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T-2068-86
Crestpark Realty (requérante) c.
Directeur général, Aides et voies navigables, pour le compte du ministre des Transports (intimé)
RÉPERTORIÉ: CRESTPARK REALTY c. CANADA (DIRECTEUR GÉNÉRAL, AIDES ET VOIES NAVIGABLES)
Division de première instance, juge Collier—Hali- fax, 16 et 17 octobre 1986.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Demande d'annulation de la décision qui a approuvé la cons truction d'un pont et d'une chaussée La Loi ne prévoit pas de procédures en matière d'opposition Le ministre demande des oppositions écrites Les oppositions de la requérante ont été rejetées la veille de l'autorisation officielle La requé- rante n'a pas eu l'occasion de répondre par écrit au rejet de ses oppositions par l'intimé Violation de l'obligation d'équité Demande accueillie Loi sur la protection des eaux navigables, S.R.C. 1970, chap. N-19, art. 5(1)a), 8(1),(3) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2` Supp.), chap. 10, art. 18.
La présente requête vise à obtenir un certiorari en vue de faire annuler la décision de l'intimé approuvant la construction d'un pont et d'une chaussée dans le comté de Halifax (Nou- velle-Ecosse). La Loi sur la protection des eaux navigables en vertu de laquelle l'approbation a été accordée ne dit pas comment procéder pour inviter les oppositions à un projet qui pourrait avoir un effet sur les eaux navigables. En l'espèce, le ministre a engagé une procédure en ordonnant que l'avis de demande qui devait être publié dans la Gazette du Canada aux termes de l'article 8 de la Loi, contienne une déclaration précisant à quelles personnes les oppositions pouvaient être envoyées.
La requérante a écrit à l'intimé en soulignant ses oppositions et en demandant d'être entendue. L'intimé a répondu environ deux mois plus tard indiquant qu'on ne donnerait pas suite aux oppositions. La lettre était datée de la veille du jour ou la décision accordant l'autorisation officielle a été rendue. La requérante a protesté. Le directeur général a offert d'organiser une réunion avec un fonctionnaire du Ministère pour discuter des questions mais qu'il n'était pas question de modifier la décision.
Jugement: la demande est accueillie.
L'argument de l'intimé, selon lequel tout ce qui était néces- saire était de tenir compte des oppositions et de les examiner ne peut être accepté.
Un tribunal administratif, comme le ministre, par l'entremise de son directeur général, peut prévoir sa propre procédure: Hoffman -La Roche Ltd. v. Delmar Chemical Ltd. Toutefois, cet arrêt doit être examiné avec précaution car il a été rendu avant l'arrêt de la Cour suprême Nicholson, qui constitue maintenant la pierre angulaire du droit administratif canadien moderne. L'arrêt Nicholson prévoit que les plaintes adressées à l'organisme chargé de l'enquête doivent être examinées et que
le plaignant doit avoir l'occasion de réfuter les arguments qu'on lui oppose. On peut, dans certains cas, satisfaire à l'exigence d'équité par correspondance.
La question ultime à laquelle il faut répondre a été énoncée par le juge Dickson (plus tard juge en chef) dans Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (N° 2): «Compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée?» En l'espèce, il convient de répondre à cette question par la négative. L'intimé a demandé qu'on fasse valoir des opposi- tions et en a reçu. Bien qu'une audition n'ait pas été nécessaire, on aurait permettre de répondre par écrit à la réponse du directeur général rejetant les oppositions. Le défaut d'accorder l'occasion de répondre constitue une violation de l'équité.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (N° 2), [1980] 1 R.C.S. 602; (1980), 30 N.R. 119.
DÉCISIONS CITÉES:
Hoffman -La Roche Ltd. v. Delmar Chemical Ltd., [1965] R.C.S. 575; Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Selvarajan v Race Relations Board (1976), 1 All ER 13 (C.A.).
AVOCATS:
Jean Beeler pour la requérante. M. Donovan pour l'intimé.
PROCUREURS:
Weldon, Beeler & Mont, Dartmouth, Nou- velle-Écosse, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance prononcés à l'audience par
LE JUGE COLLIER: La présente requête vise à obtenir par voie de certiorari un contrôle judiciaire en vue de faire annuler la décision de l'intimé prise le 3 janvier 1986. Cette décision a approuvé la demande d'un nommé Ronald Morash en vue de construire un pont et une chaussée à un certain endroit à St. Margaret's Bay, comté de Halifax (Nouvelle-Écosse). L'approbation a été accordée aux termes de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur la protection des eaux navigables, S.R.C. 1970, chap. N-19.
