A-476-85
Navire Mercury Bell (appelant) (défendeur)
c.
N. Amosin, S. Badayos, E. Baulita, A. Billones,
Jr., C. Diloy, M. Espe, R. Fernandez, H. Gatdula,
F. Malong, A. Trangia (intimés) (demandeurs)
RÉPERTORIÉ: FERNANDEZ c. «MERCURY BELL» (LE) (C.A.F.)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Lacom-
be—Montréal, 22 avril; Ottawa, 22 mai 1986.
Conflit de lois — Choix de loi — Contrats — Relations du
travail — Les membres de l'équipage philippin d'un navire
libérien ont signé des contrats individuels de travail à Manille
— L'accord collectif a été précédemment conclu en Australie
— L'action en vue d'obtenir le paiement de la différence entre
les salaires a été engagée au pays — La loi du Libéria est celle
qui s'applique — Cette loi n'a pas été établie — Règle de
common law prévoyant l'application de la loi nationale du
tribunal saisi — La loi du tribunal saisi comprend la common
law et le droit écrit ayant un certain caractère d'universalité —
Les dispositions du Code canadien du travail qui ont trait au
rôle du Conseil canadien des relations du travail et au recours
obligatoire à l'arbitrage ne s'appliquent pas car elles sont de
nature locale — L'accord collectif est valide en vertu du Code
du travail — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règle 474 — Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C.
1970, chap. S-9, art. 274 — Code canadien du travail, S.R.C.
1970, chap. L-1, art. 2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art.
49(2)), 107 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), 108 (mod.,
idem), 154 (mod., idem), 155(1) (mod., idem).
Relations du travail — Les membres de l'équipage d'un
navire libérien sont incapables, selon la common law, de
réclamer la différence entre les salaires prévus au contrat et
ceux prévus dans l'accord collectif étant donné qu'il n'y a pas
de rapport contractuel direct — La situation est différente
selon le droit écrit — Le navire qui sert au commerce interna
tional est une «entreprise fédérale» relevant de la Partie V du
Code canadien du travail — L'accord collectif est valide en
vertu du Code, bien qu'il ne contienne aucune disposition
prévoyant l'arbitrage obligatoire et aucune clause interdisant
le recours à la grève comme l'exige l'art. 155(1) — Ces
dispositions sont liées à des circonstances et à des fins cana-
diennes — La loi du tribunal saisi comprend la common law et
le droit écrit d'un caractère général — L'accord collectif est
considéré comme valide en vertu de la loi libérienne — Code
canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 2 (mod. par
S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49(2)), 107 (mod. par S.C. 1972,
chap. 18, art. 1), 108 (mod., idem), 154 (mod., idem), 155(1)
(mod., idem).
Droit maritime — Contrats — Les membres philippins de
l'équipage d'un navire libérien ont signé des contrats indivi-
duels de travail à Manille — Un accord collectif a été conclu
en Australie — L'art. 274 de la Loi prévoit que la loi du port
où le navire est immatriculé s'applique — Aucune preuve de la
loi étrangère — La loi du tribunal saisi s'applique — L'accord
collectif est valide en vertu du Code canadien du travail — Loi
sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9,
art. 274.
Appel est interjeté de la décision rendue sur un point de droit
par la Division de première instance. Les demandeurs (intimés)
sont membres de l'équipage d'un navire libérien. Ils ont signé
des contrats individuels de ,travail à Manille, ignorant que
précédemment un accord collectif avait été signé en Australie,
établissant des taux de rémunération supérieurs à ceux que
prévoyaient leurs contrats respectifs. Les demandeurs ont
intenté ces procédures en vue d'obtenir le paiement de la
différence entre les salaires. Le juge des requêtes a conclu
qu'une convention collective l'emporte toujours sur les contrats
individuels des employés.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
La loi du port d'immatriculation du navire doit être exami
née conformément à l'article 274 de la Loi sur la marine
marchande du Canada. Il faut donc décider de l'action en
l'espèce conformément à la loi du Libéria. Toutefois, cette loi
n'a pas été établie. Un tribunal ne prendra pas connaissance
d'office de la loi étrangère. Si les parties omettent de présenter
des témoignages d'experts sur la loi étrangère, la Cour agira
comme si celle-ci était identique à sa propre loi. Cette règle est
particulière au droit anglais. Toutefois, il reste à éclaircinsi la
common law devrait être la seule loi du tribunal saisi ou si le
droit écrit devrait également entrer en jeu.
En vertu de la common law, l'action ne pourrait être accueil-
lie. L'accord collectif ne pourrait créer entre les propriétaires
du navire et les marins pris individuellement des obligations
exécutoires devant une cour de justice parce qu'il n'existait
aucun lien contractuel direct. L'agent négociateur n'était pas
leur agent parce qu'ils n'étaient alors même pas membres de
l'équipage. La signature de l'accord n'a pas eu pour effet de
créer une obligation dont ils sont devenus bénéficiaires.
En vertu du droit écrit canadien, un navire qui sert au
commerce international est une «entreprise fédérale» relevant
de la Partie V du Code canadien du travail. L'agent négocia-
teur en question est régulier au sens de la loi et l'accord est
conforme à la définition générale d'une convention collective.
Toutefois, l'accord collectif ne contient aucune disposition pré-
voyant l'arbitrage obligatoire et aucune clause interdisant le
recours à la grève comme l'exige le paragraphe 155(1) du Code
canadien du travail.
