T-2265-86
T-2268-86
T-2269-86
Directeur des enquêtes et recherches, ex rel.
Robert Weist (requérant)
c.
Irving Equipment, une division de J. D. Irving,
Limited, et Barrington Industrial Services Limi
ted (intimées)
RÉPERTORIÉ: CANADA (DIRECTEUR DES ENQUETES ET
RECHERCHES) C. IRVING EQUIPMENT
Division de première instance, juge Muldoon—
Ottawa, 24 novembre; ler décembre 1986.
Coalitions — Requêtes (I) en autorisation de retenir les
documents emportés et (2) en accès limité à ceux-ci — La
première requête est accueillie puisque les documents emportés
sont du genre de ceux dont la saisie est autorisée par le
mandat, et que le rapport au juge respecte les exigences de
l'art. 15(2) de la Loi — Caractère inapplicable des art. 7, 8 et
lId) de la Charte Applicabilité de la présomption d'inno-
cence de la common law — Les ordonnances de non-publica
tion se justifient dans les litiges tant de droit privé que de droit
public — Explication de l'arrêt rendu par le juge Dickson
dans Maclntyre Il n'y a aucun intérêt valable à accorder au
public l'accès aux secrets commerciaux des intimées si aucune
accusation n'est portée — Les cours ont le pouvoir de surveil-
ler leurs propres dossiers — La deuxième requête est
accueillie.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Saisie de documents fondée sur la Loi sur la
concurrence Requête en ordonnance limitant l'accès à des
secrets commerciaux Aucune accusation n'a été portée —
Présomption d'innocence — Sécurité de la personne Le
public serait amené à croire à la culpabilité puisqu'un juge a
trouvé des motifs raisonnables de décerner des mandats — La
question de l'ignorance du public peut être réglée par voie
d'éducation et non par voie de recours à la Charte — La
question se pose de savoir si les fouilles, les perquisitions et les
saisies sont abusives compte tenu de l'art. 8 de la Charte vu le
préjudice dü à la publication de la dénonciation secrète — Les
personnes morales peuvent invoquer des droits humains
Aucun recours sous le régime de la Charte.
Droit constitutionnel — Charte des droits Procédures
criminelles et pénales — Loi sur la concurrence — Documents
emportés Aucune accusation n'a été portée — Requête
visant à obtenir que la rétention soit acompagnée d'un accès
limité Secrets commerciaux — Présomption d'innocence —
L'art. 11d) de la Charte ne s'applique pas.
Justice criminelle et pénale Présomption d'innocence de
la common law — Loi sur la concurrence — Des documents
contenant des secrets commerciaux ont été saisis Aucune
accusation n'a été portée Est accueillie la requête visant à
obtenir que la rétention soit accompagnée d'un accès limité
Les ordonnances de non-publication se justifient dans les
affaires tant de droit privé que de droit public — Il n'y a
aucun intérêt valable à accorder au public l'accès aux docu
ments en question.
Pratique — Affidavits — À l'appui d'une requête — Celui
de l'avocat qui a comparu — Ces affidavits sont normalement
rejetés pour plusieurs raisons Reçus lorsqu'un avocat vient
de loin, qu'il s'agit d'une affaire urgente et que l'avocat de la
partie adverse ne s'y oppose pas — La Cour ne fera plus
jamais cette exception à moins de l'existence des raisons les
plus convaincantes.
Deux requêtes ont été instruites par la Cour qui siégeait à
huis clos. Le directeur des enquêtes et recherches, nommé en
vertu de la Loi sur la concurrence, s'est fondé sur l'alinéa
15(1)b) et le paragraphe 15(3) pour conclure à une ordonnance
autorisant la rétention de certains documents incluant des
propositions de prix aux clients, des listes de clients, des
tableaux des tarifs de location d'équipement, des brochures
promotionnelles et des analyses du marché qui avaient été
emportés en exécution de mandats fondés sur l'article 13. Les
intimées ont conclu à une ordonnance portant que les docu
ments doivent être gardés confidentiels et que l'accès en est
limité jusqu'à ce qu'une accusation ait été portée. L'affidavit
déposé à l'appui était celui de l'avocat à l'instance. Bien que ni
l'une ni l'autre partie ne s'oppose activement à la requête de son
adversaire, il n'y a pas eu consentement.
La requête des intimées reposait sur les articles 7 et 8 et sur
l'alinéa 1 Id) de la Charte. Il a été allégué que, à ce stade des
procédures, les intimées étaient dans la position des «innocents»
dont le juge Dickson [tel était alors son titre] a fait état dans
l'affaire Maclntyre. Il y avait une présomption d'innocence, et
il serait porté atteinte à la sécurité de la personne des intimées
garantie par l'article 7 de la Charte si leurs secrets commer-
ciaux devaient être accessibles à leurs concurrents et au public.
Puisqu'un juge avait conclu qu'il existait des motifs raisonna-
bles de décerner les mandats, le public serait amené à croire
que les intimées étaient probablement coupables, mais, n'ayant
pas été inculpées, elles ne pourraient réfuter les «accusations».
Invoquant l'article 8 de la Charte, les intimées font valoir que
la publication de ces renseignements commerciaux délicats
avant qu'une accusation ne soit portée serait préjudiciable au
point de rendre la perquisition et la saisie déraisonnables. En
dernier lieu, bien qu'elles reconnaissent qu'elles ne peuvent
invoquer leur droit, prévu à l'alinéa l id), d'être présumées
innocentes tant qu'elles n'ont pas été déclarées coupables, puis-
qu'aucune accusation n'a été portée contre elles, les intimées
soutiennent que la présomption d'innocence devrait s'étendre
aux personnes qui se trouvent dans leur position.
Jugement: les requêtes devraient être accueillies sans dépens.
Le rapport à un juge que le requérant a produit était
conforme aux exigences du paragraphe 15(2) de la Loi. Les
documents emportés étaient du genre autorisé par le mandat.
Le paragraphe 16(4) prévoit la rétention d'objets pour un délai
supplémentaire si un juge est convaincu que cela est justifié.
