[1970] R.C.É. NELSON v. NELSON 957 La Reine (Demanderesse) v. Scheer Ltd (Défenderesse) Le Juge Walsh—Montréal, le 12 janvier; Ottawa, le 3 février 1971. [TRADUCTION] Assurance-chômage—Ordonnances et règlements—Règlements déclarant assurable l'emploi des chauffeurs de taxi travaillant d leur propre compte—La loi autorise-t-elle un tel règlement?—Loi sur l'assurance-chômage, 1955, c. 50, art. 26(1)d)— Règlements sur l'assurance-chômage, C.P. 1960-610 du 4 avril 1966; mod. C.P. 1968-1181 du 19 juin 1968, Reg. 64B. L'article 26(1)d) de la Loi sur l'assurance-chômage, 1955, c. 50, n'autorise pas la Commission à établir un règlement déclarant assurable l'emploi des chauffeurs de taxi travaillant à leur compte. QUESTION de droit posée conformément à l'art. 18 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier. Paul M. 011ivier, c.r., pour la demanderesse. J. A. Robb et J. Martineau pour la défenderesse. R. W. McKimm pour Blue Line Taxi Co. H. Lanctot pour le Procureur Général du Québec. LE JUGE WALSH—La présente affaire, qui exige une décision sur une question de droit, a été portée devant le tribunal en vertu d'un accord conclu le 9 octobre 1970 entre Sa Majesté la Reine, du chef du Canada, représentée par le Sous-Procureur Général du Canada, et la Scheer Limited, aux termes des dispositions de l'art. 18(1)g) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier qui est ainsi rédigé: 18. (1) La Cour de l'Échiquier a aussi juridiction exclusive en première instance pour entendre et juger les matières suivantes: * * *
(1.970] R.C.E. LA REINE v. SCHEER 959 g) la somme à verser lorsque la Couronne et une personne sont convenues par écrit que la Couronne ou cette personne doit verser une somme d'argent que doit fixer la Cour de l'Échiquier ou toute question de droit ou de fait à l'égard de laquelle la Couronne et une personne sont convenues par écrit que cette question de droit ou de fait doit être déterminée par la Cour de l'Échiquier. En vertu de cet accord, la question de droit que je suis appelé à trancher est la suivante: «Le règlement 64B des Règlements sur l'assurance-chômage, établi par décret du Conseil C.P. 1960-610 du 4 avril 1966, modifié par décret du Conseil C.P. 1968-1181 du 19 juin 1968, est-il nul en totalité ou en partie, et dans ce dernier cas, quelle partie? , II serait utile de passer rapidement en revue l'historique du litige qui est à l'origine de cette question de droit. Le 29 décembre 1969, la Commission de l'assurance-chômage a fait déposer auprès de la Cour de l'Échiquier un certificat, conformément à l'art. 104 de la Loi sur l'assurance-chômagel, par lequel une somme de $9,173.08 était réclamée à la Scheer Limited à titre de contribution due selon l'art. 37 de ladite Loi (article qui indique les sommes que «tout employeur doit, pour chaque semaine au cours de laquelle il occupe un assuré à un emploi assurable, payer, à l'égard de cet assuré», ledit payement consistant en une contribution pour le compte de la personne assurée et une égale contribution pour le compte de l'em-ployeur). Selon l'art. 104 de la Loi de l'assurance-chômage, tous les montants autres que les prestations payables en vertu de ladite Loi sont des dettes envers Sa Majesté et recouvrables dès la production par la Com- mission d'un certificat quant au montant qui n'a pas été payé. L'article 104 (3) est ainsi rédigé: «104. (3) Sur production à la Cour de l'Échiquier du Canada, un certificat établi selon le présent article doit être enregistré par la Cour et, une fois enre-gistré, il a la même force et le même effet, et peut servir de base à toutes procédures intentées au même titre, que si le certificat était un jugement obtenu devant la Cour pour une dette du montant spécifié dans le certificat, plus l'intérêt jusqu'au jour du payement., En réclamant ledit montant à la Scheer Limited, la Commission s'est appuyée notamment sur l'art. 64B des Règlements de l'assurance-chô-mage, dont les deux premiers paragraphes, suite à la modification du 19 juin 1968, sont ainsi rédigés: =64B. (1) Sauf les emplois exceptés, doit être classé parmi les emplois assurables l'emploi de toute personne "qui a) est employée en qualité de conducteur de taxi, d'autobus commercial ou de tout autre véhicule utilisé par une entreprise privée ou un établissement public pour le transport de personnes, et b) n'est pas le propriétaire du véhicule, ni le propriétaire ou l'exploitant de l'entreprise privée ou de l'établissement public qui utilise le véhicule pour le transport des personnes, peu importe que cette personne travaille à son compte ou autrement qu'en vertu d'un contrat de service. (2) A toutes les fins de la loi et des présents règlements, l'exploitant ou le propriétaire de l'entreprise privée ou de l'établissement public qui utilise un des 2 1955 (Can.), c. 50.
