A-1076-84
Ministre des Pêches et Océans et Wayne Shin-
ners, directeur général régional du ministère des
Pêches et Océans pour la région du Pacifique
(appelants) (intimés)
c.
Gulf Trollers Association (intimée) (requérante)
RÉPERTORIÉ: GULF TROLLERS ASSN. c. CANADA (MINISTRE
DES PÊCHES ET OCÉANS)
Cour d'appel, juges Urie, Marceau et Hugessen—
Vancouver, 16 septembre; Ottawa, 3 novembre
1986.
Pêches — Pêche au saumon dans le Golfe de Georgie —
Variété décroissante — Des fonctionnaires des pêcheries ont
limité la saison de la pêche commerciale du saumon — La
pêche sportive n'a pas été restreinte — La modification des
périodes de fermeture n'est pas une fonction administrative
mais législative — Ni la Loi ni les Règlements ne limitent
expressément les objectifs pouvant être fixés à cet égard — Le
pouvoir législatif fédéral sur les pêcheries ne se limite pas à la
conservation — Les considérations socio-économiques sont
valides — Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art.
34 (mod. par S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 17, art. 4) —
Règlement de pêche commerciale du saumon dans le Pacifi-
que, C.R.C., chap. 823, art. 5(1) (mod. par DORS/82-529, art.
3(1)) — Règlement de pêche sportive de la Colombie-Britanni-
que, DORS/82-645 — Loi modifiant la Loi sur les pêcheries,
S.C. 1985, chap. 31.
Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Pêches —
La modification des périodes de fermeture de la pêche com-
merciale du saumon a eu pour effet d'accorder la priorité à la
pêche sportive — Des objectifs socio-économiques, comme des
objectifs de conservation, ont été poursuivis — La modifica
tion des périodes de fermeture n'est pas une fonction adminis
trative mais législative — Ni la Loi ni les Règlements ne
limitent expressément les objectifs pouvant être fixés à cet
égard — Le pouvoir législatif fédéral n'est pas limité en ce qui
regarde les objectifs guidant son exercice — Les tribunaux ne
doivent examiner l'objet d'un texte législatif que si une
atteinte à un pouvoir provincial est alléguée — Loi sur les
pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 34 (mod. par S.R.C.
1970 (1" Supp.), chap. 17, art. 4) — Règlement de pêche
commerciale du saumon dans le Pacifique, C.R.C., chap. 823,
art. 5(1) (mod. par DORS/82-529, art. 3(1)) — Loi constitu-
tionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5/ (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada,
1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, n° I ), art. 91(12), 92.
En 1984, des fonctionnaires des pêcheries, par l'émission
d'avis publics, ont modifié les périodes de fermeture s'appli-
quant à la pêche commerciale du saumon dans diverses régions
du Golfe de Georgie, en Colombie-Britannique. Tandis que ces
nouvelles restrictions étaient imposées aux pêcheurs pratiquant
la pêche commerciale, aucune ne fut imposée aux pêcheurs
sportifs.
En Division de première instance, un bref de certiorari a été
délivré pour le motif que la modification des périodes de
fermeture constituait une fonction administrative et outrepas-
sait les pouvoirs constitutionnels permis des appelants de pour-
suivre des objectifs socio-économiques dans l'attribution des
pêches. L'appel en l'espèce est interjeté de cette décision.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Bien que l'ordonnance à l'encontre de laquelle l'appel est
formé, ayant été prononcée alors que l'effet des avis publics
contestés avait pris fin, n'ait eu aucune conséquence pratique,
et bien qu'une modification apportée à la Loi sur les pêcheries
permette à présent la prise en considération de facteurs socio-
économiques dans l'attribution des ressources des pêcheries, le
présent litige doit être tranché puisqu'il soulève la question
constitutionnelle de savoir si le paragraphe 91(12) de la Loi
constitutionnelle de 1867 autorise le Parlement à établir des
périodes de fermeture et d'ouverture de la pêche non seulement
pour des fins de conservation mais encore en fonction d'objec-
tifs de nature socio-économique.
L'émission d'avis publics n'est pas une fonction administra
tive mais législative. Elle a eu pour effet de créer et de
promulguer une règle de conduite générale, sans aménagement
pour des circonstances particulières. Comme il s'agit d'un
pouvoir délégué, l'on doit vérifier que son exercice n'ait pas
excédé les limites fixées expressément par l'autorité déléguante
ou inhérentes à ce pouvoir délégué. Ni la Loi sur les pêcheries,
ni les règlements ne limitaient expressément les objectifs pou-
vant être fixés. Il reste à savoir si le pouvoir ainsi délégué (le
pouvoir conféré par le paragraphe 91(12) de la Loi constitu-
tionnelle de 1867) comportait en lui-même cette limite.
