T-166-83
Municipalité régionale de Peel (demanderesse)
c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: PEEL (MUNICIPALITÉ RÉGIONALE) c. CANADA
Division de première instance, juge Strayer—
Toronto, 14 et 15 octobre; Ottawa, 27 novembre
1986.
Droit constitutionnel — Principes constitutionnels fonda-
mentaux — Sommes d'argent versées par une municipalité
conformément à des ordonnances judiciaires rendues en con-
formité avec l'art. 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants —
Invalidité de l'art. 20(2) — Action en restitution — Principe
constitutionnel selon lequel le pouvoir exécutif n'a pas l'obli-
gation d'effectuer des dépenses qui n'ont pas été approuvées —
Principe à appliquer dans le cadre d'un système fédéral et en
tenant compte du principe reconnaissant le droit d'obtenir
réparation en cas d'enrichissement sans cause — Action
accueillie — Bill of Rights, 1688, 1 Will. & Mary, 2e sess.,
chap. 2 (R.-U.) — Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict.,
chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de
la Loi constitutionnelle de 1982, n°1 ), art. 91(27) — Loi sur
les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, chap. J-3 (abrogé et
remplacé par S.C. 1980-81-82-83, chap. 110), art. 20(1),(2).
Couronne — Prérogatives — Immunité — Sommes d'argent
versées par une municipalité en conformité avec une loi fédé-
rale invalide — Action en recouvrement accueillie — La
Couronne ne peut pas demander l'immunité, pour le motif
qu'aucune affectation de crédits n'a été accordée par le pouvoir
législatif — Accorder cette immunité équivaudrait à permettre
au gouvernement fédéral d'accomplir ce que la Constitution lui
interdit de faire — C'est une question de justice entre la partie
demanderesse et la partie défenderesse — Versement autorisé
par l'art. 57(3) de la Loi sur la Cour fédérale — Loi sur la
responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38 — Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art.
57(3).
Restitution — Sommes d'argent versées par une municipa-
lité conformément à des ordonnances judiciaires rendues en
conformité avec l'art. 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants
— L'art. 20(2) ne relève pas du Parlement du Canada — Des
sommes d'argent versées en raison d'une erreur de droit et sous
l'effet de la contrainte peuvent être recouvrées — Les règles
applicables au système fédéral et à la réparation en cas
d'enrichissement sans cause se conjuguent pour permettre à la
municipalité d'être remboursée — Loi sur les jeunes délin-
quants, S.R.C. 1970, chap. J-3 (abrogé et remplacé par S.C.
1980-81-82-83, chap.110), art. 20(1),(2).
Pratique — Prescription — Action en remboursement de
sommes d'argent versées en conformité avec une loi invalide —
Ni l'art. 11 de la Public Authorities Protection Act ni l'art.
45(1)g) de la Limitations Act n'interdisent le recouvrement —
Action dite «upon the case» — Le délai de prescription appli
cable aux actions fondées sur la violation du droit de «pro-
priété., sur un contrat, sur une créance ou une détention illicite
s'applique aux actions en restitution — La poursuite a été
intentée dans le délai prévu par la législation — Public
Authorities Protection Act, R.S.O. 1980, chap. 406, art. 11 —
Limitations Act, R.S.O. 1980, chap. 240, art. 45(1)g) — Judi
cature Act, R.S.O. 1980, chap. 223 — Loi sur la Cour fédé-
rale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 35, 38.
De 1974 1982, la municipalité demanderesse a déboursé
des sommes d'argent pour l'entretien de jeunes délinquants
conformément aux ordonnances rendues par la Cour provin-
ciale de l'Ontario en conformité avec le paragraphe 20(2) de la
Loi sur les jeunes délinquants. Ces sommes ont été versées
directement aux foyers collectifs. Dans un jugement rendu en
juillet 1982, la Cour suprême du Canada a statué que le
paragraphe 20(2) ne relevait pas du Parlement du Canada pour
le motif qu'il prétendait autoriser un tribunal à imposer une
charge financière à des municipalités pour l'entretien de jeunes
délinquants. La demanderesse tente maintenant d'obtenir de la
défenderesse le remboursement de versements effectués en
application de cette loi invalide.
Jugement: l'action devrait être accueillie.
Il s'agit essentiellement d'une demande en recouvrement de
sommes d'argent versées en raison d'une erreur de droit et sous
l'effet de la contrainte. Il a été jugé par la Cour suprême du
Canada que l'argent versé en pareilles circonstances peut être
recouvré et qu'on peut obtenir d'une autorité publique la resti
tution d'une somme d'argent même si celle-ci a été dépensée
pour l'entretien d'un citoyen.
La proposition selon laquelle le pouvoir exécutif fédéral est
automatiquement assujetti à une obligation légale et exécutoire
de payer les frais d'application des lois fédérales n'est pas
valable sur le plan constitutionnel. Selon la Constitution, le
pouvoir exécutif fédéral n'a ni le droit ni l'obligation de verser
une somme d'argent si celle-ci n'a pas été approuvée; la Cou-
ronne n'est pas responsable des mesures prises par le pouvoir
législatif, et la doctrine de la suprématie du Parlement implique
que les tribunaux ne peuvent pas obliger celui-ci à voter des
affectations de crédits. Ces principes constitutionnels fonda-
mentaux doivent toutefois s'appliquer dans le cadre d'un sys-
tème fédéral et en tenant compte du principe reconnaissant le
droit d'obtenir réparation en cas d'enrichissement sans cause. Il
existe dans un système fédéral une obligation politique en vertu
de laquelle chaque ordre de gouvernement doit appliquer de
façon efficace les lois adoptées par le pouvoir législatif. La
décision rendue par la Cour suprême du Canada en 1982 dans
l'affaire Peel c. MacKenzie montre que, en assurant l'applica-
tion du droit criminel en vertu du paragraphe 91(27) de la Loi
constitutionnelle de 1867, le Parlement ne peut pas déléguer à
une province ou au représentant d'une province les obligations
financières découlant de l'application de la loi s'ils n'assument
pas volontairement ces obligations.
La Couronne ne peut pas invoquer l'immunité à l'égard d'une
demande en paiement de coûts imposés illégalement, pour le
motif que le pouvoir législatif n'a accordé à la défenderesse
aucune affectation de crédits en vue d'effectuer de tels paie-
ments, car cela consisterait à permettre au gouvernement fédé-
ral d'accomplir ce que la Constitution lui interdit de faire,
c'est-à-dire imposer une charge financière à la municipalité
pour l'entretien des jeunes délinquants. C'est à ce moment-ci
que les règles applicables au système fédéral et le principe de la
réparation en cas d'enrichissement sans cause se conjuguent de
manière à obliger la partie défenderesse à rembourser la partie
demanderesse des frais engagés par celle-ci pour se conformer à
une loi invalide. L'obligation de la Couronne est une question
de justice en ce qui concerne la partie demanderesse et la partie
défenderesse. Le paragraphe 57(3) de la Loi sur la Cour
fédérale autorise le versement de la somme dépensée par la
demanderesse conformément aux ordonnances non valides.
Ni l'article 11 de la Public Authorities Protection Act ni
l'alinéa 45(1)g) de la Limitations Act de l'Ontario n'interdisent
le recouvrement de la somme réclamée. Suivant l'article 11, une
action contre une personne qui a commis ou omis des actes par
négligence dans l'exécution d'une obligation imposée par la loi
doit être intentée dans les six mois de la date où la cause
d'action a pris naissance. Il ne s'agit pas d'une action de ce
genre en l'espèce: la défenderesse est poursuivie en raison d'une
obligation qui découle d'actes accomplis par d'autres. De toute
façon, vu que la cause d'action a pris naissance lorsque la Cour
suprême du Canada a rendu sa décision le 22 juillet 1982 et vu
que la présente action a été intentée le 18 janvier 1983, soit
moins de six mois après que la cause d'action eut pris naissance,
l'article 11 ne constituerait pas alors une fin de non-recevoir.
En ce qui concerne l'alinéa 45(1)g), il s'agissait d'une action
dite «upon the case» qui, dans le contexte d'une loi moderne,
devrait être considérée comme une catégorie d'actions rési-
duelle de sorte qu'il faudrait appliquer aux actions en restitu
tion le même délai de prescription qu'aux actions fondées sur la
violation du droit de «propriété», sur un contrat, sur une créance
ou une détention illicite—qui sont également visées par l'alinéa
45(1)g). En l'espèce, l'action a été intentée dans le délai de six
ans prévu par l'alinéa 45(1)g). Enfin, vu qu'il n'y a pas eu de
retard indu de la part de la demanderesse, il n'était pas possible
d'invoquer avec succès le manque de diligence.
La demande en vue d'obtenir des intérêts ayant couru avant
le jugement a dû être rejetée, car les dispositions de l'article 35
de la Loi sur la Cour fédérale n'avaient pas été respectées.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Carleton, County of v. City of Ottawa, [1965] R.C.S.
663; Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et
autre, [1982] 2 R.C.S. 9.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Brook's Wharf and Bull Wharf Ld. v. Goodman Bro
thers, [1937] 1 K.B. 534 (C.A.); Fibrosa Spolka
Akcyjna v. Fairbairn, Lawson, Combe Barbour, Ld.,
[1943] A.C. 32 (H.L.); Deglman v. Constantineau,
[1954] R.C.S. 725; Hydro Electric Commission of
Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347; Amax
Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de la Saskatche-
wan, [1977] 2 R.C.S. 576; B.C. Power Corporation v.
B.C. Electric Company, [1962] R.C.S. 642.
DÉCISIONS CITÉES:
Morgentaler et al. v. Ackroyd et al. (1983), 150 D.L.R.
(3d) 59 (H.C. Ont.); Jacobs (George Porky) Enterprises
Ltd. v. City of Regina, [1964] R.C.S. 326; Eadie v.
Township of Brantford, [1967] R.C.S. 573; White et al.
v. Central Trust Co. et al. (1984), 7 D.L.R. (4th) 236
(C.A.N.-B.); Procureur général du Canada c. Transports
Nationaux du Canada, Ltée et autre, [1983] 2 R.C.S.
206; R. c. Wetmore et autres, [1983] 2 R.C.S. 284; R. c.
Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159 (C.A.);
Welbridge Holdings Ltd. c. Metropolitan Corporation of
Greater Winnipeg, [1971] R.C.S. 957; North v. Wal-
thamstow Urban Council (1898), 67 L.J.Q.B. 972; In re
Diplock, [1948] Ch. 465; confirmé par [1951] A.C. 251
(H.L.); Maskell v. Horner, [1915] 3 K.B. 106 (C.A.);
Salford (Mayor & c., of Borough of) v. County Council
of Lancashire (1890), 25 Q.B.D. 384 (C.A.); Green &
Co. v. Cukier & Toronto Gen'! Trusts, [1949] 4 D.L.R.
729 (C.A. Ont.); Hydro Electric Commission of the
Township of Nepean v. Ontario Hydro (1979), 92 D.L.R.
(3d) 481 (H.C. Ont.).
AVOCATS:
J. E. Sexton, c.r. et B. Morgan pour la
demanderesse.
J. E. Thompson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER:
Faits
Il s'agit d'une action en recouvrement d'une
somme d'argent versée par la demanderesse pour
l'entretien de jeunes délinquants en conformité
avec des ordonnances rendues par la Cour provin-
ciale de l'Ontario soi-disant en application du
paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délin-
quants, S.R.C. 1970, chap. J-3 (loi qui a été
remplacée depuis par la Loi sur les jeunes contre-
venants, S.C. 1980-81-82-83, chap. 110).
Les paragraphes 20(1) et (2) de la Loi sur les
jeunes délinquants prévoient ce qui suit:
20. (1) Lorsqu'il a été jugé que l'enfant était un jeune
délinquant, la cour peut, à sa discrétion, prendre une ou
plusieurs des mesures diverses ci-dessous énoncées au présent
article, selon qu'elle le juge opportun dans les circonstances,
a) suspendre le règlement définitif;
b) ajourner, à l'occasion, l'audition ou le règlement de la
cause pour une période déterminée ou indéterminée;
c) imposer une amende d'au plus vingt-cinq dollars, laquelle
peut être acquittée par versements périodiques ou autrement;
d) confier l'enfant au soin ou à la garde d'un agent de
surveillance ou de toute autre personne recommandable;
e) permettre à l'enfant de rester dans sa famille, sous réserve
de visites de la part d'un agent de surveillance, l'enfant étant
tenu de se présenter à la cour ou devant cet agent aussi
souvent qu'il sera requis de le faire;
f) faire placer cet enfant dans une famille recommandable
comme foyer d'adoption, sous réserve de la surveillance
bienveillante d'un agent de surveillance et des ordres futurs
de la cour;
g) imposer au délinquant les conditions supplémentaires ou
autres qui peuvent paraître opportunes;
h) confier l'enfant à quelque société d'aide à l'enfance,
dûment organisée en vertu d'une loi de la législature de la
province et approuvée par le lieutenant-gouverneur en con-
seil, ou, dans toute municipalité où il n'existe pas de société
d'aide à l'enfance, aux soins du surintendant, s'il en est un;
ou
i) confier l'enfant à une école industrielle dûment approuvée
par le lieutenant-gouverneur en conseil.
(2) Dans chacun de ces cas, la cour est autorisée à rendre un
ordre enjoignant aux père et mère de l'enfant ou au père ou à la
mère ou à la municipalité à laquelle il appartient, de verser
pour son entretien telle somme que la cour peut déterminer, et
lorsque cet ordre est donné à la municipalité, cette dernière
peut à l'occasion recouvrer des père et mère ou du père ou de la
mère de l'enfant la somme ou les sommes qu'elle a versées en
exécution de cet ordre.
Le paragraphe (2) figurait dans la Loi depuis 1908
(S.C. 1908, chap. 40, par. 16(2)).
À l'audition de la cause, les parties ont présenté
un exposé conjoint des faits, dont la plus grande
partie est reproduite ci-dessous:
[TRADUCTION] 2. Par jugement en date du 22 juillet 1982, la
Cour suprême du Canada a statué que le paragraphe 20(2) de
la Loi ne relevait pas de la compétence législative du Parlement
du Canada dans la mesure où il visait à autoriser une cour à
imposer une charge financière aux municipalités pour l'entre-
tien des jeunes délinquants. Municipalité régionale de Peel c.
MacKenzie et Procureur général du Canada et autres, [[1982]
2 R.C.S. 9]; (1982), 139 D.L.R. (3d) 14 (C.S.C.)...
3. Le paragraphe 20(1) de la Loi autorisait une cour à rendre
n'importe quelle des neuf ordonnances possibles relativement à
un jeune délinquant, notamment:
a) les ordonnances fondées sur les al. 20(1)a) et b), qui
n'imposaient aucune charge financière à une municipalité;
b) les ordonnances fondées sur les al. 20(1)e) et i), qui
devaient être exécutées au niveau provincial et qui n'impo-
saient aucune charge financière à une municipalité;
c) les ordonnances fondées sur l'al. 20(1)h), qui permettaient
de confier un jeune délinquant à une société d'aide à l'en-
fance. En vertu d'une entente ultérieure entre les gouverne-
ments fédéral, provincial et municipal, le gouvernement fédé-
ral devait assumer 50 % des frais occasionnés par ces
placements, la province 30 % et la municipalité 20 %, sans
qu'une ordonnance' soit rendue en application du par. 20(2);
et
d) les ordonnances fondées sur les al. 20(1)d), f) et g),
relativement au placement d'enfants dans des foyers collec-
tifs et autres institutions similaires, notamment des maisons
privées servant de foyers d'adoption, dont tous les frais
devaient être supportés par une municipalité lorsqu'une cour
l'ordonnait ainsi en application du par. 20(2) ...
4. La demanderesse, la municipalité régionale de Peel, est une
municipalité régionale qui a été constituée le 1e' octobre 1973 et
a commencé à fonctionner comme telle le ler janvier 1974. De
1974 1982, le Tribunal de la famille de Peel a rendu des
ordonnances en conformité avec le paragraphe 20(1) de la Loi
pour placer des enfants dans différents foyers collectifs et
autres institutions similaires, et, en vertu des dispositions du
paragraphe 20(2) de la Loi, il a ordonné que la municipalité
demanderesse supporte les frais de placement. La majorité des
ordonnances rendues par le Tribunal de la famille de Peel
enjoignaient de placer les enfants dans les foyers de Viking
Houses, une filiale de la Marshall Children's Foundation
(Viking Houses).
5. La contribution financière que la demanderesse devait verser
à la suite des ordonnances rendues en conformité avec le
paragraphe 20(2) de la Loi devait être faite directement à
l'ordre des différents foyers collectifs, institutions et particuliers
en question.
6. Pendant la période allant de janvier 1974 au 22 juillet 1982
environ, la demanderesse a effectué des paiements à Viking
Houses ainsi qu'à d'autres foyers collectifs, institutions et parti-
culiers en conformité avec les ordonnances rendues en applica
tion du paragraphe 20(2) de la Loi. Le montant brut de ces
paiements se chiffrait à 2 036 131,37 $. Jusqu'en avril 1976, la
demanderesse a reçu de la province quelques petites subven-
tions sous le régime de la Loi sur l'assistance sociale générale
pour assurer l'entretien des jeunes délinquants en tant qu'en-
fants adoptifs. Le montant de ces subventions s'élevait à
25 330,50 $. À compter d'avril 1976, la province a fourni une
subvention afin de couvrir 50 % de toutes les sommes payées
par la demanderesse en conformité avec les ordonnances ren-
dues en application du paragraphe 20(2) de la Loi. Le montant
total de ces subventions était de 843 986,65 $. Les subventions
versées par la province totalisaient donc 869 317,15 $. Par
conséquent, le montant net total versé par la demanderesse à la
suite des ordonnances rendues en application du paragraphe
20(2) de la Loi était de 1 166 814,22 $ .. .
