A-165-16
2018 CAF 69
Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée (appelante)
c.
Le procureur général du Canada, l’Office des transports du Canada, Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta, représentée par le ministre des Transports, et la Ville de Calgary (intimés)
Répertorié : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général)
Cour d’appel fédérale, juges Rennie, Gleason et Laskin, J.C.A.—Calgary, 16 janvier; Ottawa, 6 avril 2018.
Transports — Appel interjeté contre une décision rendue en 2015 par l’Office des transports du Canada, qui a autorisé la demande d’Alberta Transportation en ce qui concerne la reconstruction d’un saut-de-mouton existant entre une voie ferrée appartenant à l’appelant et une autoroute provinciale; et la construction d’un nouveau passage à niveau — L’Office a réparti les coûts de construction et d’entretien de ces travaux entre l’appelant et Alberta Transportation (l’intimée) — En 2012, l’intimée a déposé une demande auprès de l’Office au titre de l’art. 101(3) de la Loi sur les transports afin d’obtenir une ordonnance autorisant la construction d’un nouveau franchissement — L’intimée a également saisi l’Office en vertu de l’art. 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire quant à la question de la répartition des coûts entre elle-même et l’appelant — Le projet comportait deux étapes distinctes, la phase 1 et la phase 2 — En 2013, l’Office a conclu que la phase 1 consistait en une reconstruction d’un saut-de-mouton existant sur une route existante; il a autorisé la reconstruction et réparti les coûts entre l’intimée et l’appelant — En 2015, l’intimée a déposé une autre demande à l’Office, dans laquelle elle a proposé des révisions importantes au projet de la phase 1 approuvé antérieurement — L’appelant a demandé à l’Office de suspendre sa décision jusqu’à ce qu’il ait reçu les documents connexes en réponse à ses demandes d’accès à l’information de documents en vertu des lois sur l’accès à l’information, mais sa demande a été rejetée — Il s’agissait de savoir si l’Office a commis une erreur de droit en rendant la décision de 2015 d’une manière qui ne concordait pas avec la décision de 2013; si l’Office a commis une erreur de droit en ne procédant pas à l’analyse prévue à l’art. 16(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire; si la décision de l’Office était équitable sur le plan de la procédure — Les décisions de l’Office concernant l’augmentation de la circulation pour répondre aux besoins au moment où la phase 2 serait achevée étaient des conclusions de fait qu’il n’était pas loisible à la Cour de modifier — En outre, compte tenu de l’ensemble des motifs et du résultat, le calcul par l’Office des besoins portant qu’un tronçon de sept voies était requis appartenait aux issues possibles acceptables — Après que les nuances des conclusions de l’Office relatives à la circulation ont été précisées, il était clair qu’il n’existait aucun conflit entre les deux décisions — En ce qui concerne l’analyse prévue à l’art. 16(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire, même s’il n’y avait aucune preuve d’augmentation du trafic ferroviaire découlant du projet de la phase 2 en particulier, la décision de l’Office selon laquelle l’appelant en profiterait reposait sur un second fondement ― l’avantage continu que pourrait retirer l’appelant du saut-de-mouton — En ce qui concerne l’équité sur le plan de la procédure, l’appelant n’a pas établi que l’Office a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en ne reportant pas sa décision — Les recours de l’appelant n’étaient pas épuisés — L’appelant n’a pas établi non plus que l’Office a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en omettant d’ordonner la production de documents — Enfin, les renseignements reçus à la suite de la demande d’accès à l’information ont eu une incidence importante et directe sur la décision de 2015; ils ont eu des conséquences pour l’appelant; ils ont eu une incidence directe sur l’analyse exigée par l’art. 16(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire — En conséquence, il était loisible à l’appelant, en vertu de l’art. 32 de la Loi sur les transports, de présenter une demande de réexamen de la décision de 2015 — Appel rejeté.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle judiciaire — Dans un appel interjeté contre une décision rendue en 2015 par l’Office des transports du Canada, qui a autorisé notamment la demande d’Alberta Transportation en ce qui concerne la reconstruction d’un saut-de-mouton existant entre une voie ferrée appartenant à l’appelant et une autoroute provinciale, l’appelant a invoqué trois moyens d’appel distincts — L’appelant a prétendu que l’Office avait commis une erreur en rendant la décision de 2015 d’une manière qui ne concordait pas avec la décision de 2013; que l’Office avait commis trois erreurs de droit dans son examen de l’art. 16(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire; que l’Office, en rejetant sa demande d’ajournement, avait porté atteinte à son droit à l’équité procédurale — La question en litige était celle de la norme de contrôle applicable aux moyens d’appel — La norme du caractère raisonnable était la norme de contrôle applicable au premier et au deuxième moyen d’appel de l’appelant — La norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale est celle de la décision correcte — La teneur ou le degré d’équité requis est circonscrit par les cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) — Le cinquième, soit le degré de déférence dont il faut faire preuve à l’égard du décideur, était pertinent en l’espèce — Pour déterminer le degré d’équité, la question fondamentale est celle de savoir si la partie connaissait la preuve à réfuter, si elle a eu la possibilité de répondre et si un décideur impartial a examiné sa preuve pleinement et équitablement — La déférence n’est qu’un des nombreux critères qui permet de déterminer le degré d’équité, mais elle ne s’applique pas lorsqu’il est question de répondre à la question de savoir si l’obligation d’équité a été satisfaite — L’exercice de révision est particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte — L’examen portant sur la procédure et l’examen portant sur le fond visent différents objectifs en droit administratif — Il n’y avait aucune raison convaincante pour laquelle cette distinction devrait être abandonnée.
Il s’agissait d’un appel interjeté contre une décision rendue en 2015 par l’Office des transports du Canada (l’Office), qui a autorisé la demande d’Alberta Transportation en ce qui concerne la reconstruction d’un saut-de-mouton existant entre une voie ferrée appartenant à l’appelant et une autoroute provinciale, et la construction d’un nouveau passage à niveau. L’Office a réparti les coûts de construction et d’entretien de ces travaux entre l’appelant et Alberta Transportation (l’intimée).
Sur une certaine autoroute de l’Alberta, un pont passe au-dessus des voies du Chemin de fer Canadien Pacifique. En juin 2012, l’intimée a déposé une demande auprès de l’Office au titre du paragraphe 101(3) de la Loi sur les transports afin d’obtenir une ordonnance autorisant la construction d’un nouveau franchissement. Elle a également saisi l’Office en vertu de l’article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire quant à la question de la répartition des coûts entre elle-même et l’appelant. L’intimée a présenté le projet comme comportant deux étapes distinctes, la phase 1 et la phase 2. Dans la décision qu’il a rendue en 2013, l’Office a conclu que la phase 1 consistait en une reconstruction d’un saut-de-mouton existant sur une route existante. Il a autorisé la reconstruction et réparti les coûts entre l’intimée et l’appelant à 85 p. 100 et 15 p. 100, respectivement. Il n’a pas été interjeté appel de la décision de 2013.
En mars 2015, l’intimée a déposé une autre demande à l’Office en vue d’obtenir plus particulièrement une ordonnance autorisant et répartissant les coûts d’une phase 2 révisée et élargie du projet. La demande de 2015 proposait des révisions importantes au projet de la phase 1 approuvé antérieurement. À l’automne 2015, l’appelant a appris que l’intimée avait obtenu le financement fédéral pour les projets d’infrastructure pour le périphérique sud-ouest de Calgary (PSOC) et il a demandé à l’Office de suspendre sa décision jusqu’à ce qu’il ait reçu les documents connexes en réponse à ses demandes. Toutefois, sa demande d’ajournement a été rejetée. Dans sa décision de 2015, l’Office a conclu plus particulièrement que la structure en direction ouest décrite dans la demande de 2015 était essentiellement la même que celle déjà autorisée par la décision de 2013. L’Office a autorisé la reconstruction proposée afin d’accueillir la quatrième voie principale. Enfin, l’Office a attribué la reconstruction et la construction du nouveau saut-de-mouton à l’appelant et à l’intimée dans la même proportion qui a été appliquée au projet de la phase 1 en 2013.
L’appelant a interjeté appel de la décision sur trois plans. Il a prétendu que l’Office avait commis une erreur en rendant la décision de 2015 d’une manière qui ne concordait pas avec la décision de 2013; que l’Office avait commis trois erreurs de droit dans son examen du paragraphe 16(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire; et que l’Office, en rejetant sa demande d’ajournement et en procédant en l’absence des documents demandés, avait porté atteinte à son droit à l’équité procédurale.
La question en litige était celle de la norme de contrôle applicable aux moyens d’appel; il s’agissait de savoir si l’Office a commis une erreur de droit en rendant la décision de 2015 d’une manière qui ne concordait pas avec la décision de 2013; si l’Office a commis une erreur de droit en ne procédant pas à l’analyse prévue au paragraphe 16(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire; et si la décision de l’Office était équitable sur le plan de la procédure.
Arrêt : L’appel doit être rejeté.
