport ne se qualifie pas comme un « rapport » au sens de la législation :
• Dans le cas d’un rapport ou de parties de rapport concernant l’évaluation environnementale, le paragraphe 29(3) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) prévoit que celui-ci est « définitif et sans appel », mais ceci « [s]ous réserve des articles 30 et 31 ». Les articles 30 et 31 prévoient que le gouverneur en conseil examine le rapport et, s’il l’ordonne, un réexamen sera fait et un rapport de réexamen lui sera soumis.
• Dans le cas d’un rapport établi au titre de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, le paragraphe 52(11) de la Loi sur l’Office national de l’énergie prévoit que celui-ci est également « définitif et sans appel », « [s]ous réserve des articles 53 et 54 » cependant. Ces articles habilitent le gouverneur en conseil à examiner le rapport et à décider ce qu’il faut en faire.
Dans le cas qui nous occupe, plusieurs parties ont présenté des demandes de contrôle judiciaire à l’égard du rapport de la Commission d’examen conjoint. Dans le cadre du régime législatif applicable en l’espèce, ces demandes de contrôle judiciaire n’étaient pas recevables. Aucune décision sur des intérêts juridiques ou pratiques n’avait été rendue. Selon le régime législatif applicable en l’espèce, comme il a déjà été mentionné, toute lacune dans le rapport de la Commission d’examen conjoint devait être examinée uniquement par le gouverneur en conseil et non par la Cour. Par conséquent, ces demandes de contrôle judiciaire doivent être rejetées.
Selon le régime législatif applicable en l’espèce, c’est l’Office national de l’énergie qui prend officiellement la décision, même si en fait il ne décide rien. Après que le gouverneur en conseil a décidé qu’un projet proposé devrait être approuvé, il ordonne à l’Office national de l’énergie de délivrer un certificat, avec ou sans déclaration. L’Office national de l’énergie n’a aucun pouvoir discrétionnaire indépendant à exercer ni aucune décision indépendante à prendre après que le gouverneur en conseil a tranché l’affaire. Il obéit tout simplement aux directives formulées par le gouverneur en conseil dans son décret. [Non souligné dans l’original.]
[174] Ayant résumé l’arrêt Gitxaala, je considère maintenant les présumées erreurs.
2. La conclusion tirée par la Cour à ce sujet dans l’arrêt Gitxaala était-elle erronée?
a) La Cour a-t-elle erronément conclu que seule la « décision sur des intérêts juridiques ou pratiques » est susceptible de contrôle judiciaire?
[175] Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la demande de contrôle judiciaire peut être présentée par « quiconque est directement touché par l’objet de la demande » (non souligné dans l’original). Dans l’arrêt Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605, notre Cour se penche sur la portée du paragraphe 18.1(1) [aux paragraphes 24, 28 et 29] :
Le paragraphe 18.1(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales énonce qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est « directement touché par l’objet de la demande ». La question qui peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire ne comprend pas seulement une « décision ou ordonnance », mais tout objet susceptible de donner droit à une réparation aux termes de l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales : Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.). Le paragraphe 18.1(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] apporte d’autres précisions à ce sujet, indiquant que la Cour peut accorder une réparation à l’égard d’un « acte », de l’omission ou du refus d’accomplir un « acte », ou du retard mis à exécuter un « acte », une « décision », une « ordonnance » et une « procédure ». Enfin, les règles qui régissent les demandes de contrôle judiciaire s’appliquent aux « demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives », et non pas aux seules demandes de contrôle judiciaire de « décisions ou ordonnances » : règle 300 [mod. par DORS/2002-417, art. 18(A); 2004-281, art. 37] des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod., idem, art. 2)].
[…]
La jurisprudence reconnaît qu’il y a de nombreuses situations où, en raison de sa nature ou de son caractère, la conduite d’un organisme administratif ne fait pas naître le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.
Une de ces situations est celle où la conduite attaquée dans une demande de contrôle judiciaire n’a pas pour effet de porter atteinte à des droits, d’imposer des obligations juridiques ni d’entraîner des effets préjudiciables : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488; Démocratie en surveillance c. Canada (Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique), 2009 CAF 15. [Non souligné dans l’original.]
[176] Dans la même veine, dans l’arrêt Démocratie en surveillance c. Commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, 2009 CAF 15, la Cour écrit, au paragraphe 10, que les « actes administratifs qui ne portent pas atteinte aux droits des demandeurs ou n’entraînent pas de conséquences juridiques ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire ».
[177] Sur le fondement de ces précédents, Vancouver, appuyée par Burnaby, Raincoast et Living Oceans, affirme que notre Cour a commis une erreur en écrivant au paragraphe 125 de l’arrêt Gitxaala que seule la « décision sur des intérêts juridiques ou pratiques » est susceptible de contrôle. Elle fait valoir que la Cour n’a pas tenu compte de la jurisprudence établie selon laquelle l’« objet » dont il est question au paragraphe 18.1(1) ne s’entend pas seulement de décisions.
[178] À mon avis, à la lumière de l’analyse entière dans l’arrêt Gitxaala, on constate que la Cour n’a pas fait pareille affirmation et n’a pas commis l’erreur reprochée.
[179] Dans l’arrêt Gitxaala, la Cour conclut que le seul acte qui entraîne des conséquences juridiques est la décision du gouverneur en conseil. L’évaluation environnementale effectuée par la commission d’examen conjoint sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) n’avait pas d’incidence sur des intérêts juridiques et n’entraînait pas de conséquences juridiques. Au contraire, l’évaluation ne jouait « aucun rôle si ce n’est que faciliter l’élaboration des recommandations soumises au gouverneur en conseil » (motifs [Gitxaala], paragraphe 122). On pourrait en dire autant du reste du rapport préparé sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie.
[180] Autrement dit, compte tenu du régime législatif mis en place par le législateur, le rapport de la commission d’examen conjoint constituait un ensemble de recommandations faites au gouverneur en conseil dénuées d’effet juridique indépendant ou pratique. Il s’ensuivait que ce document n’était pas susceptible de contrôle judiciaire.
[181] La conclusion sur les conséquences du rapport de la commission d’examen conjoint et celle selon laquelle il ne pouvait pas être attaqué en justice étaient tout à fait conformes aux arrêts Air Canada et Démocratie en surveillance. En conséquence, point n’était besoin que la Cour examine ces décisions ou le paragraphe 18.1(1).
[182] Pour terminer l’analyse, ajoutons que Vancouver fait aussi valoir qu’elle a subi un préjudice parce que le rapport de l’Office national de l’énergie ne respectait pas l’article 19 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et que le processus de l’Office était inéquitable. Toutefois, Vancouver aurait pu demander réparation pour tout effet préjudiciable subi en attaquant la décision du gouverneur en conseil; la Ville n’a pas soutenu avoir subi un préjudice entre la date de la publication du rapport de l’Office et la prise du décret par le gouverneur en conseil.
b) Forestethics Advocacy c. Canada (Procureur général)
[183] Dans cet arrêt [Forestethics Advocacy c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 71], une juge de notre Cour siégeant seule a tranché la question de savoir qui, de notre Cour ou de la Cour fédérale, avait compétence pour instruire des demandes de contrôle judiciaire visant le rapport de la commission d’examen conjoint sur le projet Northern Gateway d’Enbridge. Selon la juge Sharlow, cette compétence ressortissait à notre Cour. Vancouver fait valoir qu’il se dégage implicitement de cette décision que les rapports préparés par des commissions d’examen conjoint sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) sont susceptibles de contrôle judiciaire.
[184] Je ne suis pas d’accord. L’affaire Forestethics intéressait l’interprétation qu’il convenait de donner à l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales. La Cour ne s’est pas prononcée sur la possibilité de demander le contrôle judiciaire du rapport—sa seule conclusion était que l’examen du bien-fondé du rapport (et partant la question de savoir s’il est susceptible de contrôle judiciaire) relevait de notre Cour, et non de la Cour fédérale.
c) Les précédents dans lesquels des rapports d’évaluation environnementale sont examinés
[185] Vancouver invoque aussi des affaires où les rapports d’évaluation environnementale préparés par des commissions d’examen conjoint ont fait l’objet d’un contrôle judiciaire, et soutient que notre Cour a commis une erreur en ne tenant pas compte de cette jurisprudence. Les précédents invoqués par Vancouver sont les suivants : Alberta Wilderness Assn. c. Cardinal River Coals Ltd., [1999] 3 C.F. 425, 1999 CanLII 7908 (1re inst.); Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] 2 C.F. 263, 1999 CanLII 9379 (C.A.); Pembina Institute for Appropriate Development c. Canada (Procureur général), 2008 CF 302; Grand Riverkeeper, Labrador Inc. c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1520; Greenpeace Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CF 463, inf. en appel, 2015 CAF 186.
[186] Toutes ces décisions ont été rendues avant l’arrêt Gitxaala. Elles ne portent pas sur le « code complet » de législation examiné par la Cour dans l’arrêt Gitxaala. Point plus important encore, dans aucune d’elles la possibilité de recourir à un contrôle judiciaire n’avait été remise en question—on présumait ce recours possible. Dans l’arrêt Gitxaala, notre Cour a examiné le régime législatif et expliqué pourquoi le rapport de la commission d’examen conjoint n’était pas susceptible de recours devant les tribunaux. La Cour n’a pas commis d’erreur en ne renvoyant pas à des précédents qui ne portaient pas sur cette question.
d) Le renvoi à des dispositions inapplicables de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)
[187] Vancouver fait aussi valoir qu’on peut faire une distinction entre l’affaire Gitxaala et celle qui nous occupe : Gitxaala portait sur l’article 38 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), disposition qui ne s’applique pas au processus en cause en l’espèce. La Ville soutient en outre que la Cour mentionne, au paragraphe 124 de ses motifs, les articles 30 et 31 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Ces articles ne s’appliqueraient pas à la commission d’examen conjoint en cause dans l’arrêt Gitxaala.
[188] J’admets que l’évaluation environnementale du projet Northern Gateway (en cause dans l’arrêt Gitxaala) s’est achevée sous le régime du paragraphe 126(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et du processus prévu par cette loi. Le paragraphe 126(1) précise que l’achèvement de l’examen se fait comme si l’évaluation avait été renvoyée, conformément à l’article 38 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), pour examen par une commission, et que la commission d’examen conjoint qui a achevé l’évaluation était réputée avoir été constituée en vertu de l’article 40 de cette loi.
[189] Par conséquent, les paragraphes 29 à 31 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) ne s’appliquaient pas au projet Northern Gateway et, dans l’arrêt Gitxaala, la Cour ne devait pas y renvoyer dans son analyse du régime législatif.
[190] Cela dit, la question qui se pose est de savoir si ces renvois se révélaient importants pour l’analyse de la Cour. Pour évaluer l’importance de cette erreur, je commence par examiner la substance des dispositions auxquelles la Cour aurait erronément renvoyé dans l’arrêt Gitxaala.
[191] L’article 29 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), que nous examinons au paragraphe 62, exige que l’autorité responsable veille à ce que figure dans le rapport d’évaluation environnementale sa recommandation à l’égard de la décision que doit prendre le gouverneur en conseil au titre de l’alinéa 31(1)a) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). L’article 30 habilite le gouverneur en conseil à renvoyer toute recommandation à l’autorité responsable pour réexamen. L’article 31 énonce les options dont dispose le gouverneur en conseil après avoir reçu le rapport de l’autorité responsable. L’alinéa 31(1)a), dont nous traitons au paragraphe 67, prévoit les trois possibilités qui s’offrent au gouverneur en conseil, à savoir décider que la réalisation du projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants ou ne l’est pas et, si c’est le cas, si de tels effets sont justifiables.
[192] Il ne fait aucun doute que ces dispositions s’appliquent au projet en cause en l’espèce. Par conséquent, le projet doit être évalué au regard du régime législatif analysé dans l’arrêt Gitxaala. Il s’ensuit qu’on ne peut établir de distinction utile avec cette affaire.
[193] En ce qui concerne l’effet, s’il en est, des renvois erronés dans l’arrêt Gitxaala, le régime législatif applicable au projet Northern Gateway découle de trois sources : la Loi sur l’Office national de l’énergie; la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012); les dispositions transitoires prévues à l’article 104 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, L.C. 2012, ch. 19 (la Loi sur l’emploi).
[194] Les dispositions pertinentes pour la présente analyse sont :
• le paragraphe 104(3) de la Loi sur l’emploi, aux termes duquel la commission d’examen conjoint assortit son rapport de l’évaluation environnementale préparée conformément à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012);
• le paragraphe 126(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), qui prévoit l’achèvement de l’évaluation environnementale sous le régime de cette loi;
• l’alinéa 104(4)a) de la Loi sur l’emploi qui désigne le gouverneur en conseil comme le décideur visé à l’article 52 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) (ainsi, il appartenait au gouverneur en conseil de décider si le projet était susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants et, le cas échéant, si ces effets étaient justifiables).
[195] Ces dispositions ont le même effet que les articles 29 et 31 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Je n’estime pas que l’article 30 est pertinent pour la présente analyse parce qu’il ne s’appliquait pas à l’évaluation environnementale examinée dans l’arrêt Gitxaala. En outre, et fait plus important, l’article 30 n’a joué aucun rôle important dans l’analyse de la Cour.
[196] En conséquence, l’analyse dans l’arrêt Gitxaala reposait sur une bonne compréhension du régime législatif, même si la Cour a renvoyé aux articles 29 et 31 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) plutôt qu’aux dispositions applicables.
[197] Autrement dit, l’erreur n’était aucunement importante pour l’analyse de la Cour quant aux rôles respectifs de la commission d’examen conjoint, qui a établi le rapport et l’a remis au gouverneur en conseil, et du gouverneur en conseil, qui a reçu les recommandations de la commission et a pris les décisions qu’exige le régime législatif.
[198] En effet, Raincoast, dans sa demande d’autorisation d’appel présentée à la Cour suprême du Canada à l’égard de l’arrêt Gitxaala, a reconnu que les renvois erronés ne touchaient que la forme. Au paragraphe 49 de son mémoire, elle a décrit l’erreur de la Cour comme étant de [traduction] « de forme » (compendium de Trans Mountain, vol. 2, onglet 35). Dans la même veine, Vancouver ne fait pas valoir que l’erreur de la Cour était importante quant à son analyse; elle l’a simplement mentionnée dans la note de bas de page 118 de son mémoire des faits et du droit.
[199] Par conséquent, je ne discerne aucune erreur dans l’arrêt Gitxaala qui serait susceptible de justifier que l’on s’écarte de l’analyse qui y est exposée.
e) L’arrêt Gitxaala empêche le contrôle de la décision de l’Office national de l’énergie
[200] Enfin, Vancouver soutient qu’aux termes du paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie et du paragraphe 31(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), la décision du gouverneur en conseil est subordonnée au dépôt d’un rapport par l’Office. Comme le gouverneur en conseil n’est pas un organisme juridictionnel, le seul contrôle véritable possible doit porter sur le rapport de l’Office. Or, l’arrêt Gitxaala l’interdit.
[201] Je ne suis pas de cet avis. Comme notre Cour le fait remarquer au paragraphe 125 de ses motifs dans l’arrêt Gitxaala, il incombe au gouverneur en conseil d’examiner toute lacune dans le rapport qui lui est présenté. La décision du gouverneur en conseil peut ensuite faire l’objet d’un contrôle judiciaire par notre Cour en application de l’article 55 de la Loi sur l’Office national de l’énergie. La Cour doit être convaincue que la décision du gouverneur en conseil est conforme à la loi, raisonnable et constitutionnelle. Si la décision du gouverneur en conseil repose sur un rapport qui comporte d’importantes lacunes, elle peut être annulée pour ce motif. Autrement dit, aux termes de la loi, le gouverneur en conseil ne peut agir que s’il dispose d’un « rapport ». Or, un rapport qui comporte des lacunes importantes, par exemple s’il ne répond pas aux normes législatives, ne constitue pas un tel rapport. Dans ce contexte, on peut contrôler le rapport de l’Office pour vérifier qu’il s’agit d’un « rapport » sur lequel le gouverneur en conseil peut à bon droit fonder sa décision. Le rapport n’est pas à l’abri d’un contrôle de notre Cour et de la Cour suprême.
f) Conclusion : le rapport de l’Office national de l’énergie est-il susceptible de contrôle judiciaire?
[202] Pour ces motifs, je conclus que le rapport de l’Office national de l’énergie n’est pas susceptible de contrôle. Je rejetterais donc les six demandes de contrôle judiciaire du rapport. Étant donné que les arguments à ce sujet ont pris peu de temps à l’audience, je n’adjuge pas de dépens dans ce cas.
[203] Comme Vancouver n’a ni sollicité ni obtenu l’autorisation de faire contrôler le décret, elle n’est pas autorisée à en demander le contrôle.
C. La décision du gouverneur en conseil devrait-elle être annulée pour des motifs de droit administratif?
1. La norme de contrôle applicable à la décision du gouverneur en conseil
[204] Dans l’arrêt Gitxaala, lorsqu’elle s’est penchée sur la norme de contrôle à appliquer à la décision du gouverneur en conseil, la Cour écrit qu’il n’est pas légalement possible d’adopter « une approche universelle » à l’égard de tout décideur. Il faut plutôt, pour déterminer la norme de contrôle qui s’applique, tenir compte des dispositions législatives pertinentes, de la structure de la loi et des objectifs généraux visés par la loi (Gitxaala, paragraphe 137).
[205] Je suis d’accord. Dans la présente affaire tout particulièrement, il est nécessaire de faire une distinction entre la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à ce que j’appellerais le volet de la décision du gouverneur en conseil relevant du droit administratif et celle à appliquer au volet constitutionnel de la décision, qui exigeait que le gouverneur en conseil examine la qualité du processus de consultation et, si nécessaire, les mesures d’accommodement. C’est l’approche acceptée et préconisée par les parties.
a) Le volet de la décision relevant du droit administratif
[206] Dans l’arrêt Gitxaala, après une longue analyse de la norme de contrôle (Gitxaala, paragraphes 128 à 155), la Cour conclut que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, étant donné que la décision du gouverneur en conseil était une décision discrétionnaire fondée sur des considérations d’ordre politique et d’intérêt public les plus larges possible (Gitxaala, paragraphe 145).
[207] Selon le Canada, Trans Mountain et le procureur général de l’Alberta, la Cour a correctement tranché cette question dans l’arrêt Gitxaala.
[208] Les Tsleil-Waututh, Raincoast et Living Oceans font valoir que l’arrêt de principe est non pas l’arrêt Gitxaala, mais une décision antérieure de notre Cour, soit Conseil des Innus de Ekuanitshit c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 189. Dans cette affaire, la Cour conclut que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à la décision du gouverneur en conseil d’approuver la réponse du gouvernement fédéral à un rapport d’une commission d’examen conjoint préparé sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (LCEE), maintenant abrogée [L.C. 2012, ch. 19, art. 66]. La Cour y rejette la prétention selon laquelle la norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si le gouverneur en conseil et les autorités responsables avaient respecté les exigences de la LCEE avant de prendre leurs décisions en vertu des paragraphes 37(1) et 37(1.1) de cette loi. Aux termes de ces dispositions, le gouverneur en conseil et les autorités responsables devaient examiner le rapport de la commission d’examen conjoint et décider si le projet en cause était justifié malgré les effets environnementaux négatifs.
[209] Cela dit, même si la déférence s’imposait à l’égard des décisions prises en vertu des paragraphes 37(1) et 37(1.1), la Cour écrit que « la cour de révision doit s’assurer que l’exercice du pouvoir délégué par le Parlement demeure à l’intérieur des limites prévues par le régime législatif » (Innus de Ekuanitshit, paragraphe 44).
[210] À leur prétention selon laquelle la décision de principe est l’arrêt Innus de Ekuanitshit, les Tsleil-Waututh ajoutent, en premier lieu, que l’approche fondée sur la « marge d’appréciation » suivie dans l’arrêt Gitxaala ne fait de toute façon plus jurisprudence et, en second lieu, que les questions relatives à l’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte. Burnaby souscrit à ces observations additionnelles des Tsleil-Waututh.
[211] Pour les motifs suivants, je ne vois aucune incompatibilité entre les arrêts Innus de Ekuanitshit et Gitxaala.
[212] Premièrement, dans l’arrêt Gitxaala, la Cour reconnaît être liée par l’arrêt Innus de Ekuanitshit. Or, en raison du régime législatif très différent en cause dans Gitxaala, l’arrêt précédent ne tranchait pas de façon satisfaisante la question de la norme de contrôle applicable à la décision du gouverneur en conseil dans ce cas (Gitxaala, paragraphe 136). La Cour n’a pas remis en question le bien-fondé de l’arrêt Innus de Ekuanitshit ni cherché à l’infirmer.
[213] Deuxièmement, dans les deux cas, la Cour décide que la norme de contrôle applicable à la décision du gouverneur en conseil est celle de la décision raisonnable. C’est au regard de la norme de la décision raisonnable que la Cour conclut, dans l’arrêt Innus de Ekuanitshit, que la décision du gouverneur en conseil doit néanmoins respecter le cadre du régime législatif.
[214] Troisièmement et finalement, la conclusion énoncée dans l’arrêt Innus de Ekuanitshit à l’effet que la cour de révision est tenue de veiller à ce que la décision du gouverneur en conseil demeure « à l’intérieur des limites prévues par le régime législatif » (Innus de Ekuanitshit, paragraphe 44) va dans le même sens que l’exigence formulée dans l’arrêt Gitxaala selon laquelle le gouverneur en conseil doit conclure et être convaincu que le processus et l’évaluation de l’Office satisfont aux exigences législatives, de telle sorte que le rapport de l’Office constitue un rapport en bonne et due forme, condition préalable à la décision du gouverneur en conseil. La Cour doit ensuite être convaincue que la décision du gouverneur en conseil était conforme à la loi, raisonnable et constitutionnelle. La décision conforme à la loi et raisonnable respecte le cadre et la logique du régime législatif.
[215] Pour décider si une décision est raisonnable, les cours doivent voir si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47).
[216] La norme de la décision raisonnable appelle une analyse contextuelle. Le caractère raisonnable « s’adapte au contexte » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, paragraphe 59; Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [2016] 2 R.C.S. 80, paragraphe 57); dans chaque affaire, la question fondamentale intéresse « la portée du pouvoir décisionnel que la loi a conféré au décideur » (Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, paragraphe 18).
[217] Par conséquent, la cour appelée à se prononcer sur une décision prise dans l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi vérifie, au regard de la norme de la décision raisonnable, que la décision a été prise conformément au texte de loi (voir, par exemple, Public Mobile Inc. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 194, [2011] 3 R.C.F. 344, paragraphes 29–30). Autrement dit, un décideur administratif est limité, pour tirer ses conclusions, par le libellé de la loi (Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203, paragraphe 21).
[218] La Cour suprême s’est récemment penchée sur la question en examinant une décision du Tribunal des revendications particulières. Selon sa loi habilitante, ce tribunal doit statuer sur des revendications particulières « de façon équitable et dans les meilleurs délais ». Les juges majoritaires ont fait remarquer que sa compétence ne lui confère expressément « un pouvoir décisionnel qu’en ce qui concerne les principes de droit applicables », ajoutant que les « issues raisonnables qui s’offrent au Tribunal sont donc délimitées par ces principes » (Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83, [2018] A.C.S. no 4 (QL), paragraphes 33 et 34).
[219] Quant aux deux autres points soulevés par les Tsleil-Wauthuth, le premier est traité plus haut, selon moi. Le caractère raisonnable « s’adapte au contexte ». Par exemple, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est d’une nature différente selon qu’il porte sur une décision de politique générale touchant de nombreuses entités ou sur une décision relative à la crédibilité de la preuve présentée à un organisme juridictionnel.
[220] Le second point concerne la norme applicable aux questions d’équité procédurale.
[221] Comme notre Cour l’indique dans l’arrêt Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, au paragraphe 67, la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale n’a pas été tranchée.
[222] Trans Mountain fait valoir que, dans des affaires comme Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75, aux paragraphes 70 à 72, notre Cour opte pour la norme de la décision correcte, mais fait preuve d’une certaine déférence à l’égard du choix du décideur quant à la procédure (voir aussi Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, paragraphes 79 et 89).
[223] Cela dit, point n’est besoin à mon avis de résoudre une contradiction dans la jurisprudence parce que, comme nous le verrons, même à l’issue d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, je conclus que rien ne justifie d’annuler le décret pour les motifs d’équité procédurale.
[224] Comme nous l’avons expliqué, il y a une distinction entre la norme de contrôle appliquée au volet de la décision du gouverneur en conseil relevant du droit administratif et celle appliquée au volet qui exige du gouverneur en conseil qu’il évalue la qualité du processus de consultation des peuples autochtones et, si nécessaire, les mesures d’accommodement.
[225] Invoquant l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, aux paragraphes 61 à 63, les parties s’entendent pour dire que l’existence et la teneur de l’obligation de consulter constituent des questions de droit auxquelles s’applique la norme de la décision correcte. La qualité des consultations est une question mixte de fait et de droit assujettie à celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord.
[226] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’exige pas la perfection (Gitxaala, paragraphes 182 et 183 et arrêts qui y sont cités). La question est de savoir si l’acte gouvernemental « “considéré dans son ensemble […] respecte le droit ancestral collectif en question” ». Ainsi, « [d]ans la mesure où tous les efforts raisonnables ont été déployés pour informer et consulter, on a alors satisfait à l’obligation de justifier » (Haïda, paragraphe 62, citant R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, et R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013). L’élément central de l’analyse devrait porter non pas sur le résultat, mais sur le processus de consultation et d’accommodement (Haïda, paragraphe 63).
[227] Ayant énoncé les normes de contrôle applicables, j’examine les diverses lacunes qui vicieraient la décision du gouverneur en conseil.
2. Le gouverneur en conseil a-t-il conclu à tort que le rapport de l’Office constituait un rapport en bonne et due forme, condition préalable à sa décision?
[228] Les erreurs de l’Office qui vicieraient la décision du gouverneur en conseil ont été brièvement résumées au paragraphe 128 des présents motifs. Par souci de commodité, je les présente dans l’ordre suivant. Répétons que, selon les diverses prétentions des demandeurs l’Office a commis les erreurs suivantes :
a. a manqué à l’équité procédurale;
b. n’a pas tranché certaines questions avant de recommander l’approbation du projet;
c. n’a pas envisagé des solutions de rechange au terminal maritime Westridge;
d. n’a pas évalué le transport maritime associé au projet sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012);
e. a mal interprété la Loi sur les espèces en péril.
On fait valoir que chacune de ces erreurs vicie substantiellement le rapport de l’Office de sorte qu’il ne pourrait constituer un « rapport » pour les besoins du gouverneur en conseil. Une décision prise par ce dernier en l’absence d’un « rapport » doit être tenue pour déraisonnable; le texte de la loi indique clairement que le gouverneur en conseil ne peut prendre une décision qu’après avoir pris connaissance du « rapport » de l’Office.
[229] Abordons chaque lacune reprochée.
a) Le processus suivi par l’Office respectait-il l’équité procédurale?
(i) Principes juridiques applicables
[230] En tant qu’autorité publique qui rend des décisions administratives touchant les droits, les privilèges ou les intérêts de personnes, l’Office a une obligation d’équité procédurale envers les parties qui se présentent devant elle. Toutefois, le fait qu’il existe une obligation ne dit rien sur la teneur de cette obligation dans une situation particulière.
[231] On dit que le concept d’équité procédurale est éminemment variable et que sa teneur doit être déterminée en fonction du contexte et des circonstances de chaque affaire. Le concept repose sur un désir de veiller à ce que l’on joue franc-jeu. La Cour suprême décrit en ces termes les droits de participation que commande l’obligation d’équité :
[…] [ils] visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.
(Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphe 22).
[232] Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême établit une liste non exhaustive de facteurs que l’on doit examiner pour déterminer la teneur de l’équité procédurale dans des circonstances données : la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; la nature du régime législatif, notamment l’existence d’une procédure d’appel; l’importance de la décision pour les personnes touchées; les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; enfin, le choix de procédure fait par le décideur.
[233] À la lumière de ces facteurs, Burnaby soutient que l’obligation en matière d’équité procédurale à son égard est substantielle.
[234] D’autres demandeurs et les défendeurs n’ont pas présenté d’observations sur la portée de l’obligation d’équité procédurale.
[235] Compte tenu de la nature juridictionnelle de la décision en cause, de la procédure de l’Office—qui s’apparente à celle d’une cour—prescrite par les Règles de pratique et de procédure de l’Office national de l’énergie (1995), DORS/95-208, de l’absence de droit d’appel sans restrictions prévu par la loi (le paragraphe 22(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie permet d’interjeter appel sur une question de droit ou de compétence uniquement avec l’autorisation de notre Cour) et de l’importance de la décision de l’Office pour les parties, j’accepte la prétention de Burnaby selon laquelle l’obligation d’équité que l’Office avait à l’endroit des parties était substantielle. Les parties avaient droit à une véritable occasion de présenter leur point de vue complètement, incluant l’opportunité de contester la preuve qui contredit leur thèse. J’examine plus en détail la teneur de cette obligation ci-après.
[236] Ayant résumé les principes juridiques qui s’appliquent en matière d’équité procédurale, j’aborde ensuite les allégations de violation à ces principes.
(ii) Les manquements reprochés quant à l’équité procédurale
[237] Burnaby affirme que l’Office a manqué à son obligation d’équité procédurale envers elle :
a. en ne tenant pas d’audience;
b. en ne lui donnant pas la possibilité de réfuter, par un contre-interrogatoire, la preuve de Trans Mountain;
c. en n’exigeant pas que Trans Mountain réponde à ses demandes de renseignements écrites et en rejetant ses requêtes qui visaient à forcer des réponses plus complètes aux demandes de renseignements;
d. en déléguant l’évaluation de renseignements d’une importance cruciale, qui aura lieu après le rapport de l’Office et la décision du gouverneur en conseil;
e. en donnant des motifs insuffisants en ce qui a trait :
i. aux solutions de rechange pour le projet;
ii. aux risques, notamment sismiques, en cas d’incendie ou de déversement;
iii. au choix de percer un tunnel sous le mont Burnaby;
iv. à la protection des sources d’eau municipales;
v. au caractère d’intérêt public du projet, s’il en est.
[238] Les Tsleil-Waututh affirment que l’Office a manqué à son obligation d’équité en restreignant sa capacité à réfuter la preuve de Trans Mountain et en permettant à Trans Mountain de déposer une contre-preuve irrégulière.
[239] Selon les Stó:lō, un manquement à l’équité procédurale a découlé du contre-interrogatoire de leurs témoins qui ont fait une déposition orale sur les traditions autochtones, les témoins de Trans Mountain n’ayant pas été contre-interrogés.
[240] Les Squamish ont brièvement soulevé la question de la réponse inadéquate donnée par Ressources naturelles Canada à leur demande de renseignements et du rejet laconique par l’Office de leurs demandes visant à obtenir des réponses plus complètes de Ressources naturelles Canada, du ministère des Pêches et des Océans et de Trans Mountain.
[241] Examinons tour à tour chaque prétention.
(iii) Le défaut de tenir une audience et de permettre le contre-interrogatoire des témoins de Trans Mountain
[242] Il convient de traiter ensemble ces deux erreurs alléguées.
[243] Les demandeurs font valoir que la décision de l’Office d’empêcher le contre-interrogatoire était [traduction] « aux antipodes de la pratique antérieure pour un projet de cette envergure » (mémoire des faits et du droit de Burnaby, paragraphe 160) et privait l’Office d’une méthode importante et bien établie de découverte de la vérité. Ils ajoutent que cette décision était particulièrement inéquitable étant donné que Trans Mountain n’a pas participé de bonne foi au processus de demande de renseignements. Ainsi, le processus ne s’est pas révélé une méthode de rechange efficace pour réfuter la preuve de Trans Mountain.
[244] Les défendeurs Canada et Trans Mountain répondent ceci :
• L’Office est habilité à décider si l’instruction se fera par écrit ou par voie d’audience, et il faut faire preuve de déférence quant à son choix de procédure.
• Le processus a été conçu pour tenir compte du nombre de participants, du volume de la preuve et de la nature technique des renseignements devant être reçus par l’Office.
• De nombreux aspects de l’instruction se sont déroulés oralement : l’audition de la preuve traditionnelle autochtone, la plaidoirie finale de Trans Mountain, les plaidoiries finales des intervenants et l’argumentation présentée en réplique.
• Il n’y a pas de droit absolu au contre-interrogatoire. Un décideur peut refuser ou limiter le contre-interrogatoire s’il existe un moyen efficace de confirmer ou réfuter la preuve.
[245] Je reconnais l’importance du contre-interrogatoire en common law. Toutefois, comme la teneur de l’obligation en matière d’équité procédurale varie selon le contexte et les circonstances, cette obligation n’emporte pas toujours le droit de contre-interroger. Par exemple, il a été jugé, dans le cadre d’une instruction publique liée à l’intérêt public faisant intervenir de nombreuses parties, que l’équité n’exigeait pas la tenue de contre-interrogatoires (Unicity Taxi Ltd. v. Manitoba Taxicab Board (1992), 80 Man. R. (2d) 241, [1992] 6 W.W.R. 35 (Q.B.); conf. par (1992), 83 Man. R. (2d) 305, [1992] M.J. no 608 (QL) (C.A.)). La cour de première instance a rejeté la prétention de manquement à l’équité parce que, [traduction] « dans le cadre d’instructions publiques ayant des enjeux multiples et mettant en cause de nombreuses parties, [les contre-interrogatoires] ont tendance à devenir une arme lourde, voire dangereuse, susceptible de mener au désordre et de faire traîner l’affaire en longueur ».
[246] Dans la même veine, dans l’arrêt Chippewas of the Thames First Nation c. Pipelines Enbridge inc., 2017 CSC 41, [2017] 1 R.C.S. 1099, la Cour suprême conclut que les Chippewas de la Thames se sont vu offrir une possibilité adéquate de participer au processus décisionnel de l’Office (motifs, paragraphe 51). Cette conclusion repose sur les faits suivants énumérés par la Cour : l’Office a tenu une audience; il a informé au préalable les groupes autochtones du processus et les a invités à y participer formellement; il a accordé le statut d’intervenant aux Chippewas de la Thames; il a fourni à ces derniers de l’aide financière qui leur a permis de présenter une preuve, de présenter de manière formelle au promoteur du projet des demandes de renseignements, auxquelles ce dernier a répondu par écrit, et a permis aux Chippewas de la Thames de présenter de vive voix des observations finales. On ne leur a pas accordé le droit de contre-interroger (motifs, paragraphe 52), mais le processus leur a néanmoins assuré un droit de participation adéquat.
[247] Ces décisions ne sont évidemment pas déterminantes quant aux exigences en matière d’équité dans le présent contexte.
[248] L’Office traite du contexte pertinent dans sa décision no 14, qui porte sur une requête en modification de l’ordonnance d’audience visant à solliciter le contre-interrogatoire oral des témoins. Après avoir cité un extrait d’un ouvrage de droit administratif suivant lequel la notion d’équité procédurale n’a rien d’un concept fixe, mais varie plutôt selon les circonstances et les intérêts en jeu, l’Office écrit ce qui suit [aux pages 4 et 5] :
Dans le cas qui nous occupe, le contexte est la présentation d’une recommandation de l’Office au gouverneur en conseil quant à la question de savoir si le pipeline a un caractère d’utilité publique tant pour le présent que pour le futur. Cette recommandation est à plusieurs facettes, car elle tient compte d’une grande diversité de considérations et d’intérêts. Les groupes directement touchés par la demande sont notamment les collectivités autochtones, les propriétaires fonciers, les gouvernements, les intérêts commerciaux et les autres parties prenantes. Dans la requête et un certain nombre de commentaires à l’appui, on semble accorder une grande importance à la crédibilité possible des témoins. L’Office fait observer qu’il ne s’agit pas là d’un procès pénal ou civil. L’audience de l’Office ne porte pas non plus sur une question de libertés individuelles. C’est plutôt un processus permettant à l’Office de recueillir et d’analyser des éléments de preuve pour pouvoir préparer, en tant que tribunal spécialisé, une recommandation au gouverneur en conseil en vue de la délivrance ou non d’un certificat aux termes de l’article 52 de la Loi. L’Office doit aussi procéder à une évaluation environnementale et produire une recommandation dans le cadre de la LCEE 2012.
L’Office conçoit individuellement et indépendamment ses processus d’audience en se fondant sur les circonstances de la demande. Chaque processus est conçu pour permettre une audience équitable, mais les processus ne sont pas nécessairement les mêmes. Dans le cas de cette demande, l’ordonnance d’audience prévoit deux occasions de solliciter des renseignements par écrit. Elle prévoit également la possibilité de déposer par voie de mémoires et de présenter une plaidoirie finale de vive voix ou par écrit. Pour les groupes autochtones qui désirent présenter un témoignage traditionnel verbalement, cette possibilité existe aussi.
En ce qui concerne la nature des prescriptions, l’article 8 de la Loi autorise [l’Office] à établir des règles de conduite des audiences devant lui. Les Règles disent que les audiences publiques peuvent être orales ou sur mémoires selon ce que détermine l’Office. Par le passé, l’Office a tenu des audiences entièrement sur mémoires dans le cas des demandes relatives aux oléoducs et aux gazoducs aux termes de l’article 52. Il se peut aussi que des audiences soient orales avec d’importants volets sur mémoires comme dans le présent cas. En plus des procédures d’audience que prévoient les Règles, l’Office décide des procédures à suivre dans ses ordonnances d’audience et les décisions et bulletins qui y sont liés.
[…]
On peut trouver d’autres exigences législatives applicables aux audiences publiques de l’Office au paragraphe 11(4) de la Loi, qui prévoit que « l’Office tranche les demandes et procédures dont il est saisi le plus rapidement possible, compte tenu des circonstances et de l’équité, mais en tout état de cause dans le délai prévu sous le régime de la présente loi, le cas échéant ». Ce paragraphe a été ajouté en 2012. Pour la présente demande, la date limite prescrite par la loi est le 2 juillet 2015 (soit 15 mois après que la demande est jugée complète).
Comme les délais prescrits par la loi sont une exigence récente, il n’y a aucune attente légitime pour ce qui est des procédures d’audience devant permettre d’examiner la preuve présentée. Dans le cas qui nous occupe, l’Office a donné avis des procédures à appliquer.
À son avis, le législateur a clairement dit qu’il est maître de sa propre procédure, c’est-à-dire qu’il peut décider de la marche à suivre dans la conduite de chaque audience publique. Cela comprend le pouvoir d’établir la manière dont la preuve sera reçue et examinée dans telle ou telle audience publique. Dans la présente audience où on compte 400 intervenants et où le gros de l’information livrée est technique, l’Office a jugé qu’il convenait de vérifier la preuve présentée sur mémoires. Toute la preuve présentée par écrit sera aussi soumise à des questions écrites par jusqu’à 400 intervenants et par l’Office même. [Non souligné dans l’original; renvois omis.]
[249] L’Office traite d’autres aspects pertinents du contexte dans son rapport final, à la page 4 :
Enfin, dans le cadre de l’audience, l’Office a eu recours à d’importants processus écrits et à des composantes pour favoriser l’examen de la demande visant le projet. À l’exception de la preuve traditionnelle orale décrite plus loin, les éléments de preuve ont été présentés par écrit et ont été validés au moyen de questions écrites présentées sous forme de demandes de renseignements. Les intervenants ont présenté plus de 15 000 questions à Trans Mountain au cours des deux grandes rondes de demandes de renseignements. Des centaines d’autres questions ont été posées au cours de six rondes de demandes de renseignements supplémentaires portant sur des éléments de preuve précis. Si un intervenant croyait que Trans Mountain avait fourni des réponses inadéquates à ses questions, il pouvait demander à l’Office de contraindre l’entreprise à fournir une réponse plus complète. Trans Mountain pouvait également demander des précisions au sujet des demandes de renseignements présentées aux intervenants à propos de leurs éléments de preuve. Un interrogatoire écrit a été déposé pour de nombreux éléments de preuve (éléments de preuve supplémentaires ou de remplacement, éléments de preuve déposés tardivement et contre-preuve de Trans Mountain).
L’Office, qui détermine la procédure d’audience à son gré, a décidé d’accepter la vérification de l’exactitude des éléments de preuve par voie de demandes de renseignements et de ne pas tenir de contre-interrogatoire dans le cadre de l’audience. Compte tenu des quelque 400 intervenants qui participeraient à l’audience, des délais prescrits par la Loi et de la nature technique des renseignements à examiner, l’Office a en effet jugé qu’il serait approprié de vérifier l’exactitude des éléments de preuve au moyen de processus écrits. Au cours de l’analyse définitive, les éléments de preuve présentés par écrit ont fait l’objet d’une interrogation écrite approfondie par l’Office et jusqu’à 400 intervenants. L’Office est convaincu que l’exactitude de la preuve a été vérifiée comme il se devait dans le cadre du processus sur pièces et que l’audience a été équitable pour tous les participants et qu’elle a été menée dans le respect [de] la règle de justice naturelle. [Non souligné dans l’original; renvoi omis.]
[250] La prochaine étape, une fois établi le contexte pertinent à la détermination du contenu de l’obligation d’équité et l’analyse qu’en fait l’Office, est d’appliquer les facteurs contextuels énumérés dans l’arrêt Baker pour décider si l’absence de contre-interrogatoire contrevenait aux droits de participation qu’assure l’obligation d’équité procédurale. La question centrale de l’analyse consiste à savoir si les parties ont eu une occasion valable de présenter leur point de vue complètement et équitablement.
[251] Il ressort de l’application du premier facteur de l’arrêt Baker que la décision de l’Office n’est pas de la même nature qu’une décision judiciaire. L’Office est tenu de faire appel à son expertise pour examiner le dossier dont il est saisi et formuler des recommandations quant à savoir si le projet est requis à des fins d’utilité publique et s’il est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants qui sont justifiables ou non dans les circonstances. Chaque recommandation appelle l’Office à examiner un grand éventail de considérations et d’intérêts, sa marge d’appréciation étant à cet égard appréciable. Par exemple, le paragraphe 52(2) de la Loi sur l’Office national de l’énergie exige que l’Office tienne compte, en faisant sa recommandation, de « tous les facteurs qu’il estime directement liés au pipeline et pertinents ». L’évaluation environnementale de l’Office doit prendre en compte « tout autre élément utile à l’évaluation environnementale dont [l’Office] peut exiger la prise en compte » (alinéa 19(1)j) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)). La nature de la décision milite en faveur d’exigences assouplies au titre de l’obligation d’équité procédurale.
[252] Le régime législatif milite aussi en faveur d’exigences assouplies. L’Office peut décider qu’une demande de pipeline fera l’objet en tout ou en partie d’un examen sur dossier (paragraphe 22(1) des Règles de pratique et de procédure de l’Office national de l’énergie (1995)). L’Office doit examiner rapidement les questions, dans les délais prévus par la loi. Lorsque l’ordonnance d’audience — qui prévoyait la possibilité de faire des demandes de renseignements, et non de contre-interroger de vive voix — a été rendue le 2 avril 2014, l’Office avait jusqu’au 2 juillet 2015 pour remettre son rapport. Pour prévoir un tel délai, le législateur doit, peut-on présumer, avoir envisagé la possibilité que des projets d’approbation de pipeline suscitent un intérêt public important comme en l’espèce, où 400 parties ont obtenu l’autorisation d’intervenir. Un des aspects du régime législatif milite en faveur d’exigences élevées au titre de l’obligation d’équité : la loi ne prévoit pas de droit d’appel (sauf pour une question de droit ou de compétence, et ce sur autorisation). Toutefois, comme je l’explique longuement plus haut, la décision de l’Office est soumise à un examen minutieux dans des instances comme la présente.
[253] L’importance de la décision est un facteur qui milite en faveur d’exigences élevées en matière d’équité procédurale.
[254] Pour les motifs donnés par l’Office, je ne vois rien qui puisse fonder une attente légitime à un contre-interrogatoire oral. Or, j’ajouterais qu’une telle attente serait contraire au droit de l’Office de décider qu’une demande soit entièrement examinée sur dossier. L’Office a effectivement permis un contre-interrogatoire oral dans le cas du pipeline Northern Gateway, mais, selon le rapport de l’Office concernant ce projet, la qualité d’intervenant avait alors été accordée à 206 entités, soit environ la moitié des entités en cause dans l’affaire qui nous occupe.
[255] Enfin, le choix de procédure de l’Office n’est pas déterminant, mais appelle un certain respect, surtout lorsque la loi confère à ce dernier une grande latitude quant au choix de sa propre procédure, et qu’il a de l’expérience pour déterminer la procédure qui convient pour l’audience.