7. Lorsque, durant la période allant de 1974 1982, des
jeunes de l'Ontario étaient confiés par le Tribunal à une société
d'aide à l'enfance en conformité avec l'alinéa 20(1)h) de la Loi,
ils devenaient assujettis aux lois provinciales sur le bien-être
social en vertu d'un ordre du secrétaire de la province confor-
mément à l'article 21 de la Loi, et le gouvernement fédéral
payait 50 % des frais d'entretien de ces jeunes en conformité
avec le Régime d'assistance publique du Canada. Le Tribunal
n'a rendu aucune ordonnance en application du paragraphe
20(2) de la Loi contre des municipalités pour l'entretien de ces
jeunes...
8. Lorsque, pendant la période allant de 1974 1982, des
jeunes de l'Ontario étaient confiés par le Tribunal à une école
industrielle en conformité avec l'alinéa 20(1)i) de la Loi, ils
restaient assujettis à la législation provinciale en matière cor-
rectionnelle mais non en matière de bien-être social et ce, en
vertu de l'article 21 de la Loi. Du 1°" avril 1974 jusqu'en 1982
inclusivement, conformément à une entente connue sous le nom
d'entente relative aux jeunes contrevenants (Young Offenders
Agreement) conclue entre le gouvernement fédéral et l'Ontario,
le gouvernement fédéral a payé la même part des frais d'entre-
tien de ces jeunes que sous le Régime d'assistance publique du
Canada. L'entente relative aux jeunes contrevenants a été
conclue par le gouvernement fédéral sous le régime de la Loi n°
4 de 1974 portant affectation de crédits, S.C. 1974-75-76,
chap. 21. Celui-ci a adopté l'entente relative aux jeunes contre-
venants à titre de mesure provisoire en attendant le remplace-
ment de la Loi sur les jeunes délinquants par la Loi sur les
jeunes contrevenants. Cette dernière Loi a été adoptée en
dernière lecture le 7 juillet 1982 et promulguée le 7 avril 1984
9. La demanderesse a, au moyen de requêtes en certiorari en
date du 1e" février 1977, contesté trois desdites ordonnances par
lesquelles des jeunes ont été placés dans des foyers de Viking
Houses et elle a dû payer Viking Houses pour leur entretien.
Elle a invoqué les motifs suivants: (1) le paragraphe 20(2) de la
Loi ne relevait pas de la compétence législative du Parlement
du Canada et (2) aucune des dispositions du paragraphe 20(1)
de la Loi ne permettait de confier des jeunes à Viking Houses.
10. Par ordonnance de la Cour suprême de l'Ontario en date
du 21 avril 1977, le juge John Holland a statué en faveur de la
demanderesse en ce qui concerne le deuxième motif: il a déclaré
que le Tribunal n'avait pas la compétence voulue pour ordonner
que des jeunes soient placés ou confiés à Viking Houses en
application du paragraphe 20(1) de la Loi et il a ordonné que
lesdites ordonnances soient annulées. A la suite de l'appel
interjeté par Viking Houses, la décision du juge John Holland a
été maintenue par la Cour d'appel de l'Ontario et par la Cour
suprême du Canada dont les décisions ont été rendues le 24 juin
1977 et le 26 juin 1979 respectivement. Le juge Holland et la
Cour d'appel de l'Ontario ont déclaré que le paragraphe 20(2)
de la Loi était valide sur le plan constitutionnel. Vu sa décision
relativement à l'autre motif du litige, la Cour suprême du
Canada ne s'est pas prononcée expressément sur la question
constitutionnelle. La défenderesse, Sa Majesté la Reine, a été
avisée que la demanderesse soulevait une question d'ordre
constitutionnel dans ses requêtes en certiorari en date du Ie'
février 1977 et elle est intervenue à chaque niveau de juridic-
tion ... Re Regional Municipality of Peel and Viking Houses
(1977), 16 O.R. (2d) 632 (H.C.); (1977), 16 O.R. (2d) 765
(C.A.); sous l'intitulé Procureur général de l'Ontario et Viking
Houses c. Municipalité régionale de Peel (1979), 104 D.L.R.
(3d) 1 (C.S.C.).
11. À la suite de ladite ordonnance rendue par le juge John
Holland le 21 avril 1977, la jeune T.G.N., qui avait été déclarée
délinquante, a été ramenée devant la Cour provinciale (Division
de la famille) par Viking Houses. Par ordonnance en date du 26
juillet 1977, la Cour provinciale (Division de la famille) a
confié la garde de T.G.N. à un employé de Viking Houses dans
un de ses foyers et elle a ordonné, en vertu du paragraphe 20(2)
de la Loi, que la demanderesse paie quotidiennement son
entretien au foyer de Viking Houses.
12. La demanderesse a interjeté appel de ladite ordonnance en
date du 26 juillet 1977 concernant T.G.N., en invoquant entre
autres motifs l'inconstitutionnalité du paragraphe 20(2) de la
Loi. Par jugements en date du 10 juillet 1978 et du 19 juin
1980 respectivement, madame le juge Van Camp et la Cour
d'appel de l'Ontario ont maintenu ladite ordonnance. Dans un
appel formé ultérieurement, la Cour suprême du Canada a
statué dans un jugement en date du 22 juillet 1982 que le
paragraphe 20(2) de la Loi était inconstitutionnel dans la
mesure où il visait à autoriser l'imposition, par voie judiciaire,
d'une charge financière à des municipalités, et cette Cour a
annulé l'ordonnance en date du 26 juillet 1977 dans la mesure
où elle imposait à la demanderesse l'obligation de subvenir à
l'entretien de ladite jeune délinquante. La défenderesse, Sa
Majesté la Reine, a été avisée de la contestation de la constitu-
tionnalité de la Loi à chaque niveau de juridiction, et elle est
intervenue devant la Cour suprême du Canada ... Re Regional
Municipality of Peel and Viking Houses (non publié, 10 juillet
1978) (H.C.); (1980) 113 D.L.R. (3d) 350 (C.A.); sous l'inti-
tulé Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie, [[1982] 2
R.C.S. 9]; (1982), 139 D.L.R. (3d) 14 (C.S.C.).
13. En ce qui concerne les paiements faits par la demanderesse,
il y a eu quatre sortes d'ordonnances prévues au paragraphe
20(1) de la Loi qui ont été rendues contre elle en même temps
que les ordonnances prévues au paragraphe 20(2). Voici les
quatre sortes d'ordonnances dont il s'agit:
a) les ordonnances rendues en application des alinéas
20(1)d), f) ou g), qui confiaient le jeune délinquant à la
personne morale d'un foyer collectif, comme dans les ordon-
nances visées par la première affaire Viking Houses, men-
tionnées aux paragraphes 9 et 10 ci-dessus et exposées à
l'annexe B. Une liste des ordonnances qui entrent dans cette
catégorie a été produite sous la cote 3.
b) les ordonnances rendues en application de l'alinéa 20(1)d)
de la Loi, qui confiaient le jeune délinquant à un particulier à
l'emploi de la personne morale d'un foyer collectif, comme
dans l'ordonnance visée par la deuxième affaire Viking
Houses, mentionnée aux paragraphes 11 et 12 ci-dessus et
exposée à l'annexe C. Une liste des ordonnances qui entrent
dans cette catégorie est produite sous la cote 4.
c) les ordonnances rendues en application de l'alinéa 20(1)f)
de la Loi, qui plaçaient le jeune délinquant dans un foyer
d'adoption. Une liste des ordonnances qui entrent dans cette
catégorie est produite sous la cote 5 et accompagnée d'une
copie de ces ordonnances.
d) une ordonnance concernant le jeune T.O.A., dans laquelle
il était statué en vertu des alinéas 20(1)b) et g) que l'affaire
soit reportée et que le jeune délinquant fréquente une institu
tion d'enseignement privée, le Toronto Learning Centre, et
dans laquelle il était également statué en vertu du paragra-
phe 20(2) de la Loi que la demanderesse en paie les frais.
Cette ordonnance a été maintenue par la Cour d'appel de
l'Ontario dans une décision en date du 15 janvier 1982 et
publiée sous l'intitulé T.O.A. v. Regional Municipality of
Peel (1982), 35 O.R. (2d) 260 ... Regional Municipality of
Peel and A. (1980), 30 O.R. (2d) 452, et T.O.A. v. Regional
Municipality of Peel (1982), 35 O.R. (2d) 260.
14. Ce n'est que lorsque la demanderesse a signifié un avis en
date du 12 octobre 1982, conformément à la Loi sur la
responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chapitre C-38,
qu'elle a tenté expressément d'obtenir de la défenderesse le
remboursement des sommes versées à la suite des ordonnances
rendues en application du paragraphe 20(2) de la Loi ...
