A-281-17
2018 CAF 128
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
James S.A. MacDonald (intimé)
Répertorié : Canada c. MacDonald
Cour d’appel fédérale, juge en chef Noël, juges Pelletier et de Montigny, J.C.A.—Toronto, 8 mai; Ottawa, 29 juin 2018.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Gains et pertes en capital — Appel interjeté à l’encontre d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a accueilli l’appel interjeté par l’intimé contre les nouvelles cotisations à l’égard de ses années d’imposition 2004 à 2007 — La Banque de Nouvelle-Écosse (BNE) a fait l’acquisition d’un cabinet de courtage — L’intimé, qui travaillait pour le cabinet, a obtenu des actions de la BNE en raison de cette acquisition — La Banque TD a offert à l’intimé une facilité de crédit, selon laquelle ce dernier donnerait en gage des actions de la BNE et céderait tout paiement reçu en garantie du prêt — L’intimé a conclu un contrat à terme de gré à gré en vertu duquel il toucherait la valeur de la diminution du prix de référence (le cours officiel de clôture des actions de la BNE) en deçà du prix à terme multiplié par le nombre d’actions visées par le contrat à terme de gré à gré (les actions de référence) — Dans l’éventualité où le prix de référence excéderait le prix à terme, l’intimé serait tenu de verser des paiements — La valeur des actions de référence est restée supérieure au prix de référence — L’intimé a effectué des paiements en espèces totalisant 9 966 149 $ en règlement du contrat — Il a estimé que les paiements donnaient lieu à des pertes d’entreprise qui étaient déductibles du revenu — Le ministre du Revenu national a fait valoir que les paiements donnaient lieu à des pertes en capital — La Cour de l’impôt a conclu notamment que « la seule intention » de l’intimé était de spéculer sur une baisse prévue du cours des actions de la BNE et d’en tirer profit — Elle a rejeté la thèse selon laquelle le lien pertinent (principe du rattachement) était celui entre le contrat à terme de gré à gré et les actions de la BNE dont l’intimé était propriétaire — Elle a conclu qu’il n’était pas satisfait au principe du rattachement et que le contrat à terme de gré à gré n’était pas un instrument de couverture — L’appelante a soutenu notamment que la Cour de l’impôt a fait fi du critère juridique applicable — Elle a expliqué qu’un instrument financier peut être un instrument de couverture — Il s’agissait principalement de savoir si le contrat à terme de gré à gré était un instrument de couverture et s’il protégeait les actions de l’intimé contre le risque — Le traitement d’un gain ou d’une perte découlant d’un instrument de couverture dépend de la nature du bien couvert — En l’espèce, les actions de la BNE constituaient une immobilisation, de sorte que les pertes subies par l’intimé étaient des pertes en capital — Le contrat à terme de gré à gré avait pour effet de neutraliser ou d’atténuer le risque sur le bloc précis d’actions que l’intimé avait donné en gage — Il n’était pas loisible à la Cour de l’impôt de s’écarter du critère énoncé dans l’arrêt Placer Dome c. Ontario (Ministre des Finances) pour décider si le contrat à terme de gré à gré conclu par l’intimé était ou non un instrument de couverture — Le contrat à terme de gré à gré est un instrument de couverture s’il neutralise ou atténue le risque auquel est exposé le bien qui en est l’objet, comme c’était le cas en l’espèce — Même si l’intéressée doit comprendre la nature du contrat qu’elle conclut, l’intention de couvrir ne constitue pas un prérequis à une opération de couverture — Dans la présente affaire, l’intimé était conscient qu’il fallait que le risque soit neutralisé au profit du prêteur — La décision George Weston Ltd. c. Canada (George Weston) a examinée la question du risque lié à la propriété — Rien n’empêche la règle établie, voulant que les gains ou les pertes provenant d’une opération de couverture soient traités de la même façon que les actifs couverts à des fins fiscales, de s’appliquer — La Cour de l’impôt aurait dû suivre la décision George Weston — La valeur des actions de la BNE de l’intimé était protégée contre le risque de fluctuation du marché — La Cour de l’impôt a omis de faire la distinction entre risque lié à une opération et risque lié à la propriété — L’intention de ne jamais vendre concorde avec l’existence d’un risque lié à la propriété — La propriété à long terme ne fait pas obstacle à la couverture d’un risque lié à la propriété — La question de lien n’était pas pertinente à la lumière de l’arrêt Placer Dome — L’opération de l’instrument de couverture ne dépend pas du mode de dénouement du contrat — Suivant la décision George Weston, la Cour de l’impôt ne pouvait que conclure que le risque résultant du fait que l’intimé était propriétaire de ses actions était neutralisé par le contrat à terme de gré à gré — Appel accueilli.
Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a accueilli l’appel interjeté par l’intimé contre les nouvelles cotisations à l’égard de ses années d’imposition 2004 à 2007.
L’intimé travaillait au sein du cabinet de courtage McLeod Young Weir à la date à laquelle la Banque de Nouvelle-Écosse (BNE) a fait l’acquisition de celui-ci. En raison de cette acquisition, l’intimé a obtenu 183 333 actions de la BNE. La Banque TD a offert à l’intimé une facilité de crédit, selon laquelle ce dernier donnerait en gage des actions de la BNE et céderait tout paiement auquel il pourrait avoir droit en garantie du prêt. Conformément à un contrat à terme de gré à gré conclu avec Valeurs mobilières TD Inc. (VMTD), VMTD paierait à l’intimé la valeur de la diminution du prix de référence (le cours officiel de clôture des actions de la BNE) en deçà du prix à terme (68,43 $) multiplié par les 165 000 actions visées par le contrat à terme de gré à gré (les actions de référence). Dans l’éventualité où le prix de référence excéderait le prix à terme, l’intimé serait tenu de verser des paiements à VMTD. Au moment du remboursement du prêt par l’intimé, le contrat à terme de gré à gré est demeuré en place. Cependant, la valeur des actions de référence n’a pas diminué et est restée supérieure au prix de référence. En conséquence, entre 2004 et 2006, l’intimé a dû effectuer des paiements en espèces totalisant 9 966 149 $ en règlement du contrat. L’intimé a estimé que les paiements en espèces donnaient lieu à des pertes d’entreprise qui étaient déductibles du revenu provenant d’autres sources. Le ministre du Revenu national a refusé les pertes à l’égard des années au cours desquelles elles ont été réclamées au motif que les paiements en espèces donnaient lieu à des pertes en capital. La nouvelle cotisation de 2007 a annulé un crédit pour report d’impôt minimum auquel l’intimé avait droit en raison de la perte d’entreprise réclamée pour son année d’imposition 2005. La Cour de l’impôt a conclu notamment que « la seule intention » de l’intimé au moment de conclure le contrat à terme de gré à gré était de spéculer sur une baisse prévue du cours des actions de la BNE et d’en tirer profit, et que cette intention n’avait pas changé. La Couronne a soutenu que le lien pertinent (principe du rattachement) était celui entre le contrat à terme de gré à gré et les actions de la BNE dont l’intimé était propriétaire. Selon la Couronne, ce lien était évident : le contrat à terme de gré à gré réduisait l’exposition de l’intimé aux fluctuations du marché se répercutant sur la valeur de ses actions. La Cour de l’impôt a rejeté cette thèse. Elle a conclu qu’il n’était pas satisfait au principe du rattachement et qu’il n’y avait aucune couverture à des fins fiscales. La Cour de l’impôt a conclu que le contrat à terme de gré à gré n’était pas un instrument de couverture, parce qu’il n’était ni lié au fait que l’intimé détenait ses actions de la BNE, ni à aucune vente de ces actions.
L’appelante a soutenu notamment que la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit en faisant fi du critère juridique applicable pour décider si le contrat à terme de gré à gré constituait un instrument de couverture. L’appelante a expliqué que, pour qu’il y ait couverture, un instrument financier doit être rattaché à un bien exposé à un risque. L’appelante a fait valoir que le lien entre le contrat à terme de gré à gré et les actions données en gage était évident dans la présente affaire. L’appelante a soutenu également que la Cour de l’impôt a commis une erreur en adoptant une approche stricte du principe du rattachement. Ce faisant, elle a fait fi de la jurisprudence établie, suivant laquelle un instrument dérivé peut être rattaché à un bien en l’absence d’opération envisagée.