Les décisions qui ont défini le pouvoir conféré en matière de
pêcheries comme étant celui de «réglementer, protéger et con-
server les pêcheries» portaient toutes sur des allégations d'intru-
sion du gouvernement central dans des sphères de compétence
législative provinciale. Elles ne peuvent être interprétées comme
statuant que la compétence du Parlement se limite aux mesures
législatives nécessaires à la conservation et à la protection des
pêcheries, à l'exclusion de tout autre objectif. En fait, un texte
législatif qui, comme celui en l'espèce, ne peut relever que d'une
seule catégorie de sujets ne peut faire l'objet d'une contestation
fondée sur les objectifs, les motifs ou l'objet qui ont conduit à
son adoption.
Comme les objectifs pouvant être poursuivis dans l'exercice
du pouvoir conféré en matière de pêcheries ne sont aucunement
restreints, rien n'empêche le Parlement de poursuivre des objec-
tifs de nature sociale, économique ou autres dans la gestion des
pêcheries soit en les associant à des objectifs de conservation
soit indépendamment de tels objectifs. A moins que la partie
qui attaque un texte législatif en s'appuyant sur la répartition
des compétences fasse état d'une atteinte possible à une compé-
tence législative expressément attribuée, l'objet visé lors de
l'adoption d'un texte législatif ne doit aucunement intéresser les
tribunaux.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
The Queen v. Robertson (1882), 6 Can. R.C.S. 52;
Attorney General for the Dominion of Canada v. Attor
neys General for the Provinces of Ontario, Quebec and
Nova Scotia, [1898] A.C. 700 (P.C.); Attorney General
for British Columbia v. Attorney General for Canada,
[1914] A.C. 153 (P.C.); Attorney General for Canada v.
Attorney General for Quebec, [1921] 1 A.C. 413 (P.C.);
Attorney General for Canada v. Attorney General for
British Columbia, [1930] A.C. 111 (P.C.).
AVOCATS:
Gunnar O. Eggertson et D. R. Kier pour les
appelants.
J. K. Lowes et A. Shields pour l'intimée.
S. B. Armstrong et A. W. Carpenter pour
Pacific Trollers Association, intervenante.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants.
Mawhinney & Kellough, Vancouver, pour
l'intimée.
Lawson, Lundell, Lawson & McIntosh, Van-
couver, pour Pacific Trollers Association,
intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU; L'appel en l'espèce est
formé à l'encontre d'une ordonnance de la Division
de première instance [[1984] 2 C.F. 398] annulant
certains avis publics émis par des fonctionnaires
des pêcheries du ministère des Pêches et Océans
pour modifier les «périodes de fermeture» s'appli-
quant à une partie de la pêche commerciale à la
cuiller dans le Golfe de Georgie, en Colombie-Bri-
tannique. La question réellement soulevée est diffi-
cile à définir en termes juridiques. Ainsi que nous
le verrons, le juge des requêtes a considéré les avis
publics attaqués comme constituant des décisions
administratives et néanmoins il les déclara illégaux
parce que leur objectif outrepassait [à la page 408]
«les pouvoirs constitutionnels permis». Puis, devant
notre Cour, toutes les parties s'accordaient pour
dire que, peu importe si les avis étaient de nature
administrative ou non, une question constitution-
nelle cruciale pouvait ultimement se poser qu'il
convenait de trancher de toute façon. Mon attitude
sera qu'en réalité il n'y a qu'une seule question
immédiatement soulevée, et que cette question est
d'ordre constitutionnel, mais je m'en tiendrai à
cela pour le moment: la difficulté et l'importance
essentielle de cerner de façon précise la question à
trancher ressortiront une fois exposés les détails de
l'espèce.
La Loi sur les pêcheries (S.R.C. 1970, chap.
F-14 et ses modifications) a été édictée par le
Parlement dans l'exercice de la compétence que lui
confère le paragraphe 91(12) de la Loi constitu-
tionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.)