Le fait que l'avocat qui a comparu à l'occasion de la requête
ait déposé un affidavit à l'appui de celle-ci constitue une
mauvaise habitude. Il existe trois raisons de rejeter les affida
vits établis par l'avocat d'une partie: (1) toute personne a le
droit de savoir si une personne parle comme témoin ou comme
conseiller professionnel; (2) l'avocat peut se trouver en situation
de conflit s'il agit comme témoin et comme défenseur: aucun
témoin ne peut objectivement apprécier la crédibilité de son
propre témoignage; (3) l'avocat peut s'exposer à être contre-
interrogé sur des questions visées par le privilège du secret
professionnel de son client. Pour cette fois seulement, la Cour
reçoit l'affidavit étant donné l'urgence de l'affaire et le fait que
l'avocat des intimées est venu à Ottawa à partir du Nouveau-
Brunswick et que l'avocat de la partie adverse a consenti à ce
que l'affidavit fût accepté. La Cour ne fera plus droit à ce genre
d'affidavit, à moins de l'existence des raisons les plus
convaincantes.
Bien qu'il semble ridicule qu'une personne morale puisse
invoquer des droits et libertés humaines, la Constitution évolue
toutefois dans cette direction. Les arguments des intimées sont
originaux, mais il n'est pas certain qu'elles puissent invoquer la
Charte pour obtenir redressement. Si le public est si naïf au
point de se méprendre sur la différence entre les raisons vrai-
semblables et raisonnables et la preuve au-delà de tout doute
raisonnable, la réponse réside dans l'éducation populaire et non
dans le recours à l'article 7 ou à l'article 8 de la Charte. C'est la
présomption d'innocence de la common law, plutôt que la
Charte, qui pourrait venir en aide aux intimées.
La protection des secrets commerciaux est fréquemment
accordée dans les litiges commerciaux. Les ordonnances de
non-publication se justifient dans les affaires tant de droit
public que de droit privé.
Lorsque, dans l'arrêt Mac/ntyre, le juge Dickson parle du
droit du public de consulter la dénonciation et le mandat une
fois que celui-ci a été exécuté et qu'on a trouvé quelque chose, il
entendait quelque chose de convaincant. En vertu de la Loi sur
la concurrence, le directeur a soixante jours pour décider si
quelque chose de convaincant a été emporté. Une comparaison
de valeurs et d'intérêts s'imposait. Il n'y aurait aucun intérêt
valable à accorder au public l'accès aux secrets commerciaux
des intimées si celles-ci n'étaient pas inculpées. Si des accusa
tions étaient portées, l'affaire tomberait dans le domaine public
et on ne pourrait interdire au public l'accès à la dénonciation
faite sous serment par l'enquêteur. Chaque cour possède le
pouvoir de surveiller et de préserver ses propres dossiers. La
dénonciation devrait demeurer confidentielle, et l'accès devrait
être limité aux parties et aux fonctionnaires de la Cour de
manière à ne pas préjudicier inutilement aux secrets commer-
ciaux délicats des intimées.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 2b) 7, 8, I Id).
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 443.2
(ajouté par S.C. 1985, chap. 19, art. 70).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 1 l (R.-U.), art. 52.
Loi sur la concurrence, S.R.C. 1970, chap. C-23 (mod.
par S.C. 1986, chap. 26, art. 19), art. 13 (mod., idem,
art. 24), 15 (mod., idem), 16(4) (mod., idem).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10, art. 11(3).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Procureur général de la Nouvelle-Écosse et autre c.
Maclntyre, [1982] 1 R.C.S. 175; 132 D.L.R. (3d) 385.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Lex Tex Canada Ltd. c. Duratex Inc., [ 1979] 2 C.F. 722
(1" inst.); Canadian Newspapers Co. Ltd. v. Attorney -
General of Canada and two other actions (1986), 55
O.R. (2d) 737 (H.C.); Can. Newspapers Co. v. Can.
(A.G.), [1987] 1 W.W.R. 262; (1986), 28 C.C.C. (3d)
379 (B.R. Man.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. A. & A. Jewellers Limited, [1978] 1 C.F. 479 (1«
inst.); Martinoff c. Gossen, [1978] 2 C.F. 537 (1" Inst.);
Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;
11 D.L.R. (4th) 641; Southam Inc. v. Dir. of Investiga
tion & Research, [1983] 3 W.W.R. 385 (C.A. Alb.);
Thomson Newspapers Ltd. et al. v. Director of Investiga
tion and Research et al. (1986), 26 D.L.R. (4th) 507
(H.C. Ont.).
AVOCATS:
Winston K. Fogarty pour le requérant.
Gerald B. Lawson pour les intimées.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Lawson & Lawson, Saint John (Nouveau-
Brunswick), pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Irving Equipment est la
partie intimée dans le dossier T-2265-86 et Bar-
rington Industrial Services Limited est la partie
intimée dans les dossiers T-2268-86 et T-2269-86,
mais étant donné que les présents motifs s'appli-
quent à toutes les instances et que les intimées sont
représentées par un seul avocat et un seul cabinet
de procureurs, une copie des présents motifs écrits
sera déposée dans chacun de ces dossiers.
Les requêtes ont été instruites simultanément
par la Cour, qui siégeait à huis clos à Ottawa, en
présence de l'avocat du requérant et de l'avocat
des intimées. Les deux avocats ont, comme on le
verra plus loin, participé à peu près dans la même
mesure à l'audition de chaque requête.
REQUÊTE EN RÉTENTION DES OBJETS EMPORTÉS
La première requête a été présentée pour le
compte du requérant en vertu de l'alinéa 15(1)b)
et du paragraphe 15(3) de la Loi sur la concur
rence, S.R.C. 1970, chap. C-23, mod. par S.C.
1986, chap. 26, art. 19 et 24, en vue d'obtenir une
ordonnance autorisant le requérant à retenir les
documents ou choses emportés en exécution de
mandats déjà délivrés en vertu de l'article 13
[mod., idem] de la Loi.
La Partie I de la Loi s'intitule ENQUÊTES ET
RECHERCHES. Il convient ici de reproduire l'article
15:
15. (I) Lorsqu'un document ou une autre chose est emporté
en application de l'alinéa 13(1)d), du paragraphe 13(7) ou de
l'article 14, le directeur ou son représentant autorisé doit, dès
qu'il est pratique de le faire:
a) produire ce document ou cette autre chose soit devant le
juge qui a délivré le mandat ou devant un juge de la même
cour, soit encore, dans les cas où aucun mandat n'a été
délivré, devant un juge d'une cour supérieure, d'une cour de
comté ou de la Cour fédérale;
b) faire rapport, concernant ce document ou cette autre
chose, à un juge désigné selon les critères prévus à l'alinéa a).
