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2017 CAF 249

A-472-16

Bell Canada et Bell Media Inc. (appelantes)

c.

Procureur général du Canada (intimé)

et

Association canadienne des annonceurs et Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (intervenantes)

A-471-16

National Football League, NFL International LLC et NFL Productions LLC (appelantes)

c.

Procureur général du Canada (intimé)

et

Association canadienne des annonceurs et Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (intervenantes)

Répertorié  : Bell Canada c. Canada (Procureur général)

Cour d’appel fédérale, les juges Webb, Near et Gleason, J.C.A.—Toronto, 17 octobre; 18 décembre 2017.

Radiodiffusion — Appels réunis contre l’ordonnance du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) excluant le Super Bowl du régime de substitution simultanée — Sous ce régime, les publicités canadiennes étaient substituées à celles d’un radiodiffuseur américain sur les chaînes américaines — Du fait de l’ordonnance du CRTC, les Canadiens sont maintenant en mesure de regarder le Super Bowl sur des chaînes canadiennes avec les publicités canadiennes ou sur des chaînes américaines avec les publicités américaines — Les appelantes Bell Canada et Bell Media Inc. (Bell) ont fait valoir notamment que, du fait que l’art. 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion vise les « services de programmation », le CRTC n’a pas compétence pour cibler une « émission » en particulier, comme le Super Bowl; et que l’expression « émission », telle qu’elle est utilisée dans la Loi sur la radiodiffusion, désigne une chaîne de télévision en entier, et non des événements télévisuels particuliers — Bell a fait valoir en outre que l’ordonnance avait un effet rétrospectif et portait atteinte à son droit acquis d’être le radiodiffuseur exclusif du Super Bowl au Canada — L’appelante, la National Football League (NFL), a fait valoir notamment que l’ordonnance contrevenait à l’art. 31(2)c) de la Loi sur le droit d’auteur et à l’art. 2006(1) de l’Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis (ALECEU) — Il s’agissait de savoir si la conclusion du CRTC selon laquelle il avait compétence pour rendre son ordonnance, que cette ordonnance n’était pas rétrospective et qu’elle ne portait pas atteinte à des droits acquis, était raisonnable; et si la conclusion du CRTC selon laquelle son ordonnance n’entrait en conflit ni avec la Loi sur le droit d’auteur, ni avec le droit commercial international, était correcte — La conclusion du CRTC selon laquelle il avait compétence pour rendre l’ordonnance en vertu de l’art. 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion était raisonnable — Le sens de l’expression « service de programmation » dépend du contexte — L’explication du CRTC voulant que le « “service de programmation” [...] peut englober toutes les émissions » signifiait nécessairement que, en d’autres circonstances, la même expression peut désigner une seule émission — Il était également instructif que la définition de l’expression « service de programmation » à l’art. 1(2) du Règlement sur le retrait et la substitution simultanée de services de programmation inclut une émission — Il n’a pas été établi en l’espèce que le législateur ou la Cour d’appel fédérale a voulu exclure les émissions de l’expression « service de programmation » — Il était raisonnable de conclure qu’une émission serait comprise lorsqu’il est question d’ajouter des modalités interdisant la substitution de publicités — La Loi sur la radiodiffusion énonce de nombreux objectifs disparates — Le législateur avait l’intention de laisser au CRTC, et non à la Cour, le soin de trouver le meilleur équilibre entre ces objectifs concurrents — Il n’y a eu aucune erreur susceptible de contrôle dans l’interprétation qu’a fait le CRTC de la Loi sur la radiodiffusion quant à la question de la rétrospectivité — Les pouvoirs du CRTC lui permettant de rendre des ordonnances et d’édicter des règlements ne peuvent pas être limités par un contrat convenu entre des parties privées — L’argument de Bell portant sur son droit acquis ne tenait pas — La NFL n’avait pas le droit à la substitution simultanée de cette émission — Par conséquent, cela ne pouvait pas constituer une modalité de la licence accordée à Bell — Le régime de radiodiffusion canadien ne confère pas des droits, mais des avantages — Bell a seulement le privilège de demander la substitution simultanée — Bell n’a pas juridiquement droit à des revenus d’un montant précis issus de la vente de publicités au titre de son contrat avec la NFL — L’ordonnance rendue par le CRTC n’était pas contraire à la Loi sur le droit d’auteur — Le radiodiffuseur qui respecte les conditions énumérées à l’art. 31f) ne contrevient pas au droit d’auteur — L’art. 2006(1) de l’ALECEU porte sur la capacité du titulaire d’un droit d’auteur sur une émission d’être rémunéré lors de la retransmission de cette dernière, et non sur la substitution simultanée des publicités — L’ordonnance du CRTC était conforme à chacune des exigences énumérées à l’art. 31(2) — Elle n’était pas contraire, sur le plan de l’application, à l’art. 31(2)c) de la Loi sur le droit d’auteur — Appel rejeté.

  Il s’agissait d’appels réunis contre l’ordonnance du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) rendue en vertu de l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion, par laquelle le CRTC a exclu le Super Bowl, le match du championnat annuel de la National Football League (NFL), du régime de substitution simultanée.

  Sous le régime de substitution simultanée, l’exploitant d’une station de télévision canadienne peut exiger d’une entreprise canadienne de distribution de radiodiffusion qu’elle substitue un signal canadien aux services de programmation non canadiens, de sorte que les publicités canadiennes seront substituées à celles d’un radiodiffuseur américain. Ainsi, les téléspectateurs canadiens regardant une chaîne américaine verront des publicités canadiennes. Dans son ordonnance, le CRTC a expliqué avoir décidé de ne plus autoriser la substitution simultanée parce qu’elle n’était pas dans l’intérêt public. Depuis le mois de janvier 2017, les Canadiens sont en mesure de regarder le Super Bowl sur des chaînes canadiennes avec les publicités canadiennes ou sur des chaînes américaines avec les publicités américaines. Les appelantes Bell Canada et Bell Media Inc. (Bell) ont fait valoir notamment que, du fait que l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion vise les « services de programmation », le CRTC a seulement compétence pour rendre des ordonnances et prendre des règlements quant aux services de programmation, et non pour cibler une « émission » en particulier, comme le Super Bowl. Bell a soutenu également que la Loi sur la radiodiffusion utilise l’expression « émission » pour désigner une chaîne de télévision en entier, et non des événements télévisuels particuliers. Bell a fait valoir en outre que l’ordonnance avait un effet rétrospectif et portait atteinte à son droit acquis d’être le radiodiffuseur exclusif du Super Bowl au Canada. L’appelante, la NFL, a fait valoir notamment que l’ordonnance contrevenait à l’alinéa 31(2)c) de la Loi sur le droit d’auteur et au paragraphe 2006(1) de l’Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis (ALECEU).

