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T-166-83
Municipalité régionale de Peel (demanderesse)
c.
La Reine du chef du Canada (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: PEEL (MUNICIPALITÉ RÉGIONALE) c. CANADA
Division de première instance, juge Strayer— Toronto, 14 et 15 octobre; Ottawa, 27 novembre 1986.
Droit constitutionnel Principes constitutionnels fonda- mentaux Sommes d'argent versées par une municipalité conformément à des ordonnances judiciaires rendues en con- formité avec l'art. 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants Invalidité de l'art. 20(2) Action en restitution Principe constitutionnel selon lequel le pouvoir exécutif n'a pas l'obli- gation d'effectuer des dépenses qui n'ont pas été approuvées Principe à appliquer dans le cadre d'un système fédéral et en tenant compte du principe reconnaissant le droit d'obtenir réparation en cas d'enrichissement sans cause Action accueillie Bill of Rights, 1688, 1 Will. & Mary, 2e sess., chap. 2 (R.-U.) Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n°1 ), art. 91(27) Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, chap. J-3 (abrogé et remplacé par S.C. 1980-81-82-83, chap. 110), art. 20(1),(2).
Couronne Prérogatives Immunité Sommes d'argent versées par une municipalité en conformité avec une loi fédé- rale invalide Action en recouvrement accueillie La Couronne ne peut pas demander l'immunité, pour le motif qu'aucune affectation de crédits n'a été accordée par le pouvoir législatif Accorder cette immunité équivaudrait à permettre au gouvernement fédéral d'accomplir ce que la Constitution lui interdit de faire C'est une question de justice entre la partie demanderesse et la partie défenderesse Versement autorisé par l'art. 57(3) de la Loi sur la Cour fédérale Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 57(3).
Restitution Sommes d'argent versées par une municipa- lité conformément à des ordonnances judiciaires rendues en conformité avec l'art. 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants L'art. 20(2) ne relève pas du Parlement du Canada Des sommes d'argent versées en raison d'une erreur de droit et sous l'effet de la contrainte peuvent être recouvrées Les règles applicables au système fédéral et à la réparation en cas d'enrichissement sans cause se conjuguent pour permettre à la municipalité d'être remboursée Loi sur les jeunes délin- quants, S.R.C. 1970, chap. J-3 (abrogé et remplacé par S.C. 1980-81-82-83, chap.110), art. 20(1),(2).
Pratique Prescription Action en remboursement de sommes d'argent versées en conformité avec une loi invalide Ni l'art. 11 de la Public Authorities Protection Act ni l'art. 45(1)g) de la Limitations Act n'interdisent le recouvrement Action dite «upon the case» Le délai de prescription appli cable aux actions fondées sur la violation du droit de «pro-
priété., sur un contrat, sur une créance ou une détention illicite s'applique aux actions en restitution La poursuite a été intentée dans le délai prévu par la législation Public Authorities Protection Act, R.S.O. 1980, chap. 406, art. 11 Limitations Act, R.S.O. 1980, chap. 240, art. 45(1)g) Judi cature Act, R.S.O. 1980, chap. 223 Loi sur la Cour fédé- rale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 35, 38.
De 1974 1982, la municipalité demanderesse a déboursé
des sommes d'argent pour l'entretien de jeunes délinquants conformément aux ordonnances rendues par la Cour provin- ciale de l'Ontario en conformité avec le paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants. Ces sommes ont été versées directement aux foyers collectifs. Dans un jugement rendu en juillet 1982, la Cour suprême du Canada a statué que le paragraphe 20(2) ne relevait pas du Parlement du Canada pour le motif qu'il prétendait autoriser un tribunal à imposer une charge financière à des municipalités pour l'entretien de jeunes délinquants. La demanderesse tente maintenant d'obtenir de la défenderesse le remboursement de versements effectués en application de cette loi invalide.
Jugement: l'action devrait être accueillie.
Il s'agit essentiellement d'une demande en recouvrement de sommes d'argent versées en raison d'une erreur de droit et sous l'effet de la contrainte. Il a été jugé par la Cour suprême du Canada que l'argent versé en pareilles circonstances peut être recouvré et qu'on peut obtenir d'une autorité publique la resti tution d'une somme d'argent même si celle-ci a été dépensée pour l'entretien d'un citoyen.
La proposition selon laquelle le pouvoir exécutif fédéral est automatiquement assujetti à une obligation légale et exécutoire de payer les frais d'application des lois fédérales n'est pas valable sur le plan constitutionnel. Selon la Constitution, le pouvoir exécutif fédéral n'a ni le droit ni l'obligation de verser une somme d'argent si celle-ci n'a pas été approuvée; la Cou- ronne n'est pas responsable des mesures prises par le pouvoir législatif, et la doctrine de la suprématie du Parlement implique que les tribunaux ne peuvent pas obliger celui-ci à voter des affectations de crédits. Ces principes constitutionnels fonda- mentaux doivent toutefois s'appliquer dans le cadre d'un sys- tème fédéral et en tenant compte du principe reconnaissant le droit d'obtenir réparation en cas d'enrichissement sans cause. Il existe dans un système fédéral une obligation politique en vertu de laquelle chaque ordre de gouvernement doit appliquer de façon efficace les lois adoptées par le pouvoir législatif. La décision rendue par la Cour suprême du Canada en 1982 dans l'affaire Peel c. MacKenzie montre que, en assurant l'applica- tion du droit criminel en vertu du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement ne peut pas déléguer à une province ou au représentant d'une province les obligations financières découlant de l'application de la loi s'ils n'assument pas volontairement ces obligations.
La Couronne ne peut pas invoquer l'immunité à l'égard d'une demande en paiement de coûts imposés illégalement, pour le motif que le pouvoir législatif n'a accordé à la défenderesse aucune affectation de crédits en vue d'effectuer de tels paie- ments, car cela consisterait à permettre au gouvernement fédé- ral d'accomplir ce que la Constitution lui interdit de faire, c'est-à-dire imposer une charge financière à la municipalité pour l'entretien des jeunes délinquants. C'est à ce moment-ci que les règles applicables au système fédéral et le principe de la
réparation en cas d'enrichissement sans cause se conjuguent de manière à obliger la partie défenderesse à rembourser la partie demanderesse des frais engagés par celle-ci pour se conformer à une loi invalide. L'obligation de la Couronne est une question de justice en ce qui concerne la partie demanderesse et la partie défenderesse. Le paragraphe 57(3) de la Loi sur la Cour fédérale autorise le versement de la somme dépensée par la demanderesse conformément aux ordonnances non valides.
Ni l'article 11 de la Public Authorities Protection Act ni l'alinéa 45(1)g) de la Limitations Act de l'Ontario n'interdisent le recouvrement de la somme réclamée. Suivant l'article 11, une action contre une personne qui a commis ou omis des actes par négligence dans l'exécution d'une obligation imposée par la loi doit être intentée dans les six mois de la date la cause d'action a pris naissance. Il ne s'agit pas d'une action de ce genre en l'espèce: la défenderesse est poursuivie en raison d'une obligation qui découle d'actes accomplis par d'autres. De toute façon, vu que la cause d'action a pris naissance lorsque la Cour suprême du Canada a rendu sa décision le 22 juillet 1982 et vu que la présente action a été intentée le 18 janvier 1983, soit moins de six mois après que la cause d'action eut pris naissance, l'article 11 ne constituerait pas alors une fin de non-recevoir.
En ce qui concerne l'alinéa 45(1)g), il s'agissait d'une action dite «upon the case» qui, dans le contexte d'une loi moderne, devrait être considérée comme une catégorie d'actions rési- duelle de sorte qu'il faudrait appliquer aux actions en restitu tion le même délai de prescription qu'aux actions fondées sur la violation du droit de «propriété», sur un contrat, sur une créance ou une détention illicite—qui sont également visées par l'alinéa 45(1)g). En l'espèce, l'action a été intentée dans le délai de six ans prévu par l'alinéa 45(1)g). Enfin, vu qu'il n'y a pas eu de retard indu de la part de la demanderesse, il n'était pas possible d'invoquer avec succès le manque de diligence.