(2) Un rapport à un juge en application de l'alinéa (1)b)
concernant un document ou une autre chose doit inclure:
a) une déclaration précisant si le document ou cette autre
chose a été emporté en application de l'alinéa 13(1)d), du
paragraphe 13(7) ou de l'article 14;
b) une description du local perquisitionné;
c) une description du document ou de l'autre chose emporté;
d) une description de l'endroit où ce document ou cette autre
chose est gardé.
(3) Dans les cas où un document ou une autre chose est
emporté en application de l'article 13 ou 14, le juge à qui,
conformément au présent article, cette chose ou ce document
est produit ou à qui un rapport est fait à l'égard de cette chose
ou de ce document peut, s'il est convaincu de sa nécessité aux
fins d'une enquête ou de procédures en application de la
présente loi, autoriser le directeur à retenir le document ou la
chose en question.
Le requérant a choisi, comme il en avait le droit,
d'invoquer l'alinéa 15(1)b) de la Loi.
Le rapport que le requérant a produit respecte,
dans les cas qui nous occupent, les exigences du
paragraphe 15(2). Il convient de noter que, même
s'il n'a pas expressément contesté la requête du
requérant à cet égard, l'avocat des intimées a
explicitement refusé de donner son consentement
au prononcé de l'ordonnance que le requérant
sollicite. Par conséquent, l'avocat du requérant n'a
pas été relevé de son obligation de démontrer si
possible le bien-fondé de la requête en rétention
des documents emportés présentée par le requé-
rant. Le rapport est rédigé par Robert Weist, qui
est le dénonciateur et le représentant autorisé du
requérant à l'instance, le directeur des enquêtes et
recherches. Les documents emportés semblent être
du genre de ceux dont la saisie est autorisée par le
mandat et incluent des offres et des propositions de
prix aux clients, des listes de clients, des tableaux
des tarifs de location d'équipement, des registres
de paye, des notes de service internes relatives à
des propositions de prix, des brochures promotion-
nelles, des analyses du marché et d'autres docu
ments qui ont une incidence probable sur les
infractions reprochées. La façon dont ces docu
ments sont désignés semble être adéquate en l'es-
pèce, compte tenu des dénonciations faites sous
serment et sur le fondement desquelles les mandats
ont été délivrés. Les désignations faites dans les
autres instances sont peut-être trop laconiques.
La rétention et la conservation des documents
ou objets emportés sont prévues à l'article 16 de la
Loi sur la concurrence. Il est particulièrement
intéressant de reproduire, en cet état de la cause,
les extraits suivants du paragraphe 16(4) [mod.,
idem]:
16....
(4) Lorsqu'une chose ou un document est ... retenu en
application du paragraphe 15(3), ce document ou cette chose
doit, au plus tard soixante jours suivant ... l'autorisation de sa
rétention, être remis à la personne ... de qui on l'a pris, à
moins que, avant l'expiration de ce délai:
a) la personne ... de qui on l'a pris n'accepte sa rétention
pour un délai supplémentaire spécifié;
b) le juge qui a autorisé sa production ou sa rétention ou un
juge de la même cour ne soit convaincu, après une demande à
cet effet, que sa rétention pour un délai supplémentaire
donné est justifié dans les circonstances et qu'il n'en ordonne
ainsi; ou
c) des procédures ne soient entamées au cours desquelles la
production du document ou de la chose puisse être exigée.
L'avocat des intimées a refusé au nom de ces
dernières de donner le consentement prévu à l'ali-
néa 16(4)a). Par conséquent, le directeur ne peut
retenir les documents emportés en vertu de l'article
16 de la Loi que pour le délai prévu aux alinéas
16(4)b) et 16(4)c). La requête est accueillie en
date du 24 novembre 1986 sans que des dépens
soient adjugés pour ou contre l'une ou l'autre des
parties à l'instance.
REQUÊTE EN VUE D'OBTENIR UNE ORDONNANCE
DE RÉTENTION CONFIDENTIELLE DE LA
DÉNONCIATION AVEC ACCÈS LIMITÉ JUSQU'À
CE QUE UNE ACCUSATION SOIT PORTÉE
CONTRE LES INTIMÉES À L'INSTANCE
QUESTIONS DE PROCÉDURE
Par leurs requêtes, les intimées cherchent à
obtenir les ordonnances résumées ci-dessus. Dans
chaque dossier, la requête est appuyée par l'affida-
vit de l'avocat à l'instance. Prétendre agir devant
cette Cour en qualité d'avocat et de témoin dans le
même dossier litigieux est une mauvaise habitude,
et ce, même objectivement.
Il existe une trilogie excellente et vraisemblable-
ment fortuite de décisions qui constitue un manuel
de pratique utile sur la formulation et l'utilisation
des affidavits devant cette Cour. Il s'agit du juge-
ment R. c. A. & A. Jewellers Limited, [1978] 1
C.F. 479 (Ire inst.), prononcé par le juge en chef
adjoint Thurlow (tel était alors son titre), du juge-
ment Martinoff c. Gossen, [1978] 2 C.F. 537 (Ire
inst.) (à la page 542) prononcé par le juge Collier
et du jugement Lex Tex Canada Ltd. c. Duratex
Inc., [1979] 2 C.F. 722 (I fe inst.) (jusqu'à la page
725), prononcé par le juge Addy.