  Il s’agissait de savoir si la conclusion du CRTC selon laquelle il avait compétence pour rendre son ordonnance, que cette ordonnance n’était pas rétrospective et qu’elle ne portait pas atteinte à des droits acquis, était raisonnable, et si la conclusion du CRTC selon laquelle son ordonnance n’entrait en conflit ni avec la Loi sur le droit d’auteur, ni avec le droit commercial international, était correcte.

  Arrêt  : L’appel doit être rejeté.

La conclusion du CRTC selon laquelle il avait compétence pour rendre l’ordonnance en vertu de l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion était raisonnable. Dans la décision de radiodiffusion CRTC 2005-195 Distribution de canaux omnibus haute définition par Star Choice et Cancom (Star Choice), le CRTC a expliqué que le sens de l’expression « service de programmation » dépend du contexte de son utilisation. L’explication du CRTC dans cette affaire voulant que le « “service de programmation” [...] peut englober toutes les émissions » signifie nécessairement que, en d’autres circonstances, la même expression peut désigner une seule émission. Il est également instructif, et révélateur du contexte, que la définition de l’expression « service de programmation » au paragraphe 1(2) du Règlement sur le retrait et la substitution simultanée de services de programmation (lequel adopte la définition figurant à l’article 1 du Règlement sur la distribution de radiodiffusion) inclut une émission. Il n’a pas été établi que le législateur ou la Cour d’appel fédérale a voulu exclure les émissions de l’expression « service de programmation ». Il est raisonnable de conclure qu’une émission serait comprise lorsqu’il est question d’ajouter des modalités interdisant la substitution de publicités. Il n’y a aucune incohérence entre la conclusion du CRTC dans Star Choice et celle dans la présente affaire. Il y a une certaine ironie à ce qu’une loi dont l’un des objectifs importants est de protéger l’industrie de la radiodiffusion canadienne et ses employés soit utilisée pour permettre la diffusion de publicités américaines durant le Super Bowl au détriment, apparemment, de l’industrie canadienne et de ses employés. Or, la Loi sur la radiodiffusion énonce de nombreux objectifs disparates, et le législateur avait l’intention de laisser au CRTC le soin de trouver le meilleur équilibre entre des objectifs concurrents en lien avec la radiodiffusion au Canada. La Cour n’a pas pour rôle d’entreprendre une pondération de ces objectifs stratégiques concurrents et de substituer ses propres conclusions quant aux objectifs à atteindre.

  Il n’y a eu aucune erreur susceptible de contrôle dans l’interprétation qu’a fait le CRTC de la Loi sur la radiodiffusion quant à la question de la rétrospectivité. Les législateurs adoptent souvent des lois et des règlements qui déjouent les attentes. Les pouvoirs du CRTC lui permettant de rendre des ordonnances et d’édicter des règlements ne peuvent pas être limités par un contrat convenu entre des parties privées. Dans la présente affaire, l’argument de Bell voulant que le CRTC ait porté atteinte à son droit acquis d’être le radiodiffuseur exclusif du Super Bowl au Canada ne tenait pas. Bien que la NFL ait le droit d’accorder une licence à Bell au regard de son émission, elle n’a pas le droit à la substitution simultanée de celle-ci — il s’agit là d’un avantage que confère le cadre réglementaire canadien régissant la radiodiffusion. Par conséquent, cela ne pouvait pas constituer une modalité de la licence accordée à Bell. Le régime de radiodiffusion canadien ne confère pas des droits, mais des avantages. Bell a toujours eu seulement le privilège de demander la substitution simultanée, lequel découle de la Loi sur la radiodiffusion et de ses règlements. En l’espèce, il n’y avait aucune obligation existante, puisqu’il n’y avait aucun droit acquis en cause, parce que Bell n’avait pas juridiquement droit à des revenus d’un montant précis issus de la vente de publicités au titre de son contrat avec la NFL. Cet accord privé, qui ne donne naissance à aucun droit acquis à la substitution simultanée des publicités, ne peut pas empêcher le CRTC de rendre une ordonnance.

  L’ordonnance rendue par le CRTC n’était pas contraire à la Loi sur le droit d’auteur sur le plan tant de l’objet que de l’application. L’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur confère au titulaire du droit d’auteur le droit exclusif de production ou de reproduction de l’œuvre protégée, ce qui comprend la retransmission. Toutefois, le paragraphe 31(2) prévoit une exception à ce droit exclusif lorsque l’œuvre est retransmise conformément aux conditions énumérées. Le radiodiffuseur qui respecte chacune des conditions énumérées ne contrevient pas au droit d’auteur. Le paragraphe 2006(1) de l’ALECEU porte sur la capacité du titulaire d’un droit d’auteur sur une émission d’être rémunéré lors de la retransmission de cette dernière, et non sur la substitution simultanée des publicités. La NFL a tenté de magnifier un principe confiné à une petite partie du paragraphe 2006(1) de l’ALECEU portant sur la rémunération en lien avec la retransmission pour en faire un principe d’application générale concernant toute la Loi sur le droit d’auteur. L’ordonnance du CRTC était conforme à chacune des exigences énumérées au paragraphe 31(2) de la Loi sur le droit d’auteur et, de ce fait, elle respectait les exigences de l’exception aux droits exclusifs de transmission. Finalement, l’ordonnance n’était pas contraire, sur le plan de l’application, à l’alinéa 31(2)c) de la Loi sur le droit d’auteur.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, art. 2(1) « émission », 3, 5(1), 9(1)h), 18(3), 31(2).

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 3(1)f), 31(2), 71 à 74.

Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38.

Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/97-555, art. 1 « service de programmation », 7a).

Règlement sur le retrait et la substitution simultanée de services de programmation, DORS/2015-240, art. 1(2), 4(1),(3).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Accord de libre-échange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique, [1989] R.T. Can. no 3, art. 2006(1).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

décision différenciée :

Bell Canada c. Amtelecom Limited Partnership, 2015 CAF 126, [2016] 1 R.C.F. 29.

décisions examinées :

Bell Canada c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 217; Distribution de canaux omnibus haute définition par Star Choice et Cancom (12 mai 2005), Décision de radiodiffusion CRTC 2005-195; Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489; Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271.

décisions citées :

2251723 Ontario Inc. (VMedia) c. Rogers Media Inc., 2017 CAF 186; Zulkoskey c. Canada (Emploi et Développement social), 2016 CAF 268; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336; CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339.

DOCTRINE CITÉE

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Mesures visant à traiter des problèmes de substitution simultanée (29 janvier 2015), Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2015-25, en ligne  : <https ://crtc.gc.ca/fra/archive/2015/2015-25.htm>.

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. « Parlons télé : une conversation avec les Canadiens sur l’avenir de la télévision » (24 octobre 2013), avis d’invitation de radiodiffusion CRTC 2013-563, en ligne  : <https ://crtc.gc.ca/fra/archive/2013/2013-563.htm>.