Il ne paraît pas y avoir de jugement qui ait résolu ce
problème en s'appuyant sur une distinction claire entre la
common law et la loi parlementaire. Les juges ont été réticents
à trancher des litiges mettant en cause des étrangers et le droit
d'un autre pays en se fondant sur la législation interne à
caractère local ou réglementaire. La règle de common law
anglaise selon laquelle, en l'absence d'une preuve de la loi
étrangère applicable, le juge appliquera la loi du tribunal saisi,
doit se limiter à des dispositions de la loi susceptible d'une
certaine universalité.
Les dispositions du Code canadien du travail reconnaissant
le rôle des syndicats, donnant effet aux conventions collectives
et reconnaissant le droit des employés individuels à l'action en
réclamation du salaire prévu par la convention sont fondamen-
tales et peuvent avoir un certain caractère d'universalité, alors
que celles, qui ont trait au rôle du Conseil canadien des
relations du travail et au recours obligatoire à l'arbitrage pour
le règlement des conflits sont liées à des circonstances et à des
fins canadiennes. L'accord collectif est pleinement valable et
doit recevoir son plein effet en vertu de la loi du Libéria tout
comme ce serait le cas sous le régime des dispositions fonda-
mentales du Code du travail et ce, nonobstant l'absence de
dispositions prévoyant l'arbitrage.
Le juge Hugessen: La règle de common law en question a été
élaborée quand l'expansion coloniale disséminait le droit
anglais à l'étranger. Les juristes anglais considéraient leur
système supérieur aux autres ce qui a donné lieu à une «pré-
somption». Toutefois, la Cour applique la loi nationale du
tribunal saisi parce que celle-ci est la seule loi qu'elle est
compétente à appliquer.
La suggestion de certains auteurs selon laquelle la loi du
tribunal saisi vise uniquement la common law établie dans les
décisions judiciaires à l'exclusion du droit écrit remonte à
l'époque où le droit anglais était en très grande partie d'origine
jurisprudentielle et les lois parlementaires constituaient des
exceptions. Cette règle, formulée comme elle doit l'être, porte
que la Cour appliquera uniquement les éléments de la loi du
tribunal saisi qui font partie du droit général du pays.
En appliquant la loi du tribunal saisi faute d'une preuve de la
loi étrangère, la loi doit être lue compte tenu des adaptations de
circonstance.
En l'absence de preuve de la loi du Libéria, ne s'applique du
Code canadien du travail que ce qui est nécessaire pour répon-
dre à la question de savoir si «l'accord collectif» intervenu entre
les propriétaires du navire et un syndicat crée en faveur des
demandeurs des droits exécutoires.
JURISPRUDENCE
DECISION APPLIQUÉE:
McCulloch v. Sociedad Nacional de Marineros de Hon-
duras, 372 U.S. 10 (1963).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Manalaysay c. Le «Oriental Victory», [1978] 1 C.F. 440
(1"° inst.); Purdom v. Pavey & Co. (1896), 26 R.C.S. 412;
Hellens v. Densmore, [1957] R.C.S. 768; Gray v. Kers-
lake, [1958] R.C.S. 3.
DÉCISIONS CITÉES:
Syndicat Catholique des Employés de Magasins de
Québec Inc. v. Paquet Ltée, [1959] R.C.S. 206; C.P.R. v.
Zambri, [1962] R.C.S. 609; McGavin Toastmaster Ltd.
c. Ainscough, [ 1976] 1 R.C.S. 718; Bisbal c/ dame Bisbal
(1959), Cass. Civ. I, p. 199, n° 236, 12 mai 1959, note
H.M., J.C.P. 1960; Compagnie algérienne de crédit et de
banque c/ Chemouny (1960), Cass. Civ. I, p. 114, n° 143,
2 mars 1960, note B.G., J.C.P. 1961; Young v. Canadian
Northern Ry. Co., [1931] A.C. 83 (P.C.); Bradburn c.
Wentworth Arms Hotel Ltd. et autres, [1979] 1 R.C.S.
846; Canadien Pacifique Liée c. Travailleurs unis des
transports, [1979] 1 C.F. 609 (C.A.); Bédard v. Bou-
chard, [1954] B.R. 290 (Qc); Diva Shoe Co. Ltd. v.
Gagnon et Procureur général du Québec (1937), 70 B.R.
411 (Qc); Hamilton Street Railway Co. v. Northcott,
[1967] R.C.S. 3.
AVOCATS:
Gérald P. Barry pour l'appelant (défendeur).
J. Brian Riordan pour les intimés (deman-
deurs).
PROCUREURS:
Barry & Associates, Montréal, pour l'appe-
lant (défendeur).
Ahern, Nuss & Drymer, Montréal, pour les
intimés (demandeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Dans le cadre d'une action
en recouvrement de salaires intentée par des
marins, il a été demandé à la Division de première
instance [sub nom. Fernandez et autres c. Le
navire «M/V Mercury Bell» (1984), 85 CLLC
14,039] de statuer sur un point de droit conformé-
ment à la Règle 474 des Règles et ordonnances
générales de la Cour fédérale du Canada [Règles
de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663]. Appel est
interjeté de la décision rendue sur ce point de droit
par le juge des requêtes.