[256] Je note que lorsque l’Office a tranché la demande en réexamen de la décision no 14 visant à permettre les contre-interrogatoires oraux, les demandeurs avaient reçu les réponses de Trans Mountain à leur première série de demandes de renseignements. Nombreux sont ceux qui avaient présenté des requêtes sollicitant des réponses plus complètes. L’Office a statué sur les objections le 26 septembre 2014. Il connaissait donc bien les préoccupations exprimées par les demandeurs, comme on peut le voir dans la décision no 51, dans laquelle il refusait de revenir sur sa décision antérieure au terme de laquelle il déclinait de modifier l’ordonnance d’audience en vue d’autoriser des contre-interrogatoires oraux.
[257] Dans l’ensemble, bien que l’importance de la décision et l’absence de droit d’appel prévu dans la loi militent en faveur d’exigences plus strictes au titre de l’obligation d’équité, les autres facteurs supposent des exigences assouplies. Après une mise en balance de ces facteurs, je conclus que l’obligation d’équité était importante. Toutefois, les décisions de l’Office de ne pas permettre de contre-interrogatoires oraux et des audiences complètes ne violaient pas cette obligation. La procédure de l’Office donnait bel et bien aux demandeurs une occasion valable de présenter leur position complètement et équitablement.
[258] Enfin, l’Office a permis la présentation d’une preuve orale traditionnelle parce que « [l]es Autochtones ont une tradition orale qu’ils ne peuvent pas toujours bien faire connaître par l’écriture » (décision no 14, page 5). Quant aux inquiétudes des Stó:lō’s au sujet d’un contre-interrogatoire sur les témoignages traditionnels oraux, l’Office a permis aux « groupes autochtones [de] décider de répondre à toute question par écrit ou de vive voix selon ce qu’ils jugent pratique ou approprié » (décision no 14, page 6), ce qui répond entièrement aux préoccupations des Stó:lō.
[259] Passons à l’élément suivant dans l’énumération des manquements allégués à l’équité procédurale.
(iv) Les réponses de Trans Mountain aux demandes de renseignements
[260] Burnaby et les Squamish font valoir que Trans Mountain a donné des réponses générales et incomplètes à leurs demandes de renseignements et que l’Office a manqué à son obligation de la contraindre à fournir des réponses plus complètes.
[261] Au cours de la partie orale de l’instruction qui a eu lieu devant cette Cour, Burnaby a repassé en détail : sa première demande de renseignements à l’intention de Trans Mountain relativement à son examen de solutions de rechange à l’agrandissement du pipeline, des réservoirs et des terminaux maritimes dans un grand centre métropolitain; la réponse de Trans Mountain; le rejet, par l’Office, de la demande de Burnaby visant l’obtention d’une réponse plus complète; la seconde demande de renseignements de Burnaby; la réponse de Trans Mountain; le rejet, par l’Office, de la demande de Burnaby visant l’obtention d’une réponse plus complète; la première demande de renseignements présentée par l’Office — sur les autres moyens de réaliser le projet —; la réponse de Trans Mountain; la seconde demande de renseignements de l’Office; la réponse de Trans Mountain à cette demande. Burnaby soutient que Trans Mountain a fourni beaucoup plus de renseignements à l’Office qu’à elle, mais que les renseignements fournis demeuraient insuffisants.
[262] Dans leur plaidoirie, les Squamish ont fait allusion au fait que l’Office n’a pas ordonné de réponses plus complètes au sujet de l’évaluation, effectuée par la Couronne, de la solidité de leurs revendications quant à leurs droits et au titre ancestraux.
[263] Comme il ressort de sa plaidoirie, Burnaby a présenté des requêtes à l’Office pour qu’il enjoigne à Trans Mountain de fournir de meilleures réponses à ses deux demandes de renseignements.
[264] Je commence l’examen de cette question en reconnaissant que l’Office a refusé la plupart des demandes de Burnaby visant à obtenir des réponses plus complètes. L’équité procédurale ne garantit toutefois pas un résultat entièrement positif. L’Office a ordonné, à l’égard de chaque requête, des réponses plus complètes. Burnaby ne peut pas se contenter de démontrer que l’Office n’a pas fait droit à toutes ses objections.
[265] Les motifs donnés par l’Office à l’appui de son refus de forcer des réponses plus détaillées sont consignés dans la décision no 33 [Requêtes visant l’obligation de fournir une réponse complète et adéquate à la première série de demandes de renseignements (DR), le 26 septembre 2014] (A4 C4 H7) — portant sur la première série de demandes de renseignements que les intervenants ont adressées à Trans Mountain — et la décision no 63 [au sujet des requêtes pour l’obtention de réponses complètes et safisfaisantes à la deuxième série de demandes de renseignements (DR) des intervenants, 27 avril 2015] (A4 K8 G4) — concernant la deuxième série. Chaque décision revêtait la forme d’une lettre à laquelle était jointe une annexe, dans laquelle était énumérée chaque question figurant dans la requête de l’intervenant visant à forcer une réponse adéquate et fournissait le « motif principal » pour lequel l’Office faisait droit ou non à la requête. Chaque décision comportait aussi des remarques d’ordre général au sujet des requêtes et la décision de l’Office.
[266] L’Office a énoncé en ces termes le critère qu’il a appliqué lors de l’examen des requêtes visant à forcer une réponse plus complète [Décision no 33, à la page 2] :
[…] l’Office […] se penche sur la pertinence des renseignements demandés, leur signification et le caractère raisonnable de la demande. L’Office pondère ces facteurs de manière à respecter le processus [de demande de renseignements], tout en empêchant les intervenants de procéder à un interrogatoire à l’aveuglette qui pourrait imposer un fardeau injuste au demandeur. [Notes de bas de page omise.]
[267] Dans sa décision, l’Office a aussi fourni des renseignements généraux décrivant les circonstances qui l’ont mené à refuser de forcer des réponses plus détaillées. Les deux situations suivantes sont pertinentes :
• Dans certains cas, Trans Mountain a fourni une réponse complète à la question, mais l’intervenant la désapprouvait. Dans ces cas, plutôt que d’ordonner une réponse plus détaillée, l’Office a conseillé aux intervenants de déposer leur propre preuve en réplique ou de donner leur point de vue lors de leur plaidoirie finale.
• Dans d’autres cas, Trans Mountain peut ne pas avoir répondu à tous les volets de la demande de renseignements de l’intervenant. Toutefois, dans ces cas, l’Office était d’avis que la réponse contenait suffisamment de renseignements et de détails pour lui permettre d’examiner la demande et a donc refusé de forcer une réponse plus détaillée.
[268] Il est manifeste que selon l’Office les demandes de Burnaby visant à obtenir des réponses plus complètes de Trans Mountain à propos des autres sites qu’elle avait envisagés pour le terminal maritime et rejetés relevaient de la deuxième situation.
[269] Trans Mountain a répondu le 21 juillet 2014 à la deuxième demande de renseignements à cet égard de l’Office, et cette réponse a été signifiée à tous les intervenants. Par conséquent, l’Office connaissait cette réponse quand, le 26 septembre 2014, il a rejeté la requête de Burnaby dans la décision no 33.
[270] L’Office a conclu que la réponse de Trans Mountain à sa deuxième demande de renseignements était suffisante. C’est ce qui ressort de son rapport, aux pages 249 et 250, où il reprend la réponse donnée par Trans Mountain à sa deuxième demande de renseignements pour décrire l’examen par Trans Mountain des solutions de rechange au terminal maritime Westridge. À la page 252 du rapport, l’Office a jugé adéquate l’« évaluation d’autres moyens » effectuée par Trans Mountain. Il a ensuite pris acte de la préoccupation soulevée par Burnaby, selon qui Trans Mountain n’avait pas produit d’évaluation des risques, des répercussions et des effets des emplacements du terminal maritime qui avaient été envisagés à Kitimat ou à Roberts Bank. Toutefois, l’Office ne partageait pas cette préoccupation, concluant [à la page 252] que « Trans Mountain a fourni une évaluation suffisante, et notamment […] a tenu compte des effets techniques, socioéconomiques et environnementaux d’autres emplacements réalisables sur les plans technique et économique pour le terminus maritime ».
[271] De toute évidence, Burnaby ne souscrit pas à ce point de vue. Elle n’a cependant pas démontré en quoi la conduite de l’Office à l’égard des demandes de renseignements de Burnaby contrevenait à l’équité procédurale. Par exemple, Burnaby n’a pas indiqué les éléments de preuve qui contredisaient les motifs donnés par Trans Mountain pour rejeter les emplacements de rechange du terminal maritime. Trans Mountain a déclaré que son évaluation à cet égard reposait sur les possibilités d’accès maritime et pipelinier qui coïncident ainsi que sur des facteurs techniques, économiques et environnementaux. Toute contradiction dans la preuve sur ces points aurait peut-être permis de conclure que Trans Mountain devait fournir des renseignements plus détaillés pour assurer une véritable participation.
[272] À l’appui de leur prétention concernant l’équité procédurale, les Squamish ont renvoyé à une question qu’ils avaient posée à Ressources naturelles Canada (RNC). Ils avaient demandé si RNC avait [traduction] « évalué la solidité de la revendication des Squamish visant leurs droits ancestraux dans la région visée par projet proposé » et, dans l’affirmative, de fournir [traduction] « cette évaluation et tout document sur lequel celle-ci reposait ».
[273] Les Squamish ont reçu la réponse suivante à leur demande de renseignements :
[traduction] La Couronne a effectué des évaluations préliminaires de l’ampleur des consultations pour tous les groupes autochtones, y compris la Nation Squamish, dont le territoire traditionnel soit touche l’emprise pipelinière proposée, l’agrandissement du terminal maritime et les couloirs de navigation désignés soit se trouve à proximité de ces derniers. (Les évaluations de l’ampleur des consultations tiennent compte à la fois des conséquences possibles sur des droits et la solidité des revendications visant ces droits.) L’évaluation de l’ampleur des consultations par la Couronne est itérative et on s’attend à ce qu’elle évolue au fil de l’examen [par l’Office] et au fur et à mesure que les groupes autochtones produiront leur preuve [à l’Office] et participeront aux consultations de l’étape III menées par la Couronne. La Couronne a déterminé que l’ampleur des consultations auprès de la Nation Squamish était « grande ». Cette conclusion préliminaire a été déposée en preuve [par le Bureau de gestion des grands projets] le 27 mai 2015.
Le point de départ de ces évaluations est l’information dont dispose la Couronne, mais la Nation Squamish est invitée à fournir les renseignements qui, selon elle, pourraient aider la Couronne à comprendre la nature et l’étendue de ses droits. [Non souligné dans l’original.]
[274] Les Squamish ont fait valoir devant l’Office qu’on a seulement répondu partiellement à leur demande et ont demandé que Ressources naturelles Canada fournisse les documents sur lesquels elle s’est appuyée pour faire son évaluation.
[275] En réponse à la requête des Squamish visant à forcer une réponse plus détaillée, Ressources naturelles Canada a répondu ceci :
[traduction] Dans le contexte du présent processus d’audience, [le Bureau de gestion des grands projets] est d’avis que les renseignements et dossiers supplémentaires sollicités par la Nation Squamish n’aideront pas le comité à s’acquitter de son mandat.
Toutefois, la Couronne communiquera avec la Nation Squamish en août 2015 pour lui fournir des renseignements supplémentaires sur l’étape III des consultations de la Couronne et lui expliquer la façon dont elle examinera les effets négatifs du projet sur des droits ancestraux ou issus de traités, potentiels ou établis. Cette prochaine correspondance résumera la compréhension de la Couronne quant à la solidité de la revendication relative aux droits ancestraux et au titre ancestral de la Nation Squamish.
[276] L’Office a rejeté la demande des Squamish visant l’obtention d’une réponse plus complète pour le motif principal que les renseignements sollicités par les Squamish [traduction] « n’apporteraient rien de susbtantiel au dossier et n’influeraient donc pas sur l’évaluation par l’Office ».
[277] Vu le mandat de l’Office, la nature itérative du processus de consultation et le fait que des consultations directes menées par la Couronne auraient lieu à l’étape III, après la publication du rapport de l’Office, les Squamish n’ont pas démontré que l’Office avait manqué à l’équité procédurale en refusant d’ordonner la fourniture d’une réponse plus complète à leur question.
(v) La prétention concernant le report et la délégation de l’évaluation de renseignements importants
[278] Burnaby soutient ensuite que l’Office a, de façon inacceptable, reporté [traduction] « la communication de renseignements cruciaux, pour qu’elle ait lieu après l’étape du rapport et après [la décision du gouverneur en conseil] » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 164). Elle affirme que, ce faisant, l’Office a agi contrairement au régime législatif et a violé le principe selon lequel le délégué ne peut pas déléguer (delegatus non potest delegare). À ce stade de ses observations, Burnaby n’indique pas quel aspect précis du régime législatif avait été enfreint ou comment l’Office ou le gouverneur en conseil avaient irrégulièrement délégué leur responsabilité légale. Elle en traite comme une question d’équité procédurale. J’examine l’argument fondé sur le régime législatif à partir du paragraphe 322.
[279] Burnaby renvoie à des exemples démontrant selon elle que l’Office a omis d’apprécier la preuve et les opinions d’expert qui lui avaient été présentées. Elle affirme ce qui suit :
• Elle a produit une preuve d’expert à l’effet que le projet présente des risques graves et inacceptables pour les quartiers à proximité du terminal de Burnaby en cas d’incendie, d’explosion et de débordement thermique, et Trans Mountain a omis d’évaluer ces risques.
• Elle a relevé des lacunes dans l’enquête géotechnique de Trans Mountain concernant l’option du tunnel. Selon elle, l’analyse de faisabilité du tunnel est également lacunaire.
• Elle a relevé des lacunes importantes concernant le terminal maritime Westridge, notamment la conception finale, le risque de déversement, le risque d’incendie, le risque géotechnique et la mitigation des risques.
• Elle a fourni la preuve de l’insuffisance des ressources disponibles en cas d’incendie.
• Elle a démontré le risque pour l’Université Simon Fraser en cas d’incident au terminal de Burnaby en raison de la proximité du tunnel par rapport à l’unique voie d’évacuation de l’institution.
[280] Burnaby fait valoir que l’Office a refusé de contraindre Trans Mountain à produire un complément de renseignements sur ces questions, et lui a plutôt imposé des conditions l’obligeant à certaines choses pour l’avenir. Par exemple, l’Office l’a enjoint à déposer devant lui, pour approbation, un rapport contenant une révision des évaluations du risque des terminaux, y compris du terminal de Burnaby, dont un examen des risques non évalués (conditions 22 et 129 de l’Office). Trans Mountain était tenue de satisfaire à la condition 22 au moins six mois avant le début des travaux et, dans le cas de la condition 129, au moins trois mois avant que Trans Mountain présente sa demande d’autorisation de mise en service à l’égard de chaque terminal. Burnaby note aussi que de nombreuses conditions imposées par l’Office n’ont pas fait l’objet d’une approbation subséquente de la part de ce dernier.
[281] Burnaby fait valoir que ce processus empêchait une vérification efficace des renseignements déposés après la publication du rapport de l’Office recommandant l’approbation du projet. De plus, lorsqu’il a tiré sa conclusion au sujet de l’intérêt public, le gouverneur en conseil ne disposait pas des documents devant être déposés en réponse aux conditions imposées par l’Office.
[282] C’est l’affirmation de Burnaby selon laquelle [traduction] « les décisions de l’Office ont privé Burnaby de la faculté d’examiner et d’évaluer la validité de l’évaluation des solutions de rechange (ou de confirmer qu’il y en avait bel et bien eu une) » qui sous-tend ces prétentions (mémoire des faits et du droit, paragraphe 41).
[283] Je peux comprendre la préoccupation de Burnaby — la conséquence d’un déversement important ou d’une explosion suivie d’un incendie dans une région métropolitaine densément peuplée pourrait être catastrophique. Toutefois, à mon humble avis, le désir compréhensible de Burnaby d’être autorisée à examiner et à évaluer de façon indépendante la validité de l’évaluation des solutions de rechange à l’agrandissement du terminal maritime Westridge, ou d’autres questions touchant la municipalité, ne cadre pas avec le régime réglementaire adopté par le législateur. Ce dernier a conféré à l’Office le pouvoir et la responsabilité d’examiner les questions d’intérêt public et de faire ensuite des recommandations au gouverneur en conseil; la responsabilité de l’Office consiste essentiellement à mettre en balance d’une part les avantages du projet et d’autre part ses inconvénients, notamment résiduels, et de faire des recommandations au gouverneur en conseil. Ce cadre législatif n’oblige pas l’Office à faciliter la tenue d’un examen et d’une évaluation indépendants du projet par une partie intéressée. Il n’appartient pas à notre Cour de se prononcer sur le bien-fondé de la politique énoncée dans la Loi sur l’Office national de l’énergie. Le rôle de la Cour consiste plutôt à appliquer les mesures législatives telles qu’elles ont été adoptées.
[284] La Cour suprême reconnaît « l’expertise [que l’Office] possède en ce qui concerne la surveillance et l’approbation de projets de pipeline réglementés par le fédéral » et affirme que l’Office est « particulièrement bien placé pour évaluer les risques que posent des projets de cette nature ». Elle ajoute que l’Office dispose de « vastes pouvoirs l’habilitant à imposer aux promoteurs des conditions en vue d’atténuer de tels risques » et indique que « le rôle permanent qu’il joue en tant qu’organisme de réglementation en ce qui concerne l’application de mesures de sécurité lui permet de veiller au respect à long terme de ces conditions » (Chippewas of the Thames First Nation, paragraphe 48). Certes, la Cour suprême mentionne particulièrement l’expertise de l’Office pour ce qui est d’évaluer les risques pour les groupes autochtones, mais cette expertise s’étend à la panoplie complète de risques inhérents à l’exploitation d’un pipeline, y compris ceux soulevés par Burnaby.
[285] L’argument de Burnaby doit être évalué à la lumière du processus d’approbation de l’Office. J’expose de façon assez détaillée ce processus étant donné l’importance de cette question pour Burnaby et d’autres demandeurs.
[286] L’Office décrit son processus d’approbation à la section 1.3 de son rapport :
1.3 Étape de la demande visant le projet : codes engagements et conditiions
Trans Mountain a déposé sa demande au début du processus réglementaire, comme c’est habituellement le cas des demandes effectuées en vertu de l’article 52 de la Loi. Comme le précise le Guide de dépôt, l’Office exige une vaste quantité de renseignements dans le cas des demandes en vertu de l’article 52. À la fin d’une audience, les renseignements mis à la disposition de l’Office doivent être suffisants pour lui permettre de présenter une recommandation au gouverneur en conseil sur l’intérêt public du projet. Les renseignements doivent également être suffisants pour permettre à l’Office de rédiger des conditions relatives à un certificat d’intérêt public et à d’autres instruments réglementaires si le projet est approuvé par le gouverneur en conseil.
L’Office n’a pas besoin des renseignements définitifs sur les détails techniques à l’étape de la demande. Par exemple, la plupart des renseignements présentés en lien avec la conception technique sont d’ordre conceptuel ou [se rapportent à la phase de l’ingénierie préliminaire]. Les renseignements sur les aspects techniques propres au site n’ont pas à être déposés auprès de l’Office avant la présentation du tracé détaillé, qui constitue l’une des étapes suivantes du processus réglementaire lorsqu’un projet est approuvé. La conception détaillée du projet, la construction et l’exploitation doivent respecter les éléments suivants :
• la Loi, des règlements, dont le Règlement de l’Office national de l’énergie sur les pipelines terrestres (le Règlement), les normes et les codes applicables;
• le modèle de conception présenté par l’entreprise et les engagements effectués au cours de la demande et de l’audience;
• toute condition que l’Office juge nécessaire.
L’Office peut exiger d’une entreprise qu’elle soumette des renseignements détaillés à des fins d’examen (et parfois d’approbation) avant de pouvoir commencer la construction. D’autres renseignements, comme les résultats de tests de pression, peuvent être exigés pour une autorisation de mise en service avant qu’une entreprise ait le droit de commencer l’exploitation d’un pipeline. Conformément au Règlement, une entreprise est également tenue d’élaborer un plan d’intervention d’urgence avant de commencer l’exploitation d’un pipeline. Dans certains cas, l’Office impose des conditions qui comprennent des exigences précises quant à l’élaboration, au contenu et au dépôt du plan d’intervention d’urgence (voir le tableau 1). Ces conditions sont déposées et évaluées en profondeur à l’étape du respect des conditions, une fois le tracé détaillé connu. Étant donné que le tracé détaillé est nécessaire pour procéder à l’évaluation, demander le dépôt d’un plan d’intervention d’urgence détaillé au moment de la demande visant un projet serait prématuré.
L’étape de la demande visant un projet est importante. Toutefois, comme il est précisé au chapitre 3, d’autres plans détaillés, études et devis sont exigés avant qu’un projet puisse débuter. Certains de ces documents sont assujettis à l’approbation de l’Office, alors que d’autres lui sont remis à des fins de renseignements, de déclaration de l’information et d’application ultérieure de mesures de conformité. La recommandation de l’Office quant à la demande visant un projet ne constitue pas une décision définitive concernant tous les éléments en jeu. Certains participants à l’audience ont demandé des renseignements sur l’ingénierie de détail ou sur les plans d’intervention d’urgence, mais l’Office n’avait pas besoin de plus de renseignements détaillés à cette étape du processus réglementaire.
Afin de bien définir le contexte quant aux motifs de sa recommandation, l’Office considère qu’il est utile de cerner l’élément fondamental servant à déterminer quoi que ce soit en vertu de l’article 52. Cet élément pour la détermination de l’intérêt public à l’étape de la demande est le suivant : est-ce que ce pipeline peut-être [sic] construit, exploité et entretenu sans danger. L’Office a estimé que c’était le cas. Même s’il s’agit de l’élément fondamental, cela ne signifie pas pour autant que, même dans de telles circonstances, un pipeline est nécessairement dans l’intérêt public et pour en juger, l’Office doit soupeser d’autres facteurs, dont il sera question plus loin. Cependant, l’analyse s’arrêterait net si la réponse à la question fondamentale était négative, car un pipeline posant un danger ne sera jamais dans l’intérêt public. [Non souligné dans l’original; renvois omis.]
[287] L’Office décrit ensuite, au chapitre 3, et particulièrement aux sections 3.1 à 3.5, la façon dont sont réglementés les projets au cours de leur cycle de vie :
3.0 Réglementation tout au long du cycle de vie du projet
L’approbation d’un projet, par l’émission d’un certificat ou de plusieurs certificats et/ou d’ordonnances comportant les conditions applicables, n’est que l’une des étapes de la réglementation axée sur le cycle de vie de l’Office. L’établissement de la conformité à l’intérêt public repose sur l’exécution subséquente de la conception, de la construction, de l’exploitation et, finalement, de la cessation d’exploitation d’un projet en conformité avec les codes, les engagements et les conditions applicables, dont des exemples ont été donnés précédemment. Comme le montre la figure 4, tout au long du cycle de vie d’un projet approuvé, l’Office tient la société pipelinière responsable de satisfaire aux exigences réglementaires de façon à tenir ses pipelines et ses installations sécuritaires et à protéger les personnes, les biens et l’environnement. À cette fin, l’Office passe en revue et évalue les dépôts liés aux conditions, fait le suivi des conditions pour veiller à leur respect, vérifie la conformité aux exigences réglementaires, instaure au besoin des mesures de mise en application appropriées afin d’assurer rapidement et efficacement la conformité, de prévenir les dommages et de dissuader les futurs comportements non conformes.
Une fois que la demande relative au projet est évaluée et que l’Office formule sa recommandation conformément à l’article 52 (de la façon décrite [au] chapitre 2, section 2.1), le projet ne peut pas être mis en œuvre avant et à moins que le gouverneur en conseil approuve le projet et ordonne à l’Office de délivrer le certificat d’utilité publique nécessaire. Si le projet est approuvé, la société doit préparer des plans indiquant le tracé détaillé projeté du pipeline et doit aviser les propriétaires fonciers. Une audience sur le tracé détaillé pourrait être nécessaire, sous réserve de l’article 35 de la Loi sur l’office national de l’énergie (la Loi). La société devra aussi procéder à la conception détaillée du projet, et pourrait être tenue de mener des études supplémentaires, d’élaborer des plans ou de satisfaire à d’autres exigences selon les conditions de l’Office à l’égard de tout certificat d’utilité publique ou de toute ordonnance connexe. La société devra se conformer à toutes les conditions afin d’aller de l’avant avec son projet, avant et pendant les travaux de construction et avant le début de l’exploitation. Même si les spécialistes de l’Office passent en revue tous les dépôts liés aux conditions, celles qui requièrent l’approbation de l’Office doivent être approuvées avant que le projet puisse être réalisé.
Une fois les travaux de construction achevés, la société devra solliciter la permission de l’Office (ou l’autorisation) pour mettre le projet en service et pour commencer les activités d’exploitation. Même si certaines conditions peuvent s’appliquer tout au long de la durée de vie d’un pipeline, la majorité d’entre elles doit habituellement être respectée avant le début des activités d’exploitation ou dans les premiers mois ou premières années de l’exploitation du pipeline. Toutefois, la société doit continuer de se conformer au Règlement de l’Office national de l’énergie sur les pipelines terrestres (le Règlement) et aux autres exigences réglementaires afin d’exploiter de façon sécuritaire le pipeline et de protéger l’environnement.
[…]
Si le projet est approuvé, l’Office aura recours à sa démarche établie d’exécution et de vérification de la conformité afin que Trans Mountain soit tenue responsable de mettre en œuvre les conditions proposées et les autres exigences réglementaires pendant la construction, l’exploitation et l’entretien ultérieur du projet.
3.1 Conformité aux conditions
Si le projet est approuvé et si Trans Mountain décide de le réaliser, elle sera tenue de respecter toutes les conditions assorties aux certificats d’utilité publique et instruments. Le type de dépôts qui sera exigé pour remplir les conditions imposées au projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain, s’il est approuvé, est résumé dans le tableau 4.
[…]
Si le projet est approuvé, l’Office surveillera la conformité aux conditions, prendra les décisions nécessaires relatives à ces conditions et déterminera éventuellement, selon les résultats déposés des essais sur le terrain, s’il est sécuritaire d’autoriser la mise en service du projet.
Les documents déposés par Trans Mountain sur la conformité aux conditions ainsi que la correspondance connexe échangée avec l’Office seront rendus publics dans le registre du projet dans le dépôt central des documents de réglementation sur le site web de l’Office. Tous les dépôts liés aux conditions, qu’elles visent ou non l’obtention de l’approbation, seront examinés et évalués afin de déterminer si la société s’est conformée à la condition, et de déterminer si les renseignements déposés sont acceptables dans le contexte des exigences réglementaires, des normes, des pratiques exemplaires, du jugement professionnel et des objectifs que ladite condition cherche à atteindre. Si une condition vise « l’obtention de l’approbation », la société doit obtenir, par voie de lettre de l’Office, l’approbation officielle selon laquelle la condition est remplie.
Si un dépôt ne satisfait pas aux exigences liées à une condition, ou qu’il est jugé inapproprié, l’Office demandera à la société qu’elle fournisse des renseignements complémentaires ou qu’elle apporte des modifications dans un délai déterminé; l’Office pourra aussi ordonner à la société de prendre des mesures supplémentaires pour parvenir au résultat escompté par la condition.
3.2 Étape de la construction
Pendant la construction, l’Office exigerait de Trans Mountain qu’elle dispose sur place d’inspecteurs aux compétences reconnues pour la supervision des travaux. Il mènerait lui-même certaines inspections sur le terrain en plus d’effectuer d’autres activités de vérification (décrites à la section 3.5) afin de confirmer que les travaux en cours répondent aux conditions d’approbation du projet et aux autres exigences réglementaires, d’observer si la société met en œuvre ses propres engagements et de surveiller l’efficacité des mesures prises de manière à répondre aux objectifs visés par les conditions, ainsi que d’assurer la sécurité des travailleurs et du public de même que la protection de l’environnement.
3.3 Autorisation de mise en service
Si le projet est approuvé et construit, l’Office exigera de Trans Mountain qu’elle présente également, conformément à l’article 47 de la Loi, une demande d’autorisation de mise en service du pipeline et de la plupart des installations connexes. Il s’agit là d’une étape supplémentaire à franchir une fois que toutes les conditions applicables ont été respectées au moment où la société veut commencer à utiliser les installations ou le pipeline. L’Office passe en revue la demande d’autorisation de mise en service présentée par la société, y compris les résultats des essais de pression sur le terrain, et peut alors chercher à obtenir un complément d’information. Avant d’accorder l’autorisation de mise en service, l’Office doit avoir vérifié à sa satisfaction que la construction de l’installation ou du pipeline était conforme aux exigences en vue d’une exploitation sécuritaire. Au besoin, l’Office peut imposer de nouvelles conditions avant d’accorder une autorisation de mise en service. [Non souligné dans l’original; figures et tableaux omis.]
[288] À la section 3.5, l’Office décrit ses programmes de conformité et d’exécution, faisant observer que :
3.5 Vérification de la conformité et application
[…]
Toutes les sociétés sont soumises à un certain degré de surveillance réglementaire, mais certaines font l’objet d’une surveillance plus étroite au besoin. Autrement dit, des installations à haut risque, des projets présentant des défis et des sociétés qui ne satisfont pas aux objectifs et aux attentes réglementaires de l’Office doivent s’attendre à voir celui-ci plus fréquemment que les autres sociétés et les projets dont les activités sont routinières.
[289] Aucun demandeur n’a remis en question l’exactitude de la description par l’Office de son processus d’approbation et de vérification ultérieure de la conformité et de l’application des mesures. Burnaby n’a pas démontré en quoi le processus d’approbation à plusieurs étapes enfreint l’équité procédurale ou comporte une délégation de pouvoir irrégulière. En imposant une condition — par exemple la révision de l’évaluation du risque ou la communication de renseignements au sujet de l’emplacement du tunnel, des méthodes de construction, etc. — l’Office donne à entendre que la condition est réaliste et que le respect de cette dernière permettra de construire, d’exploiter et d’entretenir de façon sécuritaire le pipeline. Il donne aussi à entendre qu’il est en mesure d’évaluer les dépôts liés aux conditions imposées (que la condition exige ou non une approbation formelle) et de surveiller le respect de ses conditions.
[290] L’Office fait preuve de transparence quant au respect des conditions par Trans Mountain en affichant sur son site Web tous les documents déposés par cette dernière à ce sujet ainsi que les réponses qu’il lui a envoyées.
[291] En ce qui concerne le rôle du gouverneur en conseil dans un tel processus d’approbation à plusieurs niveaux, les attendus du décret démontrent que les conditions imposées par l’Office lui ont été présentées. Par conséquent, le gouverneur en conseil est réputé connaître la portée des questions que l’Office devra examiner ultérieurement et avoir accepté, sur ce fondement, l’évaluation et la recommandation de l’Office concernant l’intérêt public.
(vi) Omission de fournir des motifs suffisants
[292] Burnaby fait ensuite valoir que l’Office a commis une erreur en fournissant des motifs insuffisants à l’égard des questions suivantes :
a. les solutions de rechange pour le projet;
b. les risques en cas d’incendie, de déversement ou de séisme;
c. le choix de percer un tunnel sous le mont Burnaby;
d. la protection des sources d’eau municipales;
e. la question de savoir si le projet est dans l’intérêt public, et, dans l’affirmative, en quoi il l’est.
[293] Je commence mon analyse en notant que l’insuffisance des motifs ne permet pas « à elle seule de casser une décision ». Les motifs sont pertinents lorsqu’il s’agit de décider si une décision est raisonnable dans son ensemble. En outre, les motifs « doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, paragraphe 14).
[294] Ces règles sont conformes au raisonnement exposé dans l’arrêt Dunsmuir, où la Cour suprême explique la notion du contrôle au regard du caractère raisonnable et explique le rôle que jouent les motifs à cet égard [aux paragraphes 47 et 48] :
La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
L’application d’une seule norme de raisonnabilité n’ouvre pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire ni ne constitue un retour au formalisme d’avant l’arrêt Southam. À cet égard, les décisions judiciaires n’ont peut-être pas exploré suffisamment la notion de déférence, si fondamentale au contrôle judiciaire en droit administratif. Que faut-il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » : (Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, p. 596, la juge L’Heureux-Dubé, dissidente). Nous convenons avec David Dyzenhaus que la notion de [traduction] « retenue au sens de respect » n’exige pas de la cour de révision [traduction] « la soumission, mais une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » : « The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (1997), 279, p. 286 (cité avec approbation par la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Baker, par. 65; Ryan, par. 49). [Non souligné dans l’original.]
[295] Les motifs n’ont pas besoin de mentionner la totalité des arguments pertinents, des dispositions législatives ou de la jurisprudence. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement qui a mené à sa conclusion finale. Les motifs sont suffisants s’ils permettent à la cour de révision de déterminer pourquoi le décideur a tranché comme il l’a fait et si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.
[296] Analysons les prétentions de Burnaby à la lumière des motifs de l’Office.
Solutions de rechange pour réaliser le projet
[297] La préoccupation de Burnaby quant aux autres moyens de réaliser le projet porte sur l’examen, effectué par l’Office, des emplacements de rechange pour le terminal maritime. À la section 11.1.2, l’Office traite de l’exigence, à l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’évaluation environnementale (2012), que l’évaluation environnementale d’un projet désigné prenne en compte « les solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique ». L’opinion de l’Office est exprimée dans cette section aux pages 252 à 253.
[298] Les deux premiers paragraphes sont particulièrement pertinents quant à la préoccupation de Burnaby [à la page 252 du rapport] :
L’Office juge appropriés le mécanisme et les critères de sélection du tracé, ainsi que le niveau de détail, retenus pour son évaluation d’autres moyens. L’Office juge en outre raisonnable aussi l’alignement de la majeure partie du tracé pipelinier proposé dans l’axe des perturbations linéaires existantes et contiguës à celles-ci, car il réduit au minimum les incidences environnementales et socioéconomiques éventuelles du projet.
L’Office prend acte de la préoccupation soulevée par la Ville de Burnaby, qui a affirmé que Trans Mountain n’a pas produit d’évaluation des risques, des répercussions et des effets des emplacements de rechange du terminal maritime à Kitimat (C.-B.) ou à Roberts Bank, à Delta (C.-B.). L’Office juge que Trans Mountain a fourni une évaluation suffisante, et notamment qu’elle a tenu compte des effets techniques, socioéconomiques et environnementaux d’autres emplacements réalisables sur les plans technique et économique pour le terminus maritime.
[299] À mon avis, ces motifs permettaient au gouverneur en conseil — et permettent à notre Cour — de savoir pourquoi l’Office avait conclu que l’évaluation des solutions de rechange par Trans Mountain était adéquate. L’Office a accepté les faits présentés par cette dernière et a conclu qu’ils exposaient de façon suffisamment détaillée les solutions de rechange. Je suis également d’avis que les motifs, à la lumière de l’ensemble du dossier, permettent aussi à la Cour de décider si l’examen par l’Office des solutions de rechange au terminal maritime Westridge était vicié au point que le rapport de l’Office ne constituait pas un « rapport » en bonne et due forme sur lequel pouvait se fonder le gouverneur en conseil. Je traite ci-après de cette question de fond, à partir du paragraphe 322.
Évaluation des risques
[300] Les préoccupations de Burnaby au sujet de l’évaluation des risques ont trait à l’évaluation des risques du terminal de Burnaby et du terminal maritime Westridge, ainsi qu’au plan d’intervention d’urgence en cas d’incendie et à l’évacuation de l’Université Simon Fraser.
Terminal de Burnaby
[301] L’analyse par l’Office portant sur l’agrandissement des terminaux en général se trouve à la section 6.4 de son rapport. Il traite du terminal de Burnaby aux pages 94 à 97. Il expose la preuve, notamment celle présentée par Burnaby, et énonce en ces termes ses motifs au sujet du terminal de Burnaby, à la page 97 :
Le terminal de Burnaby est en amont du secteur de Forest Grove. Un sujet de préoccupation est la possibilité, quelque éloignée qu’elle soit, d’une rupture de réservoirs multiples dans une ZCR où la capacité disponible de confinement secondaire serait dépassée dans certaines conditions. L’Office imposerait une condition en exigeant de Trans Mountain qu’elle démontre que le système de confinement secondaire serait capable de drainer un déversement abondant du réservoir 96, 97 ou 98 en direction de la ZER partielle. La société doit aussi démontrer que ce système est capable de retenir le déversement dans un scénario de rupture de réservoirs multiples (condition 24).
La Ville de Burnaby et son service des incendies ont soulevé des préoccupations au sujet des risques d’incendie et des risques pour la sécurité au terminal de Burnaby, plus particulièrement à la suite d’un débordement thermique par bouillonnement. Trans Mountain a maintenu que de tels événements étaient improbables sans chiffrer les risques par une analyse rigoureuse. L’Office estime que, dans une évaluation complète des risques, on se doit de tenir compte du risque cumulatif pour tous les réservoirs d’un terminal. Il imposerait des conditions en exigeant de Trans Mountain qu’elle révise les évaluations de risques des terminaux, dont celui de Burnaby, en vue de démontrer en quoi les mesures d’atténuation ramèneraient les risques au NBRF, tout en se conformant aux critères du CCAIM et en s’attachant à l’ensemble des réservoirs de chaque terminal (conditions 22 et 129).
[302] En ce qui concerne la conception géotechnique, l’Office écrit ce qui suit à la page 99 :
L’Office prend acte des préoccupations exprimées par les participants au sujet du caractère préliminaire des données de conception géotechnique présentées. Il est toutefois d’avis que les données de conception et la finesse descriptive de l’information livrée par Trans Mountain sur la conception géotechnique de la ZSO du terminal d’Edmonton et du terminal de Burnaby sont suffisantes pour qu’il puisse prendre une décision quant à la recommandation qu’il destine au gouverneur en conseil. Il prend acte aussi qu’on poussera les travaux géotechniques à l’étape des études et de la conception détaillées.
[…]
En ce qui a trait au choix d’un code SUG pour la conception des réservoirs, il se rend compte par ailleurs que la société n’a pas encore pris de décision définitive en la matière. Il reste que, si le projet devait être approuvé, l’Office vérifierait si, pour les réservoirs de la société, il existe un système de maîtrise secondaire empêchant que le public ne soit exposé, et ce, conformément aux critères de conception SUG I et conformément aux conditions 22, 24 et 129.
[303] À mon avis, ces motifs permettent à la Cour de comprendre pourquoi l’Office a rejeté la preuve présentée par Burnaby et imposé telles conditions.
Terminal maritime Westridge
[304] L’Office traite de l’agrandissement du terminal maritime Westridge à la section 6.5 de son rapport.
[305] L’opinion de l’Office figure aux pages 102 à 104. Quant au mode de conception, il écrit :
Trans Mountain s’est engagée à concevoir, à construire et à exploiter le TMW [terminal maritime Westbridge] conformément aux règlements, normes et codes applicables et aux meilleures pratiques de l’industrie. Il accepte le mode de conception de la société et les efforts consentis par celle-ci en vue de retrancher deux réservoirs à récupération de vapeur dans le TMW agrandi grâce à une modification de la technologie de récupération en question. Il y voit une bonne approche en matière d’élimination des risques de déversement et des dangers d’incendie. Il imposerait la condition 21 en exigeant de Trans Mountain qu’elle lui présente avec justification sa décision de conserver ou d’écarter le réservoir de détente proposé.
[306] L’Office ajoute au sujet de la conception géotechnique :
L’Office prend acte des préoccupations exprimées par la Ville de Burnaby au sujet de la finesse descriptive de l’information géotechnique présentée à l’audience dans le cas des installations hors rivage du terminal maritime Westridge. Il estime cependant que Trans Mountain a démontré connaître les exigences de conception géotechnique de ces installations du TMW et il accepte la conception retenue par la société.
Pour bien vérifier que les conditions du sol ont convenablement été évaluées aux fins de la conception finale des installations hors rivage du TMW, il imposerait des conditions en exigeant de Trans Mountain qu’elle dépose un rapport final d’évaluation géotechnique préliminaire pour la conception de ces installations, ainsi qu’un plan définitif de disposition des fondations sur pieux des installations hors rivage après avoir adopté une conception pour ces pieux (conditions 34 et 83).
Pour une vérification du mode de conception géotechnique des installations à terre du TMW, l’Office imposerait la condition 33 en exigeant de Trans Mountain qu’elle dépose un rapport d’évaluation géotechnique préliminaire pour ces installations avant que ne débutent les travaux de construction.
Il examinerait les rapports géotechniques à leur réception et aviserait Trans Mountain de toute autre exigence quant à l’application des conditions qui précèdent avant que ne débutent les travaux de construction.
[307] J’ai déjà traité de la préoccupation de la municipalité de Burnaby au sujet du refus de l’Office d’enjoindre à Trans Mountain de fournir une preuve plus complète à l’étape de l’instruction et de la décision de l’Office et d’imposer plutôt des conditions pour obliger Trans Mountain à prendre certaines mesures à l’avenir. Les préoccupations de la municipalité de Burnaby quant à l’évaluation des risques concernent cette approche adoptée par l’Office. Burnaby n’a pas démontré en quoi sont insuffisants les motifs de l’Office relatifs à l’évaluation des risques associés au terminal maritime Westridge.
Intervention d’urgence en cas d’incendie
[308] L’Office répond ainsi aux préoccupations de Burnaby concernant les ressources disponibles en cas d’incendie, à la page 159 :
L’Office partage les préoccupations exprimées par les services d’incendie de la Ville de Burnaby et d’autres parties au sujet du besoin de ressources adéquates pour intervenir en cas d’incendie. L’Office estime que le temps d’arrivée sur les lieux de 6 à 12 heures proposé par Trans Mountain pour les entrepreneurs industriels de lutte contre l’incendie est inadéquat, si leurs services sont immédiatement requis en cas d’incendie au terminal de Burnaby. L’Office imposerait des conditions exigeant que Trans Mountain effectue une évaluation des besoins à l’égard de la création d’une capacité de lutte contre l’incendie appropriée pour une intervention sécuritaire, rapide et efficace en cas d’incendie au terminal maritime Westridge et aux terminaux d’Edmonton, de Sumas et de Burnaby. Les conditions exigeraient que Trans Mountain évalue les ressources et l’équipement pour lutter contre les incendies et un résumé des consultations avec les autorités municipales et les premiers intervenants pertinents qui aidera à éclairer le cadre relatif à la capacité de lutte contre les incendies (conditions 118 et 138).
[309] Répétons-le, les préoccupations de Burnaby ne tiennent pas tant à l’insuffisance des motifs de l’Office qu’à la façon dont ce dernier a répondu à ses préoccupations en imposant des conditions — en l’occurrence des conditions qui n’exigent pas l’approbation officielle de l’Office. Sur ce dernier point, la Cour estime que l’explication de l’Office concernant son processus d’examen des conditions permet de dire que le non-respect d’une condition, même une condition qui ne requiert pas l’approbation officielle de l’Office, serait décelé par les spécialistes de l’Office. De plus, l’Office assure le suivi des conditions qu’il impose.
[310] Quoi qu’il en soit, je ne vois rien d’insuffisant dans les motifs de l’Office.
Le bien-fondé du choix de percer un tunnel sous le mont Burnaby
[311] L’Office traite du tunnel sous le mont Burnaby aux sections 6.2.2 et 6.2.3. Son opinion est exposée aux pages 83 et 84 :
Pour ce qui est des préoccupations exprimées par la Ville de Burnaby au sujet des études géotechniques de Trans Mountain, l’Office estime que les détails de l’étude géotechnique de l’option du tunnel sont suffisants pour une évaluation de la faisabilité de l’aménagement d’un tel tunnel. Il prend acte qu’une autre étape de forage est prévue pour l’élaboration des plans de construction aux extrémités du tunnel et que d’autres trous de fonçage ou de sondage en surface seraient pratiqués en front de tunnel pendant les travaux de construction. Il pense que les deux options sont techniquement faisables et il accepte la proposition de Trans Mountain avançant l’option des rues comme solution de rechange à l’option du tunnel.
L’Office n’est conscient d’aucune utilisation de la méthode proposée de remblayage au mortier ou au béton imperméable pour des pipelines d’hydrocarbures au Canada. Il craint que le pipeline ou l’enrobage ne subisse des dégâts pendant l’installation des conduites ou leur remblayage au mortier et que les lieux soient peu accessibles à des fins d’entretien et de réparation. Il craint aussi que des cavités ou des fissures ne se forment dans le mortier. Il exigerait de Trans Mountain qu’elle étudie ces questions et d’autres : excavation, manutention du tubage, remblayage, essais de pression, protection cathodique, détection des fuites, etc. Cette exigence prendrait la forme des conditions 26, 27 et 28 pour la conception, la construction et l’exploitation du tunnel.
Il imposerait en outre la condition 29 au sujet de la qualité des déblais rocheux du tunnel et des plans d’évacuation de Trans Mountain.
Il énoncerait enfin la condition 143 en exigeant de la société qu’elle fasse subir aux nouvelles canalisations de livraison des inspections comparatives, dont des inspections internes, respectant les délais et les descriptions figurant dans la formulation de cette condition. Il estime que de telles inspections aideraient à atténuer tout défaut de fabrication et de construction et à établir des intervalles de reprise d’inspection.
