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IMM-3817-17

2018 CF 306

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (demandeur)

c.

Barinder Singh Sidhu (défendeur)

Répertorié  : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Sidhu

Cour fédérale, juge Mosley—Vancouver, 22 février; Ottawa, 16 mars 2018.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de confirmer une conclusion de la Section de l’immigration (SI) selon laquelle le défendeur n’était pas interdit de territoire pour présentations erronées en vertu de l’art. 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et n’avait pas l’obligation de divulguer les antécédents criminels de son père — Le défendeur est un citoyen de l’Inde — Son père a été impliqué dans un présumé crime d’honneur en Inde, a été déclaré coupable en Inde et condamné à l’emprisonnement à perpétuité, mais il a interjeté appel — Par la suite, le père a déposé une demande pour devenir résident permanent du Canada dans la catégorie du regroupement familial, de même que son épouse et le défendeur — Les autorités canadiennes n’étaient pas au courant des antécédents criminels du père — Le défendeur et ses parents ont été accordé le droit d’établissement à l’aéroport de Vancouver  — Plusieurs années plus tard, le défendeur a été interrogé au consulat du Canada en Inde, où il a été interrogé au sujet des procédures criminelles de son père — La demande de retour au Canada du défendeur a été approuvée — Par la suite, un rapport a été produit, alléguant que le défendeur était interdit de territoire aux termes de l’art. 40(1)a) de la Loi au motif qu’il n’avait pas divulgué et avait dissimulé des renseignements concernant la déclaration de culpabilité de son père, ce qui avait entraîné une erreur dans l’application de la Loi — Il s’agissait de savoir si la décision de la SAI était raisonnable en ce qui concerne ses conclusions sur les présentations erronées et l’obligation de franchise — Le défendeur n’a fait aucune présentation erronée directe qui pourrait entraîner une erreur dans l’administration de la loi, mais il était au courant de la déclaration de culpabilité de son père lorsque sa famille est venue au Canada — L’objectif de l’art. 40(1)a) de la Loi est de veiller à ce que les demandes contiennent des renseignements complets et véridiques — Il ne fait pas de distinction entre les présentations erronées faites de bonne foi et les déclarations délibérément fausses — La présentation erronée du père du défendeur a directement entraîné une erreur (la délivrance de visas de résident permanent) dans l’application de la Loi — L’interprétation de l’art. 40 de la Loi par la SAI reposait sur l’hypothèse selon laquelle le défendeur ne pourrait être déclaré interdit de territoire que si son père faisait l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire — L’interprétation de la SAI contrecarrerait l’objet de la loi dans tous les cas où le demandeur principal réussit à éviter une enquête sur l’interdiction de territoire en restant à l’extérieur du pays — En vertu de l’art. 42(1) de la Loi, le défendeur était interdit de territoire à titre de membre de la famille accompagnant une personne interdite de territoire — La conclusion de la SAI selon laquelle le défendeur ne pouvait être déclaré interdit de territoire que si le père faisait l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire en vertu de l’art. 44(2) de la Loi, après la préparation d’un rapport d’interdiction de territoire en vertu de l’art. 44(1), était déraisonnable — La conclusion de la SAI selon laquelle la présentation erronée du père n’était pas attribuable au défendeur comme présentation erronée « indirecte » était également déraisonnable — En ce qui concerne l’obligation de franchise, la conclusion de la SAI selon laquelle le défendeur n’avait aucune obligation de franchise de donner des informations sur son père au point d’entrée était dans l’éventail des issues possibles au regard des faits et du droit — Les motifs de la décision de la SAI étaient transparents, justifiés et intelligibles — Néanmoins, la Cour a dit ne pas être d’accord avec l’analyse de la SAI selon laquelle pour qu’une obligation de franchise soit constatée, il fallait qu’il y ait des éléments de preuve établissant qu’il y a eu une entente tacite ou un complot de la part du défendeur et de son père — La question se rapportant à l’admissibilité d’un résident permanent dans les cas de présentations erronées indirectes a été certifiée — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de confirmer une conclusion de la Section de l’immigration (SI) selon laquelle le défendeur n’était pas interdit de territoire pour présentations erronées en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et n’avait pas l’obligation de divulguer les antécédents criminels de son père. La demande soulevait des questions sur la responsabilité d’un demandeur de résidence permanente au Canada de divulguer ce qu’il sait des antécédents criminels d’un autre membre de sa famille.

Le défendeur est un citoyen de l’Inde. En 2000, son père a été impliqué dans le présumé crime d’honneur d’une Canadienne, en Inde. Le père du défendeur a été déclaré coupable en Inde et condamné à l’emprisonnement à perpétuité, mais il a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité. Par la suite, le père a déposé une demande pour devenir résident permanent du Canada dans la catégorie du regroupement familial, de même que son épouse et le défendeur. Il a indiqué que le défendeur était un adulte à charge qui l’accompagnait dans sa demande. Les autorités canadiennes de l’immigration n’étaient pas au courant des antécédents criminels du père à l’époque. Le père du défendeur a été libéré sous caution en attendant ses appels en Inde à divers moments. Alors qu’il était sous une forme de mise en liberté, le défendeur et ses parents ont été accordé le droit d’établissement à l’aéroport de Vancouver. Les trois ont été interrogés séparément à l’aéroport. Le défendeur a été ensuite interrogé au consulat du Canada en Inde, où il a été interrogé, en particulier, au sujet des procédures criminelles, de la libération conditionnelle et de la peine d’emprisonnement de son père. La demande de retour au Canada du défendeur a été approuvée, puisqu’il s’était conformé à l’obligation de résidence. Par la suite, un rapport a été produit aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi alléguant que le défendeur était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) au motif qu’il n’avait pas divulgué et avait dissimulé des renseignements concernant la déclaration de culpabilité de son père, ce qui avait entraîné une erreur dans l’application de la Loi. Le père du défendeur a ensuite été acquitté de toutes les accusations portées en appel en Inde.

  La SI a conclu que le défendeur n’était pas interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi et conclu que le défendeur n’était pas responsable des présentations erronées de son père au sujet de sa propre admissibilité. La SAI a rejeté l’appel du demandeur et conclu que le défendeur n’avait pas, directement ou indirectement, fait une présentation erronée ou retenu des faits importants concernant une affaire pertinente qui ont entraîné une erreur dans l’application de la Loi. Elle a conclu en outre que le défendeur n’était pas tenu de divulguer des renseignements sur la criminalité de son père à l’entrevue au point d’entrée.

  Il s’agissait de savoir si la décision de la SAI était raisonnable en ce qui concerne ses conclusions sur les présentations erronées et l’obligation de franchise.

Jugement  : la demande doit être accueillie.

Bien que le défendeur n’ait fait aucune présentation erronée directe qui pourrait entraîner une erreur dans l’administration de la loi, le demandeur a soutenu qu’en omettant de divulguer la déclaration de culpabilité de son père, le défendeur a retenu un fait important, ce qui constituait une présentation erronée indirecte en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. La Cour fédérale a à maintes reprises suivi la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) pour faire valoir que l’alinéa 40(1)a) de la Loi s’applique à un demandeur lorsqu’une présentation erronée est faite par une autre partie. L’objectif de l’alinéa 40(1)a) est de veiller à ce que les demandes contiennent des renseignements honnêtes, complets et véridiques; de plus, une divulgation complète est fondamentale à l’application juste et équitable du régime d’immigration. La portée de l’article a été interprétée comme étant vaste. Il ne fait pas de distinction entre les présentations erronées faites de bonne foi et les déclarations délibérément fausses. Le défendeur était au courant de la déclaration de culpabilité de son père lorsqu’ils ont quitté l’Inde et sont venus au Canada. Il était également clair que la présentation erronée du père a directement entraîné une erreur ― la délivrance de visas de résident permanent ― dans l’application de la Loi. L’interprétation de l’article 40 par la SAI reposait sur l’hypothèse selon laquelle le défendeur ne pourrait être déclaré interdit de territoire que si son père faisait l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire. Cette interprétation contrecarrerait l’objet de la loi dans tous les cas où le demandeur principal réussit à éviter une enquête sur l’interdiction de territoire en restant à l’extérieur du pays. L’interprétation adoptée par la SAI porterait atteinte à l’un des objectifs de la Loi et permettrait aux personnes qui ont bénéficié d’une présentation erronée d’un fait important, quoique par une autre partie, de demeurer au Canada.

