CONF-1-18
2018 CF 738
Dans l’affaire concernant une demande présentée par [***] en vue de la délivrance de mandats au titre des articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23;
Et dans l’affaire concernant [***]
Répertorié : X (Re)
Cour fédérale, juge Noël—Ottawa [***] et [***].
Note de l’arrêtiste : Cette décision a été confirmée en appel (CONF-4-18, 2018 CAF 207). Les parties caviardées par la Cour sont indiquées par [***].
Renseignement de sécurité — Demande du Service canadien du renseignement de sécurité (le Service ou le SCRS) en vue d’obtenir un mandat à portée extraterritoriale au titre des art. 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS) — Le ministre [***] (le ministre) a présenté au ministre de la Sécurité publique une demande d’assistance à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités d’un État étranger; il a été consenti à la demande d’assistance du ministre — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale avait compétence, au titre des art. 16 et 21 de la Loi sur le SCRS, pour décerner un mandat à portée extraterritoriale; plus précisément, si l’expression figurant à l’art. 16 de la Loi sur le SCRS « dans les limites du Canada » ou en anglais « within Canada » interdit au Service d’obtenir un mandat pour certaines activités d’enquête ou si ces activités vont à l’encontre de la limite territoriale expresse imposée à l’art. 16 de la Loi sur le SCRS — Les mandats et fonctions conférés au Service par la Loi sur le SCRS ont été examinés — Pour interpréter correctement l’expression « dans les limites du Canada » et « within Canada » énoncée à l’art. 16 de la Loi sur le SCRS, l’on a procédé à une analyse en trois volets (textuelle, contextuelle, téléologique) — L’analyse textuelle a démontré que le choix des mots par le législateur restreint explicitement la fonction secondaire du Service à la collecte d’informations et de renseignements au Canada — En ce qui concerne l’analyse contextuelle, les art. 12 et 21 de la Loi sur le SCRS ont été modifiés de manière à autoriser explicitement le Service à « exercer les fonctions […] même à l’extérieur du Canada » mais aucune modification similaire n’a été apportée à l’art. 16 de la Loi sur le SCRS — L’historique législatif de l’art. 16 a aussi été examiné, et il a montré l’intention du législateur de restreindre aux limites du Canada les activités de collecte de renseignements étrangers — Par conséquent, la restriction « dans les limites du Canada » à l’art. 16 représente l’intention claire du législateur de garantir que la collecte d’information et de renseignement étrangers se produise uniquement au Canada — La restriction « dans les limites du Canada » figurant à l’art. 16 a toujours créé une lacune au chapitre du renseignement étranger en ce sens qu’il est interdit au Service de recueillir des renseignements n’étant pas situés au Canada — En restreignant explicitement aux limites du Canada la collecte de renseignements étrangers, le législateur a confirmé son intention d’atténuer le risque de compromettre les relations diplomatiques et politiques avec des États étrangers — Le libellé de l’art. 16 est clair; l’expression « dans les limites du Canada » est restrictive — Demande rejetée.
Droit international — Dans une demande du Service canadien du renseignement de sécurité (le Service ou le SCRS) en vue d’obtenir un mandat à portée extraterritoriale au titre des art. 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS), la portée territoriale de l’art. 16 a dû être déterminée — Les principes du droit international ont été pris en considération aux fins de l’analyse de l’art. 16 — Les lois canadiennes sont présumées conformes au droit international — L’interprétation de « dans les limites du Canada » à l’art. 16 proposée par la procureure générale, qui favorise la présence d’une dimension extraterritoriale, nuirait aux relations entre les États et n’était pas conforme au principe de la courtoisie des nations — Enfin, le caractère explicite de l’expression « dans les limites du Canada » ne réfutait pas la présomption contre l’extraterritorialité.
Il s’agissait d’une demande du Service canadien du renseignement de sécurité (le Service ou le SCRS) en vue d’obtenir un mandat à portée extraterritoriale au titre des articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS).
Conformément aux exigences imposées à l’alinéa 16(3)a) de la Loi sur le SCRS, le ministre [***] (le ministre) a présenté, par lettre adressée au ministre de la Sécurité publique, une demande personnelle d’assistance à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités d’un État étranger. En application de l’alinéa 16(3)b), le ministre de la Sécurité publique a consenti personnellement à ce que le directeur du Service prête son assistance au ministre dans la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités de l’État étranger à l’aide des méthodes décrites dans la demande du ministre.
Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale avait compétence, au titre des articles 16 et 21 de la Loi sur le SCRS, pour décerner un mandat à portée extraterritoriale. Plus précisément, la question en litige était de savoir si l’expression figurant à l’article 16 de la Loi sur le SCRS « dans les limites du Canada » ou en anglais « within Canada » interdit au Service d’obtenir un mandat pour certaines activités d’enquête ou si ces activités vont à l’encontre de la limite territoriale expresse imposée à l’article 16 de la Loi sur le SCRS.
Jugement : la demande doit être rejetée.
La procureure générale a soutenu que la Cour a compétence au titre des articles 16 et 21 de la Loi sur le SCRS pour décerner le mandat. Elle a soutenu que la Cour devait adopter une interprétation téléologique à l’égard de l’article 16 qui penche en faveur de l’existence d’une dimension extraterritoriale au moment de prêter une assistance « dans les limites du Canada ». L’amicus curiae a demandé à la Cour de prendre en considération le fait que la thèse de la procureure générale n’était pas étayée par le libellé de l’article 16 de la Loi sur le SCRS et que la Cour n’a donc pas compétence pour décerner le mandat. Il a affirmé que le libellé est clair et que l’expression « dans les limites du Canada » constitue une restriction expresse.
Les principes d’interprétation des lois, plus particulièrement les principes propres aux lois relatives à la sécurité nationale, ont été examinés. Des limites et contrôles stricts quant à la collecte de renseignements font partie des principes directeurs aux fins de l’interprétation des lois en matière de sécurité nationale, et cela oblige la Cour à interpréter des pouvoirs intrusifs avec prudence. Si la portée des pouvoirs conférés par la Loi sur le SCRS doit être élargie afin que le Service puisse prêter assistance aux ministres des Affaires étrangères ou de la Défense nationale, un tel changement doit être apporté au moyen de modifications législatives, et non par une interprétation large de la Loi sur le SCRS par la Cour.
Les mandats et fonctions conférés au Service par la Loi sur le SCRS ont été examinés. L’article 16, qui était en cause en l’espèce, autorise le SCRS à recueillir des informations en matière étrangère de nature politique, économique et commerciale susceptibles de servir les intérêts du Canada. Lorsque l’on combine le pouvoir conféré à l’article 16 avec un mandat décerné par la Cour en conformité avec l’article 21, le SCRS peut être autorisé à utiliser, « dans les limites du Canada », des méthodes intrusives de collecte d’informations concernant des personnes ou des États étrangers.
Pour interpréter correctement l’expression « dans les limites du Canada » énoncée à l’article 16 de la Loi sur le SCRS, la Cour a procédé à une analyse en trois volets (textuelle, contextuelle, téléologique). L’analyse textuelle a démontré qu’en consultant les définitions des termes « dans les limites » ou « within » fournies par les dictionnaires, on constate que le sens grammatical et ordinaire est clair et non équivoque dans les deux langues officielles. Le choix des mots par le législateur restreint explicitement la fonction secondaire du Service à la collecte d’informations et de renseignements au Canada. En outre, d’autres conditions imposent des paramètres législatifs particuliers et stricts à la fonction de collecte de renseignements étrangers.
La Cour a aussi situé la fonction de collecte de renseignements étrangers dans son contexte global, plus particulièrement eu égard aux fonctions principales et secondaires du Service. Si elle a rarement été modifiée, la Loi sur le SCRS a été modifiée en 2015 et des pouvoirs extraterritoriaux ont été ajoutés aux paragraphes 12(2), 15(2), et 21(3.1). Les articles 12 et 21 ont été modifiés de manière à autoriser explicitement le Service à « exercer les fonctions […] même à l’extérieur du Canada » mais aucune modification similaire n’a été apportée à l’article 16. Ces modifications visaient à préciser les pouvoirs extraterritoriaux conférés par la Loi sur le SCRS. Le législateur a eu une excellente occasion de modifier la limite territoriale imposée à l’article 16 pour accorder un pouvoir de collecte extraterritorial, mais il ne l’a pas fait. Si l’on interprète les termes précis « même à l’extérieur du Canada » utilisés à l’article 12 et « qui touchent le Canada ou s’y déroulent » utilisés à l’article 2 en parallèle avec l’expression « dans les limites du Canada » utilisée à l’article 16, l’intention claire du Canada était de limiter l’application ou l’exécution de l’article 16 aux emplacements situés à l’intérieur des frontières du Canada. L’historique législatif de l’article 16 en accordant une importance particulière à l’expression « dans les limites du Canada » afin de mettre en lumière la bonne façon de l’interpréter a été examiné. Cet examen a montré que le législateur a conservé au fil des années une orientation cohérente et constante relativement à la portée territoriale de l’article 16 et, bien que l’on ait recommandé l’élimination de l’expression « dans les limites du Canada » de l’article 16, le législateur a constamment et uniformément réitéré son intention de restreindre aux limites du Canada les activités de collecte de renseignements étrangers. Par conséquent, la restriction « dans les limites du Canada » à l’article 16 représente l’intention claire du législateur de garantir que la collecte d’information et de renseignement étrangers se produise uniquement au Canada.
L’argument de la procureure générale du Canada selon lequel la Cour devrait adopter une interprétation téléologique de l’article 16 qui favorise la présence d’une dimension extraterritoriale pour ce qui est de l’assistance offerte « dans les limites du Canada » a été rejeté. La Cour a aussi rejeté son argument selon lequel des évolutions technologiques ont rendu l’article 16 désuet ou inapplicable. En créant le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) comme ayant la compétence principale de recueillir des renseignements étrangers à l’extérieur du Canada, le législateur n’aurait pas pu avoir l’intention de conférer au Service les mêmes pouvoirs à l’article 16. La restriction « dans les limites du Canada » figurant à l’article 16 a toujours créé une lacune au chapitre du renseignement étranger en ce sens qu’il a toujours été interdit au Service de recueillir des renseignements n’étant pas situés au Canada. La protection de la réputation du Canada et de ses relations diplomatiques a toujours été un facteur important dans le contexte des dispositions législatives portant sur la sécurité nationale. En restreignant explicitement aux limites du Canada la collecte de renseignements étrangers, le législateur a confirmé son intention d’atténuer le risque de compromettre les relations diplomatiques et politiques avec des États étrangers. Des facteurs stratégiques importants concernant la protection de la réputation internationale du Canada demeurent des éléments fondamentaux de la raison d’être de la Loi sur le SCRS. Au moment d’interpréter la Loi sur le SCRS, un juge doit s’en remettre aux limites strictes de celle-ci. Le libellé de l’article 16 est clair; l’expression « dans les limites du Canada » est restrictive. L’assistance du Service doit être offerte dans les limites du Canada.
Les principes du droit international ont été pris en considération aux fins de l’analyse de la portée territoriale de l’article 16. À moins que le contraire soit clairement indiqué, il faut supposer que les lois canadiennes sont conformes au droit international. L’interprétation de « dans les limites du Canada » à l’article 16 proposée par la procureure générale nuirait aux relations entre les États et n’était pas conforme au principe de la courtoisie des nations. Enfin, le caractère explicite de l’expression « dans les limites du Canada » ne réfutait pas la présomption contre l’extraterritorialité. Cette conclusion a été renforcée par les modifications de 2015 à la Loi sur le SCRS.
L’interprétation correcte de l’expression « dans les limites du Canada » est « seulement au Canada ». Si la Cour en faisait une autre interprétation, elle réécrirait essentiellement l’article. Ainsi, la Cour n’a pas la compétence de délivrer le mandat demandé. S’il faut que la portée de l’article 16 soit élargie pour que le Service puisse aider les ministres efficacement, celui-ci devrait s’adresser au Parlement, puisqu’il s’agit là de la tribune où il convient d’aborder les « lacunes » définies par la procureure générale.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.
Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 273.64, 273.65.
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42.
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2 « menaces envers la sécurité du Canada », 12, 12.1, 13, 14, 15, 16, 17(1)b), 21, 21.1(1), 56.
Loi sur les infractions en matière de sécurité, L.R.C. (1985), ch. S-7.
National Security Act of 1947, 61 Stat. 498.
Projet de loi C-9, Loi constituant le Service canadien du renseignement de sécurité, édictant la Loi concernant la poursuite de certaines infractions en matière de sécurité et dans des domaines connexes et modifiant certaines lois en conséquence ou de façon corrélative, 32e lég., 2e sess., 1984.
Projet de loi C-44, Loi sur la protection du Canada contre les terroristes, 41e lég., 2e sess., 2015.
Projet de loi C-157, Loi constituant le Service canadien du renseignement de sécurité, édictant la Loi concernant la poursuite de certaines infractions en matière de sécurité et dans des domaines connexes et modifiant certaines lois en conséquence ou de façon corrélative, 32e lég., 1re sess., 1983.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; X (Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Renvoi relatif à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, 2012 CF 1437, [2014] 2 R.C.F. 514; Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), 2008 CF 301, [2008] 4 R.C.F. 230; X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684, confirmant 2013 CF 1275, [2015] 1 R.C.F. 635; Hill v. William Hill (Park Lane) Ltd., [1949] A.C. 530 (H.L.); Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Association canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427.
DÉCISIONS CITÉES :
X (Re), 2017 CF 136, [2017] 4 R.C.F. 391; Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141; Atco Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077; Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601.
DOCTRINE CITÉE
Bibliothèque du Parlement. Direction de la recherche parlementaire. Bulletin d’actualité 84-27F. Le Service canadien du renseignement de sécurité (révisé le 24 janvier 2000).
Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Mofidifications à la Loi sur le SCRS : Propositions pour le Comité de la Chambre des communes. Ottawa : Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1989.
Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 1988–1989. Ottawa : Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1989.
Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 2012–2013 : Combler les lacunes. Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2013.
Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Premier rapport : Sécurité et Information, Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981.
Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (Commission McDonald). Deuxième rapport : La liberté et la sécurité devant la loi, vols. 1–2. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981.
Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Troisième rapport : Certaines activités de la GRC et la connaissance qu’en avait le gouvernement, Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981.
Canada. Parlement. Chambre des communes. Une période de transition mais non de crise : Rapport à la Chambre des communes du Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, septembre 1990.
Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Témoignages, 39e lég., 1re sess., fascicule no 44 (15 mai 2007).
Canada. Parlement. Chambre des communes. Délibérations du Comité de justice et des questions juridiques, 32e lég., 2e sess., fascicule no 29 (29 mai 1984).
Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, 32e lég., 2e sess., fascicule no 28 (24 mai 1984).
Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité permament de la sécurité publique et nationale, Témoignages, 41e lég., 2e sess., fascicule no 40 (24 novembre 2014).
Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité spécial d’Examen de la Loi constituant le SCRS et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, Concernant : Travaux futurs, 34e lég., 2e sess., fascicule no 9 (16 janvier 1990).
Canada. Parlemement. Chambre des communes. Réponse du gouvernement au Rapport du Comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de Sécurité (janvier 1984).
Canada. Parlement. Sénat. Délibérations du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, 39e lég., 1re sess., fascicule no 13 (26 mars 2007).
Canada. Parlement. Sénat. Délibérations du Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité, La teneur du Projet de loi C-157 intitulé « Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité », 32e lég., 1re sess., fascicules nos 3 à 11 (19 août–22 september 1983).
Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, novembre 1983.
Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. Toronto : Oxford University Press, 2004, « within ».
Côté, Pierre-André. The Interpretation of Legislation in Canada, 4e éd. Toronto : Carswell, 2011.
Le petit Robert de la langue française, Paris : Le Robert, 2006 « dans », « limite ».
Service canadien du renseignement de sécurité. Renseignement et politiques : Constantes et évolutions, par Blair Seaborn, Commentaire no 45, Ottawa : Sécurité publique et Protection civile, juin 1994.
Solliciteur général du Canada. Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 90 : Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, février 1991.
Sullivan, Ruth. Statutory Interpretation, 3e éd. Toronto : Irwin Law, 2016.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ont. : Lexis Nexis, 2014.
DEMANDE du Service canadien du renseignement de sécurité en vue d’obtenir un mandat à portée extraterritoriale au titre des articles 16 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Demande rejetée.
ONT COMPARU
[***] et [***] pour la demanderesse la sous-procureure générale du Canada.
Gordon Cameron à titre d’amicus curiae.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
La sous-procureure générale du Canada pour la demanderesse.
Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l., Ottawa, à titre d’amicus curiae.
Table des matières |
|
|
Paragraphe |
I. Aperçu |
|
II. Les faits |
|
III. Question en litige |
15 |
IV. Résumé des observations |
16 |
V. Principes d’Interprétation des Lois |
19 |
VI. Principes d’Interprétation des Lois propres aux Lois relatives à la Sécurité Nationale |
22 |
A. Le mandat et les fonctions du Service canadien du renseignement de sécurité |
27 |
B. Interprétation de l’article 16 de la Loi sur le SCRS |
30 |
1) Le sens textuel |
31 |
2) L’approche contextuelle |
48 |
a) Le régime de la Loi sur le SCRS |
49 |
b) Les modifications apportées en 2015 à la Loi sur le SCRS |
55 |
c) Conditions dans le mandat demandé |
64 |
d) Historique législatif et preuve extrinsèque |
67 |
(i) La Commission McDonald (1981) |
73 |
(ii) Le rapport Pitfield (1983) |
76 |
(iii) Projet de loi C-9 : Loi constituant le Service canadien du renseignement de sécurité (1984) |
83 |
(iv) Le rapport du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (1989) |
84 |
(v) L’examen parlementaire quinquennal suivant l’adoption de la Loi sur le SCRS (1990) |
86 |
(vi) Réponse du gouvernement au rapport d’examen quinquennal (1991) |
91 |
(vii) L’intérêt du gouvernement à l’égard d’un organisme du renseignement étranger (2006–2007) |
94 |
(viii) Rapport annuel du CSARS 2012–2013 : Combler les lacunes |
97 |
(ix) Projet de loi C-44 : Loi sur la protection des Canadiens contre les terroristes |
98 |
3) L’approche téléologique |
101 |
a) L’intérêt important du Canada à l’égard de l’information à [***] |
107 |
b) La lacune perçue au chapitre de la collecte de renseignements étrangers |
112 |
c) L’évolution de la nature de [***] |
117 |
d) Avancées technologiques : [***] |
125 |
4) La présomption de respect du droit international |
132 |
VII. [***] |
150 |
A. [***] ce qui est d’interpréter l’article 16 de la Loi sur le SCRS? |
152 |
B. La Cour devrait-elle tenir compte [***] |
155 |
C. [***] le Service agirait-il « dans les limites du Canada »? |
168 |
VIII. CONCLUSION |
172 |
IX. BIBLIOGRAPHIE |
|
I. APERÇU
[1] La présente Cour peut-elle décerner un mandat autorisant le Service canadien du renseignement de sécurité (le Service ou le SCRS) à [***] en vertu des articles 16 et 21 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité [L.R.C. (1985), ch. C-23] (la Loi sur le SCRS)? Le Service propose de [***]. La procureure générale du Canada (la procureure générale) allègue que le pouvoir de procéder à une telle activité est prévu à l’article 16 de la Loi sur le SCRS et résulte de la condition découlant de l’expression « dans les limites du Canada » prévue par cet article.
II. LES FAITS
[2] Le [***] conformément aux exigences imposées à l’alinéa 16(3)a) de la Loi sur le SCRS, le ministre [***] (le ministre) a présenté, par lettre adressée au ministre de la Sécurité publique, une demande personnelle d’assistance à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités [***] (l’État étranger).