La demande en vue d'obtenir des intérêts ayant couru avant le jugement a être rejetée, car les dispositions de l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale n'avaient pas été respectées.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Carleton, County of v. City of Ottawa, [1965] R.C.S. 663; Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et autre, [1982] 2 R.C.S. 9.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Brook's Wharf and Bull Wharf Ld. v. Goodman Bro thers, [1937] 1 K.B. 534 (C.A.); Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn, Lawson, Combe Barbour, Ld., [1943] A.C. 32 (H.L.); Deglman v. Constantineau, [1954] R.C.S. 725; Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347; Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de la Saskatche- wan, [1977] 2 R.C.S. 576; B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Company, [1962] R.C.S. 642.
DÉCISIONS CITÉES:
Morgentaler et al. v. Ackroyd et al. (1983), 150 D.L.R. (3d) 59 (H.C. Ont.); Jacobs (George Porky) Enterprises Ltd. v. City of Regina, [1964] R.C.S. 326; Eadie v.
Township of Brantford, [1967] R.C.S. 573; White et al. v. Central Trust Co. et al. (1984), 7 D.L.R. (4th) 236 (C.A.N.-B.); Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée et autre, [1983] 2 R.C.S. 206; R. c. Wetmore et autres, [1983] 2 R.C.S. 284; R. c. Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159 (C.A.); Welbridge Holdings Ltd. c. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1971] R.C.S. 957; North v. Wal- thamstow Urban Council (1898), 67 L.J.Q.B. 972; In re Diplock, [1948] Ch. 465; confirmé par [1951] A.C. 251 (H.L.); Maskell v. Horner, [1915] 3 K.B. 106 (C.A.); Salford (Mayor & c., of Borough of) v. County Council of Lancashire (1890), 25 Q.B.D. 384 (C.A.); Green & Co. v. Cukier & Toronto Gen'! Trusts, [1949] 4 D.L.R. 729 (C.A. Ont.); Hydro Electric Commission of the Township of Nepean v. Ontario Hydro (1979), 92 D.L.R. (3d) 481 (H.C. Ont.).
AVOCATS:
J. E. Sexton, c.r. et B. Morgan pour la
demanderesse.
J. E. Thompson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: Faits
Il s'agit d'une action en recouvrement d'une somme d'argent versée par la demanderesse pour l'entretien de jeunes délinquants en conformité avec des ordonnances rendues par la Cour provin- ciale de l'Ontario soi-disant en application du paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délin- quants, S.R.C. 1970, chap. J-3 (loi qui a été remplacée depuis par la Loi sur les jeunes contre- venants, S.C. 1980-81-82-83, chap. 110).
Les paragraphes 20(1) et (2) de la Loi sur les jeunes délinquants prévoient ce qui suit:
20. (1) Lorsqu'il a été jugé que l'enfant était un jeune délinquant, la cour peut, à sa discrétion, prendre une ou plusieurs des mesures diverses ci-dessous énoncées au présent article, selon qu'elle le juge opportun dans les circonstances,
a) suspendre le règlement définitif;
b) ajourner, à l'occasion, l'audition ou le règlement de la cause pour une période déterminée ou indéterminée;
c) imposer une amende d'au plus vingt-cinq dollars, laquelle peut être acquittée par versements périodiques ou autrement;
d) confier l'enfant au soin ou à la garde d'un agent de surveillance ou de toute autre personne recommandable;
e) permettre à l'enfant de rester dans sa famille, sous réserve de visites de la part d'un agent de surveillance, l'enfant étant tenu de se présenter à la cour ou devant cet agent aussi souvent qu'il sera requis de le faire;
f) faire placer cet enfant dans une famille recommandable comme foyer d'adoption, sous réserve de la surveillance bienveillante d'un agent de surveillance et des ordres futurs de la cour;
g) imposer au délinquant les conditions supplémentaires ou autres qui peuvent paraître opportunes;
h) confier l'enfant à quelque société d'aide à l'enfance, dûment organisée en vertu d'une loi de la législature de la province et approuvée par le lieutenant-gouverneur en con- seil, ou, dans toute municipalité il n'existe pas de société d'aide à l'enfance, aux soins du surintendant, s'il en est un; ou
i) confier l'enfant à une école industrielle dûment approuvée par le lieutenant-gouverneur en conseil.
(2) Dans chacun de ces cas, la cour est autorisée à rendre un ordre enjoignant aux père et mère de l'enfant ou au père ou à la mère ou à la municipalité à laquelle il appartient, de verser pour son entretien telle somme que la cour peut déterminer, et lorsque cet ordre est donné à la municipalité, cette dernière peut à l'occasion recouvrer des père et mère ou du père ou de la mère de l'enfant la somme ou les sommes qu'elle a versées en exécution de cet ordre.
Le paragraphe (2) figurait dans la Loi depuis 1908 (S.C. 1908, chap. 40, par. 16(2)).
À l'audition de la cause, les parties ont présenté un exposé conjoint des faits, dont la plus grande partie est reproduite ci-dessous:
[TRADUCTION] 2. Par jugement en date du 22 juillet 1982, la Cour suprême du Canada a statué que le paragraphe 20(2) de la Loi ne relevait pas de la compétence législative du Parlement du Canada dans la mesure il visait à autoriser une cour à imposer une charge financière aux municipalités pour l'entre- tien des jeunes délinquants. Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et Procureur général du Canada et autres, [[1982] 2 R.C.S. 9]; (1982), 139 D.L.R. (3d) 14 (C.S.C.)...
3. Le paragraphe 20(1) de la Loi autorisait une cour à rendre n'importe quelle des neuf ordonnances possibles relativement à un jeune délinquant, notamment:
a) les ordonnances fondées sur les al. 20(1)a) et b), qui n'imposaient aucune charge financière à une municipalité;
b) les ordonnances fondées sur les al. 20(1)e) et i), qui devaient être exécutées au niveau provincial et qui n'impo- saient aucune charge financière à une municipalité;
c) les ordonnances fondées sur l'al. 20(1)h), qui permettaient de confier un jeune délinquant à une société d'aide à l'en- fance. En vertu d'une entente ultérieure entre les gouverne- ments fédéral, provincial et municipal, le gouvernement fédé-
ral devait assumer 50 % des frais occasionnés par ces placements, la province 30 % et la municipalité 20 %, sans qu'une ordonnance' soit rendue en application du par. 20(2); et
d) les ordonnances fondées sur les al. 20(1)d), f) et g), relativement au placement d'enfants dans des foyers collec- tifs et autres institutions similaires, notamment des maisons privées servant de foyers d'adoption, dont tous les frais devaient être supportés par une municipalité lorsqu'une cour l'ordonnait ainsi en application du par. 20(2) ...
4. La demanderesse, la municipalité régionale de Peel, est une municipalité régionale qui a été constituée le 1e' octobre 1973 et a commencé à fonctionner comme telle le ler janvier 1974. De
1974 1982, le Tribunal de la famille de Peel a rendu des ordonnances en conformité avec le paragraphe 20(1) de la Loi pour placer des enfants dans différents foyers collectifs et autres institutions similaires, et, en vertu des dispositions du paragraphe 20(2) de la Loi, il a ordonné que la municipalité demanderesse supporte les frais de placement. La majorité des ordonnances rendues par le Tribunal de la famille de Peel enjoignaient de placer les enfants dans les foyers de Viking Houses, une filiale de la Marshall Children's Foundation (Viking Houses).
5. La contribution financière que la demanderesse devait verser à la suite des ordonnances rendues en conformité avec le paragraphe 20(2) de la Loi devait être faite directement à l'ordre des différents foyers collectifs, institutions et particuliers en question.
6. Pendant la période allant de janvier 1974 au 22 juillet 1982 environ, la demanderesse a effectué des paiements à Viking Houses ainsi qu'à d'autres foyers collectifs, institutions et parti- culiers en conformité avec les ordonnances rendues en applica tion du paragraphe 20(2) de la Loi. Le montant brut de ces paiements se chiffrait à 2 036 131,37 $. Jusqu'en avril 1976, la demanderesse a reçu de la province quelques petites subven- tions sous le régime de la Loi sur l'assistance sociale générale pour assurer l'entretien des jeunes délinquants en tant qu'en- fants adoptifs. Le montant de ces subventions s'élevait à 25 330,50 $. À compter d'avril 1976, la province a fourni une subvention afin de couvrir 50 % de toutes les sommes payées par la demanderesse en conformité avec les ordonnances ren- dues en application du paragraphe 20(2) de la Loi. Le montant total de ces subventions était de 843 986,65 $. Les subventions versées par la province totalisaient donc 869 317,15 $. Par conséquent, le montant net total versé par la demanderesse à la suite des ordonnances rendues en application du paragraphe 20(2) de la Loi était de 1 166 814,22 $ .. .
