A-400-15
2017 CAF 162
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Callidus Capital Corporation (intimée)
Répertorié : Canada c. Callidus Capital Corporation
Cour d’appel fédérale, les juges Pelletier, Near et Rennie, J.C.A.—Toronto, 19 janvier; Ottawa, 27 juillet 2017.
Douanes et Accise –– Loi sur l’accise –– Appel interjeté contre l’ordonnance par laquelle la Cour fédérale a répondu par l’affirmative à la question de savoir si la faillite d’un débiteur fiscal, selon ce que prévoit l’art. 222(1.1) de la Loi sur la taxe d’accise (Loi), a pour effet de rendre la fiducie présumée dont parle l’art. 222 de la Loi inopposable à un créancier garanti qui a reçu, avant la faillite, le produit des biens du débiteur fiscal qui était réputé détenu en fiducie pour l’appelante –– L’appelante a soutenu qu’on lui devait 177 299, 70 $ plus les intérêts au titre de la TPS et de la TVH non versées, par l’effet du mécanisme de fiducie réputée qu’établit l’art. 222 de la Loi; elle a intenté une instance devant la Cour fédérale afin de recouvrer cette créance –– Selon les modalités d’un accord d’abstention, le débiteur fiscal a remis le produit de ses biens à l’intimée afin de rembourser en partie les sommes dues; l’intimée a affecté ce produit à la réduction partielle des dettes et obligations du débiteur fiscal –– Le débiteur fiscal a fait cession de ses biens –– La Cour fédérale a conclu que le mécanisme de fiducie présumée qu’établit l’art. 222 de la Loi a pour effet de donner la « priorité absolue » au receveur général, mais que la fiducie présumée prend fin au moment de la faillite du débiteur, de telle sorte que la Couronne devient alors un créancier non garanti pour ce qui concerne les sommes non versées –– Il s’agissait de savoir si la faillite d’un débiteur fiscal, selon ce que prévoit l’art. 222(1.1) de la Loi, a pour effet de rendre la fiducie présumée qu’établit l’art. 222 de la Loi inopposable à un créancier garanti qui a reçu, avant la faillite, le produit des biens de ce débiteur fiscal qui était réputé détenu en fiducie –– Le juge Rennie, J.C.A. (le juge Near, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : Il fallait répondre à la question de droit en litige dans la présente affaire par la négative –– Cette conclusion était étayée par le libellé de l’art. 222 de la Loi, qui établit un mécanisme conçu pour permettre à la Couronne de recouvrer la TPS ou la TVH perçues, mais non versées –– Les modifications apportées en 2000 au mécanisme de fiducie présumée dans la Loi faisaient obligation aux créanciers garantis de verser à la Couronne le produit découlant des actifs fiduciaires –– La Couronne peut faire valoir en justice la responsabilité personnelle du créancier garanti qui ne se conforme pas à l’obligation de paiement à laquelle le tient la Loi –– Le créancier garanti qui ne s’acquitte pas de son obligation en est personnellement redevable à la Couronne –– S’il soustrait à la fiducie présumée les actifs détenus par le débiteur fiscal au moment de la faillite, l’art. 222(1.1) n’éteint pas la responsabilité personnelle préexistante du créancier garanti qui a reçu un produit de cette fiducie –– Dans la présente espèce le produit découlant de la vente des biens du débiteur fiscal aurait dû être payé à la Couronne par priorité sur tout droit en garantie avant la faillite –– Le produit a été payé en violation de la règle de priorité expressément énoncée à l’art. 222(3) de la Loi –– En outre, la recherche d’un « événement déterminant » pour fonder une cause d’action indépendante n’était pas pertinente, étant donné que la loi prévoit l’obligation de paiement –– Appel accueilli — Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident) : La fiducie créée par l’art. 222(3) de la Loi s’est éteinte faute de matière par l’effet de l’art. 222(1.1) de la même loi à la suite de la faillite du débiteur fiscal –– À la date de la faillite, il n’y avait aucune somme assujettie à la fiducie créée par l’art. 222(1) de la Loi; par conséquent, aucun bien du débiteur fiscal n’était assujetti à une fiducie présumée sous le régime de l’art. 222(3) de la Loi –– Ainsi, l’intimée n’était redevable à la Couronne d’aucun produit découlant de ces biens.
Il s’agissait d’un appel interjeté contre l’ordonnance par laquelle la Cour fédérale a répondu par l’affirmative à la question de savoir si la faillite d’un débiteur fiscal, selon ce que prévoit le paragraphe 222(1.1) de la Loi sur la taxe d’accise (Loi), a pour effet de rendre la fiducie présumée dont parle l’article 222 de la Loi inopposable à un créancier garanti qui a reçu, avant la faillite, le produit des biens du débiteur fiscal qui était réputé détenu en fiducie pour la demanderesse.
La Couronne a soutenu qu’on lui devait 177 299,70 $ plus les intérêts au titre de la TPS et de la TVH non versées, par l’effet du mécanisme de fiducie réputée qu’établit l’article 222 de la Loi. Elle a intenté une action devant la Cour fédérale afin de recouvrer cette créance, action à laquelle l’intimée a opposé une défense, et les parties ont convenu de formuler de concert un point de droit pour décision. L’intimée est une société exerçant des activités de bailliage de fonds à des entreprises commerciales moyennant garanties. Selon les modalités d’un accord d’abstention, le débiteur fiscal a remis le produit de la vente et de la location de ses biens à l’intimée afin de rembourser en partie les sommes dues. L’intimée a affecté ce produit à la réduction partielle des dettes et obligations du débiteur fiscal. À la demande de l’intimée, le débiteur fiscal a fait cession de ses biens. La demanderesse a intenté une instance contre l’intimée sur le fondement du mécanisme de fiducie présumée qu’établit l’article 222 de la Loi au titre de la TPS et de la TVH que le débiteur fiscal a perçue mais omis de verser pour certaines périodes de déclaration.
Devant la Cour fédérale, l’appelante a soutenu que, en conséquence du manquement de l’intimée à son obligation de verser la TPS et la TVH au receveur général, tous les actifs de celle-ci étaient réputés détenus en fiducie au bénéfice de l’appelante, par priorité sur les créances de l’intimée, en application de l’article 222 de la Loi et que l’intégralité du produit des biens de l’intimée reçue du débiteur fiscal, jusqu’à concurrence de la somme garantie par la fiducie réputée, aurait dû être versée au receveur général du Canada par l’effet du mécanisme de fiducie présumée qu’établit la Loi.
La Cour fédérale a conclu que le mécanisme de fiducie présumée qu’établit l’article 222 de la Loi a pour effet de donner la « priorité absolue » au receveur général, mais que la fiducie présumée et la priorité y afférente prennent fin au moment de la faillite du débiteur, de telle sorte que la Couronne devient alors un créancier non garanti pour ce qui concerne les sommes non versées. Selon la Cour fédérale, toute obligation de payer le produit au titre du paragraphe 222(3) de la Loi se trouve éteinte en cas de faillite par l’effet du paragraphe 222(1.1).
En appel, l’intimée a soutenu que, selon la bonne interprétation des dispositions applicables, la fiducie présumée que crée le paragraphe 222(1) de la Loi et sa prolongation que prévoit le paragraphe 222(3) prennent toutes deux fin au moment de la faillite. Étant donné que la Couronne a fondé sur le paragraphe 222(3) la thèse de la responsabilité personnelle du créancier garanti, l’intimée a fait valoir qu’il s’ensuit que la faillite doit aussi éteindre toute responsabilité personnelle. La décision sur le point de droit dans la présente affaire dépendait de l’interprétation de l’effet de la faillite sur le fonctionnement antérieur du mécanisme de fiducie présumée à l’égard d’un créancier garanti qui a reçu avant la faillite le produit de biens du débiteur fiscal assujettis à une telle fiducie.
Il s’agissait de savoir comment trancher le point de droit, à savoir si la faillite d’un débiteur fiscal, selon ce que prévoit le paragraphe 222(1.1) de la Loi, a pour effet de rendre la fiducie présumée qu’établit l’article 222 de la Loi inopposable à un créancier garanti qui a reçu, avant la faillite, le produit des biens de ce débiteur fiscal qui était réputé détenu en fiducie.
Arrêt (le juge Pelletier, J.C.A., dissident) : l’appel doit être accueilli.
Le juge Rennie, J.C.A. (le juge Near, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : Il fallait répondre à la question de droit en litige dans la présente affaire par la négative. Cette conclusion était étayée par le libellé de l’article 222 de la Loi, qui établit un mécanisme conçu pour permettre à la Couronne de recouvrer la TPS ou la TVH perçues, mais non versées. La question en litige concernait les mécanismes de recouvrement de la Couronne relativement aux cessions opérées avant la faillite. Les modifications apportées en 2000 au mécanisme de fiducie présumée, aussi bien dans la Loi de l’impôt sur le revenu que dans la Loi, faisaient obligation aux créanciers garantis de verser à la Couronne le produit découlant des actifs fiduciaires (paragraphe 222(3)). Étant donné le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt de 2004 Canada (Procureure générale) c. Banque Nationale du Canada, la Couronne peut faire valoir en justice la responsabilité personnelle du créancier garanti qui ne se conforme pas à l’obligation de paiement à laquelle le tient la Loi. Le créancier garanti qui ne s’acquitte pas de son obligation de payer le produit découlant de biens détenus en fiducie présumée en est personnellement redevable à la Couronne, qui a une cause d’action distincte contre lui, sans égard pour la faillite postérieure du débiteur. S’il soustrait à la fiducie présumée les actifs détenus par le débiteur fiscal au moment de la faillite, le paragraphe 222(1.1) n’éteint pas la responsabilité personnelle préexistante du créancier garanti qui a reçu un produit de cette fiducie.
