A-191-16
2017 CAF 76
Société Bristol-Myers Squibb Canada, Bristol-Myers Squibb Holdings Ireland et Novartis AG (appelantes)
c.
Teva Canada limitée (intimée)
et
Le ministre de la Santé (intimé)
Répertorié : Bristol-Myers Squibb Canada c. Teva Canada limitée
Cour d’appel fédérale, les juges Pelletier, Near et Rennie, J.C.A.—Toronto, 16 janvier; Ottawa, 11 avril 2017.
Brevets — Pratique — Appel d’une décision de la Cour fédérale estimant fondée l’allégation de Teva Canada limitée (intimée) selon laquelle les lettres patentes canadiennes no 2317736 (le brevet '736) de la société Bristol Myers Squibb Canada (appelante) étaient non valides pour cause d’évidence et rejetant la demande de bref de prohibition de l’appelante — Après avoir déposé une demande, Novartis AG a obtenu des lettres patentes relativement à l’atazanavir et à ses sels pharmaceutiquement acceptables — L’appelante, qui avait déposé une demande de brevet relativement au bisulfate d’atazanavir de type I, un sel de l’atazanavir utile dans la formulation d’une forme posologique orale d’atazanavir, a obtenu le brevet '736 en 2004 — L’appelante a soutenu que la Cour fédérale avait commis une erreur dans son application du critère de l’« essai allant de soi » établi dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc. (Plavix no 1), de la Cour suprême du Canada — La question était de savoir si la Cour fédérale a erré en concluant que la conception du bisulfate d’atazanavir de type I était évidente, malgré le fait que seul l’un des trois éléments du concept inventif, soit l’amélioration de la biodisponibilité comparativement à la base libre d’atazanavir, était prévisible et que, selon la preuve non contredite, les deux autres éléments (la cristallinité et la stabilité) ne l’étaient pas — La caractéristique novatrice de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Plavix no 1 résidait dans son adoption du critère de l’« essai allant de soi »; la Cour suprême a affirmé que cette notion commande la prudence — La Cour suprême a indiqué qu’une démarche flexible à l’égard de l’évidence convenait davantage — Même si elle a accepté le critère de l’« essai allant de soi » à titre d’approche à l’égard de l’examen de l’évidence, il demeure possible d’appliquer d’autres critères — Dans sa décision, la Cour fédérale a conclu que l’idée originale comportait trois éléments; elle a été contrainte d’affirmer que, dans la présente affaire, deux de ces éléments n’étaient aucunement originaux — La Cour fédérale a commis une erreur non pas dans son application du critère de l’« essai allant de soi », mais dans sa désignation de l’idée originale — Bien qu’elle ait correctement identifié la personne versée dans l’art et déterminé les connaissances générales courantes, la Cour fédérale a implicitement adopté une définition de l’idée originale qui était axée sur les propriétés du bisulfate d’atazanavir et il s’agissait d’une erreur de droit isolable — Si la Cour fédérale avait correctement défini le concept inventif, elle aurait conclu qu’il n’y a aucune différence entre l’état de la technique et le concept inventif ou la solution enseignée par le brevet; elle n’aurait pas jugé nécessaire non plus d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi » dans la présente affaire — La Cour fédérale était en droit de conclure que la découverte du bisulfate d’atazanavir de type I était évidente — Appel rejeté.
Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale estimant fondée l’allégation de Teva Canada limitée (intimée) selon laquelle les lettres patentes canadiennes no 2317736 (le brevet '736) de la société Bristol Myers Squibb Canada (appelante) étaient non valides pour cause d’évidence et rejetant la demande de bref de prohibition de l’appelante. En 1997, Novartis AG a déposé une demande de brevet canadien relativement à une molécule complexe appelée atazanavir et ses sels pharmaceutiquement acceptables. On lui a accordé les lettres patentes canadiennes no 2250840 (le brevet '840). L’utilisation de l’atazanavir en tant que traitement du VIH (virus de l’immunodéficience humaine) et du SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise) est limitée par sa faible biodisponibilité. L’appelante, qui avait acquis les droits à l’égard de la molécule d’atazanavir, a déposé une demande de brevet relativement au bisulfate d’atazanavir de type I, un sel de l’atazanavir dont la biodisponibilité supérieure le rend utile dans la formulation d’une forme posologique orale d’atazanavir. L’appelante a obtenu le brevet '736 en 2004. Elle a soutenu que la Cour fédérale avait commis une erreur dans son application du critère de l’« essai allant de soi » établi dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc. (Plavix no 1), de la Cour suprême du Canada; elle a soutenu plus particulièrement que la Cour fédérale avait commis une erreur en estimant fondée l’allégation d’évidence formulée par l’intimée, même si la Cour avait conclu qu’il n’était pas possible de prévoir certaines propriétés du bisulfate d’atazanavir de type I avant sa fabrication et sa mise à l’essai. L’essentiel de la thèse de l’appelante est que la conclusion de la Cour selon laquelle il était impossible de prédire chacun des éléments du concept inventif a été fatale à la conclusion d’évidence.
La question déterminante était de savoir si la Cour fédérale a erré en concluant que la conception du bisulfate d’atazanavir de type I était évidente, malgré le fait que seul l’un des trois éléments du concept inventif, soit l’amélioration de la biodisponibilité comparativement à la base libre d’atazanavir, était prévisible et que, selon la preuve non contredite, les deux autres éléments, soit la cristallinité et la stabilité, ne l’étaient pas.
Arrêt : l’appel doit être rejeté.
La même conclusion que la Cour fédérale a été tirée, mais pour des motifs différents. La caractéristique novatrice de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Plavix no 1 en ce qui concerne l’évidence résidait dans son adoption du critère de l’« essai allant de soi ». La Cour suprême a affirmé que cette notion commande la prudence, parce que ce n’est qu’un des éléments à considérer pour statuer sur l’évidence. Même si la Cour suprême a accepté le critère de l’« essai allant de soi » à titre d’approche à l’égard de l’examen de l’évidence, il demeure possible d’appliquer d’autres critères. La Cour suprême a clairement indiqué qu’une « démarche large et flexible englobant toute considération accessoire pouvant se révéler éclairante » convenait davantage; une approche catégorique à l’égard de l’évidence, comme celle défendue par l’appelante, était donc inappropriée. L’évidence porte sur la question de savoir si le passage de l’art antérieur au second point exige l’inventivité.