  En vertu du paragraphe 42(1) de la Loi, le défendeur était interdit de territoire à titre de membre de la famille accompagnant une personne interdite de territoire. Une conclusion à cet effet ne dépendait pas de la délivrance et de la signification d’un rapport en vertu de l’article 44 et de la détermination de l’interdiction de territoire contre le père. En l’espèce, un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) a été produit contre le défendeur pour avoir fait une présentation erronée importante en vertu de l’alinéa 40(1)a) au motif que son père était interdit de territoire au Canada. La conclusion de la SAI selon laquelle le défendeur ne pouvait être déclaré interdit de territoire que si le père faisait l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, après la préparation d’un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1), était déraisonnable. En outre, la conclusion de la SAI selon laquelle la présentation erronée du père n’était pas attribuable au défendeur comme présentation erronée « indirecte » était également déraisonnable. Bien que ces conclusions étaient suffisantes pour statuer sur la demande, la question de l’obligation de franchise a été abordée.

  La SAI a conclu que le défendeur n’avait pas l’obligation de divulguer la déclaration de culpabilité de son père. La question en l’espèce n’était pas de savoir si le père avait une telle obligation, mais de savoir dans quelle mesure l’obligation de franchise oblige un demandeur à communiquer volontairement des renseignements à titre de personne à charge du demandeur principal lorsqu’il n’est pas directement prié de fournir ces renseignements. Les circonstances en l’espèce n’obligeaient pas à conclure que le défendeur était tenu de divulguer les antécédents criminels de son père sur le formulaire de demande de visa ou lorsqu’ils ont été interrogés au point d’entrée. Le défendeur a reçu des formulaires qui l’obligeaient à divulguer ses propres antécédents criminels, le cas échéant, et non ceux de quiconque faisant partie de son groupe familial. Il était dans l’éventail des issues possibles au regard des faits et du droit pour la SAI de conclure que le défendeur n’avait aucune obligation de franchise de donner des informations sur son père au point d’entrée. Les motifs de la décision étaient transparents, justifiés et intelligibles. Néanmoins, la Cour a dit ne pas être d’accord avec l’analyse de la SAI selon laquelle pour qu’une obligation de franchise soit constatée, il fallait qu’il y ait des éléments de preuve établissant qu’il y a eu une entente tacite ou un complot de la part du défendeur et de son père.

Enfin, la question de savoir si, selon l’alinéa 40(1)a) de la Loi, un résident permanent est interdit de territoire pour avoir indirectement fait une présentation erronée sur un fait important s’il a obtenu le droit d’établissement en tant que personne à charge d’un demandeur principal qui, dans sa demande de droit d’établissement, a fait une présentation erronée sur un fait important, a été certifiée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Indian Penal Code.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 2(1) « étranger », 15, 16, 40, 42, 44, 51, 72(1), 74d).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 51.

Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, règle. 18(1).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées  :

Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, confirmé pour d’autres motifs, 2006 CAF 345; Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1171; Torre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 48.

décisions différenciées  :

Bodine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848; Baro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299.

décisions examinées  :

Geng c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1155; Li c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1151; Haque c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 315; Duquitan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 769; Paashazadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 327; Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289.

décisions citées  :

Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Kazzi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153; Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942; Khedri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1397; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 378; Kaur Barm c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 893; Shahin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 423; Goudarzi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425; Oloumi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428; Inocentes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1187; Sayedi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420; Zhamila c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 88; Kobrosli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 757; Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409; Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345, [1990] A.C.F. no 318 (QL) (C.A.); Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299 (1re inst.).

  DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (2017 CanLII 64209 (C.I.S.R.)) confirmant une conclusion de la Section de l’immigration selon laquelle le défendeur n’était pas interdit de territoire pour présentations erronées en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et n’avait pas l’obligation de divulguer les antécédents criminels de son père. Demande accueillie.

ONT COMPARU  :

Cheryl D. Mitchell pour le demandeur.

Aleksandar Stojicevic et Vera Mirhady pour le défendeur.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

La sous-procureure générale du Canada pour le demandeur.

Maynard Kischer Stojicevic, Vancouver, pour le défendeur.

            Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

            Le juge Mosley :

I.          Introduction

[1]        La présente demande de contrôle judiciaire soulève des questions sur la responsabilité d’un demandeur de résidence permanente au Canada de divulguer ce qu’il sait des antécédents criminels d’un autre membre de sa famille. Sont-ils interdits de territoire pour avoir indirectement fait une présentation erronée sur un fait important s’ils sont reçus comme personnes à charge du demandeur principal qui a menti au sujet de son casier judiciaire? Ont-ils une obligation de franchise de divulguer leur connaissance de ce fait?

[2]        Dans la présente demande en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR ou la Loi), le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur ou le ministre) conteste une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) [Sidhu c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CanLII 64209] de confirmer une conclusion de la Section de l’immigration (SI) selon laquelle le défendeur, Barinder Singh Sidhu, n’est pas interdit de territoire pour présentations erronées en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et n’avait pas l’obligation de divulguer les antécédents criminels de son père.

[3]        Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

II.          Faits

[4]        Le défendeur est un citoyen de l’Inde. En 2000, son père, Darshan Singh Sidhu, a été impliqué dans le présumé crime d’honneur de Jaswinder Kaur, une Canadienne, en Inde. Mme Kaur avait épousé un jeune homme que sa famille ne jugeait pas convenable. À la suite d’une enquête en Inde, sept personnes ont été arrêtées et accusées de complot et de meurtre. Darshan Singh Sidhu aurait organisé le meurtre au nom de membres de sa famille au Canada. Il a été déclaré coupable en vertu du Code pénal indien le 21 octobre 2005 et condamné à l’emprisonnement à perpétuité. Il a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité.

[5]        Le 1er janvier 2007, Darshan Singh Sidhu a déposé une demande pour devenir résident permanent du Canada dans la catégorie du regroupement familial, de même que son épouse et le défendeur. La sœur du défendeur, qui se trouvait au Canada et qui est mariée à un membre de la famille de Jaswinder Kaur, a agi comme répondant. Darshan Singh Sidhu a indiqué le défendeur comme un adulte à charge qui l’accompagne dans sa demande. De toute évidence, les autorités canadiennes de l’immigration n’étaient pas au courant des antécédents criminels du père à l’époque.

[6]        Dans la déclaration d’antécédents de l’annexe 1 de sa demande de résidence permanente au Canada, Darshan Singh Sidhu a répondu « non » à la question de savoir s’il avait fait l’objet de poursuites criminelles. Comme il avait 23 ans à l’époque, le défendeur a signé sa propre déclaration qui, selon lui, a été préparée par des agents de voyage. Dans cette déclaration, la réponse à la même question était également, en toute franchise, « non ». La demande de résidence permanente du défendeur a été jointe à la demande de son père en tant que demandeur principal.

[7]        Le 15 février 2008, une cour d’appel a confirmé la condamnation de Darshan Singh Sidhu. Un autre appel a ensuite été interjeté devant le plus haut tribunal de l’Inde.

[8]        Il semble que Darshan Singh Sidhu ait été libéré sous caution en attendant son appel à divers moments. Pendant qu’il purgeait sa peine, il avait aussi été en liberté conditionnelle périodiquement pour faire de la récolte durant la saison des récoltes. Alors qu’il était sous une forme de mise en liberté, le 4 mai 2008, le défendeur et ses parents ont été accordé le droit d’établissement à l’aéroport de Vancouver. Les trois ont été interrogés séparément à l’aéroport.

