T-876-86
T-2270-86
Monica Lau (demanderesse)
c.
La Reine du chef du Canada, représentée par le
ministre du Revenu national (défenderesse)
et
Monica Lau (requérante)
c.
Commission des relations de travail dans la Fonc-
tion publique et Conseil du Trésor (intimés)
RÉPERTORIÉ: Lau c. M.R.N.
Division de première instance, juge Reed—
Ottawa, 23 octobre et 3 novembre 1986.
Impôt sur le revenu — L'art. 241 interdit de communiquer
des renseignements obtenus par le M.R.N. ou en son nom —
La demanderesse a été renvoyée du ministère du Revenu
national où elle occupait le poste de vérificateur — Renvoi
fondé sur des renseignements contenus dans les déclarations
d'impôt de l'employée — L'usage des renseignements par les
fonctionnaires du M.R.N. va-t-il à l'encontre de l'art. 241? —
Les fonctionnaires de Revenu national n'ont pas accès aux
renseignements fiscaux pour sévir contre les employés ou pour
des questions de personnel — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, chap. 63, art. 24/ (mod. par S.C. 1980-81-82-83,
chap. 68, art. 117) — Loi sur l'administration financière,
S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 7.
Fonction publique — Relations du travail — Grief —
Audition tenue par la C. R.T.F.P. — Requête visant à faire
interdire à la Commission de recevoir en preuve les déclara-
tions d'impôt d'une employée du ministère du Revenu national
renvoyée pour fraude fiscale — La communication de rensei-
gnements viole-t-elle les dispositions de non-divulgation de la
Loi de l'impôt sur le revenu? — Il est allégué que la demande-
resse devrait être traitée de la même façon que les employés
des autres ministères — La défenderesse soutient que l'art.
241 de la Loi autorise la communication de renseignements
lorsque l'application de la Loi est en cause et qu'une sanction
imposée à un employé relève de l'application de la Loi —
L'expression «poursuites ayant trait à l'application ou à l'exé-
cution» de la Loi ne vise pas les questions de personnel — En
acceptant la preuve, la Commission n'outrepasse pas nécessai-
rement sa compétence — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, chap. 63, art. 24/ (mod. par S.C. 1980-8/-82-83,
chap. 68, art. 117).
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Prohibition
— Pour interdire à la C.R.T.F.P. de recevoir en preuve, à
l'audition d'un grief, les déclarations d'impôt sur le revenu
d'une employée renvoyée pour fraude fiscale — Il ne saurait y
avoir lieu à bref de prohibition dans les circonstances — En
acceptant la preuve, la Commission n'outrepasse pas nécessai-
rement sa compétence.
Pratique — Preuve — Audition d'un grief tenue par la
C. R.T.F.P. — Une employée de Revenu national a été renvoyée
en raison des renseignements figurant dans sa propre déclara-
tion d'impôt sur le revenu — Elle a été reconnue coupable de
fraude fiscale — Recevabilité des déclarations d'impôt sur le
revenu et des renseignements qui s'y rapportent — 1l n'y a pas
violation de l'art. 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu — La
réception d'éléments de preuve par la Commission, s'ils sont
produits, ne constitue pas nécessairement un excès de compé-
tence — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap.
63, art. 241 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art.
117).
Pratique — Plaidoiries — Requête en radiation — Action
en jugement déclarant que les fonctionnaires du ministère du
Revenu national ne peuvent communiquer les renseignements
contenus dans des déclarations d'impôt pour un usage à l'en-
contre des employés de leur propre Ministère — Les argu
ments invoqués pour étayer la requête portent sur le fond —
Ils ne sauraient être invoqués à l'occasion d'une requête en
radiation — Requête rejetée — Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2' Supp.). chap. 10, art. 17(1), 18 — Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B. Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 24(2).