Après avoir conclu que l’idée originale comportait trois éléments, la Cour fédérale a été contrainte d’affirmer, au terme de son analyse, que deux de ces éléments n’étaient aucunement originaux. À la lumière du raisonnement de la Cour fédérale, cette erreur ne résidait pas dans son application du critère de l’« essai allant de soi », mais plutôt dans sa désignation de l’idée originale. Dans la présente affaire, bien qu’elle ait correctement identifié la personne versée dans l’art et déterminé les connaissances générales courantes, la Cour fédérale a implicitement adopté une définition de l’idée originale qui était axée sur les propriétés du bisulfate d’atazanavir. Il s’agissait d’une erreur de droit isolable. Le « concept inventif » ne diffère pas sensiblement de « la solution enseignée par le brevet ». Si la Cour fédérale avait appliqué cette définition aux faits, elle aurait conclu que l’idée originale dans la présente affaire est le bisulfate d’atazanavir, un sel pharmaceutiquement acceptable de l’atazanavir. Si la Cour fédérale avait correctement défini le concept inventif, elle aurait conclu qu’il n’y a aucune différence entre l’état de la technique et le concept inventif ou la solution enseignée par le brevet. Elle n’aurait pas jugé nécessaire non plus d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi ». La Cour fédérale a examiné l’évolution des travaux de conception menés par l’appelante qui ont donné lieu à la séparation du bisulfate d’atazanavir de type I à titre de composant pouvant être breveté et elle était en droit de conclure que la découverte du bisulfate d’atazanavir de type I était évidente. Les faits exposés en l’espèce étayaient donc la conclusion selon laquelle il était possible de passer de l’état de la technique à l’idée originale (soit la solution enseignée par le brevet) sans faire preuve d’inventivité.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (décision différenciée quant aux faits); Windsurfing International Inc. v. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.); Pozzoli SPA v. BDMO SA, [2007] EWCA Civ. 588 (BAILII), [2007] F.S.R. 37; H. Lundbeck A/S v. Generics (UK) Ltd., [2008] EWCA Civ. 311 (BAILII), [2008] R.P.C. 19; Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, [2014] 2 R.C.F. 459.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis, 2013 CAF 186, [2015] 2 R.C.F. 644; Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, [1986] A.C.F. no 87 (QL) (C.A.); Allergan Inc. c. Canada (Santé), 2012 CF 767.
DÉCISIONS CITÉES :
Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Pharmascience Inc. c. Canada (Santé), 2014 CAF 133; Angiotech Pharmaceuticals Inc. v. Conor Medsystems Inc., [2007] EWCA Civ. 5 (BAILII), [2007] R.P.C. 20, inf. pour d’autres motifs par [2008] UKHL 49, [2008] R.P.C. 28; Teva Canada Limitée c. Novartis Pharmaceuticals Canada Inc., 2013 CAF 244; Cie pharmaceutique Proctor & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CAF 393, [2015] 2 R.C.F. 269; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2007 CAF 209; Novopharm Limited c. Janssen-Ortho Inc., 2007 CAF 217; Apotex Inc. c. Eli Lilly Canada Inc., 2016 CAF 267, [2017] 3 R.C.F. 145.
DOCTRINE CITÉE
Sealy-Harrington, Joshua. « The Inventive Concept in Patent Law: Not So Obvious » (2015), 27 I.P.J. 385.
APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2016 CF 580) estimant fondée l’allégation de Teva Canada limitée selon laquelle les lettres patentes canadiennes no 2317736 de la société Bristol Myers Squibb Canada (appelante) étaient non valides pour cause d’évidence et rejetant la demande de bref de prohibition de l’appelante. Appel rejeté.
ONT COMPARU :
Andrew J. Reddon, Steven G. Mason, David A. Tait, Sanjaya Mendis et Martin Brandsma pour les appelantes Bristol-Myers Squibb Canada, Bristol-Myers Squibb Holdings Ireland et Novartis AG.
Jonathan Stainsby et Scott Beeser pour l’intimée Teva Canada limitée.
Personne n’a comparu pour l’intimé le ministre de la Santé.
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
McCarthy Tétrault, S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour les appelantes Bristol-Myers Squibb Canada, Bristol-Myers Squibb Holdings Ireland et Novartis AG.
Aitken Klee LLP, Toronto, pour l’intimée Teva Canada limitée.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé le ministre de la Santé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Pelletier, J.C.A. :
I. INTRODUCTION
[1] En 1997, Novartis AG (alors dénommée Ciba-Geigy Ltd.) a déposé une demande de brevet canadien relativement à une molécule complexe appelée atazanavir et ses sels pharmaceutiquement acceptables. On lui a accordé les lettres patentes canadiennes no 2250840 (le brevet '840) en 2006. L’utilisation de l’atazanavir en tant que traitement du VIH (virus de l’immunodéficience humaine) et du SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise) est limitée par sa faible biodisponibilité. En 1998, la société Bristol-Myers Squibb Canada (BMS), qui avait acquis les droits à l’égard de la molécule d’atazanavir, a déposé une demande de brevet relativement au bisulfate d’atazanavir de type I, un sel de l’atazanavir dont la biodisponibilité supérieure le rend utile dans la formulation d’une forme posologique orale d’atazanavir. BMS a obtenu les lettres patentes canadiennes no 2317736 (le brevet '736) en 2004.
[2] Lors d’une instance engagée au titre du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, la Cour fédérale a estimé fondée l’allégation de Teva Canada limitée (Teva) selon laquelle le brevet '736 était non valide pour cause d’évidence et elle a rejeté la demande de bref de prohibition de BMS. Le présent appel porte sur cette décision.
[3] BMS soutient que la Cour fédérale a commis une erreur dans son application du critère de l’« essai allant de soi » établi dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (Plavix no 1), et appliqué par notre Cour dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis, 2013 CAF 186, [2015] 2 R.C.F. 644 (Plavix no 2). Plus précisément, BMS soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en estimant fondée l’allégation d’évidence formulée par Teva, même si la Cour a conclu qu’il n’était pas possible de prévoir certaines propriétés du bisulfate d’atazanavir de type I avant sa fabrication et sa mise à l’essai.
[4] J’arrive à la même conclusion que la Cour fédérale, mais pour des motifs quelque peu différents. Je suis d’avis de rejeter l’appel.
II. LA DÉCISION VISÉE PAR L’APPEL
[5] Étant donné que la présente instance a été engagée au titre du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), il faut décider si l’allégation d’évidence formulée par Teva dans son avis d’allégation est fondée. Toute question portant sur la validité du brevet '736 devra être tranchée lors d’une poursuite intentée à cette fin.
[6] La Cour fédérale a commencé son analyse de la question de l’évidence en soulignant que la base libre d’atazanavir n’est pas très soluble et que la personne versée dans l’art saurait que l’une des façons d’améliorer la solubilité et la biodisponibilité d’un composé consiste à le convertir en sel au moyen d’un filtre salin : motifs de première instance [2016 CF 580], aux paragraphes 406 et 407. On entend par filtre salin le processus par lequel un chimiste utilise divers acides et solvants pour produire les sels d’un composé.
[7] Différents sels d’un même composé peuvent avoir des propriétés différentes entre eux et différentes de celles du composé lui-même : motifs, au paragraphe 411. Il n’est pas contesté que la personne versée dans l’art se serait attendue à ce qu’un filtre salin permette de découvrir au moins un sel affichant des propriétés pharmaceutiques améliorées par rapport à la base libre : motifs, au paragraphe 412.
[8] Les parties ont convenu que le brevet '840 divulguait la molécule d’atazanavir et qu’il était possible de fabriquer des sels d’atazanavir avec un certain nombre d’acides, notamment l’acide sulfurique : motifs, au paragraphe 408. Toutefois, les propriétés des sels ainsi obtenus n’auraient pas été connues avant la fabrication de ceux-ci : motifs, au paragraphe 411.
[9] La Cour fédérale a ensuite appliqué le cadre d’analyse relatif à l’évidence établi au paragraphe 67 de l’arrêt Plavix no 1.