Il existe au moins trois bonnes raisons de rejeter
les affidavits faits sous serment par les procureurs
et les avocats d'une partie. En premier lieu, toute
personne, y compris celui qui parle, a le droit et
l'obligation de ne laisser aucun doute sur la ques
tion de savoir s'il parle comme témoin ou comme
conseiller professionnel. En deuxième lieu, l'avocat
qui souscrit ce genre d'affidavit risque de se trou-
ver en situation de conflit avec sa responsabilité
professionnelle. Tout comme les témoignages
oraux, les affidavits sont exprimés solennellement
sous serment ou sous son équivalent légal (sinon
moral). L'avocat ou le procureur qui est, après
tout, un officier de justice, ne devrait jamais se
mettre dans une situation embarrassante et risquer
un conflit d'intérêts entre sa fonction rémunérée
(mais néanmoins honorable) d'avocat et la vérité,
qui risque d'être désagréable, qu'il a communiquée
sous serment. Voir le paragraphe 11(3) de la Loi
sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10]. Aucun témoin ne peut objectivement
apprécier la valeur ou la crédibilité de son propre
témoignage. Il ne devrait pas être possible d'obli-
ger un avocat à subir le contre-interrogatoire de
l'avocat de la partie adverse, de crainte qu'il ne
sacrifie un de ses rôles ou qu'il ne donne la lamen
table impression de le faire. En troisième lieu, à
moins qu'il n'obtienne au préalable de son client
qu'il le délie de façon absolue, le procureur ou
l'avocat devra invoquer mentalement le privilège
du secret professionnel de son client lorsqu'il for-
mule l'affidavit et, évidemment, l'invoquer orale-
ment seulement lorsqu'il sera contre-interrogé à
son sujet. Ainsi que le juge Addy l'a déclaré dans
le jugement Lex Tex (précité) aux pages 723 et
724:
Quel qu'en soit le motif, il est tout à fait irrégulier et
inacceptable de la part d'un procureur de faire une déclaration
sous serment (et ce, même dans le cadre d'une procédure
interlocutoire) lorsque cette déclaration porte sur des questions
de fond, car il s'expose ainsi à être contre-interrogé sur des
questions faisant l'objet du privilège procureur-client.
En l'espèce, en souscrivant lui-même l'affidavit
déposé à l'appui des requêtes sérieuses, urgentes et
importantes des intimées, l'avocat expose ces der-
nières à voir leurs requêtes péremptoirement reje-
tées. L'avocat du requérant ne s'oppose pas expres-
sément aux requêtes des intimées mais a reçu
instruction de ne pas donner son consentement à
leur égard. En l'espèce, son attitude ne donne pas à
penser qu'il s'oppose à la réception de l'affidavit
souscrit par l'avocat dans chaque instance. L'avo-
cat du requérant fait remarquer que son adversaire
est venu de Saint John (Nouveau-Brunswick) pour
présenter les requêtes urgentes et importantes des
intimées à Ottawa; dans un geste généreux, il a
demandé que l'affidavit soit reçu et accepté dans
chaque affaire dont est saisie la Cour. La Cour
accède à cette requête, pour cette fois-ci seule-
ment. Que ce soit pour la dernière fois, à moins
que les raisons les plus convaincantes qu'on puisse
imaginer soient invoquées.
QUESTIONS DE FOND
Bien que l'avocat du requérant, le directeur des
enquêtes et recherches (appelé ci-après à l'occasion
le d.e.r.) ne s'oppose pas expressément aux requê-
tes des intimées, la Cour a, compte tenu du fait
que les présentes affaires sont débattues à huis
clos, exigé de l'avocat du d.e.r. qu'il réponde au
moins comme s'il agissait à titre d'amicus curiae,,
ce qui n'est ni gênant ni dénaturé pour l'avocat
d'une partie qui ne présente pas d'arguments et ne
donne pas son consentement. L'avocat du d.e.r. a,
comme l'a reconnu l'avocat des intimées, apporté à
ce titre une contribution fort utile.
Dans les requêtes qu'elles ont présentées au
sujet de chacune des dénonciations faites sous
serment et déposées à l'appui des mandats, les
intimées demandent:
[TRADUCTION] ... une ordonnance portant que toutes les
copies de la dénonciation déposée à l'appui de la requête en
délivrance d'un mandat de perquisition dans le présent dossier
soient maintenues confidentielles et que l'accès en soit limité
aux fonctionnaires de la Cour, aux dirigeants et représentants
de J.D. Irving, Limited, aux dirigeants et représentants de
Barrington Industrial Services Limited et à toute personne qui
obtient le consentement écrit de J.D. Irving, Limited ou de
Barrington Industrial Services Limited, de même qu'au requé-
rant et à toute personne qui obtient le consentement écrit du
requérant. Cette ordonnance est demandée au motif que la
divulgation de ces renseignements porterait atteinte aux droits
que possèdent J.D. Irving, Limited et Barrington Industrial
Services Limited en vertu de la Charte canadienne des droits et
libertés, et plus précisément des articles 7 et 8 et de l'alinéa
1 I d) de cette dernière.
À l'appui de sa requête, l'auteur de l'affidavit
relate les faits suivants parmi les questions de cet
ordre qui n'ont pas été contestées par l'avocat du
d.e.r.:
[TRADUCTION] 5. Que j'ai examiné la dénonciation de Robert
Weist et les allégations qu'elle contient avec les dirigeants
d'Irving et de Barrington et que j'ai examiné certains des
documents emportés en exécution des mandats de perquisition
en question et que sur le fondement de cet examen, je suis
d'avis que Irving et Barrington n'ont ni ensemble ni séparément
commis les infractions alléguées dans la dénonciation.
(Il aurait été normal que ce soit les dirigeants
susmentionnés qui prêtent serment au sujet de ces
faits et qu'ils soient contre-interrogés à leur sujet.)
[TRADUCTION] 6. Que je crois sincèrement qu'Irving et Bar-
rington subiraient un préjudice si les données sur la valorisation
et les renseignements commerciaux énoncés dans la dénoncia-
tion étaient rendus publics.
7. Que je crois sincèrement qu'en lisant cette dénonciation, le
public supposerait, jusqu'à ce qu'Irving et Barrington aient
l'occasion de répondre aux questions soulevées dans la dénon-
ciation, qu'Irving et Barrington ont agi illégalement et que
cette présomption de culpabilité suscitée dans l'esprit du public
porterait atteinte à la réputation d'Irving et de Barrington dans
le grand public et plus particulièrement parmi leurs clients et
clients éventuels.
8. Que les intimées demandent à la Cour de prononcer une
ordonnance portant que toutes les copies de la dénonciation
produite à l'appui de la requête en délivrance d'un mandat de
perquisition dans le présent dossier demeurent confidentielles
jusqu'à ce qu'une accusation soit portée contre l'intimée dans le
présent dossier et que l'accès à cette dénonciation soit limité
aux fonctionnaires de la Cour, aux dirigeants et représentants
de J.D. Irving, Limited, aux dirigeants et représentants de
Barrington Industrial Services Limited et à toute personne qui
obtient le consentement écrit de J.D. Irving, Limited ou de
Barrington Industrial Services Limited, de même qu'au requé-
rant et à toute personne qui obtient le consentement écrit du
requérant.
