T-1395-85
Murjani International Limited (appelante)
c.
Universal Impex Co. Ltd. (intimée)
RÉPERTORIÉ: MURJANI INTERNATIONAL LTD. C. UNIVERSAL
IMPEX CO.
Division de première instance, juge Dubé—
Ottawa, 19 et 28 novembre 1986.
Marques de commerce — Enregistrement — Opposition
Le registraire a décidé que le faible degré de ressemblance
entre la marque de l'intimée «Jon Vandervelde» et celle de
l'appelante «Gloria Vanderbilt», qui sont toutes deux utilisées
en liaison avec des vêtements, n'entraînait pas de confusion —
Appel — La publicité et l'usage peuvent rehausser le caractère
distinctif — Plus qu'un faible degré de ressemblance — Il faut
tenir compte de l'imprécision des souvenirs et des effets d'une
prononciation négligée — La ressemblance quand au son et à
la forme est frappante — Les lettres «j» et «g» pourraient
donner lieu à de la confusion dans un milieu bilingue — Le
mot «Vanderveldt» constitue une imitation évidente — Les
tribunaux accordent une protection spéciale aux personnes qui
emploient leur nom dans l'exploitation de leur entreprise —
L'intimée n'a pas réfuté la présomption que, en employant un
nom fictif, elle voulait créer de la confusion dans son propre
intérêt — Appel accueilli — Loi sur les marques de commerce,
S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 6(5), 16(3), 37(8), 56.
Appel est interjeté de la décision par laquelle le registraire
des marques de commerce a rejeté l'opposition de l'appelante à
la demande de l'intimée visant à faire enregistrer la marque de
commerce «Jon Vanderveldt and Design» employée en liaison
avec des vêtements. Le registraire a décidé que la marque de
commerce de l'intimée ne créait pas de confusion avec les
marques de l'appelante «Gloria Vanderbilt», «Gloria Vanderbilt
Design» et «GV Design», employées également en liaison avec
des vêtements. Selon le registraire, si les marques de commerce
sont examinées de façon globale et d'après la première impres
sion qu'elles produisent, le degré de ressemblance entre elles est
faible. Les traits de dessin respectifs des marques et l'utilisation
des différents prénoms tels que «Gloria» et «Jon» faisaient
ressortir les différences entre elles.
Jugement: l'appel devrait être accueilli.
Il est bien établi que les lettres et les noms de famille sont des
facteurs très secondaires quand il s'agit d'évaluer le caractère
distinctif d'une marque et qu'ils ont donc peu besoin d'être
protégés. Toutefois, cette Cour a statué que le caractère distinc-
tif peut être rehaussé par la publicité et l'usage. En l'espèce, il
découle des éléments de preuve non contestés que la signature
Vanderbilt et les initiales G.V. ont acquis un très grand carac-
tère distinctif sur le marché à la suite de vastes campagnes
publicitaires menées au Canada et aux États-Unis. La Cour a
statué que, dans l'esprit du public en général, le mot Vanderbilt
évoque un nom étranger empreint de distinction et qui est
synonyme de prestige et d'élitisme.
À propos du degré de ressemblance entre les marques, la
Cour a fait état des remarques bien connues faites par le lord
juge Luxmoore dans la décision anglaise Rysta. Selon Sa
Seigneurie, il n'appartient pas à la Cour de «comparer méticu-
leusement les deux mots, lettre par lettre et syllabe par syllabe,
en les prononçant avec toute la clarté exigée d'un professeur de
diction». La Cour doit plutôt «tenir compte de l'imprécision des
souvenirs et des effets d'une prononciation ... négligée [ ... ]»
chez un client éventuel. Compte tenu de ce principe, les mar-
ques litigieuses dénotent plus qu'un faible degré de ressem-
blance. La ressemblance phonétique est frappante, car les deux
premières syllabes sont identiques et la troisième décline dans
chaque cas. L'emploi des lettres «j» et «g» pourrait facilement
donner lieu à de la confusion dans un milieu bilingue. Les deux
dessins sont présentés sous forme de signatures qui se ressem-
blent beaucoup. Le mot «Vanderveldt», un nom de famille fictif,
semble une imitation évidente du nom de famille «Vanderbilt».
