A-914-85
Amway of Canada Limited/Amway du Canada
Ltée (appelante) (défenderesse)
c.
La Reine (intimée) (demanderesse)
RÉPERTORIÉ: CANADA C. AMWAY OF CANADA LTD.
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone—
Montréal, 1, 2, 3, 4 décembre; Ottawa, 18 décem-
bre 1986.
Douanes et accise — Loi sur les douanes — Un défendeur
accusé d'une infraction prévue à la Loi sur les douanes peut
être contraint à la production de documents — Le privilège
contre l'auto-incrimination ne s'étend pas à la production de
documents — Le droit à la non-production de documents dans
les actions pénales a été aboli par l'art. 170 de la Loi —
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 2(2),
448, 453, 455(2) — Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap.
C-40, art. 18, 170, 180, 192(1)b),c),(2) — Acte des douanes
modifié, 1888, 51 Vict., chap. 14 — Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 11c) — Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 52(1).
Pratique — Communication de documents et interrogatoire
préalable — Production de documents — L'obligation pour un
défendeur accusé en vertu de la Loi sur les douanes de
produire des documents ne porte pas atteinte au privilège
contre l'auto-incrimination — Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663, Règles 2(2), 448, 453, 455(2) — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 52b) —
Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 18, 170,
180, 192(1)b),c),(2) — Acte des douanes modifié, 1888, 51
Vict., chap. 14.
L'action, fondée sur la Loi sur les douanes, recherche l'impo-
sition d'une peine contre l'appelante en alléguant que celle-ci
aurait tenté d'éviter le paiement des droits de douanes relatifs à
des marchandises importées au Canada. Appel est interjeté de
l'ordonnance interlocutoire de la Division de première instance
ordonnant à l'appelante de produire certains documents.
Arrêt: l'appel concernant la question principale devrait être
rejeté.
Le juge Mahoney: L'action est une action pénale dans
laquelle l'appelante est une personne accusée d'infraction. L'ap-
pelante, même si elle ne peut être contrainte à témoigner, peut
être contrainte à la production de documents. La production de
documents ne peut être considérée comme semblable au fait de
rendre témoignage. Les documents parlent par eux-mêmes. Le
principe contre l'auto-incrimination ne s'étend pas à la produc
tion de documents, et la Charte n'y change rien.
Le juge Stone: La présente action recherche l'imposition
d'une peine pour une infraction. Normalement, dans de telles
circonstances, une partie défenderesse ne peut être contrainte à
la production de documents. Toutefois, l'article 170 de la Loi
sur les douanes a mis fin à ce privilège. Bien que la Loi n'ait
pas expressément aboli ce droit issu de la common law, l'obliga-
tion de produire les documents a été énoncée en des termes très
larges, qui ne laissent place à aucune réserve.
L'alinéa 11c) de la Charte ne s'applique pas à la production
de documents. Il a pour objet de protéger un inculpé en lui
évitant d'être contraint de «témoigner contre lui-même» dans
toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui
reproche.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Marcoux et autre c. La Reine, [ 1976] 1 R.C.S. 763;
Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F. 608 (C.A.); Burton v.
Young (1867), 17 L. C. Rep. 379 (Sup. Ct.); Hunnings v.
Williamson (1883), 10 Q.B.D. 459; Mexborough (Earl
of) v. Whitwood Urban District Council, [1897] 2 Q.B.
111 (C.A.); Martin v. Treacher (1886), 16 Q.B.D. 507
(C.A.); Pickerel River Improvement Company v. Moore
et al. (1896), 17 P.R. 287 (Ont.); Rose v. Croden (1902),
3 O.L.R. 383 (Div. Ct.); The King v. The Associated
Northern Collieries and Others (1910), 11 C.L.R. 738
(H.C. of Adm. Austr.); Colne Valley Water Company v.
Watford Gas and St. Albans Gas Company, [1948] 1 All
E.R. 104 (C.A.); Pyneboard Pty Ltd. v. Trade Practices
Commission and Another (1983), 45 A.L.R. 609 (H.C.
of Adm. Austr.); Trade Practices Commission v. TNT
Management Pty Ltd. and Others (1984), 53 A.L.R. 213
(F.C. of A.); Triplex Glass Company, Limited v. Lance-
gaye Safety Glass (1934), Limited, [1939] 2 K.B. 395
(C.A.); Blunt v. Park Lane Hotel, Limited et al., [1942]
2 K.B. 253 (C.A.),
AVOCATS:
Guy Du Pont et Marc Noël pour l'appelante
(défenderesse).