[1970] R.C.É. LA REINE v. SCHEER 961 véhicules dont il est question au paragraphe (1) pour transporter des personnes est censé être l'employeur de toutes personnes dont l'emploi constitue un emploi assurable aux termes du paragraphe (1).. Le paragraphe (3) stipule que lorsque l'exploitant ou le propriétaire d'une entreprise privée ou d'un établissement public ne peut établir les gains dont il doit être tenu compte aux fins du calcul des contributions payables, ils seront censés être de $100 par semaine, ou $20 par jour lorsque l'exploitant ou le propriétaire de l'entreprise privée ou de l'établissement public tient un registre où figure le nombre de jours de travail accomplis chaque semaine par la personne en cause. Cette présomption est susceptible d'être réfutée si la personne concernée peut prouver, à la satisfaction de l'inspecteur, que ses gains hebdomadaires sont inférieurs à $100 ou que son emploi est excepté par l'art. 27 q) de la Loi (gains excédant $7,800 par an). Le règlement primitif, entré en vigueur le 4 avril 1966 et en force lorsque la cotisation sur laquelle cette réclamation se fonde, était dans l'ensemble similaire, sauf par le fait que la modification de 1968 a remplacé le terme «operating» par celui «driving» dans la version anglaise de l'al. a) du par. (1) *, et a ajouté, à la suite des termes «propriétaire du véhicule> à l'al. b) du par. (1), les termes «ni le propriétaire ou l'exploitant de l'entreprise privée ou de l'établissement public qui utilise le véhicule pour le transport des personnes», et ajouté les termes «l'expoitant ou» avant le terme «le propriétaire» dans le par. (2), et fixé les supposés gains hebdoma-daires à $100 ou $20 par jour au lieu de $69, au par. (3), toujours sous réserve du droit de la personne en cause de faire la preuve du contraire. La production du certificat par la Commission le 29 décembre 1969, concernant une somme due de $9,173.08, a suivi la décision que l'arbitre a prise sur un appel en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage de la décision initiale de la Commission de l'assurance-chômage sous son n° 1206 du 9 février 1968, cotisant la Scheer Limited et d'autres intéressés auxdites contributions. La décision de mon collègue le juge Kerr, agissant à titre d'arbitre en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage, décision en date du 16 juin 1969, a confirmé la décision de la Commission selon laquelle l'emploi des conducteurs de taxi en cause était un emploi assurable au sens de l'art. 64B des Règlements, et à la suite de cette conclusion il a estimé qu'il n'était pas nécessaire de décider s'il y avait ou non un contrat de service implicite, bien qu'il ait déclaré: «Je suis porté à croire que la substance et le vrai caractère des relations entre les appelants et les conducteurs sont ceux d'employeur-employé en vertu d'un contrat de service implicite ..._ Selon l'art. 34 de la Loi sur l'assurance-chômage, la décision de l'arbitre dans ledit appel «est définitive et non susceptible d'appel à une cour quel-conque ni de révision par cette dernière>. Le point de vue de la Scheer Limited est que l'art. 64B des Règlements est nul parce que son objet excède les pouvoirs de la Commission dans la mesure où il est censé inclure comme emploi assurable «une personne qui * La version française restait inchangée utilisant les mots «employé en qualité de conduc-teur. dans les deux versions.
