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T-416-16

2017 CF 806

Les Marques Metro/Metro Brands S.E.N.C. (demanderesse)

c.

1161396 Ontario Inc. (défenderesse)

Répertorié : Les Marques Metro/Metro Brands S.E.N.C. c. 1161396 Ontario Inc.

Cour fédérale, juge Annis—Ottawa, 21 mars et 7 septembre 2017.

Marques de commerce — Enregistrement — Appel interjeté en vertu de l’art. 56 de la Loi sur les marques de commerce d’une décision par laquelle un agent d’audience de la Commission des oppositions des marques de commerce (C.O.M.C.) a admis la demande d’enregistrement n1333541 (la demande d’enregistrement de MC) de la marque de commerce IRRESISTIBLES (marque) pour des « bonbons et collations » — La défenderesse, une personne morale, a déposé auprès du Bureau des marques de commerce du Canada en février 2007 la demande d’enregistrement de MC fondée sur l’emploi au Canada depuis au moins aussi tôt qu’août 2001 — La demande d’enregistrement de MC a été approuvée — La demanderesse a produit une déclaration d’opposition à l’enregistrement de la marque, alléguant que la demande d’enregistrement de MC ne satisfaisait pas aux exigences de l’art. 30b) de la Loi, étant donné que la marque n’a pas été employée par la défenderesse au Canada en liaison avec des « biscuits et petits gâteaux » depuis la date de premier emploi alléguée — L’agent d’audience a conclu notamment que le registraire avait conclu à juste titre que la demande d’enregistrement de MC visait non seulement les produits d’une catégorie générale, mais aussi des produits particuliers nommés individuellement; que la demande d’enregistrement de MC satisfaisait aux exigences énoncées à l’art. 30b) de la Loi; que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau de preuve d’établir que la marque n’avait pas été employée en liaison avec des « biscuits et petits gâteaux » à la date de premier emploi alléguée — Il s’agissait de savoir si la décision de la C.O.M.C. de refuser de radier la déclaration d’opposition était raisonnable; si la défenderesse avait employé la marque en liaison avec des « biscuits et petits gâteaux » depuis au moins aussi tôt que la date de premier emploi revendiquée; et si la Cour, en exerçant le pouvoir discrétionnaire dont le registraire des marques de commerce est investi, avait compétence pour rendre une décision « partagée » en application de l’art. 38(8) de la Loi — La conclusion du registraire selon laquelle la demande d’enregistrement de MC visait des produits particuliers était raisonnable — Selon le sens ordinaire de l’art. 30b) de la Loi, le demandeur de la marque de commerce n’est tenu que de produire une demande renfermant la date de premier emploi pour chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande — Les « bonbons et collations » sont des termes génériques qui tirent leur sens du contexte de la demande — La conclusion du registraire selon laquelle la demande visait non seulement les produits d’une catégorie générale, mais aussi des produits particuliers nommés individuellement était manifestement raisonnable, étant donné que les termes « bonbons et collations », en soi, n’auraient vraisemblablement pas constitué une catégorie de produits acceptable en l’absence de plus amples précisions — La marque de commerce visée par la demande doit néanmoins avoir été employée en liaison avec chacun des produits ou services spécifiques décrits dans la catégorie générale avant la date de production de la demande du requérant — Les nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse pouvaient raisonnablement mener à la conclusion selon laquelle, à la date pertinente, la défenderesse n’avait pas employé la marque — Comme la défenderesse n’a présenté aucun élément de preuve établissant l’emploi de la marque, elle n’a pas démontré qu’elle a employé la marque depuis déjà au moins août 2001, ni à aucun autre moment par la suite — En ce qui concerne la compétence de la Cour, grâce à la compétence pour rendre des décisions partagées, le registraire peut maintenir un équilibre approprié entre la libre concurrence et la juste concurrence — L’objet de la Loi militait en faveur d’une interprétation de l’art. 38(8) de la Loi qui permet au registraire ou à la Cour de rendre des décisions partagées — Par conséquent, le registraire était compétent pour rendre une décision partagée en vertu de l’art. 38(8) de la Loi — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce d’une décision par laquelle un agent d’audience de la Commission des oppositions des marques de commerce (C.O.M.C.) a admis la demande d’enregistrement n1333541 (la demande d’enregistrement de MC ou la demande) de la marque de commerce IRRESISTIBLES (la marque) pour des « bonbons et collations, nommément barres de friandises, tablettes de chocolat, confiseries au sucre, nougatines dures aux arachides, barres au caramel, biscuits et petits gâteaux, confiseries gélifiées, confiseries de chocolat, menthes au chocolat, boîtes de chocolats assortis et bonbons en dérivé de guimauve ».

La défenderesse, une personne morale, a déposé auprès du Bureau des marques de commerce du Canada en février 2007 la demande d’enregistrement de MC fondée sur l’emploi au Canada depuis au moins aussi tôt qu’août 2001. La demande d’enregistrement de MC a été approuvée et publiée dans le Journal des marques de commerce en février 2013. La demanderesse a produit une déclaration d’opposition à l’enregistrement de la marque en juillet 2013, alléguant qu’en application de l’alinéa 38(2)a) de la Loi, la demande d’enregistrement de MC ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 30b) de la Loi, étant donné que la marque n’a pas été employée par la défenderesse au Canada en liaison avec des « biscuits et petits gâteaux » depuis la date de premier emploi alléguée, qui était depuis au moins aussi tôt qu’août 2001.

Dans sa décision, l’agent d’audience a examiné notamment la question de savoir si le registraire des marques de commerce avait commis une erreur en rejetant la demande interlocutoire de la défenderesse visant à obtenir une radiation et un rejet de la déclaration d’opposition de la demanderesse au motif qu’elle ne révélait pas de cause défendable. L’agent d’audience a refusé de réexaminer la décision interlocutoire selon laquelle le motif d’opposition révélait l’existence d’une cause défendable étant donné que le registraire avait conclu à juste titre que la demande d’enregistrement de MC visait non seulement les produits d’une catégorie générale, mais aussi des produits particuliers nommés individuellement. La C.O.M.C. a ensuite conclu que la demande d’enregistrement de MC satisfaisait aux exigences énoncées à l’alinéa 30b) de la Loi : le motif d’opposition avait été exposé de façon suffisamment détaillée dans la déclaration d’opposition pour permettre à la défenderesse d’y répondre et de comprendre la preuve qu’elle devait réfuter. En ce qui concerne l’affidavit du président et de l’unique propriétaire de la défenderesse que la demanderesse a déposé à titre de preuve, l’agent d’audience a conclu qu’il était une preuve pertinente et admissible. Toutefois, il n’était pas convaincu que l’affidavit en question permettait de conclure que la demanderesse s’était acquittée du fardeau de preuve d’établir que la marque n’avait pas été employée en liaison avec des « biscuits et petits gâteaux » à la date de premier emploi alléguée. Il a donc écarté le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b) et a rejeté l’opposition de la demanderesse.

Il s’agissait principalement de déterminer si la décision de la C.O.M.C. de refuser de radier la déclaration d’opposition était raisonnable; si la défenderesse avait employé la marque en liaison avec des « biscuits et petits gâteaux » depuis au moins aussi tôt que la date de premier emploi revendiquée; et si la Cour, en exerçant le pouvoir discrétionnaire dont le registraire des marques de commerce est investi, avait compétence pour rendre une décision « partagée » en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

La conclusion du registraire selon laquelle la demande d’enregistrement de MC visait des produits particuliers était raisonnable. Même si l’agent d’audience n’a pas répondu précisément à chacune des préoccupations de la défenderesse, son refus de modifier la décision interlocutoire du registraire est néanmoins raisonnable. Selon le sens ordinaire de l’alinéa 30b) de la Loi, il semble que le demandeur de la marque de commerce ne soit tenu que de produire une demande renfermant la date de premier emploi pour « chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande ». Ni la décision interlocutoire du registraire ni la décision de l’agent d’audience ne donnaient à penser qu’il y a eu une mauvaise interprétation. Les « bonbons et collations » sont des termes génériques qui tirent leur sens du contexte de la demande, et les collations signifient généralement de petites quantités d’aliments ou de boissons consommées entre les repas. La conclusion du registraire selon laquelle la demande visait non seulement les produits d’une catégorie générale, mais aussi des produits particuliers nommés individuellement était manifestement raisonnable, étant donné que les termes « bonbons et collations », en soi, n’auraient vraisemblablement pas constitué une catégorie de produits acceptable en l’absence de plus amples précisions.

Les exigences de l’alinéa 30b) ont été examinées. Bien que l’alinéa 30b) de la Loi exige simplement qu’une date de premier emploi soit fournie en ce qui concerne chacune des catégories générales de produits ou services, la marque de commerce visée par la demande doit néanmoins avoir été employée en liaison avec chacun des produits ou services spécifiques décrits dans la catégorie générale avant la date de production de la demande du requérant. Toutefois, la date de premier emploi en ce qui concerne chacun des produits spécifiques figurant dans la catégorie générale peut varier.

En ce qui concerne l’emploi de la marque par la défenderesse, premièrement, il incombait à la demanderesse de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui du motif d’opposition. Les nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse en appel étaient suffisants pour satisfaire à son fardeau de preuve initial. La demanderesse a déployé des efforts importants pour accumuler les meilleurs éléments de preuve possibles, et les nouveaux éléments de preuve qu’elle a produits pouvaient raisonnablement mener à la conclusion selon laquelle, à la date pertinente, la défenderesse n’avait pas employé la marque. Le fardeau de la preuve incombait par conséquent à la défenderesse, mais comme elle n’a présenté aucun élément de preuve établissant l’emploi de la marque, elle n’a pas démontré qu’elle a employé la marque depuis déjà au moins août 2001, ni à aucun autre moment par la suite.

En ce qui concerne la compétence de la Cour pour rendre des décisions partagées, le paragraphe 38(8) de la Loi et ses objets ont été examinés. Le droit des marques de commerce repose sur les principes de l’équité dans les activités commerciales and sert à maintenir l’équilibre entre la libre concurrence et la juste concurrence. Grâce à la compétence pour rendre des décisions partagées, le registraire peut maintenir un équilibre approprié entre la libre concurrence et la juste concurrence. Le rejet d’une opposition dans son intégralité, sans égard à la question de savoir si l’objection était justifiée pour certains produits ou services, serait injuste à l’égard de l’opposant. À l’inverse, le refoulement de la demande, sans égard à la question de savoir si certains produits ou services liés à la marque de commerce devraient être enregistrables, serait injuste à l’égard de la demanderesse. L’objet de la Loi militait donc en faveur d’une interprétation du paragraphe 38(8) de la Loi qui permet au registraire ou à la Cour de rendre des décisions partagées. L’équilibre approprié entre la libre concurrence et la juste concurrence ne peut être atteint que grâce à une telle interprétation. En outre, il existait des raisons de principe impérieuses qui appuyaient la thèse de la compétence du registraire pour rendre des décisions partagées. Par conséquent, ainsi qu’il a été déterminé dans l’affaire Produits Ménagers Coronet Inc. c. Coronet-Werke Heinrich Schlerf GmbH (1986), le registraire est compétent pour rendre une décision partagée en vertu du paragraphe 38(8) de la Loi.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la concurrence déloyale, S.R.C. 1952, ch. 274.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 30, 31.1–31.8.

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 30, 38(2)a),(8), 40(2), 45, 48, 56.

Projet de loi C-31, Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2014, L.C. 2014, ch. 20.

Règlement sur les marques de commerce, DORS/96-195, art. 31, 32.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION SUIVIE :

Produits Ménagers Coronet Inc. c. Coronet-Werke Heinrich Schlerf GmbH, [1986] A.C.F. no 468 (C.F. 1re inst.) (QL).