Les tribunaux accordent aux personnes qui emploient leur
propre nom dans l'exploitation de leur entreprise une protection
spéciale qui se distingue de celle conférée à une marque de
commerce représentant un nom fictif. En l'espèce, Gloria Van-
derbilt a prêté son propre nom et, partant, son prestige person
nel à l'appelante, tandis que l'intimée a tout simplement inventé
un nom pour sa propre marque de commerce, donnant ainsi à
présumer qu'en choisissant un nom fictif ressemblant, elle
voulait créer de la confusion dans son propre intérêt. Aucun
élément de preuve n'a été déposé pour réfuter cette présomp-
tion. L'intimée n'a pas non plus tenté de démontrer l'improba-
bilité d'une confusion.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
In the matter of an Application by Rysta Ld. to register
a Trade Mark (1943), 60 R.P.C. 87 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Sarah Coventry Inc. c. Abrahamian et autre (1985), 1
C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1" inst.); GSW Ltd. c. Great West
Steel Industries Ltd. (1976), 22 C.P.R. (2d) 154 (C.F. 1"
inst.); Cochrane-Dunlop Hardware Ltd. v. Capital
Diversified Industries Ltd. (1977), 30 C.P.R. (2d) 176
(C.A. Ont.); In the Matter of London Lubricants (1920)
Limited.'s Application (1925), 42 R.P.C. 264 (C.A.);
Joseph Rodgers & Sons Ld. v. W.N. Rodgers & Co.
(1924), 41 R.P.C. 277 (Ch. D.); Marengo v. Daily
Sketch and Sunday Graphic Ld. (1948), 65 R.P.C. 242
(H.L.); The American Distilling Company v. Bellows &
Company, Inc., 88 USPQ 254 (C.A. Cal. 1951); British
American Bank Note Company Limited c. Bank of Ame-
rica National Trust and Saving Association, [1983] 2
C.F. 778; 71 C.P.R. (2d) 26 (1" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada's Mani-
toba Distillery Ltd. (1976), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1"
inst.); Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis
Tobacco Corporation, [1969] R.C.S. 192; 57 C.P.R. 1;
Aristoc Ld. v. Rysta Ld. (1945), 62 R.P.C. 65 (H.L.);
Battle Pharmaceuticals v. The British Drug Houses,
Limited, [1946] R.C.S. 50; Imperial Tobacco Co. of
Canada Ltd. v. Philip Morris Inc. (1976), 27 C.P.R. (2d)
205; Faberge Incorporated and Faberge of Canada Ltd.
v. Holiday Magic Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 76; Par-
ker-Knoll Limited v. Knoll International Limited, [ 1962]
R.P.C. 265 (H.L.); The Hurlbut Company and The
Hurlbut Shoe Company, [1925] R.C.S. 141; Burgess v.
Burgess, 3 DeG. M. & G. 896 (C.A.).
AVOCAT:
Glen A. Bloom pour l'appelante.
Personne n'a comparu pour l'intimée.
PROCUREURS:
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour
l'appelante.
Lapointe Rosenstein, Montréal, pour l'inti-
mée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE Dust,: L'appelante («Murjani») inter-
jette appel en vertu de l'article 56 de la Loi sur les
marques de commerce' («la Loi») d'une décision
que le registraire des marques de commerce a
rendue sous le régime du paragraphe 37(8) de la
Loi en vue de rejeter l'opposition de l'appelante à
la demande d'enregistrement numéro 456,248 que
l'intimée («Universal») avait déposée relativement
à la marque de commerce «Jon Vanderveldt &
Design».
L'appel est fondé sur deux motifs. En premier
lieu, le registraire aurait conclu à tort que la
marque de commerce de Universal ne crée aucune
confusion avec les trois marques de commerce de
Murjani, c'est-à-dire «Gloria Vanderbilt», «Gloria
Vanderbilt Design» et «GV Design», et, en second
lieu, il aurait décidé à mauvais escient que Univer
sal est une personne ayant droit à l'enregistrement
de la marque de commerce «ion Vanderveldt &
Design».
