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IMM-1273-17

2017 CF 981

Sergiy Yuris (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Yuris c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Manson—Toronto, 25 octobre; Ottawa, 1er novembre 2017.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Motifs d’ordre humanitaire — Contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’immigration qui a refusé d’inclure le demandeur dans la demande de résidence permanente de son épouse pour motifs d’ordre humanitaire — Le demandeur et son épouse sont des citoyens de l’Ukraine et ont demandé l’asile sur le fondement de leur orientation sexuelle — Leurs demandes d’asile ont été refusées par la Section de la protection des réfugiés (SPR) — La Section d’appel des réfugiés (SAR) a accueilli l’appel du demandeur et a renvoyé l’affaire à la SPR pour nouvel examen — Son épouse a présenté une demande pour motifs d’ordre humanitaire dans laquelle elle a indiqué le demandeur en tant que son époux — L’agent a conclu que le demandeur ne pouvait pas être inclus en tant que membre de la famille accompagnant son épouse dans sa demande pour motifs d’ordre humanitaire conformément à l’art. 25(1.2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés parce qu’il avait présenté une demande d’asile qui était pendante — Il s’agissait de savoir si l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le demandeur ne pouvait pas être inclus à la demande pour motifs d’ordre humanitaire — Il était loisible à l’agent d’interpréter de manière raisonnable l’art. 10(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés afin de conclure que les membres de la famille qui accompagnent le demandeur sont réputés être des demandeurs pour l’application de l’art. 25 de la Loi et que l’art. 25(1.2)b) de la Loi interdit donc à un membre de la famille de présenter une demande pour motifs d’ordre humanitaire lorsque la demande d’asile de ce membre est pendante — L’historique législatif dans le cadre duquel la disposition a été adoptée indique que l’un des principaux objectifs du législateur était de réduire les arriérés et les abus dans le cadre du processus d’octroi de l’asile — On peut également soutenir que le législateur avait l’intention d’accorder une interprétation large à l’art. 25(1.2) de manière à ce qu’une interdiction aux demandes pour motifs d’ordre humanitaire s’impose aux membres de la famille — Question certifiée — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’immigration qui a refusé d’inclure le demandeur dans la demande de résidence permanente de son épouse pour motifs d’ordre humanitaire (demande pour motifs d’ordre humanitaire).

Le demandeur et son épouse sont des citoyens de l’Ukraine et se sont mariés afin de cacher leur orientation sexuelle. Ils ont un fils. Après avoir été attaqués à maintes reprises en Ukraine, ils sont venus au Canada et ont demandé l’asile. Ces demandes ont été refusées par la Section de la protection des réfugiés (SPR). La Section d’appel des réfugiés (SAR) a accueilli l’appel de la demande d’asile du demandeur et a renvoyé l’affaire à la SPR pour nouvel examen. Son épouse et leur fils n’ont pas pu interjeter appel de leur demande auprès de la SAR parce qu’ils étaient entrés au Canada par l’intermédiaire des États-Unis. Ils ont interjeté appel devant la Cour fédérale, mais l’autorisation d’en appeler a été refusée. Son épouse a présenté une demande pour motifs d’ordre humanitaire dans laquelle elle a indiqué le demandeur en tant que son époux. L’agent a conclu que le demandeur ne pouvait pas être inclus en tant que membre de la famille accompagnant son épouse dans sa demande pour motifs d’ordre humanitaire conformément à l’alinéa 25(1.2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés parce qu’il avait présenté une demande d’asile qui était pendante devant la SPR. Le demandeur a soutenu que l’alinéa 25(1.2)b) ne s’applique pas aux membres de la famille d’un étranger.