La norme du caractère raisonnable était la norme de contrôle applicable au premier et au deuxième moyen d’appel. La norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale était celle de la décision correcte. La teneur ou le degré d’équité requis est circonscrit par les cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). Parmi ces facteurs, le cinquième, soit le degré de déférence dont il faut faire preuve à l’égard du décideur, était pertinent en l’espèce. Pour déterminer le degré d’équité, la question fondamentale est celle de savoir si la partie connaissait la preuve à réfuter, si elle a eu la possibilité de répondre et si un décideur impartial a examiné sa preuve pleinement et équitablement. La déférence n’est qu’un des nombreux critères qui permet de déterminer le degré d’équité, mais elle ne s’applique pas lorsqu’il est question de répondre à la question de savoir si l’obligation d’équité a été satisfaite. La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. L’exercice de révision est particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée. L’examen portant sur la procédure et l’examen portant sur le fond visent différents objectifs en droit administratif. Le premier porte sur la nature des droits concernés et les conséquences pour les parties touchées, alors que le dernier porte sur la relation entre la cour et le décideur administratif. Cette distinction et la capacité d’un tribunal à accorder des mesures de redressement adaptées à chacun est un outil utile dans la boîte à outils judiciaire. Il n’y avait aucune raison convaincante pour laquelle elle devrait être abandonnée.
Dans la décision de 2013, l’Office a conclu qu’un tronçon à six voies était nécessaire pour répondre au débit journalier moyen annuel (DJMA) de 26 000 en 2012. En 2015, il a conclu que la circulation augmenterait à 37 600 au moment où la phase 2 serait achevée et qu’un tronçon à sept voies était requis afin de répondre au changement dans les besoins à ce moment-là. Ces décisions étaient des conclusions de fait qu’il n’était pas loisible à la Cour de modifier. Compte tenu de l’ensemble des motifs et du résultat, et compte tenu du fait que les besoins à ce moment-là ont bel et bien changé et que la prochaine catégorie ― plus de 50 000 ― justifiait un tronçon à huit voies, l’augmentation à 37 600 a fait en sorte que la décision portant qu’un tronçon de sept voies était requis appartenait aux issues possibles acceptables. Après que les nuances des conclusions de l’Office relatives au DJMA ont été précisées, il était clair qu’il n’existait aucun conflit entre les deux décisions. Ce moyen d’appel a donc été rejeté.
En ce qui concerne l’analyse prévue au paragraphe 16(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire, l’appelant a prétendu plus particulièrement que l’Office avait commis une erreur en concluant qu’il profiterait d’une augmentation du trafic ferroviaire, car cette conclusion a été tirée sans aucun élément de preuve. L’Office n’était saisi d’aucun élément de preuve selon lequel il y aurait une augmentation du trafic ferroviaire, mais cela ne voulait pas dire qu’il était déraisonnable d’attribuer des coûts à l’appelant alors qu’il ne retirerait pas un avantage de la construction. L’Office a conclu que, compte tenu de l’historique de responsabilité partagée des parties à ce franchissement, et du fait que les deux parties continueraient de profiter du saut-de-mouton, il convenait que les parties continuent de partager la responsabilité à ce franchissement. Par conséquent, même s’il n’y avait aucune preuve d’augmentation du trafic ferroviaire découlant du projet de la phase 2 en particulier, la décision de l’Office selon laquelle l’appelant en profiterait reposait sur un second fondement ― l’avantage continu que pourrait retirer l’appelant du saut-de-mouton. Donc, sur ce point, l’erreur de droit soulevée était sans conséquence, compte tenu de l’existence d’un deuxième fondement permettant de conclure que l’appelant retirerait un avantage. Les autres prétentions de l’appelant concernant les erreurs que l’Office aurait commises ont été rejetées également.
En ce qui concerne l’équité sur le plan de la procédure, l’appelant n’a pas établi que l’Office a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en ne reportant pas sa décision. Les recours de l’appelant n’étaient pas épuisés et l’Office lui-même, en refusant l’ajournement, a reconnu que d’autres recours étaient offerts à l’appelant. En outre, l’appelant n’a pas établi que l’Office a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en omettant d’ordonner la production de documents. Les arguments fondés sur l’équité procédurale ont donc été rejetés.
Enfin, les renseignements reçus à la suite de la demande d’accès à l’information faite par l’appelant indiquaient que la ville de Calgary et l’intimée pourraient avoir tenu l’appelant et l’Office dans l’ignorance à propos de leurs futurs plans. Les documents obtenus ont eu une incidence importante et directe sur la décision de 2015 et ont eu des conséquences pour l’appelant. Les documents ont eu une incidence directe sur l’analyse exigée par le paragraphe 16(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire. Étant donné les faits nouveaux qui pourraient avoir une incidence directe et importante sur la décision de 2015, il était loisible à l’appelant, en vertu de l’article 32 de la Loi sur les transports, de présenter à l’Office une demande de réexamen de la décision de 2015 et de tout autre motif qu’il souhaitait faire valoir.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.A. 2000, ch. F-25.
Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32, art. 16.
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 27(3).
Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 29, 32, 41, 101(3).
Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances), DORS/2014-104, art. 24, 41(1)d).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Kelly v. Nova Scotia Police Commission, 2006 NSCA 27, 241 N.S.R. (2d) 300; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Brooks v. Ontario Racing Commission, 2017 ONCA 833, 33 Admin. L.R. (6th) 316.
décision différenciée :
Rogers Communications Canada Inc. c. Metro Cable T.V. Maintenance, 2017 CAF 127.
décisions examinées :
Demande présentée par Alberta Transportation conformément au paragraphe 101(3) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée et à l’article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985), ch. 32 (4e suppl.), décision no 137-R-2013 (28 mars 2013, Office des transports du Canada); Ré :Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, [2015] 2 R.C.F. 170; Maritime Broadcasting System Ltd. c. La Guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59; Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75; Vavilov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, [2018] 3 R.C.F. 75; Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Eagle’s Nest Youth Ranch Inc. v. Corman Park (Rural Municipality #344), 2016 SKCA 20, 476 Sask. R. 18; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249.
décisions citées :
Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3; Compagnie des chemins de fer nationaux c. Viterra Inc., 2017 CAF 6; Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650; Wsáneć School Board c. British Columbia, 2017 CAF 210; Johnny c. Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146; Therrien c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 14; Miakanda-Batsika c. Bell Canada, 2016 CAF 278; El-Helou c. Canada (Service administratif des tribunaux judiciaires), 2016 CAF 273; Arsenault c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 179; Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38; Abi-Mansour c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 135; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504; Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Boeing Canada Operations Ltd. v. Winnipeg (City) Assessor, 2017 MBCA 83, 23 Admin. L.R. (6th) 87; Spinks v. Alberta (Law Enforcement Review Board), 2011 ABCA 162, 46 Alta. L.R. (5th) 84; C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713; Johnson c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 76; Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488.
DOCTRINE CITÉE
Clark, Edward, “Reasonably Unified : The Hidden Convergence of Standards of Review in the Wake of Baker” (2018) 31 Can. J. Admin. L. & Prac. 1.
Evans, John M. “View from the Top : Administrative Law in the Supreme Court of Canada 2016–2017” dans Donald J. M. Brown & John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, Toronto : Thomson Reuters Canada Limited, 2017.
Office des transports du Canada. Réparations des coûts des sauts-de-mouton : Un outil d’information, Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2011.
Ruel, l’honorable Simon, “What is the Standard of Review to Be Applied to Issues of Procedural Fairness?” (2016) 29 Can. J. Admin. L. & Prac. 259.
APPEL interjeté contre une décision rendue en 2015 (Demande présentée par Alberta Transportation conformément à l’article 101 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. (1996), ch. 10, modifiée et à l’article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985), ch. 32 (4e suppl.), décision no 397-R-2015) par l’Office des transports du Canada autorisant la demande d’Alberta Transportation en ce qui concerne la reconstruction d’un saut-de-mouton existant entre une voie ferrée appartenant à l’appelant et une autoroute provinciale, et la construction d’un nouveau passage à niveau. Appel rejeté.
ONT COMPARU :
J. Raymond Chartier et Elizabeth Fashler pour l’appelant.
Todd J. Burke, Phuong T.V. Ngo et Matthew Estabrooks pour l’intimée Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta représentée par le ministre des Transports.
Kevin Shaar pour l’intimé l’Office des transports du Canada.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Norton Rose Fullbright Canada LLP, Calgary, pour l’appelant.
Gowling WLG (Canada) LLP, Ottawa, pour l’intimée, Sa Majesté la Reine de l’Alberta, représentée par le ministre des Transports.
Office des transports du Canada, Gatineau, pour l’intimé, l’Office des transports du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Rennie, J.C.A. :
I. Introduction
[1] Le Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée [CP ou CFCP] interjette appel de la décision no 397-R-2015 (la décision de 2015) de l’Office des transports du Canada [L’Office] en vertu de l’article 41 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 [Loi sur les transports]. Dans cette décision, l’Office a autorisé la demande d’Alberta Transportation en ce qui concerne la reconstruction d’un saut-de-mouton existant entre une voie ferrée appartenant au CP et une autoroute provinciale, et la construction d’un nouveau passage à niveau. Il a réparti les coûts de construction et d’entretien de ces travaux entre le CP et Alberta Transportation.