[S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] (mod. par la Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)]
sur «les pêcheries des côtes de la mer et de l'inté-
rieur». L'article 34 de cette Loi porte:
34. Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements
concernant la réalisation des objets de la présente loi et l'appli-
cation de ses dispositions et, en particulier, peut, sans restrein-
dre la généralité de ce qui précède, édicter des règlements
a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des
pêches côtières et des pêches de l'intérieur;
b) concernant la conservation et la protection du poisson;
c) concernant la prise, le chargement, le débarquement, la
manutention, le transport, la possession et l'écoulement du
poisson;
d) concernant l'exploitation des bateaux de pêche;
e) concernant l'utilisation des appareils et accessoires de
pêche;
J) concernant la délivrance, la suspension et l'annulation des
permis et baux;
g) concernant les modalités selon lesquelles un bail ou un
permis peut être délivré; [S.R.C. 1970 (1r Supp.), chap. 17,
art. 4]
h) concernant l'obstruction et la pollution des eaux que
fréquente le poisson;
i) concernant la conservation et la protection des frayères;
j) concernant l'exportation, hors du Canada, du poisson ou
de toute partie de poisson;
k) concernant la prise ou le transport du poisson ou de toute
partie de poisson d'une province du Canada à une autre
province;
l) prescrivant les pouvoirs et les fonctions des personnes
engagées ou employées à l'administration ou l'application de
la présente loi et concernant l'exercice de ces pouvoirs et
fonctions; et
in) autorisant une personne engagée ou employée à l'admi-
nistration ou l'application de la présente loi à modifier une
période de temps prohibé ou la quantité maximum de poisson
qu'il est permis de prendre, que les règlements ont fixées.
Plusieurs règlements ont été édictés par le gou-
verneur en conseil sous le régime de l'article 34 de
la Loi sur les pêcheries. Le Règlement de pêche
commerciale du saumon dans le Pacifique
[C.R.C., chap. 823 (mod. par DORS/82-529)] est
un de ceux-là. Les dispositions de ce Règlement
interdisent en principe la pêche du saumon à la
cuiller dans les eaux du Pacifique. Depuis 1982, la
«période de fermeture» (période au cours de
laquelle la pêche n'est pas permise) pour la pêche à
la cuiller, la pêche à la seine à poche et la pêche au
filet maillant s'étend du l e ` janvier au 31 décembre
(Dossier d'appel, page 41). Une importante res
triction figure toutefois au paragraphe 5(1) [mod.
idem, art. 3(1)], qui est ainsi libellé:
5. (1) Le directeur régional ou un fonctionnaire des pêcheries
peut modifier les périodes de fermeture ou les contingents fixés
dans le présent règlement pour un cours d'eau, un secteur ou un
sous-secteur donné.
Les avis publics visés dans les procédures en
l'espèce ont été émis conformément au paragraphe
5(1) du Règlement de pêche commerciale du
saumon dans le Pacifique. Leur objet était de
modifier la période de fermeture relative à la
pêche à la cuiller de certaines variétés de saumon.
Ces avis déclaraient que la prise et la sortie de
l'eau du saumon quinnat étaient permises entre
23 h le 30 juin 1984, et 24h le 31 août 1984, dans
le [TRADUCTION] «secteur intérieur de pêche au
saumon (à la traîne)», c'est-à-dire principalement
dans le Détroit de Georgie ainsi que dans le
Détroit de Juan de Fuca entre l'Île de Vancouver
et la Colombie-Britannique continentale.
Les propriétaires et exploitants de navires de
pêche pratiquant la pêche à la cuiller ne pouvaient
que voir leurs attentes complètement contrecarrées
par l'émission de ces avis publics. Par le passé, la
saison de pêche à la cuiller du saumon quinnat
dans le Golfe s'était toujours étendue du 15 avril
au 30 septembre et, justement, depuis que la
période de fermeture fixée par le Règlement était
censée courir en principe tout le long de l'année,
des avis de modification avaient été émis chaque
année pour permettre le déroulement traditionnel
des activités de pêche. Voici que cette façon de
faire se trouvait soudainement écartée. Non seule-
ment la saison de la pêche au saumon quinnat
était-elle raccourcie, elle se trouvait désormais
limitée à une période au cours de laquelle la pêche
du saumon quinnat avait traditionnellement été
secondaire pour les pêcheurs à la cuiller qui, au
cours des mois de juillet et d'août, avaient princi-
palement pêché le saumon coho, une espèce dont la
pêche était alors permise. Ainsi ont-ils décidé de
contester la validité des avis publics en question et
ont-ils entamé, par l'intermédiaire de leurs associa
tions, les présentes procédures visant un redresse-
ment de la nature d'un bref de certiorari, la Gulf
Trollers Association se portant requérante et la
Pacifie Trollers Association sollicitant l'autorisa-
tion d'intervenir (pour des raisons de commodité,
je les désignerai ci-après par l'expression [TRA-
DUCTION] «les pêcheurs à la cuiller)).