La demanderesse a été renvoyée du ministère du Revenu
national où elle occupait le poste de vérificateur. Son renvoi
reposait sur les renseignements qu'elle avait fournis au Minis-
tère dans ses déclarations d'impôt sur le revenu. Avant l'audi-
tion de son grief par la Commission des relations de travail
dans la Fonction publique, elle a soulevé une objection prélimi-
naire selon laquelle l'usage que les fonctionnaires du Ministère
devaient faire des renseignements constituerait une violation de
l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu. En vertu de
l'article 241, aucun fonctionnaire ne doit communiquer un
renseignement obtenu par le ministre du Revenu national ou en
son nom sauf comme l'autorise cet article. La demanderesse a
déposé une déclaration dans laquelle elle conclut principale-
ment à un jugement déclarant que, puisque les fonctionnaires
de Revenu national ne sauraient communiquer les renseigne-
ments contenus dans les déclarations d'impôt concernant les
employés des autres ministères, ils ne devraient pas être autori-
sés à le faire à l'égard des employés de leur propre Ministère.
La défenderesse fait valoir, quant au fond, que la sanction
imposée à un employé est prévue par l'exemption de l'article
241, faisant partie de l'aapplication de la Loi», et que, par
conséquent, la communication est permise.
La requête de la défenderesse vise à obtenir une ordonnance
portant radiation de la déclaration pour le motif qu'elle ne
révèle aucune cause raisonnable d'action et que la Cour n'a pas
compétence. La demanderesse a déposé une requête incidente
visant à modifier la déclaration et à y ajouter un paragraphe,
ainsi qu'une requête en bref de prohibition.
Jugement.• la requête en radiation et la requête en bref de
prohibition devraient être rejetées. La requête en modification
de la déclaration devrait être accueillie.
Pour étayer sa requête en radiation, la défenderesse a invo-
qué l'argument selon lequel une action en jugement déclara-
toire ne saurait être accueillie lorsqu'elle ne sert aucune fin (la
preuve pourrait être produite devant la Commission même si
elle a illégalement été obtenue), lorsqu'il s'agit de questions
sans portée pratique ou hypothétiques; et lorsque l'accueillir
ferait obstacle à la procédure suivie devant une cour de juridic-
tion criminelle. Elle a en outre soutenu qu'un jugement déclara-
toire ne pouvait être accordé en matière de procédure, que les
tribunaux n'interviendraient pas dans les affaires dont était
saisie une autre cour ou un autre tribunal et, en dernier lieu,
que la Cour d'appel fédérale ayant compétence pour examiner
les procédures de la Commission, il ne conviendrait pour la
Division de première instance d'accorder un jugement déclara-
toire relatif à la production prévue d'éléments de preuve devant
la Commission par les fonctionnaires de Revenu national. Tous
ces arguments sont toutefois des arguments sur le fond. Ils
portent tous sur le bien-fondé de la demande et ne peuvent être
invoqués lorsqu'on présente une requête en radiation. Porte
également sur le fond l'argument additionnel de la défenderesse
selon lequel l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale a pour
effet d'empêcher d'accorder des jugements déclaratoires contre
la Couronne, ses préposés ou mandataires dans d'autres cir-
constances. La requête en radiation a été rejetée.
La défenderesse a fait valoir que, quant à la modification
projetée à apporter à la déclaration, il s'agissait d'une action
déguisée en renvoi injustifié qui ne relève pas de la Cour. La
Cour n'était pas persuadée que cela était si évident qu'on ne
devait pas laisser au juge de première instance le soin d'exami-
ner la question. La requête en modification de la déclaration a
donc été accueillie.
