T-1133-86
Charles Carl Dempsey (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
et
Procureur général de l'Ontario (intervenant)
RÉPERTORIÉ: DEMPSEY C. CANADA
Division de première instance, juge Muldoon -
Toronto, 24 et 25 septembre; Ottawa, 17 novembre
1986.
Libération conditionnelle - Surveillance obligatoire
Applicable à ceux qui sont condamnés à une peine de deux ans
ou plus (détenus fédéraux) et non aux détenus provinciaux -
Ne va pas à l'encontre de l'art. 15 de la Charte même si elle
repose sur la durée de la peine d'emprisonnement imposée -
Il n'y a pas eu violation du droit à la liberté prévu à l'art. 7 de
la Charte - Aucune audition n'est nécessaire en matière de
surveillance obligatoire - Loi sur la libération conditionnelle
de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 15(1),(3) (mod. par
S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28) - Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 7, 15(1),(2), 24(1), 28, 32(2) - Règles de
la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 474 (mod. par
DORS/79-57, art. 14) - Code criminel, S.R.C. 1970, chap.
C-34, art. 722 (mod. par S.C. 1985, chap. 19, art. 170) - Acte
des pénitenciers de 1868, 31 Vict., chap. 75, art. 62 - Loi de
1968-69 modifiant le droit pénal, S.C. 1968-69, chap. 38 -
Loi de 1977 modifiant le droit pénal, S.C. 1976-77, chap. 53
- Loi modifiant la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus et la Loi sur les pénitenciers, S.C. 1986, chap. 42, art.
5 - Loi modifiant la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus, la Loi sur les pénitenciers, la Loi sur les prisons et les
maisons de correction et le Code criminel, S.C. 1986, chap. 43.
Droit constitutionnel - Charte des droits - Droits à
l'égalité - Mise en liberté conditionnelle sous surveillance
obligatoire - La surveillance obligatoire qui repose sur la
durée de la peine d'emprisonnement imposée viole-t-elle l'art.
15 de la Charte parce qu'elle s'applique à ceux qui sont
condamnés à une peine de deux ans ou plus (détenus fédé-
raux), et non à ceux qui condamnés à une peine moindre
(détenus provinciaux) - L'art. 15 exige que «ceux qui se
trouvent dans la même situation» doivent faire l'objet d'un
traitement similaire - Les détenus provinciaux et fédéraux ne
se trouvent pas «dans la même situation» étant donné les
différences dans la gravité des infractions, le degré de culpabi-
lité et le risque pour la société - Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-1, art. 15(1),
(3) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28) - Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 15(1),(2), 24(1), 28,
32(2).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Droit à la liberté — Mise en liberté conditionnelle
sous surveillance obligatoire — Aucune audition n'est néces-
saire pour déterminer si le demandeur devrait être assujetti à
une surveillance obligatoire, puisqu'une telle mise en liberté
conditionnelle accroît la liberté, mais n'intensifie pas sa priva
tion — Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C.
1970, chap. P-2, art. 15(1),(3) (mod. par S.C. 1976-77, chap.
53, art. 28) — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7, 15(1),(2), 24(1), 28, 32(2).
Le demandeur purgeait une peine d'emprisonnement dans un
pénitencier fédéral. A un moment donné, avec une réduction
méritée de peine, le demandeur est devenu admissible à la
libération conditionnelle sous surveillance obligatoire. En vertu
du paragraphe 15(3) de la Loi sur la libération conditionnelle
de détenus, il était loisible au demandeur d'accepter ou de
refuser la libération conditionnelle sous surveillance obligatoire.
Il a accepté.
Le demandeur demande que le régime de la surveillance
obligatoire soit déclaré inconstitutionnel et inopérant. Il fait
valoir que ce régime viole les droits à l'égalité garantis par le
paragraphe 15(1) de la Charte, parce qu'il s'applique à ceux
qui sont condamnés à une peine d'emprisonnement de deux ans
ou plus (détenus fédéraux) mais ne s'applique pas à ceux qui
sont condamnés à un peine moindre (détenus provinciaux). Le
demandeur soutient subsidiairement que le régime de la surveil
lance obligatoire devrait, en vertu de l'article 24 de la Charte,
être déclaré inopérant en ce qui le concerne, puisqu'on ne lui a
jamais offert la possibilité de se faire entendre pour déterminer
s'il devait être assujetti à une surveillance obligatoire, ce qui a
porté atteinte à son droit à la liberté prévu par l'article 7 de la
Charte. Le juge en chef adjoint s'est fondé sur la Règle 474
pour formuler ces questions constitutionnelles préliminaires.
Jugement: le régime de la surveillance obligatoire ne va pas à
l'encontre de l'article 15 de la Charte, et l'article 7 n'a pas non
plus été violé.
À l'appui de son argument fondé sur les droits à l'égalité, le
demandeur fait remarquer qu'il n'existe dans la Loi constitu-
tionnelle de 1867 aucune disposition qui ou bien définit le mot
«pénitencier» ou bien fixe une ligne de démarcation entre les
contrevenants qui doivent purger leur peine dans des péniten-
ciers ou dans d'autres prisons. Étant donné la compétence que
possède le gouvernement fédéral pour légiférer dans le domaine
du droit criminel, on pourrait conclure que ledit gouvernement
peut définir ou autrement modifier la ligne de démarcation
comme bon lui semble. Il s'ensuivrait que l'inégalité alléguée
pour ce qui est de la surveillance obligatoire n'est pas inélucta-
ble. En fait, le Comité canadien de la réforme pénale et
correctionnelle a, dans son rapport de 1969, recommandé que la
surveillance obligatoire s'applique également aux détenus des
prisons fédérales et provinciales.
Le demandeur soutient que les prisonniers libérés des établis-
sements provinciaux à la suite d'une réduction de peine ne sont
pas assujettis à la surveillance obligatoire: ils sont relâchés
directement dans la société sans surveillance et jouissent des
mêmes droits et privilèges que ceux d'un résident du Canada.
D'autre part, l'ajout de la surveillance obligatoire à la réduction
de peine d'un détenu fédéral le prive de l'avantage de sa
réduction de peine.
L'article 15 a pour but d'exiger que ceux qui se trouvent dans
la même situation fassent l'objet d'un traitement similaire. Tant
la loi que la nature même de la déprédation criminelle différen-
cient les contrevenants. Il existe des différences entre les déte-
nus fédéraux et provinciaux quant à la gravité des infractions,
au degré de culpabilité et au risque qu'ils représentent pour la
société.
Il est vrai que la Constitution ne considère nullement la
réduction de peine comme un droit. Il est également vrai que
tant et aussi longtemps que la réduction est voulue par le
législateur, il faut l'accorder de façon à ne pas violer l'article 15
de la Charte. Toutefois, étant donné le fait que la surveillance
obligatoire est en droit un aspect de la peine qui frappe une
conduite criminelle, étant donné aussi les différences susmen-
tionnées entre les deux catégories de détenus, on ne saurait
conclure qu'il s'agit d'un cas de discrimination que l'article 15
de la Charte condamne. De plus, la surveillance obligatoire vise
à éviter que les détenus fédéraux, qui n'ont pas obtenu de
libération conditionnelle, soient relâchés directement dans la
collectivité sans être assujettis à la surveillance imposée aux
libérés conditionnels qui, en général, constituent un risque
moindre pour la société. La preuve de la violation des condi
tions de la surveillance obligatoire peut entraîner la révocation
de cette dernière et la réincarcération du détenu, mais la
condition fondamentale est que le détenu fédéral respecte la loi
et ne trouble par l'ordre public, laquelle condition n'est guère
discriminatoire.