[10] Après avoir identifié la personne versée dans l’art et avoir déterminé les connaissances générales courantes pertinentes, la Cour fédérale s’est penchée sur le concept inventif du brevet '736. BMS a soutenu que le concept inventif du brevet '736 comportait les quatre éléments suivants : la cristallinité, la biodisponibilité orale, la stabilité et le comportement de transformation in situ : motifs, au paragraphe 416. Selon les éléments de preuve produits par Teva, le concept inventif du brevet visait un sel pharmaceutique, le bisulfate d’atazanavir de type I, et une formulation pharmaceutique du bisulfate d’atazanavir de type I. Le brevet '736 ne comporte que deux revendications : la première, qui revendique le sel bisulfate d’atazanavir, et la seconde, qui revendique une forme posologique pharmaceutique formée de bisulfate d’atazanavir de type I et d’un excipient pharmaceutiquement acceptable. Teva a soutenu, en fait, que le concept inventif était le composé visé par les revendications 1 et 2 du brevet '736.
[11] La Cour fédérale a invoqué le paragraphe 77 de l’arrêt Plavix no 1 pour dire que, « lorsque le concept inventif des revendications d’un brevet ne se distingue pas facilement des revendications proprement dites (par exemple, dans le cas d’une simple formule chimique), on doit pouvoir se fonder sur le mémoire descriptif pour définir le concept inventif qui sous-tend les revendications » : motifs, au paragraphe 421.
[12] La Cour fédérale, après avoir examiné la divulgation du brevet '736 et les témoignages des experts de chacune des parties, a conclu, au paragraphe 446, que le concept inventif du brevet '736 comprenait les éléments qui suivent :
i) la biodisponibilité orale améliorée du bisulfate d’atazanavir de type I comparativement à la base libre de l’atazanavir;
ii) la forme cristalline solide anhydre des sels de bisulfate d’atazanavir de type I;
iii) la stabilité des sels de bisulfate d’atazanavir de type I.
[13] L’étape suivante de l’analyse consiste à établir les différences entre l’« état de la technique » et le concept inventif. La Cour fédérale a tranché cette question en soulignant qu’aucune des propriétés faisant partie du concept inventif n’avait été divulguée dans l’art antérieur : motifs, au paragraphe 448.
[14] À la dernière étape de l’analyse du caractère évident, il faut déterminer si les différences entre l’état de la technique et le concept inventif représentent des étapes évidentes aux yeux de la personne versée dans l’art, ou si ces étapes auraient nécessité de l’inventivité. La Cour fédérale a commencé à analyser cette question en s’interrogeant sur la mesure dans laquelle une personne versée dans l’art doit être capable de prédire les propriétés avantageuses d’un composé pour que l’invention de ce dernier soit évidente. Il s’en est suivi une analyse de la jurisprudence, notamment des décisions Plavix no 1 et Plavix no 2.
[15] Renvoyant à l’arrêt Plavix no 1, la Cour fédérale a souligné, au paragraphe 456, que la Cour suprême acceptait le critère de l’« essai allant de soi » et qu’elle mentionnait qu’il pourrait être indiqué dans des domaines comme le secteur pharmaceutique, où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation : Plavix no 1, au paragraphe 68. La Cour fédérale a ensuite résumé les paragraphes 65 et 66 de l’arrêt Plavix no 1, en affirmant que, « pour conclure qu’une invention résulte d’un “essai allant de soi”, le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il était “très clair” ou qu’il était “plus ou moins évident” que l’essai serait fructueux. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas » : motifs, au paragraphe 456.
[16] La Cour fédérale a ensuite dressé la liste non exhaustive des facteurs qu’un tribunal doit prendre en considération, selon les éléments de preuve produits, lorsqu’il conclut que l’application du critère de l’« essai allant de soi » est indiquée. Ces facteurs sont ainsi énumérés au paragraphe 69 de l’arrêt Plavix no 1 :
1. Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?
2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?
3. L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?
[17] La Cour fédérale a ensuite examiné la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Plavix no 2, auquel on l’avait renvoyée à l’appui de l’affirmation selon laquelle l’absence de connaissances sur les propriétés d’un composé signifie qu’il n’était pas évident de tenter d’obtenir ce composé. BMS a fait valoir que la personne versée dans l’art n’aurait pas pu prédire les propriétés de la forme anhydre du bisulfate d’atazanavir et, par conséquent, qu’il n’était pas évident de tenter d’obtenir un sel ayant ces propriétés.
[18] La Cour fédérale a toutefois tenu compte de la décision Plavix no 2 dans le contexte de l’arrêt Plavix no 1. Elle a indiqué que, dans l’arrêt Plavix no 1, le facteur clé sur la question de l’évidence consistait en l’absence de connaissances sur les propriétés des énantiomères des composés du brevet de genre, y compris son racémate. Même si la technique de la résolution chirale était bien connue, l’absence de connaissances sur les propriétés du racémate signifiait qu’il était impossible de prédire quelles seraient les propriétés de ses énantiomères; par conséquent, il n’était pas évident de tenter de séparer le racémate pour obtenir l’énantiomère : motifs, aux paragraphes 464 et 465; Plavix no 2, aux paragraphes 73 à 75. BMS a soutenu que c’était précisément le cas en ce qui concerne le sel bisulfate d’atazanavir.
[19] La Cour fédérale a relevé une différence importante entre les faits dans l’affaire Plavix et l’espèce. L’affaire Plavix portait sur un brevet de sélection; le brevet de genre divulguait plus de 250 000 composés différents ayant une certaine utilité pour empêcher l’adhésion plaquettaire du sang. Le brevet de genre présentait 21 exemples précis de composés relevant de sa portée, dont l’un était un racémate appelé PCR 4099. La Cour fédérale a souligné que le juge de première instance dans l’affaire Plavix no 2 avait tiré la conclusion de fait selon laquelle le brevet de genre ne visait pas, directement ou indirectement, le PCR 4099, ce qui signifiait que la personne versée dans l’art n’avait pas de raison de se concentrer sur ce racémate précis plutôt que sur d’autres composés divulgués dans le brevet : motifs, au paragraphe 473.
[20] La Cour fédérale a conclu sa comparaison des affaires Plavix no 1 et Plavix no 2 ainsi :
[...] Je m’explique mal la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Plavix no 2 selon laquelle, compte tenu des faits dans cette affaire, il n’était pas évident d’essayer d’isoler le racémate du PCR 4099 pour confirmer la proposition générale voulant que, lorsqu’une personne versée dans l’art ne peut pas prédire les propriétés d’un composé avant de le fabriquer, il ne soit pas évident de tenter de l’obtenir.
Motifs, au paragraphe 475.
[21] La Cour fédérale, pour le reste de son analyse, a appliqué les principes issus de la jurisprudence aux faits de l’affaire dont elle était saisie.
[22] Malgré les divergences dans les témoignages d’experts sur ce point, la Cour fédérale a conclu que, même si l’amélioration de la solubilité d’un composé n’entraîne pas nécessairement l’amélioration de sa biodisponibilité, c’est généralement l’effet qu’elle aurait. Ainsi, l’amélioration de la biodisponibilité entraînée par une amélioration de la solubilité n’est pas qu’une simple possibilité et aurait été plus ou moins évidente pour la personne versée dans l’art : motifs, au paragraphe 496.
