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T-1000-15

2018 CF 436

Affaire intéressant les articles 5 et 6 du Code d’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17

Et l’article premier, ainsi que les articles 6 et 34 du Code d’arbitrage commercial figurant à l’annexe de la Loi sur l’arbitrage commercial,

Et un arbitrage fondé sur le chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (l’ALÉNA)

Entre  :

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

William Ralph Clayton, William Richard Clayton, Douglas Clayton, Daniel Clayton et Bilcon of Delaware, Inc. (défendeurs)

et

Fondation Sierra Club Canada et East Coast Environmental Law Association (2007) (intervenantes)

Répertorié : Canada (Procureur Général) c. Clayton

Cour fédérale, juge Mactavish—Ottawa, 29 et 30 janvier; 2 mai 2018.

Examen de l’investissement étranger — Demande présentée en vertu de l’art. 34(2)(a)(iii) du Code d’arbitrage commercial (Code) sollicitant une ordonnance annulant une sentence arbitrale rendue en faveur des défendeurs par la majorité d’un tribunal constitué en vertu du chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) — Les défendeurs souhaitaient développer une carrière de basalte, une usine de traitement, une installation de chargement de navires et un terminal maritime en Nouvelle-Écosse (le projet) — Une commission d’examen conjoint (CEC) a effectué une évaluation environnementale — Elle a recommandé que le projet ne soit pas autorisé à aller de l’avant parce qu’il risquerait de causer des effets environnementaux défavorables importants qui ne pouvaient être justifiés dans les circonstances — Les gouvernements de la Nouvelle-Écosse et du Canada ont rendu des décisions refusant la permission de poursuivre le projet — Les défendeurs ont réclamé des dommages-intérêts en vertu des art. 1102, 1103 et 1105 de l’ALENA — Le Tribunal à la majorité a retenu la norme consacrée à l’occasion de l’affaire Waste Management, Inc. v. United Mexican States (Waste Management) — Il a conclu notamment que les autorités gouvernementales ont créé des attentes légitimes chez les défendeurs, que la CEC a agi de façon arbitraire en créant effectivement une nouvelle norme d’évaluation, à savoir celle des « valeurs fondamentales de la collectivité », sans prendre en considération les mesures qui pourraient atténuer l’effet défavorable du projet sur l’environnement — Il a conclu que les art. 1102 et 1105 ont été violés — Le Canada a soutenu notamment que le Tribunal a excédé sa compétence en mesurant la conduite de la CEC au regard de sa propre conclusion quant aux exigences de la loi nationale, et en concluant à la responsabilité au titre de l’ALENA en se fondant sur une violation de la loi nationale — Il s’agissait de savoir si le Tribunal à la majorité a commis une erreur de compétence du genre de celle qui est discutée dans l’arrêt United Mexican States v. Cargill, à savoir si le Tribunal a tranché une question qui ne relevait pas du litige soumis à l’arbitrage ou s’il a mal interprété le pouvoir que lui confère l’ALENA — L’avis d’arbitrage indiquait clairement que les questions soumises à l’arbitrage appelaient le Tribunal à déterminer si les défendeurs ont été traités moins favorablement que les investisseurs canadiens l’auraient été et si leur traitement était inférieur à la norme minimale de traitement du droit international coutumier — En statuant sur des questions de droit canadien réservées à la Cour fédérale, le Tribunal n’a pas excédé sa compétence — Les tribunaux de l’ALENA peuvent voir dans la conformité ou la non-conformité à la législation nationale un facteur dans la détermination de la responsabilité au titre de l’ALENA — Trancher des questions « préliminaires » ou « accessoires » de droit national ne transforme pas un tribunal de l’ALENA en une cour d’appel nationale — La majorité du Tribunal n’a pas discuté une question qui ne relevait pas du litige soumis à l’arbitrage par les défendeurs — Il n’était pas loisible à la Cour d’examiner la décision du Tribunal au fond et de remettre en cause ses conclusions de fait, car toute erreur que le Tribunal aurait pu commettre à cet égard ne relevait pas d’une question de compétence — Il n’était possible d’intervenir en ce qui concerne la décision du Tribunal que si la majorité avait excédé sa compétence — La question en litige en l’espèce était de savoir si le non-respect par le Canada des exigences de ses lois nationales en matière d’évaluation environnementale a atteint le « seuil de gravité » envisagé par la jurisprudence Waste Management ou si ce non-respect constituait un traitement discriminatoire aux fins de l’art. 1102 de l’ALENA — La thèse du Canada selon laquelle le Tribunal n’a pas appliqué la norme de Waste Management, s’appuyant plutôt exclusivement sur les violations du droit interne pour attribuer la responsabilité, n’a pas été retenue — Le Tribunal a tiré une conclusion factuelle de conduite arbitraire et a appliqué le droit international coutumier pour déterminer si le Canada a violé la norme minimale de traitement — Il n’y a rien dans l’ALENA, correctement interprété, qui interdit à la majorité du Tribunal de rendre la sentence qu’elle a rendue — Demande rejetée.

Pratique — Parties — Intervention — Le Canada a sollicité une ordonnance annulant une sentence arbitrale rendue en faveur des défendeurs par la majorité d’un tribunal constitué en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain — Les arguments des intervenantes visaient à amplifier les questions dont la Cour était saisie et à modifier fondamentalement l’objet de la présente affaire — L’appui par les intervenantes de la position du Canada reposait sur des arguments qui n’ont pas été avancés par le Canada, ni par les défendeurs — Le rôle de l’intervenant n’est pas d’introduire de nouvelles questions, mais plutôt d’offrir une perspective différente.

Il s’agissait d’une demande présentée en vertu du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code d’arbitrage commercial (Code) sollicitant une ordonnance annulant une sentence arbitrale rendue en faveur des défendeurs par la majorité d’un tribunal constitué en vertu du chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Les défendeurs ont constitué en personne morale Bilcon of Delaware, Inc. dans le but de développer une carrière de basalte, une usine de traitement, une installation de chargement de navires et un terminal maritime à Whites Point, en Nouvelle-Écosse (le projet). Les défendeurs ont investi de nombreuses années et des millions de dollars dans la poursuite du projet. Une commission d’examen conjoint (CEC) fédérale-provinciale a été établie pour effectuer une évaluation environnementale du projet. La CEC a recommandé que le projet ne soit pas autorisé à aller de l’avant parce qu’il risquerait de causer des effets environnementaux défavorables importants qui ne pouvaient être justifiés dans les circonstances. La CEC était préoccupée notamment par le fait « que le projet aurait un effet négatif important sur une composante valorisée de l’écosystème représentée par les “valeurs essentielles” des communautés touchées » et « porterait gravement atteinte à la planification du développement économique porté par la communauté et mettrait en péril une région reconnue et glorifiée comme modèle de viabilité par les instances locales, régionales, nationales et internationales ». Les gouvernements de la Nouvelle-Écosse et du Canada ont rendu des décisions distinctes refusant la permission de poursuivre le projet. Les défendeurs ont déposé un avis d’arbitrage en vertu de l’ALENA, réclamant des dommages-intérêts pour les violations par le Canada des articles 1102 (Traitement national), 1103 (Traitement de la nation la plus favorisée) et 1105 (Norme minimale de traitement) de l’ALENA. Le Tribunal à la majorité a déclaré qu’il retenait la norme consacrée par le Tribunal de l’ALENA à l’occasion de l’affaire Waste Management, Inc. v. United Mexican States (Waste Management), qui interdit notamment les comportements [traduction] « arbitraires, manifestement injustes, partiaux ou idiosyncratiques ». Le Tribunal à la majorité a conclu notamment que les autorités gouvernementales ont créé des attentes légitimes chez les défendeurs en indiquant clairement et à plusieurs reprises qu’ils étaient les bienvenus pour poursuivre le projet, que la CEC a agi de façon arbitraire en créant effectivement une nouvelle norme d’évaluation, à savoir celle des « valeurs fondamentales de la collectivité », sans prendre en considération les mesures qui pourraient atténuer l’effet défavorable du projet sur l’environnement. Selon le Tribunal à la majorité, l’approche retenue par la CEC était incompatible avec les objectifs de libéralisation des investissements de l’ALENA et n’était pas conforme à l’article 1105. Il a aussi conclu que le Canada avait privé du traitement national les défendeurs relativement au projet, en violation de l’article 1102.

  Le Canada a soutenu notamment que le Tribunal a excédé sa compétence en mesurant la conduite de la CEC au regard de sa propre conclusion quant aux exigences de la loi nationale, et en concluant à la responsabilité au titre de l’ALENA en se fondant sur une violation de la loi nationale plutôt qu’en mesurant la conduite de la CEC au regard des règles du droit international coutumier.

La Cour d’appel de l’Ontario a soigneusement examiné la norme de contrôle à appliquer lors de l’examen d’une sentence relevant du chapitre 11 de l’ALENA en vertu du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code à l’occasion de l’affaire United Mexican States v. Cargill, Inc. La Cour a conclu à l’occasion de l’affaire Cargill que la mission d’une cour réformatrice dans une affaire comme celle-ci est de déterminer si le Tribunal a tranché une question qui ne relevait pas du litige soumis à l’arbitrage ou s’il a mal interprété le pouvoir que lui confère l’ALENA. Elle a observé qu’une autre façon pour une cour réformatrice de définir la bonne approche consiste à répondre aux trois questions suivantes  : (1) Quelle était la question que le Tribunal a tranchée? (2) La question était-elle visée par le litige soumis à l’arbitrage en vertu du chapitre 11 de l’ALENA? (3) Y a-t-il un élément de l’ALENA, interprété correctement, qui rendait inhabile le Tribunal à rendre la sentence qu’il a rendue?

Dans la présente affaire, il s’agissait de savoir si le Tribunal à la majorité en l’espèce a commis une erreur de compétence du genre de celle qui est discutée dans l’arrêt Cargill.

Jugement : La demande doit être rejetée.

Il est ressorti clairement de la lecture objective de l’ensemble des motifs du Tribunal à la majorité que la question centrale qu’il a tranchée était de savoir si la conduite du Canada en ce qui concerne le processus d’évaluation environnementale et d’approbation du projet et son traitement des défendeurs contrevenaient aux obligations que lui imposent les articles 1102, 1103 et 1105 de l’ALENA.

Cette question figurait dans le litige soumis par les défendeurs à l’arbitrage. L’avis d’arbitrage des défendeurs indiquait clairement que les questions soumises à l’arbitrage appelaient le Tribunal à déterminer si les défendeurs ont été traités moins favorablement que les investisseurs canadiens l’auraient été dans des circonstances semblables et si leur traitement était inférieur à la norme minimale de traitement du droit international coutumier. Les réponses à ces questions obligeaient inévitablement le Tribunal à examiner le respect par la CEC et le gouvernement canadien du droit canadien de l’environnement dans le cadre des faits ayant donné naissance au différend. En statuant sur des questions de droit canadien réservées à la Cour fédérale, le Tribunal n’a pas excédé sa compétence. Les tribunaux de l’ALENA peuvent voir dans la conformité ou la non-conformité à la législation nationale d’un pays signataire de l’ALENA un facteur dans la détermination de la responsabilité au titre de l’ALENA. Trancher des questions « préliminaires » ou « accessoires » de droit national ne transforme pas un tribunal de l’ALENA en une cour d’appel nationale. Cela fait plutôt partie de l’exercice de la compétence inhérente d’un tribunal qui est [traduction] « nécessaire pour donner effet au droit de l’investisseur à l’arbitrage international ainsi qu’à l’objet et au but de la plupart des traités portant sur l’investissement, sinon tous ». Les exigences du droit canadien en matière d’environnement et la conformité ou la non-conformité du Canada à ces exigences ont été directement mises en cause par les parties devant le Tribunal. Elles étaient en outre expressément précisées dans le litige soumis à l’arbitrage par les défendeurs qui demandaient les dommages-intérêts au titre des violations qu’aurait commises le Canada des obligations que lui impose l’ALENA. Par conséquent, la majorité du Tribunal n’a pas excédé sa compétence car elle n’a pas discuté une question qui ne relevait pas du litige soumis à l’arbitrage faite par les défendeurs en vertu du chapitre 11 de l’ALENA. Il n’était pas loisible à la Cour d’examiner la décision du Tribunal au fond et de remettre en cause ses conclusions de fait, car toute erreur que le Tribunal aurait pu commettre à cet égard ne relevait pas d’une question de compétence.

En ce qui concerne la troisième et dernière question à trancher, il n’était possible d’intervenir en ce qui concerne la décision du Tribunal que si la majorité avait excédé sa compétence, comme le prévoit le sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code. En l’espèce, le Tribunal avait clairement compétence pour entreprendre son enquête, c’est-à-dire pour rechercher si le traitement des défendeurs par le Canada et sa conduite concernant la CEC et le processus d’approbation du projet violaient les obligations que lui imposent les articles 1102 et 1103 et 1105 de l’ALENA. La question en litige en l’espèce était de savoir si le non-respect par le Canada des exigences de ses lois nationales en matière d’évaluation environnementale a atteint le « seuil de gravité » envisagé par la jurisprudence Waste Management ou si ce non-respect constituait un traitement discriminatoire aux fins de l’article 1102 de l’ALENA. Il était impossible de retenir la thèse du Canada selon laquelle le Tribunal n’a pas appliqué la norme de Waste Management, s’appuyant plutôt exclusivement sur les violations du droit interne pour attribuer la responsabilité. Le Tribunal a tiré une conclusion factuelle de conduite arbitraire et a appliqué le droit international coutumier pour déterminer si le Canada avait violé la norme minimale de traitement aux fins de l’article 1105 de l’ALENA. La question de savoir si l’approche de la CEC était en fait « nouvelle » ou « arbitraire » était une question de fait qui portait sur le fond de la décision du Tribunal et qui dépassait la portée d’un examen dans le cadre d’une demande d’annulation présentée en vertu du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code. Il était également inexact de dire que le Tribunal à la majorité a fondé ses conclusions de responsabilité au titre de l’ALENA exclusivement sur des allégations de violation de la loi canadienne dans le processus de la CEC. Il a fondé également sa conclusion sur le fait que la conduite du Canada avait atteint le niveau envisagé par la jurisprudence Waste Management sur les « attentes raisonnables » des défendeurs. Les conclusions de la majorité du Tribunal quant à la nature des déclarations qui ont été faites par les représentants de l’État et aux attentes qui auraient pu raisonnablement être créées par ces déclarations étaient des questions de fait qui ont été directement déférées au Tribunal. Elles ne comportaient pas de questions de compétence susceptibles d’examen. Le fait que la majorité du Tribunal se soit concentrée longuement sur les déclarations faites aux défendeurs constitue une confirmation supplémentaire du fait qu’elle avait connaissance de la grille d’analyse consacrée par la jurisprudence Waste Management et qu’elle s’efforçait de l’appliquer aux faits de l’espèce. La constatation que la majorité du Tribunal s’en est remis au droit international à cet égard, et non au droit interne, est étayée par la jurisprudence constante qui enseigne que les attentes légitimes ne peuvent créer de droits matériels en droit canadien et ne peuvent que créer des droits procéduraux. Pour ces raisons, il n’y a rien dans l’ALENA, correctement interprété, qui interdit à la majorité du Tribunal de rendre la sentence qu’elle a rendue.

Enfin, les arguments des intervenantes visaient à amplifier les questions dont la Cour était saisie et à modifier fondamentalement l’objet de la présente affaire. Cela n’était pas séant dans le cadre d’une intervention. Les intervenantes ont appuyé généralement la position du Canada dans cette affaire. Leur appui reposait, toutefois, sur des arguments qui n’ont pas été avancés par le Canada, ni même par les défendeurs. Le rôle de l’intervenant n’est donc pas d’introduire de nouvelles questions, mais plutôt d’offrir une perspective différente qui « aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance ».

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Arbitration Act, R.S.B.C. 1996, ch. 55, art. 31.

Code d’arbitrage commercial, qui constitue l’annexe 1 de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 1(1), 34.

Environment Act, S.N.S. 1994-95, ch. 1. art. 3 « environment », « environmental effect ».

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, art. 2 « effets environnementaux », 16(1)d).

Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44, art. 2(1).

Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 5(4).

Loi sur l’arbitrage commercial international, L.R.O. 1990, ch. I.9.

Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 3, 109.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2, arts 1102, 1103, 1105, 1114, 1116, 1117, 1121, 1131.

Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement, 32 I.L.M. 1482 (1993).

Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, [1980] R.T. Can. no 37, art. 31.

Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, adoptée par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, le 21 juin 1985, art. 34.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées  :

United Mexican States v. Cargill, Inc., 2011 ONCA 622, 107 O.R. (3d) 528, 341 D.L.R. (4th) 249; Consolidated Contractors Group S.A.L. (Offshore) v. Ambatovy Minerals S.A., 2017 ONCA 939, [2017] O.J. no 6323 (QL).

décision différenciée :

United Mexican States v. Metalclad Corp., 2001 BCSC 664, 89 B.C.L.R. (3d) 359.

décisions examinées  :

S.D. Myers Inc. c. Gouvernement du Canada, ALENA ‒ Chapitre 11 ‒ Investissement, (CNUDCI), sentence partielle, 13 novembre 2000; L.F.H. Neer and Pauline Neer (U.S.A.) v. United Mexican States (1926), 4 R.I.A.A. 60; Glamis Gold Ltd. v. United States of America, NAFTA – Chapter 11 – Investment Award, 8 juin 2009; Waste Management, Inc. v. United Mexican States (30 avril 2004), ICSID Case No. Arb(AF)/00/3; Pope & Talbot Inc. v. Government of Canada, (10 avril 2001),CNUDCI Règlement d’arbitrage, sentence sur le fond de la Phase 2; United Mexican States v. Karpa (2005), 74 O.R. (3d) 180, [2005] O.J. no 16 (QL); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie-Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688; ADF Group v. United States of America, (9 janvier 2003), ICSID Case No. ARB(AF)00/1; Mesa Power Group, LLC v. Government of Canada, (24 mars 2016), UNCITRAL PCA Case No. 2012-17; Council of Canadians v. Canada (Attorney General) (2006), 277 D.L.R. (4th) 527, 149 C.R.R. (2d) 290 (C.A. Ont.); Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 174; Corporacion Transnacional de Inversiones, S.A. de C.V. v. STET International, S.p.A., [1999] O.J. no 3573 (QL) (C.S.), (1999), 104 O.T.C. 1, conf. par [2000] O.J. no 3408 (QL) (C.A.), (2000), 49 O.R. (3d) 414, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusé, [2001] 1 R.C.S. xi.

décisions citées  :

Clayton c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 1, [2018] A.C.F. no 11 (QL); Canada (Procureur général) c. S.D. Myers Inc., 2004 CF 38, [2004] 3 R.C.F. 368; Canada (Attorney General) v. Mobil Investments Canada Inc., 2016 ONSC 790 (CanLII), 129 O.R. (3d) 506; Newfoundland and Labrador v. ExxonMobil Canada Properties, 2017 NLTD(G) 147 (CanLII), [2017] N.J. no 313 (QL); SMART Technologies ULC v. Electroboard Solutions Pty Ltd., 2017 ABQB 559 (CanLII), [2017] A.J. No. 953 (QL); Marvin Roy Feldman Karpa v. United Mexican States, (6 décembre 2000), ICSID Case no. Arb(AF)/99/1; GAMI Investments, Inc. v. The Government of the United Mexican States, (15 novembre 2004), UNCITRAL, sentence; Xerox Canada Ltd. v. MPI Technologies Inc., [2006] O.J. no 4895 (QL), 2006 CanLII 41006 (C.S. Ont.); Lesotho Highlands Development Authority v. Impregilo SpA and others, [2005] UKHL 43, [2006] 1 A.C. 221; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504; Canada (Procureur général) c. Canadian Doctors for Refugee Care, 2015 CAF 34; Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 151, [2016] 1 R.C.F. 686 Metalclad Corporation v. United Mexican States (30 août 2000), ICSID Case No. Arb(AF)/97/1; Marvin Feldman v. Mexico (16 décembre 2002), ICSID Case No. Arb(AF)/99/1; The Loewen Group, Inc. and Raymond L. Loewen v. United States of America (26 juin 2003), ICSID Case No. ARB(AF)/98/3; Apotex Inc. v. The Government of the United States of America (14 juin 2013), ICSID Case No. UNCT/10/2.

DOCTRINE CITÉE

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DEMANDE présentée en vertu du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code d’arbitrage commercial sollicitant une ordonnance annulant une sentence arbitrale (Bilcon of Delaware Inc. et al. c. Gouvernement du Canada (17 mars 2015), CNUDCI C.P.A. no de dossier 2009-04) rendue en faveur des défendeurs par la majorité d’un tribunal constitué en vertu du chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique. Demande rejetée.

ONT COMPARU  

Roger Flaim, Karen Lovell et Susanna Kam, pour le demandeur.

Gregory J. Nash, John Judge, John Terry et Randy Sutton, pour les défendeurs.

Aaron Ward, Amir Attaran et Matthew Lakatos-Hayward, pour les intervenantes.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

La sous-procureure générale du Canada, pour le demandeur.

Nash Johnston LLP, Vancouver, pour les défendeurs.

Ecojustice Environmental Law Clinic, Toronto, pour les intervenantes.

 

 

 

 

TABLES DES MATIÈRES

 

Paragraphe

I.          Introduction

1

II.          Les investisseurs

7

III.         Le projet

8

IV.        La commission fédérale-provinciale d’examen conjoint

12

V.        Le recours à l’arbitrage

23

VI.        Les dispositions pertinentes de l’ALENA

27

VII.       La décision du tribunal de l’ALENA

34

A.    La décision du Tribunal à la majorité

37

i)     L’application par la majorité de la norme de la jurisprudence Waste Management

43

B.    L’opinion dissidente

52

VIII.      La question en litige

62

IX.        La norme de contrôle applicable

64

X.        Le Tribunal a-t-il commis une erreur de compétence en l’espèce?

84

A.    Les thèses des parties

84

B.    Observations sur la décision du Tribunal à la majorité

91

C.   Quelle était la question que le Tribunal a tranchée?

100

D.   La décision du Tribunal à la majorité a-t-elle porté sur une question qui n’était pas visée par le litige soumis à l’arbitrage en vertu du chapitre 11 de l’ALENA?

106

i)     Le litige soumis à l’arbitrage par les investisseurs

108

ii)    La thèse du Canada concernant la prise en compte du droit interne par le Tribunal

113

iii)   La thèse du Canada concernant les articles pertinents de l’ALENA et les notes interprétatives

125

iv)   Analyse

130

E.    Y a-t-il une disposition de lALENA qui interdisait à la majorité du Tribunal de rendre la sentence qu’elle a rendue?

148

i)     Le Tribunal avait-il compétence pour entamer l’enquête?

159

ii)    La jurisprudence Metalclad appelle un distinguo

164

iii)   L’application par le Tribunal de la norme de la jurisprudence Waste Management

170

XI.        Les arguments des intervenantes

184

XII.       Conclusion

198

XIII.      Dépens

201

Annexe I

p. 462

Annexe II

p. 466

 

 

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

            La juge Mactavish:

I.          Introduction

[1]        Le gouvernement du Canada sollicite une ordonnance annulant une sentence arbitrale rendue en faveur des défendeurs par la majorité d’un tribunal constitué en vertu du chapitre 11 [articles 1101 à 1139] de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). La majorité du Tribunal a conclu que le Canada avait manqué à certaines des obligations que lui impose l’ALENA lorsqu’un comité d’évaluation environnementale fédéral-provincial avait recommandé que le projet de carrière et de terminal maritime proposé par les défendeurs en Nouvelle-Écosse ne soit pas poursuivi. S’appuyant sur les conclusions de cette évaluation, les gouvernements fédéral et néo-écossais ont par la suite refusé d’approuver le projet.

[2]        Le Canada fait valoir que le Tribunal à la majorité a commis une erreur en concluant que le Canada avait manqué aux obligations que lui impose l’ALENA en fondant sa conclusion de responsabilité sur sa constatation que l’évaluation environnementale n’avait pas été effectuée conformément aux lois fédérales et provinciales applicables. La conclusion du Tribunal à la majorité en matière de responsabilité était également fondée sur sa conclusion que l’évaluation avait été effectuée d’une manière qui ne respectait pas le niveau d’équité procédurale exigé par le droit administratif canadien.

[3]        Le Canada note que les tribunaux de l’ALENA n’ont pas pour mission d’examiner les décisions judiciaires ou administratives prises par les États parties et qu’ils sont seulement habilités à trancher des questions de droit international. Alors que le Tribunal à la majorité prétendait trancher des questions de droit international, le Canada soutient qu’il a plutôt tranché des questions de droit canadien qui sont du seul ressort de notre Cour. Selon le Canada, cette usurpation de compétence appelle l’annulation de la sentence.

[4]        Les défendeurs observent que le pouvoir de notre Cour de revenir sur les décisions arbitrales internationales est strictement limitée par les dispositions de la Loi sur l’arbitrage commercial [L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17], laquelle exclut l’examen par notre Cour d’une décision d’un tribunal arbitral au fond. La Cour ne peut intervenir que lorsqu’un tribunal arbitral tranche une question qui ne relève pas du litige soumis à l’arbitrage par les parties, ou lorsque l’un des cinq autres motifs d’annulation énumérés est constaté. Les défendeurs soutiennent que nulle erreur de compétence n’a été commise par le Tribunal à la majorité en l’espèce et que sa conclusion relative à la responsabilité n’était pas fondée sur les lois internes canadiennes, mais sur les principes de droit international consacrés par les articles pertinents de l’ALENA.

[5]        Selon les défendeurs, le Canada s’efforce de forger une question de compétence là où il n’y en a pas, ce qui, selon eux, constitue une tentative évidente de remise en cause de l’affaire au fond. En l’absence d’une réelle question relative à la compétence du Tribunal, les défendeurs disent que la demande doit être rejetée.

[6]        Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la demande du Canada d’annuler la sentence du Tribunal ne peut être accueillie, car les erreurs attribuées au Tribunal à la majorité ne mettent pas en jeu de véritables questions de compétence. Ce que le Canada conteste, ce sont les conclusions de fait tirées par le Tribunal à la majorité ou son application de la loi aux faits tels qu’il les a constatés. En l’absence d’une réelle erreur de compétence de la part du Tribunal, notre Cour n’a pas le pouvoir d’intervenir. Par conséquent, la demande sera rejetée.

II.          Les investisseurs

[7]        La défenderesse Bilcon of Delaware, Inc. est une société américaine. Les défendeurs William Ralph Clayton, William Richard Clayton, Douglas Clayton et Daniel Clayton sont citoyens américains. Bilcon of Delaware, Inc. et certains des membres de la famille Clayton possèdent ou contrôlent une filiale constituée en Nouvelle-Écosse, connue sous le nom de Bilcon of Nova Scotia (Bilcon). Aux fins des présents motifs, les défendeurs sont ainsi désignés collectivement : « les investisseurs ».

III.         Le projet

[8]        Les investisseurs ont constitué en personne morale Bilcon en 2002 dans le but de développer une carrière de basalte, une usine de traitement, une installation de chargement de navires et un terminal maritime à Whites Point, en Nouvelle-Écosse (le projet). Whites Point est une communauté adjacente à la baie de Fundy.

[9]        La baie de Fundy est une importante aire d’alimentation et de reproduction pour de nombreux animaux marins, y compris un certain nombre d’espèces protégées par la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29. En 2001, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture a désigné l’aire comme une « réserve de biosphère », c’est-à-dire un écosystème qui favorise la biodiversité, la conservation et les ressources durables.

[10]      Le projet proposé par les investisseurs comportait deux volets principaux. Le premier volet était une carrière de 152 hectares située à un kilomètre à l’ouest du village de Little River, où la roche serait dynamitée, écrasée, lavée et stockée. Le deuxième volet du projet consistait en un terminal maritime de 170 mètres de long où des vraquiers d’une longueur maximale de 230 mètres pouvaient amarrer pour être chargés de granulats traités. Il était prévu que Bilcon expédierait 40 000 tonnes de pierres de qualité supérieure de la Nouvelle-Écosse depuis Whites Point jusqu’aux États-Unis chaque semaine (ou 2 000 000 tonnes par année) pour une période de 50 ans.

[11]      S’appuyant sur les encouragements qu’ils disent avoir reçus des « plus hauts niveaux de gouvernement », les investisseurs ont investi de nombreuses années et des millions de dollars dans la poursuite du projet, que les gouvernements fédéral et provinciaux refuseront finalement d’approuver.

IV.        La commission fédérale-provinciale d’examen conjoint

[12]      Le projet a été assujetti à deux régimes d’évaluation environnementale, l’Environment Act, S.N.S. 1994-95, ch.1, de la Nouvelle-Écosse (l’EA de la N.-É.) et la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (LCEE), ainsi qu’à des règlements pris en vertu de chaque loi. La réalisation d’une évaluation environnementale fédérale constituait une condition préalable pour que les investisseurs obtiennent les permis nécessaires de diverses directions des gouvernements fédéral et provincial pour que le projet puisse aller de l’avant.

[13]      Les gouvernements fédéral et provincial ont décidé d’harmoniser ces évaluations et, en 2004, ils ont établi une commission d’examen conjoint (CEC) fédérale-provinciale chargée d’effectuer une évaluation environnementale du projet [Évaluation environnementale du projet de carrière et de terminal maritime de Whites Point : rapport de la commission d’examen conjoint, octobre 2007]. Les investisseurs ne nient pas qu’une évaluation environnementale était requise en l’espèce. Toutefois, leur grief est fondé sur la manière dont l’évaluation a été effectuée.

[14]      Devant le Tribunal de l’ALENA, les investisseurs se sont opposés à la décision de confier le projet à une commission d’examen conjoint plutôt que de le soumettre à un examen environnemental moins fouillé. Ils ont également contesté la composition de la CEC elle-même. Le Tribunal a refusé d’examiner ces demandes au motif qu’elles avaient été présentées après le délai de prescription de trois ans prévu à l’article 1116 de l’ALENA, et ces arguments ne sont pas en cause dans la présente procédure.

[15]      Aux termes de l’EA de la N.-É., la CEC devait déterminer si le projet causerait des effets défavorables ou environnementaux qui ne pourraient être atténués. À cette fin, l’EA de la N.-É. a prescrit une vaste enquête sur les effets potentiels du projet sur les environnements biophysiques et humains. L’EA de la N.-É. définit [à l’article 3] [traduction] l’« environnement » de manière large comme englobant [traduction] « l’air, la terre et l’eau », ainsi que « les conditions socioéconomiques [...] la santé environnementale [et] le patrimoine physique et culturel ». Elle définit [traduction] l’« effet environnemental » comme englobant [traduction] « tout changement, négatif ou positif, que l’entreprise peut causer dans l’environnement, y compris tout effet sur les conditions socio-économiques, sur la santé environnementale, [ou] sur le patrimoine physique et culturel ». Le Règlement de l’EA de la N.-É. prévoyait que la CEC fasse des recommandations sur ces facteurs au ministre de l’Environnement et du Travail de la Nouvelle-Écosse, qui était chargé d’approuver le projet (avec ou sans conditions) ou de le rejeter.

[16]      Aux termes de la LCEE, la CEC était tenue de prendre en considération les effets environnementaux du projet et leur importance. Comme l’EA de la N.-É., la LCEE exigeait qu’il soit tenu compte des effets biophysiques et socio-économiques. La LCEE définit [à l’article 2] les « effets environnementaux » en partie comme les « changements que la réalisation d’un projet risque de causer à l’environnement » et « les répercussions de ces changements soit en matière sanitaire et socioéconomique, soit sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles par les autochtones, soit sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance en matière historique, archéologique, paléontologique ou architecturale ». La LCEE [à l’alinéa 16(1)d)] exigeait également qu’il soit tenu compte des « mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet ».

[17]      Après presque trois ans de travail, la CEC a présenté son rapport aux gouvernements canadien et néo-écossais le 22 octobre 2007. La CEC a recommandé que le projet ne soit pas autorisé à aller de l’avant parce qu’il risquerait de causer des effets environnementaux défavorables importants qui ne pouvaient être justifiés dans les circonstances.

[18]      Bien que la CEC exprime de nombreuses préoccupations au sujet des effets biophysiques et socioéconomiques potentiels du projet, la principale conclusion sur laquelle reposait sa recommandation de rejet du projet était « que le projet aurait un effet négatif important sur une composante valorisée de l’écosystème représentée par les “valeurs essentielles” des communautés touchées ». Comme l’a expliqué la CEC, « [l]’implantation proposée d’un projet industriel dans la région minerait et mettrait en danger les visions et attentes des communautés et entraînerait des changements irrévocables et malvenus de leur qualité de vie ».

[19]      L’un des principaux facteurs ayant influencé la décision de la CEC de recommander le rejet du projet était l’effet défavorable que le projet aurait sur les personnes, les collectivités et l’économie de la péninsule et les îles Digby. Elle a observé que cette région de la Nouvelle-Écosse « est unique de par son histoire, ses activités de développement communautaire et son évolution » et que « [d]éfinies par sa population et ses administrations publiques, ses valeurs essentielles soutiennent les principes de développement durable fondés sur la qualité de l’environnement local ».

[20]      La CEC a ajouté que « les résidents locaux sont profondément enracinés dans les écosystèmes terrestre et maritime de cette région et en dépendent » et que « la santé et le bien-être de la population sont intrinsèquement liés à la viabilité de l’écosystème ». La CEC était d’avis que le projet « porterait gravement atteinte à la planification du développement économique porté par la communauté et mettrait en péril une région reconnue et glorifiée comme modèle de viabilité par les instances locales, régionales, nationales et internationales ». Elle a également conclu que « [l]e projet ne concorde pas avec de nombreux principes et politiques d’administration publique aux niveaux local, provincial et national », et qu’il ne contribuerait pas de façon nette à la durabilité et serait susceptible d’avoir un effet environnemental défavorable important sur les personnes et les communautés qui composent la péninsule et les îles Digby.

[21]      La CEC a choisi de ne fournir aucune recommandation concernant les mesures qui pourraient être prises pour atténuer l’effet environnemental du projet, au cas où les décideurs gouvernementaux décideraient de l’approuver. Cela tient au fait qu’elle a conclu que l’effet du projet sur les « valeurs fondamentales de cette collectivité » était un effet environnemental défavorable important qui ne pouvait être atténué.

[22]      Une fois que la CEC a présenté son rapport, les décideurs devaient rechercher s’il fallait prendre des mesures en vertu des lois fédérales et provinciales permettant au projet d’aller de l’avant. En novembre 2007, la Nouvelle-Écosse a rendu sa décision par laquelle elle refusait la poursuite du projet. Le Canada a emboîté le pas le mois suivant en rendant une décision distincte refusant aux investisseurs la permission de poursuivre le projet.

V.        Le recours à l’arbitrage

[23]      Bien qu’ils aient cerné ce qu’ils affirment être de nombreuses erreurs de procédure et de fond dans le processus et le rapport de la CEC, les investisseurs n’ont pas demandé le contrôle judiciaire du rapport de la CEC ni devant notre Cour ni devant les tribunaux de la Nouvelle-Écosse. Ils n’ont pas non plus attaqué les décisions gouvernementales leur refusant la permission de poursuivre le projet dans l’un ou l’autre ressort.

[24]      Plutôt, le 5 février 2008, les investisseurs ont déposé un avis d’intention de soumettre une demande de dommages-intérêts à l’arbitrage en vertu des dispositions de règlement des différends État-investisseur du chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. n° 2, 32 I.L.M. 289.

[25]      Le 26 mai 2008, les investisseurs ont émis un avis d’arbitrage en vertu de l’ALENA, réclamant des dommages-intérêts pour les violations par le Canada des articles 1102 (Traitement national), 1103 (Traitement de la nation la plus favorisée) et 1105 (Norme minimale de traitement) de l’ALENA.

[26]      À l’appui de leur demande de dommages-intérêts, les investisseurs ont affirmé que le régime de réglementation environnementale du Canada leur avait été appliqué de façon arbitraire, injuste et discriminatoire. Entre autres choses, les investisseurs ont soutenu que la norme d’évaluation utilisée par la CEC pour évaluer l’effet environnemental du projet de Whites Point ne relevait pas de sa mission aux termes de la loi canadienne. Les investisseurs soutiennent en outre qu’en se fondant sur une évaluation environnementale erronée pour refuser d’approuver le projet, les décisions des gouvernements fédéral et provincial étaient fondamentalement arbitraires et injustes et contraires aux articles susmentionnés de l’ALENA.