La requête en bref de prohibition empêchant la Commission
de recevoir les renseignements contenus dans les déclarations
d'impôt a été rejetée. L'expression «poursuites ayant trait à
l'application ou à l'exécution de la ... loi», lesquelles sont
exclues de la règle générale interdisant la communication, ne
vise pas les sanctions imposées aux employés ni les autres
questions de personnel relatives aux fonctionnaires de Revenu
national. Ces derniers, lorsqu'ils agissent en tant qu'employeur
en vertu du pouvoir que leur a délégué le Conseil du Trésor,
n'ont pas accès aux renseignements fiscaux pour des fins rele
vant de questions de personnel. Toutefois, un bref de prohibi
tion ne saurait, dans les circonstances actuelles, être décerné. Il
ne s'agit pas d'un cas où la réception de témoignages irreceva-
bles constituerait nécessairement un excès de compétence.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Bell Canada c. Procureur général du Canada, [1978] 2
C.F. 801 (1" inst.); Bayer A.G. c. Commissaire des
brevets et autre (1984), 79 C.P.R. (2d) 166 (C.F. 1"
inst.); The Royal Bank of Scotland Ltd, v Citrusdal
Investments Ltd, [1971] 3 All ER 558 (Ch.D.); Chaffey
v. Mount Cook Air Services Ltd., [1969] N.Z.L.R. 25
(C.S.); Samuel Varco c. La Reine et autre (1978), 87
D.L.R. (3d) 522 (C.F. 1" inst.); Terrasses Zarolega Inc.
et autres c. Régie des installations olympiques, [1981 ] 1
R.C.S. 94; 124 D.L.R. (3d) 204; Hollinger Bus Lines
Limited v. Ontario Labour Relations Board, [1951] O.R.
562 (H.C.); Terrace View Apartments Ltd. v. Attorney -
General of Nova Scotia (1978), 26 N.S.R. (2d) 490
(C.S.); Cassidy v. Stewart, [1928] 3 D.L.R. 879 (C.S.
Ont.); R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272; R. v. Collins
(1983), 33 C.R. (3d) 130 (C.A.C.-B.); Smith v. Attorney
General of Ontario, [ 1924] R.C.S. 331; Jamieson et al. v.
Attorney General of British Columbia, [197!] 5 W.W.R.
600 (C.S.C.-B.); Solosky c. R., [I978] 2 C.F. 632; 86
D.L.R. (3d) 316 (C.A.); Connaught Laboratories Ltd. c.
La Reine, Cour fédérale, Division de première instance,
T-2040-78, jugement en date du 11 juillet 1978, non
publié; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et
autres, [ 1985] 1 R.C.S. 441; Imperial Tobacco Ltd. v.
Attorney -General, [198I] A.C. 718 (H.L.); Affiliated
Offices Ltd. et autre c. Bud Cullen et autres (1976), 76
DTC 6279 (C.F. 1" inst.); confirmé pour d'autres motifs
dans [1982] 1 R.C.S. 609 (sub nom. Fee et autre c.
Bradshaw et autres); Maritime Telegraph & Telephone
Co. Ltd. c. C.C.R.T., [1976] 2 C.F. 343 (1" inst.); Bell c.
Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756;
Margaret, Duchess of Argyll (Feme Sole) v. Duke of
Argyll, [1965] 1 All E.R. 611 (Ch.D.); Attorney -General
v Jonathan Cape Ltd, [I975] 3 All ER 484 (Q.B.D.).
AVOCATS:
N. J. Schultz et Gerald R. Morin, c.r. pour la
demanderesse.
L. P. Chambers, c.r. et Jacqueline Morgan
pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
des ordonnances rendus par
LE JUGE REED: La défenderesse cherche à faire
radier la déclaration de la demanderesse pour les
motifs qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable
d'action et que cette Cour n'a pas compétence. La
demanderesse a déposé une requête incidente
visant à modifier la déclaration et à y ajouter un
paragraphe, ainsi qu'une requête en bref de
prohibition.