[23] En ce qui concerne la question de la motivation à trouver la solution revendiquée, la Cour fédérale a conclu que la faible biodisponibilité de l’atazanavir aurait donné à la personne versée dans l’art toutes les raisons de tenter d’améliorer sa solubilité — et donc sa biodisponibilité — en fabriquant ses sels : motifs, paragraphes 483 et 497.
[24] Après avoir examiné les connaissances générales courantes et les techniques connues de fabrication des sels, la Cour fédérale a conclu que la personne versée dans l’art serait parvenue directement et sans difficulté au sel de bisulfate d’atazanavir : motifs, au paragraphe 501. L’opinion de la Cour fédérale a été étayée par le fait que l’équipe de BMS est parvenue à fabriquer des sels d’atazanavir (notamment le sel de bisulfate d’atazanavir de type I) le tout premier jour de son projet de conception du médicament. Employant des techniques courantes, l’équipe a ensuite pu établir la solubilité, la cristallinité, le point de fusion, l’hygroscopicité et la stabilité à court terme à l’état solide des sels de bisulfate d’atazanavir de type I et de type II. La Cour fédérale a conclu que ce processus n’était ni long ni ardu : motifs, au paragraphe 502. En fait, l’équipe de BMS est parvenue à obtenir le bisulfate d’atazanavir de type I « rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais » : motifs, au paragraphe 503, citant l’arrêt Plavix no 1, au paragraphe 71.
[25] La Cour fédérale a conclu que, si le concept inventif du brevet '736 visait l’amélioration de la biodisponibilité des sels de bisulfate d’atazanavir de type I comparativement à la base libre de l’atazanavir, alors l’invention était évidente : motifs, au paragraphe 505.
[26] En ce qui concerne les autres éléments du concept inventif, soit la forme cristalline solide anhydre stable non hygroscopique du bisulfate d’atazanavir de type I, la Cour fédérale a conclu que la découverte de ces caractéristiques inhérentes du sel de bisulfate d’atazanavir de type I n’a rien ajouté d’inventif aux travaux accomplis par l’équipe de BMS : motifs, au paragraphe 507. Ainsi, la conclusion selon laquelle ce sel possédait ces caractéristiques était une découverte fortuite, qui a été faite sans travail prolongé ou ardu, et ne constituait pas une invention : motifs, au paragraphe 508.
[27] Par conséquent, la Cour fédérale a conclu que l’invention du sel de bisulfate d’atazanavir de type I revendiqué dans le brevet '736 était évidente.
III. Les questions en litige dans le présent appel
[28] BMS s’oppose à la conclusion de la Cour fédérale en ce qui concerne le caractère évident du sel de bisulfate d’atazanavir de type I au motif que la Cour n’a pas bien appliqué le critère de l’« essai allant de soi » établi par la Cour suprême dans l’arrêt Plavix no 1. L’essentiel de la thèse de BMS est que la conclusion de la Cour selon laquelle il était impossible de prédire chacun des éléments du concept inventif est fatale à la conclusion d’évidence.
[29] Cet argument est résumé aux paragraphes 77 et 78 du mémoire des faits et du droit présenté par BMS :
[traduction]
Le critère de l’« essai allant de soi » comprend un exercice cognitif hypothétique mené avant que l’invention revendiquée ne soit faite, et sans tenir compte de ce que l’on saura par la suite. Pour reprendre les mots utilisés par la Cour suprême dans l’affaire Plavix no 1, il faut conclure a priori « qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention ».
Pour qu’il soit satisfait à la norme juridique dans la présente affaire, la Cour doit conclure (ce qui n’a jamais été le cas) qu’il allait plus ou moins de soi qu’un filtre salin courant créerait du bisulfate d’atazanavir de type I et qu’il posséderait les propriétés comprises dans le concept inventif, comme l’a conclu le juge de première instance. [Renvois et soulignement omis.]
[30] Teva réfute cet argument en faisant valoir que l’arrêt Plavix no 1 ne permet pas d’étayer la thèse à l’appui de laquelle il est cité et que la décision de notre Cour dans l’affaire Plavix no 2 n’élargit pas la portée de l’arrêt Plavix no 1.
IV. Analyse
[31] Même si la procédure à la Cour fédérale a la forme d’une demande de contrôle judiciaire, parce qu’elle a été intentée par avis de demande, il s’agit, sur le fond, d’un procès sommaire sur preuve par affidavit. Aucune action administrative n’est examinée par rapport à une norme juridique, comme cela serait le cas lors d’une demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, je conclus que la norme de contrôle lors d’un appel s’applique, soit la norme de la décision correcte pour les erreurs de droit et celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit (en l’absence d’une erreur de droit isolable) : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 45; Pharmascience Inc. c. Canada (Santé), 2014 CAF 133, au paragraphe 31.
[32] La question déterminante dans le présent appel est de savoir si la Cour fédérale a erré en concluant que la conception du bisulfate d’atazanavir de type I était évidente, malgré le fait que seul l’un des trois éléments du concept inventif, soit l’amélioration de la biodisponibilité comparativement à la base libre d’atazanavir, était prévisible et que, selon la preuve non contredite, les deux autres éléments, soit la cristallinité et la stabilité, ne l’étaient pas.
[33] L’argument présenté par BMS se fonde sur la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Plavix no 1 et sur l’explication du critère donnée par notre Cour dans l’affaire Plavix no 2. Il est donc utile de se pencher sur ces deux décisions afin de confirmer si elles étayent la thèse de BMS.
[34] La caractéristique novatrice de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Plavix no 1 en ce qui concerne l’évidence réside dans son adoption du critère de l’« essai allant de soi », qu’elle a lié au cadre établi dans la jurisprudence du Royaume-Uni, soit dans les décisions Windsurfing International Inc. v. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.) (Windsurfing), et Pozzoli SPA v. BDMO SA, [2007] EWCA Civ. 588 (BAILII), [2007] F.S.R. 37 (Pozzoli). Je désignerai ce cadre comme le cadre Windsurfing/Pozzoli.
[35] Avant l’arrêt Plavix no 1, l’arrêt de principe en matière d’évidence était la décision rendue par notre Cour dans l’affaire Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, [1986] A.C.F. no 87 (QL) (C.A.) (Beloit) [au paragraphe 18], dans laquelle la comparaison bien connue avec « monsieur tout-le-monde » a été établie :
[...] La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet.
[36] Dans l’arrêt Plavix no 1, la Cour suprême a abordé « la manière restrictive dont les tribunaux canadiens ont interprété le critère établi dans l’arrêt Beloit », en soulignant que le juge de première instance avait conclu que le critère établi dans l’arrêt Beloit n’admettrait pas le critère de quelque chose « valant d’être tenté » : voir l’arrêt Plavix no 1, aux paragraphes 52 [et 60]. La Cour suprême s’est penchée sur la jurisprudence anglaise et américaine relative au critère de l’« essai allant de soi » et a conclu que ce critère avait été accepté dans les deux ressorts. Cette convergence a eu une influence sur la décision de la Cour suprême d’accepter le critère de l’« essai allant de soi ».