Il s’agissait principalement de savoir si le contrat à terme de gré à gré était un instrument de couverture et s’il protégeait les actions de l’intimé contre le risque.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
Le traitement d’un gain ou d’une perte découlant d’un instrument de couverture dépend de la nature du bien couvert. En l’espèce, les actions de la BNE détenues par l’intimé constituaient une immobilisation entre ses mains, de sorte que, si le contrat à terme de gré à gré avait pour effet d’éliminer le risque lié à ces actions, les pertes subies par l’intimé, contraint d’effectuer des paiements en espèces en règlement du contrat, devraient être assimilées à des pertes en capital. Même si les actions de la BNE étaient fongibles, le contrat à terme de gré à gré, au début, avait pour effet de neutraliser ou d’atténuer le risque sur le bloc précis d’actions que l’intimé avait donné en gage pendant la durée de la facilité de crédit offerte par la Banque TD. À mesure que le prêt était remboursé et que les actions étaient remises à l’intimé, le contrat à terme de gré à gré continuait d’avoir cet effet sur les actions de la BNE qu’il détenait correspondant aux actions de référence visées par le contrat à terme de gré à gré. Dans l’arrêt Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances) (Placer Dome), la Cour suprême a expliqué que les contrats à terme peuvent être dénoués par une livraison physique de l’actif sous-jacent ou par le règlement en espèces. Elle a fait remarquer que la plupart des contrats dérivés ne se dénouent pas au moyen d’une livraison physique. La conclusion selon laquelle « le contrat dérivé demeure un instrument de “couverture” quel qu’en soit le dénouement » était particulièrement pertinente dans la présente espèce. La Cour de l’impôt n’a pas appliqué l’arrêt Placer Dome dans son examen de la question dont elle était saisie. Il n’était pas loisible à la Cour de l’impôt de s’écarter du critère énoncé dans l’arrêt Placer Dome pour décider si le contrat à terme de gré à gré conclu par l’intimé était ou non un instrument de couverture. Suivant ce critère, le contrat à terme de gré à gré est un instrument de couverture s’il neutralise ou atténue le risque auquel est exposé le bien qui en est l’objet, et il ne fait aucun doute que c’était l’effet du contrat à terme de gré à gré sur les actions de la BNE de l’intimé. La Cour de l’impôt a émis des réserves sur l’application de l’arrêt Placer Dome à la situation de l’intimé qui rendrait « impossible de spéculer en utilisant un instrument dérivé tout en conservant une position acheteur dans un élément d’actif ». Toutefois, une telle issue n’a rien d’irrégulier, étant donné qu’elle procède de la logique implacable voulant qu’une personne ne puisse ni gagner ni perdre en ayant recours à un instrument dérivé tout en détenant les biens dont il protège la valeur. La conclusion de la Cour de l’impôt selon laquelle l’intimé avait pour seule intention de spéculer était contestable. Bien que la jurisprudence à laquelle a renvoyé la Cour de l’impôt indique que l’anticipation d’un risque imminent est nécessaire à l’exercice de couverture, il n’y a aucune source voulant que l’intention constitue une condition préalable à une opération de couverture. Il y a opération de couverture « lorsque des éléments d’actif ou de passif de la partie [à un contrat dérivé] sont véritablement exposés aux fluctuations du marché » et que le contrat neutralise ou atténue l’exposition à ce risque à l’égard des actifs de la partie. Même si l’intéressée doit comprendre la nature du contrat qu’elle conclut, l’intention de couvrir n’a jamais constitué un prérequis à une opération de couverture. L’intimé était tout à fait conscient qu’il fallait que le risque soit neutralisé au profit du prêteur. Il ne s’agissait pas d’une opération de couverture accidentelle.
La question concernant le risque lié à la propriété et la possibilité de couvrir un tel risque à des fins fiscales a été examinée par la Cour de l’impôt dans la décision George Weston Ltd. c. La Reine (George Weston). Il est aussi possible de couvrir un risque lié à la propriété, et rien n’empêche la règle établie — voulant que les gains ou les pertes provenant d’une opération de couverture soient traités de la même façon que les actifs couverts à des fins fiscales — de s’appliquer. La décision George Weston a tranché la question dont la Cour de l’impôt était saisie et aurait dû être suivie. La valeur des actions que l’intimé a données en gage pour obtenir sa facilité de crédit, de même que les actions correspondantes de la BNE qu’il a continué de détenir après avoir effectué des paiements en espèces, étaient protégées contre le risque de fluctuation du marché pendant la durée du contrat à terme de gré à gré. En refusant d’appliquer la décision George Weston, la Cour de l’impôt a omis de faire la distinction entre risque lié à une opération et risque lié à la propriété. Le risque lié à la propriété n’existe que si le bien n’est pas vendu. L’intention de ne jamais vendre concorde tout à fait avec l’existence d’un risque lié à la propriété. En réalité, les actions de la BNE de l’intimé étaient exposées au risque de fluctuation du marché tout comme les actifs américains de George Weston l’étaient au risque de fluctuation des devises et, dans les deux cas, ce risque pouvait se répercuter sur leur valeur respective par rapport à la valeur des actifs entre leurs mains. Les contrats dérivés respectifs neutralisaient ce risque. Il importe peu que les actifs emportant un risque lié à la propriété soient détenus depuis longtemps ou qu’ils aient été acquis récemment. La propriété à long terme ne fait pas obstacle à la couverture d’un risque lié à la propriété. La Cour de l’impôt a semblé conclure que le « lien » requis n’était pas présent parce que les actions de la BNE ne sont pas des « biens à livrer » en application du contrat à terme de gré à gré, mais des « actions de référence » ou des « biens de référence ». Cette question de lien, qui découlait d’un débat entre les experts, n’était pas pertinente à la lumière de l’arrêt Placer Dome. L’opération de l’instrument de couverture ne dépend pas du mode de dénouement du contrat. Si la Cour de l’impôt avait suivi le raisonnement énoncé dans la décision George Weston, elle n’aurait pu que conclure qu’un risque pouvant être couvert résultait effectivement du fait que l’intimé était propriétaire de ses actions et que ce risque était neutralisé par le contrat à terme de gré à gré qu’il avait conclu.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 3.
Loi de l’impôt sur l’exploitation minière, L.R.O. 1990, ch. M.15.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
George Weston Ltd. c. La Reine, 2015 CCI 42; Echo Bay Mines Ltd. c. Canada, [1992] 3 C.F. 707 (1re inst.); Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.
DÉCISIONS CITÉES :
Canada Safeway Limited c. Canada, 2008 CAF 24; Reference re : Grain Futures Taxation Act (Manitoba), [1925] J.C.J. No. 4 (QL), [1925] 2 W.W.R. 60 (P.C.); Salada Foods Ltd. c. La Reine, [1974] A.C.F. no 106 (QL) (1re inst.); Saskferco Products ULC c. Canada, 2008 CAF 297; Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622; Tip Top Tailors Limited v. Minister of National Revenue, [1957] R.C.S. 703, 1957 CanLII 71; Alberta Gas Trunk Line Co. Ltd. c. Ministre du revenu national, [1972] R.C.S. 498, 1971 CanLII 179; Columbia Records of Canada Ltd. c. M.R.N., [1971] C.T.C. 839, (1971), 71 D.T.C. 5486 (C.F. 1re inst.); Atlantic Sugar Refineries v. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 706, [1949] 3 D.L.R. 641.
APPEL interjeté à l’encontre d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt (2017 CCI 157) a accueilli l’appel interjeté par l’intimé contre les nouvelles cotisations à l’égard de ses années d’imposition 2004 à 2007. Appel accueilli.
ONT COMPARU :
Suzanie Chua, pour l’appelante.
James D. Bunting, Stephen Ruby et Elie Roth, pour l’intimé.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
La sous-procureure générale du Canada, pour l’appelante.
Davies Ward Phillips & Vineberg LLP, Toronto, pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge en chef Noël : La Cour est saisie de l’appel interjeté par Sa Majesté la Reine (la Couronne ou l’appelante) à l’encontre d’une décision de la juge Lafleur de la Cour canadienne de l’impôt (la juge de la Cour de l’impôt) par laquelle elle a accueilli l’appel interjeté par James S. A. MacDonald (M. MacDonald ou l’intimé) contre les nouvelles cotisations à l’égard de ses années d’imposition 2004, 2005, 2006 et 2007 [2017 CCI 157]. Dans les nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national (le ministre) a déterminé que les paiements en espèces à titre de règlement totalisant 9 936 149 $ versés par M. MacDonald aux termes de contrats dérivés pendant les années en litige ont donné lieu à des pertes en capital plutôt que des pertes d’entreprise.
[2] À l’appui de son appel, la Couronne soutient entre autres que la juge de la Cour de l’impôt n’a pas adopté le bon cadre d’analyse en tranchant l’affaire dont elle était saisie et a fait fi de la récente décision de la Cour de l’impôt dans l’affaire George Weston Ltd. c. La Reine, 2015 CCI 42 (George Weston).