[3] Le [***] en application de l’alinéa 16(3)b), le ministre de la Sécurité publique a consenti personnellement à ce que le directeur du Service prête son assistance au ministre dans la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités de l’État étranger à l’aide des méthodes décrites dans la demande du ministre.
[4] Le [***] le Service a présenté une demande à la Cour fédérale en vue d’obtenir des mandats au titre des articles 16 et 21 de la Loi sur le SCRS. J’ai alors décerné les mandats le [***] car j’étais convaincu que la condition préalable énoncée à l’article 16 en matière de mandat était remplie. Cependant, je n’étais pas prêt à autoriser le Service à [***]. La seule question qui reste à trancher dans le présent jugement est celle de savoir si la Cour a compétence, au titre des articles 16 et 21 de la Loi sur le SCRS, pour décerner un mandat à portée extraterritoriale.
[5] Toutes les personnes visées par ces mandats [***].
[6] [***].
[7] Grâce aux informations et aux renseignements recueillis conformément aux mandats décernés par le passé en vertu de l’article 16, le Service pouvait fournir au ministre des informations utiles [***]. Le Service recevait également des informations au sujet [***] pour lesquelles [***] était jugé essentiel afin que le Service soit en mesure de répondre aux demandes d’assistance du ministre.
[8] [***].
[9] [***].
[10] [***].
[11] Le mandat vise à donner au Service [***].
[12] Pour mieux comprendre les faits, j’ai reproduit l’échange suivant dans lequel le témoin du SCRS, [***] (Transcription du dossier [***] aux pages 16 à 18) :
Le juge Noël : [***].
Le témoin : C’est exact.
[…]
Le juge Noël : [***].
Le témoin : C’est exact.
Le juge Noël : [***].
Le témoin : Oui.
Le juge Noël : [***].
Le témoin : Oui.
[…]
Le témoin : [***].
[13] Le Service a affirmé qu’il peut également solliciter l’assistance technique et opérationnelle du Centre de la sécurité des télécommunications (le CST) [***].
[14] Vu les questions juridiques importantes et nouvelles soulevées dans la présente demande de mandats, j’ai nommé M. Gordon Cameron à titre d’amicus curiae (l’amicus).
III. QUESTION EN LITIGE
[15] La question juridique qui découle des faits susmentionnés oblige la Cour à se demander si elle possède la compétence, en vertu de l’article 16 de la Loi sur le SCRS, de décerner un mandat à portée extraterritoriale. Plus précisément, la question en litige est de savoir si l’expression figurant à l’article 16 de la Loi sur le SCRS « dans les limites du Canada » ou en anglais « within Canada » interdit au Service d’obtenir un mandat pour des activités d’enquête qui [***]. Autrement dit, [***] va à l’encontre de la limite territoriale expresse imposée à l’article 16 de la Loi sur le SCRS?
IV. RÉSUMÉ DES OBSERVATIONS
[16] La procureure générale soutient que la Cour a compétence au titre des articles 16 et 21 de la Loi sur le SCRS pour décerner le mandat étant donné que 1) [***] et 2) [***]. La procureure générale soutient que la Cour doit adopter une interprétation téléologique à l’égard de l’article 16 qui penche en faveur de l’existence d’une dimension extraterritoriale au moment de prêter une assistance « dans les limites du Canada ». Par conséquent, une interprétation stricte et littérale donnerait lieu à des résultats absurdes puisqu’elle empêcherait la collecte de toute information comportant une dimension internationale, comme dans la présente affaire, où le Service cherche à [***]. En outre, 3) en utilisant l’expression « dans les limites du Canada » à l’article 16, le législateur avait pour objet d’empêcher le Service [***].
[17] L’amicus curiae a demandé à la Cour de prendre en considération le fait que la thèse de la procureure générale n’est pas étayée par le libellé de l’article 16 de la Loi sur le SCRS et que la Cour n’a donc pas compétence pour décerner le mandat. L’amicus curiae a affirmé que le libellé est clair, l’expression « dans les limites du Canada » constitue une restriction expresse, et devrait être interprétée comme [***].
[18] Comme il sera expliqué en détail ci-après, pour répondre à la question, nous devons nous appuyer sur l’approche moderne d’interprétation des lois afin de déterminer la véritable portée de l’expression « dans les limites du Canada ». Nous devons d’abord interpréter attentivement les termes de la loi pour vérifier leur sens ordinaire et grammatical, et ensuite les interpréter dans le contexte de la Loi sur le SCRS dans son ensemble. Ensuite, nous devons éclaircir le sens ordinaire des termes en vérifiant l’intention du législateur au moyen d’une analyse de sources extrinsèques telles que les débats parlementaires, les rapports de commissions, les rapports de comités parlementaires et les recommandations d’organismes de surveillance, ainsi que les réponses du gouvernement à ces rapports susmentionnés. Une fois que nous aurons établi l’interprétation juste qu’il convient de donner à l’expression « dans les limites du Canada », les faits devront être examinés pour répondre en profondeur aux arguments présentés par les avocats à la lumière de ce que signifie vraiment cette expression.
V. PRINCIPES D’INTERPRÉTATION DES LOIS
[19] Dans son ouvrage Sullivan on the Construction of Statutes, la professeure Ruth Sullivan a exposé une méthode d’interprétation des lois à trois volets. Premièrement, l’approche fondée sur le sens ordinaire, qui exige que la personne qui interprète utilise le texte littéral de la loi à titre de source principale. Deuxièmement, l’approche fondée sur le contexte, définie au départ par Elmer Driedger, et redéfinie et adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, qui exige que la personne qui interprète examine les termes de la loi dans leur contexte global. Troisièmement, l’approche téléologique, qui exige que la personne qui interprète examine l’aspect pratique qui sous-tend l’adoption de la disposition interprétée et de la loi dans son ensemble, ainsi que les effets concrets de l’interprétation de la Cour (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. (Markham, Ont. : Lexis Nexis, 2014) (Sullivan 2014), aux paragraphes 2.1 à 2.5).
[20] La Cour a préféré l’approche moderne ou contextuelle aux fins de l’interprétation de la Loi sur le SCRS (voir X (Re), 2017 CF 136, [2017] 4 R.C.F. 391; X(Re), 2016 CF 1105, [2017] 2 R.C.F. 396 (Données connexes); Renvoi relatif à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, 2012 CF 1437, [2014] 2 R.C.F. 514; Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re), 2008 CF 301, [2008] 4 R.C.F. 230 (SCRS (Re) 2008). En particulier, dans l’arrêt X(Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684, la juge Dawson a fait un résumé complet de l’état actuel du droit en matière d’interprétation des lois [aux paragraphes 68 à 71] :
La méthode privilégiée en ce qui a trait à l’interprétation des lois a été ainsi définie par la Cour suprême du Canada (voir : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21. Voir aussi R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, au paragraphe 29) :
[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
La Cour suprême a réaffirmé ce principe par l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10 :
Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de l loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative au sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.
Cet enseignement quant à la bonne méthode à retenir en matière d’interprétation des lois a été rappelé par les arrêts Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 21, et Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, au paragraphe 27.
L’approche contextuelle de l’interprétation des lois est fondée sur l’idée que le sens grammatical et ordinaire d’une disposition n’est pas déterminant quant à son sens. Il faut tenir compte du contexte global de la disposition à interpréter, « même si, à première vue, le sens de son libellé peut paraître évident » (ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au paragraphe 48). C’est à partir du libellé et du contexte global que le juge appelé à interpréter le texte recherche l’intention du législateur, qui est « [l]’élément le plus important de cette analyse » (R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, au paragraphe 26).
[21] En outre, comme l’a exprimé la Cour d’appel fédérale, les professeurs Côté et Sullivan ont affirmé que l’approche suivant le sens ordinaire à elle seule ne suffit plus à interpréter adéquatement les lois. Au contraire, le contexte est primordial et une interprétation est légitime même si le sens ordinaire semble clair. Dans son livre, The Interpretation of Legislation in Canada, le professeur Côté affirme :
[traduction] […] [N]ous tenons à exprimer notre profond désaccord avec l’idée selon laquelle l’interprétation est légitime ou appropriée seulement lorsque le texte est obscur. Cette idée repose sur le point de vue, incorrect, voulant que le sens d’une règle juridique est identique à une interprétation littérale de son texte. Le rôle de la personne qui interprète consiste à établir le sens des règles, non des textes, au moyen du sens textuel comme point de départ, tout au plus, d’un processus qui prend nécessairement compte d’éléments extratextuels. Le sens à première vue d’un texte doit être interprété à la lumière d’autres critères pertinents pour l’interprétation. Une personne compétente en matière d’interprétation se demandera si la règle ainsi interprétée peut être conciliée avec les autres règles et principes du système juridique : ce sens est-il compatible avec l’historique du texte? Les conséquences d’une interprétation de la règle reposant uniquement sur son sens littéral justifient-elles une révision de l’interprétation? Et ainsi de suite. [Note en bas de page omise.]
(Pierre-André Côté, The Interpretation of Legislation in Canada, 4e éd. (Toronto : Carswell, 2011) (PA Côté 2011), aux pages 268 et 269.)
VI. PRINCIPES D’INTERPRÉTATION DES LOIS PROPRES AUX LOIS RELATIVES À LA SÉCURITÉ NATIONALE
[22] Les lois qui empiètent sur les libertés civiles, comme la Loi sur le SCRS, doivent être interprétées avec prudence pour garantir une atteinte minimale à nos libertés les plus fondamentales, tout en veillant à ce que la primauté du droit soit respectée. Par conséquent, cela exige que les tribunaux examinent et interprètent avec circonspection les pouvoirs d’enquête qui ont été minutieusement prescrits par le législateur afin de s’assurer que les agences de renseignement et de sécurité ne sont pas autorisées par les juges à outrepasser leur mandat. La Cour suprême a reconnu que des contrôles stricts ont été prévus dans la Loi sur le SCRS pour limiter les pouvoirs extraordinaires du Service. Comme je l’ai expliqué dans la décision Données connexes, précitée [au paragraphe 153] :
En premier lieu, l’examen de la Cour d’appel fédérale sur l’objet de la Loi sur le SCRS dans l’arrêt X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684 [précité], au paragraphe 86, fournit un bon point de départ en appui à l’idée selon laquelle des contrôles stricts font partie intégrante du régime de la Loi sur le SCRS :
[…] La nécessité d’assujettir à des contrôles stricts les interventions des agences de renseignement et de sécurité est reconnue depuis longtemps. À l’occasion de l’affaire Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38 (CanLII), [2008] 2 R.C.S. 326, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’objet visé par la loi ainsi que sur les principes directeurs ayant abouti à la création du SCRS. Au paragraphe 22 des motifs de son arrêt, la Cour suprême a cité l’extrait suivant Rapport du Comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité [Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique] :
Un service du renseignement de sécurité doit, pour être crédible et efficace, jouir de pouvoirs extraordinaires et être en mesure de recueillir et d’analyser de l’information en empiétant parfois sur les libertés civiles des uns ou des autres. Mais il doit aussi être assujetti à des contrôles sévères et ne pas disposer de plus de pouvoirs qu’il ne lui en faut pour atteindre ses objectifs, qui doivent eux-mêmes se limiter à ce qui est requis pour assurer la sécurité du Canada.
(Rapport du comité sénatorial spécial, au par. 25)
[23] Dans la décision Données connexes, j’ai également traité des contrôles stricts dans le contexte du mandat premier du SCRS, où j’ai exposé l’historique législatif de la Loi sur le SCRS et démontré que le mandat premier du SCRS, la collecte de renseignements liés à des menaces envers la sécurité (articles 2, 12 et 21 de la Loi sur le SCRS), que j’expliquerai en détail plus loin, devait être strictement et expressément défini afin de limiter et de dissuader les membres du Service de mener des activités illégales (voir Données connexes, aux paragraphes 120 à 158). À l’appui de mes conclusions, j’ai cité la Commission McDonald de 1981, qui est issue d’une enquête sur des activités illégales menées par l’ancien service du renseignement de la GRC. Le rapport de la Commission McDonald a recommandé que le mandat du Service soit précis :
190. […] Mais en l’absence d’un mandat clair et net, un service de renseignements pour la sécurité est naturellement porté, quel que soit son talent analytique, à recueillir trop d’informations, de crainte de se voir reprocher par le gouvernement de ne pas être en mesure de fournir les renseignements qu’il lui demande. On ne recueille pas des renseignements comme on ouvre et ferme un robinet. Voilà aussi pourquoi il est important que le Parlement établisse une politique d’ensemble cohérente en matière d’enquêtes de sécurité.
(Canada, Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1, partie V (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981) [Commission McDonald], à la page 524, au paragraphe 190.)
[24] J’ai poursuivi mon analyse dans la décision Données connexes, en soulignant l’importance des paramètres juridiques, qui visent à empêcher les agents du renseignement d’agir illégalement au nom de la sécurité nationale (voir en particulier le paragraphe 130 de mes motifs). La Commission McDonald a également bien établi l’importance de la primauté du droit, c’est-à-dire que le mandat du Service ne doit pas être interprété dans un sens large de manière à inclure des pouvoirs qui ne sont pas visés par la lettre de la loi.
21. […] Les membres du Service de sécurité ne devraient pas être libres d’enfreindre la loi au nom de la sécurité nationale. S’ils estiment que la loi ne leur accorde pas suffisamment de pouvoirs pour assurer la sécurité de l’État, les responsables de la sécurité doivent tenter de convaincre les législateurs, en l’occurrence le Parlement et les assemblées législatives des provinces, de modifier la loi. Ils doivent éviter d’y passer outre. C’est là une condition de toute société libérale. Il serait donc inacceptable de souscrire à l’opinion qui, à notre connaissance, a été exprimée au sein de la GRC et selon laquelle il n’appartient pas à un tribunal, mais à l’Exécutif, lorsqu’il y a conflit, de concilier les exigences de la sécurité nationale et la liberté de l’individu. [Non souligné dans l’original.]
(Canada, Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1, partie II (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981), aux pages 45 et 46, au paragraphe 21.)
[25] Bien que mes conclusions dans la décision Données connexes s’appliquent au mandat premier et aux fonctions principales du SCRS, qui portent sur la collecte de renseignements de sécurité, ma conclusion générale sur l’importance d’un mandat défini et strict est également pertinente quant aux fonctions secondaires, y compris celles prévues à l’article 16, qui sont en cause en l’espèce. Des limites et contrôles stricts quant à la collecte de renseignements font partie des principes directeurs aux fins de l’interprétation des lois en matière de sécurité nationale. Ces principes obligent la Cour à interpréter des pouvoirs intrusifs avec prudence pour éviter d’autoriser la collecte excessive de renseignements qui n’est pas prescrite par une loi fédérale. Si la portée des pouvoirs conférés par la Loi sur le SCRS doit être élargie afin que le Service puisse prêter assistance aux ministres des Affaires étrangères ou de la Défense nationale, un tel changement doit être apporté au moyen de modifications législatives, et non par une interprétation large de la Loi sur le SCRS par la Cour.
[26] Certains pourraient faire valoir que les fonctions principales et secondaires du SCRS ne devraient pas être comparées de la même façon étant donné qu’elles comportent deux objectifs politiques distincts. Cependant, je suis plutôt d’avis, sous réserve d’une analyse plus approfondie, que la totalité des fonctions conférées au Service est assujettie aux mêmes paramètres d’interprétation. Après tout, une loi doit être interprétée dans son contexte global, et non comme étant composée de compartiments étanches distincts.
A. Le mandat et les fonctions du Service canadien du renseignement de sécurité
[27] Je commencerai la discussion par un résumé des mandats et fonctions bien différents conférés au Service par la Loi sur le SCRS. Cela nous permettra de placer la collecte de renseignements étrangers dans le contexte général du mandat et des diverses fonctions du Service. Il sera essentiel tout au long de l’exercice d’interprétation de mieux comprendre le contexte global dans lequel la collecte de renseignements étrangers s’exerce.
[28] Le mandat premier du Service qui est défini à l’article 12, est de recueillir, d’analyser et de conserver les informations et renseignements qui constituent des « menaces envers la sécurité du Canada » au sens de l’article 2. Le Service exerce également des fonctions secondaires : l’article 13 lui permet de fournir des évaluations de sécurité aux divers ministères du gouvernement du Canada; l’article 14 l’autorise à fournir des conseils à un ministre sur les questions de sécurité du Canada; l’article 15 lui permet de mener des enquêtes en vue des activités visées aux articles 13 et 15; et, l’article 16, souvent appelé la fonction de collecte de renseignements étrangers, autorise le SCRS à recueillir des informations en matière étrangère de nature politique, économique et commerciale susceptibles de servir les intérêts du Canada.
[29] Lorsque l’on combine le pouvoir conféré à l’article 16 avec un mandat décerné par la Cour en conformité avec l’article 21, le SCRS peut être autorisé à utiliser, « dans les limites du Canada », des méthodes intrusives de collecte d’informations concernant des personnes ou des États étrangers afin d’assister le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de la Défense nationale.
B. Interprétation de l’article 16 de la Loi sur le SCRS
[30] Pour interpréter correctement l’expression « dans les limites du Canada » énoncée à l’article 16 de la Loi sur le SCRS, nous procéderons à une analyse en trois volets : le premier, suivant le sens textuel du libellé; le deuxième, suivant l’approche contextuelle; et le troisième, suivant l’approche téléologique en mettant l’accent principalement sur les conséquences pratiques de ladite interprétation.
[31] J’ai reproduit ci-après les dispositions pertinentes de la Loi sur le SCRS dans le but de faciliter l’exercice d’interprétation :
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23
Assistance
16 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le Service peut, dans les domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada, prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères, dans les limites du Canada, à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités :
a) d’un État étranger ou d’un groupe d’États étrangers;
b) d’une personne qui n’appartient à aucune des catégories suivantes :
(i) les citoyens canadiens,
(ii) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés,
(iii) les personnes morales constituées sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale.
Restriction
(2) L’assistance autorisée au paragraphe (1) est subordonnée au fait qu’elle ne vise pas des personnes mentionnées à l’alinéa (1)b).
Consentement personnel des ministres
(3) L’exercice par le Service des fonctions visées au paragraphe (1) est subordonné :
a) à une demande personnelle écrite du ministre de la Défense nationale ou du ministre des Affaires étrangères;
b) au consentement personnel écrit du ministre. [J’ai souligné spécifiquement les mots au paragraphe 16(1).]
[32] Même si les définitions dans les dictionnaires ne devraient pas être considérées comme étant déterminantes du sens ordinaire des lois, elles peuvent permettre au juge d’examiner la portée plausible des sens proposés. Cependant, les définitions sont peu utiles si les mots sont retirés de leur contexte. Comme l’explique la professeure Sullivan :
[traduction] Les dictionnaires aident également à proposer les limites d’une interprétation plausible. Bien qu’il soit permis de rejeter le sens ordinaire d’un libellé en faveur d’une interprétation qui promeut l’objet ou évite des conséquences inacceptables, suivant la règle fondée sur le sens plausible, l’interprétation qui est donnée doit généralement en être une que les mots peuvent exprimer. En fixant les limites quant au sens, les définitions des dictionnaires aident à établir la portée des sens plausibles qu’un mot peut avoir. [Notes en bas de page omises.]
(Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3e éd. (Toronto : Irwin Law, 2016) (Sullivan 2016), aux pages 65 et 66.)
[33] La reproduction des définitions se trouvant dans les dictionnaires, se rattachant aux termes « dans les limites » ou « within » figurant à l’article 16, ne peut que nous aider à déterminer la portée plausible des interprétations liées à ces mots.
[34] Le Canadian Oxford Dictionary définit « within » de la façon suivante :
A preposition (1) inside; enclosed or contained by. (2a) not beyond or exceeding [within one’s means]. (2b) not transgressing [within the law; within reason]. (3) Not further off than [within three miles of a station; within shouting distance] […] (5) Lying within an area implied “within the walls of London.” It is also defined as an adverb inside; to, at or on the inside;
(Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. Toronto : Oxford University Press, 2004, sub verbo “within”.)