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Seven-up Canada Co. c. Caribbean Ice Cream Company Ltd., 2007 CanLII 80903 (C.O.M.C.); Brasstech, Inc. c. Elte Carpets Limited, 2014 COMC 92; Corporativo DE Marcas GJB, SA DE CV c. Bacardi & Company, 2014 CF 323; Pfizer Products Inc. c. Association canadienne du médicament générique, 2015 CF 493; Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Haqi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1246, [2015] 3 R.C.F. 612; Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2012 CAF 308; Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; Pronuptia de Paris c. Pronovias, S.A., 2007 CanLII 80847, [2007] C.O.M.C. no 63 (QL); Parfums Christian Dior v. Lander Co. Canada Ltd. (2000), 6 C.P.R. (4th) 257; McCabe c. Yamamoto & Co (America) Inc., [1989] 3 C.F. 290, 1989 CarswellNat 639 (WLNext Can) (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Redsand, Inc. c. Dylex Limited, 1997 CanLII 16698 (C.F. 1re inst.); Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709; R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339; Brasserie Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.); Worldwide Diamond Trademarks Limited c. Canadian Jewellers Association, 2010 CF 309, [2011] 3 R.C.F. 120, conf. par 2010 CAF 326; Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., 1999 CanLII 8988 (C.F. 1re inst.); Community Credit Union Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1119; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Ontario Dental Assistants Association c. Association dentaire canadienne, 2013 CF 266; Wordex Incorporated c. Wordex, [1983] 2 C.F. 570 (1re inst.); Edelweiss Food Products Inc. v. World’s Finest Chocolate Canada Ltd. (2000), 5 C.P.R. (4th) 256, 2000 CanLII 28672 (C.O.M.C.); Clorox Co. c. Sears Canada Inc., [1992] 2 C.F. 579 (1re inst.), conf. par [1993] A.C.F. no 508 (QL) (C.A.); MAPA GmbH c. 2956-2691 Quebec Inc., 2013 COMC 22; Sky Solar Holdings Co., Ltd. c. Skypower Global, 2014 COMC 262; Distrimedic Inc. c. Richards Packaging Inc., 2012 COMC 199; John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., [1990] A.C.F. no 533 (QL) (C.F. 1re inst.); Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd., 2002 CAF 29, [2002] 3 C.F. 405; SanDisk Corporation c. UC Mobile Co., 2016 COMC 148; Chavali c. Canada, 2001 CFPI 268, conf. par 2002 CAF 209; Ratt c. Matchewan, 2010 CF 160, sub nom. Les Aînés de Mitchikinabikok Inik (Algonquins de Lac-Barrière) c. Le Conseil coutumier des Algonquins de Lac-Barrière, 2010 CarswellNat 313 (WLNext Can); Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd. c. Bande de Rat Portage No. 38B, 2008 CF 812, [2009] 2 R.C.F. 267; Spin Master Ltd. c. George & Company, LLC, 2015 COMC 159.

DOCTRINE CITÉE

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.

Office de la propriété intellectuelle du Canada. Le manuel d’examen des marques de commerce, modifié le 26 novembre 2015.

Office de la propriété intellectuelle du Canada. Manuel des produits et des services, modifié le 22 juillet 2016.

Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Classification de Nice, instituée par l’Arrangement de Nice (1957), est une classification internationale de produits et de services aux fins de l’enregistrement des marques, 2016.

APPEL interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce d’une décision (2015 COMC 227) par laquelle un agent d’audience de la Commission des oppositions des marques de commerce a admis la demande d’enregistrement n1333541 de la marque de commerce IRRESISTIBLES pour articles décrits comme étant des bonbons et collations. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Joanne Chriqui et Erika Bergeron-Drolet pour la demanderesse.

Keri A. F. Johnston et Daniel S. Drapeau pour la défenderesse.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Norton Rose Fulbright Canada LLP, Montréal, pour la demanderesse.

Johnston Law, Toronto, pour la défenderesse.

Table des matières

Section

Paragraphe

I.        Nature de l’affaire

1

II.       La demande

2

III.      L’Opposition

3

IV.     La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

7

V.      Nouveaux éléments de preuve en appel

13

1)      Gina Petrone

20

2)      Francis Parisien

22

3)      Denis Gendron

24

4)      N. Arthur Smith

26

VI.     Norme de contrôle

28

VII.     Questions en litige

35

VIII.    Analyse

36

A.   La décision de la COMC de refuser de radier la déclaration d’opposition était-elle raisonnable?

36

1)    Thèses des parties

37

2)    La conclusion du registraire selon laquelle la Demande d’enregistrement de MC visait des produits particuliers est raisonnable

41

a)    Alinéa 30b) : « employ[er] la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de produits [et] services »

42

b)    Pratique du Bureau des marques de commerce

44

c)    Les modifications postérieures à l’annonce ne sont pas pertinentes

53

d)    Conclusion

54

3)    Aux termes de l’alinéa 30b) la marque de commerce doit avoir été employée en liaison avec les produits et services décrits dans la demande

55

a)    Le libellé de l’alinéa 30b) de la Loi

56

b)    Le contexte de la Loi

58

c)    Conclusion

61

B.   La société 116 Inc. a-t-elle employé la Marque en liaison avec les « biscuits et petits gâteaux » depuis au moins la date de premier emploi revendiquée?

62

1)    Fardeau de la preuve

62

2)    L’alinéa 30b) de la Loi

65

3)    Allégations de la défenderesse selon lesquelles la demande de l’opposante est frivole et vexatoire

67

C.   La Cour, en exerçant le pouvoir discrétionnaire dont le registraire des marques de commerce est investi, a-t-elle compétence pour rendre une décision « partagée » en application du paragraphe 38(8) de la Loi?

70

1)    Contexte

70

2)    Courtoisie judiciaire

73

3)    Analyse

77

a)    Le libellé du paragraphe 38(8) est ambigu

78

b)    Le contexte de la Loi n’est pas particulièrement utile

80

c)    La Loi a notamment pour objectif d’assurer l’équilibre entre la libre concurrence et la juste concurrence

81

d)    Les modifications apportées par le projet de loi C-31 n’indiquent pas l’intention du législateur

85

e)    Des raisons de principe appuient la thèse de la compétence du registraire pour rendre des décisions partagées

87

(i)    Il est déraisonnable et inéquitable qu’une opposition ayant été partiellement admise donne lieu à un refoulement total de l’ensemble de la demande

88

(ii)   Les décisions partagées permettent d’éviter l’effet pervers qui consiste à encourager des pratiques inefficaces et répondent ainsi à un des objectifs de la Loi

91

f)     La décision Coronet était bien fondée et ne peut pas faire l’objet d’une distinction

94

4)    Conclusion

97

IX.     Conclusions

98

JUGEMENT

 

ANNEXE

 

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Annis :

I.     Nature de l’affaire

[1]        La Cour est saisie d’un appel, interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi), d’une décision rendue le 22 décembre 2015 (répertoriée sous la référence 2015 COMC 227) (la décision) par laquelle un agent d’audience de la Commission des oppositions des marques de commerce (C.O.M.C.) a admis la demande d’enregistrement n1333541 (la Demande d’enregistrement de MC) de la marque de commerce IRRESISTIBLES (la Marque) pour des [traduction] « bonbons et collations, nommément barres de friandises, tablettes de chocolat, confiseries au sucre, nougatines dures aux arachides, barres au caramel, biscuits et petits gâteaux, confiseries gélifiées, confiseries de chocolat, menthes au chocolat, boîtes de chocolats assortis et bonbons en dérivé de guimauve » (les Produits). Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’appel devrait être accueilli.

II.     La demande

[2]        La défenderesse, la personne morale 1161396 Ontario Inc. (la société 116 Inc.), a déposé auprès du Bureau des marques de commerce du Canada le 1er février 2007, la Demande d’enregistrement de MC fondée sur l’emploi au Canada depuis au moins aussi tôt qu’août 2001. La Demande d’enregistrement de MC a été approuvée et publiée dans le Journal des marques de commerce le 20 février 2013.

III.    L’Opposition

[3]        La demanderesse, Les Marques Metro / Metro Brands S.E.N.C. (Metro), a produit une déclaration d’opposition à l’enregistrement de la Marque le 19 juillet 2013, alléguant qu’en application de l’alinéa 38(2)a) de la Loi, la Demande d’enregistrement de MC ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30b) de la Loi, étant donné que la Marque n’a pas été employée par la société 116 Inc. au Canada en liaison avec des [traduction] « biscuits et petits gâteaux » depuis la date de premier emploi alléguée, qui est [traduction] « depuis au moins aussi tôt qu’août 2001 ».

[4]        À titre de preuve, Metro a produit une copie certifiée de l’affidavit de M. Sarbjit Singh (affidavit de M. Singh), le président et l’unique propriétaire de la société 116 Inc., daté du 31 juillet 2014. Dans son affidavit, M. Singh affirme entre autres que la société 116 Inc. exerce ses activités sous la dénomination S & M Enterprises depuis 1995. Il ressort également des pièces connexes à l’affidavit qu’un certain nombre de produits de la société 116 Inc. liés à la Marque (IRRESISTIBLES) sont distribués par la personne morale « One Better Inc ». L’affidavit de M. Singh a été produit par la société 116 Inc. dans le contexte d’une opposition antérieure intentée par Metro contre l’enregistrement de la demande no 1329344, visant la marque de commerce IRRESISTIBLE, qui a été abandonnée le 23 octobre 2012 (opposition antérieure).

[5]        La société 116 Inc. a produit à titre de preuve l’affidavit de M. Karol Pawlina (affidavit de M. Pawlina), un étudiant qui était à son service. L’affidavit de M. Pawlina était essentiellement composé de copies concernant la correspondance et la procédure relatives à l’opposition antérieure.

[6]        Aucun contre-interrogatoire n’a été effectué relativement à l’un quelconque des affidavits déposés à l’opposition.

IV.   La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[7]        Dans sa décision, l’agent d’audience s’est d’abord penché sur des questions internes et procédurales. Étant donné que celles-ci ne sont pas d’une grande pertinence, je me contenterai de renvoyer à la décision qui se trouve sur le site Web à l’adresse suivante : www.cipo.ic.gc.ca.

[8]        L’agent d’audience a ensuite examiné la question de savoir si le registraire des marques de commerce avait commis une erreur en rejetant la demande interlocutoire de la société 116 Inc. visant à obtenir une radiation et un rejet de la déclaration d’opposition au motif qu’elle ne révélait pas de cause défendable. La société 116 Inc. allègue que le critère énoncé à l’alinéa 30b) [traduction] « exige simplement que le requérant démontre l’emploi en liaison avec la catégorie générale de produits et non avec chaque produit énuméré dans la demande d’enregistrement ». Étant donné qu’il est allégué, dans la déclaration d’opposition, que la société 116 Inc. (le requérant de la marque de commerce) n’avait pas employé la Marque en liaison avec chaque produit énoncé dans la Demande d’enregistrement de MC, la société 116 Inc. a prétendu que Metro n’avait pas convenablement plaidé son seul motif d’opposition. Dans la décision interlocutoire, la Commission des oppositions des marques de commerce a tiré les conclusions suivantes pour le compte du registraire :

[traduction] À mon avis, en l’espèce, la demande vise non seulement les produits d’une catégorie générale, mais aussi des produits particuliers nommés individuellement. À cet égard, le fait que les produits soient séparés par une virgule ou un point virgule ne détermine pas si les produits énoncés appartiennent à une catégorie générale ou à une catégorie distincte. À mon sens, le terme « nommément » figurant dans la demande sert à préciser que des produits distincts suivent l’adverbe. En outre, à ce stade de la procédure, le [sic] à l’opposition, une plaidoirie convenable expose les faits essentiels et non les preuves que la partie se propose de produire pour établir ces faits : voir la décision Pepsico Inc and Pepsi-Cola Canada Ltd c le registraire des marques de commerce (1975), 22 CPR (2d) 62 (CF 1re inst).

Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le motif d’opposition, tel qu’il a été plaidé, révèle l’existence d’une cause défendable relativement à un, à plusieurs ou à tous les produits particuliers énumérés dans la demande. Les éléments de preuve présentés par les parties détermineront si l’opposante réussira à prouver le bien-fondé de sa demande. À cet effet, la Commission, agissant pour le compte du registraire, a compétence pour rendre des décisions partagées : voir la décision Produits Ménagers Coronet Inc. c. Coronet-Werke Heinrich Schlerf GmbH (1986), 10 CPR (3d) 482 (CF 1re inst.). [Non souligné dans l’original.]

[9]        À l’audience relative à l’opposition, l’agent d’audience a refusé de réexaminer la décision interlocutoire, étant donné que le registraire n’avait pas commis d’erreur de droit ou d’appréciation des faits en concluant que « [traduction] “la demande vise non seulement les produits d’une catégorie générale, mais aussi des produits particuliers nommés individuellement” » [décision, au paragraphe 37].

[10]      Quant à la question de savoir si la Demande d’enregistrement de MC satisfaisait aux exigences énoncées à l’alinéa 30b) de la Loi, l’agent d’audience a conclu que le motif d’opposition de Metro fondé sur l’alinéa 30b) avait été exposé de façon suffisamment détaillée dans la déclaration d’opposition pour permettre à la société 116 Inc. d’y répondre et de comprendre la preuve qu’elle devait réfuter. Il a ensuite conclu que l’affidavit Singh était une preuve pertinente et admissible.

[11]      Metro a soutenu que, M. Singh, dans son affidavit, est censé établir l’emploi de la Marque en liaison avec les produits visés par la demande en cause, il est raisonnable de croire que, si la preuve d’emploi de la Marque en liaison avec les produits contestés était accessible, la société 116 Inc. l’aurait produite, car il était dans son intérêt de le faire. Le point de vue de l’agent d’audience est bien résumé dans les passages suivants des paragraphes 65 et 66 de sa décision :

[…] Dans son affidavit, M. Singh ne soutient pas établir l’emploi de la Marque en liaison avec chacun des produits visés par la demande en cause; il ne soutient pas fournir des photos d’une liste exhaustive d’étiquettes ou d’emballages de bonbons ou de collations arborant la Marque.

La preuve produite par M. Singh dans son affidavit n’est pas incohérente. L’affidavit de M. Singh ne met pas en doute, ne remet pas en question ni ne mentionne la date de premier emploi revendiquée de la Marque en liaison avec des [traduction] « biscuits et petits gâteaux ». L’affidavit de M. Singh n’aborde simplement pas l’emploi de la Marque relativement à ces produits en particulier.

[12]      En bref, l’agent d’audience n’a pas été convaincu que l’affidavit de M. Singh constituait une preuve suffisante permettant de conclure que Metro s’était acquittée du fardeau de preuve initial d’établir que la Marque n’avait pas été employée en liaison avec des « biscuits et petits gâteaux » à la date de premier emploi alléguée. Pour ce motif, il a écarté le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b) et a rejeté l’opposition.

V.   Nouveaux éléments de preuve en appel

[13]      Le 10 mars 2016, Metro a déposé la présente demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour en vue d’interjeter appel à l’encontre de la décision. À l’appui du présent appel, Metro a présenté de nouveaux éléments de preuve en application du paragraphe 56(5) de la Loi, sous la forme d’affidavits établis sous serment, que j’analyserai un à un dans les paragraphes qui suivent.

[14]      À l’inverse, la société 116 Inc. n’a présenté aucun nouvel élément de preuve et a refusé de contre-interroger les souscripteurs des affidavits déposés par Metro. Néanmoins, la société 116 Inc. soutient que tous les nouveaux éléments de preuve présentés par Metro sont dénués de toute pertinence, étant donné qu’ils sont postérieurs à la date pertinente selon l’alinéa 30b) de la Loi à l’égard de laquelle les éléments de preuve doivent être examinés, c’est-à-dire la date de production de la demande d’enregistrement de la marque de commerce, en l’espèce le 1er février 2007 (Redsand, Inc. c. Dylex Limited, 1997 CanLII 16698 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 30 à 33).

[15]      Metro a présenté deux décisions rendues par la C.O.M.C. à l’appui de son argument selon lequel un opposant peut utiliser des éléments de preuve postérieurs à la date pertinente pour s’acquitter du fardeau de preuve initial qui lui incombe (Seven-up Canada Co. c. Caribbean Ice Cream Company Ltd., 2007 CanLII 80903 (C.O.M.C.) (Seven-up), à la page 4; Brasstech, Inc. c. Elte Carpets Limited, 2014 COMC 92 (Brasstech), au paragraphe 14). Dans la décision Seven-up, la C.O.M.C. a expliqué que de tels éléments de preuve peuvent être admissibles, car

[...] il est difficile pour un tiers d’établir le non-emploi de la marque d’une autre partie, à une date donnée, surtout lorsqu’il faut remonter plusieurs années en arrière et, pour cette raison, la charge de présentation dans des cas comme celui-ci est plus légère. La requérante a l’occasion de réfuter de telles preuves [...]

[16]      Dans la décision Brasstech, la C.O.M.C. a cité la décision Seven-up et a adopté le raisonnement qui y est exposé. Je conclus que les motifs exposés dans les décisions Seven-up et Brasstech sont cohérents avec la reconnaissance par la Cour du fait que le fardeau de la preuve imposé à un opposant puisse être assez problématique. À cet égard, le juge Rennie a formulé les observations suivantes dans la décision Corporativo DE Marcas GJB, SA DE CV c. Bacardi & Company, 2014 CF 323 (Bacardi), au paragraphe 29 :

[…] Présenter une preuve établissant qu’un concurrent n’emploie pas sa marque de commerce comporte deux aspects problématiques : d’abord, parce que [l’opposant] doit prouver que quelque chose ne s’est pas produit (un exercice difficile en soi) et ensuite, parce qu’une telle preuve risque beaucoup plus de se retrouver entre les mains de la requérante, et non de la partie qui s’oppose à la marque. Il serait difficile pour [l’opposant] de conserver des registres d’absence de ventes (peu importe à quoi ces registres pourraient ressembler) relativement à l’ensemble des produits de sa concurrente.

[17]      La question principale qui se pose au sujet de la preuve du non-emploi postérieur à la date pertinente est la valeur probante d’une telle preuve ou, en d’autres termes, le caractère raisonnable des inférences qu’il convient de tirer d’une telle preuve à l’égard du non-emploi à la date pertinente ou avant cette date. Cela dépendra de nombreux facteurs, notamment le temps écoulé entre la date pertinente et les faits établis par la preuve.

[18]      Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les éléments de preuve présentés par Metro, qui sont postérieurs à la date pertinente, sont admissibles, sous réserve de leur pertinence, des règles d’exclusion et du pouvoir discrétionnaire de la Cour. En effet, la société 116 Inc. soulève des questions de pertinence et, en outre, soutient que certains des nouveaux éléments de preuve n’ont que peu ou pas de valeur probante et qu’ils lui sont préjudiciables.

[19]      Il est maintenant bien établi en droit que la pertinence se rapporte à la question de savoir s’il existe un lien entre la preuve produite et un fait important, qui permet d’inférer l’existence de l’un à raison de l’existence de l’autre (Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709, à la page 731). Autrement dit, la preuve doit tendre à accroître ou diminuer la probabilité de l’existence d’un fait important en litige (R. c. Arp, [1998] 3 R.C.S. 339, à la page 360 [aux paragraphes 37 à 39]). Pour ce qui est du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b), la preuve sera pertinente si elle tend à accroître ou diminuer la possibilité selon laquelle 116 Inc. a employé la Marque à la date pertinente. Je me penche à présent sur les éléments de preuve produits par Metro.

1)    Gina Petrone

[20]      Metro a déposé l’affidavit daté du 5 avril 2016 de Mme Gina Petrone (affidavit de Mme Petrone), une technicienne juridique à l’emploi de l’avocat du Cabinet d’avocats qui représente Metro. L’affidavit de Mme Petrone renferme une liste et des imprimés de l’ensemble des demandes d’enregistrement de marque de commerce, des enregistrements et des renseignements correspondants de la société 116 Inc. tirés du site Web de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC). Metro allègue que, parmi les 27 demandes d’enregistrement et enregistrements de marques de commerce au nom de la société 116 Inc., seule une demande d’enregistrement (la demande no 1711130, déposée le 16 janvier 2015, pour la marque SNACK ATTACK) fait référence aux « biscuits » et « petits gâteaux ». Après avoir examiné l’affidavit de Mme Petrone, la Cour a constaté que l’enregistrement de la marque BRITTLE BITS (LMC 750673) a été faite sur la base de son emploi au Canada depuis au moins le 15 novembre 2006, en liaison avec des « biscuits et petits gâteaux ». La Cour prend également note de la demande n1609443 visant la marque IRRESISTIBLES fondée sur l’emploi depuis au moins le 10 mai 2000, en liaison avec des [traduction] « collations ».

[21]      La société 116 Inc. soutient que l’affidavit de Mme Petrone est non pertinent et non substantiel étant donné qu’il ne fournit pas de preuve d’emploi factuelle pertinente ou d’absence d’emploi par la société 116 Inc. à la date pertinente. Le postulat qui sous-tend l’argument de Metro relatif à l’affidavit de Mme Petrone est que les demandes d’enregistrement et les enregistrements de marque de commerce de la société 116 Inc. sont représentatifs des activités de celle-ci au fil du temps. Selon l’argument de Metro, la Cour pourrait supposer que la société 116 Inc. exerce généralement l’activité de vendre des bonbons et des chocolats, non des « biscuits et petits gâteaux ». L’argument n’est pas très convaincant. Bien que j’admette que la preuve est pertinente, je conclus qu’elle a une faible valeur probante.

2)    Francis Parisien

[22]      Metro a également déposé l’affidavit de M. Francis Parisien (affidavit de M. Parisien), vice-président pour l’Est du Canada à ACNielson Company of Canada (Nielson), souscrit le 31 mars 2016. Nielson exploite et entretient une base de données appelée MarketTrack, au moyen de laquelle elle recueille de manière continue des milliers de données de points de vente obtenues par lecture optique de biens de consommation emballés. Les données de points de vente comprennent le Code universel des produits (CUP), une série unique de numéros qui l’associe à un fabricant et un produit précis. Dans son affidavit, M. Parisien affirme que les codes CUP font partie du système d’identification GS1, qui est largement utilisé au Canada et ailleurs dans le monde pour des biens vendus dans les magasins. MarketTrack ne renferme que des données recueillies à partir de 2010 jusqu’aujourd’hui. Toutefois, l’affidavit de M. Parisien révèle que MarketTrack n’a trouvé aucune vente de « biscuits » ni de « petits gâteaux » liée à la société 116 Inc. depuis 2010.