[37] La Cour suprême a ensuite souligné [au paragraphe 64] que la jurisprudence anglaise avait établi la liste non exhaustive de facteurs qui suit en tant que « repères pour déterminer si une étape donnée “allait de soi” » (voir l’arrêt Plavix no 1, au paragraphe 59) :
[traduction] […]
« L’évidence doit s’apprécier selon les faits de l’espèce. La cour doit considérer l’importance de tout facteur à la lumière des circonstances pertinentes, dont la motivation derrière la recherche d’une solution au problème qui sous-tend le brevet, le nombre et l’étendue des recherches possibles, les efforts requis par elles et les chances de réussite. »
H. Lundbeck A/S v. Generics (UK) Ltd., [2008] EWCA Civ. 311 (BAILII), [2008] R.P.C. 19 (Lundbeck), aux paragraphes 24 et 25. Voir aussi Angiotech Pharmaceuticals Inc. v. Conor Medsystems Inc., [2007] EWCA Civ. 5 (BAILII), [2007] R.P.C. 20, au paragraphe 45 (inf. pour d’autres motifs, [2008] UKHL 49, [2008] R.P.C. 28).
[38] Après avoir exposé ces facteurs, la Cour suprême a rapidement ajouté que « la notion d’“essai allant de soi” commande la prudence », parce que ce « n’est qu’un des éléments à considérer pour statuer sur l’évidence » : Plavix no 1, au paragraphe 64.
[39] Après une courte digression sur le sens du terme « allant de soi », la Cour suprême s’est prononcée sur le seuil applicable au critère de l’« essai allant de soi » :
Pour conclure qu’une invention résulte d’un « essai allant de soi », le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas.
Arrêt Plavix no 1, au paragraphe 66.
[40] Cela a mené la Cour à l’étape suivante de son raisonnement, soit l’affirmation qu’il y a lieu, lors de l’examen relatif à l’évidence, de « suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver » dans l’arrêt Windsurfing et reformulée dans l’arrêt Pozzoli (c.-à-d. le cadre Windsurfing/Pozzoli) :
(1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».
b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;
(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;
(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;
(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?
Arrêt Plavix no 1, au paragraphe 67.
[41] La Cour suprême a ensuite déclaré : « La question de l’“essai allant de soi” se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence » (arrêt Plavix no 1, au paragraphe 67).
[42] Immédiatement après avoir énoncé le cadre Windsurfing/Pozzoli, la Cour suprême s’est demandé dans quels cas le critère de l’« essai allant de soi » est pertinent. Son exposé sur cette question est reproduit ci-dessous :
Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué. Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation. Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables. [Non souligné dans l’original.]
Arrêt Plavix no 1, au paragraphe 68.
[43] Le cas où le critère de l’« essai allant de soi » pourrait ne pas s’appliquer dans une affaire donnée est souligné à l’étape suivante du raisonnement de la Cour suprême, où elle mentionne les éléments qui doivent être pris en compte lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée. La Cour suprême a ensuite reformulé la liste non exhaustive des facteurs énoncés dans l’arrêt Lundbeck qui s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré :
1. Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?
2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?
3. L’art antérieur fournit-il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?
Arrêt Plavix no 1, au paragraphe 69.
[44] La Cour suprême a suggéré un autre facteur qui, à mon avis, correspond essentiellement à un développement du deuxième facteur. Après avoir souligné que « l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur », la Cour suprême a indiqué qu’on « ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art » : Plavix no 1, au paragraphe 70. Si l’inventeur et les membres de son équipe parvenaient à l’invention rapidement et facilement, compte tenu de l’art antérieur et des connaissances générales courantes, sans efforts plus grands que ceux de la personne versée dans l’art, cela tendrait à indiquer qu’une personne versée dans l’art aurait agi de même et serait arrivée au même résultat : Plavix no 1, au paragraphe 71.
[45] Après avoir établi les principes applicables, la Cour suprême a appliqué le critère de l’« essai allant de soi » aux faits de l’espèce. Le juge de première instance n’avait pas entrepris cette démarche, et la Cour suprême a estimé qu’il était préférable qu’elle le fasse plutôt que de renvoyer le dossier au juge de première instance pour nouvelle décision, de façon à éviter d’autres retards : Plavix no 1, au paragraphe 73.
[46] Les deux premiers éléments du cadre Windsurfing/Pozzoli, soit l’identification de la personne versée dans l’art et la détermination des connaissances générales courantes pertinentes, étaient simples. La personne versée dans l’art était un chimiste pharmaceutique de formation, tandis que les connaissances générales courantes comprenaient le fait qu’il existait cinq méthodes bien connues qui permettaient de séparer les isomères du racémate donné, PC 4099, mais l’avantage relatif de l’isomère dextrogyre n’était pas connu : Plavix no 1, aux paragraphes 74 et 75.
[47] La détermination du concept inventif était aussi simple. La Cour suprême a interprété les revendications du brevet '777 comme visant « l’isomère dextrogyre du racémate, ses sels pharmaceutiquement acceptables et leurs procédés d’obtention » : arrêt Plavix no 1, au paragraphe 76. Il n’était pas facile de saisir l’idée originale à partir des seules revendications. Ainsi, la Cour suprême a estimé qu’il s’agissait d’un « antiplaquettaire à l’effet thérapeutique supérieur et à la toxicité moindre comparativement aux autres composés couverts par le brevet '875, et les méthodes permettant de l’obtenir » : Plavix no 1, aux paragraphes 77 et 78.
[48] À la troisième étape, la Cour suprême s’est éloignée du cadre Windsurfing/Pozzoli, qui appelle à recenser les différences entre les connaissances générales courantes et le concept inventif. La Cour suprême a plutôt établi une comparaison entre le brevet '875 (le brevet de genre) et le brevet '777 (le brevet de sélection). Elle a conclu que, contrairement au brevet '875, le brevet '777 revendique « l’invention de l’isomère dextrogyre du racémate, le clopidogrel et de son bisulfate, divulgue leurs avantages par rapport à l’isomère lévogyre et au racémate, et énonce expressément le procédé de séparation des isomères du racémate » : Plavix no 1, aux paragraphes 79 et 80.
[49] La Cour suprême est finalement arrivée à la quatrième et dernière étape du cadre Windsurfing/Pozzoli, et s’est demandé si les différences entre les connaissances générales courantes et le concept inventif auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art. La Cour suprême s’est d’abord demandé si l’application du critère de l’« essai allant de soi » était justifiée. En renvoyant au témoignage des témoins experts sur la découverte des avantages de l’isomère dextrogyre et de son bisulfate, elle a conclu que l’application du critère de l’« essai allant de soi » était justifiée et que le juge de première instance avait erré en ne l’appliquant pas : Plavix no 1, aux paragraphes 81 et 82.
[50] En appliquant les facteurs liés au critère de l’« essai allant de soi », la Cour suprême s’est demandé s’il était plus ou moins évident que l’essai serait fructueux. Elle a fait remarquer que la personne versée dans l’art n’aurait pas pu savoir que l’isomère dextrogyre présentait des avantages différents de ceux du racémate et de l’isomère lévogyre avant de séparer les isomères du racémate et d’analyser chacun d’eux : motifs, aux paragraphes 84 et 85. L’accent mis sur les avantages des isomères était dicté par le fait que ce sont les propriétés spéciales de la sélection qui la rendent originale.
[51] La Cour suprême a aussi conclu que la seule existence de procédés connus permettant de séparer les isomères d’un racémate ne signifie pas qu’une personne versée dans l’art y recourrait nécessairement, même s’il était connu que les avantages d’un racémate pouvaient différer de ceux de ses isomères : Plavix no 1, au paragraphe 85.