19701 R.C.É. LA REINE v. SCHEER 963 travaille à son compte» ou «autrement qu'en vertu d'un contrat de service», ou encore qu'il est nul du fait que l'art. 26 (1) d) de la Loi sur l'assurance-chômage en vertu duquel il a été créé est ultra vires du Parlement du Canada dans la mesure où il est censé autoriser la Commission à inclure, par règlement, comme emploi assurable le «travail à son compte» ou un «autrement qu'en vertu d'un contrat de service». Ledit art. 26(1) d) est ainsi rédigé: '26. (1) Avec Papprobation du Gouverneur en Conseil, la Commission peut édicter des règlements en vue d'inclure dans l'emploi assurable, * * * d) tout emploi, s'il apparaît à la Commission que la nature du travail accompli par des personnes s'adonnant à cet emploi est semblable à la nature du travail accompli par des personnes s'adonnant à un emploi assurable. La Scheer Limited a essayé de saisir la Cour supérieure du Québec de cette affaire, conformément à l'art. 453 du Code de procédure civile, cherchant à obtenir un jugement déclaratoire, mais cette demande a été rejetée pour le motif que la présente affaire n'est pas seulement un pro-blème de droit mais aussi un problème de fait. La présente cour a ensuite été saisie de cette affaire par une requête en annulation de jugement, et, par jugement du 30 avril 1970, mon confrère le juge Cattanach a considéré que ce n'était pas la procédure convenable puisque le certificat produit en vertu de l'art. 104 de la Loi sur l'assurance-chômage n'est pas un jugement. En rendant ce jugement, toutefois, il a indiqué que pour décider de la validité du certificat produit en vertu de l'art. 104 il faudrait d'abord examiner si l'art. 64B des Règlements dépasse la compétence de la Commission et du Parlement du Canada. Or, comme on n'avait pas plaidé là-dessus devant lui, il était d'avis que la question devrait être tranchée lors d'un procès régulièrement engagé. A la suite de ce jugement, les parties ont convenu de soumettre la question de droit, dont je suis maintenant saisi, conformément aux dispositions de l'art. 18(1)g) de la Loi de la Cour de l'Échiquier. L'histoire de l'actuelle Loi sur l'assurance-chômage a débuté avec la promulgation par le Parlement de la Loi sur l'assurance-chômage.2 La. Cour suprême a été saisie de la question de la constitutionnalité de cette loi et, par une décision prise à trois contre deux, on a jugé que l'objet de la loi entrait dans le cadre du pouvoir législatif des provinces, que cette loi fixait des conditions légales au contrat d'emploi, et que sa conséquence immédiate était de créer des droits civils entre employeurs et employés.8 Cette décision a été confirmée par le Conseil privé.4 A la suite de cela, l'Acte de l'Amé-rique du Nord britannique a été modifié en 1940 de manière à ajouter à l'art. 91, qui traite du pouvoir législatif du Parlement du Canada, une autre rubrique: «2A. L'assurance-chômage». Cette modification a été suivie par l'adoption d'une nouvelle loi assez similaire qui a conduit finalement à l'actuelle Loi sur l'assurance-chômage.5 Les termes «assurance-chômage» et «emploi» ne sont ni l'un ni l'autre définis dans la présente Loi ou dans la 8 1935 (Can.), c. 38. 8 [1936] R.C.S. 427. *[1937] A.C. 355. 8 S.C. 1955, c. 50.
[1970] R.C.É. LA REINE v. SCHEER 965 Loi d'interprétation, et pour préciser leur sens dans le présent contexte nous devons chercher ailleurs. L'expression «emploi assurable» est cependant définie à l'art. 2 h) de la Loi, comme étant un «emploi spécifié à l'article 25». L'article 25 est ainsi rédigé: «25. L'emploi assurable est celui qui n'est pas compris dans l'emploi excepté et qui est a) l'emploi au Canada, par un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de service ou d'apprentissage, explicite ou implicite, écrit ou verbal, que la personne employée soit rémunérée par l'employeur ou quelqu'un d'autre, à l'heure ou à la pièce, ou partie à l'heure et partie à la pièce, ou autrement; b) l'emploi au Canada, décrit à l'alinéa a), sous l'autorité de Sa Majesté, du chef du Canada; ou c) un emploi inclus dans l'emploi assurable selon l'article 26.= Il est important de noter que cet article se réfère expressément à un «contrat de service ou d'apprentissage, explicite ou implicite, écrit ou verbal». L'article 27 de la Loi définit ce qui constitue l'emploi excepté, et l'art. 26 permet à la Commission d'édicter des règlements qui constitutent réellement des exceptions à ces exceptions, et fait rentrer l'emploi couvert par ces règle-ments dans la définition de «l'emploi assurable» de l'art. 25. En plus de l'art. 26(1)d) qui nous concerne, l'art. 26(1)a) permet par règlement à la Commission d'inclure dans «emploi assurable» «tout emploi excepté». En outre, l'art. 29 (1) de la Loi donne des pouvoirs considérables à la Commission en ce qui concerne les règlements qu'elle peut édicter. Il est ainsi rédigé: «29. (1) Tout règlement édicté en vertu de l'article 26 ou 28 peut être conditionnel ou inconditionnel, restreint ou absolu, général ou limité à une région spécifiée, une personne ou un groupe ou une catégorie de personnes, et le pouvoir conféré par ces articles d'édicter des règlements comprend la faculté d'établir tels autres règlements et, avec l'approbation du Gouverneur en Conseil, telles modifications et adaptations des dispositions de la présente Loi qui sont nécessaires pour donner effet aux règlements établis en vertu desdits articles.» Le pouvoir qui est donné de faire «telles modifications et adaptations des dispositions de la présente Loi» semble aller très loin. Cependant, malgré cela, il semble que le Parlement ait estimé nécessaire, lorsque le champ d'application a été étendu aux pêcheurs travaillant pour leur compte, autre-ment exceptés en vertu de l'art. 27 b), d'ajouter à la Loi l'art. 29(2)6, qui est ainsi rédigé: 29. (2) Nonobstant toutes dispositions de la présente loi, les règlements établis avec l'approbation du Gouverneur en Conseil, selon l'article 26, en vue d'inclure parmi les emplois assurables tout emploi dans la pêche peuvent, aux fins de la présente loi, pourvoir a) à l'inclusion, parmi les assurés, de toute personne adonnée à la pêche (ci-après appelée «pêcheur»), bien qu'elle ne soit pas un employé de quelque autre personne; b) à l'inclusion, comme employeur d'un pêcheur, de toute personne avec qui ce dernier entre en relations contractuelles ou autres relations commerciales pour ce qui concerne son métier de pêcheur, et c) à toutes autres matières indispensables pour procurer l'assurance-chômage aux pêcheurs. 6 1956 (Can.), c. 50, art. 1.