Depuis 1979, Murjani, société commerciale des
11es Vierges britanniques, emploie au Canada avec
le consentement de Mm' Gloria Vanderbilt de New
York (États-Unis) la marque de commerce «Gloria
Vanderbilt», la marque «Gloria Vanderbilt
Design»:
S.R.C. 1970, chap. T-10.
et la marque «GV Design»:
en liaison avec des vêtements.
Le 7 juillet 1980, Universal a déposé au Bureau
des marques de commerce du Canada une
demande portant le numéro 456,248 en vue de
faire enregistrer la marque de commerce projetée
suivante:
qui devait être employée en liaison avec des
vêtements.
Au cours de l'examen de sa demande, Universal
a admis que sa marque de commerce était une
invention et qu'à sa connaissance, elle ne représen-
tait pas la signature d'une personne vivante ou
ayant vécu au cours des trente dernières années.
Le 25 mars 1981, Murjani s'est opposée à la
demande pour les motifs énoncés plus haut et a
déposé quatre affidavits. Le 11 avril 1983, les
agents de marques de Universal ont avisé le regis-
traire que celle-ci ne présenterait aucune preuve.
Le 20 décembre 1983, Murjani a produit une
plaidoirie écrite à l'appui de son opposition. Uni
versal n'a déposé aucune plaidoirie écrite. Le 30
avril 1985, le registraire a rejeté l'opposition de
Murjani en conformité avec le paragraphe 37(8)
de la Loi.
Les agents de Universal ont informé la Cour
fédérale qu'ils n'assisteraient pas à l'audition de
l'appel de la décision rendue par le registraire et ils
ont confirmé que leur cliente [TRADUCTION]
«n'avait jamais eu l'intention de contester l'appel».
Dans des circonstances similaires, le juge Catta-
nach a déjà affirmé, dans l'affaire Canadian
Schenley Distilleries Ltd. c. Canada's Manitoba
Distillery Ltd. 2 , qu'une telle situation oblige le
juge à assumer une tâche «odieuse» qui «en fait
presque l'avocat de l'intimée».
Il est bien établi en droit que la décision du
registraire relativement aux marques de commerce
créant de la confusion revêt une grande impor
tance et qu'elle ne doit pas être infirmée sans
raison valable, mais l'importance donnée à la déci-
sion suivant laquelle le registraire détermine si
deux marques de commerce sont semblables au
point de créer de la confusion ne doit pas être telle
que le juge saisi d'un appel de cette décision soit
libéré de son devoir de trancher le litige après avoir
examiné avec soin toutes les circonstances perti-
nentes (voir Benson & Hedges (Canada) Limited
v. St. Regis Tobacco Corporation, aux pages 199
et 200 R.C.S.; 8 et 9 C.P.R.) 3 .
Dans sa décision, le registraire a indiqué à juste
titre que la principale question à régler est de
savoir si la marque de commerce de la requérante
crée de la confusion avec au moins une des mar-
ques de commerce de l'opposante (au début du
présent appel, l'avocat de Murjani a allégué qu'il y
avait confusion avec les marques «Gloria Vander-
bilt Design» et «GV Design», mais non avec la
marque «Gloria Vanderbilt» écrite en majuscules).
En outre, le registraire a affirmé à bon droit que
la date à laquelle il fallait examiner cette question
est la date à laquelle Universal a déposé sa
demande (le 16 juillet 1980) pour ce qui est du
motif d'opposition selon lequel Universal n'est pas
la personne ayant droit à l'enregistrement aux
termes du paragraphe 16(3) de la Loi, et la date à
laquelle a été déposée la déclaration d'opposition
(le 25 mars 1981) pour ce qui est du motif d'oppo-
sition selon lequel la marque de commerce de la
requérante n'a pas de caractère distinctif 4 .
2 (1976), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1`° inst.).
' [1969] R.C.S. 192; 57 C.P.R. 1.
4 (1985), 5 C.P.R. (3d) 115.