APPELS RÉUNIS qui ont été présentés contre une ordonnance du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2016-334 et ordonnance de radiodiffusion CRTC 2016-335) rendue en vertu de l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion, par laquelle le CRTC a exclu le Super Bowl du régime de substitution simultanée. Appels rejetés.

ONT COMPARU :

Andrew Bernstein et Vitali Berditchevski, pour les appelantes Bell Canada et Bell Media Inc.

Steven Mason, Brandon Kain, Daniel G.C. Glover et Richard Lizius, pour les appelantes National Football League, NFL International LLC et NFL Productions LLC.

Michael H. Morris, Roger Flaim et Laura Tausky, pour l’intimé.

J. Thomas Curry et James S.S. Holtom, pour l’intervenante.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Torys LLP, Toronto, pour les appelantes Bell Canada et Bell Media Inc.

McCarthy Tétrault LLP, Toronto, pour les appelantes National Football League, NFL International LLC et NFL Productions LLC.

La sous-procureure générale du Canada, pour l’intimé.

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP, Toronto, pour l’intervenante.


            Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

            Le juge Near, J.C.A. :

I.          Aperçu

[1]        La Cour est saisie de deux appels réunis, présentés en vertu du paragraphe 31(2) de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11. Les appelantes, Bell Canada et Bell Media Inc. (Bell) ainsi que la National Football League, NFL International LLC et NFL Productions LLC (la NFL), ont interjeté appel de l’ordonnance du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC), par laquelle celuici a exclu le Super Bowl du régime de substitution simultanée ([Substitution simultanée lors du Super Bowl (19 août 2016)] politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2016334 (la décision définitive) et ordonnance de radiodiffusion CRTC 2016335 (l’ordonnance définitive)).

[2]        Les appels A47216 et A47116 ont été réunis par une ordonnance du 12 janvier 2017 désignant le dossier A47216 comme l’appel principal. Par conséquent, les présents motifs seront déposés au dossier principal et une copie sera déposée en tant que motifs du jugement au dossier A47116.

II.          Le contexte

[3]        L’appelante la NFL détient les droits d’auteur sur la production télévisuelle du Super Bowl, le match du championnat annuel de la NFL. La NFL a une entente avec l’autre appelante, Bell, lui accordant les droits exclusifs de diffusion du Super Bowl au Canada. Le Super Bowl a été l’événement unique le plus regardé à la télévision au Canada en 2015.

[4]        Depuis plus de 40 ans, la diffusion du Super Bowl au Canada est assujettie au régime de substitution simultanée. Un règlement pris en vertu de la Loi sur la radiodiffusion prévoit que les radiodiffuseurs canadiens ne peuvent pas supprimer ou modifier les signaux lorsqu’ils retransmettent des services de programmation provenant de l’extérieur du Canada, à moins d’en obtenir l’autorisation en conformité avec le régime de substitution simultanée (Règlement sur la distribution de radiodiffusion, DORS/97555, alinéa 7a)). Sous le régime de substitution simultanée, sauf décision contraire du CRTC, l’exploitant d’une station de télévision canadienne peut exiger d’une entreprise canadienne de distribution de radiodiffusion qu’elle substitue un signal canadien aux services de programmation non canadiens, de sorte que les publicités canadiennes seront substituées à celles d’un radiodiffuseur américain. Ainsi, les téléspectateurs canadiens regardant une chaîne américaine verront des publicités canadiennes. Le radiodiffuseur canadien du Super Bowl a formulé de telles demandes de substitution simultanée pendant de nombreuses années. Donc, jusqu’à l’ordonnance visée par le présent contrôle judiciaire, le Super Bowl a été diffusé au Canada avec des publicités canadiennes tant sur les chaînes américaines que sur les chaînes canadiennes.

[5]        Le 24 octobre 2013, le CRTC a lancé un processus de consultation publique appelé « Parlons télé : une conversation avec les Canadiens sur l’avenir de la télévision » (avis d’invitation de radiodiffusion CRTC 2013563). S’en est suivi une série de consultations au cours desquelles certains Canadiens se sont plaints de ne pas pouvoir voir les publicités américaines durant le Super Bowl (décision définitive, au paragraphe 5). Ces consultations ont mené à la décision définitive et à l’ordonnance définitive faisant l’objet du présent appel.

III.         La décision du CRTC

[6]        Le 19 août 2016, le CRTC a rendu l’ordonnance définitive « selon laquelle la substitution simultanée ne sera plus autorisée lors du Super Bowl, laquelle entrera en vigueur le 1er janvier 2017 » (décision définitive, au paragraphe 69). Le CRTC a expliqué avoir rendu cette décision parce que la substitution simultanée du Super Bowl n’était pas dans l’intérêt public (décision définitive, au paragraphe 46). En fait, depuis le 1er janvier 2017, les Canadiens sont en mesure de regarder le Super Bowl sur des chaînes canadiennes avec les publicités canadiennes ou sur des chaînes américaines avec les publicités américaines.

[7]        Dans ses motifs, le CRTC a examiné cinq questions juridiques soulevées par les parties : 1) la compétence du CRTC pour rendre l’ordonnance définitive; 2) l’existence d’une discrimination administrative illégale (le principe selon lequel un tribunal administratif ne peut décider que ses règles s’appliquent à certaines personnes et non à d’autres si cette distinction n’est pas explicitement autorisée par sa loi habilitante); 3) le ciblage d’une émission en particulier; 4) l’application rétrospective d’un régime réglementaire et les droits acquis; 5) le droit d’auteur et le commerce international (décision définitive, au paragraphe 44). J’analyserai la décision du CRTC quant à chacune des questions en litige dans le présent appel.

IV.        Les questions en litige

[8]        Je formulerais ainsi les questions en litige dans le présent appel :

1.         La conclusion du CRTC selon laquelle il avait compétence pour rendre son ordonnance définitive, en vertu de l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion, était-elle raisonnable?

2.         La conclusion du CRTC selon laquelle son ordonnance définitive n’était pas rétrospective et ne portait pas atteinte à des droits acquis était-elle raisonnable?

3.         La conclusion du CRTC selon laquelle son ordonnance définitive n’entrait en conflit ni avec la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C42, ni avec le droit commercial international était-elle correcte?

V.        Analyse

A.    La compétence du CRTC

1)    La norme de contrôle

[9]        La norme de contrôle applicable aux décisions d’un décideur interprétant ses lois habilitantes ou les lois étroitement liées à sa mission est la décision raisonnable, et ceci « lui permet de déterminer son champ de compétence dans l’application de ses lois habilitantes » (Bell Canada c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 217 (Bell Canada), au paragraphe 42; Bell Canada c. Amtelecom Limited Partnership, 2015 CAF 126, [2016] 1 R.C.F. 29 (Amtelecom), aux paragraphes 37 à 39; 2251723 Ontario Inc. (VMedia) c. Rogers Media Inc., 2017 CAF 186 (VMedia), au paragraphe 29). À mon avis, la norme de contrôle applicable à l’égard de cette question est la décision raisonnable. Les appelantes ont énergiquement plaidé pour une marge de manœuvre limitée et une conception étroite du caractère raisonnable. À mon sens, cette analyse est d’une utilité limitée. Le caractère raisonnable d’une décision s’apprécie au regard des circonstances, rien de plus et rien de moins (Zulkoskey c. Canada (Emploi et Développement social), 2016 CAF 268, au paragraphe 15, citant l’arrêt Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, aux paragraphes 18 et 73). Ainsi, les principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c. NouveauBrunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, s’appliquent. Tant que « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » ressortent de la décision du CRTC et que celle-ci appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », la Cour fait preuve de déférence à son égard.