Dans la présente espèce, selon le texte du paragraphe 222(3) de la Loi, le produit découlant de la vente des biens du débiteur fiscal aurait dû être payé à la Couronne par priorité sur tout droit en garantie avant la faillite. Le produit a été payé en violation de la règle de priorité expressément énoncée au paragraphe 222(3), qui crée une obligation de paiement indépendante de l’existence de la fiducie présumée. Le contexte a été examiné également. Faisant référence à d’autres instruments de recouvrement dont dispose la Couronne, la Cour fédérale a posé la nécessité d’un « événement déterminant » pour fonder une cause d’action indépendante. Toutefois, aucun événement déterminant n’était nécessaire puisque la loi établit l’obligation de paiement.
Selon l’intimée, le législateur avait pour intention que la Couronne devienne au moment de la faillite du débiteur un créancier non garanti relativement aux sommes dues avant cette faillite; mais cette interprétation n’était pas étayée par le libellé de la loi et irait aussi à l’encontre de l’objet des dispositions en question. L’interprétation avancée par l’intimée permettrait au créancier garanti de contourner la priorité aussi bien antérieure que postérieure à la faillite et édulcorerait considérablement la priorité absolue de la Couronne, confirmée à la fois par le législateur et les tribunaux dans ce contexte. Ce ne pouvait être là l’intention du législateur.
Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident) : La fiducie créée par le paragraphe 222(3) de la Loi s’est éteinte faute de matière par l’effet du paragraphe 222(1.1) de la même loi à la suite de la faillite du débiteur fiscal. À la date de la faillite, il n’y avait aucune somme assujettie à la fiducie créée par le paragraphe 222(1) et, par conséquent, aucun bien du débiteur fiscal assujetti à une fiducie présumée sous le régime du paragraphe 222(3) de la Loi. Ainsi, l’intimée n’était redevable à la Couronne d’aucun produit découlant de ces biens. Le fait qu’une demande formelle de paiement ait été signifiée à l’intimée avant la faillite était dénué de pertinence. Cet avis sur la présente affaire ne mettait pas en danger de manière injustifiée les intérêts de la Couronne. En ce qui concerne le contexte, les paragraphes 67(2) et (3) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ont été examinés. Il ressort à l’évidence du paragraphe 67(2) que le législateur avait l’intention d’en finir avec les fiducies présumées en cas de faillite. En supprimant ces fiducies en cas de faillite (à l’exception des retenues à la source non versées comme le prévoit le paragraphe 67(3)), le législateur a mis la Couronne sur le même pied que les créanciers non garantis.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 227(4.1).
Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 67(2),(3).
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 222, 313(1) « dette fiscale », (1.1), 317, 325.
Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23.
Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36.
JURISPRUDENCE CITÉE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, [1998] A.C.S. no 2 (QL); Canada (Procureure générale) c. Banque Nationale du Canada, 2004 CAF 92, [2004] A.C.F. no 371 (QL).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379; Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond c. Canada, 2009 CSC 29, [2009] 2 R.C.S. 94; First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720; Banque royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Bank of Nova Scotia v. Huronia Precision Plastics Inc. (2009), 50 C.B.R. (5th) 58, 2009 CanLII 2319 (C.S.J. Ont.―rôle commercial); Banque Toronto-Dominion c. Canada, 2010 CAF 174, [2012] 1 R.C.F. 197, conf. par 2012 CSC 1, [2012] 1 R.C.S. 3; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Roynat Inc. v. Ja-Sha Trucking & Leasing Ltd., [1992] 2 W.W.R. 641 (C.A. Man.); Québec (Revenu) c. Caisse populaire Desjardins de Montmagny, 2009 CSC 49, [2009] 3 R.C.S. 286.
DÉCISION CITÉE :
Heavyside c. Canada, [1996] A.C.F. no 1608 (QL) (C.A.).
DOCTRINE CITÉE
Ministère des Finances, communiqué de presse, 1997-030, « Retenues à la source non versées et TPS impayée » (7 avril 1997); en ligne : Nouvelles – Communiqués, www.fin.gc.ca.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2014.
APPEL interjeté contre l’ordonnance par laquelle la Cour fédérale (2015 CF 977) a répondu par l’affirmative à la question de savoir si la faillite d’un débiteur fiscal et le paragraphe 222(1.1) de la Loi sur la taxe d’accise ont pour effet de rendre la fiducie présumée dont parle l’article 222 inopposable à un créancier garanti qui a reçu, avant la faillite, le produit des biens du débiteur fiscal qui était réputé détenu en fiducie pour la demanderesse. Appel accueilli, le juge Pelletier, J.C.A., étant dissident.
ONT COMPARU :
Louis L’Heureux et Edward Harrison, pour l’appelante.
Harvey G. Chaiton et Sam P. Rappos, pour l’intimée.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada, pour l’appelante.
Chaitons LLP, Toronto, pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Rennie, J.C.A. :
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’un appel interjeté par la Couronne contre l’ordonnance en date du 17 août 2015 (2015 CF 977) par laquelle la juge McVeigh de la Cour fédérale a répondu par l’affirmative à la question suivante et accordé les dépens à Callidus Capital Corporation (Callidus) :
La faillite d’un débiteur fiscal, selon ce que prévoit le paragraphe 222(1.1) de la [Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée (Loi sur la taxe d’accise)], a-t-elle pour effet de rendre la fiducie présumée dont parle l’article 222 de la [Loi sur la taxe d’accise] inopposable à un créancier garanti qui a reçu, avant la faillite, le produit des biens du débiteur fiscal qui était réputé détenu en fiducie [pour la demanderesse]?
[2] La Couronne soutenait que Callidus lui devait 177 299,70 $ plus les intérêts au titre de la TPS et de la TVH non versées, par l’effet du mécanisme de fiducie réputée qu’établit l’article 222 de la Loi sur la taxe d’accise [L.R.C. (1985), ch. E-15], et ses modifications. Elle a intenté une action devant la Cour fédérale afin de recouvrer cette créance, action à laquelle Callidus a opposé une défense. Les parties ont convenu de formuler de concert un point de droit pour le soumettre à la décision de la Cour fédérale. Aux fins de cette décision, elles ont présenté un exposé conjoint des faits, que je reproduis ci-dessous :
[traduction]
Contexte
1. La société Cheese Factory Road Holdings Inc. (Cheese Factory) est une société fermée de droit ontarien qui exploitait une entreprise d’investissement immobilier. Cheese Factory est ou était le propriétaire enregistré de biens immeubles ayant respectivement pour désignations civiques le 680, rue Bishop, Cambridge (Ontario) (le bien Bishop), et le 181, chemin Pinebush, Cambridge (Ontario) (le bien Pinebush).
2. À toutes les dates pertinentes, Callidus était une société fermée de droit ontarien exerçant partout au Canada des activités de baillage de fonds à des entreprises commerciales moyennant garanties.
Manquement à l’obligation de verser la TPS et la TVH
3. La demanderesse [Sa Majesté la Reine ou l’appelante] affirme que, entre 2010 et 2013, Cheese Factory a perçu des montants de TPS et de TVH totalisant 177 299 70 $, mais ne les a pas versés au receveur général.
Facilité de crédit de la BMO
4. En application d’une lettre d’engagement datée du 22 septembre 2004, Cheese Factory a obtenu de la Banque de Montréal (la BMO) une facilité de crédit dont le principal se chiffrait à 1 950 000 $. Cheese Factory a aussi remis à la BMO les actes de cautionnement et de sûreté énumérés à l’annexe A du présent exposé [non jointe, mais consultable à la page 35 de l’onglet 4 du dossier d’appel], pour garantir ses obligations directes et indirectes envers cette banque (actes ci-après désignés collectivement la sûreté).
5. Au 2 décembre 2011 :
a) Cheese Factory était en défaut de paiement relativement à la facilité de crédit de 1 950 000 $ au principal que lui avait consentie la BMO;
b) Cheese Factory était endettée envers la BMO en tant qu’emprunteur, au titre de la lettre d’engagement, à hauteur de 1 416 418 61 $ (principal et intérêts compris, mais droits exclus);
c) Cheese Factory était en défaut relativement aux garanties qu’elle avait consenties à la BMO;
d) Cheese Factory était, à titre de caution, redevable à la BMO des sommes de 3 387 658 53 $ et de 81 233 28 $US, principal et intérêts compris, mais droits exclus.
Cession de la créance et de la sûreté à Callidus
6. En application d’un accord de cession de la créance et de la sûreté daté du 2 décembre 2011, la BMO a cédé à Callidus tous ses droits, titres et intérêts afférents aux dettes et obligations directes et indirectes de Cheese Factory envers elle, de même que la sûreté.