Edward R. Sojonky, c.r. et Michael F. Cia-
vaglia pour l'intimée (demanderesse).
PROCUREURS:
Verchère, Noël et Eddy, Montréal, pour l'ap-
pelante (défenderesse).
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Il est interjeté appel d'une
ordonnance interlocutoire [[1986] 2 C.F. 312 (]re
inst.)] par la seconde des deux parties défenderes-
ses à l'action décrite dans les motifs concourants
de jugement que j'ai prononcés dans l'appel
numéro A-365-86 [[1987] 2 C.F. 131], interjeté
par la première de ces défenderesses. Pour les
motifs prononcés dans le cadre de cet appel, j'ac-
cepte la proposition voulant que l'action soit une
action pénale et que, dans cette action, l'appelante
soit un inculpé ou une personne accusée d'infrac-
tion. L'ordonnance portée en appel est la suivante:
LA COUR ORDONNE QUE la défenderesse Amway of Canada
Limited produise, aux fins de la présente action, les documents
énumérés à l'Annexe I, Partie 11, Partie B, de la liste de
documents qu'elle a déposée le 12 août 1985.
L'appelante présente à l'encontre de l'ordon-
nance une objection irréfragable. Les documents
énumérés à l'Annexe I, Partie II, Partie B, sont des
documents à la production desquels l'appelante
s'est opposée en alléguant qu'elle porterait atteinte
à son droit de ne point s'auto-incriminer. Cette
objection a été rejetée. L'appelante a par ailleurs
invoqué avec succès à l'égard de plusieurs de ces
documents le privilège du secret professionnel de
l'avocat. L'ordonnance devrait donc être modifiée
de façon à radier de la liste des documents à
produire ceux faisant l'objet du privilège du secret
professionnel de l'avocat.
Une seconde objection confine à la futilité. L'ap-
pelante s'oppose à la présence de l'expression «aux
fins de la présente action> dans l'ordonnance. La
Règle 455(2) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663] parle de «la production et l'examen» des
documents et de la possibilité «qu'il en soit pris
copie». Je veux bien croire que le rédacteur de
l'avis de requête, dont l'ordonnance a adopté la
terminologie, n'était animé par aucune mauvaise
intention; toutefois, cette objection ayant été soule-
vée, il convient de modifier cette ordonnance en
radiant les termes incriminés et en les remplaçant
par «pour examen et pour qu'il en soit pris copie au
bureau de l'avocat de l'appelante, à Montréal».
L'appelante fait valoir comme argument princi
pal qu'en sa qualité de personne accusée d'infrac-
tion, elle ne peut être contrainte de rendre témoi-
gnage et, en conséquence, elle ne peut être
contrainte à la production des documents visés. La
fausseté de cet argument tient au fait qu'une
partie ne rend pas témoignage en se conformant à
une prescription visant la production de docu
ments. La valeur probante de ces documents, le cas
échéant, leur est inhérente: ils parlent par eux-
mêmes. La possibilité que ces documents consti
tuent une preuve défavorable à la personne tenue
de les produire ne dépend aucunement de ce que
cette personne a à dire à leur sujet. Cette dernière,
si elle est accusée d'infraction, ne peut être con-
trainte à en parler d'aucune manière.
L'argument de l'appelante est semblable à celui
qui a été rejeté dans les jugements motivés pronon-
cés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire
Marcoux et autre c. La Reine, [1976] 1 R.C.S.
763 et par cette Cour dans l'affaire Ziegler c.
Hunter, [1984] 2 C.F. 608 (C.A.). Dans la pre-
mière de ces décisions, le juge Dickson (tel était
alors son titre), a résumé à la page 769, le droit
applicable à cette question dans les termes
suivants:
En résumé, le privilège s'applique à l'accusé en tant que témoin
et non pas en tant qu'accusé; il s'applique particulièrement à la
contrainte de témoigner et non pas à la contrainte en général
Dans le second arrêt, à la page 639, le juge
Hugessen a expliqué la raison d'être de cette règle
de droit.