Morash a commencé la construction de son projet de chaussée en septembre 1985. Quelqu'un s'est plaint du fait qu'il a agi sans l'autorisation légale nécessaire. Il a alors officiellement présenté une demande le 16 septembre 1985 afin d'obtenir l'approbation nécessaire. Les fonctionnaires du Ministère chargés de cette affaire ont mené leur enquête. Le 18 septembre 1985 ils ont recom- mandé à leurs supérieurs d'approuver la demande.
Le 25 septembre 1985, Morash a été avisé qu'il était tenu de déposer les plans de la structure au bureau d'enregistrement local et de publier un avis dans la Gazette du Canada et dans la section des avis juridiques de deux journaux.
Les paragraphes 8(1) et 8(3) de la Loi prévoient ces exigences. La Loi ne dit pas comment procéder pour inviter les parties intéressées à présenter leurs objections ni comment traiter ces oppositions.
En l'espèce, le ministre par ses fonctionnaires, a apparemment ordonné que l'avis de demande qui devait être publié, contienne le paragraphe suivant:
[TRADUCTION] Les oppositions écrites fondées sur l'effet de l'ouvrage sur la navigation maritime peuvent être envoyées au directeur général, Aides et voies navigables, Garde côtière canadienne, ministère des Transports, Ottawa (Ontario).
L'avis a été publié dans des journaux locaux au cours de la première semaine d'octobre 1985.
La requérante possède des biens à St. Marga- ret's Bay.
Le 25 octobre 1985, par l'entremise de son avocat, la requérante a écrit au directeur général en soulignant certaines oppositions précises au projet de pont et de chaussée. Certaines de ces oppositions se rapportaient à des questions de navi gation maritime. D'autres se rapportaient à des questions d'environnement et d'écologie. Copies des lettres ont été envoyées à divers ministères du gouvernement, y compris ceux de l'Environnement et des Pêches. Une copie a été envoyée à Tom Bradley. Il était un fonctionnaire chargé aux termes de la Loi sur la protection des eaux navi- gables de mener une enquête sur le projet de structure.
Dans la lettre du 25 octobre, la requérante demande une prorogation de délai.
[TRADUCTION] ... à cette instance, de manière que toutes les personnes intéressées puissent avoir l'occasion de présenter un avis d'opposition et aient l'occasion de se faire entendre.
Voici la conclusion de la lettre:
[TRADUCTION] Je demande également d'être avisée de l'heure, de la date et du lieu de l'audition de cette question et de la manière dont elle sera instruite.»
Quatre autres lettres ont été reçues, exprimant leur opposition à la chaussée.
Il n'y a même pas eu d'accusé de réception des oppositions et des demandes de la requérante. Un silence glacé complet a été maintenu jusqu'à ce que le directeur général écrive aux avocats de la requérante le 2 janvier 1986. On y mentionnait la lettre de l'avocat du 25 octobre 1985. Le directeur général a indiqué qu'on ne donnerait pas suite aux oppositions, savoir de refuser l'autorisation aux termes de la loi.
La lettre était datée de la veille du jour la décision accordant l'autorisation officielle a été rendue. Les avocats de la requérante n'ont pas reçu la lettre avant le 9 janvier 1986.
Les avocats ont fait parvenir une réponse le 28 janvier 1986. Ils ont protesté contre la décision, particulièrement parce qu'il n'y avait pas eu d'audition.
Cette fois le directeur général a répondu rapide- ment, le 6 février 1986. Voici le texte intégral de la lettre:
[TRADUCTION] Monsieur: Construction d'une chaussée—Mos- her's Back Cove, Burnt Island (N. -E.).
Je renvoie à votre lettre du 28 janvier 1986 concernant la question mentionnée ci-dessus. Bien que la Loi sur la protection des eaux navigables ne prévoie pas d'»auditions» en ce qui a trait aux projets de travaux de construction dans les eaux navigables, vous pouvez communiquer avec les fonctionnaires de la Garde côtière de notre bureau régional de Dartmouth pour discuter des questions qui ont des conséquences sur le droit du public à la navigation. À cet égard, nous avons demandé à M. Tom Bradley de notre bureau de Dartmouth de communiquer directement avec vous pour convenir d'une date et d'une heure qui vous conviendrait.