[2] Un examen détaillé des faits est requis pour comprendre les questions soulevées dans le présent appel et leur décision.
II. Les faits
[3] Trois kilomètres au sud de Midnapore (Alberta), sur l’autoroute 22X, un pont passe au-dessus des voies du Chemin de fer Canadien Pacifique. Le pont compte deux voies en direction est et deux voies en direction ouest. Il y est depuis 1957.
[4] En juin 2012, Alberta Transportation a déposé une demande auprès de l’Office au titre du paragraphe 101(3) de la Loi sur les transports afin d’obtenir une ordonnance autorisant la construction d’un nouveau franchissement. Elle a demandé l’approbation pour la construction d’un nouveau passage supérieur croisant l’unique voie du CP. Elle a également saisi l’Office en vertu de l’article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C (1985) (4e suppl.), ch. 32 quant à la question de la répartition des coûts entre le CP et Alberta Transportation.
[5] Alberta Transportation a présenté le projet comme comportant deux étapes distinctes. La phase 1 consisterait en l’élargissement à six voies du pont à trois voies existant. Pour ce faire, un nouveau pont, adjacent au pont existant, serait construit de sorte qu’il y aurait trois voies en direction est et trois voies en direction ouest. La phase 2 prévoyait une expansion du pont qui permettrait d’accueillir le South West Calgary King Road (ci-après le périphérique sud-ouest de Calgary (PSOC)). Le PSOC revêt une importance capitale pour Alberta Transportation et la ville de Calgary en ce qui concerne la gestion du trafic futur à l’intérieur et autour de Calgary.
[6] Le PSOC traverserait les terres de la nation Tsuut’ina. Il était impossible de donner suite au PSOC avant de conclure une entente avec la nation Tsuut’ina. Les négociations entre Alberta Transportation et la nation Tsuut’ina se déroulaient en même temps que les procédures devant l’Office.
[7] Le CP a fait valoir que le projet constituait une « nouvelle route » et que, par conséquent, selon les lignes directrices de l’Office, le CP ne devrait assumer aucune responsabilité en ce qui concerne les coûts. En réponse, Alberta Transportation a retiré la phase 2 et a limité sa demande d’approbation et de répartition à la phase 1 uniquement. Le CP a maintenu sa position selon laquelle le projet de la phase 1 constituait également une « nouvelle route ».
[8] En conséquence, le projet précis présenté à l’Office et pour lequel une approbation a été demandée en 2012 portait sur la construction d’une structure constituée de trois voies principales en direction ouest qui comprenait un aménagement pour une future voie de desserte ainsi que sur des travaux sur le tablier de la structure existante qui permettraient d’en faire une structure constituée de trois voies principales en direction est.
[9] En mars 2013, l’Office a rendu sa décision [décision no 137-R-2013] (la décision de 2013).
[10] L’Office a conclu que la phase 1 consistait en une reconstruction d’un saut-de-mouton existant sur une route existante. L’argument de « nouvelle route » a été rejeté, même si aucun motif n’a été fourni. L’argument selon lequel le saut-de-mouton fait partie du PSOC n’a pas été abordé. Le projet a été abandonné avec le retrait de la phase 2.
[11] Dans les arguments qu’elle a soumis à l’Office, Alberta Transportation a fait valoir que six voies répondaient aux « besoins actuels », une expression utilisée par l’Office dans l’exercice de son rôle spécialisé. Les besoins actuels renvoient à la capacité requise pour répondre au volume du trafic au franchissement une fois le projet achevé.
[12] Le débit journalier moyen annuel (DJMA) au franchissement en 2012 était de 26 000 véhicules, ce qui, selon le guide de conception géométrique d’Alberta Transportation (le guide d’Alberta Transportation servant à prévoir les besoins futurs en matière d’autoroute), justifiait la construction d’un pont à quatre voies. Après avoir reconnu le délai requis pour reconstruire le saut-de-mouton existant, l’Office était « convaincu que le volume de circulation routière de 2012 [était] suffisamment proche » du chiffre de 31 000 — le seuil exigé pour justifier un tronçon à six voies — pour que la construction de six voies soit envisagée dans le cadre de l’ouvrage exigé pour répondre aux besoins actuels (décision de 2013, au paragraphes 26 à 28). L’Office a autorisé la reconstruction au motif que six voies (trois dans chaque direction) étaient requises pour satisfaire aux besoins actuels d’un DJMA de 26 000 véhicules.
[13] L’Office a réparti les coûts (à l’exception des coûts d’une future voie de desserte, qui a été jugée ne pas faire partie du saut-de-mouton de base) entre l’Alberta et le CP à 85 p. 100 et 15 p. 100, respectivement (décision de 2013, aux paragraphes 30, 49, 50 et 60). Il s’agit de la répartition habituelle appliquée par l’Office lorsqu’une construction proposée est qualifiée de reconstruction d’un saut-de-mouton existant par opposition à une nouvelle construction.
[14] Le CP n’a pas interjeté appel de la décision de 2013.
[15] Le 27 novembre 2013, la province et la nation Tsuut’ina ont conclu une entente concernant la construction des tronçons du PSOC sur leurs terres traditionnelles.
[16] Le 24 mars 2015, l’Alberta a déposé une autre demande au titre du paragraphe 101(3) de la Loi sur les transports. La province a demandé une ordonnance autorisant et répartissant les coûts d’une phase 2 révisée et élargie du projet. La phase 2, qualifiée par l’Alberta de [traduction] « reconstruc[tion du] passage supérieur pour faire passer le périphérique sud ouest de Calgary au-dessus de la voie existante du CFCP », était devenue viable en raison de l’accord avec la Première Nation, qui permettait la construction du PSOC.
[17] La demande de 2015 proposait des révisions importantes au projet de la phase 1 approuvé antérieurement. Au lieu de simplement effectuer des travaux sur le tablier du pont existant pour en faire entièrement un pont à trois voies en direction est, la phase 2 révisée, parfois décrite comme [traduction] « l’ouvrage de 2015 » dans le dossier, comportait la démolition du pont existant, la construction d’un pont à trois voies en direction est entièrement nouveau et la construction du pont distinct en direction ouest qui a été approuvée dans la décision de 2013. Ensemble, ils permettraient d’accueillir sept voies de circulation de voies principales au-dessus de la voie du CP au lieu de six.
[18] La phase 2 révisée comprendrait également l’ajout, approuvé en 2013, de deux voies d’accès extérieur sur le pont en direction ouest, l’ajout de deux voies d’accès extérieur et d’un aménagement pour une future voie de desserte sur le nouveau pont en direction est, un aménagement pour une future deuxième voie du CFCP, deux voies pour un futur système léger sur rail ainsi qu’une future route municipale à deux voies.
[19] À l’automne 2015, le CP a appris que l’Alberta avait obtenu le financement fédéral pour les projets d’infrastructure pour le PSOC; il a demandé à l’Office de suspendre sa décision jusqu’à ce qu’il ait reçu les documents connexes en réponse aux demandes formulées en vertu de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.A. 2000, ch. F-25 et de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1. Le CP faisait valoir que les documents avaient une incidence importante sur les questions liées à l’identité des personnes qui bénéficieraient du projet, à la portée du projet et à la répartition des coûts.
[20] L’Office a refusé d’ajourner (décision de 2015, au paragraphe 45) et, le 24 décembre 2015, a rendu sa décision. C’est la décision de 2015 de l’Office qui fait l’objet du présent appel.
III. Décision no 397-R-2015 de l’Office des transports du Canada
[21] L’Office a tiré cinq conclusions principales.
[22] L’Office a rejeté la demande du CP de reporter le prononcé de sa décision pendant que le CP cherchait à obtenir des documents supplémentaires pertinents pour la demande de 2015. L’Office a conclu que le fait de reporter le prononcé de la décision serait injuste pour l’Alberta, qui avait « droit à une décision en temps opportun » et irait à l’encontre de l’article 29 de la Loi sur les transports, qui dispose que l’Office doit rendre ses décisions dans les 120 jours. Cependant, et cela est important pour la disposition du présent appel, l’Office a laissé la porte ouverte au CP pour lui permettre de présenter une demande au titre de l’article 32 de la Loi sur les transports. Cet article dispose qu’il peut y avoir révision de décisions « en raison de faits nouveaux ou en cas d’évolution [...] des circonstances de l’affaire visée par ces décisions » (décision de 2015, aux paragraphes 39 à 45).
[23] Deuxièmement, il a conclu que la structure en direction ouest décrite dans la demande de 2015 était essentiellement la même que celle déjà autorisée par la décision de 2013. Par conséquent, en ce qui concerne la structure en direction ouest, la décision de 2015 n’a traité que de l’ajout de deux voies d’accès extérieures (décisions de 2015, aux paragraphes 28 à 31) qui n’avait pas été inclus dans la décision de 2013 (décision de 2015, aux paragraphes 28, 31 et 34).