Outre les faits reconnus par les parties, je cons-
tate que la demanderesse a effectué ces paiements
sous la contrainte, en conformité avec les ordon-
nances qui auraient été rendues en application du
paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délin-
quants. Il est clair que l'omission de payer ainsi
que l'ordonnait la Cour aurait exposé la demande-
resse à des poursuites pour outrage au tribunal.
Cela a toujours été implicite et est même devenu
explicite, selon la preuve, en deux occasions au
moins. La pièce 51 consiste en une lettre en date
du 13 janvier 1977 qui émanait des procureurs de
la société de foyers collectifs Viking Houses, une
filiale de la Marshall Childrens' Foundation, et
informait le procureur de la demanderesse que le
refus de celle-ci d'effectuer immédiatement les
paiements en exécution des ordonnances rendues
en faveur de Viking Houses entraînerait des pour-
suites pour outrage au tribunal. La pièce 68, qui a
été admise par les parties, est une note de service
en date du 25 juillet 1977 que le témoin Crozier,
commissaire des services sociaux de Peel, a reçue
du procureur de la municipalité régionale et qui
l'avisait que l'avocat de Viking Houses les avait
informés que, en cas d'inexécution de l'obligation
de payer imposée par les ordonnances, Viking
Houses tenterait d'obtenir un mandat d'incarcéra-
tion ou un mandat de saisie-exécution.
Malgré les efforts déployés au cours du procès
afin de démontrer que la demanderesse avait clai-
rement contesté les paiements et notamment pro
testé auprès du gouvernement du Canada, ce fait
n'a pas été vraiment démontré. Toutefois, je ne
considère pas qu'il est nécessaire d'établir claire-
ment l'existence d'une contestation s'il est évident
que l'argent a été versé sous la contrainte. Il est
également manifeste que la demanderesse ne vou-
lait pas priver les jeunes contrevenants de la sur
veillance et des soins requis et que, vu la décision
rendue dans leurs cas par la Cour provinciale, il
fallait que la municipalité paie en conformité avec
les ordonnances de la Cour pour qu'ils puissent
recevoir des soins et faire l'objet d'une surveil
lance. Cela même créait en pratique une certaine
forme de contrainte. La demanderesse n'est toute-
fois pas restée sans agir durant la plus grande
partie de la période concernée et elle a entamé des
poursuites dès février 1977 afin de contester ces
ordonnances.
Conclusions
(i) Principes de la restitution
Il s'agit principalement en l'espèce de savoir si
Sa Majesté la Reine du chef du Canada peut être
tenue, au moyen de la présente action, de rem-
bourser la municipalité demanderesse des sommes
d'argent versées par celle-ci, non pas au gouverne-
ment du Canada, mais à des tiers dans l'intérêt
d'autres tiers, et ce, parce que le gouvernement du
Canada a adopté une loi invalide qui visait à
imposer l'obligation d'effectuer ces paiements. Il
me semble que la présente action entre dans la
catégorie de celles qui, en common law, pouvaient
être intentées contre la Couronne au moyen de la
pétition de droit (qui n'est plus requise depuis
1971) et n'est aucunement visée par la Loi sur la
responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap.
C-38.
Il est évident que ces sommes d'argent ont été
versées en raison d'une erreur de droit due à la
conviction erronée que le paragraphe 20(2) de la
Loi sur les jeunes délinquants autorisait la Cour
provinciale de l'Ontario à rendre de telles ordon-
nances. Même si la demanderesse a commencé à
contester cette idée dès février 1977, elle a respecté
intégralement la loi tant que celle-ci n'a pas été
définitivement jugée invalide par la Cour suprême
du Canada en 1982. Normalement, la loi devrait
être observée tant qu'elle n'a pas été jugée inva-
lide: voir, à titre d'exemple, Morgentaler et al. v.
Ackroyd et al. (1983), 150 D.L.R. (3d) 59 (H.C.
Ont.).
Dans sa déclaration, la demanderesse soutient
que la défenderesse s'est [TRADUCTION] «enrichie
injustement» et elle cherche à [TRADUCTION]
«récupérer» l'argent qu'elle-même a versé afin de
s'acquitter de la [TRADUCTION] «responsabilité
qui incombait à la défenderesse en vertu de son
obligation générale et publique de fournir les fonds
nécessaires à l'application de ses lois». Dans sa
plaidoirie, elle a invoqué un certain nombre de
décisions judiciaires, dont certaines visaient plus
directement le principe général de l'enrichissement
sans cause et d'autres concernaient plus précisé-
ment le recouvrement des sommes d'argent versées
à la partie défenderesse ou dans son intérêt à la
suite d'une erreur de droit. Bien qu'il s'agisse
essentiellement d'une demande en recouvrement de
sommes d'argent versées en raison d'une erreur de
droit et sous l'effet de la contrainte, il en résulte
une situation quelque peu nouvelle où l'on doit
aller au-delà des précédents pour essayer de décou-
vrir les principes pouvant ou non servir de fonde-
ment à un recouvrement.
Sans remonter aux décisions rendues au 18e
siècle par lord Mansfield et faisant autorité sur le
sujet, il suffit peut-être de commencer par une
décision rendue par la Cour d'appel de l'Angle-
terre dans l'affaire Brook's Wharf and Bull
Wharf Ld. v. Goodman Brothers, [1937] 1 K.B.
534, où la demanderesse a pu recouvrer des droits
de douane qu'elle avait payés, ainsi qu'elle y était
tenue par la loi, sur des fourrures importées par la
défenderesse. La Cour a reconnu le principe selon
lequel, si un demandeur a été contraint par la loi
de verser des sommes d'argent que le défendeur
était en fin de compte tenu de verser, pour ce qui
concerne le demandeur et le défendeur, le deman-
deur a droit au remboursement de ces sommes. On
a dit [à la page 545] que cette obligation ne
résultait pas d'un contrat mais que
[TRADUCTION] ... la Cour [Il impose ... simplement en raison
des circonstances de l'affaire et de ce qu'elle considère être
juste et raisonnable, eu égard aux rapports entre les parties.
Dans l'arrêt Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn,
Lawson, Combe Barbour, Ld., [1943] A.C. 32
(H.L.), lord Wright a formulé la remarque sui-
vante, citée à maintes reprises [à la page 61]:
[TRADUCTION] Il est clair que tout système de droit civilisé se
doit de prévoir des recours pour ces situations qualifiées d'enri-
chissement ou d'avantage sans cause, c'est-à-dire empêcher une
personne de garder l'argent ou de conserver un avantage qu'elle
a reçu d'une autre personne et qu'il serait moralement inaccep-
table de garder ou de conserver.
Bien que l'affaire portât essentiellement sur le
recouvrement d'une somme d'argent versée en
vertu d'un contrat qui était devenu inexécutable en
raison de la guerre, lord Wright a déclaré qu'un tel
remboursement ne se fondait ni sur un contrat ni
sur un délit, mais entrait dans une [TRADUCTION]
«troisième catégorie ... appelée quasi-contrat ou
restitution».
Ces décisions anglaises ont été citées et admises
devant les tribunaux canadiens. Dans l'arrêt Degl-
man v. Constantineau, [1954] R.C.S. 725, la Cour
suprême a permis au neveu d'une personne décé-
dée de recouvrer de sa succession le paiement de
services qu'il lui avait rendus de son vivant. Il avait
agi ainsi en raison de l'engagement pris verbale-
ment par cette personne de l'avantager dans son
testament. Elle ne l'a pas fait. On n'a pas permis
au neveu d'exécuter le contrat parce que celui-ci
n'était pas constaté par un écrit comme l'exige le
Statute of Frauds [R.S.O. 1950, chap. 371]. Dans
les motifs qu'il exposait en son nom et au nom de
deux autres juges, le juge Rand a permis le recou-
vrement de la somme d'argent en se fondant sur ce
qu'il a décrit comme [à la page 728]
[TRADUCTION] . le principe de la restitution qu'on peut
invoquer à l'encontre de ce qui constituerait autrement un
enrichissement sans cause de la défenderesse aux dépens du
demandeur.
Bien que le juge Rand n'ait pas cité de décision
judiciaire à l'appui de cette proposition, le juge
Cartwright, en son nom et au nom de la majorité
des juges de la Cour, en est venu à la même
conclusion et a cité la déclaration susmentionnée
de lord Wright dans l'arrêt Fibrosa Spolka. Plus
récemment, dans l'arrêt Hydro Electric Commis
sion of Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S.
347, la Cour suprême du Canada a analysé en
détail les principes de droit applicables au recou-
vrement d'une somme d'argent versée par erreur à
l'une des parties à un contrat par l'autre partie.