[52] Passant aux « efforts — leur nature et leur ampleur — [...] requis pour réaliser l’invention », la Cour suprême a fait remarquer qu’ils n’auraient qu’une faible importance, compte tenu de ses observations sur la démarche réelle ayant mené à l’invention. La Cour suprême, dans son étude du dernier facteur, a signalé que Sanofi avait consacré des millions de dollars et des années de travaux à la mise au point du racémate en question et du bisulfate, et non de ses isomères, au point de faire des essais cliniques, sans au moins tenter de déterminer si l’isomère dextrogyre présentait des avantages par rapport au racémate. La Cour a conclu que, s’il était allé de soi de séparer le racémate et de vérifier les propriétés de l’isomère dextrogyre, Sanofi n’aurait pas consacré en vain temps et argent en tentant de commercialiser le racémate : Plavix no 1, aux paragraphes 91 et 92.
[53] La Cour suprême a conclu que, même si la motivation générale de trouver un antiplaquettaire efficace et non toxique pouvait être présumée, ni le brevet '875 ni les connaissances générales courantes ne donnaient à la personne versée dans l’art un motif de rechercher l’objet du brevet '777 : voir l’arrêt Plavix no 1, au paragraphe 90.
[54] La Cour suprême a résumé ainsi ses conclusions sur l’évidence :
[...] ni le brevet 875 ni les connaissances générales courantes ne rendaient évidents les propriétés de l’isomère dextrogyre du racémate ou les avantages du bisulfate, de sorte qu’il n’était pas évident que l’essai serait fructueux. Les efforts et le temps consacrés démontrent qu’il n’était pas possible de prédire rapidement ou aisément l’avantage que présentait l’isomère dextrogyre. S’il était allé de soi d’isoler l’isomère dextrogyre, il est difficile de croire que Sanofi ne l’aurait pas fait au lieu de consacrer en vain temps et argent au racémate. Je conclus que l’art antérieur et les connaissances générales courantes des personnes versées dans l’art à l’époque considérée n’étaient pas suffisants pour qu’il aille plus ou moins de soi de tenter d’isoler l’isomère dextrogyre. [Non souligné dans l’original.]
Arrêt Plavix no 1, au paragraphe 92.
[55] BMS n’a pas limité ses observations à l’arrêt Plavix no 1; elle s’est aussi fondée sur la décision rendue par notre Cour dans l’arrêt Plavix no 2. Il convient de souligner ce que notre Cour a tranché sur la question de l’évidence dans l’arrêt Plavix no 2 :
Comme le juge de première instance a suivi le critère de l’évidence consacré par la jurisprudence Plavix [no 1], et qu’il l’a appliqué aux mêmes faits importants présentés devant la Cour suprême, il aurait dû parvenir à la même conclusion.
Arrêt Plavix no 2, au paragraphe 81.
[56] Après avoir dit, dans l’arrêt Plavix no 2, que le juge de première instance avait erré en arrivant à une conclusion différente de celle de la Cour suprême dans l’arrêt Plavix no 1 lorsqu’il a appliqué le même droit aux mêmes faits, notre Cour était malvenue de soutenir qu’un autre critère aurait dû être appliqué. Je suis donc d’avis qu’il faut se méfier de voir des choses dans l’arrêt Plavix no 2 qui ne sont pas fondées sur l’arrêt Plavix no 1, lequel demeure l’arrêt de principe. Je souscris également à la distinction établie par la Cour fédérale entre les faits dans l’arrêt Plavix no 1 et ceux de la présente affaire.
[57] Il est maintenant utile de faire le point sur ce qu’enseigne l’arrêt Plavix no 1 et sur ce qu’il laisse aux tribunaux inférieurs.
[58] Comme il a été indiqué précédemment, la caractéristique novatrice de l’arrêt Plavix no 1 consiste en son acceptation du critère de l’« essai allant de soi », qui est lié au cadre Windsurfing/Pozzoli. Cette acceptation était motivée par l’application « sans égard au contexte » du critère Beloit à toutes les revendications. La Cour suprême a souligné que « les tribunaux ont souvent vu dans le libellé de l’arrêt Beloit une prescription légale limitant l’examen de l’évidence » : arrêt Plavix no 1, au paragraphe 61. Dans le même esprit, elle a indiqué qu’elle était d’avis que, dans les affaires où les tribunaux doivent statuer sur les faits, l’application de règles rigides n’est pas appropriée, à moins que la loi ne l’oblige.
[59] La Cour suprême s’est en même temps montrée très prudente en ce qui concerne la substitution d’une règle rigide par une autre. Son exposé qui a mené à son acceptation du critère de l’« essai allant de soi » est rempli de mises en garde, y compris la remarque selon laquelle le critère de l’« essai allant de soi » n’est obligatoire ni au Royaume-Uni ni aux États-Unis : arrêt Plavix no 1, au paragraphe 62. Elle a fait ressortir que l’application du critère de l’« essai allant de soi » commandait la prudence, car ce n’est que l’un des éléments de l’examen de l’évidence. On pourrait donc conclure que ce critère n’est pas obligatoire au Canada non plus : arrêt Plavix no 1, au paragraphe 64. La Cour suprême, après avoir énoncé le cadre Windsurfing/Pozzoli, s’est interrogée sur les circonstances dans lesquelles le recours au critère de l’« essai allant de soi » est indiqué, ce qui sous-entend qu’il ne l’est peut-être pas toujours. La Cour suprême a ensuite conclu qu’il pourrait être indiqué dans les litiges pharmaceutiques. En présentant les facteurs énoncés dans l’arrêt Lundbeck, la Cour suprême a pris soin de préciser que ces facteurs devraient être étudiés si le critère de l’« essai allant de soi » était justifié. La Cour suprême, au moment d’appliquer le cadre Windsurfing/Pozzoli à l’affaire dont elle était saisie, a commencé son examen de la dernière étape en se demandant « si la nature de l’invention en cause justifie l’application du critère de l’“essai allant de soi” » : Plavix no 1, au paragraphe 81.
[60] Il est raisonnable de conclure, à la lumière de ces mises en garde, que le critère de l’« essai allant de soi » n’a pas supplanté tout autre examen de l’évidence. En fait, c’est ce que notre Cour a conclu dans l’arrêt Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Canada Ltd., 2012 CAF 333, [2014] 2 R.C.F. 459, au paragraphe 105. Dans un extrait sur l’adoption du critère de l’« essai allant de soi », notre Cour a écrit ce qui suit :
Enfin, il convient de rappeler que, dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’il n’y avait pas de méthode unique obligatoire pour procéder à l’analyse de l’évidence. En réalité, le fait d’accepter que la méthode de l’« essai allant de soi » pouvait être utile dans certaines circonstances s’inscrivait dans une démarche consistant à écarter les règles strictes qui avaient limité jusque-là l’analyse de l’évidence pour adopter une approche plus souple, plus générale et plus axée sur les faits (Sanofi, aux paragraphes 61 à 63). La Cour voulait simplement apporter davantage de rationalité, de clarté et d’objectivité à l’analyse (Sanofi, au paragraphe 67).