De plus, il a signalé avec raison qu'en ce qui
concerne le premier motif d'opposition, Murjani a
le fardeau initial de prouver qu'elle a employé sa
marque de commerce avant la date du dépôt de la
demande de Universal et qu'elle n'avait pas aban-
donné sa marque à l'époque. À ce propos, il a
conclu à bon droit que les éléments de preuve
déposés par Murjani lui avaient nettement permis
de se décharger de ce fardeau.
Il a également décidé que, [TRADUCTION] «par
leur genre, les marchandises et activités commer-
ciales des parties sont très semblables». Il a estimé
qu'il y avait un [TRADUCTION] «certain degré de
ressemblance entre les marques de commerce» et a
décrit avec justesse leurs traits communs [à la
page 118]:
[TRADUCTION] Les deux premières syllabes des noms de
famille «Vanderbilt» et «Vanderveldt» sont identiques et la
troisième syllabe se prononce de façon similaire. Plus spéciale-
ment, comme la lettre «g» en français se prononce comme le «j»
en anglais et vice versa, il y a une grande ressemblance entre les
initiales «jv» et «gv».
Toutefois, il a indiqué plus loin que les noms de
famille et les lettres sont des facteurs très secon-
daires en ce qui concerne le caractère distinctif
d'une marque et, pour ces motifs, il a conclu,
comme suit, que la marque de commerce de Uni
versal ne créait pas de confusion [à la page 118]:
[TRADUCTION] Néanmoins, il est bien établi que les noms de
famille et les lettres sont des facteurs très secondaires quand il
s'agit d'évaluer le caractère distinctif d'une marque. L'homme
ordinaire est habitué à faire des distinctions assez subtiles entre
des lettres différentes et entre des noms de famille différents.
Pour cette raison, les différences existant entre la marque de
commerce de la requérante et celles de l'opposante et, en
particulier, les divers traits de dessin et l'utilisation du prénom
«Jon» au lieu du prénom «Gloria» ont une importance relative-
ment plus grande. Si la marque de commerce de la requérante
et celles de l'opposante sont examinées de façon globale et
d'après la première impression qu'elles produisent, je pense que
le degré de ressemblance entre elles est faible. Par conséquent,
malgré l'emploi par l'opposante de ses marques de commerce et
la publicité qu'elle leur a faite au Canada et même si, par leur
genre, les marchandises et activités commerciales des parties
sont très semblables, je suis persuadé que la marque de com
merce de la requérante ne crée de confusion avec aucune
marque de l'opposante au sens de l'art. 6 de la Loi sur les
marques de commerce. Par conséquent, je rejette les motifs
d'opposition de Murjani selon lesquels la requérante n'est pas la
personne ayant droit à l'enregistrement et la marque de com
merce de cette dernière n'a pas de caractère distinctif.
Les éléments à examiner pour décider si des
marques de commerce créent de la confusion sont
énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, que je me
permets de reproduire intégralement pour des rai-
sons de facilité:
6....
(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms
commerciaux créent de la confusion, la cour ou le registraire,
selon le cas, doit tenir compte de toutes les circonstances de
l'espèce, y compris
a) le caractère distinctif inhérent des marques de com
merce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle
ils sont devenus connus;
b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou
noms commerciaux ont été en usage;
c) le genre des marchandises, services ou entreprises;
d) la nature du commerce; et
e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce
ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son,
ou dans les idées qu'ils suggèrent.
Avant d'examiner séparément chacun des ali-
néas de ce paragraphe, il est important d'énoncer
de nouveau les principes bien connus établis par le
lord juge Luxmoore dans In the Malter of an
Application by Rysta Ld. to register a Trade
Mark':
[TRADUCTION] C'est la personne qui ne connaît que ce mot
et ne s'en souvient peut-être pas parfaitement qui risque de se
tromper ou de confondre les marques. Par conséquent, il est
presque inutile de comparer méticuleusement les deux mots,
lettre par lettre et syllabe par syllabe, en les prononçant avec
toute la clarté exigée d'un professeur de diction.