7. Par un accord d’abstention daté du 2 décembre 2011, Callidus s’est engagée à s’abstenir de faire exécuter les accords de la BMO, sous réserve et en conformité des modalités de cet accord d’abstention. Par ce dernier, Callidus s’engageait aussi à consentir à Cheese Factory (et à d’autres débiteurs) certaines facilités de crédit à vue, qui modifiaient les facilités de crédit consenties par la BMO.
Produit de la vente du bien Bishop
8. Selon les modalités de l’accord d’abstention, Cheese Factory s’engageait à mettre sur le marché le bien Bishop, parmi d’autres, en vue de sa vente, et à remettre à Callidus le produit net de cette vente à valoir sur la créance de cette dernière société au titre des facilités de crédit.
9. Le 5 avril 2012 ou vers cette date, Cheese Factory a vendu le bien Bishop à Poladian Holdings Inc. pour un prix d’achat de 790 000 $.
10. Le 9 avril 2012 ou vers cette date, Callidus a reçu la somme de 590 956 62 $ sur la vente du bien Bishop (le produit de la vente).
11. Callidus a affecté le produit de la vente à la réduction partielle des dettes et obligations de Cheese Factory envers elle.
Produit de la location du bien Pinebush
12. Selon les modalités de l’accord d’abstention et celles d’un accord sur l’ouverture de comptes bloqués daté du 9 novembre 2011 (l’accord de comptes bloqués), Cheese Factory s’engageait aussi à ouvrir des comptes bloqués (les comptes bloqués) à la Banque Royale du Canada (la RBC) et à déposer dans ces comptes toutes les sommes reçues de toutes provenances.
13. L’accord de comptes bloqués stipule ce qui suit :
a) Cheese Factory détiendra séparément de tous ses autres fonds et biens la totalité des espèces et chèques (selon la définition donnée dans l’accord) reçus par elle en fiducie pour Callidus, jusqu’à leur remise à la RBC pour dépôt dans les comptes bloqués;
b) la RBC virera au(x) compte(s) de Callidus, avant la fin de chaque jour ouvrable, tous les fonds en dépôt dans les comptes bloqués.
14. L’intégralité des loyers reçus de Cheese Factory ou du locataire du bien Pinebush depuis décembre 2011 a été déposée dans les comptes bloqués.
15. De la date à laquelle Callidus a obtenu cession des facilités de crédit et de la sûreté de la BMO, c’est-à-dire le 2 décembre 2011, jusqu’au 31 juillet 2014 inclusivement, la somme de 780 387 62 $ en loyers bruts a été déposée dans les comptes bloqués.
16. Callidus a affecté toutes les sommes déposées dans ces comptes à la réduction partielle des dettes et obligations de Cheese Factory envers elle.
Fiducie présumée invoquée par la demanderesse
17. Le 2 avril 2012 ou vers cette date, la demanderesse, par lettre adressée à Callidus, a réclamé à celle-ci la somme de 90 844 33 $ en invoquant le mécanisme de fiducie présumée qu’établit la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, et ses modifications (la LTA).
Faillite de Cheese Factory
18. Le 7 novembre 2013 ou vers cette date, à la demande de Callidus, Cheese Factory a fait cession de ses biens sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3, et ses modifications.
Introduction d’une action par la demanderesse
19. La demanderesse a intenté la présente instance contre Callidus en déposant une déclaration datée du 25 novembre 2013.
20. La demanderesse réclame à Callidus, sur le fondement du mécanisme de fiducie présumée qu’établit l’article 222 de la LTA, la somme totale de 177 299 70 $ plus les intérêts, au titre de la TPS et de la TVH que Cheese Factory a perçue mais omis de verser pour les périodes de déclaration du 31 octobre 2010 au 31 janvier 2013 inclusivement.
21. La demanderesse soutient que, en conséquence du manquement de Cheese Factory à son obligation de verser la TPS et la TVH au receveur général :
a) tous les actifs de celle-ci étaient réputés détenus en fiducie au bénéfice de la demanderesse, par priorité sur les créances de Callidus, en application de l’article 222 de la LTA;
b) l’intégralité du produit des biens de Cheese Factory reçu par Callidus, jusqu’à concurrence de la somme garantie par la fiducie réputée, aurait dû être versée au receveur général du Canada par l’effet du mécanisme de fiducie présumée qu’établit l’article 222 de la LTA.
22. Callidus a signifié et déposé une défense.
Point de droit
23. La faillite d’un débiteur fiscal, selon ce que prévoit le paragraphe 222(1.1) de la LTA, a-t-elle pour effet de rendre la fiducie présumée qu’établit l’article 222 de la LTA inopposable à un créancier garanti qui a reçu, avant la faillite, le produit des biens de ce débiteur fiscal qui étaient réputés détenus en fiducie?
II. Les dispositions applicables
[3] Les dispositions applicables de la Loi sur la taxe d’accise sont ainsi libellées :
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15
Montants perçus détenus en fiducie
222 (1) La personne qui perçoit un montant au titre de la taxe prévue à la section II est réputée, à toutes fins utiles et malgré tout droit en garantie le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, séparé de ses propres biens et des biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l’absence du droit en garantie, seraient ceux de la personne, jusqu’à ce qu’il soit versé au receveur général ou retiré en application du paragraphe (2).
Montants perçus avant la faillite
(1.1) Le paragraphe (1) ne s’applique pas, à compter du moment de la faillite d’un failli, au sens de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, aux montants perçus ou devenus percevables par lui avant la faillite au titre de la taxe prévue à la section II.
Retraits de montants en fiducie
(2) La personne qui détient une taxe ou des montants en fiducie en application du paragraphe (1) peut retirer les montants suivants du total des fonds ainsi détenus :
a) le crédit de taxe sur les intrants qu’elle demande dans une déclaration produite aux termes de la présente section pour sa période de déclaration;
b) le montant qu’elle peut déduire dans le calcul de sa taxe nette pour sa période de déclaration.
Ce retrait se fait lors de la présentation au ministre de la déclaration aux termes de la présente section pour la période de déclaration au cours de laquelle le crédit est demandé ou le montant déduit.
Non-versement ou non-retrait
(3) Malgré les autres dispositions de la présente loi (sauf le paragraphe (4) du présent article), tout autre texte législatif fédéral (sauf la Loi sur la faillite et l’insolvabilité), tout texte législatif provincial ou toute autre règle de droit, lorsqu’un montant qu’une personne est réputée par le paragraphe (1) détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada n’est pas versé au receveur général ni retiré selon les modalités et dans le délai prévus par la présente partie, les biens de la personne — y compris les biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l’absence du droit en garantie, seraient ses biens — d’une valeur égale à ce montant sont réputés :
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, à compter du moment où le montant est perçu par la personne, séparés des propres biens de la personne, qu’ils soient ou non assujettis à un droit en garantie;
b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est perçu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu’ils soient ou non assujettis à un droit en garantie.
Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté du chef du Canada a un droit de bénéficiaire malgré tout autre droit en garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur tout droit en garantie. [Soulignement ajouté.]
III. La décision de la Cour fédérale
[4] La Cour fédérale a répondu à la question de droit par l’affirmative.
[5] La Cour fédérale a conclu que le mécanisme de fiducie présumée qu’établit l’article 222 de la Loi sur la taxe d’accise a pour effet de donner la « priorité absolue » au receveur général, mais que la fiducie présumée et la priorité y afférente prennent fin au moment de la faillite du débiteur, de telle sorte que la Couronne devient alors un créancier non garanti pour ce qui concerne les sommes non versées. Selon la Cour fédérale, toute obligation de payer le produit au titre du paragraphe (3) se trouve éteinte en cas de faillite par l’effet du paragraphe (1.1); le paragraphe (3) a pour effet d’étendre aux biens du débiteur la fiducie présumée qu’établit le paragraphe (1), et toute obligation découlant de ce fait dépend du maintien en vigueur de cette fiducie présumée.
[6] La Cour fédérale a examiné le contexte législatif et les régimes de priorité de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (la LFI), et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36 (la LACC), ainsi que le raisonnement tenu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 60, [2010] 3 R.C.S. 379 (Century Services), et elle a fait observer [au paragraphe 26] que la promulgation du paragraphe 222(1.1) semblait témoigner de l’intention du législateur de s’éloigner « du principe consistant à accorder la priorité aux créances de la Couronne en droit de l’insolvabilité ». Alors que les fiducies présumées afférentes aux retenues à la source, telles que les cotisations au Régime de pensions du Canada, « demeurent en vigueur » après faillite, ce n’est pas le cas des fiducies présumées relatives à la TPS et à la TVH.