[35] Le dictionnaire français Le Petit Robert de la langue française définit « dans » de la façon suivante :
« préposition indiquant la situation d’une personne, d’une chose par rapport à ce qui la contient. (1) Marque le lieu […]. »
[36] Le même dictionnaire définit « limites » de la façon suivante :
Ligne qui sépare deux terrains ou territoires contigus. Bord, borne, confins, démarcations frontière, lisière. […] 2. Partie extrême où se termine une surface, une étendue […] 4. Point que ne peut ou ne doit pas dépasser l’influence, l’action de [quelque chose].
(Le Petit Robert de la langue française, Paris : Le Robert, 2006, sub verbo « dans » et « limite ».)
[37] L’expression « dans les limites du Canada » tient lieu d’adverbe décrivant l’action de prêter assistance, mais également de groupe prépositionnel appuyant le substantif « Canada ». L’expression « dans les limites du Canada » constitue une limite territoriale expresse liée à la fonction d’assistance du Service. Le groupe prépositionnel « dans les limites » renvoie à une action exercée à l’intérieur d’un territoire ou d’une frontière. La version française évoque expressément le concept de limite territoriale en raison de l’emploi des termes « les limites » (les limites ou les limitations au sens littéral). Les limites sont considérées comme des paramètres qui circonscrivent, établissent ou marquent le début et la fin d’un espace. La préposition « dans » et le substantif « les limites » expriment clairement la notion de restriction de la fonction d’assistance du Service dans les limites territoriales et physiques du Canada.
[38] Une fois que ladite expression est interprétée, nous devons réfléchir à la façon dont cette interprétation isolée interagit avec le reste des mots figurant dans la disposition. Nous devons examiner l’expression « dans les limites du Canada » par rapport au contexte législatif général applicable à la fonction de collecte de renseignements étrangers. Une analyse littérale des termes du paragraphe 16(1) révèle six composantes intelligibles qui forment la fonction de collecte de renseignements étrangers du Service, lesquelles peuvent être décortiquées comme suit : le Service peut, dans les domaines 1) de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada 2) prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères, 3) dans les limites du Canada, 4) à la collecte d’informations ou de renseignements, 5) sur les moyens, les intentions ou les activités, 6) d’un État étranger ou d’un groupe d’États étrangers; d’une personne qui n’appartient à aucune des catégories suivantes : les citoyens canadiens; les résidents permanents; les personnes morales constituées au Canada.
[39] Premièrement, le Service est autorisé à recueillir des informations dans les domaines de la « défense et de la conduite des affaires internationales du Canada » ou en anglais de la « defence of Canada or the conduct of the international affairs of Canada ». Ces domaines représentent les portefeuilles respectifs du ministre de la Défense nationale et du ministre des Affaires étrangères.
[40] Deuxièmement, le Service a le mandat de « prêter son assistance » au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires dans les domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada. Le verbe « prêter son assistance » ou en anglais « assist » renvoie à l’action du Service de prêter son assistance aux ministres dans les domaines de leurs portefeuilles respectifs, tels que la conduite des affaires internationales et la défense du Canada.
[41] Troisièmement, comme il est mentionné plus haut l’expression « dans les limites du Canada » ou en anglais « within Canada » constitue une limite territoriale expresse applicable à la fonction d’assistance du Service.
[42] Quatrièmement, le Service prête son assistance aux ministres « à la collecte d’informations ou de renseignements » ou en anglais « in the collection of information or intelligence ». Le Service a donc le mandat d’acquérir et de recueillir des informations ou des renseignements.
[43] Cinquièmement, le Service est tenu de recueillir des informations sur « les moyens, les intentions ou les activités d’un » ou en anglais « the capabilities, intentions or activities of ». Ces substantifs permettent de qualifier le type d’informations ou de renseignements que le Service peut recueillir dans les limites du Canada lorsqu’il prête son assistance aux ministres.
[44] Sixièmement, le Service peut seulement recueillir des informations d’un État étranger ou d’un groupe d’États étrangers, ou encore d’une personne qui n’appartient à aucune des catégories suivantes : les citoyens canadiens; les résidents permanents; les personnes morales constituées au Canada. Fait important, cela permet de garantir que les informations recueillies ont un lien avec une entité ou un ressortissant étranger, du fait qu’il est interdit au Service de recueillir des renseignements étrangers émanant de Canadiens, de résidents permanents ou de personnes morales constituées au Canada.
[45] La juge Mactavish a interprété le paragraphe 16(2) dans le Renvoi relatif à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, 2012 CF 1437, [2014] 2 R.C.F. 514 [précité], et elle a conclu que l’article 16 visait à interdire que des citoyens canadiens, des résidents permanents ou des personnes morales canadiennes soient nommés comme cibles d’interception dans le cadre de demandes de mandats au titre de l’article 21 [au paragraphe 84] :
Le paragraphe 16(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité interdit clairement au Service de prêter assistance en réponse à une demande ministérielle, si cette demande vise [un citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne]. Un [citoyen canadien, un résident permanent au Canada ou une personne morale canadienne] est visé par les mandats demandés en l’espèce. Par conséquent, j’estime que je n’ai pas le pouvoir de décerner des mandats autorisant le Service à intercepter intentionnellement les communications [d’un citoyen canadien, d’un résident permanent au Canada ou d’une personne morale canadienne] […]
[46] En consultant les définitions des termes « dans les limites » ou « within » fournies par les dictionnaires, on constate que le sens grammatical et ordinaire est clair et non équivoque dans les deux langues officielles. En premier lieu, le choix des mots par le législateur restreint explicitement la fonction secondaire du Service à la collecte d’informations et de renseignements au Canada. En deuxième lieu, la collecte doit prêter assistance aux ministres dans l’exercice de leurs fonctions dans les domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada. En troisième lieu, le type d’informations et de renseignements doit porter sur les moyens, les intentions ou les activités d’un État étranger ou d’un groupe d’États étrangers ou d’une personne qui n’appartient à aucune des catégories suivantes : les citoyens canadiens, les résidents permanents ou les personnes morales constituées au Canada. Les conditions susmentionnées imposent des paramètres législatifs particuliers et stricts à la fonction de collecte de renseignements étrangers.
[47] Il convient d’accorder un poids important au sens grammatical ou ordinaire du libellé surtout lorsque celui-ci est clair et non équivoque. Cependant, bien que le sens grammatical ou ordinaire de l’expression « dans les limites du Canada » soit clair et manifeste, il importe que la Cour situe la fonction de collecte de renseignements étrangers dans son contexte global, plus particulièrement eu égard aux fonctions principales et secondaires du Service.
[48] Même si le libellé semble sans ambiguïté, le sens littéral ne doit pas être incompatible avec le contexte législatif global (Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 R.C.S. 141, au paragraphe 10). L’approche contextuelle exige que la personne qui interprète examine les termes du libellé suivant le sens grammatical et ordinaire qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 [précité]). Comme nous le verrons, de récentes modifications législatives peuvent aider à faire la lumière sur le contexte de la loi dans la mesure où elles fournissent des précisions sur ce que le législateur avait l’intention présomptivement de laisser inchangé.
a) Le régime de la Loi sur le SCRS
[49] Comme il a déjà été discuté, afin de comprendre de manière approfondie la fonction de collecte de renseignements étrangers du SCRS, il est important d’examiner la Loi sur le SCRS dans son ensemble. À cette fin, j’ai reproduit et souligné les articles concernant le mandat premier du Service, qui comprennent la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » à l’article 2, ainsi que les articles 12, 12.1 et 21 :
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23
Définitions
2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
[…]
menaces envers la sécurité du Canada Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités suivantes :
a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;
b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;
c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;
d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.
La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d). (threats to the security of Canada)
[…]
Informations et renseignements
12 (1) Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.
Aucune limite territoriale
(2) Il est entendu que le Service peut exercer les fonctions que le paragraphe (1) lui confère même à l’extérieur du Canada.
Mesures pour réduire les menaces envers la sécurité du Canada
12.1 (1) S’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une activité donnée constitue une menace envers la sécurité du Canada, le Service peut prendre des mesures, même à l’extérieur du Canada, pour réduire la menace.
[…]
Contrôle judiciaire
Demande de mandat
21 (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête, au Canada ou à l’extérieur du Canada, sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16.
[…]
Délivrance du mandat
(3) […]
Activités à l’extérieur du Canada
(3.1) Sans égard à toute autre règle de droit, notamment le droit de tout État étranger, le juge peut autoriser l’exercice à l’extérieur du Canada des activités autorisées par le mandat décerné, en vertu du paragraphe (3), pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada.
[50] Il importe de situer l’expression « dans les limites du Canada » dans le contexte global de la Loi sur le SCRS. L’article 12 énonce le mandat premier et les fonctions principales du Service, qui est de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada, et l’article 2 vient compléter l’article 12 en définissant l’expression « menaces envers la sécurité du Canada ». Pris ensemble, les deux articles établissent le mandat premier du Service. Il convient de souligner que l’article 2 et les paragraphes 12(2), 12.1(1) et 21(3.1), de manière explicite, décrivent et confèrent au Service le pouvoir d’exercer son mandat premier à l’extérieur du Canada en faisant enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada.
[51] Dans la décision Données connexes, j’ai précisé et distingué les fonctions principales et secondaires du Service. Voici un extrait de mes motifs [aux paragraphes 159 et 160] :
La partie I de la Loi traite de la constitution administrative normale d’un service civil. Elle établit et décrit les fonctions du Service. La « première fonction », c’est-à-dire faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada, est définie comme telle dans le Rapport Pitfield et est établie au paragraphe 12(1), qui correspondait initialement au paragraphe 14(1) dans son prédécesseur, le projet de loi C-157, et ensuite à l’article 12 avant les récentes modifications. Le Rapport Pitfield décrit le paragraphe 12(1) comme « l’activité principale d’un service du renseignement de sécurité », laquelle comprend « la collecte, l’analyse et la conservation de renseignements et d’informations sur les menaces envers la sécurité ». (Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada (novembre 1983) [Président : P.M. Pitfield], à la page 11, au paragraphe 28.)
La définition de « menaces envers la sécurité du Canada » donnée à l’article 2 se veut le complément de cette « première fonction ». Pris ensemble, le paragraphe 12(1) et l’article 2 forment le cœur de la fonction fondamentale du SCRS : faire enquête sur les menaces envers la sécurité du Canada.
[52] L’article 21 permet au SCRS de faire enquête au moyen de mandats qui sont décernés lorsque des méthodes intrusives sont nécessaires. La Cour a le pouvoir de décerner des mandats lorsque les conditions prévues à l’article 21 sont remplies. Comme je l’ai affirmé dans la décision Données connexes, aux paragraphes 161 à 163 :
Lorsque les méthodes traditionnelles ne permettent pas de faire progresser une enquête de façon significative, les paragraphes 21(1) et 21(2) et l’alinéa 21(2)b) en particulier (désignés ci-après simplement comme l’article 21] entrent en jeu pour permettre au SCRS de demander la délivrance de mandats à la Cour. La demande doit démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les informations demandées sont, sur le plan factuel, liées à une menace envers la sécurité du Canada, comme il en est fait mention aux paragraphes 21(1) et 12(1), et au sens de l’article 2. L’affidavit à l’appui de la demande de mandat et l’interrogatoire tenu ensuite à l’audience sont déterminants pour le juge qui doit décider s’il convient de décerner le mandat. Comme il est bien souligné dans le Rapport Pitfield, dans la discussion sur cette première fonction, la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » prévue à l’article 2 de la Loi constitue :
[…] la limite fondamentale qu’on impose à la liberté d’action du Service. Elle précise des normes essentielles que le SCRS, son directeur et ses employés doivent respecter dans l’exercice de leurs fonctions et jouera un rôle déterminant dans l’appréciation judiciaire du bien-fondé de telle ou telle technique d’enquête par intrusion. [Souligné par le juge Noël.]
(Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada (novembre 1983) (Président : P.M. Pitfield), à la page 12, au paragraphe 31.)
L’article 21 s’applique lorsque les méthodes traditionnelles sont insuffisantes pour faire progresser une enquête et qu’il est nécessaire de recourir à des méthodes intrusives. Dans un tel cas, la Cour s’assure que la demande de mandats respecte toutes les exigences de la loi et que les mesures demandées sont justifiées au vu des faits présentés. L’article 21 ne crée pas un régime distinct n’ayant absolument aucun lien avec la première fonction du SCRS comme il est décrit au paragraphe 12(1). Au contraire, l’article 21 vient compléter la première fonction, c’est-à-dire « faire enquête », en établissant des exigences procédurales applicables aux demandes de mandats.
Aux termes de l’article 21, une demande de mandats doit contenir les faits pertinents, une explication selon laquelle d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain ou semblent avoir peu de chances de succès, les catégories de communications à intercepter, l’identité de la cible (si elle est connue) ou les catégories de personnes cibles proposées, une description générale du lieu où le mandat doit être exécuté, la durée proposée du mandat et les demandes antérieures présentées par le SCRS touchant aux personnes mentionnées dans l’affidavit.
[53] Dans la décision Données connexes, j’ai ensuite décrit en détail les fonctions secondaires du Service [aux paragraphes 164 à 166] :
[…] Les fonctions secondaires du SCRS sont également précisées dans la partie I. Elles comprennent entre autres les activités suivantes : fournir des évaluations de sécurité aux ministères fédéraux, aux provinces, et aux services de police (paragraphes 13(1) et 13(2), respectivement), permettre au SCRS de conclure des ententes avec des États étrangers (paragraphe 13(3)) et fournir des conseils aux ministres sur les questions de sécurité du Canada (article 14).
En particulier, l’article 16, qui vise également des fonctions secondaires, prévoit la collecte d’informations concernant des États étrangers ou des personnes dans les domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada. Les citoyens canadiens, les résidents permanents et les personnes morales constituées sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale sont exclus du champ d’application de l’article 16 […]
Comme on peut le lire à l’article 21, des mandats attentatoires peuvent être demandés en application de l’article 16. Cependant, contrairement aux mandats demandés en application du paragraphe 12 (1), qui se rapportent à des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’article 2, le demandeur d’un mandat visé par l’article 16 et les exigences prévues à l’article 21 n’est pas tenu d’établir un lien avec des menaces envers la sécurité du Canada. Au contraire, la protection subsidiaire en place réside dans le fait qu’il n’est possible de demander un tel mandat qu’après que le ministre de la Défense ou le ministre des Affaires étrangères a sollicité personnellement la permission de le faire au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui doit être d’accord.
[54] Une comparaison entre les fonctions principales et secondaires du Service fournit un certain nombre de données importantes. L’article 12 confère au Service un mandat en matière de renseignement de sécurité qui l’autorise à recueillir des informations sur les activités constituant des menaces envers la sécurité du Canada; et, des enquêtes de nature défensive ou offensive peuvent être menées, ce qui fait intervenir les droits du Canada de se défendre lui-même contre les menaces provenant de l’intérieur ou de l’extérieur du Canada. Contrairement à l’article 12, l’article 16 confère au Service un mandat de collecte de renseignements étrangers n’étant pas liés à une menace qui portent sur les moyens, les intentions ou les activités d’un État étranger, d’un groupe d’États étrangers ou d’une personne qui n’appartient à aucune des catégories suivantes : les citoyens canadiens, les résidents permanents et les personnes morales constituées au Canada. En outre, l’article 16 comporte un objectif orienté vers l’assistance ou les politiques, plutôt que sur la menace, en ce sens qu’il permet de recueillir des renseignements politiques, économiques, commerciaux et militaires afin d’aider les ministres à prendre des décisions éclairées dans leurs portefeuilles respectifs (voir plus haut le paragraphe 2 des présents motifs). Il convient maintenant d’examiner la pertinence des modifications apportées en 2015 à la Loi sur le SCRS.
b) Les modifications apportées en 2015 à la Loi sur le SCRS
[55] La Loi sur le SCRS a rarement été modifiée depuis qu’elle a obtenu la sanction royale en 1984. Le 23 avril 2015, le projet de loi C-44, intitulé la Loi sur la protection du Canada contre les terroristes [41e lég. 2e sess., 2015] (le projet de loi C-44) a ajouté des pouvoirs extraterritoriaux aux paragraphes 12(2), 15(2), et 21(3.1) de la Loi sur le SCRS. Le projet de loi C-44 a modifié les articles 12 et 21 de manière à autoriser explicitement le Service à « exercer les fonctions […] même à l’extérieur du Canada » ou à « faire enquête, au Canada ou à l’extérieur du Canada », mais aucune modification similaire n’a été apportée à l’article 16. De plus, le projet de loi C-44 a modifié l’article 21 afin d’autoriser la Cour à décerner des mandats susceptibles de porter atteinte aux lois de pays étrangers seulement dans le cas d’enquêtes menées conformément à l’article 12.
[56] J’ai reproduit et souligné les modifications apportées en 2015 aux articles 12 et 21 de la Loi sur le SCRS :
Avant 2015 |
Après 2015 |
Informations et renseignements |
Informations et renseignements |
12 Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard. |
12 (1) Le Service recueille, au moyen d’enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard. |
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Aucune limite territoriale |
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(2) Il est entendu que le Service peut exercer les fonctions que le paragraphe (1) lui confère même à l’extérieur du Canada. |
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Mesures pour réduire les menaces envers la sécurité du Canada |
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12.1 (1) S’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une activité donnée constitue une menace envers la sécurité du Canada, le Service peut prendre des mesures, même à l’extérieur du Canada, pour réduire la menace. |
[…] |
[…] |
Contrôle judiciaire |
Contrôle judiciaire |
Demande de mandat |
Demande de mandat |
21 (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16. […] |
21 (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l’approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s’il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête, au Canada ou à l’extérieur du Canada, sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d’exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16. […] |
Délivrance du mandat |
Délivrance du mandat |
(3) […] |
(3) […] |
|
Activités à l’extérieur du Canada |
|
(3.1) Sans égard à toute autre règle de droit, notamment le droit de tout État étranger, le juge peut autoriser l’exercice à l’extérieur du Canada des activités autorisées par le mandat décerné, en vertu du paragraphe (3), pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada. [Non souligné dans l’original.] |
[57] Lorsque l’on interprète des dispositions législatives, il est nécessaire de présumer que chaque mot a un sens et [traduction] « joue un rôle précis dans la réalisation de l’objectif du législateur » (Sullivan 2014, précité, au paragraphe 8.23). En outre, [traduction] « lorsque le législateur insère une expression dans une loi, il faut présumer qu’il dit quelque chose qui n’avait pas encore été dit juste avant » et que ces mots [traduction] « ajoutent quelque chose qui n’existerait pas s’ils n’y étaient pas » (Hill v. William Hill (Park Lane) Ltd., [1949] A.C. 530 (H.L.), à la page 546, cité dans Sullivan 2014, précité, au paragraphe 8.23). Selon la présomption de l’uniformité des expressions, le législateur [traduction] « rédige les lois avec soin et d’une manière cohérente, de sorte que dans une loi ou un autre texte législatif, les mêmes termes ont le même sens et les mots différents ont un autre sens » (Sullivan 2014, précité, au paragraphe 8.32). Enfin, il est présumé que le législateur est au fait de toutes les circonstances entourant l’adoption d’une nouvelle loi (Atco Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au paragraphe 59).