VI.        Les dispositions pertinentes de l’ALENA

[27]      Le chapitre 11 de l’ALENA vise les investissements effectués par des investisseurs d’une partie de l’ALENA sur le territoire d’une autre partie à l’ALENA. Il avait pour but de favoriser l’objectif de l’ALENA d’accroître les possibilités d’investissement dans les territoires des trois pays signataires du Traité.

[28]      La section A [articles 1101 à 1114] du chapitre 11 de l’ALENA énonce les obligations précises que chaque partie doit remplir envers les investisseurs d’autres pays membres de l’ALENA. Entre autres obligations, les États parties sont tenus de traiter les investisseurs d’un autre pays de l’ALENA conformément à la norme minimale de traitement prévue par le droit international coutumier et de leur accorder un traitement non moins favorable que le traitement accordé à leurs propres investisseurs. La section B [articles 1115 à 1138] du chapitre 11 permet à l’investisseur d’un pays de l’ALENA de présenter une demande d’arbitrage contre un État hôte alléguant que les dispositions de fond du chapitre 11 n’ont pas été respectées : William S. Dodge, « National Courts and International Arbitration : Exhaustion of Remedies and Res Judicata Under Chapter Eleven of NAFTA » (2000), 23 Hastings Int’l & Comp. L. Rev., page 358.

[29]      Sont en cause en l’espèce les articles 1102 et 1105 de l’ALENA, dont les passages pertinents se lisent comme suit :

Article 1102 : Traitement national

1.   Chacune des Parties accordera aux investisseurs d’une autre Partie un traitement non moins favorable que celui qu’elle accorde, dans des circonstances analogues, à ses propres investisseurs, en ce qui concerne l’établissement, l’acquisition, l’expansion, la gestion, la direction, l’exploitation et la vente ou autre aliénation d’investissements.

[…]

Article 1105 : Norme minimale de traitement

1. Chacune des Parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d’une autre Partie un traitement conforme au droit international, notamment un traitement juste et équitable ainsi qu’une protection et une sécurité intégrales.

Le texte intégral de chacune de ces dispositions figure à l’annexe I des présents motifs.

[30]      L’objet de l’article 1105 de l’ALENA a été ainsi défini : [traduction] « éviter ce qui pourrait autrement être une lacune » dans les mesures de protection prévues pour les investisseurs et les États. Autrement dit, un [traduction] « gouvernement pourrait traiter un investisseur d’une manière sévère, injurieuse et injuste, mais le faire d’une manière qui n’est pas différente du traitement infligé à ses propres ressortissants. La “ norme minimale ” est le seuil en dessous duquel le traitement des investisseurs étrangers ne doit pas tomber, même si un gouvernement n’agissait pas de manière discriminatoire » : les deux citations de S.D. Myers, Inc. c. Gouvernement du Canada, ALENA – Chapitre 11 – Investissement, (CNUDCI), sentence partielle, 13 novembre 2000, au paragraphe 259, cité dans l’affaire United Mexican States v. Metalclad Corp., 2001 BCSC 664, 89 B.C.L.R. (3d) 359 [Metalclad], paragraphe 61.

[31]      Les « Notes d’interprétation » relatives à l’article 1105 publiées par la Commission du libre-échange de l’ALENA sont également pertinentes : Voir « Notes d’interprétation de certaines dispositions du chapitre 11 (Commission du libre-échange de l’ALENA) du 31 juillet 2001 », en ligne : Affaires mondiales Canada <http ://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/topics-domaines/disp-diff/NAFTA-Interpr.aspx?lang=fra> (Notes de la CLE). En ce qui concerne la norme minimale de traitement, selon ces notes :

1.  L’article 1105(1) prescrit la norme minimale de traitement conforme au droit international coutumier à l’égard des étrangers comme norme minimale de traitement à accorder aux investissements effectués par les investisseurs d’une autre Partie;

2.  Les concepts de « traitement juste et équitable » et de « protection et sécurité intégrales » ne prévoit pas de traitement supplémentaire ou supérieur à celui exigé par la norme minimale de traitement conforme au droit international coutumier à l’égard des étrangers;

3.  La constatation qu’il y a eu violation  d’une autre disposition de l’ALENA ou d’un accord international distinct qu’il y ait eu violation de l’article 1105(1).

[32]      Conformément à l’article 1131(2) de l’ALENA et à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, [1980] R.T. Can. no 37, 8 I.L.M. 679 (Convention de Vienne), de telles interprétations de la part de la Commission du libre-échange de l’ALENA lient les tribunaux de l’ALENA.

[33]      En ce qui concerne l’article 1102 de l’ALENA, les obligations nationales en matière de traitement dans les accords investisseur-État visent traditionnellement à uniformiser les règles du jeu économique entre les participants étrangers et nationaux. L’article 1102 impose aux parties à l’ALENA [traduction] l’obligation « de ne pas faire de discrimination entre les investisseurs ou investissements étrangers et nationaux en raison de la nationalité lorsque de tels investisseurs ou investissements se trouvent dans des circonstances similaires » : Sergio Puig et Meg Kinnear, « NAFTA Chapter Eleven at Fifteen : Contributions to a Systemic Approach in Investment Arbitration » (2010), 25 ICSID Review – Foreign Investment Law Journal 225, page 240.

VII.       La décision du tribunal de l’ALENA

[34]      Le Tribunal était composé de trois membres. Le professeur Bryan Schwartz a été nommé par les investisseurs et le professeur Donald McRae, par le Canada. Le juge Bruno Simma a été nommé président du Tribunal avec l’accord des parties.

[35]      Le Tribunal a rendu sa décision le 17 mars 2015 : Bilcon of Delaware Inc. et al. v. Government of Canada, (17 mars 2015), CNUDCI, Cour permanente d’arbitrage no de dossier 2009-04, décision sur la compétence et la responsabilité. Comme les parties avaient convenu de scinder la procédure, la sentence arbitrale initiale ne portait que sur les questions de compétence et de responsabilité. Bien que le Tribunal ait conclu à l’unanimité qu’il avait compétence pour statuer sur la plainte des investisseurs, il y avait désaccord sur la question de savoir si le Canada était responsable des manquements aux obligations prévues par l’ALENA.

[36]      La décision majoritaire rendue par le président du Tribunal Simma et le professeur Schwartz a conclu que le Canada était responsable des manquements aux articles 1102 et 1105 de l’ALENA, alors que le professeur McRae n’a constaté nulle responsabilité de la part du Canada. Les audiences du Tribunal sur le montant des dommages-intérêts devaient commencer en février 2018. À ce stade, les investisseurs demandent plus d’un demi-milliard de dollars canadiens en dommages-intérêts pour les manquements du Canada aux obligations que lui impose l’ALENA.

A.    La décision du Tribunal à la majorité

[37]      Bien que les investisseurs aient contesté un large éventail de mesures et décisions prises au cours du processus de la CEC, le Tribunal, à la majorité, a jugé le Canada responsable aux termes des articles 1105 et 1102 de l’ALENA principalement en raison de deux actions de la CEC : son recours au concept de « valeurs fondamentales de la collectivité » pour arriver à sa recommandation que le projet ne soit pas autorisé à aller de l’avant, et son approche quant à la question de l’atténuation. Le Tribunal à la majorité a également tenu compte des attentes qui avaient été créées dans l’esprit des investisseurs par les fonctionnaires gouvernementaux.

[38]      Le Tribunal à la majorité a reconnu à plusieurs reprises dans sa décision qu’il était tenu d’appliquer le droit international coutumier afin de rechercher si les actions de la CEC contrevenaient à l’article 1105 de l’ALENA. Quant à la norme minimale de traitement requise par le droit international coutumier, le Tribunal à la majorité a déclaré que le « point de départ » de son analyse était la décision L.F.H. Neer and Pauline Neer (U.S.A.) v. United Mexican States (1926), 4 R.I.A.A. 60. La décision Neer enseigne que pour établir une violation de la norme minimale de traitement des étrangers en droit international coutumier, il faut démontrer que le traitement en question équivaut à [traduction] « mauvaise foi, manquement volontaire aux obligations ou insuffisance de l’action gouvernementale très en deçà des normes internationales que tout homme raisonnable et impartial en reconnaîtrait facilement son insuffisance » : pages 61 et 62.

[39]      Puis, le Tribunal à la majorité a observé que, plus récemment, le Tribunal, à l’occasion de l’affaire Glamis Gold Ltd. v. United States of America, CNUDCI, 8 juin 2009 [Glamis], a décidé qu’ [traduction] « “un déni de justice flagrant, le caractère manifestement arbitraire, une injustice flagrante, une absence totale de procédure régulière, une discrimination évidente ou l’absence manifeste de motifs” » [note en bas de page omise] étaient nécessaires pour établir le manquement à la norme minimale de traitement en droit international coutumier : paragraphe 762. Cela dit, le Tribunal à la majorité a conclu que [traduction] « la jurisprudence relative à l’ALENA […] a tendance à s’éloigner de la doctrine exprimée plus récemment dans la décision Glamis et à plutôt considérer que la norme minimale internationale a évolué au fil des ans vers une protection accrue en faveur des investisseurs » : paragraphe 435.

[40]      Tout en notant que [traduction] « aucune formulation arbitrale unique ne peut saisir définitivement et exhaustivement le sens de l’article 1105 », le Tribunal à la majorité a déclaré qu’il retenait la norme consacrée par le Tribunal de l’ALENA à l’occasion de l’affaire Waste Management, Inc. v. United Mexican States, (30 avril 2004), ICSID Case No. Arb(AF)/00/3, sentence (Waste Management), qui interdit notamment les comportements [traduction] « arbitraires, manifestement injustes, partiaux ou idiosyncratiques » : paragraphes 442 et 443. Le Tribunal à la majorité a toutefois ajouté que [traduction] « la liste indique qu’il y a un seuil élevé pour que le comportement d’un État hôte atteigne le niveau d’une violation de l’article 1105 de l’ALENA, mais qu’il n’y a aucune exigence dans les cas où la conduite contestée atteint le niveau d’un comportement choquant ou scandaleux » : paragraphe 444. 

[41]      Le Tribunal à la majorité a également fait remarquer que plus qu’une simple violation du droit interne, une iniquité procédurale, un exercice imprudent du pouvoir discrétionnaire ou même une erreur pure et simple sont généralement requis pour établir une violation de la norme minimale internationale aux fins de l’article 1105 de l’ALENA : paragraphes 436, 437, 594 et 738.

[42]      Enfin, le Tribunal à la majorité a admis que les attentes raisonnables des investisseurs constituent un facteur à prendre en compte pour déterminer si l’État hôte a manqué à la norme internationale minimale du traitement équitable prévue par l’article 1105 de l’ALENA : paragraphes 444, 445 et 455.

(i)    L’application par la majorité de la norme de la jurisprudence Waste Management

[43]      Le Tribunal à la majorité a conclu qu’en l’espèce, les autorités gouvernementales de la Nouvelle-Écosse avaient créé des attentes légitimes chez les investisseurs en indiquant clairement et à plusieurs reprises que Bilcon était la bienvenue pour poursuivre son projet de carrière sur le littoral et de terminal maritime à Whites Point. La majorité a toutefois reconnu que tous ces encouragements avaient été donnés sous réserve de l’obligation de Bilcon de présenter un projet conforme aux lois fédérales et provinciales sur l’environnement : paragraphe 589.

[44]      Le Tribunal à la majorité a également conclu que les investisseurs s’étaient fiés à ces encouragements à leur détriment, en consacrant des ressources importantes au processus d’évaluation environnementale et en tentant de concevoir un projet qui respecterait toutes les exigences juridiques pertinentes en matière de protection de l’environnement.

[45]      Selon le Tribunal à la majorité, la CEC a alors agi de façon arbitraire en créant effectivement une nouvelle norme d’évaluation, à savoir celle des « valeurs fondamentales de la collectivité », sans préavis à Bilcon, et en donnant à cette norme un rôle essentiel dans la conclusion du rapport selon laquelle le projet ne devait pas aller plus loin. La majorité a également conclu que la CEC avait en substance conclu que l’aire de Whites Point était une zone « interdite » pour les projets de ce genre, sans prendre en considération les mesures qui pourraient atténuer l’effet défavorable du projet sur l’environnement : paragraphe 505.

[46]      Selon le Tribunal à la majorité, l’approche des « “valeurs fondamentales de la collectivité” » retenue par la CEC ne constituait pas une [traduction] « politique gouvernementale rationnelle » et ne correspondait pas à la loi et à la politique de la LCEE. L’approche de la CEC était, en outre, incompatible avec les objectifs de libéralisation des investissements de l’ALENA et n’était pas conforme à l’article 1105 de l’Accord : paragraphe 724.

[47]      Le Tribunal à la majorité a conclu en outre que les investisseurs ont été traités injustement dans le processus de la CEC, puisqu’ils n’avaient aucun moyen de savoir que l’incidence du projet sur les « valeurs fondamentales de la collectivité » était en cause et qu’ils étaient incapables de demander des éclaircissements et de répondre aux préoccupations de la CEC à cet égard : paragraphes 534 et 543.

[48]      La conclusion du Tribunal à la majorité quant à la légalité des actions de la CEC en vertu du droit interne canadien était également essentielle à sa conclusion selon laquelle le Canada avait manqué à l’article 1102 de l’ALENA. Il convient de rappeler que cette disposition exigeait que les investisseurs et leur placement soient traités conformément au traitement réservé aux investisseurs et aux investissements canadiens situés dans des conditions similaires.

[49]      Citant la décision Pope & Talbot Inc. v. Government of Canada, (10 avril 2001), CNUDCI Règlement d’arbitrage, sentence sur le fond de la Phase 2, au paragraphe 78, le Tribunal à la majorité a fait observer que les différences de traitement [traduction] « violeront de prime abord le paragraphe 1102(2) [de l’ALENA], à moins d’avoir un lien raisonnable avec des politiques gouvernementales rationnelles qui 1) ne font pas la distinction, à première vue ou de fait, entre des entreprises étrangères et nationales 2) ne compromettent pas indûment les objectifs de libéralisation des investissements de l’ALENA » : paragraphe 722.

[50]      Après avoir examiné les nombreux éléments de preuve présentés par les parties concernant le traitement accordé aux projets « similaires », le Tribunal à la majorité a conclu qu’en raison de l’approche imparfaite de la CEC quant au processus d’évaluation environnementale, les investisseurs, contrairement aux promoteurs de projets canadiens [traduction] « n’ont pas bénéficié de l’application prévue et légalement imposée, aux fins de l’évaluation environnementale fédérale du Canada, de la norme d’évaluation essentielle aux termes de la LCEE » : paragraphe 697. Le Tribunal à la majorité a donc conclu que le Canada avait privé du traitement national les investisseurs relativement au projet, en violation de l’article 1102 de l’ALENA : paragraphe 725.

[51]      Les plaintes des investisseurs aux termes de l’article 1103 ont été rejetées et ne sont pas en cause dans la présente instance.

B.    L’opinion dissidente

[52]      Le professeur McRae a rejeté la conclusion du Tribunal à la majorité en matière de responsabilité [Opinion dissidente du professeur McRae, le 10 mars 2015]. Il a conclu que lorsque le rapport de la CEC a été examiné dans son intégralité, il était évident que l’expression « valeurs fondamentales de la collectivité » était utilisée comme une sorte de raccourci pour décrire les effets du projet sur « l’environnement humain ». L’effet du projet sur « l’environnement humain » dans la région de Whites Point était l’un des principaux facteurs que la CEC était tenue d’examiner en vertu de sa mission et en vertu des lois fédérales et provinciales sur l’évaluation environnementale. Par conséquent, le professeur McRae a conclu que les investisseurs étaient avisés qu’ils devaient répondre à ce type d’effets, de sorte qu’il n’y avait pas eu d’injustice procédurale à cet égard.

[53]      Le professeur McRae a suivi la conclusion de la majorité portant que la norme de la jurisprudence Waste Management était la norme appropriée à suivre pour déterminer s’il y avait eu violation de l’article 1105 de l’ALENA. Cependant, il était d’avis que même si la majorité prétendait appliquer le « seuil élevé » consacré par la jurisprudence Waste Management, elle avait appliqué la norme de manière à ce qu’elle soit satisfaite [traduction] « simplement par une allégation de violation de Loi canadienne » : paragraphe 2.

[54]      La majorité a conclu que les actions de la CEC étaient arbitraires, puisqu’elle avait [traduction] « en substance créé, sans autorisation légale ni avis à Bilcon, une nouvelle norme d’évaluation », au lieu d’appliquer la loi canadienne. Ainsi, en s’écartant du droit canadien, le Tribunal à la majorité a conclu que la CEC avait agi de façon arbitraire. Selon le professeur McRae, [traduction] « il ressort de ce raisonnement que tout écart par rapport à la loi canadienne est arbitraire et que toute dérogation à la loi canadienne répond au seuil du caractère arbitraire de la norme de la jurisprudence Waste Management. Une violation de l’article 1105 de l’ALENA est alors synonyme d’une violation de la loi canadienne » : paragraphe 37. Il a conclu que le seuil de la jurisprudence Waste Management n’avait pas été atteint dans l’affaire : paragraphe 40.

[55]      Le professeur McRae a ajouté que, compte tenu des préoccupations de la CEC concernant l’effet du projet sur l’environnement humain et de ses préoccupations quant à la pertinence des renseignements et des données fournis par les investisseurs, la commission était d’avis que [traduction] : « souligner les mesures d’atténuation individuelles possibles ne servait à rien étant donné que ses préoccupations étaient beaucoup plus grandes ». Il était d’avis que c’était cette [traduction] « accumulation de préoccupations » qui a finalement amené la commission à recommander le rejet du projet : paragraphe 29.

[56]      Le professeur McRae a admis que, au regard du droit canadien, l’on pouvait soulever des questions quant à savoir s’il convenait que la CEC retienne une telle approche pour la question de l’atténuation et utilise une expression comme « valeurs fondamentales de la collectivité » pour englober la variété des effets sur l’environnement humain que les investisseurs n’ont pas réussi à résoudre conformément aux exigences de la loi canadienne. Il a également reconnu que la question de savoir si le droit canadien avait été respecté dans le processus ayant abouti au refus d’autorisation de poursuivre le projet constituait un facteur pertinent pour déterminer s’il y avait eu violation de l’article 1105 de l’ALENA. Toutefois, une violation de la loi canadienne n’était pas, en soi, suffisante pour établir une telle violation : paragraphe 31.