[3] Pour sa part, l’intimé fait valoir qu’aucune des erreurs reprochées n’a été établie et souscrit essentiellement aux motifs donnés par la juge de la Cour de l’impôt à l’appui de sa conclusion.
[4] À mon avis, la décision George Weston était déterminante en ce qui a trait à la question que devait trancher la juge de la Cour de l’impôt et aurait dû être suivie. Je propose donc que l’appel soit accueilli.
FAITS
[5] La plupart des faits sont énoncés dans l’exposé conjoint partiel des faits qui était annexé à la décision dont il est fait appel. Les paragraphes qui suivent présentent un résumé succinct selon l’ordre chronologique des évènements et qui intègre le témoignage de vive voix de M. MacDonald.
[6] M. MacDonald a plus de 40 ans d’expérience dans le domaine des marchés financiers et des finances des sociétés. Au cours de sa carrière, il a siégé au conseil d’administration de nombreuses sociétés cotées. Il a travaillé au sein du cabinet McLeod Young Weir à divers titres jusqu’en 1988, année où la Banque de Nouvelle-Écosse a fait l’acquisition du cabinet de courtage, qui est devenu Scotia McLeod. En raison de l’acquisition, M. Macdonald a obtenu 183 333 actions ordinaires de la Banque de Nouvelle-Écosse (les actions de la BNE).
[7] En 1997, M. MacDonald estimait que certains événements mondiaux entraîneraient une diminution de la valeur de ses actions de la BNE à court terme, mais demeurait optimiste, jugeant qu’elles offriraient un bon rendement à long terme.
[8] À peu près au même moment, M. MacDonald a cherché à obtenir un prêt afin de financer divers placements. Le 6 juin 1997, la Banque TD a offert à M. MacDonald une facilité de crédit. Selon l’offre, M. MacDonald donnerait en gage des actions de la BNE et céderait tout paiement auquel il pourrait avoir droit en application d’un contrat à terme de gré à gré à conclure entre lui-même et Valeurs mobilières TD Inc. (VMTD) en garantie du prêt. L’offre prévoyait également que le contrat à terme de gré à gré serait maintenu pendant la durée du prêt et que M. MacDonald remettrait tous les ans à la Banque TD un état de valeur nette.
[9] M. MacDonald a conclu le contrat à terme de gré à gré comme prévu avec VMTD le 26 juin 1997. Le contrat ne pouvait être réglé que par paiement en espèces : aucune action ne pouvait par conséquent être achetée ou vendue. Selon ses modalités, VMTD paierait à M. MacDonald la valeur de la diminution du prix de référence (le cours officiel de clôture des actions de la BNE à la bourse de Toronto à la date d’échéance) en deçà du prix à terme (68,43 $) multiplié par les 165 000 actions visées par le contrat à terme de gré à gré (les actions de référence). Dans l’éventualité où le prix de référence excéderait le prix à terme, M. MacDonald serait tenu de verser des paiements à VMTD.
[10] Le contrat à terme de gré à gré devait être résilié à sa date d’échéance, initialement le 26 juin 2002. Il a été prolongé par la suite jusqu’au 26 mars 2006. M. MacDonald avait aussi l’option de faire des paiements à titre de règlement avant la date d’échéance à l’égard du nombre d’actions de référence de son choix, auquel cas le contrat à terme de gré à gré serait partiellement résilié pour ce qui est du nombre d’actions de référence visées par les paiements. M. MacDonald s’est prévalu de cette option à 12 reprises entre 2003 et 2006.
[11] Ainsi, le nombre d’actions de référence visées par le contrat à terme de gré à gré a varié à la baisse en raison des paiements effectués à titre de règlement par M. MacDonald et à la hausse en raison de la distribution d’un dividende sous forme d’actions et d’un fractionnement d’actions qui a eu lieu pendant la durée du contrat à terme de gré à gré. Cependant, le nombre d’actions de référence visées par le contrat à terme de gré à gré n’a jamais été supérieur au nombre total d’actions détenues par M. MacDonald.
[12] M. MacDonald a également conclu une entente de nantissement de valeurs mobilières comme prévu le 2 juillet 1997. Dans le cadre de cette entente, M. MacDonald a donné en gage 165 000 de ses actions de la BNE à la Banque TD et a cédé tout paiement auquel il pourrait avoir droit en application du contrat à terme de gré à gré à titre de garantie supplémentaire.
[13] M. MacDonald a accepté l’offre de facilité de crédit le 2 juillet 1997. Aux termes de cette dernière, M. MacDonald s’est engagé à maintenir en place le contrat à terme de gré à gré à l’égard du nombre d’actions de référence correspondant aux 165 000 actions qui avaient été données en gage.
[14] Même si cette facilité de crédit autorisait M. MacDonald à emprunter jusqu’à concurrence de 10 477 485 $, il s’est prévalu uniquement d’une partie de ce crédit — 4 899 000 $ — qu’il a utilisé pour investir dans d’autres entreprises. Les fonds empruntés ont été totalement remboursés avant la fin de l’année d’imposition 2004 de M. MacDonald.
[15] Au moment du remboursement du prêt par M. MacDonald, le contrat à terme de gré à gré est demeuré en place. Cependant, contrairement à ce que prévoyait M. MacDonald, la valeur des actions de référence n’a pas diminué et est restée supérieure au prix de référence. En conséquence, entre 2004 et 2006, M. MacDonald a dû effectuer des paiements en espèces totalisant 9 966 149 $ en règlement du contrat.
[16] Lors du procès, M. MacDonald a déclaré qu’il comptait tirer profit de la baisse prévue de la valeur des actions de la BNE tout en demeurant détenteur des actions puisqu’il avait la conviction qu’elles offriraient un bon rendement à long terme et il a conclu un contrat à terme de gré à gré qui lui permettait d’atteindre les deux objectifs. Bien qu’il ait vendu quelques actions de la BNE pendant la durée du contrat à terme de gré à gré, il a expliqué qu’il avait agi ainsi pour rééquilibrer son portefeuille et réduire son exposition globale aux institutions financières canadiennes qui avait augmenté lorsque, dans le cadre d’une autre prise de contrôle, il était devenu propriétaire d’un nombre important d’actions émises par la Banque TD.
[17] En calculant son revenu pour ses années d’imposition 2004, 2005 et 2006, M. MacDonald a estimé que les paiements en espèces totalisant 9 966 149 $ versés en règlement du contrat au cours de ces années donnaient lieu à des pertes d’entreprise qui étaient déductibles du revenu provenant d’autres sources.
[18] Le ministre n’était pas d’accord sur cette interprétation et a refusé les pertes à l’égard des années au cours desquelles elles ont été réclamées au motif que les paiements en espèces donnaient lieu à des pertes en capital. La nouvelle cotisation de 2007 annule un crédit pour report d’impôt minimum auquel M. MacDonald avait droit en raison de la perte d’entreprise réclamée pour son année d’imposition 2005.
[19] Des avis d’opposition ont été déposés par M. MacDonald, suivi de l’appel à la Cour canadienne de l’impôt.
DÉCISION DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT
[20] La juge de la Cour de l’impôt a d’abord déterminé l’approche à employer pour décider si les paiements en espèces versés par l’intimé étaient attribuables au revenu ou au capital. Elle a choisi l’analyse en deux étapes suggérée par l’intimé : elle s’est d’abord penchée sur le contrat à terme de gré à gré « en soi » — c.-à-d. : sans tenir compte de tout lien avec les actions de la BNE — et a cherché à savoir s’il avait été conclu en tant que projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial de sorte que toute perte en découlant était imputable au revenu aux termes de l’alinéa 3a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch.1 (la Loi) (motifs, au paragraphe 35). Comme deuxième étape, elle a examiné le contrat à terme de gré à gré pour savoir s’il ressortissait à une immobilisation — c.-à-d. : les actions de la BNE que détenait l’intimé — auquel cas le contrat à terme de gré à gré constituerait un instrument de couverture, et les pertes représentées par les paiements en espèces seraient imputables au capital.
[21] Abordant la première étape, la juge de la Cour de l’impôt, renvoyant à l’arrêt Canada Safeway Limited c. Canada, 2008 CAF 24, a fait remarquer que le facteur le plus important, quand il s’agit de décider si une opération constitue un projet comportant un risque de caractère commercial, est l’intention du contribuable et l’existence d’un plan visant la réalisation d’un bénéfice (motifs, au paragraphe 52). Elle a aussi fait remarquer qu’une affaire de caractère commercial constitue une opération spéculative qui comporte habituellement un grand risque (motifs, aux paragraphes 53 et 54).