[24] Troisièmement, l’Office a rejeté l’argument du CP selon lequel les modifications proposées par l’Alberta dans le cadre de la phase 2 constituaient une construction d’une nouvelle route. À son avis, la démolition et la reconstruction proposées du pont existant, qui le transformerait en une structure à quatre voies entièrement en direction est, et la construction proposée de deux nouvelles voies d’accès extérieures sur la structure en direction ouest qui a été autorisée dans la décision de 2013, constituaient une reconstruction du saut-de-mouton existant. La vocation de cette reconstruction était de mettre à jour la route existante, l’autoroute 22X, afin de répondre à l’augmentation du volume de la circulation routière (décision de 2015, aux paragraphes 60 à 68).
[25] Quatrièmement, l’Office autorisait la reconstruction proposée (à savoir, la démolition du pont existant et la construction d’un nouveau pont en direction est) afin d’accueillir la quatrième voie principale. Cette construction amènerait à sept le nombre total de voies principales, ce qui, selon la conclusion tirée par l’Office, était « nécessaire pour répondre aux besoins actuels une fois la construction du saut-de-mouton terminée » (décision de 2015, aux paragraphes 86, 87, 90 et 94). En outre, les deux voies d’accès extérieures étaient nécessaires pour rendre fonctionnelle la structure en direction ouest qui a été approuvée dans la décision de 2013 (décision de 2015, au paragraphe 67).
[26] Enfin, l’Office a attribué 85 p. 100 de la reconstruction et de la construction du nouveau saut-de-mouton à l’Alberta et 15 p. 100 au CP, la même répartition qui a été appliquée au projet de la phase 1 en 2013. Envisageant des projets d’expansion, l’Office a également statué que tous les autres ouvrages constituaient des installations supplémentaires, dont le coût, ainsi que le coût associé à tout allongement ou élargissement de l’une ou l’autre des structures en prévision de l’aménagement de ces installations supplémentaires, seraient supportés par la partie qui les demandera (décision de 2015, aux paragraphes 97 à 102).
IV. Les questions en litige dans le présent appel
[27] Le CP ne conteste pas l’autorisation de l’un ou l’autre de ces travaux. Le CP conteste plutôt la répartition des coûts par l’Office, soutenant qu’il n’a aucune obligation de payer des coûts excédentaires à ceux prévus dans la décision de 2013. Le CP sollicite une ordonnance annulant la décision quant à la répartition et demande que sa part des coûts soit réduite à zéro pour cent ou, subsidiairement, sollicite une ordonnance renvoyant la demande à l’Office afin qu’il rende une nouvelle décision avec la directive qu’une partie des coûts soit attribuée à la ville de Calgary et que la subvention fédérale reçue par l’Alberta soit appliquée avant la répartition des coûts.
[28] Le CP conteste la décision sur trois plans.
[29] Le CP prétend d’abord que l’Office a commis une erreur en rendant la décision de 2015 d’une manière qui ne concordait pas avec la décision de 2013. Ce moyen d’appel est axé sur les divergences alléguées entre les décisions de l’Office de 2013 et de 2015 quant à la DJMA et les besoins actuels.
[30] Le CP prétend en second lieu que l’Office a commis trois erreurs de droit dans son examen du paragraphe 16(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire. En rendant une décision qui ne tenait pas compte de la mesure dans laquelle la ville de Calgary bénéficierait de la phase 2, le CP affirme que l’Office a commis une erreur de droit en ne procédant pas à l’analyse prévue au paragraphe 16(4). Ce paragraphe dispose que « [l]’Office [tient compte] [...] des avantages respectifs que retirerait des installations la personne qui l’a saisi ou qui aurait pu le faire ». Le CP fait valoir que l’Office a également commis une erreur en concluant qu’il était susceptible de retirer un avantage de l’aménagement d’une deuxième voie, alors qu’il n’y a aucune preuve en ce sens. La troisième erreur dans l’analyse prévue au paragraphe 16(4) résultait du défaut d’examiner les coûts réels pour l’Alberta à la lumière du financement en infrastructure.
[31] Le troisième moyen d’appel du CP est que l’Office, en rejetant sa demande d’ajournement et en procédant en l’absence des documents demandés, a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale.
A. Norme de contrôle
[32] Je me penche dans un premier temps sur la question de la norme de contrôle.
[33] Bien qu’il s’agisse d’un appel prévu par la loi, les principes du droit administratif s’appliquent (Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 38), et les parties ont raison d’affirmer que la norme du caractère raisonnable est la norme de contrôle applicable au premier et au deuxième moyen d’appel (Compagnie des chemins de fer nationaux c. Viterra Inc., 2017 CAF 6, aux paragraphes 35 à 38; Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, au paragraphe 100). Je ne suis pas d’accord, toutefois, pour dire que la norme du caractère raisonnable s’applique à la question de savoir si l’Office a porté atteinte au droit à l’équité procédurale du CP.
[34] L’équité procédurale est une question que doit trancher la cour de révision et, ce faisant, « la norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale sera toujours celle de la “décision correcte” » (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502 (Khela), au paragraphe 79). L’utilisation du mot « toujours » est révélatrice. L’arrêt Khela n’a pas modifié ce que le juge Evans a affirmé précédemment, à savoir que « [l]e droit est bien fixé » : les allégations en matière d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte (Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, [2015] 2 R.C.F. 170, au paragraphe 34).
[35] Ce que signifie l’expression « décision correcte » dans le contexte de l’équité procédurale est une question que j’aborderai sous peu.
[36] Les jugements que la Cour a rendus après l’arrêt Khela ont confirmé que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne les questions d’équité procédurale est la norme de la décision correcte (voir, p. ex., Wsáneć School Board c. Colombie-Britannique, 2017 CAF 210, aux paragraphes 22 et 23; Johnny c. Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146, au paragraphe 19; Therrien c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 14, au paragraphe 2; Miakanda-Batsika c. Bell Canada, 2016 CAF 278, au paragraphe 14; El-Helou c. Canada (Service administratif des tribunaux judiciaires), 2016 CAF 273, au paragraphe 43; Arsenault c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 179, au paragraphe 11; Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, au paragraphe 16; Abi-Mansour c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 135, au paragraphe 6).
[37] Selon certaines décisions de la Cour, le droit sur cette question n’est pas fixé. Un examen plus approfondi révèle toutefois que ce n’est pas le cas.
[38] Dans l’arrêt Maritime Broadcasting System Ltd. c. La Guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59 (Maritime Broadcasting), rendu avant l’arrêt Khela, la norme de la décision raisonnable a été mentionnée, mais seulement dans les motifs dissidents. On s’appuie parfois, à tort, sur la décision Ré:Sonne pour alléguer que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Dans cette affaire, la norme de la décision correcte a été appliquée, même si la Cour a mis l’accent sur le pouvoir discrétionnaire des décideurs administratifs de faire des choix de procédure. L’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c. Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, [2015] 4 R.C.F. 75 (Forest Ethics), également invoqué à l’appui de la norme de la décision raisonnable, a été rendu sept mois après l’arrêt Khela. Cet arrêt ne fait aucune mention de l’arrêt Khela. Les commentaires des juges majoritaires dans l’arrêt Vavilov c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, [2018] 3 R.C.F. 75 (Vavilov), aux paragraphes 11 à 14 sur cette question sont, comme la juge Gleason l’a signalé dans ses motifs dissidents (au paragraphe 92), des opinions. L’arrêt Bergeron c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 (Bergeron), même s’il a été rendu après l’arrêt Khela, se fonde sur l’arrêt Forest Ethics et les motifs dissidents formulés dans l’arrêt Maritime Broadcasting.
[39] L’argument avancé devant la Cour est que l’équité procédurale est évaluée selon la norme de la décision correcte, et ce, en faisant preuve d’une grande déférence à l’égard des choix faits par le tribunal en matière de procédure. Tant que les choix de procédure sont raisonnables, la norme de la décision correcte est satisfaite. Cette affirmation, qu’il n’est pas peu fréquent d’entendre, est circulaire et, à mon avis, confond deux parties distinctes de l’analyse d’un manquement allégué à l’équité procédurale.
[40] Je reviens aux principes fondamentaux de l’équité procédurale. Il est convenu que la réponse à ce qu’exige l’équité dans une circonstance particulière est très variable et tributaire du contexte (Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la page 682). La teneur ou le degré d’équité requis est circonscrit par les cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker), aux pages 837 à 841 [paragraphes 21 à 28] (voir aussi l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504 (Mavi), au paragraphe 42). Parmi ces facteurs, le cinquième, soit le degré de déférence dont il faut faire preuve à l’égard du décideur, est pertinent en l’espèce.
[41] Il ressort de l’arrêt Baker que la déférence dont il faut faire preuve à l’égard du choix fait par le tribunal en matière de procédure est un facteur qui permet de mesurer le degré d’équité procédurale requis. Ce facteur est utile, mais il n’est toutefois pas déterminant. La déférence dont on peut faire preuve à l’égard des tribunaux en ce qui concerne leurs choix en matière de procédure ne signifie pas que la question fondamentale de savoir si les procédures étaient, dans l’ensemble, équitables, est appréciée selon la norme de la décision raisonnable. Cet argument assimile les facteurs contextuels qui visent à déterminer le degré d’équité (p. ex., le caractère adéquat d’une audience sur dossier par opposition à une audience tenue de vive voix) à la question fondamentale, soit de savoir si la partie connaissait la preuve à réfuter, si elle a eu la possibilité de répondre et si un décideur impartial a examiné sa preuve pleinement et équitablement. L’argument que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte, assortie d’un élément de déférence, combine donc deux questions distinctes.