[58] Tel qu’en a fait foi l’honorable ministre Blaney, ancien ministre de la Sécurité publique, lorsqu’il a comparu devant le comité permanent de la sécurité publique et nationale, le projet de loi C-44 donnait suite en partie à deux décisions de la Cour fédérale du Canada : SCRS (Re) 2008 (le juge Blanchard); et, X (Re), 2013 CF 1275, [2015] 1 R.C.F. 635 (le juge Mosley) (X (Re) 2013), et à l’appel X (Re) 2014 (la juge Dawson). Le projet de loi visait notamment à préciser les pouvoirs extraterritoriaux du Service. Le ministre Blaney a expliqué :
Passons à la deuxième décision de la cour ayant une incidence sur le mandat du SCRS; la Cour d’appel fédérale a récemment descellé sa décision de juillet 2014 concernant l’appel interjeté par le gouvernement contre la décision rendue par le jugement Mosley, qui avait été publiée par la Cour fédérale l’an dernier. La Loi sur la protection du Canada contre les terroristes confirme le pouvoir du SCRS de mener des enquêtes à l’extérieur du Canada relativement aux menaces pour la sécurité du Canada et d’effectuer des évaluations de sécurité. Ce n’est pas grand-chose. Le SCRS peut fonctionner à l’intérieur et à l’extérieur du Canada. C’est plutôt simple.
[…]
Le SCRS a toujours eu le pouvoir d’entreprendre des activités d’enquête à l’étranger. La Cour d’appel fédérale a reconnu ce fait lorsqu’elle a conclu que l’article 12 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité ne suggère en rien des limites géographiques à la sphère des activités du SCRS.
Toutefois, le pouvoir du SCRS de mener des activités à l’étranger afin de faire enquête sur des menaces à la sécurité du Canada n’est pas indiqué aussi clairement qu’il devrait l’être dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Il est donc important que le Parlement et que les élus du peuple clarifient cette question. [Non souligné dans l’original.]
(Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, Témoignages, 41e lég., 2e sess., fascicule no 40 (24 novembre 2014), à la page 2 (Président : Daryl Kramp).)
[59] Comme il a déjà été mentionné, il existe ici une distinction importante entre la fonction de collecte de renseignements de sécurité et la fonction de collecte de renseignements étrangers. Pour interpréter une loi, nous devons examiner les termes de la loi dans leur contexte global. Lorqu’on interprète conjointement les fonctions de collecte de renseignements étrangers et de collecte de renseignements de sécurité, on constate que les deux fonctions sont manifestement assujetties à des paramètres territoriaux différents qui déterminent où les activités de collecte peuvent être exercées. Comme l’a expliqué le ministre, le projet de loi C-44 visait à préciser les pouvoirs extraterritoriaux conférés par la Loi sur le SCRS. Le législateur a eu une excellente occasion de modifier la limite territoriale imposée à l’article 16 pour accorder un pouvoir de collecte extraterritorial, mais il ne l’a pas fait.
[60] Avant les modifications de 2015, le libellé de l’article 12 était muet quant à la portée territoriale des pouvoirs de collecte de renseignements de sécurité, tandis que l’article 16 était explicite quant à sa portée territoriale. Dans les modifications postérieures à 2015, aux paragraphes 12.1(1), 15(2), 21(1) et 21.1(1), le législateur a conféré explicitement au Service le pouvoir d’exercer ses fonctions « même à l’extérieur du Canada » ou « au Canada ou à l’extérieur du Canada » ou en anglais « within or outside Canada ». Alors que l’article 16 est demeuré inchangé en restreignant la collecte d’informations et de renseignements « dans les limites du Canada » ou « within Canada ».
[61] Comme je l’ai souligné précédemment, l’article 12 doit être interprété conjointement avec l’article 2, qui définit les « menaces envers la sécurité du Canada ». L’alinéa b) définit la menace comme des activités influencées par l’étranger « qui touchent le Canada où s’y déroulent » ou « within or relating to Canada ». L’alinéa c) définit également la menace comme des activités « qui touchent le Canada ou s’y déroulent » ou « within or relating to Canada » qui visent à favoriser l’usage de la violence dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique.
[62] Lorsque j’interprète les termes précis « même à l’extérieur du Canada » utilisés à l’article 12 et « qui touchent le Canada ou s’y déroulent » utilisés à l’article 2 en parallèle avec l’expression « dans les limites du Canada » utilisée à l’article 16, je ne peux que constater l’intention claire du Canada de limiter l’application ou l’exécution de l’article 16 aux emplacements situés à l’intérieur des frontières du Canada. Tout d’abord, il y a une distinction explicite entre la portée territoriale désignée aux articles 12, 21 et 16. Ainsi, le législateur souhaitait clairement qu’il y ait une différence importante entre l’expression « même à l’extérieur du Canada » utilisée aux paragraphes 12(2) ou l’expression « au Canada ou à l’extérieur du Canada » utilisée au paragraphe 21(1) et en anglais l’expression « dans les limites du Canada » utilisée à l’article 16. Si ce n’était pas le cas, il aurait utilisé la même expression dans les trois dispositions. Après tout, lorsqu’on me demande d’interpréter un texte de loi, je suppose que tous les mots y figurant ont une utilité et une fin. Je suppose également que le législateur souhaite assurer une certaine uniformité lorsqu’il choisit minutieusement des mots pour s’exprimer. En examinant la Loi sur le SCRS dans son ensemble, je ne peux faire fi des mots contradictoires et opposés figurant dans le même régime législatif. Je tiens aussi à souligner que lorsque le législateur modifie une loi, il a l’occasion de préciser des éléments qu’il juge imprécis ou ambigus. Si le législateur précise et modifie le libellé d’un article, mais omet de reproduire la modification ailleurs, un juge ne peut que supposer qu’il l’a fait en toute connaissance des conséquences de cette omission.
[63] En ce qui concerne l’affaire qui nous intéresse, les modifications de 2015 donnent clairement au Service le mandat de mener ses activités en matière de renseignement de sécurité dans les limites du Canada ou à l’extérieur de celles-ci. Le fait que le législateur ait eu l’occasion de modifier la Loi sur le SCRS afin d’élargir la portée territoriale de l’article 16 pour qu’il englobe les renseignements étrangers se trouvant « même à l’extérieur du Canada » est un indicateur très révélateur du fait qu’il ne souhaitait pas autoriser la collecte de renseignements étrangers en vertu de l’article 16 à l’extérieur du Canada. Autrement dit, le fait que le législateur ait décidé d’élargir et de préciser les pouvoirs en matière de renseignement de sécurité, mais ne l’ait pas fait en ce qui concerne les pouvoirs de collecte de renseignements étrangers en dit long. Le législateur s’exprime d’une seule voix et au moyen d’un seul stylo, et on ne peut tenir pour acquis que des mots clairement différents expriment une volonté semblable.
c) Conditions dans le mandat demandé
[64] Le mandat demandé est assorti des conditions suivantes :
CONDITION 1
Toute information sur des Canadiens ou toute personne visée à l’article 1 obtenue en vertu du présent mandat doit être détruite, sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :
a) elle a trait à des activités qui constituent une menace envers la sécurité du Canada au sens de l’article 2 de la Loi;
b) elle peut permettre la prévention d’un présumé acte criminel ou servir dans le cadre d’une enquête ou de poursuites relatives à un présumé acte criminel; [Non souligné dans l’original.]
[65] L’importance des restrictions rigoureuses est d’autant plus apparente lorsqu’on tient compte du fait que l’article 16 donne au Service, selon les conditions prévues aux mandats, la possibilité de recueillir fortuitement et de conserver, au titre de la Condition 1, des renseignements qui pourraient servir à l’acquittement de son mandat principal lié aux menaces, et ce, sans obtenir de nouveau mandat. Ainsi, la Cour doit être consciente du fait que les informations obtenues dans le cadre de l’exécution de la fonction de collecte de renseignements étrangers peuvent être subséquemment transférées à l’interne pour compléter une enquête en matière de renseignement de sécurité.
[66] Par conséquent, lorsqu’il mène des enquêtes en vertu de l’article 16, le Service ne peut recueillir des informations que sur le territoire du Canada et ne peut recueillir des informations au sujet d’un citoyen canadien, d’un résident permanent ou d’une personne morale constituée sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale. Le législateur ne souhaitait pas que les pouvoirs conférés par l’article 16 soient exercés sans restriction. Ainsi, le SCRS doit respecter les restrictions fondamentales que lui a imposées le législateur et faire preuve de déférence à leur égard durant l’exercice d’interprétation. Encore une fois, le devoir de la Cour de faire respecter la primauté du droit nécessite une interprétation prudente des contrôles législatifs internes figurant dans la Loi sur le SCRS, puisque ces contrôles circonscrivent les pouvoirs du Service et visent à l’empêcher de faire une collecte excessive de renseignements. L’examen schématique de la Loi sur le SCRS étant terminé, je conclus qu’il convient d’examiner l’historique législatif du texte de loi au moyen d’une analyse de preuve extrinsèque, en commençant par les motifs à l’origine de la Loi.
d) Historique législatif et preuve extrinsèque
[67] Afin de poursuivre l’analyse contextuelle, il convient également d’interpréter le sens ordinaire de l’expression « dans les limites du Canada » en parallèle avec l’intention du législateur. Pour ce qui est de cerner cette intention, les professeurs Ruth Sullivan et Pierre-André Côté sont d’accord pour dire que les documents extrinsèques sont utiles. Toutefois, la Cour doit établir le poids et le pouvoir que la personne qui interprète doit accorder à ces diverses sources (Sullivan, 2014, précité, aux paragraphes 23.15 à 23.17; PA Côté, 2011, précité, à la page 47).
[68] Dans la décision Données connexes, la preuve extrinsèque a servi d’outil d’interprétation fondamental qui m’a permis d’établir l’intention législative entourant le mandat premier du SCRS. Comme je l’ai expliqué dans ce document [aux paragraphes 115 et 116] :
Il est bien reconnu que les historiques législatifs sont des sources extrinsèques utiles pour déterminer l’intention du législateur et l’objet de la Loi. À propos de l’analyse documentaire de l’historique législatif, la professeure Sullivan précise que, généralement, [traduction] « [d]ans un système parlementaire, le contenu des mesures législatives est probablement assujetti en grande partie aux intentions d’un nombre relativement restreint de personnes. Dans le cas des lois, il s’agira du ministre qui a fait la recommandation, qui tiendra compte des points de vue du Cabinet, ainsi que des parlementaires qui forment la majorité au Comité qui examine le projet de loi ». Ainsi, les déclarations faites par les personnes susmentionnées sont beaucoup plus utiles que les simples commentaires ou débats faisant intervenir d’autres parlementaires. La Cour suprême du Canada se fonde régulièrement sur des documents relatifs à l’historique législatif pour déterminer les objectifs des régimes créés par les lois. (Sullivan 2014, précité, aux paragraphes 23.67, 23.81 et 23.83.) (PA Côté 2011, précité, à la page 47.)
Bien que les rapports des commissions ne représentent pas la voix des ministres parrains ou des parlementaires concernés directement, les professeurs Sullivan et Côté sont clairement d’avis que ces rapports sont utiles et admissibles. En fait, ils les considèrent comme particulièrement utiles dans le processus d’interprétation et soulignent qu’ils ont été le premier type de preuve extrinsèque à être admis par les Cours. La professeure Sullivan donne l’explication suivante.
[traduction] […] Souvent une loi est précédée par le rapport d’une commission de réforme du droit ou d’un organisme similaire qui s’est penché sur une situation ou un problème et qui a recommandé une réponse législative. En général, de tels rapports font état des recherches effectuées par la commission, énoncent ses conclusions, décrivent les options stratégiques étudiées et formulent des recommandations. Il s’agit de travaux non partisans, dont les conclusions sont soigneusement motivées. Ces caractéristiques rendent probablement les rapports plus fiables que les documents dans le Hansard. En outre, les rapports des commissions jouent souvent un rôle précis dans la préparation d’une loi et, dans certains cas, un rôle considérable qui est susceptible d’accroître leur pertinence et leur importance. Il n’est donc pas surprenant que les rapports des commissions aient été le premier type d’historique législatif à être admis par les tribunaux dans les affaires d’interprétation législative.
(Sullivan 2014, précité, au paragraphe 23.68.) (PA Côté 2011, précité, aux pages 455 et 456.)
[69] La procureure générale fait valoir que l’historique parlementaire montre premièrement que le législateur a adopté l’article 16 afin de renforcer les capacités du gouvernement en matière de renseignement étranger au sein des frontières internationales du Canada. Deuxièmement, selon elle, l’expression « dans les limites du Canada » visait à empêcher les agents de s’adonner à une collecte offensive ou cachée sur le territoire d’un autre État, et on ne peut discerner que l’article 16 a pour but d’interdire la collecte de renseignements à l’extérieur du Canada.
[70] L’amicus curiae a tenté en vain de trouver une indication claire d’intention parlementaire relative à la restriction « dans les limites du Canada », mais il a pu informer la Cour du fait qu’on souhaitait éviter d’établir une organisation utilisant des méthodes agressives controversées s’apparentant à celles de la CIA [Central Intelligence Agency] et dotée d’un mandat de surveillance à l’étranger. De plus, l’amicus curiae n’a pas pu trouver un pouvoir explicite concernant la proposition avancée par la procureure générale, c’est-à-dire que le libellé de l’article 16 garantit [traduction] « qu’en exerçant ses fonctions aux termes de l’article 16, le Service ne s’adonnait pas à des activités de collecte offensives ou cachées directement sur le territoire d’un État étranger ». Cependant, selon l’amicus curiae l’argument souligne le fait que le législateur n’aurait pas, sans un libellé explicite, autorisé le Service à [***] susceptible de provoquer un scandale et dommageable pour les relations internationales que le gouvernement souhaitait éviter.
[71] Ce que souhaite faire autoriser la procureure générale [***]. La procureure générale demande à la Cour, dans le contexte d’une demande d’assistance en vertu de l’article 16 présentée par le ministre [***] de délivrer un mandat l’autorisant à mener [***].
[72] J’examinerai à présent l’historique législatif de l’article 16 en accordant une importance particulière à l’expression « dans les limites du Canada » afin de mettre en lumière la bonne façon de l’interpréter. Lorsqu’une intention parlementaire aura été bien cernée, j’examinerai la question de savoir s’il y a un conflit entre l’expression et la raison d’être de l’article 16, tel qu’adopté par le législateur.
(i) La Commission McDonald (1981)
[73] La Commission McDonald de 1981 a jeté les bases d’un organisme de sécurité nationale entièrement distinct de la GRC. Dans son rapport, la Commission a indiqué qu’il fallait mener une analyse approfondie sur l’éventuelle création d’un organisme de collecte de renseignements étrangers, mais s’est abstenue de formuler des recommandations officielles. Il est toutefois pertinent de souligner que la création d’un organisme du renseignement de sécurité doté de pouvoirs extraterritoriaux a été envisagée. La Commission a officieusement approuvé le point de vue selon lequel les activités d’un organisme du renseignement de sécurité à l’extérieur du Canada seraient admissibles dans de rares circonstances prévues par la loi.
14. En ce qui concerne la troisième dimension, soit le théâtre d’opérations du service de renseignements pour la sécurité, nous ne croyons pas que celui-ci doive limiter ses contre-mesures et la collecte de renseignements au seul territoire canadien. Si les enquêtes de sécurité amorcées au Canada doivent s’arrêter aux frontières, nous risquons de perdre des sources d’information et des renseignements importants pour la sécurité nationale. Ce serait imposer une contrainte absurde que d’interdire la collecte, à l’extérieur du pays, de renseignements intéressant la sécurité. Si c’est se lancer à l’offensive que d’opérer à l’étranger, le service canadien de renseignements pour la sécurité se doit alors d’être « offensif » en ce sens, bien que nous soyons conscients des très grands risques diplomatiques, moraux et pratiques — qu’il court en déployant son activité au-delà de nos frontières. Étant donné ces risques, il importe de s’en tenir aux activités qui sont indispensables, de les assujettir à des contrôles précis et efficaces, et de voir à ce que le service n’outrepasse jamais son mandat. [Non souligné dans l’original.]
(Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, Deuxième rapport : la Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1, partie V (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981), à la page 662.)
[74] Toutefois, la Commission a fait une mise en garde concernant les importants risques diplomatiques, moraux et pratiques que représente la tenue d’activités de collecte de renseignements de sécurité à l’étranger et a souligné les sensibilités qui existent au sein du gouvernement et ailleurs en ce qui a trait aux activités liées aux renseignements étrangers menées à l’extérieur du Canada. Elle a également indiqué que l’autorisation par un gouvernement de violer des lois étrangères soulèverait un « grave problème moral ».
73. […] En premier lieu, le gouvernement qui se livre à des activités d’espionnage contre d’autres États court un risque politique manifeste. Une réputation d’honnêteté et de droiture dans la conduite des affaires internationales peut, surtout au sein du Commonwealth, procurer au Canada des avantages difficiles à évaluer […]
[…]
75. L’utilisation d’un service secret dont la manière d’opérer viole fatalement les lois d’autres pays pose également un grave problème moral à un gouvernement […] La transgression des lois peut devenir contagieuse tant chez les agents chargés de recueillir des renseignements que chez les fonctionnaires supérieurs et les dirigeants politiques responsables de la direction des services. Un tel état de choses, au Canada, pourrait bien neutraliser les réformes qui, nous l’espérons, seront mises en place pour empêcher le service de renseignements et la GRC de commettre des actes illégaux ou répréhensibles. D’autre part, il est possible de soutenir que le risque d’une telle influence et d’une telle contagion peut être réduit au minimum si, conscients du danger, l’on exerce les contrôles requis. [Non souligné dans l’original.]
(Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, Deuxième rapport : la Liberté et la sécurité devant la loi, vol. 1, partie V (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981), à la page 679.)
[75] Le rapport de la Commission McDonald n’a pas fait le trait sur la possibilité d’activités extraterritoriales, mais a suggéré qu’on examine plus en détail l’établissement d’une collecte de renseignements cachée afin d’influencer les activités étrangères. La Commission s’est également dite préoccupée par le caractère illégal de telles activités et a soulevé l’importance d’avoir un système de contrôle efficace pour garantir que ces activités sont toujours menées dans le cadre d’un mandat clairement défini.
(ii) Le rapport Pitfield (1983)
[76] La Commission McDonald a déclenché un important débat politique, lequel a donné lieu au dépôt du projet de loi C-157 [Loi constituant le Service canadien du renseignement de sécurité, édictant la Loi concernant la poursuite de certaines infractions en matière de sécurité et dans des domains connexes et modifiant certaines lois en consequence ou de façon correlative, 32e lég., 1re sess., 1983]. Selon une publication de la Bibliothèque du Parlement, « [p]resque tout de suite, le projet de loi est devenu la cible de critiques. On l’accusait de brimer les libertés civiles, d’accorder au nouveau Service des pouvoirs extrêmement vastes, de soustraire le gouvernement à sa responsabilité et de ne pas instituer de mandat précis ou de système de surveillance fonctionnel » (Bibliothèque du Parlement, Le Service canadien du renseignement de sécurité, Bulletin d’actualité 84-27F par Philip Rosen (Ottawa : Direction de la recherche parlementaire de la Bibliothèque du Parlement, 18 septembre 1984, révisé le 24 janvier 2000), à la page 8).
[77] Il convient de souligner que le pouvoir de collecte de renseignements étrangers a été particulièrement la cible de critiques par les députés de l’opposition, les universitaires et les membres du public. Le rapport de la Bibliothèque du Parlement explique également qu’en raison de l’intensité de l’opposition, le gouvernement a décidé de ne pas procéder à sa deuxième lecture et de le renvoyer à un comité sénatorial spécial présidé par feu l’honorable sénateur Michael Pitfield. En 1983, le projet de loi a été examiné par les membres du Comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité, et cet examen a abouti aux recommandations du rapport Pitfield.
[78] Des extraits des témoignages prononcés durant l’audience du Comité spécial sur le projet de loi C-157 aident à comprendre la fonction de collecte de renseignements étrangers prévue à l’article 16 (l’article 18 dans le projet de loi). Le témoignage de l’honorable Robert Kaplan, alors solliciteur général du Canada, fait état de la décision du gouvernement selon laquelle le SCRS ne deviendrait pas un organisme s’apparentant à la CIA qui peut se rendre à l’étranger en cachette afin d’influer sur des événements et des activités sur place :
Le sénateur Nurgitz : […] L’article 18 porte sur les activités de l’organisme à l’intérieur du Canada en ce qui a trait à sa collaboration avec les pays étrangers.