(Voir aussi, dans le cas des produits pharmaceutiques, Teva Canada Limitée c. Novartis Pharmaceuticals Canada Inc., 2013 CAF 244, au paragraphe 7.)
[61] Même si la Cour suprême a accepté le critère de l’« essai allant de soi » à titre d’approche à l’égard de l’examen de l’évidence, il demeure possible d’appliquer d’autres critères, y compris le critère de l’arrêt Beloit, sous réserve des mises en garde de la Cour suprême contre une application « sans égard au contexte » de ce critère, ou d’ailleurs de tout autre critère. La Cour a clairement indiqué qu’une « démarche large et flexible englobant [traduction] “toute considération accessoire pouvant se révéler éclairante” convient davantage » : voir l’arrêt Plavix no 1, au paragraphe 63.
[62] Je suis donc d’avis qu’une approche catégorique à l’égard de l’évidence, comme celle défendue par BMS, est inappropriée. L’élaboration d’une règle rigide selon laquelle il est impossible de prouver l’évidence à moins de pouvoir prédire avec un degré de certitude élevé tous les éléments du concept inventif est l’antithèse de l’approche à l’égard de l’évidence privilégiée par la Cour suprême dans l’arrêt Plavix no 1. Le recours au critère de l’« essai allant de soi » ne s’impose pas dans toutes les affaires et tout recours à ce critère ne nécessite pas que l’on suive le sillon tracé par l’application précédente du critère.
[63] La prudence dont la Cour suprême a fait preuve au moment de se pencher sur le critère de l’« essai allant de soi » pourrait être opposée à la manière dont elle a adopté le cadre Windsurfing/Pozzoli. Les raisons qui ont poussé la Cour suprême à croire qu’il serait utile d’adopter ce cadre n’ont pas été abordées, à l’exception de sa conclusion selon laquelle cette démarche « devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté » : voir l’arrêt Plavix no 1, au paragraphe 67. La Cour suprême n’a pas renvoyé à la mise en garde formulée dans l’arrêt Pozzoli relativement au concept inventif :
[traduction] Dans certains cas, les parties ne peuvent pas convenir du concept. Si on ne fait pas attention, ce genre de désaccord peut se transformer en débat satellite superflu. En fin de compte, ce sont les différences entre ce qui est revendiqué et l’art antérieur qui comptent. Ce sont ces différences qui forment l’« étape » à étudier à l’étape 4. Donc, si un désaccord sur l’idée originale d’une revendication devient trop complexe, la façon raisonnable de procéder consiste à l’oublier et à se concentrer simplement sur les caractéristiques de la revendication. [Non souligné dans l’original.]
Arrêt Pozzoli, au paragraphe 19.
[64] Il est vrai que le cadre Windsurfing/Pozzoli présente une structure, mais son utilité n’est pas évidente. Dans l’arrêt Allergan Inc. c. Canada (Santé), 2012 CF 767, aux paragraphes 135 à 141, le juge Hughes a examiné brièvement les interprétations variées du concept inventif offertes depuis 2008. On trouve un examen plus approfondi dans « The Inventive Concept in Patent Law: Not So Obvious » (2015), 27 I.P.J. 385, de Joshua Sealy-Harrington, aux pages 394 à 409.
[65] Il pourrait être utile de garder à l’esprit que l’analyse de l’évidence vise à vérifier si la personne versée dans l’art peut rapprocher deux points dans le perfectionnement de la technique en se fondant uniquement sur ses connaissances générales courantes. Si tel est le cas, il y a évidence. Le premier de ces points concerne l’état de la technique à la date pertinente. Dans la jurisprudence, les mentions de l’« idée originale », du « concept inventif », de la « solution enseignée par le brevet », de « ce qui est revendiqué » ou simplement de « l’invention » tentent de définir le second point.
[66] Avant l’arrêt Plavix no 1, la jurisprudence suivait l’arrêt Beloit et appelait le second point la « solution enseignée par le brevet », ce qui était souvent considéré comme le synonyme de « ce qui est revendiqué dans le brevet » ou « l’invention » : Cie pharmaceutique Proctor & Gamble Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CAF 393, [2005] 2 R.C.F. 269, au paragraphe 47; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Santé), 2007 CAF 209, au paragraphe 133; Novopharm Limited c. Janssen-Ortho Inc., 2007 CAF 217, au paragraphe 25. La question est celle de savoir si le « concept inventif » visait à redéfinir le second point tel qu’il était interprété avant l’arrêt Plavix no 1. Je souligne que, dans le passage de l’arrêt Pozzoli précité, la Cour d’appel d’Angleterre n’a pas estimé que le « concept inventif » avait changé quelque chose d’essentiel. Si les parties ne peuvent pas s’entendre, on peut l’oublier. Elle s’est ensuite exprimée ainsi, au paragraphe 19 de ses motifs [traduction] : « En fin de compte, ce sont les différences entre ce qui est revendiqué et l’art antérieur qui comptent. » Il s’agit essentiellement de l’état du droit canadien avant l’arrêt Plavix no 1.
[67] Est-il vrai que la modification de l’un des deux points auxquels j’ai fait référence plus tôt équivaut à modifier la définition de l’évidence? Étant donné que l’évidence porte sur la question de savoir si le passage de l’art antérieur au second point exige l’inventivité, la modification du second point aura une incidence sur la difficulté du passage, ce qui rend l’inventivité plus ou moins probable. Dans ce cas, peut-on raisonnablement conclure que la Cour suprême entendait modifier la définition de l’analyse de l’évidence lorsqu’elle a adopté, sans aucun commentaire, le cadre Windsurfing/Pozzoli? Est-il probable que la Cour suprême, après avoir pris grand soin lors de la modification du critère de l’évidence, modifierait la définition de l’évidence sans le dire?
[68] Je suis porté à croire que la Cour suprême ne modifie pas implicitement le droit de fond, surtout qu’elle a adopté une approche prudente à l’égard du changement dans le même contexte : voir Apotex Inc. c. Eli Lilly Canada Inc., 2016 CAF 267, [2017] 3 R.C.F. 145, au paragraphe 37.
[69] Par ailleurs, il me semble que l’utilisation du terme « concept inventif » évite la question à laquelle le cadre Windsurfing/Pozzoli cherche à répondre. La question de l’évidence vise à savoir s’il y a eu inventivité ou non. En demandant à la Cour de cerner le concept inventif, on sous-entend qu’il y a eu inventivité. Il n’est pas logique de demander à la Cour de cerner le concept inventif de l’invention revendiquée et de lui demander ensuite de décider si l’invention revendiquée est en fait une invention.
[70] À mon avis, c’est la difficulté avec laquelle la Cour fédérale a été aux prises dans la présente affaire. Après avoir conclu que l’idée originale comportait trois éléments, la Cour fédérale a été contrainte d’affirmer, au terme de son analyse, que deux de ces éléments n’étaient aucunement originaux. C’est cette conclusion qui est à l’origine du présent appel. Je serais porté à croire, à la lumière du raisonnement de la Cour fédérale, que cette erreur ne réside pas dans son application du critère de l’« essai allant de soi », mais plutôt dans sa désignation de l’idée originale.
[71] J’en arrive ainsi au bien-fondé du présent appel.