7. Lorsque, durant la période allant de 1974 1982, des jeunes de l'Ontario étaient confiés par le Tribunal à une société d'aide à l'enfance en conformité avec l'alinéa 20(1)h) de la Loi, ils devenaient assujettis aux lois provinciales sur le bien-être social en vertu d'un ordre du secrétaire de la province confor- mément à l'article 21 de la Loi, et le gouvernement fédéral payait 50 % des frais d'entretien de ces jeunes en conformité avec le Régime d'assistance publique du Canada. Le Tribunal n'a rendu aucune ordonnance en application du paragraphe 20(2) de la Loi contre des municipalités pour l'entretien de ces jeunes...
8. Lorsque, pendant la période allant de 1974 1982, des jeunes de l'Ontario étaient confiés par le Tribunal à une école
industrielle en conformité avec l'alinéa 20(1)i) de la Loi, ils restaient assujettis à la législation provinciale en matière cor- rectionnelle mais non en matière de bien-être social et ce, en vertu de l'article 21 de la Loi. Du 1°" avril 1974 jusqu'en 1982 inclusivement, conformément à une entente connue sous le nom d'entente relative aux jeunes contrevenants (Young Offenders Agreement) conclue entre le gouvernement fédéral et l'Ontario, le gouvernement fédéral a payé la même part des frais d'entre- tien de ces jeunes que sous le Régime d'assistance publique du Canada. L'entente relative aux jeunes contrevenants a été conclue par le gouvernement fédéral sous le régime de la Loi 4 de 1974 portant affectation de crédits, S.C. 1974-75-76, chap. 21. Celui-ci a adopté l'entente relative aux jeunes contre- venants à titre de mesure provisoire en attendant le remplace- ment de la Loi sur les jeunes délinquants par la Loi sur les jeunes contrevenants. Cette dernière Loi a été adoptée en dernière lecture le 7 juillet 1982 et promulguée le 7 avril 1984
9. La demanderesse a, au moyen de requêtes en certiorari en date du 1e" février 1977, contesté trois desdites ordonnances par lesquelles des jeunes ont été placés dans des foyers de Viking Houses et elle a payer Viking Houses pour leur entretien. Elle a invoqué les motifs suivants: (1) le paragraphe 20(2) de la Loi ne relevait pas de la compétence législative du Parlement du Canada et (2) aucune des dispositions du paragraphe 20(1) de la Loi ne permettait de confier des jeunes à Viking Houses.
10. Par ordonnance de la Cour suprême de l'Ontario en date du 21 avril 1977, le juge John Holland a statué en faveur de la demanderesse en ce qui concerne le deuxième motif: il a déclaré que le Tribunal n'avait pas la compétence voulue pour ordonner que des jeunes soient placés ou confiés à Viking Houses en application du paragraphe 20(1) de la Loi et il a ordonné que lesdites ordonnances soient annulées. A la suite de l'appel interjeté par Viking Houses, la décision du juge John Holland a été maintenue par la Cour d'appel de l'Ontario et par la Cour suprême du Canada dont les décisions ont été rendues le 24 juin 1977 et le 26 juin 1979 respectivement. Le juge Holland et la Cour d'appel de l'Ontario ont déclaré que le paragraphe 20(2) de la Loi était valide sur le plan constitutionnel. Vu sa décision relativement à l'autre motif du litige, la Cour suprême du Canada ne s'est pas prononcée expressément sur la question constitutionnelle. La défenderesse, Sa Majesté la Reine, a été avisée que la demanderesse soulevait une question d'ordre constitutionnel dans ses requêtes en certiorari en date du Ie' février 1977 et elle est intervenue à chaque niveau de juridic- tion ... Re Regional Municipality of Peel and Viking Houses (1977), 16 O.R. (2d) 632 (H.C.); (1977), 16 O.R. (2d) 765 (C.A.); sous l'intitulé Procureur général de l'Ontario et Viking Houses c. Municipalité régionale de Peel (1979), 104 D.L.R. (3d) 1 (C.S.C.).
11. À la suite de ladite ordonnance rendue par le juge John Holland le 21 avril 1977, la jeune T.G.N., qui avait été déclarée délinquante, a été ramenée devant la Cour provinciale (Division de la famille) par Viking Houses. Par ordonnance en date du 26 juillet 1977, la Cour provinciale (Division de la famille) a confié la garde de T.G.N. à un employé de Viking Houses dans un de ses foyers et elle a ordonné, en vertu du paragraphe 20(2) de la Loi, que la demanderesse paie quotidiennement son entretien au foyer de Viking Houses.
12. La demanderesse a interjeté appel de ladite ordonnance en date du 26 juillet 1977 concernant T.G.N., en invoquant entre autres motifs l'inconstitutionnalité du paragraphe 20(2) de la Loi. Par jugements en date du 10 juillet 1978 et du 19 juin 1980 respectivement, madame le juge Van Camp et la Cour d'appel de l'Ontario ont maintenu ladite ordonnance. Dans un appel formé ultérieurement, la Cour suprême du Canada a statué dans un jugement en date du 22 juillet 1982 que le paragraphe 20(2) de la Loi était inconstitutionnel dans la mesure il visait à autoriser l'imposition, par voie judiciaire, d'une charge financière à des municipalités, et cette Cour a annulé l'ordonnance en date du 26 juillet 1977 dans la mesure elle imposait à la demanderesse l'obligation de subvenir à l'entretien de ladite jeune délinquante. La défenderesse, Sa Majesté la Reine, a été avisée de la contestation de la constitu- tionnalité de la Loi à chaque niveau de juridiction, et elle est intervenue devant la Cour suprême du Canada ... Re Regional Municipality of Peel and Viking Houses (non publié, 10 juillet 1978) (H.C.); (1980) 113 D.L.R. (3d) 350 (C.A.); sous l'inti- tulé Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie, [[1982] 2 R.C.S. 9]; (1982), 139 D.L.R. (3d) 14 (C.S.C.).
13. En ce qui concerne les paiements faits par la demanderesse, il y a eu quatre sortes d'ordonnances prévues au paragraphe 20(1) de la Loi qui ont été rendues contre elle en même temps que les ordonnances prévues au paragraphe 20(2). Voici les quatre sortes d'ordonnances dont il s'agit:
a) les ordonnances rendues en application des alinéas 20(1)d), f) ou g), qui confiaient le jeune délinquant à la personne morale d'un foyer collectif, comme dans les ordon- nances visées par la première affaire Viking Houses, men- tionnées aux paragraphes 9 et 10 ci-dessus et exposées à l'annexe B. Une liste des ordonnances qui entrent dans cette catégorie a été produite sous la cote 3.
b) les ordonnances rendues en application de l'alinéa 20(1)d) de la Loi, qui confiaient le jeune délinquant à un particulier à l'emploi de la personne morale d'un foyer collectif, comme dans l'ordonnance visée par la deuxième affaire Viking Houses, mentionnée aux paragraphes 11 et 12 ci-dessus et exposée à l'annexe C. Une liste des ordonnances qui entrent dans cette catégorie est produite sous la cote 4.
c) les ordonnances rendues en application de l'alinéa 20(1)f) de la Loi, qui plaçaient le jeune délinquant dans un foyer d'adoption. Une liste des ordonnances qui entrent dans cette catégorie est produite sous la cote 5 et accompagnée d'une copie de ces ordonnances.
d) une ordonnance concernant le jeune T.O.A., dans laquelle il était statué en vertu des alinéas 20(1)b) et g) que l'affaire soit reportée et que le jeune délinquant fréquente une institu tion d'enseignement privée, le Toronto Learning Centre, et dans laquelle il était également statué en vertu du paragra- phe 20(2) de la Loi que la demanderesse en paie les frais. Cette ordonnance a été maintenue par la Cour d'appel de l'Ontario dans une décision en date du 15 janvier 1982 et publiée sous l'intitulé T.O.A. v. Regional Municipality of Peel (1982), 35 O.R. (2d) 260 ... Regional Municipality of Peel and A. (1980), 30 O.R. (2d) 452, et T.O.A. v. Regional Municipality of Peel (1982), 35 O.R. (2d) 260.