Dois-je comprendre que l’activité du service se limitera au Canada entièrement?
Je ne vois rien dans le projet de loi qui dise cela. Je ne voudrais pas qu’on crée une autre Central Intelligence Agency qui aille se promener par tout le monde sous prétexte de protéger les intérêts du Canada.
[…]
L’honorable M. Kaplan : L’article dit bien cela, mais ce n’est qu’aux fins d’élaborer des ententes de collaboration avec les pays étrangers. Il ne dit pas, aux termes de l’interprétation des menaces, que nous ne pourrions pas établir un bureau à Londres, à Paris, à Tokyo, à Hong-Kong ou ailleurs, de la façon de la CIA.
Certains ont comparé l’organisme à la CIA, et je sais que cela a été en manchettes. Je dois rappeler aux membres du comité qu’il ne s’agit pas d’un organisme qui ait le pouvoir d’influencer les événements de l’étranger. Ce n’est pas un élément de ses fonctions, comme c’est le cas d’autres organismes comme la CIA dont l’objet spécifique se trouve à mi-chemin entre la diplomatie et les autres genres d’intervention qui peuvent influer sur les événements d’autres pays.
Il s’agit d’un organisme de cueillette de renseignements, son mandat est différent de celui d’un organisme de protection du gouvernement, comme la CIA en est un par rapport au gouvernement américain.
Une autre différence importante est que l’organisme exerce son activité au Canada. Il existe un rapport international à son activité qui existe dans le service de sécurité actuel parce qu’il pourra maintenir dans un grand nombre d’endroits des agents de liaison. Mais ces agents de liaison seront identifiés dans les pays où ils exercent leur activité comme faisant partie du gouvernement canadien. Ils ne prétendront pas être des touristes ou des dirigeants industriels ou des journalistes ou les autres déguisements qu’affectent les membres d’organismes qui veulent influencer les activités étrangères.
[…]
[…] Le libellé de l’article permet de croire que le pouvoir d’utiliser le service de cueillette de renseignements cachée sera accessible à d’autres organismes, gouvernements ou agences. Je vous prie de croire que l’assistance dont il est question à la troisième ligne de l’article 18 ne désigne que l’assistance au secrétaire d’État aux affaires extérieures, au ministre de la Défense nationale et à d’autres ministres canadiens que les renseignements recueillis à l’étranger sont susceptibles d’intéresser. [Non souligné dans l’original.]
(Sénat du Canada, Délibérations du Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité, La teneur du Projet de loi C-157 intitulé « Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité », 32e lég., 1re sess., fascicule no 3 (19 août 1983), aux pages 55 et 56 (Président : P.M. Pitfield).)
[79] Dans son témoignage, le solliciteur général a réitéré que le gouvernement a rejeté la suggestion de la Commission McDonald selon laquelle il devrait établir un organisme de collecte cachée de renseignements qui aurait le mandat d’influencer les activités à l’étranger :
L’honorable M. Kaplan : […] Je dois ajouter que la commission McDonald n’a pas recommandé l’établissement d’un organisme doté de la capacité d’influencer les événements d’autres pays. Mais la commission ne s’est pas opposée à ce concept. Elle a proposé que le gouvernement y pense.
[…] La commission McDonald a demandé au gouvernement de songer à établir ce genre de cueillette de renseignements cachée destinée à influencer les événements qui se produisent à l’étranger. Le gouvernement a examiné cette idée, mais il l’a rejetée. [Non souligné dans l’original.]
(Sénat du Canada, Délibérations du Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité, La teneur du Projet de loi C-157 intitulé « Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité », 32e lég., 1re sess., fascicule no 3 (19 août 1983), à la page 56 (Président : P.M. Pitfield).)
[80] L’honorable Jean-Luc Pépin, alors ministre d’État aux Relations extérieures, a également témoigné devant le Comité et a décrit plus en détail la fonction secondaire de l’article 18 :
L’honorable M. Pepin : […] Dans le domaine du renseignement étranger, le SCRS a un deuxième rôle, le plus évident. L’article 18 du projet de loi habilite le service à contribuer, à la demande du gouvernement, à la collecte de renseignements concernant des États étrangers ou des personnes étrangères, et ce dans l’intérêt des relations internationales et de la défense du Canada. […]
En d’autres termes, le projet de loi mandate le SCRS de participer au Canada à la collecte de renseignements sur les personnes ou les états étrangers. La plupart des démocraties de l’Ouest ont pour pratique de ralier la sécurité et les services étrangers du renseignement ; c’est donc dire que nous n’innovons pas en la matière. C’est là une façon admise d’aborder la question. Le gouvernement n’a pas pour le moment les moyens suffisants pour recueillir au Canada des renseignements sur les personnes et les états étrangers et nous croyons que l’article 18 vient corriger cette lacune. [Non souligné dans l’original.]
(Sénat du Canada, Délibérations du Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité, La teneur du projet de loi C-157 intitulé « Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité », 32e lég., 1re sess., facsicule no 3 (22 septembre 1983), à la page 20 (Président : P.M. Pitfield).)
[81] Le comité sénatorial chargé d’examiner le projet de loi C-157 a produit le rapport Pitfield et a formulé des recommandations sur la collecte de renseignements étrangers au Canada. En particulier, le rapport Pitfield a dissipé les préoccupations des parlementaires et du public selon lesquelles l’article 16 donnerait le pouvoir de mener des missions secrètes de collecte de renseignements à l’étranger. Il a également réitéré qu’on devrait mettre en place un régime de supervision politique afin que les activités de collecte de renseignements étrangers au Canada soient étroitement encadrées et surveillées :
50 D’après le ministre d’État aux relations extérieures, l’une des fonctions bien établies des ministères de la Défense nationale et des Affaires extérieures consiste à recueillir des renseignements sur des puissances ou des personnes étrangères. Ainsi, le ministère de la Défense recueille notamment des renseignements sur les forces armées et le potentiel de guerre des pays étrangers alors que le Centre de la sécurité des télécommunications s’emploie à rassembler des renseignements sur les transmissions, c’est-à-dire des informations obtenues sur des puissances étrangères en interceptant et en étudiant leurs transmissions effectuées par radio, radar ou autres moyens électroniques. Par ailleurs, le Bureau de l’analyse des renseignements et de la sécurité et le Bureau du renseignement économique du ministère des Affaires extérieures recueillent également des informations sur l’étranger afin de conseiller le gouvernement sur les questions économiques, politiques, sociales et militaires qui peuvent influer sur les relations bilatérales et multilatérales du Canada.
51 Selon le ministre, l’article 18 vise à donner au nouveau Service les possibilités de recueillir, au Canada, des informations sur l’étranger. À l’heure actuelle, le gouvernement ne dispose pas de moyens suffisants à cet effet. L’article 18 réglerait ce problème en permettant au SCRS de prêter son assistance aux ministères appropriés. Contrairement à ce qui se passerait dans le cas du renseignement de sécurité, le Service ne pourrait enquêter à cette fin que sur les ressortissants étrangers et uniquement à la demande d’un ministre de la Couronne.
52 Le Comité reconnaît que le Canada a sans cesse besoin de renseignements sur l’étranger et rejette l’argument selon lequel de tels renseignements ne sont pas utiles à sa sécurité. Il estime, en outre, que l’article 18 ne constitue nullement un premier pas vers la création d’un service du renseignement qui opérerait à l’étranger. Comme nous l’avons déjà souligné, ce n’est pas d’hier que le Canada s’intéresse à ce type de renseignements. En outre, l’article 18 limite le Service à la collecte de renseignements au Canada […]
53 Même si le Comité estime que l’une des fonctions du SCRS consiste à faciliter aux autorités compétentes la collecte de renseignements sur l’étranger, il n’en demeure pas moins convaincu que cette activité doit être bien plus étroitement contrôlée. En outre, il conviendrait de préciser clairement que la responsabilité en ce domaine incombe aux instances politiques. [Non souligné dans l’original.]
(Sénat du Canada, Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité, Équilibre délicat : un service du renseignement de sécurité dans une société démocratique (3 novembre 1983), aux pages 18 et 19 (Président : P.M. Pitfield).)
[82] Je souligne que le rapport Pitfield, publié en 1983, est le résultat du dernier examen de fond des fonctions du SCRS avant sa création en 1984. Je souligne également que le paragraphe 52 du rapport reconnaît la nécessité continue de collecte de renseignements étrangers dans la mesure où sa collecte est effectuée dans les limites du Canada.
(iii) Projet de loi C-9 : Loi constituant le Service canadien du renseignement de sécurité (1984)
[83] En 1984, à titre de réponse aux changements proposés dans le Rapport Pitfield, le gouvernement a déposé le projet de loi C-9 [Loi constituant le Service canadien du renseignement de sécurité, édictant la Loi concernant la poursuite de certaines infractions en matière de sécurité, de sécurité et dans des domaines connexes et modifiant certaines lois en conséquence ou de façon corrélative, 32e lég., 2e sess., 1984], dont une version légèrement modifiée est ultimement devenue la Loi sur le SCRS. L’extrait suivant du Hansard illustre l’intention du législateur de combler les lacunes en matière de renseignement étranger au Canada en conférant au Service une fonction de collecte de renseignements étrangers en vertu d’un mandat :
M. Kaplan : […] La raison de l’article 16 c’est qu’il y a une lacune en ce qui touche la collecte d’informations provenant de l’étranger. La lacune c’est qu’aucune activité justifiée ne peut être entreprise pour des fins de renseignements étrangers. Cette agence a le pouvoir de demander des mandats et l’article 16 est donc là pour combler une lacune dans la collecte de renseignement étranger de notre pays. [Non souligné dans l’original.]
(Chambre des communes, Délibérations du Comité de justice et des questions juridiques, La teneur du Projet de loi C-9 intitulé « Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité », 32e lég., 2e sess., fascicule no 29 (29 mai 1984), à la page 48 (Président : Claude-André Lachance).)
(iv) Le rapport du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (1989)
[84] Dans son rapport annuel de 1989, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le CSARS), c’est-à-dire l’organisme indépendant d’examen externe qui a le pouvoir d’examiner généralement l’exécution par le SCRS de ses fonctions, a recommandé l’élimination de la restriction « dans les limites du Canada » à l’article 16 puisqu’elle limitait indûment la collecte de renseignements étrangers par le Service :
L’utilité évidente de renseignements sur d’autres États, pour la planification de la défense et la conduite des affaires internationales, tranche étonnamment avec le fait qu’on omet de recourir au SCRS dans ces domaines. Ce qui nous fait dire que l’article 16 est trop restrictif.
[…]
[…] Le Canada ne semble pas avoir besoin d’un organisme aussi « offensif » de collecte de renseignements extérieurs. Cependant, les choses se présentent peut-être autrement pour le renseignement de sécurité et peut-être aussi le renseignement criminel qui intéresse le Canada et qui est recueilli à l’étranger.
Le Comité est opposé à la création d’un organisme distinct, « offensif » de collecte du renseignement extérieur pour le Canada. Nous pensons tout simplement que la nécessité n’en a pas été prouvée. Cependant, nous pensons aussi que la Loi sur le SCRS pourrait, du moins, prévoir la possibilité que le SCRS recueille, au besoin, des renseignements extérieurs. [Non souligné dans l’original.]
(Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, Rapport annuel 1988-1989 (Ottawa : ministre des Approvisionnements et Services Canada, 30 septembre 1989), aux pages 14, 76 et 77 (Président : Ron Atkey).)
[85] Bien que le CSARS n’ait pas recommandé que le SCRS devienne un organisme de collecte de renseignements étrangers s’apparentant à la CIA, il a recommandé qu’on lui donne de nouveaux pouvoirs lui permettant de recueillir des renseignements étrangers à l’extérieur du Canada simplement en éliminant la mention « dans les limites du Canada ». Comme on le verra ci-dessous, cette idée a été rejetée catégoriquement par les intervenants et le gouvernement de l’époque.
(v) L’examen parlementaire quinquennal suivant l’adoption de la Loi sur le SCRS (1990)
[86] L’article 56 de la Loi sur le SCRS prévoit qu’après le 16 juillet 1989, c’est-à-dire cinq ans après l’adoption de la Loi, celle-ci fera l’objet un examen parlementaire. Le rapport d’examen publié en 1990 et intitulé Une période de transition, mais non de crise : Rapport du Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, a donné l’occasion au Comité parlementaire d’examiner la recommandation du CSARS voulant qu’on élimine la mention « dans les limites du Canada » de la Loi.
[87] Dans le contexte de l’examen quinquennal, le CSARS, présidé à l’époque par l’honorable Ronald G. Atkey a répété sa recommandation selon laquelle on devrait éliminer la restriction « dans les limites du Canada » :
26. Par conséquent, nous recommandons de supprimer les mots « dans les limites du Canada » de l’article 16 de la Loi.
De la sorte, le SCRS serait en mesure d’aider le ministre de la Défense nationale ou le Secrétaire d’État aux Affaires extérieures à recueillir, de n’importe quelle source, des renseignements concernant les capacités, les intentions ou les activités de personnes ou d’États étrangers. Aux termes de cet article, le SCRS ne serait habilité à agir en dehors du Canada que sur « demande personnelle écrite » de l’un ou l’autre ministre, et après avoir également obtenu le consentement écrit du solliciteur général. La modification proposée ne devrait pas empêcher le CSARS d’examiner les opérations du Service, que ce soit au pays même ou à l’étranger. [Je souligne.]
(Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, Modifications à la Loi sur le SCRS : Propositions pour le Comité de la Chambre des communes (Ottawa : ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1989, aux pages 18 et 19).)
[88] Durant les audiences du Comité spécial sur l’examen de la Loi sur le SCRS, le sénateur Michael Pitfield s’est opposé à la recommandation du CSARS :
L’honorable M. Pitfield : […] Le CSARS fait des recommandations de nature politique qui concernent les activités des services à l’étranger […] À mon avis, rien n’a été prouvé dans ce domaine. Je reviens à la nécessité de faire preuve de scepticisme, comme je l’ai dit précédemment, car, tant que rien n’a été prouvé, il n’y a pas lieu d’élargir la mission de notre service du renseignement de sécurité pour envoyer nos agents à l’étranger faire Dieu sait quoi dans Dieu sait quelles circonstances. [Non souligné dans l’original.]
(Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité spécial d’Examen de la Loi constituant le SCRS et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, Concernant : Travaux futurs, 34e lég., 2e sess., fascicule no 9 (16 janvier 1990), aux pages 8 et 9 (Président : Blaine Thacker).)
[89] Le Comité parlementaire spécial a reconnu le consensus général selon lequel le Canada n’a pas besoin d’un organisme du renseignement étranger qui recueille des données de renseignement à l’étranger par des moyens clandestins et selon lequel ces types d’activités à l’étranger auraient des conséquences sur les relations diplomatiques du Canada. Le Comité a recommandé le statu quo en ce qui concerne l’article 16 :
Le Comité estime qu’il ne convient pas que le SCRS ou quelque autre ministère ou organisme du gouvernement du Canada se livre, à l’étranger, à des activités clandestines illégales (c’est-à-dire qui vont au-delà de la simple collecte de renseignements sur l’étranger) qui contreviennent clairement au droit international et aux lois des pays étrangers. L’ancien président du CSARS, M. Ron Atkey, a exprimé le même avis devant le Comité. Nous estimons néanmoins qu’il y a lieu d’examiner plus en détail la question de savoir si le Canada devrait se doter d’un organisme chargé de recueillir des renseignements touchant l’étranger par des moyens licites et si le SCRS devrait être cet organisme.
Si elle est adoptée, la proposition du CSARS risque d’avoir des conséquences d’une grande portée pour le Canada, notamment sur le plan des relations extérieures et de la défense. [Non souligné dans l’original.]
(Chambre des communes, Une période de transition, mais non de crise : Rapport à la Chambre des communes du Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité (septembre 1990), à la page 44 (Président : Blaine Thacker).)
[90] La recommandation du CSARS voulant qu’on élimine « dans les limites du Canada » de l’article 16 n’a pas été adoptée par le Comité spécial d’examen de la Loi sur le SCRS et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité [L.R.C. (1985), ch. S-7].
(vi) Réponse du gouvernement au rapport d’examen quinquennal (1991)
[91] La réponse du gouvernement au rapport d’examen quinquennal, qui s’intitule Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 90 : Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, souligne que le mandat du SCRS en matière de collecte de renseignements étrangers est limité en raison du mandat qu’a le CST relativement à la collecte de renseignements étrangers à l’extérieur du Canada :
Depuis la Seconde Guerre mondiale, les principaux ministères du gouvernement du Canada actifs dans le secteur du renseignement étranger sont celui des Affaires extérieures et du Commerce extérieur et celui de la Défense nationale. Ces deux ministères recueillent des informations auprès de sources ouvertes et au moyen d’échanges avec des pays alliés. De plus, le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) intercepte des informations diffusées à l’étranger par radio, par radar ou par d’autres procédés électroniques, et, conformément à l’article 16 de la Loi sur le SCRS, le SCRS aide à recueillir, dans les limites du Canada, du renseignement étranger.
[…]
Le SCRS a un mandat limité aux termes duquel il peut, dans les limites du Canada, aider à la collecte de renseignements étrangers.
[…]
Le mandat du SCRS quant au renseignement étranger est décrit à l’article 16 de la Loi sur le SCRS. Comme il ne convient pas de confier à un seul et même organisme les fonctions liées, d’une part, au renseignement de sécurité et, d’autre part, au renseignement étranger, l’article 16 de la Loi sur le SCRS assujettit à des restrictions strictes le rôle du Service en matière de renseignement étranger.
[…]
Si l’on éliminait l’interdiction imposée au SCRS d’exercer ses activités à l’étranger en retranchant les mots […] on empiéterait sur le mandat premier du Service qui a trait aux renseignements de sécurité. Il convient également de signaler que les objectifs d’un service de renseignement étranger diffèrent fondamentalement de ceux d’un service de sécurité nationale. Le premier cherche à connaître les moyens et les intentions d’autres États et doit mener ses activités de collecte de renseignements en grande partie sur des territoires étrangers, tandis que le second est plus étroitement axé sur des objectifs nationaux ayant trait au contre-espionnage et à l’antiterrorisme. Des services différents nécessitent donc des contrôles différents. C’est pourquoi la collecte de renseignement étranger et celle de renseignements de sécurité sont des fonctions distinctes dans d’autres démocraties occidentales. [Non souligné dans l’original.]
(Solliciteur général du Canada, Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 90 : Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité (février 1991), aux pages 53 à 59 (Pierre H. Cadieux — Solliciteur général).)
[92] Il convient de souligner que le gouvernement reconnaît dans sa réponse que le rôle du SCRS est limité dans le contexte de la collecte de renseignements étrangers et qu’il ne conviendrait pas d’élargir la fonction de collecte de renseignements étrangers du SCRS par l’élimination de la restriction « dans les limites du Canada » puisqu’on confierait alors à un organisme les fonctions liées au renseignement de sécurité et au renseignement étranger.
[93] Tout en reconnaissant l’évolution qui s’est produite au chapitre de la diplomatie et de la technologie, la réponse du gouvernement reconnaît également la compétence importante du législateur pour ce qui est de légiférer sur de grandes questions stratégiques en matière de sécurité nationale et elle la réitère :
Les propres ressources du Canada affectées à la collecte du renseignement étranger, conjuguées aux ententes d’échange de renseignements conclues avec des alliés, comblent les besoins de notre pays dans le domaine. Cependant, si le contexte international devait changer au point où les mesures actuelles ne permettaient plus de satisfaire pleinement les besoins du Canada, le gouvernement devra évaluer soigneusement la situation pour trouver des solutions de rechange.