La principale question en litige était celle de savoir si l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le demandeur ne pouvait pas être inclus à la demande pour motifs d’ordre humanitaire en raison de sa demande d’asile pendante.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Il était loisible à l’agent d’interpréter de manière raisonnable le paragraphe 10(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui dispose que « [l]a demande vaut pour le demandeur principal et les membres de sa famille qui l’accompagnent », afin de conclure que les membres de la famille qui accompagnent le demandeur sont réputés être des demandeurs pour l’application de l’article 25 de la Loi et que l’alinéa 25(1.2)b) interdit donc à un membre de la famille de présenter une demande pour motifs d’ordre humanitaire lorsque la demande d’asile de ce membre est pendante. L’historique législatif dans le cadre duquel l’alinéa 25(1.2)b) de la Loi a été adopté indique que l’un des principaux objectifs du législateur était de réduire les arriérés et les abus dans le cadre du processus d’octroi de l’asile. En conséquence, on peut également soutenir que le législateur avait l’intention d’accorder une interprétation large au paragraphe 25(1.2) de la Loi de manière à ce qu’une interdiction aux demandes pour motifs d’ordre humanitaire s’impose aux membres de la famille. Il était donc raisonnable que l’agent décide que l’alinéa 25(1.2)b) de la Loi s’applique aux membres de la famille des demandeurs principaux de demandes pour motifs d’ordre humanitaire.

La question de savoir si le terme « étranger » à l’alinéa 25(1.2)b) s’applique uniquement à une demande présentée par un demandeur principal aux termes du paragraphe 25(1) ou s’il empêche également le ministre d’examiner les demandes présentées aux termes du paragraphe 25(1) par tous les étrangers visés dans la demande de statut de résident permanent dont la demande d’asile est pendante devant la SPR ou la SAR a été certifiée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 2(1) « étranger », 3, 25, 72(1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 1(3) « membre de la famille », 10(3), 66, 67, 68, 69, 69.1.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 287; Mazhandu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 663; Wu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CanLII 94545 (C.I.S.R.); Biletsky c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CanLII 91413 (C.I.S.R.); Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289.

DÉCISIONS CITÉES :

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., vol. 146 (15 mars 2012).

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., vol. 146 (26 mars 2012).

Canada. Parlement. Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1re sess., vol. 146 (23 avril 2012).

Sullivan, Ruth. Statutory Interpretation, 3e éd. Toronto : Irwin Law, 2016.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’immigration qui a refusé d’inclure le demandeur comme conjoint à charge dans la demande de résidence permanente de son épouse pour motifs d’ordre humanitaire. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Clarisa Waldman, pour le demandeur.

Eleanor Elstub, pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman Professional Corporation, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Manson :

I.          Introduction

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) d’une décision rendue par un agent d’immigration (l’agent) qui refuse d’inclure le demandeur dans la demande de résidence permanente de son épouse pour motifs d’ordre humanitaire (demande pour motifs d’ordre humanitaire).

II.          Faits

[2]        Le demandeur, son épouse et leur fils sont des citoyens de l’Ukraine. Le demandeur, Sergiy Yuris, est né en 1973. Il s’est marié à Olga Yuris en 1999 et leur fils, Yev Yuris, est né en 2003.

[3]        Le demandeur et Olga sont tous les deux homosexuels. Ils se sont mariés afin de cacher leur orientation sexuelle en Ukraine où l’homosexualité n’est pas acceptée sur le plan social. Ils considéraient leur mariage comme une relation sérieuse et conjugale et ils vivaient avec Yev dans l’apparence d’une famille normale. Entre-temps, ils ont poursuivi leurs relations homosexuelles en secret du reste de la société ukrainienne.

[4]        Le demandeur a été attaqué à maintes reprises en raison de son orientation sexuelle en 2013 et en 2014. En octobre 2014, lui et Olga ont été attaqués par trois hommes qui ont menacé de révéler leur secret. À la suite des attaques, le demandeur, Olga et Yev sont venus au Canada et ont demandé l’asile. Les demandes ont été refusées par la Section de la protection des réfugiés (SPR).