Bien que cette décision ne porte pas directement
sur le point actuellement en litige, les motifs expo-
sés tant par les juges dissidents que par les juges de
la majorité de la Cour contenaient une analyse
approfondie des conditions requises pour le recou-
vrement d'une somme d'argent versée en raison
d'une erreur de droit. Après avoir examiné en
détail les décisions anglaises et canadiennes et
souligné les nombreuses exceptions au principe
selon lequel une somme d'argent versée en raison
d'une erreur de droit ne peut pas être recouvrée, le
juge Dickson [tel était alors son titre] a, dans une
dissidence exprimée en son nom et au nom du juge
en chef Laskin, déclaré aux pages 367 et 368 que
la doctrine de la restitution ou de l'enrichissement
sans cause n'est pas une exception ou une restric
tion à cette règle mais constitue plutôt un principe
de principe de base du recouvrement à l'égard
duquel les distinctions entre l'erreur de droit et
l'erreur de fait perdent tout leur sens. Il a conclu
qu'il devrait y avoir recouvrement dans ce cas pour
ce motif, mais avant de ce faire, il a soigneusement
examiné la possibilité qu'il existe des moyens de
défense reconnus en equity contre ce qu'il a proba-
blement considéré comme un droit au recouvre-
ment reconnu en equity. Il n'a trouvé aucun moyen
de défense de ce genre. Dans les motifs qu'il a
prononcés au nom de la majorité, le juge Estey a
refusé d'ordonner le remboursement des sommes
d'argent à la demanderesse. Bien qu'il ne fût pas
expressément en désaccord avec la position des
juges dissidents quant au principe de l'enrichisse-
ment sans cause, il a exprimé l'opinion, à la page
412, que la demanderesse n'avait pas vraiment
soulevé ni invoqué ces principes. La majorité a
rejeté le recouvrement demandé en raison d'une
erreur de droit parce qu'on ne retrouvait dans cette
affaire aucune des exceptions à la règle selon
laquelle on ne peut pas recouvrer une somme
versée en raison d'une erreur de droit. Aux pages
409 et 410, le juge Estey a cependant précisé que,
si les paiements avaient été effectués sous la con-
trainte, ils auraient pu être recouvrés, qu'il y ait eu
ou non une erreur de droit. En fait, l'existence
d'une telle erreur aurait été sans rapport avec la
question. Cela semblerait en accord avec l'un des
motifs de recouvrement confirmés dans un juge-
ment rendu antérieurement au nom de la Cour par
le juge Hall dans l'affaire Jacobs (George Porky)
Enterprises Ltd. v. City of Regina, [1964] R.C.S.
326, aux pages 330 et 331.
Une autre décision pertinente rendue par la
Cour suprême du Canada est l'arrêt Amax Potash
Ltd. et autres c. Gouvernement de la Saskatche-
wan, [ 1977] 2 R.C.S. 576, bien que celui-ci ne
s'applique pas directement à la situation présente
étant donné qu'il porte sur la perception et la
retenue par le défendeur d'impôts qui lui avaient
été payés sous la contrainte en conformité avec une
loi présumée invalide. Dans ce cas-là, la Cour
semble avoir supposé qu'en common law, la
demanderesse aurait eu le droit de recouvrer cet
argent si la loi avait été jugée invalide. À partir de
cette hypothèse, il a été décidé que la législature
provinciale ne pouvait pas, par une loi, empêcher
un tel recouvrement, car cela constituerait un
moyen de faire indirectement ce qui est interdit
par la Constitution, c'est-à-dire de retirer des reve-
nus par le biais de mesures fiscales invalides.
Une autre décision de la Cour suprême qui
présente un intérêt en l'espèce est l'arrêt Carleton,
County of v. City of Ottawa, [1965] R.C.S. 663.
Dans cette affaire, la ville d'Ottawa avait annexé,
à compter du 1e' janvier 1950, une partie du
canton de Gloucester qui se trouvait auparavant
dans le comté de Carleton. En 1948, une certaine
N.B., qui était une personne nécessiteuse résidant
antérieurement dans la partie de Gloucester qui
devait plus tard être annexée par Ottawa, a été
placée dans un foyer pour personnes âgées du
comté de Lanark où elle a été entretenue aux frais
du comté de Carleton. À l'époque de l'annexion de
cette partie de Gloucester par Ottawa, il a été
convenu entre Ottawa et Gloucester qu'Ottawa
assumerait l'entretien des personnes nécessiteuses
résidant dans la région qui devait être annexée.
Par la suite, le comté de Carleton a fourni à la ville
d'Ottawa une liste de ces personnes, mais, par
inadvertance, le nom de N.B. ne figurait pas sur la
liste. Carleton a continué, jusqu'en 1960, de payer
au comté de Lanark les frais d'entretien de N.B.,
qui a alors été transférée dans un foyer administré
par le comté de Carleton où elle a continué d'être
entretenue aux frais de ce dernier. En 1962, une
fois l'erreur découverte, le comté de Carleton a
réclamé à la ville d'Ottawa le remboursement des
sommes qu'il avait dépensées de 1950 1962 pour
l'entretien de N.B. On notera que l'entretien des
personnes nécessiteuses incombait en vertu de la
loi au comté ou à la ville où elles étaient réputées
résider conformément à The Homes for the Aged
Act, S.O. 1947, chap. 46. Le comté de Carleton
fondait sa demande sur la doctrine de la restitu
tion. Le juge Hall, qui a rendu le jugement au nom
de la Cour, a cité et endossé les arrêts Brook's
Wharf, Fibrosa Spolka et Deglman mentionnés
ci-dessus. S'appuyant apparemment sur ces affai-
res, le juge Hall a statué que, comme la ville
d'Ottawa avait assumé dès 1950 les obligations du
comté de Carleton envers les résidents nécessiteux,
mais que par erreur le comté de Carleton avait
continué de payer les frais d'entretien de N.B.,
permettre que la ville d'Ottawa se soustraie à ces
dépenses irait [TRADUCTION] «à l'encontre de la
conscience». On a donc enjoint à la ville d'Ottawa
de rembourser le comté de Carleton. L'intérêt
particulier de cette affaire-là relativement aux
faits de l'espèce est que, bien qu'elle impliquât
apparemment seulement une erreur de fait, elle
portait sur un litige entre deux autorités publiques,
auquel on a appliqué la doctrine de la restitution
ou de l'enrichissement sans cause; et que les
sommes d'argent versées par la demanderesse Car-
leton n'avaient pas été versées à la défenderesse ni
à son avantage direct mais à l'avantage d'un tiers,
N.B., que la défenderesse était, selon la loi, tenue
d'entretenir.
À la lumière d'autres affaires comme Eadie v.
Township of Brantford, [1967] R.C.S. 573, et
(implicitement) l'affaire Nepean précitée, on peut
conclure que l'argent versé à la suite d'une erreur
de droit et sous la contrainte peut être recouvré.
De façon plus générale, l'affaire County of Carle-
ton vient appuyer l'opinion selon laquelle on peut
obtenir d'une autorité publique la restitution d'une
somme d'argent même si celle-ci a été dépensée
pour l'entretien d'un citoyen. Qui plus est, l'affaire
Deglman, l'affaire County of Carleton et le juge-
ment dissident rendu dans l'affaire Nepean (qui
n'a pas été rejeté quant au fond par la majorité
mais qu'on a estimé ne pas s'appliquer à cette
affaire) indiquent tous qu'au Canada il existe
maintenant un principe plus général et plus fonda-
mental accordant un recours contre l'enrichisse-
ment sans cause, principe qui peut aller au-delà de
ses origines anglaises et qui guide ou devrait
guider tout jugement particulier dans ce domaine.
Ce principe a également été évoqué par la Cour
d'appel du Nouveau-Brunswick dans White et al.
v. Central Trust Co. et al. (1984), 7 D.L.R. (4th)
236, et par certains auteurs: voir, par exemple,
Fridman et McLeod, Restitution (1982), chapitre
2; McCamus, «Restitutionary Recovery of Moneys
Paid to a Public Authority Under a Mistake of
Law: Ignorantia Juris in the Supreme Court of
Canada» (1983), 17 U.B.C. L. Rev. 233; Gautreau,
«Developments in the Law of Restitution»
(1984-85), Advocates' Q. 419. C'est ce principe
qu'il ne faut pas perdre de vue en examinant les
difficultés auxquelles fait face la demanderesse en
l'espèce.
(ii) Principes constitutionnels
L'une des questions capitales est de savoir si on
peut affirmer que la défenderesse, qui représente le
pouvoir exécutif fédéral, a reçu un avantage, soit
de façon générale soit en exécution de son obliga
tion légale, lorsque la municipalité régionale de
Peel a payé les frais d'entretien de jeunes délin-
quants en conformité avec une loi fédérale inva-
lide. Je ne puis conclure que, au sens strict, le
pouvoir exécutif fédéral est automatiquement assu-
jetti à une obligation légale et exécutoire de payer
les frais d'application de toute loi adoptée par le
Parlement, même lorsqu'il s'agit de lois valides.