Les avocats ont cité de la jurisprudence à la
Cour. L'avocat des intimées a invoqué les arrêts
suivants: Procureur général de la Nouvelle-Écosse
et autre c. Maclntyre, [1982] 1 R.C.S. 175; 132
D.L.R. (3d) 385; Hunter et autres c. Southam
Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; 11 D.L.R. (4th) 641 et
son prédécesseur immédiat Southam Inc. v. Dir. of
Investigation & Research, [1983] 3 W.W.R. 385
(C.A. Alb.). L'avocat du d.e.r. a, davantage à titre
d'amicus curiae qu'à titre d'adversaire des inti-
mées, cité le jugement Thomson Newspapers Ltd.
et al. v. Director of Investigation and Research et
al. (1986), 26 D.L.R. (4th) 507 (H.C. Ont.) et
l'arrêt non publié rendu en appel de ce jugement
sous le même intitulé (les requérants y agissaient
comme appelants et intimés reconventionnels). Il y
a également, comme l'a fait remarquer l'avocat
des intimées, la décision prononcée par le juge
Osler de la Haute Cour de justice de l'Ontario
dans l'affaire Canadian Newspapers Co. Ltd. v.
Attorney -General of Canada and two other
actions (1986), 55 O.R. (2d) 737. Le juge y cite la
décision rendue par le juge Barkman de la Cour du
Banc de la Reine du Manitoba dans l'affaire Can.
Newspapers Co. v. Can. (A.G.), [1987] 1 W.W.R.
262; (1986), 28 C.C.C. (3d) 379. Dans ces deux
décisions, la Cour en est venue à la même conclu
sion, à savoir, que l'article 443.2 du Code Criminel
[S.R.C. 1970, chap. C-34 (ajouté par S.C. 1985,
chap. 19, art. 70] contrevenait à l'alinéa 2b) de la
Charte canadienne des droits et libertés [ qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] et que l'article 443.2 était par
conséquent nul et de nul effet, en vertu de l'article
52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.)].
L'article 443.2 du Code Criminel donne une
idée de la façon dont le législateur envisage le
principe d'ordre public applicable en la matière:
443.2 (1) Lorsqu'un mandat de perquisition a été décerné
en vertu de l'article 443 ou 443.1, ou qu'une perquisition est
effectuée en vertu d'un tel mandat, quiconque publie dans un
journal ou diffuse des renseignements concernant
a) l'endroit où s'est faite ou doit se faire la perquisition, ou
b) l'identité de la personne qui occupe ou semble occuper cet
endroit ou en est ou semble en être responsable ou qui est
soupçonnée d'être impliquée dans une infraction à l'égard de
laquelle le mandat fut décerné
sans la permission de chaque personne visée à l'alinéa b), à
moins qu'une accusation n'ait été portée à l'égard d'une infrac
tion visée par le mandat, est coupable d'une infraction punissa-
ble par procédure sommaire.
(2) Au présent article, «journal» s'entend au sens de l'article
261.
Le procureur général du Canada a interjeté appel
de ces deux dernières décisions mais, dans un
communiqué de presse en date du 22 octobre 1986,
le ministre Ramon Hnatyshyn a confirmé qu'il ne
donnerait pas suite à ces appels. Cette tournure
des événements pourrait signifier la fin de l'article
443.2 du Code Criminel, mais le principe sur
lequel cet article se fonde n'a pas été répudié.
Ce principe existait de façon générale en droit
canadien même avant que la Charte soit promul-
guée le 17 avril 1982. L'arrêt Maclntyre, précité,
en est un exemple convaincant. Dans cet arrêt
rendu en janvier 1982, les juges de la Cour
suprême du Canada étaient divisés à cinq contre
quatre sur la question de savoir s'il existait un
droit du grand public d'examiner les mandats de
perquisition et les dénonciations sur lesquelles ils
se fondent. Dans l'opinion qu'il a exprimée pour le
compte de la minorité, le juge Martland a souligné
le danger que le dénonciateur courait si son iden-
tité était dévoilée dans certains genres d'enquêtes
criminelles (qui ne nous concernent pas en l'es-
pèce). Le juge a également insisté sur le caractère
confidentiel du travail des policiers et sur le fait
qu'il n'était pas souhaitable que ceux qui se livrent
à des activités criminelles puissent se procurer des
renseignements qui révèlent la façon dont la police
procède en matière de perquisition. Les juges
minoritaires ont également fondé leur opinion sur
l'idée que «comme son [celui dont les locaux sont
visés par l'autorisation de perquisition] local fait
l'objet d'un mandat de perquisition, on pourrait le
soupçonner d'être mêlé à l'infraction» et que la
publication de ce fait pourrait lui être «très
préjudiciable».
Dans l'opinion qu'il a rédigée pour le compte de
la majorité dans l'arrêt Maclntyre, le juge Dickson
(maintenant juge en chef) a conclu (aux pages 189
et 190 R.C.S.; 405 D.L.R.):
... l'argument relatif à l'administration de la justice justifie
que l'on procède à huis clos au moment de la délivrance du
mandat, mais qu'une fois celui-ci exécuté, il n'est normalement
pas possible d'admettre encore l'exclusion du public en général.
La règle générale de l'accès du public doit prévaloir, sauf à
l'égard de ceux que j'ai déjà appelés des innocents.
La Cour a par conséquent statué qu'après qu'un
mandat de perquisition a été exécuté et que les
objets trouvés par suite de la perquisition ont été
portés devant la personne qui a délivré le mandat,
les particuliers peuvent examiner le mandat et la
dénonciation sur le fondement de laquelle le
mandat a été délivré.
La requête des intimées est fondée sur certaines
dispositions de la Charte, en l'occurrence, les arti
cles 7 et 8 et l'alinéa 11d). Il semble effectivement
objectivement ridicule que les personnes morales—
ces entités artificielles, métaphysiques et imaginai-
res qui sont exploitées généralement comme des
moyens abstraits permettant de partager les ris-
ques et les responsabilités que comportent les
entreprises industrielles et commerciales—puissent
invoquer ce qui constitue fondamentalement des
droits et libertés humaines. Toutefois, la Constitu
tion évolue déjà dans cette direction marécageuse
et le moment et l'endroit sont mal choisis pour
renverser cette tendance.