[9]        Aucun document relatif à l’entrevue menée à l’aéroport ne se trouve dans le dossier certifié du tribunal, sauf de brèves inscriptions dans les notes informatisées de l’agent d’immigration indiquant l’établissement des trois membres de la famille. À l’audience de la SI, le défendeur a déclaré qu’on lui avait remis un document contenant des questions en pendjabi pour répondre à ses questions sur lui-même et qu’on ne l’avait pas interrogé au sujet des déclarations de culpabilité de son père.

[10]      Le 21 février 2014, le défendeur a été interrogé au consulat du Canada à Chandigarh, en Inde. À ce moment-là, les autorités canadiennes de l’immigration ont été mises au courant qu’un meurtrier condamné et sa famille avaient réussi à entrer au Canada et à obtenir le statut de résident permanent. L’interrogatoire à Chandigarh visait à confirmer l’obligation de résidence du défendeur en tant que résident permanent, et à recueillir des renseignements sur lui, son père et leur demande de résidence permanente. On a demandé au défendeur d’amener ses parents à l’interrogatoire. Ils ne se sont pas présentés. Il semble qu’ils ne soient pas revenus au Canada et qu’ils demeurent en Inde.

[11]      Au cours de l’interrogatoire à Chandigarh, l’agent des visas a interrogé le défendeur au sujet des procédures criminelles, de la libération conditionnelle et de la peine d’emprisonnement de son père :

[traduction] « Qui vivait dans la maison à ce moment-là? ― Mère, oncle paternel et sa famille; pas votre père? Non. Où était-il? ― Mon père avait une preuve contre lui, alors il était en prison. Lorsque nous devions nous rendre au Canada, il était en liberté sous caution. Je l’ai avec moi. (Il a présenté deux documents des tribunaux.) L’un d’eux était un document de mise en liberté sous caution de 2003 et l’autre, de 2009 de la Cour suprême. Après avoir été déclaré coupable par la Cour de sessions, il a interjeté appel devant la Cour suprême et a obtenu une libération sous caution. Vous êtes allé au Canada en mai 2008. Combien de temps avant cette date votre père avait-il été libéré de prison? ― Il était en libération conditionnelle depuis environ un mois avant notre départ. Vous avez reçu votre décision en avril 2008. Était-il en prison lorsque la décision a été rendue? ― Non, il était en liberté conditionnelle. Ce document indique qu’il n’a pas obtenu de mise en liberté sous caution avant 2009 ― Oui, ce document provient de la Cour suprême. Le document précédent date de 2003, lorsqu’il a été jugé. Quand est-il retourné en prison après sa libération en 2003? ― 2005 ou 2006. Selon ces documents, il est resté en prison jusqu’en 2009? ― Oui, mais il obtenait une libération conditionnelle tous les six mois. Veuillez expliquer ce que cela signifie. ― Il a obtenu un congé. Il y a une loi qui permet aux agriculteurs de demander l’autorisation de retourner s’occuper de leurs champs et de leurs récoltes. Pendant combien de temps le congé a-t-il été accordé? ― Cela dépend du directeur de la prison. Parfois 20 jours, voire 1 à 2 mois. Et ce congé a été accordé tous les six mois? ― Dans quelle prison se trouvait-il? – Une se situait à Maler Kotla, puis à Sangrur, puis à Barnala. A-t-il obtenu la libération conditionnelle de tous ces établissements? Oui, les 3 établissements. A-t-il payé pour obtenir sa libération conditionnelle? ― Non, mais la libération conditionnelle exige deux témoins qui doivent posséder 1,5 acre de terre et agir comme caution. Est-ce que ce sont [sic] des accords légaux conclus en vertu de la loi du Pendjab ou est-ce un arrangement entre votre père et les autorités carcérales? ― C’est légal. Il est fréquent que des agriculteurs ou des personnes ayant des besoins médicaux obtiennent une libération conditionnelle. Ce n’est pas facile et le congé doit être approuvé par le commissaire du district (CD). Si la demande est approuvée par le CD, il doit donc exister une documentation? ― Il y a deux semaines, j’ai écrit pour demander cela, mais je n’ai pas eu de réponse. Mon père l’aurait, mais si je lui demandais, il ne me l’aurait pas donnée. Ces renseignements sur les conflits entre la libération conditionnelle ainsi que les renseignements que nous avons reçus de la police selon lesquels il a été détenu en 2008 ― tout était légal. Même lorsqu’il était en liberté conditionnelle, on n’avait aucune objection à ce qu’il voyage; sinon, on aurait saisi son passeport. Les passeports de l’autre accusé ont été saisis. Êtes-vous en train de dire que les autorités savaient qu’il se rendait au Canada pour devenir un [résident permanent] pendant qu’il purgeait sa peine et qu’elles n’avaient aucune objection ― Je ne sais pas s’il a divulgué tout cela, mais il n’y avait aucune objection à voyager. La libération conditionnelle n’incluait pas les restrictions de déplacement. Il a donc été libéré sous caution en 2009 [...]

[12]      Le 3 avril 2014, l’agent des visas a approuvé la demande de retour au Canada du défendeur puisqu’il s’était conformé à l’obligation de résidence.

[13]      Le 5 février 2015, un agent d’immigration a produit un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR alléguant que le défendeur était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR au motif qu’il [traduction] « n’a pas divulgué et a dissimulé des renseignements concernant la déclaration de culpabilité de son père, ce qui a entraîné une erreur dans l’application de la [LIPR] ».

[14]      Le 16 avril 2015, la Cour suprême de l’Inde a acquitté le père du défendeur de toutes les accusations liées au meurtre et au complot en vue du meurtre de Jaswinder Kaur. On lui a accordé le [traduction] « bénéfice du doute », a déclaré la Cour suprême, car le téléphone utilisé pour organiser le meurtre par des appels téléphoniques en provenance et à la famille de Mme Kaur au Canada n’était pas sous son contrôle exclusif. Son frère y avait aussi accès.

[15]      Le 1er juin 2016, la SI a conclu que le défendeur n’était pas interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La SI a conclu que le défendeur n’était pas responsable des présentations erronées de son père au sujet de sa propre admissibilité. La SI a conclu que si le législateur avait eu l’intention de lier l’interdiction de territoire d’un demandeur principal pour présentations erronées à toutes les personnes à charge ayant obtenu le droit d’établissement, il l’aurait expressément prévu à l’alinéa 40(1)a). Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la SAI.

[16]      La SAI a rejeté l’appel du ministre le 19 août 2017. Elle a conclu que le défendeur n’a pas, directement ou indirectement, fait une présentation erronée ou retenu des faits importants concernant une affaire pertinente qui ont entraîné une erreur dans l’application de la Loi. La SAI était d’accord avec l’analyse de la SI de l’intention législative de l’alinéa 40(1)a) et a conclu que le défendeur n’était pas tenu de divulguer des renseignements sur la criminalité de son père à l’entrevue au point d’entrée.

III.         Questions en litige

[17]      La seule question à examiner en l’espèce est de savoir si la décision de la SAI est raisonnable en ce qui concerne ses conclusions sur les présentations erronées et l’obligation de franchise.

IV.        Norme de contrôle

[18]      Les parties soutiennent, et j’y souscris, que la norme de contrôle de la décision de la SAI est le caractère raisonnable. La présomption selon laquelle le caractère raisonnable est la norme de contrôle pour l’interprétation par un tribunal de sa loi constitutive n’a pas été réfutée dans cette affaire, bien que l’éventail des issues possibles acceptables pour la SAI soit plus restreint pour les questions de droit présentées par le ministre sur la portée des présentations erronées et l’obligation de franchise : Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, au paragraphe 23; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Geng c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1155, aux paragraphes 16 à 19; Kazzi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153, aux paragraphes 17 à 19. La décision de la SAI doit relever d’un éventail étroit de résultats raisonnables et acceptables qui sont défendables à l’égard des faits et du droit.

V.        Lois pertinentes

[19]      Les dispositions pertinentes de la LIPR se lisent comme suit :

Obligation du demandeur      

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.      

[…]

Fausses déclarations             

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi.   