Le fait que le demandeur n'a jamais eu la possibilité de se
faire entendre pour déterminer s'il devait être assujetti à une
surveillance obligatoire ne porte pas atteinte à son droit à la
liberté prévu à l'article 7. Il y a eu une audience quant à la
peine appropriée que la Cour devait lui imposer en conséquence
de sa condamnation. Excepté les questions qui exigent une
audience, les principes de justice naturelle n'exigent aucune
autre décision pendant que la peine imposée est purgée. L'ac-
ceptation ou le rejet de la surveillance obligatoire par un détenu
n'exige aucune autre décision, puisqu'il est facile de démontrer
que la liberté dont le demandeur a été légalement privé lors de
sa condamnation se trouve accrue par sa remise en liberté sous
les conditions de sa surveillance obligatoire. Les principes de
justice fondamentale n'exigent pas plus de se prononcer sur la
mise en liberté conditionnelle d'un détenu qui fait normalement
partie de sa peine, que de se prononcer annuellement sur
chaque année de la peine d'emprisonnement.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUEÉS:
Re McDonald and The Queen (1985), 21 C.C.C. (3d)
330 (C.A. Ont.); Rebic v. Collver Prov. J., [1986] 4
W.W.R. 401 (C.A.C.-B.); R. v. Swain (1986), 50 C.R.
(3d) 97 (C.A. Ont.); R. v. McCormick, [1979] 4 W.W.R.
453; 47 C.C.C. (2d) 224 (C.A. Man.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Hauser, [1979] 1 R.C.S. 984; Dempsey c. Canada
(procureur général), [1986] 3 C.F. 129 (C.A.F.); (1986),
65 N.R. 295; 25 C.C.C. (3d) 193; R. c. Moore; Oag c. La
Reine et autres, [1983] 1 R.C.S. 658; 33 C.R. (3d) 97; R.
v. Constant (1978), 40 C.C.C. (2d) 329 (C.A. Man.);
autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [1978] 1
R.C.S. vi; Logan v. Dir. of William Head Inst'n et al.,
jugement en date du 30 mai 1986, Cour suprême de la
Colombie-Britannique, n° du greffe de Victoria 86/1307,
encore inédit.
AVOCATS:
David P. Cole et S. Benzvy Miller pour le
demandeur.
M. Thomas pour la défenderesse.
W. B. Trafford, c.r. et James M. Chalké pour
l'intervenant.
PROCUREURS:
David P. Cole, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Le sous-procureur général de l'Ontario pour
l'intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: Aux époques en cause, le
demandeur purgeait une peine d'emprisonnement
dans un pénitencier fédéral et il lui était alors
loisible d'accepter ou de refuser d'être libéré condi-
tionnellement de la prison, conformément au
régime de la surveillance obligatoire. Le deman-
deur et quiconque se trouvant dans la même situa
tion que la sienne peuvent exercer un tel choix
depuis 1977 grâce au paragraphe 15(3) de la Loi
sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C.
1970, chap. P-2 tel qu'il a été modifié [ajouté par
S.C. 1976-77, chap. 53, art. 28]. Le demandeur a
accepté d'être remis en liberté sous surveillance
obligatoire.
Dans sa déclaration, il demande que le régime
de la surveillance obligatoire soit déclaré inconsti-
tutionnel et inopérant. Il fait valoir que ce régime
et ses dispositions législatives vont à l'encontre des
articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits
et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de; 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] (ci-après
appelée la Charte) promulguée par la Loi consti-
tutionnelle de 1982. Cela donne lieu à des ques
tions constitutionnelles préliminaires que le juge en
chef adjoint a formulées, conformément à la Règle
474 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663 (mod. par DORS/79-57, art. 14)], dans les
ordonnances qu'il a rendues les 16 et 24 juillet
1986.
Il a été ordonné que des copies de la déclaration
et de la défense soient signifiées à chaque procu-
reur général provincial, étant donné les questions
constitutionnelles soulevées. Le procureur général
de l'Ontario a demandé et obtenu l'autorisation
d'intervenir dans les présentes procédures, comme
l'indique l'intitulé de la cause.
Voici les questions préliminaires qui ont été
soulevées:
a) Le régime de la surveillance obligatoire prévu par l'art. 15
de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus,
S.R.C. 1970, chap. P-2, modifié, et par les dispositions
législatives et règlements qui s'y rapportent est-il inopérant
pour le motif qu'il est incompatible avec l'art. 15 de la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982?
b) Subsidiairement, le par. 24(1) de la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982 fait-il en sorte que le régime de
la surveillance obligatoire soit inopérant en ce qui concerne
le demandeur puisqu'on ne lui a jamais offert la possibilité
de se faire entendre pour déterminer s'il devait être assu-
jetti à une surveillance obligatoire, ce qui a porté atteinte à
son droit à la liberté prévu à l'art. 7 de la Charte.
Quatre volumes de textes cités ont été soumis
conjointement pour le compte du demandeur et de
la défenderesse et, en outre, chacun d'eux a pré-
senté en son nom un exposé distinct des faits et du
droit. Les avocats de l'intervenant ont également
produit un volume de textes cités.
Le demandeur et la défenderesse s'entendent
pour une large part sur les faits saillants qui
étaient les questions déférées à la Cour, car la
défenderesse a officiellement reconnu [TRADUC-
TION] «l'exactitude des faits exposés aux alinéas a)
à e) de la déclaration». Voici les cinq allégations en
question du demandeur:
[TRADUCTION]
a) Il a été condamné le 19 mai 1983 à Toronto (Ontario) à
une peine d'emprisonnement de quatre ans après avoir été
déclaré coupable de vol qualifié.
b) Aux termes de l'art. 659(1)b) du Code criminel du
Canada, cette peine devait être purgée dans un pénitencier.
Le demandeur a été transféré à un pénitencier et a purgé
sa peine d'emprisonnement dans divers pénitenciers de la
province d'Ontario.
c) Conformément à la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, modifiée, et du Règle-
ment sur la libération conditionnelle de détenus, C.P.
1978-1528, modifié, des membres de la Commission natio-
nale des libérations conditionnelles ont examiné le cas du
demandeur, mais celle-ci ne lui a pas accordé la libération
conditionnelle. Si cette libération lui avait été accordée (et
si elle n'avait été ni suspendue ni révoquée), le demandeur
aurait été mis en liberté dans sa collectivité (sous réserve
des conditions jugées souhaitables par la Commission)
jusqu'à l'expiration de sa peine, soit le 18 mai 1987.
d) Aux termes de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970,
chap. P-6, modifiée, le demandeur avait droit à une réduc-
tion méritée de peine parce qu'il s'était adonné assidûment
au programme du pénitencier dans lequel il était empri-
sonné. Il a mérité cette réduction de peine. À partir du
moment où le nombre de jours de réduction méritée de
peine était égal au nombre de jours qu'il lui restait à
purger, le demandeur était en droit d'être libéré de la
garde en milieu fermé. Il était admissible à une mise en
liberté le 22 janvier 1986. (Conformément à la coutume
existant dans les établissements, il a en fait été libéré le 21
janvier 1986, ayant obtenu une autorisation d'absence
temporaire sans escorte d'un jour, qui lui a été accordée en
vertu de l'art. 26.1 de la Loi sur les pénitenciers).
e) Suivant l'esprit de l'art. 15 de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, (désigné sous le nom de «surveil-
lance obligatoire») la remise en liberté du demandeur le 22
janvier 1986 n'était pas absolue. Il est assujetti au contrôle
de la Commission nationale des libérations conditionnelles
et de ses agents désignés jusqu'au 18 mai 1987. Sont
jointes à cette déclaration des photocopies du «Certificat
de surveillance obligatoire» du demandeur. Dans la
«Reconnaissance» (que le demandeur a refusé de signer), il
est indiqué (dans le texte anglais) qu'il doit respecter
certaines conditions, et que s'il viole l'une quelconque de
celles-ci, il peut être réincarcéré. La Loi sur la libération
conditionnelle de détenus prévoit en outre que le droit du
demandeur d'être en liberté sous surveillance obligatoire
peut être suspendu et révoqué.