[7] Appliquant le raisonnement énoncé dans l’arrêt Century Services et l’arrêt antérieur Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond c. Canada, 2009 CSC 29, [2009] 2 R.C.S. 94 (Caisse), la juge pose [au paragraphe 32] que l’absence dans la LFI d’une confirmation explicite du maintien en vigueur de la fiducie en cas de faillite « témoigne de la volonté du législateur de la laisser devenir caduque au moment de l’introduction de la procédure d’insolvabilité ». De même que dans les espèces faisant l’objet des deux arrêts précités de la Cour suprême du Canada, poursuit la juge [au paragraphe 35], « la Couronne voudrait que soit maintenue en vigueur la fiducie présumée alors qu’il n’existe aucune disposition expresse en ce sens ». Le paragraphe 222(1.1), selon la juge, a pour effet de « supprimer [l’]obligation » dénotée par les termes « est payé » du paragraphe 222(3). L’argumentation de la Couronne fondée sur les modifications apportées en 2000 (les modifications de 2000) au mécanisme de fiducie présumée de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi de l’impôt sur le revenu), n’a pas convaincu la juge, parce que ces modifications ne visaient que les retenues à la source; elle a écarté pour la même raison la jurisprudence invoquée par la Couronne. La juge s’est rangée [au paragraphe 42] à l’argument de Callidus voulant que les modifications apportées à la Loi sur la taxe d’accise en 1992 témoignent de l’intention du législateur de « mettre fin à la priorité de la Couronne sur tous autres intérêts dans une faillite » et que la jurisprudence conforte manifestement cette interprétation.
[8] La juge a écarté l’analogie établie par la Couronne avec d’autres instruments de recouvrement prévus par la Loi sur la taxe d’accise, faisant observer que ces dispositions n’étayaient pas la thèse de la demanderesse. Les articles 317 (saisie-arrêt) et 325 (transfert entre personnes ayant un lien de dépendance) subordonnent tous deux à la survenance d’un « événement déterminant » l’attribution d’une responsabilité avant faillite, et la Couronne n’avait pas démontré la compatibilité d’une « cause d’action préexistante et au plein sens du terme » avec le paragraphe (1.1). Dans le cas des transferts entre personnes ayant un lien de dépendance, l’événement déterminant est la cession du bien pour une valeur inférieure à sa juste valeur marchande, tandis que dans le contexte des saisies-arrêts, l’événement déterminant est la signification d’une demande formelle de paiement. Si une telle demande avait été signifiée en l’espèce, a expliqué la juge, l’obligation de paiement de Callidus aurait survécu à la faillite du débiteur.
[9] La juge a conclu en définitive que la faillite du débiteur fiscal faisait jouer le paragraphe 222(1.1) de la Loi sur la taxe d’accise, qui rendait la fiducie présumée, et toute obligation distincte découlant de son fonctionnement, inopérante à l’égard des fonds reçus par Callidus avant la faillite.
IV. Les questions en litige
[10] Callidus soutient devant notre Cour que, selon la bonne interprétation des dispositions applicables, la fiducie présumée que crée le paragraphe (1) et sa prolongation que prévoit le paragraphe (3) prennent toutes deux fin au moment de la faillite. Étant donné que la Couronne fonde sur le paragraphe (3) la thèse de la responsabilité personnelle du créancier garanti, raisonne Callidus, il s’ensuit que la faillite doit aussi éteindre toute responsabilité personnelle.
[11] La Couronne concède qu’en cas de faillite du débiteur fiscal, le paragraphe 222(1.1) de la Loi sur la taxe d’accise rend inopérante, relativement aux biens détenus par celui-ci au moment de la faillite, la fiducie présumée qu’institue le paragraphe 222(3) de la même loi. Elle fait cependant valoir que la question en litige dans le présent appel est celle de savoir si le paragraphe 222(1.1) a aussi pour effet d’éteindre la responsabilité distincte et personnelle du créancier garanti qui peut avoir pris naissance avant la faillite par le jeu du paragraphe 222(3).
[12] Selon l’intimée, la juge a eu raison de conclure que le paragraphe 222(1.1) témoigne de l’intention du législateur de s’éloigner du principe qui attribue la priorité à la Couronne en droit de l’insolvabilité, en particulier pour ce qui concerne la TPS et la TVH. La Couronne reconnaît que la fiducie présumée devient inopérante au moment de la faillite du débiteur, relativement au montant de la TPS et de la TVH perçues mais non versées avant cette faillite. Je me trouve d’accord avec la juge pour dire que le législateur a établi une nette distinction, pour ce qui concerne la période postérieure à la faillite, entre les retenues à la source (régies par la Loi de l’impôt sur le revenu) et la TPS et la TVH (régies par la Loi sur la taxe d’accise), par l’effet du paragraphe 222(1.1) de cette dernière ainsi que des paragraphes 67(2) et (3) de la LFI.
[13] La question à trancher ici, cependant, est celle de la priorité qui peut avoir existé avant toute procédure d’insolvabilité ou de faillite. La décision sur ce point de droit dépend de l’interprétation de l’effet de la faillite sur le fonctionnement antérieur du mécanisme de fiducie présumée à l’égard d’un créancier garanti qui a reçu avant la faillite le produit de biens du débiteur fiscal assujettis à une telle fiducie.
V. Analyse
[14] La réponse à la question en litige dans le présent appel repose sur l’application des principes directeurs d’interprétation des lois. La Cour suprême du Canada, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd., 1983), à la page 87, explique au paragraphe 21 de l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 (Rizzo), qu’« [a]ujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ». Autrement dit, il faut établir l’intention du législateur à partir du texte, à la lumière de son contexte et de son objet. L’application de ces principes me mène à la conclusion qu’il faut répondre à la question de droit par la négative.
[15] Cette conclusion est étayée par le libellé de l’article 222 de la Loi sur la taxe d’accise. Cet article établit un mécanisme conçu pour permettre à la Couronne de recouvrer la TPS ou la TVH perçues, mais non versées au receveur général.
[16] Par le jeu du paragraphe 222(3), la totalité des biens du débiteur fiscal est réputée détenue en fiducie pour la Couronne dans les cas où la TPS ou la TVH sont perçues, mais ne sont pas versées au receveur général. Il est acquis aux débats que le paragraphe 222(1.1) rend inopérante la fiducie présumée à compter du moment de la faillite pour ce qui concerne les biens détenus par le débiteur fiscal failli. La question en litige dans le présent appel concerne les mécanismes de recouvrement de la Couronne relativement aux cessions opérées avant la faillite.
[17] Le texte du paragraphe 222(3) fait ressortir l’importance de la chronologie. Les actifs vendus par le débiteur fiscal, ou réalisés par le créancier garanti, avant la faillite ne sont plus, au moment de celle-ci, « les biens de la personne — y compris les biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l’absence du droit en garantie, seraient ses biens », de sorte qu’ils ne sont pas à la disposition de tous les créanciers lors de la faillite. Le paragraphe 42 de l’arrêt First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720 (First Vancouver), confirme que « lorsque le débiteur fiscal vend un élément de son actif, la fiducie réputée cesse de s’appliquer à cet élément ». L’extinction de la fiducie présumée au moment de la faillite n’entre pas en ligne de compte à l’égard des éléments d’actifs déjà vendus : cette fiducie est alors déjà devenue inopérante. Cette interprétation est étayée par l’historique législatif du paragraphe 222(1.1).
[18] Les modifications apportées en 2000 [L.C. 2000, ch. 30, art. 50] au mécanisme de fiducie présumée, aussi bien dans la Loi de l’impôt sur le revenu que dans la Loi sur la taxe d’accise, faisaient obligation aux créanciers garantis de verser à la Couronne le produit découlant des actifs fiduciaires (paragraphe 222(3)). Cette modification, notamment sa partie selon laquelle « le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur tout droit en garantie », découle de l’arrêt Banque royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411 (Sparrow), où la Cour suprême du Canada a conclu que des dispositions analogues établissant une fiducie présumée pour les retenues à la source ne mettaient pas fin au droit en garantie des créanciers garantis sur les actifs du débiteur, et où elle avait suggéré au législateur d’ajouter les termes en question s’il souhaitait confirmer la priorité de la fiducie présumée de la Couronne.
[19] Les dispositions modifiées relatives à la fiducie ont été pour la première fois mises à l’épreuve dans l’affaire First Vancouver, à l’issue de laquelle la Cour suprême du Canada a conclu qu’elles confirmaient la priorité de la Couronne sur les créanciers garantis.
[20] Notre Cour a examiné les dispositions de la LIR relatives aux fiducies dans l’arrêt Canada (Procureure générale) c. Banque nationale du Canada, 2004 CAF 92, [2004] A.C.F. no 371 (QL) (Banque nationale), dont je reproduis le paragraphe 40 :
Il me semble évident que le créancier garanti qui ne respecte pas son obligation statutaire de « payer » au Receveur général le produit d’un bien assujetti à la fiducie réputée en priorité sur sa garantie, engage sa responsabilité personnelle et devient de ce fait redevable du montant impayé. Le montant est « payable » à même le produit découlant du bien et comme nous l’avons vu, l’article 222 de la LIR prévoit que « tous [...] montants payables en vertu de la présente Loi sont des dettes envers Sa Majesté et recouvrables comme telles [...] » [Je souligne]. À la lumière de ces dispositions, et puisque les intimées concèdent qu’elles ont reçu le produit découlant de la vente des biens assujettis à leur garantie, sans effectuer la remise exigible, l’appelante a une cause d’action pour recouvrer ces montants. [Souligné dans l’original.]
[21] Notre Cour fait observer dans l’arrêt Banque nationale que la Couronne jouit d’une priorité absolue pour ce qui concerne le produit découlant de biens assujettis à une fiducie présumée et que « l’obligation positive qui incombe au créancier garanti de payer au Receveur général le produit découlant du bien assujetti à la fiducie ne pourrait être plus claire » (au paragraphe 37). Notre Cour ajoute [au paragraphe 40] que le créancier garanti qui ne s’acquitte pas de cette obligation « engage sa responsabilité personnelle », que la dette est « payable » au receveur général et que le paiement peut être exigé par voie d’action en justice sous le régime des dispositions applicables de la Loi de l’impôt sur le revenu.