[22] À la lumière du témoignage de M. MacDonald, qu’elle a accepté comme « crédible et fiable », la juge de la Cour de l’impôt a conclu que « la seule intention » de ce dernier au moment de conclure le contrat à terme de gré à gré était de spéculer sur une baisse prévue du cours des actions de la BNE et d’en tirer profit, et que cette intention n’avait pas changé (motifs, au paragraphe 59). De plus, le contrat à terme de gré à gré exposait M. MacDonald à de graves risques étant donné qu’il ne savait pas s’il verserait ou recevrait des fonds en application du contrat (motifs, aux paragraphes 60 et 61). Par conséquent, elle a rejeté l’argument de la Couronne voulant que « l’intention principale » de M. MacDonald fût « de réaliser le gain économique à l’égard des actions de la BNE faisant l’objet du nantissement et du contrat à terme et de protéger la valeur des actions de la BNE » (motifs, au paragraphe 58).
[23] La juge de la Cour de l’impôt a réitéré cette conclusion de diverses façons (motifs, aux paragraphes 60 à 65). Elle a souligné le « fait très important » selon lequel M. MacDonald « avait l’intention de ne jamais vendre ses actions de la BNE » (motifs, au paragraphe 66). Même s’il a effectivement vendu un peu plus de la moitié de ses actions de la BNE pendant la durée du contrat à terme de gré à gré et au cours des quelques mois qui ont suivi le dernier paiement en espèces, ces ventes pouvaient toutes s’expliquer par des circonstances particulières, de sorte que l’intention exprimée par M. MacDonald de ne jamais vendre ses actions de la BNE ne pouvait pas être mise en doute, ni être remise en question (motifs, au paragraphe 66).
[24] Après avoir rejeté d’autres arguments avancés par la Couronne (motifs, aux paragraphes 68 à 79), la juge de la Cour de l’impôt a réitéré sa conclusion selon laquelle l’intimé, en signant un contrat à terme de gré à gré, s’était engagé dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial.
[25] La juge de la Cour de l’impôt s’est ensuite penchée sur la question de savoir si le contrat à terme de gré à gré servait à couvrir une immobilisation. Elle a expliqué que si tel était le cas, les paiements en espèces seraient imputables au capital « plutôt » qu’au revenu étant donné que « [l]a preuve présentée […] démontr[e] clairement que les actions de la BNE détenues par M. MacDonald sont l’immobilisation qui doit être prise en compte » pour déterminer le traitement fiscal (motifs, au paragraphe 80).
[26] Constatant que le terme « couverture » n’est pas défini dans la Loi, la juge de la Cour de l’impôt a d’abord tenu compte du témoignage des deux experts invités à donner leur avis sur la définition de ce terme en matière commerciale. Elle a conclu que la caractéristique essentielle consiste en une stratégie visant à compenser le risque d’un placement (motifs, aux paragraphes 81 et 85).
[27] Elle s’est ensuite penchée sur la jurisprudence et a conclu qu’aux fins du calcul de l’impôt sur le revenu, il y a opération de couverture lorsque : i) un contribuable a l’intention de couvrir et ii) l’instrument de couverture est directement ou symétriquement lié, quant au montant et au moment, au bien qui en est l’objet (voir Reference re : Grain Futures Taxation Act (Manitoba), [1925] J.C.J. No. 4 (QL), [1925] 2 W.W.R. 60 (P.C.) (Grain Futures), confirmé dans Echo Bay Mines Ltd. c. Canada, [1992] 3 C.F. 707 (Echo Bay Mines); Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715 (Placer Dome), et Salada Foods Ltd. c. La Reine, [1974] A.C.F. no 106 (QL) (1re inst.) (motifs, aux paragraphes 86 à 90)).
[28] La juge de la Cour de l’impôt a également conclu que la décision dans l’affaire George Weston était dans le droit fil de la jurisprudence établie et a confirmé que l’existence d’une opération de couverture est subordonnée à une intention de couvrir et à un lien entre l’instrument et le bien qui en est l’objet (motifs, au paragraphe 95).
[29] Quant à la première exigence, la juge de la Cour de l’impôt a énoncé ainsi la question : M. MacDonald avait-il « une intention claire de couvrir ses actions de la BNE »? (motifs, au paragraphe 96). Après avoir fait référence à sa conclusion initiale, à savoir que l’intention de M. MacDonald était de spéculer, elle a conclu que l’intention requise de couvrir était absente (motifs, au paragraphe 96). Étant donné sa conclusion selon laquelle à la fois l’intention et le lien doivent être présents pour qu’il y ait couverture, elle aurait pu mettre fin à l’analyse à cette étape.
[30] Or, la juge de la Cour de l’impôt a ensuite abordé ce qu’elle croyait être le « principe du rattachement » (motifs, au paragraphe 97). La Couronne a soutenu que le lien pertinent était celui entre le contrat à terme de gré à gré et les actions de la BNE, dont M. MacDonald avait conservé la propriété. Selon la Couronne, ce lien était évident : le contrat à terme de gré à gré réduisait l’exposition de M. MacDonald aux fluctuations du marché se répercutant sur la valeur de ses actions. Telle était aussi l’opinion du témoin expert de la Couronne, M. Klein (motifs, aux paragraphes 97 et 98).
[31] La juge de la Cour de l’impôt a rejeté cette thèse. Elle a retenu le témoignage de l’expert de M. MacDonald, M. Kurgan, qui a expliqué que les actions de la BNE étaient les « actions de référence » dans le contrat à terme de gré à gré, mais non les « biens à livrer » étant donné que le contrat à terme de gré à gré ne prévoit que des paiements en espèces à titre de règlement. Par conséquent, elle a conclu que « le contrat à terme ne peut être décrit pour les besoins de l’impôt sur le revenu comme une couverture partielle d’un même actif, soit les actions de la BNE » (motifs, au paragraphe 99).
[32] De plus, la juge de la Cour de l’impôt a rejeté la thèse de la Couronne selon laquelle M. MacDonald était exposé à un risque du simple fait qu’il détenait les actions. Plus précisément, elle n’a pas accepté que les fluctuations du marché aient pu l’exposer à un risque étant donné qu’il voulait ne jamais vendre ses actions de la BNE, sauf le « petit nombre » d’entre elles qu’il a vendues (motifs, aux paragraphes 103 et 104). À son avis, il s’ensuit que le seul risque qui aurait pu être couvert est un risque lié à une opération (motifs, au paragraphe 105).
[33] Cependant, la juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’une telle opération devait se faire « en même temps […] ou dans une période rapprochée » que les paiements en espèces versés en règlement du contrat à terme de gré à gré (motifs, au paragraphe 112). Étant donné que les paiements en espèces « ont eu lieu à des dates différentes de celles des gains réalisés des ventes des actions de la BNE », la juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’il n’était pas satisfait au principe du rattachement et qu’il n’y avait aucune couverture à des fins fiscales (motifs, au paragraphe 113).
[34] Par conséquent, la juge de la Cour de l’impôt a conclu que le contrat à terme de gré à gré n’était pas un instrument de couverture, parce qu’il n’était ni lié au fait que M. MacDonald détenait ses actions de la BNE, ni à aucune vente de ces actions.
THÈSES DES PARTIES
La Couronne
[35] La Couronne soutient que la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit en faisant fi du critère juridique applicable pour décider si le contrat à terme de gré à gré constituait un instrument de couverture. La juge de la Cour de l’impôt aurait aussi fait erreur dans l’analyse à deux volets adoptée pour examiner la question et aurait accordé beaucoup trop de poids à la [traduction] « déclaration d’intention subjective » de M. MacDonald (mémoire de la Couronne, au paragraphe 56).
[36] Pour qu’il y ait couverture, un instrument financier doit être rattaché à un bien exposé à un risque. Suivant la jurisprudence, cette condition est remplie dès qu’une personne a des actifs ou des passifs exposés aux fluctuations du marché et que l’objet commercial du contrat consiste à atténuer de tels risques (mémoire de la Couronne, au paragraphe 38). À ce titre, le lien entre le contrat à terme de gré à gré et les actions de M. MacDonald données en gage était évident : [traduction] « les changements dans la valeur du contrat à terme de gré à gré compensent toujours les changements dans la valeur des actions données en gage de sorte que la valeur de l’actif net du défendeur est demeurée la même, malgré les fluctuations du cours des actions de la BNE ». M. MacDonald a pu ainsi offrir les actions en guise de garantie sans risque à la Banque TD (mémoire de la Couronne, au paragraphe 36).
[37] La Couronne soutient également que la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en adoptant une approche stricte du principe du rattachement (mémoire de la Couronne, au paragraphe 39). La juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’un lien entre une opération de compensation — comme la vente d’actions de la BNE — était nécessaire. Ce faisant, la juge de la Cour de l’impôt a fait fi de la jurisprudence établie, plus précisément la décision de la Cour de l’impôt dans l’affaire George Weston, suivant laquelle un instrument dérivé peut être rattaché à un bien en l’absence d’opération envisagée (mémoire de la Couronne, au paragraphe 41). En conséquence, les deux plus récentes affaires de la Cour canadienne de l’impôt au sujet des opérations de couverture sont incompatibles.