[23]      La société 116 Inc. soutient que l’affidavit de M. Parisien et les données recueillies par MarketTrack sont non pertinents, étant donné qu’ils sont postérieurs à la date pertinente, qu’ils n’ont pas de valeur probante, qu’ils sont préjudiciables à la société 116 Inc. et qu’ils constituent du ouï-dire. Elle fait en outre valoir qu’il n’existe aucune indication selon laquelle M. Parisien a effectué les travaux de recherche en annexe. Après avoir tranché la question relative à la preuve postérieure à la date pertinente, j’aimerais souligner que le fait que MarketTrack ne recueille que des données à partir de 2010 est une question qui échappe au contrôle de Metro. Si les données concernant les années antérieures à 2010 existaient, la situation aurait pu être bien différente. Il est évident que l’absence d’emploi de la Marque depuis 2010 en liaison avec des « biscuits » et des « petits gâteaux » est pertinente et suffisamment probante. Je ne souscris pas à l’argument selon lequel la preuve est préjudiciable à la société 116 Inc. et je refuse de recourir au pouvoir discrétionnaire dont je dispose pour l’écarter. En outre, l’affidavit de M. Parisien n’ayant pas été contredit, la société 116 Inc. ne peut pas maintenant avancer que M. Parisien n’a pas effectué les travaux de recherche alors qu’elle aurait pu avoir contre-interrogé le souscripteur de l’affidavit, mais qu’elle a refusé de le faire. Je ne souscris pas non plus à l’argument de la société 116 Inc. selon lequel les chiffres de vente provenant de la base de données de Neilson constituent du ouï-dire inadmissible. J’admets que les données provenant de Nielson satisfont à la règle de la meilleure preuve en ce qui concerne les documents électroniques (voir la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, articles 31.1 à 31.8) (Loi sur la preuve au Canada). J’admets en outre que le document est admissible, étant donné qu’il s’agit d’une pièce commerciale établie dans le cours ordinaire des affaires au sens de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada. Enfin, le simple fait que la société 116 Inc. ait présenté la preuve des ventes sous la catégorie générale de [traduction] « bonbons et collations » dans l’affidavit de M. Singh n’a aucune incidence sur l’admissibilité de la preuve de Metro.

3)    Denis Gendron

[24]      Metro a en outre déposé l’affidavit de M. Denis Gendron (affidavit de M. Gendron), qui est le président de United Grocers Inc. (UGI). Dans son affidavit, M. Gendron explique qu’il a personnellement reçu de M. Sam Singh (le souscripteur de l’affidavit de M. Singh) deux catalogues mettant en vedettes les produits de la société 116 Inc. afin qu’il puisse les remettre aux membres d’UGI à des fins commerciales futures. Les catalogues sont intitulés « Product Catalogue 2016 » et « Product Catalogue ».

[25]      La société 116 Inc. soutient que l’affidavit de M. Gendron est non pertinent et qu’il n’aurait eu aucune incidence sur la décision du registraire de la marque de commerce. Je ne puis souscrire à cet argument. Bien que l’affidavit de M. Gendron soit postérieur à la date pertinente, il est néanmoins pertinent. En outre, il est plus probant que l’affidavit de M. Singh, étant donné que la nature d’un catalogue de produits donne à penser qu’il comprend vraisemblablement tous les produits de la société 116 Inc. vendus à la date où le catalogue a été établi.

4)    N. Arthur Smith

[26]      Le dernier élément de preuve de Metro est constitué par l’affidavit de M. N. Arthur Smith (affidavit de M. Smith), le chef de la direction de GS1 Canada Inc. (GS1 Canada). Dans son affidavit, M. Smith affirme que Metro a demandé une liste provenant de la base de données de GS1 Canada de tous les produits et fournisseurs liés soit à One Better Inc. soit aux codes CUP qui comportent deux préfixes de la société (Codes de la société) associés à la société 116 Inc. La recherche a permis de déterminer que S/M Enterprises est la seule entité enregistrée auprès de GS1 Canada qui est associée aux Codes de la société. À partir de cette recherche, on a produit une liste de tous les produits associés aux Codes de la société de juillet 2007 à janvier 2016. La liste ne comporte pas de « biscuits et petits gâteaux ».

[27]      La société 116 Inc. soutient qu’en plus d’être postérieur à la date pertinente, l’affidavit de M. Smith lui est préjudiciable, qu’il n’a pas de valeur probante et qu’il devrait être radié ou qu’on ne devrait lui accorder aucune importance. Je ne puis souscrire à cet argument, essentiellement pour les mêmes raisons exposées à l’égard de l’affidavit de M. Parisien. En outre, je tiens à souligner que la base de données de GS1 Canada ne comportait pas de données remontant à la date pertinente, et Metro n’a commis aucune faute. Si la base de données comportait aussi des données allant de février à juillet 2007, cela aurait pu constituer une indication selon laquelle Metro n’a pas fourni la meilleure preuve qu’elle pouvait obtenir. Toutefois, tel n’est pas le cas en l’espèce.

VI.   Norme de contrôle

[28]      Les appels interjetés au titre de l’article 56 de la Loi sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, à moins que la nouvelle preuve produite en application du paragraphe 56(5) de la Loi n’ait eu une incidence marquée sur la conclusion de fait que le registraire a tirée ou sur le pouvoir discrétionnaire qu’il a exercé, auquel cas le juge de première instance se doit de tirer ses propres conclusions à propos de la justesse de la décision du registraire (Pfizer Products Inc. c. Association canadienne du médicament générique, 2015 CF 493 (Pfizer), au paragraphe 140; Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), au paragraphe 29). Pour avoir une incidence marquée, les nouveaux éléments de preuve doivent être importants et significatifs, et le critère est de nature qualitative, et non quantitative : Pfizer, au paragraphe 140.

[29]      Au vu des nouveaux éléments de preuve de Metro analysés plus tôt, je suis convaincu que ceux-ci auraient eu une incidence marquée sur la décision du registraire. Les nouveaux éléments de preuve ne sont pas une répétition des éléments de preuve initiaux déposés auprès du registraire, mais ils constituent de meilleurs éléments de preuve. Cela ne saurait signifier que les éléments de preuve présentés par Metro sont parfaits, mais je crois qu’ils auraient pu modifier la conclusion que la C.O.M.C. a tirée sur la question de savoir si Metro s’était acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait à l’égard de son motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b). Par conséquent, je dois tirer ma propre conclusion quant à la justesse de la décision du registraire.

[30]      Metro estime que je devrais, toutefois, examiner la décision rendue par la C.O.M.C. au sujet de la demande interlocutoire de la société 116 Inc. visant à obtenir du registraire la radiation et le rejet de la déclaration d’opposition en application de la norme de la décision raisonnable. Dans ses observations, la société 116 Inc. soutient que la décision interlocutoire rendue par le registraire est [traduction] « incorrecte », ce qui, à mes yeux, signifie que la société 116 Inc. appliquerait la norme de la décision correcte. La société 116 Inc. ne cite aucune jurisprudence à l’appui de la norme de contrôle de la décision correcte.

[31]      La Cour a statué de façon constante que la norme de la décision correcte devrait uniquement s’appliquer aux conclusions de fait à l’égard desquelles la preuve additionnelle a une incidence, tandis que les autres questions non liées demeurent assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Worldwide Diamond Trademarks Limited c. Canadian Jewellers Association, 2010 CF 309, [2011] 3 R.C.F. 120, au paragraphe 43, confirmée par 2010 CAF 326, citant Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., 1999 CanLII 8988 (1re inst.). Voir aussi Community Credit Union Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1119, au paragraphe 14).

[32]      J’admets que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Quant aux questions de droit, la présomption veut que l’interprétation qu’un tribunal fait de sa loi constitutive est susceptible de contrôle au regard de la norme de la décision raisonnable. S’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283 (Rogers), au paragraphe 19, le juge Rothstein a conclu que cette présomption peut être réfutée lorsque le législateur a manifesté une intention contraire en conférant une compétence concurrente en première instance à un tribunal administratif et à une cour de justice. Voici la teneur des observations du juge Rothstein :

Je tiens à bien préciser que le régime législatif suivant lequel un tribunal administratif et une cour de justice peuvent trancher une même question de droit en première instance diffère sensiblement des régimes dont l’application donne lieu à la plupart des contrôles judiciaires. Il semble n’y avoir de compétence concurrente en première instance que sous le régime des lois sur la propriété intellectuelle, le législateur ayant conservé la compétence de la cour de justice malgré celle accordée au tribunal administratif. Je ne me prononce cependant pas sur la norme de contrôle à laquelle il convient d’assujettir la décision d’un tribunal administratif rendue en application d’autres lois sur la propriété intellectuelle, car ce n’est pas l’objet du présent pourvoi. Les présents motifs ne sauraient être interprétés comme une rupture d’avec l’arrêt Dunsmuir ou ceux rendus dans sa foulée en ce qui concerne la déférence qui s’impose de prime abord lors du contrôle judiciaire d’une décision sur une question de droit que rend un tribunal administratif en interprétant sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat.

[33]      Dans l’arrêt Rogers, la Cour suprême du Canada a conclu que la Cour d’appel fédérale et la Commission du droit d’auteur avaient compétence concurrente en première instance à l’égard de questions relatives à l’homologation de tarifs concernant les droits de communication. Ainsi, l’interprétation par la Commission du droit d’auteur de sa propre loi constitutive était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[34]      Récemment, le juge Russell, de la Cour fédérale [dans l’arrêt Pfizer], a effectué une analyse semblable à celle qui a été menée dans l’arrêt Dunsmuir[[1]] pour déterminer la norme de contrôle applicable en ce qui a trait à l’interprétation que fait la C.O.M.C. de la Loi sur les marques de commerce, et a tiré la conclusion suivante :

L’examen des facteurs m’amène à conclure que la présomption a été réfutée. La Loi prévoit explicitement la tenue d’un appel devant la Cour fédérale dans le cadre duquel de nouveaux éléments de preuve peuvent être entendus et la Cour est autorisée à exercer les pouvoirs discrétionnaires qui sont conférés au registraire. À mon avis, ces dispositions réfutent toute présomption selon laquelle le législateur s’attendait à ce que la Commission ait plus d’expertise que la Cour fédérale en matière de marques de commerce. De plus, la nature de la question en cause est l’interprétation du « caractère distinctif » de la marque. La Commission a interprété ce facteur en se rapportant à la jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. La Commission n’a pas plus d’expertise que la Cour fédérale pour ce qui est d’interpréter la jurisprudence. Les conclusions en matière de droit de la Commission seront donc contrôlées selon la norme de la décision correcte.

(Pfizer, au paragraphe 149.)

[35]      Je souscris au raisonnement du juge Russell qui précède. La Cour souligne qu’elle a compétence concurrente avec la C.O.M.C. en ce qui concerne l’interprétation de l’alinéa 30b) de la Loi dans le contexte d’appels interjetés au titre de l’article 56 de la Loi. J’examinerai donc selon la norme de la décision correcte les conclusions de droit et l’interprétation de la Loi faite par la C.O.M.C. Toutefois, à moins que je puisse extraire une question de droit manifeste d’une question mixte de fait et de droit, je dois appliquer la norme de la décision raisonnable à une telle question.

VII.  Questions en litige

1.    La décision de la C.O.M.C. de refuser de radier la déclaration d’opposition était-elle raisonnable?

2.    La société 116 Inc. a-t-elle employé la Marque en liaison avec des « biscuits et petits gâteaux » depuis au moins aussi tôt que la date de premier emploi revendiquée ?

3.    La Cour, en exerçant le pouvoir discrétionnaire dont le registraire des marques de commerce est investi, a-t-elle compétence pour rendre une décision « partagée » en application du paragraphe 38(8) de la Loi?

VIII. Analyse

A.   La décision de la C.O.M.C. de refuser de radier la déclaration d’opposition était-elle raisonnable?

[36]      La question de savoir si l’alinéa 30b) de la Loi exige simplement que la société 116 Inc. démontre l’emploi de la Marque en liaison avec la « catégorie générale » de bonbons et collations par opposition à l’emploi en liaison avec des produits particuliers nommés individuellement, à savoir les « biscuits » et « petits gâteaux », est une question mixte de fait et de droit. La conclusion du registraire selon laquelle « la demande vise non seulement les produits d’une catégorie générale, mais aussi des produits particuliers nommés individuellement » est une conclusion mixte de fait et de droit. Elle doit par conséquent être assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

1)    Thèses des parties

[37]      La société 116 Inc. soutient que le critère énoncé à l’alinéa 30b) [traduction] « exige simplement que le requérant démontre l’emploi en liaison avec la catégorie générale de produits et non avec chaque produit énuméré dans la demande d’enregistrement ». Par conséquent, la société 116 Inc. croit qu’elle satisfait à l’exigence relative à l’emploi énoncée à l’alinéa 30b) de la Loi simplement en démontrant l’emploi de la Marque en liaison avec la « catégorie générale » de bonbons et collations, par opposition à l’emploi en liaison avec les produits particuliers, à savoir les « biscuits et petits gâteaux ».