[22] De même, je note que la « dette fiscale » est définie dans la sous-section [E] intitulée « Perception » de la Loi sur la taxe d’accise comme étant « [t]out montant à payer ou à verser par une personne sous le régime de la présente partie », et que la Couronne peut demander le recouvrement des dettes fiscales devant la Cour fédérale (voir les paragraphes 313(1) et (1.1) de cette loi). Notre Cour fait observer au paragraphe 44 de l’arrêt Banque nationale que « le fait générateur » est « la connaissance acquise par le Ministre du défaut du créancier garanti de payer au Receveur général les montants exigibles ». Donc, selon le raisonnement tenu par notre Cour dans l’arrêt Banque nationale, la Couronne peut faire valoir en justice la responsabilité personnelle du créancier garanti qui ne se conforme pas à l’obligation de paiement à laquelle le tient la Loi sur la taxe d’accise.
[23] Étant donné le libellé presque identique des deux dispositions, j’estime que le raisonnement tenu dans l’arrêt Banque nationale suffit à trancher le présent appel. Le créancier garanti qui ne s’acquitte pas de son obligation de payer le produit découlant de biens détenus en fiducie présumée en est personnellement redevable à la Couronne, qui a une cause d’action distincte contre lui, sans égard pour la faillite postérieure du débiteur.
[24] Je note que l’emploi de l’expression « shall » dans la version anglaise du paragraphe 222(3), exprimant l’obligation, [traduction] « ne confère aucun pouvoir discrétionnaire résiduel » (voir à ce sujet Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014, aux pages 91 et 92). Cette disposition ne se contente pas de protéger passivement la Couronne : elle crée une obligation positive (voir Banque nationale, au paragraphes 37 et 40). Si la juge avait raison de faire remarquer que les arrêts Sparrow, First Vancouver et Banque nationale intéressaient le mécanisme de fiducie présumée qui s’applique spécialement aux retenues à la source prévues à la Loi de l’impôt sur le revenu, ce qu’il faut retenir, sur le plan de l’interprétation des lois, c’est que les modifications de 2000 sont pour l’essentiel identiques à celles qui ont été opérées à la même époque à la Loi sur la taxe d’accise et qu’elles s’appliquent de manière analogue avant la faillite.
[25] Étant donné cette similarité, les deux mécanismes rendent le créancier garanti qui perçoit des fonds sous le régime de la fiducie présumée personnellement redevable à la Couronne des fonds impayés et créent une cause d’action indépendante contre lui (voir Banque nationale, au paragraphe 40). La distinction que fait valoir Callidus, à savoir que l’arrêt Banque nationale concernait des retenues sur salaire et non la TPS, est dénuée de pertinence. Avant la faillite, les mécanismes de recouvrement que prévoient le paragraphe 227(4.1) de la LIR et le paragraphe 222(3) de la Loi sur la taxe d’accise ont un effet identique pour les fins qui nous occupent, et la jurisprudence applicable à l’un s’applique tout aussi bien à l’autre.
[26] S’il soustrait à la fiducie présumée les actifs détenus par le débiteur fiscal au moment de la faillite, le paragraphe 222(1.1) n’éteint pas la responsabilité personnelle préexistante du créancier garanti qui a reçu un produit de cette fiducie. Cette responsabilité personnelle est entièrement engagée, la créance est exigible et la Couronne peut faire valoir son droit en poursuivant une cause d’action indépendante de toute instance ultérieure relative à la faillite. Le maintien de la cause d’action ne dépend pas des autres actifs du débiteur qui sont détenus ou non en fiducie, puisque cette cause d’action découle du manquement du créancier garanti à l’obligation légale de verser ce produit. Toute autre conclusion aurait pour effet de neutraliser le mécanisme de fiducie présumée pour ce qui concerne la TPS ou la TVH.
[27] L’argumentation de Callidus touchant la responsabilité repose largement sur les arrêts Caisse et Century Services. Or ces décisions ne lui sont pas d’un grand secours. L’arrêt Caisse concernait, non pas une fiducie présumée ni la responsabilité indépendante d’un créancier garanti, mais plutôt la portée du droit de la Couronne sur les sommes perçues au titre de la TPS par un syndic de faillite. Quant à l’arrêt Century Services, il portait sur la question de savoir si les dispositions relatives à la fiducie présumée de la Loi sur la taxe d’accise continuaient de s’appliquer à une instance intentée en vertu de la LACC, question qui ne se pose pas dans la présente instance.
[28] Callidus invoque en outre la décision Bank of Nova Scotia v. Huronia Precision Plastics Inc. (2009), 50 C.B.R. (5th) 58 (C.S.J. Ont. ― rôle commercial) (Huronia). Dans cette affaire, un séquestre avait été désigné, certains des éléments d’actif du débiteur avaient été vendus et la banque avait formé une requête en levée du sursis afin d’introduire une demande en faillite contre ce dernier. La Couronne a demandé, par voie de requête, une ordonnance enjoignant au séquestre le paiement immédiat de la TPS non versée. Le juge a conclu que la banque était habilitée à annuler la priorité de la fiducie présumée en déposant une requête en faillite et il a rejeté la motion de la Couronne. Callidus avance que, selon l’interprétation de la loi donnée par l’appelante, le séquestre dans l’affaire Huronia aurait eu l’obligation de verser la TPS à la Couronne malgré la faillite postérieure du débiteur. Or, raisonne-t-elle, c’est exactement la thèse qu’a expressément rejetée le juge saisi de la motion de la Couronne dans cette affaire.
[29] On ne peut conclure grand-chose de la très brève décision Huronia, qui intéressait surtout la formulation particulière d’une ordonnance judiciaire. De plus, cette affaire faisait intervenir un séquestre, et un sursis avait été prononcé, de sorte qu’on ne sait pas avec certitude si l’instance pour insolvabilité avait déjà commencé. En outre, il n’est pas question dans le présent appel d’une annulation de la priorité après la faillite; celui-ci concerne plutôt l’effet de la faillite sur la responsabilité qui pourrait découler pour un créancier garanti d’une priorité antérieure à la faillite.
[30] Pour faire suite à notre raisonnement sur les termes de l’article 222, interprétés selon leur sens ordinaire, le paragraphe (1.1) ne dit pas que tous les droits ayant pris naissance du fait de la fiducie présumée se trouvent éteints au moment de la faillite du débiteur. Rien non plus dans l’article 222 n’accrédite la thèse selon laquelle la fiducie présumée devient rétroactivement inopérante et éteint la responsabilité ayant pris naissance avant la faillite. La survenance de cette dernière a simplement pour effet de soustraire les actifs du débiteur à la fiducie présumée. L’argument selon lequel l’extinction de la fiducie au moment de la faillite aurait un effet rétroactif et annulerait ou dénouerait des obligations légales ayant déjà pris naissance ne trouve aucun appui dans le texte et, comme nous le verrons, va à l’encontre de l’objet de la modification de 1992.
[31] Dans la présente espèce, le produit de la vente des biens du débiteur fiscal a été versé au créancier garanti. Le débiteur a par la suite opéré une cession de faillite. Selon le texte du paragraphe (3), le produit découlant des biens du débiteur aurait dû être payé à la Couronne par priorité sur tout droit en garantie avant la faillite. Callidus a reconnu que les mécanismes de fiducie présumée respectivement établis par la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur la taxe d’accise s’appliquent de la même manière avant la faillite. Le produit a été payé en violation de la règle de priorité expressément énoncée au paragraphe (3), qui crée une obligation de paiement indépendante de l’existence de la fiducie présumée.
[32] Passons au contexte et notamment aux instruments de recouvrement analogues prévus par la Loi sur la taxe d’accise qui fixent des obligations à des tiers. Par exemple, les dispositions relatives à la saisie-arrêt de l’article 317 de cette loi établissent dans les mêmes termes la primauté sur toutes les autres lois sauf la LFI. Dans ce contexte, il est de jurisprudence constante que, lorsqu’une demande formelle de paiement a été signifiée avant la faillite, cette dernière n’éteint pas la responsabilité du tiers qui ne s’y conforme pas (voir Banque Toronto-Dominion c. Canada, 2010 CAF 174, [2012] 1 R.C.F. 197, conf. par 2012 CSC 1, [2012] 1 R.C.S. 3 (Toronto-Dominion)).
[33] Rappelons aussi l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise, qui établit la responsabilité du tiers cessionnaire ayant un lien de dépendance avec le cédant. La faillite du débiteur survenant après la cession n’annule pas la responsabilité du tiers (voir Heavyside c. Canada, [1996] A.C.F. no 1608 (QL) (C.A.)). Sauf libellé contraire, il faut lire les lois en postulant la cohérence et l’harmonie entre leurs dispositions analogues.