L'avocat des intimées soutient que ces dernières
sont—à cette étape-ci des événements, du moins—
les «innocents» dont le juge Dickson [tel était alors
son titre] parle dans l'arrêt majoritaire rendu dans
l'affaire Maclntyre en janvier 1982. Quelques
extraits tirés de ces motifs (aux pages 185 à 187
R.C.S.; 401 403 D.L.R.) donne un aperçu géné-
ral de cette opinion:
Je prends d'abord l'argument relatif à la vie privée. Ce n'est
pas la première fois qu'on soulève cet argument devant les
tribunaux. On a maintes fois soutenu que le droit des parties au
litige de jouir de leur vie privée exige des audiences à huis clos.
Il est aujourd'hui bien établi cependant que le secret est
l'exception et que la publicité est la règle. Cela encourage la
confiance du public dans la probité du système judiciaire et la
compréhension de l'administration de la justice. En règle géné-
rale, la susceptibilité des personnes en cause ne justifie pas
qu'on exclut le public des procédures judiciaires.
A chaque étape, on devrait appliquer la règle de l'accessibilité
du public et la règle accessoire de la responsabilité judiciaire;
tout cela en vue d'assurer qu'il n'y a pas d'abus dans la
délivrance des mandats de perquisition, qu'une fois accordés,
les mandats sont exécutés conformément à la loi et enfin qu'on
dispose conformément à la loi des éléments de preuve saisis.
Une décision de la poursuite de ne pas poursuivre nonobstant la
découverte d'éléments de preuve qui paraissent établir la perpé-
tration d'un crime peut, dans certains cas, soulever des ques
tions importantes pour le public.
À mon avis, restreindre l'accès du public ne peut se justifier
que s'il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont
préséance. C'est notamment le cas de la protection de
l'innocent.
Bien des mandats de perquisition sont délivrés et exécutés
sans que rien ne soit trouvé. Dans ces cas, l'intérêt protégé par
l'accès du public l'emporte-t-il sur celui de la protection des
personnes chez qui une perquisition a' eu lieu sans que l'on n'ait
rien trouvé? Ces personnes doivent-elles souffrir l'opprobre qui
entacherait leur nom et leur réputation du fait de la publicité
de la perquisition? La protection de l'innocent à l'égard d'un
préjudice inutile est une considération de principe valable et
importante. A mon avis, cette considération l'emporte sur le
principe de l'accès du public dans les cas où l'on effectue une
perquisition sans rien trouver. Le droit du public à l'informa-
tion doit céder le pas devant la protection de l'innocent. Si le
mandat est exécuté et qu'il y a saisie, d'autres considérations
entrent en jeu.
Finalement, pour les fins de l'espèce, les passa
ges suivants (tirés des pages 189 R.C.S.; 405
D.L.R.) jettent un certain éclairage sur la
question:
Il n'y a pas de doute qu'une cour possède le pouvoir de
surveiller et de préserver ses propres dossiers. L'accès peut en
être interdit lorsque leur divulgation nuirait aux fins de la
justice ou si ces dossiers devaient servir à une fin irrégulière. Il
y a présomption en faveur de l'accès du public à ces dossiers et
il incombe à celui qui veut empêcher l'exercice de ce droit de
faire la preuve du contraire.
Je suis conscient que ce qui précède peut paraître s'écarter de
la pratique anglaise, comme je l'interprète, mais cela cadre
mieux, à mon avis, avec la transparence des procédures judi-
ciaires que la jurisprudence anglaise semble préconiser.
Les intimées insistent non seulement sur leur
innocence et sur la présomption d'innocence dont
elles bénéficient dans les circonstances, mais égale-
ment sur le préjudice qu'elles subiraient si leurs
secrets commerciaux, qui sont relatés, quoique par
ouï-dire nécessaire, dans la dénonciation, devaient
maintenant être rendus accessibles à leurs concur-
rents, à leurs clients et au grand public. Ainsi
donc, leur avocat se place au niveau supérieur de
leur réputation commerciale non ternie pour faire
valoir la présomption d'innocence. Toute atteinte à
leur réputation et à la présomption garantie par la
Constitution les priverait de la sécurité de leur
personne morale métaphysique, en violation de
l'article 7 de la Charte, ce qui n'est autorisé qu'en
conformité avec les principes de justice fondamen-
tale. Les présentes procédures garantissent aux
intimées une justice fondamentale au sens procé-
dural, mais leur avocat soutient que la publication
prématurée de la dénonciation faite sous serment
les priverait de la protection que leur confèrent les
principes de justice fondamentale, entendus
comme règles de fond. Les intimées soutiennent
que puisque le juge qui a délivré les mandats était
convaincu qu'il existait des motifs raisonnables de
croire qu'une infraction avait été commise ou était
sur le point de l'être—un degré de preuve qui est
fort éloigné de celui de la preuve au-delà de tout
doute raisonnable—le grand public serait amené à
croire qu'elles sont probablement coupables et que,
n'ayant encore été accusées d'aucune infraction,
elles ne disposent d'aucune tribune convenable
pour réfuter les «accusations», ce qui leur porte
préjudice.
L'avocat des intimées fait par conséquent valoir
que non seulement il y aurait une atteinte fonda-
mentale à leur droit à la sécurité de leur personne
garanti par l'article 7, mais également que les
mêmes facteurs entraînent inexorablement une
violation de leur droit à la protection contre les
fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives
garanti par l'article 8 de la Charte. Voici l'argu-
ment qu'elles font valoir: le processus de perquisi-
tion et de saisie, qu'il soit conjonctif ou, de façon
plus globale, disjonctif, ainsi qu'il est libellé à
l'article 8, englobe les procédures, actes et faits par
lesquels le dénonciateur expose sa preuve et ses
convictions dans sa dénonciation sous serment
pour tenter de persuader le juge qu'ils sont, à ses
yeux, satisfaisants, et d'amener celui-ci à délivrer
un mandat. Étant donné que la dénonciation doit
être apparemment fondée et que, dans le cas qui
occupe la Cour, elle révèle des renseignements
commerciaux délicats, la publication prématurée
de la dénonciation avant qu'une accusation ne soit
portée, en supposant que cela se produise, serait
préjudiciable au point de rendre la perquisition et
la saisie déraisonnables. Il se peut que les intimées
ne soient jamais accusées et, prétendent-elles, que
si elles ne le sont pas, les droits que leur garantit
l'article 8 seront violés par une perquisition et une
saisie aussi déraisonnables.