Le demandeur a prêté son nom et lié son cas
personnel au présent litige qui, comme l'a indiqué
explicitement son avocat, et avec l'accord implicite
de tous les autres avocats, doit servir de cause-
type. Pour ce qui est du cas du demandeur et de
ses perspectives d'avenir, il faut souligner l'argu-
ment avancé par son avocat, Me Cole, selon lequel
[TRADUCTION] «aux fins de la présente action, le
demandeur ne conteste nullement l'efficacité de la
surveillance obligatoire». Celui-ci ne prétend pas
que la surveillance obligatoire constitue un traite-
ment ou une peine cruel et inusité. Toutefois, pour
trancher les questions en litige, il faut, dans une
certaine mesure, examiner les objectifs et les buts
que vise le droit pénal et reconnaître certains
facteurs historiques dans l'évolution des services
correctionnels canadiens. Les volumes de textes
cités qui ont été soumis conjointement, tout en
étant excellents et d'une grande portée, constituent
une source abondante de documentation et de
jurisprudence mais ils sont, hélas, trop volumineux
et trop longs pour être exposés en entier dans les
présents motifs.
ARTICLE 15 DE LA CHARTE
Le demandeur se fonde principalement sur les
droits à l'égalité énoncés au paragraphe 15 (1) de
la Charte pour contester la constitutionnalité du
régime de la surveillance obligatoire. Ce paragra-
phe est ainsi rédigé:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
Le paragraphe (2) porte sur les programmes de
promotion sociale, et l'article 28 vient confirmer
l'égalité des sexes garantie par la Charte. L'article
15 est entré en vigueur le 17 avril 1985, conformé-
ment au paragraphe 32(2).
L'avocat du demandeur a eu raison de souligner
l'existence de deux types d'établissement pour les
détenus qui ont été condamnés à une période d'em-
prisonnement pour des infractions prévues par le
Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] et par les
dispositions pénales d'autres lois promulguées par
le Parlement. Il s'agit d'établissements correction-
nels provinciaux (parfois appelés prisons), et de
pénitenciers fédéraux. Cette division dans le sys-
tème carcéral semble avoir été dictée par un prag-
matisme qui s'est effacé sous la brume de la brève
histoire de notre pays, comme l'a souligné avec
ironie l'avocat de l'intervenant.
Les détenus condamnés à une peine d'emprison-
nement pour avoir violé ce qui peut généralement
être considéré comme le droit pénal (malgré l'arrêt
R. c. Hauser, [ 1979] 1 R.C.S. 984) doivent purger
cette peine dans un établissement provincial si elle
ne dépasse pas deux ans moins un jour, alors
qu'une peine d'emprisonnement de deux ans ou
plus doit être purgée dans un pénitencier fédéral.
Pourquoi? A cet égard, l'article intitulé «Historical
Perspectives on The Federal -Provincial Split in
Jurisdiction in Corrections», (1980) 22 Revue
canadienne de criminologie 298, rédigé par H. Cr.
Needham, analyste principal des politiques, secré-
tariat du ministère du Solliciteur général du
Canada, est instructif. Aux pages 298 et 299,
l'auteur (onglet 35—textes soumis conjointement)
écrit:
[TRADUCTION] Avant le milieu du dix-neuvième siècle, la
notion de division, entre une prison et un pénitencier selon qu'il
s'agissait d'une période d'emprisonnement de moins ou de plus
de deux ans était, semble-t-il, bien établie. En vertu du chap.
23-26 (1841) [chap. 24, art. 24], 4e et 5 e Victoria, les contreve-
nants doivent:
être emprisonné(s) et assujetti(s) aux travaux forcés dans le
Pénitentiaire Provincial pour un tems qui n'excédera pas sept
ans, ou à être emprisonné(s) dans aucune autre Prison ou lieu
de détention pour un tems qui n'excédera pas deux ans.
L'année suivante, la période discrétionnaire (plus de deux ans,
mais moins de sept ans) a été supprimée, et une autre loi, celle
de 1859, a confirmé la ligne de démarcation que constitue la
période de deux ans.
Le partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les
gouverments provinciaux reposait principalement sur l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique. En général, le gouvernement
fédéral s'est vu confier la tâche de légiférer dans le domaine de
la justice criminelle et de l'administration des pénitenciers
[Article 91, rubriques 27 et 28]. Il. est en outre prévu que les
provinces peuvent légiférer concernant l'établissement, l'entre-
tien et l'administration des prisons publiques et des maisons de
correction dans la province. [Article 92, rubrique 6]
Il convient de souligner qu'il n'existe dans l'AANB aucune
disposition qui, ou bien définit le mot pénitencier, ou bien fixe
une ligne de démarcation entre les contrevenants qui doivent
purger leur peine dans des pénitenciers ou dans d'autres
prisons.
Étant donné la compétence que possède le gouvernement
fédéral pour légiférer dans le domaine du droit criminel et
l'absence de référence à ces deux sujets, on peut conclure que
ledit gouvernement peut définir ou autrement modifier la ligne
de démarcation comme bon lui semble.
Les premières dispositions législatives portant sur le partage
de compétence figurent dans les refontes de 1869, 1886, 1892 et
1927, qui réaffirment la division reposant sur la période de
deux ans, originairement prévue dans la loi de 1842, avec de
petites modifications.
Dans les faits, la ligne de démarcation demeure
aujourd'hui ce qu'elle a été depuis longtemps,
c'est-à-dire qu'un emprisonnement d'au plus deux
ans moins un jour doit être purgé dans des prisons
provinciales, et un emprisonnement de deux ans ou
plus, dans des pénitenciers fédéraux.
Pour faciliter les choses, bien que cela soit au
détriment de la précision, tous les avocats ont
désigné les détenus des établissements respectifs
sous les noms de «détenus provinciaux» et «détenus
fédéraux». Cette terminologie est adéquate aux
fins de l'espèce.
Il faut se rappeler que, parmi les détenus provin-
ciaux, il y en a qui purgent une peine maximale de
six mois après avoir été déclarés coupables d'in-
fractions punissables par procédure sommaire et
pour lesquelles l'article 722 du Code criminel
[mod. par S.C. 1985, chap. 19, art. 170] prévoit
cette peine maximale. Sont également inclus parmi
les détenus provinciaux ceux qui ont été déclarés
coupables d'infractions pour lesquelles la peine
maximale peut être l'emprisonnement à perpétuité,
mais qui ont été condamnés à un emprisonnement
de deux ans moins un jour ou à une peine plus
courte. En dernier lieu, il y a, bien entendu, parmi
les détenus provinciaux ceux qui sont condamnés à
une peine d'emprisonnement pour avoir violé
diverses lois provinciales telles que le Code de la
route ou la Loi sur les alcools.