[72] Les premières étapes du cadre Windsurfing/Pozzoli ne sont pas litigieuses. La Cour fédérale a correctement identifié la personne versée dans l’art et déterminé les connaissances générales courantes. En particulier, je souligne la conclusion tirée au paragraphe 412 des motifs de la Cour fédérale selon laquelle la personne versée dans l’art se serait attendue à ce qu’un filtre salin permette, selon toute vraisemblance, de repérer au moins un sel qui aurait des propriétés pharmaceutiques améliorées par rapport à la base libre d’atazanavir.
[73] L’état de la technique pertinent consiste en l’enseignement du brevet '840, qui présente l’atazanavir et le revendique, ainsi que ses sels pharmaceutiquement acceptables.
[74] La question clé consistait à cerner le concept inventif. À mon avis, la Cour fédérale a erré dans sa détermination du concept inventif. La source de cette erreur réside dans son défaut d’expliciter le sens de l’idée originale. Selon les arguments présentés par les parties, la Cour fédérale a implicitement adopté une définition de l’idée originale qui était axée sur les propriétés du bisulfate d’atazanavir. Il s’agissait, selon moi, d’une erreur de droit isolable, qui justifie notre intervention.
[75] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que le « concept inventif » ne diffère pas sensiblement de « la solution enseignée par le brevet ». Si la Cour fédérale avait appliqué cette définition aux faits, elle aurait conclu que l’idée originale dans la présente affaire est le bisulfate d’atazanavir, un sel pharmaceutiquement acceptable de l’atazanavir, parce que sa biodisponibilité est égale ou supérieure à celle de la base libre d’atazanavir. La biodisponibilité limitée de l’atazanavir était la source de la motivation pour trouver la solution. Le fait que la revendication no 2 du brevet '736 revendique une forme posologique pharmaceutique du bisulfate d’atazanavir de type I confirme qu’il convient à des fins pharmaceutiques.
[76] Si la Cour fédérale avait correctement défini le concept inventif, elle aurait conclu, à l’étape 3 du cadre Windsurfing/Pozzoli, qu’il n’y a aucune différence entre l’état de la technique et le concept inventif ou la solution enseignée par le brevet. Cela signifie qu’il n’y a aucune différence entre i) l’atazanavir et ses sels pharmaceutiquement acceptables et ii) le bisulfate d’atazanavir, un sel de l’atazanavir pharmaceutiquement acceptable en raison de sa biodisponibilité. Quoi qu’il en soit, s’il y avait une différence, elle pouvait être franchie à l’étape 4 du cadre Windsurfing/Pozzoli, sans inventivité, en ayant recours uniquement aux connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. La personne versée dans l’art se serait attendue à ce qu’un filtre salin permette, selon toute vraisemblance, de repérer au moins un sel qui aurait des propriétés pharmaceutiques améliorées, notamment la biodisponibilité, par rapport à la base libre d’atazanavir : motifs, aux paragraphes 412 et 495. De plus, la description des propriétés de ce sel n’était qu’un travail de routine : motifs, aux paragraphes 400 et 504.
[77] Sur ce fondement, si la Cour fédérale avait correctement défini le concept inventif, elle n’aurait pas jugé nécessaire d’appliquer le critère de l’« essai allant de soi ». Toutefois, s’il était nécessaire d’appliquer ce critère, son étude du deuxième facteur de l’arrêt Lundbeck, aux paragraphes 501 à 504 de son jugement, constituait un motif suffisant pour conclure que l’allégation d’évidence formulée par Teva était fondée.
[78] On se souvient que le deuxième facteur de l’arrêt Lundbeck concerne la nature et l’ampleur des efforts requis pour réaliser l’invention. Cet examen est très semblable à celui exposé dans l’arrêt Beloit lorsqu’il s’agit de vérifier si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes, la personne versée dans l’art serait directement et facilement arrivée à l’invention revendiquée. La Cour fédérale a conclu que la nature et l’ampleur des efforts requis pour obtenir le bisulfate d’atazanavir de type I démontraient que cette découverte était évidente : motifs, aux paragraphes 502 et 503.
[79] On se souviendra que le brevet '840 revendiquait l’atazanavir et ses sels pharmaceutiquement acceptables : motifs, au paragraphe 381. On se souviendra aussi que les experts s’entendaient sur le fait que les filtres salins étaient couramment utilisés lorsqu’on tentait d’améliorer la solubilité d’un composé. L’amélioration de la solubilité d’un médicament en améliore habituellement la biodisponibilité : motifs, au paragraphe 496. En outre, il était indiqué dans le brevet '840 que l’acide sulfurique était l’un des acides pouvant être utilisés pour fabriquer du sel d’atazanavir : motifs, au paragraphe 408.
[80] La Cour fédérale a examiné l’évolution des travaux de conception menés par BMS qui ont donné lieu à la séparation du bisulfate d’atazanavir de type I à titre de composant pouvant être breveté. Les scientifiques de BMS ont réussi à fabriquer des sels de bisulfate d’atazanavir de type I, entre autres, dès le premier jour de leur processus de conception de médicaments. Il a fallu environ six semaines pour décrire les propriétés des sels de type I et de type II, mais ce travail était routinier et non ardu : motifs, aux paragraphes 399, 400 et 504. Rien ne donne à penser que l’équipe de scientifiques de BMS travaillait à un niveau supérieur à celui attendu d’une personne versée dans l’art : motifs, au paragraphe 503. Compte tenu de cette preuve, la Cour fédérale était en droit de conclure qu’une personne versée dans l’art obtiendrait « rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais, compte tenu de l’art [antérieur] et des connaissances générales courantes », le bisulfate d’atazanavir de type I. De l’avis de la Cour fédérale, la découverte du bisulfate d’atazanavir de type I était évidente : motifs, aux paragraphes 509 et 510. Je souscris à cette conclusion.
[81] En outre, la Cour fédérale a conclu qu’il y avait un motif pour rechercher un sel de l’atazanavir pharmaceutiquement acceptable dont la biodisponibilité serait supérieure à celle de la base libre d’atazanavir, soit le troisième facteur de l’arrêt Lundbeck : motifs, aux paragraphes 481 à 484. Même s’il ne s’agit pas forcément d’un motif suffisant pour conclure que le développement du bisulfate d’atazanavir était évident, ce facteur étaye la conclusion à laquelle la Cour fédérale est arrivée en étudiant le deuxième facteur de l’arrêt Lundbeck.
[82] Selon les faits exposés en l’espèce, il me semble que les faits étayant la conclusion selon laquelle il était possible de passer de l’état de la technique à l’idée originale (soit la solution enseignée par le brevet) sans faire preuve d’inventivité satisfont aussi au premier facteur de l’arrêt Lundbeck, c’est-à-dire qu’il était plus ou moins évident que l’essai serait fructueux. À mon avis, lorsqu’on tient compte de ce facteur comme il a été expliqué par la Cour suprême, la conclusion selon laquelle la personne versée dans l’art aurait considéré un filtre salin comme une façon plus ou moins évidente d’obtenir une forme d’atazanavir dont la biodisponibilité est supérieure est inévitable.
[83] En conséquence, je rejetterais l’appel parce que, vu l’état de la technique et les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art, la conception de l’atazanavir était évidente.
V. CONCLUSION
[84] Je rejetterais donc l’appel avec dépens.
Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Rennie, J.C.A. : Je suis d’accord.