[312] Burnaby n’a pas démontré en quoi ces motifs sont insuffisants.
Protection des sources d’eau municipales
[313] Burnaby a affirmé que les motifs de l’Office sur cette question étaient insuffisants, mais elle n’a présenté aucune observation à cet égard et n’a renvoyé à aucune section en particulier qu’elle jugeait lacunaire. Vu l’absence d’observations sur cette question, Burnaby n’a pas démontré l’insuffisance des motifs.
Intérêt public
[314] À nouveau, Burnaby soutient que les motifs de l’Office sur cette question sont insuffisants, mais elle n’a pas présenté d’observations à cet égard.
[315] La conclusion de l’Office au sujet de l’intérêt public se trouve au chapitre 2 de son rapport, où il décrit notamment les avantages et inconvénients du projet, qu’il a ensuite mis en balance pour conclure que le projet « est d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur et dans l’intérêt public canadien » [à la page 18]. Comme elle n’a pas présenté d’observations sur cette question, Burnaby n’a pas démontré que les motifs sont insuffisants.
(vii) Contre-preuve de Trans Mountain
[316] Au paragraphe 71 de leur mémoire des faits et du droit, les Tsleil-Waututh se contentent d’affirmer que l’Office [traduction] « a permis à [Trans Mountain] de déposer une contre-preuve non appropriée ». Dans une note de bas de page, les Tsleil-Waututh renvoient au dossier de requête déposé en réponse à la contre-preuve de Trans Mountain, mais ils ne présentent aucune observation sur l’erreur qu’aurait commise l’Office ni ne précisent en quoi la contre-preuve n’était pas appropriée. Ils ne renvoient pas non plus aux motifs que l’Office a rendus en réponse à leur requête.
[317] Les Tsleil-Waututh ont soutenu devant l’Office qu’au lieu de vérifier la preuve des Tsleil-Waututh au moyen de demandes de renseignements, Trans Mountain a produit en réponse de nombreux nouveaux éléments de preuve. Ils affirment que la contre-preuve était essentiellement inappropriée. Les Tsleil-Waututh sollicitent une ordonnance radiant des parties de la contre-preuve de Trans Mountain. Subsidiairement, ils sollicitent, entre autres mesures, une ordonnance les autorisant à présenter des demandes de renseignements à Trans Mountain au sujet de sa contre-preuve et à déposer à leur tour une contre-preuve.
[318] Dans la décision no 96 [Avis de requête au sujet de la contre-preuve de Trans Mountain, 8 octobre 2015], l’Office conclut que la contre-preuve de Trans Mountain n’était pas inappropriée. En réponse aux objections soulevées, l’Office est d’avis que :
• La contre-preuve en cause ne constituait pas une preuve que Trans Mountain aurait dû présenter dans le cadre de sa preuve principale pour s’acquitter du fardeau qui lui incombait.
• La contre-preuve de Trans Mountain a été déposée en réponse à de nouveaux éléments de preuve produits par les intervenants.
• Comme la preuve déposée par les intervenants était volumineuse, la longueur de la contre-preuve de Trans Mountain ne constituait pas un fondement suffisant pour emporter la conclusion selon laquelle elle était inappropriée.
• Dans la mesure où la contre-preuve répétait certains éléments qui avaient déjà été présentés, aucun préjudice n’en découlait pour les intervenants, qui avaient déjà eu l’occasion de vérifier la preuve et d’y répondre.
[319] L’Office a permis aux Tsleil-Waututh de vérifier la contre-preuve au moyen d’une série de demandes de renseignements. Il a indiqué que l’étape de la plaidoirie finale convenait pour la présentation des observations des intervenants et de Trans Mountain au sujet du poids qu’il convenait de donner à la preuve.
[320] Les Tsleil-Waututh n’ont démontré aucun manquement à l’équité procédurale découlant du rejet par l’Office de leur requête en radiation de certaines parties de la contre-preuve de Trans Mountain.
(viii) Conclusion sur l’équité procédurale
[321] Pour tous les motifs susmentionnés, les demandeurs n’ont pas démontré que l’Office a manqué de quelque façon que ce soit à son obligation d’équité procédurale.
b) L’Office a-t-il omis de trancher certaines questions avant de recommander l’approbation du projet?
[322] Tant Burnaby que les Coldwater ont présenté des observations sur cette question. Les Coldwater, les Squamish et les Upper Nicola ont aussi formulé des observations au sujet de l’omission par l’Office de trancher certaines questions eu égard à l’obligation de consulter de la Couronne. Ces dernières observations seront examinées dans l’analyse du processus de consultation de la Couronne.
[323] Les observations de Burnaby et des Coldwater peuvent être ainsi résumées.
[324] Burnaby soulève deux arguments principaux : premièrement, l’Office n’a pas examiné et évalué les risques et les incidences du projet pour elle, et a plutôt décidé qu’il recueillerait et examinerait les renseignements pertinents quant aux risques et incidences du projet après la décision du gouverneur en conseil, quand Trans Mountain devrait satisfaire aux conditions de l’Office; deuxièmement, l’Office n’a pas examiné les solutions de rechange pour la réalisation du projet et leurs effets environnementaux. Il a plutôt, contrairement à l’alinéa 19(1)g) de la Loi sur l’évaluation environnementale (2012), omis d’exiger que Trans Mountain joigne à sa demande une évaluation d’autres moyens de réaliser le projet et qu’elle fournisse des réponses adéquates aux multiples demandes de renseignements de Burnaby au sujet des solutions de rechange au projet.
[325] En ce qui concerne la première erreur, Burnaby affirme qu’il existe [traduction] « un principe de droit fondamental selon lequel le tribunal doit apprécier et trancher la preuve contradictoire. Il ne peut pas décider que certaines conclusions soient tirées après que le jugement sera rendu » (mémoire des faits et du droit de Burnaby, paragraphe 142). En contravention de ce principe, l’Office n’a pas exigé que Trans Mountain fournisse des éléments de preuve supplémentaires et n’a pas apprécié et tranché la preuve contradictoire. Il a plutôt reporté l’évaluation de questions cruciales en imposant à Trans Mountain une série de conditions.
[326] En ce qui concerne la deuxième erreur, Burnaby déclare que Trans Mountain n’a présenté ni tracés ni emplacements de rechange pour certaines parties du projet, notamment pour le terminal de Burnaby et le terminal maritime Westridge. Ainsi, Burnaby soutient que [traduction] « le dossier n’offrait à l’Office aucun fondement lui permettant de prendre une décision » sur les options à privilégier ou de décider que Trans Mountain s’est servie de « critères pour retenir l’option proposée et expliquer comment et pourquoi elle est arrivée à ce choix » (mémoire des faits et du droit de Burnaby, paragraphe 133).
[327] Les Coldwater affirment que, contrairement à l’alinéa 19(1)g) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), l’Office n’a pas considéré l’option ouest comme solution de rechange pour réaliser le projet. En bref, l’option ouest est un tracé de rechange pour un segment du nouveau pipeline. Le tracé approuvé pour ce segment du nouveau pipeline passe à travers une zone d’alimentation de l’aquifère qui approvisionne la seule source d’eau potable de 90 p. 100 de la population de la réserve de Coldwater et traverse deux ruisseaux qui sont les seules sources d’eau constantes et connues qui alimentent l’aquifère. L’option ouest semble, selon les Coldwater, la moins dangereuse pour l’aquifère.
[328] Trans Mountain répond que l’Office a examiné les risques et les conséquences du projet pour Burnaby et était d’avis que la preuve était suffisante pour conclure que le pipeline projeté pouvait être construit, exploité et entretenu de façon sécuritaire. De plus, il était raisonnable de la part de l’Office d’imposer des conditions en vue de forcer Trans Mountain à présenter des renseignements additionnels à l’Office, pour examen et approbation pendant toute la durée du projet. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve examinée par l’Office.
[329] Trans Mountain fait remarquer que la demande du promoteur et le processus d’audience subséquent par l’Office permet à ce dernier de recueillir suffisamment d’information pour veiller à ce qu’un projet puisse être réalisé de façon sécuritaire et à ce que ses incidences soient atténuées. À la fin de l’audience, l’Office exige suffisamment de renseignements pour évaluer les incidences du projet et décider si le pipeline peut être construit, exploité et entretenu de façon sécuritaire, et pour rédiger les conditions devant être jointes au certificat d’utilité publique, advenant l’approbation du projet par le gouverneur en conseil. Par conséquent, l’Office n’a pas irrégulièrement reporté son examen des conséquences du projet à l’étape des conditions.
[330] Aux demandeurs qui soutiennent que l’Office a agi de façon contraire au « principe de précaution », Trans Mountain répond que ce principe doit être appliqué en tandem avec celui, corollaire, de la « gestion adaptative ». Ce dernier veut qu’il soit difficile, voire impossible, de prédire toutes les conséquences environnementales d’un projet sur le fondement des données connues. Moyennant la prise de mesures d’atténuation et l’adoption de techniques de gestion visant à déterminer et à gérer les effets imprévus, la gestion adaptative permet de donner suite à des projets dont les effets négatifs sur l’environnement sont incertains, et potentiellement négatifs (Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2003 CAF 197, [2003] 4 C.F. 672, paragraphe 24).
[331] En ce qui concerne l’évaluation des solutions de rechange, Trans Mountain souligne qu’elle a présenté la preuve à l’effet qu’elle avait effectué une analyse de faisabilité des emplacements de rechange au terminal maritime Westridge et au terminal de Burnaby. Sur le fondement de considérations techniques, économiques et environnementales, Trans Mountain a éliminé ces options en raison des coûts beaucoup plus élevés et des conséquences environnementales plus graves de ces solutions de rechange.
[332] Trans Mountain fait aussi valoir qu’elle a présenté une preuve confirmant que ses critères régissant les tracés suivaient, dans la mesure du possible, l’alignement du pipeline existant et d’autres éléments linéaires. De plus, elle a présenté divers autres tracés à l’Office. Le corridor qu’elle privilégie à travers le mont Burnaby a été conçu en réponse à des demandes l’invitant à examiner la possibilité d’une solution sans tranchée traversant le mont Burnaby (plutôt qu’un couloir pour le nouveau pipeline qui suivrait des rues résidentielles). En outre, bien qu’elle ait initialement envisagé l’option ouest autour de la réserve de Coldwater, Trans Mountain a rejeté cette solution parce qu’elle nécessiterait deux franchissements de la rivière Coldwater, comporterait des défis d’ordre géotechnique et causerait des perturbations environnementales plus importantes.
[333] Se fondant sur la preuve, l’Office tire les conclusions suivantes :
• Trans Mountain a fourni une évaluation adéquate des solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique, y compris des propositions d’autres emplacements;
• le corridor du mont Burnaby permet d’atténuer les incidences et les risques du projet;
• les critères et le processus de sélection du tracé employés par Trans Mountain ainsi que les détails fournis par elle dans son évaluation des solutions de rechange étaient adéquats;
• l’Office a imposé la condition 39 pour répondre aux préoccupations des Coldwater concernant l’aquifère. Aux termes de cette condition, Trans Mountain doit déposer auprès de l’Office, au moins six mois avant le début de la construction entre deux points donnés, un rapport hydrogéologique sur l’aquifère des Coldwater. Ce rapport doit décrire et délimiter de nombreux éléments. Par exemple, sur le fondement de la quantification des risques pour les réserves d’eau souterraine dans la réserve de Coldwater, le rapport [à la page 449] doit « décrire, en fonction de l’évaluation des risques, les mesures proposées, le cas échéant, pour combler les lacunes, y compris notamment les facteurs liés au tracé, à la conception du projet, aux mesures d’exploitation ou à la surveillance ».
[334] Trans Mountain affirme que, s’il est vrai que les demandeurs ne souscrivent pas à la conclusion de l’Office sur l’étendue des solutions de rechange, l’Office peut, à sa discrétion, décider quelles solutions de rechange il doit examiner et il n’appartient pas à la Cour de procéder à nouveau à l’appréciation des faits effectuée par l’Office.
(i) L’Office a-t-il omis d’évaluer les risques et les incidences du projet pour Burnaby?
[335] Aux paragraphes 278 à 291, je traite de l’argument de Burnaby selon lequel l’Office a manqué à son obligation d’équité procédurale en reportant et en déléguant l’évaluation de renseignements importants. La présente thèse reprend en gros les mêmes questions, sans invoquer l’équité procédurale.
[336] L’essentiel de la préoccupation de Burnaby ressort de sa prétention selon laquelle il existe [traduction] « un principe de droit fondamental selon lequel le tribunal doit apprécier et trancher la preuve contradictoire. Il ne peut pas décider que certaines conclusions soient tirées après le jugement ».
[337] L’examen de cette prétention se fait plus facilement si on la traduit en termes concrets. Les risques que l’on reproche à l’Office d’avoir négligés sont ceux que présente le terminal de Burnaby, le tunnel à travers le mont Burnaby, le terminal maritime Westridge, le manque de ressources pour une intervention d’urgence en cas d’incendie au terminal maritime Westridge et au terminal de Burnaby et, enfin, le risque relatif à l’évacuation de l’Université Simon Fraser à la suite d’un incident au terminal de Burnaby. L’argument précis et détaillé concernant l’évaluation des risques associés au terminal de Burnaby illustre bien les préoccupations de cette ville.
[338] Pour ce qui est de l’évaluation des risques associés au terminal de Burnaby effectuée par Trans Mountain, Burnaby renvoie au rapport de son expert, M. Ivan Vince, Ph. D., qui a relevé des lacunes dans les renseignements fournis. Un deuxième rapport, préparé par le chef adjoint du service d’incendie de Burnaby, relève des lacunes dans l’analyse effectuée par Trans Mountain des risques d’incendie et de la capacité d’intervention.
[339] Burnaby reconnaît que l’Office a admis l’existence de ces lacunes. Il a en effet conclu que, bien que Trans Mountain ait soutenu que des débordements par bouillonnement étaient improbables, elle [traduction] « n’a pas quantifié les risques au moyen d’une analyse rigoureuse » et qu’une [traduction] « évaluation complète des risques exige un examen des risques cumulatifs présentés par l’ensemble des réservoirs d’un terminal ». Burnaby fait toutefois valoir que, même s’il a reconnu ces lacunes, l’Office a omis d’exiger que Trans Mountain fournisse des renseignements additionnels et une nouvelle évaluation avant la publication de son rapport. L’Office a plutôt imposé à Trans Mountain de lui soumettre, pour approbation, un rapport à jour comportant des évaluations des risques pour les terminaux, y compris pour celui de Burnaby, ainsi qu’un examen des risques non évalués (conditions 22 et 129).
[340] La condition 22 exige expressément que l’évaluation des risques à jour quantifie ou comprenne ce qui suit [rapport de l’Office, à la page 440] :
a) l’effet de la révision de la vitesse de combustion pour les déversements;
b) les conséquences potentielles d’un débordement par bouillonnement;
c) les conséquences potentielles d’un feu à inflammation instantanée ou d’une explosion du panache de vapeurs;
d) le risque cumulatif selon le nombre total de réservoirs dans le terminal, en tenant compte de tous les événements possibles (feu en nappe, débordement par bouillonnement, du panache de vapeurs);
e) l’effet domino (réaction en chaîne) causé par le déversement du contenu d’un réservoir sur d’autres réservoirs faisant partie des bassins de retenue communs pour le terminal, ou d’autres réservoirs dans des bassins de retenue adjacents;
f) les mesures d’atténuation des risques, notamment les méthodes de contrôle des sources d’inflammation.
[341] L’Office [à la page 440] a exigé, en ce qui concerne les risques qui ne peuvent pas être éliminés, que « Trans Mountain […] démontre dans chacune des évaluations des risques que les mesures d’atténuation permettent de réduire les risques au niveau le plus bas raisonnablement possible (NBRP) tout en répondant aux critères du Conseil canadien des accidents industriels majeurs (CCAIM) pour l’acceptabilité des risques ».
[342] Burnaby conclut son argument sur ce point en déclarant qu’il découle de ce qui précède que, lorsqu’il a terminé son rapport et a fait sa recommandation au gouverneur en conseil, l’Office ne disposait d’aucun renseignement sur les risques énumérés à la condition 22 ni de renseignements sur la possibilité de les atténuer. Il s’ensuit, selon Burnaby, que l’Office a manqué à son obligation d’apprécier et de trancher la preuve contradictoire.
[343] Burnaby fait valoir des arguments similaires à l’égard des autres risques mentionnés.
[344] À mon avis, l’argument de Burnaby démontre que l’Office a, au contraire, examiné de façon critique la preuve d’expert contradictoire sur l’évaluation des risques. Après avoir apprécié les rapports d’expert contradictoires, l’Office a conclu que la preuve de Burnaby révélait effectivement des lacunes dans les évaluations des risques effectuées par Trans Mountain. Le véritable reproche de Burnaby n’est pas tant que l’Office n’a pas examiné et apprécié la preuve contradictoire, mais plutôt que l’Office n’a pas enjoint à Trans Mountain de reprendre son évaluation des risques.
[345] Or, à mon avis, ce reproche méconnaît le processus d’approbation de l’Office décrit précédemment, aux paragraphes 285 à 287.
[346] Ce processus n’exige pas que le promoteur inclue dans sa demande tous les détails techniques. Ce qu’il exige, c’est qu’à la fin du processus d’audience, l’Office dispose de suffisamment de renseignements pour lui permettre de formuler sa recommandation au gouverneur en conseil quant à savoir si le projet est dans l’intérêt public et, s’il est approuvé, de quelles conditions il faudrait l’assortir. Pour déterminer ce qui est dans l’intérêt public, il faut notamment décider si le projet peut être construit, exploité et entretenu de façon sécuritaire.
[347] Ce processus tient compte de la complexité technique des projets présentés à l’Office aux fins d’approbation. Ce dont était saisi l’Office était l’étude faite par Trans Mountain et la demande d’approbation présentée par cette dernière visant un couloir de 150 mètres de largeur pour le tracé du pipeline proposé. À l’étape de l’audience, la plupart des renseignements présentés en lien avec la conception technique étaient d’ordre conceptuel ou étaient préliminaires.
[348] Après l’approbation du projet, la prochaine étape du processus réglementaire consiste en la tenue d’une audience supplémentaire pour confirmer le tracé détaillé du projet. Ce n’est qu’après l’approbation par l’Office du tracé détaillé que les renseignements sur les aspects techniques propres au site peuvent être préparés et déposés auprès de l’Office. De même, l’information sur le tracé détaillé doit précéder les autres étapes, comme la présentation et le dépôt d’un plan d’intervention d’urgence détaillé et acceptable aux yeux de l’Office (rapport, page 7).
[349] Selon l’Office, l’approbation du projet ne constitue qu’« une des étapes » du cycle de vie du projet prévu par la réglementation de l’Office. Par conséquent, la détermination de l’intérêt public par l’Office « repose sur l’exécution subséquente de la conception, de la construction, de l’exploitation et, finalement, de la cessation d’exploitation d’un projet en conformité avec les codes, les engagements et les conditions applicables » (rapport, page 19).
[350] Comme nous l’avons vu, en imposant une condition, l’Office estime, sur le fondement de son expertise, qu’elle est réaliste et que son respect permettra de construire, d’exploiter et d’entretenir le pipeline de façon sécuritaire. Des mécanismes permettent ensuite à l’Office d’évaluer les renseignements déposés en réponse aux conditions et d’en surveiller le respect.
[351] Manifestement, Burnaby rejette l’évaluation des risques effectuée par l’Office. Elle n’a toutefois pas démontré que le processus d’approbation de ce dernier est de quelque façon contraire au régime législatif ni qu’il reporte de façon inacceptable certaines conclusions à une date ultérieure au jugement. Les cours de justice ne peuvent pas trancher des questions après le prononcé d’un jugement définitif en raison du principe du dessaisissement. Ce principe s’applique dans une certaine mesure aux décideurs administratifs, mais il s’applique dans une moindre mesure à l’Office, dont le mandat permanent est de réglementer les projets tout au long de leur cycle de vie.
(ii) L’Office a-t-il omis d’examiner des solutions de rechange pour la réalisation du projet?
[352] Comme nous l’avons expliqué plus haut, Burnaby estime que Trans Mountain n’a pas fourni des renseignements suffisants pour permettre à l’Office de conclure que son évaluation des solutions de rechange était adéquate. Selon Burnaby, l’Office a simplement accepté, sans la vérifier, l’affirmation non étayée de Trans Mountain selon laquelle les solutions de rechange « augmenter[aient] considérablement les coûts, élargir[aient] l’empreinte et alourdir[aient] les effets sur l’environnement comparativement à l’agrandissement des installations existantes » [rapport, à la page 250]. Burnaby soutient que cette affirmation doit être appuyée par une preuve [traduction] « pour que les intervenants puissent vérifier cette preuve et que l’Office décide si l’emplacement privilégié représente la meilleure solution de rechange quant à l’environnement et à l’intérêt public » (mémoire des faits et du droit de Burnaby, paragraphe 136).
[353] J’aborde la prétention de Burnaby en faisant observer que cette dernière n’est pas d’accord avec l’Office pour dire que la preuve qui lui a été présentée était suffisante. En tant que tribunal administratif spécialisé, l’Office a droit à une grande déférence à l’égard de ses conclusions factuelles.
[354] De plus, à mon avis, la prétention de Burnaby fait fi de l’alinéa 19(1)g) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), qui n’exige pas que l’Office examine toute solution de rechange pour la réalisation du projet désigné. Il n’est tenu que d’examiner les solutions de rechange « réalisables sur les plans technique et économique ».
[355] Burnaby invoque les orientations données par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale quant aux étapes à suivre pour l’évaluation des solutions de rechange ainsi que celles figurant dans le Guide de dépôt au sujet des exigences de dépôt à cet égard, mais ces critères s’appliquent uniquement au traitement des véritables solutions de rechange, soit celles réalisables sur les plans technique et économique.
[356] Je me penche ensuite sur la préoccupation précise de Burnaby selon laquelle l’Office s’est contenté d’accepter, sans la vérifier, l’affirmation de Trans Mountain que des solutions de rechange au projet « augmenterai[ent] considérablement les coûts, élargirai[ent] l’empreinte et alourdirai[ent] les effets sur l’environnement comparativement à l’agrandissement des installations existantes » [rapport, à la page 250]. Burnaby soutient que l’Office avait l’obligation d’exiger que Trans Mountain fournisse une preuve concernant des tracés et emplacements de rechange au terminal de Burnaby et au terminal maritime Westridge pour permettre aux intervenants, dont elle, de la vérifier.
[357] La citation contestée provient de la réponse fournie par Trans Mountain à la première demande de renseignements présentée par Burnaby (pièce H jointe à l’affidavit de Derek Corrigan). Comme nous l’avons vu au paragraphe 269, en plus des demandes de renseignements de Burnaby, l’Office a aussi signifié deux demandes de renseignements à Trans Mountain dans lesquelles il l’interrogeait sur l’existence de terminaux maritimes de rechange.
[358] Le préambule de la deuxième demande de renseignements de l’Office renvoyait à la première réponse que Trans Mountain avait donnée à l’Office. Elle y déclarait avoir étudié d’autres emplacements possibles pour le terminal maritime en se basant sur la faisabilité d’un accès maritime et d’un accès pipelinier qui coïncident, et les avoir évalués en se basant sur des facteurs techniques, économiques et environnementaux. Le préambule renvoyait aussi à la réponse de Trans Mountain selon laquelle elle était parvenue à la conclusion que la construction et l’exploitation d’un nouveau terminal maritime et de l’infrastructure connexe augmenteraient considérablement les coûts, élargiraient l’empreinte et alourdiraient les effets sur l’environnement comparativement à l’agrandissement des installations existantes. Vu cette conclusion, Trans Mountain n’a pas poursuivi son évaluation de terminaux de rechange pour le projet.
[359] L’une des questions précises que l’Office a posées à Trans Mountain dans sa deuxième demande de renseignements était la suivante :
[traduction] Veuillez expliquer plus en détail la raison pour laquelle Trans Mountain privilégie la solution du terminal maritime Westridge, notamment en fournissant des renseignements à l’appui de la déclaration de Trans Mountain [dans sa réponse à la première demande de renseignements] selon laquelle la construction et l’exploitation d’un nouveau terminal maritime et des infrastructures connexes augmenteraient considérablement les coûts, élargiraient l’empreinte et alourdiraient les effets sur l’environnement comparativement à l’agrandissement des installations existantes.
[360] En réponse à l’Office, Trans Mountain a commencé par expliquer comment elle s’y était prise pour évaluer l’option d’un terminal situé plus au nord. Au terme de son évaluation, Trans Mountain [traduction] « a privilégié l’agrandissement du réseau actuel au sud plutôt qu’un nouveau [pipeline] latéral et un nouveau terminal au nord ». L’évaluation reposait sur les considérations suivantes. L’option nord :
• allongerait le pipeline de 250 kilomètres, ce qui entraînerait des dépenses d’immobilisations supplémentaires de 10 à 20 p. 100;
• aggraverait les défis techniques, notamment pour faire passer le tracé dans des zones de hautes montagnes de la chaîne côtière, ou obligerait à creuser des tunnels importants pour éviter ces zones. Ces défis techniques, bien qu’ils n’aient pas été jugés insurmontables, exacerberaient l’incertitude quant aux coûts et au calendrier des travaux.
• réduirait les possibilités de tirer parti des activités, de l’infrastructure et des relations existantes. Pour bénéficier de ces avantages, il faut utiliser l’emprise, les installations, les programmes et le personnel actuels de Trans Mountain et les synergies découlant d’autres infrastructures existantes comme l’accès routier, l’électricité et l’infrastructure maritime. L’impossibilité de profiter des activités actuelles élargirait l’empreinte et les possibles incidences de l’option nord.
[361] Eu égard à ces considérations, Trans Mountain a conclu que l’agrandissement le long du tracé actuel du pipeline de Trans Mountain était préférable en raison des coûts plus élevés et de l’incertitude accrue quant aux coûts et au calendrier associés à l’option nord.
[362] Trans Mountain a ensuite expliqué son évaluation des terminaux de rechange situés au sud. Cinq emplacements possibles ont été examinés : i) la baie Howe, éliminée parce qu’elle n’offrait pas un accès pipelinier faisable viable à l’ouest de Hope; qu’il faudrait construire un nouveau pipeline latéral depuis la région de Kamloops et composer avec un relief extrême et des terres limitées à proximité des installations de stockage; ii) le port de Vancouver, éliminé en raison de l’absence d’emplacements permettant un accès pipelinier faisable et de terrains pour les installations de stockage; iii) Sturgeon Bank, éliminé pour cause d’absence de terrains pour les installations de stockage; iv) l’État de Washington, éliminé parce qu’il faudrait un pipeline plus long et que cette solution causerait des tracas administratifs complexes (dont l’obtention de permis additionnels, exigés tant par l’État de Washington que par les autorités fédérales); v) la baie Boundary, éliminée parce qu’elle n’était pas assez profonde.
[363] Il restait donc Roberts Bank. Trans Mountain a réalisé une évaluation préalable fondée sur une étude documentaire concernant les facteurs techniques, économiques et environnementaux relatifs à l’accès maritime, aux installations de stockage et au tracé du pipeline vers un terminal situé à cet endroit.
[364] Après avoir exposé la configuration technique du quai, des installations de stockage et du pipeline pour l’option Roberts Bank, Trans Mountain a examiné les facteurs techniques et géotechniques. Il n’y avait aucun problème technique ou géotechnique insurmontable, mais l’évaluation de Trans Mountain démontrait que, par rapport au terminal maritime Westridge, cette option [traduction] « nécessitait des structures de quai beaucoup plus importantes, élargirait l’empreinte pour le terminal de stockage, nécessiterait une emprise plus longue et une déviation plus grande du corridor actuel. L’étendue et le coût des améliorations du terrain nécessaires pour le quai et le terminal de stockage étaient aussi source de grande incertitude ».
[365] Trans Mountain a ensuite examiné les facteurs environnementaux pertinents. Son évaluation montrait que tant Westridge que Roberts Bank :
[traduction] […] ont des valeurs environnementales uniques et importantes, mais, compte tenu de la situation, les conditions environnementales à Roberts Bank semblaient plus difficiles et incertaines qu’au terminal Westridge, notamment en raison de l’empreinte accrue requise pour le quai et le terminal de stockage. L’absence de mesures d’atténuation efficaces en cas d’accident ou de mauvais fonctionnement à Roberts Bank pourrait entraîner des conséquences plus graves et plus rapides pour [le milieu] naturel.
[366] Trans Mountain a ensuite exposé en détail les principales considérations présentées par les Premières Nations. Pour les besoins de l’évaluation préalable, Trans Mountain a supposé que les préoccupations et intérêts des Premières Nations à l’égard de l’option Roberts Bank étaient semblables à celles qu’elles avaient l’égard du terminal Westridge : incidences sur les droits ancestraux, protection de l’environnement et intérêt économique.
[367] Après avoir examiné les considérations liées à l’utilisation des terres, Trans Mountain a conclu que, en comparaison au terminal Westridge, [traduction] « l’option Roberts Bank changerait davantage l’utilisation des terres tant pour le terminal de stockage que pour la structure du quai. Comme il y a moins d’aménagements dans les environs de Roberts Bank que de Westridge, on s’attend à ce que, dans l’éventualité d’un accident ou d’une défaillance, moins de personnes soient touchées ».
[368] Trans Mountain a poursuivi son évaluation par un examen de la différence de coûts estimée. Bien que les coûts d’exploitation n’aient pas été quantifiés aux fins de comparaison, [traduction] « étant donné le quai et le terminal de stockage additionnels requis, ces coûts seraient plus élevés dans le cas de l’option Roberts Bank ».
[369] L’évaluation a ensuite porté sur les considérations liées à l’accès maritime. Certes, l’option Roberts Bank offrait un parcours maritime plus court et un peu moins complexe, mais :
[traduction] [I]l y a actuellement un système de sécurité maritime bien établi pour les navires qui font escale à Westridge. Roberts Bank permettrait de desservir des navires plus grands, ce qui réduirait peut-être les coûts de transport et les risques d’accident avec déversement de pétrole, mais de grandes cargaisons emportent le risque de déversements abondants. Bien qu’on n’ait pas déterminé l’effet global sur le risque de déversement en milieu marin, on s’attend à ce que de grandes cargaisons nécessitent un investissement accru destiné aux interventions en cas de déversement.
[370] Trans Mountain a ensuite énoncé les conclusions qu’elle a tirées à la suite de son évaluation. Les options Westridge et Roberts Bank comportaient chacune des points positifs et négatifs, qui ressortaient tout particulièrement à la lumière de tel ou tel critère, mais, de façon générale, Trans Mountain privilégie l’option du terminal maritime Westridge, car l’option Roberts Bank donnerait lieu selon elle à :
• des coûts beaucoup plus élevés — Trans Mountain a estimé à 1,2 milliard de dollars la différence de coût, les coûts d’exploitation étant, selon elle, plus élevés pour l’option Roberts Bank;
• une empreinte et des effets accrus sur l’environnement — à Roberts Bank, il y aurait un terminal de stockage additionnel qui exigerait un terrain d’environ 100 acres, des structures de quai plus importantes comportant un pont sur chevalets de 7 kilomètres et un pipeline de 14 kilomètres de plus qui s’écarte davantage du couloir pipelinier existant.
[371] Je reprends en détail la réponse donnée par Trans Mountain à l’Office compte tenu de l’importance de cette question pour Burnaby. À mon avis, deux points découlent de cette réponse.
[372] Premièrement, la réponse n’était pas aussi déterminante que ce que Burnaby semble avancer. Deuxièmement, l’explication donnée par Trans Mountain pour avoir écarté la solution de rechange au nord et les six autres au sud au motif qu’elles n’étaient pas réalisables sur les plans technique et économique reposait sur des considérations factuelles et techniques qui relevaient tout à fait de l’expertise de l’Office. À titre d’exemple, l’Office est réputé comprendre les défis techniques posés par un tracé dans des zones de hautes montagnes. Il est aussi réputé connaître les considérations telles que les coûts et les conséquences environnementales inhérentes à la construction d’un pipeline plus long, qui s’écarte du corridor pipelinier existant, ou d’une nouvelle installation de stockage. L’Office est réputé comprendre la nécessité d’un accès pipelinier et des installations de stockage qui coïncident et l’efficacité qui découle, par exemple, du recours aux infrastructures et aux relations existantes.
[373] Voici la partie pertinente de la conclusion de l’Office [à la page 252] sur les solutions de rechange :
L’Office juge appropriés le mécanisme et les critères de sélection du tracé, ainsi que le niveau de détail, retenus pour son évaluation d’autres moyens. L’Office juge en outre raisonnable […] l’alignement de la majeure partie du tracé pipelinier proposé dans l’axe des perturbations linéaires existantes et contiguës à celles-ci, car il réduit au minimum les incidences environnementales et socioéconomiques éventuelles du projet.
L’Office prend acte de la préoccupation soulevée par la Ville de Burnaby, qui a affirmé que Trans Mountain n’a pas produit d’évaluation des risques, des répercussions et des effets des emplacements de rechange du terminal maritime à Kitimat (C.-B.) ou à Roberts Bank, à Delta (C.-B.). L’Office juge que Trans Mountain a fourni une évaluation suffisante, et notamment qu’elle a tenu compte des effets techniques, socioéconomiques et environnementaux d’autres emplacements réalisables sur les plans technique et économique pour le terminus maritime. [Non souligné dans l’original.]
[374] Burnaby n’a pas démontré que l’Office avait conclu à tort que Trans Mountain avait adéquatement justifié son évaluation des solutions de rechange. Cette évaluation reposait sur des faits et relevait entièrement du champ d’expertise de l’Office.
(iii) L’Office a-t-il omis d’envisager l’option ouest comme tracé de rechange pour le nouveau pipeline?
[375] Trans Mountain a initialement proposé, dans sa demande de projet, quatre tracés de rechange dans la vallée de la rivière Coldwater pour le nouveau pipeline : le tracé modifié dans la réserve, la solution de rechange est, la solution de rechange est modifiée ainsi que l’option ouest. Trans Mountain privilégiait d’abord la solution de rechange est, mais elle a ensuite opté pour la solution de rechange est modifiée. Les Coldwater soutiennent qu’au début du processus, Trans Mountain a unilatéralement écarté l’option ouest, sans les aviser. Ils affirment aussi que les solutions de rechange est et est modifiée comportent le plus grand risque de contamination pour l’aquifère fournissant l’eau potable à la réserve de Coldwater et que l’option ouest est la seule qui ne semble présenter aucun risque pour l’aquifère.
[376] Devant l’Office, les Coldwater ont soutenu que Trans Mountain n’avait pas bien évalué les emplacements de rechange pour le nouveau pipeline dans la vallée de la rivière Coldwater. Ils ont demandé à l’Office d’exiger un nouvel examen des options de tracé dans cette vallée avant de faire toute recommandation concernant le projet.
[377] L’Office prend acte, dans son rapport, des préoccupations des Coldwater aux pages 249, 296 et 300.
[378] À la page 253, l’Office signale que « le trajet détaillé du projet n’est pas arrêté et que l’audience en a évalué le trajet général, les effets environnementaux et socioéconomiques possibles, ainsi que tous les éléments de preuve déposés et les engagements pris par Trans Mountain au sujet de la conception, de la construction et de l’exploitation sécuritaire du pipeline et des installations connexes ».
[379] À la page 300, l’Office conclut que Trans Mountain n’a pas bien démontré l’absence d’interaction possible entre l’aquifère qui se trouve dans la réserve de Coldwater et le tracé proposé pour le projet. Par conséquent, l’Office a imposé la condition 39 pour obliger Trans Mountain à déposer une étude hydrogéologique afin de pousser l’étude de l’interaction et des incidences possibles sur l’aquifère et voir si la prise de mesures supplémentaires de protection de l’aquifère s’impose, y compris des mesures de surveillance (la condition 39 est décrite au paragraphe 333 des présents motifs).
[380] Les Coldwater affirment que l’Office a manqué à son obligation légale d’examiner des solutions de rechange pour la réalisation du projet désigné. Ils ajoutent qu’on ne peut remédier à ce manquement à l’audience sur le tracé détaillé parce que l’Office pourra alors uniquement examiner les options de tracé dans le corridor de pipeline approuvé. L’option ouest se trouve bien en dehors du corridor approuvé. Selon les Coldwater, à l’audience sur le tracé détaillé, la seule option que devrait retenir l’Office serait de refuser d’approuver le tracé détaillé et de rejeter les plans, profils et livres de renvoi (PPLR) de Trans Mountain; or, selon les Coldwater, il s’agit d’une option que l’Office ne voudra pas envisager étant donné que la réalisation du projet s’accélérera après l’approbation.
[381] Certes, à l’audience sur le tracé détaillé, l’Office peut uniquement approuver ou refuser d’approuver les PPLR d’un promoteur. Toutefois, il ne s’ensuit pas que l’Office est inhabile, lors de cette audience, à examiner des tracés hors du corridor de pipeline approuvé.
[382] Le paragraphe 36(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie exige que l’Office « détermin[e] [le] meilleur tracé possible et [l]es méthodes et moments les plus appropriés à la construction du pipeline ». Cette disposition ne contraint pas l’Office à examiner uniquement le meilleur tracé possible dans le corridor de pipeline approuvé. C’est la conclusion à laquelle l’Office est arrivé dans la décision Emera Brunswick Pipeline Company Ltd. (Re), 2008 LNCONE 10 (QL), à la page 34.
[383] De plus, l’article 21 de la Loi sur l’Office national de l’énergie permet à l’Office de réviser, d’annuler ou de modifier ses ordonnances ou décisions, et l’Office a reconnu dans la décision Emera, à la page 35, que lorsque le tracé proposé est refusé parce que la preuve indique un meilleur tracé hors du corridor de pipeline approuvé, une demande peut être présentée en vertu de l’article 21 pour modifier le corridor à cet endroit.
[384] Il s’ensuit que l’Office serait habilité à modifier le tracé du nouveau pipeline si l’étude hydrogéologique devant être déposée conformément à la condition 39 requérait un autre tracé, comme celui de l’option ouest, pour éviter de mettre en danger l’aquifère de Coldwater.
[385] Comme le tracé du pipeline devant traverser la vallée de la rivière Coldwater n’est pas arrêté et dépendra des conclusions du rapport hydrogéologique, les Coldwater n’ont pas démontré que l’Office a manqué à son obligation légale d’examiner des solutions de rechange.
[386] On reproche également au rapport de l’Office de n’avoir pas analysé de solutions de rechange au terminal maritime Westridge.
c) L’Office a-t-il omis d’examiner des solutions de rechange au terminal maritime Westridge?
[387] À mon avis, nous avons amplement étudié la question en analysant la prétention de Burnaby selon laquelle l’Office avait, de façon inacceptable, omis de trancher certaines questions avant de recommander l’approbation du projet.
d) L’Office a-t-il erré en n’évaluant pas le transport maritime en lien avec le projet sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)?
[388] Les Tsleil-Waututh soutiennent que l’Office a manqué aux exigences de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) en excluant le transport maritime associé au projet de la définition du « projet désigné » devant être évalué sous le régime de cette loi. Quant au gouverneur en conseil, il aurait selon eux exercé de manière déraisonnable son pouvoir discrétionnaire en s’en remettant au rapport de l’Office, lequel était entaché de vices importants —en fait, le gouverneur en conseil ne disposait pas d’un « rapport » et, par conséquent, il ne pouvait pas prendre sa décision. Les Tsleil-Waututh ajoutent que l’Office n’a pas satisfait aux exigences du paragraphe 31(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) :
i. en ne décidant pas si les effets environnementaux du transport maritime associé au projet étaient susceptibles d’être négatifs et importants;
ii. en concluant que le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants;
iii. en ne décidant pas si les effets négatifs et importants susceptibles d’être causés par le transport maritime associé au projet sont justifiables dans les circonstances.
[389] Les effets négatifs importants du projet qui préoccupent particulièrement les Tsleil-Waututh concernent les épaulards résidents du sud en voie de disparition et l’utilisation de cette ressource par les peuples autochtones.
[390] Raincoast et Living Oceans souscrivent aux prétentions des Tsleil-Waututh. Elles ajoutent que la décision de l’Office d’exclure de la définition du « projet désigné » le transport lié au projet ne constituait pas une décision discrétionnaire sur la portée du projet, contrairement à ce que prétend Trans Mountain. Selon elles, l’Office aurait mal interprété la définition légale de « projet désigné ».
[391] La définition de « projet désigné » se trouve à l’article 2 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) (voir le paragraphe 57 des présents motifs). Les parties conviennent que la question de savoir si le transport maritime associé au projet doit être inclus dans la définition du projet désigné dépend de celle de savoir si le transport maritime en lien avec le projet est une « activité concrète […] accessoir[e] » à la composante pipeline du projet. Il s’agit non pas d’une question de pure interprétation législative, mais d’une question mixte de fait et de droit largement tributaire de la preuve.
[392] En réponse aux observations des Tsleil-Waututh, de Raincoast et de Living Oceans, le Canada et Trans Mountain font valoir deux points. Premièrement, ils soutiennent que l’Office a raisonnablement conclu que l’augmentation du transport maritime ne tombait pas sous le coup du projet désigné. Deuxièmement, ils affirment que, quoi qu’il en soit, l’Office a effectué un examen exhaustif du transport maritime. Par conséquent, la question à laquelle doit répondre la Cour est la suivante : l’évaluation par l’Office était-elle adéquate sur le fond, de sorte que le gouverneur en conseil disposait quand même d’un « rapport » et qu’il pouvait fonder sa décision sur cette évaluation? Le Canada et Trans Mountain y répondent par l’affirmative.
[393] Avant l’analyse, il importe de remettre en contexte la décision prise par l’Office sur la portée du projet et l’exclusion du transport maritime associé au projet de la définition du projet. Cette définition circonscrit véritablement l’analyse de l’Office. Les activités incluses dans le projet désigné sont évaluées sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) en fonction de la liste prescrite de facteurs à examiner. De plus, comme le reconnaît l’Office au chapitre 10 de son rapport, la Loi sur les espèces en péril impose des obligations additionnelles à l’Office lorsqu’un projet désigné est susceptible de toucher une espèce sauvage inscrite. Ces obligations sont examinées plus loin, à partir du paragraphe 442.
[394] Comparons cette évaluation à celle des activités non incluses dans la définition du projet désigné, qui sont évaluées sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie si l’Office est d’avis que la délivrance d’un certificat d’utilité publique ou le rejet de la demande du promoteur est susceptible d’affecter l’intérêt public. Pour cette évaluation, l’Office tient compte de tous les facteurs qu’il « estime directement liés au pipeline et pertinents » [paragraphe 52(2) de la Loi sur l’Office national de l’énergie]. Incidemment, si les effets des activités exclues risquent d’interagir avec les effets environnementaux du projet, ils sont généralement évalués au cours de l’évaluation environnementale des effets cumulatifs effectuée sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).
[395] Commençons par analyser la demande que Trans Mountain a présentée à l’Office en vue d’obtenir un certificat d’utilité publique pour le projet. Au volume 1 de la demande, aux pages 1 à 4, Trans Mountain décrit l’objectif principal du projet ainsi [traduction] : « augmenter la capacité de transport du pétrole brut de l’Alberta aux marchés du littoral du Pacifique, dont la Colombie-Britannique, l’État de Washington, la Californie et l’Asie ». Au volume 2 de la demande, aux pages 2 à 27, Trans Mountain décrit les activités de transport maritime associées au projet. Elle fait remarquer que, sur la capacité de 890 000 barils par jour après l’agrandissement du réseau, 630 000 barils par jour, ou 71 p. 100 de la capacité, pourraient transiter par le terminal maritime Westridge pour être expédiés par navire-citerne. Pour donner un ordre de grandeur, actuellement, cinq navires-citernes — dont des Panamax, d’un tonnage inférieur — sont chargés de bitume dilué au terminal maritime Westridge au cours d’un mois donné. L’agrandissement du réseau permettrait de remplir mensuellement jusqu’à 34 Aframax, d’un tonnage supérieur (la demande réelle dépendrait des conditions du marché).
[396] Cette preuve démontre que le transport maritime est à tout le moins un élément qui accompagne le projet. Selon le Canada, un élément qui accompagne une activité concrète tout en ne constituant pas une partie importante de celle-ci n’est pas « accessoire » à l’activité concrète. Le Canada affirme que c’est la conclusion implicite à laquelle est arrivé l’Office.