La grande majorité des détenus fédéraux sont
incarcérés après avoir commis des infractions pré-
vues par le Code criminel et les lois sur les dro-
gues, et purgent une peine de deux ans ou plus.
L'avocat du demandeur a plaidé qu'il y a des
détenus fédéraux qui ne devraient même pas être
incarcérés dans les pénitenciers, comme l'exige
toute politique valable en matière correctionnelle.
L'aspect le plus ironique de cet argument est que
c'est le frère du demandeur, selon lui, qui a per-
suadé la majorité d'un tribunal de juges de la Cour
d'appel fédérale de l'autoriser à purger, consécuti-
vement à une peine de douze ans, un emprisonne-
ment de 66 jours qui lui avait été imposé parce
qu'il n'avait pas payé ses amendes pour des contra
ventions à des règlements municipaux sur le sta-
tionnement. Cette décision est publiée sous le titre
Dempsey c. Canada (procureur général), [ 1986] 3
C.F. 129; (1986), 65 N.R. 295; 25 C.C.C. (3d)
193, mais les recueils n'indiquent pas si le procu-
reur général provincial avait été invité à intervenir
dans cette question constitutionnelle. Quoi qu'il en
soit, la qualification dans l'autre affaire Dempsey
était qu'il purgeait déjà une peine d'emprisonne-
ment pour avoir commis des infractions criminelles
graves.
Les preuves testimoniale et documentaire ont
été fournies par le seul témoin cité dans les présen-
tes procédures, Linda Goldberg, agent de recher-
che et d'évaluation de la Commission nationale des
libérations conditionnelles. Criminologue et socio-
logue, elle a surtout enseigné, dans une université,
la sociologie reliée à la police et aux services
correctionnels. Elle a notamment produit la pièce 2
qui contient d'excellentes données statistiques.
Dans cette pièce figure le tableau 2 qui, bien qu'il
n'indique pas en détail les facteurs, permutations
et combinaisons révélés par les autres documents
de Mn' Goldberg et son témoignage explicatif,
décrit très bien la nature et la qualité des popula
tions carcérales que les avocats ont désignées sous
les noms de détenus provinciaux et détenus fédé-
raux. Voici le tableau 2, avec quelques mots d'ex-
plication et soulignements de la Cour:
[TRADUCTION] TABLEAU 2
Admissions dans les établissements provinciaux des personnes
condamnées et détenus fédéraux au profil (registre) selon
l'infraction grave, 1983-84
PROVINCIAL' FÉDÉRAL 2
INFRACTION [ÉTABLISSEMENT] [ÉTABLISSEMENT]
Violente 3 8 % 60 %
Propriété' 30 % 24 %
Conduite en état
d'ébriété 18 %
Autres 15 % 8 %
Total Code criminel 71 % 92
Drogues 5 % 6 %
Autres 1 % 2 %
Total Lois fédérales 6 % 8
Alcool 8 %
Autres 11 %
Total Lois
provinciales 19
Règlements
municipaux 4 %
Total 129,748 11,875
personnes personnes
Le témoin a souligné que, en ce qui concerne les
infractions contre la propriété, on ne saurait vrai-
ment déterminer les circonstances de l'introduction
par effraction, ni préciser si les lieux où ce délit a
été commis étaient des entrepôts ou des maisons,
ni établir la fréquence avec laquelle les détenus ont
commis les infractions. Elle a également expliqué
' Services correctionnels pour adultes au Canada, 1983-84,
Statistique Canada, p. 158 et 159.
2 Ibid., p. 180.
3 Les infractions à caractère violent comprennent: l'homicide
(meurtre, homicide involontaire coupable, infanticide), les voies
de fait, l'agression sexuelle, les autres infractions d'ordre
sexuel, la décharge d'une arme à feu, le rapt et le vol qualifié.
4 Les infractions contre la propriété comprennent: l'introduc-
tion par effraction, le vol (au-dessus et au-dessous de $ 200 et
vol de voiture), la possession de biens volés, les fraudes.
que, même si les pourcentages des infractions com-
mises contre la propriété par des détenus provin-
ciaux et fédéraux ne diffèrent pas beaucoup (30 %
et 24 % respectivement), on ne saurait présumer
que ces infractions sont les mêmes, ni que les
contrevenants ont des casiers judiciaires identi-
ques, ni qu'ils ont causé la même quantité de
dommages. (Page 27 de la transcription.) Le
même genre d'observation s'applique aux autres
infractions.
Certes, l'avocat du demandeur a fait savoir que
celui-ci ne contestait nullement l'efficacité présu-
mée de la surveillance obligatoire, mais il a pro-
cédé au contre-interrogatoire du témoin à ce sujet,
ce qui a fait ressortir certains éléments de preuve.
À la question, posée par l'avocat, de savoir si la
surveillance obligatoire est efficace ou, au cas où
elle s'appliquerait au niveau provincial, si elle pro-
duirait l'effet escompté, le témoin a répondu:
[TRADUCTION] La difficulté réside dans le fait qu'il n'y a pas
de population qui n'est pas assujettie à la surveillance obliga-
toire à titre de groupe témoin, afin que l'on puisse déterminer si
celle-ci est efficace. Nous avons une catégorie de personnes qui
ont été libérées avant la surveillance obligatoire, par opposition
à une catégorie qui fait actuellement l'objet d'une libération
sous surveillance obligatoire. Néanmoins, les périodes de temps
sont si différentes dans le monde socio-économique où nous
vivons actuellement qu'on se demande si les statistiques compa-
rant ces deux groupes quant à leur taux de récidive seraient
d'une quelconque utilité. (Page 34 de la transcription.)
Dans son contre-interrogatoire, l'avocat de l'inter-
venant, M° Trafford, a enchaîné en demandant
pourquoi les détenus des maisons de correction
[c.-à-d. provinciales] ne constituent pas un groupe
témoin approprié pour fins de comparaison. Le
témoin a répondu:
[TRADUCTION] Nous avons déjà souligné ce point dès le
début; ils sont tellement, tellement différents. Je ne pense pas
qu'on puisse comparer les taux de succès des personnes qui ont
été condamnées à des peines très courtes pour des types de
crimes d'importance beaucoup moindre à ceux des détenus
fédéraux qui purgent des peines plus longues pour des types de
crimes beaucoup plus violents. (Page 51 de la transcription.)
À cet égard, il faut souligner que, aux termes du
paragraphe 15(1) de la Loi sur la libération con-
ditionnelle de détenus, un détenu, pour être assu-
jetti à une surveillance obligatoire, doit être admis
sible à une mise en liberté découlant uniquement
d'une réduction de peine supérieure à 60 jours.
Aucune surveillance obligatoire n'est imposée en
sus d'une période de réduction de 60 jours ou
moins. Pour obtenir une réduction de 60 jours, un
détenu doit être condamné à une peine de seule-
ment 6 mois ou plus. En général, ces peines ne
s'appliquent pas aux infractions graves du genre de
celles qui sont commises par les détenus fédéraux.
Soit dit en passant, il convient de souligner égale-
ment que le pourcentage des détenus fédéraux qui
choisissent de renoncer à une libération sous sur
veillance obligatoire est «infinitésimal». (Page 44
de la transcription.) Presque tous les détenus fédé-
raux qui ont droit à une libération conditionnelle
sous surveillance obligatoire l'acceptent.