En outre, ainsi que le prétend l'avocat des inti-
mées, étant donné que ces dernières n'ont pas
encore été inculpées d'une infraction, elles ne peu-
vent pas encore invoquer leur droit, prévu à l'ali-
néa 11 d) de la Charte, d'être présumées innocentes
tant qu'elles n'ont pas été déclarées coupables,
conformément à la loi, par un tribunal indépen-
dant et impartial à l'issue d'un procès public et
équitable. Elles font valoir que si elles jouissent en
droit d'une présomption d'innocence lorsqu'elles
sont inculpées, à plus forte raison doivent-elles
bénéficier de cette présomption avant que quicon-
que les accuse, d'autant plus qu'il est possible
qu'elles ne soient jamais inculpées.
Les arguments des intimées sont sérieux, origi-
naux et ils donnent à réfléchir. Il n'est toutefois
pas certain que la situation dans laquelle se trou-
vent les intimées leur confère le droit d'invoquer
les dispositions de la Charte. Il est douteux que la
divulgation du contenu de la dénonciation sous
serment porterait atteinte aux droits que l'article 7
confère aux intimées, même s'il est plus facile de
penser que la divulgation de secrets commerciaux
puisse mettre en péril la sécurité d'une personne
morale commerciale davantage que celle d'une
personne physique. Si, en règle générale, le public
n'est pas assez renseigné pour saisir l'énorme diffé-
rence qui existe entre le simple fait d'établir l'exis-
tence de raisons vraisemblables et raisonnables de
croire qu'une infraction a été commise (ou, possi-
bilité encore plus éloignée), est sur le point d'être
commise et le fait de prouver au-delà de tout doute
raisonnable que cette infraction a été commise, la
réponse réside dans l'éducation populaire et non
dans le recours à l'article 7 ou à l'article 8 de la
Charte. Formellement et officiellement, la pré-
somption d'innocence prévue à l'alinéa 11 d) ne
peut, suivant les termes mêmes de cette disposi
tion, être invoquée que lorsqu'une personne est
inculpée. Dans le contexte de la common law, cette
présomption s'étend toutefois de façon générale à
toute personne qui n'est pas déclarée coupable
d'une infraction donnée. Dans les circonstances,
c'est davantage l'influence intrinsèque de la
common law, qui s'étend partout dans le droit
public fédéral, qui peut venir plus en aide aux
intimées que les dispositions de la Charte.
En ce qui concerne les secrets commerciaux
délicats des intimées et leurs secrets de gestion
d'entreprise, précisons que les secrets de ce genre
sont souvent, sinon habituellement, protégés dans
diverses affaires de propriété intellectuelle et
autres litiges mettant en cause des sociétés com-
merciales et industrielles. Il est vrai que ces litiges
se situent pour la plupart dans le contexte du droit
privé, mais ce n'est pas toujours le cas. Voici le
texte du projet de règle 29 du Tribunal de la
concurrence:
29. (I) La procédure du Tribunal est publique, et toute
personne a le droit d'obtenir, sur demande, tous les documents
déposés auprès du registraire ou reçus en preuve par le
Tribunal.
(2) Sur requête du directeur ou de toute autre partie à la
procédure et après audition du plaidoyer du directeur et des
parties souhaitant présenter des observations, le Tribunal peut,
s'il croit qu'il existe des raisons valables de tenir l'audition à
huis clos ou de refuser à des personnes le droit de consulter des
documents prévus au paragraphe (I), rendre une ordonnance en
conséquence.
Cette règle se justifie facilement, car il serait
scandaleux et absurde que les procédures mêmes
du Tribunal causent davantage préjudice à une
partie qu'une décision favorable et tout autant
préjudice, ou pas moins, qu'une décision défavora-
ble. Les procédures et décisions de ce Tribunal
font très certainement partie du domaine du droit
public. Des procédures semblables sont utilisées
par différents tribunaux administratifs. On peut
conclure que les ordonnances de non-publication
qui frappent certains documents délicats se justi-
fient non seulement dans le domaine du droit
privé, mais également dans celui du droit public,
dont les présentes procédures font de toute évi-
dence partie.
Lorsque, dans l'arrêt Maclntyre, le juge Dickson
(maintenant juge en chef) parle d'un droit général
du public de consulter la dénonciation et le mandat
une fois que celui-ci a été exécuté et qu'on a trouvé
quelque chose, il entendait naturellement quelque
chose de convaincant dans les circonstances. Une
saisie injustifiée d'un morceau de papier choisi au
hasard ou même d'un hectolitre de documents
choisis au hasard ne constitue pas la saisie de
«quelque chose» dans ce contexte. Mais, en l'es-
pèce, à cause de la nature des présumées infrac
tions à la Loi sur la concurrence, on ne saura pas si
les quelque 11,000 pages de dossiers qui font partie
des catégories de documents dont le mandat de
perquisition autorise la saisie sont convaincants
tant qu'ils n'auront pas été passés au tamis et
évalués.
Pour procéder à ce passage au tamis et à cette
évaluation, le paragraphe 16(4) de la Loi accorde,
comme nous l'avons déjà fait remarquer, au d.e.r.,
une période de soixante jours. Une période aussi
longue se fonde sans doute sur la nature des
infractions reprochées, qui ne sont pas commises à
découvert, qui ne sont pas d'ordre physique et qui
n'exigent ni armes, ni outils, ni substances chimi-
ques, ni même de butin comme preuve, puisque
bon nombre d'infractions ne constituent pas même
des actes mauvais en soi, ainsi que l'histoire consti-
tutionnelle des infractions en matière de coalitions
le démontre amplement. Étant donné que les élé-
ments de preuve que les enquêteurs recherchent ne
sont ni des armes à feu, ni des seringues, ni de la
drogue, ni des pinces à levier, ni un butin, il se peut
même qu'une saisie parfaitement légale ne per-
mette pas d'obtenir certains éléments de preuve de
la perpétration d'une infraction. Il faut donc plus
qu'un coup d'oeil rapide pour reconnaître si, dans
les circonstances, quelque chose de convaincant a
été emporté en exécution du mandat.