[38]      La société 116 Inc. présente les arguments suivants dans son mémoire des faits et du droit :

a)    L’alinéa 30b) de la Loi est explicite en ce sens que seul l’emploi en liaison avec la catégorie générale de produits et services décrite dans la demande doit être démontré (mémoire des faits et du droit de la défenderesse, au paragraphe 42).

b)    La décision interlocutoire était contraire à la pratique du Bureau des marques de commerce et à ce qui est prévu dans Le manuel d’examen des marques de commerce (Manuel d’examen) de l’OPIC et dans le Manuel des produits et des services (Manuel des produits et des services) de l’OPIC au moment de la décision et ultérieurement. Étant donné que les produits figurant dans l’état déclaratif des produits ne sont pas séparés par un point-virgule (c’est-à-dire, des « bonbons et collations, nommément des bars de friandises, […], biscuits et petits gâteaux »), les produits n’étaient pas censés être présentés individuellement, mais plutôt sous la catégorie générale « bonbons et collations » qui relève de la Classe 30 de la Classification de Nice [instituée par l’Arrangement de Nice (1957), est une classification internationale de produits et de services aux fins de l’enregistrement des marques]. À l’appui de son argument devant l’agent d’audience, la société 116 Inc. a cité la décision rendue par la C.O.M.C., à savoir Pronuptia de Paris c. Pronovias, S.A., 2007 CanLII 80847, [2007] C.O.M.C. n63 (QL) (Pronuptia, citée dans QL) (mémoire des faits et du droit de la défenderesse, aux paragraphes 42 et 43).

c)    La preuve de l’emploi en liaison avec chacun des produits énumérés n’est pas conforme à la Loi qui autorise expressément la modification des demandes d’enregistrement avant et après l’annonce, sous réserve des articles 31 et 32 du Règlement sur les marques de commerce, DORS/96-195 (le Règlement) (mémoire des faits et du droit de la défenderesse, au paragraphe 41).

[39]      Metro soutient que, selon la conclusion du registraire, la Demande d’enregistrement de MC ne visait pas des produits d’une seule catégorie générale (c’est-à-dire, les bonbons et collations), mais des produits particuliers nommés individuellement, à savoir les biscuits et petits gâteaux. Par conséquent, la société 116 Inc. doit démontrer l’emploi pour chaque produit particulier nommé individuellement, y compris l’emploi en liaison avec des biscuits et petits gâteaux. Metro estime en outre que, même si la Demande d’enregistrement de MC visait les catégories générales de produits, la société 116 Inc. devrait toujours démontrer l’emploi de la Marque en liaison avec tous les produits figurant dans la Demande d’enregistrement de MC.

[40]      Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision du registraire est raisonnable.

2)    La conclusion du registraire selon laquelle la Demande d’enregistrement de MC visait des produits particuliers est raisonnable

[41]      Même si l’agent d’audience ne répond pas précisément à chacune des préoccupations de la société 116 Inc. susmentionnées, son refus de modifier la décision interlocutoire du registraire est néanmoins raisonnable. J’examinerai plus loin les motifs de l’agent d’audience et, si cela convient, je les compléterai pour dissiper certaines inquiétudes soulevées par la société 116 Inc. qui n’ont pas été précisément abordées dans les motifs de l’agent d’audience.

a)    Alinéa 30b) : « employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de produits [et] services »

[42]      L’alinéa 30b) de la Loi est ainsi libellé :

Contenu d’une demande

30 Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

[…]

b) dans le cas d’une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande; [Non souligné dans l’original.]

[43]      Je conviens avec la société 116 Inc. que, selon le sens ordinaire de l’alinéa 30b) de la Loi, il semble que le requérant de la marque de commerce ne soit tenu que de produire une demande renfermant la date de premier emploi pour « chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande ». Ce point est aussi corroboré à la section II.7.1 du Manuel d’examen (« Demandes d’enregistrement fondées sur l’emploi d’une marque de commerce au Canada — Paragraphe 16(1), alinéa 30b) »). Ni la décision interlocutoire du registraire ni la décision de l’agent d’audience ne donnent à penser, toutefois, qu’il y a eu une mauvaise interprétation. En effet, l’analyse respective dans les deux décisions a été concentrée sur la question de savoir si la Demande d’enregistrement de MC visait des produits d’une catégorie générale ou des produits particuliers nommés individuellement.

b)           Pratique du Bureau des marques de commerce

[44]      Bien que la décision interlocutoire et la décision de l’agent d’audience n’aient peut-être pas été particulièrement fondées sur le Manuel d’examen et le Manuel des produits et services, je ne souscris pas à l’argument selon lequel la décision interlocutoire était contraire à la pratique habituelle devant le Bureau des marques de commerce. Il convient toutefois de souligner que ces manuels, bien qu’ils soient utiles, n’ont pas valeur de loi, et ne sont pas censés ni ne peuvent l’emporter sur les dispositions de la Loi (Ontario Dental Assistants Association c. Association dentaire canadienne, 2013 CF 266, au paragraphe 24; Wordex Incorporated c. Wordex, [1983] 2 C.F. 570 (1re inst.), à la page 31).

[45]      Premièrement, dans la mesure où la société 116 Inc. estime que les « catégories générales de produits » équivalent aux classes des produits selon le système de classification de Nice, je ne puis souscrire à cet argument, parce qu’il est dénué de tout fondement. Bien qu’il soit aujourd’hui acceptable que des produits et services figurant dans une demande d’enregistrement ou dans l’enregistrement d’une marque de commerce soient groupés et classés selon les classes de la Classification de Nice, il n’existe pas de loi en vigueur qui exige que le propriétaire ou le requérant d’une marque de commerce fasse référence aux classes de la Classification de Nice.

[46]      Deuxièmement, le registraire a raisonnablement établi une distinction d’avec la décision Pronuptia, rendue par la C.O.M.C., en concluant qu’il n’avait pas abordé la question de savoir si des produits particuliers nommés individuellement, séparés par des virgules après le terme « nommément » dans un état déclaratif des produits, font partie d’une catégorie générale de produits. En effet, le membre Carrière a conclu, dans la décision Pronuptia, qu’en utilisant un point-virgule pour séparer un produit des autres produits figurant dans une demande, la requérante avait clairement indiqué qu’elle considérait les autres produits comme une catégorie générale distincte de produits.

[47]      Troisièmement, la décision du registraire et la décision Pronuptia sont toutes les deux conformes à la pratique du Bureau des marques de commerce. La section II.5.4.2 (« Contexte des produits et services ») du Manuel d’examen explique que « le contexte de l’énoncé des produits et services peut servir à préciser une description qui autrement serait inacceptable ». Dans le Manuel d’examen, on donne l’exemple suivant :

Par exemple, « étuis » seul n’est pas acceptable, car il peut s’appliquer à n’importe quel type d’étui, des étuis d’appareils photo aux étuis à lunettes. Cependant, si la demande porte sur les « appareils photo, trépieds et étuis », le terme « étuis » est acceptable, car il est évident d’après le contexte qu’il s’agit d’étuis d’appareils photo.

De même, le service « livraison » seul ne serait acceptable, car il pourrait s’agir de n’importe quel type de services de livraison, de la livraison de fleurs à la livraison de meubles.

[48]      Les « bonbons et collations » sont des termes génériques qui tirent leur sens du contexte de la demande, et les collations signifient généralement de petites quantités d’aliments ou de boissons consommées entre les repas. Comme l’a souligné Metro lors de l’audience, il n’est pas rare que des marques de commerce identiques coexistent dans l’industrie alimentaire lorsqu’elles se rapportent à des produits intrinsèquement différents (voir par exemple, Edelweiss Food Products Inc. v. World’s Finest Chocolate Canada Ltd. (2000), 5 C.P.R. (4th) 256 (C.O.M.C.) (viande et chocolat)). Voir aussi Clorox Co. c. Sears Canada Inc., [1992] 2 C.F. 579 (1re inst.), confirmée par [1993] A.C.F. no 508 (QL) (C.A.) (gâteaux aux fruits et sauce barbecue)). Par conséquent, la conclusion du registraire [au paragraphe 37 de sa décision] selon laquelle « [traduction] “la demande vise non seulement les produits d’une catégorie générale, mais aussi des produits particuliers nommés individuellement” » est à mon avis manifestement raisonnable, étant donné que les termes « bonbons et collations », en soi, n’auraient vraisemblablement pas constitué une catégorie de produits acceptable en l’absence de plus amples précisions. Comme le précise le Manuel d’examen [section II.5.4.4], « [o]n peut préciser davantage des produits ou des services inacceptables en énumérant des termes précis précédés de “notamment”, “spécifiquement”, “à savoir”, ou “consistant en”», ce que la société 116 Inc. semble avoir fait dans la Demande de MC pour préciser davantage les termes « bonbons et collations ». Une conclusion contraire permettrait par ailleurs à la société 116 Inc. d’obtenir un monopole de marque de commerce sur la Marque qui échappe à la portée de la protection nécessaire pour éviter que le public ne soit confus.

[49]      La section II.5.4.2 du Manuel d’examen fait également ressortir ce qui suit :

[…] Les produits ou les services qui sont séparés par un point-virgule (;) sont généralement considérés comme des services distincts les uns des autres et doivent rencontrer les exigences de l’alinéa 30a) de la Loi sur les marques de commerce sans égard aux autres produits ou services listés.

[50]      La note ci-dessus n’est qu’une exception à la règle générale : une description de produits par ailleurs inacceptable peut être acceptable si les produits énumérés avant ou après elle serve à qualifier le produit, c’est-à-dire que les produits qui sont séparés par un point-virgule ne sont pas généralement considérés comme se qualifiant les uns les autres.

[51]      Par conséquent, ni la décision Pronuptia ni la note se rapportant au point-virgule à la section II.5.4.2 du Manuel d’examen ne traitent de la question de savoir si des produits particuliers nommés individuellement séparés par une virgule après le terme « nommément » dans un état déclaratif de produits font partie d’une catégorie générale de produits.

[52]      Le registraire a invoqué les décisions MAPA GmbH c. 2956-2691 Québec Inc., 2013 COMC 22 (MAPA) et Sky Solar Holdings Co., Ltd. c. Skypower Global, 2014 COMC 262 (Sky Solar) rendues par la C.O.M.C. à titre d’exemple où la C.O.M.C. a « conclu que la date de premier emploi revendiquée n’avait pas été corroborée par un requérant pour certains produits ou services visés par la demande et contenus dans un état déclaratif de produits ou des services semblant s’inscrire dans la même catégorie générale, nonobstant le fait que l’emploi a été démontré pour d’autres produits et services d’un état déclaratif qui comprend le terme “nommément” » [décision, au paragraphe 40].

c)    Les modifications postérieures à l’annonce ne sont pas pertinentes

[53]      La Cour convient que la Loi autorise un requérant à modifier sa demande d’enregistrement de marque de commerce avant ou après l’annonce, sous réserve des articles 31 et 32 du Règlement. Toutefois, la Cour ne voit pas en quoi cet argument est utile à la société 116 Inc.

d)    Conclusion

[54]      Compte tenu de ce qui précède, la décision du registraire était raisonnable. Même si j’avais appliqué la norme de la décision raisonnable, je serais arrivé à la même conclusion que l’agent d’audience. À supposer que la Demande d’enregistrement de MC avait visé la catégorie générale de « bonbons et collations », il aurait tout de même été nécessaire que la société 116 Inc. démontre, pour les motifs qui suivent, l’emploi de la Marque en liaison avec chacun des produits énumérés dans la Demande d’enregistrement de MC.