2)         La conclusion du CRTC selon laquelle il avait compétence pour rendre son ordonnance définitive, en vertu de l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion, était-elle raisonnable?

[10]      Pour les besoins du présent appel, il importe de comprendre l’interaction entre la Loi sur la radiodiffusion et ses règlements en ce qui a trait à la substitution simultanée. Le CRTC a rendu son ordonnance définitive en vertu de l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion. Cet alinéa est rédigé ainsi :

Catégories de licences

9 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil peut, dans l’exécution de sa mission :

[…]

h) obliger ces titulaires à offrir certains services de programmation selon les modalités qu’il précise.

[11]      En outre, le paragraphe 4(1) du Règlement sur le retrait et la substitution simultanée de services de programmation, DORS/2015240 (le Règlement), énonce les circonstances où la substitution simultanée est exigée :

Observation de la demande

4 (1) Sous réserve du présent règlement ou des conditions de sa licence, le titulaire qui reçoit la demande visée à l’article 3 doit retirer le service de programmation en cause et effectuer la substitution demandée si les conditions suivantes sont réunies :

a) la demande est présentée par écrit et doit être reçue par le titulaire au moins quatre jours avant la date prévue pour la diffusion du service de programmation à substituer;

b) le service de programmation à retirer et le service de programmation à substituer sont comparables et doivent être diffusés simultanément;

c) le service de programmation à substituer est d’un format égal ou supérieur au service de programmation à retirer;

d) dans le cas où le titulaire exploite une entreprise de distribution terrestre, le service de programmation à substituer a priorité, en vertu de l’article 17 du Règlement sur la distribution de radiodiffusion, sur le service de programmation à retirer.

[12]      Ensuite, le paragraphe 4(3) du Règlement prévoit une exception à l’exigence de substitution simultanée prévue au paragraphe 4(1) :

4 (1) […]

Décision du Conseil

(3) Le titulaire ne peut retirer un service de programmation et y substituer un autre service de programmation si le Conseil rend une décision, en vertu du paragraphe 18(3) de la Loi sur la radiodiffusion, portant que le retrait et la substitution ne sont pas dans l’intérêt public. [Non souligné dans l’original.]

[13]      Enfin, le paragraphe 18(3) de la Loi sur la radiodiffusion est rédigé ainsi :

18 (1) […]

Audiences publiques : faculté

(3) Les plaintes et les observations présentées au Conseil, de même que toute autre question relevant de sa compétence au titre de la présente loi, font l’objet de telles audiences, d’un rapport et d’une décision — notamment une approbation — si le Conseil l’estime dans l’intérêt public. [Non souligné dans l’original.]

[14]      Le CRTC a expliqué qu’il avait compétence pour rendre son ordonnance définitive en vertu de l’alinéa 9(1)h) aux paragraphes 45 à 48 de la décision définitive :

L’article 4(1) du Règlement sur le retrait et la substitution simultanée établit les circonstances dans lesquelles un titulaire est tenu de retirer et de substituer de la programmation et prévoit explicitement que cette obligation s’applique « sous réserve du présent règlement ou des conditions de sa licence ». Ensuite, l’article 4(3) du même règlement décrit des circonstances d’exception en précisant que « le titulaire ne peut retirer un service de programmation et y substituer un autre service de programmation si le Conseil rend une décision, en vertu du paragraphe 18(3) de la Loi sur la radiodiffusion, portant que le retrait et la substitution ne sont pas dans l’intérêt public ».

Compte tenu des conclusions cidessus qui font suite à l’instance annoncée par l’avis de consultation de radiodiffusion 201637 et selon lesquelles le retrait et la substitution simultanée lors du Super Bowl ne sont pas dans l’intérêt public, le Conseil conclut que sa décision à cet égard relève de l’article 4(3) du Règlement sur le retrait et la substitution simultanée. À partir de cette conclusion, en vertu de l’article 4(3), le Conseil peut utiliser le pouvoir que lui confère l’article 9(1)h) de la Loi pour mettre en œuvre cette décision sans entrer en conflit avec ce règlement. Par conséquent, le Conseil estime que la publication de l’ordonnance de distribution proposée relève de sa compétence.

De toute façon, la Loi prévoit le chevauchement d’un certain nombre des pouvoirs du Conseil en vue d’imposer des exigences juridiquement contraignantes, y compris les règlements, les conditions de licence, les ordonnances 9(1)h) et les ordonnances d’exemption. Selon l’historique de la législation, ces différents pouvoirs peuvent être exercés par le Conseil de façon complémentaire. Le Conseil a déjà examiné cette question auparavant.

Toute interprétation de la Loi comme une autorisation de ne rendre une ordonnance en vertu de l’article 9(1)h) qu’en l’absence d’un règlement existant pourrait pratiquement vider de leur sens les ordonnances 9(1)h). De plus, si par l’adoption d’un règlement le Conseil s’interdisait dorénavant de rendre toute ordonnance 9(1)h), un tel règlement pourrait être considéré comme une entrave à la discrétion du Conseil d’exercer un pouvoir complémentaire. Par conséquent, le Conseil estime que l’argument de BCE n’est pas convainquant dans le présent cas. [Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[15]      Les appelantes font valoir que, du fait que l’alinéa 9(1)h) vise les « services de programmation », le CRTC a seulement compétence pour rendre des ordonnances et prendre des règlements quant aux services de programmation, et non pour cibler une « émission » en particulier. Les appelantes estiment que le terme émission équivaut à un seul événement télévisuel. Le paragraphe 2(1) de la Loi sur la radiodiffusion définit le mot « émission » ainsi :

Définitions

2(1) […]

émission Les sons ou les images — ou leur combinaison — destinés à informer ou divertir, à l’exception des images, muettes ou non, consistant essentiellement en des lettres ou des chiffres.
(program)

Bien que la Loi sur la radiodiffusion ne définisse pas ce qu’est un service de programmation, les appelantes soutiennent que cette loi utilise l’expression pour désigner une chaîne de télévision en entier, et non des événements télévisuels particuliers (notamment aux alinéas 3(1)r) et t)). Par conséquent, les appelantes font valoir que le Super Bowl est une émission, ce qui n’est pas la même chose qu’un service de programmation, et ce qui signifie que le CRTC n’avait pas compétence pour rendre son ordonnance définitive en vertu de l’alinéa 9(1)h).