Aucune jurisprudence n'a été invoquée à l'appui
d'une telle proposition: l'expérience et des raisons
de principe permettent même de penser le
contraire.
Il est évident, par exemple, que le Parlement
impose souvent à des particuliers et à des sociétés
des obligations qui les forcent à dépenser leurs
propres deniers pour se conformer à la loi. Dans
ces cas-là, le pouvoir exécutif n'a aucune obliga
tion, sauf peut-être celle de veiller au respect de la
loi. Il est également évident que les provinces
dépensent collectivement des centaines de millions
de dollars aux fins de l'application du Code crimi-
nel fédéral [S.R.C. 1970, chap. C-34] ou de la Loi
sur les jeunes délinquants et de celle qui l'a rem-
placée. On peut soutenir que ces dépenses provin-
ciales peuvent être considérées comme volontaires,
bien qu'il me semble ressortir de l'arrêt de la Cour
suprême du Canada dans Municipalité régionale
de Peel c. MacKenzie et autre, [[1982] 2 R.C.S.
9], qu'une disposition fédérale faisant dûment
partie du «droit criminel» pourrait imposer des
obligations financières à une province ou à ses
représentants. On a déclaré, à la page 22 de l'ar-
rêt, que l'imposition présumée aux municipalités
de l'obligation prévue au paragraphe 20(2) de la
Loi sur les jeunes délinquants
... n'est pas justifié[e] en l'absence d'un lien direct avec le
pouvoir législatif fédéral en vertu de l'art. 91(27). [C'est moi
qui souligne.]
Cela implique que, s'il y avait un «lien direct» avec
le pouvoir législatif fédéral, de telles obligations
pourraient alors être imposées aux municipalités et
que ce ne serait pas le pouvoir exécutif fédéral qui
serait tenu d'engager ces dépenses.
Il est également difficile de soutenir, sur le
fondement des principes constitutionnels généraux,
que le pouvoir exécutif fédéral doit automatique-
ment supporter le coût qu'entraîne l'application
des lois fédérales. Ce pouvoir exécutif doit rendre
compte de ses dépenses au Parlement, et, s'il n'a
pas été autorisé par le Parlement à engager une
dépense déterminée, il n'a ni le droit ni l'obligation
légale et exécutoire de le faire. La Couronne n'est
pas non plus responsable des mesures prises par le
pouvoir législatif; le Parlement n'est nullement le
mandataire ou le préposé de la Couronne. De plus,
la doctrine de la suprématie du Parlement impli-
que que les tribunaux ne peuvent pas obliger
celui-ci à voter des affectations de crédits. Si le
Parlement n'a ni prévu le paiement, sur le Fonds
du revenu consolidé du gouvernement fédéral, des
coûts qu'entraîne l'application de la loi ni valide-
ment imposé à d'autres l'obligation de supporter
ces coûts, un tribunal ne pourra pas accorder une
injonction obligatoire ou un mandamus pour
enjoindre au Parlement de voter une affectation de
crédits afin d'assurer l'application de sa loi. Toute
obligation de ce genre est de nature politique, et
non juridique. Il s'agit là de principes fondamen-
taux de la Constitution anglaise qui sont apparus
au 17e siècle et ont été garantis par le Bill of
Rights, 1688, 1 Will. & Mary, 2' sess., chap. 2
(R.-U.). Nous en avons hérité par le libellé du
préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 [30
& 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appen-
dice II, n° 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi
constitutionnelle de 1982, n° 1)] qui stipule que
nous aurons une constitution «semblable dans son
principe à celle du Royaume-Uni».
Ces principes constitutionnels fondamentaux
élaborés dans un pays unitaire doivent toutefois
s'appliquer dans le cadre d'un système fédéral et
en tenant compte du principe reconnaissant le
droit d'obtenir réparation en cas d'enrichissement
sans cause. Même s'il n'existe aucun droit d'action
contre le pouvoir exécutif fédéral pour réclamer les
coûts que nécessite l'application des lois fédérales
ou contre le pouvoir exécutif provincial pour récla-
mer les coûts qu'entraîne l'application des lois
provinciales, il existe indiscutablement, dans un
système fédéral, une obligation politique générale-
ment reconnue en vertu de laquelle chaque ordre
de gouvernement doit appliquer de façon efficace
les lois adoptées par le pouvoir législatif. Dans le
domaine du droit criminel, l'obligation du gouver-
nement fédéral est soulignée par la confirmation,
dans l'arrêt Procureur général du Canada c.
Transports Nationaux du Canada, Ltée et autre,
[1983] 2 R.C.S. 206, qui a été appliqué dans R. c.
Wetmore et autres, [1983] 2 R.C.S. 284, du fait
que la compétence conférée au Parlement par le
paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de
1867 comprend le pouvoir d'assurer l'application
du droit criminel. L'arrêt Peel c. MacKenzie, pré-
cité, montre cependant que, en assurant ainsi l'ap-
plication du droit criminel, le Parlement ne peut
pas, dans les circonstances dont il est ici question,
déléguer à une province ou au représentant d'une
province les obligations financières découlant de
l'application de la loi si cette province ou son
représentant n'assume pas volontairement ces obli
gations. Toutefois, si la demanderesse ne pouvait
obtenir réparation en l'espèce, le Parlement l'au-
rait prévu en rédigeant les termes de sa loi invalide
(paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délin-
quants) qui, depuis 1908, oblige les municipalités à
payer ces coûts, et en se fondant sur le principe
constitutionnel selon lequel le pouvoir exécutif
fédéral n'a ni le droit ni l'obligation de verser une
somme d'argent lorsque le Parlement n'a pas
affecté de crédits à cette fin. Sur ce point, il est
instructif d'examiner l'arrêt B.C. Power Corpora
tions v. B.C. Electric Company, [1962] R.C.S.
642. Dans cette affaire, on attaquait la constitu-
tionnalité d'une loi expropriant les actions ordinai-
res de la British Columbia Electric Company
Limited. La Couronne du chef de la province s'est
opposée à la nomination d'un séquestre de la com-
pagnie en attendant le règlement du litige, pour le
motif qu'une telle ordonnance aurait eu un effet
sur les biens ou les droits que possédait la Cou-
ronne dans la compagnie ainsi qu'il était prévu
dans la loi contestée. La Cour suprême a confirmé
qu'un tel séquestre pouvait être nommé pendant le
procès et que l'immunité de la Couronne à l'égard
des poursuites, qui existait alors généralement en
Colombie-Britannique, ne pouvait pas être invo-
quée pour empêcher une ordonnance de ce genre.
Aux pages 644 et 645, le juge en chef Kerwin a
déclaré, au nom de la Cour:
[TRADUCTION] À mon avis, dans un système fédératif où
l'autorité législative se divise, comme les prérogatives de la
Couronne, entre le Dominion et les provinces, il n'est pas
permis à la Couronne, du chef du Canada ou d'une province, de
réclamer une immunité fondée sur un droit dans une certaine
propriété, lorsque ce droit dépend entièrement et uniquement
de la validité de la législation qu'elle a elle-même passée, s'il
existe un doute raisonnable quant à la validité constitutionnelle
de cette législation. Lui permettre d'agir ainsi serait lui permet-
tre, par l'exercice de droits en vertu d'une législation qui excède
ses pouvoirs, d'obtenir le même résultat que si cette législation
était valide. Dans un système fédératif, il me semble qu'en
pareille circonstance, le tribunal a la même compétence pour
préserver des biens dont le titre dépend de la validité d'une
législation que pour établir la validité de la législation
elle-même.
Ces propos ont été cités et endossés dans l'arrêt
Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de
la Saskatchewan, précité, à la page 591. Le juge
Dickson y a fait remarquer que, bien que l'affaire
B.C. Electric porte sur des questions quelque peu
différentes, l'affaire Amax
... semble régi[e] par les mêmes considérations. Dans les deux
cas, la préoccupation majeure est la sauvegarde de la Constitu
tion. [C'est moi qui souligne.]
De même, si la Couronne du chef du Canada
pouvait, en l'espèce, invoquer l'immunité à l'égard
de toute demande en paiement des coûts imposés
illégalement à la demanderesse par le pouvoir
législatif du gouvernement fédéral, pour le motif
que ce pouvoir législatif n'a accordé à la défende-
resse aucune affectation de crédits ni aucune auto-
risation en vue d'effectuer de tels paiements, le
gouvernement fédéral pourrait alors accomplir ce
que la Constitution lui interdit de faire: c'est-à-
dire imposer une charge financière à la municipa-
lité demanderesse pour l'entretien des jeunes délin-
quants en vertu de la Loi sur les jeunes
délinquants.