Les faits qui ont donné lieu aux présentes procé-
dures ne sont pas contestés. Le 28 août 1985, la
demanderesse a été renvoyée du ministère du
Revenu national où elle occupait le poste de vérifi-
cateur. Elle a par la suite été accusée de fraude
fiscale dont elle s'est reconnue coupable le 3
décembre 1985. Son renvoi reposait sur les rensei-
gnements qu'elle avait fournis au ministère du
Revenu national dans ses déclarations d'impôt sur
le revenu de 1981, 1982 et de 1983. Le 29 août
1985, la demanderesse a déposé un grief sous
forme de lettre après qu'elle eut été informée de
son renvoi par lettre. La Commission des relations
de travail dans la Fonction publique a finalement
été saisie de ce grief le 5 mars 1986. Avant l'au-
dience tenue par la Commission et au début de
cette audience, le représentant de la demanderesse
a soulevé une objection préliminaire relative à la
preuve qui serait vraisemblablement présentée par
l'employeur, c'est-à-dire les déclarations d'impôt
de la demanderesse et d'autres renseignements qui
s'y rapportent. En donnant ces renseignements, les
fonctionnaires du ministère du Revenu national
violeraient selon lui l'article 241 de la Loi de
l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63
(mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 68, art.
117)]:
241. (I) Sauf comme l'autorise le présent article, aucun
fonctionnaire ni aucune personne autorisée ne doit
a) sciemment communiquer ni sciemment permettre que soit
communiqué à quiconque un renseignement obtenu par le
Ministre ou en son nom aux fins de la présente loi ... ni
b) sciemment permettre à quiconque d'examiner tout livre,
registre, écrit, déclaration ou autres documents obtenus par
le Ministre ou en son nom aux fins de la présente loi ... ou
d'y avoir accès.
(2) Nonobstant toute autre loi, aucun fonctionnaire ni
aucune personne autorisée ne doit être requise, dans le cas de
procédures judiciaires
a) de témoigner relativement à quelque renseignement
obtenu par le Ministre ou en son nom aux fins de la présente
loi ... ni
b) de produire quelque livre, registre, écrit, déclaration ou
autres documents obtenus par le Ministre ou en son nom aux
fins de la présente loi ...
(3) Les paragraphes (1) et (2) ne s'appliquent pas en ce qui
concerne les poursuites au criminel, sur acte d'accusation ou
sur déclaration sommaire de culpabilité, en vertu d'une loi du
Parlement du Canada, ou relativement à des poursuites ayant
trait à l'application ou à l'exécution de la présente loi ...
Je fais remarquer que, même si les procédures et
les autres éléments de preuve versés au dossier ne
le montrent pas clairement, toutes les parties ont
présumé, aux fins de l'espèce, que les renseigne-
ments obtenus par les fonctionnaires du Revenu
national étaient ceux-là même que la plaignante
avait fournis en tant que contribuable; elles ont
également présumé que les fonctionnaires en ques
tion avaient obtenu ces renseignements grâce au
rôle joué par le Ministère dans l'application et
l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu et
non en raison de quelque autre rôle ni de quelque
autre source. L'argument invoqué par le représen-
tant de la demanderesse est simple: en tant qu'em-
ployée du ministère du Revenu national, celle-ci
devrait être traitée de la même façon que les
employés des autres ministères gouvernementaux;
les fonctionnaires de Revenu national ne sauraient
communiquer les renseignements contenus dans les
déclarations d'impôt concernant les employés des
autres ministères et ils ne devraient pas être auto-
risés à le faire à l'égard des employés de leur
propre ministère. Je cite l'argument écrit de
l'avocat:
[TRADUCTION] . .. lorsqu'ils obtiennent des renseignements
d'une personne qui par hasard est un employé de Sa Majesté,
les percepteurs représentant cette dernière ne sauraient agir à
un autre titre et faire fonction d'employeur de manière à
utiliser ces mêmes renseignements pour sévir contre cette per-
sonne en tant qu'employé.