VI.        Discussion

A.    Présentations erronées

[20]      Les parties s’entendent sur le fait que Darshan Singh Sidhu était interdit de territoire au Canada et a menti sur les formulaires de demande lorsqu’il a nié avoir été déclaré coupable pour un acte criminel. Il avait été reconnu coupable de meurtre et condamné à l’emprisonnement à perpétuité lorsqu’il a présenté sa demande et qu’il a obtenu le droit d’établissement. Le défendeur et sa mère ne l’ont pas mentionné dans leur demande de résidence permanente et à l’entrevue au point d’entrée. Cependant, dans la déclaration d’antécédents de l’annexe 1 signée par le défendeur, on ne demandait aucun renseignement sur les condamnations criminelles que d’autres membres de la famille auraient pu avoir ― seulement les siennes. Le défendeur a répondu honnêtement à cette question. Rien n’indique non plus qu’il ait été interrogé sur les antécédents de son père pendant son interrogatoire en vue de son établissement. Il n’a fourni aucun renseignement sur le statut de son père en tant que criminel reconnu coupable et condamné sur ce formulaire ni pendant l’examen au point d’entrée. Il n’a donc fait aucune présentation erronée directe qui pourrait entraîner une erreur dans l’administration de la loi.

[21]      Le demandeur, le ministre, soutient que la SAI a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le terme « indirect » à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR ne s’applique pas à un membre de la famille qui accompagne le demandeur et qui ne fournit pas personnellement de renseignements faux ou trompeurs dans sa demande de résidence permanente. Il s’agit d’une interprétation déraisonnablement étroite de la loi, fait valoir le demandeur, et elle n’est pas appuyée par l’intention du législateur ni par l’interprétation générale adoptée par la jurisprudence.

[22]      En omettant de divulguer la déclaration de culpabilité de son père, le demandeur soutient que le défendeur a retenu un fait important, ce qui constitue une présentation erronée indirecte en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Le demandeur s’appuie sur les décisions Geng c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1155 [précitée] et Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059 (Wang), confirmé pour d’autres motifs, 2006 CAF 345 (Wang CAF).

[23]      Dans la décision Geng, la demanderesse et son époux sont devenus des résidents permanents du Canada. En tant que résidents permanents, ils devaient être physiquement présents au Canada pendant au moins 730 jours au cours des 1 825 jours précédant la période d’examen. La demanderesse a été interrogée au sujet de cette obligation et elle a affirmé qu’elle était absente pendant 889 jours. L’agent des visas a conclu que la demanderesse était en fait absente pendant 1 158 jours. La demanderesse a abandonné la première demande. Lors d’une vérification du bureau d’un consultant en immigration, il a été révélé que la demanderesse était en fait absente du Canada pendant 1 641 jours. La demanderesse a présenté une deuxième demande de carte de résidence permanente en 2015 qui a été refusée au motif qu’elle a fait une présentation erronée dans sa demande de 2008. En examinant si la présentation erronée a entraîné une erreur dans l’application de la LIPR, le juge McDonald a conclu que « le fait qu’une erreur est possible permet à un agent de constater une fausse déclaration » : Geng, précitée, au paragraphe 33 [souligné dans l’original].

[24]      Comme je l’expliquerai de façon plus détaillée ci-dessous, le défaut de divulguer une condamnation pour meurtre pourrait indubitablement entraîner une erreur dans l’application de la Loi. L’importance d’une présentation erronée n’est pas en cause dans la présente affaire.

[25]      Le demandeur se fonde principalement sur l’affaire Wang, précitée, aux paragraphes 56 à 58, où il a été conclu que le terme « indirectement » à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR s’appliquait à une présentation erronée faite par le demandeur principal devant la Cour au sujet d’un fait important inconnu à l’époque du demandeur. On fait également référence à Li c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1151 (Li), qui portait sur des présentations erronées de la part d’un répondant relativement aux demandes de résidence permanente de ses parents.

[26]      Le défendeur soutient que les faits en l’espèce se distinguent des décisions Wang et Li, puisque les demandeurs ont rempli des formulaires d’immigration avec de présentations erronées. Le défendeur soutient également que l’affaire est distincte de la décision Haque c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 315, où les formulaires ont été remplis au nom du demandeur par un tiers et que le demandeur était tenu responsable de leur contenu. Dans chacun de ces cas, fait valoir le défendeur, les demandeurs avaient l’obligation personnelle de remplir les formulaires avec exactitude. En revanche, le défendeur soutient que, dans le cas présent, il n’a fait aucune présentation erronée sur ses propres formulaires.

[27]      Il était raisonnable pour la SI et la SAI de conclure que les remarques pertinentes du juge O’Keefe dans l’affaire Wang n’étaient qu’une simple remarque incidente et qu’elles se distinguaient de la présente affaire, affirme le défendeur. La SAI les a formulés en ces termes [aux paragraphes 13 et 17] :

Je reconnais que les conclusions du juge O’Keefe dans la décision Wang n’ont pas été infirmées par la Cour d’appel fédérale et que les commentaires de ce dernier, lesquels concernent l’interprétation de l’alinéa 40(l)a) ayant trait à une présentation erronée faite par des personnes à charge accompagnant le demandeur, ont été cités dans plusieurs décisions. Toutefois, j’estime que la SI a perçu à juste titre que la conclusion de la Cour dans la décision Wang relative à l’intention du législateur concernant l’alinéa 40(1)a) constituait une remarque incidente. Je souscris également à l’analyse de la SI selon laquelle l’intention du législateur concernant l’alinéa 40(1)a) ne va pas jusqu’à s’appliquer aux demandeurs à charge qui n’ont fait aucune présentation erronée sur des faits importants dans leur propre demande ou lors du contrôle dont ils ont fait l’objet dans le cadre du processus d’obtention de la résidence permanente au Canada.

[…]

J’estime que l’analyse par la SI de l’intention du législateur concernant l’alinéa 40(1)a) est convaincante. En ce qui concerne le juge O’Keefe, j’estime que l’absence d’une disposition législative précise à l’égard de personnes se trouvant dans la situation de l’intimé reflète l’intention du législateur de ne pas déclarer interdites de territoire de telles personnes en raison des fausses déclarations d’un demandeur principal une fois qu’elles ont obtenu la résidence permanente. Selon l’alinéa 42(1)b) de la Loi, les ressortissants étrangers, mais non les résidents permanents, sont interdits de territoire s’ils accompagnent un membre de la famille qui est interdit de territoire. Le juge O’Keefe a également statué que le libellé des dispositions relatives aux fausses déclarations dans l’ancienne Loi établissait clairement que des personnes dans la position de l’intimé étaient interdites de territoire et que, dans la Loi actuelle, le législateur n’avait pas exprimé une intention claire de soustraire des personnes telles que l’intimé aux conséquences des fausses déclarations faites par des membres de leur famille, et ce, en l’absence de preuve contraingnante du contraire. J’estime que l’appelant n’a pas présenté d’éléments de preuve suffisants me permettant de conclure autrement. Je ne suis pas d’avis que l’inclusion du mot « indirectement » à l’alinéa 40(1)a) s’applique à une situation telle que celle-ci où l’intimé n’a fourni aucun fait trompeur ou faux dans sa demande ou lors de son entrevue relative au droit d’établissement.

[28]      La demanderesse qui a comparu devant la Cour dans l’affaire Wang avait présenté une demande d’immigration au Canada à titre d’épouse qui l’accompagnait. Elle n’était pas mariée au demandeur principal à ce moment-là, mais elle a affirmé l’être. Le couple a été interrogé et a été prié d’apporter les documents relatifs à des mariages antérieurs. Il est ressorti de cela que le mari putatif avait une relation antérieure et un fils non dévoilé. La demanderesse a allégué que c’était la première fois qu’elle en entendait parler. L’époux a été déclaré interdit de territoire pour avoir fait une présentation erronée importante. Une mesure de renvoi a également été prise contre le demandeur pour présentations erronées indirectes.