Les faits sur lesquels s'entendent les parties, qui
ont tous une incidence sur la question en litige,
peuvent être résumés brièvement. Les demandeurs,
qui sont tous citoyens des Philippines, ont été
membres de l'équipage du M/V Mercury Bell, un
cargo servant au commerce international immatri-
culé en vertu des lois du Libéria. Ils ont été
engagés à Manille par l'agent de recrutement
d'équipage des propriétaires à différentes dates au
cours des années 1977, 1978 et 1979, et ils ont tous
signé des contrats individuels de travail dûment
approuvés par le National Seamen Board philip-
pin, une entité gouvernementale chargée de la
supervision du recrutement des marins philippins.
Après avoir rejoint le bord, les demandeurs ont
appris qu'en mai 1976 un soi-disant «Accord spé-
cial» et un «Accord collectif» étaient intervenus
entre les propriétaires du Mercury Bell et la [TRA-
DUCTION] «Section professionnelle des gens de
mer» («S'pecial Seafarers Section») de la Fédéra-
tion internationale des ouvriers du transport
(«ITF») dans lesquels étaient établis, pour les
marins à bord du bateau, des taux de rémunéra-
tion supérieurs à ceux que prévoyaient leurs con-
trats respectifs. Ils avaient néanmoins continué
d'accepter le salaire convenu par contrat jusqu'en
1981, lorsqu'ils ont quitté le navire, qui mouillait
dans le port de Montréal, pour intenter conjointe-
ment les présentes procédures in rem en vue d'ob-
tenir le paiement de la différence entre les salaires
qu'ils ont réellement reçus et les salaires prévus à
l'accord d'ITF.
La question de droit soulevée par l'action en
l'espèce ressort à présent de façon assez évidente.
L'ordonnance accordant la demande fondée sur la
Règle 474 l'a énoncée de la manière suivante:
[TRADUCTION] D'après les écritures, les demandeurs ont-ils
droit de faire exécuter les conditions de «l'Accord spécial» et/ou
de «l'Accord collectif» mentionnés dans l'exposé conjoint des
faits ci-joint et, en conséquence, de recouvrer du défendeur la
différence entre la rémunération qui y est stipulée et celle
versée en vertu de leurs contrats individuels de travail'?
Le juge des requêtes a donné une réponse affir
mative à cette question. Il a dit, en fait, qu'il ne
pouvait que souscrire à la conclusion à laquelle en
était arrivée la Division de première instance dans
une affaire semblable, celle de Manalaysay c. Le
«Oriental Victory», [1978] 1 C.F. 440, une conclu
sion qui, selon son opinion, découlait d'un principe
énoncé dans de nombreuses décisions de la Cour
suprême (particulièrement dans les arrêts Syndicat
Catholique des Employés de Magasins de Québec
Inc. v. Paquet Ltée, [1959] R.C.S. 206; C.P.R. v.
Zambri, [ 1962] R.C.S. 609 et McGavin Toast
master Ltd. c. Ainscough, [1976] 1 R.C.S. 718),
principe suivant lequel une convention collective de
travail doit toujours prévaloir sur les contrats indi-
viduels des employés. L'on doit réaliser qu'un tel
raisonnement, comme celui qui a été tenu dans
l'affaire Oriental Victory, passe malheureusement
à côté du vrai problème qui se pose en l'espèce. Le
principe voulant que, dans un contexte canadien,
une convention collective au sens du Code cana-
dien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1 l'emporte
sur les contrats individuels est désormais trop bien
établi pour être remis en question. En l'espèce, le
problème provient évidemment du fait que le con
' En fait, à l'origine, une seconde question se posait, qui avait
trait au droit des demandeurs de recouvrer un salaire tenant
lieu de congé et une indemnité de subsistance sur le fondement
des articles 12 et 21 de l'Accord spécial. Les parties ont
toutefois signé un document qu'elles ont intitulé [TRADUC-
TION] «consentement au jugement», document dans lequel elles
indiquaient que la réponse donnée à la première question
résoudrait nécessairement la seconde.
texte n'est pas canadien: le navire visé bat pavillon
libérien, l'équipage est philippin, les contrats de
travail ont été signés à Manille et l'accord dont les
demandeurs sollicitent l'exécution a été conclu en
Australie. Le navire ayant été saisi au Canada, les
tribunaux canadiens ont compétence; il est cepen-
dant évident que ce seul fait ne suffit pas à rendre
la loi canadienne applicable à l'espèce. Il est évi-
dent qu'un bateau libérien servant au commerce
international ne devient pas, simplement parce
qu'il mouille dans un port canadien, une entreprise
fédérale, pas plus que son équipage ne devient une
unité de négociation collective régie par le Code
canadien du travail.
Il ne fait aucun doute que, pour décider des
droits que possèdent les marins contre les proprié-
taires du navire dont ils forment l'équipage—ques-
tion sur laquelle porte l'action en l'espèce—il faut
examiner la loi du port d'immatriculation du
navire. Cela découle de [TRADUCTION] «la règle
de droit international bien établie suivant laquelle
les questions d'ordre international qui se posent à
bord d'un navire ressortissent normalement au
droit de l'État dont le navire bat pavillon»
(McCulloch v. Sociedad Nacional de Marineros
de Honduras, 372 U.S. 10 (1963), la page 21).
C'est là une règle que l'article 274 de la Loi sur la
marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap.
S-9, et ses modifications, a entériné de façon for-
melle. Cet article est ainsi libellé:
274. Lorsque, dans une question relative à un navire ou à une
personne appartenant à un navire, il semble y avoir conflit de
lois, alors si la présente Partie renferme une disposition sur ce
point qui y soit expressément déclarée applicable audit navire,
l'affaire est régie par cette disposition; sinon, elle est régie par
la loi du port où le navire est immatriculé.