La Cour doit soigneusement tenir compte de l'imprécision
des souvenirs et des effets d'une prononciation et d'une élocu-
tion négligées tant chez la personne qui cherche à acheter une
marchandise d'après sa description commerciale que chez le
commis de magasin qui s'occupe de ce client.
a) Le caractère distinctif inhérent des marques
de commerce et la mesure dans laquelle elles
sont devenues connues
Au départ, je dois conclure que les quatre affi
davits déposés par Murjani doivent être admis en
preuve parce que les déposants n'ont pas été con-
tre-interrogés 6 . Selon moi, les preuves non contes-
5 (1943), 60 R.P.C. 87 (C.A.), à la p. 108. Ce principe a été
approuvé par la Chambre des lords dans l'affaire Aristoc Ld. v.
Rysta Ld. (1945), 62 R.P.C. 65, et par la Cour suprême du
Canada dans l'arrêt Battle Pharmaceuticals v. The British
Drug Houses, Limited, [1946] R.C.S. 50.
6 Voir Imperia! Tobacco Co. of Canada Ltd. v. Philip Morris
Inc. (1976), 27 C.P.R. (2d) 205, la p. 208; Faberge Incorpo
rated and Faberge of Canada Ltd. v. Holiday Magic Ltd.
(1978), 39 C.P.R. (2d) 76, la p.78.
tées que Murjani a déposées indiquent que, par
suite de vastes campagnes publicitaires menées
tant aux États-Unis qu'au Canada, les marques
«Gloria Vanderbilt Design» et «GV Design» étaient
déjà très connues dans notre pays avant la date de
dépôt de la demande de Universal. En consé-
quence, le chiffre des ventes réalisées aux États-
Unis et au Canada montait en flèche.
Selon Hannah North, directrice générale du
service des marchandises de The T. Eaton Co.
Ltd., [TRADUCTION] «la marque Gloria Vander-
bilt était déjà connue d'une foule de clients cana-
diens en juillet 1980» et l'emploi de la marque de
commerce projetée Vanderveldt [TRADUCTION]
«en liaison avec des vêtements créerait probable-
ment de la confusion parmi les consommateurs
canadiens relativement à l'origine des vêtements».
D'après l'affidavit de Kaisar Ahmad, premier
vice-président de Murjani, celle-ci [TRADUCTION]
«était à la recherche d'une marque de commerce
de prestige» et elle a choisi le nom Vanderbilt qui,
à l'époque, était déjà bien connu aux États-Unis et
dans d'autres pays. Gloria Vanderbilt, couturier
jouissant d'une certaine renommée, était l'arrière-
arrière-petite-fille du Commodore Cornelius Van-
derbilt, fondateur d'un vaste empire ferroviaire
aux États-Unis. Les vêtements Gloria Vanderbilt
[TRADUCTION] «remportèrent un succès immédiat
sur le marché américain». Au départ, en 1978, les
ventes totales s'élevaient à 6 700 000 $ US et elles
ont augmenté au point d'atteindre le chiffre de
168 750 000 $ US en 1981. Les ventes réalisées au
Canada au cours de cette même année ont été de
1 000 000 $ US. Les frais de publicité engagés au
Canada au cours de la même année s'élevaient à
400 000 $ US.
L'assertion du registraire selon laquelle les let-
tres et les noms de famille sont des facteurs très
secondaires quand il s'agit d'évaluer le caractère
distinctif d'une marque et qu'ils ont donc peu
besoin d'être protégés est bien établie. Cependant,
le caractère distinctif des marques de commerce
peut être rehaussé par la publicité et l'usage.
Dans l'affaire Sarah Coventry Inc. c. Abraha-
mian et autre', j'ai conclu que la marque de
commerce «Zaréh» ne crée pas de confusion avec la
7 (1985), 1 C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1" inst.).
marque de commerce «Sarah». À la lumière de la
décision GSW Ltd. c. Great West Steel Industries
Ltd.', j'ai également conclu que «le caractère dis-
tinctif attribué à une marque faible peut être
rehaussé par un usage étendu».