Suivant les juges majoritaires de la Cour
suprême dans l'arrêt Maclntyre, c'est à compter
du moment où les objets saisis en exécution du
mandat sont ramenés que le public peut prendre
connaissance de la dénonciation. En l'espèce, le
législateur accorde au d.e.r. un délai ferme de
soixante jours, ou un délai plus court si une accu
sation est portée, pour déterminer si on a saisi
quelque chose de convaincant en exécution du
mandat.
Or, cette situation commande une comparaison
de valeurs et d'intérêts. Au moment où il a pro-
noncé son jugement, c'est-à-dire avant que la
Charte n'entre en vigueur, le juge Dickson (main-
tenant juge en chef) a affirmé la valeur de la
publicité des débats judiciaires. De nos jours, on
voit dans les deux décisions Canadian Newspapers
Co. Ltd., dont l'une provient du Manitoba et l'au-
tre de l'Ontario, un éloge de la liberté de la presse
et des autres moyens de communication dont la
protection est consacrée à l'alinéa 2b) de la
Charte.
En l'espèce, ce sont les suspects (qui ne sont pas
encore des prévenus) qui tentent de protéger leur
vie privée, et ce, uniquement jusqu'à ce que des
accusations soient éventuellement portées. Si elles
n'avaient pas été importunées par des enquêteurs
munis de mandats, les intimées auraient évidem-
ment pu continuer à exercer dans le privé leurs
activités vraisemblablement innocentes. Saisie
d'une telle requête, que le d.e.r. ne conteste pas
expressément, la Cour doit examiner minutieuse-
ment ce qu'il convient de faire. Manifestement, les
intimées n'accusent pas le requérant de les avoir
harcelées et, à cet égard, leur avocat a judicieuse-
ment fait valoir que si elles se plaignent de harcèle-
ment, elles doivent, tout comme tous ceux qui sont
dans leur position, toujours être libres d'exposer
l'affaire au grand jour aux médias. Après tout, le
d.e.r. doit, comme on dit dans le langage courant,
prendre une décision. Mais, une plainte aux
médias d'information susciterait une réaction du
d.e.r., ce qui satisferait certainement aux intérêts
constitutionnels de la liberté de presse.
Il semble qu'il n'y ait aucun intérêt public vala-
ble à accorder au public l'accès à chacun des
secrets commerciaux des intimées si celles-ci ne
doivent pas être inculpées. Dans ce cas, il semble-
rait que le d.e.r. ne disposerait pas de preuves
suffisantes pour intenter une poursuite. L'avocat
des intimées reconnaît que si des accusations
étaient portées, l'affaire tomberait dans le domaine
public et qu'on ne pourrait alors légitimement
interdire au public l'accès à la dénonciation faite
sous serment par l'enquêteur.
En raison de l'autorité de la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Maclntyre, il ne fait en tout
cas aucun doute que notre Cour possède, tout
comme tout autre cour, «le pouvoir de surveiller et
de préserver ses propres dossiers». Dans les circons-
tances de l'espèce, les intimées ont repoussé la
présomption suivant laquelle le public a le droit de
consulter les documents dès que le d.e.r. les
ramène après avoir exécuté les mandats. Le public
n'a aucun intérêt, autre que la curiosité, à recueil-
lir le détail des soupçons des enquêteurs, des allé-
gations du plaignant fondées sur du ouï-dire ou des
secrets commerciaux des intimées, à moins que
l'affaire n'entre dans le domaine public par le
dépôt d'une accusation.
D'autre part, le public a le droit, même si
aucune accusation n'est portée, de connaître les
démarches que le d.e.r. a entreprises en vertu de la
Loi au sujet des intimées. Parce qu'ils ont été
communiqués, les motifs de la délivrance des man-
dats de perquisition font partie du domaine public.
À vrai dire, le public a le droit de savoir que ces
mandats de perquisition ont été délivrés et les
raisons pour lesquelles ils l'ont été, en autant que
ces motifs sont formulés avec suffisamment de
prudence pour ne pas porter atteinte aux droits des
intimées à jouir de leur vie privée, droits que ces
dernières tentent maintenant de protéger. Au
cours des débats, l'avocat des intimées est allé
jusqu'à reconnaître que, même si la présente
requête réussissait, le public avait le droit d'être
informé du fait que les intimées avaient déposé la
présente requête. La publication des présents
motifs atteindra cet objectif.
Par conséquent, jusqu'à ce que des accusations
soient éventuellement portées, l'accès est refusé,
étant donné que cela ferait subir une injustice aux
intimées en préjudiciant inutilement à leurs secrets
commerciaux délicats. Les allégations et les révéla-
tions fondées sur du ouï-dire que contient la
dénonciation pourraient être utilisées dans un but
commercial illégitime. Par ailleurs, leur divulga-
tion en dehors du cadre légal formel de l'accusa-
tion et de la défense devant un tribunal compétent
et le fait d'être dispensé la nécessité de prouver la
culpabilité au-delà de tout doute raisonnable pour-
raient être diffamatoires. Si les intimées doivent
être accusées et condamnées, qu'il en: soit ainsi.
C'est du moins ce qu'elles disent. L'ordonnance
demandée par les intimées est accordée; la dénon-
ciation devra demeurer confidentielle et l'accès en
sera limité aux parties et aux fonctionnaires de la
Cour jusqu'à ce que les intimées soient accusées
des infractions prévues à la Loi sur la concurrence.
Cependant, si les intimées choisissent de livrer la
dénonciation à l'examen minutieux du public et à
la discussion générale, elles sont les seules à pou-
voir le faire. Les présents motifs sont accessibles
au public.
Puisque ni l'une, ni l'autre partie n'a contesté
explicitement la requête présentée par son adver-
saire, la Cour n'adjuge aucun dépens pour ou
contre l'une ou l'autre partie. En tout état de
cause, la Cour ne devrait que rarement, voire
jamais, accorder de dépens dans ce genre de
procédure.
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