Il est donc indubitable qu'il faut décider de l'action
en l'espèce conformément à la loi du Libéria 2 . Les
parties ont toutefois omis d'établir la loi du Libéria
devant cette Cour, d'où les problèmes en l'espèce.
2 L'avocat des intimés a prétendu, au cours de sa plaidoirie,
que le Code canadien du travail devrait s'appliquer même si la
règle sur les conflits de lois porte que le litige doit être tranché
selon la loi étrangère. Il fondait cet argument sur la nouvelle
interprétation donnée en doctrine aux [TRADUCTION] «lois
(Suite à la page suivante)
Il est bien connu que dans les pays de droit
anglais, le tribunal n'a pas le droit de s'enquérir de
son propre chef de la loi étrangère selon laquelle
doit être jugée une action soumise à son apprécia-
tion. En principe, la cour ne prendra pas connais-
sance d'office de la loi étrangère; elle ne traitera
même pas la loi étrangère comme un fait ordinaire
(ce que, de toute façon, elle n'est pas) dont elle
peut réclamer aux parties une preuve satisfaisante.
Si les parties, volontairement ou par inadvertance,
omettent de présenter des témoignages d'experts
sur la loi étrangère, la cour agira comme si celle-ci
était identique à sa propre loi, elle appliquera la loi
nationale du tribunal saisi. Cette règle est particu-
lière au droit anglais. Elle est contraire à la règle
suivie dans des pays comme la France, où un juge
est non seulement autorisé à prendre connaissance
d'office de la loi étrangère mais, à tout le moins
selon la doctrine qui prévaut actuellement, est
même obligé de le faire en raison du caractère
d'ordre public des règles concernant les conflits de
lois (voir H. Batiffol, et P. Lagarde, Droit interna
tional privé, 7e éd., t.1, p. 383, n° 329; Y. Lous-
souarn et P. Bourel, Droit international privé, 2e
éd., p. 318, n° 239; voir les décisions rendues par la
Cour de Cassation dans les affaires Bisbal c/ dame
Bisbal (1959), Cass. Civ. I, p. 199, n° 236, 12 mai
1959, note H.M., J.C.P. 1960. II. 11733 et Com-
pagnie algérienne de crédit et de banque c/ Che-
(Suite de la page précédente)
d'application immédiate», interprétation qui, ainsi que je la
conçois, étendrait en fait aux questions de droit international
privé les règles déjà reconnues ressortissant à la catégorie des
règles internes fondamentales d'ordre public que les cours
doivent suivre (voir Ph. Francescakis, Quelques précisions sur
les »lois d'application immédiate» et leurs rapports avec les
règles de conflits de lois, (1966), 55 Rev. cr. dr. int. pr. 1 à 18,
aux pp. 2 à 4, 8, 13 (y compris la note 2 en bas de page), 14, 16
à 18; F. Gamillscheg, Rules of Public Order in Private Inter
national Labour Law (1983), 181 Recueil des cours de l'Aca-
démie de droit international de La Haye, 285 à 347, à la p.
312; J.A. Talpis, Legal rules which determine their own sphere
of application: a proposal for their recognition in Quebec
private international law, (1982-83) 17 R.J.T. 201, aux pp.
203, 204, 206, 209, 220 et 221). L'avocat des intimés, avec
raison, n'a cependant pas insisté sur cet argument. L'interpréta-
tion ainsi présentée par les auteurs de doctrine est si novatrice
et donne lieu à tant d'incertitude que je doute qu'un autre
tribunal que la Cour suprême puisse être compétent à l'exami-
ner. Il semble également que l'article 274 de la Loi sur la
marine marchande du Canada, qui vient d'être cité, écarte
carrément son application en l'espèce.
mouny (1960), Cass. Civ. I, p. 114, n° 143, 2 mars
1960, note B.G., J.C.P. 1961. II. 408). Mais il
s'agit d'une règle traditionnellement suivie par les
juges de common law 3 . Le problème que soulève
cette règle jurisprudentielle est que, si ancienne,
fondamentale et simple soit-elle, sa signification
véritable et son champ d'application n'ont jamais
été clairement précisés. Il reste à éclaircir si la
common law devrait être la seule loi du tribunal
saisi ou si le droit écrit devrait également entrer en
jeu. Même s'il ne fait aucun doute que cette
question revêt une importance majeure sur le plan
théorique, nous ne devons nous en préoccuper en
l'espèce que s'il est nécessaire de la trancher pour
décider de l'action. Examinons donc, pour le
moment, la question de savoir si la situation juridi-
que des intimés serait différente en vertu du droit
écrit de ce qu'elle est selon notre common law.
En vertu de la common law, il ne semble y avoir
aucun doute que l'action ne peut, telle qu'elle a été
intentée, être accueillie. L'accord conclu par ITF
ne pouvait créer entre les propriétaires du navire et
les marins pris individuellement des obligations
exécutoires devant une cour de justice. Il est à
présent bien établi qu'une convention collective de
travail ne peut lier juridiquement un employeur et
un employé que dans la mesure permise par une loi
(voir Young v. Canadian Northern Ry. Co., [1931]
A.C. 83 (P.C.); Bradburn c. Wentworth Arms
Hotel Ltd. et autres, [1979] 1 R.C.S. 846; Cana-
dien Pacifique Ltée c. Travailleurs unis des trans
ports, [1979] 1 C.F. 609 (C.A.), à la page 619).