[34] Faisant référence à d’autres instruments de recouvrement dont dispose la Couronne, la juge pose la nécessité d’un « événement déterminant » pour fonder une cause d’action indépendante : si la Couronne avait signifié une demande formelle de paiement, l’obligation de paiement de Callidus aurait survécu à la faillite. À mon sens, la recherche d’un événement déterminant ou d’un facteur semblable n’est pas tout à fait pertinente, étant donné que le mécanisme de fiducie présumée n’est pas institué dans la section de la loi portant sur les cotisations, et que, en tout état de cause, la loi ne prévoit pas l’obligation de signifier une telle demande formelle ni de mécanisme y afférent. Aucun événement déterminant n’est nécessaire, puisque la loi établit l’obligation de paiement. Il ressort à l’évidence de l’emploi de la conjonction générale « lorsqu[e] » dans le texte de la loi que l’obligation n’est pas limitée temporellement et qu’elle n’est pas subordonnée à des événements déterminants.
[35] Notre Cour, confirmée en cela par la Cour suprême du Canada, a posé que l’article 317 [de la Loi sur la taxe d’accise] (saisie-arrêt) a pour effet de transmettre à la Couronne la propriété des créances du débiteur fiscal sur réception de la demande formelle de paiement par le tiers saisi (voir Toronto-Dominion, au paragraphe 52). Notre Cour conclut dans cet arrêt que la disposition établissant la primauté de la Loi sur la taxe d’accise sur les autres lois, excepté la LFI, a simplement pour objet de limiter le pouvoir étatique de formuler une demande formelle de paiement après la faillite.
[36] Rappelons, bien que le cas ne soit pas tout à fait semblable, que sous le régime de l’article 317, le ministre « peut » signifier une demande formelle de paiement et exiger que les sommes en question, de même, « soient versées ». Dans le cadre d’une procédure de saisie-arrêt, semble-t-il, il faut signifier une demande visant les sommes dues au débiteur fiscal par un tiers, à défaut de quoi la cause d’action de la Couronne ne « prend corps », comme le dit la juge. Lorsque la Couronne veut opérer une saisie-arrêt, on ne sait pas nécessairement avec certitude contre qui la cause d’action est dirigée ni quelle est la somme réclamée. C’est le contraire dans la présente espèce, où la fiducie s’applique aux fonds qui se trouvent déjà en la possession du débiteur et où une somme déterminée est sortie de cette fiducie : la somme en question aussi bien que l’identité de la personne qui l’a reçue sont connues.
[37] Je note en outre que la faillite ultérieure d’un débiteur fiscal n’éteint pas le droit de la Couronne sur sa créance lorsqu’elle a signifié une demande formelle de paiement avant cette faillite. Il serait contradictoire d’affirmer que la Couronne peut empêcher des fonds d’entrer dans le patrimoine du débiteur, mais ne peut recouvrer des fonds prélevés sur la fiducie présumée en violation de sa priorité et qui n’ont pas été rendus au patrimoine du débiteur.
[38] J’examinerai pour finir l’objet des dispositions en question.
[39] Selon Callidus, le législateur avait pour intention que la Couronne devienne au moment de la faillite du débiteur un créancier non garanti relativement aux sommes dues avant cette faillite; en accueillant le présent appel, raisonne l’intimée, notre Cour permettrait à la Couronne de recouvrer indirectement ce qu’elle ne peut recouvrer directement.
[40] Callidus soutient que le paragraphe (1.1) a deux effets au moment de la faillite : mettre fin à la fiducie présumée et supprimer l’obligation énoncée au paragraphe (3) de sorte à éteindre aussi la responsabilité personnelle du créancier garanti qui a reçu des fonds. J’ai déjà expliqué en quoi cette interprétation n’était pas étayée par le libellé de la loi; j’ajouterai qu’elle irait aussi à l’encontre de l’objet des dispositions en question. L’interprétation avancée par Callidus permettrait en effet au créancier garanti de contourner la priorité aussi bien antérieure que postérieure à la faillite. Callidus admet que la Couronne jouit de la priorité avant la faillite et elle reconnaît ne pas s’être conformée à cette priorité. Elle n’en demande pas moins à notre Cour de rendre concernant la priorité postérieure à la faillite une décision à effet contraire, c’est-à-dire privant d’effet les priorités relatives aux distributions antérieures à la faillite.
[41] L’interprétation proposée par Callidus va en fait à l’encontre de l’objet de l’adjonction du paragraphe 222(3) et aurait l’effet pervers d’inciter les créanciers garantis à contourner le mécanisme de fiducie présumée, soit l’effet même que les modifications visaient à prévenir :
[…] La modification aura donc pour effet de minimiser les pertes de recettes fiscales et empêchera les contribuables contrevenants et leurs créanciers garantis de tirer profit du non-versement de retenues à la source et de TPS au détriment de l’État.
[…]
[…] Il est à noter toutefois que les dispositions sur les fiducies réputées ne l’emporteront pas sur les garanties visées par règlement, comme les droits hypothécaires sur les immeubles et d’autres cas d’exception, puisque le créancier garanti ne peut, dans ces cas, tirer profit du non-versement des retenues à la source ou de la TPS impayée.
(Ministère des Finances, communiqué de presse, 1997-030, « Retenues à la source non versées et TPS impayée » (7 avril 1997); en ligne : Nouvelles – Communiqués, www.fin.gc.ca, page 2; mémoire des faits et du droit de l’appelante, au paragraphe 75.)
[42] Comme la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt Sparrow, en concluant que s’éteint au moment de la faillite l’obligation du créancier garanti de payer à la Couronne le produit découlant des biens assujettis à la fiducie présumée, on permettrait à ce créancier de tirer profit du manquement du débiteur à sa propre obligation de versement. Le créancier garanti pourrait alors, comme il l’a fait dans la présente espèce, choisir le moment de la faillite et liquider les actifs détenus en fiducie présumée de manière à satisfaire ses intérêts au détriment de la Couronne. Même si cette dernière signifiait une demande formelle de paiement ou intentait une action, le créancier garanti pourrait simplement, à tout moment, enclencher la procédure de faillite du débiteur fiscal et éviter ainsi toutes les conséquences de la priorité afférente à la fiducie présumée.
[43] L’adoption de l’interprétation proposée par Callidus édulcorerait considérablement la priorité absolue de la Couronne, confirmée à la fois par le législateur et les tribunaux dans ce contexte. Ce ne peut être là l’intention du législateur. L’un des aspects du contexte général est le fait que la Couronne n’a pas connaissance de la situation existant entre le débiteur fiscal et ses créanciers, d’où l’octroi par la loi de la faculté de faire exécuter l’obligation de perception et de versement des tiers (voir First Vancouver, au paragraphe 22). Permettre au créancier garanti de contourner la priorité créée par le mécanisme de fiducie présumée avant la faillite aurait pour effet de rendre inutiles dans les faits ce mécanisme et la priorité qu’il établit. Si le législateur avait eu pour intention, comme c’est le cas suivant la faillite, que la fiducie présumée n’ait pas d’effet perceptible sur l’ordre de priorité avant faillite, il lui aurait suffi de retrancher purement et simplement la disposition en question.
[44] J’accueillerais l’appel avec dépens et je répondrais à la question de droit par la négative pour les motifs énoncés plus haut.
Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.
***
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[45] Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident) : Ayant eu l’avantage de prendre connaissance des motifs de mon collègue, je suis arrivé à une conclusion différente de la sienne pour les motifs dont l’exposé suit.
[46] En résumé, j’estime que la fiducie créée par le paragraphe 222(3) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la Loi), s’est éteinte faute de matière par l’effet du paragraphe 222(1.1) de la même loi à la suite de la faillite de Cheese Factory Road Holdings Inc. (Cheese Factory). À la date de la faillite, il n’y avait aucune somme assujettie à la fiducie créée par le paragraphe 222(1) de la Loi et, par conséquent, aucun bien de Cheese Factory assujetti à une fiducie présumée sous le régime du paragraphe 222(3). Ainsi, Callidus Capital Corporation (Callidus) n’était redevable à la Couronne d’aucun produit découlant de ces biens. Le fait qu’une demande formelle de paiement ait été signifiée à Callidus avant la faillite est ici dénué de pertinence.
[47] Le présent appel conteste une décision où la Cour fédérale a décidé un point de droit. Il s’ensuit que la norme de contrôle applicable à cet appel est celle qu’énonce l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, c’est-à-dire la norme de la décision correcte pour les pures questions de droit, et celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit, sauf dans les cas où il est possible d’isoler une erreur de droit, auquel cas c’est la norme de la décision correcte qui s’applique. La norme applicable au présent appel est celle de la décision correcte.
[48] Je reproduis ci-dessous, pour la commodité du lecteur, le texte des paragraphes 222(1), (1.1) et (3).
Montants perçus détenus en fiducie
222 (1) La personne qui perçoit un montant au titre de la taxe prévue à la section II est réputée, à toutes fins utiles et malgré tout droit en garantie le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, séparé de ses propres biens et des biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l’absence du droit en garantie, seraient ceux de la personne, jusqu’à ce qu’il soit versé au receveur général ou retiré en application du paragraphe (2).
Montants perçus avant la faillite
(1.1) Le paragraphe (1) ne s’applique pas, à compter du moment de la faillite d’un failli, au sens de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, aux montants perçus ou devenus percevables par lui avant la faillite au titre de la taxe prévue à la section II.