Dans la cause GSW Ltd. c. Great West Steel
Industries Ltd. (précitée), le juge Cattanach a
affirmé ce qui suit (page 167):
Toutefois, une marque «faible« peut acquérir un caractère
distinctif par un usage intense et prolongé. Pour les motifs
ci-dessus mentionnés, j'estime que l'appelante n'a pas prouvé
que sa marque de commerce a acquis un caractère distinctif.
Dans l'affaire Cochrane-Dunlop Hardware Ltd.
v. Capital Diversified Industries Ltd. 9 , le juge
Blair, de la Cour d'appel de l'Ontario, s'est reporté
à la décision du juge Cattanach dans la cause
précitée et a signalé que dans cette affaire, la
marque de commerce «GSW» en lettres majuscules
[TRADUCTION] «pratiquement sans ornement»
était faible, mais il a conclu (à la page 183) que
[TRADUCTION] «le résultat aurait peut-être été
différent si la marque avait compris non seulement
des lettres de l'alphabet mais aussi des traits de
dessin lui donnant un plus grand caractère distinc-
tif». En l'espèce, le nom.Vanderbilt et les initiales
sont présentés sous forme de signature et, d'après
les éléments de preuve non contestés dont j'ai déjà
fait état, la signature Vanderbilt et les initiales
G.V. ont acquis un très grand caractère distinctif
sur le marché à la suite de campagnes publicitaires
intensives menées dans les deux pays. En outre, la
preuve indique que la campagne de publicité
menée aux Etats-Unis a eu des retombées au
Canada.
Dans mon esprit et, à mon avis, dans l'esprit du
public en général, le mot Vanderbilt paraît un nom
étranger empreint de distinction, vraisemblable-
ment d'origine hollandaise, et qui est synonyme de
prestige et d'élitisme.
b) La période pendant laquelle les marques de
commerce ou noms commerciaux ont été en
usage
La marque «Gloria Vanderbilt Design» a été
employée au Canada depuis le milieu de 1979 et la
marque «GV Design» dès le 19 mars 1980. Aucun
8 (1976), 22 C.P.R. (2d) 154 (C.F. 1« inst.).
9 (1977), 30 C.P.R. (2d) 176 (C.A. Ont.).
élément de preuve n'indique que la marque «Jon
Vanderveldt & Design» a jamais été employée. En
l'absence de preuve concernant l'emploi de la
marque Vanderveldt, Murjani n'est pas tenue de
produire des preuves de confusion réelle entre les
marques.
c) Le genre des marchandises
Les marchandises des deux parties sont des
vêtements.
d) La nature du commerce
Selon la preuve, les marchandises de Murjani
sont vendues aux consommateurs canadiens dans
les grands magasins à travers le pays. Aucun
élément de preuve n'indique où et comment Uni
versal vendrait ses marchandises.
e) Le degré de ressemblance entre les marques
de commerce, dans la présentation, le son ou
les idées qu'elles suggèrent
Le registraire a conclu qu'il y avait un «certain
degré de ressemblance» entre les marques. Je dirais
même plus. A première vue, le mot Vanderveldt
m'a semblé une imitation évidente du nom de
famille Vanderbilt. Les deux mots s'écrivent et se
prononcent d'une façon tellement semblable que le
premier, qui n'est le nom de famille de personne, a
été manifestement créé dans le but de ressembler
étroitement au second sans lui être toutefois
identique.
En outre, les deux dessins sont présentés sous
forme de signatures qui se ressemblent beaucoup
ou en tout cas suffisamment, à mon avis, pour
créer de la confusion à première vue. Par ailleurs,
il est difficile de trouver des paires de lettres de
l'alphabet qui se ressemblent autant que les initia-
les «JV» et «GV». Comme le registraire l'a signalé,
l'emploi des lettres «J» et «G» pourrait facilement
donner lieu à de la confusion dans un milieu
bilingue. Certaines personnes bilingues hésitent un
moment avant de prononcer le «j» ou le «g» dans
l'une ou l'autre langue afin d'éviter toute erreur de
prononciation. Je sais que cela m'arrive souvent.