[5]        Le demandeur a interjeté appel de sa demande d’asile devant la Section d’appel des réfugiés (SAR), qui a accueilli l’appel et a renvoyé l’affaire à la SPR pour nouvel examen. Olga et Yev ne pouvaient pas interjeter appel de leur demande auprès de la SAR parce qu’ils étaient entrés au Canada par l’intermédiaire des États-Unis. Ils ont interjeté appel de leur demande devant la Cour fédérale, mais l’autorisation d’en appeler a été refusée.

[6]        En novembre 2015, Olga a présenté une demande pour motifs d’ordre humanitaire dans laquelle elle a indiqué le demandeur en tant que son époux et le père de Yev. Elle a expliqué que le mariage avait pour objet de cacher leur homosexualité en Ukraine. De plus, ses observations indiquaient l’importance du demandeur dans sa vie et dans celle de Yev.

[7]        Toutefois, Olga n’a pas nommé le demandeur comme un membre de sa famille qui l’accompagne. Cette décision a été prise pour deux raisons. En premier lieu, le nouvel examen de la demande d’asile du demandeur était pendante. En deuxième lieu, au moment de la demande, il ne vivait pas avec elle, ils n’avaient ni une relation sexuelle ni une relation romantique et elle ne le considérait pas comme une personne à sa charge ni comme son époux aux fins de la demande.

[8]        Le 19 août 2016, la demande pour motifs d’ordre humanitaire d’Olga a été approuvée en principe. Toutefois, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a demandé des éclaircissements quant à la relation entre le demandeur et Olga et la raison pour laquelle le demandeur n’avait pas été inclus en tant que membre de la famille qui l’accompagne dans la première demande pour motifs d’ordre humanitaire.

[9]        Le 25 janvier 2017, des observations ont été présentées quant à la raison pour laquelle la relation est de nature conjugale et que le demandeur n’avait pas été inclus en tant que membre de la famille qui l’accompagne dans la première demande pour motifs d’ordre humanitaire. De plus, les observations citaient les facteurs d’ordre humanitaire pour étayer l’inclusion du demandeur dans la demande pour motifs d’ordre humanitaire.

[10]      Le 28 février 2017, l’agent a conclu que le demandeur ne pouvait pas être inclus en tant que membre de la famille qui accompagne Olga dans sa demande pour motifs d’ordre humanitaire. L’agent a déclaré ce qui suit :

[traduction] Conformément à l’alinéa 25 (1.2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés :

« Le ministre ne peut étudier la demande de l’étranger faite [...] [s’]il a présenté une demande d’asile qui est pendante devant la Section de la protection des réfugiés ou de la Section d’appel des réfugiés. »

Nous ne pouvons vous inclure en tant que personne à charge qui accompagne Mme Yuris dans sa demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire puisque vous avez actuellement une demande d’asile pendante devant la Section de la protection des réfugiés.

[11]      L’agent a déclaré en outre que le demandeur ne serait pas exclu d’une demande visant le regroupement familial. Toutefois, en tant que membre de la famille qui n’accompagne pas l’auteur de la demande, le statut de résident permanent ne lui serait pas accordé en même temps qu’Olga et Yev dans le cadre de la demande pour motifs d’ordre humanitaire.

[12]      Le 20 mars 2017, le demandeur a demandé un contrôle judiciaire du refus de l’agent de l’inclure en tant que membre de la famille qui accompagne l’auteur dans le cadre de sa demande pour motifs d’ordre humanitaire.

III.         Questions en litige

[13]      Les questions en litige sont les suivantes :

A.    L’agent a-t-il commis une erreur lorsqu’il a conclu que le demandeur ne pouvait pas être inclus à la demande pour motifs d’ordre humanitaire en raison de sa demande d’asile pendante?

B.    Les motifs d’ordre humanitaire et d’ordre public dictent-ils que le demandeur devrait être inclus dans la demande pour motifs d’ordre humanitaire?