(iii) Jonction des principes
C'est à ce moment-ci que les règles applicables
au système fédéral et le principe de la réparation
en cas d'enrichissement sans cause se conjuguent
de manière à obliger la partie défenderesse à rem-
bourser la partie demanderesse des frais engagés
par celle-ci pour se conformer à la loi invalide. Il
n'aurait peut-être pas été possible de poursuivre la
partie défenderesse en premier lieu pour l'obliger à
verser directement ces sommes. Mais lorsque la
partie demanderesse les a versées en conformité
avec une loi fédérale qui a finalement été jugée
invalide, et pour respecter les objectifs de cette loi
dûment adoptée par le Parlement, en ce qui con-
cerne la partie demanderesse et la partie défende-
resse, il ne serait pas juste que ces frais soient
supportés en fin de compte par la partie demande-
resse et ils devraient être à la charge de la partie
défenderesse.
Il me semble que le versement d'une telle somme
par le pouvoir exécutif du gouvernement ne pose
aucun problème insurmontable, malgré le fait que
le Parlement n'a procédé à aucune affectation
précise de crédits pour l'application de cet aspect
de la Loi sur les jeunes délinquants. La responsa-
bilité de la Couronne découle ici des principes
généraux du droit et de l'equity et elle est prévue
par le paragraphe 57(3) de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10 que:
57....
(3) Les sommes d'argent ou dépens adjugés à une personne
contre la Couronne, dans toutes procédures devant la Cour,
doivent être prélevés sur le Fonds du revenu consolidé.
Cette disposition autorise clairement le versement
de la somme en question. Voir R. c. Transworld
Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159 (C.A.), à la page
165, note 10.
En concluant que la Couronne est tenue de
payer une telle somme dans les circonstances pré-
sentes, il importe de préciser ce sur quoi il n'est pas
statué. Comme je l'ai déjà fait remarquer, je ne
suis pas disposé à affirmer que le pouvoir exécutif
fédéral est, de façon automatique et en vertu de la
loi, obligé de payer tous les coûts occasionnés par
l'application des lois fédérales. De plus, le recou-
vrement en l'espèce n'est pas accordé sur le fonde-
ment d'une quelconque théorie du délit constitu-
tionnel découlant de la responsabilité d'«avoir
légiféré sans la prudence et sans l'attention vou-
lues». J'admets que la tâche d'adopter des lois
implique une responsabilité politique et sociale qui
ne crée aucune obligation particulière de prudence:
voir Welbridge Holdings Ltd. c. Metropolitan
Corporation of Greater Winnipeg, [1971] R.C.S.
957, aux pages 969 et 970. L'obligation de rem-
bourser la demanderesse est plutôt une question de
justice entre les deux parties.
(iv) Invalidité des ordonnances décidant du sort
des jeunes délinquants
L'avocat de la défenderesse a soutenu que la
demanderesse avait en fait effectué des paiements
inutilement en exécutant des ordonnances qui,
même si elles sont censées avoir été rendues en
application du paragraphe 20(2), ne respectaient
pas les conditions prévues au paragraphe 20(1)
pour les ordonnances décidant du sort des jeunes
jugés délinquants. À son avis, une ordonnance
rendue en application du paragraphe 20(2) devait,
pour être valide, respecter les critères prévus au
paragraphe 20(1) pour de telles ordonnances. Il est
vrai que, suivant les paragraphes 9 et 10 de l'ex-
posé conjoint des faits cités ci-dessus, la demande-
resse a contesté avec succès certaines des ordon-
nances parce que celles-ci n'étaient pas conformes
au paragraphe 20(1). Il est possible que de nom-
breuses autres ordonnances n'aient pas respecté les
termes du paragraphe 20(1) et eussent également
pu être contestées pour cette raison, mais il ne
m'appartient pas de trancher cette question dans
une action incidente comme en l'espèce. Je ne crois
pas non plus que la conformité ou la non-confor-
mité au paragraphe 20(1) ait quelque chose à voir
avec la présente demande. Pour qu'il y ait vérita-
blement contrainte ou obligation de payer, comme
c'était le cas en l'espèce, il n'y a pas lieu de se
demander si la demanderesse aurait pu réussir à
résister à une telle contrainte: voir North v. Wal-
thamstow Urban Council (1898), 67 L.J.Q.B. 972.
Il n'y a pas de doute que les tribunaux ont souvent
insisté pour cette raison sur le fait que dans une
demande de restitution il suffit de prouver que le
paiement a été effectué sous une contrainte «véri-
table»: voir, par exemple, l'arrêt Eadie, précité. En
outre, bien que ce soit la conformité avec les
critères du paragraphe 20(1) qui détermine la
validité des ordonnances en ce qui concerne le
placement et la surveillance des jeunes délin-
quants, c'est le paragraphe 20(2) qui a été invoqué
contre la municipalité dans cette affaire et qui est
la cause immédiate des obligations imposées injus-
tement à cette dernière; et c'est parce qu'elle a cru
à tort que ce paragraphe était valide que la muni-
cipalité a versé les sommes en question. On ne peut
pas en déduire que la municipalité a agi délibéré-
ment en effectuant les versements en application
de ce paragraphe même si les ordonnances
auraient pu être contestables pour d'autres motifs.
La municipalité était tenue de considérer ces
ordonnances comme valides jusqu'à ce que qu'elle
ait réussi à les faire annuler pour une raison
quelconque. Elle a amorcé ce processus en 1977 en
contestant le paragraphe 20(2) mais n'a obtenu
gain de cause que lorsqu'elle a soulevé la question
de nouveau dans l'affaire MacKenzie, ainsi qu'il
est mentionné aux paragraphes 11 et 12 de l'ex-
posé conjoint des faits cités ci-dessus.
(v) Délais de prescription
En vertu de l'article 38 de la Loi sur la Cour
fédérale, la question des délais de prescription est
régie par la loi de l'Ontario, là où la cause d'action
a pris naissance.
La défenderesse a plaidé la prescription en invo-
quant l'article 45 de la Limitations Act, R.S.O.
1980, chap. 240, et l'article 11 de la Public
Authorities Protection Act, R.S.O. 1980, chap.
406. Elle a également invoqué, pour des raisons
qui n'ont pas été expliquées et qui ne sont pas
évidentes, la Judicature Act, R.S.O. 1980, chap.
223. En ce qui concerne la première de ces lois, la
défenderesse a soutenu que l'affaire était visée par
l'alinéa 45(1)g) de la Loi, car c'est une action dite
«upon the case» qui doit être intentée [TRADUC-
TION] «dans les six ans de la date où la cause
d'action a pris naissance». Quant à l'article 11 de
la Public Authorities Protection Act, il prévoit
qu'une action
[TRADUcrioN] 11.—(1) ... contre une personne qui a com-
mis un acte en exécution d'une obligation prévue par la loi ou
de toute autre obligation d'ordre public, ou en vue d'exé-
cuter une telle obligation, ou qui aurait commis une négli-
gence ou une omission dans l'exécution de toute obligation de
ce genre ...
doit être intentée [TRADUCTION] «dans les six
mois de la date où la cause d'action a pris nais-
sance». À mon avis, il ne s'agit pas d'une action de
ce genre en l'espèce: la défenderesse n'est pas
poursuivie en raison d'actes commis ou omis par
négligence dans l'exécution d'une obligation impo
sée par la loi ou autrement. Ni la loi ni les
principes généraux du droit ne l'obligeaient à agir
différemment à l'égard de la demanderesse. C'est
plutôt en raison d'une obligation qui découle des
actes accomplis par d'autres qu'elle est poursuivie.
La demanderesse soutient que la Limitations
Act ne s'applique pas parce qu'il s'agit d'une
action qui a été intentée en vue d'obtenir un
redressement fondé sur l'equity et qui n'est men-
tionnée nulle part à l'article 45 de cette loi. Elle
prétend plutôt que seule s'applique la doctrine du
manque de diligence (laches), reconnue en equity,
qui est une notion beaucoup plus large. Elle sou-
tient également que la cause d'action n'a pris
naissance qu'une fois rendue la décision de la Cour
suprême du Canada en date du 22 juillet 1982
dans l'affaire MacKenzie, précitée, où il a été jugé
que le paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes
délinquants est invalide. La présente action en
recouvrement des sommes d'argent versées par la
demanderesse en conformité avec cette loi invalide
a été intentée le 18 janvier 1983, soit moins de six
mois après la date de ce jugement.
La demanderesse prétend qu'elle ne pouvait pas
savoir, avant le prononcé de ce jugement, qu'elle
avait versé les sommes d'argent à la suite d'une
erreur de droit, et la cause d'action n'a pris nais-
sance qu'à ce moment. Elle a donc le droit de
réclamer toutes les sommes versées entre 1974 et
1982 en exécution des ordonnances rendues en
application du paragraphe 20(2) de la Loi sur les
jeunes délinquants. La défenderesse soutient,
naturellement, que, si la demanderesse a le droit
de recouvrer une quelconque somme, elle ne peut
tout au plus que recouvrer les montants qui ont été
versés au cours de la période de six ans qui a
précédé immédiatement le début de la présente
action, ce qui voudrait dire que les paiements
effectués avant le 18 janvier 1977 ne pourraient
pas être recouvrés.