[397] Le problème, c’est qu’il est difficile d’inférer qu’il s’agit effectivement de la conclusion — même implicite — tirée par l’Office. En effet, dans sa décision sur la portée du projet, l’Office n’a pas motivé sa conclusion. Au deuxième paragraphe de la décision, sous le titre « Introduction » [à la page 535], l’Office énonce simplement sa conclusion :
Aux fins de l’évaluation environnementale réalisée aux termes de la LCEE 2012, le projet désigné comprend les diverses composantes et activités concrètes du projet décrites par Trans Mountain dans sa demande déposée auprès de l’Office en date du 16 décembre 2013. L’Office a déterminé que les effets environnementaux et socioéconomiques potentiels liés à l’intensification des activités de navigation maritime vers et depuis le terminal Westridge en raison du projet, y compris les effets que pourraient avoir un accident ou une défaillance éventuels, seraient examinés aux termes de la Loi [sur l’Office national de l’énergie] (voir la lettre de l’Office datée du 10 septembre 2013 pour prendre connaissance des exigences de dépôt visant les activités de navigation maritime). Dans la mesure où les effets environnementaux potentiels du projet désigné sont susceptibles d’interagir avec les effets de la navigation maritime, l’Office examinera ces derniers au titre des effets cumulatifs de l’évaluation environnementale en vertu de la LCEE 2012. [Non souligné dans l’original.]
[398] Ayant défini le projet désigné de manière à en exclure l’augmentation du transport maritime, l’Office traite de l’augmentation des activités maritimes liées au projet au chapitre 14 de son rapport. Conformément à la décision sur la portée du projet, l’Office déclare à la page 333, au début du chapitre 14 :
Comme il est dit à la section 14.2, la circulation maritime, réglementée par des organismes gouvernementaux, notamment Transports Canada, Port Metro Vancouver, l’Administration de pilotage du Pacifique et la Garde côtière canadienne est assujettie à un vaste cadre de réglementation à la fois étendu et détaillé. La réglementation ne confie pas à l’Office la surveillance de la circulation maritime, qu’elle soit ou non connexe au projet, car un régime existant s’en charge déjà. La surveillance réglementaire du projet qu’exerce l’Office, ainsi que la portée de l’évaluation du projet qu’il effectue en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE 2012), s’étendent d’Edmonton à Burnaby, jusqu’au terminal maritime Westridge (TMW) inclusivement. Cependant, l’Office a décidé que les éventuels effets environnementaux et socioéconomiques de la circulation de navires-citernes connexe au projet, y compris les conséquences que pourraient avoir d’éventuels accidents ou défaillances, sont des éléments dont il doit tenir compte pour s’acquitter de l’obligation de veiller à l’intérêt public que lui impose la Loi. Après avoir pris cette décision, l’Office a énoncé, en complément du Guide de dépôt, un ensemble d’exigences de dépôt qui visent précisément l’enjeu que constituent les effets que peut exercer le transport maritime dans le contexte du projet. [Non souligné dans l’original; renvois omis.]
[399] Il ressort de ce passage deux points. En premier lieu, dans ce qui se rapproche le plus d’une explication concernant sa décision sur la portée du projet, l’Office fait remarquer que la surveillance de la circulation maritime ne lui ressortit pas. Rien n’indique que l’Office se soit arrêté sur cette importante question.
[400] Il s’agit d’une question importante parce que le projet vise à amener le produit à la côte, et 71 p. 100 de ce produit pourrait aboutir au terminal maritime Westridge en vue de son transport par navire-citerne. De plus, et nous y reviendrons, si le transport maritime lié au projet fait partie du projet désigné, des exigences additionnelles s’appliquent en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Enfin, les navires-citernes en lien avec le projet présentent un risque important, voire catastrophique, d’effets environnementaux et socioéconomiques négatifs en cas de déversement.
[401] Ni le Canada ni Trans Mountain n’invoque de précédent pour appuyer leur prétention selon laquelle une autorité responsable procédant à une évaluation environnementale sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) doit elle-même exercer un pouvoir de surveillance réglementaire sur une matière particulière pour pouvoir inclure, dans sa définition du projet désigné, des activités concrètes qui sont véritablement accessoires au projet. La prétention des défendeurs aurait pour effet inacceptable d’introduire les mots en italique suivants dans la définition de « projet désigné » : « Sont comprises les activités concrètes qui leur sont accessoires et qui sont réglementées par l’autorité responsable ».
[402] En plus d’être indûment restrictive, l’interprétation de l’Office — selon laquelle il devait avoir un pouvoir réglementaire à l’égard du transport pour inclure le transport dans le projet — est incompatible avec les objectifs de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) énumérés au paragraphe 4(1), notamment de protéger les composantes de l’environnement qui relèvent de la compétence législative du Parlement et de veiller à ce que les projets soient étudiés avec soin et prudence afin qu’ils n’entraînent pas d’effets environnementaux négatifs importants.
[403] En deuxième lieu, le terme « accessoire » n’est pas défini dans la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Il n’est pas certain que l’Office a cherché à savoir si le transport maritime associé au projet était en fait une activité « accessoire » au projet. À cet égard, le Guide de préparation d’une description de projet désigné en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale énonce une série de critères permettant de savoir si certaines activités sont « accessoires » à un projet :
i. la nature des activités proposées et si ces activités sont subordonnées ou complémentaires au projet désigné;
ii. est-ce une activité qui incombe au promoteur;
iii. si l’activité doit être réalisée par un tiers, la nature de la relation entre le promoteur et le tiers; le promoteur peut-il diriger la réalisation de l’activité ou exercer une influence sur celle-ci;
iv. l’activité est-elle pour le bénéfice exclusif du promoteur ou bien d’autres promoteurs peuvent-ils également en bénéficier;
v. les exigences fédérales et/ou provinciales en matière de réglementation en ce qui concerne l’activité.
[404] L’Office ne mentionne ni n’analyse ces critères dans son rapport. S’il l’avait fait, il aurait examiné en particulier les questions de savoir si le transport maritime est accessoire ou complémentaire au projet et si Trans Mountain peut « diriger » certains aspects des activités des navires-citernes ou « exercer une influence » sur elles.
[405] À cet égard, Trans Mountain a déclaré dans sa demande, aux pages 8A-33 à 8A-34, que bien qu’elle ne possède ni n’exploite les navires qui accostent au terminal maritime Westridge, [traduction] « elle est un membre actif de la communauté maritime et travaille avec les agences maritimes de la Colombie-Britannique à promouvoir des pratiques exemplaires et à faciliter des améliorations pour assurer la sécurité et l’efficacité du trafic des navires dans la mer des Salish ». Trans Mountain a aussi renvoyé à sa norme d’acceptation de pétroliers qui lui permet d’interdire à tout navire-citerne qu’elle n’a pas approuvé de prendre un chargement au terminal maritime Westridge.
[406] L’Office reconnaît que Trans Mountain avait la capacité de donner des directives aux exploitants des navires-citernes dans les conditions 133, 134 et 144, dans lesquelles il a notamment exigé que Trans Mountain :
• confirme qu’elle a exécuté ses engagements en matière d’escorte renforcée par remorqueur en prescrivant les capacités minimales de remorquage nécessaires à l’escorte des pétroliers chargés au départ et en incluant ces capacités minimales dans sa norme d’acceptation de pétroliers;
• dépose une norme actualisée d’acceptation de pétroliers et un résumé de toute révision de cette norme;
• dépose chaque année un rapport attestant qu’elle continue de tenir les engagements liés à la marine marchande mentionnés à la condition 133 et documentant les cas de non-conformité aux exigences de ces engagements ainsi que les mesures prises pour redresser la situation.
[407] Dans la même veine, comme nous le verrons plus loin en détail, Trans Mountain s’est engagée dans le cadre du processus d’examen TERMPOL à exiger, au moyen de son processus d’acceptation des navires-citernes, que ces navires suivent un certain couloir à la sortie du détroit de Juan de Fuca.
[408] La capacité de Trans Mountain de « diriger » les activités des navires-citernes ou « d’exercer une influence » sur elles était un facteur pertinent pour l’examen de l’Office.
[409] Les motifs de l’Office n’expliquent pas bien sa décision sur la portée du projet, n’examinent pas les critères pertinents et semblent reposer sur un raisonnement qui n’est pas étayé par le régime législatif. Comme nous l’expliquerons en détail plus loin, il s’ensuit que l’Office a manqué à son obligation légale de déterminer la portée du projet et d’évaluer ce dernier de manière à fournir au gouverneur en conseil un « rapport » permettant à ce dernier de prendre sa décision.
[410] Par conséquent, il est nécessaire d’examiner la prétention subsidiaire des défendeurs selon laquelle l’évaluation par l’Office était néanmoins essentiellement adéquate, de sorte que le gouverneur en conseil pouvait évaluer l’intérêt public et les effets environnementaux du projet sur le fondement de l’évaluation. Pour ce faire, j’examine pour commencer les lacunes dont serait entachée l’évaluation du transport lié au projet, qui a été effectuée sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie, et non de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). J’examine ensuite les conclusions que l’Office a énoncées dans son rapport pour décider s’il était entaché de vices importants ou s’il était essentiellement adéquat.
(i) Les lacunes dont serait entachée l’évaluation faite par l’Office du transport maritime associé au projet sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie
[411] Si la définition du projet avait inclus le transport maritime en lien avec le projet, l’Office serait tenu, par le paragraphe 19(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), de tirer des conclusions à l’égard des facteurs qui y sont énumérés, à savoir :
• les effets environnementaux du transport maritime, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant résulter du projet désigné, et les effets cumulatifs que la réalisation du projet désigné, combinée à celle d’autres activités concrètes, passées ou futures, est susceptible de causer à l’environnement;
• l’importance de ces effets;
• les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux négatifs importants du transport maritime;
• les solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique, notamment à l’égard des couloirs de navigation.
[412] Passons à l’examen par l’Office du transport lié au projet.
(ii) Examen du transport maritime en lien avec le projet et conclusions de l’Office à cet égard
[413] Pour commencer, je reviens à la déclaration de l’Office, reproduite au paragraphe 398, selon laquelle les « éventuels effets environnementaux et socioéconomiques de la circulation de navires-citernes connexe au projet, y compris les conséquences que pourraient avoir d’éventuels accidents ou défaillances » étaient pertinents pour l’examen par l’Office de l’intérêt public sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Ainsi, pour s’assurer de disposer de suffisamment de renseignements sur ces effets, l’Office a élaboré les exigences précises en matière de dépôt auxquelles il renvoie dans l’extrait cité.
[414] Aux termes de ces exigences en matière de dépôt, Trans Mountain devait fournir une description détaillée de l’augmentation des activités de transport maritime, indiquant notamment la fréquence des passages, les couloirs de navigation, la vitesse des navires et le temps de transit, ainsi que les solutions de rechange examinées relativement aux couloirs de navigation, à la fréquence des passages et au type de navire-citerne utilisé.
[415] L’évaluation faite par Trans Mountain des accidents et des défaillances liés à l’augmentation du transport maritime devait inclure des descriptions de questions telles que :
• les mesures pour réduire le risque d’accidents et de défaillances, y compris un aperçu des régimes de réglementation applicables;
• les pires scénarios crédibles de déversement et les scénarios de déversement de moindre envergure;
• l’évolution et le comportement des hydrocarbures susceptibles d’être déversés;
• les éventuels effets environnementaux et socioéconomiques liés aux pires scénarios de déversement et aux scénarios de déversement de moindre envergure, eu égard au comportement selon la saison, à la trajectoire et à l’évolution des hydrocarbures déversés, ainsi qu’à l’ensemble des conditions climatiques et maritimes qui pourraient exister au moment de l’incident;
• la planification et la préparation de l’intervention faite par Trans Mountain, y compris un aperçu des régimes de réglementation applicables.
[416] Trans Mountain était tenue de fournir des renseignements sur la navigation et les mesures de sécurité, notamment :
• un aperçu des régimes de réglementation applicables et du rôle des différentes organisations concernées;
• toute autre mesure d’atténuation additionnelle en vue de respecter ou de dépasser les exigences réglementaires proposée par Trans Mountain pour augmenter la sécurité du transport maritime;
• une explication de la façon dont les régimes de réglementation et toute autre mesure additionnelle favorisent la sécurité des activités accrues de transport maritime.
[417] Aux termes des exigences de dépôt, Trans Mountain devait aussi fournir des renseignements précis concernant toutes les mesures d’atténuation liées à l’augmentation du transport maritime.
[418] Reportons-nous tout particulièrement au chapitre 14 du rapport de l’Office pour voir comment ce dernier a traité l’augmentation des activités de transport maritime liées au projet. Comme la principale préoccupation des demandeurs a trait à l’incidence du projet sur les épaulards résidents du sud et leur utilisation de cette ressource, nous examinons surtout la manière dont l’Office a abordé la question relative à cette espèce en voie de disparition, y compris la prévention et les effets des déversements. L’Office a aussi tiré des conclusions sur les répercussions de l’augmentation du transport lié au projet sur les émissions atmosphériques, les gaz à effet de serre, les habitats marins et l’habitat du poisson, les oiseaux marins, les ressources patrimoniales et la santé humaine, y compris ses effets socioéconomiques.
[419] L’Office commence par décrire l’étendue des activités de transport actuelles et futures connexes au projet. Il examine ensuite le cadre réglementaire et certaines initiatives d’amélioration fédérales. Il explique dans son rapport que le transport maritime est réglementé par la Loi de 2001 sur la marine marchande, L.C. 2001, ch. 26, et administré par Transports Canada, la Garde côtière canadienne et d’autres ministères.
[420] Ensuite, à la section 14.3, l’Office se penche sur les effets de l’intensification du transport maritime, tout particulièrement les changements au contexte environnemental et socioéconomique découlant de l’exploitation courante de bâtiments de mer en lien avec le projet. Il indique avoir évalué les éventuels effets environnementaux et socioéconomiques découlant de l’intensification du transport maritime en se penchant sur l’intérêt public conformément à la Loi sur l’Office national de l’énergie, mais avoir « adopté une approche semblable à celle qui a été utilisée pour l’évaluation environnementale menée en vertu de [la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012)] […] dans la mesure où elle convenait, afin d’éclairer la détermination de l’intérêt public » [à la page 342].
[421] L’Office explique ensuite que, pour décider si le transport maritime entraînera probablement des effets environnementaux importants, il a tenu compte du régime de réglementation actuel, sans quelque mesure d’atténuation particulière. Cette démarche cadre avec son point de vue selon lequel, comme le transport maritime dépasse les pouvoirs de réglementation qui lui sont dévolus, il n’est pas habilité à imposer des conditions d’atténuation particulières pour parer aux conséquences environnementales du transport maritime en lien avec le projet. L’Office explique aussi qu’il a tenu compte de tout effet cumulatif susceptible de résulter du transport maritime associé au projet, ainsi que des effets environnementaux découlant de la circulation maritime actuelle ou raisonnablement prévisible dans le secteur.
[422] Enfin, avant de présenter son évaluation des effets du projet, l’Office indique avoir tenu compte :
• des incidences négatives du transport maritime lié au projet sur les espèces sauvages répertoriées dans la Loi sur les espèces en péril et l’habitat essentiel de ces espèces;
• de toutes les solutions de rechange raisonnables au transport maritime qui réduiraient les effets que ce transport a sur l’habitat essentiel des espèces répertoriées dans la Loi sur les espèces en péril;
• des mesures pour éviter ou réduire toute conséquence négative conformes aux programmes ou plans d’action de rétablissement applicables.
[423] L’Office présente ensuite les conclusions et observations suivantes au sujet des mammifères marins en général :
• Le bruit sous-marin causé par les bâtiments de mer en lien avec le projet provoquerait des perturbations sensorielles chez les mammifères marins. On s’attend à des perturbations à long terme puisqu’elles se feraient probablement sentir pendant toute la durée de la circulation maritime liée au projet.
• Pour évaluer l’incidence du transport lié au projet sur certaines espèces, l’Office a examiné les conséquences sur les plans temporel et spatial ainsi que la réversibilité de ces conséquences.
• Les bâtiments de mer en lien avec le projet sont susceptibles d’entrer en collision avec un mammifère marin, ce qui pourrait avoir des conséquences létales ou non létales. De plus, l’augmentation de la circulation maritime imputable au projet contribuerait aux risques cumulatifs de collision entre un navire et un mammifère marin. L’Office prend acte de l’engagement, pris par Trans Mountain, de fournir une directive explicite pour que soient remises aux autorités compétentes des déclarations concernant les mammifères en détresse et les collisions avec des mammifères marins.
• L’Office accepte les observations du ministère des Pêches et des Océans et de Trans Mountain selon lesquelles il n’existait pas de mesures d’atténuation directes que cette dernière pourrait prendre pour réduire ou éliminer les éventuels effets négatifs des navires-citernes associés au projet. Il reconnaît que la modification des opérations des navires, par exemple déplacer les corridors de navigation pour les éloigner des aires de rassemblement de mammifères marins ou réduire la vitesse des navires, pourrait constituer une mesure d’atténuation efficace. Cependant, ces mesures précises ne relèvent pas des pouvoirs de réglementation de l’Office et échappent au contrôle de Trans Mountain. L’Office encourage d’autres autorités de réglementation, comme Transports Canada et Océans Canada, à envisager des initiatives qui auraient pour objectif de réduire les effets possibles des bâtiments de mer sur les mammifères marins.
• L’Office reconnaît que des initiatives ont été engagées ou proposées et note que Trans Mountain s’était engagée à participer à quelques-unes d’entre elles. Il a imposé la condition 132 aux termes de laquelle Trans Mountain doit élaborer un programme de protection des mammifères marins et entreprendre ou soutenir des initiatives dont l’objet principal est de comprendre et d’atténuer les conséquences découlant du projet. L’entreprise devra déposer un tel programme avant le début des activités liées au projet.
• L’Office explique que la condition 132 vise à faire en sorte que Trans Mountain tienne ses engagements de participer à l’élaboration de pratiques de transport maritime à l’échelle du secteur, de concert avec les autorités compétentes. Il a en même temps reconnu que le programme de protection des mammifères marins ne donnait aucune garantie que des mesures d’atténuation seront effectivement élaborées et mises en œuvre pour contrer les effets du projet sur les mammifères marins.
• L’Office prend acte de la recommandation du ministère des Pêches et des Océans que Trans Mountain envisage le recours à des observateurs marins sur les navires en lien avec le projet. Il convient qu’il pourrait s’agir de programmes valables et dit s’attendre à voir des initiatives de ce type dans le cadre du programme de protection des mammifères marins de Trans Mountain.
[424] L’Office prend également acte de l’engagement par Trans Mountain d’exiger des navires associés au projet qu’ils respectent les directives ou normes futures concernant la réduction du bruit sous-marin causé par les navires commerciaux dès leur entrée en vigueur.
[425] L’Office tire ensuite les conclusions suivantes au sujet de l’épaulard résident du sud [rapport, aux pages 361 et 362] :
• La population de l’épaulard résident du sud a franchi un seuil au-delà duquel tout effet indésirable supplémentaire sur l’environnement est considérable. Le niveau actuel, et l’augmentation prévue, de la circulation maritime dans la zone d’étude régionale, même si l’on exclut les navires en lien avec le projet, « [a] intensifié et intensifier[a] la pression qui s’exerce sur la population de l’épaulard résident du sud ».
• L’Office dit s’attendre à ce que les bâtiments de mer liés au projet représentent 13,9 p. 100 de toute la circulation maritime dans la zone d’étude régionale, à l’exclusion de la baie Burrard, et que ce pourcentage baisse au fil du temps, car la circulation maritime dans cette zone devrait augmenter. Par conséquent, bien que les effets exercés par les bâtiments de mer en lien avec le projet soient une faible fraction des effets cumulatifs totaux, l’Office reconnaît que cette augmentation du nombre de bâtiments de mer en lien avec le projet « contribuera davantage encore aux effets cumulatifs qui mettent déjà en péril le rétablissement de l’épaulard résident du sud. Les effets occasionnés par les bâtiments de mer participant au projet auront des répercussions sur de nombreux individus de la population de l’épaulard résident du sud dans un habitat désigné comme essentiel pour le rétablissement ». L’Office qualifie ces effets comme étant d’une « grande ampleur ». Par conséquent, il conclut que « l’exploitation de bâtiments de mer participant au projet aura probablement des conséquences pernicieuses importantes pour l’épaulard résident du sud ».
• L’Office reconnaît que le « Programme de rétablissement des épaulards résidents […] du nord et du sud du Canada », préparé par le ministère des Pêches et des Océans, considère le bruit des navires comme une menace pour « l’intégrité acoustique de l’habitat essentiel de l’épaulard résident du sud, et que la perturbation physique et acoustique imputable à l’activité anthropique peut être un facteur déterminant qui contribue au décroissement des populations d’épaulards résidents ou empêche leur rétablissement ».
• Selon l’Office, bien qu’elle soit faible, la probabilité de mort d’un épaulard résident du sud par suite d’une collision avec un bâtiment de mer en lien avec le projet aurait des conséquences à l’échelle de la population. Il reconnaît que ces navires rencontreraient un épaulard relativement souvent. Toutefois, « comme le nombre de collisions entre des épaulards et des bâtiments de mer qui ont été enregistré[es] est limité et que les épaulards adoptent éventuellement un comportement qui permet de les éviter », l’Office accepte la prétention de Trans Mountain et du ministère des Pêches et des Océans selon laquelle il est peu probable qu’un navire en lien avec le projet entre en collision avec un épaulard résident du sud.
• L’Office exprime l’opinion que le rétablissement de l’épaulard résident du sud exigera la mise sur pied d’initiatives complexes mettant à contribution plusieurs parties. Il souligne que le ministère des Pêches et des Océans et d’autres organismes lancent actuellement de nombreuses initiatives pour favoriser le rétablissement de l’espèce, et met notamment la dernière touche à un plan d’action. L’Office reconnaît que Trans Mountain s’est engagée à appuyer les objectifs et les mesures de rétablissement énoncés dans le plan d’action. Le projet de plan d’action comprend une liste détaillée des initiatives par ordre de priorité. L’Office dit s’attendre à ce que Trans Mountain appuie une partie de ces initiatives dans le cadre du programme de protection des mammifères marins. Il encourage l’adoption d’initiatives, notamment par le fédéral, visant en priorité la prise de mesures particulières pour favoriser le rétablissement de l’espèce et leur mise en œuvre.
• Enfin, l’Office conclut que « l’exploitation de bâtiments de mer participant au projet aura probablement des conséquences pernicieuses pour l’épaulard résident du sud ».
[426] L’Office examine ensuite l’incidence du transport maritime sur l’utilisation par les communautés autochtones des ressources marines à des fins traditionnelles et en tire les conclusions suivantes :
• Les navires et les pêcheurs autochtones subiront des perturbations, ce qui risque de perturber les activités ou l’accès aux sites. Toutefois, selon l’Office, ces perturbations seront temporaires, ne se produiront que pendant le transit des navires-citernes du projet. Ainsi, il s’est dit d’avis que les Autochtones qui utilisent des bâtiments de mer conserveraient leur capacité de poursuivre leurs récoltes et d’accéder aux sites culturels et de subsistance malgré ces perturbations périodiques de courte durée.
• Par conséquent, l’Office conclut qu’exception faite des effets sur l’épaulard résident du sud, les conséquences sur l’utilisation des ressources marines, les activités et les lieux traditionnels seraient de faible ampleur.
• Étant donné la fréquence, la durée et la faible ampleur des effets connexes aux perturbations éventuelles, et les engagements pris par Trans Mountain de fournir régulièrement aux collectivités autochtones des renseignements actualisés sur la circulation des navires en lien avec le projet, l’Office a jugé qu’il est peu probable qu’il y ait des effets négatifs sur les utilisations des ressources marines, les activités et les lieux traditionnels, et que, dans l’ensemble, l’incidence de la circulation maritime en lien avec le projet sur les changements globaux des habitudes d’utilisation des ressources marines à des fins traditionnelles ne sera probablement pas importante.
• L’Office juge que l’incidence du trafic maritime en lien avec le projet sur les effets cumulatifs est faible ou moyenne et réversible à long terme. Il estime par conséquent peu probable que le trafic maritime connexe au projet ait des conséquences défavorables importantes et cumulatives sur l’utilisation des ressources marines à des fins traditionnelles, exception faite des effets sur l’utilisation à des fins traditionnelles de l’épaulard résident du sud, qui sont considérés comme importants.
• Reconnaissant l’importance culturelle de l’épaulard pour certains groupes autochtones, l’Office conclut [à la page 375] que « l’accroissement de la circulation maritime occasionné par le projet entraînera probablement des conséquences pernicieuses considérables pour l’épaulard résident du sud ».
[427] Finalement, l’Office traite de la prévention des déversements aux sections 14.4 à 14.6. Il tire les conclusions suivantes :
• L’Office retient la preuve déposée par Trans Mountain au sujet de la navigation et de la sécurité du transport maritime, y compris les rapports déposés dans le cadre du processus d’examen TERMPOL.
• Un déversement important causé par un navire-citerne aurait des conséquences environnementales et socioéconomiques importantes, mais un tel accident est peu probable.
• Même s’il y a intervention, tout déversement important se soldera par des effets environnementaux et socioéconomiques négatifs importants.
• Trans Mountain, de concert avec la Western Canada Marine Response Corporation, a proposé des mesures appropriées pour intervenir en cas de déversement d’hydrocarbures par des navires-citernes du projet. Ces mesures dépassent les exigences réglementaires et donneraient lieu à une capacité d’intervention deux fois plus importante que celle prévue par les normes de planification actuelles, et à un délai d’exécution deux fois moins long que celui exigé par ces mêmes normes. L’Office accorde un poids considérable au fait que le comité d’examen TERMPOL et la Garde côtière canadienne n’ont pas fait mention de préoccupations particulières quant à la planification de l’intervention en cas de déversement en ce qui concerne le projet.
• Les conséquences pour l’environnement d’un déversement d’un navire-citerne dépendront fortement des circonstances particulières, notamment de la quantité et du type de produit déversé, du lieu du déversement, du délai d’intervention, de l’efficacité du confinement et du nettoyage, des composantes valorisées qui sont touchées ainsi que des conditions météorologiques et du moment de l’année où se produit le déversement.
• Un petit déversement qui est rapidement confiné pourrait avoir des effets néfastes de faible ampleur, alors qu’un déversement équivalant au pire scénario crédible pourrait avoir des conséquences négatives de plus grande portée géographique et de plus grande durée, et qui seraient probablement importantes. Qui plus est, les déversements seraient susceptibles de toucher des habitats marins clés, notamment des marais salés, des herbiers de zostère et des forêts d’algues brunes, qui risqueraient à leur tour d’affecter les nombreuses espèces qui en dépendent. Les déversements pourraient aussi toucher les espèces terrestres le long du littoral, y compris des espèces de plantes terrestres répertoriées dans la Loi sur les espèces en péril.
• Bien que les incidences d’un déversement équivalant au pire scénario crédible soient probablement négatives et importantes, le rétablissement naturel des zones et des espèces touchées ramènerait probablement la plupart des conditions biologiques à un état semblable à celui qui existait avant le déversement. Un tel rétablissement pourrait se faire rapidement, en à peine un an ou deux, pour certaines composantes valorisées, ou prendre jusqu’à une décennie ou plus pour d’autres. Des valeurs et utilisations environnementales valorisées pourraient être perdues ou réduites dans l’intervalle. Pour certaines composantes valorisées, dont certaines espèces répertoriées dans la Loi sur les espèces en péril, il est possible qu’on ne puisse obtenir un rétablissement aux conditions existant avant le déversement.
• La mortalité d’individus des espèces répertoriées dans la Loi sur les espèces en péril pourrait aboutir à des conséquences à l’échelle de la population et mettre en péril le rétablissement de ces espèces. Par exemple, l’exposition des épaulards résidents du sud à un déversement pourrait avoir des conséquences catastrophiques.
• La probabilité qu’un accident correspondant au pire scénario crédible se produise est très faible.
• Les effets qu’un déversement correspondant au pire scénario aurait sur l’utilisation actuelle des terres, des eaux et des ressources à des fins traditionnelles par les peuples autochtones seraient probablement négatifs et importants. Toutefois, la probabilité qu’il se produise un tel accident est très faible.
[428] L’Office renvoie également au rapport du processus d’examen TERMPOL [TERMPOL Review Process Report on the Trans Mountain Expansion Project, 2014], lequel traite du tracé du projet. Il est écrit dans ce rapport, à la section 3.2, que [traduction] « [l]a route de navigation au large des côtes en direction et en provenance du terminal de Trans Mountain est bien établie et elle est empruntée par les navires-citernes de haute mer, et par d’autres navires de charge, des navires de croisière et des traversiers ». Plus loin, il est indiqué que [traduction] « des navires-citernes de classe Aframax utilisent actuellement la route proposée, ce qui démontre que la manœuvrabilité n’est pas une préoccupation ».
[429] Le comité d’examen a cependant tiré une conclusion à l’égard du tracé maritime, sa conclusion 9 : « L’engagement de Trans Mountain à exiger, dans le cadre de son processus d’acceptation, que les navires-citernes ne naviguent pas plus au nord que franc ouest (270°) en sortant du détroit de Juan de Fuca renforcera la sécurité et la protection du milieu marin parce que les navires-citernes emprunteront la route la plus courte pour sortir de la [zone d’exclusion économique] canadienne ».
[430] Pour revenir au rapport de l’Office, l’évaluation du projet par ce dernier a abouti à la conclusion suivante : malgré les effets du projet sur les épaulards résidents du sud et sur les usages culturels autochtones en lien avec ces mammifères marins, le projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants si des mesures d’atténuation et de protection de l’environnement sont mises en œuvre par Trans Mountain et les conditions recommandées par l’Office, appliquées. Il s’agit de la recommandation faite par l’Office en application de l’article 29 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).
(iii) L’évaluation du transport maritime en lien avec le projet par l’Office était-elle essentiellement adéquate?
[431] Je commence par la description faite par l’Office de la façon dont il a procédé pour évaluer le transport maritime : il « a adopté une approche semblable à celle qui a été utilisée pour l’évaluation environnementale menée en vertu de » la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) « dans la mesure où elle convenait » [à la page 342]. Conformément à cette approche et aux termes des exigences de dépôt de l’Office en ce qui concerne le transport maritime, Trans Mountain devait fournir des renseignements sur les mesures d’atténuation et les solutions de rechange — facteurs qu’une évaluation environnementale doit prendre en compte suivant le paragraphe 19(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).
[432] Étant donné que la principale préoccupation des demandeurs concernant l’évaluation du transport maritime lié au projet faite par l’Office a trait à l’évaluation des effets négatifs du projet sur les épaulards résidents du sud, l’examen que nous venons de faire des conclusions de l’Office démontre que ce dernier a tenu compte des effets du projet sur les épaulards résidents du sud, y compris des effets environnementaux qu’auraient d’éventuels accidents ou défaillances, de l’importance de ces effets et des effets cumulatifs du projet sur les efforts déployés pour favoriser le rétablissement de l’espèce. L’Office a conclu que les activités connexes au projet des navires-citernes auraient probablement des conséquences négatives importantes sur la population des épaulards résidents du sud.
[433] Vu les conclusions de l’Office selon lesquelles le projet est susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur les épaulards résidents du sud et que le passage des navires associés au projet ajouterait aux effets cumulatifs totaux (lesquels ont été jugés importants), l’Office a conclu que l’augmentation du transport maritime résultant du projet risquerait d’entraîner des effets négatifs importants sur les utilisations à des fins traditionnelles de ces mammifères marins par les Autochtones.
[434] L’Office a ensuite examiné les mesures d’atténuation sous l’éclairage limité de son pouvoir de réglementation. Il a conclu que Trans Mountain ne pouvait appliquer aucune mesure d’atténuation directe pour limiter ou éliminer des effets négatifs éventuels des navires-citernes en lien avec le projet.
[435] L’Office a déclaré qu’il a tenu compte de toutes les solutions de rechange raisonnables au transport maritime associé au projet qui pourraient réduire l’incidence sur l’habitat essentiel des espèces répertoriées dans la Loi sur les espèces en péril, dont celui de l’épaulard résident du sud. Pour ce faire, l’Office a envoyé la demande de renseignements no 2 à Trans Mountain. Cette dernière a répondu en substance que le seul moyen possible de réduire le risque de collision entre les mammifères marins et les navires dans la mer des Salish consisterait à éviter les habitats sensibles (à savoir les lieux où les épaulards se réunissent) et à établir des limites de vitesse. Trans Mountain a indiqué que les couloirs de navigation et les limites de vitesse sont établis par Transports Canada.
[436] Par la suite, l’Office a envoyé une demande de renseignements à Transports Canada dans laquelle il demandait un résumé des initiatives que le Ministère appuyait à ce moment ou qu’il avait prises pour évaluer d’éventuels couloirs de navigation de rechange ou des limites de vitesse des navires sur la côte méridionale de la Colombie-Britannique afin de réduire les effets du transport maritime sur les mammifères marins. Transports Canada a répondu qu’il n’envisageait pas [traduction] « actuellement des couloirs de navigation de rechange ou des limitations de vitesse pour réduire les effets du transport maritime en Colombie-Britannique sur les mammifères marins ». Transports Canada a cependant mentionné qu’il participait au programme ECHO (Enhancing Cetacean Habitat and Observation Program) dirigé par le port de Vancouver.
[437] La déclaration de Transports Canada selon laquelle il n’avait pas pour l’instant l’intention de modifier les couloirs de navigation ou d’imposer des limites de vitesse aux navires paraît avoir court-circuité un examen plus approfondi de tracés de rechange par l’Office.
[438] Il ressort de notre examen du rapport de l’Office que, pour son évaluation du transport maritime lié au projet, l’Office a tenu compte :
• des effets du transport maritime lié au projet sur les épaulards résidents du sud;
• de l’importance des effets;
• des effets cumulatifs du transport maritime sur le rétablissement de la population des épaulards résidents du sud;
• des effets négatifs importants qui découlent de ce transport sur l’utilisation à des fins traditionnelles de l’épaulard résident du sud par les Autochtones;
• des mesures d’atténuation relevant de son pouvoir de réglementation;
• des solutions de rechange raisonnables au transport maritime en lien avec le projet.
[439] Étant donné la méthode que l’Office a retenue pour faire son évaluation et ses conclusions, le rapport de l’Office était suffisant pour informer le gouverneur en conseil des effets du transport maritime lié au projet sur les épaulards résidents du sud et l’utilisation de cette ressource par des groupes autochtones. Le rapport de l’Office a adéquatement informé le gouverneur en conseil de l’importance de ces effets, de l’opinion de l’Office selon laquelle il n’existait pas de mesures d’atténuation directes que Trans Mountain pourrait prendre pour réduire les éventuels effets négatifs des navires-citernes associés au projet et que certaines mesures d’atténuation possibles ne relèvent pas de son pouvoir de réglementation et n’ont donc pas été examinées en bonne et due forme par l’Office ni fait l’objet de conditions. Plus important encore peut-être, le rapport a averti le gouverneur en conseil que l’Office avait exclu de la définition du projet le transport maritime qui y est lié. Cette décision excluait les effets du transport maritime lié au projet de la définition du projet en tant que projet désigné. L’Office pouvait ainsi conclure que le projet, tel qu’il l’avait défini, n’était pas susceptible d’entraîner des effets négatifs importants.
[440] Le décret et la note explicative qui y est jointe démontrent que le gouverneur en conseil était pleinement conscient de la façon dont l’Office a évalué le transport maritime lié au projet sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie. Le gouverneur en conseil était aussi tout à fait au courant des effets du transport maritime en lien avec le projet relevés par l’Office et savait que l’exploitation de navires pour le projet était susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur l’épaulard résident du sud ainsi que sur les usages culturels autochtones en lien avec cette espèce en voie de disparition.
[441] Ayant conclu que le gouverneur en conseil a compris la méthode retenue par l’Office et les conclusions qui en découlent, je dois maintenant me prononcer sur la question de savoir s’il était raisonnable de sa part de fonder sa décision d’approuver le projet sur le rapport de l’Office. C’est ce que je ferai, après avoir examiné les observations des demandeurs au sujet de la Loi sur les espèces en péril.
e) L’Office a-t-il commis une erreur au regard de la Loi sur les espèces en péril?
[442] La Loi sur les espèces en péril a pour objet de prévenir la disparition des espèces sauvages, de permettre le rétablissement de celles qui sont devenues des espèces disparues, en voie de disparition ou menacées par suite de l’activité humaine et de favoriser la gestion des espèces préoccupantes pour éviter qu’elles ne deviennent des espèces en voie de disparition ou menacées (article 6).
[443] D’importantes protections sont mentionnées à l’article 77 de la Loi, qui vise à protéger l’habitat essentiel des espèces sauvages inscrites, et à l’article 79, qui vise à protéger les espèces sauvages inscrites et leur habitat essentiel lors de nouveaux projets. Les espèces sauvages inscrites sont celles figurant à l’annexe 1 de la Loi, intitulée Liste des espèces en péril. Les articles 77 et 79 sont reproduits à l’annexe des présents motifs.
[444] Raincoast et Living Oceans soutiennent qu’en définissant déraisonnablement le projet désigné de manière à exclure le transport maritime qui y est associé, l’Office n’a pas respecté le paragraphe 79(2) de la Loi sur les espèces en péril. Elles affirment qu’en raison de cette erreur, il était déraisonnable pour le gouverneur en conseil de fonder sa décision sur le rapport de l’Office sans d’abord vérifier que ce dernier avait respecté le paragraphe 79(2) de la Loi quant aux épaulards résidents du sud. Elles prétendent aussi qu’il a manqué de manière déraisonnable aux obligations additionnelles et distinctes que lui dicte le paragraphe 77(1) de cette loi.
[445] Commençons par examiner l’application de l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril.
(i) L’Office a-t-il conclu à tort que l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril ne s’appliquait pas à son examen des effets du transport maritime lié au projet?
[446] L’article 79 oblige toute personne qui est tenue « de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation des effets environnementaux d’un projet » :
i. à aviser sans tarder le ministre compétent si le projet « est susceptible de toucher une espèce sauvage inscrite ou son habitat essentiel » (paragraphe 79(1));
ii. à déterminer les effets nocifs du projet sur l’espèce et son habitat essentiel (paragraphe 79(2));
iii. si le projet est réalisé, à veiller à ce que des mesures soient prises « en vue [d’]éviter [ces effets] ou de les amoindrir ». Les mesures prises doivent être compatibles avec tout programme de rétablissement et tout plan d’action applicable (paragraphe 79(2)).
[447] Suivant le paragraphe 79(3), « projet » s’entend notamment d’un projet désigné au sens du paragraphe 2(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).
[448] L’Office a reconnu ses obligations sous le régime de l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril dans son évaluation environnementale (chapitre 10, page 165). Toutefois, comme sa définition du projet désigné n’incluait pas le transport maritime lié au projet, il a rejeté la prétention de Living Oceans selon laquelle l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril l’obligeait à examiner les effets du transport maritime associé au projet sur les épaulards résidents du sud (chapitre 14, page 343). Malgré sa conclusion selon laquelle cette disposition ne s’appliquait pas, l’Office, sans dire pourquoi dans son rapport, a respecté l’obligation mentionnée au paragraphe 79(1) d’aviser les ministres responsables que le projet pourrait toucher les épaulards résidents du sud et leur habitat. Il l’a fait dans une lettre en date du 23 avril 2014 (lettre envoyée environ trois semaines après la décision de l’Office sur la portée du projet).
[449] Je suis d’avis que l’Office a commis une erreur en excluant de façon injustifiable le transport maritime connexe au projet de la description du projet. Il s’ensuit que le défaut d’appliquer l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril à son examen des effets de ce transport sur les épaulards résidents du sud était également injustifié.
[450] Le Canada et Trans Mountain soutiennent tous deux que l’Office a néanmoins respecté essentiellement ses obligations au titre de l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril. Par conséquent, comme pour la question du transport maritime associé au projet, la question à laquelle il faut maintenant répondre est celle de savoir si l’Office a essentiellement respecté les obligations que lui impose l’article 79.
(ii) L’Office a-t-il respecté essentiellement ses obligations au titre de l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril?
[451] Les défendeurs soutiennent que, outre le fait qu’il a respecté l’obligation de notification énoncée au paragraphe 79(1), l’Office a tenu compte :
• des effets nocifs du transport maritime sur les espèces sauvages inscrites et leur habitat essentiel;
• de toutes les solutions de rechange raisonnables au transport maritime qui pourraient réduire les incidences sur l’habitat des espèces inscrites;
• des mesures, compatibles avec les initiatives ou plans d’action de rétablissement applicables, visant à éviter ou à diminuer les conséquences négatives du projet.
[452] Le Canada et Trans Mountain affirment que l’Office a par conséquent satisfait à ses obligations [traduction] « dans la mesure du possible » (mémoire des faits et du droit de Trans Mountain, paragraphe 120). Sur ce dernier point, Trans Mountain prétend que l’Office n’a pas compétence pour imposer des conditions ou autrement veiller à ce que des mesures soient prises pour éviter ou diminuer les effets du transport maritime sur les espèces en péril. Par conséquent, l’Office pouvait mentionner d’éventuelles mesures d’atténuation et encourager les autorités de réglementation concernées à prendre d’autres mesures, mais il ne pouvait pas assurer le respect du paragraphe 79(2) de la Loi sur les espèces en péril.
[453] Le Canada et Trans Mountain ont correctement résumé les conclusions de l’Office qui sont pertinentes pour son examen du transport associé au projet dans le contexte de la Loi sur les espèces en péril. Je n’accepte toutefois pas leur prétention selon laquelle l’examen par l’Office de l’incidence du projet sur l’épaulard résident du sud satisfaisait essentiellement à son obligation au titre de l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril, et ce, pour le motif suivant.
[454] Comme sa définition du projet exclut le transport maritime en lien avec le projet, l’Office n’a pas tenu compte des obligations qui lui incombent sous le régime de la Loi sur les espèces en péril lorsqu’il a examiné l’incidence du projet sur l’épaulard résident du sud. Or, s’il en avait tenu compte, comme il avait recommandé l’approbation du projet, il aurait fallu, aux termes du paragraphe 79(2) de la Loi sur les espèces en péril, qu’il veille, si le projet était réalisé, à ce que des « mesures compatibles […] soient prises » en vue d’éviter ou d’amoindrir les effets du projet sur l’épaulard résident du sud et de les surveiller.
[455] Certes, l’Office ne peut réglementer le transport, mais il était néanmoins obligé d’envisager les conséquences juridiques de son incapacité à « veiller » à ce que des mesures soient prises pour améliorer les incidences du projet sur l’épaulard résident du sud. Or, son rapport est muet sur le fait qu’il a recommandé l’approbation du projet sans imposer des mesures pour éviter ou amoindrir les effets nocifs importants du projet sur l’épaulard résident du sud.
[456] Comme le transport maritime ne relevait pas de son pouvoir de réglementation, l’Office a évalué les effets du transport maritime, abstraction faite de toute mesure d’atténuation, et n’en a recommandé aucune. Il a plutôt encouragé d’autres autorités de réglementation à « examiner de telles initiatives » (rapport, page 361). Si l’Office n’avait pas le pouvoir de réglementer le transport maritime, le décideur final n’était pas contraint de la sorte. À mon avis, afin de se conformer pour l’essentiel aux exigences de l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril, le gouverneur en conseil nécessitait de se voir communiquer par l’Office toutes les mesures réalisables, sur les plans technique et économique, visant à éviter ou à amoindrir les effets du projet sur l’épaulard résident du sud. Fort de ces renseignements, le gouverneur en conseil serait en mesure de voir que, s’il était approuvé, le projet ne serait pas approuvé tant que toutes les mesures d’atténuation réalisables sur les plans technique et économique ne seraient pas mises en œuvre. Sans ces renseignements, le gouverneur en conseil ne disposait pas de l’information nécessaire pour prendre la décision qu’il était tenu de prendre.
[457] J’examine plus loin la question de savoir s’il était raisonnable pour le gouverneur en conseil de fonder sa décision sur le rapport de l’Office.
[458] Par souci d’exhaustivité, j’examine le deuxième argument avancé par Raincoast et Living Oceans : il était déraisonnable pour le gouverneur en conseil de faire fi des obligations additionnelles et distinctes que lui impose le paragraphe 77(1) de la Loi sur les espèces en péril.
(iii) Le gouverneur en conseil était-il tenu de respecter le paragraphe 77(1) de la Loi sur les espèces en péril?
[459] Le paragraphe 77(1) s’applique lorsque toute personne ou tout organisme, autre qu’un ministre compétent, donne son accord à « un permis ou autre autorisation […] visant la mise à exécution d’une activité susceptible d’entraîner la destruction d’un élément de l’habitat essentiel d’une espèce sauvage inscrite ». La personne ou l’organisme ne peut donner son accord que s’il a consulté le ministre compétent, s’il a envisagé les conséquences négatives de l’activité pour l’habitat essentiel de l’espèce et s’il estime, à la fois : a) que toutes les solutions de rechange susceptibles de minimiser les conséquences négatives de l’activité pour l’habitat essentiel de l’espèce ont été envisagées, et que la meilleure solution a été retenue; b) que toutes les mesures possibles seront prises afin de minimiser les conséquences négatives de l’activité pour l’habitat essentiel de l’espèce.
[460] L’Office reconnaît que :
[…] le bruit provoqué par les navires passe pour menacer l’intégrité acoustique de l’habitat essentiel de l’épaulard résident du sud, et que la perturbation physique et acoustique imputable à l’activité anthropique peut être un facteur déterminant qui contribue au décroissement des populations d’épaulards résidents ou empêche leur rétablissement.