IV.        Norme de contrôle

[14]      Les parties s’entendent pour dire que, lorsqu’un décideur interprète sa loi habilitante, comme en l’espèce, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

V.        Discussion

Question préliminaire

[15]      En tant que question préliminaire, l’intitulé devrait être modifié afin de nommer le défendeur comme « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

A.   L’agent a-t-il commis une erreur lorsqu’il a conclu que le demandeur ne pouvait pas être inclus à la demande pour motifs d’ordre humanitaire en raison de sa demande d’asile pendante?

[16]      Le demandeur soutient que l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR ne s’applique pas aux membres de la famille d’un étranger et que cette interprétation est étayée par la jurisprudence et les dispositions connexes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement).

[17]      Le défendeur soutient que l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR s’applique à toutes les personnes visées par une demande pour motifs d’ordre humanitaire. Une autre interprétation de la disposition minerait l’intention du législateur d’empêcher les étrangers d’avoir accès à plusieurs programmes de traitement en matière d’immigration en même temps; cette interprétation est étayée par la jurisprudence et les dispositions connexes du Règlement.

[18]      L’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR dispose :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25 (1) […]

Exceptions

(1.2) Le ministre ne peut étudier la demande de l’étranger faite au titre du paragraphe (1) dans les cas suivants :

[…]

b) il a présenté une demande d’asile qui est pendante devant la Section de la protection des réfugiés ou de la Section d’appel des réfugiés;

[19]      Il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21).

[20]      Les termes « demande » et « étranger » à l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR et répétés à maintes reprises dans l’ensemble de l’article 25 de la LIPR, ont trait à la « demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent » pour motifs d’ordre humanitaire, conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

[21]      Une simple lecture de l’article 25 indique que la « demande » visée est la demande pour motifs d’ordre humanitaire et que l’« étranger » est la personne qui présente la demande. En ce sens, l’alinéa 25(1.2)b) peut être interprété comme s’il s’applique uniquement au demandeur principal. L’article 25 ne renvoie aucunement aux membres de la famille qui accompagne le demandeur.

[22]      Dans la décision Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 287 (Liang), le demandeur principal d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire avait indiqué un membre de la famille qui l’accompagnait dont la demande d’asile était pendante. Les parties se sont entendues pour dire que l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR n’empêchait pas le traitement de la demande pour motifs d’ordre humanitaire pendant que la demande du membre de la famille était pendante. En outre, la Cour a retenu l’argument selon lequel « quoi qu’il en soit, la demande pour motifs d’ordre humanitaire est fondée sur le statut du demandeur principal qui n’avait pas une demande d’asile pendante » (Liang, au paragraphe 22).

[23]      Cependant, l’article 25 de la LIPR ne distingue pas expressément entre les demandeurs principaux et les personnes à leur charge et il ne renvoie pas non plus particulièrement à une « demande » comme étant la demande pour motifs d’ordre humanitaire du demandeur principal. De même, la définition d’« étranger » prévue au paragraphe 2(1) de la LIPR est assez large pour inclure les membres de la famille :

Définitions et interprétation

Définitions

2 (1)

[…]

étranger Personne autre qu’un citoyen canadien ou un résident permanent; la présente définition vise également les apatrides. (foreign national)

[24]      En ce sens, l’« étranger » visé au paragraphe 25(1) de la LIPR pourrait comprendre un membre de la famille dont la « demande » est sa demande de résidence permanente à titre de membre de la famille qui accompagne le demandeur.

1)    L’économie générale de la LIPR et du Règlement

[25]      La LIPR prévoit une économie générale des demandes pour motifs d’ordre humanitaire qui distingue clairement entre les demandeurs principaux et les membres de la famille. Toutefois, elle peut également considérer des membres de la famille comme des demandeurs d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire pour l’application de la LIPR et du Règlement.