14. Ce n'est que lorsque la demanderesse a signifié un avis en date du 12 octobre 1982, conformément à la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chapitre C-38,
qu'elle a tenté expressément d'obtenir de la défenderesse le remboursement des sommes versées à la suite des ordonnances rendues en application du paragraphe 20(2) de la Loi ...
Outre les faits reconnus par les parties, je cons- tate que la demanderesse a effectué ces paiements sous la contrainte, en conformité avec les ordon- nances qui auraient été rendues en application du paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délin- quants. Il est clair que l'omission de payer ainsi que l'ordonnait la Cour aurait exposé la demande- resse à des poursuites pour outrage au tribunal. Cela a toujours été implicite et est même devenu explicite, selon la preuve, en deux occasions au moins. La pièce 51 consiste en une lettre en date du 13 janvier 1977 qui émanait des procureurs de la société de foyers collectifs Viking Houses, une filiale de la Marshall Childrens' Foundation, et informait le procureur de la demanderesse que le refus de celle-ci d'effectuer immédiatement les paiements en exécution des ordonnances rendues en faveur de Viking Houses entraînerait des pour- suites pour outrage au tribunal. La pièce 68, qui a été admise par les parties, est une note de service en date du 25 juillet 1977 que le témoin Crozier, commissaire des services sociaux de Peel, a reçue du procureur de la municipalité régionale et qui l'avisait que l'avocat de Viking Houses les avait informés que, en cas d'inexécution de l'obligation de payer imposée par les ordonnances, Viking Houses tenterait d'obtenir un mandat d'incarcéra- tion ou un mandat de saisie-exécution.
Malgré les efforts déployés au cours du procès afin de démontrer que la demanderesse avait clai- rement contesté les paiements et notamment pro testé auprès du gouvernement du Canada, ce fait n'a pas été vraiment démontré. Toutefois, je ne considère pas qu'il est nécessaire d'établir claire- ment l'existence d'une contestation s'il est évident que l'argent a été versé sous la contrainte. Il est également manifeste que la demanderesse ne vou- lait pas priver les jeunes contrevenants de la sur veillance et des soins requis et que, vu la décision rendue dans leurs cas par la Cour provinciale, il fallait que la municipalité paie en conformité avec les ordonnances de la Cour pour qu'ils puissent recevoir des soins et faire l'objet d'une surveil lance. Cela même créait en pratique une certaine forme de contrainte. La demanderesse n'est toute- fois pas restée sans agir durant la plus grande partie de la période concernée et elle a entamé des poursuites dès février 1977 afin de contester ces ordonnances.
Conclusions
(i) Principes de la restitution
Il s'agit principalement en l'espèce de savoir si Sa Majesté la Reine du chef du Canada peut être tenue, au moyen de la présente action, de rem- bourser la municipalité demanderesse des sommes d'argent versées par celle-ci, non pas au gouverne- ment du Canada, mais à des tiers dans l'intérêt d'autres tiers, et ce, parce que le gouvernement du Canada a adopté une loi invalide qui visait à imposer l'obligation d'effectuer ces paiements. Il me semble que la présente action entre dans la catégorie de celles qui, en common law, pouvaient être intentées contre la Couronne au moyen de la pétition de droit (qui n'est plus requise depuis 1971) et n'est aucunement visée par la Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38.
Il est évident que ces sommes d'argent ont été versées en raison d'une erreur de droit due à la conviction erronée que le paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants autorisait la Cour provinciale de l'Ontario à rendre de telles ordon- nances. Même si la demanderesse a commencé à contester cette idée dès février 1977, elle a respecté intégralement la loi tant que celle-ci n'a pas été définitivement jugée invalide par la Cour suprême du Canada en 1982. Normalement, la loi devrait être observée tant qu'elle n'a pas été jugée inva- lide: voir, à titre d'exemple, Morgentaler et al. v. Ackroyd et al. (1983), 150 D.L.R. (3d) 59 (H.C. Ont.).
Dans sa déclaration, la demanderesse soutient que la défenderesse s'est [TRADUCTION] «enrichie injustement» et elle cherche à [TRADUCTION] «récupérer» l'argent qu'elle-même a versé afin de s'acquitter de la [TRADUCTION] «responsabilité qui incombait à la défenderesse en vertu de son obligation générale et publique de fournir les fonds nécessaires à l'application de ses lois». Dans sa plaidoirie, elle a invoqué un certain nombre de décisions judiciaires, dont certaines visaient plus directement le principe général de l'enrichissement sans cause et d'autres concernaient plus précisé- ment le recouvrement des sommes d'argent versées à la partie défenderesse ou dans son intérêt à la
suite d'une erreur de droit. Bien qu'il s'agisse essentiellement d'une demande en recouvrement de sommes d'argent versées en raison d'une erreur de droit et sous l'effet de la contrainte, il en résulte une situation quelque peu nouvelle l'on doit aller au-delà des précédents pour essayer de décou- vrir les principes pouvant ou non servir de fonde- ment à un recouvrement.
Sans remonter aux décisions rendues au 18e siècle par lord Mansfield et faisant autorité sur le sujet, il suffit peut-être de commencer par une décision rendue par la Cour d'appel de l'Angle- terre dans l'affaire Brook's Wharf and Bull Wharf Ld. v. Goodman Brothers, [1937] 1 K.B. 534, la demanderesse a pu recouvrer des droits de douane qu'elle avait payés, ainsi qu'elle y était tenue par la loi, sur des fourrures importées par la défenderesse. La Cour a reconnu le principe selon lequel, si un demandeur a été contraint par la loi de verser des sommes d'argent que le défendeur était en fin de compte tenu de verser, pour ce qui concerne le demandeur et le défendeur, le deman- deur a droit au remboursement de ces sommes. On a dit la page 545] que cette obligation ne résultait pas d'un contrat mais que
[TRADUCTION] ... la Cour [Il impose ... simplement en raison des circonstances de l'affaire et de ce qu'elle considère être juste et raisonnable, eu égard aux rapports entre les parties.
Dans l'arrêt Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn, Lawson, Combe Barbour, Ld., [1943] A.C. 32 (H.L.), lord Wright a formulé la remarque sui- vante, citée à maintes reprises la page 61]:
[TRADUCTION] Il est clair que tout système de droit civilisé se doit de prévoir des recours pour ces situations qualifiées d'enri- chissement ou d'avantage sans cause, c'est-à-dire empêcher une personne de garder l'argent ou de conserver un avantage qu'elle a reçu d'une autre personne et qu'il serait moralement inaccep- table de garder ou de conserver.
Bien que l'affaire portât essentiellement sur le recouvrement d'une somme d'argent versée en vertu d'un contrat qui était devenu inexécutable en raison de la guerre, lord Wright a déclaré qu'un tel remboursement ne se fondait ni sur un contrat ni sur un délit, mais entrait dans une [TRADUCTION] «troisième catégorie ... appelée quasi-contrat ou restitution».
Ces décisions anglaises ont été citées et admises devant les tribunaux canadiens. Dans l'arrêt Degl- man v. Constantineau, [1954] R.C.S. 725, la Cour suprême a permis au neveu d'une personne décé-
dée de recouvrer de sa succession le paiement de services qu'il lui avait rendus de son vivant. Il avait agi ainsi en raison de l'engagement pris verbale- ment par cette personne de l'avantager dans son testament. Elle ne l'a pas fait. On n'a pas permis au neveu d'exécuter le contrat parce que celui-ci n'était pas constaté par un écrit comme l'exige le Statute of Frauds [R.S.O. 1950, chap. 371]. Dans les motifs qu'il exposait en son nom et au nom de deux autres juges, le juge Rand a permis le recou- vrement de la somme d'argent en se fondant sur ce qu'il a décrit comme la page 728]
[TRADUCTION] . le principe de la restitution qu'on peut
invoquer à l'encontre de ce qui constituerait autrement un enrichissement sans cause de la défenderesse aux dépens du demandeur.