[1970] R.C.E. LA REINE v. SCHEER 967 Aucune explication satisfaisante n'a été donnée sur la raison pour laquelle on n'a pas estimé nécessaire d'employer la même procédure lorsque le champ d'application a été étendu par l'art. 64B des Règlements, dont nous nous occupons dans la présente affaire, aux conducteurs de taxi travaillant à leur compte ou non, ou aux barbiers ou aux coiffeurs travaillant à leur compte ou non, comme cela a été fait par l'art. 64A des Règlements. Dans les deux cas, la Commission semble avoir agi en vertu des pouvoirs que lui confère l'art. 26(1) d) en étendant le champ d'application compte tenu du fait que la nature du travail accompli par ces personnes était «semblable à la nature du travail accompli par des personnes s'adonnant à un emploi assurable». La différence dans la procédure provient peut-être du fait que, alors que l'emploi dans la pêche était expressément inclus dans «l'emploi excepté», selon l'art. 27 b) de la Loi, cet article n'excluait pas expressément les barbiers, coiffeurs ou conducteurs de taxi. Cependant, à l'encontre de ce point de vue il faut remarquer que l'art. 26(1)a) permet à la Commission d'édicter des règlements pour inclure l'emploi excepté dans l'emploi assurable, et il est difficile de comprendre le motif qui a rendu nécessaire la modification de la Loi pour inclure les pêcheurs si l'on pouvait le faire par un règlement édicté en vertu de l'art. 26(1)a), alors qu'aucune modification n'a été estimée nécessaire pour inclure les barbiers, coiffeurs ou conducteurs de taxi par dès règlements édictés en vertu de l'art. 26(1)d). On peut peut-être soutenir que l'on a eu recours une fois à la législation par excès de prudence et que, bien que cela ait créé un précédent, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'une législation semblable était indispensable par la suite pour inclure les barbiers, coiffeurs travaillant à leur compte et, dans le cas qui nous intéresse, les conducteurs de taxi, mais cela ne constitue pas une réponse satisfaisante car elle implique que la modification faite par 1956 (Can.), c. 50, art. 1, [la mise en loi de l'art. 29(2) de la loi] n'était pas nécessaire. Dans Odgers Construction of Deeds and Statutes, 5ième édition à la page 387, sous le titre «Le législateur ne se trompe pas», on peut lire: «S'il le fait de façon évidente, néanmoins il n'appartient pas à la cour de légiférer afin de corriger les erreurs. Comme Lord Halsbury le déclare dans Commissioners of Income Tax v. Pemsel ([1891] A.C. 531, à la p. 549): «Mais je ne crois pas qu'il soit admissible pour une cour de procéder en se fondant sur l'hypothèse que le législateur a fait une erreur. Quelle que soit la réalité des faits, je crois qu'un tribunal est tenu d'agir en se fondant sur l'hypothèse que le législateur est une personne idéale qui ne commet jamais d'erreurs.» Il se peut que la modification apportée à la loi ait été estimée nécessaire parce qu'elle a, pour la première fois, introduit dans la présente Loi l'idée qu'elle pourrait s'appliquer à une personne «bien qu'elle ne soit pas un employé de quelque autre personne» (c'est-à-dire à une personne travaillant à son compte). Par une modification apportée en 1946 à la Loi sur l'as-surance-chômage de 1940 (discutée en détail ci-dessous), on a ajouté l'art. 14A qui portait sur des personnes «non employées sous un contrat de service», mais ces termes ne sont pas inclus dans l'art. 26(1)d) de la présente Loi, qui semble, par conséquent, découler bien plus de l'art. 14 de la Loi de 1940 que dudit art. 14A.