[57]      Le professeur McRae était en outre d’avis que le Tribunal ne pouvait conclure que la CEC avait violé la loi canadienne sans que notre Cour se soit prononcée sur cette question. Il a noté que, comme les témoins experts appelés par les parties à l’arbitrage avaient exprimé des points de vue divergents sur ce point, [traduction] « l’affaire était discutable et le Tribunal n’avait pas le bénéfice d’une décision de la Cour fédérale » : paragraphe 34.

[58]      Le professeur McRae était également préoccupé par les répercussions importantes que la décision du Tribunal à la majorité aurait sur l’application des lois environnementales par les parties à l’ALENA. Selon lui, la conclusion qu’une violation potentielle de la loi canadienne est suffisante pour satisfaire à la norme de la jurisprudence Waste Management pour établir une violation de l’article 1105 de l’ALENA, permettant ainsi à un demandeur de contourner le recours prévu par le droit interne pour une telle inobservation du droit canadien, constituait [traduction] « une intrusion importante dans la compétence nationale et créera un effet paralysant sur le fonctionnement des commissions d’examen environnemental » : paragraphe 48.

[59]      À l’appui de cette thèse, le professeur McRae a fait remarquer que si une agence d’évaluation environnementale avait commis une erreur par le passé, ses recommandations étaient soit ignorées par le gouvernement auquel elles étaient adressées, soit annulées lors d’une procédure de contrôle judiciaire. Si, toutefois, les opinions du Tribunal à la majorité en l’espèce étaient retenues, la bonne application de la loi canadienne par une commission d’examen environnemental relèverait alors d’un tribunal nommé en vertu du chapitre 11 de l’ALENA, intégrant ainsi au droit canadien un recours en dommages-intérêts qu’il ne reconnaît pas à l’heure actuelle : paragraphe 48.

[60]      Le professeur McRae a noté que cette solution [traduction] « peut être troublante pour beaucoup ». Selon lui, il n’y avait rien d’inhabituel à ce qu’une commission d’examen environnemental choisisse de donner plus de poids à l’environnement humain et aux valeurs communautaires qu’à la faisabilité scientifique et technique d’un projet. À son avis, il était loisible à la CEC de conclure que ces valeurs communautaires n’étaient pas écartées par ce que la commission considérait comme les avantages économiques modestes qui résulteraient au cours des 50 années suivantes. Ni la solution, ni le processus par lequel la CEC a pris sa décision [traduction] « ne pourraient jamais être considérés comme « offensant la dignité judiciaire » [note en bas de page omise], ce qui amène le professeur McRae à conclure que [traduction] « la décision du Tribunal à la majorité sera considérée comme un recul remarquable en matière de protection de l’environnement » et que [traduction] « un effet paralysant sera imposé aux commissions d’examen environnemental qui se soucieront de ne pas accorder trop de poids aux considérations socioéconomiques ou à d’autres considérations de l’environnement humain dans le cas où il en résulte une demande de dommages-intérêts en vertu du chapitre 11 de l’ALENA » : toutes les citations tirées du paragraphe 51.

[61]      Enfin, le professeur McRae était d’avis que les investisseurs avaient, en fait, été traités conformément à la loi canadienne et qu’il n’y avait aucune raison de conclure que le processus de la CEC était contraire à l’article 1102 de l’ALENA en refusant le traitement national aux investisseurs en ce qui a trait au projet : paragraphe 53.

VIII.      La question en litige

[62]      Le Canada soutient que le Tribunal a excédé sa compétence par son constat de responsabilité au titre de l’ALENA en se fondant sur des violations présumées de la loi canadienne. Il demande donc à la Cour de trancher la question suivante :

La sentence porte-t-elle sur un différend non envisagé ou non conforme au litige défini par les parties soumis à l’arbitrage en concluant que les actions de la CEC ont violé les normes du droit administratif national et en faisant de cette conclusion le seul fondement de la responsabilité en vertu de l’ALENA?

[63]      Pour leur part, les investisseurs soutiennent que la sentence du Tribunal à la majorité ne relevait pas du litige soumis à l’arbitrage (avec le consentement du Canada) et que le Canada n’a pas établi que la sentence portait sur un différend qui n’était pas envisagé ou qui ne relevait pas du litige soumis à l’arbitrage, ou qu’elle contenait des décisions sur des questions qui ne relevaient pas du litige soumis à l’arbitrage.

IX.        La norme de contrôle applicable

[64]      La demande du Canada est présentée en vertu du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code d’arbitrage commercial, qui constitue l’annexe 1 de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17 (le Code). Cette disposition régit les recours en annulation des décisions des tribunaux arbitraux internationaux, y compris en ce qui concerne les plaintes soumises à l’arbitrage en vertu de l’article 1116 de l’ALENA : Loi sur l’arbitrage commercial, paragraphe 5(4); le Code, paragraphe 1(1); Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44, paragraphe 2(1), Clayton c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 1, [2018] A.C.F. no 11 (QL) (Clayton CAF), au paragraph 4.

[65]      Les dispositions pertinentes du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code prévoient qu’une sentence arbitrale ne peut être annulée par une cour réformatrice que si la partie qui demande l’annulation de la décision rapporte la preuve que « la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire, étant entendu toutefois que, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l’arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l’arbitrage, seule la partie de la sentence contenant des décisions sur les questions non soumises à l’arbitrage pourra être annulée ». On trouvera le texte intégral du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code à l’Annexe II de la présente décision.

[66]      Il existe manifestement une « incohérence considérable » dans la jurisprudence canadienne, américaine et mexicaine à l’égard de la norme de contrôle à appliquer aux décisions des tribunaux nommés en vertu du chapitre 11 de l’ALENA : Henri Alvarez, « Judicial Review of NAFTA Chapter 11 Arbitral Awards », dans Frédéric Bachand, dir., Fifteen Years of NAFTA Chapter 11 Arbitration (International Arbitration Institute, 2011), 103, page 105.

[67]      La Cour d’appel de l’Ontario a toutefois soigneusement examiné la norme de contrôle à appliquer lors de l’examen d’une sentence relevant du chapitre 11 de l’ALENA en vertu du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code d’arbitrage commercial à l’occasion de l’affaire United Mexican States v. Cargill, Inc., 2011 ONCA 622, 107 O.R. (3d) 528, 341 D.L.R. (4th) 249, (Cargill). L’arrêt Cargill est l’une des plus récentes décisions rendues par des juridictions d’appel canadiennes portant sur cette question dans le cadre de l’ALENA et les deux parties soutiennent qu’elle formule correctement la norme de contrôle applicable.

[68]      Bien que la jurisprudence Cargill portait sur la norme de contrôle établie en vertu de la Loi sur l’arbitrage commercial international, L.R.O. 1990, ch. I.9 (plutôt que la Loi sur l’arbitrage commercial au fédéral), le libellé des deux dispositions est identique. En effet, les deux lois sont fondées sur la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, adoptée par Commission des Nations Unies pour le droit commercial international, le 21 juin 1985.

[69]      La Cour a commencé son analyse dans l’affaire Cargill en observant que les concepts nationaux de norme de contrôle, tant en matière de droit administratif que de réexamen des décisions de première instance, [traduction] « pourraient ne pas aider les juges à mener leur processus d’examen des sentences arbitrales internationales en vertu de l’article 34 de la Loi type » : paragraphe 30. La Cour observe en outre qu’aucun des motifs consacrés par l’article 34 de la Loi type ne permet au juge judiciaire de réexaminer une décision du Tribunal au fond et que ce juge ne peut examiner qu’une sentence fondée sur un excès de compétence : paragraphe 31.

[70]      La Cour d’appel de l’Ontario a reconnu que [traduction] « le juge judiciaire ne doit intervenir qu’avec modération ou dans des cas extraordinaires » : Cargill, précité, paragraphe 35. En effet, cette Cour avait déjà fait remarquer qu’[traduction] « il ressort des notions de courtoisie internationale et de réalité du marché mondial que le juge judiciaire ne doit user de son pouvoir d’intervention qu’avec modération en matière de sentences arbitrales internationales » : United Mexican States v. Karpa (2005), 74 O.R. (3d) 180, [2005] O.J. No. 16 (QL), au paragraphe 34.

[71]      La Cour a ajouté que si les principes de contrôle judiciaire canadiens étaient applicables, elle devrait appliquer la grille d’analyse consacrée par la jurisprudence Dunsmuir et déterminer si la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable ou correcte, et que, selon la jurisprudence Dunsmuir, les vraies questions de compétence sont ordinairement tranchées selon la norme de la décision correcte : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 S.C.R. 190 [Dunsmuir], au paragraphe 47. La Cour a fait remarquer que telle était la norme qui avait été appliquée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique lors de l’examen de la décision d’un tribunal de l’ALENA dans à l’occasion de l’affaire Metalclad, précitée, et par notre Cour dans la décision Canada (Procureur général) c. S.D. Myers Inc., 2004 CF 38, [2004] 3 R.C.F. 368 (S.D. Myers (Cour fédérale)) : Cargill, précité, au paragraphe 35.

[72]      En ce qui concerne l’affaire Cargill, la Cour a également tenu compte des principes du droit administratif canadien pour déterminer ce qui constitue une « véritable question de compétence ». Se référant de nouveau à la jurisprudence Dunsmuir, la Cour a observé dans l’arrêt Cargill que le mot « compétence » [traduction] « s’entend au sens strict de la question de savoir si le tribunal avait ou non le pouvoir de faire l’enquête ». De véritables questions de compétence [traduction] « se posent lorsque le tribunal doit déterminer explicitement si son pouvoir législatif lui confère le pouvoir de trancher une question particulière » : Cargill, au paragraphe 40, se référant à Dunsmuir, précité, au paragraphe 59.

[73]      La Cour a conclu dans l’arrêt Cargill que [traduction] « l’interprétation [par un tribunal de l’ALENA] de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence » : Cargill, au paragraphe 40. Cela a amené la Cour d’appel de l’Ontario à conclure que la norme de contrôle à appliquer à une décision arbitrale en vertu de l’ALENA est celle de la décision correcte, [traduction] « en ce sens que le tribunal devait avoir raison dans sa conclusion qu’il avait la capacité de prendre la décision qu’il a prise » : paragraphe 42, citant Donald J.M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), Toronto : Canvasback, 1998, pages 14-3 à 14-6.

[74]      Cela dit, toujours en ce qui concerne l’affaire Cargill, la Cour a fait une mise en garde : même si la norme de contrôle sur les questions de compétence est celle de la décision correcte, cela ne donne pas aux juridictions réformatrices un large champ d’intervention en matière de décisions des tribunaux arbitraux internationaux : paragraphe 44. Si le juge judiciaire canadien est tenu de retenir une vision étroite de ce qui constitue une question de compétence dans le contexte national, cette approche s’impose a fortiori en matière d’arbitrage international, où [traduction] « le juge judiciaire est invité à se limiter dans les termes les plus stricts pour n’intervenir que rarement en matière de décisions rendues par des tribunaux d’arbitrage international saisis du consentement des parties pour leur expertise, y compris en ce qui concerne les questions de compétence » : paragraphe 46.

[75]      Bien qu’une certaine jurisprudence enseigne qu’il existe une « forte présomption » selon laquelle les tribunaux arbitraux internationaux choisis pour leur expertise procèdent dans les limites de leurs pouvoirs, cela ne signifie pas qu’une cour réformatrice doit présumer que le Tribunal a eu raison dans la détermination de la portée de sa compétence. Si le juge judiciaire s’en remettait aux décisions du tribunal arbitral sur les véritables questions de compétence, cela [traduction] « annulerait effectivement l’objet et l’intention du pouvoir d’intervention du juge en vertu du sous-alinéa 34(2)a)iii) » : Cargill, paragraphe 46.

[76]      La Cour a fait une autre mise en garde : lorsqu’une cour réformatrice dégage une véritable question de compétence d’une décision du Tribunal de l’ALENA, [traduction] « elle doit soigneusement limiter la question qu’elle discute pour s’assurer qu’elle ne s’égare pas, consciemment ou par inadvertance, vers le fond de la question qui a été tranchée par le tribunal » : Cargill, paragraphe 47; voir aussi Canada (Attorney General) v. Mobil Investments Canada Inc., 2016 ONSC 790 (CanLII), 129 O.R. (3d) 506 [Mobil], paragraphe 37. 

[77]      La Cour a conclu à l’occasion de l’affaire Cargill que la mission d’une cour réformatrice dans une affaire comme celle-ci est de déterminer si le Tribunal a tranché une question qui ne relevait pas du litige soumis à l’arbitrage ou s’il a mal interprété le pouvoir que lui confère l’ALENA. Elle a observé qu’une autre façon pour une cour réformatrice de définir la bonne approche consiste à répondre aux trois questions suivantes :

1.         Quelle était la question que le Tribunal a tranchée?

2.         La question était-elle visée par le litige soumis à l’arbitrage en vertu du chapitre 11 de l’ALENA?

3.         Y a-t-il un élément de l’ALENA, interprété correctement, qui rendait inhabile le Tribunal à rendre la sentence qu’il a rendue?

[78]      La jurisprudence postérieure à l’arrêt Cargill rendu par la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé cette approche, non seulement en ce qui concerne l’ALENA : Mobil, précité, aux paragraphes 37 à 39; Consolidated Contractors Group S.A.L. (Offshore) v. Ambatovy Minerals S.A., 2017 ONCA 939, [2017] O.J. no. 6323 (QL) [Consolidated Contrators Group], aux paragraphes 28 à 32; Newfoundland and Labrador v. ExxonMobil Canada Properties, 2017 NLTD(G) 147 (CanLII), [2017] N.J. no 313 (QL), aux paragraphes 111 et 112; SMART Technologies ULC v. Electroboard Solutions Pty Ltd., 2017 ABQB 559 (CanLII), [2017] A.J. no 953 (QL), aux paragraphes 71 à 77.

[79]      Une jurisprudence postérieure à l’arrêt Cargill appelle des observations particulières, à savoir l’arrêt Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie-Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 R.C.S. 688 [Teal Cedar], rendu par la Cour suprême du Canada. Selon le Canada, cet arrêt formule le genre d’erreur de droit qui a résulté en excès de compétence du Tribunal en l’espèce.

[80]      Comme indiqué précédemment, le Canada soutient que, en l’espèce, le Tribunal à la majorité a commis une erreur en mesurant la conduite de la CEC au regard de sa propre conclusion quant aux exigences de la loi nationale, et en concluant à la responsabilité au titre de l’ALENA en se fondant sur une violation de la loi nationale plutôt qu’en mesurant la conduite de la CEC au regard des règles du droit international coutumier. Selon le Canada, le Tribunal a ainsi excédé sa compétence.

[81]      À l’appui de cette thèse, le Canada note que la Cour suprême a observé, à l’occasion de l’affaire Teal Cedar, que même si l’application d’un critère juridique à un ensemble de faits est une question mélangée de fait et de droit, une question d’ordre juridique se pose qui peut faire l’objet d’un examen en appel si le critère juridique de fond a été modifié par un décideur : paragraphe 44.

[82]      Il est toutefois important de noter que la décision arbitrale en cause dans l’affaire Teal Cedar a fait l’objet d’un examen en vertu de l’Arbitration Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 55, dont l’article 31 prévoit que les sentences arbitrales peuvent faire l’objet d’un examen en appel des questions de droit. Il n’y a pas de disposition comparable dans la Loi sur l’arbitrage commercial, de sorte que les observations de la Cour suprême dans l’arrêt Teal Cedar ne sont que d’une utilité limitée en l’espèce.

[83]      Compte tenu de cette interprétation de la norme de contrôle applicable, je rechercherai si le Tribunal à la majorité en l’espèce a commis une erreur de compétence du genre de celle qui est discutée dans l’arrêt Cargill, et qui permettrait à notre Cour d’intervenir.

X.        Le Tribunal a-t-il commis une erreur de compétence en l’espèce?

A.    Les thèses des parties

[84]      Le Canada reconnaît que les motifs du Tribunal à la majorité cernent correctement la norme qu’il était tenu d’appliquer pour déterminer si le Canada avait manqué à l’article 1105 de l’ALENA, à savoir celle consacrée par la jurisprudence Waste Management. Toutefois, le Canada affirme que la majorité du Tribunal a « fait fausse route », excédant sa compétence, en fondant son analyse et sa conclusion finale de responsabilité au titre de l’ALENA sur la question de savoir si les actions de la CEC étaient conformes au droit canadien plutôt qu’au droit international.

[85]      À l’appui de cette thèse, le Canada attire notre attention sur le fait que la majorité a conclu que l’évaluation environnementale effectuée par la CEC comportait [traduction] « une entorse fondamentale à la méthodologie exigée par les lois du Canada et de la Nouvelle-Écosse » : paragraphe 600. Le Tribunal à la majorité a ensuite conclu que les investisseurs n’étaient pas [traduction] « traités d’une manière compatible avec les lois canadiennes, y compris la norme d’évaluation de base en vertu de la LCEE et les normes d’avertissement raisonnable exigées par le droit public administratif canadien » : paragraphe 602.

[86]      Le Canada note que les tribunaux de l’ALENA ne siègent pas en appel des décisions prises en vertu du droit interne. Les lacunes de la réglementation ne résultent pas toutes en violations de l’obligation en droit international d’accorder un traitement juste et équitable aux investisseurs, et [traduction] « plus qu’une simple illégalité ou un manque d’autorité en vertu du droit interne d’un État est nécessaire pour rendre un acte ou une mesure incompatible avec les exigences du droit international coutumier visées par le paragraphe 1105(1) » : ADF Group v. United States of America, (9 janvier 2003), ICSID Case No. ARB(AF)00/1, Sentence [ADF Group]: paragraphe 190. La jurisprudence enseigne en outre que ce [traduction] « quelque chose de plus » peut inclure des questions telles que [traduction] « le préjugé sectoriel ou local » : Waste Management, paragraphe 115. Il peut également inclure les attentes légitimes d’une partie découlant des observations faites par l’État hôte : Waste Management, paragraphes 98 et 99.