Les demandeurs ne peuvent prétendre que la [TRA-
DUCTION] «section professionnelle des gens de
mer» («Special Seafarers Section») de l'ITF les
représentait en Australie, ne serait-ce que pour
l'unique motif qu'ils n'étaient alors même pas
membres de l'équipage, pas plus qu'ils ne peuvent
soutenir que la signature de l'accord a eu l'effet de
créer une obligation dont ils sont devenus bénéfi-
ciaires. Ils sont donc étrangers à cet accord et ne -
peuvent fonder sur celui-ci aucune réclamation 4 .
3 Bien qu'au Canada, différentes législations provinciales lui
font plus ou moins obstacle. (Voir J.-G. Castel, Proof of
Foreign Law (1972), 22 U. of T.L.J. 33.)
° Il va sans dire que la loi québécoise ne s'applique pas du
tout à la présente affaire, qui ressortit au droit maritime
(Bédard v. Bouchard, [1954] B.R. 290 (Qc)), et que, de toute
façon, elle conduirait à la même conclusion puisqu'une conven
tion collective n'est pas sujette aux dispositions de l'art. 1029
du Code civil du Bas Canada portant sur la stipulation pour
autrui (voir: Diva Shoe Co. Ltd. v. Gagnon et Procureur
général du Québec (1937), 70 B.R. 411 (Qc), aux pp. 422 et
423).
Le droit écrit situe toutefois l'action des deman-
deurs dans un contexte juridique radicalement dif-
férent. Il semble clair qu'un navire qui sert au
commerce international est une «entreprise fédé-
rale» relevant de la Partie V du Code canadien du
travail (voir l'alinéa 2a) [mod. par S.C. 1976-77,
chap. 28, art. 49(2)] et l'article 108 [mod. par S.C.
1972, chap. 18, art. 1]) 5 . Il semble également clair
que l'ITF, que tous reconnaissent être un syndicat,
est un agent négociateur régulier au sens du Code
canadien du travail et que l'accord intervenu entre
celui-ci et les propriétaires du navire est conforme
à la définition générale d'une convention collective
(paragraphe 107(1) [mod., idem] 6 ) à laquelle
devrait normalement s'appliquer l'article 154
[mod., idem], ainsi libellé:
5 Ces articles sont ainsi libellés:
2. Dans la présente loi
«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale», ou
«entreprise fédérale», signifie tout ouvrage, entreprise ou
affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement
du Canada, y compris, sans restreindre la généralité de
ce qui précède:
a) tout ouvrage, entreprise ou affaire réalisé ou dirigé dans
le cadre de la navigation et des expéditions par eau (inter-
nes ou maritimes), y compris la mise en service de navires
et le transport par navire partout au Canada;
108. La présente Partie s'applique aux employés dans le
cadre d'une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés
dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisa
tions patronales groupant ces patrons et aux syndicats grou-
pant ces employés.
6 107. (1) Dans la présente Partie,
«agent négociateur» désigne
a) un syndicat qui a été accrédité par le Conseil à titre
d'agent négociateur des travailleurs d'une unité de négocia-
tion et dont l'accréditation n'a pas été révoquée, ou
b) tout autre syndicat qui a conclu, pour le compte des
travailleurs d'une unité de négociation, une convention
collective
(i) dont la durée n'est pas expirée, ou
(ii) à l'égard de laquelle le syndicat a mis l'employeur en
demeure, en application du paragraphe 147(1), d'entamer
des négociations collectives;
«convention collective» désigne une convention écrite intervenue
entre un employeur et un agent négociateur et contenant des
dispositions relatives aux conditions d'emploi et questions
connexes;
154. Une convention collective conclue par un agent négo-
ciateur et un employeur pour une unité de négociation lie, aux
fins de la présente Partie et sous réserve de celle-ci,
a) l'agent négociateur;
b) tout employé de l'unité de négociation; et
e) l'employeur.
Une difficulté surgit cependant lorsque les faits de
l'espèce sont examinés en regard de notre droit
écrit. L'accord auquel l'ITF est partie ne contient
aucune disposition prévoyant l'arbitrage obliga-
toire et aucune clause interdisant le recours à la
grève, deux éléments importants de la convention
collective visée au Code canadien du travail
comme en atteste le paragraphe 155(1) [mod.,
idem] de ce Code'. L'application stricte de notre
droit écrit nous ferait conclure qu'en raison de tels
défauts l'accord d'ITF n'est pas une convention
collective régulière à laquelle devraient s'appliquer
les dispositions de mise en vigueur du Code du
travail ou, à tout le moins (compte tenu du para-
graphe 155(2)), que les demandeurs devraient être
obligés de se présenter devant le Conseil canadien
des relations du travail et se soumettre à l'arbi-
trage avant de saisir la Cour du litige. Mais cette
objection ne peut devenir sérieuse que dans le cas
où toute la loi écrite—en l'espèce, le Code cana-
dien du travail—doit être appliquée intégrale-
ment. La question de savoir quels éléments de la
loi du tribunal saisi doivent s'appliquer en l'ab-
sence de preuve de la loi étrangère, qui peut sans
aucun doute contribuer à déterminer le sort de
l'action, doit donc, pour le moment, être examinée
plus avant.