3)    Aux termes de l’alinéa 30b) la marque de commerce doit avoir été employée en liaison avec les produits et services décrits dans la demande

[55]      Metro a fait valoir que, bien qu’aux termes de l’alinéa 30b) de la Loi un requérant ne soit pas tenu de fournir une date de premier emploi pour chaque produit ou service spécifique décrit dans une demande de marque de commerce pour satisfaire à l’exigence prévue à l’alinéa 30b) de la Loi, chaque produit ou service énuméré dans la demande doit néanmoins avoir été employé. Étant donné qu’il s’agit d’une question d’interprétation législative, il est maintenant bien établi en droit que « [l]a méthode moderne d’interprétation législative exige que nous examinions les termes “d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur” » (Société Radio-Canada c. SODRA 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615, au paragraphe 48, citant Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2éd. (Toronto : Butterworths, 1983), à la page 87, méthode approuvée et adoptée dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21).

a)    Le libellé de l’alinéa 30b) de la Loi

[56]      L’alinéa 30b) de la Loi révèle deux exigences : 1) la demande d’enregistrement de marque de commerce doit porter sur une marque de commerce qui a été employée au Canada; 2) la demande doit renfermer la date de premier emploi pour chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande. Ces exigences ressortent clairement du sens ordinaire de l’alinéa 30b) :

Contenu d’une demande

30 Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

[…]

b) dans le cas d’une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande; [Non souligné dans l’original.]

[57]      Il ressort manifestement de la Loi que seule la date de premier emploi de la Marque en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services doit être fournie, c’est-à-dire la deuxième exigence. Toutefois, une ambiguïté demeure quant à la première exigence : la première exigence de la Loi selon laquelle la demande doit être fondée sur un emploi de la marque de commerce au Canada laisse-t-elle supposer que tous les produits figurant dans la demande doivent avoir été employés à la date pertinente? Pour les motifs qui suivent, la Cour doit répondre à cette question par l’affirmative.

b)           Le contexte de la Loi

[58]      L’article 30 de la Loi énonce de manière générale les renseignements que doit comprendre une demande d’enregistrement de marque de commerce. Le non-respect de l’article 30 est à la fois un motif d’opposition et un motif de rejet d’une demande d’enregistrement par l’examinateur initial. Lorsqu’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce est produite au Canada, il existe de nombreux motifs sur lesquels elle peut être fondée, à savoir : 1) un emploi antérieur de la marque de commerce au Canada; 2) une révélation antérieure de la marque de commerce au Canada; 3) l’enregistrement (ou une demande d’enregistrement) de la marque de commerce dans un pays de l’Union et 4) un emploi projeté de la marque de commerce au Canada. Ces motifs d’enregistrement ressortent des alinéas 30b), c), d) et e) de la Loi, qui sont ainsi libellés :

Contenu d’une demande

30 Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

[…]

b) dans le cas d’une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande;

c) dans le cas d’une marque de commerce qui n’a pas été employée au Canada mais qui est révélée au Canada, le nom d’un pays de l’Union dans lequel elle a été employée par le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, et la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs l’ont fait connaître au Canada en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande, ainsi que la manière dont ils l’ont révélée;

d) dans le cas d’une marque de commerce qui est, dans un autre pays de l’Union, ou pour un autre pays de l’Union, l’objet, de la part du requérant ou de son prédécesseur en titre désigné, d’un enregistrement ou d’une demande d’enregistrement sur quoi le requérant fonde son droit à l’enregistrement, les détails de cette demande ou de cet enregistrement et, si la marque n’a été ni employée ni révélée au Canada, le nom d’un pays où le requérant ou son prédécesseur en titre désigné, le cas échéant, l’a employée en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande;

e) dans le cas d’une marque de commerce projetée, une déclaration portant que le requérant a l’intention de l’employer, au Canada, lui-même ou par l’entremise d’un licencié, ou lui-même et par l’entremise d’un licencié; [Non souligné dans l’original.]

[59]      Si la société 116 Inc. devait être autorisée à enregistrer la Marque en liaison avec une catégorie générale, sans égard à la question de savoir si elle a employé la Marque en liaison avec tous les produits énumérés dans la catégorie générale, il en découlerait un résultat absurde : la société 116 Inc. recevrait en fait un certificat d’enregistrement de la Marque fondé sur un emploi antérieur sans qu’elle ait réellement employé la Marque en liaison avec certains des produits énumérés. Ainsi, la société 116 Inc. éviterait d’avoir à produire une déclaration d’emploi (paragraphe 40(2) de la Loi) pour ces produits particuliers, car elle aurait été tenue de le faire si elle avait demandé l’enregistrement de la Marque sur le fondement d’un emploi projeté.

[60]      La loi ne peut pas raisonnablement être interprétée dans un sens qui permettrait à la société 116 Inc. de contourner l’exigence fondamentale relative à l’emploi. En l’absence d’emploi, les droits liés à une marque de commerce n’existent pas. La société 116 Inc. ne peut pas utiliser l’alinéa 30b) de la Loi dans un sens qui pourrait permettre de contrecarrer la logique sous-jacente aux fondements du régime d’enregistrement des marques de commerce.

c)    Conclusion

[61]      La Cour est d’avis que, bien que l’alinéa 30b) de la Loi exige simplement qu’une date de premier emploi soit fournie en ce qui concerne chacune des catégories générales de produits ou services, la marque de commerce visée par la demande doit néanmoins avoir été employée en liaison avec chacun des produits ou services spécifiques décrits dans la catégorie générale avant la date de production de la demande du requérant. Toutefois, la date de premier emploi en ce qui concerne chacun des produits spécifiques figurant dans la catégorie générale peut varier. Ce point est conforme au raisonnement tenu par la C.O.M.C. dans la décision Parfums Christian Dior v. Lander Co. Canada Ltd. (2000), 6 C.P.R. (4th) 257, à la page 266, où elle a formulé les observations suivantes :

[traduction] […] Cependant, puisque le requérant a fait valoir que sa marque a été employée en liaison avec la catégorie générale de marchandises, la marque de commerce FASCINATION doit avoir été employée, en liaison avec chacune des marchandises décrites dans la catégorie générale, avant la date de la production de la requérante même si les dates de premier emploi à l’égard de chacune des marchandises décrites dans la catégorie générale peuvent varier [voir à cet égard, McCarthy Tétrault c. Hilary’s Distribution Ltd., 67 C.P.R. (3d) 279, à la page 284]. De plus, comme cela a été mentionné précédemment, il faut également que cet emploi de la marque de commerce FASCINATION en liaison avec chacune des marchandises décrites dans la catégorie générale ait été un « emploi » dans le cours normal du commerce. [Non souligné dans l’original.]

B.        La société 116 Inc. a-t-elle employé la Marque en liaison avec les « biscuits et petits gâteaux » depuis au moins la date de premier emploi revendiquée?

1)    Fardeau de la preuve

[62]      Il existe deux fardeaux de preuve distincts dont il faut tenir compte.

[63]      Premièrement, il incombe à Metro (opposante) de présenter une preuve (souvent appelée le fardeau de production ou de présentation) admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui du motif d’opposition. Pour les motifs exposés par le juge Rennie dans la décision Bacardi, au paragraphe 29 (citée dans la présente décision, au paragraphe 15), je souscris à l’argument de Metro selon lequel le fardeau de preuve initial n’est pas très lourd (Bacardi, au paragraphe 30; Distrimedic Inc. c. Richards Packaging Inc., 2012 COMC 199, au paragraphe 25. Voir aussi John Labatt Ltd. v. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), (John Labatt), à la page 299).

[64]      Deuxièmement, lorsqu’il a été satisfait au fardeau de preuve initial, la charge ultime (souvent appelée le fardeau de persuasion) incombe à la société 116 Inc. d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande d’enregistrement de marque de commerce respecte les exigences de la Loi (MAPA, au paragraphe 7; John Labatt, aux pages 299 et 300; Christian Dior. S.A. c. Dion Neckwear Ltd., 2002 CAF 29, [2002] 3 C.F. 405). L’imposition d’un tel fardeau de preuve signifie que si, après la production de la totalité de la preuve, on ne peut pas tirer une conclusion donnée sur cette question, celle-ci doit être tranchée à l’encontre de la société 116 Inc. (John Labatt, à la page 300).

2)    L’alinéa 30b) de la Loi

[65]      Je conclus que les nouveaux éléments de preuve présentés par Metro en appel sont suffisants pour satisfaire à son fardeau de preuve initial. En gardant à l’esprit les observations formulées par le juge Rennie dans la décision Bacardi concernant les problèmes liés à un tel fardeau de preuve, je ne suis pas seulement convaincu que Metro a déployé des efforts importants pour accumuler les meilleurs éléments de preuve possibles, mais aussi que les nouveaux éléments de preuve qu’elle a produits peuvent raisonnablement mener à la conclusion selon laquelle, à la date pertinente, la société 116 Inc. n’avait pas employé la Marque.

[66]      Le fardeau de la preuve incombe par conséquent à la société 116 Inc., qui doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a employé la Marque à la date pertinente. Étant donné que la société 116 Inc. n’a présenté aucun élément de preuve établissant l’emploi de la Marque, elle ne m’a pas convaincu qu’elle a employé la Marque depuis déjà au moins août 2001, ni à aucun autre moment par la suite.

3)    Allégations de la défenderesse selon lesquelles la demande de l’opposante est frivole et vexatoire

[67]      La société 116 Inc. allègue que l’opposition de Metro, et l’appel subséquent portant sur la Demande d’enregistrement de MC, est frivole et vexatoire. Compte tenu des conclusions que j’ai tirées précédemment, cette accusation est sans fondement.

[68]      La société 116 Inc. allègue aussi que Metro a posé un certain de nombre d’actes répréhensibles relativement aux droits qu’elle aurait sur la marque de commerce IRRESISTIBLES, notamment en s’appropriant de façon illicite la Marque de la société 116 Inc., en créant de la confusion inverse, en agissant de mauvaise foi et en induisant en erreur le registraire, la C.O.M.C. et les tribunaux. En se comparant à David (dans le mythe de David contre Goliath), la société 116 Inc. soutient que Metro (Goliath) a utilisé sa position dominante sur le marché pour contrecarrer ses droits légitimes acquis en matière de marque de commerce.

[69]      Au-delà du fait que ces accusations sont sans fondement, les questions soulevées sont totalement étrangères au présent appel interjeté à l’encontre de la décision de la C.O.M.C. qui porte sur le droit de la société 116 Inc. d’enregistrer la Marque. Metro s’est opposée à l’enregistrement de la Marque en raison du non-respect de l’alinéa 30b) de la Loi, ce qui n’a aucunement trait à un quelconque emploi de quelque marque que ce soit par Metro. Si la société 116 Inc. prétend avoir des droits sur la Marque en liaison avec des « biscuits et petits gâteaux », elle aurait dû produire des éléments de preuve pour étayer sa prétention. Elle a choisi de ne pas le faire, et elle doit maintenant assumer les conséquences de son choix.

C.        La Cour, en exerçant le pouvoir discrétionnaire dont le registraire des marques de commerce est investi, a-t-elle compétence pour rendre une décision « partagée » en application du paragraphe 38(8) de la Loi?