[42] On cite parfois le paragraphe 89 de l’arrêt Khela à l’appui de la thèse selon laquelle la norme de la décision raisonnable devrait s’appliquer à l’équité procédurale :
Aux termes du par. 27(3), le commissaire peut refuser la communication de renseignements s’il a des « motifs raisonnables de croire » que la communication de ces renseignements pourrait mettre en danger la sécurité du pénitencier, la sécurité d’une personne, ou pourrait compromettre la tenue d’une enquête. Le commissaire, ou son représentant, est le mieux en mesure de décider si ce risque pourrait effectivement se concrétiser. Par conséquent, il faut, dans une certaine mesure, faire preuve de déférence sur ce point envers le commissaire ou le directeur. De même, ces derniers sont mieux en mesure de déterminer la fiabilité de certaines sources ou de certains informateurs. Par conséquent, il faut, sur ce point également, faire preuve d’une certaine déférence. Toutefois, si le par. 27(3) n’est pas invoqué et que certains renseignements ne sont pas communiqués, la déférence ne sera pas justifiée et la décision sera inéquitable sur le plan procédural et, par conséquent, illégale.
[43] Cependant, l’arrêt Khela doit être interprété à la lumière du régime législatif examiné par la Cour. Le paragraphe 27(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, autorisait le commissaire du Service correctionnel à retenir des documents qui par ailleurs seraient pertinents pour ce qui est de l’équité des procédures lorsqu’il y avait des « motifs raisonnables de croire » (la Cour souligne) que la communication des renseignements mettrait en danger la sécurité de l’établissement ou de ses résidents. Conformément à l’arrêt Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781, l’examen de la Cour était axé sur l’effet du texte législatif en ce qui concerne la formulation de la teneur de l’obligation d’équité procédurale. Il ne visait pas la question de la norme de contrôle applicable.
[44] La thèse selon laquelle la norme de contrôle qui s’applique en matière d’équité procédurale est la norme de la décision correcte, assortie d’une certaine déférence, prête à confusion et est inutile. Elle porte à confusion, car la norme de contrôle s’applique à l’examen des résultats et, en tant que thèse, elle ne s’applique pas à la procédure par laquelle ces résultats sont atteints. Il s’agit d’une remarque qui n’est ni nouvelle ni surprenante. Ce point a été souligné par le juge Binnie dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539 [au paragraphe 102]:
L’équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s’applique au résultat de ses délibérations.
[45] Dans l’arrêt Kelly c. Nova Scotia Police Commission, 2006 NSCA 27, 241 N.S.R. (2d) 300, aux paragraphes 20 et 21, le juge Cromwell (alors juge à la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse) a fait remarquer, dans le même sens, qu’on doit faire preuve de déférence à l’égard du choix fait par le décideur en matière de procédure au moment de décider du degré de l’obligation d’équité, mais qu’il n’est pas nécessaire de faire preuve de déférence lorsqu’il est question de décider si le décideur s’est acquitté de cette obligation. La Cour le rappelle, ce raisonnement reconnaît que les mentions relatives à la déférence qui sont faites dans le contexte de l’équité procédurale ne sont pas faites lorsqu’il est question de déterminer la norme de contrôle applicable, mais elles sont faites dans le cadre de l’examen du cinquième facteur énoncé dans l’arrêt Baker, soit le facteur qui aide à déterminer le degré de l’obligation d’équité.
[46] L’équité procédurale a été décrite comme « un fondement du droit administratif canadien moderne » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.CS. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 79) et la question de savoir si cette obligation a été satisfaite a, pendant des décennies, été traitée comme une question juridique que la Cour devait trancher (Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311 (Nicholson); Knight, à la page 682; Baker, aux pages 837 à 841 [paragraphes 21 à 28]; Mavi, au paragraphe 42). La déférence n’est qu’un des nombreux critères qui permet de déterminer le degré d’équité, mais elle ne s’applique pas lorsqu’il est question de répondre à la question de savoir si l’obligation d’équité a été satisfaite. L’arrêt Dunsmuir lui-même est un précédent en ce qui concerne ce point.
[47] Il est utile de rappeler que, dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour était saisie de deux questions. La première question portait sur la décision de l’arbitre quant à savoir si les lois provinciales autorisaient la tenue d’une enquête sur la raison pour laquelle l’employeur décidait de congédier un employé avec préavis ou indemnité en tenant lieu. C’était relativement à cette question que la Cour s’est penchée sur la question de la norme de contrôle applicable et a décidé que c’était la norme de la décision raisonnable. Cependant, dans l’arrêt Dunsmuir, une deuxième question a été soulevée et celle-ci a été perdue de vue pendant le débat de dix ans qui a été suscité par cette décision. Cette question oubliée portait sur la nature de l’équité procédurale devant être accordée au titulaire d’une charge publique lorsqu’il fait l’objet d’un congédiement. L’analyse de la question de l’équité procédurale a été examinée dans le cadre d’une analyse complètement distincte de l’analyse portant sur la question de la norme de contrôle applicable. L’analyse portant sur la question de la norme de contrôle applicable n’a joué aucun rôle dans la réponse à la deuxième question.
[48] Cette observation est formulée plus clairement si on fait mention des critères permettant d’évaluer le caractère raisonnable énoncés dans l’arrêt Dunsmuir, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité. Ces critères permettent à une cour de révision de vérifier le caractère raisonnable d’une décision et de savoir si elle appartient « aux issues possibles acceptables ». Il s’agit d’outils qui permettent à une cour de révision de procéder à un examen approfondi. Comme outils, ils ne sont d’aucune utilité dans l’appréciation de la question de savoir si l’obligation d’équité a été satisfaite. Le caractère raisonnable d’une décision est sans conséquence si on est arrivé à celle-ci d’une manière qui contrevient à l’équité procédurale.
[49] Je souligne, entre parenthèses, la remarque formulée par le juge Binnie dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa), au paragraphe 102, à savoir que, selon l’arrêt Dunsmuir, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux questions d’équité procédurale. Comme on l’a fait remarquer dans l’arrêt Maritime Broadcasting, au paragraphe 79, ce commentaire a été fait en passant et constitue une opinion. Un certain nombre d’auteurs ont dit que cette affirmation constitue une erreur et que l’arrêt Dunsmuir n’a pas fusionné la norme de contrôle pour ce qui est de l’équité procédurale (Edward Clark, « Reasonably Unified : The Hidden Convergence of Standards of Review in the Wake of Baker » (2018) 31 Can. J. Admin. L. & Prac. 1, aux pages 8 et 9; l’honorable Simon Ruel, « What is the Standard of Review to Be Applied to Issues of Procedural Fairness? » (2016) 29 Can. J. Admin. L. & Prac. 259 (l’honorable Simon Ruel), à la page 268). Néanmoins, l’essence de ce point, par opposition à sa provenance, est conforme à l’observation formulée dans l’arrêt Khela selon laquelle la décision correcte dans le contexte de l’équité procédurale signifie simplement qu’une cour doit être convaincue que le droit à l’équité procédurale été respecté. Je n’interprète pas non plus la remarque du juge Binnie comme s’écartant de la distinction qu’il a faite dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, entre un examen portant sur le fond et un examen portant sur la procédure.
[50] C’est la raison pour laquelle la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu que [traduction] « aucune analyse quant à la norme de contrôle applicable n’est nécessaire » en matière d’appréciation de l’équité procédurale (Brooks c. Ontario Racing Commission, 2017 ONCA 833, 33 Admin. L.R. (6th) 316, au paragraphe 5). Cette conclusion est conforme à l’observation selon laquelle les questions d’équité procédurale n’ont pas été mêlées à la question de l’analyse relative à la norme de contrôle applicable (l’honorable John M. Evans, « View from the Top : Administrative Law in the Supreme Court of Canada 2016–2017 », dans Donald J. M. Brown et l’honorable John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, Toronto : Thomson Reuters Canada Limited, 2017, à la page 2017VT-14).
[51] D’autres cours d’appel se sont également, à juste titre, interrogées sur le rôle, le cas échéant, de l’analyse relative à la norme de contrôle applicable dans le cadre de l’appréciation de l’équité procédurale. En fin de compte, elles ont eu recours à la norme de la décision correcte pour évaluer si l’obligation en matière d’équité procédurale avait été satisfaite (Boeing Canada Operations Ltd. v. Winnipeg (City) Assessor, 2017 MBCA 83, 23 Admin. L.R. (6th) 87, aux paragraphes 31 à 36; Eagle’s Nest Youth Ranch Inc. v. Corman Park (Rural Municipality #344), 2016 SKCA 20, 476 Sask. R. 18 (Eagle’s Nest), aux paragraphes 21 et 26 à 29; Spinks v. Alberta (Law Enforcement Review Board), 2011 ABCA 162, 46 Alta. L.R. (5th) 84 (Spinks), aux paragraphes 23 et 27.