[87]      Le Canada soutient en outre que l’intégration d’un élément incorrect à l’analyse relative à l’article 1105 du Tribunal à la majorité constitue une erreur de compétence du genre de celle visée par le sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code et par la jurisprudence Cargill de la Cour d’appel de l’Ontario.

[88]      À l’appui de cette thèse, le Canada cite Metalclad, précitée, une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le Tribunal de l’ALENA à l’occasion de l’affaire Metalclad avait déclaré expressément et incorrectement que la norme minimale de traitement prévue par le droit international coutumier comprenait l’obligation d’être « transparent ». La conclusion du Tribunal de responsabilité au titre de l’ALENA reposait alors sur la constatation d’un manque de transparence dans l’action gouvernementale en cause : paragraphe 70. La Cour a conclu que, ce faisant, le Tribunal a tranché une question dépassant la portée du litige soumis à l’arbitrage, et la décision du Tribunal a donc été annulée : paragraphe 76.

[89]      Les investisseurs soutiennent que cette loi canadienne constituait simplement un des faits auxquels le droit international coutumier a été appliqué par la majorité du Tribunal. Ils soutiennent en outre que la question de savoir si le Tribunal a appliqué le bon critère juridique aux faits de l’espèce ne constitue pas une véritable question de compétence aux fins du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code.

[90]      Les investisseurs affirment que, par ce qu’ils qualifient de « tentative transparente de remettre en cause l’affaire au fond », le Canada déforme le sens de la décision du Tribunal à la majorité afin de fabriquer une question de compétence là où il n’en existe aucune. Contrairement aux affirmations du Canada, la conclusion du Tribunal à la majorité selon laquelle le Canada a manqué aux obligations que lui impose l’ALENA ne repose pas sur le droit canadien, mais sur les principes de droit international consacrés par les articles 1102 et 1105 de l’ALENA qui déterminent la question soumise à l’arbitrage.

B.    Observations sur la décision du Tribunal à la majorité

[91]      Il est juste de dire que la décision du Tribunal à la majorité en l’espèce a donné lieu à de nombreux commentaires défavorables de la part de l’arbitre dissident, de la doctrine et des États parties eux-mêmes.

[92]      Les commentaires très critiques du professeur McRae à l’égard de la décision de la majorité ont déjà été discutés dans les présents motifs. La doctrine soutient également que la majorité avait commis une erreur en assimilant une violation des principes du droit administratif canadien à une violation des obligations qu’impose au Canada l’ALENA et en appliquant un seuil trop bas pour conclure que le Canada avait manqué à l’article 1105 de l’ALENA : voir Cory Adkins et David Singh Grewal, « Democracy and Legitimacy in Investor-State Arbitration » (2016), 126 Yale L.J. Forum 65, pages 65 à 76; Michael Carfagnini, « Too Low a Threshold : Bilcon v. Canada and the International Minimum Standard of Treatment » (2016), 53 A.C.D.I. 244, pages 244 à 277.

[93]      Adkins et Grewal affirment en outre que la décision du Tribunal à la majorité [traduction] « est incompatible avec le respect de principe de la souveraineté démocratique avec laquelle le Tribunal à la majorité a commencé son analyse » et que, bien que la décision du Tribunal à la majorité [traduction] « prétende confirmer l’importance du contrôle démocratique sur les lois nationales... elle enlève cet engagement de sens dans son application effective aux faits » : page 73.

[94]      La doctrine voit parfois dans la décision du Tribunal à la majorité un exemple de la tendance inquiétante de la jurisprudence de l’ALENA à élargir la portée de la protection offerte par un traitement juste et équitable, rendue possible par le « libellé large et indéfini » de l’article 1105 : Armand de Mestral et Lukas Vanhonnaeker, « The Impact of the NAFTA Experience on Canadian Policy Concerning Investor-State Arbitration » dans de Mestral, dir., Second Thoughts : Investor-State Arbitration Between Developed Democracies, Waterloo, Ont. : Centre for International Governance Innovation, 2017, 187, pages 198 et 199. Atik affirme en outre que [traduction] « toute disposition est son propre cas en tant que question textuelle; mais ensemble, elles constituent une occasion potentielle d’amélioration substantielle de la portée du Chapitre 11, au-delà de l’intention originale respective des parties, et peut-être au-delà du consentement sous-jacent des entités politiques respectives » : Jeffrey Atik, « Legitimacy, Transparency and NGO Participation in the NAFTA Chapter 11 Process », dans Todd Weiler, dir., NAFTA : Investment Law and Arbitration : Past Issues, Current Practice, Future Prospects (New York : Transnational Publishers, 2004), page 147.

[95]      Par ailleurs, la doctrine a soulevé des préoccupations concernant la capacité des tribunaux de l’ALENA [traduction] « d’apprécier correctement si l’investisseur étranger a été traité équitablement dans le cadre d’un processus d’évaluation environnementale national » : Meinhard Doelle, « The Bilcon NAFTA Tribunal : A Clash of Investor Protection and Sustainability-Based Environmental Assessments » dans Stanley D. Berger dir., Key Developments in Environmental Law, édition 2017, (Aurora, Ont. : Canada Law Book, 2009) 99, page 121. Doelle soutient qu’il y avait parmi les défis auxquels le Tribunal était confronté en l’espèce son manque de connaissance des lois canadiennes pertinentes, de la pratique d’évaluation environnementale aux niveaux fédéral et provincial et du processus suivi pour tirer des conclusions de fait et de droit interne : page 121.

[96]      Doelle fait également écho aux préoccupations exprimées par le professeur McRae, les intervenants et d’autres quant à l’« effet paralysant » qui résulterait de la décision du Tribunal à la majorité. Comme il l’explique, la préoccupation est que [traduction] « lorsque des fonctionnaires se prononcent en faveur d’un projet avant qu’une [évaluation environnementale] ne soit effectuée, ils peuvent contrevenir à l’ALENA s’ils prennent plus tard l’avis d’une [évaluation environnementale] indépendante qui conclut que le projet ne devrait pas être autorisé à aller de l’avant en raison de ses effets défavorables sur les communautés locales » : page 117.

[97]      Les trois signataires de l’ALENA ont également exprimé leur désapprobation du raisonnement du Tribunal à la majorité à l’égard de l’exigence d’un traitement juste et équitable aux termes de l’article 1105 et de sa relation avec la norme minimale de traitement en droit international coutumier. Dans les observations écrites déposées par le Canada, les États-Unis et le Mexique dans l’affaire Mesa Power Group, LLC v. Government of Canada, (24 mars 2016), UNCITRAL P.C.A. Case No. 2012-17, sentence [Mesa], les trois signataires ont affirmé que le Tribunal à la majorité dans cette affaire a commis une erreur en omettant d’exiger des investisseurs qu’ils établissent que les actions du Canada ont donné lieu à une violation du droit international coutumier et en assimilant le non-respect de la législation nationale applicable au non-respect de la norme minimale de traitement en droit international.

[98]      Même si le Tribunal a commis une erreur comme il est allégué, la question à trancher est de savoir si une telle erreur constituait un excès de compétence au sens du sous-alinéa 34(2)a)ii) du Code. C’est-à-dire si, en concluant que le Canada était responsable envers les investisseurs des manquements aux articles 1102 et 1105 de l’ALENA, le Tribunal à la majorité a excédé sa compétence en ce sens que sa sentence [traduction] « porte sur un différend qui ne relève pas du litige soumis à l’arbitrage ou qui ne relève pas des conditions de la soumission du litige à l’arbitrage, ou qui contient des décisions sur des questions qui dépassent la portée du litige soumis à l’arbitrage ».

[99]      Pour répondre à cette question, il faut tenir compte des trois questions soulevées par la Cour d’appel de l’Ontario à l’occasion de l’affaire Cargill. La première d’entre elles m’oblige à définir la question que le Tribunal a tranchée.

C.   Quelle était la question que le Tribunal a tranchée?

[100]   Le Canada affirme que le Tribunal à la majorité s’est prononcé sur la question de savoir si les actions de la CEC étaient conformes aux normes de la LCEE et du droit administratif national. Selon le Canada, le Tribunal à la majorité a fondé sa conclusion de responsabilité principalement sur deux actions de la CEC : son utilisation du concept de « valeurs fondamentales de la collectivité » comme motif de recommandation défavorable au projet et la conclusion de la CEC selon laquelle il n’était pas possible d’atténuer les effets environnementaux défavorables du projet. Le Tribunal à la majorité a ensuite utilisé la même justification pour conclure que le Canada avait manqué à l’article 1102 de l’ALENA.

[101]   En revanche, les investisseurs affirment que la majorité du Tribunal a décidé qu’ils avaient été traités d’une manière contraire aux articles 1105 et 1102 de l’ALENA, à la fois en ce qui concerne la procédure suivie et le résultat des examens réglementaires du projet. Pour tirer cette conclusion, les investisseurs prétendent que le Tribunal à la majorité a appliqué de façon appropriée la norme minimale de traitement consacrée par la jurisprudence Waste Management requise aux termes de l’article 1105 de l’ALENA et a ensuite appliqué le critère approprié afin de rechercher s’ils avaient fait l’objet d’un traitement inégal, sans motif, comme prévu par l’article 1102 de l’ALENA.

[102]   Les investisseurs soutiennent en outre que la majorité du Tribunal a considéré le cadre juridique canadien comme « une question de fait » [décision du Tribunal à la majorité, paragraphe 509] et que sa décision relative à la responsabilité était fermement fondée sur l’analyse du contenu et de la portée de l’ALENA tel qu’établi par le droit international.

[103]   Je ne retiens pas la qualification par le Canada de la question qui a été tranchée par le Tribunal. Il ressort clairement de la lecture objective de l’ensemble des motifs du Tribunal à la majorité que la question centrale qu’il a tranchée était de savoir si la conduite du Canada en ce qui concerne le processus d’évaluation environnementale et d’approbation du projet et son traitement des investisseurs contrevenaient aux obligations que lui imposent les articles 1102, 1103 et 1105 de l’ALENA.

[104]   Cette interprétation des questions tranchées par la majorité du Tribunal est confirmée par la structure de la sentence de 220 pages du Tribunal à la majorité et par la partie « Dispositif » de la sentence, où le Tribunal déclare [au paragraphe 742] qu’il :

[traduction]

ii. Par vote majoritaire, décide que [le Canada] n’a pas accordé aux investissements de ces investisseurs un traitement conforme au droit international, y compris un traitement juste et équitable et une protection et une sécurité complètes, en violation de l’article 1105 (norme minimale de traitement);

iii. Par vote majoritaire, décide que [le Canada] n’a pas accordé aux investissements de ces investisseurs un traitement non moins favorable que celui qu’il a accordé, dans des circonstances similaires, aux investissements de ses propres investisseurs, en violation de l’article 1102 (traitement national);

[105]   Cela m’amène à la deuxième question de l’affaire Cargill, à savoir si la décision de la majorité portait sur une question qui relevant pas du litige soumis à l’arbitrage par les investisseurs en vertu du chapitre 11 de l’ALENA.

D.   La décision du Tribunal à la majorité a-t-elle porté sur une question qui n’était pas visée par le litige soumis à l’arbitrage en vertu du chapitre 11 de l’ALENA?

[106]   Ayant conclu que la question centrale tranchée par le Tribunal était de savoir si la conduite du Canada concernant le processus d’évaluation environnementale et d’approbation du projet et son traitement des investisseurs contrevenaient aux obligations que lui imposent les articles 1102, 1103 et 1105 de l’ALENA, je conclus que cette question figurait dans le litige soumis par les investisseurs à l’arbitrage. Je conclus également que l’analyse du droit interne par le Tribunal était accessoire aux principales questions dont il était saisi et ne constituait pas un excès de compétence.

[107]   Comme l’a expliqué la Cour d’appel de l’Ontario à l’occasion de l’affaire Cargill, à ce stade de l’analyse, la Cour est tenue d’examiner la sentence et la présentation à l’arbitrage afin de rechercher si le Tribunal est resté dans le cadre de sa compétence : paragraphe 39.

(i)    Le litige soumis à l’arbitrage par les investisseurs

[108]   Le litige soumis à l’arbitrage dans le cadre de l’arbitrage relevant du chapitre 11 comporte trois parties : l’accord des parties, le texte des articles pertinents du chapitre 11 de l’ALENA et toute interprétation de ces textes qui a été retenue par la suite par les parties à l’ALENA : Cargill, précité, au paragraphe 32.

[109]   La section B du chapitre 11 de l’ALENA constitue essentiellement une offre permanente d’arbitrer les différends entre les parties à l’ALENA et les investisseurs, cette offre étant acceptée par le dépôt d’un avis d’arbitrage par l’investisseur lésé. En l’espèce, l’avis d’arbitrage des investisseurs précisait les mesures gouvernementales en cause, affirmant que le Canada avait manqué aux obligations que lui impose l’ALENA en appliquant son régime de réglementation environnementale de manière [traduction] « arbitraire, injuste et discriminatoire ».

[110]   Les questions que les investisseurs ont soumises au Tribunal pour arbitrage sont les suivantes :

a.         Le Canada a-t-il traité les investisseurs d’une manière incompatible avec les obligations que lui imposent les articles 1102, 1105 ou 1103 de l’ALENA?

b.         Dans l’affirmative, quel est le montant de l’indemnisation à verser aux investisseurs par suite de la violation par le Canada des obligations que lui impose le chapitre 11 de l’ALENA?

[111]   L’avis d’arbitrage expose en outre les mesures qui, selon les investisseurs, s’inscrivent dans un flux continu d’actions internationalement illicites, soulevant la question de savoir si le régime réglementaire environnemental canadien avait été imposé aux investisseurs de manière arbitraire, injuste ou discriminatoire. Les mesures controversées comprenaient la non-conformité de la CEC aux lois, règles et procédures applicables, la déclaration inexacte et la mauvaise application de ces lois, règles et procédures, et son utilisation de documents et concepts non juridiques. Selon les investisseurs, en ne tenant pas dûment compte du cadre juridique de la LCEE, la réponse du Canada aux recommandations de la CEC [traduction] « était donc aussi fondamentalement arbitraire et injuste ».

[112]   L’avis d’arbitrage des investisseurs indique donc clairement que les questions soumises à l’arbitrage appelaient le Tribunal à déterminer si les investisseurs avaient été traités moins favorablement que les investisseurs canadiens l’auraient été dans des circonstances semblables et si leur traitement était inférieur à la norme minimale de traitement du droit international coutumier. Les réponses à ces questions obligeaient inévitablement le Tribunal à examiner le respect par la CEC et le gouvernement canadien du droit canadien de l’environnement dans le cadre des faits ayant donné naissance au différend.

(ii)   La thèse du Canada concernant la prise en compte du droit interne par le Tribunal

[113]   Le Canada soutient que la décision du Tribunal à la majorité portait sur un différend qui n’avait pas été envisagé par les investisseurs dans leur soumission du litige à l’arbitrage et qui ne remplissait pas non plus les conditions de cette soumission. Il l’a fait en concluant à tort que les actions de la CEC violaient les normes du droit administratif national et en faisant de cette décision le seul motif de sa conclusion de responsabilité au titre de l’ALENA.

[114]   Le Canada reconnaît que le Tribunal à la majorité a expressément déclaré qu’il appliquait la norme de la jurisprudence Waste Management pour rechercher si les actions de la CEC et du Canada violaient la norme minimale de traitement exigée par l’article 1105 de l’ALENA. Il dit, cependant, que le Tribunal à la majorité a alors [traduction] « opéré un revirement radical dans son approche », abandonnant la norme minimale internationale en droit international coutumier et tirant plutôt des conclusions fondées exclusivement sur des violations présumées du droit canadien.

[115]   En appréciant les actions du gouvernement du Canada au regard de la loi canadienne sur l’évaluation environnementale — un ensemble de règles de droit qui, selon le Canada, échappait entièrement à la compétence et à l’expertise d’un tribunal de l’ALENA nécessaires à leur interprétation et application — le Canada soutient que la majorité du Tribunal a discuté une question qui ne relevait pas du litige soumis à l’arbitrage, excédant ainsi les limites de la mission acceptée par les parties à l’ALENA.

[116]   À l’appui de sa position, le Canada fait observer que les tribunaux de l’ALENA [traduction] « ont été habilités à se prononcer uniquement sur les violations alléguées des obligations internationales mutuellement assumées par les parties à l’ALENA » et que [traduction] « ils doivent le faire en suivant les principes du droit international et non du droit interne » : Council of Canadians v. Canada (Attorney General) (2006), 277 D.L.R. (4th) 527, 149 C.R.R. (2d) 290 (C.A. Ont.), au paragraphe 42. Alors que le Tribunal à la majorité prétendait trancher des questions de droit international, le Canada affirme qu’il a en réalité tranché des questions de droit canadien qui sont du seul ressort de notre Cour, utilisant ses conclusions concernant le non-respect allégué par le Canada des exigences du droit canadien de l’environnement comme fondement de sa conclusion de responsabilité au titre de l’ALENA. Selon le Canada, cette usurpation de compétence appelle l’annulation de la sentence.

[117]   À l’appui de cette thèse, le Canada mentionne en particulier les paragraphes 600 à 604 des motifs du Tribunal à la majorité, qu’il appelle le « point zéro » de l’erreur du Tribunal à la majorité concernant la violation alléguée par le Canada de l’article 1105 de l’ALENA. Ces paragraphes figurent dans la section de la décision du Tribunal à la majorité intitulée [traduction] « Conclusions concernant la norme internationale minimale ».

[118]   Dans cette section, le Tribunal à la majorité a ainsi défini [traduction] « le problème en l’espèce » : [traduction] « la question de savoir si la demande des investisseurs a été évaluée d’une manière conforme aux lois que le Canada et la Nouvelle-Écosse ont concrètement choisi d’adopter » : paragraphe 600. Le Tribunal à la majorité a conclu [traduction] « qu’il y avait en fait une entorse fondamentale à la méthode imposée par les lois canadiennes et néo-écossaises » dans la façon dont le projet avait été évalué. Tout en reconnaissant que les répercussions sociales peuvent entrer dans le cadre d’une évaluation environnementale valable et que [traduction] « la valeur accordée par les membres d’une communauté à des éléments distinctifs d’un écosystème » peut constituer un facteur pertinent dans une évaluation environnementale, le Tribunal à la majorité a rejeté [traduction] « l’approche distincte, sans précédent et inattendue retenue par la CEC concernant les « valeurs fondamentales de la collectivité » dans ce cas particulier » : paragraphe 601. 