À mon avis, la cause d'action n'a pris naissance
qu'une fois rendue la décision de la Cour suprême
du Canada en date du 22 juillet 1982, où il a été
jugé que le paragraphe 20(2) est invalide. Ce n'est
qu'à ce moment-là que toutes les parties étaient
certaines que la demanderesse avait été contrainte
d'effectuer des paiements, obligation qui n'était
pas prévue dans la Constitution. C'est seulement à
ce moment-là qu'on peut dire que la cause d'action
a pris naissance. J'estime que c'est la position la
plus compatible avec le jugement rendu à la majo-
rité dans l'arrêt Deglman v. Constantineau, pré-
cité, à la page 736. Après avoir souligné que le
recouvrement n'était pas fondé sur un contrat, le
juge Cartwright a statué que l'obligation que la loi
imposait à l'administrateur de la succession de
verser au neveu de la défunte une somme d'argent
au lieu du bien qu'elle avait promis de lui léguer
n'a pris naissance que lorsque la défunte est décé-
dée sans laisser de testament. Jusqu'à ce
moment-là, le neveu n'avait aucune raison de
douter qu'elle ne fasse pas dans son testament le
legs promis. Donc, la cause d'action n'a existé qu'à
compter du moment où la tante est décédée sans
testament. Voir également l'affaire White, préci-
tée, à la page 252; Fridman et McLeod, ouvrage
précité, aux pages 600 602. De même, en l'es-
pèce, ce n'est qu'au moment où la décision de la
Cour suprême a été rendue le 22 juillet 1982 que
la demanderesse a su qu'elle avait dépensé de
l'argent sans y être obligée par la loi, et c'est alors
que le droit au dédommagement ou à la restitution
a pris naissance.
Il est intéressant de noter que, dans l'arrêt Car-
leton c. Ottawa, précité, qui se rapproche le plus de
l'espèce en raison des fins recherchées et égale-
ment parce qu'on y invoque la législation onta-
rienne concernant la période de prescription en
cause, aucune des décisions citées ne mentionne le
fait que la demande était d'une façon ou de l'autre
prescrite. Dans cette affaire, il a été ordonné de
rembourser à la demanderesse des sommes versées
pendant une période de plus de douze ans avant le
début de l'action. Dans l'affaire Nepean, précitée,
la demanderesse a admis que la Limitations Act,
qui était la loi applicable, limitait sa demande aux
six années précédant la signification du bref. Elle a
donc également reconnu que la cause d'action a
pris naissance au moment où le paiement avait été
effectué.
Étant donné ma conclusion selon laquelle la
cause d'action n'a pris naissance en l'espèce que le
22 juillet 1982, il importe peu de savoir quel délai
de prescription s'applique à la présente demande,
puisqu'aucune prescription n'empêchera le recou-
vrement de toutes les sommes réclamées dans la
présente action. Même si la Public Authorities
Protection Act devait s'appliquer, l'action a été
intentée dans les six mois de la date où la cause
d'action a pris naissance de sorte que cela ne
constituerait pas une fin de non-recevoir. Si l'ali-
néa 45(1)g) de la Limitations Act s'applique, l'ac-
tion a bel et bien été intentée au cours de la
période permise de six ans. J'ai de fait conclu que
cet alinéa 45(1)g) s'applique à la présente action
pour le motif qu'il s'agit d'une action dite «upon
the case». Il n'est peut-être pas normal que l'on
doive aujourd'hui recourir à des distinctions dont
l'origine remonte au 14e siècle et dont la significa
tion apparaît dans les catégories d'actions que le
droit anglo-canadien est censé avoir abandonnées
depuis plus d'un siècle. Mais le libellé de la loi
ontarienne m'y oblige. L'action dite «upon the
case» devrait, dans le contexte d'une loi moderne,
être considérée comme une catégorie d'actions
résiduelle, ce qui constitue en fait un rôle qui n'est
pas incompatible avec sa vocation première. À
mesure qu'elle a évolué, l'action «on the case» n'a
pas été limitée aux délits mais a également été
utilisée dans le cas de nouvelles demandes telles
que l'assumpsit. Voir, par exemple, Plucknett, A
Concise History of the Common Law, (5 e éd.,
1956), aux pages 372 et 373 et 637 à 640. Le fait
de conclure qu'il s'agit en l'espèce d'une action «on
the case» aurait pour effet d'appliquer aux actions
en restitution, telle que la présente action, le même
délai de prescription qu'aux actions fondées sur la
violation du droit de «propriété», sur un contrat,
sur une créance ou une détention illicite (qui sont
également visées par l'alinéa 45(1)g) de la Limita
tions Act de l'Ontario). La politique qui justifie le
délai de prescription dans le cas de ces actions
semblerait également applicable aux actions en
restitution. Voir l'ouvrage de Fridman et McLeod,
précité, aux pages 597 602. I1 existe de nom-
breux cas où des lois sur la prescription ont été
appliquées à des actions en restitution (voir, par
exemple, Maskell v. Horner, [1915] 3 K.B. 106
(C.A.); In re Diplock, [1948] Ch. 465, confirmé
par [1951] A.C. 251 (H.L.)). De telles actions ont,
à l'occasion, été jugées précisément comme des
actions «on the case»: voir Salford (Mayor & c., of
Borough of v. County Council of Lancashire
(1890), 25 Q.B.D. 384 (C.A.); Green & Co. v.
Cukier & Toronto Gen'l Trusts, [1949] 4 D.L.R.
729 (C.A. Ont.). La dernière affaire, qui est une
décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario
au sujet de la même disposition législative que
celle dont il est question en l'espèce, est particuliè-
rement pertinente.
Ma conclusion selon laquelle il s'agit d'une
action «on the case» et assujettie à un délai de
prescription de six ans ne règle toutefois pas la
question entièrement. L'article 2 de la Limitations
Act de l'Ontario prescrit:
[TRADUCTION] 2. La présente loi ne porte aucunement
atteinte aux règles d'equity en refusant un redressement en
raison d'un consentement, ou autrement, à toute personne dont
le droit d'intenter une action n'est pas irrecevable en vertu de la
présente loi.
Cela semble signifier que, même si une action
fondée sur l'equity est intentée dans le délai prévu
dans la loi, elle peut être irrecevable à cause de la
conduite adoptée par le demandeur, ayant trait,
par exemple, à son retard. Bien que, à l'instruction
de l'affaire Nepean, précitée, le juge Craig semble
avoir supposé que l'existence d'une loi pertinente
sur la prescription excluait le recours au moyen de
défense fondé sur le manque de diligence (voir
(1979), 92 D.L.R. (3d) 481 (H.C. Ont.), à la page
495) et que, en Cour suprême, le juge Dickson ait
accepté cette opinion (voir la page 379), aucun
d'entre eux ne s'est référé à l'article 2 de la
Limitations Act mentionné ci-dessus. Une action
en recouvrement d'une somme d'argent versée à la
suite d'une erreur de droit devrait vraisemblable-
ment être considérée comme une action reconnue
en equity et assujettie aux moyens de défense
reconnus en equity. Si cependant il reste possible
de recourir en l'espèce au moyen de défense fondé
sur le manque de diligence en vertu de l'article 2,
je conclus que la demanderesse n'a pas attendu
trop longtemps pour intenter son action. La défen-
deresse ne peut donc pas invoquer avec succès le
manque de diligence.
(vi) Droit au recouvrement
La demanderesse a donc le droit de recouvrer de
la défenderesse la somme de 1 166 814,22 $ qui
représente le montant net dépensé par la demande-
resse en exécution des ordonnances invalides ren-
dues en application du paragraphe 20(2) de la Loi
sur les jeunes délinquants.
(vii) Intérêts
Dans sa déclaration, la demanderesse réclame
des intérêts que je considère comme des intérêts
ayant couru avant le jugement sur les sommes
qu'elle a versées en application de la loi fédérale
invalide. Je ne puis accorder de tels intérêts en
raison des dispositions de l'article 35 de la Loi sur
la Cour fédérale qui prévoient:
35. Lorsqu'elle statue sur une demande contre la Couronne,
la Cour n'accorde d'intérêt sur aucune somme qu'elle estime
être due au demandeur, à moins qu'il n'existe un contrat
stipulant le paiement d'un tel intérêt ou une loi prévoyant, en
pareil cas, le paiement d'intérêt par la Couronne.
Il n'existe aucun contrat stipulant le paiement d'un
tel intérêt dans la présente affaire. Il ne semble pas
non plus y avoir une loi à cet effet; la demande,
ainsi que j'ai statué, n'est pas fondée sur la Loi sur
la responsabilité de la Couronne qui pourrait, si
elle était applicable, renvoyer à la loi ontarienne
sur le sujet.
(viii) Dépens
La demanderesse a droit à ses dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.