Devant la Division de première instance, les
pêcheurs à la cuiller ont fondé leur argumentation
sur le fait que les nouvelles restrictions imposées
relativement à la pêche du saumon quinnat ne
visaient que la pêche commerciale; les autres caté-
gories de pêcheurs de cette industrie, particulière-
ment les pêcheurs sportifs, n'étaient point soumis à
de semblables dispositions. En effet, le Règlement
de pêche sportive de la Colombie-Britannique
[DORS/82-645], qui a été édicté en 1982 en même
temps que le Règlement de pêche commerciale du
saumon dans le Pacifique dont il est question en
l'espèce, limitait la période de fermeture visant la
pêche sportive dans le golfe à une heure par année,
et bien que les pêcheurs sportifs fussent soumis à
des restrictions individuelles ayant trait à l'utilisa-
tion d'un certain matériel ainsi qu'au nombre de
poissons que chacun pouvait pêcher quotidienne-
ment et annuellement, aucune [TRADUCTION]
«entaille» n'avait jamais altéré la continuité de
cette période couvrant toute l'année où il leur était
permis de pêcher. Les pêcheurs à la cuiller recon-
naissaient volontiers la forte diminution du nombre
de saumons de l'espèce quinnat, particulièrement
de sa variété autochtone ou sauvage, et la nécessité
d'imposer des mesures de conservation, de protec
tion et de reconstitution pour faire en sorte qu'à
l'avenir les stocks soient suffisants. Ils ont toutefois
soutenu que, si les fonctionnaires du Ministère
n'avaient été influencés que par des considérations
ayant trait à la préservation et à la conservation,
les pêcheurs pratiquant la pêche commerciale
n'auraient pas été les seuls à écoper, compté tenu
notamment du fait que, historiquement, dans le
golfe, les pêcheurs sportifs prennent plus de
saumon quinnat au cours d'une année que les
pêcheurs commerciaux à la cuiller. Il était évident
que les décisions procédaient d'une volonté d'avan-
tager, en ce qui concerne cette variété de poisson,
la pêche sportive au détriment de la pêche com-
merciale. Selon l'argument des pêcheurs à la cuil-
ler, cette volonté de favoriser la pêche sportive
avait pu procéder, dans la plus parfaite bonne foi,
de ce que la pêche sportive est reconnue comme
étant [TRADUCTION] «un atout économique
majeur, un élément essentiel et indispensable des
industries récréatives et touristiques nationales du
Canada» (communiqué du ministère des Pêches et
Océans, 1984, page 105 du Dossier d'appel).
Néanmoins, une telle préoccupation ne devrait pas
fonder une décision des autorités fédérales relati-
vement à des périodes d'ouverture et de fermeture
de la pêche.
Le juge des requêtes accepta ce point de vue.
Dans ses motifs de jugement, après avoir confirmé
les faits allégués par les pêcheurs à la cuiller et
admis leur argument voulant que les pouvoirs du
ministre fédéral des Pêches ainsi que du Parlement
ayant trait aux «pêcheries des côtes de la mer et de
l'intérieur» soient limités aux questions de protec
tion et de conservation des ressources, il résuma
comme suit l'essentiel de sa pensée [aux pages 407
et 408]:
Il ressort de la preuve qui m'a été présentée que les modifica
tions apportées le 16 avril aux périodes de fermeture totale
étaient fondées sur deux motifs: la nécessité d'assurer la conser
vation et l'intention de favoriser les pêcheurs sportifs qui utili-
sent les ressources. Le motif de la conservation constituait une
«ultime pénalité» au détriment de la pêche à la traîne commer-
ciale dans le secteur intérieur. La préférence discriminatoire
visait la pêche sportive. Les intimés savaient que la réduction
des prises et de la saison de pêche des bateaux de pêche à la
traîne permettrait à environ 30 000 saumons quinnats de
s'échapper à des fins de protection et de conservation mais que,
en même temps, elle livrerait environ 60 000 saumons quinnats
à la pêche sportive.
Les décisions que les intimés ont prises le 16 avril s'inspirent,
à mon avis, de deux motifs disparates et dominants: la conser
vation et les attributions en matière de gestion socio-économi-
que.
Le second objectif outrepasse, à mon avis, les pouvoirs
constitutionnels permis. Les deux considérations sont inextrica-
blement liées. Dans ces circonstances, la Cour ne peut trancher.
Les décisions doivent être annulées.
Comme s'emploie à l'expliquer le juge par la suite,
il s'agissait clairement d'un cas où des ordonnances
administratives avaient été motivées par des consi-
dérations non pertinentes: de telles ordonnances ne
pouvaient demeurer en vigueur et devaient être
annulées.