[1970] R.C.É. LA REINE v. SCHEER 969 L'avocat de la Scheer Limited a affirmé que l'on doit donner aux termes leur sens ordinaire et courant, et que le terme «emploi» implique l'existence d'un contrat de service et des relations d'employeur-employé, de sorte qu'il ne peut être étendu pour inclure les personnes travaillant à leur compte. Il a soutenu que la Commission a essayé, par ses règlements, de créer un système de «protection de l'occupation» au lieu d'une «assurance-chômage», et que, si souhaitable que cela puisse paraître, cette tentative excédait la compétence de la Commission et était même ultra vires de l'autorité législative que le fédéral détient en vertu de la modification intitulée «L'assurance-chômage» de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Il a en outre affirmé que le Code civil du Québec définit l'assurance de la façon suivante: «2468. L'assurance est un contrat par lequel l'un des contractants appelé l'assureur, en considération d'une valeur s'engage à indemniser l'autre qu'on appelle l'assuré, ou ses représentants, contre la perte ou la responsabilité de certains risques ou périls auxquels l'objet assuré peut être exposé, ou contre la chance d'un événement... et que cette définition serait également valable dans les juridictions de common law. Le Code civil déclare encore, à l'art. 2476: .2476. L'assurance peut être stipulée contre toutes pertes provenant d'accidents inévitables ou de force majeure, ou d'événements sur lesquels l'assuré n'a pas de contrôle, sauf les règles générales relatives aux contrats illégaux et contraires aux bonnes moeurs»; or, on ne peut pas dire d'une personne travaillant à son compte qu'elle n'a aucun contrôle sur la perte de son travail. Elle ne pourrait donc s'assurer contre cette perte. Lorsqu'on examine la question de savoir s'il a jamais été prévu que l'emploi assurable doit comprendre le travail à son compte, il est intéres-sant de se reporter plus loin en arrière dans l'historique de la Loi. La loi primitive 7 déclarait à l'art. 13, à l'égard des personnes qui étaient employées à des emplois spécifiés dans l'Annexe à la Loi (autre que les emplois exceptés qui figuraient dans une autre annexe) qu'elles étaient assurées contre le chômage. Les paragraphes (2), (3) et (4) de l'art. 13 se lisaient comme suit: «13. (2) L'emploi exercé par ces personnes est appelé, dans la présente loi, «emploi assurable'. (3) Toute personne qui remplit un emploi assurable est appelée, dans la présente loi, «personne employée, ou «employé,. (4) Toute semblable personne qui est assurée sous le régime de la présente loi est, dans la présente loi, appelée «personne assurée, ou «assuré».» L'Annexe mentionnée définit l'emploi comme: a) Emploi au Canada en vertu d'un contrat de service ou d'apprentissage, écrit ou verbal, explicite ou implicite, ou lorsque l'employé est payé par le patron ou quelque autre personne, et travaille sous un ou plusieurs patrons, et est payé à l'heure ou à la pièce, ou partie à l'heure et partie à la pièce, ou autrement. * * * 71940 (Can.), c. 44.
[1970] R.C.E. LA REINE v. SCHEER 971 L'article 14 (1) de la Loi était rédigé comme suit: 4.4. (1) Si la Commission est d'avis que les termes et conditions de service et la nature du travail d'une catégorie de personnes remplissant un emploi excepté sont tellement semblables aux termes et conditions de service et à la nature du travail d'une catégorie de personnes remplissant un emploi assurable qu'il en résulte des anomalies dans l'application de la présente loi, la Commission peut, par règlement, conditionnellement ou inconditionnellement, pourvoir à l'inclusion... a) de la catégorie de personnes remplissant un emploi assurable parmi les catégories de personnes adonnées à des emplois exceptés, ou b) de la catégorie de personnes adonnées à un emploi excepté parmi les catégories de personnes remplissant un emploi assurable.» Cet article a été modifiés par l'introduction de l'art. 14A qui est rédigé comme suit: `14A. La Commission peut, par ordonnance spéciale, déclarer que les termes et conditions de service et la nature du travail d'une personne ou d'un groupe ou catégorie de personnes qui ne sont pas employées en vertu d'un contrat de service sont tellement semblables aux termes et conditions de service et à la nature du travail d'une personne ou d'un groupe ou catégorie de personnes em-ployées en vertu d'un contrat de service qu'il peut en résulter des anomalies ou injustices dans l'application de la loi, et dès lors la personne ou le groupe ou la catégorie de personnes à l'égard de qui la déclaration est faite sont censées employées en vertu d'un contrat de service pour les fins de la loi.» Il est évident que cet article avait pour but d'étendre le champ d'application aux personnes qui n'étaient pas employées en vertu d'un contrat de service afin de prévenir le cas de l'employeur qui pourrait conclure un contrat avec un employé, contrat