[52] Dans l’arrêt Khela, la Cour suprême n’a pas fondu une doctrine distincte du droit administratif, à savoir le droit de l’équité procédurale, dans la norme de contrôle applicable à l’examen portant sur le fond. Pour ce faire, il aurait fallu qu’elle s’écarte de la décision qu’elle a rendue dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 SCC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh), où elle a appliqué une norme de contrôle faisant appel à la déférence au fond de la décision du ministre et a conclu qu’elle était raisonnable, mais a néanmoins annulé la décision au motif que les mécanismes sous-jacents prévus par la loi par lesquels on est arrivé à la décision étaient inéquitables sur le plan de la procédure. Elle se serait ainsi écartée de la décision qu’elle a rendue dans l’arrêt Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick, 2002 CSC 11, [2002] 1 R.C.S. 249, au paragraphe 74, où elle a explicitement déclaré qu’une évaluation de l’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable ».
[53] Dans le même ordre d’idées, la Cour, dans l’arrêt Khela, a été très claire en ce qui concerne la démarcation entre les principes qui régissent un examen portant sur le fond par rapport à un examen portant sur la procédure (aux paragraphes 79 et 80) en concluant que la norme de la décision raisonnable n’est aucunement pertinente en ce qui a trait à la question de savoir si l’obligation d’équité procédurale a été satisfaite :
Troisièmement, la possibilité de contester une décision au motif qu’elle est déraisonnable ne change pas nécessairement la norme de révision applicable aux autres lacunes de la décision ou du processus décisionnel. Par exemple, la norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale sera toujours celle de la « décision correcte ».
Il n’est pas nécessaire de savoir si la décision qu’a prise la directrice dans la présente affaire était illégale parce qu’elle était déraisonnable. Comme je l’expliquerai plus loin, la décision était illégale parce qu’elle était inéquitable sur le plan procédural.
[54] La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris à l’égard des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Une cour de révision fait ce que les cours de révision ont fait depuis l’arrêt Nicholson; elle demande, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi. Je souscris à l’observation du juge Caldwell dans l’arrêt Eagle’s Nest (au paragraphe 20) selon laquelle, même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [traduction] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée.
[55] Tenter de caser la question de l’équité procédurale dans une analyse relative à la norme de contrôle applicable est aussi, en fin de compte, un exercice non rentable. L’examen portant sur la procédure et l’examen portant sur le fond visent différents objectifs en droit administratif. Bien qu’il y ait un chevauchement, le premier porte sur la nature des droits concernés et les conséquences pour les parties touchées, alors que le dernier porte sur la relation entre la cour et le décideur administratif. En outre, certaines questions de procédure ne se prêtent pas du tout à une analyse relative à la norme de contrôle applicable, par exemple lorsque la partialité est alléguée. Comme le démontre l’arrêt Suresh, la distinction entre l’examen portant sur le fond, l’examen portant sur la procédure et la capacité d’un tribunal à accorder des mesures de redressement adaptées à chacun est un outil utile dans la boîte à outils judiciaire et, à mon avis, il n’y a aucune raison convaincante pour laquelle elle devrait être abandonnée.
[56] Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. Cela pourrait s’avérer problématique si une décision a priori sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable donnait une réponse différente à ce qui est une question singulière fondamentale à la notion de justice ― a-t-on accordé à la partie le droit d’être entendue et la possibilité de connaître la preuve qu’elle doit réfuter? L’équité procédurale n’est pas sacrifiée sur l’autel de la déférence.
[57] Je reviens maintenant aux faits de l’espèce.
B. L’Office a-t-il commis une erreur en rendant la décision de 2015 d’une manière qui ne concordait pas avec la décision de 2013?
[58] L’essence de l’argument du CP est que le changement dans le DJMA prévu entre la décision de 2013 et la décision de 2015 ne suffisait pas à justifier un changement dans le volume de travail requis pour répondre aux besoins actuels concernant la circulation routière. Plus particulièrement, le CP allègue que puisque l’Office a statué dans la décision de 2013 que six voies étaient suffisantes pour satisfaire à la catégorie du DJMA de 31 000 à 50 000 du guide de conception géométrique de l’Alberta, il était illogique de statuer, comme il l’a fait dans la décision de 2015, que sept voies étaient requises afin de satisfaire à la même catégorie du DJMA de 31 000 à 50 000. Le CP soutient que cette incompatibilité constitue une erreur de droit et que, pour ce motif, les travaux autorisés dans la décision de 2015, y compris la construction de la deuxième voie, devraient être considérés comme ayant trait à des installations supplémentaires et non pas comme ayant trait au saut-de-mouton requis pour répondre aux besoins actuels.
[59] Comme le fait remarquer l’Alberta, les besoins actuels ont changé. En faisant valoir que les besoins de 2013 et de 2015 entraient dans la catégorie du DJMA de 31 000 à 50 000, le CP qualifie mal les besoins actuels. En 2013, le DJMA était plutôt de 26 000; en 2015, il était de 37 600. Le fait que l’Office a conclu, en 2013, que ce DJMA de 26 000 était « suffisamment proche » de 31 000 pour justifier un tronçon à six voies ne signifie pas que l’Office a tiré la conclusion que le DJMA en 2013 était en fait de 31 000 et non de 26 000.
[60] L’Office a conclu qu’un tronçon à six voies était nécessaire pour répondre aux DJMA de 26 000 de 2012 (décision de 2013, aux paragraphes 26 à 28). En 2015, il a conclu que la circulation augmenterait à 37 600 ― au-delà du seuil du guide de conception pour six voies ― au moment où la phase 2 serait achevée et qu’un tronçon à sept voies était requis afin de répondre au changement dans les besoins actuels (décision de 2015, aux paragraphes 86 à 90 et 94).
[61] Ces décisions sont des conclusions de fait qu’il n’est pas loisible à la Cour de modifier. Il ne peut être interjeté appel devant la Cour que relativement à une question de droit ou de compétence; Loi sur les transports, article 41. Peu importe, compte tenu de l’ensemble des motifs et du résultat, et compte tenu du fait que les besoins actuels ont bel et bien changé et que la prochaine catégorie ― [traduction] « plus de 50 000 » ― justifiait un tronçon à huit voies, l’augmentation à 37 600 fait en sorte que la décision portant qu’un tronçon de sept voies est requis appartient aux issues possibles acceptables.
[62] Maintenant que les nuances des conclusions de l’Office relatives au DJMA ont été précisées, il est clair qu’il n’existe aucun conflit entre les deux décisions. Ce moyen d’appel est donc rejeté.
C. L’Office a-t-il commis une erreur de droit en ne procédant pas à l’analyse prévue au paragraphe 16(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire?
[63] Comme je l’ai déjà indiqué, le CP fait valoir que l’Office a commis trois erreurs de droit dans l’analyse prévue au paragraphe 16(4).
[64] Pour récapituler, le CP prétend que l’Office a commis une erreur en concluant qu’il profiterait d’une augmentation du trafic ferroviaire, car cette conclusion a été tirée sans aucun élément de preuve. En effet, le CP affirme que le seul élément de preuve sur ce point démontre le contraire ― le CP ne prévoyait pas une augmentation du trafic, et, par conséquent, tirer une conclusion contraire constituait une erreur de droit.
[65] Deuxièmement, le CP prétend que, puisque la ville de Calgary est une bénéficiaire, le paragraphe 16(4) exigeait que l’Office attribue une partie des coûts à Calgary. Il prétend également que, une fois que les futures installations de Calgary seront construites, Calgary sera partiellement responsable de l’augmentation du trafic au franchissement, une considération qui exigeait également que l’Office attribue des coûts à Calgary. Le CP prétend que, pour ces deux motifs, l’Office a commis une erreur dans la répartition des coûts.
[66] Troisièmement, le CP prétend que le paragraphe 16(4) oblige l’Office à tenir compte du financement fédéral reçu par l’Alberta avant de répartir les coûts et a commis une erreur en omettant de le faire.
[67] En ce qui concerne le premier moyen, je conviens avec le CP que l’Office n’a pas expliqué la raison pour laquelle il y aurait une augmentation du trafic ferroviaire (décision de 2015, au paragraphe 91). En effet, le seul élément de preuve sur ce point provenait du CP, qui a affirmé, à deux reprises pendant les procédures, qu’il ne prévoyait ou n’envisageait pas qu’une deuxième voie serait nécessaire. Par conséquent, l’Office n’était saisi d’aucun élément de preuve selon lequel il y aurait une augmentation du trafic ferroviaire et il se peut bien que le CP ait raison d’affirmer qu’il s’agit d’une erreur de droit que de tirer une conclusion de fait qui n’est étayée par aucune preuve à l’appui : R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197, au paragraphe 25.
[68] Cependant, cela ne veut pas dire qu’il était déraisonnable d’attribuer des coûts au CP alors qu’il ne retirerait pas un avantage de la construction.
[69] Dans la demande dont il était saisi, il était demandé à l’Office de répartir les coûts de la reconstruction d’un saut-de-mouton attribuable principalement à un aménagement routier. Puisqu’il s’agissait d’un saut-de-mouton existant, l’Office a réparti les coûts selon un ratio de 85 :15 entre l’administration routière et l’administration ferroviaire, respectivement, en tenant compte de la position normale énoncée dans la publication de l’Office, Répartition des coûts des sauts-de-mouton : Un outil d’information (l’outil d’information).