[119]   Le Tribunal à la majorité a conclu que les investisseurs n’étaient [traduction] « pas traités de manière conforme aux propres lois du Canada, y compris la norme d’évaluation fondamentale de la LCEE et les normes d’avertissement raisonnable exigées par le droit administratif canadien » : paragraphe 602. Puis, dans le paragraphe suivant, il a conclu que [traduction] « le fondement de la responsabilité au titre du chapitre 11 est que, après tous les encouragements spécifiques que les investisseurs et leur investissement ont reçus du gouvernement pour poursuivre le projet, et vu toutes les ressources investies dans la préparation et la présentation de leur dossier d’évaluation environnementale, les investisseurs et leur investissement n’ont pas eu la possibilité raisonnable de voir les spécificités de ce dossier examinées, évaluées et tranchées conformément aux lois applicables » (souligné dans l’original).

[120]   Le Tribunal à la majorité a conclu que [traduction] « l’approche de l’évaluation environnementale retenue par la CEC et retenue par le Canada a résulté en une violation de l’article 1105 » : paragraphe 604.

[121]   Le Canada soutient que le Tribunal à la majorité a donc en substance conclu à la non-conformité à la loi canadienne applicable en l’espèce, assimilant à tort cette entorse à une violation de la norme minimale de traitement en droit international coutumier. Il dit que l’approche du Tribunal à la majorité, en l’espèce, doit être opposée au raisonnement du Tribunal à l’occasion de l’affaire ADF Group, précitée, où un tribunal de l’ALENA a rejeté à juste titre l’allégation selon laquelle un organisme national de réglementation avait mal appliqué le droit interne au motif qu’il n’avait pas le pouvoir d’examiner la validité et la qualité des mesures en droit administratif interne.

[122]   Le Canada soutient que l’erreur du Tribunal à la majorité a contaminé son analyse de l’allégation des investisseurs au titre de l’article 1102 de l’ALENA. En concluant à la responsabilité du Canada à cet égard, le Tribunal à la majorité a conclu que [traduction] « ce qui revêt une importance cruciale en l’espèce est que le projet de Whites Point n’a pas bénéficié de l’application prévue et légalement obligatoire, aux fins de l’évaluation environnementale fédérale du Canada, de la norme d’évaluation essentielle en vertu de la LCEE » : paragraphe 697. Le Tribunal à la majorité a donc conclu que le traitement différencié et défavorable dont ont fait l’objet les investisseurs n’était pas justifié : paragraphe 724.

[123]   Le Tribunal à la majorité a reconnu que [traduction] « les erreurs, même graves, dans l’application des lois nationales ne donnent généralement pas lieu, et encore moins automatiquement, au niveau de responsabilité internationale à l’égard des investisseurs étrangers » : paragraphe 738. Cependant, il a indiqué dans le même paragraphe que [traduction] « le générateur de la responsabilité internationale dans ce cas particulier était l’ensemble très spécifique de faits qui ont été exposés, vérifiés et établis dans le cadre d’un processus judiciaire exhaustif ».

[124]   La majorité du Tribunal a ensuite conclu que certains des éléments de fait de cette affaire [traduction] « étaient très inhabituels » et que [traduction] « la nature sans précédent de l’approche de la CEC [...] n’était pas seulement en contradiction avec le cadre juridique existant, mais aussi avec le traitement réel assuré dans des cas comparables » : paragraphe 739.

(iii)  La thèse du Canada concernant les articles pertinents de l’ALENA et les notes interprétatives

[125]   À l’appui de sa thèse portant que le Tribunal à la majorité a commis une erreur en invoquant les violations du droit environnemental et administratif canadien pour conclure en sa responsabilité au titre des articles 1102 et 1105 de l’ALENA, le Canada note que les paragraphes 1116(1) et 1117(1) de l’ALENA prévoient qu’un tribunal n’a compétence que pour se prononcer sur des violations présumées d’obligations de fond pour lesquelles un règlement des différends entre l’investisseur et un État est possible en vertu du chapitre 11.

[126]   Le Canada fait observer que la compétence du Tribunal était encore plus circonscrite par le paragraphe 1131(1) de l’ALENA, qui prévoit que le tribunal « tranchera les points en litige conformément au présent accord et aux règles applicables du droit international ». Cette disposition [traduction] « garantit que le droit interne ne joue pas en matière d’investissement en précisant l’applicabilité du droit international » : Denis Lemieux et Ana Stuhec, Review of Administrative Action under NAFTA (Scarborough, Ont : Carswell, 1999), page 94.

[127]   Cette exigence est confirmée par les Notes de la CLE qui confirment que « l’article 1105(1) prescrit la norme minimale de traitement conforme au droit international coutumier à l’égard des étrangers comme norme minimale de traitement à accorder aux investissements effectués par les investisseurs d’une autre Partie » et que « [l]es concepts de « traitement juste et équitable » et de « protection et sécurité intégrales » ne prévoient pas de traitement supplémentaire ou supérieur à celui exigé par la norme minimale de traitement conforme au droit international coutumier à l’égard des étrangers ».

[128]   Comme il a été noté précédemment, l’interprétation d’une disposition de l’ALENA par la Commission du libre-échange lie les tribunaux établis en vertu du chapitre 11 de l’Accord. En conséquence, le Canada soutient que la majorité du Tribunal était tenue d’appliquer le droit international coutumier pour déterminer si le Canada avait manqué à la norme minimale de traitement exigée par l’article 1105 de l’ALENA, et qu’en omettant de suivre la Note de la CLE, le Tribunal à la majorité a excédé sa compétence.

[129]   Le Canada se réfère également aux observations des parties à l’ALENA dans l’affaire Mesa, précitée, qui constituent un « accord ultérieur » contraignant supplémentaire au sens de l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. On se rappellera que dans l’affaire Mesa, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont convenu que le tribunal à la majorité dans cette affaire avait commis une erreur en omettant d’exiger des investisseurs qu’ils établissent que les actions du Canada ont résulté en une violation du droit international coutumier, et en assimilant le non-respect de la législation nationale pertinente au non-respect de la norme minimale de traitement en droit international.

(iv)  Analyse

[130]   Il n’est pas nécessaire que je recherche si les observations des États parties à l’ALENA dans l’affaire Mesa ont constitué un accord ultérieur contraignant aux fins de l’article 31 de la Convention de Vienne. En effet, les observations produites dans l’affaire Mesa étaient toutes postérieures à la décision du Tribunal dans la présente affaire et ne pouvaient donc pas lier la majorité du Tribunal au moment où elle s’est prononcée.

[131]   Vu la thèse du Canada, je suis toutefois appelée à examiner le rôle que le droit interne doit jouer en matière d’examen des violations alléguées des articles 1102 et 1105 de l’ALENA.

[132]   Le Canada soutient que c’est la mission de notre Cour, et non d’un tribunal de l’ALENA, de déterminer si le Canada a agi conformément à ses propres lois lorsqu’il a pris des décisions concernant l’approbation du projet. Selon le Canada, en statuant sur des questions de droit canadien réservées à notre Cour, la majorité du Tribunal a excédé sa compétence. Comme je l’expliquerai plus loin, je ne puis retenir cette thèse.

[133]   Je crois comprendre qu’il n’est pas controversé entre les parties que les tribunaux de l’ALENA n’examinent pas les décisions prises au sein des États parties : ADF Group, précité, au paragraphe 190; Marvin Roy Feldman Karpa v. United Mexican States, (6 décembre 2000), ICSID Case No. Arb(AF)/99/1, décision provisoire sur des questions de compétence, au paragraphe 61; Glamis Gold Ltd., précité, au paragraphe 762. Cela dit, le Canada a admis dans ses observations écrites que les tribunaux de l’ALENA peuvent voir dans la conformité ou la non-conformité à la législation nationale d’un pays signataire de l’ALENA un facteur dans la détermination de la responsabilité au titre de l’ALENA : mémoire des faits et du droit du Canada, au paragraphe 66.

[134]   Bien que les plaintes fondées sur le chapitre 11 de l’ALENA soient incontestablement fondées sur le droit international, les questions de conformité au droit interne d’un État partie peuvent néanmoins constituer un facteur important et pertinent dans cette analyse et peuvent constituer une importante partie des faits donnant naissance aux différends relevant de l’ALENA : GAMI Investments, Inc. v. The Government of the United Mexican States, (15 novembre 2004), UNCITRAL, sentence, [Gami Investments], au paragraphe 91.

[135]   En effet, bien que les lois nationales ne soient généralement pas pertinentes dans les arbitrages internationaux à titre de questions de droit, [traduction] « le droit interne peut être essentiel à la fonction des tribunaux [de l’ALENA] et l’appréciation d’un régime national donné peut constituer un aspect critique de l’appréciation des faits de ces affaires » : Meg N. Kinnear, Andrea K. Bjorklund et John F.G. Hannaford, Investment Disputes under NAFTA : An Annotated Guide to NAFTA Chapter 11, édition sur feuilles mobiles, (Kluwer Law International, 2006), page 1131-20.

[136]   La conformité du Canada à sa législation nationale en matière d’évaluation environnementale constitue un facteur pertinent et approprié pour le Tribunal en l’espèce; cela est confirmé par la mention qu’en a faite le Canada dans le « Contexte factuel » de sa défense. En effet, il ressort clairement de la structure de la défense du Canada que le droit interne et son propre respect de la loi canadienne étaient considérés comme des questions de fait pertinentes par le Canada.

[137]   Tout en soutenant que les investisseurs confondaient la mission du Tribunal lorsqu’il applique la norme minimale du droit international coutumier et la mission de notre Cour lorsqu’elle examine les décisions relatives au projet au regard du droit administratif canadien, le Canada a néanmoins soutenu qu’il avait respecté les exigences du droit environnemental canadien dans les mémoires qu’il a produits au Tribunal; celui-ci était donc clairement saisi de la question et devait la trancher.

[138]   En outre, le Canada et les investisseurs ont présenté devant le Tribunal des éléments de preuves substantiels émanant d’experts en droit canadien de l’environnement concernant les exigences du droit environnemental national et concernant la question de savoir si ce droit avait été respecté dans le cadre du projet. Le respect par le Canada de la législation environnementale nationale a donc été clairement relevé par les parties comme une question de fait devant être tranchée par le Tribunal — une question qui, au final, a porté sur le fond de la question de savoir si le Canada avait violé les obligations que lui impose le droit international envers les investisseurs.

[139]   En effet, certains différends donnant lieu à des plaintes internationales ne peuvent vraisemblablement être appréciés que par la prise en compte accessoire des exigences du droit interne par rapport à la question de la responsabilité internationale : William S. Dodge, « Local Remedies Under NAFTA Chapter 11 », dans Frédéric Bachand, dir., Fifteen Years of NAFTA Chapter 11 Arbitration (International Arbitration Institute : 2011), 37, page 39-41.

[140]   Par exemple, en examinant une plainte en vertu de l’article 1102 de l’ALENA, il se peut qu’un tribunal soit seulement en mesure de déterminer si une partie à l’ALENA a traité un investisseur étranger de façon moins favorable que le pays traiterait ses propres ressortissants en tenant compte du traitement exigé les lois nationales du pays en question. En effet, comme Kinnear et Puig l’ont fait observer, [traduction] « l’accent mis sur le contexte de l’article 1102 oblige les arbitres à accorder une attention particulière au cadre réglementaire applicable avant de conclure à une violation du traitement national » : Sergio Puig et Meg Kinnear, « NAFTA Chapter Eleven at Fifteen : Contributions to a Systemic Approach in Investment Arbitration » (2010), 25:2 ICSID Review – Foreign Investments Law Journal 225, page 241.

[141]   La doctrine a relevé des exemples de questions « préliminaires » ou « accessoires » régies par le droit national, telles que la validité d’un investissement ou la conclusion d’un contrat, ainsi que les changements de zonage, la fiscalité et les études d’impact environnemental : Ole Spiermann, « Applicable law », dans Peter Muchlinski, Federico Ortino et Christoph Schreuer, dir., The Oxford Handbook of International Investment Law (Oxford: Oxford University Press, 2008), 89, pages 110 à 113.

[142]   Contrairement à ce que soutient le Canada, trancher des questions « préliminaires » ou « accessoires » de droit national ne transforme pas un tribunal de l’ALENA en une cour d’appel nationale. Cela fait plutôt partie de l’exercice de la compétence inhérente d’un tribunal qui est [traduction] « nécessaire pour donner effet au droit de l’investisseur à l’arbitrage international ainsi qu’à l’objet et au but de la plupart des traités portant sur l’investissement, sinon tous » : Spiermann, précité, pages 110 à 113; GAMI Investments, Inc., précité, paragraphes 90, 91, 94.

[143]   Il convient également de noter que bien que le Canada ait soulevé un certain nombre d’objections à la compétence du Tribunal en l’espèce, il n’a pas soutenu que les investisseurs ont omis de soulever les questions de droit interne dans leur plainte fondée sur l’ALENA tranchées par notre Cour dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire des décisions en cause. Le Canada n’a pas non plus affirmé que le Tribunal de l’ALENA ne pouvait pas examiner les questions de droit interne canadien dans le cadre de son analyse de la plainte des investisseurs. En effet, comme il a été noté plus tôt, il a présenté des éléments de preuve substantiels sur cette question.

[144]   Les exigences du droit canadien en matière d’environnement et la conformité ou la non-conformité du Canada à ces exigences ont donc été directement mises en cause par les parties devant le Tribunal. Elles étaient en outre expressément précisées dans le litige soumis à l’arbitrage par les investisseurs qui demandaient les dommages-intérêts au titre des violations qu’aurait commises le Canada des obligations que lui impose l’ALENA. Par conséquent, je conclus que la majorité du Tribunal n’a pas excédé sa compétence car elle n’a pas discuté une question qui ne relevait pas du litige soumis à l’arbitrage faite par les investisseurs en vertu du chapitre 11 de l’ALENA.

[145]   En outre, rien dans le texte des articles pertinents du chapitre 11 de l’ALENA ni dans l’interprétation de ce texte dans les Notes de la CLE n’interdisait à la majorité du Tribunal de tirer des conclusions de fait quant au respect ou au non-respect par le Canada des exigences de ses lois nationales en matière d’environnement à titre accessoire pour finalement tirer sa conclusion de responsabilité au titre des articles 1102 ou 1105 de l’ALENA.

[146]   Bien que le Canada attaque les conclusions du Tribunal à la majorité concernant le non-respect par le Canada des exigences du droit environnemental canadien, il n’est pas loisible à notre Cour, saisie d’une demande d’annulation d’une sentence rendue en vertu du chapitre 11 de l’ALENA, d’examiner la décision du Tribunal au fond et de remettre en cause ses conclusions de fait, car toute erreur que le Tribunal aurait pu commettre à cet égard ne relève pas d’une question de compétence.

[147]   Cela m’amène à la dernière question à examiner, à savoir s’il y quelque disposition que ce soit dans l’ALENA, correctement interprétée, qui interdisait à la majorité du Tribunal de rendre la sentence qu’elle a rendue.

E.    Y a-t-il une disposition de l’ALENA qui interdisait à la majorité du Tribunal de rendre la sentence qu’elle a rendue?

[148]   Le Canada soutient que les articles 1105, 1102, 1116, 1117 et 1131 de l’ALENA, correctement interprétés, interdisaient au Tribunal à la majorité de tirer des conclusions concernant le droit interne et de faire de ces conclusions le seul fondement de sa conclusion de responsabilité au titre des articles 1105 et 1102.

[149]   J’ai déjà conclu qu’il était approprié que le Tribunal examine les exigences de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale pour en arriver à sa décision. La question à ce stade de l’analyse est de savoir si le Tribunal a excédé sa compétence vu la façon dont il a utilisé ces conclusions pour déclarer le Canada responsable envers les investisseurs en vertu des articles 1105 et 1102 de l’ALENA.

[150]   Bien que les investisseurs aient contesté un large éventail de mesures et de décisions prises au cours du processus de la CEC, le Canada affirme que le Tribunal à la majorité a conclu à la responsabilité en vertu des articles 1105 et 1102 de l’ALENA, principalement en raison de deux mesures de la CEC : son recours au concept de « valeurs fondamentales de la collectivité » dans ses recommandations, et son approche quant à la question de l’atténuation.

[151]   Selon le Canada, toutes les conclusions allant dans le sens de la conclusion de responsabilité tirée par le Tribunal à la majorité constituaient essentiellement la reformulation de ces deux constatations, et que, sans ses conclusions concernant la prétendue violation par le Canada de ses lois environnementales nationales, la majorité du Tribunal n’aurait pas retenu la même solution. En déclarant le Canada responsable des violations des articles 1105 et 1102 de l’ALENA, le Canada affirme que le Tribunal a outrepassé la mission précise, mais limitée, conférée à un tribunal de l’ALENA, à laquelle le Canada a donné son consentement, à savoir celle de trancher des différends conformément aux dispositions de l’ALENA et aux règles applicables du droit international.

[152]   Avant d’examiner les arguments du Canada sur ce point, il est important de rappeler la norme de contrôle qui joue dans les cas comme celui-ci. Je ne procède pas au contrôle judiciaire du caractère raisonnable de la décision de la majorité du tribunal de l’ALENA, et je ne recherche pas non plus si le Tribunal a commis une erreur de fait ou de droit en arrivant à sa décision. Le sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code n’invalide pas une sentence arbitrale simplement parce que, de l’avis de la Cour, le tribunal a commis une erreur de droit ou a tiré une conclusion de fait erronée : S.D. Myers (Cour fédérale), précité, au paragraphe 42; Consolidated Contractors Group, précité, au paragraphe 23.

[153]   En effet, aucun des motifs limités et stricts d’annulation d’une sentence arbitrale énumérés au paragraphe 34(2) du Code n’autorise le juge judiciaire à examiner la sentence d’un tribunal arbitral au fond. Il en est ainsi même si le Tribunal a manifestement commis une erreur de fait ou de droit : Xerox Canada Ltd. v. MPI Technologies Inc., [2006] O.J. no 4895 (QL), 2006 CanLII 41006 (C.S. Ont.), paragraphes 144 à 147; Jan van den Berg, Albert, The New York Arbitration Convention of 1958 : Towards a Uniform Judicial Interpretation (T.M.C. Asser Institute, 1981), page 273; Lesotho Highlands Development Authority v. Impregilo SpA and others, [2005] UKHL 43, [2006] 1 A.C. 221, paragraphe 31. Je ne peux intervenir en ce qui concerne la décision du Tribunal que si la majorité a excédé sa compétence, comme le prévoit le sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code.