[26]      Selon une optique, le Règlement distingue clairement entre les demandeurs principaux et les membres de leur famille. Un « membre de la famille » est ainsi défini au paragraphe 1(3) du Règlement :

Définitions

1 (1) […]

Définition de membre de la famille

(3) Pour l’application de la Loi — exception faite de l’article 12 et de l’alinéa 38(2)d) — et du présent règlement — exception faite de l’alinéa 7.1(3)a) et des articles 159.1 et 159.5 —, membre de la famille, à l’égard d’une personne, s’entend de :

a) son époux ou conjoint de fait;

b) tout enfant qui est à sa charge ou à la charge de son époux ou conjoint de fait;

c) l’enfant à charge d’un enfant à charge visé à l’alinéa b).

[27]      La section 5 [articles 66 à 69.1] du Règlement prévoit ensuite une économie générale selon laquelle un étranger peut présenter une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire et qu’il peut être accompagné de membres de la famille. L’article 66 du Règlement décrit comme suit la « demande » visée au paragraphe 25(1) de la LIPR :

Circonstances d’ordre humanitaire

Demande

66 La demande faite par un étranger en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi doit être faite par écrit et accompagnée d’une demande de séjour à titre de résident permanent ou [...]

[28]      Les articles 68 et 69.1, ainsi que le paragraphe 69(2) du Règlement (et l’article 67 et le paragraphe 69(1) du règlement concernant les demandes présentées à l’extérieur du Canada) ont ensuite la distinction entre l’« étranger » et les « membres de sa famille » :

Demandeur au Canada

68 Dans le cas où l’application des alinéas 72(1)a), c) et d) est levée en vertu des paragraphes 25(1), 25.1(1) ou 25.2(1) de la Loi à l’égard de l’étranger qui se trouve au Canada et qui a fait les demandes visées à l’article 66, celui-ci devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après, ainsi que ceux prévus aux alinéas 72(1)b) et e), sont établis :

[…]

b) il n’est pas par ailleurs interdit de territoire;

c) les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, ne sont pas interdits de territoire.

69 (1) […]

Membre de la famille qui accompagne l’étranger et qui se trouve au Canada

(2) L’étranger qui est un membre de la famille accompagnant un étranger qui est devenu résident permanent au titre de l’article 68 devient résident permanent s’il se trouve au Canada et si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

a) le membre de la famille n’est pas interdit de territoire;

[…]

Exigences — membre de la famille

69.1 Sous réserve du paragraphe 25.1(1), a la qualité de membre de la famille du demandeur la personne qui est un membre de la famille de ce dernier au moment où est faite la demande visée à l’article 66 et au moment où il est statué sur celle-ci.

[29]      Ces dispositions ne semblent pas étayer une interprétation de l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR qui interdirait des membres de la famille dont la demande d’asile est pendante d’accompagner le demandeur principal d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire. Une telle interprétation exige que l’« étranger » et la « demande » visés à l’article 25 de la LIPR renvoient à un membre de la famille et à sa demande d’accompagner le demandeur principal de la demande pour motifs d’ordre humanitaire. Le Règlement vise clairement les « demandes » dans la mesure où elles se rapportent aux demandes de motifs d’ordre humanitaire et l’« étranger » en tant que demandeur principal.

[30]      Selon une autre optique, le paragraphe 10(3) du Règlement dispose :

10 (1) […]

Demande du membre de la famille

(3) La demande vaut pour le demandeur principal et les membres de sa famille qui l’accompagnent.

[31]      Le juge Snider dans la décision Mazhandu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 663, lorsqu’il a examiné le paragraphe 10(3), a conclu comme suit au paragraphe 14 :

[…] Une interprétation possible et raisonnable de cette disposition est qu’il s’agit d’une disposition créant une présomption. Autrement dit, un membre de la famille est considéré comme un demandeur aux fins de la demande de résidence permanente parce que son nom est inscrit dans le formulaire.