J'ai, dans mes remarques introductives, fait état
de la difficulté de définir la véritable question que
cet appel pose à la Cour. La substance de la
décision mise en cause et le contexte dans lequel
cette décision a été rendue étant maintenant
connus, il faut faire face à ce problème prélimi-
paire de première importance. La difficulté vient
de deux circonstances spéciales affectant la cause.
La première est simple. Le juge de première ins
tance a pris soin de ne pas prononcer son ordon-
nance avant le ler septembre 1984, un moment
où l'effet des avis publics contestés avait pris fin.
S'il a choisi de procéder de cette façon, c'est,
évidemment, pour le bénéfice des pêcheurs à la
cuiller, et parce qu'en annulant les avis, il rendait
exécutoire dans son ensemble le Règlement perma
nent prohibant entièrement la pêche à la cuiller.
Son ordonnance, aussi significative qu'elle ait pu
être, n'en avait pas moins aucun effet pratique, et
ce fait ne peut être simplement négligé.
La seconde circonstance particulière pouvant
influer sur la définition de la question à trancher
est la décision de la Cour d'accorder aux parties
l'autorisation de lui soumettre la déclaration con-
jointe suivante, qui concerne un «projet de loi»
[Projet de loi C-32, maintenant S.C. 1985, chap.
31, sanctionnée le 28 juin 1985] déposé devant le
Parlement le 6 mars 1985:
[TRADUCTION] La décision de déposer devant la Chambre des
communes le Projet de loi C-32 visant à modifier la Loi sur les
pêcheries, dont une version passablement modifiée figure à
présent au chapitre 31 S.C. 33-34 Elizabeth II, a été précipitée
par le jugement rendu par le juge Collier relativement à la
demande présentée par la Gulf Trollers Association en vertu de
l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, jugement à l'encontre
duquel le présent appel a été formé, ainsi que par la décision du
juge Collier relativement à la demande d'injonction interlocu-
toire présentée par la Fishing Vessel Owners Association of
B.C.
Le projet de loi C-32 a été déposé devant la Chambre des
communes pour plusieurs motifs, notamment:
(1) Pour rendre explicites les objectifs que les responsables des
pêches considéraient comme implicites au pouvoir fédéral
de légiférer relativement aux «pêcheries des côtes de la mer
et de l'intérieur» prévu dans la Loi constitutionnelle de
1867, ainsi qu'au pouvoir conféré en vertu de l'article 34
de la Loi sur les pêcheries au gouverneur en conseil
d'édicter entre autres des règlements:
a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des
pêches côtières et des pêches de l'intérieur; et
b) concernant la conservation et la protection du poisson;
savoir, les fins énoncées à l'article 2.1 dudit projet de loi C-32,
qui est ainsi libellé:
OBJET
2.1 La présente loi a pour objet d'assurer
a) la conservation et la protection du poisson et des eaux
où il vit;
b) une gestion, une répartition et un contrôle adéquats des
pêches côtières du Canada;
c) la permanence des stocks de poisson, et sous réserve de
l'alinéa a), en tenant compte des intérêts des groupes
exploitants et après consultation, le maintien et le dévelop-
pement des avantages économiques et sociaux qui provien-
nent de l'exploitation de ces stocks au profit des pêcheurs
et de ceux qui œuvrent dans l'industrie des pêches côtières
canadiennes, au profit des autres personnes dont la subsis-
tance dépend en tout ou en partie de ces pêches de même
qu'au profit de l'ensemble du peuple canadien; et
d) une gestion et un contrôle adéquats des pêches intérieu-
res du Canada de même que, sous réserve des compétences
constitutionnelles des provinces, la répartition de ces
pêches.
À la suite des modifications apportées à ce projet de loi au
cours du processus ayant mené à son adoption, les nouvelles
dispositions de la Loi sur les pêcheries devant contribuer à la
réalisation de ces objectifs deviendront caduques le let janvier
1987 moins d'être elles-mêmes remplacées.
Dans quelle situation tout cela place-t-il la
Cour? Quelle question est-elle appelée à trancher?
Il est évident que la simple confirmation ou annu-
lation d'une ordonnance judiciaire dénuée de tout
intérêt pratique au moment où elle a été rendue ne
servirait aucune fin utile. Les parties ne peuvent
s'intéresser qu'aux motifs pouvant conduire à la
conclusion, le cas échéant. Cependant, si la Cour
convenait que les avis constituaient des décisions
administratives, comme l'a pensé le juge de pre-
mière instance, sans protestation de la part des
avocats, et qu'elle formait ensuite l'opinion, soute-
nue initialement par l'intimée, que les fonctionnai-
res des pêcheries n'étaient autorisés ni par le
Règlement ni par la Loi telle qu'elle existait alors
à se fonder, comme ils l'ont fait, sur des considéra-
tions socio-économiques, la décision, là encore,
étant donné les modifications apportées à la Loi,
n'aurait aucune portée pratique. Les parties ont
bien exprimé le souhait que la Cour forme son
opinion en tenant compte de l'intervention du Par-
lement en 1985, mais il ne serait pas approprié que
cette Cour se prononce sur la validité de disposi
tions législatives n'ayant aucune portée directe sur
le litige.