Veuillez agréer, monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
La preuve révèle que M. Bradley a essayé d'or- ganiser une réunion avec l'avocat de la requérante. Celle-ci n'a pas eu lieu. Selon les éléments de preuve présentés pour le compte de la requérante, M. Bradley a indiqué qu'il était prêt à discuter de
la question, mais que la décision qui avait été prise ne serait pas modifiée.
On ne m'a présenté aucun élément de preuve en ce qui a trait au sort des quatre autres opposants à la chaussée ou en ce qui a trait à la manière dont leurs protestations ont été réglées.
Les documents présentés pour le compte de l'intimé révèlent que M. Bradley a effectué sa première inspection officielle sur le site le 17 sep- tembre 1985. Il a effectué une autre inspection le 26 novembre 1985. M. Bradley ne dit pas pourquoi il a effectué cette seconde inspection. Il ne dit pas que c'était en raison des oppositions de la requé- rante ou à cause de l'opposition qui avait été exprimée par les autres opposants.
Cela ressort clairement. La requérante n'a pas été mise au courant de ces questions. Après que la requérante eut envoyé sa lettre du 25 octobre 1985, elle ne savait rien jusqu'à ce qu'elle reçoive la lettre du directeur général du 2 janvier 1986 et l'autorisation officielle datée du jour suivant.
Les mesures prises par le Ministère du directeur général ont été soulignées dans l'affidavit de M. Bradley du 10 octobre 1986, il y a une semaine. C'est la première fois que la requérante a été mise au courant.
C'est ainsi que je conclus mon résumé des faits essentiels.
La requérante soutient que, dans les circons- tances de l'espèce, l'intimé n'a pas respecté l'obli- gation d'équité: qu'on aurait accorder un cer tain genre d'audition, ou une occasion de se faire entendre en ce qui a trait aux oppositions présen- tées par la requérante.
L'intimé répond que la loi n'exigeait pas de soi-disant audition. Même si on soulève l'exigence d'équité dans la procédure reconnue par la common law, on dit que les exigences ont été satisfaites; on a tenu compte des oppositions et on les a examinées; dans les circonstances c'était tout ce qui était nécessaire.
Je n'admets pas les arguments de l'intimé.
Il est bien vrai que la loi ne prévoit pas de procédure pour demander s'il y a des oppositions à un projet d'ouvrage qui pourrait avoir des consé- quences sur les eaux navigables. En l'espèce, le
ministre a établi les débuts d'une procédure en exigeant que Morash insère dans son avis publié une déclaration selon laquelle des oppositions écri- tes pourraient être envoyées. Un tribunal adminis- tratif, comme le ministre, par l'entremise du direc- teur général en l'espèce, peut prévoir sa propre procédure. Voir: Hoffman -La Roche Ltd. v. Delmar Chemical Ltd., [1965] R.C.S. 575. Dans cet arrêt, on a jugé que les procédures établies par le commissaire des brevets respectaient suffisam- ment la «justice naturelle».
Toutefois, il convient de souligner qu'il faut utiliser avec précaution l'arrêt Hoffman -La Roche. Il a été entendu longtemps avant le fruc- tueux arrêt canadien Nicholson c. Haldimand- Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311 qui constitue mainte- nant la pierre angulaire du droit administratif canadien moderne et du contrôle judiciaire.
En dehors de la loi, la common law peut recon- naître une obligation d'équité dans les circons- tances d'une affaire en particulier. L'obligation d'équité peut, encore dans une affaire en particu- lier, exiger une audition, dans le sens d'une audi tion orale.
Essentiellement, les plaintes adressées à l'orga- nisme chargé de l'enquête ou de prendre des déci- sions doivent être examinées. Le plaignant doit avoir l'occasion de réfuter les soi-disant arguments qu'on lui oppose—il doit avoir le droit de répondre. Tout le processus peut, dans une affaire en parti- culier, satisfaire à l'exigence d'équité par corres- pondance ou par écrit. Voir l'arrêt Nicholson et Selvarajan y Race Relations Board (1976), 1 All ER 13 (C.A.), mentionné dans Nicholson.