Le Comité canadien de la réforme pénale et
correctionnelle (le Comité Ouimet) a été instauré
en 1965. Son rapport intitulé Justice pénale et
correction: un lien à forger est daté du 31 mars
1969. En examinant les réductions des peines
d'emprisonnement qui remontent au moins à la
promulgation de l'article 62 de l'Acte des péniten-
ciers de 1868 [31 Vict., chap. 75], et le régime de
la libération conditionnelle, le comité Ouimet a
souligné dans son rapport cité (onglet 11) que
«Environ 60 p. 100 seulement des détenus des
pénitenciers, admissibles à la libération condition-
nelle, en font la demande.» À cette époque, un
détenu bénéficiait d'une libération inconditionnelle
lorsque la réduction de sa peine d'emprisonnement
était égale au nombre de jours qu'il lui restait à
purger. Le comité a dit ceci à la page 376 de son
rapport:
Si le détenu obtient sa libération conditionnelle, la période de
réduction statutaire de peine devient une partie de la période de
libération conditionnelle et, advenant déchéance ou révocation
de sa libération conditionnelle, il perd le crédit de la réduction
statutaire et doit purger la totalité de sa peine, moins la
réduction méritée qu'il peut avoir à son crédit. Beaucoup de
détenus en viennent à préférer terminer leur sentence dans
l'établissement plutôt que de risquer de perdre leur période de
réduction statutaire de peine.
Le Comité Ouimet a recommandé (page 379)
«que les mêmes dispositions de réduction de peine
s'appliquent aux détenus des prisons fédérales et
des prisons provinciales et que la mesure législative
prévoyant [ce qu'on appelle maintenant la surveil
lance obligatoire] tel que décrit ci-dessus, s'appli-
que également à tous». Il a recommandé la surveil
lance obligatoire parce que, selon lui, les détenus
qui constituent un moindre risque pour la société
sont ceux qui obtiennent une libération condition-
nelle, alors que les détenus qui constituent un très
grand danger sont ceux qui, à la suite d'une réduc-
tion de peine, sont relâchés directement dans la
société après avoir purgé approximativement les
deux-tiers de leur peine, sans condition ni
surveillance.
Le Parlement n'a pas donné suite à la recom-
mandation du comité Ouimet concernant l'applica-
tion du régime de la surveillance obligatoire tant
aux détenus provinciaux que fédéraux. Il a toute-
fois promulgué la Loi de 1968-69 modifiant le
droit pénal [S.C. 1968-69, chap. 38] qui prévoit la
surveillance obligatoire pour les détenus fédéraux.
Cette Loi modifiait la Loi sur la libération condi-
tionnelle de détenus et la Loi sur les pénitenciers,
et le nouveau régime est entré en vigueur le ler
août 1970. La Loi de 1977 modifiant le droit
pénal [S.C. 1976-77, chap. 53] a apporté d'autres
modifications. À compter du l er juillet 1978, toute
réduction de peine devait être méritée. Les disposi
tions concernant la déchéance ont été standardi
sées pour les détenus fédéraux et provinciaux. On a
autorisé les provinces à créer des commissions des
libérations conditionnelles pour ce qui est des déte-
nus provinciaux. C'est chose faite dans les provin
ces d'Ontario, de Québec et de la Colombie-Bri-
tannique, alors que dans les provinces (et
territoires) qui ont refusé de le faire, la Commis
sion nationale des libérations conditionnelles conti
nue d'exercer sa compétence.
Pour compléter cet historique des services cor-
rectionnels jusqu'à ce jour, on peut souligner que
le projet de loi C-67, Loi modifiant la Loi sur la
libération conditionnelle de détenus et la Loi sur
les pénitenciers [S.C. 1986, chap. 42], a reçu la
sanction royale le 24 juillet 1986. En 1983, la Cour
suprême du Canada a jugé illégale la pratique qui
venait d'être instituée à l'époque par la Commis
sion nationale des libérations conditionnelles,
laquelle consistait à «arrêter» les détenus qu'elle
considérait comme dangereux, dès leur remise en
liberté sous surveillance obligatoire. Cette décision
est publiée sous l'intitulé R. c. Moore; Oag c. La
Reine et autres, [1983] 1 R.C.S. 658; 33 C.R. (3d)
97.
L'article 5 du projet de loi C-67 (avec les lois
correspondantes dans le projet de loi C-68 [Loi
modifiant la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus, la Loi sur les pénitenciers, la Loi sur les
prisons et les maisons de correction et le Code
criminel, S.C. 1986, chap. 43]) est entré en
vigueur le 25 juillet 1986 [TR/86-147]. En vertu
de cette Loi, la Commission nationale des libéra-
tions conditionnelles peut, après une audience où le
détenu comparaît en personne, refuser de lui per-
mettre d'être même conditionnellement libéré sous
surveillance obligatoire. De nouvelles modalités
obligatoires types de libération (pièce 3) s'appli-
quent maintenant à la fois à la libération condi-
tionnelle et à la surveillance obligatoire. (Pages 45
à 47 de la transcription.) Essentiellement, ces con
ditions enjoignent au détenu libéré de «respecter la
loi et ne pas troubler l'ordre public»—condition
tout à fait inattaquable—et, surtout, de rester,
comme il se doit, en contact avec le surveillant des
libérés conditionnels.
En contestant, sur le plan constitutionnel, le
régime de la surveillance obligatoire, le demandeur
prétend essentiellement que, jusqu'à maintenant,
les prisonniers incarcérés dans des établissements
provinciaux et libérés à la suite d'une réduction de
peine n'ont pas été, et ne sont pas touchés par le
régime de la surveillance obligatoire, ni assujettis à
ce régime. Ces détenus provinciaux, allègue-t-on,
sont relâchés directement dans la société sans sur
veillance (s'ils ne demandent ni n'obtiennent une
libération conditionnelle) et jouissent des mêmes
droits et privilèges que ceux d'un résident du
Canada. L'avocat du demandeur soutient que, en
raison de ce seul trait distinctif, savoir la durée de
la peine d'emprisonnement à laquelle le détenu est
condamné, la catégorie des détenus fédéraux est
inexorablement forcée de se conformer aux moda-
lités de la surveillance obligatoire, indépendam-
ment de la question de savoir si cela répond aux
besoins de la société ou à ceux du prisonnier. (Le
choix du prisonnier, prévu au paragraphe 15(3) de
la Loi sur la libération conditionnelle de détenus,
dilue quelque peu l'argument invoqué par l'avocat
en l'espèce.) Par contre, selon l'avocat du deman-
deur, la catégorie des détenus provinciaux se voit
conférer l'avantage de jouir pleinement des droits
de tout autre résident du Canada, indépendam-
ment de la question de savoir si cette liberté
répond aux besoins de la société ou à ceux du
prisonnier.
(Dans les faits, l'argument ci-dessus est en géné-
ral fondé, mais il ne tient pas compte du fardeau
possible que représente une ordonnance de proba
tion, imposée au détenu par le juge qui prononce la
peine, et qui prend effet dès que le détenu est
libéré d'une prison provinciale. Voir R. v. Constant
(1978), 40 C.C.C. (2d) 329 (C.A. Man.); autorisa-
tion d'interjeter appel devant la Cour suprême du
Canada refusée: [1978] 1 R.C.S. vi.)