[29]      Le juge O’Keefe a conclu que la présentation erronée du demandeur principal était attribuable à l’époux qui l’accompagnait comme étant « indirectement une présentation erronée » d’un fait important, puisque la demanderesse a omis de divulguer la relation antérieure et le fils de son époux. La Cour a noté ce qui suit [au paragraphe 56 de la décision Wang] :

Une lecture initiale de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR semblerait confirmer le point de vue de la demanderesse selon lequel cet alinéa ne s’applique pas aux fausses déclarations faites par d’autres personnes. Toutefois, si la disposition avait cette signification, elle conduirait à une possible absurdité, en ce sens qu’un demandeur pourrait directement faire une fausse déclaration dans une demande, puis faire entrer avec lui une personne telle que la demanderesse, et cette personne ne pourrait pas alors être renvoyée du Canada si elle ignorait la fausse déclaration. Je suis d’avis que l’alinéa 40(1)a) peut s’interpréter de manière à s’appliquer à la demanderesse. Le mot « indirectement » peut s’interpréter d’une manière qui englobe une situation comme celle dont il s’agit ici, où la demanderesse a été incluse dans la demande présentée par son mari, et cela, même si elle ne savait pas qu’il était marié et qu’il avait un fils.

[30]      Pour en arriver à cette conclusion, le juge O’Keefe a examiné les principes de l’interprétation législative et l’historique législatif de l’article 40, y compris la preuve extrinsèque qu’une modification récente devait avoir un effet semblable à la disposition comparable de la loi précédente. Il a certifié ce qui suit comme une question grave de portée générale [au paragraphe 65] :

[…] un résident permanent est-il interdit de territoire pour avoir indirectement fait une présentation erronée sur un fait important s’il a obtenu le droit d’établissement en tant que personne à charge d’un demandeur principal qui, dans sa demande de droit d’établissement, a fait une présentation erronée sur un fait important?

[31]      La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’était pas nécessaire de répondre à la question, car elle était fondée sur l’hypothèse que toute présentation erronée faite par le demandeur était indirecte. Toutefois, comme mentionné ci-dessus, la demanderesse a déclaré dans sa demande qu’elle était mariée au demandeur principal. Cette déclaration était fausse et constituait une présentation erronée faite directement aux fins de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Cela suffisait pour trancher l’appel.

[32]      La Cour fédérale a à maintes reprises suivi Wang pour faire valoir que l’alinéa 40(1)a) de la LIPR s’applique à un demandeur lorsqu’une présentation erronée est faite par une autre partie, voir Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1171, au paragraphe 14, citant Jiang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942; Khedri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1397; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 378; Kaur Barm c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 893; Shahin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 423; Goudarzi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425; Oloumi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428.

[33]      L’objectif de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est de veiller à ce que les demandes contiennent « “des renseignements honnêtes, complets et véridiques […]”» et qu’une « “divulgation complète est fondamentale à l’application juste et équitable du régime d’immigration” » : Duquitan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 769, au paragraphe 10, citant Paashazadeh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 327, aux paragraphes 18, 25 et 26. L’objectif est de dissuader les présentations erronées et de maintenir l’intégrité du processus d’immigration : Inocentes c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1187, aux paragraphes 17 et 18; Sayedi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420, aux paragraphes 23 et 24.

[34]      La portée de l’article a été interprétée comme étant vaste. Il ne fait pas de distinction entre les présentations erronées faites de bonne foi et les déclarations délibérément fausses : Bodine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848 (Bodine), aux paragraphes 41 à 42; Zhamila c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 88, au paragraphe 30; Kobrosli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 757, au paragraphe 46.

[35]      Les parties conviennent que n’eût été la présentation erronée de Darshan Singh Sidhu, le défendeur n’aurait pas été admis au Canada à titre de membre de la famille qui l’accompagne. Les visas auraient été refusés et la famille n’aurait pas été admise au point d’entrée. Son statut de résident permanent est donc fondé sur un mensonge, même s’il s’agit d’un mensonge de la part de son père lorsqu’ils ont présenté la demande et obtenu l’admission au Canada.

[36]      Le défendeur était au courant de la déclaration de culpabilité de son père lorsqu’ils ont quitté l’Inde et sont venus au Canada, comme le montre clairement son interrogatoire à Chandigarh.

[37]      Il est également clair que la présentation erronée du père a directement entraîné une erreur ― la délivrance de visas de résident permanent ― dans l’application de la Loi, car elle a empêché les agents d’immigration de faire une enquête sur la demande d’admission de la famille. Dans une telle enquête, la condamnation pour meurtre de Darshan Singh Sidhu aurait été sans aucun doute un fait important.

[38]      L’interprétation de l’article 40 par la SAI semble reposer sur l’hypothèse selon laquelle le défendeur ne pourrait être déclaré interdit de territoire que si son père faisait l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire. Au paragraphe 16, la SAI précise ce qui suit :

[…] Bien que le juge O’Keefe ait conclu que cela entraînerait un résultat absurde si un membre de la famille à charge qui n’aurait pu obtenir le droit d’établissement, si ce n’était de la présentation erronée du demandeur principal, pouvait éviter d’être déclaré interdit de territoire, j’estime qu’il serait absurde que l’appelant soit déclaré interdit de territoire alors que le demandeur principal qui était tenu de révéler des renseignements concernant sa crédibilité ne fait l’objet d’aucune enquête. Dans de telles circonstances, même l’alinéa 42(1)b) de la Loi 8 ne s’appliquerait pas à l’appelant en tant que ressortissant étranger parce que son père n’a pas été déclaré interdit de territoire. [Note en bas de page omise.]

[39]      À mon avis, cette interprétation contrecarrerait l’objet de la loi dans tous les cas où le demandeur principal réussit à éviter une enquête sur l’interdiction de territoire en restant à l’extérieur du pays. Cependant, le régime législatif permettant de conclure qu’un résident permanent est interdit de territoire pour présentation erronée ne dépend pas de la délivrance et de la signification d’un rapport en vertu de l’article 44 et de la tenue d’une audience d’interdiction de territoire contre une autre partie.

[40]      Comme l’a souligné le juge O’Keefe dans la décision Wang, au paragraphe 43, « Lorsque le législateur a adopté la nouvelle LIPR, l’un des objets de la Loi était de renforcer l’interdiction de territoire ». L’article 40, dit le juge O’Keefe au paragraphe 57, est semblable aux dispositions de l’ancienne loi concernant les présentations erronées, mais « les modifie en renforçant les outils d’exécution de la Loi destinés à éliminer les abus ». Voir aussi l’affaire Chen, ci-dessus, au paragraphe 31.

[41]      L’interprétation adoptée par la SAI porterait atteinte à l’un des objectifs de la LIPR et permettrait aux personnes qui ont bénéficié d’une présentation erronée d’un fait important, quoique par une autre partie, de demeurer au Canada. Contrairement à l’avis de la SAI, il s’agit, à mon avis, du type de résultat absurde dont a discuté la Cour suprême du Canada dans l’affaire Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289, aux paragraphes 31 à 33.

[42]      Je suis d’accord avec les commentaires du juge Annis dans la décision Chen, précitée, au paragraphe 34 :

[…] L’absurdité profite à l’entrée au Canada en s’appuyant sur la fausse déclaration de quelqu’un d’autre, sans laquelle la personne n’aurait jamais été admise au Canada. L’abus découle de la possibilité qu’un parent souhaite conférer le bénéfice d’une résidence permanente à l’enfant, même si le parent est renvoyé.

[43]      À mon avis, le fait que le demandeur principal ne soit pas au Canada n’empêche pas de conclure qu’une personne qui l’accompagne est interdite de territoire pour présentations erronées du demandeur principal.

[44]      En ce qui concerne l’application du paragraphe 42(1), dans la décision Chen, au paragraphe 37, le juge Annis est d’avis que la disposition ne s’applique que lorsque l’inconduite du principal membre de la famille, soit un étranger ou un résident permanent, survient après l’obtention de la résidence permanente. Le juge Annis a ajouté que « [s]i la conduite comprend une présentation erronée par le membre de la famille principal, le membre de la famille accompagnateur serait renvoyé en raison de son interdiction de territoire présumée, de manière à ce que l’article 42 ne s’applique pas ».