À mon avis, le point central de l'affaire est énoncé par M. le juge Dickson [tel était alors son titre] dans Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (No 2), [1980] 1 R.C.S. 602, aux pages 628 et 629; 30 N.R. 119, la page 149:
... Une décision purement administrative, fondée sur des motifs généraux d'ordre public, n'accordera normalement aucune protection procédurale à l'individu, et une contestation de pareille décision devra se fonder sur un abus de pouvoir discrétionnaire. De même, on ne pourra soumettre à la surveil lance judiciaire les organismes publics qui exercent des fonc- tions de nature législative. D'autre part, une fonction qui se situe à l'extrémité judiciaire du spectre comportera des garan- ties procédurales importantes. Entre les décisions de nature
judiciaire et celles qui sont de nature discrétionnaire et en fonction d'une politique, on trouve une myriade de processus décisionnels comportant un élément d'équité dans la procédure dont l'intensité variera selon sa situation dans le spectre admi- nistratif. C'est ce qui ressort de l'arrêt de cette Cour dans Nicholson. Dans ces cas, un requérant peut obtenir un certio- rari pour faire sanctionner une violation de l'obligation d'agir équitablement dans l'application de la procédure.
Puis, aux pages 630 et 631 R.C.S.; 150 et 151 N.R.:
... A mon avis, il est erroné de considérer la justice naturelle et l'équité comme des normes distinctes et séparées et de chercher à définir le contenu procédural de chacune. Dans Nicholson, le juge en chef a parlé d'une «notion d'équité, moins exigeante que la protection procédurale de la justice naturelle traditionnelle». L'équité ne comporte le respect que de certains principes de justice naturelle. Le professeur de Smith (3» éd. 1973, p. 208) a lucidement exprimé le concept d'une obligation d'agir équitablement.
[TRADUCTION] Cela signifie en général l'obligation de res- pecter les principes élémentaires de justice naturelle à une fin limitée, dans l'exercice de fonctions qui, à l'analyse, ne sont pas judiciaires mais administratives.
Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité applicables aux cas individuels variera selon les circonstances de chaque cas, comme l'a reconnu le lord juge Tucker dans
Russell v. Duke of Norfolk ([1949] 1 All E.R. 109), la p. 118.
8. En conclusion, la simple question à laquelle il faut répon- dre est celle-ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée? Il me semble que c'est la question sous-jacente à laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires concernant la justice naturelle et l'équité.
En l'espèce, je pose cette simple question: compte tenu des faits de ce cas particulier, le directeur général a-t-il agi équitablement à l'égard de la requérante-opposante?
Il convient de répondre par la négative.
Le directeur général a demandé qu'on fasse valoir des oppositions. Il en a reçu une de la requérante. Je présume que les oppositions ont été examinées. Toutefois, aucune réponse n'a été donnée, jusqu'à ce qu'il soit trop tard, rejetant les oppositions. On n'a pas donné à la requérante l'occasion de répondre au rejet de ses oppositions et on ne lui a même pas fait part des motifs du rejet.
Le défaut d'accorder cette occasion constitue, à mon avis, une violation de l'équité, qui vicie suffi- samment la décision concernant l'autorisation pour qu'elle soit annulée.
Je ne dis pas que la requérante aurait obtenir une audition. Il se peut qu'une audition n'ait pas été nécessaire en l'espèce. Toutefois, on aurait au moins lui permettre de répondre par écrit aux opinions du directeur général concernant les oppositions.
Après coup, le directeur général a paru tout à fait disposé à ce qu'un fonctionnaire du Ministère discute de la question avec la requérante. Le direc- teur général pouvait employer cette méthode avant de rendre sa décision, de même que d'autres méthodes pour se conformer à la règle de l'équité.
La décision du 2 janvier 1986 est annulée.
La Division de première instance de cette Cour n'a pas le pouvoir de renvoyer toute la question devant le directeur général pour qu'il examine de nouveau sa décision, en tenant compte des présents motifs. Le seul pouvoir que confère l'article 18 [de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] dans les circonstances de l'espèce est d'annuler la décision.
Finalement, je désire établir ma position claire- ment. Je ne veux pas que l'on croie que ce que j'ai dit en l'espèce s'applique nécessairement à toutes les demandes d'approbation présentées aux termes de l'article 8 de la Loi sur la protection des eaux navigables.
La requérante a droit aux frais de cette requête.
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