[38] Comme M. MacDonald détenait les actions données en gage, il avait des actifs et des passifs exposés aux fluctuations du marché (mémoire de la Couronne, au paragraphe 44). La propriété comporte des risques. Même s’il n’avait jamais eu l’intention de vendre ses actions, M. MacDonald était exposé à un risque du fait qu’il détenait les actions (mémoire de la Couronne, au paragraphe 45).
[39] De plus, pour qu’il y ait une couverture, il doit y avoir un motif objectif (mémoire de la Couronne, au paragraphe 46). Dans l’arrêt Saskferco Products ULC c. Canada, 2008 CAF 297, la Cour s’attache à déceler les objectifs commerciaux de l’opération, plutôt que l’intention subjective du contribuable.
[40] La Couronne soutient également que la démarche à deux volets adoptée par la juge de la Cour de l’impôt a induit cette dernière en erreur dans son analyse du rattachement entre le contrat à terme de gré à gré et les actions de la BNE; elle aurait dû commencer par l’analyse de la couverture (mémoire de la Couronne, aux paragraphes 49 à 51).
L’intimé
[41] L’intimé soutient que la juge de la Cour de l’impôt a eu raison de conclure que l’intention et un lien suffisant entre l’instrument et le bien qui en est l’objet doivent être présents pour qu’il y ait une opération de couverture. Ces éléments essentiels d’une couverture ont été établis par le Conseil privé dans la décision Grain Futures et continuent d’éclairer la jurisprudence (mémoire de la Couronne, aux paragraphes 49 à 52). Le défaut par la Couronne de contester la conclusion de la juge de la Cour de l’impôt selon laquelle il n’avait pas l’intention de procéder à une opération de couverture est fatale pour son appel (mémoire de l’intimé, aux paragraphes 47 et 48). De plus, la conclusion de la juge de la Cour de l’impôt selon laquelle il n’avait pas l’intention requise est fondée sur une évaluation minutieuse de la preuve. La thèse de la Couronne — voulant que les actions de la BNE de M. MacDonald fussent couvertes parce que la Banque TD avait été en mesure de protéger la valeur de sa garantie — ne tient compte ni de l’intention de ce dernier ni de la conclusion de la juge de la Cour de l’impôt voulant que le prêt ne concernât aucunement la question relative à la couverture (mémoire de l’intimé, aux paragraphes 33 et 53).
[42] Selon l’intimé, la décision dont il est interjeté appel n’est pas incompatible avec celle rendue dans l’affaire George Weston. George Weston avait manifestement l’intention d’éliminer le risque : les échanges financiers (l’instrument de couverture) correspondaient à la valeur des biens et avaient été conclus au moment où ceux-ci avaient été acquis. Le rattachement nécessaire était ainsi démontré quant au montant et au moment (mémoire de l’intimé, au paragraphe 62). La thèse de la Couronne, si elle est acceptée, donnerait lieu à une [traduction] « couverture accidentelle » par laquelle un contribuable acquerrait une couverture, quelle que soit son intention à cet égard (mémoire de l’intimé, au paragraphe 66).
[43] De plus, la juge de la Cour de l’impôt n’a pas fait erreur en appliquant le principe du rattachement. Elle a conclu à raison que le contrat à terme de gré à gré n’atténuait pas le risque et ne réalisait aucun gain à l’égard des actions de la BNE de M. MacDonald (mémoire de l’intimé, au paragraphe 70).
[44] L’intimé affirme également que la juge de la Cour de l’impôt a adopté la bonne analyse à deux volets. Quoi qu’il en soit, agir différemment ne changerait rien au fait qu’il n’entendait pas effectuer une opération de couverture, ni créer le rattachement requis (mémoire de l’intimé, au paragraphe 80).
[45] L’intimé soutient aussi que la juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis les erreurs de fait que lui reproche la Couronne. Sa conclusion selon laquelle il n’était pas exposé à un risque du fait qu’il détenait les actions de la BNE était fondée sur l’intention de ce dernier de ne jamais vendre les actions ainsi que sur le témoignage de l’expert. Comme elle pouvait le faire, la juge de la Cour de l’impôt a rejeté le témoignage de l’expert de la Couronne et a accepté qu’il fallût qu’il y ait une opération étant donné que les fluctuations de cours n’auraient aucune incidence sur M. MacDonald (mémoire de l’intimé, au paragraphe 88).
[46] En outre, la juge de la Cour de l’impôt n’a pas fait erreur en concluant que le prêt n’avait aucun lien avec le contrat à terme de gré à gré et qu’il ne permettait pas de rattacher le contrat à terme de gré à gré aux actions de la BNE (mémoire de l’intimé, aux paragraphes 90 à 92). Sa conclusion était fondée sur le témoignage de M. MacDonald et celui des deux experts ainsi que sur le fait que M. MacDonald était à l’aise et pouvait rembourser le prêt (mémoire de l’intimé, au paragraphe 93).
ANALYSE ET DISPOSITIF
Norme de contrôle
[47] L’appel concerne la définition d’une couverture à des fins fiscales et la question de savoir si, lorsqu’on applique cette définition aux faits de l’espèce, le contrat à terme de gré à gré est un instrument de couverture. La définition d’une couverture soulève une question de droit et commande le contrôle selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8). L’application de cette définition aux faits soulève une question mixte de fait et de droit. En l’absence d’une erreur de droit isolable, la conclusion ne peut être modifiée à moins d’une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, aux paragraphes 36 et 37).
L’analyse
[48] La question n’est pas de savoir si la juge de la Cour de l’impôt a choisi la bonne analyse pour trancher la question dont elle était saisie; quelle que soit l’approche adoptée, la question ultime est celle de savoir si le contrat à terme de gré à gré est un instrument de couverture. La juge de la Cour de l’impôt l’a reconnu au paragraphe 80 de ses motifs. Cependant, il n’en demeure pas moins que la question relative à la couverture, si elle était tranchée en faveur du ministre, allait régler l’affaire, ce que la question relative au caractère commercial ne pouvait faire, et ce peu importe la décision sur cette question. L’analyse aurait donc dû commencer par la question relative à la couverture.
[49] La juge de la Cour de l’impôt a expliqué que commencer par se prononcer sur la question relative au caractère commercial était conforme à l’économie de la Loi (article 3) et « aux principes permettant de déterminer le bénéfice en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi que la Cour suprême du Canada a définis dans Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147 (Canderel) » (motifs, au paragraphe 35). Toutefois, aucune question de calcul des bénéfices n’est soulevée si le contrat à terme de gré à gré constitue un instrument de couverture. La juge de la Cour de l’impôt a également suggéré, sur le fondement de l’arrêt Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103 (Friesen), que le revenu provenant d’une source (alinéa 3a) de la Loi) devait être pris en compte avant celui tiré de la partie imposable des gains en capital (alinéa 3b)). Certes, l’arrêt Friesen traite de cette distinction, mais il ne propose aucune hiérarchie en particulier.
[50] Je commence donc par l’examen de la question relative à la couverture.
La couverture
[51] Il est bien établi qu’aux fins du calcul de l’impôt sur le revenu, le traitement d’un gain ou d’une perte découlant d’un instrument de couverture dépend de la nature du bien couvert (Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 (Shell), aux paragraphes 68 et 70, citant Tip Top Tailors Limited v. Minister of National Revenue, [1957] R.C.S. 703, 1957 CanLII 71 (Tip Top Tailors), à la page 707; Alberta Gas Trunk Line Co. Ltd. c. M.R.N., [1972] R.C.S. 498, 1971 CanLII 179; Columbia Records of Canada Ltd. c. M.R.N., [1971] C.T.C. 839 (C.F. 1re inst.)). En l’espèce, les actions de la BNE détenues par l’intimé au cours de la période pendant laquelle le contrat à terme de gré à gré était en vigueur constituaient une immobilisation entre ses mains, de sorte que, si le contrat à terme de gré à gré avait pour effet d’éliminer le risque lié à ces actions, les pertes subies par l’intimé, contraint d’effectuer des paiements en espèces en règlement du contrat, seront assimilées à des pertes en capital.
[52] L’arrêt de principe quant à ce qui constitue une couverture en droit canadien est celui rendu par la Cour suprême dans l’affaire Placer Dome. La question était de savoir si « couverture » au sens de la Loi de l’impôt sur l’exploitation minière, L.R.O. 1990, ch. M.15, visait uniquement les opérations qui donnent lieu à la livraison physique de la production d’une mine ou vise également les bénéfices dérivés de programmes de « couverture » concernant des activités d’exploitation minière (Placer Dome, au paragraphe 1).