(vii) L’intérêt du gouvernement à l’égard d’un organisme du renseignement étranger (2006–2007)
[94] À compter de 2006, le gouvernement a envisagé la possibilité de créer un organisme de collecte de renseignements de nature politique, militaire et économique à l’étranger. Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, présidé par le sénateur Colin Kenny, a été chargé d’examiner les questions relatives au renseignement, et particulièrement au renseignement étranger. Durant son témoignage devant le Comité, M. Reid Morden, un ancien directeur du Service canadien du renseignement de sécurité et sous-ministre des Affaires étrangères, a découragé la création d’un organisme du renseignement étranger indépendant et a plutôt recommandé qu’on élimine de l’article 16 la restriction « dans les limites du Canada » :
M. Reid Morden : […] Un modèle fort simple consisterait à créer une branche distincte et autonome au sein du SCRS qui pourrait utiliser les infrastructures de formation et d’administration existantes et donc bénéficier de gains d’efficacité et de coûts. Cette formule permettrait à ce service d’atteindre plus rapidement sa vitesse de croisière sans que nous écartions pour autant la possibilité de mettre un jour sur pied un organisme exclusivement consacré à la recherche de renseignement étranger.
Enfin, n’importe quel nouvel organisme aura besoin d’une assise législative. L’article 16 de la Loi sur le SCRS permet à ce service de recueillir des données du renseignement dans les limites du Canada, à la demande expresse des ministres de la Défense nationale et des Affaires étrangères. Les agents du SCRS ont donc acquis, au cours des 20 dernières années et même plus, une vaste compétence dans le domaine du renseignement étranger et du renseignement de défense. Le simple retrait des mots « dans les limites du Canada » de l’article 16 de la Loi sur le SCRS permettrait de transformer le mandat de cet organisme pour lui permettre de répondre parfaitement à nos besoins dans le domaine du renseignement étranger. [Non souligné dans l’original.]
(Sénat du Canada, Délibérations du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, 39e lég., 1re sess., fascicule no 13 (26 mars 2007), à la page 42 (Président : Colin Kenny).)
[95] Toutefois, comme il a été expliqué précédemment, le gouvernement n’a pas créé un organisme du renseignement étranger distinct et a plutôt décider de conférer au Service un pouvoir accru de mener des activités à l’étranger à une date ultérieure. Cette décision est illustrée par l’échange suivant entre le député Laurie Hawn et le ministre de la Sécurité publique de l’époque, l’honorable Stockwell Day :
M. Laurie Hawn : […] À mon avis, ce qui nous limite entre autres au Canada en ce qui concerne la sécurité nationale est le manque de capacité d’obtenir des renseignements étrangers, capacité que nous avons déjà eue, mais nous ne l’avons plus. Je sais que le gouvernement a parlé d’établir une sorte d’agence canadienne du renseignement étranger. Je me demande si c’est toujours prévu.
En espérant que la réponse est oui, est-ce que cela fera partie du mandat du SCRS, ou est-ce qu’on envisage de créer un organisme distinct?
L’honorable Stockwell Day : Nous avons examiné la question et même au cours de la dernière campagne fédérale, nous avons déclaré publiquement qu’il était nécessaire d’accroître la capacité du Canada de se protéger en obtenant des renseignements étrangers. Les deux façons de s’y prendre consistaient d’abord à mettre sur pied un organisme distinct, et ensuite à apporter des changements à la Loi sur le SCRS afin de donner à ce dernier une plus grande capacité de recueillir des renseignements à l’étranger dans certaines situations, tout cela conformément à la loi, naturellement.
Les études que nous avons faites et les entretiens que nous avons eus avec un certain nombre de groupes nous portent à croire qu’il ne serait pas dans notre intérêt de mettre sur pied un organisme distinct […]
[…]
À la suite de nos entretiens avec le SCRS et avec nos autres partenaires à l’étranger, nous avons constaté que nous avions la possibilité de changer la loi, naturellement, selon ce que votre comité souhaitera et ce que le législateur souhaitera, pour améliorer la capacité du SCRS de recueillir des renseignements sans avoir à créer un silo distinct ou un organisme distinct. Après avoir étudié la question pendant quelques mois, nous avons décidé que c’était la meilleure chose à faire et, ayant déterminé cela, nous vous présenterons, soit au printemps, soit à l’automne, nos propositions à cet effet et nous espérons que votre comité nous dira ce qu’il en pense et nous donnera de bons conseils à cet égard. [Non souligné dans l’original.]
(Chambres des communes, Comité permanent de la sécurité publique et nationale, Témoignages, 39e lég., 1re sess., fascicule no 44 (15 mai 2007), à la page 11 (Président : Garry Breitkreuz).)
[96] Tel qu’il est mentionné ci-dessus, les modifications législatives ont été apportées à la Loi sur le SCRS dans une législature subséquente. En effet, comme on l’a vu précédemment, le projet de loi C-44 adopté en 2015 a apporté à l’article 12, paragraphe 15(1) et l’article 21 de la Loi sur le SCRS des modifications visant à autoriser explicitement le Service à « exercer [ses] fonctions […] même à l’extérieur du Canada », à « mener [des] enquêtes […] même à l’extérieur du Canada » ou à « faire enquête, au Canada ou à l’extérieur du Canada », respectivement. Comme il a été souligné, un des éléments fondamentaux de l’analyse historique de la fonction liée au renseignement étranger est qu’aucun pouvoir extraterritorial n’a été ajouté au pouvoir de collecte en vertu de l’article 16.
(viii) Rapport annuel du CSARS 2012–2013 : Combler les lacunes
[97] Dans son rapport annuel 2012–2013, le CSARS met le Service en garde contre le recours aux pouvoirs de collecte de renseignements étrangers du CST dans le contexte des enquêtes au titre de l’article 16, faisant écho à la réponse donnée en 1990 par le gouvernement relativement au rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le SCRS. Dans la réponse en question, le gouvernement a reconnu qu’il ne conviendrait pas de combiner au sein d’un seul organisme les fonctions liées au renseignement de sécurité et celles liées au renseignement étranger :
L’article 16 de la Loi sur le SCRS définit le renseignement étranger comme toute information sur les moyens, les intentions ou les activités d’un État étranger, d’une organisation nationale ou d’un ressortissant étranger (c.-à-d. des renseignements sans rapport avec la menace). En revanche, l’article 12 de la Loi définit le renseignement de sécurité comme des informations et renseignements liés aux « menaces envers la sécurité du Canada ». Malgré la grande coopération avec le CSTC dans les activités de collecte de renseignements étrangers au Canada, le Service continue de débattre à l’interne sur la mesure dans laquelle ces activités ont un impact négatif sur le mandat principal du SCRS, qui est de recueillir des renseignements de sécurité. Après avoir écouté diverses sources du SCRS sur cette question, le Comité a mis en garde le Service, l’incitant à la prudence pour décider dans quelle mesure il continue à demander l’aide du CSTC dans le cadre de l’article 16. À moins que des modifications soient apportées à la Loi sur le SCRS, c’est le CSTC, et non le SCRS, qui est l’organisation principalement chargée de fournir au gouvernement du Canada des renseignements étrangers.
(Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, Rapport annuel 2012–2013 : Combler les lacunes (Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2013), à la page 16.)
(ix) Projet de loi C-44 : Loi sur la protection des Canadiens contre les terroristes
[98] Tel qu’il est mentionné ci-dessus, en 2015, le gouvernement a adopté le projet de loi C-44 de manière à préciser notamment les pouvoirs extraterritoriaux du Service. Michel Coulombe, l’ancien directeur du SCRS, a répondu à la question suivante de l’honorable Wayne Easter, membre du Comité permanent de la sécurité publique et nationale :
L’honorable Wayne Easter : […] Je croirais que le cœur du problème, quand on parle de ce projet de loi, est lié aux changements importants relatifs aux activités extraterritoriales, si je peux parler ainsi, du SCRS. Le directeur adjoint ou le directeur du SCRS pourront me corriger si je me trompe, mais je crois qu’au départ, quand le SCRS a vu le jour, on prévoyait renforcer nos relations internationales ou nos liens avec d’autres pays afin que ces derniers nous fournissent de l’information, et que nous allions fonctionner ainsi, plutôt que d’envoyer des agents à l’étranger. Aujourd’hui, la réalité du monde a changé. Nous avons en quelque sorte affaire à un monde sans État.
Ce projet de loi, en ce qui concerne le SCRS, ne donne-t-il pas de vastes possibilités d’application à l’étranger des décisions prises par l’appareil judiciaire canadien relativement à nos activités à l’étranger?
[…]
Dans ce projet de loi, si je puis le dire ainsi, avec des décisions judiciaires, avec des juges qui autorisent le SCRS à mener certaines activités à l’étranger, ne sommes-nous pas en train de permettre au service de mener diverses opérations à l’étranger?
M. Michel Coulombe : Pour commencer, en ce qui a trait aux activités que le SCRS mène à l’extérieur du Canada — et vous avez parlé de la commission McDonald, mais je ne veux pas la citer —, je suis à peu près certain que le rapport parle de la création du SCRS et des mesures de précaution qu’il faut prendre, mais on envisageait déjà la possibilité que nous ayons un jour à agir ainsi. Nous avons toujours eu la conviction que nous avions ce pouvoir. Voilà pourquoi il s’agit simplement ici d’une clarification, pour rendre explicite, dans la loi, que nous avons le droit de faire ce que nous faisons depuis 30 ans, étant donné qu’il s’agissait d’une interprétation de… Prenez l’article 16, la restriction est claire : cela se fait au Canada. Cette restriction est absente de l’article 12. [Non souligné dans l’original.]
(Chambres des communes, Procès-verbaux et témoignage du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, Témoignages, 41e lég., 2e sess., fascicule no 40 (24 novembre 2014), à la page 13 (Président : Daryl Kramp).)
[99] Comme le montre l’aperçu historique des sources extrinsèques présentées aux paragraphes 73 à 99 ci-dessus, les décideurs canadiens ont vacillé au fil des ans entre l’autorisation et la restriction du caractère extraterritorial des pouvoirs conférés par l’article 16. Cependant, la preuve révèle une orientation cohérente pour ce qui est de l’intention du législateur relative à la portée territoriale de l’article 16. Pour résumer : en 1981, la Commission McDonald a ouvert la porte à l’idée d’un organisme du renseignement de sécurité doté de pouvoirs extraterritoriaux; cependant, en 1983, le caractère extraterritorial de la collecte de renseignements étrangers a été complètement rejeté dans le Rapport Pitfield, lequel précise explicitement que la collecte ne devrait avoir lieu que dans les limites du Canada; par conséquent, en 1984, le gouvernement a adopté le projet de loi C-9 afin d’établir la Loi sur le SCRS et la version actuelle de l’article 16; en 1989, le SCARS a recommandé l’élimination de la limite extraterritoriale au motif qu’elle restreint indûment la fonction liée au renseignement étranger du Service; en 1991, le gouvernement a répondu qu’il ne conviendrait pas d’éliminer la restriction puisque cela aurait pour effet de combiner au sein d’un seul organisme les fonctions liées au renseignement de sécurité et celles liées au renseignement étranger; en 2017, le ministre de la Sécurité publique a avancé devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale l’idée de déposer ou d’envisager de déposer des mesures législatives qui amélioreraient la capacité du Service de recueillir des renseignements étrangers à l’extérieur du Canada; aucune modification législative du genre n’a été adoptée; en 2015, le gouvernement a adopté le projet de loi C-44, dans lequel il a modifié la portée territoriale des articles 12, 15 et 21 de la Loi sur le SCRS de manière à explicitement autoriser le Service à exécuter ses tâches et fonctions « même à l’extérieur du Canada » ou « au Canada et à l’extérieur du Canada » sans toutefois modifier l’article 16.
[100] Les mots et les actions de représentants du gouvernement, d’intervenants importants du milieu de la sécurité nationale et d’organisme de supervision montrent que le législateur a conservé au fil des années une orientation cohérente et constante relativement à la portée territoriale de l’article 16. Bien que des personnes crédibles et sérieuses aient recommandé l’élimination de l’expression « dans les limites du Canada » de l’article 16, le législateur a constamment et uniformément réitéré son intention de restreindre aux limites du Canada les activités de collecte de renseignements étrangers. Par conséquent, je conclus que la restriction « dans les limites du Canada » représente l’intention claire du Canada de garantir que la collecte d’information et de renseignement étrangers se produise uniquement au Canada.
[101] Le sens textuel et l’analyse contextuelle nous ont déjà procuré des renseignements utiles sur lesquels je me fonderai durant l’analyse ci-dessous. L’approche téléologique exige que la personne qui interprète tienne compte de l’interaction entre le libellé de la disposition interprétée et de l’ensemble du texte de loi et l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il les a adoptés. Autrement dit, il faut chercher à dégager ce que le législateur tentait d’accomplir en adoptant la loi. Ultimement, l’interprétation proposée doit correspondre dans une certaine mesure à l’objectif du législateur.
[102] Au moyen de l’article 16, on a clairement donné au Service le pouvoir de recueillir des renseignements sur des États étrangers pour prêter assistance aux ministres de la Couronne. Pour mieux comprendre l’objet du renseignement étranger, je crois qu’il convient d’appliquer la définition générale suivante :
S’agissant de la défense du Canada et de la conduite de ses affaires étrangères, le renseignement étranger s’entend des informations et analyses relatives aux moyens, aux intentions et aux activités d’un État, d’une personne ou d’un organisme étrangers. Il englobe des informations de nature politique, économique, militaire, sécuritaire, technologique ou sociale obtenues de sources tant publiques que secrètes. Il a pour objet de protéger les intérêts du Canada, de faciliter le processus d’élaboration de la politique étrangère et de la politique de défense et de favoriser la poursuite des objectifs de politique étrangère et de défense.
(Service canadien du renseignement de sécurité, Renseignement et politiques : Constantes et évolution, par Blair Seaborn, Commentaire no 45 (Ottawa : Sécurité publique et Protection civile, juin 1994).)
[103] Pour savoir si la proposition du Service [***] est appuyée par une interprétation téléologique de l’article 16, il faut premièrement donner une explication fondée sur les faits de l’activité visée dans la demande de mandat. Le Service propose [***].
[104] La procureure générale du Canada fait valoir qu’une interprétation stricte et littérale de « dans les limites du Canada » empêcherait la collecte de tout renseignement ayant une dimension étrangère. Selon elle, en ce qui concerne l’article 16, la Cour devrait adopter une interprétation téléologique qui favorise la présence d’une dimension extraterritoriale pour ce qui est de l’assistance offerte « dans les limites du Canada ». Elle affirme que cette interprétation téléologique appuie [***]. Elle avance ensuite quatre arguments à l’appui de cette affirmation. Premièrement, le Canada a un intérêt important à l’égard de l’activité. Deuxièmement, le législateur n’aurait pas eu l’intention de créer une telle lacune au chapitre du renseignement étranger. Troisièmement, des évolutions technologiques ont rendu l’article 16 désuet ou inapplicable. Quatrièmement, la [***] a évolué depuis l’adoption de l’article 16.
[105] L’amicus curiae rejette l’interprétation téléologique de la procureure générale, faisant valoir qu’elle équivaut à une réécriture législative, surtout compte tenu des modifications récentes apportées par le législateur à la portée territoriale de la Loi sur le SCRS. Selon l’amicus curiae, la procureure générale demande à la Cour d’interpréter l’article 16 comme incluant les précisions récemment apportées par le législateur à d’autres articles de la Loi.
[106] Je me pencherai tout d’abord sur l’argument de la procureure générale selon lequel une interprétation rigoureuse et littérale de « dans les limites du Canada » empêcherait la collecte de toute information ayant une dimension étrangère. Je suis d’accord avec la procureure générale pour dire que le législateur ne souhaitait pas supprimer dans l’article 16 le pouvoir de recueillir des renseignements ayant une dimension étrangère puisque la disposition donne au Service le mandat de recueillir des renseignements étrangers. Toutefois, je suis en désaccord avec la façon dont la procureure formule le problème. La question à trancher n’est pas de savoir s’il s’agit de [***] ayant une dimension étrangère puisque c’est clairement ce dont il s’agit. Plutôt, la question concerne [***].
a) L’intérêt important du Canada à l’égard de l’information à [***]
[107] La procureure générale du Canada fait valoir que le Canada a un intérêt important à l’égard de l’activité, ce qui favorise une interprétation téléologique de l’article 16. Elle souligne que les cibles du mandat sont [***]. L’amicus curiae ne rejette pas l’idée que le Canada ait un intérêt important à l’égard de l’activité, mais il fait valoir que cet intérêt n’est pas pertinent en ce qui concerne l’interprétation de la restriction territoriale « dans les limites du Canada ».
[108] Je suis d’accord avec la procureure générale pour dire que le Canada a un intérêt important à l’égard de l’information à [***]. Cependant, le fait que le Canada ait ce genre d’intérêt n’est pas le seul facteur à prendre en compte pour établir si l’expression « dans les limites du Canada » empêche toute action extraterritoriale ou ne représente qu’une restriction partielle. Par exemple, [***].
[109] La procureure générale fait valoir que des évolutions technologiques ont rendu l’article 16 désuet ou inapplicable [***]. L’interprétation proposée par la procureure générale semble indiquer qu’en raison de l’intérêt important qu’a le Canada à l’égard des renseignements [***]. Cette interprétation semble être entièrement opposée à l’intention du législateur voulant que la collecte se déroule « dans les limites du Canada » et n’ait donc pas lieu en sol étranger. [***].
[110] [***]. J’analyserai cette question de manière approfondie ci-dessous, mais je souhaite réitérer le fait que la preuve décrite au paragraphe 12 du présent jugement laisse supposer que [***].
[111] Est-ce qu’une interprétation législative peut me pousser à ne pas tenir compte du fait que [***]. Même en se fondant sur une interprétation téléologique, on ne peut conclure que l’intérêt important du Canada à l’égard [***] l’emporte sur le libellé explicite et intentionnel de l’article 16. Je ne peux faire fi du fait que [***]. Je dois interpréter le libellé d’une disposition législative de manière réaliste, et l’argument fondé sur l’intérêt important ne peut pas à lui seul, par la création d’une fiction juridique, me permettre d’adhérer à la théorie selon laquelle [***].
b) La lacune perçue au chapitre de la collecte de renseignements étrangers
[112] La procureure générale fait valoir que le législateur n’aurait pas souhaité qu’il existe une lacune sur le plan de la collecte de renseignements étrangers, puisqu’il a adopté l’article 16 pour combler une telle lacune. [***] sera créée [***]. Elle étaye son argument en affirmant que le CST, qui a aussi une fonction liée au renseignement étranger, est tenu par la loi de ne pas recueillir de renseignement sur toute personne située au Canada et qu’il ne peut recueillir de renseignements étrangers que si la cible se trouve à l’extérieur du Canada. [***].
[113] Pour traiter cet argument correctement, il est nécessaire de définir le mandat du Centre de la sécurité des télécommunications en ce qui concerne l’article 16 de la Loi sur le SCRS. Tout comme le Service, le CST a un mandat relativement au renseignement étranger. Le CST acquiert et utilise des renseignements provenant de l’infrastructure mondiale d’information dans le but de fournir des renseignements étrangers au gouvernement du Canada. Toutefois, les activités de collecte du CST ne peuvent cibler des Canadiens, toute personne au Canada ou des entités situées au Canada [Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, articles 273.64 et 273.65] :
Mandat
273.64 (1) Le mandat du Centre de la sécurité des télécommunications est le suivant :
a) acquérir et utiliser l’information provenant de l’infrastructure mondiale d’information dans le but de fournir des renseignements étrangers, en conformité avec les priorités du gouvernement du Canada en matière de renseignement;
b) fournir des avis, des conseils et des services pour aider à protéger les renseignements électroniques et les infrastructures d’information importantes pour le gouvernement du Canada;
c) fournir une assistance technique et opérationnelle aux organismes fédéraux chargés de l’application de la loi et de la sécurité, dans l’exercice des fonctions que la loi leur confère.