Bien que le juge Rand n'ait pas cité de décision judiciaire à l'appui de cette proposition, le juge Cartwright, en son nom et au nom de la majorité des juges de la Cour, en est venu à la même conclusion et a cité la déclaration susmentionnée de lord Wright dans l'arrêt Fibrosa Spolka. Plus récemment, dans l'arrêt Hydro Electric Commis sion of Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347, la Cour suprême du Canada a analysé en détail les principes de droit applicables au recou- vrement d'une somme d'argent versée par erreur à l'une des parties à un contrat par l'autre partie. Bien que cette décision ne porte pas directement sur le point actuellement en litige, les motifs expo- sés tant par les juges dissidents que par les juges de la majorité de la Cour contenaient une analyse approfondie des conditions requises pour le recou- vrement d'une somme d'argent versée en raison d'une erreur de droit. Après avoir examiné en détail les décisions anglaises et canadiennes et souligné les nombreuses exceptions au principe selon lequel une somme d'argent versée en raison d'une erreur de droit ne peut pas être recouvrée, le juge Dickson [tel était alors son titre] a, dans une dissidence exprimée en son nom et au nom du juge en chef Laskin, déclaré aux pages 367 et 368 que la doctrine de la restitution ou de l'enrichissement sans cause n'est pas une exception ou une restric tion à cette règle mais constitue plutôt un principe de principe de base du recouvrement à l'égard duquel les distinctions entre l'erreur de droit et l'erreur de fait perdent tout leur sens. Il a conclu qu'il devrait y avoir recouvrement dans ce cas pour ce motif, mais avant de ce faire, il a soigneusement examiné la possibilité qu'il existe des moyens de
défense reconnus en equity contre ce qu'il a proba- blement considéré comme un droit au recouvre- ment reconnu en equity. Il n'a trouvé aucun moyen de défense de ce genre. Dans les motifs qu'il a prononcés au nom de la majorité, le juge Estey a refusé d'ordonner le remboursement des sommes d'argent à la demanderesse. Bien qu'il ne fût pas expressément en désaccord avec la position des juges dissidents quant au principe de l'enrichisse- ment sans cause, il a exprimé l'opinion, à la page 412, que la demanderesse n'avait pas vraiment soulevé ni invoqué ces principes. La majorité a rejeté le recouvrement demandé en raison d'une erreur de droit parce qu'on ne retrouvait dans cette affaire aucune des exceptions à la règle selon laquelle on ne peut pas recouvrer une somme versée en raison d'une erreur de droit. Aux pages 409 et 410, le juge Estey a cependant précisé que, si les paiements avaient été effectués sous la con- trainte, ils auraient pu être recouvrés, qu'il y ait eu ou non une erreur de droit. En fait, l'existence d'une telle erreur aurait été sans rapport avec la question. Cela semblerait en accord avec l'un des motifs de recouvrement confirmés dans un juge- ment rendu antérieurement au nom de la Cour par le juge Hall dans l'affaire Jacobs (George Porky) Enterprises Ltd. v. City of Regina, [1964] R.C.S. 326, aux pages 330 et 331.
Une autre décision pertinente rendue par la Cour suprême du Canada est l'arrêt Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de la Saskatche- wan, [ 1977] 2 R.C.S. 576, bien que celui-ci ne s'applique pas directement à la situation présente étant donné qu'il porte sur la perception et la retenue par le défendeur d'impôts qui lui avaient été payés sous la contrainte en conformité avec une loi présumée invalide. Dans ce cas-là, la Cour semble avoir supposé qu'en common law, la demanderesse aurait eu le droit de recouvrer cet argent si la loi avait été jugée invalide. À partir de cette hypothèse, il a été décidé que la législature provinciale ne pouvait pas, par une loi, empêcher un tel recouvrement, car cela constituerait un moyen de faire indirectement ce qui est interdit par la Constitution, c'est-à-dire de retirer des reve- nus par le biais de mesures fiscales invalides.
Une autre décision de la Cour suprême qui présente un intérêt en l'espèce est l'arrêt Carleton, County of v. City of Ottawa, [1965] R.C.S. 663.
Dans cette affaire, la ville d'Ottawa avait annexé, à compter du 1e' janvier 1950, une partie du canton de Gloucester qui se trouvait auparavant dans le comté de Carleton. En 1948, une certaine N.B., qui était une personne nécessiteuse résidant antérieurement dans la partie de Gloucester qui devait plus tard être annexée par Ottawa, a été placée dans un foyer pour personnes âgées du comté de Lanark elle a été entretenue aux frais du comté de Carleton. À l'époque de l'annexion de cette partie de Gloucester par Ottawa, il a été convenu entre Ottawa et Gloucester qu'Ottawa assumerait l'entretien des personnes nécessiteuses résidant dans la région qui devait être annexée. Par la suite, le comté de Carleton a fourni à la ville d'Ottawa une liste de ces personnes, mais, par inadvertance, le nom de N.B. ne figurait pas sur la liste. Carleton a continué, jusqu'en 1960, de payer au comté de Lanark les frais d'entretien de N.B., qui a alors été transférée dans un foyer administré par le comté de Carleton elle a continué d'être entretenue aux frais de ce dernier. En 1962, une fois l'erreur découverte, le comté de Carleton a réclamé à la ville d'Ottawa le remboursement des sommes qu'il avait dépensées de 1950 1962 pour l'entretien de N.B. On notera que l'entretien des personnes nécessiteuses incombait en vertu de la loi au comté ou à la ville elles étaient réputées résider conformément à The Homes for the Aged Act, S.O. 1947, chap. 46. Le comté de Carleton fondait sa demande sur la doctrine de la restitu tion. Le juge Hall, qui a rendu le jugement au nom de la Cour, a cité et endossé les arrêts Brook's Wharf, Fibrosa Spolka et Deglman mentionnés ci-dessus. S'appuyant apparemment sur ces affai- res, le juge Hall a statué que, comme la ville d'Ottawa avait assumé dès 1950 les obligations du comté de Carleton envers les résidents nécessiteux, mais que par erreur le comté de Carleton avait continué de payer les frais d'entretien de N.B., permettre que la ville d'Ottawa se soustraie à ces dépenses irait [TRADUCTION] «à l'encontre de la conscience». On a donc enjoint à la ville d'Ottawa de rembourser le comté de Carleton. L'intérêt particulier de cette affaire-là relativement aux faits de l'espèce est que, bien qu'elle impliquât apparemment seulement une erreur de fait, elle portait sur un litige entre deux autorités publiques, auquel on a appliqué la doctrine de la restitution ou de l'enrichissement sans cause; et que les
sommes d'argent versées par la demanderesse Car- leton n'avaient pas été versées à la défenderesse ni à son avantage direct mais à l'avantage d'un tiers, N.B., que la défenderesse était, selon la loi, tenue d'entretenir.
À la lumière d'autres affaires comme Eadie v. Township of Brantford, [1967] R.C.S. 573, et (implicitement) l'affaire Nepean précitée, on peut conclure que l'argent versé à la suite d'une erreur de droit et sous la contrainte peut être recouvré. De façon plus générale, l'affaire County of Carle- ton vient appuyer l'opinion selon laquelle on peut obtenir d'une autorité publique la restitution d'une somme d'argent même si celle-ci a été dépensée pour l'entretien d'un citoyen. Qui plus est, l'affaire Deglman, l'affaire County of Carleton et le juge- ment dissident rendu dans l'affaire Nepean (qui n'a pas été rejeté quant au fond par la majorité mais qu'on a estimé ne pas s'appliquer à cette affaire) indiquent tous qu'au Canada il existe maintenant un principe plus général et plus fonda- mental accordant un recours contre l'enrichisse- ment sans cause, principe qui peut aller au-delà de ses origines anglaises et qui guide ou devrait guider tout jugement particulier dans ce domaine. Ce principe a également été évoqué par la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick dans White et al. v. Central Trust Co. et al. (1984), 7 D.L.R. (4th) 236, et par certains auteurs: voir, par exemple, Fridman et McLeod, Restitution (1982), chapitre 2; McCamus, «Restitutionary Recovery of Moneys Paid to a Public Authority Under a Mistake of Law: Ignorantia Juris in the Supreme Court of Canada» (1983), 17 U.B.C. L. Rev. 233; Gautreau, «Developments in the Law of Restitution» (1984-85), Advocates' Q. 419. C'est ce principe qu'il ne faut pas perdre de vue en examinant les difficultés auxquelles fait face la demanderesse en l'espèce.
(ii) Principes constitutionnels
L'une des questions capitales est de savoir si on peut affirmer que la défenderesse, qui représente le pouvoir exécutif fédéral, a reçu un avantage, soit de façon générale soit en exécution de son obliga tion légale, lorsque la municipalité régionale de Peel a payé les frais d'entretien de jeunes délin- quants en conformité avec une loi fédérale inva- lide. Je ne puis conclure que, au sens strict, le pouvoir exécutif fédéral est automatiquement assu- jetti à une obligation légale et exécutoire de payer
les frais d'application de toute loi adoptée par le Parlement, même lorsqu'il s'agit de lois valides. Aucune jurisprudence n'a été invoquée à l'appui d'une telle proposition: l'expérience et des raisons de principe permettent même de penser le contraire.