Voici donc l'argument invoqué par l'avocat du
demandeur:
[TRADUCTION] Il se peut que des personnes qui peuvent à
tous les égards être égales pour ce qui est des conditions de
réinsertion dans la collectivité fassent l'objet d'un traitement
différent simplement parce qu'il fallait en premier lieu que la
peine imposée soit purgée dans un pénitencier ou une maison de
correction. Il est allégué que le trait distinctif entre ces deux
catégories ne saurait logiquement justifier le traitement inégal
auquel ces personnes sont soumises, et que ce trait distinctif est
entièrement arbitraire.
Hunter et autres c. Southam Inc. (1984), 14 C.C.C. (3d) 97,
(C.S.C.)
Re Blainey and Ontario Hockey Association et al. (1986), 54
O.R. (2d) 513 à la p. 529 (C.A. Ont.)
(Pages 12 et 13 du mémoire du demandeur.)
L'avocat du demandeur fait valoir que puisque
tous les détenus ont droit à une réduction de peine
et que seuls les détenus fédéraux peuvent choisir
de se soumettre à la surveillance obligatoire ou de
renoncer à leur réduction, il s'agit là d'une inéga-
lité qui va à l'encontre de l'article 15 de la Charte.
Aucun avocat n'a prétendu que le paragraphe
15(2) de la Charte peut être invoqué en l'espèce.
L'avocat du demandeur a insisté sur le fait que,
malgré les motifs prononcés par le juge Locke dans
l'arrêt Logan v. Dir. of William Head Inst'n et al.
(jugement en date du 30-5-86, C.S.C.-B.—n° du
greffe de Victoria 8 6 / 1 307), ce n'est pas la surveil
lance obligatoire mais plutôt la réduction de peine
qui est un avantage. En fait, selon lui, l'ajout de la
surveillance obligatoire à la réduction de peine
d'un détenu fédéral ne fait que le priver de l'avan-
tage de sa réduction de peine.
Tous les avocats ont abordé la question de savoir
comment il faut appliquer les droits à l'égalité
prévus au paragraphe 15 (1) de la Charte aux
détenus fédéraux et provinciaux. Dans Re McDo-
nald and The Queen (1985), 21 C.C.C. (3d) 330,
le juge Morden a, au nom de la Cour d'appel de
l'Ontario, tenu ces propos à la page 349:
[TRADUCTION] On peut raisonnablement dire que, en général,
l'art. 15 a pour but d'exiger «que ceux qui se trouvent dans la
même situation fassent l'objet d'un traitement similaire»: Tuss-
man and tenBroek, «The Equal Protection of the Laws», 37 Cal.
L. Rev. 341 (1948), à la p. 344. (Onglet 24.)
En l'espèce, tous les avocats souscrivent au critère
de «la même situation». Si ce critère est approprié,
et il semble certainement l'être, alors, bien
entendu, la notion de traitement «similaire» réservé
à ceux qui se trouvent dans la même situation ne
dénote ni n'exige une précision arithmétique lors-
qu'il s'agit d'égaliser ou de distinguer leurs droits
incontestables, prévus dans la Constitution, à la
même protection et au même bénéfice de la loi,
indépendamment de toute discrimination.
Tous les avocats ont cité et mentionné l'arrêt
rendu le 12 mai 1986 par la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique dans l'affaire Rebic v. Coll -
ver Prov. J., [1986] 4 W.W.R. 401. Les motifs
prononcés par la majorité et par la minorité ont
concouru au même résultat, c'est-à-dire le rejet de
l'appel formé contre la détention imposée à une
personne déclarée [TRADUCTION] «non coupable
pour cause d'aliénation mentale». Toutefois, les
juges Esson et Cheffins dont les motifs sont con-
courants d'une part (à la page 422), et le juge
MacFarlane d'autre part (aux pages 412 et 413)
ont convenu que, lorsqu'on examine le paragraphe
15(1) de la Charte, il faut d'abord déterminer si le
demandeur ou requérant se trouve vraiment dans
la «même situation» que ceux qui, selon lui, jouis-
sent d'un traitement différent du sien. C'est ce qui
ressort également des propos que le juge Thorson a
tenus au nom de la majorité de la Cour d'appel de
l'Ontario dans l'affaire R. v. Swain (1986), 50
C.R. (3d) 97, à la page 148.
Le demandeur en l'espèce prétend être dans la
même situation qu'un détenu provincial mais,
comme il n'a pas droit à une libération incondi-
tionnelle à la suite d'une réduction de peine, il fait
l'objet d'un traitement différent qui ne repose sur
aucun fondement constitutionnel.
La criminalité n'est pas monolithique, que ce
soit sur le plan conceptuel, ou par la façon dont le
Parlement légifère à cet égard dans le Code crimi-
nel et dans certaines autres lois canadiennes qui
portent sur l'inconduite grave, mais qui ne sau-
raient faire partie du droit criminel étant donné le
jugement Hauser précité. Il suffit de très peu de
perspicacité pour se rendre compte que celui qui
fait le commerce de pièces automobiles volées nuit
moins à la société que celui qui fait le trafic de
drogues destructrices qui créent un état de dépen-
dance. Même un cas grave de vente de pièces
automobiles volées n'est pas aussi sérieux qu'un
cas moins grave de trafic de drogues. De même, un
vol à l'étalage de marchandises d'une valeur infé-
rieure à $ 200 est moins grave qu'un vol à main
armée. De même, des voies de fait simples sont
moins graves que des voies de fait avec une arme
ou causant des lésions corporelles qui, eu égard au
degré de gravité, ne sont pas aussi sérieuses qu'une
agression sexuelle grave.
Même à l'intérieur d'une catégorie d'infractions
prévue par la loi, la gravité du crime dépend
finalement des traits de caractère de l'auteur et de
la nature de la perpétration. C'est la raison pour
laquelle, sauf en ce qui concerne les infractions
graves telles que la haute trahison et le meurtre,
pour lesquelles le Parlement a prévu la peine d'em-
prisonnement à perpétuité, il convient de laisser à
la cour qui détermine la sentence une certaine
latitude quant à la sévérité de la peine à imposer.
Dans l'affaire R. v. McCormick, [1979] 4 W.W.R.
453; 47 C.C.C. (2d) 224, la Cour d'appel du
Manitoba a confirmé une peine d'emprisonnement
de trois mois imposée à un jeune homme qui avait
commis un vol à main armée pour laquelle la peine
maximum prévue est l'emprisonnement à perpé-
tuité. Le juge Huband s'exprime en ces termes aux
pages 456 W.W.R.; 229 et 230 C.C.C.:
[TRADUCTION] Les facteurs dont il faut tenir compte pour
imposer une peine ne sont pas contestés: protection du public,
effet de dissuasion sur d'autres contrevenants éventuels, châti-
ment et réhabilitation de l'accusé. Le poids qu'il faut accorder à
ces facteurs dépend de la nature du crime, des circonstances
dans lesquelles il a été commis et de son auteur. Ces variables
font qu'il est impossible d'atteindre l'uniformité dans l'imposi-
tion des peines. En fait, l'uniformité vers laquelle doit tendre la
cour consiste à mettre l'accent comme il se doit sur les facteurs
variables qui donnent des résultats différents.