[16]      Les appelantes invoquent la décision de radiodiffusion CRTC 2005195 [Distribution de canaux omnibus haute definition par Star Choice et Cancom] (Star Choice) à l’appui de leur thèse; cependant, comme le souligne l’intimé, elles ne s’appuient que sur des parties de ce précédent. Dans cette décision, le CRTC a expliqué [au paragraphe 27] que le sens de l’expression « service de programmation » dépend du contexte de son utilisation :

[...] le Conseil note que l’article 33(2) de la Loi d’interprétation prévoit que, pour tout statut ou règlement, « le pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité ». Le Conseil estime donc que « service de programmation », selon le contexte, peut englober toutes les émissions, c’est-à-dire le signal de sortie intégral transmis pour réception par l’exploitant d’une entreprise de programmation. [Non souligné dans l’original.]

[17]      À mon sens, l’explication du CRTC voulant que le « Conseil estime donc que “service de programmation”, selon le contexte, peut englober toutes les émissions » signifie nécessairement que, en d’autres circonstances, la même expression peut désigner une seule émission. Il est également instructif, et révélateur du contexte, de souligner que la définition de l’expression « service de programmation » au paragraphe 1(2) du Règlement (lequel adopte la définition figurant à l’article 1 du Règlement sur la distribution de radiodiffusion) inclut une émission. L’article 1 du Règlement sur la distribution de radiodiffusion comporte la définition suivante :

1 […]

service de programmation Émission fournie par une entreprise de programmation. (programming service) [Non souligné dans l’original.]

[18]      Les appelantes font également valoir que l’historique législatif de l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion et les décisions antérieures de la Cour indiquent que l’expression « service de programmation » ne comprend pas les émissions. À mon sens, l’utilisation de l’expression « service de programmation » pour désigner des chaînes dans certaines circonstances n’empêche pas que le terme puisse viser aussi une émission. Bien que l’historique législatif montre que l’expression « service de programmation » a été utilisée pour parler de chaînes dans les débats parlementaires, les appelantes n’ont pas établi que le législateur ait voulu en exclure les émissions. En outre, l’historique législatif, en soi, n’est pas déterminant. De façon similaire, le fait que la Cour ait utilisé cette expression pour parler de chaînes ne signifie pas que celleci ne puisse pas être également utilisée pour désigner des émissions. Les appelantes n’ont pas fait la preuve que le législateur ou la Cour ont exclu les émissions du sens de l’expression « service de programmation ».

[19]      Il me semble raisonnable de conclure que, dans certains contextes, l’expression « services de programmation » à l’alinéa 9(1)h) englobe une émission, étant donné que le Règlement (parce qu’il incorpore la définition de « service de programmation » du Règlement sur la distribution de radiodiffusion) prévoit une telle interprétation lorsque la substitution doit être interdite. Ainsi, j’estime qu’il est raisonnable de conclure qu’une émission serait comprise lorsqu’il est question d’ajouter des modalités interdisant la substitution de publicités. En outre, dans Star Choice, l’interprétation que fait le CRTC des termes « service de programmation » et « émission » découle d’une interprétation qui me semble raisonnable de la compétence que lui confère l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion. Il ne semble y avoir aucune incohérence entre sa conclusion dans Star Choice et celle dans la présente affaire.

[20]      Ayant établi qu’il est raisonnable d’interpréter l’expression « services de programmation », pour l’application de l’alinéa 9(1)h), comme pouvant viser une ou plusieurs émissions, il est nécessaire d’examiner les autres parties de cet alinéa qui confèrent des pouvoirs élargis au CRTC en lui permettant de rendre des ordonnances comportant « les modalités qu’il précise », à condition que ce soit « dans l’exécution de sa mission ».

[21]      Les appelantes soutiennent que l’ordonnance définitive est incompatible avec les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion, car elle ne privilégie pas le contenu canadien. Je ne suis pas d’accord.

[22]      Les appelantes font valoir que la politique canadienne de radiodiffusion doit privilégier le contenu canadien, s’appuyant pour ce dire sur le Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010168, 2012 CSC 68, [2012] 3 R.C.S. 489 (Cogeco), au paragraphe 32. Bien que la Cour suprême du Canada ait conclu que la Loi sur la radiodiffusion « vise des objectifs principalement culturels » (Cogeco, au paragraphe 32), cela ne signifie pas que la promotion du contenu canadien soit son seul objectif. En fait, les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion sont nombreux et variés. Bien que les objectifs énoncés à l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion (et confiés au CRTC au paragraphe 5(1)) comprennent l’appui au contenu canadien (voir par exemple le sous-alinéa 3(1)d)(i), l’alinéa 3(1)e), et le sous-alinéa 3(1)t)(i)), cette loi comporte également l’objectif selon lequel « la programmation offerte par le système canadien de radiodiffusion devrait à la fois : […] puiser aux sources locales, régionales, nationales et internationales » (sousalinéa 3(1)i)(ii)).

[23]      Dans sa décision définitive (aux paragraphes 21 à 24), le CRTC a expliqué que, bien qu’il fasse généralement la promotion du contenu canadien dans ses politiques, il estimait que l’imposition du régime de substitution simultanée n’était pas dans l’intérêt du public dans les circonstances de l’espèce :

[…] Bien que plusieurs objectifs de politique de la Loi visent à assurer l’enrichissement de la culture canadienne et la promotion de la programmation canadienne, ils comprennent aussi d’autres objectifs, dont celui d’assurer aux Canadiens un accès à la programmation locale, nationale et internationale [...]

[...]

Comme en fait état la Loi, le devoir du Conseil est de réglementer et de surveiller l’ensemble du système de radiodiffusion (ce qui comprend les services de programmation, les services de distribution et les téléspectateurs canadiens) dans le but d’atteindre les objectifs de politique de la Loi. Le Conseil demeure d’avis que des modifications au régime de substitution simultanée sont nécessaires pour assurer l’équilibre du système de radiodiffusion dans son ensemble et ainsi atteindre les objectifs politiques de la Loi. Cela comprend l’adoption du Règlement sur le retrait et la substitution simultanée et le fait de ne plus autoriser la substitution simultanée lors du Super Bowl.

[24]      Les appelantes font valoir, et j’en conviens, qu’il y a une certaine ironie à ce qu’une loi dont l’un des objectifs importants est de protéger l’industrie de la radiodiffusion canadienne et ses employés soit utilisée pour permettre la diffusion de publicités américaines durant le Super Bowl au détriment, apparemment, de l’industrie canadienne et de ses employés. Or, la Loi sur la radiodiffusion énonce de nombreux objectifs disparates, et le législateur avait l’intention de laisser au CRTC le soin de trouver le meilleur équilibre entre des objectifs concurrents en lien avec la radiodiffusion au Canada. La Cour n’a pas pour rôle d’entreprendre une pondération de ces objectifs stratégiques concurrents et de substituer ses propres conclusions quant aux objectifs à atteindre.