Ainsi que je l'ai déjà dit, il est généralement
considéré que la question de savoir lesquels des
éléments de la loi du tribunal saisi doivent s'appli-
quer en l'absence d'une preuve de la loi étrangère
se résume en un simple choix à faire entre la
common law et le droit écrit. Tel est du moins la
façon dont les auteurs de doctrine énoncent ce
problème et, bien que quelques-uns prétendent que
seule la common law doit être pris en compte, la
plupart ne considèrent pas que le droit écrit puisse
être exclu. Quelques citations nous aideront à cla-
rifier l'opinion de chacun de ces groupes. W. S.
Johnson, dans son ouvrage Conflict of Laws, 2e
éd., 1962, dit à la page 54:
' Ce paragraphe est ainsi libellé:
155. (1) Toute convention collective doit contenir une
clause de règlement définitif, sans arrêt de travail, par voie
d'arbitrage ou autrement, de tous les conflits surgissant, à
propos de l'interprétation, du champ d'application, de l'appli-
cation ou de la présumée violation de la convention collective,
entre les parties à la convention ou les employés liés par elle.
[TRADUCTION] Mais la règle anglaise, qui est également
suivie aux États-Unis et dans les provinces de droit anglais,
porte aussi qu'en l'absence de preuve de la loi étrangère, celle-ci
ne sera pas présumée être semblable au droit écrit du tribunal
saisi. Comme la règle, l'exception, qui est de même source que
la règle, est suivie au Québec.
Cette question a été tranchée par la Cour suprême du
Canada qui siégeait en appel de la décision rendue par la Cour
d'appel de l'Ontario dans l'affaire Purdom v. Pavey.
Dans l'ouvrage de A. V. Dicey et J. H. C. Morris
intitulé The Conflict of Laws, 10® éd., 1980, vol. 2,
le passage suivant apparaît à la page 1216:
[TRADUCTION] C'est à la partie qui fonde sa demande ou sa
défense sur la loi étrangère qu'incombe le fardeau d'en faire la
preuve. Si cette partie ne présente aucune preuve ou présente
une preuve insuffisante de la loi étrangère, la Cour applique la
loi anglaise. Ce principe se base parfois sur la présomption
selon laquelle la loi étrangère est présumée semblable à la loi
anglaise jusqu'à preuve du contraire. Cette supposition a cepen-
dant, dans certains cas, entraîné des difficultés. Ainsi la Cour
a-t-elle refusé dans une affaire d'appliquer la présomption
d'identité lorsque la loi étrangère n'était pas fondée sur la
common law et, dans d'autres affaires, il a été mis en doute
qu'elle avait le droit de présumer qu'il y avait identité entre la
loi étrangère et le droit écrit du tribunal saisi. Devant ces
difficultés, il est préférable de ne plus parler de présomption et
de dire tout simplement que la Cour applique la loi anglaise
lorsque la loi étrangère n'est pas établie.
Dans Canadian Conflict of Laws, 2 e éd., 1986,
J.-G. Castel dit aux pages 145 et 146:
[TRADUCTION] 85. Absence de preuve
En l'absence de preuve de la loi étrangère, celle-ci est présumée
semblable à la loi nationale du tribunal saisi. Cette règle semble
s'appliquer tant au droit écrit qu'au droit jurisprudentiel.
Lorsque la preuve d'une loi étrangère s'est faite par recon
naissance, la Cour, en l'absence de preuve du contraire, présu-
mera que les règles d'interprétation suivies dans l'État étranger
sont les mêmes que celles du tribunal saisi.
Certains tribunaux canadiens se sont interrogés s'ils ont bien
le droit de présumer que la loi étrangère est pareille au droit
écrit du tribunal saisi. Ainsi, on a parfois établi une distinction
entre la loi étrangère générale, qui, en l'absence de preuve, est
présumée identique à la loi du tribunal saisi, et la loi du for
modifiée récemment par une loi parlementaire. Dans ce dernier
cas, la common law est appliquée à moins que la personne qui
prétend que ses dispositions ne prévalent pas en fasse la preuve.
La présomption d'identité, qui n'est rien de plus qu'une règle
établie pour des fins de commodité, devrait être rejetée. Il serait
préférable de dire que, dans tous les cas, lorsque la loi étrangère
n'est pas prouvée, la loi nationale du tribunal saisi prévaudra
puisqu'elle est la seule loi disponible'.
L'examen de la jurisprudence pertinente porte
toutefois à douter que les juges canadiens aient
jamais estimé, à l'instar des commentateurs, que la
solution du problème implique un choix net entre
la common law et le droit écrit. Ce problème n'a
certainement pas été énoncé ou réglé de manière
aussi simple dans les trois décisions de la Cour
suprême qui l'ont étudié et auxquelles il est régu-
lièrement fait référence. Ainsi, dans l'arrêt
Purdom v. Pavey & Co. (1896), 26 R.C.S. 412, où
le litige portait sur un terrain situé dans l'État de
l'Orégon et, plus précisément, sur l'effet d'une
hypothèque grevant celui-ci, la Cour a choisi de se
désaissir de l'affaire parce qu'elle était d'avis que
la loi étrangère applicable devrait être prouvée ou
que la question devait être tranchée par un tribu
nal plus approprié, savoir celui de l'Orégon. Dans
l'affaire Hellens v. Densmore, [1957] R.C.S. 768,
où il s'agissait de déterminer si l'appelante était
libre de se remarier avant l'expiration du délai
accordé pour interjeter appel du décret de divorce
qu'elle avait obtenu d'une autre instance, les trois
seuls juges qui ont traité du problème du contenu
de la loi du tribunal saisi applicable en l'absence
d'une preuve de la loi étrangère régissant un tel cas
ont tranché sur le fondement de la proposition
suivante, énoncée par le juge Cartwright (à la page
780):
[TRADUCTION] En l'absence de semblable preuve [quant à la
loi de l'Alberta], la cour de la Colombie-Britannique aurait dû
prendre pour acquis qu'en Alberta le droit ordinaire, par oppo
sition à des dispositions statutaires spéciales, est le même que
celui de la Colombie-Britannique. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'arrêt Gray v. Kerslake, [1958] R.C.S. 3, où