[154]   Cette approche est conforme à la tendance actuelle à la finalité des sentences arbitrales : Alan Redfern et Martin Hunter, Law and Practice of International Commercial Arbitration, 4e éd. (London : Sweet & Maxwell, 2004). Comme Redfern et Hunter l’observent, [traduction] « la conviction est que, en ce qui concerne les arbitrages internationaux, les parties doivent être disposées à accepter la décision du tribunal arbitral même si elle est erronée, à condition que les procédures correctes aient été respectées » : page 421. La crainte est que si le juge judiciaire a le pouvoir de remettre en cause une décision arbitrale sur le fond, la rapidité et la finalité du processus arbitral seront perdues. En effet, l’arbitrage deviendra alors [traduction] « simplement la première étape d’un processus pouvant aboutir, par appels successifs, à la plus haute cour d’appel du lieu de l’arbitrage » : page 421. En conséquence, [traduction] « si le Tribunal est compétent, si les procédures correctes sont suivies et si les formalités sont respectées, la sentence, bonne, mauvaise ou indifférente, est définitive et lie les parties » : page 422.

[155]   De plus, conformément à la mise en garde de la Cour d’appel de l’Ontario à l’occasion de l’affaire Cargill, le juge judiciaire doit [traduction] « se limiter, au sens le plus strict du terme, à n’intervenir que rarement dans les décisions rendues par des tribunaux d’arbitrage librement choisis par les parties et disposant d’une expertise » : précité, paragraphe 46. De plus, le juge judiciaire doit [traduction] « être circonspect » pour rechercher si une erreur alléguée relève bien du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code et soulève une véritable question de compétence, en retenant [traduction] « une vision étroite de la portée d’une telle question » : Cargill, précité, paragraphe 47.

[156]   La Cour d’appel de l’Ontario a discuté le sens de l’expression [traduction] « véritables questions de compétence » à l’occasion de l’affaire Cargill. À titre d’exemple, elle a déclaré qu’un tribunal de l’ALENA aurait excédé sa compétence si, saisi d’une réclamation relative à des dommages subis en 2007 et en 2008, le Tribunal accordait les dommages-intérêts pour 2009 et 2010, puisqu’il s’agirait d’une [traduction] « sentence […] ne relevant pas du litige soumis l’arbitrage » : Cargill, précité, paragraphe 49. On se rappellera qu’en l’espèce, le Tribunal a retenu l’objection de compétence du Canada et a refusé de discuter la thèse des investisseurs portant que la décision de renvoyer le projet à la CEC était discriminatoire, puisque cette décision avait été prise plus de trois ans avant l’émission de l’avis d’arbitrage des investisseurs.

[157]   Un tribunal de l’ALENA excéderait sa compétence s’il devait accorder les dommages-intérêts relativement à un investissement au Brésil, puisque, selon la définition figurant au chapitre 11 de l’ALENA, un investissement est situé sur le territoire d’une autre partie à l’ALENA, à savoir le Canada, les États-Unis ou le Mexique : Cargill, précité, au paragraphe 49. Une autre « véritable question de compétence » se poserait si un tribunal prétendait intervenir dans une affaire intentée en vertu du chapitre 11 de l’ALENA, même si le différend ne portait pas sur un « investissement » : Noah Rubins, « Judicial Review of Investment Arbitration Awards » dans Todd Weiler, dir., NAFTA Investment Law and Arbitration: Past Issues, Current Practice, Future Prospects (New York : Transnational Publishers, 2004) 359, page 364.

[158]   Même si le juge judiciaire relève une question de compétence, la jurisprudence Cargill enseigne qu’il doit [traduction] « soigneusement limiter la question qu’il discute afin de s’assurer qu’il ne s’égare pas, consciemment ou par inadvertance, dans le fond de la question qui a été tranchée par le tribunal » : Cargill, précité, au paragraphe 47.

(i)    Le Tribunal avait-il compétence pour entamer l’enquête?

[159]   En l’espèce, le Tribunal avait clairement compétence pour entreprendre son enquête, c’est-à-dire pour rechercher si le traitement des investisseurs par le Canada et sa conduite concernant la CEC et le processus d’approbation du projet violaient les obligations que lui imposent les articles 1102 et 1103 et 1105 de l’ALENA.

[160]   En ce qui concerne la plainte des investisseurs aux termes de l’article 1105, il était entendu par les trois membres du Tribunal que la jurisprudence Waste Management consacrait le critère approprié pour rechercher si les actions du Canada étaient conformes à la norme de traitement minimale requise en droit international coutumier aux fins de l’article 1105 de l’ALENA : voir, par exemple, l’opinion majoritaire, aux paragraphes 442 à 443; l’opinion dissidente, au paragraphe 2.

[161]   Il était aussi entendu par les trois membres du Tribunal que la jurisprudence Waste Management prescrivait un seuil élevé pour établir une violation de la norme minimale internationale en droit international coutumier : opinion majoritaire, aux paragraphes 36, 441; opinion dissidente au paragraphe 2. En outre, il était également entendu que la responsabilité en vertu de l’article 1105 de l’ALENA appelle plus qu’une simple violation du droit interne et que [traduction] « l’exercice imprudent du pouvoir discrétionnaire ou même des erreurs pures ne donnent pas lieu, en règle générale, à une violation de la norme internationale minimale » : opinion majoritaire aux paragraphes 436 et 437; opinion dissidente, au paragraphe 2.

[162]   Toutefois, les membres du Tribunal ont affiché leur désaccord dans leur appréciation de la question de savoir si les actions du Canada en l’espèce se situaient sous la norme de la jurisprudence Waste Management. Cette compréhension des différences entre les membres est reflétée dans les motifs du professeur McRae, où il a fait remarquer que [traduction] « en grande partie, [son] désaccord se rapoorte à l’appréciation des faits par le Tribunal à la majorité » : opinion dissidente, au paragraphe 2.

[163]   L’appréciation des faits d’une affaire porte sur le fond de la décision et ne soulève pas de question de compétence. De plus, l’application de la loi aux faits d’une affaire tels qu’un décideur peut les avoir constatés constitue une attaque de la conclusion tirée par le Tribunal; il ne s’agit pas d’une question de compétence : Mobil, précité, au paragraphe 48.

(ii)   La jurisprudence Metalclad appelle un distinguo

[164]   Le Canada fait valoir que dans l’affaire Metalclad, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a annulé la décision d’un tribunal parce qu’il avait mal formulé le droit applicable concernant l’article 1105 de l’ALENA. En particulier, le Tribunal a déclaré expressément et incorrectement que la norme minimale de traitement prévue à l’article 1105 de l’ALENA comprenait des obligations de transparence, puis a pris sa décision en se fondant sur cette notion de transparence. Le Canada soutient que le Tribunal à la majorité dans la présente affaire a commis une erreur similaire en intégrant des normes juridiques nationales dans son analyse au titre de l’article 1105 et en les assimilant aux règles du droit international coutumier comme motif pour imposer la responsabilité aux termes de l’ALENA.

[165]   J’observerai d’abord que la critique de la jurisprudence Metalclad a été « féroce », et que, selon une abondante doctrine, la Cour est allée trop loin en se hasardant dans le fond de l’affaire : Rubins, précité, page 379; Coe, Jack Jr., « Taking Stock of NAFTA Chapter 11 in Its Tenth Year : An Interim Sketch of Selected Themes, Issues, and Methods » (2003), 36 Vand. J. Transnat’l L. 1381, page 1411; Todd Weiler, « Metalclad c. Mexico : A Play in Three Parts » (2001), 2 J. World Inv. 685, page 700; Charles H. Brower II, « Investor-State Disputes Under NAFTA : The Empire Strikes Back » (2001), 40 Colum. J. Transnat’l L. 43.

[166]   En outre, si la jurisprudence porte sur des faits plus ou moins analogues à la présente espèce, un distinguo s’impose en ce qui concerne la jurisprudence Metalclad.

[167]   Tel qu’indiqué précédemment, le Tribunal, à l’occasion de l’affaire Metalclad, a fondé sa conclusion de responsabilité au titre de l’article 1105 de l’ALENA sur la violation des obligations de transparence prétendument imposées par cette disposition. Il n’y a cependant aucune obligation de transparence prévue par l’article 1105, ni ailleurs dans le chapitre 11 de l’ALENA. Bien qu’il y ait une obligation de transparence au chapitre 18 [articles 1801 à 1806] de l’ALENA, les parties n’ont pas consenti à faire arbitrer des questions relevant du chapitre 18, de sorte que le Tribunal avait fondé sa décision sur une question qui ne relevait pas du litige soumis à l’arbitrage : Metalclad, au paragraphe 72.

[168]   Il convient toutefois de noter que la Cour a instamment observé à l’occasion de l’affaire Metalclad que, si le Tribunal avait simplement interprété le texte de l’article 1105 comme incluant une obligation de transparence, la Cour n’aurait pas nécessairement eu de motif d’intervenir. Bien que l’interprétation de l’article 1105 ait pu être erronée, l’arbitre n’aurait pas nécessairement tranché une question ne relevant pas du litige soumis à l’arbitrage : au paragraphe 70. 

[169]   Contrairement à l’erreur relevée dans la décision Metalclad, la question en litige en l’espèce est de savoir si le non-respect par le Canada des exigences de ses lois nationales en matière d’évaluation environnementale a atteint le « seuil de gravité » envisagé par la jurisprudence Waste Management ou si ce non-respect constituait un traitement discriminatoire aux fins de l’article 1102 de l’ALENA. En d’autres termes, l’erreur alléguée se rapportait à l’appréciation, par le Tribunal, de ce degré de gravité, est une erreur de degré; n’était pas en cause la transposition d’une obligation à l’article 1105 tirée d’un article différent de l’ALENA.

(iii)  L’application par le Tribunal de la norme de la jurisprudence Waste Management

[170]   Tel qu’indiqué précédemment, l’un des arguments des investisseurs devant le Tribunal était que leur investissement avait été injustement traité par la CEC en raison de son caractère novateur et du recours prétendument inapproprié au concept de « valeurs fondamentales de la collectivité » comme motif pour recommander que le projet ne soit pas approuvé, sans aviser les investisseurs que ce concept était en cause. La majorité du Tribunal a conclu que la conduite de la CEC était arbitraire, rattachant spécifiquement cette conclusion à la norme de la jurisprudence Waste Management en concluant que le Canada avait violé l’article 1105 : au paragraphe 591. Pour être clair, la question soumise à notre Cour n’est pas de savoir si le Tribunal a correctement appliqué le seuil consacré par la jurisprudence Waste Management lorsqu’il a conclu qu’avaient été arbitraires les actions du Canada, puisque cette question se rapporte sans équivoque au fond de la décision.

[171]   Ce que le Canada soutient, c’est que le Tribunal n’a pas du tout appliqué la norme de Waste Management, s’appuyant plutôt exclusivement sur les violations du droit interne pour attribuer la responsabilité. Je ne puis retenir la thèse du Canada à cet égard. Je conclus que le Tribunal a tiré une conclusion factuelle de conduite arbitraire et a appliqué le droit international coutumier pour déterminer si le Canada avait violé la norme minimale de traitement aux fins de l’article 1105 de l’ALENA.

[172]   La question de savoir si l’approche de la CEC était en fait « nouvelle » ou « arbitraire » est une question de fait qui porte sur le fond de la décision du Tribunal et qui dépasse la portée d’un examen dans le cadre d’une demande d’annulation présentée en vertu du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code.

[173]   Va dans le sens de ma conclusion à cet égard la jurisprudence Consolidated Contractors Group mentionnée précédemment dans les présents motifs. Dans cette affaire, l’appelant a soutenu que, pour trancher une question, le Tribunal [traduction] « a élaboré sa propre “nouvelle théorie” de l’avis constructif et a refusé l’équité procédurale en omettant de donner un avis concernant cette théorie et la possibilité d’y répondre » : paragraphe 81. Selon la Cour d’appel de l’Ontario, cet argument ne pouvait justifier l’annulation d’une sentence arbitrale, retenant la thèse de l’intimée dans cette affaire portant que [traduction] « cet argument constitue essentiellement un grief visant les constatations de faits arbitrales sous le couvert d’un argument d’équité procédurale » : au paragraphe 82. On peut dire qu’il en va de même en l’espèce.

[174]   Il est également inexact de dire que le Tribunal à la majorité a fondé ses conclusions de responsabilité au titre de l’ALENA exclusivement sur des allégations de violation de la loi canadienne dans le processus de la CEC. Après avoir expressément constaté que les manquements au droit interne ne sont pas nécessairement suffisants pour satisfaire au critère de la jurisprudence Waste Management, la majorité du Tribunal a ensuite observé qu’elle fondait également sa conclusion selon laquelle la conduite du Canada avait atteint le niveau envisagé par la jurisprudence Waste Management sur les « attentes raisonnables » des investisseurs, lesquelles avaient été créées par des déclarations qui leur avaient été faites par des représentants gouvernementaux. Ces déclarations avaient amené les investisseurs à investir beaucoup de temps et de ressources dans la poursuite du projet : opinion majoritaire, au paragraphe 594.

[175]   Rien n’indique que les déclarations des représentants de l’État constituent un facteur pertinent dans le processus d’évaluation environnementale canadien. La majorité du Tribunal a conclu que les déclarations faites par un État hôte sur lesquelles s’appuyait raisonnablement un demandeur constituaient, toutefois, un facteur pertinent pour déterminer s’il y avait eu manquement aux obligations d’un État partie en vertu du chapitre 11 de l’ALENA : paragraphes 98 et 99, tel que cité dans la sentence du Tribunal à la majorité, au paragraphe 442.

[176]   Pour conclure à la responsabilité au titre de l’article 1105 de l’ALENA, la majorité du Tribunal a conclu que les investisseurs [traduction] « s’étaient raisonnablement appuyés sur des encouragements précis, sur le plan politique et technique, pour poursuivre le projet non seulement en Nouvelle-Écosse, mais sur le site précis qu’ils avaient choisi » : paragraphe 448. Le Tribunal à la majorité a aussi conclu que [traduction] « ces encouragements ont contribué à la décision des investisseurs non seulement de poursuivre leurs plans d’affaire, mais aussi d’investir de bonne foi des ressources d’entreprise très importantes — dont plusieurs millions de dollars — pour obtenir et présenter un énoncé des incidences environnementales » : paragraphe 449.

[177]   Cela a amené la majorité du Tribunal à conclure que [traduction] « il était injuste que les représentants gouvernementaux encouragent des projets miniers côtiers de manière générale et encouragent spécifiquement la poursuite du projet sur le site de Whites Point, pour finalement, après un déploiement massif d’efforts et de ressources par Bilcon pour ce motif, avoir d’autres représentants déterminer effectivement que la zone est une “ zone interdite ” pour ce type de développement plutôt que de procéder à l’évaluation légalement prescrite de ses mérites en matière d’environnement » : paragraphe 592.

[178]   La majorité a ensuite spécifiquement rattaché cette conclusion à la norme de la jurisprudence Waste Management, concluant que la conduite du Canada répondait au seuil consacré par la jurisprudence Waste Management en partie compte tenu des [traduction] « attentes raisonnables des investisseurs et de l’important investissement consécutif de ressources et de leur réputation dans un processus qui est le plus rigoureux, public et vaste prévu par les lois canadiennes » : toutes les citations sont des extraits du paragraphe 594.

[179]   Pour les raisons invoquées par le professeur McRae, on pourrait être en désaccord avec les conclusions de la majorité du Tribunal quant à la nature des déclarations qui ont été faites aux investisseurs et aux attentes qui auraient pu raisonnablement être créées par ces déclarations. Il s’agit toutefois de questions de fait qui ont été directement déférées au Tribunal. Elles ne comportent pas de questions de compétence susceptibles d’examen par notre Cour, qui devait trancher.

[180]   Cela dit, le fait que la majorité du Tribunal se soit concentrée longuement sur les déclarations faites aux investisseurs par les représentants de l’État et sur le caractère raisonnable de l’importance donnée par ces investisseurs à ces déclarations constitue une confirmation supplémentaire du fait qu’elle avait connaissance de la grille d’analyse consacrée par la jurisprudence Waste Management et qu’elle s’efforçait de l’appliquer aux faits de l’espèce : décision majoritaire, aux paragraphes 444, 446 à 449.

[181]   Ma constatation que la majorité du Tribunal s’en est remis au droit international à cet égard, et non au droit interne, est étayée par la jurisprudence constante qui enseigne que les attentes légitimes ne peuvent créer de droits matériels en droit canadien et ne peuvent que créer des droits procéduraux : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 26; Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 R.C.S. 281, aux paragraphes 32, 79 et 86; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 R.C.S. 504, au paragraphe 68.

[182]   Une fois de plus, la plainte du Canada réellement sur la façon dont le Tribunal à la majorité a appliqué la norme de la jurisprudence Waste Management aux faits de l’espèce en le déclarant responsable d’une violation de l’article 1105 de l’ALENA. Le Canada attaque également les conclusions de fait du Tribunal à la majorité concernant le traitement différencié auquel le projet des investisseurs a été soumis dans le cadre du processus d’évaluation environnementale, ainsi que sa conclusion selon laquelle ce traitement était discriminatoire, au sens de l’article 1102 de l’ALENA. Cela aussi soulève des questions de fait, ou mélangées de fait et de droit, et ne comporte pas une erreur de compétence de la part de la majorité du Tribunal.

[183]   Pour ces raisons, je ne suis pas convaincue qu’il y ait quoi que ce soit dans l’ALENA, correctement interprété, qui interdisait à la majorité du Tribunal de rendre la sentence qu’elle a rendue.

XI.        Les arguments des intervenantes

[184]   Par ordonnance de notre Cour, la Fondation Sierra Club Canada et l’East Coast Environmental Law Association ont été autorisées à intervenir dans la présente procédure. Les intervenantes appuient généralement la position du Canada dans cette affaire. Leur appui repose, toutefois, sur des arguments qui n’ont pas été avancés par le Canada, ni même par les investisseurs.