qui qualifierait ce dernier d'entrepreneur indépendant, alors qu'il serait pratiquement et à tous égards dans une situation identique à celle d'un employé, ce qui éviterait à l'employeur de payer les contributions dues en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage. Il faut attacher une certaine importance au fait que la présente La n'a pas inclus d'article qui, dans de telles circonstances, donnerait à la Commission le pouvoir d'étendre expressément le champ d'application aux per-sonnes «qui ne sont pas employées en vertu d'un contrat de service». Il faut noter que l'art. 26(1)d), en vertu duquel l'art. 64B des Règle-ments a été édicté, ne fait nulle mention du travail indépendant et se rapporte, en fait, à des «personnes employées dans cet emploi», aussi il ne règle pas la question de savoir si des personnes travaillant à leur compte peuvent être considérées comme employées selon les termes de la Loi. La définition de l'art. 25 semblerait même exclure le travail indépendant et cela est confirmé par certaines catégories d'emplois exceptés énumérés à l'art. 27 qui exclut, par exemple, le mari ou la femme d'un employeur, l'emploi par une corporation dont la personne détient plus de la moitié des actions con-férant le droit de vote ou dont elle est un directeur ou dirigeant et qui remplit effectivement cette fonction. L'article 154 (1) des Règlements exclut du droit aux prestations les réclamants travaillant à leur compte ou ceux occupant un emploi dans lequel ils sont maîtres de leurs heures de travail. 8 1946 (Can.), c. 68.
[1970] R.C.É. LA REINE v. SCHEER 973 La notion de travail indépendant semble avoir été introduite pour la première fois dans la présente Loi par la modification de 1956 relative aux pêcheurs, dans laquelle le par. (2)a) -de l'art. 29 emploie les termes «bien qu'elle ne soit pas un employé de quelque autre personne». (Comme il a déjà été indiqué, la modification de 1946 à la Loi de 1940, ajoutant l'art. 14A, a prévu l'inclusion, dans les circonstances prévues par l'article, de personnes «non employées en vertu d'un contrat de service».) Cette modification a ensuite été suivie, en 1965, par l'art. 64A des Règlements, relatif aux barbiers et coiffeurs et en 1966, par l'art. 64B des Règlements, dont je suis saisi et qui emploie les termes du par. (1) «peu importe que cette personne travaille à son compte ou autrement qu'en vertu d'un contrat de service». En faisant valoir que la modification à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique ne permettait pas au pouvoir fédéral d'assurer un système de «protection de l'occupation», ce dernier devant se limiter strictement à la législation relative à «l'assurance-chômage» et que, par conséquent, les personnes travaillant à leur compte ne peuvent pas être protégées, l'avocat de la Scheer Limited n'a pas été jusqu'à prétendre que l'art. 26(1)d) de la Loi est ultra vires; il a déclaré qu'il le considère comme une sorte d'article d'application donnant à la Commission le droit de décider que le travail en question sera couvert lorsqu'elle estime qu'il s'agit d'une situation fictive créée pour éviter les contributions et la couverture des risques, mais qu'il ne donne pas à la Commission le droit d'étendre le champ d'application aux personnes non employées en vertu d'un contrat de service explicite ou impli-cite. Il a reconnu que, d'après sa thèse, l'art. 29(2) de la Loi étendant le champ d'application aux pêcheurs travaillant à leur compte pourrait être inconstitutionnel, mais il n'a pas soulevé cette question car elle n'est pas en litige ici, la présente affaire ne portant que sur la question de savoir si l'art. 64B des Règlements est ultra vires en étendant ainsi le champ d'application de la Loi. Je ne peux tenir compte des opinions courantes, qu'il a citées, sur ce que la politique du Parlement est ou devrait être relativement à l'extension de l'assurance-chômage aux personnes travaillant pour leur compte. C'est au Parlement de décider de ces questions de politique. Mais lorsqu'il s'agit de savoir si certains articles de la Loi excèdent l'autorité législative du pouvoir fédéral, ou si certains règlements édictés en vertu de cette Loi excèdent les pouvoirs conférés à la Commission par cette Loi, ce sont les tribunaux qui en décident. Pour tenter de définir le sens du terme «emploi», on m'a cité de nom-breuses définitions de dictionnaires et de nombreux arrêts qui, dans l'ensemble, ne sont pas d'un grand secours ni très en rapport avec la question, la plupart d'entre eux portant sur l'assurance sur les accidents de travail. Or, la question de savoir si la personne en cause a été employée en vertu d'un contrat de service ou non, qui est une question de fait, et la question de savoir si les conducteurs de taxi en question travaillaient à leur compte, ou étaient des employés de la Scheer Limited en vertu d'un contrat de service, sont des problèmes dont je ne suis pas saisi.