était en jeu le droit de bénéficiaires d'une police
d'assurance émise à New York, seulement deux
juges (dont l'opinion est encore exprimée par le
juge Cartwright) ont considéré approprié de traiter
brièvement de l'argument selon lequel la loi de
8 Les auteurs suivants tirent ces mêmes conclusions: J.D.
Falconbridge, Essays on the Conflict of Laws, 2' éd., 1954, pp.
824 et s.; J.G. McLeod, The Conflict of Laws, 1983, pp. 39 et
s.; E. Groffier, Précis de droit international privé québécois,
1980, p. 103, n° 195.
l'État de New York devait être considérée comme
identique à celle de l'Ontario. Ils ont dit (à la page
10):
[TRADUCTION] On a allégué que la Cour d'appel avait à bon
droit présumé que la loi de l'État de New York était la même
que celle de l'Ontario, mais cette présomption se rapporte au
droit en général et ne s'applique pas aux dispositions spéciales
de certaines lois qui modifient la common law. [C'est moi qui
souligne.]
En fait, je n'ai pas été capable de trouver de
jugement important qui ait résolu ce problème en
s'appuyant sur une distinction claire entre la
common law et la loi parlementaire.
Une constante se dégage toutefois de la lecture
des différents jugements, soit la réticence des juges
à trancher des litiges mettant en cause des étran-
gers et le droit d'un autre pays en se fondant sur
des dispositions de notre législation particulières à
des situations locales, liées à des conditions locales
ou établissant des exigences réglementaires. Cette
réticence procède d'une distinction entre les dispo
sitions de fond à caractère général, et les autres
dispositions, qui sont à caractère interne ou régle-
mentaire; cette distinction, que je considère entéri-
née de façon formelle par le juge Cartwright dans
les deux passages que je viens de citer, est, contrai-
rement à la simple division opérée entre la
common law et le droit écrit, tout à fait raisonna-
ble. Cette règle jurisprudentielle anglaise, selon
laquelle, en l'absence d'une preuve de la loi étran-
gère applicable, le juge appliquera la loi du tribu
nal saisi, ne devrait pas et ne doit pas, selon moi,
être interprétée comme l'abandon pur et simple de
la règle des conflits de lois comme si son impor
tance était si minime que son application pouvait
être laissée à la fantaisie des parties. En fait, il ne
s'agit pas d'une authentique règle des conflits de
lois; cette situation n'est aucunement comparable à
celle qui se présente lorsque, par renvoi, la loi
étrangère porte que la loi du tribunal saisi doit
s'appliquer. Il s'agit d'une règle strictement reliée
à l'incidence de la preuve. La Cour n'écarte pas le
principe voulant que l'affaire soit régie par la loi
étrangère et que la décision qui la concerne doive
être prise sur le fondement de cette loi; elle dit
simplement que la loi étrangère, selon les informa-
tions qui lui ont été régulièrement présentées, est
semblable à sa propre loi. Il s'agit, ainsi que le note
Castel, d'une règle établie à seule fin de commo-
dité qui, à ce qu'il me semble, ne peut être raison-
nablement acceptable que lorsqu'elle se limite à
des dispositions de la loi susceptibles d'une cer-
taine universalité. Tel est, à mon avis, le critère en
fonction duquel doit être tranché le présent litige.
La loi du Libéria est celle qui s'applique en
l'espèce. Comme aucune preuve ne nous a été
présentée à son sujet, nous devons présumer qu'elle
est semblable à la nôtre; cette présomption ne doit
cependant s'étendre qu'aux dispositions de fond de
cette dernière. À l'examen du Code canadien du
travail, il m'apparaît que les dispositions recon-
naissant le rôle des syndicats, donnant effet aux
conventions collectives et reconnaissant, selon l'in-
terprétation que leur donnent les tribunaux, le
droit des employés individuels à l'action en récla-
mation du salaire prévu par la convention (Hamil-
ton Street Railway Co. v. Northcott, [1967]
R.C.S. 3) sont fondamentales et peuvent avoir un
certain caractère d'universalité, alors que les
autres, notamment celles qui ont trait au rôle du
Conseil canadien des relations du travail et au
recours obligatoire à l'arbitrage pour le règlement
des conflits, sont liées à des circonstances et à des
fins canadiennes. Je suis donc d'avis que l'accord
d'ITF est pleinement valable et doit recevoir son
plein effet en vertu de la loi du Libéria tout comme
ce serait le cas sous le régime des dispositions
fondamentales de notre Code du travail et ce,
nonobstant l'absence de dispositions prévoyant
l'arbitrage.
En définitive, j'en arrive donc à la même conclu
sion que celle à laquelle est parvenu le juge des
requêtes. À mon avis, son ordonnance doit, par
conséquent, être confirmée.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE LACOMBE: Je souscris aux motifs
énoncés par le juge.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris au dispositif
proposé en l'espèce par mon collègue le juge Mar-
ceau. Je désire toutefois ajouter à ses motifs quel-
ques brefs commentaires sur la règle de droit
anglais en vertu de laquelle la cour, en l'absence de
preuve du contenu de la loi étrangère applicable,
applique la loi du tribunal saisi.