[25]      Ayant établi que la conclusion du CRTC selon laquelle il avait compétence pour rendre l’ordonnance définitive en vertu de l’alinéa 9(1)h) était raisonnable, il s’ensuit qu’il avait également compétence pour rendre cette ordonnance en vertu du paragraphe 18(3) de la Loi sur la radiodiffusion et du paragraphe 4(3) du Règlement. Après avoir conclu que la substitution simultanée du Super Bowl n’était pas dans l’intérêt public, en vertu du paragraphe 18(3) de la Loi sur la radiodiffusion, le CRTC pouvait alors exempter le Super Bowl du régime de substitution simultanée au titre du paragraphe 4(3) du Règlement. Aucune appelante n’a fait valoir que le paragraphe 4(3) du Règlement était ultra vires.

[26]      Les appelantes soutiennent en outre que l’ordonnance définitive est en conflit avec les règlements applicables et qu’en la rendant le CRTC a outrepassé sa compétence. Plus particulièrement, elles affirment que la décision de fond d’exclure le Super Bowl du régime de substitution simultanée n’a pas été rendue dans l’ordonnance définitive, mais plutôt dans la politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 201525 [Mesures visant à traiter des problèmes de substitution simultanée], publiée le 29 janvier 2015 par le CRTC. En janvier 2015, le Règlement n’avait pas encore été édicté par le CRTC. Les appelants disent que le Règlement n’a pas d’effet rétrospectif et donc, aux termes des règlements en vigueur en janvier 2015, le CRTC n’avait pas compétence pour rendre l’ordonnance définitive, car cette dernière contrevenait aux dispositions réglementaires régissant alors la substitution simultanée.

[27]      Je ne suis pas d’accord. La décision de fond du CRTC quant à l’exclusion du Super Bowl du régime de substitution simultanée a été rendue dans sa décision définitive et dans son ordonnance définitive, et non dans la politique de janvier 2015. En fait, la Cour a déjà statué en ce sens dans l’arrêt Bell Canada lorsqu’elle a conclu que la politique de janvier 2015 du CRTC n’était pas une décision susceptible de contrôle et que la demande de contrôle judiciaire des appelantes à son égard et à l’égard de politiques connexes était donc prématurée. Par conséquent, la décision d’exclure le Super Bowl du régime de substitution simultanée a été rendue dans la décision définitive et l’ordonnance définitive, et le Règlement était en vigueur au moment où elles ont été rendues. Comme je l’ai déjà mentionné, le paragraphe 4(3) du Règlement prévoit une exception au régime de substitution simultanée lorsque le CRTC décide, en vertu du paragraphe 18(3) de la Loi sur la radiodiffusion, que le retrait et la substitution ne sont pas dans l’intérêt du public. Ainsi, l’ordonnance définitive n’entre pas en conflit avec les règlements applicables.

[28]      Le CRTC est un tribunal administratif spécialisé ayant une expertise dans le domaine de la radiodiffusion. Par conséquent, la Cour doit faire preuve de déférence à son égard. Cette déférence s’étend à l’interprétation de la Loi sur la radiodiffusion, qui est l’une de ses lois habilitantes (Bell Canada, au paragraphe 42; Amtelecom, aux paragraphes 37 à 39; VMedia, au paragraphe 29). L’interprétation par le CRTC voulant que les services de programmation visés à l’alinéa 9(1)h) de la Loi sur la radiodiffusion puissent comprendre les émissions est raisonnable, en ce qu’elle est cohérente avec sa décision antérieure dans Star Choice, avec le Règlement, lequel adopte la définition figurant dans le Règlement sur la distribution de radiodiffusion, et avec les objectifs stratégiques énoncés au paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion. Étant donné la déférence qui est due au CRTC lorsqu’il interprète ses lois habilitantes ainsi que le pouvoir discrétionnaire élargi conféré au CRTC par l’alinéa 9(1)h), son explication quant à sa compétence pour rendre son ordonnance définitive est justifiée, transparente et intelligible, et elle appartient aux issues raisonnables pouvant se justifier en regard des faits et du droit.

B.    L’application rétrospective

1)         La norme de contrôle

[29]      L’appelante Bell, l’intimé et les intervenantes conviennent tous que la norme de contrôle applicable à la question de la rétrospectivité est celle de la décision raisonnable, car le CRTC interprète là une question qui relève de son expertise spécialisée. Je suis d’accord. C’est ce que la Cour a statué dans l’arrêt Amtelecom, aux paragraphes 37 et 38, quant au CRTC et à la rétrospectivité :

Même si l’on suppose que la présomption relative à la nonrétrospectivité d’une loi est une règle d’application générale, ce n’est que dans le cas où cette question est étrangère au domaine d’expertise du tribunal qu’elle doit être examinée selon la norme de la décision correcte [...]

La notion d’expertise d’un tribunal a évolué pour englober le « pouvoir discrétionnaire d’interprétation », de sorte que le CRTC est présumé posséder l’expertise requise pour résoudre la question de savoir si l’article 24 l’autorise à adopter un code ayant un effet rétrospectif.

2)              La conclusion du CRTC selon laquelle son ordonnance définitive n’était pas rétrospective et ne portait pas atteinte à des droits acquis était-elle raisonnable?

[30]      L’appelante Bell fait valoir que l’ordonnance définitive a un effet rétrospectif et porte atteinte à des droits acquis. Elle explique que l’ordonnance définitive a grandement nui à ses efforts de vente de publicités canadiennes, ce qui [traduction] « fera perdre à Bell Media la majeure partie de ses bénéfices découlant de la radiodiffusion du Super Bowl ».

[31]      Le CRTC a expliqué dans sa décision définitive, au paragraphe 56, pourquoi son ordonnance définitive ne portait pas atteinte à des droits acquis :

Le Conseil est d’avis qu’il ne peut se voir empêcher de modifier son régime réglementaire, y compris ses règles de substitution simultanée, simplement à cause d’une situation contractuelle existante relative à des droits de diffusion. Dans le cas présent, bien que l’entente négociée entre BCE et la NFL puisse reposer sur des prévisions de revenus éventuels à percevoir des droits de diffusion, le contrat luimême porte sur une transaction entre BCE et la NFL et non pas entre BCE et ses annonceurs. Bien que les actions du Conseil puissent affecter les prévisions de revenus sousjacentes au contrat, ces actions ne touchent pas directement ou rétrospectivement un droit contractuel acquis puisque personne ne possède de droit acquis sur le maintien d’un régime réglementaire en vigueur à un moment précis. [Non souligné dans l’original.]