La raison d'être du privilège contre l'auto-incrimination est
d'empêcher que des personnes soient interrogées au cours de
procédures d'enquête et poursuivies ensuite en raison de leurs
réponses. Il constitue la contrepartie logique aux règles relatives
à l'admissibilité des aveux. Le but du privilège n'est certaine-
ment pas d'empêcher que les témoins soient contraints de
produire ce qui, de toute façon, pourrait leur être pris de force.
Un accusé ne peut être contraint de témoigner dans sa propre
cause et, par conséquent, il a le droit d'être protégé contre les
conséquences de son témoignage dans la cause d'une autre
personne; il ne bénéficie pas de protection contre l'usage contre
lui-même des documents ou objets trouvés en sa possession, et il
n'a donc pas le droit de refuser de les produire lorsqu'on le lui
demande.
Bien que les faits visés par ces décisions fussent,
dans un cas comme dans l'autre, antérieurs à
l'entrée en vigueur de la Charte canadienne des
droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], je ne
vois rien dans cette dernière qui appuie le moyen
de l'appelante.
Je modifierais l'ordonnance de la Division de
première instance de la manière prémentionnée
conformément à l'alinéa 52b) de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10],
et je rejetterais l'appel à tous autres égards. Les
deux parties ayant partiellement gain de cause, je
n'adjugerais point de dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Appel est interjeté de la déci-
sion de la Division de première instance en date du
29 novembre 1985 par laquelle le juge Reed a
accueilli la requête de l'intimée enjoignant à l'ap-
pelante de produire quelque trente-trois documents
énumérés à l'Annexe I, Partie II, Partie B de la
liste de documents qu'elle a déposée le 6 août 1985
en vertu de la Règle 448.
Je souscris aux deux propositions du juge Maho-
ney visant la modification de l'ordonnance de la
Division de première instance. En ce qui a trait à
la production des documents visés, l'appelante fait
trois assertions au sujet desquelles je désire me
prononcer. Celles-ci sont les suivantes:
a) Un principe de droit reconnu veut que le
demandeur dans une action recherchant l'imposi-
tion d'une peine pour une infraction n'ait pas le
droit d'exiger du défendeur la communication de
documents;
b) Un autre principe de droit reconnu veut qu'un
défendeur puisse refuser de produire pour fins
d'examen tout document susceptible de le rendre
passible d'une sanction, d'une amende ou d'une
confiscation;
c) Ni l'un ni l'autre de ces principes n'a été aboli
par une loi en vigueur au Canada, et si une loi
prétendait le faire, elle devrait être considérée
comme incompatible avec l'alinéa 11c) de la
Charte canadienne des droits et libertés et, en
conséquence, dénuée de force de loi et sans effet
dans la mesure de cette incompatibilité.
Je discuterai de ces assertions tour à tour.
Le premier principe ne s'applique à l'espèce que
si l'action recherche l'imposition d'une peine pour
une infraction. J'estime que c'est le cas. Cette
action est fondée sur la violation alléguée des
articles 18 et 180 ainsi que des alinéas 192(1)b) et
c) de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap.
C-40. Il ressort à l'évidence des termes «en sus de
tout autre peine dont elle est passible pour une
infraction de cette nature» (c'est moi qui souligne),
qui figurent au paragraphe 192(2)', qu'une peine a
été prévue. L'intimée, en fait, affirme que des
infractions ont été commises et s'appuie sur la loi
pour réclamer l'imposition d'une peine. Celle-ci est
une sanction infligée en raison de la conduite de
l'appelante. Il ne s'agit pas simplement d'un
redressement civil permettant le recouvrement de
quelques droits et taxes de douane impayés. La
sanction peut également être imposée sur déclara-
tion sommaire de culpabilité.
La question qui se pose devient donc celle de
savoir si le privilège juridique invoqué dans la
proposition énoncée sous la cote a) existe toujours,
de façon à priver l'intimée du droit à la communi
cation préalable des documents. Un tel privilège ne
doit pas être confondu avec le privilège contre
l'auto-incrimination issu de la common law qui a
été invoqué et figure plus haut sous la cote b).