Si nous reprenons l'énoncé bien connu du lord
juge Luxmoore, il n'appartient pas au tribunal de
«comparer méticuleusement les deux mots, lettre
par lettre et syllabe par syllabe, en les prononçant
avec toute la clarté exigée d'un professeur de
diction». La Cour doit «tenir compte de l'impréci-
sion des souvenirs et des effets d'une prononciation
... négligée [ ... ]» tant chez le client éventuel
«que chez le commis de magasin qui s'occupe de ce
client».
La ressemblance phonétique des deux marques
est encore plus frappante, car leurs deux premières
syllabes sont identiques et la troisième décline dans
chaque cas. Comme l'a affirmé le lord juge Sar-
geant dans l'affaire In the Matter of London
Lubricants (1920) Limited.'s Application 10 :
[TRADUCTION] . .. en outre, comme les personnes qui parlent
l'anglais ont tendance à mal articuler la terminaison des mots,
il s'ensuit nécessairement que le commencement d'un mot est
accentué d'autant plus et il me semble que, de façon générale,
la première syllabe d'un mot est de loin la plus importante pour
les besoins de distinction.
Autres circonstances de l'espèce (paragraphe 6(5))
De nombreux textes législatifs et jurispruden-
tiels accordent aux personnes qui emploient leur
nom dans l'exploitation de leur entreprise une
protection spéciale qui se distingue de celle confé-
rée à une marque de commerce représentant un
nom fictif. Dans l'affaire Joseph Rodgers & Sons
Ld. v. W.N. Rodgers & Co.", le juge Romer, de la
Haute Cour de justice d'Angleterre, a traité des
règles de droit applicables à l'espèce et a affirmé
ce qui suit (à la page 291):
[TRADUCTION] Après avoir tiré une telle conclusion de fait,
il faut se demander quelles règles de droit s'appliquent en
l'espèce. Je pense que ces règles peuvent être énoncées très
simplement. Les lois de notre pays prévoient que personne n'a
le droit d'exploiter une entreprise de manière à faire croire qu'il
s'agit de l'entreprise d'autrui ou qu'elle y est liée d'une façon
quelconque; telle est la première règle. D'après la seconde règle,
personne n'a le droit de décrire ou de marquer ses marchandises
de manière à les faire passer pour celles d'autrui. A mon avis, il
y a une exception à la première règle: toute personne a, selon
moi, le droit d'exploiter une entreprise sous son propre nom tant
qu'elle ne fait rien pour créer de la confusion avec l'entreprise
d'autrui et tant qu'elle agit d'une façon honnête. Cette excep
tion à la règle a été établie par nécessité.
Dans l'affaire Parker - Knoll Limited v. Knoll
° (1925), 42 R.P.C. 264, à la p. 279.
'' (1924), 41 R.P.C. 277 (Ch. D.).
International Limited 12 , lord Morris of Borth -y-
Gest a énoncé six propositions qui s'appliquent en
l'espèce. Dans l'énoncé de sa quatrième proposi
tion, il a cité à l'appui les commentaires du juge
Romer dans le jugement précité ainsi que les
motifs de lord Simonds, qui s'est exprimé comme
suit dans la cause Marengo v. Daily Sketch and
Sunday Graphic Ld." (à la page 251):
[TRADUCTION] Comme le veut le principe général tout à fait
irréfutable, l'intérêt des commerçants honnêtes et de toute la
population exige que les marchandises de A ne soient pas
confondues avec celles de B. Toutefois, ce principe est assorti
d'une réserve portant que toute personne a le droit de faire
commerce sous son propre nom et que, si l'exercice de ce droit a
pour inconvénient de causer une certaine confusion, cet incon-
vénient est moindre que celui de priver un particulier de ce qui
semblerait un droit naturel et inhérent. Néanmoins ... il faut
dire que cette réserve bien connue serait remarquablement
exagérée si elle permettait à un commerçant d'apposer sur ses
marchandises une marque qui, même si elle n'a pour seul objet
que de représenter son nom, risque malgré tout d'évoquer le
nom d'une autre personne dans l'esprit d'une personne sensée.
Dans l'arrêt The Hurlbut Company and The
Hurlbut Shoe Company 14 , la Cour suprême du
Canada [à la page 147] a cité un extrait des motifs
du lord juge Turner dans l'affaire Burgess v.