[70] Conformément à l’outil d’information, l’Office a conclu au paragraphe 93 de la décision de 2015 que, « [c]ompte tenu de l’historique de responsabilité partagée des parties à ce franchissement, et du fait que les deux parties continueront de profiter du saut-de-mouton, l’Office conclut qu’il convient que les parties continuent de partager la responsabilité à ce franchissement » (non souligné dans l’original).
[71] Par conséquent, même s’il n’y avait aucune preuve d’augmentation du trafic ferroviaire découlant du projet de la phase 2 en particulier, la décision de l’Office selon laquelle le CP en profiterait reposait sur un second fondement ― l’avantage continu que pourrait retirer le CP du saut-de-mouton.
[72] Pour conclure sur ce point, l’erreur de droit soulevée au paragraphe 63 ci-dessus est sans conséquence, compte tenu de l’existence d’un deuxième fondement permettant de conclure que le CP retirerait un avantage.
[73] Je me penche maintenant sur le prochain argument du CP, c’est-à-dire, le défaut d’examiner si Calgary était une partie qui retirerait un avantage de l’ouvrage au sens du paragraphe 16(4).
[74] L’Office n’a pas abordé la question de savoir si Calgary était une bénéficiaire des installations ou si elle serait responsable de l’augmentation future de la circulation. Cependant, le CP n’a pas fait valoir dans ses observations auprès de l’Office que Calgary était une bénéficiaire ou qu’elle était responsable de telle sorte qu’elle devait assumer une partie des coûts (voir dossier d’appel, vol. 1, onglet IV(4) pour ses observations du 29 mai 2015; voir dossier d’appel, vol. 2, onglet IV(11) pour ses observations du 13 octobre 2015; voir dossier d’appel, vol. 2, onglet IV(13) pour ses observations finales du 19 octobre 2015). Le CP a seulement fait valoir que les ponts de la phase 2 étaient en partie requis pour répondre aux besoins de la ville de Calgary et que le CP n’en profitait pas (voir p. ex., les observations du 29 mai 2015, à la page 4, dossier d’appel, vol. 1, onglet IV(4), à la page 119).
[75] Il est manifeste que le CP avait une certaine tendance à croire que Calgary allait profiter du projet de 2015, même si le CP ne connaissait pas la nature, la portée et l’étendue de la participation de Calgary. Cette tendance n’est devenue manifeste qu’après la divulgation au CP des communications entre l’Alberta et Calgary suite à ses demandes d’accès à l’information.
[76] L’analyse effectuée par l’Office au titre du paragraphe 16(4) doit faire l’objet d’une appréciation à la lumière des circonstances dont il était saisi. À l’époque Calgary n’était pas une partie devant l’Office et aucune partie n’a demandé son intervention. Les parties conviennent que le CP ou l’Alberta aurait pu se joindre à Calgary à titre de partie aux procédures. Les parties conviennent également que l’Office pourrait attribuer des coûts à Calgary si elle avait comparu devant l’Office. On ne peut pas dire, à la lumière des thèses des parties, que le défaut de tenir compte de l’avantage retiré par Calgary, constitue une erreur.
[77] Selon la Loi sur les transports, la Cour ne peut pas recevoir d’autres éléments de preuve quant à savoir qui est bénéficiaire ou responsable en ce qui concerne le franchissement, ou tirer des conclusions de fait sur cette question. La Cour ne peut que procéder à l’évaluation des décisions de l’Office après qu’il a examiné la preuve et qu’il a rendu des décisions, et même là, uniquement si, ce faisant, l’Office a commis une erreur de droit ou de compétence. Je n’examinerai donc pas la demande du CP voulant que la Cour modifie la répartition des coûts. Cependant, cela ne prive pas le CP de tout recours.
[78] La doctrine de l’épuisement des recours prescrit que, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent pas intervenir dans un processus administratif tant qu’il n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces possibles n’ont pas été épuisés : C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332, au paragraphe 31,; Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713, au paragraphes 40 et 42. L’article 32 de la Loi sur les transports constitue un tel recours. Il dispose qu’une partie peut demander à l’Office de réviser une décision, « en raison de faits nouveaux ou en cas d’évolution [...] des circonstances de l’affaire visée par ce[tte] décision ».
[79] Si, toutefois, le CP estime qu’il a reçu des renseignements qui démontrent une telle évolution, le recours approprié consiste à introduire une demande au titre de l’article 32. Dans les circonstances de l’espèce, l’existence du présent recours dont le CP ne s’est pas encore servi signifie que le processus administratif est en cours. On ne saurait reprocher à l’Office de ne pas avoir décidé en faveur du CP, alors qu’il ne disposait d’aucun des éléments de preuve que le CP avait obtenus suite à ses demandes d’accès à l’information. La présente espèce est nettement différente de l’arrêt Rogers Communications Canada Inc. c. Metro Cable T.V. Maintenance, 2017 CAF 127 (Rogers Communications). En l’espèce, contrairement à cette affaire, l’Office était conscient des efforts déployés par le CP en vue d’obtenir les documents pertinents et a décidé de procéder sans égard à ceux-ci. Il a fait mention de la possibilité de présenter une demande au titre de l’article 32 pour justifier de procéder.
[80] L’argument du CP que l’Office a commis une erreur en omettant de tenir compte du financement fédéral fait l’objet des mêmes préoccupations. L’Office ne disposait d’aucun renseignement à propos du financement et, à juste titre, n’a rendu aucune décision sur sa pertinence quant à la répartition des coûts. L’Alberta convient que l’effet du financement fédéral sur l’exercice de répartition des coûts constitue également une nouvelle question qui aurait dû être traitée au titre de l’article 32, et qui, je le répète, distingue la présente espèce de l’arrêt Rogers Communications.
D. La décision de l’Office était-elle équitable sur le plan de la procédure?
[81] Le CP allègue que l’Office a contrevenu au droit du CP à l’équité procédurale de deux façons : en rejetant la demande du CP de suspendre sa décision de 2015 pendant sa quête de documents en vertu des lois sur l’accès à l’information et en refusant d’ordonner à l’Alberta de produire certains documents pertinents en ce qui concerne la mesure dans laquelle Calgary profitera de l’ouvrage et en ce qui concerne la question des coûts réels pour l’Alberta. Le CP affirme que le défaut de prendre l’une ou l’autre de ces mesures a empêché le CP de présenter sa preuve complètement et équitablement.
[82] En ce qui concerne la production de documents, l’Alberta a offert de fournir au CP les renseignements demandés s’il présentait une demande officielle en vertu des règles de l’Office. Le CP n’a pas accepté l’offre. L’offre de l’Alberta était conditionnelle à la mention par CP des documents précis demandés, une condition que le CP prétend ne pas avoir pu remplir. En même temps, l’Alberta s’est opposée à la demande du CP pour raison de retard.
[83] L’Alberta a fait valoir que, même s’il était de notoriété publique en septembre 2015 qu’un financement fédéral pouvant atteindre 583 millions de dollars avait été affecté au projet du PSOC, aucune entente officielle n’avait été conclue et l’octroi du financement était incertain au moment de la décision de l’Office. L’Alberta fait valoir que cette incertitude, jumelée à l’obligation imposée par la loi à l’Office de rendre des décisions au plus tard dans les 120 jours après avoir reçu les documents introductifs et la possibilité de présenter une demande au titre de l’article 32, rend la décision de l’Office équitable sur le plan de la procédure.
[84] Selon l’alinéa 41(1)d) des Règles de l’Office des transports du Canada (Instances de règlement des différends et certaines règles applicables à toutes les instances), DORS/2014-104 (les Règles de l’Office sur les instances de règlement des différends), l’Office peut suspendre une instance lorsqu’il « l’estime juste et raisonnable ». Cette disposition législative expresse est semblable à ce qui a été examiné dans l’arrêt Khela où il a été déclaré que les renseignements pouvaient être retenus si le commissaire « a des “motifs raisonnables de croire” que la communication de ces renseignements pourrait mettre en danger la sécurité du pénitencier, la sécurité d’une personne, ou pourrait compromettre la tenue d’une enquête ». Étant donné que « [l]e commissaire [...] est le mieux en mesure de décider si ce risque pourrait effectivement se concrétiser », la Cour suprême a conclu qu’« il faut, dans une certaine mesure, faire preuve de déférence sur ce point envers le commissaire » (Khela, au paragraphe 89; [soulignement ajouté]).
[85] Lorsque l’Office a rendu sa décision, il n’était pas contesté que le CP était en mesure de présenter tous les renseignements qui étaient à sa disposition à l’époque, et aucun document précis ou groupe de documents pertinents en ce qui concerne les questions n’avait pas encore été relevé ou obtenu par le CP. En outre, l’Office avait le droit de tenir compte à tout le moins de son obligation, prévue à l’article 29 de la Loi sur les transports, de rendre une décision dans les 120 jours, si possible. À l’époque de la demande du CP, il s’était écoulé cinq mois depuis que l’Office avait reçu les documents introductifs d’instance de l’Alberta.