[53] Pour répondre à cette question, la Cour suprême définit le terme « couverture » suivant le sens qui lui est habituellement attribué en application des principes comptables généralement reconnus (PCGR). Elle explique que « les instruments financiers dérivés sont des contrats dont la valeur devient fonction de celle d’un actif, d’un taux de référence ou d’un indice qui lui est sous-jacent » (Placer Dome, au paragraphe 29). Elle fait en outre la distinction entre la spéculation et la couverture en ces termes (Placer Dome, au paragraphe 29) :
[…] Il y a opération de couverture lorsque des éléments d’actif ou de passif de la partie qui l’effectue sont véritablement exposés aux fluctuations du marché, alors que la spéculation est [traduction] « la mesure dans laquelle l’opérateur en couverture effectue des opérations dérivées dont la valeur nominale excède le risque couru » […] [Référence omise.]
[54] Puisque la valeur des contrats dérivés dans cette affaire n’excédait pas la production de la mine, la Cour conclut qu’ils constituent des instruments de couverture plutôt que des instruments de spéculation. Plus précisément, ces instruments ont pour effet de fixer un prix pour la production d’une mine, avant livraison, au moyen d’une vente à terme, ce qui élimine le risque inhérent à la fluctuation du cours de l’or produit (Placer Dome, au paragraphe 52).
[55] Si l’on applique cette approche à l’espèce, le nombre d’actions de la BNE détenues par M. MacDonald pendant toute la période où le contrat à terme de gré à gré était en vigueur dépassait le nombre d’actions de référence visées par le contrat à terme de gré à gré, de sorte que le risque lié à la fluctuation du marché était effectivement neutralisé ou atténué pour ce qui est du nombre correspondant d’actions de la BNE détenues par M. MacDonald pendant cette période. Autrement dit, le montant d’un paiement en espèces auquel M. MacDonald pouvait avoir droit, ou qu’il était tenu d’effectuer en règlement du contrat à terme de gré à gré, était inversement proportionnel à la perte subie ou au gain réalisé à l’égard du nombre correspondant d’actions qu’il détenait, en fonction du prix de référence à ce moment-là.
[56] Même si les actions de la BNE détenues par l’intimé étaient fongibles, le contrat à terme de gré à gré, au début, avait pour effet de neutraliser ou d’atténuer le risque sur le bloc précis d’actions que M. MacDonald avait donné en gage pendant la durée de la facilité de crédit offerte par la Banque TD. À mesure que le prêt était remboursé et que les actions étaient remises à M. MacDonald conformément à l’entente de nantissement, le contrat à terme de gré à gré continuait d’avoir cet effet sur les actions de la BNE qu’il détenait correspondant aux actions de référence visées par le contrat à terme de gré à gré.
[57] Dans l’arrêt Placer Dome, la Cour suprême explique également que les contrats à terme peuvent être dénoués par une livraison physique de l’actif sous-jacent ou par le règlement en espèces. Elle fait remarquer que la plupart des contrats dérivés ne se dénouent pas au moyen d’une livraison physique. La conclusion selon laquelle « le contrat dérivé demeure un instrument de “couverture” quel qu’en soit le dénouement » (Placer Dome, au paragraphe 31) est particulièrement pertinente dans la présente espèce.
[58] La juge de la Cour de l’impôt n’a pas appliqué l’arrêt Placer Dome dans son examen de la question dont elle était saisie. Selon elle, cet arrêt est fondé sur les PCGR. Elle a renvoyé à une autre décision de la Cour suprême — Canderel — voulant que les PCGR ne soient pas déterminants lorsqu’il s’agit de décider comment calculer le revenu sous le régime de la Loi (motifs, au paragraphe 70).
[59] Comme nous le disons plus haut, la question à trancher en l’espèce ne concerne pas le calcul du revenu, et les PCGR, s’ils ne sont pas déterminants lorsqu’il s’agit de régler les questions découlant de la Loi, se révèlent néanmoins souvent utiles (Canderel, au paragraphe 35). Mentionnons notamment que la définition d’une opération de couverture donnée à la lumière des PCGR a servi de fondement dans l’affaire Echo Bay Mines, où il était question du calcul du revenu sous le régime de la Loi. L’affaire Echo Bay Mines présente nombre de similitudes avec l’arrêt Placer Dome. La question précise était de savoir si le bénéfice provenant de la liquidation de contrats de vente à terme conclus pour neutraliser la fluctuation des prix de la production d’une mine comptait au montant des « bénéfices relatifs à des ressources » pour l’application de la Loi.
[60] Dans l’arrêt Placer Dome, la Cour suprême entérine la conclusion dans l’arrêt Echo Bay Mines. Après avoir fait remarquer qu’en application des PCGR, aucune distinction n’existe entre les contrats qui se dénouent par un règlement en espèces et ceux se dénouant par livraison (Placer Dome, au paragraphe 34), la Cour dit (Placer Dome, au paragraphe 35) :
Tout en étant conscient que la décision Echo Bay Mines porte sur une loi différente qui ne définit pas le terme « couverture », je conclus que les principes généraux qui y sont énoncés ont une certaine pertinence en l’espèce. En effet, la principale question posée dans Echo Bay Mines était de savoir si les gains et pertes résultant des opérations de couverture avaient avec les opérations sous-jacentes, à savoir la production et la vente d’argent, un lien suffisant pour constituer des « bénéfices relatifs à des ressources » au sens du Règlement pris en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu. Essentiellement, dans Echo Bay Mines la Cour fédérale était saisie de la même question qui est soulevée en l’espèce : Peut-on affirmer que les opérations synthétiques dérivées « fixent le prix » de la marchandise sous-jacente même lorsque ces opérations ne donnent pas lieu à la livraison de cette marchandise?
[61] Je ne crois pas qu’il soit loisible à la juge de la Cour de l’impôt de s’écarter du critère énoncé dans l’arrêt Placer Dome pour décider si le contrat à terme de gré à gré conclu par M. MacDonald est ou non un instrument de couverture (comparer avec la décision George Weston, aux paragraphes 68 et 69). Suivant ce critère, le contrat à terme de gré à gré est un instrument de couverture s’il neutralise ou atténue le risque auquel est exposé le bien qui en est l’objet. Il ne fait aucun doute que c’était l’effet du contrat à terme de gré à gré sur les actions de la BNE de M. MacDonald à compter de leur mise en gage jusqu’au dernier paiement en espèces et au règlement définitif relatif aux actions de référence restantes.
[62] La juge de la Cour de l’impôt a émis des réserves sur l’application de l’arrêt Placer Dome à la situation de M. MacDonald qui rendrait « impossible de spéculer en utilisant un instrument dérivé tout en conservant une position acheteur dans un élément d’actif » (motifs, paragraphe 68). Toutefois, une telle issue n’a rien d’irrégulier, étant donné qu’elle procède de la logique implacable voulant qu’une personne ne puisse ni gagner ni perdre en ayant recours à un instrument dérivé tout en détenant les biens dont il protège la valeur. La décision George Weston présente l’illustration la plus récente de cette règle, à cela près qu’elle concerne le risque découlant de la propriété d’un bien plutôt qu’un risque lié à une opération.
Intention relative à la couverture
[63] La juge de la Cour de l’impôt n’a pas retenu le fait que M. MacDonald détenait des actifs correspondants de valeur égale au bien de référence visé par le contrat à terme de gré à gré, et ce parce que l’intention manifeste de M. MacDonald, en concluant le contrat à terme de gré à gré, visait la spéculation et non la couverture (motifs, au paragraphe 96). Elle a par la suite expliqué dans quelques passages de ses motifs que, puisque M. MacDonald avait « l’intention de ne jamais vendre ses actions de la BNE », il n’avait aucun risque à couvrir (motifs, au paragraphe 66; voir aussi les paragraphes 68 et 104).
[64] Pareille conclusion suppose que l’intention est une condition préalable à l’opération de couverture et que la propriété de biens dont la valeur est assujettie aux fluctuations du marché ne présente pas de risque, ce qui est contraire au principe établi dans la décision George Weston (voir les paragraphes 77 à 90 ci-après).
[65] La conclusion de la juge de la Cour de l’impôt selon laquelle M. MacDonald avait pour seule intention de spéculer est contestable eu égard aux faits qui se sont déroulés entre le 6 juin et le 2 juillet 1997 (voir les paragraphes 8 à 14 plus haut). Toutefois, elle importe peu pour nos besoins, l’intention n’étant pas une condition préalable à l’opération de couverture.