(rapport, page 362.)
[461] Il accepte aussi qu’un déversement « risque d’avoir des conséquences catastrophiques » pour les épaulards résidents du sud (rapport, page 413).
[462] Sur le fondement de ces conclusions, Raincoast et Living Oceans soutiennent que le transport lié au projet [traduction] « peut détruire » l’habitat essentiel, de sorte que le paragraphe 77(1) entre en jeu.
[463] Je ne suis pas d’accord. Le décret enjoint à l’Office de délivrer un certificat d’utilité publique approuvant la construction et l’exploitation du projet d’agrandissement. Le gouverneur en conseil n’a pas délivré ou approuvé un permis ou une autre autorisation concernant le transport maritime.
[464] De plus, le paragraphe 77(1.1) de la Loi sur les espèces en péril prévoit que le paragraphe 77(1) ne s’applique pas à l’Office lorsque, comme en l’espèce, il délivre un certificat conformément à un décret pris par le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie. J’accepte la prétention du Canada selon laquelle le législateur n’aurait pas voulu soustraire l’Office à l’application du paragraphe 77(1) tout en y assujettissant le gouverneur en conseil, d’autant plus que l’expertise de l’Office est supérieure à celle du gouverneur en conseil pour ce qui est de l’évaluation des conséquences sur l’habitat et des mesures d’atténuation. Si le paragraphe 77(1) s’appliquait, l’Office était davantage en mesure que le gouverneur en conseil d’en respecter les prescriptions.
f) Conclusion : le gouverneur en conseil a fait erreur en fondant sa décision sur le rapport de l’Office comme condition préalable adéquate
[465] La demande de Trans Mountain était complexe, soulevait des questions difficiles sur des sujets aussi divers que les droits et préoccupations des Autochtones, l’intégrité du pipeline, l’évolution et le comportement d’hydrocarbures déversés dans un environnement aquatique, la prévention, la préparation et l’intervention d’urgence, la réponse du projet à un besoin, la faisabilité économique du projet et les effets des activités de transport liées au projet.
[466] Le processus d’approbation a été long et exigeant pour tous les participants et, après l’audience, l’Office devait encore examiner des dizaines de milliers de pages de preuve.
[467] De nombreux aspects du rapport de l’Office ne sont pas contestés dans le cadre de la présente instance.
[468] Cela dit, je suis d’avis que l’Office a commis une erreur en excluant de façon injustifiable le transport maritime lié au projet de la définition de ce dernier. L’évaluation faite par l’Office du transport en lien avec le projet était suffisante pour informer le gouverneur en conseil des effets d’un tel transport sur l’épaulard résident du sud; le rapport de l’Office était aussi suffisant pour que le gouverneur en conseil remarque que l’Office avait exclu de façon injustifiable le transport lié au projet de la définition de ce dernier.
[469] C’est cette exclusion qui a permis à l’Office de conclure que l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril ne s’appliquait pas à son examen des effets du transport maritime associé au projet. Cette exclusion a ensuite permis à l’Office de conclure que, même s’il avait jugé que l’exploitation de navires en lien avec le projet était susceptible d’avoir des effets négatifs importants sur l’épaulard résident du sud, le projet (tel qu’il avait été défini par l’Office) n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants. L’Office pouvait uniquement parvenir à cette conclusion en définissant le projet de manière à exclure le transport connexe.
[470] L’exclusion injustifiée du transport maritime en lien avec le projet de la définition du projet a ainsi entraîné une série de vices, de sorte que le rapport de l’Office ne constituait pas un « rapport » qui pouvait fournir au gouverneur en conseil les renseignements et les évaluations dont il avait besoin pour déterminer l’intérêt public et prendre une décision sur les effets environnementaux et leur justification. Pour reprendre les termes de l’arrêt Gitxaala, ces vices ont donné lieu à un rapport lacunaire au point qu’il ne constitue pas un « rapport » au sens de la loi, et il était déraisonnable pour le gouverneur en conseil de s’en remettre à celui-ci. La conclusion de l’Office selon laquelle le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants était cruciale dans le rapport. Le défaut injustifié d’évaluer adéquatement les effets du transport maritime sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et la conclusion erronée qui en a découlé au sujet des effets du projet étaient tellement cruciaux que le gouverneur en conseil ne pouvait pas procéder aux évaluations des effets environnementaux du projet et de l’intérêt public qu’exige la loi.
[471] J’ai examiné le renvoi, dans la note explicative du décret, à l’engagement du gouvernement en vue du plan d’action proposé à l’égard de l’épaulard résident du sud et du Plan de protection des océans qui venait alors d’être annoncé. Ces initiatives naissantes, quoiqu’elles soient louables et doivent être encouragées, sont insuffisantes à elles seules pour permettre de remédier aux irrégularités importantes du rapport de l’Office parce que le « rapport » ne permettait pas au gouverneur en conseil de prendre une décision éclairée sur l’intérêt public et la question de savoir si le projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants, comme l’exige la loi.
[472] Il convient d’examiner ensuite la réparation qui devrait être accordée, le gouverneur en conseil s’en étant déraisonnablement remis au rapport de l’Office. À mon avis, il est préférable de traiter de cette question après l’examen de la qualité des consultations par la Couronne.
[473] Vu ma conclusion selon laquelle le rapport de l’Office était tellement vicié qu’il était déraisonnable pour le gouverneur en conseil de s’en remettre à celui-là, il est sans doute inutile d’examiner l’argument avancé par le procureur général de la Colombie-Britannique. Or, j’estime qu’il est néanmoins important d’en traiter brièvement.
3. La prétention du procureur général de la Colombie-Britannique
[474] Comme je l’explique aux paragraphes 64 et 65, après la présentation par l’Office au gouverneur en conseil d’un rapport comportant sa recommandation conforme à l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie quant à savoir si un certificat d’utilité publique devrait être délivré, le gouverneur en conseil peut, entre autres options, enjoindre par décret à l’Office de délivrer un certificat d’utilité publique. Peu importe l’option choisie, le gouverneur en conseil « énonce, dans le décret, les motifs de celui-ci » (paragraphe 54(2) de la Loi sur l’Office national de l’énergie). Le procureur général de la Colombie-Britannique est intervenu en l’espèce pour faire valoir que le gouverneur en conseil avait, en violation de cette obligation légale, omis d’expliquer pourquoi le projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants et pourquoi le projet est d’intérêt public.
[475] Le procureur général fait également valoir dans son mémoire, mais pas dans ses observations orales, que le gouverneur en conseil a omis de tenir compte des [traduction] « effets disproportionnés que pourraient avoir sur la Colombie-Britannique les risques de déversement posés par le transport maritime associé au projet ». Cette omission rendrait la décision du gouverneur en conseil déraisonnable.
[476] En conséquence, le procureur général de la Colombie-Britannique appuie la demande formulée par les demandeurs visant l’annulation du décret adopté par le gouverneur en conseil.
a) Le gouverneur en conseil a-t-il manqué à son obligation de fournir des motifs?
[477] L’élément central de l’argument du procureur général est sa prétention selon laquelle les motifs du gouverneur en conseil doivent se trouver [traduction] « à l’intérieur même du décret » et nulle part ailleurs. Ainsi, le procureur général affirme qu’on ne saurait tenir compte de la note explicative qui y est jointe ou des documents mentionnés dans cette note, y compris le rapport de l’Office et le rapport de consultation de la Couronne. Ainsi, le décret n’explique pas pourquoi le gouverneur en conseil a conclu que le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants ou qu’il était d’intérêt public.
[478] Sauf le respect que je dois au procureur général, je rejette la prémisse sous-tendant cette prétention. Le paragraphe 54(2) ne dicte pas la forme que devraient revêtir les motifs du gouverneur en conseil. Il exige uniquement que le gouverneur en conseil « énonce, dans le décret, les motifs de celui-ci ». Étant donné leur nature législative et leur format normalisé (généralement une série d’attendus suivis par une ordonnance), les décrets ne permettent pas aisément la présentation de longs motifs. En l’espèce, le décret de deux pages était accompagné d’une note explicative de 20 pages. Le décret et la note ont été publiés ensemble dans la Gazette du Canada [partie I, vol. 50, no 50, 10 décembre 2016]. Vu cette publication conjointe, il serait à mon avis indûment formaliste d’annuler le décret au motif que les motifs figurant dans la note explicative se trouvaient dans une pièce jointe au décret et non [traduction] « à l’intérieur même » du décret.
[479] De même, il serait indûment formaliste de négliger le rapport de l’Office, qui éclaire la décision du gouverneur en conseil. Le décret renvoyait expressément au rapport et aux conditions énoncées dans l’annexe du rapport, et a expressément accepté la recommandation de l’Office sur l’intérêt public. La conclusion selon laquelle le décret doit être interprété à la lumière du rapport de l’Office est conforme à l’arrêt Gitxaala, dans lequel notre Cour a accepté la prétention du Canada selon laquelle le décret devait être interprété à la lumière des conclusions et recommandations figurant dans le rapport de la commission d’examen conjoint. Ayant pris connaissance du contenu du décret, du rapport et des autres documents au dossier, la Cour a conclu que le gouverneur en conseil avait respecté son obligation légale d’énoncer les motifs.
[480] Je conclus par conséquent que le gouverneur en conseil a, en l’espèce, aussi respecté son obligation légale de fournir des motifs.
b) Le gouverneur en conseil a-t-il omis de tenir compte des effets que pourraient avoir sur la Colombie-Britannique les risques de déversement posés par le transport maritime associé au projet?
[481] Je ne suis pas d’accord pour dire que le gouverneur en conseil a omis de tenir compte des effets des risques de déversement liés au transport maritime. La note explicative montre que le gouverneur en conseil a tenu compte de ce qui suit :
• L’Office a conclu que le risque de déversement important de pétrole brut était faible (note explicative, page 10).
• L’Office a imposé des conditions liées aux accidents et aux défaillances (note explicative, page 13).
[482] Sous le titre « Réponse du gouvernement aux commentaires exprimés aux audiences », la note explicative indique ce qui suit au sujet des risques de déversement [aux pages 18 et 19] :
Les collectivités sont vivement préoccupées par le risque des déversements et leurs effets sur leurs terres, l’air, l’eau et les communautés locales. En plus des conditions relatives aux déversements énoncées par l’Office, les déversements d’hydrocarbures d’origine terrestre relèvent de la compétence fédérale et de la compétence provinciale. Les pipelines sous réglementation fédérale sont assujettis au dispositif réglementaire et à la surveillance de l’Office, qui impose aux exploitants de mettre en place des programmes de gestion des urgences et de travailler avec les services d’urgence locaux à l’élaboration de ces programmes. La Colombie-Britannique a récemment adopté des règlements en vertu de l’Environmental Management Act dans le but de renforcer la surveillance provinciale et d’exiger la collaboration entre l’industrie et le gouvernement aux interventions en cas de déversements dans la province.
Le gouvernement a récemment actualisé son système de sécurité des pipelines de calibre mondial par l’entremise de la Loi sur la sûreté des pipelines, qui est entrée en vigueur en juin 2016. La Loi prévoit une « responsabilité absolue » de 1 milliard de dollars qui précise que les exploitants devront assumer tous les coûts associés aux déversements, sans égard à la faute, jusqu’à concurrence de 1 milliard de dollars; les exploitants conservent une responsabilité illimitée au-delà de ce montant lorsque la faute leur incombe. La Loi exige aussi que les exploitants disposent des ressources financières nécessaires pour être en mesure de réagir immédiatement aux urgences.
En ce qui concerne les déversements provenant des navires, le gouvernement a récemment annoncé un nouvel investissement de 1,5 milliard de dollars dans le Plan de protection des océans pour renforcer son régime de sécurité maritime de calibre mondial. Ce Plan est axé sur quatre grandes priorités :
• créer un système de sécurité maritime de calibre mondial qui permet d’améliorer la navigation responsable et la protection des eaux canadiennes, notamment au moyen de nouvelles mesures de prévention et d’intervention;
• restaurer et protéger les écosystèmes et les habitats marins à l’aide de recherches et d’outils récents;
• renforcer nos partenariats et mettre en œuvre des pratiques de gestion conjointe avec les communautés autochtones, y compris développer la capacité d’intervention en cas d’urgence des autorités locales;
• investir dans la recherche et les méthodes de nettoyage des déversements d’hydrocarbures afin de veiller à ce que les décisions prises en situation d’urgence soient fondées sur des données probantes.
Le Plan tient compte des préoccupations concernant les déversements éventuels en mer en renforçant la capacité de la Garde côtière de prendre le commandement en cas d’urgences en mer, en durcissant les exigences touchant la réaction de l’industrie aux incidents et en renforçant les partenariats avec les autochtones.
[483] Bien que le procureur général de la Colombie-Britannique ne souscrive pas à l’appréciation par le gouverneur en conseil des risques de déversement important liés au transport maritime dans le cadre du projet, l’observation selon laquelle le gouverneur en conseil a omis de tenir compte des risques de déversement que pose le transport en question est dénuée de fondement.
[484] J’examine ensuite la qualité du processus de consultation.
D. La décision du gouverneur en conseil devrait-elle être annulée au motif que le Canada a omis de consulter adéquatement les demandeurs autochtones?
1. Les principes juridiques applicables
[485] Avant de commencer l’analyse, il est utile de traiter brièvement des principes qui se dégagent de la jurisprudence récente portant sur l’étendue et la teneur de l’obligation de consulter. Comme je l’explique au début des présents motifs, les principes applicables ne sont pas contestés; la question consiste à savoir si, d’après les faits de l’espèce (qui sont en bonne partie incontestés), le Canada s’est acquitté de son obligation constitutionnelle de consulter.
[486] L’obligation de consulter découle du principe de l’honneur de la Couronne et de la protection des « droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones » prévue au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. L’obligation de consulter et, s’il y a lieu, celle d’accommoder font partie du processus de conciliation et de négociation honorable (Nation haïda, paragraphe 32).
[487] L’obligation prend naissance lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui-ci (Nation haïda, paragraphe 35). Elle témoigne de la nécessité d’éviter que la mise en œuvre d’un projet particulier porte atteinte aux droits revendiqués ou reconnus.
[488] L’étendue ou la teneur de l’obligation de consulter est tributaire des faits. La consultation exigée est plus approfondie lorsque la revendication autochtone paraît de prime abord fondée et que l’effet sur le droit ou titre ancestral revendiqué est grave (Nation haïda, paragraphe 39; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, paragraphe 36).
[489] Lorsque la revendication du titre est peu solide, le droit ancestral limité ou le risque d’atteinte faible, l’obligation de consulter se trouve à l’extrémité inférieure du continuum. En pareil cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés des mesures envisagées, de communiquer les renseignements pertinents et de discuter des questions soulevées par suite de l’avis (Nation haïda, paragraphe 43). Lorsqu’une preuve à première vue solide de la revendication est établie, que le droit et l’atteinte potentielle sont d’une grande importance pour les Autochtones et que le risque de préjudice non indemnisable est élevé, l’obligation de consulter se trouve à l’extrémité supérieure du continuum. Bien que les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la tenue d’un processus de consultation approfondie pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs écrits montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant l’incidence de ces préoccupations sur la décision (Nation haïda, paragraphe 44).
[490] Le législateur peut décider de déléguer à un tribunal administratif les aspects procéduraux de l’obligation de consulter.
[491] La Cour suprême conclut que l’Office dispose des pouvoirs procéduraux nécessaires pour mener des consultations, ainsi que des pouvoirs de réparation lui permettant de prendre, au besoin, des mesures d’accommodement à l’égard des revendications autochtones et des droits ancestraux ou issus de traités touchés. La Couronne peut donc s’en remettre au processus de l’Office pour satisfaire, en tout ou en partie, à l’obligation de consulter qui lui incombe (Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069, paragraphe 34).
[492] Comme je le mentionne au paragraphe 284 des présents motifs, la Cour suprême estime que l’Office possède une importante expertise institutionnelle, tant pour effectuer des consultations que pour évaluer les effets environnementaux des projets proposés. Lorsque les effets d’un projet proposé sur un droit ancestral ou issu d’un traité chevauchent considérablement les répercussions environnementales potentielles du projet, l’Office « est bien placé pour superviser les consultations visant l’examen de ces effets, et pour utiliser son expertise technique afin d’évaluer les formes d’accommodement possibles » (Clyde River, paragraphe 33).
[493] Si la Couronne, pour s’acquitter de son obligation de consulter, a recours à un processus d’évaluation réglementaire ou environnemental, elle ne délègue pas pour autant sa responsabilité ultime de veiller à une consultation adéquate. C’est plutôt une façon pour la Couronne de s’assurer que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et, le cas échéant, que des accommodements ont été trouvés (Nation haïda, paragraphe 53).
[494] Le processus de consultation ne dicte pas un résultat concret particulier. Par conséquent, le processus de consultation ne donne pas aux groupes autochtones un droit de veto sur les mesures susceptibles d’être prises à l’égard des terres en cause en attendant que la revendication soit établie de façon définitive. Ce qu’il faut, c’est un processus de mise en balance des intérêts — de concessions mutuelles. Il n’y a pas non plus d’obligation de parvenir à une entente; il y a plutôt obligation de procéder à de véritables consultations (Nation haïda, paragraphes 42, 48 et 62).
[495] Des consultations menées de bonne foi peuvent révéler l’existence d’une l’obligation d’accommoder. Lorsque la revendication est établie au moyen d’une preuve à première vue solide et que la mesure proposée risque de porter atteinte de manière appréciable aux droits visés par la revendication, l’honneur de la Couronne pourrait bien commander l’adoption de mesures pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les conséquences de l’atteinte (Nation haïda, paragraphe 47).
[496] Les deux parties sont tenues de faire preuve de bonne foi dans le processus de consultation : « Le fil conducteur du côté de la Couronne doit être “l’intention de tenir compte réellement des préoccupations [des Autochtones]” à mesure qu’elles sont exprimées […] dans le cadre d’un véritable processus de consultation » (Nation haïda, paragraphe 42). La « question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones » (Nation haïda, paragraphe 45).
[497] Par ailleurs, les demandeurs autochtones ne doivent pas contrecarrer les efforts déployés de bonne foi par la Couronne et ne doivent pas non plus défendre des positions déraisonnables pour empêcher le gouvernement de prendre des décisions ou d’agir dans des cas où, malgré une véritable consultation, on ne parvient pas à s’entendre (Nation haïda, paragraphe 42).
[498] En l’espèce, le débat tourne en grande partie autour de la question de savoir ce qui constitue un véritable processus de consultation.
[499] Une véritable consultation ne vise pas simplement à donner aux Autochtones « l’occasion de se défouler » avant que la Couronne fasse ce qu’elle avait toujours eu l’intention de faire. La consultation est vide de sens si elle exclut dès le départ toute forme d’accommodement (Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, paragraphe 54).
[500] Il ne suffit pas, pour s’acquitter de cette obligation, de prévoir un simple mécanisme permettant aux intéressés d’échanger des renseignements et d’en discuter. Il doit y avoir une dimension concrète. La consultation, c’est l’action de se parler dans le but de se comprendre les uns les autres (Clyde River, paragraphe 49).
[501] Comme la Cour suprême le fait remarquer dans l’arrêt Nation haïda, au paragraphe 46, la véritable consultation n’est pas seulement un simple mécanisme d’échange de renseignements. Elle « comporte également des mises à l’épreuve et la modification éventuelle des énoncés de politique compte tenu des renseignements obtenus ainsi que la rétroaction ». Lorsque la tenue de consultations approfondies est nécessaire, il faut qu’il y ait un dialogue qui mène à une prise en compte sérieuse et manifeste des accommodements. Cette prise en compte sérieuse peut ressortir de l’obligation qu’a la Couronne dans le contexte des consultations de fournir des motifs écrits de sa décision.
[502] Lorsque, comme en l’espèce, la Couronne doit s’assurer d’équilibrer de multiples intérêts, une garantie obligeant la Couronne à expliquer dans des motifs écrits les incidences liées aux préoccupations des Autochtones sur la prise de décisions gagne en importance. En l’absence de cette garantie, d’autres questions peuvent éclipser ou supplanter celle des incidences sur les droits autochtones (Gitxaala, paragraphe 315).
[503] En outre, la Couronne est tenue de s’informer de l’effet qu’aura un projet proposé sur une Première Nation concernée et, si les circonstances le justifient, de lui communiquer ses constatations et de s’efforcer de tenir compte réellement des préoccupations de celle-ci (Première nation crie Mikisew, paragraphe 55).
[504] La consultation doit porter essentiellement sur les droits. Dans l’affaire Clyde River, l’Office avait conclu qu’il était peu probable que le projet ait des effets environnementaux négatifs sur les mammifères marins et que tout effet sur l’utilisation des ressources traditionnelles pourrait faire l’objet de mesures d’atténuation. Selon la Cour suprême, la consultation de l’Office était mal orientée. L’Office devait mettre l’accent sur les droits issus de traités des Inuits; « le processus consultatif ne vise pas vraiment les effets environnementaux en tant que tels, mais plutôt les effets sur le droit » (en italiques dans l’original) (Clyde River, paragraphe 45). Les mesures d’atténuation doivent donner une assurance raisonnable que les droits protégés par la Constitution ont été considérés en tant que droits — et non simplement comme un aspect accessoire de l’évaluation des préoccupations environnementales (Clyde River, paragraphe 51).
[505] Lors des consultations sur les effets possibles d’un projet, la Couronne doit tenir compte des restrictions qui ont été apportées aux droits ancestraux. Les effets cumulatifs d’un projet ainsi que le contexte historique peuvent donc être pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer l’étendue de l’obligation de consulter (Chippewas of the Thames, paragraphe 42).
[506] Deux derniers points. D’abord, si la Couronne sait, ou devrait savoir, que sa façon de faire peut avoir un effet préjudiciable sur un droit ou un titre ancestral de plus d’une Première Nation, chacune des Premières Nations concernées a droit à des consultations tenant compte des faits et des circonstances propres à chacune d’elles (Gitxaala, paragraphe 236).
[507] Ensuite, il est important de comprendre que l’intérêt public et l’obligation de consulter ne sont pas incompatibles. En tant qu’impératif constitutionnel, l’obligation de consulter fait naître un intérêt public spécial, qui l’emporte sur les autres préoccupations dont tiennent habituellement compte les tribunaux administratifs appelés à déterminer l’intérêt public. Dans le cas de l’Office, l’autorisation accordée à l’égard d’un projet qui viole les droits constitutionnels des peuples autochtones ne saurait servir l’intérêt public (Clyde River, paragraphe 40).
2. La norme à laquelle le Canada est tenu pour s’acquitter de l’obligation
[508] Comme je l’explique brièvement au paragraphe 226 des présents motifs, le Canada n’est pas tenu à une norme de perfection lorsqu’il s’acquitte de son obligation de consulter. La Cour suprême du Canada explique ainsi ce concept :
[…] La perfection n’est pas requise; il s’agit de se demander si, « considéré dans son ensemble, le régime de réglementation [ou la mesure gouvernementale] respecte le droit ancestral collectif en question » : Gladstone, précité, par. 170. Ce qui est requis, ce n’est pas une mesure parfaite mais une mesure raisonnable. Comme il est précisé dans Nikal, précité, par. 110, « [l]e concept du caractère raisonnable doit […] entrer en jeu pour ce qui […] concern[e] l’information et la consultation. […] Dans la mesure où tous les efforts raisonnables ont été déployés pour informer et consulter, on a alors satisfait à l’obligation de justifier. » Le gouvernement doit déployer des efforts raisonnables pour informer et consulter. Cela suffit pour satisfaire à l’obligation. [Non souligné dans l’original.]
(Nation haïda, paragraphe 62.)
[509] En l’espèce, comme dans l’affaire Gitxaala, « les sujets à l’égard desquels des consultations étaient nécessaires étaient nombreux, complexes, dynamiques et mettaient en cause un bon nombre de parties. Parfois, en tentant de s’acquitter de cette obligation, il peut se produire des omissions, des malentendus, des accidents et des erreurs. En tentant de s’acquitter de cette même obligation, il y aura des questions de jugement difficiles sur lesquelles des personnes raisonnables ne s’entendront pas » (Gitxaala, paragraphe 182).
[510] À la lumière de ce cadre juridique, j’aborde maintenant la conception et l’exécution par le Canada du processus de consultation en quatre étapes. Le processus a été lancé en mai 2013 par le dépôt de la description du projet et a pris fin en novembre 2016 avec la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet et d’ordonner la délivrance d’un certificat d’utilité publique.
3. Application des principes juridiques à la preuve
[511] Les demandeurs autochtones ont exprimé une foule de préoccupations au sujet du processus de consultation et ont fait valoir que celui-ci comportait de nombreuses lacunes. De façon générale, ils contestent à la fois la conception du processus et sa mise à exécution.
[512] Je me penche en premier lieu sur les lacunes reprochées au processus choisi et suivi par le Canada; j’examine ensuite les lacunes invoquées quant à la mise à exécution du processus.
a) La consultation était-elle lacunaire en raison du processus choisi et suivi par le Canada?
[513] De façon générale, les préoccupations les plus importantes soulevées au sujet du processus de consultation sont les suivantes :
i. Le cadre de consultation a été imposé unilatéralement.
ii. Le processus de l’Office national de l’énergie ne permettait pas de satisfaire à l’obligation de consulter.
iii. L’aide financière fournie était insuffisante.
iv. Le processus a permis l’approbation du projet alors qu’il manquait des renseignements essentiels.
[514] Ces prétentions sont examinées à tour de rôle.
(i) Le cadre de consultation a été imposé unilatéralement
[515] Il n’y a eu aucune consultation concrète avec les demandeurs autochtones au sujet du processus de consultation en quatre étapes.
[516] Cependant, comme le Canada le fait valoir, la Couronne a toute latitude pour définir la structure du processus de consultation et pour s’acquitter de son obligation de consulter (Gitxaala, paragraphe 203, citant Cold Lake First Nations c. Alberta (Tourism, Parks and Recreation), 2013 ABCA 443 (CanLII), 566 A.R. 259, paragraphe 39). Ce qui est requis, c’est un processus qui permet au Canada de déployer des efforts raisonnables pour informer et consulter (Nation haïda, paragraphe 62).
[517] Le processus de consultation en quatre étapes mené par le Canada est décrit aux paragraphes 72 à 75 des présents motifs. Bien que j’examine ci-après les faiblesses reprochées au processus d’audience publique de l’Office en l’espèce, la Cour suprême vient de confirmer que la Couronne peut s’en remettre à un organisme de réglementation pour satisfaire à son obligation de consulter dans la mesure où ce dernier dispose du pouvoir légal de faire ce que l’obligation de consulter impose dans les circonstances (Chippewas of the Thames, paragraphe 32). En l’espèce, aucun demandeur ne prétend que l’Office national de l’énergie ne disposait pas du pouvoir légal nécessaire pour satisfaire en partie à l’obligation de consulter de la Couronne. Il s’ensuit que le Canada pouvait s’en remettre à un processus de consultation faisant appel en partie au processus d’audience de l’Office, dans la mesure où il demeurait conscient de son obligation constitutionnelle de s’assurer que la consultation était adéquate avant d’approuver le projet.
[518] Le Canada a mis en œuvre un cadre de consultation en cinq étapes pour l’examen du projet Northern Gateway. Dans l’arrêt Gitxaala, la Cour conclut que ce cadre est raisonnable (Gitxaala, paragraphe 8). Lorsqu’on compare les deux cadres de consultation, peu de choses les distinguent. Le cadre relatif au projet Northern Gateway comprend une étape de plus, la première, simplement parce que le projet a été examiné par une commission d’examen conjoint et non par l’Office.
[519] Compte tenu de la latitude dont dispose le Canada pour définir la structure du processus de consultation, ainsi que des similarités entre le processus de consultation en l’espèce et celui qui a déjà été jugé raisonnable par la Cour, je suis convaincue que le Canada n’a pas manqué à son obligation de consulter en adoptant le processus de consultation en quatre étapes visé en l’espèce.
(ii) Le processus de l’Office ne permettrait pas de satisfaire à l’obligation de consulter
[520] Les demandeurs invoquent un certain nombre de lacunes dans le processus de l’Office et doutent qu’il permette de satisfaire, dans la mesure du possible, à l’obligation de consulter. Les lacunes reprochées sont notamment les suivantes :
• La décision de l’Office de ne pas permettre le contre-interrogatoire des témoins de Trans Mountain.
• Le traitement par l’Office de la preuve orale traditionnelle.
• Les délais fixés par l’Office qui, selon les groupes autochtones touchés, ne leur permettaient pas de s’informer de la complexité du projet et de participer au processus en ayant une bonne connaissance des enjeux et de leurs effets sur eux.
• L’omission par l’Office de consulter les groupes autochtones au sujet des décisions prises par l’Office avant ou pendant l’audience, notamment en ce qui concerne la liste des questions devant être traitées à l’audience, les membres de la formation chargée d’instruire la demande, la structure de l’examen réglementaire et de l’évaluation environnementale, le processus décisionnel, ainsi que le rapport et ses recommandations.
• L’absence de consultations directes et du dialogue requis avec le Canada, dans les circonstances où a été soulevée la crainte que la consultation prévue à l’étape III soit insuffisante et trop tardive.
[521] Il convient d’examiner les quatre premières lacunes ensemble, étant donné que le choix des procédures, le processus décisionnel et la décision ultime de l’Office découlent de ses pouvoirs en tant qu’organisme de réglementation sous le régime de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).
[522] Comme je l’explique plus haut, la Cour suprême estime qu’une véritable consultation par la Couronne peut être menée en tout ou en partie dans le cadre d’un processus réglementaire (Chippewas of the Thames, paragraphe 32). Avant cet arrêt, des préoccupations avaient été exprimées quant à la tension qui pourrait se faire sentir si un tribunal administratif comme l’Office était tenu de mener des consultations au nom de la Couronne puis de se prononcer sur la qualité de ces consultations. La Cour suprême répond à ces préoccupations en faisant remarquer que, bien que ce soit à la Couronne qu’incombe l’obligation constitutionnelle de consulter, les organismes comme l’Office sont tenus de rendre des décisions juridiques qui sont conformes à la Constitution. La Cour suprême explique, au paragraphe 34 :
[…] Lorsqu’il est appelé à se prononcer sur le caractère adéquat de la consultation incombant à la Couronne, [l’Office] peut tenir compte des mesures de consultation offertes, mais son obligation de neutralité demeure la même. Un tribunal respecte sa compétence lorsqu’il exerce les fonctions que le législateur lui a attribuées dans une loi, et que ses décisions sont conformes à la loi et à la Constitution. [Non souligné dans l’original.]
[523] Après avoir appliqué ces principes aux observations présentées à la Cour et compte tenu du fait que j’examine uniquement à la présente étape les observations sur le caractère adéquat ou non du processus de consultation, je conclus que l’Office était tenu de prévoir un processus impartial, juste et conforme à son cadre législatif et à la Constitution.
[524] Comme je l’explique plus haut, l’article 8 de la Loi sur l’Office national de l’énergie autorise l’Office à établir des règles concernant le déroulement de ses audiences, et les règles de l’Office l’habilitent à décider si les audiences publiques devant lui sont instruites oralement ou sur dossier. Aux termes de l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, l’Office doit présenter son rapport au ministre dans un délai strict. Il s’ensuit que l’Office peut décider de ne pas permettre les contre-interrogatoires oraux, déterminer de quelle façon la preuve orale traditionnelle sera entendue et fixer une audience pour se conformer à l’article 52 de la Loi sur l’Office national de l’énergie si, à la fin de l’audience, l’Office est convaincu qu’il s’est acquitté de ses responsabilités de façon juste et impartiale et conformément à sa loi habilitante et à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
[525] De même, en sa qualité d’arbitre neutre, l’Office était autorisé à prendre les décisions que la loi exigeait de lui, notamment en ce qui concerne les questions à trancher à l’audience, la composition de la formation chargée de l’audience et la teneur de son rapport ultime. Dans la mesure où ces décisions ont été prises de manière juste et impartiale et conformément au régime législatif et au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, elles étaient également valides. Les demandeurs autochtones n’ont pas établi qu’un dialogue ou un processus plus approfondi aurait été nécessaire entre eux et l’Office pour que la décision de l’Office soit conforme à la Constitution.
[526] Autrement dit, lorsque le processus de l’Office sert, en totalité ou en partie, à satisfaire à l’obligation de consulter, le processus d’audience réglementaire demeure le même, tout comme le rôle de l’Office en tant qu’arbitre neutre. Ce qui change, c’est que le processus de l’Office sert également à répondre, dans la mesure du possible, à l’impératif constitutionnel voulant qu’un projet ne soit pas approuvé si l’obligation de consulter n’a pas été respectée.
[527] Abordons la dernière lacune qui aurait empêché le processus de l’Office de permettre qu’il soit satisfait, même en partie, à l’obligation de consulter : le défaut par l’Office d’autoriser que les consultations requises se déroulent directement avec le Canada.
[528] Les demandeurs autochtones n’invoquent aucun précédent à l’appui de leur argument selon lequel le Canada était tenu à un dialogue direct avec eux lors du processus d’audience de l’Office (c’est-à-dire à l’étape II). À mon avis, on peut répondre à cet argument succinctement.
[529] Comme je le mentionne plus haut, la Couronne peut procéder à une véritable consultation intégralement dans le cadre d’un processus réglementaire, dans la mesure où, lorsque le processus réglementaire auquel elle s’en remet ne lui permet pas de satisfaire adéquatement à son obligation de consulter ou d’accommoder, elle doit prendre des mesures supplémentaires pour ce faire, par exemple, en comblant les lacunes au cas par cas (Clyde River, paragraphe 22).
[530] Dans l’affaire qui nous occupe, l’étape III a été conçue pour combler les lacunes du processus réglementaire de l’étape II. En effet, l’étape III devait porter sur les préoccupations qui demeuraient quant aux effets du projet sur des droits ancestraux ou issus de traités, potentiels ou établis, ainsi que sur les mesures d’accommodement supplémentaires que le Canada devrait examiner. Faisant abstraction de la question de savoir si l’étape III a permis de combler adéquatement les lacunes du processus de consultation, point que j’aborde ci-après, j’estime que les demandeurs autochtones n’ont pas démontré que le processus de consultation exigeait la participation directe du Canada au processus réglementaire.
[531] Pour tous ces motifs, je suis convaincue que le processus suivi par l’Office permettait de satisfaire à ses obligations en matière de consultations.
[532] L’autre préoccupation soulevée à l’égard du processus de consultation veut que l’aide financière accordée aux participants aurait été insuffisante.
(iii) L’aide financière fournie aurait été insuffisante
[533] Deux des demandeurs autochtones soulèvent l’insuffisance de l’aide financière fournie : les Squamish et les SSN.
[534] Les Squamish ont demandé une aide financière de 293 350 $ pour participer au processus de l’Office, mais on leur a accordé seulement 44 270 $ et acquitté les frais de déplacement d’une personne pour qu’elle puisse assister à l’audience. Le Canada a par la suite offert de leur verser 26 000 $ pour leur participation aux consultations postérieures à la fermeture du dossier de l’audience. L’annexe du rapport sur les consultations de la Couronne qui porte sur les Squamish indique que le Bureau des évaluations environnementales de la Colombie-Britannique a également offert aux Squamish 5 000 $ à titre de financement pour leur permettre de participer aux consultations.
[535] Le chef Campbell de la Nation Squamish a déclaré que l’aide financière fournie aux Squamish n’était pas suffisante pour leur permettre de retenir les services d’experts pour examiner la demande de projet de nature très technique, qui faisait 15 000 pages et s’étalait sur 8 volumes, et y répondre. À son avis, l’aide financière fournie ne permettait pas non plus aux Squamish d’entreprendre une évaluation complète des effets du projet sur les droits et le titre des Squamish. Il a indiqué que le budget limité des Squamish sert entièrement à répondre à leurs besoins et que la seule raison pour laquelle les Squamish participaient à l’audience et au processus de consultation était [traduction] « pour se défendre, à savoir pour protéger nos droits et notre titre ».
[536] Les SSN ont demandé une aide financière de plus de 300 000 $ pour les honoraires d’avocat et d’experts, les frais de déplacement, les frais engagés pour assister aux réunions et les frais liés à la collecte de renseignements. Ils ont reçu une aide financière aux participants de 36 920 $, et les frais de déplacement de deux membres pour qu’ils assistent à l’audience ont été acquittés. Le Canada a par la suite offert de leur verser 39 000 $ pour leur participation aux consultations postérieures à la fermeture du dossier de l’audience. Le Bureau des évaluations environnementales de la Colombie-Britannique leur a également offert un certain financement de la capacité.
[537] Les SSN affirment que le Canada savait qu’ils demandaient une aide financière en grande partie pour réaliser une étude sur l’usage traditionnel des terres et des ressources. Ils soutiennent que le Canada savait que des études semblables avaient été réalisées pour d’autres groupes autochtones dans le cadre du projet, mais que ni le Canada, ni le promoteur n’avait entrepris une telle étude pour les SSN.
[538] Je conviens que l’aide financière accordée aux Squamish et aux SSN a limité leur participation au processus devant l’Office national de l’énergie. Toutefois, comme le Canada le soutient, il est difficile de croire que l’aide financière aux participants pose problème de façon systématique lorsque seuls deux demandeurs soulèvent la question.
[539] Dans l’arrêt Gitxaala, la Cour rejette l’argument selon lequel l’aide financière fournie pour faciliter la participation au processus de la commission d’examen conjoint et au processus de consultation était insuffisante. La Cour souligne, au paragraphe 210, que les éléments de preuve à l’appui de cet argument :
[…] n’expliquent pas comment les montants ont été calculés et ne donnent aucun détail sur les ressources financières dont disposaient les Premières Nations en sus de celles fournies par le Canada. Par conséquent, la preuve ne permet pas d’établir que le financement dont disposaient les groupes autochtones était si insuffisant que le processus de consultation était devenu déraisonnable.
[540] On peut dire la même chose des éléments de preuve déposés dans le cadre de la présente demande. Bien que les SSN aient annexé à l’affidavit de Jeanette Jules leur demande d’aide financière aux participants (pièce D), au moment où cette demande a été présentée, les SSN n’avaient pas encore déterminé quel expert ou quels experts ils allaient engager, et ils ignoraient le nombre d’heures que l’expert ou les experts étaient susceptibles de facturer ainsi que le taux horaire pratiqué. Ils ont seulement indiqué qu’ils s’attendaient à avoir besoin de 80 000 $ pour mener une étude sur l’usage traditionnel des terres et d’environ 30 000 $ supplémentaires pour mener une étude sur les espèces sauvages. Aucun des demandeurs n’a fourni de renseignements au sujet des ressources financières dont ils disposaient.
[541] La preuve n’a pas démontré que l’aide financière aux participants était insuffisante au point de rendre l’ensemble du processus de consultation déraisonnable.
(iv) Le processus a permis l’approbation du projet alors qu’il manquait des renseignements essentiels
[542] La dernière lacune soulevée relativement au processus de consultation porte sur la nature du processus d’approbation des projets suivi par l’Office. Des demandeurs autochtones soutiennent qu’il était déraisonnable de la part du Canada de s’en remettre au processus d’audience de l’Office, puisque les effets possibles du projet sur le titre et les droits demeuraient inconnus étant donné que l’étude de ces effets et des mesures proposées dans le rapport de l’Office pour les atténuer n’allait être menée qu’à une date ultérieure, soit après l’approbation du projet par le gouverneur en conseil. Ils soutiennent que le Canada ne peut pas s’acquitter de son obligation de consulter sur le fondement de l’évaluation des effets menée par l’Office si cette dernière ne tient pas compte de l’ensemble des effets possibles.
[543] Aux paragraphes 286 et suivants des présents motifs, je décris en détail le processus d’approbation suivi par l’Office en analysant l’argument de Burnaby selon lequel ce processus ne respectait pas l’équité procédurale, car l’évaluation de renseignements importants était, selon Burnaby, reportée et déléguée.
[544] Aux paragraphes 322 et suivants des présents motifs, j’examine l’argument de Burnaby et des Coldwater selon lequel le gouverneur en conseil a commis une erreur en concluant que le rapport de l’Office constituait un rapport, parce que l’Office avait omis de trancher certaines questions avant de recommander l’approbation du projet. Mon analyse des préoccupations soulevées par les Coldwater au sujet du défaut de l’Office de considérer l’option ouest commence au paragraphe 375 des présents motifs. Aux paragraphes 384 et 385, je conclus que le tracé du pipeline devant traverser la vallée de la rivière Coldwater n’est pas arrêté.
[545] Cette analyse met en contexte les préoccupations soulevées par les Coldwater et d’autres demandeurs quant à la question de savoir s’il était raisonnable que le Canada s’en remette à un processus à l’issue duquel bon nombre de questions importantes étaient toujours sans réponse au moment où le gouverneur en conseil a approuvé le projet.
[546] À mon avis, l’analyse de la Cour suprême dans les arrêts connexes Clyde River et Chippewas of the Thames permet de répondre à ces préoccupations. Dans ces arrêts, la Cour suprême explique que le processus d’approbation de l’Office peut donner naissance à l’obligation de consulter lorsqu’il est susceptible d’avoir des effets préjudiciables sur les droits ancestraux ou issus de traités (Clyde River, paragraphes 25 à 29; Chippewas of the Thames, paragraphes 29 à 31).
[547] Si on applique ce principe aux préoccupations des Coldwater quant à l’option ouest et à la protection de leur aquifère, la décision de l’Office au sujet du tracé détaillé du pipeline à proximité de la réserve de Coldwater donnera naissance à l’obligation de consulter, parce que le Canada aura connaissance, concrètement ou par imputation, des effets possibles de cette décision sur l’aquifère des Coldwater qui se trouve sous la réserve de Coldwater. Une fois que l’obligation a été déclenchée, l’Office ne peut prendre une décision qu’après s’être informé des effets du projet sur l’aquifère et il doit prendre en compte les droits et les intérêts des Coldwater avant de prendre une décision définitive au sujet du tracé du pipeline et du respect de la condition 39 (Chippewas of the Thames, paragraphe 48). La responsabilité de veiller à ce que la décision de l’Office préserve l’honneur de la Couronne continue de reposer sur le Canada (Clyde River, paragraphe 22). Il s’agit là, à mon avis, d’une réponse complète à la préoccupation selon laquelle le cadre de consultation était lacunaire parce que certaines décisions devaient encore être prises après l’approbation du projet par le gouverneur en conseil.
(v) Conclusion au sujet du caractère adéquat ou non du processus choisi et suivi par le Canada
[548] Dans les arrêts Clyde River et Chippewas of the Thames, la Cour suprême fournit des renseignements utiles sur les facteurs qui aident à décider si un processus de consultation est raisonnable. En l’espèce :
• Les demandeurs autochtones ont été informés à l’avance du projet, du processus d’audience de l’Office, du cadre du processus de consultation et de l’intention du Canada de s’en remettre au processus de l’Office national de l’énergie, dans la mesure du possible, pour s’acquitter de son obligation de consulter.
• L’Office et le Canada (ainsi que la Couronne provinciale) ont fourni de l’aide financière aux demandeurs autochtones.
• Le processus de l’Office a permis aux demandeurs autochtones de fournir une preuve écrite et une preuve orale traditionnelle, d’interroger Trans Mountain et les intervenants du fédéral au moyen de demandes de renseignements, et de présenter par écrit et de vive voix des observations finales.
• Le cadre réglementaire a permis à l’Office d’imposer des conditions à Trans Mountain en vue d’atténuer les risques posés par le projet à l’égard des droits et du titre des demandeurs autochtones.
• Après la fermeture du dossier de l’audience et avant la décision du gouverneur en conseil, le Canada a tenu une étape de consultation additionnelle, l’étape III, visant à lui permettre d’examiner les préoccupations qui demeuraient après l’audience, les conditions proposées par l’Office et les engagements pris par Trans Mountain.
• Le Canada savait qu’il disposait de plusieurs options si les groupes autochtones soulevaient à l’étape III des préoccupations qui subsistaient, et il en a avisé les demandeurs autochtones. Parmi ces options, notons celle de demander à l’Office national de l’énergie de réexaminer ses recommandations et ses conditions, celle de mener des consultations additionnelles avant de délivrer de nouveaux permis ou autorisations, et celle de recourir aux politiques existantes ou nouvelles ainsi qu’aux programmes pour répondre aux préoccupations qui subsistaient.
[549] Je suis convaincue que le cadre de consultation choisi par le Canada était raisonnable. Convenablement mis en œuvre, il était suffisant pour permettre au Canada de déployer des efforts raisonnables pour s’informer et consulter. Autrement dit, convenablement mis en œuvre, ce processus aurait pu mener à une compréhension mutuelle sur les points fondamentaux et à une prise en compte sérieuse et manifeste des mesures d’accommodement.
b) Le processus de consultation était-il vicié en raison de la manière dont il a été mené par le Canada?