Burgess 15 [à la page 904] et y a vu une règle de
droit incontestable:
[TRADUCTION] Si une personne vend des marchandises sous un
nom particulier et si une autre personne qui ne porte pas ce
nom l'emploie elle aussi, on peut présumer que cette dernière
utilise ce nom pour faire croire que les marchandises qu'elle
vend sont celles de la personne dont elle emploie le nom;
toutefois, si le défendeur vend des marchandises sous son propre
nom et s'il se trouve que le demandeur porte lui aussi ce nom, il
ne s'ensuit pas que le défendeur vend ses marchandises en les
faisant passer pour celles du demandeur.
Enfin, dans l'affaire The American Distilling
Company v. Bellows & Company, Inc. 16 , la Cour
d'appel de district de la Californie s'est exprimée
comme suit (à la page 259):
[TRADUCTION] La présente cause porte sur l'emprunt du nom
de famille d'un particulier qui n'a aucune participation dans le
commerce de l'appelante.
Les tribunaux sont prêts à faire certains efforts pour protéger
les droits que détient un particulier à son propre nom de famille
12 [1962] R.P.C. 265 (H.L.), à la p. 279.
13 (l948), 65 R.P.C. 242 (H.L.).
14 [1925] R.C.S. 141.
15 3 DeG. M. & G. 896 (C.A.).
16 88 USPQ 254 (C.A. Cal. (1951)).
Par conséquent, il faut se rappeler que si le nom de l'appelante
était «Fellows», elle jouirait d'un droit à ce nom que les
tribunaux protégeraient de leur mieux. Cependant, dans la
présente affaire, l'appelante avait un choix illimité et elle se
devait de choisir un nom qui ne soit pas considéré comme une
imitation trompeuse d'une autre marque de commerce.
En l'espèce, il faut se rappeler que Gloria Van-
derbilt a prêté son propre nom et, partant, son
grand prestige personnel à Murjani pour lui per-
mettre de s'en servir dans sa marque de commerce,
tandis que Universal a tout simplement inventé un
nom pour sa propre marque de commerce, donnant
ainsi à présumer qu'en choisissant un nom fictif
ressemblant, elle voulait créer de la confusion dans
son propre intérêt. Aucun élément de preuve n'a
été déposé en vue de réfuter cette présomption. Par
ailleurs, les preuves non contredites indiquent que
Murjani a agi honnêtement en exploitant son
entreprise sous sa marque de commerce bien
précise.
Si Universal avait comparu à l'audition, elle
aurait peut-être prétendu que, dans les cas où une
partie s'oppose à l'enregistrement d'une marque de
commerce pour des motifs d'usage antérieur, il
appartient à celle-ci de prouver qu'elle a acquis
une certaine notoriété commerciale liée à une
marque distinctive. Le juge Cattanach a examiné
cette même prétention dans l'affaire British Ame-
rican Bank Note Company Limited c. Bank of
America National Trust and Saving
Association''. Voici ce qu'il a affirmé (aux pages
792 C.F.; 35 C.P.R.):
À mon avis, cette déclaration simplifie trop les choses.
C'est au requérant de l'enregistrement d'une marque de
commerce qu'il appartient de prouver qu'il y a droit et cette
obligation qui incombe en tout temps à ce dernier (voir Eno v.
Dunn (1890), 15 App. Cas. 252 [H.L.]) comprend également
celle de prouver qu'il est peu probable que la marque crée de la
confusion.
Une obligation ne passe jamais d'une personne à une autre mais
le fardeau de la preuve peut être renversé. Le requérant peut
réfuter la preuve présentée par l'opposant.
En l'occurrence, la requérante Universal n'a
même pas tenté de démontrer l'improbabilité d'une
confusion et elle n'a fait aucun effort pour réfuter
la preuve présentée par l'opposante Murjani.
Pour tous ces motifs, l'appel est accueilli avec
dépens.
17 [1983] 2 C.F. 778; 71 C.P.R. (2d) 26 (1« inst.).
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