Pendant quelque temps, j'ai douté sérieusement
qu'il fût nécessaire ou, à tout le moins, opportun
que la Cour jugeât la présente affaire. Tant qu'elle
ne portait ostensiblement que sur la validité de
certains actes administratifs posés par des fonc-
tionnaires publics, son examen semblait ou bien
sans conséquence, les ordonnances visées étant
devenues caduques, ou bien inutile, une nouvelle
loi étant entrée en vigueur. Mais la cause m'appa-
raît à présent sous un tout autre jour et je suis
d'avis qu'elle soulève une question constitution-
nelle qui doit sans doute être tranchée. En effet,
j'en suis venu à la conclusion que les avis publics
attaqués n'avaient pas été élaborés dans l'exercice
d'une fonction administrative mais dans celui
d'une fonction réglementaire. Nous sommes en
présence d'actes législatifs, c'est-à-dire d'actes
ayant pour effet de créer et de promulguer une
règle de conduite générale, sans référence à des cas
particuliers. La publication d'avis annuels par les
fonctionnaires des pêcheries s'inscrit dans le pro-
cessus pour établir des périodes d'ouverture et de
fermeture de la pêche adopté par le Parlement
dans l'exercice de sa compétence sur les pêcheries
des côtes de la mer et de l'intérieur. (Voir, au sujet
de la distinction entre les fonctions administratives
et législatives: de Smith's Judicial Review of
Administrative Action (4th ed. 1980, J.M. Evans
ed.), aux pages 71 et suivantes; H. W. R. Wade,
Administrative Law (4th ed. 1977), aux pages 695
et suivantes; R. Reid et H. David, Administrative
Law and Practice (2nd ed. 1978), aux pages 142 et
143.) Il est clair que la prétention des pêcheurs à
la cuiller n'a de sens que si les avis ne sont pas
considérés de façon isolée mais comme formant
partie intégrante d'un ensemble englobant tous les
règlements, c'est-à-dire aussi bien ceux qui se rap-
portent à la pêche sportive que ceux qui ont trait à
la pêche commerciale, ainsi que tous les avis de
modification émis par les autorités ministérielles
compétentes. L'établissement de périodes de fer-
meture et d'ouverture de la pêche constitue une
fonction législative que le Parlement a, en vertu de
l'article 34 de la Loi sur les pêcheries, déléguée au
gouverneur en conseil, et, par l'intermédiaire de ce
dernier, aux fonctionnaires des pêcheries. Si l'on
applique l'analyse qui précède aux circonstances
de l'espèce—et en ce qui a trait à ces circons-
tances, je souscris aux conclusions de fait du juge
de première instance et, en particulier, à la conclu
sion que les décisions du Ministère n'ont pas pro-
cédé uniquement d'une intention certaine de con
servation mais aussi d'un objectif de nature
socio-économique, savoir celui de favoriser la
pêche sportive dans l'attribution des ressources
limitées qui étaient disponibles—la question
devient plus claire. Il est bien connu qu'un pouvoir
délégué ne s'étend pas au-delà des limites soit
fixées expressément par l'autorité déléguante, soit
inhérentes au pouvoir délégué. Comme ni la Loi
sur les pêcheries, ni les Règlements ne limitent
expressément les objectifs que peuvent avoir les
fonctionnaires des pêcheries dans l'exercice de
leurs pouvoirs délégués, il faut se demander si le
pouvoir ainsi délégué comportait en lui-même des
limites à cet égard. La question qu'il faut trancher
est donc celle de savoir si le Parlement, dans
l'exercice de la compétence législative que lui con-
fère le paragraphe 91(12) de la Loi constitution-
nelle de 1867', peut établir des périodes d'ouver-
ture et de fermeture concernant la prise du poisson
non seulement pour des fins de conservation mais
encore dans un but de nature socio-économique.