C'est donc le Parlement qui a établi, dans ses
lois pénales, les degrés de gravité des diverses
déprédations criminelles; et sauf lorsque, dans les
quelques cas déjà cités, il n'a eu aucun doute sur la
détermination des peines invariables, le législateur
a habilité les tribunaux de juridiction criminelle à
fixer la peine appropriée dans les limites qu'il a
prescrites pour ces catégories. Dans les questions
humaines de ce genre, il faut faire preuve de
jugement. Le jugement du législateur est complété
par celui de la cour. La Constitution, particulière-
ment à l'article 15 de la Charte, interdit aux
tribunaux de rendre des décisions arbitraires et
absurdes. Étant donné qu'il est pratiquement
impossible d'atteindre une exactitude arithmétique
en matières législatives et judiciaires en raison du
comportement humain et des circonstances très
variables, le critère de l'égalité consiste à réserver
un traitement similaire aux gens qui se trouvent
dans une situation similaire. Bien que pratique et
raisonnable, ce critère ne permet nullement d'at-
teindre l'égalité parfaite.
Pour ce qui est de la dénonciation et de la
punition des crimes, il est facile de reconnaître les
extrêmes et de se rendre compte que le voleur à
l'étalage et le terroriste ne se trouvent pas dans la
même situation; ceux-ci ne devraient donc pas être
traités de la même façon par une cour qui pro-
nonce la peine. Entre ces extrêmes, le droit crimi-
nel, qui dresse un tableau des nombreux cas d'in-
conduite criminelle, fait des distinctions selon les
divers stades ou les diverses catégories que l'on
peut discerner parmi les infractions et les contreve-
nants. Tant la loi que la nature même de la
déprédation criminelle différencient les contreve-
nants.
Dans ce contexte, il importe peu que la surveil
lance obligatoire constitue un préjudice ou une
pénalité qui se greffe à la réduction de la période
d'emprisonnement accordée par la loi, comme l'a
prétendu l'avocat du demandeur, ou qu'elle se
confonde avec la réduction de peine pour consti-
tuer un régime entièrement nouveau de réduction
de peine conditionnelle, comme l'a soutenu l'avo-
cat de l'intervenant. La constitution ne considère
nullement la réduction de peine comme un droit. Il
s'agit d'un droit qui dépend de la seule volonté du
législateur, sous la forme et dans les conditions
voulues par ce dernier. Sans ce droit, un détenu
serait légalement emprisonné jusqu'au terme de la
peine à laquelle il a été condamné. Tant et aussi
longtemps que la réduction de peine est voulue par
le législateur et que les conditions pour l'obtenir ne
constituent pas un traitement ou une peine cruel et
inusité, il faut l'accorder pour ne pas violer
l'article 15 de la Charte.
La disposition législative prévoyant les peines
fait normalement et intégralement partie du droit
pénal. La surveillance obligatoire est donc, en
droit, un aspect de la peine qui frappe une con-
duite criminelle. La notion de peine est assez large
pour qu'on en traite relativement à l'aspect correc-
tionnel du droit criminel. Faut-il éliminer ou
exclure la possibilité d'apprendre un métier au
pénitencier, parce qu'elle n'est pas considérée
comme suffisamment punitive? De même, la possi-
bilité d'être libéré conditionnellement sous surveil
lance obligatoire, que le demandeur semble avoir
en horreur, constitue un traitement qui, d'un point
de vue objectif, n'est guère punitif.
Le châtiment des contrevenants fondé sur leur
conduite criminelle offensante est imposé pour les
motifs énoncés par le juge Huband dans l'affaire
McCormick précitée. Plus l'acte est infâme plus la
peine devrait être lourde. Mais il n'est pas néces-
saire que celle-ci soit brutale; elle ne doit pas non
plus être cruelle et inusitée.
On impose une peine légitime à ceux qui com-
mettent des déprédations graves en les soumettant
à une surveillance officielle, afin de minimiser les
occasions et les tentations qu'ils pourraient avoir
de récidiver. En purgeant la peine à laquelle ils
sont condamnés, ils font sûrement l'objet d'une
telle surveillance lorsqu'ils sont détenus à l'inté-
rieur de l'établissement. La peine normale pour les
infractions criminelles graves est alors maintenue
jusqu'à son expiration pour ceux qui, dans la
grande majorité des cas, semble-t-il, acceptent la
possibilité de purger le reste de leur peine à l'exté-
rieur du pénitencier et sous surveillance obliga-
toire. Ils doivent continuer à être l'objet d'une
surveillance, quoique nettement moins intensive,
lorsqu'ils acceptent d'être libérés conditionnelle-
ment pour le reste de leur peine. Le législateur
impose cette peine plus lourde (mais qui est loin
d'être cruelle), à ceux qui ont été déclarés coupa-
bles des crimes plus graves. Cela fait simplement
partie de la peine qui leur a été imposée pour les
crimes qu'ils ont perpétrés. Ceux qui ont commis
des infractions moins graves y échappent.
La surveillance obligatoire s'applique aux déte-
nus fédéraux qui purgent des peines plus longues et
qui ont été mis à l'écart de la société canadienne
pendant plus longtemps que ne l'ont été les détenus
provinciaux. Elle vise à éviter que les détenus
fédéraux, qui n'ont pas obtenu de libération condi-
tionnelle, soient relâchés directement dans la col-
lectivité sans être assujettis à la surveillance impo
sée aux libérés conditionnels qui, en général,
constituent un risque moindre pour la société.
Le demandeur n'a pas rapporté la preuve que les
détenus fédéraux sont dans la même situation que
les détenus provinciaux qui ont été condamnés à
purger une peine d'emprisonnement de moins de
deux ans. L'avocat de la défenderesse a bien établi
la différence inhérente entre les détenus fédéraux
et provinciaux, en faisant valoir que, sauf le cas
d'une libération conditionnelle anticipée, l'applica-
tion normale, mais évitable, de la surveillance
obligatoire à ceux qui sont les plus coupables,
c'est-à-dire les détenus fédéraux, fait en sorte que
chacun d'eux est assujetti à la même peine, cette
égalité ne s'appliquant pas nécessairement à ceux
qui sont moins coupables. La durée de cette sur
veillance correspond à celle de la peine imposée. Il
existe un degré variable de culpabilité selon qu'il
s'agit d'un cas mineur ou d'un cas grave. A cet
égard, la loi établit une ligne de démarcation (2
ans) logique, pour ne pas dire pragmatique, et la
cour doit toujours tenir compte des degrés de
culpabilité plus difficiles à établir dans l'imposition
d'une peine. Ceux qui ont commis des déprédations
plus graves subissent une peine d'emprisonnement
plus longue et sont soumis à une surveillance plus
étroite au cours de cette période. D'autre part, si
l'emprisonnement est d'une plus courte durée, et si
le détenu n'obtient pas de libération conditionnelle
et évite l'imposition d'une ordonnance de proba
tion, il a droit à une libération sans surveillance. Il
ne s'agit pas d'un cas de discrimination que l'arti-
cle 15 de la Charte condamne si clairement.
Il est vrai que la preuve de la violation des
conditions de la surveillance obligatoire peut
entraîner la révocation de cette dernière et la
réincarcération du détenu. Il est tout aussi vrai que
ces modalités types, exposées dans la pièce 3, ne
permettent pas une liberté complète, mais elles
constituent, somme toute, un aspect de la peine
imposée pour la condamnation d'un ou de plus
d'un crime grave. En vertu du projet de loi C-67, le
détenu fédéral peut demander à la Commission
nationale des libérations conditionnelles de le dis
penser de l'une quelconque de ces modalités. Il va
de soi qu'il ne sera pas réincarcéré s'il respecte la
loi et ne trouble pas l'ordre public. Bien entendu,
cette modalité n'est guère discriminatoire.