L'argument fondamental de l'avocat de la
défenderesse porte sur deux points: (1) l'article
241 autorise expressément les fonctionnaires du
Revenu national à communiquer des renseigne-
ments [TRADUCTION] «dans l'exercice de [leurs]
fonctions relatives à l'application ou à l'exécution»
de la Loi de l'impôt sur le revenu (paragraphe
241(4)); le fait de punir un employé relève de
l'application de la Loi; (2) même si la communica
tion de ces renseignements à la Commission des
relations de travail dans la Fonction publique pou-
vait constituer en l'espèce une violation de l'article
241 de la Loi, ce sont les sanctions criminelles sous
le régime de cet article qui devraient être appli-
quées, et il serait prématuré de se prononcer de
quelque manière que ce soit à ce sujet.
Je ferai remarquer que ce n'est pas le bien-fondé
du renvoi qui est contesté en l'espèce. Il s'agit
plutôt de l'usage qui a été fait ou pourra être fait
des déclarations d'impôt de la demanderesse et des
renseignements qui s'y rapportent. Si les rensei-
gnements présentés à la Commission provenaient
des documents publics déposés relativement à des
accusations de fraude fiscale, il n'y aurait pas lieu
de contester (sauf peut-être devant la Commission
pour ce qui est de la pertinence de ces renseigne-
ments) l'à-propos de leur divulgation. La question
porte donc uniquement sur les actes des employés
du ministère du Revenu national.
Dans sa déclaration, la demanderesse sollicite
un jugement déclaratoire pour les différents motifs
que voici: les renseignements obtenus sous le
régime de la Loi de l'impôt sur le revenu ne
peuvent pas être communiqués sauf si l'article 241
l'autorise; cet article interdit à la défenderesse de
communiquer les renseignements qu'il a obtenus
en vertu de la Loi lorsqu'il surveille et contrôle les
employés; et enfin l'usage intentionnel par la
défenderesse des renseignements provenant des
déclarations d'impôt sur le revenu de la demande-
resse constituerait une infraction. Certes, il ne
s'agit peut-être pas d'arguments des plus convain-
cants et cela semble être le genre de redressement
que la Cour refuserait d'accorder, du moins en ce
qui concerne le dernier argument; mais, ainsi qu'il
a été indiqué ci-dessus, la demanderesse voulait
essentiellement obtenir de la Cour un jugement
déclaratoire portant que Revenu Canada, en tant
qu'employeur, se trouve dans la même position que
tout autre ministère gouvernemental pour ce qui
est de l'usage des renseignements contenus dans les
déclarations d'impôt concernant ses employés.
Dans sa déclaration, la demanderesse réclame
également des dommages-intérêts, et dans la modi
fication qu'elle cherche à ajouter, elle allègue, pour
étayer cette demande, que la défenderesse (ses
préposés ou mandataires) a manqué délibérément
à son obligation de ne pas divulguer les renseigne-
ments contenus dans les déclarations d'impôt de la
demanderesse et ne s'est pas souciée du préjudice
causé à cet égard.
En examinant les arguments de la défenderesse
relatifs à sa requête en radiation de la déclaration
de la demanderesse, je trouve tout à fait étonnant
qu'elle ait choisi d'agir ainsi. Les arguments invo-
qués sont, à proprement parler, des arguments qui
devraient être présentés à l'audition de la cause
elle-même, et non par voie de procédure sommaire
à l'occasion d'une requête en radiation.
Les défendeurs soutiennent que la déclaration ne
révèle aucune cause raisonnable d'action parce
que:
(1) Les tribunaux ne rendent pas de jugements
déclaratoires en matière de procédure, ou dans les
affaires dont est saisi une autre cour ou un autre
tribunal. À l'appui de cet argument, les défendeurs
citent: Bell Canada c. Procureur général du
Canada, [1978] 2 C.F. 801 (1" inst.), aux pages
805 et 806; Bayer A.G. c. Commissaire des brevets
et autre (1984), 79 C.P.R. (2d) 166 (C.F. 1"
inst.), à la page 168; The Royal Bank of Scotland
Ltd, y Citrusdal Investments Ltd, [1971] 3 All ER
558 (Ch.D.); Chaffey v. Mount Cook Air Services
Ltd., [1969] N.Z.L.R. 25 (C.S.); Samuel Varco c.