[45]      Je suis d’accord avec la conclusion du juge Annis selon laquelle le membre de la famille qui l’accompagne est interdit de territoire en raison de la présentation erronée du principal membre de la famille. Toutefois, je ne suis pas d’accord pour dire que le paragraphe 42(1) s’applique seulement dans les cas d’interdiction de territoire pour inconduite après l’octroi du statut de résident permanent. À première vue, le paragraphe 42(1) de la loi ne s’applique qu’aux étrangers, un terme défini qui exclut ceux qui détiennent le statut de résident permanent.

[46]      Le paragraphe 42(1) s’applique « sauf pour le résident permanent ou une personne protégée ». Le défendeur n’était pas une personne protégée. Le terme « étranger » est défini au paragraphe 2(1) de la Loi comme une personne qui n’est ni citoyen canadien ni résident permanent. Au moment de son arrivée au point d’entrée, à l’aéroport de Vancouver, le défendeur était en possession d’un visa de résident permanent, mais il n’a obtenu le statut de résident permanent qu’après avoir été autorisé à entrer au Canada après l’examen d’un agent d’immigration. Il a obtenu ce statut en raison de la présentation erronée de son père. Son père était interdit de territoire en raison de cette présentation erronée.

[47]      En vertu du paragraphe 42(1), le défendeur était interdit de territoire à titre de membre de la famille accompagnant une personne interdite de territoire. Une conclusion à cet effet ne dépendait pas de la délivrance et de la signification d’un rapport en vertu de l’article 44 et de la détermination de l’interdiction de territoire contre le père. L’agent qui a préparé le rapport en vertu de l’article 44 contre le défendeur était convaincu que le père était interdit de territoire en raison de présentations erronées. Comme le père était à l’extérieur du Canada, il n’y avait aucune raison pratique de préparer un rapport en vertu de l’article 44 contre lui ou de demander une mesure de renvoi contre lui. L’agent n’était pas tenu de préparer un rapport en vertu de l’article 44. Le paragraphe 44(1) de la LIPR stipule qu’un agent, qui est d’avis qu’un résident permanent qui se trouve au Canada est interdit de territoire, peut préparer un rapport, voir Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409. Dans les circonstances, la SI et la SAI auraient dû procéder de cette façon.

[48]      En l’espèce, un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) a été produit contre le défendeur pour avoir fait une présentation erronée importante en vertu de l’alinéa 40(1)a). Il a déclaré que le père du défendeur était [traduction] « interdit de territoire au Canada parce qu’il a omis de divulguer à l’agent des visas qu’il avait été déclaré coupable de complot en vue de commettre un meurtre et un enlèvement en Inde ».

[49]      L’alinéa 42(1)b) prévoit qu’un ressortissant étranger est interdit de territoire pour motif d’inadmissibilité familiale s’il est un membre de la famille qui l’accompagne. Il n’est pas nécessaire de préparer un rapport d’interdiction de territoire aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR pour conclure qu’une personne est interdite de territoire aux termes de l’alinéa 42(1)b) de la LIPR. Si le demandeur principal est interdit de territoire, la personne à charge est interdite de territoire.

[50]      La conclusion de la SAI selon laquelle le défendeur ne pouvait être déclaré interdit de territoire que si le père faisait l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, après la préparation d’un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, est déraisonnable. La conclusion de la SAI selon laquelle la présentation erronée du père n’était pas attribuable au défendeur comme présentation erronée « indirecte » était également déraisonnable.

[51]      Bien que ces conclusions soient suffisantes pour statuer sur la demande, je pense qu’il pourrait être utile de fournir les raisons pour lesquelles je répondrais à la question de l’obligation de franchise au bénéfice de toute autre procédure.

B.    Obligation de franchise

[52]      La SAI a conclu que le défendeur n’avait pas l’obligation de divulguer la déclaration de culpabilité de son père. Cela aurait comme conséquence un résultat absurde, selon la SAI, et le défendeur soutient que, s’il était déclaré interdit de territoire, alors que son père, qui avait l’obligation de divulguer sa déclaration de culpabilité, ne serait pas assujetti à une enquête sur l’interdiction de territoire et ne le serait pas à moins qu’il ne tente de revenir au Canada.

[53]      Il fallait une sorte d’entente tacite ou de complot pour retenir des renseignements afin de donner lieu à une obligation de franchise de la part du défendeur, a déclaré la SAI :

J’estime également que l’obligation de franchise ne va pas jusqu’à s’appliquer à une personne dont les circonstances sont celles de l’intimé. Si des éléments de preuve avaient établi que l’intimé et son père (et sa mère) avaient conclu une entente tacite ou fomenté un complot en vue de taire des renseignements concernant la criminalité du père, et ce, afin d’éviter une conclusion d’interdiction de territoire, alors l’obligation de franchise aurait probablement contraint l’intimé à révéler la criminalité de son père. Toutefois, selon le témoignage de l’intimé, ce dernier n’était même pas au courant des renseignements contenus dans ses propres formulaires, à plus forte raison dans ceux de son père. Aussi, l’intimé s’est présenté seul à l’entrevue au point d’entrée, sans son père ni sa mère. Il n’était pas au courant des réponses fournies par son père et n’était pas tenu de fournir des renseignements concernant la criminalité de ce dernier; de plus, rien ne prouve qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il s’agissait de renseignements importants. Il n’a jamais été questionné au sujet de la criminalité de son père avant que ce dernier ne devienne un résident permanent; il a uniquement été questionné au sujet de sa propre criminalité et il a répondu avec franchise. [Note en bas de page omise.]

[54]      L’article 15 de la LIPR autorise les agents d’immigration à procéder à l’examen d’une demande en vertu de la LIPR. L’article 16 de la LIPR prévoit qu’une personne qui présente une demande doit répondre véridiquement à toutes les questions qui lui sont posées et fournir les éléments de preuve et les documents que l’agent exige raisonnablement. L’article 51 du RIPR [Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227] prévoit que les ressortissants étrangers qui détiennent un visa de résident permanent et qui cherchent à devenir résidents permanents doivent, au moment de leur examen, établir qu’eux et les membres de leur famille, qu’ils accompagnent ou non, satisfont aux exigences de la Loi et du Règlement.

[55]      L’obligation de divulguer est fondamentale à l’administration juste et équitable de la LIPR : Bodine, précitée, aux paragraphes 41 et 42; Baro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 (Baro), au paragraphe 15; Haque, précitée. Il y a une exception à cette règle générale lorsque le demandeur ignorait subjectivement qu’il refusait de communiquer des renseignements, soit Medel c. Canada (Ministre del’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345, [1990] A.C.F. no 318 (QL) (C.A.).

[56]      Le demandeur soutient que le défendeur était tenu par l’obligation de franchise de divulguer les procédures criminelles de son père, puisque 1) le défendeur s’est fondé sur les renseignements fournis par son père comme demandeur principal dans la demande de résidence permanente et 2) le défendeur était une personne à charge à titre d’accompagnateur dans la demande de son père.

[57]      Dans la décision Baro, précitée, la Commission a conclu que le demandeur était interdit de territoire au motif qu’il a fait une présentation erronée ou qu’il a caché des faits importants aux autorités de l’immigration lorsque son épouse l’a parrainé. Le demandeur s’est antérieurement séparé de sa première épouse et a obtenu une déclaration d’un tribunal aux Philippines présumant qu’elle était morte. Il n’a pas mentionné ces faits aux agents d’immigration canadiens. Cependant, sa deuxième épouse a avisé les autorités après avoir appris, lors d’une visite aux Philippines, que la première épouse du demandeur était revenue.