[550] Le Canada soutient que le processus de consultation a permis une consultation approfondie tant sur le plan de la forme que sur celui du fond. Il souligne particulièrement les éléments suivants :
• Les demandeurs autochtones ont été avisés tôt du projet proposé, du processus d’audience de l’Office, du processus de consultation qu’il tiendrait ainsi que de l’intention du Canada de s’en remettre au processus de l’Office, dans la mesure du possible, pour s’acquitter de son obligation de consulter.
• L’Office a obligé Trans Mountain à procéder à de vastes consultations avant de déposer sa demande pour tenter de remédier à certains effets possibles par voie de modifications au projet et à sa conception.
• Le Canada et l’Office ont fourni des fonds aux demandeurs autochtones pour faciliter leur participation.
• Les demandeurs autochtones ont eu l’occasion de présenter devant l’Office une preuve traditionnelle orale et une preuve écrite, d’interroger Trans Mountain et les intervenants fédéraux et de présenter des observations de vive voix et par écrit. Le rapport de l’Office énumère les conditions imposées en vue notamment d’atténuer ou d’éviter les effets sur les groupes autochtones ou d’y répondre et explique la manière dont l’Office s’y est pris pour étudier les préoccupations de ces derniers et y répondre.
• Le Canada a prolongé le délai légal dont dispose le gouverneur en conseil pour prendre sa décision et a discuté, de vive voix et par correspondance, avec les demandeurs autochtones des préoccupations auxquelles l’Office n’avait peut-être pas répondu adéquatement en vue d’établir une collaboration pour trouver des mesures d’accommodement possibles.
• Le Canada a établi le rapport sur les consultations de la Couronne pour informer les décideurs représentant l’État et a sollicité les commentaires des demandeurs autochtones à propos de deux ébauches de ce rapport.
• Le Canada a examiné les estimations relatives aux émissions de gaz à effet de serre en amont concernant le projet, a établi un comité ministériel chargé de solliciter l’avis du public et a tenu une séance de travail à Kamloops.
• Le Canada a pris d’autres mesures d’accommodement, dont la création d’un comité de consultation et de surveillance autochtone et l’adoption du Plan de protection des océans et du Plan d’action pour le rétablissement de l’épaulard résident du sud.
• Le Canada a assorti l’approbation conditionnelle du projet de motifs expliquant l’examen des préoccupations des Autochtones et la réponse fournie.
[551] La Cour dans l’arrêt Gitxaala estime que le processus de consultation mis en place à l’égard du projet Northern Gateway est loin d’être adéquat. Or, le Canada affirme que les lacunes relevées dans cette affaire n’ont pas été répétées en l’espèce. Des mesures précises ont été prises pour corriger les lacunes du processus précédent. Ainsi :
i. Le Canada a prolongé de quatre mois le processus de consultation pour permettre des consultations approfondies des groupes autochtones éventuellement touchés, une participation accrue du public et une évaluation des émissions de gaz à effet de serre attribuables au projet.
ii. Le décret indique expressément que le gouverneur en conseil est convaincu « que le processus de consultation est compatible avec l’honneur de la Couronne et que les préoccupations et intérêts ont fait l’objet de mesures d’accommodement appropriées ». Les raisons étayant cette conclusion sont énumérées dans la note explicative.
iii. Le Canada a fourni dès le mois d’août 2016 son évaluation préliminaire de la solidité des revendications par les groupes autochtones relatives aux droits pour permettre à ces derniers de faire leurs commentaires à cet égard. L’évaluation finale figure dans le rapport sur les consultations de la Couronne.
iv. Les représentants du Canada ont rencontré les groupes autochtones et échangé avec eux. De plus, plusieurs ministres ont rencontré les groupes autochtones. Certes, le gouverneur en conseil a accepté le rapport de l’Office national de l’énergie, mais, outre les conditions qui y étaient imposées, le rapport sur les consultations de la Couronne fait également état d’un engagement à concevoir, à financer et à mettre sur pied un comité de consultation et de surveillance autochtone à l’égard du projet, et la Note explicative renvoie à deux nouvelles initiatives, soit le Partenariat pour l’accès aux retombées économiques et le Plan de protection des océans.
v. Pour assurer l’exactitude des renseignements fournis au gouverneur en conseil, deux ébauches du rapport sur les consultations de la Couronne ont été transmises aux groupes autochtones pour commentaires, et ceux-ci ont été invités à présenter leurs propres observations au gouverneur en conseil.
vi. La consultation avait pour point de départ les faits et les circonstances propres à chaque groupe autochtone. Le rapport sur les consultations de la Couronne présente une annexe détaillée concernant chaque groupe autochtone éventuellement touché. Elle présente des renseignements contextuels, l’évaluation préliminaire de la solidité de la revendication par le groupe donné à l’égard des droits, un résumé de la participation du groupe au processus de l’Office et de consultation de la Couronne, un résumé des intérêts et des préoccupations du groupe, les mesures d’accommodement proposées; la réponse du groupe au rapport de l’Office, les effets potentiels du projet sur les intérêts autochtones du groupe et les conclusions de la Couronne.
[552] Je reconnais qu’il y a eu des améliorations importantes dans le processus de consultation. Par exemple, dans l’arrêt Gitxaala, la Cour souligne notamment les faits suivants :
• les demandes de prorogation sont restées lettres mortes (motifs, paragraphes 247 et 250);
• des renseignements inexacts ont été soumis au gouverneur en conseil (motifs, paragraphes 255 à 262);
• les demandes de renseignements n’ont pas produit de réponse (motifs, paragraphes 272 et 275 à 278);
• le Canada n’a pas communiqué son évaluation de la solidité des revendications de droits ou titres ancestraux ou son évaluation sur les effets du projet (motifs, paragraphes 288 à 309);
• le Canada a reconnu que les consultations menées à l’égard de certaines questions avaient été nettement insuffisantes (motifs, paragraphe 254).
[553] Il ne fait aucun doute que le processus de consultation mis en place en l’espèce était généralement bien organisé, et son déroulement moins expéditif que celui dans l’affaire Gitxaala (sauf pour ce qui est de la dernière partie de l’étape III). Aucun motif raisonnable ne permet d’affirmer que les renseignements dont disposait le Canada n’ont pas été fournis ou que les demandes de renseignements sont restées lettres mortes.
[554] Les ministres se sont montrés disponibles et ont entretenu un dialogue respectueux, tant dans leurs conversations que dans leur correspondance, avec les représentants de demandeurs autochtones.
[555] Chaque demandeur s’est vu offrir des fonds supplémentaires pour faciliter sa participation aux discussions avec l’équipe des consultations avec la Couronne après la publication du rapport de l’Office et de ses recommandations. Le Bureau de l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique a également offert des fonds pour la consultation.
[556] Le rapport des consultations de la Couronne fournit des détails sur la démarche du Canada relative aux consultations, les préoccupations des demandeurs autochtones et les conclusions du Canada. Il est assorti d’une annexe présentant les renseignements concernant chacun des groupes autochtones (décrite au paragraphe 551vi)).
[557] Toutefois, pour les motifs énoncés ci-après, l’exécution par le Canada de l’étape III du processus de consultation s’est révélée lacunaire au point d’en être inacceptable et insuffisante pour respecter la norme issue de la jurisprudence de la Cour suprême. Ainsi, le processus de consultation n’a pas permis de donner lieu à des consultations raisonnables.
[558] En bref, le Canada n’était pas simplement tenu de recueillir et de comprendre les préoccupations des demandeurs autochtones; il devait prendre part à un véritable dialogue réfléchi. Il en a été empêché par la manière dont ses représentants, au sein de l’équipe des consultations avec la Couronne, ont exécuté leur mandat. Pour l’essentiel, ses représentants se sont contentés de consigner les préoccupations des demandeurs autochtones et de les transmettre aux décideurs.
[559] Le dossier en général ne révèle pas de véritable dialogue réfléchi en réponse aux préoccupations exprimées par les groupes autochtones. S’il ressort du dossier quelques exemples de réponses aux préoccupations, ceux-ci ne suffisent pas à compenser l’absence générale de réaction de la part du Canada. La jurisprudence de la Cour suprême souligne à maintes reprises l’importance d’un véritable dialogue. La Couronne ne saurait se contenter de recueillir et de consigner les préoccupations et les plaintes. Notre Cour, dans l’arrêt Gitxaala, au paragraphe 265, fait les remarques suivantes à propos du mandat limité des représentants du Canada :
Lorsque le rôle des représentants du Canada est vu sous cet angle, il n’est pas étonnant qu’un certain nombre des préoccupations soulevées par les groupes autochtones aient été laissées en plan et n’aient fait l’objet d’aucune discussion. À notre avis, des préoccupations fondamentales à leurs intérêts légitimes n’ont pas été examinées ni discutées. Ceci ne correspond pas à la conduite nécessaire pour rencontrer le devoir de consulter.
[560] En outre, l’étape III concernait deux questions : les préoccupations qui subsistaient à propos des effets associés au projet et les mesures d’accommodement supplémentaires nécessaires pour y remédier. La faculté du Canada de procéder à des consultations et d’établir un dialogue à ce sujet était limitée par deux autres contraintes. Premièrement, le Canada s’est montré réticent à s’écarter des conclusions de l’Office et des conditions qu’il avait recommandées pour être en mesure de saisir le fond des préoccupations des demandeurs autochtones, puis d’y réfléchir et d’y répondre véritablement et adéquatement. Deuxièmement, le Canada estimait, à tort, qu’il ne pouvait imposer d’autres conditions à Trans Mountain.
[561] Ces trois facteurs ont concouru à un processus de consultation qui s’est révélé insuffisant et, par conséquent, déraisonnable. Le Canada a ensuite empiré la situation en communiquant tardivement son avis selon lequel le projet n’aurait pas d’effet important sur les droits établis et revendiqués des demandeurs autochtones. Cet avis a été communiqué à ces derniers deux semaines avant la date à laquelle ils devaient présenter leur réponse finale au processus de consultation et moins d’un mois avant l’approbation du projet par le gouverneur en conseil.
[562] Commençons par souligner la nécessité d’un véritable dialogue à propos du projet avant de décrire en détail les trois obstacles importants à de véritables consultations : les membres de l’équipe des consultations avec la Couronne estimaient que leur mandat se limitait essentiellement à prendre des notes; le Canada était réticent à dévier des conclusions de l’Office et des conditions qu’il avait imposées; le Canada croyait à tort qu’il n’était pas habilité à imposer d’autres conditions à Trans Mountain. Je traiterai ensuite de la communication tardive de l’évaluation de l’effet du projet sur les demandeurs autochtones. Enfin, j’examinerai des exemples démontrant que ces obstacles ont contrarié la tenue d’un véritable dialogue.
[563] La jurisprudence de la Cour suprême sur l’obligation de consulter est sans équivoque. Les demandeurs autochtones ont droit à un dialogue qui, d’une part, démontre que le Canada a non seulement entendu leurs préoccupations réelles et précises, mais a également réfléchi sérieusement à celles-ci et aux mesures d’accommodement proposées et, d’autre part, qui explique la part des préoccupations dans sa décision d’approuver le projet. Les exemples qui suivent démontrent que le Canada n’a pas respecté ses obligations.
(i) La nécessité d’un véritable dialogue
[564] Il est acquis en droit que des consultations raisonnables sont subordonnées à la tenue d’un véritable dialogue. Comme nous l’expliquons aux paragraphes 499 à 501 des présents motifs, des consultations véritables ne se résument pas à un simple échange de renseignements. Dans la mesure où des consultations approfondies sont nécessaires, comme en l’espèce, la tenue d’un dialogue est essentielle, et ce dernier doit mener à un examen, que l’on peut qualifier de sérieux, de mesures d’accommodement. La Couronne doit être disposée à modifier ses actions sur le fondement des renseignements et des avis issus des consultations.
[565] La nécessité d’un véritable dialogue existe et joue en fonction du contexte. En l’espèce, l’étape III constituait une partie cruciale du cadre des consultations, et ce pour plusieurs raisons.
[566] Premièrement, l’étape III présentait la première occasion pour les demandeurs autochtones d’établir un dialogue direct avec le Canada sur le fond, et non sur le processus.
[567] Deuxièmement, le rapport de l’Office ne traitait pas de toutes les questions appelant des consultations. Par exemple, l’Office n’a tiré aucune conclusion sur la nature et la portée des droits (y compris le titre) ancestraux établis ou revendiqués. L’Office ne s’est pas attaché non plus à déterminer la teneur de l’obligation de consulter de la Couronne ni à décider si elle s’en était acquittée. En outre, ni Trans Mountain dans sa demande, ni l’Office dans son rapport, n’ont cherché à savoir si les effets du projet, ou le projet lui-même, nuiraient aux régimes traditionnels d’exercice des pouvoirs et aux revendications du titre ancestral (rapport sur les consultations de la Couronne, sections 1.4, 4.3.4 et 4.3.5). Le Canada était tenu à des consultations sur ces questions.
[568] Troisièmement, ni Trans Mountain, ni l’Office n’ont évalué les effets du projet de façon spécifique sur chaque groupe autochtone touché. Trans Mountain a plutôt évalué les effets découlant de la construction et de l’exploitation du projet (y compris les risques d’accidents et de défectuosités) susceptibles de porter atteinte aux ressources biophysiques et socioéconomiques dans la région visée par le projet ainsi que les utilisations, pratiques et activités des Autochtones à l’égard de ces ressources. L’Office a entériné cette démarche (rapport de l’Office, pages 52 et 53).
[569] Enfin, la publication du rapport et des conditions finales de l’Office a donné le coup d’envoi à l’étape III. Le rapport présente les conclusions qui importent considérablement aux demandeurs, car elles ont mené le Canada à constater que le projet aurait des effets variant de faibles à modérés sur les demandeurs autochtones. Sur le plan juridique, cette constatation a eu une incidence directe sur la portée des consultations nécessaires et la nécessité de mesures d’accommodement. Les deux exemples qui suivent illustrent l’importance des conclusions de l’Office aux yeux des demandeurs autochtones.
[570] Le premier concerne l’évaluation des effets potentiels du projet sur la pêche en eau douce. L’Office est d’avis que les types de franchissement des cours d’eau proposés, les mesures d’atténuation, les activités de remise en état et la surveillance environnementale post-construction sont appropriés et parviendront à réduire l’étendue des effets sur les poissons et leur habitat. Les franchissements des cours d’eau devront satisfaire aux lois et règlements fédéraux et provinciaux et nécessiteraient des permis délivrés sous le régime de la Water Sustainability Act, S.B.C. 2014, ch. 15, une loi de la Colombie-Britannique. L’Office souscrit à l’évaluation effectuée par Trans Mountain selon laquelle la majorité des franchissements de cours d’eau n’infligeront pas de dommages sérieux au sens où il faut l’entendre pour l’application de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14 (rapport de l’Office, page 189).
[571] Les Stó:lō ont le droit, protégé par la Constitution et confirmé par la Cour suprême du Canada, de pêcher dans le fleuve Fraser. Dans la partie de l’annexe au rapport sur les consultations de la Couronne consacrée aux Stó:lō, le Canada constate que la construction du projet et l’entretien courant en cours d’exploitation emporteront selon toute vraisemblance un effet, variant de faible à modéré, sur les activités de pêche en eau douce et en mer et de récolte de ce groupe (annexe consacrée aux Stó:lō, pages 26 et 27). Cette constatation découle directement de la conclusion de l’Office selon laquelle les activités associées au projet sont susceptibles d’entraîner des effets d’une ampleur variant de faible à modérée sur la pêche en eau douce et en mer et l’habitat du poisson et de la conclusion selon laquelle, si le projet est approuvé, les conditions imposées par l’Office permettraient d’éviter ou de réduire directement ou indirectement les effets environnements potentiels sur les activités de pêche (annexe consacrée aux Stó:lō, pages 24 et 25).
[572] Le deuxième exemple concerne la faculté pour les groupes autochtones d’utiliser les terres, l’eau et les ressources à des fins traditionnelles. Selon l’Office, la construction et les activités d’entretien courant nuiront temporairement à ces fins, et la pratique de certaines activités, comme la récolte et l’accès à des régions où il y a usage des terres et des ressources à des fins traditionnelles, sera interrompue temporairement. De l’avis de l’Office, ces effets seront de courte durée, car ils seront limités à de brèves périodes pendant la construction et l’entretien courant, et seront confinés à l’empreinte du projet du pipeline, aux installations connexes et à la partie terrestre du site du terminal maritime Westridge. Ces effets seront réversibles à court ou à long terme et de faible ampleur (rapport de l’Office, page 289). En outre, selon l’Office :
• la construction et l’exploitation du pipeline, des installations et du terminal maritime Westridge associés au projet ainsi que le transport maritime sont susceptibles d’avoir des effets environnementaux variant de faible à modérés sur les espèces terrestres, aquatiques et marines récoltées par les groupes autochtones dans leur ensemble (rapport de l’Office, pages 209, 227 à 230 et 365);
• la construction du terminal maritime Westridge, du pipeline et des installations connexes sont susceptibles de causer une interruption temporaire de l’accès par les membres des communautés autochtones aux lieux traditionnels de chasse, de piégeage et de cueillette (rapport de l’Office, page 289);
• le transport maritime connexe au projet est susceptible de perturber temporairement les activités ou l’accès aux sites pendant la période pendant laquelle les navires-citernes du projet sont en transit (rapport de l’Office, page 374).
[573] À la lumière de ces conclusions, le Canada est d’avis que la construction et l’exploitation du projet et le transport maritime connexe au projet auront des effets négligeables à mineurs sur les activités de chasse, de piégeage et de cueillette des Tsleil-Waututh et des Squamish, des effets mineurs dans le cas des Stó:lō et des SSN, ainsi que des effets mineurs à modérés dans le cas des Coldwater et des Upper Nicola.
[574] L’importance cruciale des conclusions de l’Office pour les demandeurs autochtones commandait un véritable dialogue portant sur celles-ci. Passons à l’étape III du processus de consultation, à commencer par le mandat de l’équipe des consultations avec la Couronne.
(ii) L’exécution par l’équipe des consultations avec la Couronne de son mandat
[575] Si le Canada soutient que le mandat des membres de l’équipe des consultations avec la Couronne ne se résumait pas à prendre des notes, la prépondérance de la preuve indique qu’ils se sont comportés comme si leur rôle, en grande partie, consistait à consigner fidèlement les préoccupations des demandeurs autochtones et à les transmettre aux décideurs.
[576] L’analyse porte en premier lieu sur l’explication du mandat de l’équipe qui figure dans le rapport sur les consultations de la Couronne, puis aborde la preuve relative aux rapports entre l’équipe des consultations avec la Couronne et les demandeurs autochtones pendant le processus de consultation.
[577] Commençons par offrir une explication sur la source des éléments de preuve qui suivent. À moins d’indication contraire, la preuve provient de procès-verbaux dressés par le Canada. Ce dernier avait pour pratique, après chaque séance de consultation, d’en dresser le procès-verbal, d’en envoyer une ébauche au groupe autochtone pour commentaires, puis de réviser le procès-verbal à la lumière de ces commentaires avant d’en transmettre une copie finale. Les parties ne contestent pas l’exactitude des procès-verbaux. Comme nous le verrons, en cas de désaccord sur la teneur des propos, le procès-verbal présente la version respective des échanges.
a. Le rapport sur les consultations de la Couronne
[578] La section 3.3.4 du rapport sur les consultations de la Couronne traite du processus de consultation de l’étape III. Sous la rubrique [traduction] « consultations postérieures à l’audience de l’Office », le rapport indique ce qui suit [à la page 45] :
[traduction] […] [L]e mandat de l’équipe des consultations par la Couronne consiste à écouter, à comprendre, à examiner et à transmettre aux représentants principaux les perspectives des groupes autochtones. Le ministre des Ressources naturelles et d’autres ministres reçoivent un résumé des rencontres.
b. L’expérience des Tsleil-Waututh
[579] Lors d’une séance qui s’est tenue le 5 avril 2016, Erin O’Gorman de Ressources naturelles Canada [traduction] « souligne son mandat, qui consiste à écouter et à saisir le point de vue [des Tsleil-Waututh] sur la structure des consultations et à transmettre cette information en vue d’une décision. Aucun mandat ne permet de défendre la démarche actuelle ».
[580] Pendant les présentations et les remarques préliminaires à la séance du 15 septembre 2016, « le Canada souligne que l’objet ultime de la Couronne consiste à comprendre la position et les préoccupations [des Tsleil-Waututh] sur le projet d’expansion du réseau de Trans Mountain ».
[581] Lors d’une réunion tenue le 20 octobre 2016, les représentants du Canada affirment en ces termes [traduction] : « nous avons l’intention de fournir un rapport au Cabinet et d’inclure toutes les Premières Nations consultées, [et] sommes ouverts à l’idée que [les Tsleil-Waututh] incluent dans ce rapport leurs commentaires et observations ainsi que des mesures d’atténuation et d’accommodement ». En réponse, un représentant de ce groupe indique [traduction] « qu’il ne veut pas de consultations et un rapport des préoccupations au [gouverneur en conseil] : ce qui s’est déjà produit, en vain ». Ce à quoi le représentant fédéral répond : [traduction] « il suffit de transmettre l’information au [gouverneur en conseil], selon la manière dont c’est fait ».
[582] Le 16 octobre 2016, le Bureau de gestion des grands projets et le Bureau de l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique répondent ensemble à une lettre dans laquelle les Squamish présentent leur avis sur les lacunes qui subsistent dans le processus d’examen par l’Office et sollicitent l’examen de la démarche de consultations adoptée par la Couronne en vue d’éclairer les décisions fédérales et provinciales à propos du projet. Ils écrivent, sous la rubrique [traduction] « Préoccupations quant à la procédure » :
[traduction] L’objectif de l’équipe des consultations avec la Couronne a toujours été de collaborer avec les Squamish et d’autres groupes autochtones pour présenter les meilleurs renseignements possibles aux décideurs dans le cadre du régime législatif actuel, par le truchement du rapport sur les consultations et les mesures d’accommodement. Les commentaires et les renseignements fournis par les Squamish aideront l’équipe des consultations avec la Couronne à transmettre fidèlement les intérêts, les préoccupations et les propositions précises des Squamish.
La Couronne s’attache maintenant à valider les principales préoccupations de fond des Squamish. Elle a demandé des commentaires sur la première ébauche du rapport pour qu’elle puisse inclure une ébauche des conclusions dans une prochaine version qui présentera les résultats de son évaluation de la gravité des effets potentiels du projet sur les intérêts autochtones, et ce pour chaque groupe.
[…]
À l’heure actuelle, après la prorogation, de quatre mois, du délai légal fédéral applicable à la décision sur le projet (qui doit être prise au plus tard le 19 décembre 2016), nous voulons rassurer les Squamish que leurs préoccupations de fond relatives au projet, au rapport [de l’Office] (y compris les conditions recommandées) et les propositions connexes de mesures d’atténuation ou d’accommodement sont consignées de manière fidèle et exhaustive dans le rapport sur les consultations et les mesures d’accommodement. [Non souligné dans l’original.]
[583] Lors de la seule réunion de consultation à laquelle les Squamish ont participé, le dirigeant de l’équipe des consultations décrit ainsi les principes d’éthique suivis par l’équipe dans le cadre des réunions avec les groupes autochtones : [traduction] « honnêteté, vérité, suivre le droit chemin et veiller à ce que des renseignements exacts, objectifs et représentatifs soient présentés aux décideurs ».
[584] Il réitère le message en ces termes [traduction] : « [i]l incombe à la Couronne de veiller à ce que des renseignements exacts soient transmis aux décideurs à propos de ces questions qui subsistent, dont la perception des Squamish au sujet du projet ».
[585] Lors d’une réunion tenue le 31 mars 2016, à laquelle les Coldwater avaient été conviés avant le début de l’étape III, le dirigeant de l’équipe des consultations avec la Couronne explique :
[traduction] […] les travaux de l’équipe des consultations avec la Couronne, qui consistent à rédiger une ébauche de rapport qui consigne les effets potentiels du projet sur les droits et intérêts [des Coldwater], constitueront le vecteur permettant à la Couronne de consigner les questions susceptibles de subsister et les propositions en matière d’accommodement. Il peut sembler que la Couronne s’en remet seulement au processus [de l’Office], mais ce n’est pas le cas. Elle mène ses propres activités de consultation et appliquera aussi un cadre d’analyse distinct (celui de l’effet sur les droits).
[586] À une réunion qui a eu lieu le 4 mai 2016, l’équipe des consultations avec la Couronne indique notamment, à propos de l’effet du projet sur l’aquifère des Coldwater :
[traduction] Quant aux précisions comme le tracé détaillé, c’est [l’Office] qui décide. La responsabilité dont a été investie l’équipe des consultations avec la Couronne est de veiller à ce que ces questions soient consignées dans le rapport sur les consultations de la Couronne, de sorte que les décideurs puissent les examiner. [Non souligné dans l’original.]
Les Coldwater ayant exprimé leur forte préférence pour l’option ouest, les représentants du Canada répondent en ces termes :
[traduction] [i]l s’agit d’une question très détaillée, qui devra être consignée soigneusement et fidèlement dans le rapport sur les consultations de la Couronne. Ce dernier peut souligner le fait que le tracé du projet constitue une question cruciale pour les Coldwater. [Non souligné dans l’original.]
[587] L’un des représentants du Canada à la consultation du 7 octobre 2016, au sujet des discussions concernant l’aquifère des Coldwater :
[traduction] […] reconnait que l’aquifère n’a pas été exploré de manière exhaustive, mais explique que le processus [de l’Office] a analysé le projet et que la Couronne ne va pas examiner d’autres analyses indépendantes. C’est que [l’Office] est un tribunal quasi judiciaire disposant d’une importante expertise technique. La Couronne (fédérale et provinciale) ne va pas entreprendre une analyse indépendante de tracés possibles. Cela dit, la Couronne transmettra les préoccupations des Coldwater aux décideurs.
[…]
Les Coldwater demandent à quoi riment les consultations si la Couronne ne fait rien d’autre que remettre un rapport sommaire au [gouverneur en conseil]. [Non souligné dans l’original.]
[588] Plus tard pendant la séance, durant une discussion intitulée [traduction] « Aperçu de la prise de décision », les Coldwater soutiennent, sur le fondement des discussions tenues avec la Couronne à ce jour, qu’ils doutent qu’il y aura une nouvelle analyse de l’option ouest ou d’autres éléments, comme ils l’avaient demandé. Les représentants du Canada répondent :
[traduction] [La Couronne] estime que le processus d’audience sur le tracé détaillé et la condition 39 offrent des avenues permettant d’examiner d’autres tracés. Cependant, la Couronne n’examine pas d’autres tracés à l’heure actuelle, car [l’Office] a conclu que le couloir indiqué dans la demande est satisfaisant. La Couronne veillera à ce que les préoccupations des Coldwater sur le tracé soient transmises au Cabinet, qui décidera si elles justifient le réexamen du tracé actuel. [Non souligné dans l’original.]
[589] Selon un courriel envoyé par le Bureau de gestion des grands projets à l’issue d’une séance de consultation tenue le 13 avril 2016 :
[traduction] L’équipe des consultations avec la Couronne [pour le projet d’expansion de Trans Mountain] et le représentant ministériel qui sera annoncé bientôt (ou la formation) prendront connaissance des opinions sur le projet et des questions susceptibles de subsister après la parution du rapport et des conditions finaux [de l’Office] ou de l’évaluation [par Environnement Canada] des émissions de gaz à effet de serre en amont. Les participants disposeront ainsi d’une autre avenue leur permettant d’exprimer leur avis sur l’évaluation [des émissions de gaz à effet de serre] en amont [du projet d’expansion de Trans Mountain]. Tous les commentaires seront consignés et examinés par le gouvernement du Canada. [Non souligné dans l’original.]
[590] Le 12 mai 2016, les Stó:lō écrivent au ministre des Ressources naturelles, l’honorable James Carr au sujet du rapport sur les consultations de la Couronne en ces termes :
[traduction] […] si nous avons bien compris, M. Neil [le représentant du Canada] affirme que le décideur fédéral sera le gouverneur en conseil et que [Ressources naturelles Canada], à l’issue des présentes consultations avec la Couronne, ne présentera aucune recommandation à propos du projet. Nous comprenons au contraire que, dans son rapport au gouverneur en conseil, il résumera ce qu’il aura entendu pendant les consultations tenues avec les Peuples autochtones et présentera quelques commentaires. Nous comprenons aussi que M. Whiteside [un autre représentant fédéral] aurait dit que le gouverneur en conseil ne peut, sur le fondement des consultations par la Couronne, modifier les conditions du projet établies par [l’Office] ou en ajouter. Si nous avons mal compris, nous vous saurions gré de bien vouloir nous en informer par écrit. Si nous avons bien compris, nous estimons que [Ressources naturelles Canada] a mal interprété ses obligations constitutionnelles et le pouvoir des décideurs fédéraux. [Non souligné dans l’original.]
[591] Les Stó:lō ajoutent : [traduction] « des consultations approfondies ne se résument pas à recueillir des renseignements sur les intérêts autochtones, à comparer ceux-ci aux conditions du projet et à transmettre ces conclusions au décideur fédéral ». Ils affirment également : [traduction] « [une] simple relation de propos ne suffit pas dans ce cas, et le gouverneur en conseil doit être conscient de son obligation de rejeter le projet ou d’y apporter des modifications visant à protéger les droits, titres et intérêts ancestraux du Collectif Stó:lō ».
[592] Le ministre répond le 15 juillet 2016. Il convient que répondre aux préoccupations ne se résume pas à recueillir et à consigner des renseignements issus des séances de consultation. Il affirme que si le Collectif Stó:lō a des préoccupations subsistant après les conditions imposées par l’Office, les consultations incluront des [traduction] « efforts visant à préserver les droits ancestraux en question ». Le ministre encourage le Collectif Stó:lō [traduction] « à collaborer avec l’équipe des consultations avec la Couronne de sorte que les intérêts du Collectif Stó:lō soient bien compris et énoncés dans le rapport sur les consultations et les mesures d’accommodement » (non souligné dans l’original). Le ministre ajoute que [traduction] « [t]oute mesure d’accommodement ou proposition soulevée au cours des consultations avec la Couronne figurera au rapport et éclairera la décision du gouvernement sur [le projet] ».
f. L’expérience des Upper Nicola
[593] Lors d’une séance tenue le 31 mars 2016, le chef McLeod affirme vouloir que [traduction] « les intentions [des Upper Nicola] soient entendues par les décideurs et demande que tous les renseignements communiqués aujourd’hui soient relayés au ministre Carr ». Ce à quoi les représentants du Canada répondent : [traduction] « les décideurs haut placés sont très actifs dans ce dossier, et l’équipe des consultations avec la Couronne transmettra les conclusions et les procès-verbaux de la réunion d’aujourd’hui aux échelons supérieurs ». Le dirigeant de l’équipe des consultations avec la Couronne fait remarquer [traduction] « dans la mesure du possible, il aimerait intégrer certains propos tenus par le chef McLeod en langue autochtone au rapport sur les consultations de la Couronne pour relayer les messages importants de ce dernier ».
[594] À une séance tenue le 3 mai 2016, juste avant la publication du rapport de l’Office et de ses recommandations, le dirigeant de l’équipe des consultations [traduction] « réitère le mandat actuel de l’équipe des consultations avec la Couronne, qui consiste à écouter, à apprendre, à comprendre et à faire rapport aux décideurs haut placés » (non souligné dans l’original). L’avocat des Upper Nicola répond que [traduction] « l’ancien paradigme relatif à la consultation, dans le cadre duquel les représentants de la Couronne rencontrent les groupes autochtones pour écouter leurs perspectives et transmettre les renseignements aux décideurs, ne tient plus ».
[595] Vers la fin de la séance, en réponse à une question sur un article récent prétendant que le premier ministre a ordonné l’élaboration d’une stratégie visant l’approbation du projet Trans Mountain, un conseiller principal d’Affaires autochtones et du Nord Canada indique qu’il n’a [traduction] « reçu du Ministère aucune instruction modifiant son obligation en tant que fonctionnaire de faire tout en son possible pour demeurer objectif et impartial et veiller à ce que les perspectives des groupes autochtones sont relayées convenablement et fidèlement aux décideurs ». Le dirigeant de l’équipe ajoute que [traduction] « l’équipe des consultations avec la Couronne n’a aucune opinion sur le projet. Son mandat consiste à appuyer les décideurs en leur fournissant des renseignements exacts » (non souligné dans l’original).
[596] Par un courriel envoyé le 7 juillet 2015, avant la communication des conditions proposées par l’Office, les SSN sont informés par le Bureau de gestion des grands projets que [traduction] « les consultations de la Couronne [fédérale] porteront sur l’échange de renseignements et le dialogue sur deux principaux documents », soit les conditions proposées par l’Office et l’ébauche du rapport sur les consultations de la Couronne. Quant à ce dernier, le courriel indique que l’objet sera de décider [traduction] « si la Couronne a bien décrit la participation des groupes autochtones au processus, les questions de fond soulevées et leur traitement (dont l’opinion des groupes autochtones sur les préoccupations qui subsistent, s’il en est, et les autres questions découlant de l’étape III) » (non souligné dans l’original).
[597] Un courriel du 17 juin 2016 informe les SSN de ce qui suit :
[traduction] L’équipe des consultations avec la Couronne a pour objectif de procéder à la consultation de manière collaborative en vue d’atteindre un consensus sur les questions qui subsistent et les incidences connexes sur les droits ancestraux et issus de traités, qui sont protégés par la Constitution, ainsi que de définir des options permettant l’accommodement des incidences sur les droits susceptibles d’être examinés dans le cadre du processus décisionnel. L’état d’avancement de ces discussions sera consigné dans un rapport sur les consultations et les mesures d’accommodement qui permettra d’éclairer les décisions futures sur le projet proposé et les justifications des décisions du gouvernement. [Non souligné dans l’original.]
h. Conclusion sur le mandat de l’équipe des consultations avec la Couronne
[598] Comme le démontre la preuve qui précède, les membres de l’équipe des consultations avec la Couronne ont informé les demandeurs autochtones à plusieurs reprises pendant le processus de consultation qu’ils étaient là pour écouter et comprendre les préoccupations des demandeurs, pour consigner ces préoccupations de manière fidèle dans le rapport sur les consultations de la Couronne et de transmettre le rapport au gouverneur en conseil. Les procès-verbaux des réunions démontrent que l’équipe a respecté ce rôle dans les discussions du projet, de ses incidences sur les demandeurs autochtones et de leurs préoccupations. Les procès-verbaux ne démontrent guère de véritable réponse de la part de l’équipe aux préoccupations soulevées par les demandeurs autochtones, mais révèlent trop souvent que la réponse du Canada consiste à reconnaître les préoccupations et à assurer aux auteurs de ces dernières qu’elles seraient communiquées aux décideurs.
[599] Comme l’explique la Cour dans l’arrêt Gitxaala au paragraphe 279, le Canada est tenu d’engager un dialogue et de se pencher sur les préoccupations communiquées de bonne foi par les demandeurs autochtones sur lesquels le projet aura des incidences. Un véritable dialogue nécessite la présence, pour représenter le Canada, de quelqu’un qui est habilité à faire plus que prendre des notes, quelqu’un qui peut véritablement répondre aux préoccupations des demandeurs à un moment donné.
[600] Les échanges avec les demandeurs démontrent que le processus de consultation était dépourvu d’un tel acteur et que peu d’efforts ont été consacrés à faciliter les consultations. Il ressort de ces échanges que les consultations de l’étape III se sont révélées insuffisantes.
[601] Le processus de consultation était insuffisant, en partie parce que l’interprétation par l’équipe des consultations avec la Couronne de son mandat a fait obstacle au véritable dialogue qu’avait promis le Canada et que requièrent les principes qui sous-tendent l’obligation de consulter.
(iii) La réticence du Canada à s’écarter des conclusions de l’Office et des conditions qu’il recommande pour traiter véritablement des préoccupations des demandeurs autochtones
[602] Au cours de l’étape III, les demandeurs autochtones ont tous exprimé des préoccupations à propos de l’examen et de l’évaluation environnementale effectués par l’Office sous le régime administratif. Ces préoccupations sont résumées et consignées dans l’annexe du rapport sur les consultations de la Couronne consacrée à chaque demandeur autochtone (annexe concernant les Tsleil-Waututh, pages 7 et 8; annexe concernant les Squamish, page 4; annexe concernant les Coldwater, pages 4 et 5; annexe concernant les Stó:lō, pages 12 à 14; annexe concernant les Upper Nicola, pages 5 et 6; annexe concernant les SSN, page 4). Ces préoccupations concernent le processus d’audience de l’Office ainsi que ses conclusions et les conditions qu’il a recommandées et visent notamment :
• L’exclusion du transport maritime associé au projet de la définition de « projet désigné » faisant l’objet de l’évaluation sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).
• L’impossibilité de contre-interroger les témoins de Trans Mountain ainsi que les réponses jugées inadéquates de Trans Mountain aux demandes de renseignements.
• Les conditions recommandées par l’Office, jugées lacunaires pour certaines raisons, dont leur manque de précision, et incomplètes (par exemple l’absence d’obligation de protéger les sites sacrés).
• La nature générale des conclusions de l’Office, qui nuit à la possibilité pour chaque groupe autochtone de déterminer l’effet potentiel du projet sur son titre et ses droits.
• Les délais légaux extrêmement restrictifs, qui n’ont pas donné le temps de prendre connaissance de la demande concernant le projet et de participer véritablement à l’examen.
• Le processus d’audience de l’Office, qui ne se prêtait pas à l’évaluation des effets sur les droits des peuples autochtones, et les méthodes et conclusions de l’Office sur l’importance et la durée des effets du projet sur ces droits étaient viciés.
[603] Or, une véritable réponse au fond à ces préoccupations brille par son absence dans le rapport sur les consultations de la Couronne et les annexes particulières. Un examen de la correspondance échangée lors de l’étape III ne révèle pas plus de véritable réponse suffisante aux préoccupations soulevées par les demandeurs autochtones ou de dialogue à ce sujet. En réalité, il ressort du dossier relatif au processus de consultation que le Canada s’est montré étroit d’esprit quant aux préoccupations exprimées sur le rapport de l’Office et réticent à s’écarter des conclusions et recommandations de ce dernier. Le Canada, à de rares exceptions près, n’a pas engagé de véritable dialogue avec les demandeurs autochtones sur leurs préoccupations au sujet de l’examen par l’Office. Les représentants du Canada se sont plutôt attachés à transmettre ces préoccupations aux décideurs, sans plus. L’obligation du Canada ne se résumait pas à écouter passivement les réelles préoccupations des demandeurs autochtones.
[604] La preuve à cet égard provient en grande partie des Tsleil-Waututh et des Coldwater.
[605] Commençons par la preuve d’Ernie George, directeur du département des traités, terres et ressources des Tsleil-Waututh. Lors d’une réunion, tenue le 21 octobre 2016, à laquelle participent des représentants du Canada pour discuter l’opinion des Tsleil-Waututh selon laquelle le processus de l’Office est à ce point vicié que le gouverneur en conseil ne pouvait fonder sa décision sur son rapport et ses recommandations, il tient les propos suivants :
[traduction] 81. Le Canada s’est dit extrêmement réticent à discuter des vices fondamentaux que [les Tsleil-Waututh] reprochent au processus de [l’Office], et même avant la réunion a laissé entendre qu’il faudrait peut-être simplement « convenir de disconvenir » de toutes ces questions. À notre avis, le Canada a déjà décidé qu’il n’est pas disposé à prendre les mesures visant à régler les problèmes que [les Tsleil-Waututh] ont relevés et qui constituent à leurs yeux des lacunes viciant le processus de [l’Office], et ce même si la LCEE et la LONE l’habilitent à prendre ces mesures et qu’il a lui-même indiqué qu’il s’agissait d’une option réaliste à sa disposition. [Non souligné dans l’original.]
[606] M. George n’a pas été contre-interrogé à cet égard.
[607] La réticence du Canada ressort clairement d’une réunion tenue le 27 octobre 2016. Selon M. George :
[traduction] 101. Les [Tsleil-Waututh] expriment leur préoccupation selon laquelle [l’Office], même s’il est arrivé à des conclusions semblables à celles [des Tsleil-Waututh] qu’un déversement de pétrole dans la baie Burrard causerait des effets environnementaux négatifs et importants, il ne souscrit pas à l’avis de MM. Gunton et Broadbent sur le risque d’un déversement. Les [Tsleil-Waututh] demandent au Canada s’il souscrit à ces conclusions. Le Canada ne peut répondre, car il n’a pas convié ses experts en risque à la réunion. [Les Tsleil-Waututh] réitèrent leur avis selon lequel les risques sont bien trop élevés.
102. Dans la conjoncture présente, malgré l’importance critique de cette question, le Canada informe [les Tsleil-Waututh] qu’il n’est pas disposé à remettre en question les conclusions de [l’Office] en la matière et qu’il s’en remettra entièrement au rapport de ce dernier. Nous affirmons ne pas être tenus d’accepter la position du Canada, qu’un dialogue accru est nécessaire et que nous sommes disposés à convier nos experts à une prochaine réunion pour qu’ils examinent les nouveaux éléments ou technologies susceptibles d’être soulevés par le Canada. [Non souligné dans l’original.]
[608] Cette preuve cadre avec les procès-verbaux rédigés par le Canada, selon lesquels les représentants du Canada [traduction] « indiquent que le gouvernement s’en remettra au rapport de [l’Office] ». Suivant le procès-verbal, les représentants des Tsleil-Waututh demandent [traduction] « si, dans la mesure où [le gouvernement du Canada] va s’en remettre au rapport de l’Office, il est possible de traiter des lacunes dans le rapport [de l’Office] et des questions passées sous silence », ce à quoi le Canada répond : [traduction] « le Canada reconnaît l’opinion [des Tsleil-Waututh] sur le processus de [l’Office] et indique n’être ni en accord, ni en désaccord : tant [les Tsleil-Waututh] que [le Canada] sont intervenus et aucun d’eux ne peut savoir comment la formation [de l’Office] a apprécié les renseignements qui lui ont été fournis ».
[609] Les Coldwater ont fourni une preuve semblable quant à leurs efforts de consultation auprès du Canada sur les effets du projet sur leur aquifère lors des séances du 4 mai et du 7 octobre 2016.
[610] Le 4 mai 2016, les représentants des Coldwater expriment leur avis selon lequel l’option ouest représente un tracé préférable et répond à des questions dont l’Office n’a pas adéquatement traité. Comme il est indiqué plus haut, les représentants du Canada répondent que, [traduction] « [q]uant aux précisions comme le tracé détaillé, c’est [l’Office] qui décide » et ajoutent que [traduction] « [l]a responsabilité dont a été investie l’équipe des consultations avec la Couronne est de veiller à ce que ces questions soient consignées dans le rapport sur les consultations de la Couronne, de sorte que les décideurs puissent les examiner ».
[611] Lors de la séance tenue le 7 octobre 2016 à propos du processus de consultation, le Canada réitère son avis selon lequel les conclusions de l’Office ne seront pas réexaminées. En réponse à une question sur l’option ouest, les représentants du Canada affirment qu’il n’est pas loisible au Canada, dans le cadre du processus de consultation à l’étape III, d’envisager l’option ouest comme une autre mesure d’atténuation ou d’accommodement à l’égard des préoccupations des Coldwater. Pour reprendre un extrait du procès-verbal :
[traduction] La Couronne répond que [l’Office] estime le tracé actuel acceptable; or, la formation a imposé comme condition au promoteur de pousser les recherches sur l’interaction entre le pipeline proposé et l’aquifère. Tim Gardiner reconnaît que la question de l’aquifère n’a pas été explorée à fond, mais explique que le processus de [l’Office] a permis d’analyser le projet et que la Couronne n’envisage pas une analyse indépendante. [L’Office] est un tribunal quasi judiciaire pourvu d’une expertise technique considérable; la Couronne (fédérale et provinciale) ne procédera pas à une analyse indépendante des tracés possibles. Cela dit, la Couronne transmettra les préoccupations des Coldwater aux décideurs. [Non souligné dans l’original.]
[612] Le Canada manifeste sa confiance dans la condition 39 imposée par l’Office et le processus d’audience sur le tracé détaillé.
[613] À propos de la préoccupation exprimée par les Coldwater selon laquelle l’Office n’a pas envisagé l’option ouest, le procès-verbal indique que les représentants du Canada :
[traduction] […] reconnaissent les préoccupations des Coldwater et expliquent que, comme l’option ouest n’est plus envisagée par [l’Office], la Couronne ne peut remettre ce fait en question. [M. Whiteside] reconnaît l’immense trou qui en découle, de l’avis des Coldwater. Mr. Whiteside explique que la suppression de l’option ouest par le promoteur « ne regarde pas la Couronne. Nous sommes restreints au rapport de [l’Office] ». [Non souligné dans l’original.]