Protection des Canadiens
(2) Les activités mentionnées aux alinéas (1)a) ou b) :
a) ne peuvent viser des Canadiens ou toute personne au Canada;
[…]
Limites
3) Les activités mentionnées à l’alinéa (1)c) sont assujetties aux limites que la loi impose à l’exercice des fonctions des organismes fédéraux en question.
Autorisation ministérielle
273.65 (1) Le ministre peut, dans le seul but d’obtenir des renseignements étrangers, autoriser par écrit le Centre de la sécurité des télécommunications à intercepter des communications privées liées à une activité ou une catégorie d’activités qu’il mentionne expressément.
Conditions
(2) Le ministre ne peut donner une autorisation que s’il est convaincu que les conditions suivantes sont réunies :
a) l’interception vise des entités étrangères situées à l’extérieur du Canada;
[…]
c) la valeur des renseignements étrangers que l’on espère obtenir grâce à l’interception justifie l’interception envisagée;
d) il existe des mesures satisfaisantes pour protéger la vie privée des Canadiens et pour faire en sorte que les communications privées ne seront utilisées ou conservées que si elles sont essentielles aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité. [Non souligné dans l’original.]
[114] En donnant au CST la compétence principale de recueillir des renseignements étrangers à l’extérieur du Canada, le législateur n’aurait pas pu avoir l’intention de conférer au Service les mêmes pouvoirs à l’article 16. Cette conclusion est appuyée par les résultats de l’examen parlementaire de la Loi sur le SCRS de 1991 cité ci-dessus, qui comprennent la reconnaissance du fait qu’il ne conviendrait pas de regrouper au sein d’un même organisme la fonction liée au renseignement de sécurité et celle liée au renseignement étranger. Qui plus est, le fait que le CST et le SCRS sont deux organismes distincts renforce la nécessité de mandats distincts qui ne se chevauchent pas. Autrement dit, le législateur n’aurait pu avoir l’intention qu’on fasse une interprétation générale de l’article 16 voulant qu’il englobe les activités nécessitant [***] puisque ces activités relèvent clairement du mandat du CST.
[115] La restriction « dans les limites du Canada » figurant à l’article 16 a toujours créé une lacune au chapitre du renseignement étranger en ce sens qu’il a toujours été interdit au Service de recueillir des renseignements n’étant pas situés au Canada. [***]. En ce qui a trait aux pouvoirs de collecte, la restriction territoriale a toujours créé une lacune qui, j’en conviens, a été exacerbée par l’évolution technologique [***].
[116] Bien que la situation soit loin d’être idéale pour le Service, je conclus que la lacune en matière de renseignement étranger n’est pas suffisamment apparente pour que j’adhère à l’interprétation téléologique proposée par la procureure générale. Je ne peux faire fi de l’intention claire du législateur voulant que les activités de collecte de renseignements en vertu de l’article 16 aient uniquement lieu au Canada.
c) L’évolution de la nature de [***]
[117] La procureure générale fait valoir que la technologie a évolué depuis l’époque à laquelle l’article 16 a été adopté, [***].
[118] Compte tenu des observations historiques faites ci-dessus, il est évident qu’en adoptant l’article 16, le législateur souhaitait conférer au Service un mandat secondaire limité en matière de collecte de renseignements étrangers afin qu’il puisse prêter assistance aux ministres respectifs. L’objet de la restriction territoriale était d’interdire au Service de mener à l’étranger des activités cachées et offensives controversées s’apparentant à celles menées par la CIA, un organisme civil du gouvernement fédéral américain établi en vertu de la National Security Act of 1947 [61 Stat. 498] et chargé de recueillir et d’analyser des renseignements en matière de sécurité nationale provenant de l’étranger. La CIA est autorisée par la loi à mener des activités cachées en sol étranger. Faisant allusion aux préoccupations des parlementaires canadiens au sujet d’un organisme s’apparentant à la CIA, le rapport Pitfield précise clairement que l’attribution au SCRS de la fonction liée au renseignement étranger n’était pas la première étape de la création d’un service de renseignement de sécurité qui agirait à l’étranger. Ce qui est absolument évident, c’est que le législateur ne souhaitait pas qu’on puisse interpréter l’article 16 comme autorisant des opérations de collecte de renseignements étrangers à l’extérieur du Canada.
[119] Les observations historiques révèlent également que l’inclusion d’une restriction territoriale visait à atténuer les risques politiques, diplomatiques et moraux liés à la tenue d’activités de collecte de renseignements étrangers, qui pourraient contrevenir à des lois étrangères et des lois du Canada et compromettre la réputation internationale du Canada et les politiques du pays en matière de défense. (Chambre des communes, Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, Une période de transition, mais non de crise : Rapport du Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité (septembre 1990), aux pages 41 et 42 (Président : Blaine Thacker).)
[120] La protection de la réputation du Canada et de ses relations diplomatiques a toujours été un facteur important dans le contexte des dispositions législatives portant sur la sécurité nationale. Dans le contexte du renseignement de sécurité, la Cour suprême du Canada a souligné l’importance de la tenue de bonnes relations avec les États étrangers. En effet, dans les arrêts Ruby et Charkaoui I, la Cour a déclaré que la non-communication de renseignements de nature délicate obtenus à titre confidentiel de gouvernements et d’organismes étrangers représente un objectif urgent et légitime aux fins de la protection des sources de renseignement de sécurité du Canada. La confidentialité est donc nécessaire pour qu’on puisse protéger les renseignements essentiels à la diplomatie, au renseignement et à la sécurité (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 [Charkaoui I], au paragraphe 68; Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, [2002] 4 R.C.S. 3 [Ruby], au paragraphe 44). Dans l’arrêt Ruby, la Cour suprême a donné l’explication suivante :
Les dispositions impératives pourvoyant à la tenue d’audiences ex parte et à huis clos ont pour objet d’éviter que les alliés et les sources de renseignements du Canada aient l’impression qu’une divulgation accidentelle pourrait survenir et que, pour cette raison, ils soient moins disposés à communiquer des renseignements à notre pays. Dans ses motifs, madame le juge Simpson a examiné cinq affidavits déposés par l’intimé, trois ayant été établis par le SCRS, la GRC et le ministère de la Défense nationale (« MDN ») respectivement, et deux par le ministère des Affaires étrangères (« MAE »). Les auteurs de ces affidavits insistent sur le fait que le Canada est un importateur net d’information et que l’information recueillie est nécessaire à la sécurité et à la défense du Canada et de ses alliés […]
[traduction] Le Canada n’est pas une grande puissance. Il n’a pas la même capacité de recueillir et d’évaluer l’information que les États-Unis, le Royaume-Uni ou la France, par exemple. Il ne peut offrir en échange le même volume et la même qualité de renseignements qu’il obtient des pays qui sont sa principale source d’information. Si la confiance de ces partenaires dans notre aptitude à protéger ces renseignements venait à être ébranlée, le fait que nous soyons une source d’information relativement moins importante que d’autres accroît le risque que les portes d’accès aux renseignements délicats nous soient fermées.
[121] Qui plus est, l’alinéa 17(1)b) de la Loi sur le SCRS permet au Service, avec l’autorisation du ministre des Affaires étrangères, de conclure des ententes ou, d’une façon générale, de coopérer avec le gouvernement d’un État étranger afin de fournir ou de recevoir des renseignements de sécurité ou étrangers. La protection de la réputation internationale du Canada ne concerne pas uniquement le maintien de bonnes relations diplomatiques avec des États étrangers; elle aide à établir un sentiment de confiance voulant que le Canada peut protéger les renseignements délicats que lui fournissent ses partenaires internationaux.
[122] En restreignant explicitement aux limites du Canada la collecte de renseignements étrangers, le législateur a confirmé son intention d’atténuer le risque de compromettre les relations diplomatiques et politiques avec des États étrangers. Autrement dit, les parlementaires ont jugé que la collecte de renseignements étrangers à l’extérieur du Canada est trop risquée sur le plan des relations diplomatiques pour qu’ils l’autorisent par une loi. La restriction territoriale représente l’intention du législateur de trouver un juste milieu entre les intérêts du Canada en ce qui concerne l’obtention de renseignements étrangers de grande qualité au pays et à l’étranger et les intérêts du pays à l’égard de la protection de ses relations diplomatiques et de sa réputation internationale. À la lumière de ces constatations, je suis d’accord avec l’amicus curiae pour dire qu’une justification fondée sur le fait que des avancées technologiques et l’évolution [***] lesquelles pourraient compromettre les relations diplomatiques du pays, est incompatible avec l’intention du législateur de restreindre aux « limites du Canada » la collecte afin de limiter les possibilités de répercussions diplomatiques.
[123] Les activités proposées dans la demande de mandat consistent essentiellement [***] ’ai du mal à croire que [***] ne minerait pas la réputation politique ou diplomatique du Canada à l’échelle internationale.
[124] Comme il a été mentionné précédemment, le Canada reçoit des renseignements de sécurité et des renseignements étrangers de pays alliés. La protection des relations étrangères du Canada garantit le flux permanent de ces renseignements. Ces facteurs stratégiques importants concernant la protection de la réputation internationale du Canada demeurent des éléments fondamentaux de la raison d’être de la Loi sur le SCRS.
d) Avancées technologiques : [***]
[125] La procureure générale avance également [***]. L’amicus curiae répond qu’il y aurait davantage lieu de présenter les arguments de la procureure générale au sujet de l’inapplicabilité de l’article 16 au législateur en vue de faire modifier la Loi sur le SCRS.
[126] La procureure générale fait valoir qu’il faut interpréter les textes de loi en fonction de la technologie moderne tout en transposant les termes législatifs pour leur donner une signification actualisée qui tient compte de l’évolution du contexte technologique [***].
[127] Je ne nie pas l’importance d’interpréter une loi en fonction de la technologie moderne et de transposer des termes pour leur attribuer une signification contemporaine. Je ne crois pas non plus qu’il soit réaliste que le législateur doive adopter une nouvelle disposition chaque fois que la technologie évolue puisqu’une telle approche serait selon moi contraire aux intérêts des Canadiens et à la bonne administration de la justice. Cependant, il est important de comprendre le contexte dans lequel les mandats sont accordés sous le régime de la Loi sur le SCRS. L’exécution ou l’existence du mandat n’est pas communiquée à la personne ou à l’organisation qui fait l’objet de l’interception. En effet, contrairement au Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], la Loi sur le SCRS n’exige pas qu’on avise la cible du mandat. Qui plus est, dans le contexte général de la sécurité nationale, où les instances ex parte sont fréquentes, seuls le libellé des textes de loi et la jurisprudence caviardée permettent aux Canadiens d’avoir un aperçu de ce domaine du droit. La signification textuelle des mots a donc une importance particulière dans ce contexte, puisque les Canadiens devraient pouvoir comprendre la portée des pouvoirs du Service en lisant la Loi.
[128] Ultimement, l’interprétation téléologique de la procureure générale pourrait ouvrir la voie à [***] qui ne représentent clairement pas la fin envisagée par le législateur lorsqu’il a adopté l’article 16. Je rejette l’interprétation téléologique de la procureure générale et je suis d’accord avec l’amicus curiae pour dire que le législateur n’aurait pas, sans le préciser expressément, autorisé le Service à [***].
[129] Je me dois également de rejeter complètement l’argument de la procureure générale selon lequel le législateur ne pouvait pas prévoir l’évolution de [***] et la façon dont la technologie moderne est utilisée [***]. Tel qu’il est mentionné ci-dessus, en 2015, le projet de loi C-44 a ajouté des pouvoirs extraterritoriaux aux articles 12, 15 et 21 de la Loi sur le SCRS. À mon avis, il va de soi qu’en 2015, lorsqu’il a choisi de ne pas modifier l’article 16, le législateur était conscient du fait que la technologie et la façon dont [***] avaient évolué depuis l’adoption de la Loi sur le SCRS en 1984.
[130] Autrement dit, l’interprétation téléologique proposée par la procureure générale n’est pas appuyée par l’intention précise du législateur démontrée par les observations historiques. [***] l’intérêt important du Canada à l’égard de l’information recherchée et la lacune perçue en matière de collecte de renseignements étrangers ne peuvent me pousser, en ma qualité de juge, à faire fi du libellé précis de la Loi. Ces arguments pourraient représenter des motifs convaincants pour justifier une modification de la Loi sur le SCRS, mais ils ne me persuadent pas d’adhérer à l’interprétation présentée par la procureure générale.
[131] L’intention sous-jacente à l’adoption de l’article 16 en 1984 n’appuie pas une interprétation selon laquelle « dans les limites du Canada » [***]. Comme il est susmentionné, au moment d’interpréter la Loi sur le SCRS, un juge doit s’en remettre aux limites strictes de celle-ci. Le libellé de l’article 16 est clair; l’expression « dans les limites du Canada » est restrictive et ne permet pas [***]. L’assistance du Service doit être offerte dans les limites du Canada.
4) La présomption de respect du droit international
[132] Bien que la procureure générale ne se penche pas directement sur les principes du droit international et n’en discute pas en détails, et même si ces principes ne sont pas déterminants dans l’affaire en cause, je conclus qu’il est tout même important de les examiner ci-dessous. Dans l’arrêt R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292 (Hape), au nom de la majorité, le juge LeBel a analysé les principes du droit international coutumier et la façon dont ils peuvent restreindre les activités que les États peuvent légitimement mener à l’extérieur de leurs frontières en fonction d’un mandat conféré par le législateur.
[133] Le juge LeBel explique premièrement qu’à moins que le législateur indique clairement le contraire, le droit international coutumier est incorporé directement au droit interne en application de la common law sans que le législateur ait à intervenir (Hape, aux paragraphes 35 à 39) :
[…] À mon avis, conformément à la tradition de la common law, il appert que la doctrine de l’adoption s’applique au Canada et que les règles prohibitives du droit international coutumier devraient être incorporées au droit interne sauf disposition législative contraire. L’incorporation automatique des règles prohibitives du droit international coutumier se justifie par le fait que la coutume internationale, en tant que droit des nations, constitue également le droit du Canada à moins que, dans l’exercice légitime de sa souveraineté, celui-ci ne déclare son droit interne incompatible. La souveraineté du Parlement permet au législateur de contrevenir au droit international, mais seulement expressément. Si la dérogation n’est pas expresse, le tribunal peut alors tenir compte des règles prohibitives du droit international coutumier pour interpréter le droit canadien et élaborer la common law. [Non souligné dans l’original.]
[134] Deuxièmement, le juge déclare que le principe du respect de la souveraineté et de l’égalité des États étrangers est un élément fondamental du droit international coutumier. La souveraineté s’entend des différents pouvoirs, droits et obligations que confère la qualité d’État. Parmi ces pouvoirs, on compte la compétence, c’est-à-dire le pouvoir d’exercer son autorité à l’égard de personnes, d’actes et d’événements, et le pouvoir d’utiliser et d’aliéner son territoire (Hape, aux paragraphes 40 à 46). Le juge poursuit en expliquant que la souveraineté et l’égalité exigent la non-intervention et le respect de la souveraineté territoriale de tout État étranger :
Pour préserver la souveraineté et l’égalité, les droits et les pouvoirs des États se doublent d’obligations corrélatives au sommet desquelles figure la non-intervention. L’exercice de la souveraineté tient au droit d’un État d’échapper à toute ingérence étrangère et à l’obligation des autres États de s’abstenir de s’ingérer dans ses affaires. Le principe de la non-intervention est indissociable de la notion d’égalité souveraine et du droit de tout État d’agir à son gré sur son territoire, sous réserve des restrictions imposées par le droit international.
[135] Troisièmement, le juge LeBel explique que le principe de la courtoisie internationale, bien qu’il ne s’agisse pas d’une obligation légale, peut servir à des fins d’interprétation. La courtoisie est une combinaison des « mesures informelles que prennent les États et des règles qu’ils observent dans leurs rapports mutuels par politesse, convenance et bonne volonté » (Hape, aux paragraphes 47 à 52). En adhérant à ce principe, la personne qui interprète devrait éviter des interprétations qui pourraient avoir une influence sur la souveraineté d’un État étranger ou y porter atteinte par déférence et respect pour les actes qu’un autre État a légitimement accomplis sur son territoire. Le juge LeBel explique ce qui suit :
[…] Le droit international est un ordre juridique positif, alors que la courtoisie — assimilable à un principe d’interprétation — se fonde sur la volonté que les États agissent avec civilité les uns envers les autres. Néanmoins, de nombreuses règles de droit international promeuvent le respect mutuel et, à l’inverse, la courtoisie entre les États exige l’observation de certaines règles de droit. Ainsi, [traduction] « courtoisie et droit international s’appuient l’un l’autre » : M. Akehurst, « Jurisdiction in International Law » (1972-1973), 46 Brit. Y.B. Int’l L. 145, p. 215. Le principe de la courtoisie ajoute à l’égalité souveraine et contribue au fonctionnement du système juridique international. Les actes de courtoisie sont justifiés en ce qu’ils facilitent les rapports entre les États et la collaboration générale. Toutefois, la courtoisie n’a plus sa place lorsqu’elle est de nature à miner les relations pacifiques entre États et l’ordre mondial.
[136] Quatrièmement, le juge LeBel réitère le principe d’interprétation législative bien établi selon lequel une loi est réputée conforme au droit international à moins d’indication contraire dans une loi du Parlement. La Cour suprême décrit la présomption de la manière suivante [au paragraphe 53] :
[…] Cette présomption se fonde sur le principe judiciaire selon lequel les tribunaux sont légalement tenus d’éviter une interprétation du droit interne qui emporterait la contravention de l’État à ses obligations internationales, sauf lorsque le libellé de la loi commande clairement un tel résultat. Dans Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 422, R. Sullivan explique que la présomption comporte deux volets. D’une part, l’organe législatif est présumé agir conformément aux obligations du Canada en tant que signataire de traités internationaux et membre de la communauté internationale. Appelé à choisir entre diverses interprétations possibles, le tribunal doit éviter celles qui emporteraient la violation de ces obligations. D’autre part, l’organe législatif est présumé respecter les valeurs et les principes du droit international coutumier et conventionnel. Le tribunal privilégie donc l’interprétation qui reflète ces valeurs et ces principes, lesquels font partie du contexte d’adoption des lois. La présomption est toutefois réfutable. La souveraineté du Parlement exige que le tribunal donne effet à une loi qui exprime l’intention non équivoque du législateur de manquer à une obligation internationale. [Non souligné dans l’original.]
[137] Tout comme la présomption de respect, la présomption contre l’extraterritorialité est une présomption de common law réfutable fondée sur le respect de la compétence d’un État étranger relative à son territoire (voir Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077). La présomption s’entend de la notion selon laquelle on [traduction] « prête[ra] en principe au législateur la volonté de faire coïncider les limites spatiales de l’effet de ses lois avec les frontières du territoire soumis à sa compétence » (PA Côté 2011, précité, à la page 212).
[138] Dans l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Association canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427 (SOCAN), la Cour suprême a réitéré l’importance du principe, mais a mis l’accent sur sa nature réfutable s’il y a un libellé clair à l’effet contraire [aux paragraphes 54 et 55] :
Même si, contrairement aux législatures provinciales, le Parlement du Canada a le pouvoir d’adopter une loi ayant une portée extraterritoriale, en l’absence d’un libellé clair ou d’une déduction nécessaire à l’effet contraire, il est présumé ne pas avoir voulu le faire. Il en est ainsi parce qu’« [é]tant donné la facilité de voyager dans le monde moderne et l’émergence d’un ordre économique mondial, la situation deviendrait souvent chaotique si le principe de la compétence territoriale n’était pas respecté, du moins de façon générale »; voir Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022, p. 1051, le juge La Forest.