Même si ces deux privilèges se trouvent habituelle-
ment réunis sous la rubrique [TRADUCTION]
«auto-incrimination», ils diffèrent essentiellement
et sont d'origines distinctes 2 . Le premier est
reconnu au Canada depuis de nombreuses années
(Burton v. Young (1867), 17 L. C. Rep. 379 (Sup.
Ct.)).
Dans l'affaire Hunnings v. Williamson
(1883), 10 Q.B.D. 459, aux pages 462 464, la
Division du Banc de la Reine a annulé une ordon-
nance d'un protonotaire exigeant la communica
tion préalable de documents de la partie défende-
resse dans une action visant le recouvrement
d'amendes conformément à une loi. Il semble
qu'aient alors existé [TRADUCTION] «deux règles
de droit» ayant fait partie de la common law
anglaise [TRADUCTION] «depuis des temps immé-
moriaux», selon les termes utilisés par lord Esher,
Maître des rôles, dans l'affaire Mexborough (Earl
of) v. Whitwood Urban District Council, [1897] 2
' 192. .. .
(2) En sus de toute autre peine- dont elle est passible pour
une infraction de cette nature, cette personne,
a) doit remettre une somme égale à la valeur de ces mar-
chandises, laquelle somme peut être recouvrée devant tout
tribunal compétent; et
b) sur déclaration sommaire de culpabilité devant deux juges
de paix, est de plus passible d'une amende d'au plus deux
cents dollars et d'au moins cinquante dollars, ou d'un empri-
sonnement d'au plus un an et d'au moins un mois, ou à la fois
de l'amende et de l'emprisonnement.
2 Voir, par exemple, Cross on Evidence, 6th ed., (London:
Butterworths, 1985) aux p. 380 et 381.
Q.B. 111 (C.A.), aux pages 114 et 115. À cette
dernière page, lord Esher décrit ces règles de la
façon suivante:
[TRADUCTION] Suivant la première règle, lorsqu'un indicateur
[common informer] intente une action en vue de faire rentrer
une amende, les procédures judiciaires ne lui seront d'aucune
utilité; je crois qu'une règle semblable a été établie et suivie
depuis le tout début en ce qui a trait aux actions intentées pour
obtenir la déchéance d'un droit foncier. Il ne fait aucun doute
que ce sont des règles de procédure, mais il s'agit de beaucoup
plus que cela: ce sont des règles destinées à protéger les biens
des personnes et à protéger celles-ci contre les indicateurs.
En Angleterre, à une époque plus reculée, les
actions visant le recouvrement d'amendes étaient
parfois intentées par des [TRADUCTION] «indica-
teurs» (common informer). L'indicateur était un
membre du grand public habilité à intenter une
poursuite par la loi imposant l'amende. Il pouvait
soit conserver le montant entier recouvré, soit, si le
recouvrement avait lieu au profit du Souverain,
des pauvres, etc., partager ce montant. Dans ce
dernier cas, il s'agissait d'une action qui tam ou
d'une action à caractère purement pénal'. Les
tribunaux était si méfiants envers l'indicateur
qu'ils refusaient de l'aider dans sa cause. Le défen-
deur n'était point obligé de produire ses documents
ou de se soumettre à des interrogatoires, et pouvait
demeurer muet lors de son procès. Commentant la
décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire
Martin v. Treacher (1886), 16 Q.B.D. 507, qui
avait refusé la communication préalable de docu
ments dans le cadre d'une action visant le recou-
vrement d'une amende, lord Esher, Maître des
rôles, a dit à la page 115 de l'arrêt Mexborough:
[TRADUCTION] Dans cette affaire, il a été décidé qu'il existe
une règle de droit qui soustrait les actions en recouvrement
d'amendes intentées par un indicateur à la procédure applicable
à l'interrogatoire préalable et à la communication de docu
ments. Cette règle ne repose pas sur un fondement reconnu
uniquement en equity mais sur une règle de droit à caractère
général applicable à la fois par les cours de common law et les
cours d'equity. Le principe établi par cette règle est également
applicable à la communication préalable de documents par
affidavit et à l'interrogatoire préalable. Il a été décidé qu'il ne
pouvait être fait appel aux procédures visant l'interrogatoire
préalable et la communication préalable dans le cadre d'une
action intentée par un indicateur.