[32]      Par ailleurs, la Section des appels de l’immigration et des réfugiés a examiné cette disposition dans les cas de demandes visant le regroupement familial et selon son interprétation, les membres de la famille qui accompagne le demandeur principal ont « présenté une demande de résidence permanente légale et dûment remplie au titre de la catégorie du regroupement familial » (Wu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CanLII 94545 (C.I.S.R.), au paragraphe 13; Biletsky c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CanLII 91413 (C.I.S.R.), au paragraphe 11).

[33]      Par conséquent, même si l’agent ne le mentionne pas explicitement dans la décision, il lui était loisible d’interpréter de manière raisonnable le paragraphe 10(3) du Règlement afin de conclure que les membres de la famille qui accompagnent le demandeur sont réputés être des demandeurs pour l’application de l’article 25 de la LIPR et que l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR interdit donc à un membre de la famille de présenter une demande pour motifs d’ordre humanitaire lorsque la demande d’asile de ce membre est pendante.

2)    Les objectifs de la disposition et de la LIPR

[34]      Les objectifs des dispositions législatives sont prévus à l’article 3 de la LIPR. L’alinéa 3(1)d) de la LIPR prévoit que l’un des objectifs est « de veiller à la réunification des familles au Canada ». Cet objectif a été confirmé récemment par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289, au paragraphe 39, qui énumère également en tant qu’objectif « de promouvoir l’intégration des résidents permanents au Canada » [souligné dans l’original].

[35]      Toutefois, les alinéas 3(1)f) et 3(2)e) de la LIPR vise un « traitement efficace » et une « procédure [...] efficace ». Ces objectifs peuvent militer en faveur ou contre l’interprétation de l’agent de l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR. D’une part, il est inefficace de refuser à un membre de la famille la capacité d’accompagner le demandeur principal de la demande pour motifs d’ordre humanitaire et de l’obliger d’attendre que sa demande d’asile soit traitée en tant que solution de rechange, vu qu’il pourrait falloir considérablement plus de temps et plus de ressources pour traiter les cas de réfugiés. D’autre part, il est inefficace de permettre à un membre de la famille d’être inclus dans une demande pour motifs d’ordre humanitaire sans retirer sa demande d’asile, ce qui permettrait à ce membre de famille d’avoir accès à deux programmes d’immigration en même temps.

[36]      En fait, même s’il ne traite pas directement de l’objectif ou du but de l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR, l’historique législatif dans le cadre duquel l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR a été adopté indique que l’un des principaux objectifs du législateur était de réduire les arriérés et les abus dans le cadre du processus d’octroi de l’asile (Débats de la Chambre des communes, 41e lég., 1ère sess., vol. 146, no 097 (15 mars 2012), aux paragraphes (1315 à 1320) [à la page 6359] (l’hon. Wladyslaw Lizon); no 099 (26 mars 2012), aux paragraphes (1300 à 1305) [à la page 6471] (l’hon. Nina Grewal); et no 108 (23 avril 2012), aux paragraphes (1245 à 1250) [à la page 6993] (l’hon. Randy Kamp)).

[37]      En conséquence, on peut également soutenir que le législateur avait l’intention d’accorder une interprétation large au paragraphe 25(1.2) de la LIPR de manière à ce qu’une interdiction aux demandes pour motifs d’ordre humanitaire s’impose aux membres de la famille.

[38]      J’indique que, même si la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, à l’article 12 prévoit que tout texte « s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet », cette disposition est qualifiée par le principe général selon lequel l’interprétation législative est présumée ne pas porter atteinte aux droits des personnes, fondés sur la common law ou une loi, et que les dispositions législatives qui limitent les droits seront interprétées strictement (Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3e éd. (Toronto : Irwin Law, 2016), à la page 230).

[39]      Dans l’évaluation des dispositions pertinentes de la LIPR et du Règlement par rapport à l’économie générale et aux objectifs de la LIPR de manière téléologique, même si je ne souscris pas nécessairement à l’interprétation de l’agent de l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR, je conclus qu’il était raisonnable que l’agent décide que l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR s’applique aux membres de la famille des demandeurs principaux de demandes pour motifs d’ordre humanitaire.