La Reine et autre (1978), 87 D.L.R. (3d) 522
(C.F. 1`e inst.); Terrasses Zarolega Inc. et autres
c. Régie des installations olympiques, [1981] 1
R.C.S. 94, aux pages 102 105; 124 D.L.R. (3d)
204, aux pages 210 212; Hollinger Bus Lines
Limited v. Ontario Labour Relations Board,
[1951] O.R. 562 (H.C.), aux pages 570 et 571;
Terrace View Apartments Ltd. v. Attorney -
General of Nova Scotia (1978), 26 N.S.R. (2d)
490 (C.S.), aux pages 507 et 508.
(2) Les tribunaux n'accordent pas de jugements
déclaratoires si ceux-ci ne servent aucune fin et, en
l'espèce, la preuve pourrait être produite devant la
Commission même si elle a été illégalement obte-
nue par les fonctionnaires de Revenu Canada. Les
décisions suivantes ont été citées à l'appui de cet
argument: Terrasses Zarolega Inc. et autres c.
Régie des installations olympiques, précitée, aux
pages 106 et 107 R.C.S.; 213 D.L.R.; Cassidy v.
Stewart*, [1928] 3 D.L.R. 879 (C.S. Ont.), à la
page 883; R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272, la
page 287; Charte canadienne des droits et libertés
[qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], paragraphe
24(2); R. v. Collins (1983), 33 C.R. (3d) 130
(C.A.C-B.), aux pages 142, 149 et 150.
(3) Les tribunaux n'accordent pas de jugements
déclaratoires lorsqu'il s'agit de questions sans
portée pratique ou hypothétiques. Les décisions
suivantes sont citées à l'appui de cet argument:
Smith v. Attorney General of Ontario, [ 1924]
R.C.S. 331; Jamieson et al. v. Attorney General of
British Columbia, [1971] 5 W.W.R. 600
(C.S.C.-B.), aux pages 606 et 608; Solosky c. R.,
[1978] 2 C.F. 632, aux pages 633 et 634; 86
D.L.R. (3d) 316 (C.A.), à la page 318; Connaught
Laboratories Ltd. c. La Reine, Cour fédérale,
Division de première instance, T-2040-78, en date
du 11 juillet 1978, non publiée, à la page 13;
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et
autres, [1985] 1 R.C.S. 441, la page 447.
(4) Les tribunaux n'accordent pas de jugements
déclaratoires lorsque ceux-ci font obstacle à la
procédure suivie devant les cours de juridiction
* Note de l'arrêtiste: Le nom «Stewart» se lit «Stuart» à la
première page de la décision.
criminelle. Les décisions suivantes sont citées à
l'appui de cet argument: Imperial Tobacco Ltd. v.
Attorney -General, [1981] A.C. 718 (H.L.), aux
pages 742, 746, 752; Affiliated Offices Ltd. et
autre c. Bud Cullen et autres (1976), 76 DTC
6279 (C.F. 1" inst.) (confirmé pour d'autres
motifs dans [ 1982] 1 R.C.S. 609 [sub nom. Fee et
autre v. Bradshaw et autres]).
(5) Il n'y a pas lieu d'accorder un jugement décla-
ratoire parce que la Cour d'appel fédérale a com-
pétence pour examiner les procédures de la Com
mission, et il ne convient donc pas de rendre un
jugement déclaratoire lorsqu'on appréhende la
conduite des fonctionnaires de Revenu national
devant cette Commission.
Tous ces arguments sont des arguments sur le
fond, concernant la question de savoir s'il y a lieu,
en fait, d'accorder un jugement déclaratoire. Ils
portent sur le bien-fondé de la demande et consis
tent à savoir si une cour jouit d'un pouvoir discré-
tionnaire pour accorder un jugement déclaratoire,
et dans quelles circonstances elle doit exercer ce
pouvoir. Ces arguments ne peuvent être invoqués
lorsqu'on présente une requête en radiation.