[66] La question de savoir si l’intention est un prérequis pour l’opération de couverture n’a pas fait l’objet d’un débat exhaustif devant la juge de la Cour de l’impôt. Il semble que la Couronne ait concédé, comme elle le fait devant nous, qu’un objet commercial justifiant l’atténuation d’un risque doit être présent pour qu’il y ait couverture (mémoire de la Couronne, au paragraphe 38). Cependant, puisqu’il s’agit d’une question de droit, la question de savoir si l’intention d’éliminer un risque est un prérequis pour une opération de couverture relève de la Cour.
[67] Bien que la jurisprudence à laquelle renvoie la juge de la Cour de l’impôt indique que l’anticipation d’un risque imminent est nécessaire à l’exercice de couverture, je ne connais aucune source voulant que l’intention constitue une condition préalable à une opération de couverture. Le passage tiré d’une décision du Conseil privé dans l’affaire Grain Futures invoqué par M. MacDonald à l’appui de la proposition contraire doit être interprété à la lumière de ce qui précède (mémoire de l’intimé, au paragraphe 49).
[68] L’avocat de l’intimé a renvoyé à de nombreux paragraphes des motifs de la Cour de l’impôt dans la décision George Weston où « intention de spéculer » est opposée à « intention de couvrir ». Répétons-le, ceux qui concluent des contrats dérivés ayant pour effet de couvrir un risque à l’égard d’actifs qu’ils possèdent sont censés comprendre les conséquences de leurs actes. En outre, l’argumentation dans la décision George Weston part du principe que l’appelante avait l’intention de spéculer ou qu’elle était engagée dans une opération de couverture (voir par exemple George Weston, aux paragraphes 87, 88 et 89). Il n’y a aucun fondement à la conclusion de la juge de la Cour de l’impôt selon laquelle la décision George Weston « a confirmé » qu’une intention de couvrir est un prérequis à une opération de couverture (motifs, au paragraphe 95). En fait, la question n’est même pas abordée.
[69] À la lumière de l’arrêt de principe en la matière, il y a opération de couverture « lorsque des éléments d’actif ou de passif de la partie [à un contrat dérivé] sont véritablement exposés aux fluctuations du marché » et que le contrat neutralise ou atténue l’exposition à ce risque à l’égard des actifs de la partie (Placer Dome, au paragraphe 29). Même si, comme on l’indique, l’intéressée doit comprendre la nature du contrat qu’elle conclut, l’intention de couvrir n’a jamais constitué un prérequis à une opération de couverture.
[70] Si tel est l’état du droit, comme je le crois, l’avocat de l’intimé invite la Cour à le modifier de telle sorte que l’intention soit essentielle à l’opération de couverture. Selon l’avocat, refuser cette modification créerait une [traduction] « couverture accidentelle » (mémoire de l’intimé, au paragraphe 66). Il donne l’exemple d’une personne qui conclut un contrat de vente à terme de 100 actions de la BNE sans en détenir aucune, mais qui hérite de 100 actions de la BNE avant la date d’échéance. Elle aurait alors obtenu une « couverture accidentelle ».
[71] À première vue, j’estime que cette personne ne tomberait pas sous le coup du critère actuel étant donné qu’elle ne pouvait vraisemblablement avoir compris que le contrat conclu aurait pour effet d’atténuer le risque. Cependant, M. MacDonald n’est pas dans cette situation puisqu’il possédait les biens visés par le contrat à terme de gré à gré au moment où ce dernier a été conclu et qu’il était tout à fait conscient que le contrat atténuerait le risque à l’égard de ces biens. La juge de la Cour de l’impôt n’a pas abordé cette question étant donné sa conclusion selon laquelle M. MacDonald n’entendait pas couvrir le risque.
[72] Les éléments de preuve pertinents nécessitent un examen de la facilité de crédit qui a été négociée auprès de la Banque TD lorsque le contrat à terme de gré à gré a été conclu. M. MacDonald a signé le contrat à terme de gré à gré le 26 juin 1997; la facilité de crédit était alors en voie d’être mise en place. La première offre de crédit a été faite le 6 juin 1997. La conclusion et le maintien du contrat à terme de gré à gré constituaient une condition préalable au prêt. M. MacDonald a aussi dû donner en gage un bloc de ses actions de la BNE correspondant au nombre d’actions de référence visées par le contrat à terme de gré à gré — c.-à-d. : 165 000 actions de la BNE — et céder à la Banque TD tout paiement auquel il aurait droit en application du contrat. Enfin, il était tenu de produire régulièrement un relevé de valeur nette afin de démontrer qu’il avait toujours la capacité financière de faire des paiements en espèces en règlement du contrat à terme de gré à gré au besoin (dossier d’appel, vol. IV, aux pages 945 et 946). La facilité de crédit a été avancée le 7 juillet 1997. Il est acquis aux débats qu’en conséquence de ces opérations, les actions de la BNE données en gage par M. MacDonald étaient protégées du risque de fluctuation du marché durant la durée du contrat à terme de gré à gré, et ce parfaitement.
[73] Lorsqu’on lui a posé des questions au sujet de ce résultat, l’avocat de M. MacDonald a fait remarquer que c’est le prêteur et non son client qui voulait que la valeur des actions données en gage soit protégée du risque de fluctuation du marché. Or, c’est M. MacDonald qui voulait le crédit (transcription du contre-interrogatoire de M. MacDonald, à la page 113, lignes 4 à 8), et il a pris les mesures proposées par le prêteur pour l’obtenir. Même si l’avocat insiste sur le fait que M. MacDonald n’avait aucun intérêt personnel à neutraliser le risque de fluctuation du marché à l’égard des actions données en gage, il n’en demeure pas moins qu’il était tout à fait conscient qu’il fallait que le risque soit neutralisé au profit du prêteur. Il ne s’agit pas d’une opération de couverture accidentelle.
[74] Abordons la question de savoir si le contrat à terme de gré à gré protégeait les actions de la BNE de M. MacDonald contre le risque.
Les actions de M. MacDonald étaient-elles protégées contre le risque?
[75] La juge de la Cour de l’impôt a répondu par la négative à cette question. Elle a expliqué qu’en plus du critère de l’intention, l’opération de couverture exige, entre le contrat à terme de gré à gré et le bien qui en fait l’objet ou l’opération qui donne lieu au risque, un lien très étroit quant au moment et à la valeur (motifs, aux paragraphes 86 et 95). Appliquant ce critère, elle était d’avis que le lien en l’espèce était insuffisant pour permettre de conclure qu’un risque lié à une opération (motifs, au paragraphe 112) ou qu’un risque découlant de la propriété (motifs, au paragraphe 104) avait été éliminé.
[76] La juge de la Cour de l’impôt a d’abord cherché à savoir si le contrat à terme de gré à gré visait à éliminer un risque lié à une opération, plus précisément si la perte représentée par les paiements en espèces était neutralisée ou atténuée par les gains compensateurs réalisés par M. MacDonald à la suite de la vente d’actions de la BNE pendant la durée du contrat à terme de gré à gré. Après une longue analyse, elle a conclu à l’absence du lien requis.
[77] Cependant, elle n’était pas tenue de trancher la question; personne n’ayant avancé qu’un risque lié à une opération avait été couvert. Tout au long de l’instance, la Couronne a soutenu que M. MacDonald avait éliminé le risque auquel il était exposé du fait qu’il était propriétaire des actions de la BNE (réponse à l’avis d’appel modifié, au paragraphe 14.33; motifs, au paragraphe 97).
[78] La question concernant le risque lié à la propriété et la possibilité de couvrir un tel risque à des fins fiscales a été examinée par la Cour de l’impôt dans la décision George Weston. Avant cette décision, toutes les affaires ont trait à des contrats dérivés ayant pour effet de neutraliser ou d’atténuer un risque lié à une opération — c.-à-d. : la vente de la production de l’exploitation minière dans l’arrêt Placer Dome et la décision Echo Bay Mines, l’achat de matériaux utilisés dans le cours des affaires dans l’arrêt Atlantic Sugar Refineries c. Minister of National Revenue, [1949] R.C.S. 706, à la page 711 et l’arrêt Tip Top Tailors ou le remboursement d’un prêt en devises étrangères dans l’arrêt Shell. Dans toutes ces affaires, c’est donc un risque lié à une transaction qui était compensé par l’utilisation d’un instrument de couverture.
[79] L’affaire George Weston concerne des échanges de devises conclus pour neutraliser l’incidence de la fluctuation des devises sur le bilan consolidé de George Weston. Le risque découlait de l’achat par sa filiale, en dollars américains, d’une entreprise établie aux États-Unis, au moyen d’un financement par emprunt. En conséquence, la fluctuation des devises aurait une incidence sur la section des capitaux propres du bilan consolidé du groupe de sociétés. Par conséquent, George Weston a conclu des échanges de devises dont la valeur variait à l’inverse de celle de ses placements aux États-Unis, ce qui mettait à l’abri des fluctuations son ratio emprunts-capitaux propres. Les échanges de devises se sont révélés lucratifs pour George Weston, et se sont soldés par des gains de plus de 300 millions de dollars canadiens.