B.    Les motifs d’ordre humanitaire et d’ordre public dictent-ils que le demandeur devrait être inclus dans la demande pour motifs d’ordre humanitaire?

[40]      Le demandeur soutient que la politique publique dicte que le demandeur devrait être inclus dans cette demande pour motifs d’ordre humanitaire. Ni le demandeur ni un membre de sa famille n’a effectué une présentation erronée sur un fait ni commis un méfait, le demandeur a toujours constitué une personne centrale visée par la demande pour motifs d’ordre humanitaire et il répond à toutes les conditions applicables prescrites par la LIPR et le Règlement. Il serait un gaspille de ressources et de politique publique de refuser de l’inclure maintenant et de l’obliger à attendre l’issue de sa demande d’asile ou un parrainage futur dans la catégorie du regroupement familial.

[41]      Il ne s’agit pas d’une question appropriée que la Cour doit trancher. Les dispositions législatives pertinentes ayant trait aux demandes en matière d’immigration et aux exemptions précises qui doivent être prises en compte et interprétées par la Cour sont énoncées dans la LIPR et dans le Règlement, y compris l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR. Le rôle de la Cour est d’interpréter et d’appliquer ces textes et non de recourir à l’interprétation de la politique législative.

[42]      La décision visée par le contrôle judiciaire est l’interprétation de l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR par l’agent. La seule question appropriée que la Cour doit trancher est celle de savoir si cette interprétation était raisonnable et je conclus qu’elle l’était.

VI.        Question certifiée

[43]      Le défendeur a posé une question aux fins de certification et je suis d’accord pour dire qu’il s’agit d’une question grave de portée générale qui est déterminante quant à l’issue de l’appel et qui transcende les intérêts des parties au litige, et qui a des conséquences importantes ou de portée générale (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, au paragraphe 11; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 R.C.F. 290, au paragraphe 9). La question est la suivante :

Le terme « étranger » à l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR s’applique-t-il uniquement à une demande présentée par un demandeur principal aux termes du paragraphe 25(1) ou empêche-t-il également le ministre d’examiner les demandes présentées aux termes du paragraphe 25(1) par tous les étrangers au Canada visés dans la demande de statut de résident permanent dont la demande d’asile est pendante devant la SPR ou la SAR?

[44]      Même si le demandeur propose une autre question au motif que la Cour doit décider si la demande du demandeur d’être ajouté à titre de personne à charge qui accompagne la demandeure devrait être accordée, je suis d’accord avec le défendeur. La Cour doit décider si, en application de l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR conjointement avec le paragraphe 10(3) du Règlement, il était raisonnable pour l’agent de conclure qu’un étranger est interdit d’être inclus dans une demande pour motifs d’ordre humanitaire en tant que personne à charge qui accompagne le demandeur lorsque sa demande d’asile est pendante.

[45]      Par souci d’exhaustivité, la question proposée par le demandeur est la suivante :

L’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR empêche-t-il le ministre d’examiner une demande de résidence permanente présentée par une personne à charge qui accompagne un étranger à qui une exemption a été accordée en vertu du paragraphe 25(1) si la personne à charge qui accompagne l’étranger a présenté une demande d’asile qui est pendante devant la SPR ou la SAR?

JUGEMENT dans IMM-1273-17

LA COUR STATUE que :

1.         L’intitulé est modifié par les présentes afin de nommer le défendeur comme « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

2.         La demande est rejetée.

3.         La question suivante est certifiée :

Le terme « étranger » à l’alinéa 25(1.2)b) de la LIPR s’applique-t-il uniquement à une demande présentée par un demandeur principal aux termes du paragraphe 25(1) ou empêche-t-il également le ministre d’examiner les demandes présentées aux termes du paragraphe 25(1) par tous les étrangers au Canada visés dans la demande de statut de résident permanent dont la demande d’asile est pendante devant la SPR ou la SAR?

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