[86] Cependant, je partage la préoccupation du CP concernant le degré d’importance accordée par l’Office à l’obligation relative aux 120 jours. Comme le souligne le CP, il s’agit d’une règle plus souvent violée que respectée. La décision de 2013, portant sur la phase 1, un projet moins coûteux et moins complexe, a été rendue plus de neuf mois après le dépôt de la demande d’Alberta Transportation. L’avocat du CP a également attiré l’attention de la Cour sur plus de 25 décisions de l’Office. Seulement deux ont été rendues dans le délai prescrit de 120 jours et un petit nombre ont été rendues hors délai suite à une entente entre les parties.
[87] Le CP tire la conclusion, raisonnable selon moi, que l’Office a agi avec une rapidité peu commune afin de veiller à ce que l’Alberta ait les approbations nécessaires pour obtenir le financement en infrastructure. Il souligne que seulement un certain nombre des travaux autorisés par la décision de 2013 avaient été commencés, ce qui renforce l’argument selon lequel le retard ne cause aucun préjudice à l’Alberta.
[88] Toutefois, ces considérations n’établissent pas à elles seules que l’Office a porté atteinte au droit à l’équité procédurale du CP en ne reportant pas sa décision.
[89] Je tire cette conclusion en raison de l’existence du droit du CP de présenter une demande au titre de l’article 32. Il s’agit d’un élément essentiel du contexte dans lequel la décision de refuser un ajournement doit être examinée. Les recours du CP ne sont pas épuisés. L’Office lui-même, en refusant l’ajournement, a reconnu que ce recours était offert au CP.
[90] Je me penche maintenant sur le défaut de l’Office d’ordonner la production de documents. Le CP n’a pas demandé à l’Office d’ordonner que l’Alberta produise les renseignements demandés, et cela en dépit de la possibilité de présenter une telle demande au titre de l’article 24 des Règles de l’Office sur les instances de règlement des différends et de l’offre de l’Alberta de fournir les renseignements demandés dans l’éventualité où le CP formulerait une telle demande. Dans ces circonstances, on peut dire que, en omettant de demander à l’Office de délivrer l’ordonnance, le CP a renoncé à tout droit à l’égard d’une telle ordonnance. Une partie qui a renoncé à un droit à l’équité procédurale ne peut pas ensuite contester une décision administrative au motif que cette dernière a été prise en violation de ce droit auquel il a été renoncé (Johnson c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 76, au paragraphe 25; Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 116, [2010] 2 R.C.F. 488, au paragraphe 48).
[91] Par conséquent, le CP n’a pas établi que l’Office a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en omettant d’ordonner la production de documents. Le CP disposait des mécanismes nécessaires pour veiller à ce que ses intérêts soient protégés dans les instances devant l’Office. Il aurait pu présenter au titre de l’article 24 des Règles de l’Office sur les instances de règlement des différends une demande visant à forcer la communication des documents supplémentaires. Il aurait pu également demander à se joindre à Calgary à titre de partie. Il peut également maintenant présenter une demande au titre de l’article 32 [de la Loi sur les transports].
[92] Les arguments fondés sur l’équité procédurale sont donc rejetés.
[93] Cela ne met toutefois pas un terme à l’affaire.
[94] Le 7 septembre 2016, la Cour a fait droit à une requête présentée par le CP en vue d’obtenir une ordonnance l’autorisant à présenter de nouveaux éléments de preuve dans le cadre du présent appel. Sur la foi de ces éléments de preuve, le CP fait valoir qu’Alberta Transportation a caché à l’Office la nature et la portée complètes des futures installations de Calgary devant être placées sous les nouveaux ponts. Compte tenu des éléments de preuve dont la Cour est saisie, cet argument a un certain bien fondé.
[95] Il ne fait aucun doute que le CP était au courant des plans de construction d’une route à deux voies et de deux voies de système léger sur rails. Ce qui n’a pas été communiqué, que ce soit au CP ou à l’Office, c’était le plan de construire une route à quatre voies, un passage pour piétons et l’étendue de l’empiétement sur l’emprise de chemin de fer du CP. Tous ces ouvrages pourraient avoir des répercussions sur l’analyse faite par l’Office au titre du paragraphe 16(4).
[96] Les renseignements reçus à la suite de la demande d’accès à l’information faite par le CP indiquent que la ville de Calgary et Alberta Transportation pourraient avoir tenu le CP et l’Office dans l’ignorance à propos de leurs futurs plans :
[traduction]
Le 5 décembre 2011, de Wayne Krause à Garry Lamb et autres :
En ce qui concerne le plan CPR-01, copie ci-jointe, je recommanderais de ne pas inclure la future route finale à quatre voies dans le plan. Cependant, il sera toujours possible de construire une route à quatre voies en obtenant l’autorisation d’empiéter sur l’emprise de chemin de fer du CFCP.
Étant donné que le temps presse pour obtenir l’autorisation du CFCP, il me semble que le fait de présenter au CFCP seulement l’option à deux voies, [c.-à-d.] l’option à deux voies, présentée sans qu’il soit question de l’emprise de chemin de fer du CFCP, recevra l’approbation du CP sans problème. Qui sait si la route à quatre voies ne sera jamais construite. Si cela est requis un jour, alors la Ville ou A.T. devra négocier l’autorisation d’avoir accès à l’emprise de chemin de fer du CFCP. […]
Le 28 mars 2012, de Wayne Krause à Garry Lamb et Alan Dixon :
[…] Du point de vue d’A.T., cela simplifierait grandement nos négociations à ce stade si nous montrions uniquement l’étape à deux voies en faisant abstraction de l’emprise de chemin de fer du CFCP et si nous indiquions que la Ville peut ultérieurement communiquer avec le CP en ce qui concerne l’option à quatre voies […]
Le 30 mars 2012, de Wayne Krause à Garry Lamb et Alan Dixon :
Étant donné que Doug est informé que la Ville étudie la possibilité de construction d’une route à quatre voies passant par le talus du côté est, nous devrions probablement indiquer d’emblée que l’étape à long terme pourrait être une installation à quatre voies.
Je sais que nous avions décidé de montrer uniquement une étape finale à deux voies, car l’installation à quatre voies comprendrait la négociation d’une servitude, entre autres, avec le CFCP, puisque deux voies empiéteraient sur l’emprise de chemin de fer du CFCP. Garry, savez-vous si la Ville pourrait procéder à la construction d’une installation à deux voies ou à quatre voies dans la future étape initiale de sa route?
Je crois qu’il serait bon d’ajouter les deux « futures » voies de système léger sur rail sur le talus du côté ouest du plan du profil en travers du CFCP-01 avant de soumettre à nouveau la section à Doug. Si je me souviens bien, nous avons décidé de ne pas indiquer toutes les routes qui pourraient empiéter sur l’emprise de chemin de fer du CFCP, puisqu’il y a toujours une possibilité que cela puisse retarder le processus d’approbation de l’étape actuelle. [Non souligné dans l’original.]
[97] Les plans présentés au CP, sur lesquels l’Office a fondé sa décision, ne montraient pas l’option comprenant les quatre voies et le passage pour piétons (voir les plans STR-02 et STR-03 à l’annexe A de la demande de 2015 d’Alberta Transportation, dossier d’appel, vol. 1, onglet IV(1), aux pages 62 et 63).
[98] Ces documents ont eu une incidence importante et directe sur la décision de 2015 et ont eu des conséquences pour le CP. Le CP a été privé de la possibilité d’analyser, en collaboration avec la ville [de Calgary] et Alberta Transportation, dans quelle mesure Calgary était susceptible de profiter de la proposition. Les documents ont une incidence directe sur l’analyse exigée par le paragraphe 16(4).
[99] Le dossier indique également qu’il y a eu de longues discussions entre Alberta Transportation et la ville de Calgary au sujet de la mesure dans laquelle Calgary pourrait profiter du projet et des coûts connexes. Je fais remarquer, entre parenthèses, que l’argument selon lequel les coûts de Calgary ont été incorporés aux coûts d’Alberta Transportation, car les travaux de Calgary correspondaient à des « installations supplémentaires » pour lesquels le CP n’assumerait aucune responsabilité embrouille l’argument principal du CP. L’argument du CP, qui est bien fondé, est que sa part totale des coûts du projet aurait pu être moindre si l’Office avait tenu compte de la mesure dans laquelle Calgary était susceptible d’en profiter.
[100] L’Office a invité CP à présenter une demande de réexamen si des faits nouveaux étaient découverts. Il semble que, même si de tels faits ont été découverts et qu’ils pourraient avoir une incidence directe et importante sur plusieurs aspects de la décision de 2015, y compris la décision préliminaire quant à savoir si la phase 2 constituait une nouvelle route. Dans l’éventualité où il le souhaiterait, il est loisible au CP, en vertu de l’article 32 [de la Loi sur les transports], de présenter à l’Office une demande de réexamen de la décision de 2015 et de tout autre motif qu’il souhaite faire valoir.
[101] Je rejetterais l’appel. Compte tenu des présents motifs, je ne rendrais aucune ordonnance concernant les dépens.
La juge Gleason, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Laskin, J.C.A. : Je suis d’accord.