Qu'il me suffise de dire avec déférence que je ne
vois pas comment il pourrait être répondu par la
négative à la question ainsi posée. L'intimée et
l'intervenante appuient toute leur argumentation
sur des extraits de jugements rendus par la Cour
suprême et le Conseil privé dans des affaires met-
tant en jeu le paragraphe 91(12) de la Loi consti-
tutionnelle de 1867. Elles soutiennent que dans
l'arrêt de principe et tout premier arrêt relatif à
cette question, celui rendu dans l'affaire The
Queen v. Robertson (1882), 6 Can. R.C.S. 52, le
pouvoir conféré en matière de pêcheries a été
défini comme étant celui de [TRADUCTION] «régle-
menter, protéger et conserver les pêcheries» et que,
dans de nombreux jugements subséquents, les
termes [TRADUCTION] «réglementation, protection
et conservation» ont été repris pour bien faire
ressortir les éléments essentiels de la compétence
visée par les termes «pêcheries des côtes de la mer
et de l'intérieur». Il faut toutefois noter que toutes
ces affaires portaient, de façon immédiate, sur des
allégations d'intrusion du gouvernement central
dans des sphères de compétence législative relevant
des législatures provinciales, en particulier dans la
sphère relative au pouvoir de légiférer en matière
de propriété et de droits civils, ce qui, comme on le
sait, a conduit principalement à la reconnaissance
d'une distinction entre la législation relative aux
pêcheries et la législation concernant les droits de
propriété sur les pêcheries (voir, en particulier:
Attorney General for the Dominion of Canada v.
Attorneys General for the Provinces of Ontario,
Quebec and Nova Scotia, [1898] A.C. 700 (P.C.);
Attorney General for British Columbia v. Attor-
Je prendrai désormais la liberté de ne faire référence qu'à
l'article 91 ou à l'article 92.
ney General for Canada, [1914] A.C. 153 (P.C.);
Attorney General for Canada v. Attorney General
for Quebec, [1921] 1 A.C. 413 (P.C.) et Attorney
General for Canada v. Attorney General for Bri-
tish Columbia, [1930] A.C. 111 (P.C.)). Dans
aucune de ces affaires n'a été soulevée la question
de savoir si le Parlement pouvait, dans l'exercice
de sa compétence sur les pêcheries, poursuivre des
objectifs de nature socio-économique. Tels que je
les comprends, les propos tenus par les juges qui
ont tranché ces affaires en vue de qualifier et de
mieux définir le pouvoir fédéral, ne visaient pas à
affirmer que la compétence du Parlement se limi-
tait aux mesures législatives nécessaires à la con
servation et à la protection des pêcheries, à l'exclu-
sion de tout autre objectif.
En fait, il ne m'est jamais apparu que la distri
bution des pouvoirs législatifs entre le Parlement
central et les législatures provinciales prévue aux
articles 91 et 92 ait été élaborée en considération
des motifs pour lesquels ces pouvoirs pourraient
être exercés. Cette distribution est établie à partir
de catégories de sujets (la déclaration figurant
dans le paragraphe introductif de l'article 91 ne
donne lieu à aucune équivoque: «il est par les
présentes déclaré que . l'autorité législative
exclusive du Parlement du Canada s'étend à toutes
les matières tombant dans les catégories de sujets
énumérés ci-dessous») et chaque catégorie de
sujets se trouve définie en fonction de personnes,
choses ou activités particulières. La distribution ne
vise pas des intérêts ou des préoccupations mais
des pouvoirs législatifs, et l'expression [TRADUC-
TION] «motif constitutionnel fédéral valide» ne
m'apparaît receler aucun sens juridique immédiat.