[614] Enfin, au cours d’un aperçu de la prise de décision présenté à la fin de la séance du 7 octobre 2016, le Canada affirme qu’il n’envisage pas d’autres tracés parce que [traduction] « [l’Office] a conclu que le tracé visé dans la demande était satisfaisant ». Le Canada ajoute : [traduction] « [l]a Couronne veillera à ce que les préoccupations des Coldwater à propos du tracé soient transmises au Cabinet [et] il incombera à ce dernier de décider si ces préoccupations justifient de réexaminer le tracé actuel ».
[615] Comme l’explique la Cour dans l’arrêt Gitxaala, au paragraphe 274, le Canada avait tort de se croire lié par les conclusions de l’Office. Comme dans cette affaire, l’étape III présentait l’occasion, entre autres, de discuter des erreurs et des omissions dans le rapport de l’Office et d’y remédier, ainsi que de réexaminer les recommandations qui en sont issues, et ce à l’égard de questions d’une importance vitale pour les demandeurs autochtones. Cette erreur a eu pour effet de limiter considérablement la faculté pour le Canada d’engager des véritables consultations au sujet de questions, comme les effets du projet sur chaque demandeur et les mesures d’accommodement possibles.
[616] Tous les procès-verbaux ne consignent pas la réticence du Canada à s’écarter des conclusions de l’Office dans les mêmes termes. Toutefois, rien ne dément cette réticence dans les procès-verbaux de séances avec d’autres demandeurs autochtones.
[617] Par exemple, dans une lettre envoyée par le Bureau de gestion des grands projets aux Squamish le 14 juillet 2015, l’intention de l’étape III est expliquée en ces termes :
[traduction] […] ne pas répéter ou superposer le processus d’examen de [l’Office], mais recenser et examiner les préoccupations qui subsistent et possiblement y répondre (préoccupations qui, de l’avis des groupes autochtones qui les ont soulevées, n’ont pas été réglées dans le cadre du processus de [l’Office]).
[618] Les Squamish rencontrent le 11 septembre 2015 l’équipe des consultations avec la Couronne pour discuter du processus de consultation. Les Squamish soulèvent alors des préoccupations à l’égard notamment de la qualité de ce processus. Dans une lettre de suivi, l’avocat représentant ce groupe explique le « processus relatif aux Squamish » proposé — qui permet d’étudier les effets du projet sur les intérêts des Squamish. Suivant ce processus, les préoccupations de la communauté éclairent la portée de l’évaluation, de sorte que l’on remédie aux préoccupations en imposant des conditions au promoteur du projet.
[619] Dans une lettre datée du 26 novembre 2015, le Canada réitère sa position selon laquelle :
[traduction] […] il existe de bonnes raisons expliquant pourquoi la Couronne s’en remet à l’examen du projet par [l’Office] pour éclairer le processus de consultation. Une telle démarche assure la rigueur dans l’évaluation des effets potentiels négatifs du projet sur divers éléments, dont l’environnement, la santé et les conditions socioéconomiques, ainsi que les intérêts autochtones.
[620] La lettre indique aussi :
[traduction] Les renseignements découlant d’un examen effectué en bonne et due forme par la communauté ou un tiers peuvent être intégrés au processus d’examen de [l’Office] et examinés, dans la mesure où ils sont déposés en preuve. Dans le cas du projet d’expansion du réseau Trans Mountain, il aurait fallu le faire avant la fin du délai pour le dépôt de la preuve, soit en mai 2015.
[621] Le Canada a dit avoir confiance que la liste des questions ainsi que la portée de l’évaluation et des facteurs examinés par l’Office éclaireraient un véritable dialogue avec les Squamish.
[622] Autrement dit, le Canada était restreint à l’examen effectué par l’Office. Le Canada a insisté pour que la preuve relative à toute évaluation ou à tout examen soit d’abord présentée à l’Office et que les conclusions de ce dernier éclairent tout dialogue.
[623] Un exemple semblable ressort des consultations de la Couronne avec les Upper Nicola. Lors de la séance du 22 septembre 2016, les Upper Nicola expriment leur préoccupation à l’égard de l’analyse économique effectuée par l’Office. Le directeur général du Bureau de gestion des grands projets répond en ces termes : [traduction] « en règle générale, le [gouverneur en conseil] fait preuve de retenue à l’égard de l’évaluation de [l’Office], mais il lui est loisible d’examiner d’autres sources de renseignements avant de prendre sa décision et il peut tirer une conclusion différente de celle de [l’Office] ». Le conseiller principal d’Affaires autochtones et du Nord Canada ajoute que [traduction] « la prépondérance des détails dans le rapport de [l’Office] pèse lourd dans l’esprit des ministres ».
[624] Aucun dialogue n’a été engagé pour déterminer le bien-fondé de la préoccupation des Upper Nicola sur l’analyse économique effectuée par l’Office, et ce même si le Canada a reconnu l’existence d’une [traduction] « opinion répandue contraire à la conclusion tirée par [l’Office] ».
[625] Ainsi, si les Upper Nicolas étayaient leur prétention que le fondement économique et les intérêts autochtones décrits dans le rapport étaient erronés, les ministres en seraient informés.
[626] Autrement dit, le Canada s’en remettait aux conclusions de l’Office. Si les Upper Nicola déposaient des renseignements contredisant l’Office, ces renseignements seraient transmis au gouverneur en conseil; ils ne feraient pas l’objet d’un dialogue entre les représentants du Canada et les Upper Nicola. Le Canada n’a pas traité les préoccupations des Upper Nicola, n’a pas discuté avec ces derniers pour décider s’il convenait de demander à l’Office de réexaminer sa conclusion à propos des enjeux économiques du projet et n’a pas expliqué en quoi la préoccupation des Upper Nicola avait été jugée lacunaire au point de ne pas justifier la tenue d’un véritable examen par le Canada.
[627] Comme nous l’expliquons au paragraphe 491 des présents motifs, le Canada peut s’en remettre au processus de l’Office pour s’acquitter en partie ou intégralement de l’obligation de consulter de la Couronne. Toutefois, le Canada n’est pas tenu d’adopter d’office les conclusions et conditions recommandées par l’Office. Si de réelles préoccupations sont soulevées au sujet du processus d’audience ou des conclusions et conditions, le Canada est tenu d’engager un véritable dialogue à ce sujet.
[628] L’Office n’est pas à l’abri de l’erreur. Nombre de ses recommandations n’étaient que des options — non obligatoires — présentées au Canada, appelé à les examiner avec ouverture, à la lumière de son dialogue avec les demandeurs autochtones. L’étape III du processus de consultation présentait au Canada l’occasion — et la responsabilité — d’établir un dialogue à propos des lacunes du processus et des recommandations de l’Office. Il ne l’a pas saisie.
(iv) L’opinion erronée du Canada selon laquelle le gouverneur en conseil ne pouvait pas imposer d’autres conditions au promoteur
[629] Le Canada a cru, tout au long de l’étape III du processus de consultation, qu’il ne pouvait pas imposer d’autres conditions au promoteur. Cette opinion erronée a restreint la portée des consultations nécessaires.
[630] Ainsi, le 25 mai 2015, vers la fin de l’étape II, le Bureau de gestion des grands projets écrit aux groupes autochtones pour expliquer la portée et le calendrier des consultations de l’étape III. Sa lettre décrit ainsi les voies ouvertes au Canada au cas où des groupes autochtones indiquent des préoccupations qui subsistent après la publication du rapport de l’Office :
[traduction] Le gouverneur en conseil peut demander à [l’Office national de l’énergie] de revoir ses recommandations et conditions. Les gouvernements fédéral et provincial peuvent procéder à d’autres consultations avant de délivrer les permis ou les autorisations ou avoir recours à des politiques ou programmes existants ou nouveaux pour répondre aux préoccupations.
[631] Selon le Canada, il s’agit des options possibles dans le cadre du processus de consultation (voir par exemple le procès-verbal de la séance du 31 mars 2016 avec les Coldwater).
[632] La possibilité que le gouverneur en conseil impose d’autres conditions à Trans Mountain n’est pas mentionnée.
[633] Lors de la séance du 13 avril 2016, les représentants du Canada affirment que la Couronne ne peut ajouter de conditions, tandis que l’avocate représentant à l’époque les Stó:lō affirme le contraire. Elle demande aux représentants du Canada de vérifier auprès des ministres. Par voie de lettre datée du 28 novembre 2016 (la veille de l’approbation du projet), le Canada, de concert avec le Bureau de l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique, indique que [traduction] « le gouverneur en conseil ne peut imposer ses propres conditions directement au promoteur dans le cadre de sa décision » sur le certificat d’utilité publique.
[634] Cette conclusion est erronée. Dans l’arrêt Gitxaala, aux paragraphes 163 à 168, la Cour explique que, pour décider si le Canada s’est acquitté de son obligation de consulter, le gouverneur en conseil est nécessairement habilité à assortir de conditions le certificat d’utilité publique qu’il ordonne à l’Office national de l’énergie de délivrer.
[635] Au cours des arguments présentés de vive voix à l’appui des demandes, le Canada reconnaît ce pouvoir, mais précise qu’il n’existait pas avant l’arrêt Gitxaala.
[636] Si l’on accepte que ce pouvoir n’eût pas été expliqué avant l’arrêt Gitxaala, rappelons que ce jugement a été rendu le 23 juin 2016, soit cinq mois avant que le Canada écrive aux Stó:lō pour les informer que le gouverneur en conseil ne disposait pas d’un tel pouvoir et cinq mois avant l’approbation du projet par le gouverneur en conseil. Le dossier n’explique aucunement pourquoi le Canada n’a pas corrigé sa position après l’arrêt Gitxaala.
[637] La croyance erronée du Canada, selon laquelle le gouverneur en conseil n’était pas habilité à imposer d’autres conditions à Trans Mountain, a limité de manière grave et inexplicable la faculté pour le Canada de procéder à de véritables consultations sur les mesures d’accommodement.
(v) Communication tardive de l’évaluation de l’effet du projet sur les demandeurs autochtones
[638] Comme nous l’expliquons au paragraphe 488 des présents motifs, plus l’effet négatif potentiel sur le titre ou le droit revendiqué est grave, plus les consultations doivent être approfondies. Par conséquent, l’évaluation faite par le Canada de l’effet du projet sur chaque demandeur autochtone constituait un aspect essentiel du processus de consultation.
[639] Selon le Canada, le projet ne devait pas nuire gravement à l’exercice par les demandeurs autochtones de leurs « intérêts autochtones » (définis dans le rapport sur les consultations de la Couronne comme étant notamment [traduction] « les droits ancestraux, revendiqués ou établis, y compris le titre et les droits issus de traités »). Suivant l’évaluation, le projet devait avoir, sur l’exercice des intérêts autochtones, un effet faible dans le cas des Squamish et des SSN, un effet variant de faible à modéré dans le cas des Coldwater et des Stó:lō ainsi qu’un effet modéré dans le cas des Tsleil-Waututh et des Upper Nicola.
[640] Cette importante évaluation n’a été communiquée aux demandeurs autochtones qu’au début de novembre 2016, dans la deuxième ébauche du rapport sur les consultations de la Couronne (la première ébauche contenait des paragraphes vides en lieu et place de l’évaluation des effets du projet). Les Colwater, les Upper Nicola et les SSN ont obtenu la deuxième ébauche du rapport le 1er novembre 2016, les Squamish et les Stó:lō, le 3 novembre 2016, et les Tsleil-Waututh, le 4 novembre 2016. Ils disposaient de deux semaines pour y répondre.
[641] À ce moment, les Squamish, les Coldwater, les Stó:lō et les SSN avaient conclu leurs rondes de consultations avec le Canada. Aucune autre séance n’a été tenue.
[642] D’autres séances étaient prévues avec les Tsleil-Waututh, mais concernaient les gaz à effet de serre, la nécessité du projet sur le plan économique et le Plan de protection des océans.
[643] Les Upper Nicola ont participé à une séance de consultation avec le Canada le 16 novembre 2016 où ils ont demandé la prorogation du délai pour répondre à la deuxième ébauche du rapport. Ils ont obtenu deux jours de plus, soit jusqu’au 18 novembre 2016, pour présenter leurs commentaires au Canada. Les représentants du Canada ont expliqué [traduction] « que le Cabinet nécessite généralement les documents un mois avant la date prévue pour la décision pour lui permettre de recevoir le rapport et d’en prendre connaissance, de le faire traduire, etc., et que nous avons déjà réduit ce délai pour permettre une deuxième ronde de commentaires ».
[644] Fait important, le dirigeant de l’équipe des consultations avec la Couronne a reconnu que d’autres groupes avaient également demandé la prorogation du délai et que leur demande avait été [traduction] « communiquée à la haute gestion et au ministre haut et fort ». Il a aussi reconnu que le délai imparti pour l’examen de la deuxième ébauche [traduction] « est peut-être trop court pour permettre des commentaires détaillés ». Rien ne démontre que le Canada a envisagé d’accorder la prorogation du délai pour donner le temps aux groupes autochtones de fournir des commentaires détaillés et réfléchis sur la deuxième ébauche du rapport, et tout particulièrement sur la partie du rapport portant sur l’évaluation des effets du projet. Le dossier ne permet pas non plus de savoir pourquoi le Canada n’a pas envisagé d’accorder la prorogation demandée. La décision du Cabinet était prévue — par la loi — pour le 19 décembre 2016, et les demandeurs autochtones le savaient.
[645] Le gouverneur en conseil a approuvé le projet le 29 novembre 2016.
[646] Le Canada a atténué en quelque sorte les répercussions de la communication tardive de son évaluation de l’effet du projet en reconnaissant dès le départ, et par la suite, qu’il était tenu d’engager des consultations approfondies avec les demandeurs autochtones. Par conséquent, l’avis tardif du Canada — selon lequel le projet n’allait pas nuire gravement aux droits et titre revendiqués par les demandeurs autochtones — n’a pas nui à l’évaluation de l’importance des consultations nécessaires.
[647] Cela dit, il ne fait aucun doute que l’avis du Canada sur l’effet du projet a teinté son opinion quant au caractère raisonnable de ses efforts de consultation et quant à l’incidence des conditions recommandées par l’Office pour atténuer les effets négatifs potentiels du projet et tenir compte des droits et titre revendiqués par les demandeurs autochtones. C’est pourquoi la communication tardive de l’évaluation du projet — après la tenue de toutes les séances de consultation à l’exception d’une seule — a concouru à rendre le processus de consultation déraisonnable.
[648] Examinons maintenant les exemples illustrant l’absence de véritable dialogue entre le Canada et les demandeurs autochtones.
(vi) Défaut par le Canada d’engager un véritable dialogue
a. L’expérience des Tsleil-Waututh
[649] Les Tsleil-Waututh ont effectué leur propre évaluation de l’effet du projet sur la baie Burrard ainsi que sur leurs titre, droits et intérêts et leurs connaissances traditionnelles. Il ressort notamment de cette évaluation, faisant appel à six experts indépendants et aux connaissances traditionnelles des membres des Tsleil-Waututh, les éléments suivants :
• Le risque d’un déversement de pétrole dans la baie Burrard augmente si le projet est mis en œuvre, et, comme le pétrole déversé ne peut être complètement éliminé, les conséquences seraient alors catastrophiques pour les sites, les habitats et les espèces sensibles, et par le fait même, pour l’économie tant de subsistance que moderne des Tsleil-Waututh et leurs activités culturelles.
• Tout retard dans le nettoyage diminue considérablement le volume de pétrole susceptible d’être nettoyé et augmente les conséquences négatives d’un déversement.
• Les effets directs du transport maritime sont susceptibles d’aggraver les conséquences d’un déversement, ce qui aggravera les effets négatifs du projet sur les titre, droits et intérêts des Tsleil-Waututh.
• Les Tsleil-Waututh n’acceptent pas les risques, effets et conséquences accrus susceptibles d’être causés par un incident mineur comme celui de 2007 au terminal maritime Westridge ou celui causé en 2015 par le MV Marathassa, et encore moins ceux causés par un cas grave.
[650] De l’avis des Tsleil-Waututh, l’Office a exclu à tort le transport maritime de la définition du projet, et les conditions imposées par l’Office ne répondaient pas à leurs préoccupations à ce sujet. Par exemple, les Tsleil-Waututh ont signalé que l’Office n’indique pas, à de rares exceptions près, le résultat escompté des conditions. Il prescrit plutôt seulement un moyen.
[651] Lors de la séance de consultation du 27 octobre 2016, les représentants du Canada ont à maintes reprises reconnu l’opinion des Tsleil-Waututh que les conditions imposées par l’Office n’étaient pas suffisantes et que le transport maritime aurait dû être examiné sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), ce qui a empêché la prise de conditions régissant le transport maritime.
[652] Or, lors des discussions sur les préoccupations des Tsleil-Waututh, les représentants fédéraux ont signalé que [traduction] « les propositions visant à resserrer la gestion du transport maritime, dont l’établissement de rapports de Nation à Nation, prendraient beaucoup de temps à élaborer et à cultiver ». Ils ont exprimé leur optimisme en ces termes :
[traduction] […] l’adoption d’une obligation de diligence plus élevée pourrait se réaliser au cours des prochaines années en collaboration avec les Premières Nations, de Nation à Nation, tout particulièrement en matière d’intervention en cas de déversement et de préparation civile. Plus les capacités de base augmenteront, plus les risques diminueront.
[653] Cette réponse générale et vague, suggérant la possibilité que l’on travaille à l’avenir à régler ces préoccupations, hors du cadre du projet et de son approbation, constitue la seule réponse du Canada. Il n’a pas proposé de mesures concrètes, comme d’autres conditions, pour tenir compte des préoccupations des Tsleil-Waututh à propos du transport maritime.
[654] Le Canada n’a pas proposé non plus de mesures d’accommodement lors de la séance du 28 octobre 2016. Les Tsleil-Waututh y sollicitaient d’autres discussions sur la définition du projet, car la question devait être réglée si le projet était renvoyé à l’Office pour nouvel examen. Les représentants du Canada ont répondu que la question relevait du gouverneur en conseil et que [traduction] « la portée de l’examen [par l’Office], à notre connaissance, serait tranchée ».
[655] Le Canada n’a pas répondu véritablement aux préoccupations des Tsleil-Waututh dans le rapport sur les consultations de la Couronne ni dans l’annexe consacrée à ceux-ci.
[656] L’annexe, à la suite des préoccupations consignées des Tsleil-Waututh, indique :
[traduction] Les sections 4.2.6 et 5.2 du présent rapport donnent un aperçu des mesures d’accommodement et d’atténuation envisagées par la Couronne pour répondre aux préoccupations qui subsistent selon les groupes autochtones. Les mesures d’accommodement proposées par les Tsleil-Waututh auxquelles la Couronne n’a pas répondu directement par voie de lettre seront envisagées activement par les décideurs qui mettront en balance les coûts et bénéfices du projet avec ses effets sur les intérêts autochtones. [Non souligné dans l’original.]
[657] La section 4.2.6 du rapport sur les consultations de la Couronne mentionne le comité de consultation et de surveillance autochtone proposé et les effets historiques du pipeline Trans Mountain actuel. La liste des rôles possibles du comité témoigne de son état naissant.
[658] La section 5.2 du rapport sur les consultations de la Couronne traite de l’évaluation par le Canada de la qualité des consultations. Il ne répond pas aux préoccupations précises des Tsleil-Waututh selon lesquelles les conditions imposées par l’Office n’étaient pas suffisantes et le transport maritime aurait dû être examiné sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), ce qui a empêché la prise de conditions régissant le transport maritime. Cette section fournit la réponse laconique du Canada aux préoccupations au sujet du processus d’examen :
[traduction] Quant aux lacunes éventuelles du processus d’examen [de l’Office], la Couronne signale l’engagement du gouvernement à moderniser [l’Office] et à restaurer la confiance du public envers le processus fédéral d’évaluation environnementale. Elle signale également que les consultations sur ces processus ont été lancées et engageront les groupes autochtones. En général, suivant les mesures provisoires adoptées, aucun projet ne retourne à la case départ. Ainsi, l’examen que prévoit le régime administratif se poursuit dans le cadre du régime actuel.
[659] Le Canada ne renvoie à aucune lettre où il répond véritablement à la préoccupation des Tsleil-Waututh que les conditions imposées par l’Office ne sont pas suffisantes et que le transport maritime associé au projet ne saurait être exclu de la définition de ce dernier.
[660] Les Tsleil-Waututh soulèvent des préoccupations légitimes qui concernent directement les titre et droits revendiqués. Si le Canada a cherché à bien comprendre ces préoccupations, il n’y a pas véritablement répondu, n’a pas semblé réfléchir à des mesures raisonnables d’atténuation ou d’accommodement et n’a pas renvoyé à l’Office la question du transport maritime associé au projet pour réexamen.
[661] Certes, le Canada a décidé de mettre en œuvre le comité de consultation et de surveillance autochtones et le Plan de protection des océans, mais ces initiatives louables, qui n’en étaient qu’à leurs balbutiements, ont été mal définies. Ainsi, elles n’offraient pas de solution visant à atténuer ou à accommoder les préoccupations au moment où le projet a été approuvé. Le dossier dont nous sommes saisis ne permet pas de décider si ces initiatives ont évolué de telle sorte qu’elles pouvaient répondre véritablement aux préoccupations réelles.
[662] Tout au long de la seule séance de consultation tenue avec les Squamish dans le cadre de l’étape III, le 18 octobre 2016, ces derniers affirment ne pas disposer de suffisamment de renseignements sur l’effet du projet à leur égard pour prendre une décision ou discuter de mesures d’atténuation. Ils mentionnent l’absence de renseignements sur le devenir et le comportement du bitume dilué déversé en milieu marin. Les Squamish expriment également l’avis que le gouverneur en conseil ne saurait prendre de décision sur le projet pour la même raison.
[663] Le Canada répond en ces termes :
[traduction] La Couronne reconnaît que des incertitudes et un déficit d’information jouent dans la décision sur le projet. La plupart des décisions ne sont pas le fruit d’une certitude absolue. Par exemple, il est admis que les renseignements sur le devenir et le comportement du bitume dilué en milieu marin manquent. La Couronne est disposée à discuter de cette incertitude, mais ne sait pas si le [gouverneur en conseil] décidera qu’une certaine incertitude est acceptable et approuvera le projet. Il faut signaler que le [gouverneur en conseil] peut renvoyer à [l’Office] des recommandations et des conditions pour réexamen. [Non souligné dans l’original.]
[664] Le procès-verbal n’indique aucune discussion sur le devenir et le comportement du bitume dilué dans l’eau. Ce n’est guère surprenant, car l’équipe des consultations avec la Couronne avait effectivement dit aux Squamish que le gouverneur en conseil ne tiendrait pas compte des discussions dans ses délibérations ou sa décision finale.
[665] Dans une lettre datée de la veille de l’approbation du projet, le Canada et le Bureau de l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique répondent aux préoccupations soulevées par les Squamish. En ce qui concerne le bitume dilué, la lettre est ainsi rédigée :
[traduction] La Nation Squamish a exprimé des préoccupations quant au devenir et au comportement du bitume dilué et aux risques de déversement. Le Règlement [de l’Office] sur les pipelines terrestres exige de la compagnie qu’elle élabore et mette en œuvre des programmes de gestion et de protection en vue, outre d’intervenir, de prévoir, prévenir et atténuer les conditions susceptibles de nuire à la sécurité du public, de l’environnement, des biens et du personnel et des oléoducs de la compagnie. La compagnie est assujettie aux prescriptions de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de ses règlements, aux autres normes pertinentes, ainsi qu’à toute condition dont sont assortis le certificat et le décret.
[666] Pareilles généralités ne constituent pas une véritable réponse aux préoccupations des Squamish qui craignent que l’on n’en sache pas assez sur le comportement du bitume dilué en cas de déversement et que l’approbation du projet soit ainsi prématurée.
[667] La lettre rappelle ensuite les conditions imposées par l’Office, les initiatives gouvernementales prévues (comme l’initiative régionale de préparation de l’intervention, l’engagement pris par Transports Canada d’engager le dialogue avec les Premières Nations de la Colombie-Britannique sur les questions relatives à la sécurité maritime et le Plan de protection des océans). La lettre mentionne également des recherches effectuées par le gouvernement du Canada sur le comportement du bitume dilué et les effets de ce dernier en cas de déversement en milieu marin. Bien que louables, ces initiatives ne constituent pas une réponse véritable aux préoccupations des Squamish, qui affirmaient qu’il fallait en apprendre davantage avant d’approuver le projet.
[668] Rien dans la réponse du Canada ne démontre qu’il a véritablement accordé de l’attention ou du poids à la préoccupation des Squamish au sujet du bitume dilué ou à des mesures d’atténuation ou d’accommodement concrètes.
[669] Les préoccupations des Coldwater concernant l’effet du projet sur leur aquifère sont décrites aux paragraphes 609 et 610 des présents motifs, dans l’analyse de la réticence du Canada à s’écarter des conclusions de l’Office et des conditions recommandées par lui.
[670] Comme nous l’expliquons au paragraphe 610, lors du processus de consultation, les Coldwater ont proposé un tracé qui présentait, à leur avis, moins de risques pour leur eau potable. Le Canada leur a répondu que le tracé du pipeline ressortissait à l’Office et que le rôle de l’équipe des consultations avec la Couronne consistait à veiller à ce que la question relative à l’autre tracé soit consignée dans le rapport sur les consultations de la Couronne pour être examinée par les décideurs.
[671] Au cours de la séance du 4 mai 2016, à une question des Coldwater sur la tenue d’une audience sur le tracé détaillé, Brian Nesbitt, un entrepreneur chargé de répondre à des questions à propos de l’Office, fournit la réponse suivante :
[traduction] Brian explique que le gouverneur en conseil approuvera le tracé détaillé et approuvé, mais que si quelqu’un s’y oppose, cette personne peut intervenir, demander la tenue d’une audience sur le tracé détaillé et proposer un autre tracé. Il affirme que le fardeau de la preuve est essentiellement renversé et qu’il incombe au propriétaire foncier de démontrer que le tracé optimal n’est pas celui qui a été approuvé.
Brian donne un aperçu du processus d’approbation du tracé détaillé. D’autres tracés, même hors de l’emprise approuvée, peuvent être proposés. Dans ces cas, il incombe à l’intervenant de démontrer que ce tracé est le meilleur choix. D’après l’expérience de Brian, de tels arguments ont été présentés dans d’autres affaires et ont parfois été retenus. Il donne l’exemple d’un oléoduc qui passait par un boisé où se retrouvaient des jeunes de quartiers défavorisés. Si l’audience sur le tracé détaillé fait émerger un autre tracé, le promoteur doit obtenir une modification, ce qui peut exiger une décision de la part du gouverneur en conseil, selon le libellé du certificat d’utilité publique. Brian souligne qu’il incombe au propriétaire foncier d’établir qu’il existe un meilleur tracé. [Non souligné dans l’original.]
[672] Un conseiller principal d’Affaires autochtones et du Nord Canada affirme que les Coldwater nécessiteraient une modification très importante du tracé, qui dévierait sur environ 10 kilomètres de l’emprise approuvée.
[673] L’avocate des Coldwater, Melinda Skeels, réplique en ces termes :
[traduction] Melinda affirme qu’il ne semble pas raisonnable de s’attendre à ce que les Coldwater montent le dossier de preuve nécessaire pour défendre l’autre tracé. À son avis, cette question doit être tranchée avant la délivrance du certificat; elle ne saurait l’être après.
Melinda dit qu’il ne semble pas que la tenue d’une audience sur le tracé détaillé constitue une option réaliste pour répondre aux préoccupations des Coldwater.
D’après les souvenirs des Coldwater : Joseph, Tim et Ross sont généralement d’accord, tout particulièrement vu l’importance de la modification du tracé et du fait que le fardeau de preuve leur incomberait.
La position de la Couronne : Les représentants de la Couronne n’auraient pas exprimé leur accord ou désaccord sur cet énoncé.
[674] Le conseiller principal d’Affaires autochtones et du Nord Canada répond en ces termes :
[traduction] […] consigner cette préoccupation dans le rapport sur les consultations de la Couronne est une manière de la présenter aux décideurs avant leur décision à l’égard du certificat. Selon lui, la question du tracé est un élément crucial du certificat d’utilité publique, et la Couronne pourrait être contrainte de la renvoyer à [l’Office] pour réexamen.
[675] Comme nous l’expliquons au paragraphe 587 des présents motifs, la demande des Coldwater à l’égard de l’analyse du tracé du pipeline est remise sur le tapis à la séance de consultation du 7 octobre 2016. Le Canada, reconnaissant que la question de l’aquifère n’a pas été explorée complètement, exprime néanmoins sa confiance à l’égard de la condition 39 imposée par l’Office.
[676] Il répond :
[traduction] Les Coldwater expriment leur préoccupation que, les choses s’accélérant après l’approbation [par le gouverneur en conseil], il faudrait une conclusion défavorable importante dans le rapport sur la condition 39 pour que l’option ouest devienne viable. Ils sont d’avis que le déplacement du pipeline à l’intérieur du couloir approuvé de 150 m après la tenue d’une audience sur le tracé détaillé ne répondrait pas à leurs préoccupations concernant l’aquifère, car l’option ouest se trouve bien au-delà de ce couloir recommandé. Les Coldwater demandent s’il est déjà arrivé qu’un couloir approuvé soit modifié par suite d’un rapport publié après l’approbation par le gouverneur en conseil.
[L’Office] affirme que des tracés ont déjà été modifiés par suite d’une audience sur le tracé détaillé pour diverses raisons; or, il (Brian Nesbitt) n’est personnellement au courant d’aucun cas où le tracé final ne se trouvait pas dans le couloir approuvé. Toutefois, c’est possible si la situation le justifie.
[…]
La Couronne répond que l’Office a imposé la condition 39 parce qu’il estimait que la preuve ne permettait pas d’évaluer avec certitude l’effet du projet sur l’aquifère des Coldwater. Il faudra s’occuper de ce déficit d’information, à la satisfaction de [l’Office], avant le début des travaux. La Couronne reconnaît que la condition n’offre aucune certitude sur la possibilité de modification du couloir. Or, l’existence de la condition révèle que [l’Office] n’est pas satisfait des renseignements actuels. [Non souligné dans l’original.]
[677] Le Canada, dans le rapport sur les consultations de la Couronne, reconnaît qu’un déversement associé au projet risque d’avoir des effets variant de faibles à graves sur les intérêts autochtones des Coldwater :
[traduction] La Couronne reconnaît les nombreux facteurs qui jouent sur la gravité et le type d’effets qu’un déversement est susceptible d’emporter et admet que l’évaluation précise des effets d’un tel déversement sur les intérêts autochtones présente un degré élevé d’incertitude. La Couronne reconnaît que les Coldwater tirent principalement leur eau potable – ainsi que des aliments de subsistance et des ressources naturelles – d’un aquifère que le projet traversera. Le risque que présente un déversement est donc élevé dans leur cas. Pour répondre à leurs préoccupations pendant la période subséquente aux consultations de la Couronne [par l’Office], [le Bureau de l’évaluation environnementale] propose, outre la condition 39 [de l’Office], une condition obligeant à décrire les sources de recharge et d’écoulement de l’aquifère et le confinement de celui-ci et à évaluer sa vulnérabilité. [Non souligné dans l’original; renvoi omis.]
[678] Tout au long du processus de consultation, le Canada a cherché à comprendre les préoccupations des Coldwater, et le Bureau d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique a exigé un second rapport d’étude hydrogéologique pour son approbation. Toutefois, le Canada n’a pas exploré les façons de répondre aux préoccupations des Coldwater. Il n’a pas non plus, à en juger par les faits, envisagé sérieusement de mesures d’accommodement, probablement parce qu’il croyait à tort ne pas être habilité à imposer d’autres conditions au promoteur.
[679] Le Canada reconnaît que le projet sera situé dans une partie du territoire traditionnel des Coldwater où leur revendication du titre ancestral est à première vue solide. Dans ces circonstances — vu qu’il incombe aux Coldwater de démontrer l’existence d’un tracé supérieur et que, selon l’expert de l’Office, le tracé n’a jamais été déplacé en dehors du couloir approuvé —, le Canada dit avoir confiance à l’égard de la condition 39 et en avise les Coldwater. Or, comme l’admet le Canada, cette condition n’apporte aucune certitude quant au tracé du pipeline ou quant à l’évaluation par l’Office des risques pour l’aquifère.
[680] À la fin du processus de consultation et au moment de l’approbation du projet, le Canada n’a pas engagé de véritable dialogue avec les Coldwater ni examiné les moyens de répondre à leurs préoccupations réelles au sujet de l’unique source d’eau potable alimentant leur réserve.
[681] Dans le cadre de leurs efforts d’engagement avec la Couronne, les Stó:lō ont préparé un mémoire technique détaillé intitulé [traduction] « Évaluation culturelle intégrée relative au projet d’agrandissement du réseau Trans Mountain » et en ont déposé une copie à l’Office.
[682] Ce mémoire est le fruit de sondages, d’entrevues, de réunions et d’ateliers réalisés auprès de plus de 200 membres d’environ 11 bandes appartenant au Collectif Stó:lō. Suivant le mémoire, le projet présentait un risque important pour le mode de vie traditionnel et unique des Stó:lō et menaçait l’intégrité culturelle et la survie de rapports cruciaux pour la vision du monde, l’identité, la santé et le bien-être des Stó:lō. Le mémoire présentait 89 recommandations qui atténuerait, de l’avis des Stó:lō, les effets négatifs du projet sur les Stó:lō s’ils étaient mis en œuvre par Trans Mountain ou la Couronne.
[683] Pour illustrer la nature des recommandations, examinons la section 17.2 du mémoire, qui concerne les pêches. La section 17.2.1 traite de la gestion et de la planification dans le contexte de l’atténuation des effets sur les pêches. Les mesures d’atténuation de gestion et de planification recommandées sont les suivantes :
[traduction] 17.2.1 Gestion et planification
5. Les représentants des pêches des Stó:lō participeront à l’élaboration et à l’examen des plans de gestion des pêches et des plans de protection de l’environnement des points de franchissement des cours d’eau avant les travaux et avant que les plans relatifs aux mesures d’atténuation soient finalisés.
6. Les représentants des Stó:lō présenteront des observations sur les sites proposés pour le prélèvement et le rejet d’eau des essais hydrostatiques.
7. [Le promoteur] consultera les représentants des Stó:lō pour élaborer des plans d’intervention d’urgence dans la région à l’étude.
8. Les représentants des Stó:lō consulteront les membres de la communauté pour déterminer les plans de remise en état aux points de franchissement des cours d’eau, dont la stabilisation des berges, la variété des semences ou le reboisement.
9. Les représentants des pêches des Stó:lō devront être avisés si la méthode d’isolement ne fonctionne pas et que [le promoteur] envisage une autre méthode de franchissement.
10. Les représentants des Stó:lō devront être avisés dès qu’un déversement ou une fuite est détecté, quelle qu’en soit la taille.
11. Dans le cadre du programme de suivi de la qualité de l’eau, un représentant des pêches des Stó:lō doit être informé dans un délai de douze heures de tout résultat qui n’atteint ou n’excède pas les lignes directrices établies.
[684] Ces mesures sont précises, brèves et généralement modérées et raisonnables. Si elles étaient adoptées, elles seraient plus détaillées que les conditions générales de l’Office issues des consultations et exigeraient que les Stó:lō soient informés rapidement d’incidents susceptibles de nuire à leurs intérêts.
[685] Au cours des rondes de demandes de renseignements, les Stó:lō ont insisté en vain auprès de Trans Mountain qu’elle réponde à leurs 89 recommandations. Trans Mountain a plutôt exprimé un énoncé général selon lequel elle s’engageait à collaborer avec les Stó:lō en vue d’élaborer un plan qui conviendrait aux deux.
[686] L’Office n’a retenu aucune des 89 recommandations précises des Stó:lō dans ses conditions.
[687] Lors d’une séance avec l’équipe des consultations avec la Couronne tenue le 13 avril 2016, avant la publication du rapport de l’Office, les Stó:lō donnent un aperçu de la préparation de leur mémoire et expriment plusieurs préoccupations, dont leur insatisfaction à l’égard de l’engagement de Trans Mountain.
[688] Selon les représentants des Stó:lō, entre autres, l’Office a ordonné à Trans Mountain d’inclure des connaissances autochtones dans la planification du projet, ce qu’elle n’a pas fait. Par exemple, les Stó:lō expliquent que le fleuve Fraser, méandrique, subit l’effet des marées (au moins jusqu’à l’embouchure de la Harrison) et que son lit de gravier actif est lié sur le plan hydrologique à de nombreux marais et cours d’eau que franchira le projet. Le mémoire présente une carte des cours d’eau historiques, ainsi qu’un tableau énumérant les connaissances traditionnelles et locales concernant ces cours d’eau. Les rapports techniques de Trans Mountain n’ont pas tenu compte de ces renseignements. De l’avis des Stó:lō, les hypothèses et les cartes de Trans Mountain concernant le Fraser sont erronées et ne tiennent pas compte de leurs connaissances traditionnelles. Un an après avoir transmis leur mémoire à Trans Mountain, les Stó:lō rencontrent le superviseur des pêches de cette dernière. Il n’a jamais vu le mémoire ni les renseignements techniques qu’il contient.
[689] En outre, les Stó:lō expliquent les lacunes relevées dans la preuve soumise par Trans Mountain à l’Office sur les titre, droits et intérêts des Stó:lō ainsi que sur les effets du projet à leur égard. Par exemple, selon la preuve de Trans Mountain, les Stó:lō ne s’adonnent à aucune activité de cueillette traditionnelle dans la région visée par le projet. Toutefois, leur mémoire recense plusieurs sites de cueillette dans le couloir proposé. Aussi, selon la preuve de Trans Mountain, la région visée par le projet est inhabitée. Or, le mémoire recense trois zones d’habitation dans le couloir proposé et deux zones d’habitation à moins de 50 mètres de ce couloir.
[690] À une autre séance de consultation, le 23 septembre 2016, les Stó:lō répètent leur préoccupation fondamentale que le processus de l’Office n’a pas permis de contraindre le promoteur à intégrer les renseignements sur les usages traditionnels des Stó:lō à l’évaluation du projet. L’ébauche du rapport sur les consultations de la Couronne fait fi de la preuve déposée par les Stó:lō sur l’usage traditionnel des terres et reprend la preuve lacunaire présentée par Trans Mountain à l’Office. Par exemple, les Stó:lō soulignent que la Couronne a tort d’affirmer que [traduction] « le couloir proposé pour le pipeline ne contient aucun site de cueillette ». Les Stó:lō avaient déjà expliqué cela le 13 avril 2016.
[691] Le Collectif Stó:lō n’est pas convaincu que Trans Mountain respecte ses engagements d’inclure les Autochtones de la région ou leurs connaissances traditionnelles dans la planification du projet à moins que les conditions imposées par l’Office exigent de Trans Mountain d’établir de véritables rapports réguliers avec les communautés des Stó:lō.
[692] Les représentants du Canada confirment que le Collectif Stó:lō cherche à resserrer les conditions, à obtenir des engagements particuliers pour sa communauté et une reddition de compte accrue de la part de Trans Mountain de sorte que les conditions qu’il propose deviennent des prescriptions administratives.
[693] L’équipe des consultations avec la Couronne rencontre les Stó:lō une fois après la publication du rapport de l’Office, le 23 septembre 2016.
[694] À cette occasion, [traduction] « le Collectif est très préoccupé par la situation : le rapport [de l’Office] a été publié le 19 mai, la décision [du gouverneur en conseil] est prévue pour le 19 décembre et la Couronne nous consulte seulement aujourd’hui (le 23 septembre) sur le rapport [de l’Office] alors que tant de lacunes subsistent dont il faut discuter et qu’il faut tenter de régler en si peu de temps ».
[695] L’équipe des consultations avec la Couronne présente alors les conclusions de l’Office résumées sur des diapositives. Les Stó:lō signalent leur désaccord sur les conclusions suivantes :
- « la construction et les activités courantes d’entretien auraient une incidence temporaire sur la possibilité pour les groupes autochtones d’utiliser les terres, l’eau et les ressources à des fins traditionnelles et que ces activités interrompraient temporairement leurs possibilités de se livrer à certaines activités comme la récolte ou l’accès aux lieux ou à des secteurs [d’usage des terres et des ressources à des fins traditionnelles] »;
- « la contribution du projet aux incidences culturelles plus globales en ce qui concerne l’accès aux ressources naturelles et l’usage de celles-ci est jugée non importante »;
- « ces répercussions seraient de courte durée, […] limitées à de brèves périodes pendant la construction et l’entretien de routine et que ces effets seront en grande partie confinés à l’empreinte du projet du pipeline […] réversibles à court ou à long terme et de faible amplitude ». [En italiques et en gras dans l’original.]
[696] Les Stó:lō soulignent les effets du projet, susceptibles de se révéler permanents sur les sites culturels d’une importance critique pour eux, et sur l’accès aux ressources naturelles et l’usage de ces dernières.
[697] Quant aux sites d’une importance culturelle critique, les Stó:lō expliquent que les renseignements figurant dans leur mémoire n’ont pas éclairé du tout la conception du projet et n’ont pas été inclus dans les cartes-tracés. Comme les renseignements sur les sites culturels n’ont pas été consignés dans les cartes-tracés, il n’a pas été tenu compte de diverses entités géographiques connues des Stó:lō et du promoteur dans les effets du projet ou les efforts visant à les éviter ou les atténuer. En réponse à des questions, les Stó:lō confirment le fait que Trans Mountain connaissait les sites revêtant une importance pour les Stó:lō, énoncés dans le mémoire, mais ne les avait pas indiqués dans les cartes représentant le couloir de l’emprise. Selon les Stó:lō, les sites n’étaient donc pas protégés au cas où le projet est approuvé.
[698] En ce qui concerne Lightning Rock, un site culturel important, utilisé comme cimetière et site spirituel, les Stó:lō soulignent que Trans Mountain envisage d’établir une zone de préparation des travaux à proximité, ce qui détruirait le site selon eux. L’Office a imposé la condition 77 pour protéger l’endroit. Suivant la condition, Trans Mountain doit déposer un compte rendu des enquêtes terrain à l’égard du site, y compris les consultations auprès du Collectif Stó:lō. Toutefois, les experts sur le patrimoine culturel des Stó:lō n’ont pu participer aux travaux avec Trans Mountain sur les plans de gestion concernant Lightning Rock depuis septembre 2015, ce qui cause énormément de frustration.
[699] Les Stó:lō proposent que les conditions imposées par l’Office énumèrent expressément les groupes autochtones avec qui Trans Mountain est tenue de transiger au lieu du terme général « les groupes autochtones éventuellement touchés » qui figure dans les conditions actuelles.
[700] Les Stó:lō demandent également voix au chapitre dans la sélection des surveillants autochtones qui travailleront sur leur territoire en application d’une condition imposée par l’Office. Par exemple, la condition 98 exige de Trans Mountain qu’elle dépose un plan décrivant la participation des « groupes autochtones » à la surveillance de la construction. Les Stó:lō veulent veiller à ce que ces surveillants connaissent suffisamment les questions importantes pour les Stó:lō.
[701] Le procès-verbal du 23 septembre 2016 ne révèle aucune réponse ni aucun véritable dialogue de la part de l’équipe des consultations avec la Couronne en réponse aux préoccupations et suggestions des Stó:lō.
[702] Il est intéressant d’examiner les propos suivants prononcés par le dirigeant de l’équipe des consultations avec la Couronne à la séance du 16 novembre 2016 avec les Upper Nicola. Il s’agit de la dernière séance de consultation, et de la seule tenue après la transmission de la seconde ébauche du rapport sur les consultations de la Couronne qui présente l’évaluation des effets du projet par le Canada. Le dirigeant explique :
[traduction] […] le terme « groupes autochtones éventuellement touchés » est trop vague selon de nombreux groupes autochtones, et ce terme est repris tout au long des 157 conditions. On renvoie au traitement particulier des groupes autochtones dans le rapport sur les consultations et les mesures d’accommodement. On discute d’un autre point concernant la condition [de l’Office] relative aux « surveillants autochtones » – les communautés ne [sic] voudraient des Autochtones connaissant la région pour agir dans ce rôle et non des gens qui viennent de loin.
[703] Malgré la préoccupation qui semble généralisée à propos du terme « groupes autochtones éventuellement touchés » utilisé par l’Office, la nécessité d’engager des surveillants autochtones choisis localement et la faculté pour le Canada d’imposer d’autres conditions qui traduiraient la particularisation voulue, le Canada n’a pas véritablement envisagé ces mesures.
[704] Dans leur lettre du 28 novembre 2016, le Canada et le Bureau de l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique font mine de répondre à deux préoccupations exprimées par les Stó:lō : les connaissances environnementales traditionnelles et les sites revêtant une importance culturelle.
[705] La Couronne [traduction] « reconnaît l’opinion du Collectif Stó:lō suivant laquelle [l’Office] et le promoteur ont fait fi des connaissances traditionnelles dans l’élaboration des conditions et la conception du projet ». La Couronne traite de ces questions dans les sections III et IV de l’annexe consacrée au Collectif Stó:lō (pages 13, 29 et 30).