1)    Contexte

[70]      En dépit d’une quasi-absence d’observations écrites sur l’affaire, la question de compétence du registraire pour rendre des décisions « partagées » devient une question litigieuse entre les parties à l’audience. Dans le contexte d’une opposition, une décision partagée est généralement considérée comme donnant lieu à une acceptation de la demande à l’égard de certains produits et/ou services et à un rejet à l’égard d’autres (SanDisk Corporation c. UC Mobile Co., 2016 COMC 148 (SanDisk), au paragraphe 58). En appel devant la Cour, Metro a soutenu que la Demande d’enregistrement de MC devrait être rejetée seulement dans la mesure où les « biscuits et petits gâteaux » sont concernés, citant la décision Produits Ménagers Coronet Inc. c. Coronet-Werke Heinrich Schlerf GmbH, [1986] A.C.F. no 468 (QL) (1re inst.) (Coronet) comme faisant autorité en ce qui a trait à la compétence du registraire qui lui est conférée par le paragraphe 38(8) de la Loi pour rendre une telle décision partagée. À l’inverse, la société 116 Inc. a soutenu que le registraire, et par conséquent la Cour, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont le registraire est investi en appel, ne dispose pas d’une telle compétence.

[71]      La Cour tient à souligner qu’il est particulièrement étrange qu’un requérant d’une marque de commerce soutienne, à l’instar de la société 116 Inc., qu’[traduction] « après avoir examiné les éléments de preuve et les arguments, le registraire a l’obligation concrète de faire l’une des deux choses qui s’excluent mutuellement : rejeter la demande dans son intégralité ou rejeter l’opposition dans son intégralité ». Cette thèse est le plus souvent invoquée par des opposants, parce qu’un tel argument donne lieu à la conclusion logique selon laquelle, si un motif d’opposition est couronné de succès à l’égard d’un produit ou d’un service, la seule décision que le registraire peut rendre est de rejeter entièrement la demande d’enregistrement de la marque de commerce. C’est la thèse que l’opposante a soutenue dans la décision Coronet. En l’espèce, comme la Cour a conclu que, selon l’alinéa 30b) de la Loi, la société 116 Inc. devait avoir employé la marque en liaison avec tous ses produits spécifiques, à savoir les « biscuits et petits gâteaux », elle doit décider si la Demande d’enregistrement de MC de la société 116 Inc. doit être entièrement rejetée. Assez curieusement, c’est Metro qui soutient que la Cour devrait accueillir en partie la Demande d’enregistrement de MC de la société 116 Inc.

[72]      La C.O.M.C. a rejeté l’opposition dans son intégralité, et n’avait donc pas besoin d’examiner la question de savoir si elle pouvait rendre une décision partagée. Toutefois, étant donné qu’elle a conclu que la société 116 Inc. n’a pas réussi à établir l’emploi de la Marque en liaison avec des « biscuits et petits gâteaux », la Cour doit maintenant trancher la question de savoir si elle peut rejeter la Demande d’enregistrement de MC en partie ou en totalité. La Cour fédérale étant un tribunal créé par la loi et n’ayant pas de compétence inhérente, elle est tenue elle-même d’examiner la question de sa compétence même si elle n’a pas été soulevée ni adéquatement posée par les parties (Chavali c. Canada, 2001 CFPI 268, au paragraphe 6, confirmée par 2002 CAF 209; Ratt c. Matchewan, 2010 CF 160, au paragraphe 96, sub nom. Les Aînés de Mitchikinabikok Inik (Algonquins de Lac-Barrière) c. Le Conseil coutumier des Algonquins de Lac-Barrière, 2010 CarswellNat 313 (WLNext Can); Devil’s Gap Cottagers (1982) Ltd. c. Bande de Rat Portage No. 38B, 2008 CF 812, [2009] 2 R.C.F. 267, au paragraphe 26). Par conséquent, la Cour a enjoint aux parties de fournir des observations écrites supplémentaires et plus complètes sur cette question précise.

2)    Courtoisie judiciaire

[73]      La question de savoir si le registraire a compétence pour rendre des décisions partagées est une question de droit à laquelle la Cour semble avoir répondu dans la décision Coronet. Pendant plus de 30 ans, la C.O.M.C. s’est, de manière constante, fondée sur cette décision à titre de décision faisant autorité pour rendre des « décisions partagées » dans plus de 100 affaires (voir, p. ex., Sky Solar, au paragraphe 70; SanDisk, aux paragraphes 58 à 61; Spin Master Ltd. c. George & Company, LLC, 2015 COMC 159, au paragraphe 96).

[74]      Par courtoisie judiciaire, il semblerait que je doive suivre la décision Coronet. Comme la juge Mactavish l’a souligné à juste titre dans la décision Haqi c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1246, [2015] 3 R.C.F. 612, au paragraphe 48 :

Selon le principe de l’autorité de la chose jugée, les juges d’une cour de justice ne sont pas liés par les décisions des membres de cette même cour de justice. Toutefois, selon le principe de la courtoisie judiciaire, les juges doivent se conformer aux décisions de leurs collègues portant sur l’interprétation de dispositions législatives, sauf s’il existe une bonne raison de s’écarter d’une décision antérieure.

[75]      Comme l’a souligné la Cour d’appel [fédérale] dans l’arrêt Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2012 CAF 308, au paragraphe 48 :

[…] en général, un juge ne doit pas écarter les conclusions de droit tirées par un autre juge de la Cour fédérale, à moins d’être convaincu qu’il est nécessaire de le faire et de pouvoir faire état de motifs convaincants à l’appui. Si ce critère est appliqué, les divergences entre les décisions devraient être rares.

[76]      Toutefois, je souscris à l’argument de la société 116 Inc. selon lequel on ne semble avoir jamais effectué dans une décision une analyse textuelle, contextuelle ou téléologique du paragraphe 38(8) de la Loi pour trancher la question de savoir s’il confère au registraire la compétence pour rendre des décisions partagées. Cet argument, à mon avis, constitue un motif suffisant pour justifier que l’on réexamine la question et que l’on décide s’il existe une bonne raison de s’écarter de la décision Coronet.

3)    Analyse

[77]      La question de savoir si le paragraphe 38(8) de la Loi autorise le registraire à rendre des décisions partagées est une question d’interprétation législative. La méthode moderne, comme nous l’avons vu précédemment, exige que j’examine les termes de la Loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur.

a)    Le libellé du paragraphe 38(8) est ambigu

[78]      Le paragraphe 38(8) de la Loi, dont certains passages sont soulignés, est ainsi libellé :

38 […]

Décision

(8) Après avoir examiné la preuve et les observations des parties, le registraire repousse la demande ou rejette l’opposition et notifie aux parties sa décision ainsi que ses motifs. [Non souligné dans l’original.]

[79]      Selon la société 116 Inc., après avoir examiné la question selon le paragraphe 38(8) de la Loi, [traduction] « le registraire a l’obligation concrète de faire l’une des deux choses qui s’excluent mutuellement : refouler la demande dans son intégralité ou rejeter l’opposition dans son intégralité » (non souligné dans l’original). Cet argument démontre que, pour que la disposition ne soit pas ambiguë, comme l’a fait valoir la société 116 Inc., il faut des termes supplémentaires qui laissent entendre que l’« intégralité » du résultat est exigée. Ces termes ne se trouvent pas dans la disposition, tout comme les termes « en partie » n’y figurent pas non plus pour autoriser expressément le registraire à rendre une décision qui ne refoule que partiellement la demande.

b)    Le contexte de la Loi n’est pas particulièrement utile

[80]      La société 116 Inc. soutient que la Loi renferme des dispositions expresses qui autorisent le registraire à rendre des décisions partagées dans d’autres contextes (elle cite les articles 45 et 48 de la Loi). Par exemple, l’article 45 de la Loi autorise expressément la radiation ou la modification des enregistrements. Toutefois, compte tenu du fait que les radiations fondées sur l’article 45 ont lieu après l’enregistrement d’une marque, cette disposition n’est pas vraiment utile pour interpréter le paragraphe 38(8). On peut en dire autant de l’article 48. Le contexte de la Loi n’est pas par conséquent particulièrement utile et il est évincé par l’objet actuel de la Loi, qui est de parvenir à un équilibre entre la libre concurrence et la juste concurrence, comme nous le verrons dans les lignes qui suivent.

c)    La Loi a notamment pour objectif d’assurer l’équilibre entre la libre concurrence et la juste concurrence

[81]      La Loi sur la concurrence déloyale, S.R.C. 1952, ch. 274, qui a précédé la Loi sur les marques de commerce actuelle, avait pour but d’« assurer un certain ordre dans le commerce et consacrer ou organiser, par voie législative, les droits, obligations et privilèges que connaissaient en common law les détenteurs de propriété intellectuelle. Cette Loi a pour objet de promouvoir et de réglementer l’utilisation licite des marques de commerce » (McCabe c. Yamamoto & Co (America) Inc., [1989] 3 C.F. 290 (1re inst.), à la page 298 [1989 CarswellNat 639 (WLNext Can), au paragraphe 29]).

[82]      Bien que la Loi actuelle ne comporte pas de clause qui définit l’objet, l’on peut raisonnablement dire que la Loi doit être interprétée comme ayant pour objet de continuer la politique et le but poursuivis par celle qui la précède (McCabe c. Yamamoto & Co (America) Inc., au paragraphe 29). Ce raisonnement correspond à celui de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, au paragraphe 21, où elle a fait observer que « [l]e droit des marques de commerce repose sur les principes de l’équité dans les activités commerciales. On dit parfois qu’il sert à maintenir l’équilibre entre la libre concurrence et la juste concurrence » (non souligné dans l’original).

[83]      Grâce à la compétence pour rendre des décisions partagées, le registraire peut maintenir un équilibre approprié entre la libre concurrence et la juste concurrence. Le rejet d’une opposition dans son intégralité, sans égard à la question de savoir si l’objection était justifiée pour certains produits ou services, serait injuste à l’égard de l’opposant. À l’inverse, le refoulement de la demande, sans égard à la question de savoir si certains produits ou services liés à la marque de commerce devraient être enregistrables, serait injuste à l’égard du requérant. L’un ou l’autre cas de figure ne répond pas adéquatement à l’intérêt public, étant donné que le premier favorise une concurrence déloyale et que le dernier entrave la libre concurrence.

[84]      L’objet de la Loi milite donc en faveur d’une interprétation du paragraphe 38(8) de la Loi qui permet au registraire ou à la Cour de rendre des décisions partagées. L’équilibre approprié entre la libre concurrence et la juste concurrence ne peut être atteint que grâce à une telle interprétation.

d)           Les modifications apportées par le projet de loi C-31 n’indiquent pas l’intention du législateur

[85]      Le législateur a adopté des modifications apportées à la Loi au moyen du projet de loi C-31 [Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2014, L.C. 2014, ch. 20] qui ne sont pas encore en vigueur. Le paragraphe 38(8) de la Loi sera notamment remplacé par le paragraphe 38(12) proposé, qui est ainsi libellé :

38 […]

Décision

(12) Après avoir examiné la preuve et les observations des parties, le registraire rejette la demande, rejette l’opposition ou rejette la demande à l’égard de l’un ou plusieurs des produits ou services spécifiés dans celle-ci et rejette l’opposition à l’égard des autres. Il notifie aux parties sa décision motivée. [Non souligné dans l’original.]