Il est évident, par exemple, que le Parlement impose souvent à des particuliers et à des sociétés des obligations qui les forcent à dépenser leurs propres deniers pour se conformer à la loi. Dans ces cas-là, le pouvoir exécutif n'a aucune obliga tion, sauf peut-être celle de veiller au respect de la loi. Il est également évident que les provinces dépensent collectivement des centaines de millions de dollars aux fins de l'application du Code crimi- nel fédéral [S.R.C. 1970, chap. C-34] ou de la Loi sur les jeunes délinquants et de celle qui l'a rem- placée. On peut soutenir que ces dépenses provin- ciales peuvent être considérées comme volontaires, bien qu'il me semble ressortir de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et autre, [[1982] 2 R.C.S. 9], qu'une disposition fédérale faisant dûment partie du «droit criminel» pourrait imposer des obligations financières à une province ou à ses représentants. On a déclaré, à la page 22 de l'ar- rêt, que l'imposition présumée aux municipalités de l'obligation prévue au paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants
... n'est pas justifié[e] en l'absence d'un lien direct avec le pouvoir législatif fédéral en vertu de l'art. 91(27). [C'est moi qui souligne.]
Cela implique que, s'il y avait un «lien direct» avec le pouvoir législatif fédéral, de telles obligations pourraient alors être imposées aux municipalités et que ce ne serait pas le pouvoir exécutif fédéral qui serait tenu d'engager ces dépenses.
Il est également difficile de soutenir, sur le fondement des principes constitutionnels généraux, que le pouvoir exécutif fédéral doit automatique- ment supporter le coût qu'entraîne l'application des lois fédérales. Ce pouvoir exécutif doit rendre compte de ses dépenses au Parlement, et, s'il n'a pas été autorisé par le Parlement à engager une dépense déterminée, il n'a ni le droit ni l'obligation légale et exécutoire de le faire. La Couronne n'est pas non plus responsable des mesures prises par le pouvoir législatif; le Parlement n'est nullement le mandataire ou le préposé de la Couronne. De plus,
la doctrine de la suprématie du Parlement impli- que que les tribunaux ne peuvent pas obliger celui-ci à voter des affectations de crédits. Si le Parlement n'a ni prévu le paiement, sur le Fonds du revenu consolidé du gouvernement fédéral, des coûts qu'entraîne l'application de la loi ni valide- ment imposé à d'autres l'obligation de supporter ces coûts, un tribunal ne pourra pas accorder une injonction obligatoire ou un mandamus pour enjoindre au Parlement de voter une affectation de crédits afin d'assurer l'application de sa loi. Toute obligation de ce genre est de nature politique, et non juridique. Il s'agit de principes fondamen- taux de la Constitution anglaise qui sont apparus au 17e siècle et ont été garantis par le Bill of Rights, 1688, 1 Will. & Mary, 2' sess., chap. 2 (R.-U.). Nous en avons hérité par le libellé du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appen- dice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] qui stipule que nous aurons une constitution «semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni».
Ces principes constitutionnels fondamentaux élaborés dans un pays unitaire doivent toutefois s'appliquer dans le cadre d'un système fédéral et en tenant compte du principe reconnaissant le droit d'obtenir réparation en cas d'enrichissement sans cause. Même s'il n'existe aucun droit d'action contre le pouvoir exécutif fédéral pour réclamer les coûts que nécessite l'application des lois fédérales ou contre le pouvoir exécutif provincial pour récla- mer les coûts qu'entraîne l'application des lois provinciales, il existe indiscutablement, dans un système fédéral, une obligation politique générale- ment reconnue en vertu de laquelle chaque ordre de gouvernement doit appliquer de façon efficace les lois adoptées par le pouvoir législatif. Dans le domaine du droit criminel, l'obligation du gouver- nement fédéral est soulignée par la confirmation, dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Ltée et autre, [1983] 2 R.C.S. 206, qui a été appliqué dans R. c. Wetmore et autres, [1983] 2 R.C.S. 284, du fait que la compétence conférée au Parlement par le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 comprend le pouvoir d'assurer l'application du droit criminel. L'arrêt Peel c. MacKenzie, pré- cité, montre cependant que, en assurant ainsi l'ap-
plication du droit criminel, le Parlement ne peut pas, dans les circonstances dont il est ici question, déléguer à une province ou au représentant d'une province les obligations financières découlant de l'application de la loi si cette province ou son représentant n'assume pas volontairement ces obli gations. Toutefois, si la demanderesse ne pouvait obtenir réparation en l'espèce, le Parlement l'au- rait prévu en rédigeant les termes de sa loi invalide (paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délin- quants) qui, depuis 1908, oblige les municipalités à payer ces coûts, et en se fondant sur le principe constitutionnel selon lequel le pouvoir exécutif fédéral n'a ni le droit ni l'obligation de verser une somme d'argent lorsque le Parlement n'a pas affecté de crédits à cette fin. Sur ce point, il est instructif d'examiner l'arrêt B.C. Power Corpora tions v. B.C. Electric Company, [1962] R.C.S. 642. Dans cette affaire, on attaquait la constitu- tionnalité d'une loi expropriant les actions ordinai- res de la British Columbia Electric Company Limited. La Couronne du chef de la province s'est opposée à la nomination d'un séquestre de la com- pagnie en attendant le règlement du litige, pour le motif qu'une telle ordonnance aurait eu un effet sur les biens ou les droits que possédait la Cou- ronne dans la compagnie ainsi qu'il était prévu dans la loi contestée. La Cour suprême a confirmé qu'un tel séquestre pouvait être nommé pendant le procès et que l'immunité de la Couronne à l'égard des poursuites, qui existait alors généralement en Colombie-Britannique, ne pouvait pas être invo- quée pour empêcher une ordonnance de ce genre. Aux pages 644 et 645, le juge en chef Kerwin a déclaré, au nom de la Cour:
[TRADUCTION] À mon avis, dans un système fédératif l'autorité législative se divise, comme les prérogatives de la Couronne, entre le Dominion et les provinces, il n'est pas permis à la Couronne, du chef du Canada ou d'une province, de réclamer une immunité fondée sur un droit dans une certaine propriété, lorsque ce droit dépend entièrement et uniquement de la validité de la législation qu'elle a elle-même passée, s'il existe un doute raisonnable quant à la validité constitutionnelle de cette législation. Lui permettre d'agir ainsi serait lui permet- tre, par l'exercice de droits en vertu d'une législation qui excède ses pouvoirs, d'obtenir le même résultat que si cette législation était valide. Dans un système fédératif, il me semble qu'en pareille circonstance, le tribunal a la même compétence pour préserver des biens dont le titre dépend de la validité d'une législation que pour établir la validité de la législation elle-même.
Ces propos ont été cités et endossés dans l'arrêt Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de
la Saskatchewan, précité, à la page 591. Le juge Dickson y a fait remarquer que, bien que l'affaire B.C. Electric porte sur des questions quelque peu différentes, l'affaire Amax
... semble régi[e] par les mêmes considérations. Dans les deux cas, la préoccupation majeure est la sauvegarde de la Constitu tion. [C'est moi qui souligne.]
De même, si la Couronne du chef du Canada pouvait, en l'espèce, invoquer l'immunité à l'égard de toute demande en paiement des coûts imposés illégalement à la demanderesse par le pouvoir législatif du gouvernement fédéral, pour le motif que ce pouvoir législatif n'a accordé à la défende- resse aucune affectation de crédits ni aucune auto- risation en vue d'effectuer de tels paiements, le gouvernement fédéral pourrait alors accomplir ce que la Constitution lui interdit de faire: c'est-à- dire imposer une charge financière à la municipa- lité demanderesse pour l'entretien des jeunes délin- quants en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants.