[706] Nous examinons l’annexe consacrée aux Stó:lō aux paragraphes 712 et suivants des présents motifs. Comme nous l’expliquons ci-après, cette annexe ne traite pas véritablement des préoccupations exprimées à propos des connaissances environnementales traditionnelles et des sites revêtant une importance culturelle.
[707] La Couronne présente deux autres points qui ne figurent pas dans l’annexe consacrée aux Stó:lō. D’abord, elle comprend que les Stó:lō peuvent demander la tenue d’une audience sur le tracé détaillé. Deuxièmement, elle encourage le Collectif Stó:lō à poursuivre les discussions avec le promoteur.
[708] Quant à l’audience sur le tracé détaillé, la Couronne indique que [traduction] « [l]a tenue d’une telle audience donne la possibilité d’un déplacement de l’emprise ». Cette réponse appelle trois remarques. Premièrement, comme nous l’expliquons aux paragraphes 380 à 384 des présents motifs, l’emprise peut être déplacée à l’issue d’une telle audience, mais seulement à l’intérieur du couloir proposé, sinon il faut demander la modification du couloir. Deuxièmement, le fardeau incombe alors à la personne qui demande la modification. Troisièmement, le Canada n’a pas envisagé la possibilité d’imposer d’autres conditions, probablement parce qu’il croyait à tort ne pas y être habilité. La possibilité de demander la tenue d’une audience sur le tracé détaillé n’emporte aucune certitude quant au traitement des effets négatifs potentiels du projet sur les sites revêtant une importance pour les Stó:lō. Il ne s’agit pas d’une véritable réponse de la part du Canada.
[709] Quant à la suggestion de la Couronne encourageant le Collectif Stó:lō à poursuivre les discussions avec le promoteur, rien n’explique en quoi cette suggestion constitue une réponse adéquate aux préoccupations exprimées par les Stó:lō, ces derniers ayant déjà indiqué la réticence du promoteur à les rencontrer en temps utile ou du tout.
[710] La lettre du 28 novembre 2016 mentionne également les quatre mesures d’accommodement demandées par les Stó:lō dans leur présentation de deux pages au gouverneur en conseil. La première mesure demandait l’adoption d’une condition pour [traduction] « esquisser et détailler la collaboration de Trans Mountain avec le Collectif Stó:lō en vue de mettre à jour les cartes-tracés et les plans de protection environnementale en fonction du mémoire » (mars 2014). On a répondu aux Stó:lō en ces termes : [traduction] « Les recommandations figurant dans la présentation de deux pages datée du 17 novembre 2016 seront transmises directement aux décideurs fédéraux et provinciaux ».
[711] Faisons abstraction du fait que la lettre a été envoyée la veille de l’approbation du projet. Rien dans ce qui précède ne peut être assimilé au véritable dialogue tenant compte des préoccupations soulevées que commande l’obligation de consulter identifée par la Cour suprême.
[712] Rien dans l’annexe consacrée aux Stó:lō dans le rapport sur les consultations de la Couronne ne constitue une véritable réponse non plus. C’est ce qui ressort des deux exemples suivants. Premièrement, l’annexe indique que le Collectif Stó:lō a recommandé la prise de 89 mesures précises par Trans Mountain pour atténuer ou éviter les effets négatifs sur ses intérêts autochtones, mais rien ne révèle que le Canada a sérieusement envisagé de mettre en œuvre l’une ou l’autre de ces mesures recommandées ni n’explique pourquoi il n’en a retenu aucune comme mesure d’accommodement ou d’atténuation. Deuxièmement, l’annexe reconnaît que les Stó:lō ont donné en exemple des connaissances environnementales traditionnelles qui, selon eux, avaient été négligées par le promoteur et l’Office dans la conception du projet, l’évaluation environnementale et la planification en matière d’atténuation. Or, aucune analyse de cette préoccupation n’est fournie et aucune réponse n’y est donnée.
[713] Il ressort de l’annexe consacrée aux Stó:lō que la Couronne s’en remet aux conclusions de l’Office pour affirmer que les effets du projet sur ce groupe varieront de faibles à modérés. Par exemple, l’annexe reprend la conclusion de l’Office selon laquelle, si le projet est approuvé, les conditions imposées par l’Office permettront d’éviter ou d’atténuer, directement ou non, les effets environnementaux sur la chasse, le piégeage et la cueillette. À propos des préoccupations précises soulevées par les Stó:lō sur la qualité du rapport et des conditions de l’Office, l’annexe indique ce qui suit :
[traduction] […] le promoteur mettra en œuvre plusieurs mesures d’atténuation visant à réduire les effets potentiels sur les espèces revêtant de l’importance pour les activités de chasse, de piégeage et de cueillette du Collectif Stó:lō. Le promoteur s’engage à atténuer, dans la mesure du possible, l’empreinte du projet, et toutes les ressources sensibles énumérées dans les cartes-tracés et les tableaux environnementaux dans les environs immédiats de [l’emprise] seront clairement indiqués avant le début du déboisement.
[714] Bien que la deuxième ébauche du rapport sur les consultations de la Couronne ait été révisée pour inclure les sites de cueillette indiqués par les Stó:lō dans leur mémoire et lors des séances de consultation d’avril et d’octobre, le Canada continue de s’en remettre aux conclusions de l’Office, sans autre explication. Par exemple, il ne précise pas pourquoi il continue de souscrire à la conclusion de l’Office selon laquelle « Trans Mountain a tenu compte adéquatement de tous les renseignements consignés au dossier par les groupes autochtones au sujet de leurs usages et de leurs activités à des fins traditionnelles » (rapport, page 288) au vu des renseignements figurant dans le mémoire.
[715] Le Canada n’explique pas non plus pourquoi il se montre confiant à l’égard de l’engagement du promoteur, malgré les préoccupations exprimées par les Stó:lō selon qui Trans Mountain n’a pas respecté ses engagements actuels et risque, en l’absence d’autres conditions, de manquer à ses engagements envers l’Office.
[716] En réponse à la préoccupation des Stó:lō concernant l’établissement d’une zone de préparation des travaux à Lightning Rock, l’annexe indique que ce site est protégé par la condition 77, qui oblige le promoteur à déposer auprès de l’Office une évaluation du patrimoine archéologique et culturel de ce site visant à déterminer les effets potentiels des travaux et de l’exploitation du projet. Pour reprendre un passage de l’annexe :
[traduction] Toutefois, il s’agit d’un site sacré, comportant des tertres funéraires. Le Collectif Stó:lō indique que le projet ne saurait être situé à proximité, car il est nécessaire de préserver l’intégrité culturelle du site et de ses environs. De l’avis du Collectif Stó:lō, la zone située autour de Lightning Rock devrait être interdite au projet.
[717] Or, le Canada ne se prononce pas sur l’opinion des Stó:lō suivant lequel la zone environnant Lightning Rock devrait être interdite.
[718] L’annexe présente une autre préoccupation des Stó:lō sans la régler : l’absence sur les cartes-tracés de Trans Mountain d’autres sites revêtant une importance culturelle, dont la présence de zones de baignades à l’intérieur de l’emprise de 150 mètres aux chutes Bridal Veil et d’une ancienne maison semi-souterraine à l’intérieur de l’emprise. L’Office n’a imposé aucune condition à leur égard.
[719] L’annexe résume ainsi la conclusion du Canada à l’égard de ces préoccupations des Stó:lō :
[traduction] En ce qui concerne les préoccupations précises en matière de risque soulevées par le Collectif Stó:lō, le promoteur mettra en œuvre plusieurs mesures d’atténuation sur les ressources du patrimoine physique et culturel qui revêtent de l’importance pour les pratiques traditionnelles et culturelles du Collectif Stó:lō. Le promoteur s’est aussi engagé à réduire les perturbations possibles sur les biens et les activités communautaires en adoptant plusieurs mesures, dont éviter les éléments et biens communautaires qui revêtent de l’importance pendant les travaux [d’emprise], réduire la largeur [de l’emprise] dans certaines zones, éviter les travaux aux dates d’activités importantes dans la mesure du possible, communiquer le calendrier des travaux et les plans aux représentants de la communauté et entretenir les consultations et l’engagement avec les gouvernements locaux et autochtones.
[720] Il ne s’agit pas d’un véritable dialogue répondant aux préoccupations réelles et légitimes des Stó:lō sur des questions qui revêtent une importance vitale pour ces derniers.
[721] Le Canada adopte une démarche semblable dans son évaluation de l’effet du projet sur les activités de pêche en eau douce et en mer, ainsi que de cueillette, qui figure aux pages 24 à 27 de l’annexe consacrée aux Stó:lō.
[722] Cette section de l’annexe commence par un rappel du rapport démontré des Stó:lō à la pêche et à la récolte maritime [traduction] « qui se situent au cœur des activités et traditions culturelles des Stó:lō, de leur subsistance et de leur économie ».
[723] Après un résumé de chaque préoccupation soulevée par les Stó:lō, le Canada y répond en reprenant les conclusions de l’Office selon lesquelles les effets du projet varieront de faibles à modérés et que les conditions permettront directement ou indirectement d’éviter ou de réduire les effets environnementaux potentiels du projet sur les activités de pêche.
[724] Dans cet examen, le Canada souscrit à la conclusion de l’Office selon laquelle [traduction] « les activités associées au projet pourraient avoir des effets d’une ampleur faible à modérée sur le poisson d’eau douce et de mer, l’habitat du poisson, l’eau de surface et la qualité de l’eau de mer ». L’annexe 12 du rapport de l’Office définit l’ampleur modérée comme un effet notable sur la ressource.
[725] Le Canada reconnaît également que les activités de pêche et de récolte directement touchées par la construction et l’exploitation du terminal maritime Westridge ne se produiraient pas à l’intérieur des frontières du bail maritime prolongé pendant la durée utile du projet.
[726] En outre, les effets sur la navigation, tout particulièrement dans l’est de la baie Burrard, se feraient sentir pendant la durée du projet, tous les jours. Les navires associés au projet nuiraient également temporairement aux activités de pêche et de récolte du Collectif Stó:lō. Ces perturbations sont décrites comme [traduction] « probablement temporaires en ce qui concerne l’accès aux sites de pêche dans la baie Burrard nécessitant la traversée de couloirs de navigation, car les bateaux de la communauté pourraient poursuivre leur route peu après le passage du navire-citerne ». Si le terminal maritime Westridge accueille 34 Aframax par mois, la perturbation se produirait quotidiennement.
[727] Brillent aussi par leur absence de l’analyse des consultations le droit de pêche constitutionnel des Stó:lō et l’examen par le Canada de ce droit, ainsi qu’une explication sur la manière dont le processus de consultation a joué dans l’évaluation ultime par le Canada des effets du projet sur les Stó:lō. De véritables consultations ne se résumaient pas à réitérer les conclusions de l’Office et ses conditions, sans examiner les préoccupations particulières soulevées par les Stó:lō sur ces conclusions.
e. L’expérience des Upper Nicola
[728] Tout au long du processus de consultation, les Upper Nicola ont soulevé l’effet du projet sur le titre et les droits qu’ils revendiquent. La question est soulevée aux séances de consultation tenues le 31 mars et le 3 mai 2016, sans qu’il y ait de véritable dialogue. Les représentants du Canada affirment à la séance de mars ne pas connaître, avant la publication du rapport de l’Office, la teneur des effets du projet sur l’environnement et les intérêts des Upper Nicolas et ne pas pouvoir [traduction] « extrapoler de ces changements les effets sur les droits et le titre ancestraux [des Upper Nicola] ».
[729] La question est soulevée à nouveau, après la publication du rapport de l’Office, à la séance de consultation du 22 septembre 2016. Les Upper Nicola ne souscrivent pas à l’affirmation, faite par le Canada dans la première ébauche du rapport sur les consultations de la Couronne, selon laquelle les travaux auront un effet potentiel temporaire sur le titre qu’ils revendiquent sur l’emprise du pipeline tandis que l’exploitation du projet aura un effet à long terme sur ce titre. Selon les Upper Nicola, l’effet des travaux ne sera pas temporaire. En outre, à leur avis, en examinant l’effet du projet sur le titre, le Canada a fait fi de l’effet sur l’exercice des pouvoirs et la gestion ainsi que des préoccupations concernant le titre, comme les questions relatives aux terres et à l’eau. Le procès-verbal ne relate aucune réponse à ces préoccupations.
[730] Le Canada n’a pas non plus offert de véritable réponse à la thèse des Upper Nicola selon laquelle le projet empêcherait la tenue d’activités traditionnelles sur une zone de 16 000 hectares. Selon eux, il s’agit d’un effet important qui nécessite l’accommodement de leurs droits à l’intendance et à l’utilisation des terres et de l’eau et à l’exercice des pouvoirs visant ces derniers. La réponse du Canada se résumait à accuser réception d’une lettre expédiée au premier ministre par plusieurs groupes autochtones dans laquelle ils proposent, en guise de mesure d’atténuation, de jouer un rôle accru dans la surveillance et l’intendance du projet. Le Canada a déclaré que la proposition avait du bon sens et qu’une réponse serait rédigée.
[731] Le 18 novembre 2016, les Upper Nicola écrivent au dirigeant de l’équipe des consultations avec la Couronne pour souligner leurs principales préoccupations qui subsistent au sujet du projet et du processus de consultation. Au sujet du titre, les Upper Nicola écrivent :
[traduction] La Couronne a décidé que notre revendication du titre et des droits ancestraux est à première vue solide dans certaines régions. Elle doit donc reconnaître les effets importants du projet sur ce titre et ces droits des Upper Nicola/Syilx et les atteintes à ceux-ci, dont les droits qui découlent du titre ancestral : à l’égard des terres, le droit de décider de leur utilisation, le droit de jouissance et d’occupation, le droit de possession, le droit d’en profiter économiquement et le droit de les utiliser et de les gérer de manière proactive et celui d’obtenir une réponse à ces effets, préoccupations et atteintes. Rien n’a encore été fait. [Non souligné dans l’original.]
[732] Le Canada et le Bureau de l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique répondent aux questions des Upper Nicola dans la lettre du 28 novembre 2016, la veille de l’approbation du projet. Le titre revendiqué est seulement mentionné brièvement ainsi :
[traduction] Effets et atténuation : En réponse aux commentaires reçus, la Couronne a examiné l’analyse présentée dans le rapport sur les consultations et les mesures d’accommodement sur les effets directs et indirects du projet sur les droits et autres intérêts de la Nation Syilx (Okanagan). En outre, les Upper Nicola affirment que l’étude intitulée « Upper Nicola Band Traditional Use and Occupancy Study for the Kingsvale Transmission Line in Support of the Trans Mountain Expansion Project » (Kingsvale TUOS) n’est pas mentionnée dans l’annexe consacrée à la Nation Syilx (Okanagan). Les Upper Nicola ont renvoyé l’étude à la Couronne le vendredi 18 novembre. La Couronne a examiné le document, a résumé ses conclusions dans l’annexe concernant la Nation Syilx (Okanagan) et a cherché à savoir si ces renseignements apportaient des changements aux effets prévus du projet sur les droits et le titre ancestraux de la Nation Syilx (Okanagan). Par conséquent, les conclusions sur les effets du projet sur les activités de pêche en eau douce et d’autres activités traditionnelles et culturelles de la Nation Syilx (Okanagan) ont été révisées à la hausse ainsi que pour les effets sur le titre ancestral. [Non souligné dans l’original.]
[733] La demande de reconnaissance des effets du projet et de l’atteinte aux droits et au titre revendiqués par les Upper Nicola est restée lettre morte.
[734] Dans l’annexe concernant les Upper Nicola, le Canada reconnaît que le projet sera situé dans une zone appartenant au territoire traditionnel revendiqué par la Nation Syilx, à l’égard duquel cette dernière a une revendication à première vue solide de titre et de droits ancestraux. Selon le Canada, le projet aura [traduction] « un effet variant de faible à modéré sur le titre ancestral revendiqué par la Nation Syilx à l’égard de la zone visée par le projet ». Le Canada n’a pas examiné en détail les préoccupations des Upper Nicola relatives à l’exercice des pouvoirs et au droit au titre. Certes, le Canada renvoie à la section 4.3.5 du rapport sur les consultations de la Couronne. Or, cette section ne fait que réitérer les conclusions de l’Office et les conditions imposées par ce dernier et mentionne que le promoteur est tenu de poursuivre les consultations [traduction] « avec les groupes autochtones éventuellement touchés ».
[735] Brille par son absence toute explication quant à savoir pourquoi des effets modérés sur le titre ne justifient aucune autre mesure d’accommodement que les mesures d’atténuation environnementale génériques — non particulières aux Upper Nicola — recommandées par l’Office.
[736] Tout au long de l’étape III, les Upper Nicola proposent nombre de mesures d’atténuation possibles et demandent des accommodements visant l’eau, en matière d’intendance, d’utilisation et d’exercice du pouvoir. Rien n’explique pourquoi le Canada rejette la demande. Il ne s’agit pas d’un véritable dialogue ni d’une consultation raisonnable.
[737] Le Canada rencontre les SSN à deux reprises pendant l’étape III. La première fois, le 3 août 2016, les SSN disent souhaiter que les consultations transcendent l’évaluation environnementale, insuffisante à leurs yeux pour répondre aux questions touchant leur territoire. Les SSN désirent arriver à une entente sur un protocole de consultation de Nation à Nation avec le projet pour point de départ de consultations ultérieures.
[738] En réponse, le Canada et les représentants de la Colombie-Britannique demandent aux SSN de prendre connaissance d’une ébauche de protocole d’entente visant les consultations sur le projet (affidavit de Jeanette Jules, paragraphe 70).
[739] Suivant le procès-verbal de cette première séance, les SSN soulèvent les mesures d’accommodement ou d’atténuation suivantes : que les conditions du projet relatives à la sécurité et à la protection civile, aux avertissements aux communautés et aux possibilités de formation soient précisées et que des droits de déversement et une taxe soient imposés au promoteur à l’avantage des SSN. Le procès-verbal ne révèle aucun dialogue ou réponse de la part du Canada à ces propositions.
[740] Le 9 septembre 2016, le dirigeant de l’équipe des consultations avec la Couronne fait parvenir une ébauche de protocole d’entente aux SSN (tenant sur deux pages, sans la page de signature).
[741] Lors de la seconde — et dernière — séance de consultation, le 6 octobre 2016, les SSN indiquent vouloir que le promoteur se soumette à un examen du projet par les SSN, mais que ce dernier ne voit pas d’un bon œil la tenue d’un autre examen. Les SSN réitèrent leur souhait d’être autorisés par les Couronnes fédérale et provinciale à prélever une taxe sur le développement des ressources aux promoteurs dont les projets sont situés dans le territoire traditionnel des SSN. En réponse, la Couronne mentionne les difficultés que soulèvent une telle mesure fiscale et un nouvel examen du projet par les SSN avant l’échéance du 19 décembre 2016.
[742] Lors de cette séance, le Canada sollicite des commentaires sur l’ébauche du protocole d’entente. Jeanette Jules, conseillère au sein de la Bande indienne de Kamloops, affirme dans un affidavit déposé au soutien de la demande de contrôle judiciaire présentée par les SSN :
[traduction] À la réunion [du 6 octobre 2016], le plus clair du temps est consacré à la discussion sur la teneur du [protocole d’entente], c’est-à-dire la nature de l’engagement avec les Couronnes sur le projet. Nous n’avons pas abordé le tracé du pipeline à Pipsell ou les préoccupations des SSN sur les autres terres nécessaires dans l’aire protégée des prairies du Lac du Bois, et ce même si j’ai soulevé ces préoccupations à nouveau à la réunion. À la fin de la réunion, les Couronnes se sont engagées à réviser le [protocole d’entente] et à organiser une autre réunion pour en discuter avec nous. [Non souligné dans l’original.]
[743] Le procès-verbal de la réunion révèle que vers la fin de la réunion, les SSN indiquent vouloir que le centre d’intervention en cas de déversement terrestre soit situé dans leur réserve. Les SSN envisagent le financement du centre par le prélèvement de droits à cette fin sur chaque baril de produit transitant par le pipeline.
[744] Le protocole d’entente n’a jamais été adopté, et aucune autre séance n’a été tenue entre le Canada et les SSN. Selon l’affidavit souscrit par Mme Jules :
[traduction] Je m’attendais pleinement à ce qu’on arrive à une entente sur les modalités [du protocole] entre le moment de notre dernière séance avec le Canada et la province de la Colombie-Britannique et la décision [du gouverneur en conseil] d’approuver le projet et qu’on ait un véritable dialogue avec les Couronnes sur le tracé du pipeline et les autres préoccupations soulevées par les SSN dans leur dernier argument.
[745] Mme Jules n’a pas été contre-interrogée au sujet de son affidavit.
[746] Le 28 novembre 2016, le Canada et le Bureau d’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique écrivent aux SSN en ces termes :
[traduction] Nous aimerions profiter de l’occasion pour vous fournir un complément d’information ou des réponses aux préoccupations soulevées par la Nation Stk’emlúps te Secwepemc.
Lors de la séance du 6 octobre 2016, les SSN ont rappelé leur intention d’entreprendre leur propre évaluation du projet et ont esquissé une proposition de taxe sur le développement des ressources qu’ils prélèveraient directement sur les promoteurs dont les projets seraient situés dans leur territoire traditionnel, indiquant souhaiter que les Couronnes fédérale et provinciale facilitent le prélèvement de la taxe. Ces propositions ont été ajoutées à l’annexe consacrée aux SSN pour examen par les décideurs.
[747] Il ne s’agit pas d’une véritable réponse aux propositions faites par les SSN. La seule réponse fournie à la proposition sur la taxe sur le développement des ressources concerne les difficultés qu’une telle initiative causerait au respect de l’échéance prescrite pour la décision par le Canada (sans compter que les SSN avaient demandé des consultations transcendant le projet — selon eux, le projet ne constituait que le point de départ).
[748] L’annexe consacrée aux SSN dans le rapport sur les consultations de la Couronne consigne fidèlement les préoccupations des SSN sur le processus d’examen et indique :
[traduction] Les SSN affirment que le processus d’audience [de l’Office] ne se prête pas à l’évaluation des effets sur les droits ancestraux. Les SSN soulèvent également des préoccupations sur le calendrier légal du processus et son imposition unilatérale à eux. Selon les SSN, le calendrier est extrêmement restrictif et ils n’estiment pas qu’ils disposent d’assez de temps pour examiner la demande et participer véritablement au processus d’examen. Les SSN affirment que leur faculté de participer au processus est également limitée par un financement inadéquat de la capacité de la part de [l’Office] ou de la Couronne. Ils sont d’avis que les processus administratifs connexes (c.-à-d. relatifs aux permis) ne sont pas coordonnés, ce qui a pour résultat d’empêcher la communication intégrale des effets possibles sur les intérêts des SSN. Ils mentionnent les filières selon eux complètement distinctes du projet proposé et de l’examen de la demande visant la mine Ajax proposée. Les SSN ne sont pas satisfaits du modèle actuel de dialogue avec la Couronne et de la réticence à répondre au besoin exprimé par les SSN à l’égard d’un dialogue de Nation à Nation sur leurs préoccupations et intérêts et proposent à la Couronne d’établir un [protocole d’entente] visant à répondre à ces questions et à fournir un cadre régissant le dialogue à l’avenir.
[…]
Les SSN demandent un dialogue de Nation à Nation sur la question générale de gestion des terres et de prise de décision dans leur territoire. Les SSN demandent l’établissement d’un protocole de consultation, à commencer par un [protocole d’entente] en vue d’une consultation de Nation à Nation, qui constituerait une entente trilatérale entre les SSN, la C.-B. et le Canada. Les SSN recommandent l’établissement d’un cadre de financement durable par la Couronne pour permettre la participation au processus [relatif au protocole d’entente], ce qui mènerait à un modèle de financement durable visant à soutenir la gestion de l’utilisation des terres dans le territoire des SSN.
Lors de la séance du 6 octobre 2016, les SSN proposent une taxe sur le développement des ressources qu’ils prélèveraient des promoteurs qui exploitent des projets dans leur territoire traditionnel. Les SSN demandent aux Couronnes fédérale et provinciale de faciliter le prélèvement de cette taxe. [Non souligné dans l’original.]
[749] L’annexe ne présente au gouverneur en conseil aucun renseignement indiquant que le Canada s’est engagé à fournir une ébauche de protocole d’entente aux SSN ni sur l’état d’avancement des travaux à cet égard. L’annexe est également muette sur l’effet, s’il en est, que ces préoccupations ont eues sur l’avis du Canada quant au processus de consultation.
[750] Dans l’annexe consacrée aux SSN, le Canada reconnaît que [traduction] « le projet sera situé dans le territoire traditionnel des Tk’emlúps te Secwe’pemc et Skeetchestn, qui ont une revendication à première vue solide du titre ancestral ». Le Canada avait conclu, envers les SSN, à une obligation de consulter située à l’extrémité supérieure du continuum en la matière.
[751] Quoi qu’il en soit, le Canada n’a pas fourni de véritable réponse aux mesures d’atténuation proposées par les SSN et n’a pas engagé de véritable dialogue à propos des préoccupations soulevées par les SSN consignées aux pages 3 à 7 de l’annexe qui leur est consacrée.
[752] Il ne s’agit pas des consultations raisonnables qu’exige la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.
(vii) Conclusion sur la manière dont le Canada a mené le processus de consultation
[753] Comme nous l’expliquons aux paragraphes 513 à 549 des présents motifs, le cadre de consultation choisi par le Canada était raisonnable et suffisant. Si le Canada l’avait mené correctement, il se serait acquitté de son obligation de consulter.
[754] Cependant, à la lumière de la totalité de la preuve, je conclus que le Canada, à l’étape III, n’a pas engagé de véritable dialogue et ne s’est pas penché sur les préoccupations qui avaient été exprimées de bonne foi par les demandeurs autochtones de manière à ce que soient envisagées des mesures d’accommodement possibles.
[755] Certes, l’équipe des consultations a travaillé de bonne foi et assidûment pour comprendre et consigner les préoccupations des demandeurs autochtones et les transmettre au gouverneur en conseil dans le rapport sur les consultations de la Couronne. Cet aspect des consultations de l’étape III était raisonnable.
[756] Or, comme le démontre notre analyse, il manquait un effort réel et soutenu d’engager un véritable dialogue. Les représentants du Canada ont fourni très peu de réponses lors des séances de consultation. Les quelques réponses se sont révélées laconiques, et ne favorisaient pas la tenue d’un véritable dialogue. Trop souvent la réponse consistait à affirmer que l’équipe des consultations transmettrait les préoccupations aux décideurs.
[757] Les réponses fournies par écrit — par voie de lettre ou du rapport sur les consultations avec la Couronne ou de ses annexes — étaient générales. Rien n’indiquait que l’on accordât une attention sérieuse au caractère raisonnable ou non ou à l’exactitude des conclusions de l’Office ni à la possibilité de modifier les conditions recommandées par l’Office ou d’y suppléer.
[758] Le Canada reconnaît qu’il avait à l’égard de chaque demandeur autochtone une obligation de consultations approfondies. Une telle obligation commandait plus.
[759] Les lacunes du processus de consultation découlent de l’interprétation stricte de son mandat par l’équipe des consultations avec la Couronne. Il manquait la présence d’un représentant du Canada habilité à établir un dialogue : une personne jouissant de la confiance du Cabinet qui aurait pu discuter, au moins en principe, des mesures d’accommodement nécessaires, des lacunes possibles dans le processus, les conclusions et les recommandations de l’Office et de la manière d’y remédier.
[760] Les lacunes du processus de consultation découlent également de la réticence du Canada à envisager la possibilité de lacunes dans les conclusions et les recommandations de l’Office et à en discuter ainsi que de son avis erroné suivant lequel il n’était pas habilité à imposer d’autres conditions à Trans Mountain.
[761] Ces trois limites systémiques ont été exacerbées par la communication tardive par le Canada de son évaluation suivant laquelle le projet ne nuirait pas de manière importante à l’exercice par les demandeurs de leurs « intérêts autochtones » et par son défaut d’accorder aux groupes autochtones la prorogation du délai de réponse de sorte qu’ils puissent fournir des commentaires détaillés au sujet de la deuxième ébauche du rapport sur les consultations de la Couronne.
[762] Le Canada n’est pas tenu à une norme de perfection pour s’acquitter de son obligation de consulter. Or, les lacunes précédentes ont nui à la tenue d’un véritable dialogue. Il en a résulté un processus de consultation déraisonnable et nettement insuffisant.
[763] Le projet est de taille et présentait de véritables défis au Canada lorsqu’il s’agissait de s’acquitter de son obligation de consulter. L’examen de la manière dont le Canada s’en est acquitté doit tenir compte de ce fait. Or, en grande partie, les préoccupations des demandeurs autochtones étaient très précises et circonscrites. Ainsi, il aurait dû être facile d’en discuter et d’y répondre. Si les représentants du Canada avaient rencontré chaque demandeur autochtone dès la publication du rapport de l’Office, et s’ils avaient compris que leur mandat consistait à engager un véritable dialogue, le Canada se serait certainement acquitté de son obligation de consulter avant l’échéance prescrite du 19 décembre 2016.
E. Réparation
[764] Dans les présents motifs, je conclus que l’Office a manqué à son obligation légale de déterminer la portée du projet et de l’évaluer de sorte à fournir au gouverneur en conseil un « rapport » lui permettant de décider d’approuver ou non le projet. L’Office a exclu à tort le transport maritime de la définition du projet.
[765] En excluant le transport maritime de la définition du projet, l’Office a conclu que l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril ne s’appliquait pas à son examen des effets du transport maritime associé au projet. Ainsi, il pouvait affirmer qu’en dépit de sa conclusion selon laquelle l’exploitation de navires associés au projet était susceptible de causer des effets nocifs importants sur l’épaulard résident du sud, le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnements négatifs et importants.
[766] Cette conclusion — selon laquelle le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants — forme le cœur de son rapport. L’omission injustifiée d’évaluer les effets du transport maritime associé au projet sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et la conclusion viciée qui en a résulté sur les effets environnementaux du projet se sont révélées cruciales pour la décision du gouverneur en conseil. Doté d’un tel rapport vicié, le gouverneur en conseil n’était pas habilité à procéder à l’évaluation des effets environnementaux du projet et de l’intérêt public exigée par la loi.
[767] Je conclus également que le Canada ne s’est pas acquitté de son obligation de consulter les demandeurs autochtones et de les accommoder au besoin.
[768] Il s’ensuit que le décret C.P. 2016-1069 devrait être annulé, et le certificat d’utilité publique approuvant la construction et l’exploitation du projet est par le fait même annulé. La question de l’approbation du projet devrait être renvoyée au gouverneur en conseil pour qu’il prenne rapidement une nouvelle décision.
[769] Le gouverneur en conseil doit alors renvoyer à l’Office ou à son successeur les recommandations et conditions de celui-ci pour nouvel examen. Aux termes de l’article 53 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, le gouverneur en conseil peut ordonner à l’Office de procéder au nouvel examen en tenant compte de tout facteur précisé par le gouverneur en conseil. Aussi, il est loisible au gouverneur en conseil d’imposer à l’Office un délai pour le nouvel examen.
[770] Plus particulièrement, l’Office devrait réexaminer, à la lumière des principes, les questions suivantes, à savoir si le transport maritime associé au projet est accessoire au projet, l’application de l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril au transport maritime associé au projet, l’évaluation environnementale du projet par l’Office à la lumière de la définition du projet, la recommandation faite par l’Office sous le régime du paragraphe 29(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et toute autre question que le gouverneur en conseil estime indiquée.
[771] En outre, le Canada est tenu de recommencer les consultations de l’étape III. Le projet ne pourra être présenté au gouverneur en conseil qu’une fois les consultations terminées et les mesures d’accommodement prises.
[772] Comme nous le mentionnons, les préoccupations des demandeurs autochtones communiquées au Canada sont précises et circonscrites, et le dialogue auquel le Canada est tenu peut être à l’avenant. Ainsi, il est possible de se pourvoir d’un processus de consultation corrigé bref et efficace, mais véritable. Si le résultat final est susceptible de se faire attendre un peu, le processus de consultation corrigé, grâce aux mesures d’accommodement possibles, pourrait favoriser la réconciliation avec les peuples autochtones.
F. Dispositif proposé
[773] Pour ces motifs, je rejetterais les demandes de contrôle judiciaire du rapport de l’Office dans les dossiers A-232-16, A-225-16, A-224-16, A-217-16, A-223-16 et A-218-16.
[774] J’accueillerais les demandes de contrôle judiciaire du décret C.P. 2016-1069 dans les dossiers A-78-17, A-75-17, A-77-17, A-76-17, A-86-17, A-74-17, A-68-17 et A-84-17, j’annulerais le décret et renverrais l’affaire au gouverneur en conseil pour qu’il prenne rapidement une nouvelle décision.
[775] La question des dépens sera tranchée ultérieurement. Si les parties sont incapables de s’entendre sur le montant des dépens, elles sont autorisées à présenter des observations par écrit, d’au plus cinq pages.
[776] Nous remercions les avocats et avocates de leur concours.
Le juge de Montigny, J.C.A. : Je suis d’accord.
La juge Woods, J.C.A. : Je suis d’accord.
ANNEXE
Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7
Rapport de l’Office
52 (1) S’il estime qu’une demande de certificat visant un pipeline est complète, l’Office établit et présente au ministre un rapport, qu’il doit rendre public, où figurent :
a) sa recommandation motivée à savoir si le certificat devrait être délivré ou non relativement à tout ou partie du pipeline, compte tenu du caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, du pipeline;
b) quelle que soit sa recommandation, toutes les conditions qu’il estime utiles, dans l’intérêt public, de rattacher au certificat si le gouverneur en conseil donne instruction à l’Office de le délivrer, notamment des conditions quant à la prise d’effet de tout ou partie du certificat.
Facteurs à considérer
(2) En faisant sa recommandation, l’Office tient compte de tous les facteurs qu’il estime directement liés au pipeline et pertinents, et peut tenir compte de ce qui suit :
a) l’approvisionnement du pipeline en pétrole, gaz ou autre produit;
b) l’existence de marchés, réels ou potentiels;
c) la faisabilité économique du pipeline;
d) la responsabilité et la structure financières du demandeur et les méthodes de financement du pipeline ainsi que la mesure dans laquelle les Canadiens auront la possibilité de participer au financement, à l’ingénierie ainsi qu’à la construction du pipeline;
e) les conséquences sur l’intérêt public que peut, à son avis, avoir la délivrance du certificat ou le rejet de la demande.
Évaluation environnementale
(3) Si la demande vise un projet désigné au sens de l’article 2 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), le rapport contient aussi l’évaluation environnementale de ce projet établi par l’Office sous le régime de cette loi.
Délai
(4) Le rapport est présenté dans le délai fixé par le président. Ce délai ne peut excéder quinze mois suivant la date où le demandeur a, de l’avis de l’Office, complété la demande. Le délai est rendu public par l’Office.
Période exlue du délai
(5) Si l’Office exige du demandeur, relativement au pipeline, la communication de renseignements ou la réalisation d’études et déclare publiquement, avec l’approbation du président, que le présent paragraphe s’applique, la période prise par le demandeur pour remplir l’exigence n’est pas comprise dans le calcul du délai.
Avis publics – période exclue
(6) L’Office rend publiques, sans délai, la date où commence la période visée au paragraphe (5) et celle où elle se termine.
Prorogations
(7) Le ministre peut, par arrêté, proroger le délai pour un maximum de trois mois. Le gouverneur en conseil peut, par décret pris sur la recommandation du ministre, accorder une ou plusieurs prorogations supplémentaires.
Instructions du ministre
(8) Afin que le rapport soit établi et présenté en temps opportun, le ministre peut, par arrêté, donner au président instruction :
a) de fixer, en vertu du paragraphe (4), un délai identique à celui indiqué dans l’arrêté;
b) de donner, en vertu du paragraphe 6(2.1), les instructions qui figurent dans l’arrêté, ou de prendre, en vertu du paragraphe 6(2.2), les mesures qui figurent dans l’arrêté;
c) de donner, en vertu du paragraphe 6(2.1), des instructions portant sur une question précisée dans l’arrêté.
Caractère obligatoire
(9) Les décrets et arrêtés pris en vertu du paragraphe (7) lient l’Office et les arrêtés pris en vertu du paragraphe (8) lient le président.
Publication
(10) Une copie de l’arrêté pris en vertu du paragraphe (8) est publiée dans la Gazette du Canada dans les quinze jours de sa prise.
Caractère définitif
(11) Sous réserve des articles 53 et 54, le rapport de l’Office est définitif et sans appel.
Décret ordonnant un réexamen
53 (1) Une fois que l’Office a présenté son rapport en vertu de l’article 52, le gouverneur en conseil peut, par décret, renvoyer la recommandation ou toute condition figurant au rapport à l’Office pour réexamen.
Facteurs et délais
(2) Le décret peut préciser tout facteur dont l’Office doit tenir compte dans le cadre du réexamen ainsi que le délai pour l’effectuer.
[…]
Décret concernant la délivrance du certificat
54 (1) Une fois que l’Office a présenté son rapport en application des articles 52 ou 53, le gouverneur en conseil peut, par décret :
a) donner à l’Office instruction de délivrer un certificat à l’égard du pipeline ou d’une partie de celui-ci et de l’assortir des conditions figurant dans le rapport;
b) donner à l’Office instruction de rejeter la demande de certificat.
Motifs
(2) Le gouverneur en conseil énonce, dans le décret, les motifs de celui-ci.
Délais
(3) Le décret est pris dans les trois mois suivant la remise, au titre de l’article 52, du rapport au ministre. Le gouverneur en conseil peut, par décret pris sur la recommandation du ministre, proroger ce délai une ou plusieurs fois. Dans le cas où le gouverneur en conseil prend un décret en vertu des paragraphes 53(1) ou (9), la période que prend l’Office pour effectuer le réexamen et faire rapport n’est pas comprise dans le calcul du délai imposé pour prendre le décret.
Caractère définitif
(4) Les décrets pris en vertu des paragraphes (1) ou (3) sont définitifs et sans appel et lient l’Office.
Obligation de l’Office
(5) L’Office est tenu de se conformer au décret pris en vertu du paragraphe (1) dans les sept jours suivant sa prise.
Publication
(6) Une copie du décret pris en vertu du paragraphe (1) est publiée dans la Gazette du Canada dans les quinze jours de sa prise.
Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52
Définitions
2 (1) […]
projet désigné Une ou plusieurs activités concrètes :
a) exercées au Canada ou sur un territoire domanial;
b) désignées soit par règlement pris en vertu de l’alinéa 84a), soit par arrêté pris par le ministre en vertu du paragraphe 14(2);
c) liées à la même autorité fédérale selon ce qui est précisé dans ce règlement ou cet arrêté.
Sont comprises les activités concrètes qui leur sont accessoires. (designated project)
[…]
Effets environnementaux
5 (1) Pour l’application de la présente loi, les effets environnementaux qui sont en cause à l’égard d’une mesure, d’une activité concrète, d’un projet désigné ou d’un projet sont les suivants :
a) les changements qui risquent d’être causés aux composantes ci-après de l’environnement qui relèvent de la compétence législative du Parlement :
(i) les poissons et leur habitat, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les pêches,
(ii) les espèces aquatiques au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les espèces en péril,
(iii) les oiseaux migrateurs au sens du paragraphe 2(1) de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs,
(iv) toute autre composante de l’environnement mentionnée à l’annexe 2;
b) les changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :
(i) sur le territoire domanial,
(ii) dans une province autre que celle dans laquelle la mesure est prise, l’activité est exercée ou le projet désigné ou le projet est réalisé,
(iii) à l’étranger;
c) s’agissant des peuples autochtones, les répercussions au Canada des changements qui risquent d’être causés à l’environnement, selon le cas :
(i) en matière sanitaire et socio-économique,
(ii) sur le patrimoine naturel et le patrimoine culturel,
(iii) sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles,
(iv) sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance sur le plan historique, archéologique, paléontologique ou architectural.
[…]
Éléments
19 (1) L’évaluation environnementale d’un projet désigné prend en compte les éléments suivants :
a) les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à celle d’autres activités concrètes, passées ou futures, est susceptible de causer à l’environnement;
b) l’importance des effets visés à l’alinéa a);
c) les observations du public — ou, s’agissant d’un projet dont la réalisation requiert la délivrance d’un certificat au titre d’un décret pris en vertu de l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, des parties intéressées — reçues conformément à la présente loi;
d) les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux négatifs importants du projet;
e) les exigences du programme de suivi du projet;
f) les raisons d’être du projet;
g) les solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique, et leurs effets environnementaux;
h) les changements susceptibles d’être apportés au projet du fait de l’environnement;
i) les résultats de toute étude pertinente effectuée par un comité constitué au titre des articles 73 ou 74;
j) tout autre élément utile à l’évaluation environnementale dont l’autorité responsable ou, s’il renvoie l’évaluation environnementale pour examen par une commission, le ministre peut exiger la prise en compte.
[…]
Recommendations dans le rapport d’évaluation environnementale
29 (1) Si la réalisation d’un projet désigné requiert la délivrance d’un certificat au titre d’un décret pris en vertu de l’article 54 de la Loi sur l’Office national de l’énergie, l’autorité responsable à l’égard du projet veille à ce que figure dans le rapport d’évaluation environnementale relatif au projet :
a) sa recommandation quant à la décision pouvant être prise au titre de l’alinéa 31(1)a) relativement au projet, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation qu’elle précise dans le rapport;
b) sa recommandation quant au programme de suivi devant être mis en oeuvre relativement au projet.
[…]
Décisions du gouverneur en conseil
31 (1) Une fois que l’autorité responsable à l’égard d’un projet désigné a présenté son rapport d’évaluation environnementale ou son rapport de réexamen en application des articles 29 ou 30, le gouverneur en conseil peut, par décret pris en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie :
a) décider, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation précisées dans le rapport d’évaluation environnementale ou, s’il y en a un, le rapport de réexamen, que la réalisation du projet, selon le cas :
(i) n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants,
(ii) est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants qui sont justifiables dans les circonstances,
(iii) est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants qui ne sont pas justifiables dans les circonstances;
b) donner à l’autorité responsable instruction de faire une déclaration qu’elle remet au promoteur du projet dans laquelle :
(i) elle donne avis de la décision prise par le gouverneur en conseil en vertu de l’alinéa a) relativement au projet,
(ii) si cette décision est celle visée aux sous-alinéas a)(i) ou (ii), elle énonce les conditions que le promoteur est tenu de respecter relativement au projet, à savoir la mise en œuvre des mesures d’atténuation et du programme de suivi précisés dans le rapport d’évaluation environnementale ou, s’il y en a un, le rapport de réexamen.
Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29
Permis prévus par une autre loi fédérale
77 (1) Malgré toute autre loi fédérale, toute personne ou tout organisme, autre qu’un ministre compétent, habilité par une loi fédérale, à l’exception de la présente loi, à délivrer un permis ou une autre autorisation, ou à y donner son agrément, visant la mise à exécution d’une activité susceptible d’entraîner la destruction d’un élément de l’habitat essentiel d’une espèce sauvage inscrite ne peut le faire que s’il a consulté le ministre compétent, s’il a envisagé les conséquences négatives de l’activité pour l’habitat essentiel de l’espèce et s’il estime, à la fois :
a) que toutes les solutions de rechange susceptibles de minimiser les conséquences négatives de l’activité pour l’habitat essentiel de l’espèce ont été envisagées, et la meilleure solution retenue;
b) que toutes les mesures possibles seront prises afin de minimiser les conséquences négatives de l’activité pour l’habitat essentiel de l’espèce.
Non-application
(1.1) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’Office national de l’énergie lorsqu’il délivre un certificat conformément à un décret pris en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie.
Application de l’interdiction
(2) Il est entendu que l’article 58 s’applique même si l’autorisation a été délivrée ou l’agrément a été donné en conformité avec le paragraphe (1).
[…]
Notification du ministre
79 (1) Toute personne qui est tenue, sous le régime d’une loi fédérale, de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation des effets environnementaux d’un projet et toute autorité qui prend une décision au titre des alinéas 67a) ou b) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) relativement à un projet notifient sans tarder le projet à tout ministre compétent s’il est susceptible de toucher une espèce sauvage inscrite ou son habitat essentiel.
Réalisation excomptées
(2) La personne détermine les effets nocifs du projet sur l’espèce et son habitat essentiel et, si le projet est réalisé, veille à ce que des mesures compatibles avec tout programme de rétablissement et tout plan d’action applicable soient prises en vue de les éviter ou de les amoindrir et les surveiller.
Définitions
(3) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.
personne S’entend notamment d’une association de personnes, d’une organisation, d’une autorité fédérale au sens du paragraphe 2(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) et de tout organisme mentionné à l’annexe 3 de cette loi. (person)
projet
a) Projet désigné au sens du paragraphe 2(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) ou projet au sens de l’article 66 de cette loi;
b) projet de développement au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon;
c) projet de développement au sens du paragraphe 111(1) de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie. (project)