Voir, de façon générale, 3 Black. Comm. 4th Eng. ed.
(Kerr), à la p. 149. Les indicateurs étaient régis par une loi
adoptée en 1576: «An act to redress disorders in common
informers», 18 Eliz., chap. 5.
La même opinion a été exprimée par lord juge A.
L. Smith à la page 118. Ainsi le principe invoqué
a-t-il été bien établi à la fois en common law et en
equity.
L'action en l'espèce vise l'imposition d'une
amende. De nos jours, le fait qu'elle ne soit pas
intentée par un indicateur ne change rien à la
question. Ce qui importe est la nature de l'ins-
tance. Si celle-ci a pour seul objet le recôuvrement
d'une amende, le défendeur, sauf si une loi le
prescrit, n'est pas tenu à une communication préa-
lable de ses documents (voir, par exemple, Pickerel
River Improvement Company v. Moore et al.
(1896), 17 P.R. 287 (Ont.); Rose v. Croden
(1902), 3 O.L.R. 383 (Div. Ct.), à la page 387;
The King v. The Associated Northern Collieries
and Others (1910), 11 C.L.R. 738 (H.C. of Adm.
Austr.); Colne Valley Water Company v. Watford
Gas and St. Albans Gas Company, [1948] 1 All
E.R. 104 (C.A.) motifs de lord Goddard, juge en
chef, à la page 106; Pyneboard Pty Ltd. v. Trade
Practices Commission and Another (1983), 45
A.L.R. 609 (H.C. of Adm. Austr.), opinion du
juge en chef adjoint Mason ainsi que des juges
Wilson et Dawson, aux pages 613 et 614, opinion
du juge Murphy à la page 621 et opinion du juge
Brennan aux pages 624 et 625; Trade Practices
Commission v. TNT Management Pty Ltd. and
Others (1984), 53 A.L.R. 214 (F.C. of A.), aux
pages 217 et 218).
Quant au principe invoqué dans la proposition
exposée sous la cote b) précitée, il constitue en
somme un aspect de l'ancien privilège contre
l'auto-incrimination issu de la common law (voir,
par exemple, Triplex Glass Company, Limited v.
Lancegaye Safety Glass (1934), Limited, [1939] 2
K.B. 395 (C.A.), opinion de lord juge Du Parcq, à
la page 403; Blunt v. Park Lane Hotel, Limited et
al., [1942] 2 K.B. 253 (C.A.), opinion de lord juge
Goddard, à la page 257). Au Canada, ce privilège
a été amenuisé par le droit écrit. Dans les disposi
tions législatives qui l'énoncent (l'article 5 de la
Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap.
E-10] ainsi que les dispositions législatives provin-
ciales équivalentes), il a une portée moindre que
celle qu'il a déjà eue selon la common law (voir
Marcoux et autre c. La Reine, [ 1976] 1 R.C.S.
763, le juge Dickson [tel était alors son titre], aux
pages 768 et 769; Ziegler c. Hunter, [1984] 2 C.F.
608 (C.A.); voir également Ratushny, Self-Incri
mination in the Canadian Criminal Process
(Toronto: Carswell, 1979) la page 92). Je suis
entièrement d'accord avec le juge Mahoney pour
dire que l'appelante ne peut invoquer ce privilège
pour refuser de produire les documents visés.
J'examinerai donc à présent la question sui-
vante, qui consiste à savoir si le privilège exposé
sous la cote a) a été aboli au Canada. L'article 170
de la Loi sur les douanes est pertinent à cet égard.
Cet article, qui a été ajouté à la Loi en 1888 (51
Vict., chap. 14), est ainsi libellé:
170. Lorsqu'une poursuite est intentée sous le régime de la
présente loi, ou qu'un ordre de la cour est obtenu, tous les
comptes, factures, livres et documents concernant quelque mar-
chandise importée à laquelle se rapporte cette poursuite ou cet
ordre, doivent être produits en cour, ou devant toute personne
que la cour désigne, et s'ils ne sont pas ainsi produits dans le
délai que la cour prescrit, les allégations faites de la part de la
Couronne sont réputées prouvées, et jugement est rendu comme
dans une cause par défaut; mais la présente disposition ne met
pas la personne qui a désobéi à cet ordre à l'abri de toute autre
amende ou punition qu'elle a pu encourir par sa désobéissance à
cet ordre.