En premier lieu, je noterais qu'il est évident que
les formulations de la règle qui datent du siècle
dernier sont empreintes de l'esprit de leur temps.
L'expansion coloniale disséminait la coutume et le
droit anglais aux quatre coins du globe. Les avo-
cats et les juges anglais, ce qui était naturel,
considéraient leur système de beaucoup supérieur
à tout autre. Kipling a exprimé le sentiment qui
prévalait à l'époque lorsqu'il a parlé de «lesser
breeds without the Law» (races moindres sans la
Loi); il ne fait aucun doute que la loi qu'il évoquait
était la common law d'Angleterre.
Dans ces circonstances, il est peut-être compré-
hensible que la règle, telle que formulée, ait sou-
vent parlé de [TRADUCTION] «présomption» vou-
lant que la loi étrangère soit identique à la loi
anglaise puisque c'était à l'aune de cette dernière
que toutes les autres devaient être mesurées. Dans
le contexte moderne, toutefois, une telle présomp-
tion a peu de raison d'être ou n'en a aucune. Elle
n'est certainement pas nécessaire pour justifier la
règle. À mon avis, la cour applique la loi nationale
du tribunal saisi simplement parce que celle-ci est
la seule loi qu'elle est compétente à appliquer.
Lorsque la cour [TRADUCTION] «connaît» (au sens
juridique plutôt qu'au sens strictement factuel) la
loi étrangère, elle l'appliquera—comme le fait la
Cour suprême du Canada en présence d'un problè-
me de conflit de lois entre deux ou plus de deux
autorités canadiennes; ainsi, peut-on présumer,
agira également notre Cour.
Ma seconde remarque concerne la suggestion de
certains auteurs selon laquelle la loi du tribunal
saisi vise uniquement la common law établie dans
les décisions judiciaires, à l'exclusion du droit
écrit. Là encore, je crois que les formulations qui
ont été faites de la règle sont empreintes du con-
texte historique et remontent à l'époque où le droit
anglais était en très grande partie d'origine juris-
prudentielle; les lois parlementaires constituaient
des exceptions et ne faisaient pas partie du droit
ordinaire. Toutefois, je doute que, même à cette
époque, il aurait été soutenu qu'une loi d'applica-
tion générale telle, par exemple, le Bills of
Exchange Act (Loi sur les lettres de change)
n'était pas applicable et que la cour devait débus-
quer dans les recoins de l'histoire l'état du droit
précédant son adoption. À mon avis, cette règle,
formulée comme elle doit l'être, porte que la cour
appliquera uniquement les éléments de la loi du
tribunal saisi qui font partie du droit général du
pays.
Finalement, j'ajouterais qu'il m'apparaît évident
que la cour, lorsqu'elle applique la loi du tribunal
saisi faute d'une preuve de la loi étrangère, doit
faire les ajustements qui s'imposent; pour
employer le jargon juridique, la loi doit être lue
compte tenu des adaptations de circonstance.
Cette proposition est aussi vraie en ce qui a trait à
la common law et au droit jurisprudentiel qu'elle
l'est en ce qui regarde les lois parlementaires. Je
m'attendrais à ce que le tribunal auquel il est
demandé d'appliquer le droit relatif au trésor
trouvé («Treasure Trove))) dans une situation de
conflit de lois décide que le trésor appartient au
souverain du lieu dans lequel il a été trouvé plutôt
qu'à la Couronne d'Angleterre.
Si nous appliquons ces considérations aux faits
de l'espèce, la question en litige consiste à savoir si
«l'accord collectif» intervenu entre les propriétaires
du Mercury Bell et un syndicat crée en faveur des
demandeurs des droits exécutoires. Comme le
défendeur est un navire battant pavillon libérien
utilisé dans le cadre du commerce international,
c'est en se référant à la loi du Libéria qu'il faut
répondre à cette question. En l'absence de preuve
de la loi du Libéria, nous devons nous demander
quelle loi s'appliquerait si le navire battait pavillon
canadien. La loi applicable serait le Code canadien
du travail 9 . Il s'agit d'une loi d'application géné-
rale soumise aux seules limites qu'impose la Cons
titution au Parlement qui l'a adoptée. Ces limites
n'auraient aucun effet sur l'application de cette loi
si le défendeur était un navire battant pavillon
canadien utilisé dans le cadre du commerce inter
national. Le Code répond de façon claire et affir
mative à la question soumise à notre appréciation.
Il n'est aucunement pertinent de prétendre, ainsi
que l'a fait l'avocat de l'appelant, que de nombreu-
ses dispositions du Code canadien du travail ne
pourraient être appliquées au Mercury Bell et à
son équipage. C'est bien évident. Il n'est pas un
navire canadien. En appliquant la loi canadienne
en l'absence d'une preuve de la loi libérienne, nous
n'en faisons pas un navire canadien ni ne soumet-
9 S.R.C. 1970, chap. L-1, et ses modifications.
tons celui-ci ou son équipage à la compétence du
Conseil canadien des relations du travail ou à la
multitude des dispositions du Code. Nous n'appli-
quons de la loi canadienne que ce qui est néces-
saire pour répondre à la question en jeu.
Pour ces motifs, comme mon collègue le juge
Marceau, je rejetterais l'appel.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.