[…]
Non-versement ou non-retrait
(3) Malgré les autres dispositions de la présente loi (sauf le paragraphe (4) du présent article), tout autre texte législatif fédéral (sauf la Loi sur la faillite et l’insolvabilité), tout texte législatif provincial ou toute autre règle de droit, lorsqu’un montant qu’une personne est réputée par le paragraphe (1) détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada n’est pas versé au receveur général ni retiré selon les modalités et dans le délai prévus par la présente partie, les biens de la personne — y compris les biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l’absence du droit en garantie, seraient ses biens — d’une valeur égale à ce montant sont réputés
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, à compter du moment où le montant est perçu par la personne, séparés des propres biens de la personne, qu’ils soient ou non assujettis à un droit en garantie;
b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est perçu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu’ils soient ou non assujettis à un droit en garantie.
Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté du chef du Canada a un droit de bénéficiaire malgré tout autre droit en garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur tout droit en garantie.
[49] Afin d’éviter les répétitions inutiles et de faciliter la lecture des présents motifs, je renvoie ci-après aux paragraphes de l’article 222 de la Loi, sauf mention contraire.
[50] Le paragraphe (1) crée une fiducie relativement aux montants de la taxe perçus, mais non versés au receveur général ni retirés en vertu du paragraphe (2), qui ne s’applique pas à la présente espèce. Le paragraphe (3), quant à lui, crée une fiducie relativement aux biens de « la personne », c’est-à-dire du débiteur fiscal.
[51] La fiducie instituée par le paragraphe (1) prend naissance lorsque la taxe est perçue et elle prend fin lorsque celle-ci est versée au receveur général. Il s’ensuit que le montant de la fiducie du paragraphe (1) varie au fil des perceptions et versements au receveur général.
[52] La fiducie présumée qu’institue le paragraphe (3) prend naissance, non pas par le non-versement au receveur général de la taxe perçue, comme dans le cas du paragraphe (1), mais plutôt par le non-versement de la somme réputée par ce dernier paragraphe être détenue en fiducie pour Sa Majesté :
222 […]
Non-versement ou non-retrait
(3) […] lorsqu’un montant qu’une personne est réputée par le paragraphe (1) détenir en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada n’est pas versé au receveur général […], les biens de la personne […] sont réputés :
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, à compter du moment où le montant est perçu par la personne […] [Soulignement ajouté.]
[53] Par conséquent, lorsque des fonds sont réputés être détenus en fiducie sous le régime du paragraphe (1) et ne sont pas versés au receveur général, les biens de la personne sont réputés être détenus en fiducie à compter du moment où la taxe est perçue. Il s’ensuit que si aucuns fonds ne sont réputés être détenus en fiducie, aucune fiducie de la nature prévue au paragraphe (3) ne prend naissance.
[54] S’il est vrai que le paragraphe (3) s’applique aux biens de la personne, il n’exprime pas la totalité de l’intérêt de celle-ci dans ses biens. Les biens assujettis à la fiducie du paragraphe (3) sont ainsi définis :
222 […]
Non-versement ou non-retrait
(3) […] les biens de la personne […] d’une valeur égale à ce montant [qu’elle est réputée par le paragraphe (1) détenir en fiducie] sont réputés :
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté […] [Soulignement ajouté.]
[55] Il s’ensuit que la masse de la fiducie d’origine légale est un intérêt pécuniaire limité dans les biens du débiteur fiscal. Chaque élément de ceux-ci est assujetti à cette fiducie, mais seulement jusqu’à concurrence de la somme réputée par le paragraphe (1) être détenue en fiducie. C’est là une restriction nécessaire en raison de l’obligation de paiement fixée au créancier garanti qui réalise sa garantie. Le paragraphe (3) dispose que « le produit découlant de ces biens est payé » par priorité sur tout droit en garantie. Si l’obligation de paiement était inconditionnelle, le créancier garanti serait tenu de verser la totalité du produit, et non pas simplement la partie de celui-ci qui correspond à la somme réputée être détenue en fiducie par le paragraphe (1).
[56] Sauf indication claire d’une intention contraire, les lois doivent être rédigées et interprétées suivant le principe que la Couronne ne recouvre que son dû, pas plus. Dans la présente espèce, le législateur a réglé la question en définissant les biens assujettis à la fiducie présumée — et par conséquent le produit en découlant — comme correspondant au montant de la fiducie présumée qu’institue le paragraphe (1).
[57] Comme le montre cet examen, les fiducies présumées qu’établissent respectivement les paragraphes (1) et (3) sont distinctes, mais liées sous deux aspects importants. Premièrement, la fiducie du paragraphe (3) prend naissance lorsque le montant de la taxe réputé par le paragraphe (1) être détenu en fiducie est perçu sans être versé au receveur général. Deuxièmement, la matière de la fiducie du paragraphe (3) est constituée par les biens du débiteur fiscal jusqu’à concurrence des fonds réputés par le paragraphe (1) être détenus en fiducie. Il suit de ces rapports que la naissance de la fiducie du paragraphe (3) dépend de l’existence de celle du paragraphe (1). Si aucune somme n’est réputée être détenue en fiducie sous le régime du paragraphe (1), la fiducie instituée par le paragraphe (3) ne peut prendre naissance. En outre, une fois que la fiducie a pris naissance, elle peut s’éteindre pour défaut de matière, si la somme réputée être détenue en fiducie se trouve réduite à zéro du fait des paiements à valoir ou pour toute autre cause. C’est que la matière de la fiducie instituée par le paragraphe (3) est fonction de la somme réputée par le paragraphe (1) être détenue en fiducie.
[58] L’application de ces dispositions aux biens détenus par le débiteur fiscal est assez simple. La question en litige dans la présente instance est celle de savoir comment ces dispositions s’appliquent aux créanciers garantis du débiteur fiscal.
[59] Pour ce qui concerne la période antérieure à la faillite, le paragraphe (3) dispose que lorsque des fonds réputés par le paragraphe (1) être détenus en fiducie ne sont pas versés au receveur général :
222 […]
Non-versement ou non-retrait
(3) […] les biens de la personne — y compris les biens détenus par ses créanciers garantis qui, en l’absence du droit en garantie, seraient ses biens — d’une valeur égale à ce montant sont réputés :
a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté du chef du Canada, à compter du moment où le montant est perçu par la personne, […]
[…]
[…] et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur tout droit en garantie.[Soulignement ajouté.]
[60] J’illustrerai par un exemple le fonctionnement des fiducies présumées qu’institue l’article 222. Supposons qu’un débiteur fiscal a perçu 20 000 $ au titre de la TPS ou de la TVH et a omis de les verser au receveur général. Ce débiteur possède un bien immeuble grevé d’une hypothèque. Le prêteur hypothécaire impose la vente de ce bien et en tire un produit de 50 000 $. Le paragraphe (1) crée une fiducie présumée relativement aux 20 000 $ perçus au titre de la taxe, mais non versés au receveur général. Le paragraphe (3) crée une fiducie relative aux biens du débiteur, mais seulement jusqu’à concurrence de la somme détenue en fiducie sous le régime du paragraphe (1). En conséquence, le prêteur hypothécaire, ayant touché le produit d’un bien d’une valeur égale à la somme réputée par le paragraphe (1) être détenue en fiducie, soit 20 000 $, se trouve redevable de celle-ci à la Couronne.
[61] Le résultat serait-il différent si, après signification par la Couronne d’une demande formelle de paiement de 20 000 $, le débiteur fiscal avait versé 10 000 $ au receveur général au titre de la TPS ou de la TVH? Le montant de l’obligation du créancier garanti serait différent, mais le calcul serait le même. Le paiement fait au receveur général réduirait à 10 000 $ le montant de la fiducie présumée du paragraphe (1), ce qui aurait pour effet de réduire la part des biens du débiteur assujettis à la fiducie présumée du paragraphe (3). Le créancier garanti serait tenu de payer le produit découlant des biens assujettis à cette fiducie, soit 10 000 $. De même, si le débiteur fiscal s’acquittait de la totalité de sa dette de 20 000 $, le montant de l’obligation du créancier garanti serait réduit à zéro.
[62] Ce dernier exemple signifie qu’une demande formelle de paiement par la Couronne ne constitue pas l’ « événement déterminant » le montant de l’obligation du débiteur ou du créancier garanti envers la Couronne. Cette obligation est fonction du montant de la fiducie présumée du paragraphe (1), qui détermine aussi la part des biens du débiteur réputés détenus en fiducie sous le régime du paragraphe (3).
[63] En quoi la faillite du débiteur fiscal influe-t-elle sur l’application de ce régime? Le paragraphe (1.1) dispose que, à compter du moment de la faillite, le paragraphe (1) ne s’applique pas aux montants perçus au titre de la taxe avant ce moment. Il s’ensuit qu’après la faillite, aucun montant perçu au titre de la taxe mais non versé au receveur général avant la faillite n’est réputé par le paragraphe (1) être détenu en fiducie. La fiducie qui a pris naissance avant la faillite par l’effet du paragraphe (3) est dépourvue de matière, puisque cette fiducie ne porte que sur la part des biens du débiteur fiscal qui correspond au montant de la fiducie du paragraphe (1), qui n’existe plus. Il en va ainsi pour le débiteur fiscal aussi bien que pour ses créanciers garantis.