Les arguments de la défenderesse quant à l'in-
compétence de la Cour portent également sur le
fond. Elle prétend que puisque la Cour fédérale
tient de l'article 18 le pouvoir d'accorder des juge-
ments déclaratoires à l'égard des offices, commis
sions et tribunaux fédéraux, le législateur a voulu
exclure du paragraphe 17(1) le pouvoir de rendre
de tels jugements contre la Couronne, ses préposés
ou mandataires, dans d'autres circonstances (un
argument qui semble spécieux au mieux). Elle
soutient que cette Cour est incompétente parce
qu'il n'y a lieu d'accorder un jugement déclara-
toire que lorsque les droits d'un demandeur et les
obligations légales d'un défendeur sont en cause.
Toujours selon la défenderesse, les jugements
déclaratoires ne visent ni à reformuler la loi ni à
répondre à des questions hypothétiques ou préma-
turées. Il est clair qu'il s'agit là d'arguments qui se
rapportent au bien-fondé de la demande et non à
la compétence. La requête en radiation de la
défenderesse sera donc rejetée avec dépens.
Pour ce qui est de la requête en modification de
la déclaration introduite par la demanderesse, il
n'existe, à mon avis, aucun motif valable pour
lequel elle ne devrait pas être accueillie. Il se peut,
comme le prétend l'avocat de la défenderesse, qu'il
s'agisse d'une action déguisée en renvoi injustifié
qui ne relève pas de la compétence de cette Cour.
Je ne suis pourtant pas persuadée que cela soit si
évident qu'on ne doive pas laisser au juge de
première instance le soin d'examiner la question. Il
est possible que le renvoi soit justifié, mais que la
divulgation des déclarations d'impôt constitue tout
de même un acte délibéré ou négligent qui cause
des dommages (bien qu'il soit peut-être difficile
d'en rapporter la preuve). Quoi qu'il en soit, j'es-
time préférable de trancher la question après avoir
entendu les témoignages. La défenderesse ne
subira aucun préjudice si la modification de la
déclaration est autorisée à ce stade des procédures.
Cela aidera à trancher toutes les questions soule-
vées en l'espèce.
Il reste à statuer sur la demande de bref de
prohibition de la demanderesse visant à empêcher
la Commission de recevoir les renseignements
fiscaux.
L'avocat de la défenderesse soutient que la
divulgation des renseignements par les fonctionnai-
res du ministère du Revenu national est prévue par
l'exemption du paragraphe 241(3), parce que les
employés de Revenu Canada peuvent être punis en
«application de la Loi de l'impôt sur le revenu». Je
ne suis pas persuadée qu'il s'agisse là d'un argu
ment valable.
À mon avis, l'expression «poursuites ayant trait
à l'application ou à l'exécution» de la Loi de
l'impôt sur le revenu figurant au paragraphe
241(3) ne vise pas les sanctions imposées aux
employés ni les autres questions de personnel rela
tives aux fonctionnaires du ministère du Revenu
national; les questions de personnel relatives aux
fonctionnaires du ministère des Transports ne relè-
vent pas non plus de l'application de la Loi sur
l'aéronautique [S.R.C. 1970, chap. A-3]. Comme
le souligne l'avocat de la demanderesse, le Conseil
du Trésor est le service gouvernemental qui est
responsable en tant qu'employeur des employés du
gouvernement. Une partie des pouvoirs du Conseil
du Trésor peut être déléguée aux sous-chefs des
ministères en vertu de l'article 7 de la Loi sur
l'administration financière, S.R.C. 1970, chap.
F-10, mais cela ne permet pas au Conseil du
Trésor de se soustraire à sa responsabilité première
dans ce domaine. L'avocat de la demanderesse
soutient que le Conseil du Trésor lui-même n'a pas
un droit d'accès aux renseignements en question,
pas plus que ses délégués dans d'autres ministères.