Bien que la notion de courtoisie ne soit pas reconnue constitutionnellement entre les États indépendants comme elle l’est entre les provinces de la fédération canadienne (Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, p. 1098) et qu’elle n’ait pas pour effet de restreindre la compétence législative du Parlement, les tribunaux tiennent néanmoins pour acquis, à défaut d’un libellé manifestement contraire, que le législateur n’a pas voulu conférer à une loi une portée extraterritoriale. [Non souligné dans l’original.]
[139] Enfin, dans l’arrêt Hape, le juge LeBel a établi les divers types de compétence applicables à la question de l’extraterritorialité des lois. En ce qui concerne l’affaire en cause, un des concepts particulièrement importants est celui de la compétence d’exécution, lequel est décrit comme étant le pouvoir de l’État de recourir à des moyens coercitifs pour donner effet à ses lois internes et les faire respecter. Sous l’égide de la compétence d’exécution se retrouve la compétence d’enquête, laquelle correspond au pouvoir de faire enquête sur des questions afin de donner effet aux lois internes et de les faire respecter (Hape, au paragraphe 58). Au titre du droit international coutumier, un État ne peut exercer sa compétence d’exécution sous quelque forme que ce soit sur le territoire d’un autre État à moins d’agir en vertu d’une coutume ou convention internationale. Si un État exerçait ses pouvoirs sur le territoire d’un État étranger sans obtenir le consentement de celui-ci, cet acte représenterait une violation de la souveraineté territoriale et du droit international. Ainsi, toute application extraterritoriale d’une loi interne dans un pays étranger sans l’autorisation du pays en question ou sans un motif fondé sur le droit international peut être considérée comme portant atteinte à la souveraineté territoriale. Dans l’arrêt Hape, le juge LeBel a fait la déclaration suivante [au paragraphe 65] :
Dans l’Affaire du « Lotus », la Cour permanente de justice internationale a conclu que la compétence « ne pourrait être exercée hors du territoire, sinon en vertu d’une règle permissive découlant du droit international coutumier ou d’une convention » (p. 18-19) (voir aussi l’arrêt Cook, par. 131). Cette décision confirme que la compétence extraterritoriale est régie par le droit international et ne relève donc pas de la seule volonté des États individuels. S’il est vrai que le droit international reconnaît la compétence extraterritoriale — normative, d’exécution ou juridictionnelle —, il lui impose des limites strictes fondées sur les principes de l’égalité souveraine, de la non-intervention et de la territorialité. Le principe de non-intervention veut qu’un État s’abstienne d’invoquer sa compétence d’exécution extraterritoriale dans un domaine où, suivant le principe de la souveraineté territoriale, l’autre État peut exercer son pouvoir décisionnel en toute liberté et autonomie (voir l’avis de la Cour internationale de justice dans l’Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, p. 108). Par conséquent, il est bien établi qu’un État peut faire appliquer ses lois à l’étranger seulement s’il obtient le consentement de l’État en cause ou, à titre exceptionnel, si le droit international l’y autorise par ailleurs. Voir Brownlie, p. 306; Oppenheim’s International Law, p. 463. Le principe du consentement se révèle fondamental pour toute revendication de la compétence d’exécution extraterritoriale.
[140] Durant son interprétation de la portée de l’article 12, le juge Blanchard, dans la décision SCRS (Re) 2008, a analysé la question de la compétence d’exécution ou d’enquête dans le contexte de la collecte de renseignement de sécurité par le Service. La demande de mandat en jeu dans cette affaire visait à conférer au Service le pouvoir de recueillir des renseignements dans un État étranger. Faisant fond sur le raisonnement de la Cour suprême dans l’arrêt Hape, le juge Blanchard a conclu que la Cour ne pouvait délivrer un mandat puisque le législateur n’avait pas conféré au Service les pouvoirs extraterritoriaux de mener des activités à l’étranger. Le juge a expliqué qu’un tel mandat violerait le droit international puisque les activités intrusives de collecte de renseignement visées par le mandat porteraient clairement atteinte aux lois internes du pays étranger. Qui plus est, si elles n’étaient pas autorisées explicitement par le pays en question, les activités d’enquête violeraient probablement les principes de souveraineté territoriale, de non-intervention et de courtoisie des nations, lesquels ont évolué de manière à protéger les États contre l’ingérence de la part des autres États (SCRS (Re) 2008, aux paragraphes 42 à 53). En refusant d’accorder le mandat, le juge Blanchard a fait la déclaration suivante : « Cela reviendrait à exiger que j’attache un sens aux dispositions applicables de la Loi, un pouvoir confié à la Cour d’autoriser des activités qui contreviennent aux principes susmentionnés du droit international coutumier. Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, une telle mission doit être expressément prévue dans la Loi » (SCRS (Re) 2008, au paragraphe 55).
[141] [***]. La question à trancher dans l’affaire en cause est celle de savoir si le législateur a conféré à la Cour au moyen d’une loi le pouvoir de décerner un mandat qui serait [***].
[142] Bien que le principe susmentionné du droit international coutumier ne soit pas déterminant en ce qui a trait aux questions en jeu, je dois en tenir compte afin d’éclairer mon analyse de la portée territoriale de l’article 16. Comme il a été mentionné ci-dessus, le principe de la courtoisie des nations est ancré dans le respect de la dignité de chaque État. Le principe facilite également les relations entre les États et la coopération mondiale. Le législateur peut adopter des mesures législatives qui contreviennent au droit international et manquent volontairement à la courtoisie des nations, mais il doit le faire clairement. Ainsi, à moins que le contraire soit clairement indiqué, il faut supposer que les lois canadiennes sont conformes au droit international. L’interprétation de « dans les limites du Canada » proposée par la procureure générale nuirait aux relations entre les États et n’est pas conforme au principe de la courtoisie des nations. Cette constatation est particulièrement importante compte tenu de la conclusion de la Cour selon laquelle l’expression « dans les limites du Canada » a été ajoutée afin d’atténuer les risques que l’article nuise aux relations internationales du Canada.
[143] Il est également raisonnable de supposer que les lois internes d’un État n’autoriseraient pas [***]. Je peux aussi supposer que les lois internes d’un État n’autoriseraient clairement pas [***]. Toutefois, il y a au sein du droit international une incertitude quant à la légalité [***]. Une telle approche consisterait-elle en une application extraterritoriale du pouvoir d’exécution qui porterait atteinte à la souveraineté territoriale de l’État visé?
[144] [***]. Pour trancher la question, il faut analyser le principe susmentionné de souveraineté territoriale afin d’établir si [***] porteraient atteinte à la souveraineté de ce pays.
[145] [***].
[146] Qui plus est, étant donné que l’article 16 a pour objet la fourniture de [***] au ministre, il serait illogique que le Service doive [***] le législateur n’aurait pu avoir l’intention que « dans les limites du Canada » ouvre secrètement la voie à la violation de la souveraineté d’un État étranger.
[147] Sans une autorisation expresse qui modifie la restriction « dans les limites du Canada » figurant à l’article 16 ou y crée une exception, je dois tenir compte du principe de la conformité au droit international dans mon interprétation de cet article. Pour adhérer à l’argument de la procureure générale selon lequel « dans les limites du Canada » a une dimension internationale, je devrais faire fi des principes établis du droit international. Au titre de ces principes, [***]. Comme c’est le cas en ce qui concerne la délivrance de mandats liés à des menaces prévus au paragraphe 21(3.1), le législateur n’a pas à l’article 16 donné aux juges le pouvoir d’autoriser le SCRS à violer les lois d’un État étranger.
[148] Je suis d’accord avec l’amicus curiae pour dire que les éléments de preuve reproduits ci-dessus au paragraphe 12 appuient la conclusion [***].
[149] Enfin, à mon avis, le caractère explicite de l’expression « dans les limites du Canada » ne réfute pas la présomption contre l’extraterritorialité. Cette conclusion est renforcée par les modifications de 2015 à la Loi sur le SCRS. Il y a une distinction textuelle expresse entre la portée territoriale de l’expression « dans les limites du Canada » et de l’expression « même à l’extérieur du Canada ». Je suis d’accord avec l’amicus curiae pour dire que l’autorisation extraterritoriale expresse à l’article 12 et la restriction territoriale expresse à l’article 16 visaient à signaler une distinction importante entre la portée territoriale des divers mandats du Service. Je ne peux trouver un appui pour l’argument selon lequel « dans les limites du Canada » visait à réfuter la présomption contre l’extraterritorialité.
VII. [***]
[150] La procureure générale fait valoir que [***]. L’amicus curiae conteste en affirmant [***] et que la Loi sur le SCRS ne confère donc pas à la Cour le pouvoir d’autoriser le mandat. Il souligne que [***]. Il souligne également le témoignage de [***] l’auteure de l’affidavit (voir le paragraphe 12 des motifs), dans laquelle elle atteste le fait que [***]. Ce témoignage appuie la conclusion selon laquelle, [***].
[151] La question fondamentale à trancher par la Cour concerne la compétence. Est-ce que la Loi sur le SCRS donne à la Cour la compétence d’autoriser au moyen d’un mandat les activités visées? [***]. Étant donné le libellé clair de l’article 16 cité précédemment, la Cour peut-elle assumer la compétence de décerner un mandat [***].
A. [***] ce qui est d’interpréter l’article 16 de la Loi sur le SCRS?
[152] [***].
[153] [***]. Plus important encore, la Loi, à l’article 2, définit une menace comme englobant des activités qui « touchent le Canada ou s’y déroulent ». Aussi, l’amicus curiae fait valoir que l’article 12 est en soi défensif; il fait intervenir le droit du Canada de se défendre contre une menace provenant du Canada ou de l’étranger. [***] 1) le Canada ne peut invoquer le concept de l’autodéfense pour justifier une collecte en vertu de l’article 16, 2) il n’y a aucun besoin d’avoir recours à la doctrine implicite ayant trait au droit international puisque le législateur a expressément indiqué sa volonté et, 3) tel qu’il est expliqué plus haut, le législateur souhaitait établir une distinction au chapitre de la portée territoriale entre les articles 12 et 16.
[154] Je suis d’accord avec les observations soulevées par l’amicus curiae : Premièrement, les mandats conférés par les articles 12 et 16 sont extrêmement différents. L’article 12 est en soi offensif et défensif; il fait intervenir le droit du Canada de prendre des mesures pour se défendre contre des menaces même à l’extérieur du Canada. Deuxièmement selon la Loi, les menaces dont il est question à l’article 12 sont des activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent, ce qui laisse certainement supposer une possibilité d’intention extraterritoriale. Troisièmement, comme il a été mentionné ci-dessus, la version précédente de l’article 12 ne comportait aucune restriction géographique, et le pouvoir extraterritorial y étant désormais expressément prévu ainsi que la restriction expresse à l’article 16 représentent l’intention du législateur d’établir un clivage important au chapitre de la portée territoriale des deux dispositions. L’ambiguïté de l’ancienne version de l’article 12 quant à sa portée territoriale ne constitue pas une restriction expresse telle que celle figurant à l’article 16. [***].
B. La Cour devrait-elle tenir compte [***]
[155] [***].
[156] [***].
[157] [***].
[158] [***].
[159] [***].
[160] [***].
[161] [***]. Également, l’historique législatif et jurisprudentiel de ces affaires n’impose pas une interprétation restrictive telle que celle exigée par la Loi sur le SCRS. Pour effectuer une bonne analyse contextuelle, il est essentiel de tenir compte des principes d’interprétation propres à chaque régime. Citons à titre d’exemple la jurisprudence du Canada en matière de droit d’auteur, laquelle a reconnu l’équilibre entre les créateurs et les utilisateurs de matériel faisant l’objet d’un droit d’auteur à titre de principe directeur à appliquer au moment d’interpréter le libellé de la Loi sur le droit d’auteur [L.R.C. (1985), ch. C-42] (Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336). Citons également la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1], dont les dispositions doivent être interprétées de manière à assurer l’uniformité, la prévisibilité et l’équité pour les contribuables (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; [***].
[162] [***].
[163] [***].
[164] [***].
[165] [***].
[166] [***].
[167] [***] l’article 16 permette à un juge d’autoriser le même résultat que celui qui s’est produit en ce qui concerne l’article 12.
C. [***] le Service agirait-il « dans les limites du Canada »?
[168] [***].
[169] [***].
[170] [***].
[171] [***] qui serait certainement incompatible avec l’objectif qu’avait le législateur en adoptant l’article 16. [***].
VIII. CONCLUSION
[172] Tel qu’il a été mentionné précédemment, l’interprétation correcte de l’expression « dans les limites du Canada » est « seulement au Canada ». Si la Cour en faisait une autre interprétation, elle réécrirait essentiellement l’article. Je conclue que [***]. Ainsi, la Cour n’a pas la compétence de délivrer le mandat demandé afin d’autoriser [***].
[173] Je suis conscient que la technologie et les méthodes utilisées [***] grandement évolué depuis l’adoption de l’article 16 en 1984. [***].
[174] La demande en cause ne nécessite pas l’interprétation de droits garantis par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés]. Il s’agit d’interpréter des pouvoirs intrusifs de l’État que le législateur, avec l’appui de la magistrature, a modulé attentivement afin de s’assurer qu’ils soient conformes à la Constitution. Tel qu’il est susmentionné, s’il faut que la portée de l’article 16 soit élargie pour que le Service puisse aider les ministres efficacement, celui-ci devrait s’adresser au Parlement, puisqu’il s’agit là de la tribune où il convient d’aborder les « lacunes » définies par la procureure générale.
[175] Je n’ai pas la permission de délivrer un mandat autorisant des activités extraterritoriales puisque le législateur ne m’a clairement pas donné ce pouvoir en matière de mandat. Je suis très préoccupé par le fait que l’interprétation avancée par la procureure générale pourrait ouvrir la voie à d’autres activités que le législateur n’avait pas prévues. L’autorisation d’activités qui n’ont pas fait l’objet d’un débat public au Parlement et qui ne sont pas visées par des contrôles judiciaires et législatifs stricts dérogerait à l’approche traditionnelle du législateur à l’égard de la Loi sur le SCRS.
[176] C’est le législateur et non un tribunal qui devrait trancher ces questions stratégiques à volets multiples qui ont une incidence dépassant de loin les frontières du Canada. Le législateur dispose des pouvoirs nécessaires pour établir un équilibre entre les intérêts conflictuels que sont les pouvoirs efficaces en matière d’application et de sécurité nationale, les questions de souveraineté nationale et de courtoisie des nations et les questions stratégiques liées au commerce sur Internet et au droit à la protection de la vie privée. En raison du rythme rapide de la numérisation, la complexité des questions juridiques qui mettent en jeu des questions de compétence augmente constamment. Le législateur devrait chercher à clarifier ces questions importantes en matière de compétence dans le contexte général de la loi fédérale.
[177] [***]. Cependant, le législateur pourrait facilement éliminer ce problème s’il jugeait pertinent de le faire. Par exemple, l’ajout de « même à l’extérieur du Canada » à l’article 16 donnerait à la Cour le pouvoir d’autoriser [***]. Par opposition, si le législateur souhaite continuer d’empêcher le Service de [***] qui pourrait permettre à un juge de la Cour de délivrer un mandat à cet effet.
[178] [***] devrait être abordée rapidement par le législateur. Cependant, même si je souhaitais le contraire, je ne peux interpréter la Loi dans sa version actuelle d’une manière qui remédierait à cette situation inquiétante.
[179] Afin d’adopter l’approche téléologique proposée par la procureure générale [***] la Cour devrait faire fi du sens ordinaire de l’expression « dans les limites du Canada », de l’historique législatif cohérent interdisant au Service de mener des activités intrusives à l’étranger et de la preuve claire démontrant que [***]. Concrètement, la procureure générale demande à la Cour d’interpréter « dans les limites du Canada » [***]. L’argument de la procureure générale conférerait au soussigné un rôle législatif qui n’appartient pas, dans les circonstances actuelles, à la magistrature.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de mandat visant [***] l’État étranger dans le but d’offrir de l’assistance au ministre [***] en vertu de l’article 16 de la Loi sur le SCRS est rejetée;
2. Une fois la décision traduite, on demandera aux avocats de la procureure générale et à l’amicus curiae d’examiner et de caviarder les motifs du jugement tout en cherchant à publier une version caviardée compréhensible;
3. Le SCRS et l’amicus curiae disposeront de 15 jours pour effectuer l’examen et faire rapport à la Cour.
IX. BIBLIOGRAPHIE
Lectures essentielles
La « Commission McDonald »
• Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Premier rapport : Sécurité et Information, (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1980).
• Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Deuxième rapport : La Liberté et la sécurité devant la loi, vols. 1–2 (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981).
• Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Troisième rapport : Certaines activités de la GRC et la connaissance qu’en avait le gouvernement (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981).
Le « Rapport Pitfield »
• Canada. Parlement. Sénat. Rapport du comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité. Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada (novembre 1983) (Président : P.M. Pitfield).
• Canada. Parlement. Sénat. Délibérations du Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité, La teneur du Projet de loi C-157 intitulé « Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité », 32e lég., 1re sess., fascicules nos 3-11 (19 août au 22 septembre 1983) (Président : P.M. Pitfield).
La réponse du gouvernement au « Rapport Pitfield »
• Canada. Parlement. Chambre des communes. Réponse du gouvernement au Rapport du Comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de Sécurité (janvier 1984).
Les Procès-verbaux du Comité permanent de la justice et des questions juridiques concernant la discussion sur la Loi sur le SCRS en 1984
• Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, 32e lég., 2e sess., fascicule no 28 (24 mai 1984) (Président : Claude-André Lachance).
Le Rapport quinquennal obligatoire suivant l’adoption de la Loi sur le SCRS
• Canada. Parlement. Chambre des communes. Une période de transition mais non de crise : Rapport à la Chambre des communes du Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité (septembre 1990) (Président : Blaine Thacker).
• Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignage du Comité spécial d’Examen de la Loi constituant le SCRS et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, Concernant : Travaux futurs, 34e lég., 2e sess., fascicule no 9 (16 janvier 1990) (Président : Blaine Thacker).
• Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 1988–1989 (Ottawa : Ministre des approvisionnements et Services Canada, 30 septembre 1989) (Président : Ron Atkey).
• Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Modifications à la loi sur le SCRS : propositions au comité spécial de la Chambre des communes (Ottawa : Ministre des approvisionnements et Services Canada, 1989).
La Réponse du gouvernement au Rapport quinquennal obligatoire
• Canada. Solliciteur général du Canada. Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 1990 : réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité (février 1991) (Solliciteur général : Pierre H. Cadieux).
L’intérêt du gouvernement à l’égard d’un organisme canadien de collecte de renseignements étrangers
• Canada. Parlement. Sénat. Délibérations du Comité sénatorial permanent de la Sécurité nationale et de la défense, 39e lég., 1re sess., fascicule no 13 (26 mars 2007) (Président : Colin Kenny).
• Canada. Parlement. Chambres des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, Témoignages, 39e lég., 1re sess, fascicule no 44 (15 mai 2007) (Président : Garry Breitkreuz).
Le Rapport annuel de 2012–2013 du CSARS
• Canada. Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rapport annuel 2012–2013 : Combler les lacunes (Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 30 septembre 2013).
Projet de loi C-44
• Canada. Parlement. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, Témoignages, 41e lég., 2e sess., fascicule no 40 (24 novembre 2014) (Président : Daryl Kramp).
Ressources supplémentaires
• Bibliothèque du Parlement. Direction de la recherche parlementaire. Bulletin d’actualité 84-27F. Le Service canadien du renseignement de sécurité, par Philip Rosen (Ottawa : Direction de la recherche parlementaire de la Bibliothèque du Parlement, 18 septembre 1984 (révisé le 24 janvier 2000)).
• Service canadien du renseignement de sécurité. Renseignement et politiques : Constantes et évolution, par Blair Seaborn, Commentaire no 45 (Ottawa : Sécurité publique et Protection civile, juin 1994).