[64] Que la fiducie du paragraphe (1) soit réduite à zéro par voie de paiement ou par effet de la loi, je n’y vois aucune différence de principe. Dans l’un et l’autre cas, la fiducie du paragraphe (3), qui dépend de l’existence d’une somme réputée par le paragraphe (1) détenue en fiducie, se trouve éteinte. Si le législateur avait voulu que la fiducie instituée par le paragraphe (3) dépende de l’existence continue d’une créance fiscale, il ne lui aurait pas été très difficile de le préciser.
[65] L’arrêt de notre Cour Canada (Procureure générale) c. Banque nationale du Canada, 2004 CAF 92 (Banque nationale), remet-il cette conclusion en cause? Dans cette affaire, notre Cour a posé, relativement aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la LIR), et de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la LAE), qui sont pour l’essentiel identiques aux paragraphes (1) et (3), que le créancier garanti engage sa responsabilité envers la Couronne s’il a reçu le produit de biens assujettis à une fiducie sans verser la somme due au titre de la taxe :
Il me semble évident que le créancier garanti qui ne respecte pas son obligation statutaire de « payer » au Receveur général le produit d’un bien assujetti à la fiducie réputée en priorité sur sa garantie, engage sa responsabilité personnelle et devient de ce fait redevable du montant impayé. Le montant est « payable » à même le produit découlant du bien […] et puisque les intimées concèdent qu’elles ont reçu le produit découlant de la vente des biens assujettis à leur garantie, sans effectuer la remise exigible, l’appelante a une cause d’action pour recouvrer ces montants.
(Banque nationale, au paragraphe 40.)
[66] Il est important de garder à l’esprit les faits dans l’affaire Banque nationale. Les créanciers garantis de débiteurs fiscaux au titre de la LIR et de la LAE avaient réalisé leur garantie et omis de verser le produit au ministre du Revenu national jusqu’à concurrence du montant de la créance fiscale. Pendant toute la période considérée, la dette fiscale était exigible, de sorte que les fiducies légales présumées étaient en vigueur. Par conséquent, l’affaire Banque nationale concernait l’exécution d’obligations afférentes à des fiducies présumées existantes.
[67] Il est vrai que notre Cour, paraphrasant l’arrêt de la Cour suprême du Canada First Vancouver Finance c. M.R.N., 2002 CSC 49, [2002] 2 R.C.S. 720 (First Vancouver Finance), précise au paragraphe 29 de l’arrêt Banque nationale que « [l]a fiducie continue de s’appliquer à tous les actifs tant qu’on ne remédie pas au défaut [c’est à dire au non-versement des retenues à la source] ». Les arrêts Banque nationale et First Vancouver Finance concernaient des fiducies présumées prévues par la LIR, ce qui n’est pas le cas de la présente espèce. En outre, la LIR ne contient pas de disposition équivalente au paragraphe (1.1). Par conséquent, l’arrêt Banque nationale étaye la thèse voulant qu’avant la faillite du débiteur fiscal, les fiducies présumées qu’établit le paragraphe 222 s’appliquent à tous les actifs tant qu’une somme est réputée par le paragraphe (1) détenue en fiducie, mais pas la thèse selon laquelle cet état de choses subsisterait après la faillite.
[68] La Couronne soutient que le manquement à l’obligation de verser au receveur général le produit de biens assujettis à la fiducie présumée du paragraphe (3) donne naissance à une cause d’action distincte contre le créancier garanti. Contrairement aux dires de la Couronne, cet argument ne peut se fonder sur l’arrêt Banque nationale de notre Cour, qui étaye en fait une thèse beaucoup plus restreinte. Comme j’espère l’avoir démontré plus haut, l’idée que l’obligation du créancier garanti prendrait corps d’une manière ou d’une autre à un moment particulier, indépendamment de l’état de la fiducie présumée qu’institue le paragraphe (1), ne peut expliquer la diminution de cette obligation par suite de la réduction de la somme réputée être détenue en fiducie. Par ailleurs, si l’obligation du créancier garanti varie en fonction de la somme détenue dans la fiducie présumée du paragraphe (1), aucun fondement législatif ne permet de distinguer la réduction de l’obligation attribuable aux paiements à valoir de la réduction par l’effet de la loi.
[69] J’admets qu’on obtient ainsi une situation où le créancier garanti se trouve incité à retarder le versement dans l’espoir que s’éteindra la fiducie présumée du paragraphe (1), et peut même essayer de réaliser cet espoir en formant une requête de mise en faillite contre le débiteur fiscal. Je dirai seulement que, dans la présente espèce, la Couronne a signifié une demande formelle de paiement en avril 2012, mais semble n’avoir rien fait pour faire exécuter cette demande avant novembre 2013. Elle ne paraît pas non plus avoir eu recours aux autres instruments de recouvrement que lui offre la Loi. Je ne pense pas que mon avis sur la présente affaire mette en danger de manière injustifiée les intérêts de la Couronne.
[70] En résumé, l’examen textuel de l’article 222 de la Loi nous apprend que les fiducies présumées qu’instituent respectivement ses paragraphes (1) et (3) sont liées de telle sorte que l’extinction de la première au moment de la faillite — par l’effet du paragraphe (1.1) — met en même temps fin à la seconde.
[71] Comme la Cour suprême le souligne au paragraphe 21 de l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, [1998] A.C.S. no 2 (QL), l’interprétation d’une loi doit prendre en compte son texte, son contexte et son objet. Or la conclusion à laquelle mène mon examen textuel du paragraphe 222 est confortée par le contexte de celui-ci aussi bien que par son objet.
[72] Le contexte de l’article 222, et en particulier de son paragraphe (1.1), est constitué entre autres des paragraphes 67(2) et (3) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (la LFI), qui sont ainsi libellés :
67 […]
Fiducies présumées
(2) Sous réserve du paragraphe (3) et par dérogation à toute disposition législative fédérale ou provinciale ayant pour effet d’assimiler certains biens à des biens détenus en fiducie pour Sa Majesté, aucun des biens du failli ne peut, pour l’application de l’alinéa (1)a), être considéré comme détenu en fiducie pour Sa Majesté si, en l’absence de la disposition législative en question, il ne le serait pas.
Exceptions
(3) Le paragraphe (2) ne s’applique pas à l’égard des montants réputés détenus en fiducie aux termes des paragraphes 227(4) ou (4.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, des paragraphes 23(3) ou (4) du Régime de pensions du Canada ou des paragraphes 86(2) ou (2.1) de la Loi sur l’assurance-emploi (chacun étant appelé « disposition fédérale » au présent paragraphe) ou à l’égard des montants réputés détenus en fiducie aux termes de toute loi d’une province créant une fiducie présumée […]
[73] Il ressort à l’évidence du paragraphe 67(2) que le législateur avait l’intention d’en finir avec les fiducies présumées en cas de faillite. Les fiducies de cette nature ont pour effet de retirer les biens qui y sont assujettis du patrimoine du failli, de sorte que la créance de l’État fédéral acquiert priorité sur celles des créanciers non garantis. En supprimant ces fiducies en cas de faillite, le législateur met la Couronne sur le même pied que les créanciers non garantis.
[74] Le maintien par le paragraphe 67(3) du mécanisme de fiducie présumée pour les retenues à la source non versées s’explique par le fait que celles-ci appartiennent au salarié en question. La fiducie dans ce cas est une fiducie réelle au bénéfice des salariés aussi bien qu’une fiducie présumée au bénéfice de la Couronne :
[traduction] Bien que [le paragraphe 227(4)] désigne la fiducie ainsi créée comme étant une fiducie réputée, cette fiducie est, à vrai dire, réelle. L’employeur doit déduire du salaire de ses employés les sommes qu’ils doivent en vertu de la loi. Cet argent n’appartient plus à l’employeur. Il appartient aux employés. L’employeur le conserve dans une fiducie légale dans le but de remplir leurs obligations.
Roynat Inc. v. Ja-Sha Trucking & Leasing Ltd., [1992] 2 W.W.R. 641 (C.A. Man.), à la page 646, passage cité avec approbation au paragraphe 28 de l’arrêt Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411.
[75] Du point de vue contextuel, ces dispositions — et l’absence d’une disposition équivalente au paragraphe (1.1) dans les trois lois énoncées au paragraphe 67(3) de la LFI — tendent à montrer que le législateur avait l’intention de créer un régime particulier en cas de faillite pour les retenues à la source, mais pas pour la taxe non versée en application de la Loi.
[76] La Cour suprême du Canada définit l’objet du paragraphe (1.1) dans l’arrêt Québec (Revenu) c. Caisse populaire Desjardins de Montmagny, 2009 CSC 49, [2009] 3 R.C.S. 286, aux paragraphes 12 à 17. Elle examine les raisons qui sous-tendent les modifications relatives à l’application des fiducies d’origine législative en cas de faillite, notamment la fonction du paragraphe (1.1). L’objet des modifications apportées à la LFI et à la Loi était de faire en sorte que « le gouvernement du Canada, l’État, ne se place pas en position prioritaire, mais au même rang que les créanciers non garantis dans tous les cas, sauf pour les retenues d’impôt et d’assurance-chômage qui sont dues » (paragraphe 14).
[77] L’interprétation que je propose des paragraphes (1), (1.1) et (3) donne effet à cet objet.
[78] En conséquence, j’estime que la Cour fédérale a répondu correctement à la question de droit portée devant elle et je rejetterais l’appel avec dépens.