[185]   Les intervenantes soutiennent que la décision du Tribunal était prématurée, car les investisseurs n’avaient pas épuisé leurs recours internes avant d’avoir eu accès au processus d’arbitrage du chapitre 11 de l’ALENA. Les intervenantes soutiennent en outre que la décision majoritaire accorde aux investisseurs [traduction] « une conclusion de fond sans précédent quant à la responsabilité pour des violations présumées de l’équité procédurale » sans jamais tenir compte ni même mentionner les dispositions très pertinentes du droit de l’environnement de l’ALENA et de son traité jumeau, l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement, 32 I.L.M. 1482 (1993). Les intervenantes soutiennent que cela était contraire aux [traduction] « notions et principes fondamentaux de la justice » et contraire à l’ordre public canadien. Selon les intervenants, l’une ou l’autre de ces erreurs constituerait une base suffisante pour annuler la décision du Tribunal à la majorité.

[186]   Les intervenantes ont soutenu dans leurs observations écrites présentées dans leur requête en intervention que la sentence doit être annulée aux termes du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code, soit la disposition du Code qui est invoquée par le Canada. C’est vraisemblablement sur cette base que la permission d’intervenir a été accordée. Cependant, la position des intervenantes semble avoir évolué au fil du temps, puisqu’elles ont soutenu dans leur mémoire des faits et du droit et lors de l’audience devant moi que la sentence du Tribunal à la majorité devrait être établie en vertu du sous-alinéa 34(2)b)i) du Code en raison de l’incapacité des investisseurs à épuiser leurs recours internes. Elles ont ajouté que l’alinéa 34(2)b)ii) du Code permettrait d’annuler la décision au motif qu’elle est contraire à la politique publique du Canada. Ce ne sont pas les motifs de contrôle sur lesquels les intervenantes ont été autorisées à intervenir.

[187]   Tout en concluant que les intervenantes avaient [traduction] « un réel intérêt à l’égard de la requête et des points de vue uniques qui seraient utiles à l’affaire », l’ordonnance autorisant l’intervention ne précisait pas les questions que les intervenantes seraient autorisées à discuter. L’ordonnance doit toutefois être interprétée à la lumière de la jurisprudence faisant autorité en matière d’interventions.

[188]   La Cour d’appel fédérale enseigne clairement que les intervenants n’ont pas [traduction] « un micro ouvert » pour discuter de tout ce qui leur passe par la tête au sujet d’une affaire : Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 174 [Tsleil-Waututh], au paragraphe 17. Un tiers qui souhaite prendre part à une instance à titre d’intervenant doit s’en tenir aux questions telles qu’elles sont définies par les parties; il ne peut y apporter des modifications ou des ajouts : Canada (Procureur général) c. Canadian Doctors for Refugee Care, 2015 CAF 34, au paragraphe 19. 

[189]   Le rôle de l’intervenant n’est donc pas d’introduire de nouvelles questions, mais plutôt d’offrir une perspective différente qui « aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance » : Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 3 et 109; Tsleil-Waututh, précité, au paragraphe 54; Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 151, [2016] 1 R.C.F. 686, paragraphes 7 à 10. Comme l’a déclaré la Cour à l’occasion de l’affaire Tsleil-Waututh [traduction] « les intervenants sont invités à une table déjà installée avec le repas déjà servi sur la table. Les intervenants peuvent faire des observations, dans leur optique, sur ce qu’ils voient, sentent et goûtent. Ils ne peuvent en aucun cas mettre un autre plat sur la table » : au paragraphe 55.

[190]   Bien que le Canada ait soulevé cinq oppositions distinctes à la compétence du Tribunal de l’ALENA en l’espèce, aucune de ces oppositions relatives à la compétence ne portait sur le défaut des investisseurs de demander le contrôle judiciaire de la décision de la CEC avant de soumettre l’affaire à l’arbitrage en vertu du chapitre 11 de l’ALENA : voir la décision majoritaire, au paragraphe 230.

[191]   Cela n’est pas surprenant parce que l’opinion dominante semble être que l’article 1121 du chapitre 11 de l’ALENA renonce tacitement à l’exigence selon laquelle les parties doivent épuiser les recours internes avant d’avoir accès au processus d’arbitrage du chapitre 11 de l’ALENA : Martin Dietrich Brauch, IISD Best Practices Series : Exhaustion of Local Remedies in International Investment Law, janvier 2017, à la page 13; Coe, précité, à la page 1421. Voir aussi Metalclad Corporation v. the United Mexican States, (30 août 2000), ICSID Case No. Arb(AF)/97/1, sentence,  note en bas de page dans le paragraphe 97; Waste Management, précité, aux paragraphes 116, 133; GAMI Investments, précité, au paragraphe 103; Marvin Feldman v. Mexico, (16 décembre 2002), ICSID Case No. Arb(AF)/99/1, sentence, au paragraphe 73.

[192]   L’exception à ce principe se présente dans les cas où il est allégué que la mesure gouvernementale en cause est entachée par un prétendu déni de justice découlant d’une intervention judiciaire. Dans de tels cas, les demandeurs doivent d’abord obtenir une décision finale de la plus haute juridiction de l’État hôte avant d’avoir accès au processus de l’ALENA : The Loewen Group, Inc. and Raymond L. Loewen v. United States of America, (26 juin 2003), ICSID Case No. ARB(AF)/98/3, sentence; Apotex Inc. v. The Government of the United States of America, (14 juin 2013), ICSID Case No. UNCT/10/2, sentence sur la compétence et l’admissibilité. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[193]   En ce qui concerne l’argument des intervenants tiré de l’ordre public, il est vrai que l’avis de demande du Canada faisait état d’une question d’ordre public pour justifier l’annulation de la décision de la majorité du Tribunal en vertu du sous-alinéa 34(2)b)ii) du Code. Cependant, le Canada n’a pas discuté cet argument afin de demander l’annulation de la sentence dans ses conclusions écrites, et il a informé notre Cour à l’audience qu’il ne l’invoquait plus. En outre, cet argument ne correspondait pas à l’argument de l’ordre public avancé par les intervenants.

[194]   Le Canada a soutenu dans son avis de demande que la décision du Tribunal à la majorité était en conflit avec l’ordre public du Canada [traduction] « dans la mesure où elle usurpe la fonction de contrôle judiciaire des juridictions canadiennes ». Un argument tiré de l’intérêt public relatif à l’omission alléguée de la majorité du Tribunal d’examiner les dispositions de l’ALENA et de l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement [ANACDE] soulève donc une question entièrement nouvelle : aucune des parties n’a soulevé cette question dans la présente procédure.

[195]   En outre, les intervenants font une lecture erronée du sous-alinéa 34(2)b)ii) du Code, lequel permet à notre Cour d’annuler une sentence au motif qu’elle est « contraire à l’ordre public du Canada » [italique dans l’original]. Les intervenants affirment que la non-citation par le Tribunal de l’article 1114 de l’ALENA, et de l’ANACDE constituent des erreurs de droit qui ne sauraient donner lieu à quelque [traduction] « déférence judiciaire ». Ils demandent à notre Cour d’intervenir sur le fondement de ces erreurs de droit [traduction] « flagrantes ». Cependant, il serait contraire à l’objet des motifs stricts d’annulation consacrés par le Code si l’on lisait le sous-alinéa 34(2)b)ii) de sorte qu’il vise toute erreur de fait ou de droit, car cela ouvrirait évidemment la porte à l’examen de l’affaire sur le fond.

[196]   De surcroît, la jurisprudence enseigne que, pour que soit accueilli le moyen tiré de l’ordre public, la sentence [traduction] « doit porter atteinte à des notions fondamentales de justice et d’équité » ou il faut que soient produits des [traduction] « éléments de preuve révélateurs d’ignorance ou de corruption de la part du Tribunal arbitral » : Corporacion Transnacional de Inversiones S.A. de C.V. v. STET International S.p.A., [1999] O.J. no 3573 (QL) (S.C.), 104 O.T.C. 1, paragraphe 30, conf. par [2000] O.J. no 3408 (QL) (C.A.), (2000), 49 O.R. (3d) 414, autorisation d’appel à la C.S.C. refusée, [2001] 1 R.C.S. xi. En matière d’annulation de sentences arbitrales sur le fondement de l’ordre public, le seuil est extrêmement élevé : Rubins, précité, page 367. L’auteur recense les violations de l’ordre public recevables à ce titre, dont, par exemple, [traduction] « les contrats ou concessions obtenus grâce à des pots-de-vin, et des ententes illégales ou immorales, ou l’arbitrage qui s’est déroulé au mépris des droits procéduraux de la partie concernée » : page 367. Les intervenants n’ont pas cerné des questions atteignant ce niveau dans leurs conclusions.

[197]   Les arguments des intervenantes visent donc à amplifier les questions dont la Cour est saisie et à modifier fondamentalement l’objet de la présente affaire. Cela n’est pas séant dans le cadre d’une intervention.

XII.       Conclusion

[198]   Je reconnais que la sentence de la majorité du Tribunal soulève des questions de principe importantes. Celles-ci comprennent son effet sur la capacité des parties à l’ALENA de réglementer les questions environnementales relevant de leur compétence, la capacité des tribunaux de l’ALENA d’apprécier adéquatement si les investisseurs étrangers ont été traités équitablement dans le cadre des processus d’évaluation environnementale nationaux et l’« effet paralysant » potentiel dans le processus d’évaluation environnementale qui pourrait découler de la décision de la majorité du Tribunal.

[199]   Bien qu’il puisse y avoir de nombreuses raisons de critiquer la décision de la majorité du Tribunal, sa décision découle, au final, de sa conclusion que, vu les lacunes constatées dans le processus de la CEC, le Canada n’avait pas respecté son obligation d’assurer aux investisseurs un traitement juste et équitable au sens de l’article 1105 de l’ALENA et de sa conclusion portant que le traitement accordé aux investisseurs par le Canada était discriminatoire et différait du traitement qui serait accordé aux investisseurs canadiens dans des conditions similaires, et que nul justification de ce traitement différencié n’avait été rapportée. Soit que ces conclusions sont de nature factuelle, soit qu’elles donnent lieu à l’application de la loi aux faits tels qu’ils ont été constatés par la majorité du Tribunal. Plus important encore, elles relèvent sans équivoque du litige défini par les parties et soumis à l’arbitrage. Elles ne portent toutefois pas sur des questions de compétence.

[200]   Le Canada n’a donc pas établi que la décision du Tribunal à la majorité « porte sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire », au sens du sous-alinéa 34(2)a)iii) du Code. Par conséquent, la demande d’annulation de la décision du Tribunal à la majorité doit être rejetée.

XIII.      Dépens

[201]   A titre de parties victorieuses, les investisseurs ont droit aux dépens relatifs à la présente procédure engagée par le Canada. Conformément à l’entente conclue entre les parties, ces dépens sont fixés à 18 000 $, ce qui inclut les débours et la TVH.

[202]   Les dépens n’ont pas été demandés par les intervenants ni de la part des intervenants, et aucune somme ne sera accordée à cet égard.


JUGEMENT DANS T-1000-15

LA COUR DECIDE :

1.         La demande est rejetée avec dépens payables aux défendeurs, fixés à 18 000 $, incluant les débours et la TVH.


Annexe I

Dispositions pertinentes d’Accord de libre-échange nord-américain

Article 102 : Objectifs

1. Les objectifs du présent accord, définis de façon plus précise dans ses principes et ses règles, notamment le traitement national, le traitement de la nation la plus favorisée et la transparence, consistent

a) à éliminer les obstacles au commerce des produits et des services entre les territoires des Parties et à faciliter le mouvement transfrontières de ces produits et services;

b) à favoriser la concurrence loyale dans la zone de libre-échange;

c) à augmenter substantiellement les possibilités d’investissement sur les territoires des Parties;

d) à assurer de façon efficace et suffisante la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle sur le territoire de chacune des Parties;

e) à établir des procédures efficaces pour la mise en œuvre et l’application du présent accord, pour son administration conjointe et pour le règlement des différends; et

f) à créer le cadre d’une coopération trilatérale, régionale et multilatérale plus poussée afin d’accroître et d’élargir les avantages découlant du présent accord.

2. Les Parties interpréteront et appliqueront les dispositions du présent accord à la lumière des objectifs énoncés au paragraphe 1 et en conformité avec les règles applicables du droit international.

[…]

Article 1102 : Traitement national

1. Chacune des Parties accordera aux investisseurs d’une autre Partie un traitement non moins favorable que celui qu’elle accorde, dans des circonstances analogues, à ses propres investisseurs, en ce qui concerne l’établissement, l’acquisition, l’expansion, la gestion, la direction, l’exploitation et la vente ou autre aliénation d’investissements.

2. Chacune des Parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d’une autre Partie un traitement non moins favorable que celui qu’elle accorde, dans des circonstances analogues, aux investissements effectués par ses propres investisseurs, en ce qui concerne l’établissement, l’acquisition, l’expansion, la gestion, la direction, l’exploitation et la vente ou autre aliénation d’investissements.

3. Le traitement accordé par une Partie en vertu des paragraphes 1 et 2 signifie, en ce qui concerne un État ou une province, un traitement non moins favorable que le traitement le plus favorable accordé par cet État ou cette province, dans des circonstances analogues, aux investisseurs, et aux investissements effectués par les investisseurs, de la Partie sur le territoire de laquelle est situé l’État ou la province.

4. Il demeure entendu qu’aucune des Parties ne pourra :

a) exiger d’un investisseur d’une autre Partie qu’il accorde à ses ressortissants une participation minimale dans une entreprise située sur son territoire, exception faite des actions nominales dans le cas des administrateurs ou fondateurs de sociétés; ou

b) obliger un investisseur d’une autre Partie, en raison de sa nationalité, à vendre ou à aliéner d’une autre façon un investissement effectué sur le territoire de la Partie.

[…]

Article 1105 : Norme minimale de traitement

1. Chacune des Parties accordera aux investissements effectués par les investisseurs d’une autre Partie un traitement conforme au droit international, notamment un traitement juste et équitable ainsi qu’une protection et une sécurité intégrales.

2. Sans préjudice du paragraphe 1, chacune des Parties accordera aux investisseurs d’une autre Partie, et aux investissements effectués par les investisseurs d’une autre Partie, un traitement non discriminatoire quant aux mesures qu’elle adoptera ou maintiendra relativement aux pertes subies, à cause d’un conflit armé ou d’une guerre civile, par des investissements effectués sur son territoire.

3. Le paragraphe 2 ne s’applique pas aux mesures existantes relatives aux subventions ou contributions qui seraient incompatibles avec l’article 1102 si ce n’était de l’alinéa 1108(7)(b).

[…]

Article 1116 : Plainte déposée par un investisseur d’une Partie en son nom propre

1. Un investisseur d’une Partie peut soumettre à l’arbitrage, en vertu de la présente section, une plainte selon laquelle une autre Partie a manqué à une obligation découlant

a) de la section A ou du paragraphe 1503(2) (Entreprises d’État), ou

b) de l’alinéa 1502(3)a) (Monopoles et entreprises d’État), lorsque le monopole a agi d’une manière qui contrevient aux obligations de la Partie aux termes de la section A,

et que l’investisseur a subi des pertes ou des dommages en raison ou par suite de ce manquement.

2. Un investisseur ne pourra soumettre une plainte à l’arbitrage si plus de trois ans se sont écoulés depuis la date à laquelle l’investisseur a eu ou aurait dû avoir connaissance du manquement allégué et de la perte ou du dommage subi.

Article 1117 : Plainte déposée par un investisseur d’une Partie au nom d’une entreprise

1. Un investisseur d’une Partie, agissant au nom d’une entreprise d’une autre Partie qui est une personne morale que l’investisseur possède ou contrôle directement ou indirectement, peut soumettre à l’arbitrage, en vertu de la présente section, une plainte selon laquelle l’autre Partie a manqué à une obligation découlant

a) de la section A ou du paragraphe 1503(2) (Entreprises d’État), ou

b) de l’alinéa 1502(3)a) (Monopoles et entreprises d’État), lorsque le monopole a agi d’une manière qui contrevient aux obligations de la Partie aux termes de la section A,

et que l’entreprise a subi des pertes ou des dommages en raison ou par suite de ce manquement.

2. Un investisseur ne pourra déposer une plainte au nom d’une entreprise décrite au paragraphe 1 si plus de trois ans se sont écoulés depuis la date à laquelle l’entreprise a eu ou aurait dû avoir connaissance du manquement allégué et de la perte ou du dommage subi.

3. Lorsqu’un investisseur dépose une plainte en vertu du présent article, et qu’il dépose aussi ou qu’un investisseur non majoritaire de l’entreprise dépose en vertu de l’article 1116 une plainte résultant des mêmes circonstances que celles ayant donné lieu à la plainte en vertu du présent article, et que deux ou plusieurs plaintes sont soumises à l’arbitrage en vertu de l’article 1120, les plaintes devraient être entendues ensemble par un tribunal établi conformément à l’article 1126, à moins que le tribunal ne constate que les intérêts d’une partie contestante s’en trouveraient lésés.

4. Un investissement ne peut présenter une plainte en vertu de la présente section.

[…]

Article 1131 : Droit applicable

1. Un tribunal institué en vertu de la présente section tranchera les points en litige conformément au présent accord et aux règles applicables du droit international.

2. Une interprétation par la Commission d’une disposition du présent accord sera obligatoire pour un tribunal institué en vertu de la présente section.

 


Annexe II

Code d’arbitrage commercial, qui constitue l’annexe 1 de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, Article 34

ARTICLE 34

La demande d’annulation comme recours exclusif contre la sentence arbitrale

1 Le recours formé devant un tribunal contre une sentence arbitrale ne peut prendre la forme que d’une demande d’annulation conformément aux paragraphes 2 et 3 du présent article.

2 La sentence arbitrale ne peut être annulée par le tribunal visé à l’article 6 que si, selon le cas :

a) la partie en faisant la demande apporte la preuve :

[…]

iii) soit que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n’entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu’elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire, étant entendu toutefois que, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l’arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l’arbitrage, seule la partie de la sentence contenant des décisions sur les questions non soumises à l’arbitrage pourra être annulée;

 


 

 

 

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