[32]      Rien ne garantit que la loi ne changera pas. En effet, les législateurs adoptent souvent des lois et des règlements qui déjouent les attentes. Les pouvoirs du CRTC lui permettant de rendre des ordonnances et d’édicter des règlements ne peuvent pas être limités par un contrat convenu entre des parties privées. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. M.N.R., [1977] 1 R.C.S. 271, à la page 283 :

[...] Personne n’a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu’elle existait par le passé; en droit fiscal, il est impérieux que la législation reflète l’évolution des besoins sociaux et de l’attitude du gouvernement. Un contribuable est libre de planifier sa vie financière en se fondant sur l’espoir que le droit fiscal demeure statique; il prend alors le risque d’une modification à la législation.

Le simple droit de se prévaloir d’un texte législatif abrogé, dont jouissent les membres de la communauté ou une catégorie d’entre eux à la date de l’abrogation d’une loi, ne peut être considéré comme un droit acquis […] [Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[33]      Dans la présente affaire, l’argument de Bell voulant que le CRTC ait porté atteinte à son droit acquis d’être le radiodiffuseur exclusif du Super Bowl au Canada ne tient pas. Bell a soutenu que la NFL lui avait accordé le droit d’être le radiodiffuseur canadien exclusif du Super Bowl. Bien que la NFL ait le droit, à titre de détenteur du droit d’auteur, d’accorder une licence à Bell au regard de son émission, elle n’a pas le droit à la substitution simultanée de celleci. Il s’agit là d’un avantage que confère le cadre réglementaire canadien régissant la radiodiffusion. Par conséquent, cela ne pouvait pas constituer une modalité de la licence accordée à Bell.

[34]      Le régime de radiodiffusion canadien ne confère pas des droits, mais des avantages. Bell a toujours eu seulement le privilège de demander la substitution simultanée, lequel découle de la Loi sur la radiodiffusion et de ses règlements. Même si Bell l’avait voulu, elle n’aurait jamais pu garantir la substitution simultanée. Comme le fait valoir l’intimé : [traduction] « Dans la mesure où une entreprise s’engage contractuellement à procéder à la substitution simultanée, elle le fait à ses propres risques. » Bell n’a toujours eu que la possibilité de vendre du temps de publicité à une date ultérieure, et elle a donc perdu une occasion éventuelle de réaliser des profits. Il s’agit là d’un élément spéculatif qui n’est pas suffisamment concret pour être considéré comme un acquis.

[35]      Les faits de la présente affaire se distinguent de ceux de l’arrêt d’Amtelecom. Dans celleci, la Cour a conclu qu’une ordonnance du CRTC limitant à deux ans la durée des contrats des fournisseurs de services mobiles, y compris des contrats existants, portait atteinte aux droits acquis des fournisseurs de services mobiles quant aux paiements de frais de résiliation anticipée. La Cour a jugé que cette ordonnance portait atteinte à une obligation existante en déclarant que, « [s]i les frais de résiliation anticipée constituent le paiement accéléré d’une partie de ce flux de revenus, [ils] ne sont qu’un mode de paiement différent d’une obligation existante » (Amtelecom, au paragraphe 21). Or, en l’espèce, il n’y a aucune obligation existante, puisqu’il n’y a aucun droit acquis en cause, parce que, contrairement aux fournisseurs de services mobiles dans l’arrêt Amtelecom, Bell n’a pas juridiquement droit à des revenus d’un montant précis issus de la vente de publicités au titre de son contrat avec la NFL. Ses droits à des revenus sont conditionnels à la conclusion de contrats subséquents avec des annonceurs; ils ne sont pas acquis au titre de son contrat avec la NFL.

[36]      Cet accord privé, qui ne donne naissance à aucun droit acquis à la substitution simultanée des publicités, ne peut pas empêcher le CRTC de rendre une ordonnance. En outre, l’interprétation des droits contractuels est une question mixte de fait et de droit qui commande la déférence. Je ne décèle aucune erreur susceptible de contrôle dans l’interprétation que fait le CRTC de l’une de ses lois habilitantes, à savoir la Loi sur la radiodiffusion, quant à la question de la rétrospectivité.

C.   Le droit d’auteur et le commerce international

1)         La norme de contrôle

[37]      L’appelante la NFL soutient que la norme de contrôle applicable à la question des droits d’auteur est la décision correcte. Elle fait valoir que les fonctions du CRTC sont celles énoncées dans la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38, et que le législateur ne lui a jamais délégué de pouvoirs en lien avec la Loi sur le droit d’auteur.

[38]      Je partage l’avis de la NFL selon lequel la norme de contrôle applicable est la décision correcte. La Loi sur le droit d’auteur n’est pas une « loi habilitante » du CRTC et, de toute façon, il partagerait sa compétence à l’égard de celleci avec la Commission du droit d’auteur et les tribunaux de première instance (Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283, au paragraphe 15).

2)         La conclusion du CRTC selon laquelle son ordonnance définitive n’entrait en conflit ni avec la Loi sur le droit d’auteur ni avec le droit commercial international était-elle correcte?

[39]      La NFL fait valoir que l’ordonnance définitive est contraire à la Loi sur le droit d’auteur sur le plan tant de l’objet que de l’application.

[40]      L’observation de la NFL repose sur plusieurs dispositions de la Loi sur le droit d’auteur et de l’Accord de libreéchange entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des ÉtatsUnis d’Amérique, [1989] R.T. Can. no 3 (l’ALECEU), portant sur les droits de retransmission. D’abord, l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d’auteur confère au titulaire du droit d’auteur le droit exclusif de production ou de reproduction de l’œuvre protégée, ce qui comprend la retransmission :

Droit d’auteur sur l’œuvre

3 (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

[...]

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

[41]      Toutefois, le paragraphe 31(2) de la Loi sur le droit d’auteur prévoit une exception à ce droit exclusif lorsque l’œuvre est retransmise conformément aux conditions énumérées. Le radiodiffuseur qui respecte chacune des conditions énumérées ne contrevient pas au droit d’auteur :

31 (1) […]

Retransmission d’un signal local ou éloigné

(2) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour le retransmetteur, de communiquer une œuvre au public par télécommunication si, à la fois :

a) la communication consiste en la retransmission d’un signal local ou éloigné, selon le cas;

b) la retransmission est licite en vertu de la Loi sur la radiodiffusion;

c) le signal est retransmis, sauf obligation ou permission légale ou réglementaire, simultanément et sans modification;

d) dans le cas de la retransmission d’un signal éloigné, le retransmetteur a acquitté les redevances et respecté les modalités fixées sous le régime de la présente loi;

e) le retransmetteur respecte les conditions applicables, le cas échéant, visées à l’alinéa (3)b).