[58]      Le demandeur a fait valoir que sa conduite ne devrait pas entraîner une conclusion d’interdiction de territoire puisqu’il n’a jamais été expressément interrogé au sujet de ses antécédents matrimoniaux : Baro, précitée, au paragraphe 13. Il n’était donc pas tenu d’informer les autorités canadiennes de son mariage antérieur ni des circonstances de sa dissolution : Baro, précitée, au paragraphe 13. La question devant la Cour était de savoir si le demandeur avait l’obligation de divulguer ses antécédents matrimoniaux dans les circonstances, même en l’absence d’une demande précise des autorités canadiennes : Baro, précitée, au paragraphe 14.

[59]      La Cour a conclu que le demandeur de résidence permanente a une obligation de franchise qui exige la divulgation de faits importants et que cette obligation s’étend à une modification de sa situation personnelle, y compris un changement d’état civil : Baro, précitée, au paragraphe 15. Dans son analyse, la Cour a mis en garde contre le fait que l’on ne peut s’attendre à ce que les demandeurs anticipent le genre de renseignements que les agents d’immigration pourraient vouloir recevoir et qu’il faut examiner les circonstances environnantes pour décider si le demandeur a omis de se conformer à l’alinéa 40(1)a) de la Loi : Baro, précitée, au paragraphe 17. La Cour a ensuite examiné les circonstances entourant l’affaire Baro, notamment le fait que la demande était fondée sur le parrainage d’un époux et que les agents d’immigration avaient demandé une « attestation du mariage ». La Cour a conclu que cette demande avait alerté le demandeur du fait que les agents d’immigration voulaient en savoir davantage sur ses antécédents matrimoniaux. La Cour a conclu que la SAI n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur ne s’était pas conformé à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[60]      Dans la décision Bodine, la demanderesse a été déclarée interdite de territoire pour présentations erronées. Elle avait omis de dire qu’elle s’était vu refuser l’entrée plus tôt le même jour et que son petit ami canadien était entré séparément avec des marchandises qu’il avait transférées de sa voiture. La demanderesse a soutenu, comme dans la présente affaire, qu’elle n’avait pas l’obligation positive d’informer spontanément un agent au point d’entrée des faits importants concernant les circonstances et les objectifs de sa visite.

[61]      La Cour s’est fondée sur la décision Baro, précitée, et a conclu que les circonstances factuelles sont importantes pour décider ce que l’obligation de franchise implique dans un cas particulier [Bodine, aux paragraphes 41 et 42] :

Même si la Loi, ou l’article 40 en particulier, n’oblige pas de déclarer spontanément tous les renseignements ou éléments de preuve, il peut y avoir une obligation de déclarer des renseignements ou des éléments de preuve pertinents dans certaines circonstances. Le paragraphe 16(1) de la Loi dispose que « [l’]auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visas et documents requis ». Dans la décision Baro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15, la Cour a affirmé qu’un étranger qui sollicite l’entrée au Canada a une « obligation de franchise » qui l’oblige a révéler les faits importants. La Cour a ensuite formulé les remarques qui suivent, au[x] paragraphe[s] [15- ] 17 :

[15] [...] Même une omission innocente de fournir des renseignements importants peut mener à une conclusion d’interdiction de territoire; par exemple, la demanderesse qui omet d’inclure la totalité de ses enfants dans sa demande peut être interdite de territoire : Bickin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1495 (C.F. 1re inst.) (QL). Il y a toutefois une exception si les demandeurs peuvent montrer qu’ils croyaient honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants : Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345, [1990] A.C.F. no 318 (C.A.F.) (QL). 345, [1990].

[…]

17 Bien sûr, on ne peut pas s’attendre à ce que les demandeurs anticipent les genres de renseignements que les agents d’immigration souhaitent peut-être obtenir. Comme l’a noté la SAI en l’espèce, « il n’incombe pas à une personne de divulguer la totalité des renseignements qui pourraient être éventuellement pertinents ». Il faut examiner le contexte afin de décider si le demandeur ne s’est pas conformé à l’alinéa 40(1)a).

Il est clair qu’il existe une obligation de franchise, et que les circonstances sont importantes lorsque la Cour doit déterminer la portée de cette obligation dans l’affaire particulière dont elle est saisie. La présente affaire soulève la question de savoir dans quelle mesure un demandeur doit fournir des renseignements alors que l’agent chargé de l’examen ne les lui a pas expressément demandés. Je n’estime pas que l’article 40 de la Loi impose qu’une personne doive déclarer spontanément tout fait qui puisse peutêtre se révéler pertinent. Pour déterminer si la nondéclaration de renseignements constitue une présentation erronée visée par la Loi, la Cour doit plutôt tenir compte des circonstances de chaque affaire. [Soulignement dans l’original.]

[62]      La Cour a ajouté que même le silence peut être une présentation erronée, s’appuyant sur la décision Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299 (1re inst.) et que les faits dans la décision Bodine allaient bien au-delà du simple silence. La Cour a conclu que, compte tenu des faits précis de l’affaire, la demanderesse était tenue de divulguer pleinement le nombre d’articles qu’elle apportait au Canada : Bodine, précitée, aux paragraphes 46 et 47.

[63]      En se fondant sur ces affaires, le demandeur soutient que le défendeur et son père avaient l’obligation de franchise d’aviser l’agent au point d’entrée de l’arrestation, des accusations et des déclarations de culpabilité qui n’avaient pas été divulguées au moment de la délivrance de leurs visas.

[64]      La question n’est pas de savoir si le père avait une telle obligation. Il est clair que le père, le demandeur principal, avait l’obligation de fournir des renseignements exacts et véridiques dans ses déclarations de culpabilité. À la question 9 de la déclaration d’antécédents de l’annexe 1, on pose aux demandeurs la question suivante :

Est-ce que vous ou, si vous êtes le demandeur principal, l’un des membres de votre famille énumérés dans votre demande de résidence permanente au Canada, avez déjà été reconnus coupables d’un crime ou d’une infraction, ou êtes-vous actuellement accusé d’un crime, d’une infraction ou d’une poursuite criminelle dans un autre pays?

[65]      En cochant la case « non » à côté de cette question et en signant le formulaire, le père a manifestement contrevenu à son obligation de franchise et a fait une présentation erronée visant à induire une erreur dans l’application de la Loi. De même, si les autorités canadiennes de l’immigration avaient demandé au défendeur si lui-même ou un autre membre de la famille avait déjà fait l’objet d’accusations criminelles, il serait évident qu’il avait une obligation de franchise de divulguer ce qu’il savait de ces antécédents.

[66]      La question qui se pose ici est de savoir dans quelle mesure l’obligation de franchise oblige un demandeur à communiquer volontairement des renseignements à titre de personne à charge du demandeur principal lorsqu’il n’est pas directement prié de fournir ces renseignements. Les parties conviennent qu’il faut examiner les circonstances factuelles afin de décider si le demandeur a manqué à l’obligation : Baro, précitée, aux paragraphes 15 et 17; Bodine, précitée, au paragraphe 42. Ils ne s’entendent pas sur la façon dont cela s’applique dans le cas présent. Le demandeur soutient que la seule conclusion raisonnable est que les circonstances factuelles ont imposé une obligation de franchise au défendeur. Le défendeur s’y oppose vivement.

[67]      Les circonstances factuelles comprennent le fait que le défendeur était un adulte âgé de 23 ans lorsque les demandes de visa ont été remplies et de 25 ans au moment de l’entrée. Le défendeur était au courant de la condamnation et de la peine d’emprisonnement de son père, que le premier appel du père avait été rejeté seulement 83 jours avant qu’ils ne sollicitent l’entrée au Canada et que son père était en liberté conditionnelle après avoir été condamné à l’emprisonnement à perpétuité.

[68]      Lors de son interrogatoire à Chandigarh et de son témoignage devant la SI, le défendeur a déclaré qu’il croyait que son père était innocent et qu’il serait finalement libéré. À Chandigarh, il a déclaré que, contrairement à d’autres accusés, les déplacements de son père en liberté sous caution ou en liberté conditionnelle n’avaient pas été restreints et que son passeport n’avait pas été confisqué.