(iii) Jonction des principes
C'est à ce moment-ci que les règles applicables au système fédéral et le principe de la réparation en cas d'enrichissement sans cause se conjuguent de manière à obliger la partie défenderesse à rem- bourser la partie demanderesse des frais engagés par celle-ci pour se conformer à la loi invalide. Il n'aurait peut-être pas été possible de poursuivre la partie défenderesse en premier lieu pour l'obliger à verser directement ces sommes. Mais lorsque la partie demanderesse les a versées en conformité avec une loi fédérale qui a finalement été jugée invalide, et pour respecter les objectifs de cette loi dûment adoptée par le Parlement, en ce qui con- cerne la partie demanderesse et la partie défende- resse, il ne serait pas juste que ces frais soient supportés en fin de compte par la partie demande- resse et ils devraient être à la charge de la partie défenderesse.
Il me semble que le versement d'une telle somme par le pouvoir exécutif du gouvernement ne pose aucun problème insurmontable, malgré le fait que le Parlement n'a procédé à aucune affectation précise de crédits pour l'application de cet aspect de la Loi sur les jeunes délinquants. La responsa- bilité de la Couronne découle ici des principes généraux du droit et de l'equity et elle est prévue
par le paragraphe 57(3) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10 que: 57....
(3) Les sommes d'argent ou dépens adjugés à une personne contre la Couronne, dans toutes procédures devant la Cour, doivent être prélevés sur le Fonds du revenu consolidé.
Cette disposition autorise clairement le versement de la somme en question. Voir R. c. Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159 (C.A.), à la page 165, note 10.
En concluant que la Couronne est tenue de payer une telle somme dans les circonstances pré- sentes, il importe de préciser ce sur quoi il n'est pas statué. Comme je l'ai déjà fait remarquer, je ne suis pas disposé à affirmer que le pouvoir exécutif fédéral est, de façon automatique et en vertu de la loi, obligé de payer tous les coûts occasionnés par l'application des lois fédérales. De plus, le recou- vrement en l'espèce n'est pas accordé sur le fonde- ment d'une quelconque théorie du délit constitu- tionnel découlant de la responsabilité d'«avoir légiféré sans la prudence et sans l'attention vou- lues». J'admets que la tâche d'adopter des lois implique une responsabilité politique et sociale qui ne crée aucune obligation particulière de prudence: voir Welbridge Holdings Ltd. c. Metropolitan Corporation of Greater Winnipeg, [1971] R.C.S. 957, aux pages 969 et 970. L'obligation de rem- bourser la demanderesse est plutôt une question de justice entre les deux parties.
(iv) Invalidité des ordonnances décidant du sort des jeunes délinquants
L'avocat de la défenderesse a soutenu que la demanderesse avait en fait effectué des paiements inutilement en exécutant des ordonnances qui, même si elles sont censées avoir été rendues en application du paragraphe 20(2), ne respectaient pas les conditions prévues au paragraphe 20(1) pour les ordonnances décidant du sort des jeunes jugés délinquants. À son avis, une ordonnance rendue en application du paragraphe 20(2) devait, pour être valide, respecter les critères prévus au paragraphe 20(1) pour de telles ordonnances. Il est vrai que, suivant les paragraphes 9 et 10 de l'ex- posé conjoint des faits cités ci-dessus, la demande- resse a contesté avec succès certaines des ordon- nances parce que celles-ci n'étaient pas conformes au paragraphe 20(1). Il est possible que de nom- breuses autres ordonnances n'aient pas respecté les
termes du paragraphe 20(1) et eussent également pu être contestées pour cette raison, mais il ne m'appartient pas de trancher cette question dans une action incidente comme en l'espèce. Je ne crois pas non plus que la conformité ou la non-confor- mité au paragraphe 20(1) ait quelque chose à voir avec la présente demande. Pour qu'il y ait vérita- blement contrainte ou obligation de payer, comme c'était le cas en l'espèce, il n'y a pas lieu de se demander si la demanderesse aurait pu réussir à résister à une telle contrainte: voir North v. Wal- thamstow Urban Council (1898), 67 L.J.Q.B. 972. Il n'y a pas de doute que les tribunaux ont souvent insisté pour cette raison sur le fait que dans une demande de restitution il suffit de prouver que le paiement a été effectué sous une contrainte «véri- table»: voir, par exemple, l'arrêt Eadie, précité. En outre, bien que ce soit la conformité avec les critères du paragraphe 20(1) qui détermine la validité des ordonnances en ce qui concerne le placement et la surveillance des jeunes délin- quants, c'est le paragraphe 20(2) qui a été invoqué contre la municipalité dans cette affaire et qui est la cause immédiate des obligations imposées injus- tement à cette dernière; et c'est parce qu'elle a cru à tort que ce paragraphe était valide que la muni- cipalité a versé les sommes en question. On ne peut pas en déduire que la municipalité a agi délibéré- ment en effectuant les versements en application de ce paragraphe même si les ordonnances auraient pu être contestables pour d'autres motifs. La municipalité était tenue de considérer ces ordonnances comme valides jusqu'à ce que qu'elle ait réussi à les faire annuler pour une raison quelconque. Elle a amorcé ce processus en 1977 en contestant le paragraphe 20(2) mais n'a obtenu gain de cause que lorsqu'elle a soulevé la question de nouveau dans l'affaire MacKenzie, ainsi qu'il est mentionné aux paragraphes 11 et 12 de l'ex- posé conjoint des faits cités ci-dessus.
(v) Délais de prescription
En vertu de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale, la question des délais de prescription est régie par la loi de l'Ontario, la cause d'action a pris naissance.
La défenderesse a plaidé la prescription en invo- quant l'article 45 de la Limitations Act, R.S.O. 1980, chap. 240, et l'article 11 de la Public Authorities Protection Act, R.S.O. 1980, chap.
406. Elle a également invoqué, pour des raisons qui n'ont pas été expliquées et qui ne sont pas évidentes, la Judicature Act, R.S.O. 1980, chap. 223. En ce qui concerne la première de ces lois, la défenderesse a soutenu que l'affaire était visée par l'alinéa 45(1)g) de la Loi, car c'est une action dite «upon the case» qui doit être intentée [TRADUC- TION] «dans les six ans de la date la cause d'action a pris naissance». Quant à l'article 11 de la Public Authorities Protection Act, il prévoit qu'une action
[TRADUcrioN] 11.—(1) ... contre une personne qui a com- mis un acte en exécution d'une obligation prévue par la loi ou de toute autre obligation d'ordre public, ou en vue d'exé- cuter une telle obligation, ou qui aurait commis une négli- gence ou une omission dans l'exécution de toute obligation de ce genre ...
doit être intentée [TRADUCTION] «dans les six mois de la date la cause d'action a pris nais- sance». À mon avis, il ne s'agit pas d'une action de ce genre en l'espèce: la défenderesse n'est pas poursuivie en raison d'actes commis ou omis par négligence dans l'exécution d'une obligation impo sée par la loi ou autrement. Ni la loi ni les principes généraux du droit ne l'obligeaient à agir différemment à l'égard de la demanderesse. C'est plutôt en raison d'une obligation qui découle des actes accomplis par d'autres qu'elle est poursuivie.
La demanderesse soutient que la Limitations Act ne s'applique pas parce qu'il s'agit d'une action qui a été intentée en vue d'obtenir un redressement fondé sur l'equity et qui n'est men- tionnée nulle part à l'article 45 de cette loi. Elle prétend plutôt que seule s'applique la doctrine du manque de diligence (laches), reconnue en equity, qui est une notion beaucoup plus large. Elle sou- tient également que la cause d'action n'a pris naissance qu'une fois rendue la décision de la Cour suprême du Canada en date du 22 juillet 1982 dans l'affaire MacKenzie, précitée, il a été jugé que le paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants est invalide. La présente action en recouvrement des sommes d'argent versées par la demanderesse en conformité avec cette loi invalide a été intentée le 18 janvier 1983, soit moins de six mois après la date de ce jugement.
La demanderesse prétend qu'elle ne pouvait pas savoir, avant le prononcé de ce jugement, qu'elle avait versé les sommes d'argent à la suite d'une erreur de droit, et la cause d'action n'a pris nais-
sance qu'à ce moment. Elle a donc le droit de réclamer toutes les sommes versées entre 1974 et 1982 en exécution des ordonnances rendues en application du paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants. La défenderesse soutient, naturellement, que, si la demanderesse a le droit de recouvrer une quelconque somme, elle ne peut tout au plus que recouvrer les montants qui ont été versés au cours de la période de six ans qui a précédé immédiatement le début de la présente action, ce qui voudrait dire que les paiements effectués avant le 18 janvier 1977 ne pourraient pas être recouvrés.