[1970] R.C.É. LA REINE v. SCHEER 975 Il est clair que le terme «emploi» a deux significations. Par exemple, le Shorter Oxford English Dictionary le définit comme: «1. L'action d'employer; l'état d'être employé; et 2. La chose à laquelle (on) est employé; entreprise; occupation;» Le Webster's Third New International Dictionary le définit comme: «une activité dans laquelle on s'engage et on emploie son temps et son énergie... l'acte d'employer quelqu'un ou quelque chose ou l'état d'être employé.» Cette distinction est bien présentée dans un jugement du juge en chef Allen dans l'affaire Ex parte Tucker 9, dans laquelle il déclare, à la page 313: ....Ces termes, «occupation» et «emploi», utilisés par l'article, peuvent avoir, à notre avis, différents sens. Le premier se rapporte à une personne qui fait affaires à son compte; et «emploi», veut dire faire affaires pour le compte d'autrui, impliquant non seulement l'action de faire les affaires, mais l'emploi pour le faire; une de ses définitions est celle de confier la gérance de l'entreprise.» Dans l'affaire Might c. M.R.N.", une affaire d'impôt sur le revenu, l'ap-pelant était un avocat et son épouse un médecin qui exerçait sa profession à Calgary. La Loi stipulait, à cette époque, que le mari ne devait pas perdre son droit à l'exemption au titre de sa femme en raison du fait qu'elle «était employée et recevait un revenu provenant du travail». La Couronne a adopté dans cette affaire un point de vue diamétralement opposé à celui qu'elle a actuellement, soutenant que les termes «étant employé» ne signifiaient pas occupé ou engagé dans un travail, mais étaient limités à ceux entre qui existaient des rapports d'employeur-employé. En rendant son jugement, le juge O'Connor a soigneusement examiné les définitions du terme «employé» données par le dictionnaire, et également la jurisprudence qui a traité de la question, et il a conclu, aux pages 387-88, que les précédents: .. indiquent de façon bien claire que, d'abord, «employé» est utilisé dans les deux sens; l'un, occupé ou engagé, et l'autre, dans le sens de rapports employeur-employé. Ils montrent également l'importance qu'il y a à établir le sens d'un terme dans le contexte de son utilisation. Le principe fondamental d'interprétation auquel sont subordonnés tous les autres, est qu'une loi doit être expliquée «d'après l'intention de ceux qui l'ont faite». Fordyce v. Bridges ((1847) 1 H.L.C. 4). L'intention du Parlement doit être comprise d'après la langue employée, relativement au contexte dans lequel elle est utilisée. Par Lord Russell, juge en chef, dans Attorney-General v. Carlton Bank [1899] 2 Q.B. 164. Dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, et du but de la stipulation conditionnelle qui est d'encourager les femmes mariées à tra-vailler pour soulager la pénurie de main-d'oeuvre qui existait à l'époque, le juge O'Connor a conclu en faveur d'une interprétation plus large et a décidé que, ainsi que la Loi l'utilise, le terme «employé» signifie «occupé ou engagé». A la page 390, il a conclu: «A mon avis, l'adoption du sens «étant occupé, engagé ou au travail» pour le terme «employé», s'harmonise mieux avec le contexte et favorise également de la façon la plus complète la politique et les objectifs du Parlement.» °(1883-84) 23 N.B.R. 311. 1 Ô [1948] R.C.É. 382.