[80] La juge en chef adjointe Lamarre a conclu pour la première fois que le risque associé à la valeur fluctuante des actifs peut être éliminé à des fins fiscales. Par cette conclusion, elle a rejeté l’argument de la Couronne voulant que le risque de change associé à une augmentation du ratio emprunts-capitaux propres de George Weston découlant de l’élargissement de ses avoirs indirects dans des actifs américains ne pouvait être couvert parce qu’il n’était pas lié à une opération (George Weston, aux paragraphes 52, 76 et 81). Aucun appel n’a été interjeté de cette décision.
[81] Dans cette affaire, le risque découlait de la fluctuation des devises canadienne et américaine et pouvait se répercuter sur le bilan de George Weston. Il s’agissait d’un véritable risque que celle-ci a neutralisé au moyen des échanges. Selon la juge en chef adjointe Lamarre, protéger sa situation financière d’un risque déterminé sur une période donnée constitue une opération de couverture, et c’est ce qu’a fait George Weston par le truchement des échanges.
[82] Ni la juge de la Cour de l’impôt ni les parties en l’espèce n’ont contesté la décision George Weston, et je n’ai point de motif de douter de son bien-fondé. Même si la situation est nouvelle, aucune des décisions de principe, y compris l’arrêt Shell, n’exige qu’une opération dérivée soit rattachée à un gain ou à une perte découlant d’une opération distincte (George Weston, au paragraphe 81). Il est aussi possible de couvrir un risque lié à la propriété, et rien n’empêche la règle établie — voulant que les gains ou les pertes provenant d’une opération de couverture soient traités de la même façon que les actifs couverts à des fins fiscales — de s’appliquer (George Weston, au paragraphe 81).
[83] La Couronne réitère devant nous sa thèse : la décision George Weston tranchait la question dont la juge de la Cour de l’impôt était saisie et aurait dû être suivie. Je suis d’accord. À l’instar des actifs américains de George Weston, la valeur des actions que M. MacDonald a données en gage pour obtenir sa facilité de crédit, de même que les actions correspondantes de la BNE qu’il a continué de détenir après avoir effectué des paiements en espèces, étaient protégées contre le risque de fluctuation du marché pendant la durée du contrat à terme de gré à gré.
[84] La juge de la Cour de l’impôt n’a pas appliqué la décision George Weston pour deux motifs, concluant premièrement que la présente situation « est entièrement différente » (motifs, au paragraphe 104) :
[…] Je ne vois pas comment M. MacDonald aurait pu être exposé à un risque associé aux actions de la BNE qu’il détenait, puisqu’il voulait ne jamais vendre les actions de la BNE […] Tant qu’il ne vendait pas ses actions de la BNE, il n’était exposé à aucun risque du fait qu’il les détenait, et je ne vois pas comment la fluctuation des prix aurait pu le toucher.
[85] Par cette conclusion, la juge de la Cour de l’impôt a omis de faire la distinction entre risque lié à une opération et risque lié à la propriété. Si le désir de M. MacDonald de ne jamais vendre ses actions de la BNE ne concorde pas avec le risque lié à une opération, le risque lié à la propriété quant à lui n’existe que si le bien n’est pas vendu. L’intention de ne jamais vendre concorde tout à fait avec l’existence d’un risque lié à la propriété.
[86] Pour la juge de la Cour de l’impôt, l’absence de risque à couvrir réglait l’affaire; M. MacDonald ne pouvait pas vraisemblablement avoir couvert un risque qu’il n’avait pas (motifs, au paragraphe 105). Toutefois, en réalité, les actions de la BNE de M. MacDonald étaient exposées au risque de fluctuation du marché tout comme les actifs américains de George Weston l’étaient au risque de fluctuation des devises. Dans les deux cas, ce risque pouvait se répercuter sur leur valeur respective par rapport à la valeur des actifs entre leurs mains. Les contrats dérivés respectifs neutralisaient ce risque.
[87] La juge de la Cour de l’impôt a également distingué la décision George Weston de l’espèce au motif que le risque dans cette affaire découlait d’un « événement déclencheur » — une acquisition aux États-Unis —, alors qu’aucun tel événement n’est survenu en l’espèce. Elle a fait remarquer qu’en comparaison, M. MacDonald détenait ses actions de la BNE depuis une trentaine d’années (motifs, au paragraphe 107).
[88] Faisons observer qu’il importe peu que les actifs emportant un risque lié à la propriété soient détenus depuis longtemps ou qu’ils aient été acquis récemment. La propriété à long terme ne fait pas obstacle à la couverture d’un risque lié à la propriété. Ce qui importe, c’est que les actions de la BNE de M. MacDonald étaient exposées à un risque de fluctuation du marché et que ce risque a été neutralisé par le contrat à terme de gré à gré.
[89] Enfin, il n’y a rien d’autre à démontrer pour établir que le risque lié à la propriété a été couvert par le contrat à terme de gré à gré. À cet égard, la juge de la Cour de l’impôt a semblé conclure que le « lien » requis n’était pas présent parce que les actions de la BNE ne sont pas des « biens à livrer » en application du contrat à terme de gré à gré, mais des « actions de référence » ou des « biens de référence » (motifs, aux paragraphes 98 à 100). Ce qu’elle entend, d’après ce que je peux comprendre, c’est que le contrat à terme de gré à gré devait être « une couverture d’un même actif pour les actions de la BNE ». Or, selon elle le contrat à terme de gré à gré ne correspondait pas à cette description, parce que les règlements devaient être effectués au moyen de paiements en espèces plutôt que par livraison d’actions (motifs, au paragraphe 99).
[90] À notre sens, cette question de lien, qui découlait d’un débat entre les experts, n’est pas pertinente à la lumière de l’arrêt Placer Dome. Rappelons que la Cour suprême dans cette affaire conclut que l’opération de l’instrument de couverture ne dépend pas du mode de dénouement du contrat. La logique qui sous-tend cette conclusion semble inattaquable, et rien ne permettait à la juge de la Cour de l’impôt de conclure que le mode de dénouement avait quelque importance pour la question dont elle était saisie.
[91] Si la juge de la Cour de l’impôt avait suivi le raisonnement énoncé dans la décision George Weston, elle n’aurait pu que conclure qu’un risque pouvant être couvert résultait effectivement du fait que M. MacDonald était propriétaire de ses actions et que ce risque était neutralisé par le contrat à terme de gré à gré qu’il avait conclu.
Résumé des conclusions
[92] Selon la jurisprudence, l’intention de couvrir n’est pas une condition préalable à une opération de couverture. Il suffit que l’intéressée détienne des biens exposés à un risque de fluctuation du marché lorsque le contrat dérivé est conclu et que ce dernier a pour effet de neutraliser ou d’atténuer ce risque.
[93] M. MacDonald n’a pas obtenu une « couverture accidentelle ». Il était au courant de l’effet de couverture que le contrat à terme de gré à gré aurait sur les actions de la BNE qu’il avait données en gage à la Banque TD et de l’effet que ce contrat continuerait d’avoir sur le nombre correspondant d’actions qu’il détenait pendant la durée du contrat à terme de gré à gré.
[94] La décision de la juge de la Cour de l’impôt permet à M. MacDonald de déduire les paiements effectués à titre de règlement au titre de pertes d’entreprise, même si les actions correspondantes de la BNE qu’il détenait pendant la durée du contrat à terme de gré à gré constituent des immobilisations entre ses mains, ce qui contrevient au principe du rattachement, tel qu’il a été élaboré par la jurisprudence.
[95] La juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit en ne suivant pas les précédents faisant autorité, en particulier en faisant fi de la définition donnée par la Cour suprême du terme « couverture » dans l’arrêt Placer Dome. Elle a en outre commis une erreur en faisant une distinction avec la décision George Weston au motif que M. MacDonald n’avait aucun risque lié à la propriété à couvrir. Si elle avait reconnu que les actions de la BNE de M. MacDonald étaient exposées à un risque et si elle avait suivi la jurisprudence, elle n’aurait pu faire autrement que de conclure que ce risque était atténué par le contrat à terme de gré à gré conclu.
Dispositif
[96] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais la décision de la juge de la Cour de l’impôt et, rendant le jugement qu’elle aurait dû rendre, je confirmerais la validité des nouvelles cotisations établies à l’encontre de M. MacDonald, avec dépens.
Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge de Montigny, J.C.A. : Je suis d’accord.