[86]      La société 116 Inc. soutient que le paragraphe 38(12) proposé donne à penser que le législateur a voulu accorder au registraire un pouvoir qu’il n’a pas, c’est-à-dire la compétence pour rendre des décisions partagées. À l’inverse, Metro avance que le législateur, en adoptant le paragraphe 38(12), a voulu confirmer la compétence pour rendre une décision partagée, et a confirmé ainsi le statu quo quant aux décisions partagées qui ont été rendues pendant plus de 30 ans dans plus de 100 affaires. La Cour estime que les modifications apportées à la Loi par le projet de loi C-31, qui ne sont pas encore en vigueur, n’appuient ni la thèse selon laquelle le registraire a actuellement compétence pour rendre une « décision partagée » ni celle selon laquelle il l’avait. Ce raisonnement post hoc n’est utile que s’il est étayé par d’autres éléments de preuve quant à l’intention du législateur lorsqu’il a adopté les modifications apportées au texte de la Loi. Les parties n’ont pas apporté une telle preuve, et la Cour est convaincue qu’elle aurait été produite si elle existait.

e)    Des raisons de principe appuient la thèse de la compétence du registraire pour rendre des décisions partagées

[87]      Il existe des raisons de principe impérieuses qui appuient la thèse de la compétence du registraire pour rendre des décisions partagées. Premièrement, il est déraisonnable et inéquitable qu’une opposition ayant été partiellement accueillie donne lieu à un refoulement total de l’ensemble de la demande. Deuxièmement, les décisions partagées permettent d’éviter l’effet pervers qui consiste à encourager des pratiques inefficaces.

(i)    Il est déraisonnable et inéquitable qu’une opposition ayant été partiellement admise donne lieu à un refoulement total de l’ensemble de la demande

[88]      Le libellé pertinent du paragraphe 38(8) indique que le « registraire repousse la demande ou rejette l’opposition » [je souligne]. 116 Inc. soutient que de refuser la demande ou de rejeter l’opposition représente deux résultats mutuellement exclusifs, avec lesquels il n’y a pas de désaccord, mais que l’un ou l’autre doit être fait dans son « entièreté », ce qui est une interprétation déraisonnable et injuste de la disposition.

[89]      Le libellé de l’alinéa 38(8) prévoit que le registraire soit repousse la demande, soit rejette l’opposition. En d’autres termes, deux résultats possibles s’offrent au registraire face à cette situation. Ces deux résultats s’excluent mutuellement et chacun a la même teneur que l’autre. Ils sont équivalents. 

[90]      La résiliation de la demande résultant d’une décision qui s’étend seulement à accepter ou rejeter la procédure d’opposition est un résultat qui n’est pas logiquement ni raisonnablement lié à la décision. Cet argument revient à dire que le choix d’un verre d’eau apporte la même valeur que celui d’un bol de soupe dans le choix de nourriture. Il n’existe aucune connexion rationnelle entre la décision d’opposition de la marque déposée concernant des marchandises spécifiques et son effet sur les marchandises non pertinentes à la décision. Le choix « soit/ou » n’a aucun sens s’il est lu littéralement tel que 116 Inc. soutient. Compte tenu de l’objet de la Loi, comme cela est énoncé ci-dessus, le paragraphe 38(8) devrait être interprété comme permettant que des décisions partagées puissent être rendues. Une conclusion contraire serait déraisonnable et inéquitable à l’égard du requérant.

(ii)   Les décisions partagées permettent d’éviter l’effet pervers qui consiste à encourager des pratiques inefficaces et répondent ainsi à un des objectifs de la Loi

[91]      Le manque de connexion logique entre la décision et l’ampleur du préjudice qui découle du fait de rayer la demande en appliquant littéralement le paragraphe 38(8) pour « repousse[r] la demande » mène à une injustice pour le demandeur. En ce qui concerne la politique, et en gardant à l’esprit l’objet de la loi, le paragraphe 38(8) ne devrait pas être interprété en ne prévoyant pas l’émission de décisions partagées. En conclure autrement serait déraisonnable et injuste pour le demandeur.

[92]      On peut présumer que le législateur voulait que le processus d’enregistrement des marques de commerce soit le plus efficient possible. Je conviens avec Metro que le refus de reconnaître au registraire la compétence pour rendre des décisions partagées aurait pour l’effet pervers d’encourager des pratiques inefficaces.

[93]      Si la demande d’enregistrement d’une marque de commerce est refoulée, les requérants devraient reprendre tout le processus, et la demande d’enregistrement d’une marque de commerce comporterait un état déclaratif des produits ou services plus restreint. Finalement, si les décisions partagées n’étaient pas autorisées, les requérants d’enregistrement de marque de commerce seraient vraisemblablement amenés à produire plusieurs demandes d’enregistrement de marque de commerce au lieu d’une seule; ils éviteraient ainsi le risque qu’une demande entière ne soit refoulée en raison du fait que la marque visée par la demande ne serait pas enregistrable à l’égard d’un seul produit ou service figurant dans la demande. Il en résulterait des coûts plus élevés pour les requérants d’enregistrement de marque de commerce et pour le Bureau des marques de commerce, étant donné qu’il y aurait une multiplication du nombre de procédures de demandes et d’oppositions en matière de marque de commerce, en plus des retards et des frais inutiles que les requérants seraient obligés de subir.

f)     La décision Coronet était bien fondée et ne peut pas faire l’objet d’une distinction

[94]      À titre d’argument subsidiaire, la société 116 Inc. soutient qu’il est possible d’établir une distinction entre la décision Coronet et l’espèce, compte tenu du fait que les motifs d’opposition étaient différents et qu’ils ne comprenaient pas un motif d’opposition fondé sur l’article 30. La distinction que la société 116 Inc. établit entre l’espèce et la décision Coronet donne à penser que les décisions partagées ne relèvent de la compétence du registraire qu’en ce qui a trait à certains motifs d’opposition. Je ne puis souscrire à cet argument. Le paragraphe 38(8) de la Loi n’établit pas une telle distinction et s’applique à toutes les oppositions, sans égard au motif d’opposition soulevé.

[95]      L’objet de la Loi ainsi que les considérations de principe dont il est question ci-dessus sont pertinents quant à toutes les procédures d’opposition, peu importe le motif d’opposition allégué. Le refus de reconnaître la compétence du registraire pour rendre des décisions partagées serait dans tous ces cas déraisonnable, et donnerait lieu à une issue inéquitable à l’égard du requérant.

[96]      Les considérations susmentionnées étaient indéniablement les motifs sous-jacents qui étaient au cœur de la conclusion tirée par le juge Teitelbaum dans la décision Coronet, à savoir que le registraire a compétence pour rendre des décisions partagées. Par conséquent, je conclus que la décision Coronet était bien fondée.

4)    Conclusion

[97]      Pour les motifs exposés ci-dessus, je souscris à la décision Coronet selon laquelle le registraire a compétence pour rendre des décisions partagées en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

IX.        Conclusion

[98]      Compte tenu de ce qui précède, l’appel est accueilli, avec dépens.

JUGEMENT POUR T-416-16

LA COUR STATUE que :

1.    L’appel est accueilli.

2.    La décision de la Commission des oppositions des marques de commerce est annulée.

3.    La demande no 1333541 est renvoyée au Bureau des marques de commerce pour qu’il l’examine de nouveau, étant entendu que la demande porte uniquement sur les produits et services suivants :

[traduction] (1) bonbons et collations, nommément barres de friandises, tablettes de chocolat, confiseries au sucre, nougatines dures aux arachides, barres au caramel, confiseries gélifiées, confiseries de chocolat, menthes au chocolat, boîtes de chocolats assortis et bonbons en dérivé de guimauve .

4.    La demanderesse a droit aux dépens qui devront être payés par la défenderesse.

ANNEXE

Les dispositions suivantes de la Loi sur les marques de commerce sont applicables.

Contenu d’une demande

30 Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

[…]

b) dans le cas d’une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande;

c) dans le cas d’une marque de commerce qui n’a pas été employée au Canada mais qui est révélée au Canada, le nom d’un pays de l’Union dans lequel elle a été employée par le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, et la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs l’ont fait connaître au Canada en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande, ainsi que la manière dont ils l’ont révélée;

d) dans le cas d’une marque de commerce qui est, dans un autre pays de l’Union, ou pour un autre pays de l’Union, l’objet, de la part du requérant ou de son prédécesseur en titre désigné, d’un enregistrement ou d’une demande d’enregistrement sur quoi le requérant fonde son droit à l’enregistrement, les détails de cette demande ou de cet enregistrement et, si la marque n’a été ni employée ni révélée au Canada, le nom d’un pays où le requérant ou son prédécesseur en titre désigné, le cas échéant, l’a employée en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande;

e) dans le cas d’une marque de commerce projetée, une déclaration portant que le requérant a l’intention de l’employer, au Canada, lui-même ou par l’entremise d’un licencié, ou lui-même et par l’entremise d’un licencié;

[…]

Déclaration d’opposition

38 (1) Toute personne peut, dans le délai de deux mois à compter de l’annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d’opposition.

Motifs

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

a)       la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

b)      la marque de commerce n’est pas enregistrable;

c)       le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement;

d)      la marque de commerce n'est pas distinctive.

[…]

Décision

(8) Après avoir examiné la preuve et les observations des parties, le registraire repousse la demande ou rejette l’opposition et notifie aux parties sa décision ainsi que ses motifs.

[…]

Le registraire peut exiger une preuve d’emploi

45 (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacun des produits ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

[…]

Effet du non-usage

(3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des produits ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’un de ces produits ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

Avis au propriétaire

(4) Lorsque le registraire décide ou non de radier ou de modifier l’enregistrement de la marque de commerce, il notifie sa décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la marque de commerce et à la personne à la demande de qui l’avis visé au paragraphe (1) a été donné.

Les dispositions suivantes du Manuel d’examen des marques de commerce sont pertinentes :

II.5.4.2 Contexte des produits et services

Dans certains cas, le contexte de l’énoncé des produits et services peut servir à préciser une description qui autrement serait inacceptable. En effet, les produits ou les services peuvent être acceptables lorsque le contexte de l’énoncé est suffisamment précis.

Par exemple, « étuis » seul n’est pas acceptable, car il peut s’appliquer à n’importe quel type d’étui, des étuis d’appareils photo aux étuis à lunettes. Cependant, si la demande porte sur les « appareils photo, trépieds et étuis », le terme « étuis » est acceptable, car il est évident d’après le contexte qu’il s’agit d’étuis d’appareils photo.

De même, le service « livraison » seul ne serait pas acceptable, car il pourrait s’agir de n’importe quel type de services de livraison, de la livraison de fleurs à la livraison de meubles.

Cependant, une demande portant sur des « services de restaurant » qui inclurait le terme « livraison » serait acceptable, car il est évident d’après le contexte qu’il s’agit de livraison de nourriture.

Remarque : Les produits ou les services qui sont séparés par un point-virgule (;) sont généralement considérés comme des services distincts les uns des autres et doivent rencontrer les exigences de l’alinéa 30a) de la Loi sur les marques de commerce sans égard aux autres produits ou services listés.

[…]

II.7.1 Demandes d’enregistrement fondées sur l’emploi d’une marque de commerce au Canada — Paragraphe 16(1), alinéa 30b)

L’alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce dispose qu’une demande d’enregistrement visant une marque de commerce qui a été employée au Canada doit renfermer la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de produits ou services décrites dans la demande.

II.7.1.1 Déclaration concernant la date de premier emploi de la marque

Le requérant ne peut utiliser une expression comme « le ou vers le » une certaine date pour définir les dates de premier emploi, étant donné que ce ne sont pas des données suffisamment précises. Les autres solutions acceptables sont : « depuis », « depuis avant », « depuis au moins », « depuis déjà », et « depuis déjà au moins ».

La date de premier emploi peut tout simplement être l’année de premier emploi, le mois et l’année de premier emploi ou le jour, le mois et l’année de premier emploi. Cependant, dans tous les cas, la date de premier emploi ne peut être postérieure à la date de production de la demande.

Remarque : Lorsque seuls le mois et l’année sont indiqués, le dernier jour du mois sera considéré comme la date de premier emploi. Lorsque seule l’année est indiquée, le 31 décembre de cette année sera considéré comme la date déterminante. Voir l’énoncé de pratique intitulé Avis — Date spécifique de premier emploi.



[[1]] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

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