Une loi ne peut, selon moi, être attaquée devant
les tribunaux pour des motifs ayant trait à la
répartition des pouvoirs que si ses dispositions
visent une catégorie de sujets non attribuée à
l'autorité législative qui l'a édictée. La difficulté,
on le sait bien, tient au fait qu'une loi peut [TRA-
DUCTION] «renfermer des dispositions» concernant
plus d'une catégorie de sujets, c'est-à-dire pouvant
toucher le régime juridique applicable à des per-
sonnes, à des choses ou à des activités relevant de
plus d'une des catégories de sujets énumérés. Il en
est ainsi non seulement parce que les catégories
prévues aux articles 91 et 92 ne sont pas mutuelle-
ment exclusives; mais aussi, et peut-être encore
davantage, parce que les effets d'un texte législatif
sont souvent divers et complexes, certains pouvant
être directs d'autres, indirects, certains étant
immédiats d'autres plus éloignés, certains étant
ouvertement recherchés, d'autres n'étant pas divul-
gués, certains ressortant à l'évidence, d'autres
n'étant pas immédiatement perceptibles. Afin de
relier un texte législatif particulier à une seule des
diverses catégories de sujets directement ou indi-
rectement visés par ses dispositions, et, ainsi, de
déterminer l'autorité habilitée à l'édicter, les tribu-
naux ont été conduits à comparer et à apprécier
l'importance relative des divers effets du texte
législatif contesté, et ils l'ont fait parfois en se
référant à ce qui leur apparaissait avoir été l' [TRA-
DUCTION] «objet» pour lequel le texte avait été
adopté. L'«objet» dont il s'agit est celui qui est
celui du texte législatif en question et il n'est
considéré qu'aux fins de définir ce qui a été appelé
[TRADUCTION] «son essence et sa substance»,
c'est-à-dire sa signification véritable, son effet
majeur ou, à tout le moins, l'effet que lui assi-
gnaient ceux qui l'ont adopté. Cependant, selon
moi, un texte législatif qui ne peut relever que
d'une seule catégorie de sujets ou d'un seul
domaine de compétence ne peut faire l'objet d'une
contestation fondée sur les objectifs, les motifs ou
l'objet qui ont conduit à son adoption. (Ces ques
tions sont discutées de façon particulièrement inté-
ressante par W. R. Lederman dans «Classification
of Laws and the British North American Act»,
Legal Essays in Honour of Arthur Moxon, (J.
Corry, F. Cronkite & E. Whitmore eds. 1953), à
la page 183, ainsi que par B. L. Strayer dans The
Canadian Constitution and the Courts (2d. ed.
1983), aux pages 213 et suivantes.)
Que ce soit là la situation qui existe ici est clair.
On ne fait pas référence à l'objet de la Loi, dans le
but de creuser sous les apparences pour découvrir
son effet véritable et les catégories constitutionnel-
les dont elle relève. Je ne crois pas que l'on puisse
soutenir sérieusement que la réglementation pré-
voyant des périodes d'ouverture et de fermeture de
la pêche du saumon quinnat relève d'une catégorie
de sujets autre que celle des pêcheries. La pro-
priété et les droits civils ont été mentionnés, mais
je ne vois pas de quelle manière l'établissement de
restrictions relatives aux saisons de pêche règle-
mente un droit de propriété ou un autre droit civil
(et si, comme l'a suggéré un des avocats, il faut
supposer que chaque citoyen possède un quelcon-
que droit de pêcher, pour des fins commerciales ou
pour d'autres fins, dans les eaux publiques, ce droit
ne tombe certes pas dans le champ d'application
du paragraphe 92(13)); et on n'a pas prétendu
qu'il avait pu y avoir atteinte à quelque autre
domaine de compétence provinciale. Bien sûr, ce à
quoi on s'oppose c'est la poursuite d'objectifs rela-
tifs à l'attribution des ressources dans la gestion
des pêcheries; mais, une telle attribution, même
envisagée indépendamment de toute idée de con
servation, n'empiète sur aucun pouvoir provincial.
La compétence conférée au Parlement en vertu
du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle
de 1867 ne fait, selon mon interprétation, l'objet
d'aucune restriction qui lui fixe la poursuite de
certains objectifs particuliers à l'exclusion des
autres. Le Parlement peut tenir compte de considé-
rations sociales, économiques ou autres dans la
gestion des pêcheries soit en les associant à ses
mesures visant la conservation, la protection et
l'exploitation des ressources, soit simplement en les
alliant à la poursuite d'objectifs et à la mise en
application de politiques de nature sociale, cultu-
relle ou économique. En fait, selon mon opinion, à
moins que et jusqu'à ce que la partie qui attaque
un texte législatif en s'appuyant sur la répartition
des compétences fasse état d'une atteinte possible
à une compétence législative expressément attri-
buée à un autre niveau de gouvernement, l'objet
visé lors de l'adoption du texte ne peut aucunement
intéresser les tribunaux.
Je dois donc exprimer, avec déférence, mon
désaccord avec l'opinion du juge des requêtes. Je
ne crois pas que les avis publics des fonctionnaires
des pêcheries puissent être déclarés illégaux au
motif qu'ils s'inscrivaient dans un cadre législatif
ayant pour objet non seulement la conservation
mais encore l'attribution des ressources en fonction
de facteurs sociaux et économiques. L'ordonnance
annulant ces avis pour motif d'inconstitutionnalité
doit, à mon point de vue, être infirmée. J'accueille-
rais l'appel, j'annulerais l'ordonnance de la Divi
sion de première instance et je rejetterais la
demande. Rien ne m'apparaît s'opposer à l'adjudi-
cation aux appelants de leurs dépens devant cette
Cour et devant la Division de première instance.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs.
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