Pour ce qui est de la première question et
compte tenu de tous les motifs qui précèdent, le
régime de la surveillance obligatoire prévu par
l'article 15 de la Loi sur la libération condition-
nelle de détenus, modifié, ainsi que par les lois et
règlements qui s'y rapportent est parfaitement
valide, parce qu'il n'est pas incompatible avec
l'article 15 de la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982.
ARTICLE 7 DE LA CHARTE
La question subsidiaire posée à la Cour laisse
entendre que le régime de la surveillance obliga-
toire est inopérant en ce qui concerne le deman-
deur, puisqu'on ne lui a jamais offert la possibilité
de se faire entendre pour déterminer s'il devait être
assujetti à une surveillance obligatoire, ce qui a
porté atteinte à son droit à la liberté prévu à
l'article 7 de la Charte. Il faut reconnaître que le
demandeur a effectivement eu droit à une
audience quant à la peine appropriée que la Cour
devait lui imposer en conséquence de sa condam-
nation.
Une fois qu'un accusé est déclaré coupable et
condamné à purger une peine dans un pénitencier
fédéral, les principes de justice fondamentale n'exi-
gent aucune autre décision pendant que la peine
imposée est purgée. Des questions qui exigent une
audience peuvent bien sûr se poser durant l'incar-
cération du détenu, mais ces questions n'ont rien à
voir avec la peine d'emprisonnement qui lui a été
imposée. Parmi ces questions, on peut mentionner
la demande de libération totale formulée par le
détenu, ce qui inclut quelquefois les demandes de
libération conditionnelle de jour ou d'autres absen
ces autorisées, ainsi que la révocation de la libéra-
tion conditionnelle ou de la surveillance obliga-
toire. Et il ne fait aucun doute qu'une audience
s'impose lorsqu'un tribunal disciplinaire statue sur
les infractions commises par un détenu.
Si aucune de ces questions ne concerne le
détenu, il peut tranquillement purger la peine que
la cour lui a légalement imposée, sans aucune
autre forme de procès. Le détenu qui n'a pas
obtenu de libération conditionnelle pourra éven-
tuellement faire l'objet d'une surveillance obliga-
toire—cet aspect normal de la peine imposée aux
détenus fédéraux.
Il est rare que le détenu choisisse de renoncer au
droit d'être remis en liberté sous surveillance obli-
gatoire en vertu du paragraphe 15(3) de la Loi sur
la libération conditionnelle de détenus et de
demeurer en détention. Ce choix de l'intimé
n'exige aucune autre décision de quiconque.
Un avis suffisant sera donné au détenu qui ne
choisit pas de renoncer à la surveillance obligatoire
afin qu'il puisse demander à la Commission natio-
nale des libérations conditionnelles de modifier les
modalités normales de la libération s'il le désire.
Cette action de l'intimé exige qu'une décision soit
rendue selon les principes de justice fondamentale.
Une telle demande peut être présentée en vertu des
récentes modifications apportées par le projet de
loi C-67.
Le demandeur a été remis en liberté sous sur
veillance obligatoire avant la promulgation de ces
récentes modifications. Il a choisi d'accepter la
surveillance obligatoire et il a donc été remis en
liberté sous condition, bien qu'il ait refusé de
signer la reconnaissance de ses conditions d'élar-
gissement. Bien entendu, il est parfaitement au
courant de ces modalités parce qu'on les lui a
expliquées et qu'elles sont imprimées sur son certi-
ficat. Voici ces modalités:
[TRADUCTION] MODALITÉS DE LA SURVEILLANCE OBLIGA-
TOIRE
Vous devez vous rendre directement à l'adresse indiquée sous la
rubrique INSTRUCTIONS et vous rapporter immédiatement à
votre surveillant de liberté conditionnelle et ensuite à la fré-
quence fixée par ce dernier.
Vous devez obtenir l'autorisation du surveillant de liberté con-
ditionnelle avant de quitter la région désignée par la
Commission.
Vous devez informer immédiatement le surveillant de liberté
conditionnelle si vous êtes arrêté ou interrogé par la police.
Vous devez respecter la loi et ne pas troubler l'ordre public.
S'efforcer d'avoir un emploi stable et, sauf instructions contrai-
res données par le surveillant de liberté conditionnelle, signaler
immédiatement tout changement qui survient, tels que emploi,
accident ou maladie.
Se présenter à la police ❑X oui ❑ non
si oui ❑X mensuellement
ou D à la fréquence fixée ci-après
Obtenir l'approbation du surveillant de liberté conditionnelle
avant:
a) de contracter des dettes en empruntant ou en achetant à
tempérament;
b) d'acquérir ou d'avoir sous son contrôle une arme à feu ou
d'autres armes.
Dès votre remise en liberté, communiquer aussitôt que possible
votre adresse initiale ainsi que tout changement d'adresse au
surveillant de liberté conditionnelle.
Ces conditions ne sont pas très difficiles, et elles
n'entravent certainement pas plus la liberté du
demandeur si on les compare à celles qui lui ont
été imposées au moment oû il a été condamné à sa
peine d'emprisonnement. En fait, il est facile de
démontrer que, même s'il ne s'agit pas d'une
liberté totale, la liberté dont le demandeur a été
légalement privé lors de sa condamnation se trouve
accrue par sa remise en liberté sous ces conditions.
Étant donné que la libération conditionnelle
choisie par le demandeur fait normalement partie
de sa peine, comment pourrait-on être tenu, en
vertu des principes de justice naturelle, de se pro-
noncer sur ces modalités, et de se prononcer
annuellement sur chaque année de la peine d'em-
prisonnement à laquelle il a été condamné. Les
principes de justice fondamentale n'exigent pas
une telle décision.
De plus, le demandeur n'a pas rapporté la
preuve que les modalités de sa libération portent
atteinte à son état psychique ou à sa sécurité, ni à
celui d'un autre détenu. Il n'aime évidemment pas
ces modalités parce que s'il ne s'y conforme pas—
il s'agit encore de son choix—il risque d'être réin-
carcéré. Puisque le demandeur a déjà été privé de
sa liberté lorsqu'il a été condamné à une peine
d'emprisonnement, ces modalités ne constituent ni
une autre privation ni une plus grande privation de
sa liberté. Il doit faire preuve de prudence. Il en est
ainsi pour tout le monde. Bien que sa liberté soit
plus restreinte que celle des détenus qui ne sont
pas des détenus fédéraux, elle est plus grande que
celle d'un détenu qui choisit de renoncer à la mise
en liberté, et elle l'est davantage qu'elle ne l'était
avant sa mise en liberté.
Le droit du demandeur à la liberté prévu à
l'article 7 de la Charte n'ayant été nullement violé,
il s'ensuit qu'il n'a droit à aucun redressement sous
le régime du paragraphe 24(1) de la Charte. Dans
son cas, le régime de la surveillance obligatoire
demeure donc parfaitement valide.
La décision portant sur les points litigieux soule-
vés en l'espèce a donné lieu à des questions consti-
tutionnelles d'intérêt public. Le règlement de ces
questions importe plus que les intérêts personnels
du demandeur. Par conséquent, compte tenu des
faits de l'espèce, la Cour fait usage de son pouvoir
discrétionnaire et n'adjuge aucun dépens en faveur
de l'une ou de l'autre partie ou de l'intervenant, ni
contre ceux-ci.
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