[1970] R.C.A. LA REINE v. SCHEER 977 Une question assez semblable a été soulevée à la Cour Suprême dans l'affaire Steinberg's Ltée c. Comité Paritaireil. Dans cette affaire, le juge Martland, dont le jugement a été approuvé par les juges Fauteur, Abbott et Ritchie, déclare, aux pages 974 à 976: =...l'appelant a prétendu que le décret dont il est question dans le présent appel est nul parce que, en raison de la définition du terme «employé» qui y est contenu et l'usage de ce terme dans certaines dispositions du décret, le décret était censé s'appliquer à des établissements dans lesquels il n'y avait pas d'em-ployés, et à des ventes de marchandises dans lesquelles des employés ne parti-cipaient pas. On a soutenu que le lieutenant-gouverneur en conseil n'avait pas, en vertu des dispositions de la Loi des décrets de convention collective (S.R.Q. 1964, c. 143) le pouvoir de délivrer un décret d'une telle portée. L'article 2 de cette loi stipule: 2. Il est loisible au lieutenant-gouverneur en conseil de décréter qu'une convention collective relative à un métier, à une industrie, à un commerce ou à une profession, lie également tous les salariés et tous les employeurs de la province, ou d'une région déterminée de la province, dans le champ d'application défini dans ce décret.» La définition en question est la suivante: Employeur: Le terme «employeur» désigne toute personne, compagnie ou corporation possédant ou exploitant un établissement commercial soumis à ce décret. «Établissement commercial» est défini ainsi: Établissement commercial: L'expression «établissement commercial» désigne tout établissement situé dans la juridiction territoriale de ce décret où des produits alimentaires sont vendus au détail, pour consommation à l'extérieur. Le terme «employeur», en lui-même, signifierait une personne qui emploie les services d'une ou plusieurs autres personnes. C'est le sens dans lequel il est défini dans la Loi des décrets de convention collective: 1. f) «employeur» comprend: tout individu, société, firme ou corporation qui fait exécuter un travail par un salarié. A mon avis, la définition d'«employeur» contenue dans le décret ne devrait pas être interprétée comme s'étendant à quelqu'un qui n'est pas employeur selon la définition contenue dans la Loi. Dans McKay c. La Reine ([1965] R.C.S. 798, 53 D.L.R. (2d) 532), le juge Cartwright, alors juge puîné, se réfère à une règle d'interprétation que l'on peut convenablement appliquer ici: La seconde règle d'interprétation applicable est que si un texte, qu'il vienne du Parlement, d'une législature ou d'un organisme inférieur auquel le pouvoir législatif a été délégué, peut être interprété de façon à lui donner un sens qui en restreindrait l'application à des questions qui sont de la compétence de l'organe qui l'a décrété, il doit être interprété dans ce sens. La définition contenue dans le décret peut admettre que le terme «employeur» était destiné à englober ces personnes, compagnies ou corporations qui font exécuter un travail par des employés et qui possèdent ou exploitent des établisse-ments commerciaux assujettis au décret. Je suis d'accord avec l'opinion exprimée sur ce point par le juge Choquette à la Cour d'appel: La définition du mot «employeur» dans le décret ne saurait modifier le sens donné à ce terme par la loi précitée (art. 1 f)) ; cette définition ne fait en somme que préciser le genre d'établissement commercial que cet employeur (personne, société ou corporation) doit posséder ou exploiter pour être assujetti au décret. II n'en reste pas moins une personne «qui fait exécuter un travail par un salarié». u [1968] R.C.S. 971.
[1970] R.C.E. LA REINE v. SCHEER 979 Dans la présente affaire, le Parlement a, par la mise en vigueur de l'art. 29(2), étendu les dispositions de la Loi en vue d'inclure les pêcheurs dans l'emploi assurable «bien que cette personne ne soit pas un employé de quelque autre personne». C'est évidemment une exception dans l'éco-nomie de la Loi et, aux fins de la présente décision, il n'est pas nécessaire de juger si cette modification est ultra vires ou non. En adoptant l'art. 64B des Règlements, la Commission, suivant la direction donnée par le Parlement dans cette modification relative aux pêcheurs, et agissant en vertu de l'art. 26(1) d) qui était expressément destiné à parer aux imprévus qui autrement pourraient surgir dans certaines catégories d'emploi, a décidé d'inclure les conducteurs de taxi travaillant à leur compte de la même façon qu'elle avait indu auparavant, dans l'art. 64A, les barbiers et les coiffeurs à leur compte. Je ne crois pas que la Commission elle-même avait le pouvoir, en vertu dudit article, d'étendre ainsi le champ d'application dans ces cas à des personnes travaillant à leur compte ou dans un emploi autre qu'en vertu d'un contrat de service. Si le Parlement avait eu l'intention de donner à la Commission ce pouvoir, il aurait dû le faire en termes explicites, alors qu'au contraire, il a omis dans la présente Loi les dispositions de l'art. 14A de la Loi de 1940 modifiée en 1946, qui se rapporte expressément à des personnes «non employées en vertu d'un contrat de service», et a en outre modifié expres-sément la présente Loi lorsqu'il a voulu étendre le champ d'application aux pêcheurs travaillant à leur compte. Je conclus donc que la question soumise doit recevoir une réponse affirmative, et que l'art. 64B des Règlements de l'assurance-chômage est nul en partie dans la mesure où il inclut dans le par. (1) les termes «peu importe que cette personne travaille à son compte ou autrement qu'en vertu d'un contrat de service». Le reste dudit art. 64B n'est pas critiquable puisqu'il ne se rapporte qu'à «l'emploi assurable» qui est défini par la Loi. C'est le rôle de l'arbitre d'établir, dans le cas précis d'un conducteur de taxi conduisant un véhicule dont il n'est pas le propriétaire, si ce conducteur est employé en vertu d'un contrat de service explicite ou im-plicite et par là, dans un emploi assurable. Les dépens seront en faveur de la Scheer Limited.
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