Dans le même ordre d'idées, il soutient que lorsque
les fonctionnaires de Revenu Canada agissent en
tant qu'employeur en vertu du pouvoir que leur a
délégué le Conseil du Trésor, ils n'ont pas accès
aux renseignements fiscaux pour des fins relevant
de questions de personnel. Je suis d'accord avec
cette prétention.
Je ne saurais toutefois décerner en l'espèce un
bref de prohibition contre la Commission. L'avocat
de la demanderesse soutient que si la Commission
accepte la preuve, elle outrepasse sa compétence et
qu'il y a donc lieu d'accorder un bref de prohibi
tion pour empêcher que cela se produise. Il prétend
que dans les affaires analogues portant sur le
secret professionnel de l'avocat et sur le secret de
la Couronne, on peut avoir recours à un bref de
prohibition. Il fait remarquer que l'avocat de la
défenderesse a admis cette possibilité dans son
exposé des points de droit concernant la requête en
radiation (paragraphe 48, page 27).
Il ressort des remarques faites par le juge Addy
dans l'affaire Bell Canada c. Procureur général du
Canada, [1978] 2 C.F. 801, que dans certains cas,
la réception de témoignages irrecevables peut cons-
tituer un excès de compétence, et ainsi donner lieu
à un bref de prohibition. Il en serait de même si on
contestait la compétence pour un motif clairement
fondamental tel que l'incompétence sur le plan
constitutionnel, ainsi qu'il a été statué dans l'af-
faire Maritime Telegraph & Telephone Co. Ltd. c.
C.C.R.T., [1976] 2 C.F. 343 (1" inst.), ou l'incom-
pétence manifeste sur le plan législatif, comme il a
été décidé dans l'affaire Bell c. Ontario Human
Rights Commission, [1971] R.C.S. 756. Mais en
l'espèce, je ne peux pas dire que la réception de la
preuve par la Commission, le cas échéant, consti-
tuerait nécessairement un excès de compétence.
On ne m'a cité aucune jurisprudence qui exige, par
exemple, que la Commission examine et rejette, en
réponse à sa propre requête, des éléments de
preuve tels que ceux qui sont actuellement en
litige. Certes, si la preuve était produite avec le
consentement des parties, il n'y aurait pas d'excès
de compétence. Le consentement des parties dans
le cas d'incompétence constitutionnelle ou législa-
tive ne remédie pas à cette lacune.
La demanderesse appréhende davantage la con-
duite des fonctionnaires de Revenu Canada que de
celle de la Commission. L'avocat de la demande-
resse le reconnaît. Au début, il avait conçu l'action
en visant à obtenir un jugement déclaratoire relatif
à la conduite prévue des employés de Revenu
Canada. Il a tout bonnement déclaré que la
requête en bref de prohibition contre la Commis
sion avait été introduite pour des raisons tactiques
[TRADUCTION] «afin de parer à toute éventualité».
J'estime qu'il faut retenir la conception initiale de
l'avocat au sujet du redressement approprié. Ainsi
qu'il le souligne, il arrive qu'on accorde une injonc-
tion pour empêcher des particuliers de divulguer
des renseignements protégés par le secret profes-
sionnel: Margaret, Duchess of Argyll (Ferre Sole)
v. Duke of Argyll, [1965] 1 All E.R. 611 (Ch.D.);
Attorney -General y Jonathan Cape Ltd, [1975] 3
All ER 484 (Q.B.D.). Dans la plupart des cas, on
ne peut obtenir d'injonction à l'encontre de la
Couronne. En conséquence, une action en juge-
ment déclaratoire constitue le redressement appro-
prié, ainsi que l'avocat l'a conclu.
La requête en radiation sera rejetée. La requête
en modification de la déclaration sera accueillie.
La requête en bref de prohibition interdisant à la
Commission d'utiliser les éléments de preuve rela-
tifs à l'impôt sur le revenu, s'ils sont produits, sera
rejetée.
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