[42]      Enfin, la NFL invoque le paragraphe 2006(1) de l’ALECEU, qui porte sur l’exigence de rémunération en contrepartie de la retransmission de l’émission (appelée « programme » dans l’ALECEU) d’un titulaire d’un droit d’auteur :

Article 2006 - Droit de retransmission

1. La législation sur le droit d’auteur de chaque Partie disposera que le titulaire d’un droit d’auteur de l’autre Partie a droit à une rémunération juste et non discriminatoire pour toute retransmission au public d’un programme du titulaire lorsque la transmission originale du programme, faite au moyen de signaux éloignés, peut être captée directement et gratuitement par le grand public. Chaque Partie peut déterminer dans quelles conditions ce droit sera exercé […]

a)         L’objet de la Loi

[43]      En premier lieu, la NFL soutient que l’ordonnance définitive contrevient à l’objet de la Loi sur le droit d’auteur. Elle fait valoir que l’ordonnance définitive est discriminatoire et contraire aux dispositions sur la retransmission, plus particulièrement l’alinéa 31(2)c) de la Loi sur le droit d’auteur et le paragraphe 2006(1) de l’ALECEU. Elle fait valoir que [traduction] « [l]e législateur n’a pas pu avoir l’intention de permettre au CRTC d’appliquer ou de modifier la condition énoncée à l’alinéa 31(2)c) de façon discriminatoire à l’encontre d’une seule émission et au détriment d’un seul titulaire canadien d’une licence et d’un seul titulaire étranger d’un droit d’auteur », car ceci contreviendrait au paragraphe 2006(1) de l’ALECEU.

[44]      Toutefois, le paragraphe 2006(1) de l’ALECEU porte sur la capacité du titulaire d’un droit d’auteur sur une émission d’être rémunéré lors de la retransmission de cette dernière, et non sur la substitution simultanée des publicités. Comme l’a fait observer l’intimé, le paragraphe 2006(1) de l’ALECEU confère le « droit à une rémunération juste et non discriminatoire pour toute retransmission [...] d’un programme du titulaire [d’un droit d’auteur] », et ce droit est protégé par les articles 71 à 74 de la Loi sur le droit d’auteur, lesquels prévoient des tarifs. À l’appui de son observation, la NFL se fonde largement sur l’arrêt Cogeco. Or, celuici étaye la conclusion selon laquelle la question de la nondiscrimination quant à la retransmission s’applique uniquement à la compensation [au paragraphe 60] :

Le régime de compensation pour la valeur des signaux proposée par le CRTC permettrait aux radiodiffuseurs de négocier la compensation qui leur serait payée pour la retransmission par les EDR de leurs signaux et de leurs services de programmation, et ce, peu importe que ces signaux ou services portant des « œuvres » protégées par le droit d’auteur et indépendamment du fait que les œuvres en question soient portées par des signaux locaux, signaux à l’égard desquels la Loi sur le droit d’auteur ne prévoit aucune compensation. [Non souligné dans l’original.]

Ainsi, bien qu’il ait été conclu, dans l’arrêt Cogeco, qu’une ordonnance du CRTC était contraire à la Loi sur le droit d’auteur, cette conclusion découlait, en partie, du fait que le régime de compensation proposé pour la valeur des signaux était attentatoire au droit à la compensation. Ce n’est pas le cas en l’espèce, puisque la compensation des titulaires d’un droit d’auteur dont les œuvres sont retransmises est prévue aux articles 71 à 74 de la Loi sur le droit d’auteur.

[45]      Il est bien établi que l’objet de la Loi sur le droit d’auteur est l’atteinte de l’équilibre entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs (Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336). Cet objet a été confirmé dans l’arrêt Cogeco, au paragraphe 64, qui citait l’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du HautCanada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339, aux paragraphes 10 et 23) :

[...] Notre Cour a qualifié l’objet de la Loi sur le droit d’auteur en disant que celleci visait à établir un équilibre entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs. Le même équilibre s’applique dans le cas des radiodiffuseurs et des utilisateurs. Dans l’arrêt Théberge, le juge Binnie a reconnu que la Loi sur le droit d’auteur

est généralement présentée comme établissant un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur (ou, plus précisément, l’assurance que personne d’autre que le créateur ne pourra s’approprier les bénéfices qui pourraient être générés). [par. 30]

[46]      Essentiellement, la NFL fait valoir que la Loi sur le droit d’auteur a un autre objet : la création d’un droit non discriminatoire. À mon sens, la NFL tente de magnifier un principe confiné à une petite partie du paragraphe 2006(1) de l’ALECEU portant sur la rémunération en lien avec la retransmission pour en faire un principe d’application générale concernant toute la Loi sur le droit d’auteur. Je ne vois aucun conflit entre l’ordonnance définitive et l’objet de la Loi sur le droit d’auteur.

b)         L’application de la Loi

[47]      En second lieu, la NFL soutient que l’ordonnance définitive est contraire, sur le plan de l’application, à la Loi sur le droit d’auteur. Elle estime que l’ordonnance définitive est contraire à l’alinéa 31(2)c), car elle n’est pas une « obligation ou permission légale ou réglementaire ». Je ne suis pas d’accord.

[48]      L’ordonnance définitive est conforme à chacune des exigences énumérées au paragraphe 31(2) de la Loi sur le droit d’auteur et, de ce fait, elle respecte les exigences de l’exception aux droits exclusifs de transmission. Lorsque le Super Bowl a été diffusé en février dernier sans substitution simultanée, a) l’émission était retransmise par un signal local ou éloigné; b) cette retransmission était licite en vertu de la Loi sur la radiodiffusion; c) l’émission était retransmise simultanément et sans modification; d) le retransmetteur, Bell, avait payé pour sa licence. L’alinéa e) n’était pas applicable, puisque le gouverneur en conseil n’avait pris aucun règlement.

[49]      L’argument de la NFL voulant que l’ordonnance définitive soit contraire, sur le plan de l’application, à l’alinéa 31(2)c) précisément doit être rejeté, puisque la Cour a conclu cidessus que l’ordonnance définitive relevait de la compétence du CRTC. La NFL a fait valoir ceci : [traduction] « Si une EDR souhaite se prévaloir du droit d’utilisation en conformité avec l’alinéa 31(2)c) de la Loi sur le droit d’auteur, elle doit respecter toutes les exigences de modification du signal qui sont “légales ou réglementaires”, et la seule législation applicable à ce chapitre est le Règlement sur le retrait et la substitution simultanée de services de programmation » (souligné dans l’original). L’ordonnance définitive ayant été rendue en vertu de l’alinéa 9(1)h), par l’intermédiaire du paragraphe 4(3) du Règlement — une disposition légale ou réglementaire —, et le CRTC ayant la compétence pour rendre celleci, elle ne peut être contraire, sur le plan de l’application, à l’alinéa 31(2)c) de la Loi sur le droit d’auteur.

[50]      Par conséquent, l’ordonnance définitive n’est contraire à la Loi sur le droit d’auteur ni sur le plan de l’objet ni sur le plan de l’application.

VI.        Conclusion

[51]      Je rejetterais l’appel avec dépens.

Le juge Webb, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Gleason, J.C.A. : Je suis d’accord.

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