À mon avis, la cause d'action n'a pris naissance qu'une fois rendue la décision de la Cour suprême du Canada en date du 22 juillet 1982, il a été jugé que le paragraphe 20(2) est invalide. Ce n'est qu'à ce moment-là que toutes les parties étaient certaines que la demanderesse avait été contrainte d'effectuer des paiements, obligation qui n'était pas prévue dans la Constitution. C'est seulement à ce moment-là qu'on peut dire que la cause d'action a pris naissance. J'estime que c'est la position la plus compatible avec le jugement rendu à la majo- rité dans l'arrêt Deglman v. Constantineau, pré- cité, à la page 736. Après avoir souligné que le recouvrement n'était pas fondé sur un contrat, le juge Cartwright a statué que l'obligation que la loi imposait à l'administrateur de la succession de verser au neveu de la défunte une somme d'argent au lieu du bien qu'elle avait promis de lui léguer n'a pris naissance que lorsque la défunte est décé- dée sans laisser de testament. Jusqu'à ce moment-là, le neveu n'avait aucune raison de douter qu'elle ne fasse pas dans son testament le legs promis. Donc, la cause d'action n'a existé qu'à compter du moment la tante est décédée sans testament. Voir également l'affaire White, préci- tée, à la page 252; Fridman et McLeod, ouvrage précité, aux pages 600 602. De même, en l'es- pèce, ce n'est qu'au moment la décision de la Cour suprême a été rendue le 22 juillet 1982 que la demanderesse a su qu'elle avait dépensé de l'argent sans y être obligée par la loi, et c'est alors que le droit au dédommagement ou à la restitution a pris naissance.
Il est intéressant de noter que, dans l'arrêt Car- leton c. Ottawa, précité, qui se rapproche le plus de l'espèce en raison des fins recherchées et égale-
ment parce qu'on y invoque la législation onta- rienne concernant la période de prescription en cause, aucune des décisions citées ne mentionne le fait que la demande était d'une façon ou de l'autre prescrite. Dans cette affaire, il a été ordonné de rembourser à la demanderesse des sommes versées pendant une période de plus de douze ans avant le début de l'action. Dans l'affaire Nepean, précitée, la demanderesse a admis que la Limitations Act, qui était la loi applicable, limitait sa demande aux six années précédant la signification du bref. Elle a donc également reconnu que la cause d'action a pris naissance au moment le paiement avait été effectué.
Étant donné ma conclusion selon laquelle la cause d'action n'a pris naissance en l'espèce que le 22 juillet 1982, il importe peu de savoir quel délai de prescription s'applique à la présente demande, puisqu'aucune prescription n'empêchera le recou- vrement de toutes les sommes réclamées dans la présente action. Même si la Public Authorities Protection Act devait s'appliquer, l'action a été intentée dans les six mois de la date la cause d'action a pris naissance de sorte que cela ne constituerait pas une fin de non-recevoir. Si l'ali- néa 45(1)g) de la Limitations Act s'applique, l'ac- tion a bel et bien été intentée au cours de la période permise de six ans. J'ai de fait conclu que cet alinéa 45(1)g) s'applique à la présente action pour le motif qu'il s'agit d'une action dite «upon the case». Il n'est peut-être pas normal que l'on doive aujourd'hui recourir à des distinctions dont l'origine remonte au 14e siècle et dont la significa tion apparaît dans les catégories d'actions que le droit anglo-canadien est censé avoir abandonnées depuis plus d'un siècle. Mais le libellé de la loi ontarienne m'y oblige. L'action dite «upon the case» devrait, dans le contexte d'une loi moderne, être considérée comme une catégorie d'actions résiduelle, ce qui constitue en fait un rôle qui n'est pas incompatible avec sa vocation première. À mesure qu'elle a évolué, l'action «on the case» n'a pas été limitée aux délits mais a également été utilisée dans le cas de nouvelles demandes telles que l'assumpsit. Voir, par exemple, Plucknett, A Concise History of the Common Law, (5 e éd., 1956), aux pages 372 et 373 et 637 à 640. Le fait de conclure qu'il s'agit en l'espèce d'une action «on the case» aurait pour effet d'appliquer aux actions en restitution, telle que la présente action, le même
délai de prescription qu'aux actions fondées sur la violation du droit de «propriété», sur un contrat, sur une créance ou une détention illicite (qui sont également visées par l'alinéa 45(1)g) de la Limita tions Act de l'Ontario). La politique qui justifie le délai de prescription dans le cas de ces actions semblerait également applicable aux actions en restitution. Voir l'ouvrage de Fridman et McLeod,
précité, aux pages 597 602. I1 existe de nom- breux cas des lois sur la prescription ont été appliquées à des actions en restitution (voir, par exemple, Maskell v. Horner, [1915] 3 K.B. 106 (C.A.); In re Diplock, [1948] Ch. 465, confirmé par [1951] A.C. 251 (H.L.)). De telles actions ont, à l'occasion, été jugées précisément comme des actions «on the case»: voir Salford (Mayor & c., of Borough of v. County Council of Lancashire (1890), 25 Q.B.D. 384 (C.A.); Green & Co. v. Cukier & Toronto Gen'l Trusts, [1949] 4 D.L.R. 729 (C.A. Ont.). La dernière affaire, qui est une décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario au sujet de la même disposition législative que celle dont il est question en l'espèce, est particuliè- rement pertinente.
Ma conclusion selon laquelle il s'agit d'une action «on the case» et assujettie à un délai de prescription de six ans ne règle toutefois pas la question entièrement. L'article 2 de la Limitations Act de l'Ontario prescrit:
[TRADUCTION] 2. La présente loi ne porte aucunement atteinte aux règles d'equity en refusant un redressement en raison d'un consentement, ou autrement, à toute personne dont le droit d'intenter une action n'est pas irrecevable en vertu de la présente loi.
Cela semble signifier que, même si une action fondée sur l'equity est intentée dans le délai prévu dans la loi, elle peut être irrecevable à cause de la conduite adoptée par le demandeur, ayant trait, par exemple, à son retard. Bien que, à l'instruction de l'affaire Nepean, précitée, le juge Craig semble avoir supposé que l'existence d'une loi pertinente sur la prescription excluait le recours au moyen de défense fondé sur le manque de diligence (voir (1979), 92 D.L.R. (3d) 481 (H.C. Ont.), à la page 495) et que, en Cour suprême, le juge Dickson ait accepté cette opinion (voir la page 379), aucun d'entre eux ne s'est référé à l'article 2 de la Limitations Act mentionné ci-dessus. Une action en recouvrement d'une somme d'argent versée à la suite d'une erreur de droit devrait vraisemblable-
ment être considérée comme une action reconnue en equity et assujettie aux moyens de défense reconnus en equity. Si cependant il reste possible de recourir en l'espèce au moyen de défense fondé sur le manque de diligence en vertu de l'article 2, je conclus que la demanderesse n'a pas attendu trop longtemps pour intenter son action. La défen- deresse ne peut donc pas invoquer avec succès le manque de diligence.
(vi) Droit au recouvrement
La demanderesse a donc le droit de recouvrer de la défenderesse la somme de 1 166 814,22 $ qui représente le montant net dépensé par la demande- resse en exécution des ordonnances invalides ren- dues en application du paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants.
(vii) Intérêts
Dans sa déclaration, la demanderesse réclame des intérêts que je considère comme des intérêts ayant couru avant le jugement sur les sommes qu'elle a versées en application de la loi fédérale invalide. Je ne puis accorder de tels intérêts en raison des dispositions de l'article 35 de la Loi sur la Cour fédérale qui prévoient:
35. Lorsqu'elle statue sur une demande contre la Couronne, la Cour n'accorde d'intérêt sur aucune somme qu'elle estime être due au demandeur, à moins qu'il n'existe un contrat stipulant le paiement d'un tel intérêt ou une loi prévoyant, en pareil cas, le paiement d'intérêt par la Couronne.
Il n'existe aucun contrat stipulant le paiement d'un tel intérêt dans la présente affaire. Il ne semble pas non plus y avoir une loi à cet effet; la demande, ainsi que j'ai statué, n'est pas fondée sur la Loi sur la responsabilité de la Couronne qui pourrait, si elle était applicable, renvoyer à la loi ontarienne sur le sujet.
(viii) Dépens
La demanderesse a droit à ses dépens.
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