[69]      Selon le témoignage du défendeur devant la SI, il ne savait pas ce qui se trouvait dans le formulaire rempli en Inde, bien qu’il l’ait signé, puisqu’il a été préparé par les agents de voyage en fonction des renseignements fournis par son père et qu’il était en anglais. Il l’avait signé selon les instructions de son père. À l’aéroport de Vancouver, on lui a remis un formulaire contenant des questions dans la langue pendjabi auxquelles il faut répondre en cochant « oui » ou « non » et en y répondant au mieux de ses connaissances. L’une de ces questions, dit-il, était de savoir s’il avait commis une activité criminelle en Inde ou s’il avait été arrêté, ce à quoi il a répondu honnêtement. Il ne savait pas comment son père avait répondu aux questions, puisqu’ils ont été interrogés séparément, et il ne le lui a pas demandé. Un agent d’immigration ne lui a pas demandé si son père avait été accusé, condamné ou emprisonné pour des infractions criminelles. Les formulaires au point d’entrée comportant les questions traduites en pendjabi ne faisaient pas partie du dossier et la preuve du défendeur n’est pas contestée.

[70]      Dans ces circonstances, soutient le défendeur, il serait injuste de lui imposer l’obligation de divulguer volontairement les antécédents criminels de son père. L’obligation de franchise ne crée pas pour lui une obligation positive [traduction] « d’informer spontanément les agents aux points d’entrée des antécédents criminels de son père ». On ne pouvait pas s’attendre à ce qu’il anticipe le genre de renseignements que les agents d’immigration pourraient vouloir recevoir au point d’entrée. Il n’a reçu aucune indication de leur intérêt pour les antécédents de son père avant l’entrevue de 2014 à Chandigarh.

[71]      À mon avis, il n’était pas nécessaire qu’il y ait une preuve d’entente tacite ou de complot de la part du défendeur et de son père pour qu’une obligation de franchise soit établie. Comme le démontre la jurisprudence citée ci-dessus, l’obligation peut découler des circonstances environnantes qui peuvent comprendre un plus vaste éventail de faits. Une inférence peut être tirée de la preuve d’actions et d’omissions de la part du demandeur qui indiquent l’obligation de divulguer des faits importants.

[72]      Toutefois, je conviens avec le défendeur que les circonstances en l’espèce n’obligent pas à conclure qu’il était tenu de divulguer les antécédents criminels de son père sur le formulaire de demande de visa ou lorsqu’ils ont été interrogés au point d’entrée.

[73]      Il ne s’agit pas d’une affaire comme celle de Bodine, ci-dessus, où il était évident dans les circonstances que la demanderesse avait l’obligation de divulguer des renseignements sur sa tentative d’entrer au Canada. La demanderesse dans la décision Bodine avait elle-même pris des mesures pour contourner le refus d’entrée préalable. Ces mesures prédisposaient à une erreur dans l’application de la loi. Cette affaire n’est pas non plus semblable à celle de Baro, ci-dessus, où le demandeur a été avisé qu’il y avait des préoccupations au sujet de ses antécédents matrimoniaux. Dans ces circonstances, il ne pouvait pas rester muet.

[74]      Dans la présente affaire, le demandeur [le défendeur en l’espèce] a reçu des formulaires qui l’obligent à divulguer ses propres antécédents criminels, le cas échéant, et non ceux de quiconque faisant partie de son groupe familial. Seul le demandeur principal était tenu de divulguer si l’un des demandeurs à charge avait des antécédents de ce genre, à sa connaissance, en plus de lui-même.

[75]      Par conséquent, je conclus qu’il était dans l’éventail des issues possibles au regard des faits et du droit pour la SAI de conclure que le défendeur n’avait aucune obligation de franchise de donner des informations sur son père au point d’entrée. Les motifs de la décision sont transparents, justifiés et intelligibles. Cela dit, je ne suis pas d’accord avec l’analyse de la SAI selon laquelle pour qu’une obligation de franchise soit constatée, il fallait qu’il y ait des éléments de preuve établissant qu’il y a eu une entente tacite ou un complot de la part du défendeur et de son père.

VII.       Conclusion

[76]      Pour les motifs susmentionnés, la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à la SAI pour réexamen, conformément aux présents motifs.

VIII.      Questions certifiées

[77]      Le ministre demandeur propose les deux questions suivantes pour l’accréditation en vertu du paragraphe 18(1) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22. La première question est la même que celle certifiée par le juge O’Keefe dans la décision Wang.

1. Selon l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ainsi formulé : « Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi »; […] un résident permanent est-il interdit de territoire pour avoir indirectement fait une présentation erronée sur un fait important s’il a obtenu le droit d’établissement en tant que personne à charge d’un demandeur principal qui, dans sa demande de droit d’établissement, a fait une présentation erronée sur un fait important?

[traduction]

2. L’obligation de franchise en vertu de la LIPR s’étend-elle à une personne dans les circonstances du défendeur, plus précisément l’obligation de fournir des faits importants dont il est au courant au sujet d’un membre de la famille au moment de devenir résident permanent du Canada?

[78]      Le défendeur a soumis la question suivante aux fins de certification :

Est-ce qu’un résident permanent, qui est devenu résident permanent en tant que personne à charge accompagnant le demandeur principal et qui n’a pas lui-même fait de fausses déclarations, est à l’abri de toute interdiction de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour fausses déclarations du demandeur principal en vertu du libellé de l’alinéa 42(1)b) de la LIPR, qui exclut expressément les résidents permanents?

[79]      Le demandeur s’oppose à la certification de la question du défendeur pour trois motifs :

1.         La question énonce incorrectement que le défendeur n’a pas fait de fausses déclarations;

2.         Le libellé de l’alinéa 42(1)b) ne permettrait pas de régler un appel en l’espèce en ce qui concerne l’article 16 et l’alinéa 40(1)a) de la LIPR;

3.         En tout état de cause, au moment où la présentation erronée a eu lieu, le défendeur était un ressortissant étranger qui accompagnait son père et qui aurait été déclaré interdit de territoire si ce n’était des fausses déclarations; en fait, l’existence de l’alinéa 42(1)b) montre que les fausses déclarations ont entraîné une erreur dans l’application de la LIPR.

[80]      Dans l’arrêt Torre c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 48, au paragraphe 3, la Cour d’appel fédérale a réaffirmé le principe selon lequel « une question ne peut être certifiée que dans la mesure où elle est déterminante quant à l’issue de l’appel et transcende les intérêts des parties au litige de par ses conséquences importantes » pour les appels interjetés en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR. Autrement dit, la question doit avoir une incidence sur l’issue du litige.

[81]      Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la question proposée par le défendeur ne permettrait pas de régler un appel en l’espèce. L’affaire porte sur la question de savoir si la présentation erronée d’un tiers, un demandeur principal, peut être attribuée à une personne à charge accompagnant le demandeur à titre de « présentation erronée indirecte » au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Cette question transcende les intérêts des parties et serait concluante en appel.

[82]      Je ne considère pas qu’il soit nécessaire de certifier la deuxième question proposée par le demandeur, car elle porte sur les faits précis de l’affaire. La loi selon laquelle il y a obligation de franchise à l’égard des demandeurs de résidence permanente est bien établie. La façon d’appliquer cette loi dépendra des faits de chaque affaire.

JUGEMENT DANS IMM-3817-17

LA COUR STATUE que :

1)         le demandeur se voit accorder une prorogation du délai de signification de l’avis de demande;

2)         la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Section d’appel de l’immigration à un autre commissaire pour un nouvel examen conformément aux motifs fournis;

3)         la question suivante est certifiée :

Selon l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ainsi formulé : « Emportent interdiction de territoire pour présentations erronées les faits suivants : a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi »; […] un résident permanent est-il interdit de territoire pour avoir indirectement fait une présentation erronée sur un fait important s’il a obtenu le droit d’établissement en tant que personne à charge d’un demandeur principal qui, dans sa demande de droit d’établissement, a fait une présentation erronée sur un fait important?

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