L'appelante prétend que cet article offre tout
simplement une solution de rechange permettant
d'obtenir la production de documents dans toute
poursuite intentée par la Couronne en vertu de la
loi, solution dont l'application serait tributaire de
l'obtention par la Couronne d'un ordre de la cour.
L'appelante soutient que vu l'absence d'un tel
ordre en l'espèce, le privilège visé par la proposi
tion a) demeure intact et est invoqué à bon droit.
Je ne puis accepter cette prétention. L'article en
question exige que tous les comptes, factures, livres
et documents concernant quelque marchandise
importée soient produits en cour". Aucun ordre de
la cour n'est nécessaire. Les termes utilisés dans la
loi sont suffisants à cet égard. L'obligation de
produire les documents tient au fait qu'une pour-
suite est intentée. La Cour peut également ordon-
ner la production des documents devant «toute
personne». Cependant, la Couronne n'a le droit
d'obtenir qu'un jugement soit rendu comme dans
une cause par défaut que si elle a au préalable
Cet article prévoit la production de tels documents et ne
traite pas de leur admissibilité en preuve. Les Règles de la Cour
visent «à faire apparaître le droit et en assurer la sanctions
(Règle 2(2)). Il appert que l'examen de quelqu'un des docu
ments ainsi produits pouvait être effectué conformément aux
règles traitant de cette question.
obtenu de la cour un ordre stipulant la production
des documents dans un délai prescrit, et démontré
que la personne concernée ne s'y est pas
conformée.
L'appelante prétend avec raison qu'aucune dis
position de l'article visé n'abolit expressément ce
privilège et que, de façon générale, une loi ne
devra s'interpréter comme retirant un droit issu de
la common law que si l'intention de ce faire ressort
clairement des termes exprès de la loi ou s'impose
par voie d'interprétation nécessaire. L'obligation
de produire les documents est cependant énoncée
en des termes très larges, qui ne laissent place à
aucune réserve. Cet article s'inscrit dans un
ensemble législatif visant l'imposition et la percep
tion des droits et impôts de douane. Vu sa nature
et son objet, il convient d'éviter de lui donner une
interprétation qui en empêcherait l'application
(voir, par exemple, Pyneboard Pty Ltd. v. Trade
Practices Commission and Another, précitée, aux
pages 617 et 618). Je dois donc conclure que cet
article a le pas sur le privilège invoqué et que, en
conséquence, l'appelante ne peut invoquer ce der-
nier dans le cadre de la présente action.
Il me semble que les termes «tous ... documents
concernant quelque marchandise importée» sont
bien assez larges pour comprendre les trente-trois
documents dont il est question en l'espèce. Je ne
puis accepter la prétention de l'appelante selon
laquelle ces termes, en fait, doivent recevoir une
interprétation limitant leur portée aux seuls docu
ments de douane officiels qui sont requis aux fins
de l'importation de marchandises.
Je dois enfin traiter du dernier argument pré-
senté par l'appelante. Celle-ci prétend que l'article
170 est incompatible avec l'alinéa 11 e) de la Char-
tes et que, en conséquence, le paragraphe 52(1) de
la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]
empêche, dans la mesure de cette incompatibilité,
que l'article 170 n'ait force de loi et ne prenne
effet. L'appelante n'invoque la Charte qu'en
5 11. Tout inculpé a le droit:
c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même
dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction
qu'on lui reproche;
regard de ce seul contexte. Avec déférence, je ne
puis déceler aucune incompatibilité. L'alinéa 1 lc)
de la Charte a pour objet de protéger un inculpé en
lui évitant d'être contraint de «témoigner contre
lui-même» dans toute poursuite intentée contre lui
pour l'infraction qu'on lui reproche. Cet alinéa ne
s'applique pas à la production de documents, y
compris ceux dont la liste doit être établie confor-
mément à la Règle 448 et ceux qui doivent être
produits pour examen conformément à la Règle
453.
Je déciderais du présent appel ainsi que le pro
pose le juge Mahoney.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.